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Leon Foucault. Le miroir et le pendule William Tobin Adaptation frangaise de James Lequeux
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Leon Foucault. Le miroir et le pendule William Tobin Adaptation frangaise de James Lequeux
17, avenue du Hoggar Pare d'activites de Courtabceuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
« Sciences & Histoires » Collection dirigee par Benedicte Leclercq La collection Sciences & Histoires s'adresse a un public curieux de sciences. Sous la forme d'un recit ou d'une biographie, chaque volume propose un bilan des progres d'un champ scientifique, durant une periode donnee. Les sciences sont mises en perspective, a travers I'histoire des avancees theoriques et techniques et I'histoire des personnages qui en sont les initiateurs.
A paraftre: La physique du XXe siecle, Michel Paty
Illustration de couverture : Daguerreotype de Leon Foucault, vers 1850. © Musee des arts et metiersCNAM, Paris/Photo Studio CNAM. Edition originate : William Tobin, The Man who proved the world turned round, publie par Cambridge University Press. © Cambridge University Press, 2002. ISBN: 2-86883-615-1 Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous precedes, reserves pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alineas 2 et 3 de 1'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement reservees a 1'usage prive du copiste et non destinees a une utilisation collective », et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute representation integrate, ou partielle, faite sans le consentement de 1'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinea ler de 1'article 40). Cette representation ou reproduction, par quelque precede que ce soit, constituerait done une contrefa^on sanctionnee par les articles 425 et suivants du code penal. ©EDP Sciences 2002
Sommaire Sommaire Preface (Prof. H. Curien) Prologue Remerciements 1
Introduction
iii V
vii
xi 1
2 Les jeunes annees
13
3 Les debuts de la photographie
25
4 Le « delicieux passe-temps » applique a la science
39
5 La belle science de 1'optique
59
6 Tou jours 1'optique et la photographie
71
7 Ordre, precision et clarte : chroniqueur au Journal des Debats
81
8 Succes et deceptions
101
9 La vitesse de la lumiere I. La fin de la theorie corpusculaire
121
10 La rotation de la Terre : le pendule et le gyroscope
139
11 Dans 1'expectative
171
12 Le physicien de 1'Observatoire
181
Planches en couleurs
197
iv
Leon Foucault
13 I/amelioration des telescopes
205
14 La vitesse de la lumiere II. Les dimensions du systeme solaire
233
15 Enfin reconnu par ses pairs
243
16 Les regulateurs : a la recherche de la fortune
257
17 Pro jets inacheves
275
18 Epilogue
293
A Chronologic et Carte
299
B Extraits du Journal des Debats
301
C Photographies et instruments
323
D Construction d'un pendule de Foucault
327
E Bibliographic generate
333
Notes et references
335
Index
353
Preface Nous devons a James Lequeux cette elegante adaptation franchise du livre de William Tobin sur Leon Foucault. La Science ignore superbement les frontieres, politiques et sectorielles : c'est un physicien et astronome professant en Nouvelle-Zelande qui a redige cette etude exhaustive sur un savant franc.ais exemplairement pluridisciplinaire. Mecanicien, opticien, electricien, Leon Foucault s'illustra dans des domaines tres divers. II ne vecut que quarante-huit ans, mais ce demi-siecle lui suffit pour attacher durablement son nom a plusieurs effets ou demonstrations qui marquent la science. S'il fallait n'en retenir que deux, ce seraient sans doute les « courants de Foucault » et le « pendule de Foucault », qui lui ont assure 1'immortalite. Une banderole affichee tout recemment encore sur la facade du Pantheon nous invitait a venir nous convaincre definitivement de la rotation de la Terre grace au fameux pendule. Ce n'etait pas la premiere fois d'ailleurs que ce pendule oscillait sous la coupole de ce monument historique. C'est en mars 1851, avec 1'autorisation speciale du Prince-President Louis-Napoleon, que 1'experience y fut installee pour la premiere fois : une boule de 28 kilogrammes oscillant au bout d'un fil de 67 metres. La chronique rapporte que la foule se precipita alors pour voir le pendule et beneficier des explications donnees par Foucault en personne, « avec modestie et simplicite ». L'ceuvre de Foucault est exemplaire a bien des titres. II aimait la precision. Ses ennemis, il n'en manqua pas, allaient jusqu'a dire, avec une ironic cruelle et injustifiee, qu'il preferait la precision a la profondeur. Son gout pour les experiences bien menees le conduisit a une remarquable fecondite dans la conception et la realisation d'appareillages performants. En optique, il apporta un elan decisif a la construction des telescopes. II s'appliqua aussi a dormer une valeur, d'une precision et d'une exactitude tres remarquables, de la vitesse de la lumiere. N'oublions pas la contribution de Foucault au developpement de la photographie. Nicephore Niepce et Jacques Daguerre furent les deux figures de proue, mais Foucault, en cooperation avec Hippolyte Fizeau, apporta beaucoup a I'amelioration physique et chimique des daguerreotypes.
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Leon Foucault
Ces quelques exemples montrent la facilite avec laquelle Foucault savait passer de la recherche fondamentale a la recherche appliquee et a la technologic. Voila une autre bonne raison pour s'interesser a la vie et a 1'ceuvre de ce savant! Et d'ailleurs, Leon Foucault ne fut pas seulement un savant. II fut aussi un journaliste. II etait, en effet, responsable de la rubrique scientifique au Journal des Debuts. Ce quotidien parisien, qui etait tire a plus de 9 000 exemplaires, avait une reelle influence; il s'attachait a apporter son soutien au gouvernement quel qu'il soit, une prudence qui lui fut benefique. Les articles de Leon Foucault, ecrits avec esprit et vivacite, paraissaient le plus souvent en bas de la premiere page, une place de choix qu'il partageait avec des feuilletons dont les auteurs n'etaient autres qu'Alexandre Dumas, Honore de Balzac ou George Sand. Savant inventeur et realisateur, Leon Foucault fut done aussi un avocat pertinent et un mediatiseur seduisant d'une science qu'il connaissait de I'interieur. La lecture du present ouvrage, que je me permets de vous recommander vivement, vous transportera au cceur d'une epoque particulierement fertile en ev£nements politiques, mais aussi en revolutions scientifiques. La vie et 1'oeuvre de Leon Foucault sont exposees ici avec une parfaite competence et une grande humanite. Foucault n'etait pas, semble-t-il, un homme chaleureiix. Sa vie sentimentale est d'une grande pauvrete. Sa sante precaire 1'obligeait sans doute a une certaine prudence. Mais il fut un grand savant, que ce livre nous apprend a bien connaitre et admirer. Hubert Curien President de I'Academic des Sciences Ancien ministre de la Recherche et de la Technologie
Prologue Pourquoi Leon Foucault ? « Sa vie ne presente d'autres evenements a rapporter que les decouvertes qu'il afaites. »l
Cette opinion de 1'editeur du Recueil des travaux scientifiques, publiee apres la mort de Foucault, n'est guere encourageante pour un biographe, et pourtant, apres un siecle et demi, sa vie comme sa science nous paraissent dignes d'interet et meme fascinantes. Le nom de Leon Foucault est connu de millions de personnes, grace au pendule qui porte son nom et qui met en evidence la rotation de la Terre. Depuis Copernic, et surtout depuis Galilee, les scientifiques ont fait tomber des objets depuis des tours ou dans des puits, ou ont tire verticalement des boulets de canon dans une vaine recherche des faibles effets de la rotation de la Terre. C'est Foucault qui, en 1851, a apporte le premier la preuve observationnelle tant recherchee de cette rotation, grace a une simple boule suspendue a un fil. Son pendule a cause une grande sensation a 1'epoque, et 1'experience a ete regulierement reproduite jusqu'a nos jours.
Figure P.I. Ou retombera le boulet de canon - et meme, retombera-t-il ? Voir le chapitre 10.
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Leon Foucault
On salt moins qu'en 1852,1'annee suivante, Foucault a construit un autre appareil, base sur un disque tournant, qui a lui aussi demontre la rotation de la Terre. II nomma cet appareil le gyroscope. Les gyroscopes mecaniques ont eu, pendant un siecle, une immense importance pratique pour la navigation. Auparavant, Foucault avait porte le coup fatal a la theorie corpusculaire de la lumiere de Rene Descartes et d'Isaac Newton, en montrant, grace a un miroir tournant de la taille d'un ongle, que la vitesse de la lumiere est plus grande dans 1'air que dans 1'eau. Par la suite, il modifia cette experience pour mesurer la vitesse de la lumiere elle-meme, en metres par seconde. Cela confirma une prediction de son patron, Urbain Le Verrier, le dictatorial directeur de 1'Observatoire de Paris, et les dimensions du systeme solaire se rapprocherent de celles qui sont acceptees aujourd'hui. Enfin, alors qu'il travaillait a 1'Observatoire de Paris, Foucault a imagine des tests optiques qui ont permis la fabrication de grandes surfaces optiques quasiment parfaites. Les petites lentilles des lunettes astronomiques et les petits miroirs des telescopes, qui n'etaient generalement pas plus grands que la main et qu'on ratait plus souvent qu'on ne les reussissait, firent alors place aux grands miroirs des telescopes modernes. Le pendule, le gyroscope, la mesure differentielle, la mesure absolue de la vitesse de la lumiere et le developpement du telescope moderne sont les cinq grandes realisations de Foucault. Elles ont immortalise son nom et donnent des raisons plus que suffisantes d'etudier sa vie. Foucault a aussi offert de nombreuses autres contributions a la science du XIXe siecle. II fut Tun des premiers a appliquer le daguerreotype a la science. II a realise un arc electrique automatique. Son ceuvre englobe 1'optique, la mecanique et I'electricite. Pendant quinze ans, il resuma les reunions hebdomadaires de 1'Academie des Sciences pour un journal parisien influent, le Journal des Debats, ou sa franchise devait lui faire bien des ennemis. A la fin de sa vie, il espera faire fortune en construisant des regulateurs mecaniques pour I'mdustrie. Ces realisations additionnelles, le melange de recherche pure et de recherche appliquee dans son ceuvre, et son statut a part a une epoque ou la science devenait une institution, sont des raisons supplementaires pour que le lecteur d'aujourd'hui s'interesse a Leon Foucault.
Qui ce livre interesse-t-il, et comment est-il construit ? On presente generalement la science a travers les decouvertes des grands savants, decouvertes dont on pense souvent qu'elles resultent d'experiences cruciales ou d'intuitions fulgurantes. Foucault n'etait
Prologue
ni Newton ni Einstein, et sa science est moins fondamentale. Son genie est plus accessible au commun des mortels. Son exemple peut inspirer la jeunesse, et la narration de ses activites scientifiques peut interesser tout le monde. II serait cependant difficile de vouloir expliquer 1'ceuvre de Foucault sans utiliser un minimum de termes techniques elementaires. Le lecteur suppose est celui de Pour la Science ou de La Recherche, auquel les concepts de densite, de force ou de vitesse sont familiers, de meme que des termes comme apex, refraction ou sinus (meme si il en a oublie la definition exacte), mais qui ne connait pas forcement 1'aberration de la lumiere des etoiles, ou le fonctionnement d'un telescope. Le texte principal est ecrit pour ce lecteur, et j'espere qu'il en tirera plaisir et profit. Des appendices suivent ce texte. Dans 1'appendice A, on trouvera une chronologie de la vie de Foucault et une carte du Paris de 1'epoque. L'appendice B contient des extraits de ses articles les plus interessants parus dans le Journal des Debats. L'appendice C indique ou se trouvent les photographies et les instruments de Foucault, ou des copies d'epoque. L'appendice D, dont la comprehension necessite de bonnes connaissances en physique, discute les subtilites de la construction du pendule de Foucault et ses resultats. L'appendice E donne une bibliographie generale. Les petits chiffres en indice superieur renvoient a des notes et references utiles aux historiens des sciences. Le lecteur qui desire un approfondissement pourra consulter les articles originaux, dont la plupart sont accessibles en ligne grace au projet Gallica de la Bibliotheque nationale de France, ou dans une rempression recente du Recueil2. Les lecteurs ayant une bonne connaissance de la physique ou de 1'astronomie seront peut-etre interesses par quelques articles specialises que j'ai ecrits au cours de mes recherches pour ce livre3.
Foucault et les f emmes On ne rencontre guere de f emmes dans cette biographie. Foucault se situe chronologiquement entre la mathematicienne Sophie Germain (1776-1831), et la physicienne Marie Curie (1867-1934). Les quelques femmes auxquelles Foucault eut affaire etaient des parentes ... ou 1'Imperatrice. J'espere qu'aucun lecteur n'en deduira que la science du XXP siecle doit prendre modele de ce point de vue sur celle du XIXe siecle ! La contribution des femmes est essentielle pour comprendre les lois naturelles, et aussi pour rendre plus humain 1'aspect social de la physique, qui est plutot terne de ce point de vue dans de nombreuses contrees, en particulier dans les pays anglosaxons et nordiques. Le monde decrit dans ce livre est un monde
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d'hommes. En compensation, j'ai plaisir a dedier mon ouvrage a toutes les femmes du monde.
Les sources
Figure P.2. Une source peu fiable : le vulgarisateur scientifique Louis Figuier, mort en 1894 et ne en 1819 comme Foucault et qui, comme lui, abandonna la medecine pour la physique.
En science, c'est la nature qui arbitre. Les idees resistent ou s'effondrent lorsqu'elles sont confrontees a 1'experience, a 1'observation ou au calcul. En revanche, la reconstitution de la vie d'un personnage du passe ne peut se fonder que sur les temoignages souvent insuffisants qui nous sont parvenus. Beaucoup d'hypotheses ne sont que speculations. Les documents eux-memes ne constituent pas forcement des preuves. Ils peuvent nous induire en erreur de diverses manieres. Je me suis toujours servi, dans la mesure du possible, des manuscrits et des articles originaux, plutot que des ecrits d'auteurs secondaires comme le vulgarisateur Louis Figuier (figure P.2), qui se preoccupait peu de la veracite des faits pourvu qu'il puisse ecrire une belle histoire. II est regrettable que, par la force des choses, on ne connaisse beaucoup de details de la vie de Foucault que par des sources secondaires. Les registres de 1'Etat civil et les actes notaries m'ont fourni des details sur la famille de Foucault. Mais il subsiste des lacunes : 1'Etat civil parisien ancien a etc detruit en 1871, pendant la Commune. Foucault est ne a Paris, mais je n'ai pas pu savoir exactement ou. Ce que Ton sait de la science de Foucault est beaucoup plus fiable, et provient principalement des articles imprimes dans les journaux scientifiques de 1'epoque. Les articles de Foucault parus dans le Journal des Debats donnent un aperc.u des aspects humains de son activite, ce que permettent egalement les articles des journaux generaux comme Cosmos. L'examen des archives a malheureusement revele qu'il ne subsiste que tres peu de manuscrits de Foucault, bien que son inventaire apres deces mentionne pres de quatre mille manuscrits scientifiques. Un index detaille de ces manuscrits est conserve par sa famille (figure P.3), mais les manuscrits eux-memes ont disparu. On peut le regretter, mais Foucault lui-meme n'en aurait probablement pas ete trop affecte. II a ecrit: Tout en reconnaissant 1'interet qui s'attache a la decouverte de pieces manuscrites attributes a des hommes celebres, on ne peut cependant pas esperer d'en tirer, pour etablir des droits a la priorite, des argumens comparables a ceux que fournissent les ouvrages imprimes4.
Figure P.3. L'inventaire apres deces des articles et manuscrits scientifiques de Foucault, aujourd'hui disparus.
WILLIAM TOBIN Christchurch, Nouvelle-Zelande et Vannes, France mai 2002
Remerciements Je tiens a remercier en premier ma femme Laurence, sa mere Gisele Bon et sa tante Noelle Saunier pour leurs encouragements, leur aide et leur comprehension pendant la quinzaine d'annees ou ma vie a ete occupee par Foucault. Je veux aussi remercier mon pere, John O'H. Tobin, F.R.C.P., et ses collegues pour leur avis concernant les sujets medicaux traites dans cette biographic. Ma gratitude va aussi aux membres de la famille de Foucault, qui sans exception, m'ont rec,u avec hospitalite et ouverture d'esprit, et ont mis a ma disposition les objets et documents, helas peu nombreux, qui ont ete preserves par leurs soins : MM. Claude Chaumet, Andre Gutzwiller, Philippe Gutzwiller, Daniel Prest, Alain Sourrieu et M. William Foucault Les recherches menees pour ecrire ce livre ont implique 1'usage de la bibliotheque et d'autres ressources de nombreuses institutions et societes, et 1'aide de leur personnel. Je remercie tout particulierement Julie Meynent (Observatoire de Marseille), Josette Alexandre (Observatoire de Paris) et 1'equipe de la bibliotheque des sciences physiques de 1'Universite de Canterbury. Ma gratitude va aussi au personnel, trop nombreux pour que je puisse le nommer en totalite, des bibliotheques suivantes : Observatoires de Bonn, Marseille et Paris ; Universites d'Auckland, de Cambridge, Canterbury, d'Otago et du Wisconsin; Universite Victoria, Wellington ; Trinity College, Dublin (Jane Maxwell) ; Centre d'Histoire des Sciences et Techniques (Dominique De Place, le regrette Jacques Payen, Andre Guillerme) ; Conservatoire National des Arts et Metiers ; College de France (Mme Roussell, Marcel Froissart) ; Ecole de Medecine (M. Rivet) ; Ecole nationale des ponts et chaussees (Florence Doux) ; Ecole polytechnique (Claudine Billoux); Institut de France (Franchise Quinton); Sorbonne (Mme Magnaudet); Institut d'Astrophysique de Paris ; Bibliotheque nationale de France (Sylvie Aubenas, Bernard Marbot); Archives de 1'Academie des Sciences (M.J. Mine, C. Demeulanaere-Douyere); Archives du Bureau des Longitudes (Y. de Kergrohen); Archives nationales; Archives de la Ville de Paris ; Societe franchise de Photographic (Michel Poivert) ; Academie nationale de Medecine (Michelle Lenoir); Wellcome Institute (W.M. Schupbach); Science Museum, Londres; Royal Society, Londres (Mary Sampson); Science Reference Library, Londres; Institut National de la Propriete Industrielle ; Mediatheque d'Histoire des Sciences de la Cite des Sciences et de ITndustrie.
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Je remercie egalement les institutions suivantes : Musee des arts et metiers (Jeanne Bruno, Frederique Desvergnes, AnneCatherine Hauglustaine) ; Patent Office, Londres ; Musee franc,ais de la Photographie (Andre Page) ; Musee Nicephore Niepce (P. Jay) ; Museum national d'Histoire naturelle (Franchise Serre); George Eastman House (Joe Struble, Barbara Galasso, Janice Madhu); Science Museum (Kevin Johnson, Rhiannan Sullivan); the Smithsonian Institution (Steven Turner); ainsi que le service photographique (Barbara Cottrell, Merilyn Hooper, Duncan ShawBrown) et rimprimerie (Ken Spall) de 1'Universite Canterbury. Je desire enfin remercier les personnes suivantes : Andre Bertrand, Rene Blanchet, Laurence Bobis, J. Bon, F.F. Bonnart, G. Darrieus, Stephane Deligeorges, Philippe Garner (de Sotheby's), Alden Hyashi (Scientific American), MarieTherese et Andre Jammes ; Anthony Michaelis, Archie Roy et Christian Warolin. Beaucoup de collegues et d'amis m'ont donne des avis et des critiques qui m'ont ete extrgmement utiles. Je remercie particulierement James Lequeux pour sa lecture approfondie du manuscrit et son adaptation en langue franc.aise, et aussi: Paul Acloque, Frederique Auffret, Claudine Billoux, Jacques Boulon, Mike Bradstock, John Campbell, Jim Caplan, Philip Catton, Rod Claridge, JeanPierre Clavier, Marie Connolly, Georges Courtes, Dick Crane, le regrette John Darius, Suzanne Debarbat, Edith Delroche, Alison Downard, Kelly Duncan, Ken Entwistle, le regrette Jacques Foiret, Lucio Fregonese, David Gallagin, Yvon Georgelin, Alan Gilmore, Owen Gingerich, Alison Griffith, Jacques Guilbert, John Hearnshaw, Alice Houston, Jiirg Honger, Graeme Kershaw, Pam Kilmartin, Julie King, Thierry Lalande, Gerard Lemaitre, Roberto Mantovani, Guy Mathez, Loic Metrope, David Miller, Dominique Monseigny, Alison Morrison-Low, le regrette Garry Nankivell, Sarah Nichols, Philippe Pajot, Norman A. Phillips, John Pritchard, Bernard Rattoni, Christopher Rose-Innes, Lewis Ryder, Roberto Semanzato, Carolyn Shuster-Fournier, Geoff Stedman, Herve Theis, Steven Turner, Odile Welfele-Capy, Phil Yock, et Pascale et Jean-Marc Yersin-Bonnard. Toute ma gratitude va a Hubert Curien pour sa preface. Mon travail a ete rendu possible grace a des subventions, des prix et des salaires, pour lesquels je remercie 1'Universite de Provence, 1'Observatoire de Marseille, 1'Universite de Canterbury, 1'Institut d'Astrophysique de Paris, Vistas in Astronomy, le Mechaelis Memorial Trust (administre par 1'Universite d'Otago), le fonds Marsden de Nouvelle-Zelande qui a aussi fourni une subvention pour couvrir les frais relatifs aux illustrations en noir et blanc, et le Planet Earth Fund mis en place par le testament du regrette George Eiby, qui a finance les photographies en couleur. Je remercie egalement les phototheques et institutions qui ont fourni des illustrations a prix reduit ou sans exiger de droit de reproduction. Pour terminer, je presente mes excuses a ceux que j'ai oublies, et je te remercie, lecteur, pour avoir ouvert ce livre. J'espere qu'il te plaira. Le traducteur tient a remercier Laurence Bobis pour lui avoir suggere le titre de la version franchise de ce livre, ainsi que Genevieve Lequeux pour sa relecture critique.
Chapitre 1 Introduction Henri Sainte-Claire Deville s'assit sur son fauteuil d'academicien, pale d'emotion. C'etait un lundi apres-midi maussade de mars 1868, bien different des jours si chauds et si insouciants de son enfance aux Antilles1. II participait a la seance hebdomadaire de 1'Academie des sciences (figure 1.1), au milieu des boiseries de la salle de reunion, qui etait toujours eclairee aux bougies en raison du conservatisme quelque peu pervers de 1'Academie. II faisait chaud, la piece etait bondee, il y avait des gens debout dans les passages. Notre chimiste de 49 ans ne se faisait aucune illusion : ils etaient venus pour assister a un combat de coqs, et il etait Fun de ces coqs. II ne trouvait guere de reconfort dans le fait que les spectateurs et les journalistes etaient plutot de son bord. A une epoque ou toute opinion se devait d'etre entouree d'un flot d'amabilites, on ne pouvait se tromper sur le sens du compte-rendu de la reunion de la semaine precedente, que Les Mondes venaient de publier : « M. Henri Sainte-Claire Deville lit d'une voix solennelle et attristee une protestation eloquente faite au nom de M. Leon Foucault et de ses amis centre les accusations, au moins indirectes, que M. Le Verrier n'a pas cru pouvoir lui epargner... »2 Un silence pesant avait suivi ces paroles. Le public etait peu nombreux, et, ne sachant pas qu'il serait mis en cause, 1'odieux Urbain Le Verrier etait absent. Aujourd'hui, Le Verrier, senateur de 1'Empire et directeur de 1'Observatoire de Paris, etait bel et bien la, et sitot que le secretaire perpetuel eut fini de lire la correspondance, il se leva et demanda la parole, pour affirmer bien fort que 1'intervention de Sainte-Claire Deville le lundi precedent« n'[apprenait] rien, etait inutile », ajoutant en depit de 1'evidence qu'elle etait « absolument injuste ». « Comment peut-il dire c.a ? » pensa Sainte-Claire Deville, dont la colere montait. « Foucault, mon ami si cher et si original, est a peine froid dans sa tombe apres une longue agonie. J'etais son confident, et je sais tout ce qu'il a souffert sous la ferule de rinnommable directeur de cet Observatoire infernal. Et maintenant, c'est ce dictateur luimeme qui pretend que leurs relations ont toujours ete parfaitement cordiales. » Le Verrier avait ecrit son intervention, et il etait clair qu'elle tirait a sa fin. Tous les yeux se tournerent vers Sainte-Claire Deville. II s'avan^a dans son fauteuil, pret a se lever. « Pourrai-je me contenir ? »
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Figure 1.1. Le dome visible a droite de cette gravure des annees I860, est celui de 1'Institut national, dont 1'Academie des sciences est 1'une des cinq academies. L'Institut est situe a la limite nord du Quartier latin, sur la rive gauche de la Seine. Le pont ail premier plan est le Pont du Carrousel; derriere lui, on apergoit le Pont des Arts. Le batiment imposant a gauche est une partie du Palais du Louvre. Le bateau amarre au premier plan a gauche est un bateau-lavoir.
Leon Foucault
se demanda-t-il. « Je dois m'en tenir a ce que j'ai ecrit. » Les bougies vacillaient. Les busies et les statues etaient impassibles. « M. SainteClaire Deville a la parole », annonca le president. **#
Nous ne pouvons pas comprendre qui etait Foucault, ni 1'importance de ce qu'il a fait, sans connaitre son univers et ses preoccupations et sans savoir pourquoi il a tant ete soutenu par ses amis. Son univers etait la France du milieu du XIXe siecle. II est etranger a une partie de nos lecteurs, et le reste de ce chapitre va tenter d'en dormer un bref apergu, afin de placer Foucault dans son contexte historique.
L'Ancien Regime Commengons au XVIF siecle avec Louis XIV, le Roi Soleil, dont la cour s'occupait a des spectacles somptueux. Derriere le trone de ce monarque absolu, quelque peu debauche dans ses jeunes annees, se trouvait un homme actif et intelligent, Jean-Baptiste Colbert, ministre des finances et de bien d'autres choses. Colbert (1619-1683) savait que la base du pouvoir est la richesse, et que le fondement de la richesse est la production. II entreprit done d'enrichir la nation et le Roi par une tresorerie raisonnable et prevoyante et par le developpement de 1'industrie, des transports et du commerce. Parmi les nombreuses institutions fondees sous son influence, on trouve, en 1666,1'Academie royale des sciences3, et en 1667,1'Observatoire de Paris (figure 1.2)4. La mission de 1'Academie etait d'appliquer les sciences a 1'industrie afin de developper la fabrication des produits et d'augmenter les exportations. L'Observatoire n'avait en revanche aucun but utilitaire, et les astronomes pouvaient y faire ce qu'ils voulaient. En cela, 1'Observatoire de Paris differe fondamentalement de 1'Observatoire de Greenwich : fonde huit ans plus tard, en
Introduction
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Figure 1.2. L'Observatoire de Paris vers 1840, vu du nord. Son architecte est Claude Perrault, le frere du conteur.
1675, celui-ci etait explicitement charge d'ameliorer la connaissance de la position et des mouvements des astres, avec pour but ultime de determiner avec precision les longitudes, point essentiel pour la securite et 1'efficacite de la navigation maritime. L'Academic se reunissait initialement pres du Louvre, tandis que TObservatoire necessitait la construction d'un edifice approprie. Get edifice, plus grandiose que pratique, fut termine en 1672 sur un terrain a 1'horizon degage, situe en dehors de la ville. L'ltalien Jean Dominique Cassini (1625-1712) imprima sa marque sur les debuts de 1'Observatoire, et fut le premier d'une dynastie d'astronomes : son fils, son petit-fils et son arriere petit-fils furent successivement les directeurs de 1'Observatoire5.
La Revolution frangaise On a beaucoup discute des causes de la Revolution franchise de 1789. L'absolutisme des Bourbons et 1'acharnement de la noblesse a defendre ses privileges provoquerent un mecontentement general dans les classes moyennes, qui etaient les piliers de la production economique. Le Siecle des Lumieres (le XVIII6 siecle) defendait la suprematie de la raison vis-a-vis des inegalites, et de 1'injustice des autorites et des institutions. Le rejet de la superstition et la croyance passionnee dans les bienfaits de la science et de la raison s'expriment particulierement bien dans les dix-sept volumes de YEncyclopedic, ou Dictionnaire raisonne des sciences, des arts et des metiers, publiee entre 1751 et 1765 sous la direction du philosophe et ecrivain Denis Diderot (1713-1784) et du mathematicien Jean d'Alembert (1717-1783). En mai 1789, les turbulences sociales combinees a des problemes financiers urgents conduisirent Louis XVI a reunir les Etats generaux.
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Figure 1.3. Jean Sylvain Bailly (1736-1793), astronome et maire de Paris, guillotine sur le Champ de Mars le 22 brumaire An II du calendrier revolutionnaire (12 novembre 1793).
Leon Foucault
Cette assemblee consultative, issue de 1'Eglise, de la noblesse et des corporations des villes (done des classes moyennes), avait deja ete reunie dans le passe, en general pour faire approuver des decisions royales controversies, mais cela ne s'etait pas produit depuis plus de 150 ans. Le roi et les nobles en perdirent le controle, et les Etats generaux se transformerent en Assemblee nationale constituante. La prison-forteresse de la Bastille, embleme de 1'Ancien Regime et de ses injustices, fut prise par le peuple le 14 juillet 1789. L'Assemblee nationale tenta d'abord de creer une monarchic constitutionnelle, mais la fuite avortee du roi et la mobilisation de forces ennemies de la Revolution a 1'etr anger en 1792 la conduisirent a prendre des positions plus radicales. La Republique fut proclamee et le roi guillotine, mais la Revolution ne reussit pas a susciter une forme stable de gouvernement car differentes factions se disputaient le pouvoir. En comparaison aux exactions de notre epoque, la Revolution franchise fut relativement peu sanglante : on estime que 12000 personnes seulement ont peri. Parmi les scientifiques guillotines, on trouve le chimiste Antoine Lavoisier (1743-1794) et 1'astronome Jean-Sylvain Bailly (figure 1.3). L'Academie des sciences etait une institution royale, done suspecte. Elle fut dissoute en 1793 en meme temps que les autres academies, les societes litteraires, les universites et les ecoles de medecine. Cette eclipse devait etre de courte duree : deux ans apres, 1'Academic des sciences reapparaissait sous la forme d'une des cinq academies de I'lnstitut national (aujourd'hui I'lnstitut de France, figure 1.1). Parmi les autres institutions creees par la Revolution, on trouve les Grandes Ecoles, dont le but etait de former les enseignants, administratifs, scientifiques, officiers et ingenieurs civils et militaires dont la nation avait besoin. Ces ecoles incluent 1'Ecole Normale Superieure, destinee a 1'education d'une elite qui propagerait la connaissance technique et 1'esprit des Lumieres parmi les educateurs, 1'Ecole des Mines, et le Conservatoire des Arts et Metiers, qui rassemblerait les realisations de la science et de 1'industrie, encouragerait 1'innovation technologique et diffuserait les connaissances scientifiques, techniques et industrielles. D'autres institutions plus anciennes ont subsiste, par exemple 1'Ecole des Fonts et Chaussees, qui datait de 1747. Le sommet des institutions revolutionnaires fut certainement 1'Ecole Polytechnique, fondee pour 1'instruction et le developpement des sciences et de 1'ingenierie, et placee plus tard sous le regime militaire par Napoleon. Pendant la premiere moitie du XIXe siecle, cette ecole fut a la pointe de la recherche scientifique, particulierement en mathematiques et en mecanique. L'admission aux Grandes Ecoles avait lieu par concours et permettait la promotion sociale de jeunes gens peu fortunes dans la nouvelle France meritocratique.
Introduction
Afin de « faire fleurir notre marine » et de developper la navigation et le commerce, la Revolution fonda le Bureau des Longitudes. II etait en charge de 1'astronomie, discipline dont on considerait qu'elle etait tres utile : elle avait elimine la superstition, et fourni les fondements theoriques de la geographie et de la navigation, meme si la determination des longitudes etait encore imparfaite. La mission initiale du Bureau incluait 1'amelioration des tables astronomiques, des cartes marines, de la navigation et des horloges, et aussi 1'etude du magnetisme terrestre, en particulier en mer. Le Bureau avait un personnel et un budget propres et etait en charge de 1'Observatoire de Paris et des autres observatoires, tels que les Observatoires de la Marine a Brest et a Toulon6. La Revolution a reforme le calendrier, mais en depit de la poesie evocatrice des nouveaux noms des mois, le calendrier revolutionnaire eut peu de succes et fut abandonne en 1806. La reforme des poids et mesures fut en revanche une reussite durable. Elle remplaca par un systeme national uniforme la plethore de mesures locales prejudiciables au commerce (c'etait d'ailleurs une des requetes des cahiers de doleances prepares pour les Etats generaux). La construction du systeme metrique fut une entreprise hero'ique et lente : du temps de Foucault, il etait loin d'etre completement utilise dans la vie courante. Dans ses articles de journaux (mais pas dans ses articles scientifiques), Foucault utilise encore les pintes, lignes, pouces, pieds, lieues, livres et toises.
Napoleon Ier Le desordre politique de la Revolution se termina en 1799, par le coup d'Etat du 18 Brumaire an VIII, ou Napoleon Bonaparte et ses acolytes prirent le pouvoir. Ne en Corse, Napoleon avait acquis un grand prestige par ses victoires sur les Autrichiens lors de la campagne d'ltalie, et par 1'expedition d'Egypte, initialement destinee a contrer 1'economie anglaise. Bien que cette expedition se soit terminee en 1798 par la destruction de la flotte franchise a Aboukir, elle avait frappe par son audace et par la grande qualite des travaux scientifiques qu'elle avait effectues, travaux auxquels la plupart des jeunes savants de 1'epoque avaient pris part. La nouvelle Constitution de 1'An VIII (1799), liberale en apparence, donnait en fait 1'essentiel du pouvoir a Bonaparte, elu Premier Consul pour dix ans. Au cours des annees suivantes, Napoleon s'attaqua a des reformes durables des lois, des rapports de 1'Eglise et de 1'Etat, de 1'education et de radministration. En 1804, en presence du Pape reduit a 1'etat de spectateur, il se couronna lui-meme Empereur des Francais. Deja en guerre centre 1'Angleterre, Napoleon tenta de dominer 1'Europe
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continental, mais ses succes initiaux furent suivis d'echecs, et il dut abdiquer en 1814. II revint en France apres un court exil a 1'Ile d'Elbe, mais fut defait a Waterloo cent jours apres. Napoleon avait de grandes visees intellectuelles et esperait que la France dominerait toute la science future. Au Caire, il crea un Institut d'Egypte, copie sur 1'Institut national. On connait ses paroles celebres:
Figure 1.4. Pierre Simon Laplace est sans doute le physicien francais le plus important de la fin du XVIIP siecle et du debut du XIXe. II avait cependant un caractere peu genereux.
Partager son temps la nuit entre une jolie femme et un beau del, et le jour, le passer a rapprocher ses observations et ses calculs, me par ait etre le bonheur sur terre. De toutes les sciences, 1'astronomie est celle qui a ete la plus utile a la raison et au commerce. C'est surtout celle qui a le plus besoin de communications lointaines et de 1'existence de la Republique des lettres.7
Le marquis de Laplace (figure 1.4), une des principales figures de la physique en France, envoya les deux premiers volumes de sa Mecanicjue celeste a Napoleon, qui repondit avec esprit: « Les premiers six premiers mois dont je pourrai disposer seront employes a les lire. »8 Napoleon retablit les universites, dont le doctorat etait le diplome le plus eleve.
La Restauration La Restauration mit successivement deux freres de Louis XVI sur le trone : d'abord Louis XVIII, installe avec 1'aide des Anglais et mort en 1824, puis Charles X. Foucault naquit en 1819, au milieu du regne de Louis XVIII. La prevention de Charles X au titre de monarque de droit divin, ses restrictions concernant la presse et la suppression de diverses libertes provoquerent une insurrection en 1830. Apres cinq jours de lutte acharnee dans les rues de Paris, la « Revolution de juillet » forc.a Charles X a abdiquer. Son successeur em, LouisPhilippe, paraissait dote de qualites a la fois republicaines, royales et liberates. Les annees de formation de Foucault se deroulerent sous le regne de ce « Roi-citoyen ». Mais la corruption des hommes politiques, les pratiques judiciaires douteuses et les pouvoirs reduits du Parlement firent que les liberaux et les extremistes s'associerent pour demander des reformes. En 1848, la revoke du peuple obligea Louis-Philippe a abdiquer et a fuir en Angleterre. On doit a Louis-Philippe le retablissement du College de France, anciennement College du Roi, fonde par Francois Ier en 1530, et ferme a la Revolution. Contrairement aux universites et aux grandes ecoles, le College de France ne delivre aucun diplome. Les professeurs y enseignent ce qu'ils veulent et les cours sont ouverts a tous.
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Figure 1.5. Frangois Arago (1786-1853) : astronome, physicien, homme politique, secretaire perpetuel de 1'Acadernie des Sciences et directeur de 1'Observatoire de Paris.
Francois Arago II est temps de presenter Francois Arago (figure 1.5). Arago fut officiellement directeur de 1'Observatoire de Paris de 1843 a sa mort en 1853, mais il etait deja directeur de facto depuis longtemps. II est ne en 1786 a Estagel dans le Roussillon, et passa ses annees d'adolescence a Perpignan, ou son pere etait tresorier a la Monnaie. II entra a 1'Ecole Polytechnique en 1803, envisageant une carriere militaire. Mais son sens republicain inebranlable se trouva bientot en conflit avec 1'autorite politique. Lorsque Napoleon Bonaparte, alors premier consul, se preparait a devenir empereur, Arago fut parmi les eleves de Polytechnique qui refuserent de signer une petition pour le soutenir. Napoleon avait 1'intention d'expulser ces eleves mais au vu de leurs notes, Arago etant le meilleur, il soupira: « On ne renvoie pas le premier d'une promotion. Ah ! s'il avait ete a la queue. »9 Les prouesses d'Arago en mathematiques furent telles, qu'au bout de deux ans, on lui offrit un poste a 1'Observatoire de Paris pour travailler avec Jean-Baptiste Biot (1774-1862) sur la refraction de la lumiere par 1'atmosphere terrestre. II etait alors question de faire la triangulation du meridien de Paris, en principe pour realiser le metre, qui venait d'etre defini comme le dix-millionnieme de la distance du pole a 1'equateur, mais en realite plutot pour etudier 1'aplatissement de la Terre10. Cette triangulation etait achevee de
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Figure 1.6. Foucault etait-il dans 1'auditoire le jour ou fut conc.ue cette gravure ? Elle represente un des cours publics d'astronomie d'Arago, dans un amphitheatre construit tout expres a 1'Observatoire de Paris.
Dunkerque a Barcelone. Au debut de 1806, Arago et Biot partirent pour 1'Espagne afin d'etendre la triangulation jusqu'aux Baleares. Us y parvinrent non sans difficultes, mais le retour d'Arago fut empeche par la guerre entre la France et FEspagne en 1808. Apres differentes tribulations, une tentative d'empoisonnement, une capture par des pirates et deux sejours forces a Alger, Arago reussit a rejoindre les cotes franchises en juillet 180911. Deux mois plus tard, il fut elu a 1'Academic des sciences12. L'election de ce jeune homme de 23 ans ne fut pas facile. Laplace poussait son candidat, Denis Poisson (17811840), un peu plus age qu'Arago, qui etait considere comme une etoile montante de la physique et des mathematiques. Arago fut finalement elu par 47 voix centre 4, plus en raison de ses exploits romantiques en Espagne que pour une contribution fondamentale a la science. Ces annees-la, Arago travaillait surtout dans le domaine de 1'optique. Dans les chapitres suivants, nous decouvrirons le role qu'il a joue dans le developpement de la theorie ondulatoire de la lumiere. Vers 1820,1'interet d'Arago se tourna vers Telectromagnetisme. En 1830, il devint Tun des deux secretaires perpetuels de TAcademie des sciences, poste plus important que celui de president et qui lui permit d'exercer une influence considerable. Foucault ecrivit plus tard : Arago fut un des premiers a comprendre que la science ne pouvait pas prosperer au fond des laboratoires, que meme elle finirait par s'etioler dans la solitude des Academies, et qu'apres
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avoir donne au monde la vapeur, les chemins de fer et le telegraphe electrique, elle voulait qu'il fut parle d'elle jusque chez les ignorans. II se fit done le promoteur de la publicite13.
Des 1812, Arago donna des cours publics d'astronomie, ce qui etait d'ailleurs prevu dans 1'acte de fondation du Bureau des Longitudes. Ces cours remporterent un succes exceptionnel. De 1841 a 1846, ils furent donnes dans un amphitheatre « spacieux, elegant et commode » construit specialement a 1'Observatoire de Paris, qui pouvait accueillir 800 personnes (figure 1.6)14. Pendant ses dernieres annees, Arago dicta le contenu de ces cours a sa niece, prevoyant qu'ils seraient une source de revenus substantiels pour ses heritiers15. Ils furent publics sous le titre d''Astronomic Populaire (figure 1.7). Alors qu'en 1809 seul un public choisi pouvait assister aux seances du lundi de 1'Academie des sciences, Arago y fit admettre tous ceux qui le desiraient, et meme la presse. En 1835, il fonda les Comptes rendus hebdomadaires des seances de 1'Academie, qui eurent une grande influence pour homogeneiser la presentation des resultats scientifiques (figure 1.8). II ecrivit aussi des monographies sur les chemins de fer, sur la distribution publique de 1'eau et sur les fortifications construites autour de Paris dans les annees 1840, ainsi que des eloges nombreux (et tendancieux) des academiciens decedes. On associe souvent la naissance de 1'astrophysique, ou de Yastronomie physique comme on disait a 1'epoque, aux debuts de 1'analyse des spectres qui suivit la formulation des lois de remission et de 1'absorption du rayonnement par Kirchhoff en 1859. Mais en fait, c'est« Arago [qui] introduisit la physique dans 1'astronomie », comme 1'a remarque 1'un de ses successeurs a la direction de 1'Observatoire de Paris16. Auparavant, les astronomes s'etaient presque uniquement occupes du mouvement des etoiles et des planetes, cherchant a les expliquer dans leurs moindres details par les lois de la gravitation et du mouvement dues a Newton. Comme nous le preciserons plus loin, Arago a utilise la photometrie et la polarimetrie en vue de connaitre la nature physique des corps celestes. II a montre par exemple que la surface du Soleil etait gazeuse, et non pas solide. Attire vers la politique sous I'influence de ses freres cadets, Arago fut elu depute des Pyrenees-Orientales, puis du 12e arrondissement de Paris17. II etait de gauche et republicain, mais n'avait rien d'un extremiste. II fut membre du gouvernement provisoire de la nouvelle deuxieme Republique en 1848. Dans cette fonction, il soutint et signa les decrets abolissant 1'esclavage dans les colonies franchises et les chatiments corporels dans la Marine. Nous verrons au chapitre 7 que Foucault accueillit avec joie ce gouvernement favorable aux classes moyennes et aux pay sans proprietaires de leurs terres.
Figure 1.7. A la fin de la vie d'Arago, sa niece transcrivit ses cours d'astronomie. Ils furent publics en quatre volumes apres sa mort. Pour une relation d'un vol en ballon aventureux par leur redacteur, J.A. Barral, voir la page 310.
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Figure 1.8. Fondes par Arago, les Comptes rendus hebdomadaires de 1'Academie.
Figure 1.9. Louis-Napoleon Bonaparte, le futur Empereur Napoleon III, dans son laboratoire a la prison de Ham dans les annees 1840.
La deuxieme Republique fut de courte duree. Les tentatives de transfer! des chomeurs parisiens vers la province furent a 1'origine d'une revolte des travailleurs en juin 1848, suivie d'une courte et cruelle guerre civile. Le resultat de ces « Journees de juin » fut le desir general d'un gouvernement fort, qui devint une realite quelques mois plus tard, avec rejection du Prince Louis-Napoleon Bonaparte a la presidence de la Republique. Get homme hors du commun, neveu de Napoleon Ier, avait ete eleve a 1'etranger. II etait persuade que sa destinee napoleonienne etait de gouverner la France. En 1836 a Strasbourg, puis a Boulogne en 1840, il conspira contre la monarchic, avec 1'espoir, dans les deux cas, de fomenter une revolte parmi les troupes et d'acceder au pouvoir. Emprisonne en 1840 au fort de Ham, il parvint a s'en echapper six ans plus tard, deguise en ouvrier. Louis-Napoleon n'etait pas un prisonnier ordinaire : pendant son sejour a Ham, il reussit a faire deux enfants illegitimes et a etudier la physique (figure 1.9) ! Napoleon Ier avait deja affirme que si il pouvait recommencer sa vie, il la consacrerait aux sciences exactes18. Comme nous le verrons, son neveu portait aussi beaucoup d'interet aux sciences, et a soutenu Foucault, Pasteur et d'autres dans leurs entreprises scientifiques. Trois ans apres son election au titre de Prince-President, LouisNapoleon reussit un coup d'Etat pendant la nuit du l er au 2 decembre 1851. Ce coup d'Etat fut legitime par un plebiscite tres favorable, de meme que la restauration de 1'Empire un an plus tard, quand LouisNapoleon fut couronne sous le nom de Napoleon III*. Le Second Empire a toujours embarrasse les Frangais. C'est peutetre parce qu'il leur est difficile de croire qu'un peuple libre ait pu voter pour un chef hereditaire ; mais c'est peut-etre aussi a cause du deshonneur qui a resulte de la disintegration de 1'Empire lors de la guerre sans espoir contre les Prussiens, guerre astucieusement provoquee par Bismarck et qui s'est terminee par la capitulation de Sedan en 1870. La vingtaine d'annees qu'a dure le Second Empire fut une epoque extraordinaire. On a decrit Louis-Napoleon soit comme « etrange et enigmatique », soit comme un « aventurier aimable »19, soit, de fac,on plus memorable, comme Napoleon le Petit par Victor Hugo, Tun des exiles les plus extravertis du regime. On ne peut cependant mettre en doute ni le desir de progres de LouisNapoleon, ni son souhait sincere d'ameliorer le sort du petit peuple (a condition que 1'ordre social et la stabilite soient maintenus) : c'est du moins ce qu'on lit dans son livre De I'extinction du pauperisme. * Quand il fut banni a 1'Ile d'Elbe en 1814, Napoleon Ier avait abdique en faveur de son fils alors en bas age. Bien que cet enfant n'ait pas regne, 1'opinion des bonapartistes etait qu'il avait ete un souverain legitime sous le nom de Napoleon II.
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II fit construire des villages pour les travailleurs et tenta de creer une instruction primaire libre et obligatoire. Malgre ses nombreuses aventures militaries, son but principal etait de creer une communaute des nations plus juste et plus solide, fondee sur rauto-determination des peuples, et il paraissait souffrir des horreurs de la guerre. Son regne connut une expansion technique, industrielle et commerciale considerable, accompagnee cependant d'une importante corruption. C'etait aussi une periode de gaite, de crinolines et de fetes. Ceux qui en avaient 1'energie pouvaient courir les nombreux bals, dont Tun des plus fameux, le Jardin Bullier, ne se trouvait qu'a 500 metres de 1'Observatoire. Les visiteurs etrangers etaient fort interesses par les grisettes, des jeunes femrnes celibataires peu fortunees avides de s'amuser, et qui y parvenaient car elles n'etaient pas soumises aux conventions de la classe moyenne. Si Paris est la ville splendide que Ton connalt, c'est en grande partie grace au remplacement des rues etroites et humides par des boulevards eclaires et aeres, et aussi a l'installation d'un bon systeme d'egouts. Les Expositions universelles de 1855 et de 1867 furent les vitrines de la puissance de 1'agriculture et de 1'industrie franchises, et de la prosperite et de la modernite qui lui etaient associees. Foucault est mort en 1868. Les deux dernieres decennies de sa vie furent celles du Second Empire, au cours desquelles il fut un des savants les plus connus et les plus populaires de 1'epoque.
L'etat de la technologic En 1846, un journal parisien, Le National, dressait la liste des grandes innovations industrielles de la premiere moitie du XIXe siecle : 1'amelioration des mortiers hydrauliques, 1'application de la machine a vapeur au transport maritime et terrestre, 1'application de 1'electricite a la galvanoplastie et au telegraphe, et 1'invention du daguerreotype. On retrouvera la galvanoplastie et le daguerreotype aux chapitres 3 et 4. Les autres innovations contribuerent au progres rapide des communications. On pouvait desormais traverser les rivieres sur des ponts et des viaducs solides, construits en utilisant les mortiers hydrauliques. Le premier chemin de fer parisien fut termine en 1837, sur les 20 kilometres separant Paris de SaintGermain-en-Laye. II fut bientot suivi de deux lignes vers Versailles — qui connurent le premier accident grave — puis, en 1843, des lignes beaucoup plus longues de Paris a Orleans et a Rouen. En 1870, le reseau atteignait 22000 kilometres. La construction du tunnel de Semmering entre la Basse-Autriche et la Styrie (1854) fut suivie de celle du tunnel du Mont-Cenis en 1871. La route des Indes fut raccourcie de moitie par 1'ouverture du Canal de Suez en 1869. A
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partir de 1845, le telegraphe optique a bras articules fut remplace par le telegraphe electrique, qui permettait de transmettre des signaux plus rapidement et plus surement. Les progres de la sante et de la nutrition limiterent les maladies, tandis que la chirurgie etait revolutionnee par 1'anesthesie et plus tard par 1'aseptie. La production agricole et industrielle s'accrut grace a la mecanisation et a la fabrication en serie. L'industrie chimique etait florissante. La decouverte des teintures artificielles est bien connue : des exemples franc.ais en sont le rose magenta et le pourpre solferino, ainsi nommes en souvenir de deux victoires de Napoleon III. A la satisfaction evidente de Foucault, la science et I'industrie amelioraient materiellement le monde. Les interets et les aspirations du milieu du XIXe siecle sont a Torigine de la societe technologique qui est la notre.
Chapitre 2 Les jeunes annees Nantes Foucault est un nom d'origine germanique, commun en Bretagne1 (notons qu'au XIXe siecle, la Bretagne s'etendait plus au sud qu'aujourd'hui). Bien que Leon Foucault soit ne a Paris, sa famille avait des liens avec le principal port de Bretagne, la ville de Nantes. Ses parents avaient achete des maisons a Nantes dans les annees 1820, et son grand-pere, Jean Baptiste Marie Foucault, y etait mort en 1829 (figure 2.1). Ce grand-pere etait un ancien colon de SaintDomingue, le moderne Haiti. Cette ile, qui fut pour les Fran^ais la « Perle des Antilles », etait, avant la Revolution, 1'une des plus importantes colonies franchises, avec pres d'un derni-million d'esclaves et une production annuelle de 80000 tonnes de sucre2. Une revoke d'esclaves avait eclate en 1791, soutenue par la Revolution. La decennie suivante connut des troubles sanglants, en particulier quand Napoleon Ier essaya de retablir 1'esclavage sur Tile. Le grand-pere de Foucault decida de quitter Saint Domingue et de s'installer a Nantes. II avait peut-etre des relations familiales ou commerciales avec cette ville, mais le choix de Nantes etait de toute fagon assez naturel. A 55 kilometres de la mer, le port de Nantes desservait les colonies des Antilles. Au siecle precedent, Nantes, comme Bristol en Angleterre, s'etait enrichi par le trafic d'esclaves. Grace a la bonne qualite de ses communications avec le reste de la France, Nantes etait devenue une ville industrielle florissante, avec des tissages, des fabriques de vetements, des verreries, des fonderies, des distilleries, des raffineries et des constructions navales. II y avait la de nombreuses possibilites de travail pour un colonial rapatrie.
Les parents Un des trois enfants du grand-pere Foucault avait une vocation maritime et devint capitaine au long cours; un autre etait plutot du genre « marin d'eau douce », et alia chercher fortune a Paris. C'etait Jean Leon Fortune Foucault, probablement ne aux environs de 1784, peutetre a Saint Domingue3. En 1814, il se maria a Paris avec une jeune fille de 21 ans qui avait aussi des antecedents a Saint Domingue, ou
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Figure 2.1. Une partie de 1'arbre genealogique de Foucault4.
Figure 2.2. La mere de Foucault, Aimee.
son pere, commerc.ant, etait mort. Elle se nommait Aimee Nicole Lepetit (figure 2.2). Elle survecut non seulement a son mari, mais aussi a leur fils, le physicien. Lors de son mariage, Jean Leon Fortune s'occupait du commerce des livres, et, en 1817, il acquit un brevet de libraire. Entre 1819 et 1829, il publia deux series de memoires et de souvenirs relatifs a 1'histoire de France, qui ne totalisaient pas moins de 130 volumes et qui eurent suffisamment de succes pour que les premiers soient reimprimes (figure 2.3)5. II publia aussi des ouvrages concernant le theatre, et a 1'occasion des tracts politiques, notamment royalistes6. Ce succes est probablement du en partie a la qualite des ouvrages. A une epoque ou ils etaient vendus broches, 1'editeur indiquait que tout cahier defectueux serait reimprime gratuitement, meme s'il ne contenait qu'une seule faute d'impression7. Get amour de la precision fut transmis a son fils Jean Bernard Leon (que nous appellerons Leon, son prenom usuel). Leon est ne le samedi 18 septembre 1819, sans doute dans la maison familiale. Nous ne savons pas exactement ou elle se trouvait, mais c'etait sans doute au Quartier Latin, non loin de la boutique paternelle situee rue des Noyers, une partie de 1'actuel boulevard Saint-Germain8. A cette epoque, la plupart des gens aises allaient a pied et n'habitaient jamais loin de leur travail. Un an plus tard, ses parents acheterent une maison rue de la Sorbonne. On ne sait pas si ils y habitaient, mais c'etait en tout cas leur adresse commerciale. Foucault fut baptise a 1'eglise paroissiale de Saint Etienne du Mont, a 150 metres seulement du Pantheon ou il devait faire la memorable demonstration de la rotation de la Terre. II est possible qu'un frere soit ne trois ans plus tard, mais il ne survecut pas. Une
Les jeunes annees
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sceur, Aimee Alexandrine Fortunee, etait de quatre ans plus jeune que Leon et vecut jusqu'a 1'age de 81 ans9.
L'enfance Foucault a du passer quelques-unes de ses annees de jeunesse a Nantes, ou ses parents, qui etaient visiblement a 1'aise, avaient acquis deux maisons en 1823 et en 182610. Pour leurs sejours a Paris, les Foucault emmenagerent dans une grande maison louee au 5 rue d'Assas, a quelques minutes du Jardin du Luxembourg. La grande propriete, grace a ses arbres, devait etre un beau terrain de jeu pour les enfants et une source de fraicheur 1'ete11. L'enfance de Leon a certainement connu les amusements habituels, dont on trouve la trace dans les commentaires de ses articles de journaux. « A qui n'est-il pas arrive de poursuivre un lezard et de lui casser la queue en voulant le retenir ? » lit-on dans un de ses articles12. Le marronnier donne un fruit « colore, brillant et poli comme le bois d'acajou » avec « sa chair blanche et ferme ... », dit-il ailleurs. Mais son gout est amer, « c'est une experience que tout le monde a faite a ses depens »13.
Le pere de Foucault interdit de tutelle Jean Leon Fortune Foucault abandonna son brevet de libraire pendant 1'ete de 1830. La publication de la seconde serie de livres sur 1'histoire de France etait terminee depuis un an, et a 1'age de 45 ans, il avait peut-etre envie de changement. De plus, la vente des livres etait en crise : on avait imprime trop de livres — 50 millions de 1825 a 1830 — et le marche etait sature. Des editeurs etaient en faillite : la plupart etaient d'anciens employes qui ne possedaient pas le capital necessaire pour se maintenir a flot en periode de mauvaises ventes14. II est possible que Jean Leon Fortune ait decide de fermer boutique avant d'etre en faillite. Mais il est aussi possible qu'on 1'ait mis en retraite en raison d'une maladie mentale, car quatre ans plus tard, en 1834, on devait lui retirer pour cette raison la tutelle de ses biens et de sa famille (il mourut en 1839). Ce dut etre une periode difficile, car le comportement du pere evolua de derangements passagers a une pathologic serieuse. Alors que 1'etat de son mari empirait, on imagine que la mere de Foucault portait sur ses epaules la charge de la famille et des affaires. En effet, elle ouvrit un cabinet de lecture rue Voltaire. Ces cabinets de lecture etaient destines a pallier la crise de 1'edition a la fin des annees 1820, car non seulement on avait produit trop d'ouvrages, mais ils etaient tres chers, hors de portee
Figure 2.3. Un des nombreux volumes relatifs a 1'histoire de France publies par le pere de Leon Foucault.
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Tableau 2.1. Le cout de la vie a 1'epoque de Foucault: quelques salaires et prix. Revenus Ouvrier 1-4F/jour Aide-Astronome, Observatoire 2 000 F/an de Paris Instituteur 2 000 F/an Senateur 30 000 F/an 1840: 300 F PNB/habitant 1869: 470 F Prix Kilogramme de pain Premiere qualite 31 c 24 c Deuxieme qualite 50 c Litre de lait 30 c Tarif omnibus Paris Bachelier es sciences : 24 F droits d'examen Livre moyen 6F Souscription pour 3 mois au Journal des Debate 18F Lampe Carcel 22 F Kilogramme d'argent 200 F 782 m2 de terrain rue d'Assas (1844) 60 120 F
de la plupart des bourgeois et accessibles settlement aux riches. Un volume edite par le pere de Foucault coutait environ 6 francs, le salaire de plusieurs jours pour un travailleur ou d'une journee pour un instituteur de village ou pour un aide-astronome a 1'Observatoire de Paris (tableau 2.1). Les bibliotheques publiques n'apparurent que dans les annees I860, mais dans un cabinet de lecture, le public cultive pouvait lire des livres et des journaux pour un prix abordable. Ces cabinets procuraient aux editeurs un tirage minimum. Madame Foucault etait certainement une femme de tete. Elle n'avait pas hesite a intenter un proces a sa tante et a son oncle pour une question d'heritage, et elle avait le meme sens des affaires que son mari. Sous sa tutelle, les finances de la famille resterent saines. Elle devait plus tard s'engager dans des affaires immobilieres, demenageant avec son fils dans une autre maison un peu plus au sud de la rue d'Assas, dont elle accrut la valeur en acquerant un terrain voisin. Madame Foucault etait croyante. II est certain que le jeune Leon a suivi le catechisme et fait sa premiere communion, mais il ne semble pas lui en etre reste grand chose. On ne trouve nulle part dans ses ecrits la preuve qu'il ait ete croyant, ou que la religion ait affecte sa demarche scientifique. Cependant, il n'etait pas anticlerical. A la maladie du pere, la tutelle fut done donnee a sa femme. Un subroge tuteur fut aussi designe. Comme il convenait a une famille fortunee, c'etait un personnage assez important, L.J.N. Monmerque (1780-1860), juge a la Cour de Paris et nomme de lettres, membre de I'lnstitut. II etait bien connu de la famille, car il avait supervise plusieurs ouvrages publics par Foucault pere. II fut aussi le subroge tuteur du jeune Foucault a son adolescence.
I/adolescence L''interdiction de son pere alors qu'il avait 14 ans, et les evenements qui suivirent, ont certainement marque le psychisme de Leon. Nous verrons que Foucault avait des cotes fragiles qui se revelerent vingt ans plus tard. Pendant son adolescence, il fut effraye par des marques sombres qui flottaient devant ses yeux. Par malheur, le medecin consulte etait un ignorant qui fut incapable de lui dire que cela n'avait rien d'anormal. Voici ce que Foucault ecrivit apres que le physicien ecossais Sir David Brewster eut public un article sur ces mouches volantes : II est probable qu'on n'en est pas exempt meme dans la premiere enfance ; mais cet age est sans souci, comme il est sans pitie, et s'il se plait a chasser les mouches, ce ne sont pas celles qui nous occupent en ce moment. On ne s'en apercoit que plus tard, et dans 1'adolescence, alors que beaucoup sacrifient a une sorte
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d'hypocondrie ... Pour peu qu'on ait 1'esprit observateur, on s'apergoit bientot que cette perception est toute subjective, et que la cause est en soi. Ces flocons nuageux ... on les retrouve toujours les memes, sur le blanc du plafond, sur les rideaux de son lit, sur une feuille de papier; on ne peut se dissuader qu'ils ne tiennent pas a 1'interposition de quelque corps opaque; peu a peu 1'imagination travaille, et 1'on croit la vue compromise a un age ou 1'on a tant besoin et tant desir de tout voir. Nous en parlons d'apres des souvenirs vifs et poignans, et nous adjurons les chirurgiens d'etre mieux renseignes qu'ils ne 1'etaient alors sur un accident qui n'offre rien d'inquietant.15 L'anxiete est commune pendant 1'adolescence, et cet episode revele plutot des qualites d'observation et de reflexion qu'une quelconque tendance depressive. Heureusement, Foucault occupa ses loisirs d'adolescent en construisant des modeles reduits — d'abord un bateau, puis un telegraphe. Ce n'etait pas un telegraphe electrique, qui ne devait apparaitre que quelques annees plus tard, mais le telegraphe optique de Chappe (figure 2.4). Foucault reproduisit le telegraphe situe sur la tour inachevee de 1'eglise Saint Sulpice (figure 2.5), qu'il pouvait voir de sa fenetre. Les mouvements silencieux et incessants des bras articules du telegraphe ont du fasciner le jeune Leon. Sa realisation suivante requit une astuce et une dexterite bien plus grandes : c'etait une machine a vapeur16. On dit qu'au lieu de recevoir une education a domicile, le jeune Foucault avait etudie dans une petite ecole a Nantes, et qu'a son retour a Paris on 1'avait envoye au prestigieux College Stanislas, une institution catholique situee pres de chez lui17. Sa sceur avait ete mise en pension. On ne sait pas combien de temps Leon est reste au College Stanislas, car bien que son caractere ait ete decrit plus tard comme « doux, timide et peu expansif »16, il semble qu'a 1'ecole il ait ete « peu docile et peu studieux ». Avec du recul, on peut voir la une manifestation precoce de 1'independance d'esprit si caracteristique du Foucault adulte. On employ a alors un precepteur prive plus comprehensif; apparemment Foucault promit de ne plus fournir qu'un travail parfait et s'y employa effectivement, quoique sans ardeur. Cet apprentissage personnalise et quelque peu inhabituel fut cependant un succes, puisque son education fut plus tard qualifiee de « tres-complete »18. Nous constaterons au chapitre 7 qu'il a fait preuve peu de temps apres d'une erudition impressionnante en tant que journaliste. II fut re^u Bachelier es kttres en 1837, ce qui exigeait de bonnes connaissances en rhetorique et en philosophic19. On dit que sa mere avait decide que Leon serait medecin. L'entree a TEcole de medecine exigeait un second baccalaureat20. Dix-huit mois plus tard, Foucault faisait la demonstration de ses connaissances en mathematiques, physique, chimie, biologic et zoologie devant trois
Figure 2.4. Avant 1'apparition du telegraphe electrique dans les annees 1840, on transmettait des messages a 1'aide des bras articules du telegraphe optique de Chappe. La poutre et les deux bras qu'elle porte a ses extremites sont orientables.
Figure 2.5. Le telegraphe optique situe sur la tour sud (a droite) de 1'eglise Saint Sulpice a ete reproduit en modele reduit par le jeune Foucault, qui le voyait de sa fenetre. Ses parents s'etaient maries £ Saint Sulpice en 1814, et son service funebre devait s'y tenir en 1868.
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examinateurs, qui mirent tous trois une boule blanche dans 1'urne, lui accordant ainsi le titre de Bachelier es sciences physiques21. Un des examinateurs etait un professeur de physique nouveau a la Sorbonne, d'origine beige, Cesar Despretz (1789-1863). On retrouvera Despretz dans le jury de these de Foucault une quinzaine d'annees plus tard, ou il a ete nettement moins satisfait.
Les etudes medicales
Figure 2.6. Un portrait de Leon Foucault en 1840.
Figure 2.7. La soeur de Foucault, Aimee Alexandrine Fortunee, en tenue de deuil apres la mort de son pere en 1840 22.
Au XIXe siecle, la medecine et son enseignement ont connu de grands changements. La Revolution avait ferme les ecoles de medecine. Les officiers de sante d'alors, dont les connaissances etaient minimales, ont peut-etre forme un corps egalitaire, mais le manque de medecins plus qualifies se fit bientot sentir. Ces officiers de sante disparurent progressivement au cours du XIXe siecle. Les progres de la medecine necessitaient un enseignement pratique et theorique plus rigoureux, dispense dans des ecoles de medecine et des hopitaux, et sanctionne par des examens. La medecine etait une carriere toute tracee pour un jeune homme intelligent de la bourgeoisie comme 1'etait Foucault. Le metier etait bien considere, et sa mere pouvait lui offrir ces etudes, qui n'etaient pas bon marche. Peu apres avoir obtenu son baccalaureat es sciences physiques, Foucault entra done a la Faculte de medecine, semble-t-il pour devenir chirurgien grace a sa dexterite manuelle. Les figures 2.6 et 2.7 montrent Foucault et sa sceur a cette epoque. Foucault fit des etudes serieuses et ne ressemblait nullement au stereotype du carabin. Mais d'apres ses ecrits dans le Journal des Debats, le contenu de sa cave a son deces23, et la lettre dont nous allons dormer des extraits, on imagine qu'il ne detestait pas boire un verre de bon vin et aimait danser. Dans cette lettre ecrite au printemps de 1840 a un ami non identifie, Foucault s'apitoie sur lui-meme. II nous a paru interessant d'en reproduire des fragments importants, non seulement parce qu'elle montre que Foucault s'interessait deja a la science, mais surtout parce que c'est un des rares documents qui nous soit parvenus ou Foucault exprime ses emotions a propos de la mort recente de son pere, et son desir d'amour: La mort de mon pauvre pere, arrivee subitement pendant un jour de sortie de ma sceur au moment ou notre cceur s'epanouissait a la joie, nous a jetes dans une consternation, dans une tristesse auxquelles les etrangers connaissant 1'etat de mon pauvre pere ont peine a ajouter foi. A peine nous venions de nous remettre de ce terrible coup, que la mort non contente vint encore
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frapper 1'un de nous [... ] Notre pauvre Eulalie, notre chere cousine, a succombe en huit jours a une fievre scarlatina compliquee de plusieurs autres affections. Vous savez, excellent ami, qu'elle faisait essentiellement partie de notre interieur et pouvez apprecier combien sa perte dut nous etre cruelle. Ah, cette fois mon cceur fut blesse bien avant; ajoutez a cela que peu de temps avant, mon ami Christophe venait de se faire marin par suite de la mort de son pere. Je tombai dans un isolement qui altera profondement ma gaiete et pour me remettre de mes idees tristes, j'entrepris precisement un mois apres mes travaux de dissection. Certainement j'appris a me familiariser avec la vue de la mort, mais je ne retrouvai point ma joie ; aussi depuis ce temps la, plus de manipulations chimiques, plus d'experiences de physique, plus de jolis ouvrages manuels. Quelques beaux jours ont deja reparu et cependant mon gout pour mes plantes ne s'est pas ranime. En vain je me suis quelque peu mele au tumulte des bals masques (je 1'avoue); cela m'a certainement amuse mais mon cceur est reste si vide, si creux, si indifferent, que c'est a peine si je le sens encore capable des atteintes de l'amour. Enfin je suis dans un etat ordinaire de tristesse et d'autant plus penible que je ne vois rien capable de m'en faire sortir ; et ne croyez pas que cela soit du a 1'abus d'aucune espece de plaisir, je n'ai cesse de travailler convenablement et la preuve c'est que mon premier examen en medecine que j'ai subi il y a trois mois s'est encore passe d'une maniere brillante. Cher ami, voila bien longtemps que je vous parle de moi, n'estce pas une preuve que mon existence me pese ? Pardonnez-moi, a vous exposer 1'etat de mon triste cceur j'ai eprouve quelque soulagement. Et vous, dans votre nouvelle position, avez-vous atteint ce bonheur qui semble si loin de moi ? Est-ce toujours cette personne pas plus grande que vous, bien faite, le visage pale mais plein de douceur, aux sourcils noirs bien arques, aux cheveux chatains bruns et aux belles dents, amusante et sensible comme vous ? Est-ce toujours bien a un amant que je parle ? Ou a un mari, peut-etre a un pere ? M. Lecorbeiller est alle cet hiver par chez vous dormer des concerts24, vous avez meme je crois chante a celui qu'il a donne d'une fac.on telle que j'en ai vu la nouvelle dans un journal musical. La vue de mon excellent professeur vous a-t-elle rappele le temps ou vous vintes a Paris faire sa connaissance ? Quand a moi je me le rappelle bien ce temps la, et le regrette de toutes les forces de mon ame. J'avais tous mes amis autour de moi, j'etais dans le premier enthousiasme de la science devenue pour moi indifferente ; je venais de faire mes etudes ; je ne faisais que de prendre sous mon bras le carton de 1'etudiant. Et voila que je retombe encore dans mes plaintes, c'est que c'est une de mes maladies que de regretter le passe. Mais n'allez pas croire que
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j'ai pris 1'air sombre et misanthrope, tout ce qu'il y a d'amer se passe au fond de mon cceur. Je reserve ma bonne mine a ce qu'il me reste d'amis25.
Figure 2.8. La lettre de Foucault ecrite en avril 1840 a un ami non identifie est seulement signee du paraphe dont il a habituellement orne sa signature jusqu'aux annees 1860.
La « chere cousine » Eulalie Grassot est decrite dans son acte de deces comme une libraire domiciliee place de 1'Odeon26. Elle travaillait peut-etre dans le cabinet de lecture de Madame Foucault, qui se trouvait a quelques pas, rue Voltaire. Le commentaire de Foucault a son sujet est difficile a interpreter. II en etait peut-etre amoureux ; mais si c'est le cas, la difference d'age etait considerable puisqu'elle etait de quatorze ans son ainee. En depit de son ton larmoyant, la lettre revele un jeune homrne fondamentalement sain, qui avait des interets tres varies. II est curieux que deux de ces interets, la musique et le jardinage, ne soient mentionnes dans aucun des eloges ecrits par ses amis apres sa mort. Le jardinage n'etait peut-etre qu'un passe-temps d'adolescent, mais ce n'etait pas une occupation superficielle, car il fit plus tard dans ses articles des remarques pertinentes et bien informees sur la botanique, 1'horticulture et 1'agriculture. En ce qui concerne la musique, la pratique d'un instrument etait alors presque universelle chez les gens aises et leurs enfants, a cette epoque ou le gramophone n'existait pas encore, et il ne faut sans doute pas s'etonner qu'elle n'ait pas ete evoquee dans ces eloges. Un piano Pleyel est inventorie apres le deces du pere de Leon, et Foucault lui-meme possedait un accordeon et deux violons a sa mort. L'un de ces violons etait attribue a Stradivarius et 1'autre a Tun de ses eleves27. Quoi qu'il en soit (et on sait combien de violons ont de fausses etiquettes de Stradivarius ou d'autres luthiers italiens), ces instruments sont un temoignage de 1'importance de la musique dans la vie de Foucault, qui parle dans un article des « beaux effets de 1'harmonie »28.
I/aspect physique et les gouts de Foucault Un commentateur de 1'epoque decrit Foucault comme « petit, chetif, malingre »29. D'apres ses papiers militaires de 1840, il mesurait 1 metre 65. II fut reforme en tant que fils unique d'une veuve. Dix ans plus tard, il fut aussi exempte d'une autre forme de service militaire dans la Garde nationale, qui etait a la Revolution une sorte de milice composee d'hommes suffisamment aises pour payer des impots. Cette fois, on a invoque sa mauvaise sante30. Son ouie etait excellente31, ainsi que sa vue32, malgre un leger strabisme que revele 1'examen attentif du frontispice. Notre commentateur poursuit: [... ] il marchait lentement, legerement, ramenant constamment a leur place ses cheveux chatains separes sur le milieu du front,
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toujours lisses et tres soignes. La tete etait originale et caracteristique, les traits accentues, mais le visage froid. II souriait rarement; quelquefois 1'ironie se dessinait vaguement sur ses levres. Cela ne 1'empechait pas d'avoir bon appetit. En plus du vin, il aimait les huitres, un « precieux mollusque »33, et avant tout le cafe. II adorait cette « denree coloniale », dont les qualites sapides et aromatiques (sont) capables de charmer nos sens. En outre d'une saveur exquise, le cafe possede des proprietes excitantes extremement remarquables ; il exalte les facultes cerebrales de la maniere la plus favorable. Que de bons mots, que de longues veilles, que de travaux soutenus, que d'efforts assidus decoulent en ligne directe de la tasse de cafe.34 II ne fumait probablement pas. Son inventaire ne mentionne ni pipes, ni boites de cigares, et quand il discute la composition du tabac dans un article, il n'en fait pas 1'eloge mais se contente de constater que « malgre les inconveniens qu'on lui reproche, il semble enracine pour longtemps dans nos moeurs »35.
Les amis « Je reserve ma bonne mine a ce qu'il me reste d'amis », ecrivait Foucault a son correspondant non identifie. Les relations sociales etaient importantes pour lui, et il prenait le temps de conserver ses amis et de jouir de leur compagnie. Son ami le plus fidele fut Jules Regnauld (figure 2.9). Us se sont probablement connus au cours de leurs etudes de medecine. A la difference de Foucault, Regnauld venait d'un milieu peu fortune, et cela s'est peut- etre repercute sur son caractere qui sera decrit plus tard comme « modeste et reserve ».36 Son pere possedait une petite pharmacie dans le Marais. Comme celui de Foucault, il venait juste de mourir. Regnauld aimait la physique. II devait etre intelligent et travailleur, car il fut admis a 1'internat. L'Ecole de medecine 1'employa alors pour ses connaissances en physique, et il devint plus tard Professeur de pharmacie37. Deux des amis de Foucault avaient vingt ans de plus que lui, et leur amitie prit un caractere paternel, peut-etre en remplacement du pere decede apres sa maladie mentale. L'un d'eux etait le Docteur Alfred Donne, une personne affable. Foucault a rencontre Donne lorsqu'il etait etudiant en medecine, comme on le verra plus en detail au chapitre 4. Apres la mort de Foucault, Donne commenta ainsi sa personalite et son comportement social: Foucault n'etait pas ce qu'on appelle aimable ; il n'avait ni la souplesse de caractere, ni les complaisances necessaires pour
Figure 2.9. Jules Regnauld (1820-1895) fut 1'ami le plus durable de Foucault. II est represente ici apres la mort de Foucault.
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etre un homme aimable dans le monde ; il soutenait ses opinions doucement, mais sans aucune concession, meme envers les dames, et quelquefois dans des questions qui ne touchaient pas a la science, mais des usages de societe auxquels il n'etait pas toujours egalement initie. Lorsque je 1'eus introduit dans 1'intimite de ma famille, on le trouva souvent desagreable, agagant, surtout parce qu'il ne se fachait pas, mais qu'il soutenait son dire du meme ton froid et calme. Ce calme etait une grande force dans certaines occasions, et je 1'ai vu, lui, d'une apparence faible et chetive, faire reculer les plus redoutables adversaires. S'il n'etait pas souple, sa fidelite en ami tie etait a toute epreuve. Combien de fois n'ai-je pas dit a des femmes exasperees de son sang-froid : « II n'est pas aimable, mais vous pouvez compter sur lui, et vous le trouverez toujours avec les memes sentimens d'attachement et d'amitie pour vous. » En effet, pendant trente ans, il n'a pas varie ; il a grandi sans jamais vous ecraser de sa gloire, sans cesser de temoigner sa reconnaissance des services rendus, de manifester son plaisir a revoir ses vieux amis, et sans avoir moins de complaisance a expliquer aux ignorans, et surtout aux ignorantes, les lois les plus abstraites de la physique, avec la lucidite qu'il savait mettre dans 1'expose des theories des phenomenes. Je le vois encore dans nos soirees a la campagne entreprendre de devoiler a une reunion toute mondaine les mysteres les plus profonds de la lumiere ou de 1'electricite; une feuille de papier, un crayon, des figures simples et bien tracees, aidant a comprendre sa parole sobre et correcte. Car il ne faisait pas plus de concession en fait d'exactitude qu'en fait d'opinion, et il restait rigoureusement exact, tout en faisant descendre de leur hauteur les verites scientifiques.38
Figure 2.10. L' Abbe Francois Moigno (1804-1884), un des amis et defenseurs de Foucault.
Un autre ami de Foucault, plus age et moins intime que Donne, etait 1'abbe Francois Moigno (figure 2.10). Comme Foucault, Moigno etait breton. II entra a la Compagnie de Jesus comme novice en 1822, a 1'age de 18 ans, tout en frequentant de nombreux scientifiques parisiens. Apres la Revolution de juillet 1830, qui etait clairement anticlericale, les Jesuites, dont Moigno, trouverent prudent de se refugier en Suisse. Quelques annees plus tard, il fut nomme professeur de mathematiques au college jesuite de la rue des Postes a Paris, et publia au cours des annees suivantes plusieurs traites de mathematiques, d'optique et de mecanique, qui etablirent sa reputation de savant. C'est alors qu'il entra en conflit avec son ordre. II finit par quitter les Jesuites en 1844, ce qui lui causa une blessure qui, dit-on, ne se refermera jamais. Separe des Jesuites, Moigno devint aumonier du Lycee Louis-le-Grand a Paris, et commenc,a une carriere de journaliste scientifique, fondant en 1852 un magazine nomme Cosmos. C'est a cette epoque, et peut-etre grace a cette activite journalistique, que Foucault rencontra Moigno et qu'ils devinrent amis. En 1854, ils se rendirent ensemble en Angleterre pour
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assister au congres de 1'Association britannique pour 1'avancement des sciences a Liverpool. Foucault ecrit a Regnauld a ce sujet: L'abbe est admirable... Je renonce a decrire les ressources de son intrepide nature, buvant, chantant, priant, contant la gaudriole, piquant avec joie un fou-rire explosif, recitant son breviaire entre deux cigares, exerc.ant entre 1'allemand et 1'anglais les fonctions d'interprete, improvisant a la tribune, relevant tous les toasts et portant haut 1'honneur national, il me parait une des harmonies de ce tohu-bohu, de cette petaudiere immense qu'on appelle 1'association britannique.39 Foucault avaitbeau ne rien entrevoir qui puisse briser sa melancolie, son enthousiasme pour les passe-temps scientifiques devait etre ravive par une decouverte passionnante : celle de la photographic.
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Cette page est laissée intentionnellement en blanc.
Chapitre 3 Les debuts de la photographic L'annee 1839 vit la mort du pere de Foucault et de sa cousine Eulalie. Mais elle connut par ailleurs un evenement qui enflamma le monde scientifique et artistique : 1'annonce publique du premier precede pratique de photographie1. Le mot de « photographie » est apparu en 1839, a la fois en France et en Angleterre. La photographie requiert une chambre noire et un materiau sensible a la lumiere. La chambre noire n'etait pas une nouveaute : la camera obscura, a 1'arriere de laquelle on forme une image grace a un petit trou perce dans la paroi anterieure, a ete decrite par des philosophes arabes des le XF siecle, puis par Leonard de Vinci (1452-1519). C'est la technique dite du stenope. Le physicien napolitain Giambattista della Porta (1535-1615) ameliora la finesse et la brillance de 1'image en remplagant le trou par une lentille convergente. Cependant, une lentille simple, composee d'une seule piece de verre, ne produit pas une image parfaite. On decouvrit plus tard, comme on va le voir, qu'il est possible de corriger ces imperfections (les aberrations) en utilisant une lentille composee de deux verres differents, dite doublet achromatique.
L'aberration chromatique et 1'objectif achromatique Isaac Newton (1642-1727) a decouvert que que la lumiere blanche est un melange de couleurs allant du rouge au violet. Cela nous permet de comprendre 1'aberration chromatique et de voir comment on peut la corriger. Le verre est dispersif : les differentes longueurs d'onde, qui definissent les couleurs, ne sont pas refractees autant les unes que les autres. C'est la raison pour laquelle un prisme decompose la lumiere blanche en ce spectre de couleurs constituantes qu'admirait Newton. Une lentille convergente simple agit comme un prisme et ne permet pas de focaliser en un seul point les rayons des differentes couleurs (figure 3.1). L'invention d'une methode permettant de corriger cette aberration chromatique est due a Chester Moor Hall (1703-1771), un avocat londonien, bien que le nom de 1'opticien John Dolland
Figure 3.1. Le verre refracte plus fortement la lumiere violette que la rouge. Ce phenomene est la dispersion, qui fait qu'une lentille simple ne focalise pas les differentes couleurs dans un meme plan. Le defaut correspondant est r'aberration chromatique.
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Figure 3.2. Principe du doublet achromatique invente au XVIIP siecle. Une lentille convergente epaisse est combinee avec une lentille divergente plus mince pour produire un ensemble (doublet) convergent. La lentille divergente est faite d'un verre plus dispersif (flint) que celui de la lentille convergente (crown). Les dispersions des deux lentilles se compensent, et les rayons des differentes couleurs convergent en un meme foyer. (1706-1761) soit souvent associe a cette decouverte (Dolland a decouvert simultanement le moyen de corriger 1'aberration de sphericite, dont on parlera plus tard dans ce chapitre). La figure 3.2 explique comment on peut corriger 1'aberration chromatique d'un objectif photographique (ou d'un objectif astronomique) en utilisant deux verres differents. Le verre de la lentille convergente est toujours le crown, qui est du verre a vitre compose de sable, de potasse, de soude et de craie2. Le verre de la lentille divergente est le flint, qui est tres dense et contient une forte proportion d'oxyde de plomb. Si les lentilles sont suffisamment petites, on peut les coller ensemble avec du baume du Canada, la resine soluble a 1'eau du sapin baumier canadien3. Au debut du XIXe siecle, le physicien anglais William Wollaston (1766-1828) inventa un doublet pour chambre noire qui donnait de bonnes images planes de grandes dimensions. On pouvait done obtenir des images lumineuses et de bonne qualite. En 1839, la technologic de la chambre photographique etait done prete pour la photographic, et Ton pouvait acheter des chambres noires destinees aux peintres chez les opticiens (figure 3.3).
Figure 3.3. La camera obscura (chambre noire) sous une de ses nombreuses formes. En 1839, il ne manquait plus qu'un precede automatique pour preserver 1'image qu'elle produit.
Restait a decouvrir une substance sensible a la lumiere. On savait depuis longtemps que de nombreux composes changent de composition chimique sous 1'effet de la lumiere : le chimiste suedois J.J. Berzelius (1779-1848) en enumerait une centaine en 1808. De nombreuses experiences avaient ete realisees avec ces produits, dans 1'espoir d'obtenir des images permanentes : les plus interessants semblaient etre le chlorure et le nitrate d'argent, qui noircissent a la lumiere. Mais les temps d'exposition etaient extremement longs. II fallait aussi trouver une methode pour arreter la reaction afin que d'autres expositions a la lumiere, inevitables quand on regarde la photographic, ne la noircissent pas completement.
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Nicephore Niepce Le premier a avoir obtenu des images permanentes naturelles fut Joseph Nicephore Niepce (1765-1833), qui vivait pres de Chalon-surSaone en Bourgogne. Son idee initiale etait d'obtenir des plaques permettant 1'impression sur papier. II baptisa ce precede Yheliographie. Afin de ne pas s'embarrasser d'une chambre noire, Niepce essaya d'abord de copier des gravures. II les recouvrait d'huile pour les rendre translucides et done semblables a un negatif moderne. II les plac,ait ensuite en contact direct avec une plaque de metal ou de pierre recouverte de divers materiaux photosensibles, et exposait le tout au soleil. En 1822, il reussit a obtenir la copie heliographique d'une gravure en utilisant une plaque de verre recouverte de bitume de Judee, un produit naturel. Plus tard, il utilisa un support de metal poli. Apres 1'exposition, il plongeait la plaque dans le petrole. Le bitume, expose au soleil pendant environ trois heures, etait devenu peu soluble ; le reste, non expose, etait dissous. La structure de 1'image etait assez semblable a celle du daguerreotype, que nous examinerons plus loin. Les blancs etaient produits par les restes du bitume, de couleur gris clair, et les noirs par le metal poli, a condition qu'on tienne la plaque de telle fac,on que la lumiere reflechie par ce miroir soit dirigee hors de la vue. L'image etait done positive, les regions exposees etant claires et les regions non exposees sombres. Plus tard, Niepce appliqua de 1'acide sur la plaque pour la graver et en permettre la reproduction. Enfin, il s'equipa d'une chambre noire et realisa, probablement en 1826, ce qui peut etre considere comme la premiere photographic encore conservee : 1'image d'une cour, realisee avec du bitume depose sur de 1'etain. Cette plaque fut redecouverte en 1952 apres des peripeties dignes d'un roman policier4. Le resultat n'est que partiellement satisfaisant: les ombres s'etaient deplacees pendant la pose de huit heures (sous un soleil brillant), ce qui a brouille la perspective.
L.J.M. Daguerre En 1826, Niepce rec,ut une lettre de Louis Jacques Mande Daguerre (figure 3.4). Daguerre venait d'un milieu modeste et fut 1'apprenti d'un architecte, puis du decorateur en chef de 1'Opera. II travailla comme decorateur de theatre et peintre de decors pour les panoramas, tres populaires a 1'epoque. Daguerre utilisait certainement une chambre noire pour ses peintures, et decida lui aussi de fixer les images que cette chambre pouvait donner. II se rendit chez le meilleur fournisseur de chambres noires de Paris, et c'est la qu'il entendit parler de Niepce. II s'agissait de
Figure 3.4. L.J.M. Daguerre (1789-1851), peintre et inventeur du premier precede pratique de photographic.
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Figure 3.5. Le fabricant d'instruments de musique et physicien anglais Charles Wheatstone (1802-1875, a gauche), avec 1'opticien et fabricant d'instruments de precision Charles Chevalier (1804-1859).
la maison Chevalier, creee en 1765. Dans les annees 1820, la firme appartenait a J.-L. Vincent Chevalier (1770-1841), fils du fondateur, mais c'est son petit fils, Charles Louis Chevalier (figure 3.5) qui etait vraiment doue pour 1'optique5. Niepce ne repondit pas tout de suite aux avances de Daguerre. Mais il finit par le rencontrer en 1827 et fut frappe par sa personnalite joviale et assuree. Pensant que Daguerre possedait une chambre noire rapide, il lui proposa un partenariat en 1829, aux termes duquel ils convenaient de partager toutes les decouvertes et aussi tous les profits. Ils continuerent a faire des experiences avec le bitume, mais aussi avec des plaques de metal argente exposees aux vapeurs d'iode, la substance photosensible etant alors 1'iodure d'argent. Niepce mourut en 1833, et Daguerre continua seul, se concentrant sur 1'iodure d'argent. II se trouvait toujours face a deux problemes : les temps d'exposition etaient tres longs, et il fallait trouver le moyen de rendre la plaque insensible a la lumiere apres 1'exposition. II obtint par hasard la solution du premier probleme au printemps de 1835. Pendant la nuit, il avait laisse des plaques peu exposees dans une armoire, et les avait retrouvees le matin suivant avec des images bien visibles. Apres differents essais, il se rendit compte que 1'armoire contenait du mercure. II avait done decouvert qu'une image latente, obtenue apres seulement une demi-heure d'exposition, pouvait etre revelee (on dirait aujourd'hui developpee) par la vapeur de mercure. En automne, la decouverte fut rapportee dans le Journal des Artistes, un hebdomadaire de critique et de technique artistiques. On y disait aussi qu'« une preparation » pouvait etre utilisee pour preserver
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1'image6. II fallut encore deux ans a Daguerre pour parvenir a fixer 1'image de fac.on satisfaisante : un lavage dans une solution fortement salee etait suffisant pour enlever 1'iodure d'argent residuel. Arago comprit d'emblee le potentiel immense de la decouverte de Daguerre. En tant que secretaire perpetuel de 1'Academic et homme politique, il avait les moyens de la promouvoir. Lors de la seance du 7 Janvier 1839 il exposa a 1'Academic des Sciences, ce qu'on pouvait tirer de ce precede, qu'il ne put cependant decrire faute de le connaitre, et tenta de couper court a des erreurs de conception assez repandues, provenant de rumeurs et du secret qui entourait de fac.on bien comprehensible 1'invention de Daguerre7. Le precede de Daguerre pouvait enregistrer des details extraordinairement fins comme « des tiges de paratonnerres tres eloignees »8. Le temps d'exposition dependait de 1'heure et de la saison : « en ete et en plein midi, huit a dix minutes suffisent ». Arago nota combien la photographic serait utile pour reproduire les monuments architecturaux du royaume, mais il en predit aussi 1'utilisation en physique et en astronomic. A la demande d'Arago, Daguerre avait deja photographic la Lune. L'objectif etait malheureusement « mediocre » et on ne voyait qu'« une empreinte blanche evidente ». Le resultat etait cependant meilleur que ce qu'Arago, Laplace et un troisieme physicien, E.L. Malus (1775-1812) avaient obtenu plusieurs decennies auparavant en utilisant un ecran enduit de chlorure d'argent. Un mois plus tard, Arago ajouta qu'il n'avait aucun doute sur le fait qu'on pourrait obtenir « une image exactement nuancee » de la Lune, a condition d'attacher la lunette utilisee pour la photographic a « une machine parallatique » entrainee par une horloge (un dispositif permettant au telescope de suivre la Lune).
La sphere celeste et I'entrainement des lunettes et des telescopes Pour mieux comprendre ce qu'Arago voulait dire, rappelons ce qu'est le mouvement diurne du ciel. II est commode de se representer le ciel comme une sphere imaginaire, sur laquelle sont places les astres (figure 3.6). Un observateur terrestre voit la sphere celeste depuis son centre O. Le ciel visible correspond a la moitie de la sphere qui se trouve audessus de 1'horizon a 1'instant considere. L'autre moitie est cachee sous 1'horizon. Etant lice aux etoiles, la sphere celeste est fixe dans 1'espace. Cependant, pour un observateur terrestre, c'est la Terre, 1'horizon et les points cardinaux qui paraissent fixes, et c'est le ciel qui parait tourner autour d'un axe joignant les poles geographiques de la Terre. Get axe est indique en traits tiretes sur la figure 3.6. Les
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Figure 3.6. La sphere celeste, dessinee pour la latitude de Paris. Les constellations et les differents astres sont supposes se trouver sur la surface de cette sphere imaginaire, dont le rayon est infiniment grand. Un observateur terrestre voit la sphere depuis son centre, O. La sphere celeste est immobile, mais pour 1'observateur O elle parait tourner de Test vers 1'ouest autour des poles, puisque la Terre tourne de 1'ouest vers Test par rapport aux etoiles dans son mouvement diurne. Les fleches en grise representent ce mouvement apparent. La rotation s'effectue en un jour sideral de 23h 56m.
poles celestes nord et sud sont les intersections de cet axe avec la sphere celeste. La hauteur du pole visible au-dessus de 1'horizon est la latitude. Pour un observateur situe au pole nord geographique, le pole nord celeste est directement au-dessus, au zenith. Pour un observateur a 1'equateur terrestre, les deux poles celestes sont a 1'horizon, respectivement au nord et au sud. Aux latitudes intermediaries, la hauteur du pole celeste est aussi intermediate, comme le montre la figure 3.6, dessinee pour Paris. On voit sur cette figure que certaines etoiles sont toujours au-dessus de 1'horizon, par exemple celles de la Grande Ourse. D'autres etoiles ne sont jamais visibles, comme celles de la Croix du Sud. Entre ces extremes, la plupart des etoiles se levent a Test et se couchent a 1'ouest, par exemple les etoiles d'Orion. Le Soleil fait de meme. Puisque la sphere celeste est supposee avoir un rayon extremement grand, seuls les angles doivent etre considered, et les mouvements sont decrits en termes de vitesse angulaire, par exemple en degres par heure. Mais la vitesse angulaire differe selon qu'on la rapporte a 1'axe des poles ou par rapport au centre de la sphere celeste. La vitesse angulaire des etoiles par rapport a 1'axe des poles est constante et vaut 360° par jour. Mais ce n'est plus vrai si on la rapporte au point central O. Les poles celestes sont immobiles. L'etoile polaire, qui se trouve a moins de 1° du pole nord celeste, bouge tres peu. Le mouvement angulaire augmente quand on s'eloigne des poles et atteint un maximum a 1'equateur celeste, qui est la
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projection de 1'equateur terrestre sur le ciel. Les fleches en grise de la figure 3.6 montrent comment le mouvement angulaire des etoiles varie en grandeur et en direction suivant sa position sur la sphere celeste. Maintenant, nous voyons mieux ce qu'Arago voulait dire. En toute premiere approximation, la Lune peut etre considered comme fixe sur la sphere celeste. Pour obtenir une image stationnaire sur la plaque daguerreotype, il faut que le telescope auquel est attachee la chambre noire suive la Lune, done la sphere celeste, dans son mouvement apparent. La figure 3.7 en montre la realisation: il suffit de faire tourner le telescope autour de 1'axe des poles avec une vitesse angulaire de 360° par jour sideral. Les montures de telescopes basees sur ce principe, souvent designees autrefois sous le nom de montures parallatiques, sont appelees aujourd'hui montures equatoriales.
La diffusion de la photographic Arago realisa que si 1'invention de Daguerre etait commercialisee sous brevet, 1'usage en serait limite et les progres entraves. « II semble done indispensable que le Gouvernement dedommage directement M. Daguerre », conclua-t-il, « et que la France, ensuite, dote noblement le monde entier d'une decouverte qui peut tant contribuer aux progres des arts et des sciences ». C'est ce qui fut fait. Huit mois plus tard, Louis-Philippe accorda une pension annuelle de 6 000 francs a Daguerre et de 4 000 francs aux heritiers de Niepce. Tous les details du precede furent finalement divulgues lors d'une seance conjointe de 1'Academie des Sciences et de 1'Academie des Beaux-Arts, le 19 aout. L'interet du public etait si grand que la file d'attente pour obtenir une place commenc.a trois heures avant la seance et que Ton dut refuser du monde9. Daguerre etait present,
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Figure 3.7. La monture equatoriale d'un telescope lui permet de suivre le mouvement apparent d'une etoile avec un seul mouvement, une rotation autour de 1'axe des poles. Ici, le telescope suit 1'etoile Betelgeuse (notee B), dans la constellation d'Orion.
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Figure 3.8. Arago annongant le precede de Daguerre lors d'une seance conjointe de 1'Academie des sciences et de 1'Academie des beaux-arts, le 19 aout 1839.
mais avait un violent mal de gorge. II etait si nerveux que c'est Arago qui parla (figure 3.8)8. Void en resume, en quoi consistait le precede de Daguerre : il s'agissait de minces plaques de cuivre recouvertes d'une couche d'argent de 25 a 50 micrometres d'epaisseur10. Pour obtenir de beaux noirs, il etait important de bien polir 1'argent, qui etait alors nettoye avec de 1'acide nitrique dilue, puis expose a la vapeur d'iode en lumiere attenuee. On continuait 1'ioduration jusqu'a obtention d'une couche d'iodure d'argent de couleur jaune d'or. Apres 1'exposition dans la chambre noire, la plaque etait developpee dans la vapeur de mercure a 60-80 °C. L'iodure d'argent en exces etait dissous non plus dans une saumure, mais dans une solution de thiosulfate de sodium, selon la recommandation recente de 1'astronome anglais Sir John Herschel (1792-1871). La plaque etait finalement lavee et sechee. Les mois suivants, de nombreuses personnes s'activerent a reproduire le precede, qui necessitait beaucoup de proprete et de soin. Daguerre en profita pour commercialiser le materiel necessaire, en association avec Alphonse Giroux, un revendeur d'instruments. Les lentilles pour les chambres noires etaient fabriquees par Chevalier. On apprit meme aux etudiants de 1'Ecole polytechnique a realiser des daguerreotypes11. Chacun s'extasiait sur la precision des details et la beaute de ces photographies. Bien sur, on se posa la question de la nature de 1'image du daguerreotype. En fait, le 19 aout, Arago avait annonce que 1'inspection au
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microscope montrait que les gris correspondaient a des regions couvertes uniformement de petits globules d'amalgame argent-mercure, d'environ 1,2 micrometre de diametre. II y en avait d'autant plus que les regions etaient plus claires, et pas du tout dans les regions noires (figure 3.9). L'image etait done assez semblable a 1'image au bitume de Niepce : la reflexion speculaire sur 1'argent nu poli donnait les noirs, tandis que les teintes claires provenaient de la diffusion de la lumiere par les globules. Des techniques modernes ont confirme ces observations12. La petite taille des globules explique la finesse des images. Ces images sont generalement renversees puisque la photographic est vue par reflexion, et non par transmission comme les negatifs modernes. On plagait quelquefois un prisme devant 1'objectif pour redresser 1'image, mais le temps d'exposition etait plus long car ce prisme absorbait de la lumiere.
I/Academic des sciences A ce point, il nous parait utile de donner quelques details sur T Academic des sciences et ses seances a Tepoque de Foucault (les changements ulterieurs ont ete assez minimes). L'Academic etait divisee en onze sections, correspondant chacune a une discipline differente (tableau 3.1). Chaque section comprenait six academiciens, et une douzieme section, dite « libre » comprenait dix membres. Les academiciens etaient tenus de resider a Paris, mais les sections etaient completees par des correspondants habitant hors de la capitale. Huit scientifiques etrangers au maximum pouvaient etre nommes membres associes. La nomination etait a vie, et les candidats devaient done attendre patiemment qu'un deces libere un siege. L'Academic se reunissait en seance publique chaque lundi apresmidi a 15 heures, dans la grande salle des seances de 1'Institut. La figure 3.10 montre la disposition de cette salle, de meme que la gravure montrant Arago en train de presenter le daguerreotype (figure 3.8)13. Chaque annee, TAcademie elisait un nouveau vice-president, tandis que le vice-president precedent devenait president. Mais, comme nous 1'avons dit, le pouvoir reel etait detenu par les secretaires perpetuels, qui etablissaient 1'ordre du jour. Us restaient en poste de leur election a leur deces ou a leur demission. Les communications a 1'Academic pouvaient prendre diverses formes. Une communication pouvait etre lue integralement par son auteur, ou bien on n'en presentait qu'un resume. Quand 1'auteur etait jeune ou peu connu, la communication etait presentee par un academicien. Celles provenant d'auteurs non membres de 1'Academie etaient evaluees par une commission ad hoc de deux ou trois
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Figure 3.9. Les gris et les blancs du daguerreotype correspondent a differentes densites de tres petits globules d'amalgame mercure-argent, de taille sensiblement uniforme. Lorsque la plaque est vue sous Tangle correct, les petits globules diffusent la lumiere vers 1'observateur, mais les regions depourvues de globules, qui correspondent a un miroir d'argent pur, ne la diffusent pas et paraissent noires. On trouve dans les regions sombres quelques gros amas irreguliers, qui n'ont guere d'effet sur 1'image. Si Tangle de vue est incorrect, Timage peut s'inverser, apparaissant en negatif.
Tableau 3.1. Les sections de TAcademie. La plupart comprenaient 6 membres a part entiere et un certain nombre de correspondants. Geometrie Mecanique Astronomie Physique Geographie et Navigation Chimie Mineralogie Botanique Economie rurale Anatomie et Zoologie Medecine et Chirurgie Academiciens libres
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Figure 3.10. La salle des seances de 1'Academie au XIXe siecle. Chaque academicien avait sa place designee. Le president, le vice-president et les deux secretaires perpetuels siegeaient sur 1'estrade des officiels.
membres. Quelquefois, cette commission pouvait presenter un rapport sur la communication dans une seance ulterieure, mais cela etait reserve aux communications qui paraissaient particulierement nouvelles ou importantes. On pouvait aussi faire connaitre une decouverte en ecrivant a 1'Academie : chaque semaine, les secretaires perpetuels commenc.aient la seance par la lecture des resumes de cette correspondance. L'Academie pouvait accepter le depot de paquets, ou plis cachetes. Les auteurs y exposaient des decouvertes ou des idees pas encore assez developpees pour etre presentees a 1'Academie. Si plus tard quelqu'un presentait un travail similaire acheve, 1'auteur du pli cachete pouvait demander qu'il soit ouvert et recevoir sa part de gloire pour avoir eu 1'idee le premier. Cependant, meme a 1'epoque, certains trouvaient cette pratique pernicieuse. Les elections avaient lieu lors des seances publiques. A la fin d'une seance publique, 1'Academie se reunissait quelquefois en Comite secret, pour debattre du merite des candidats ou pour traiter de sujets administratifs confidentiels. La seance se terminait habituellement a 17 heures. Les secretaires perpetuels en preparaient un compte-rendu, qui contenait la plupart des manuscrits presentes a la seance. Ce compte-rendu etait public quelques jours apres dans les Comptes rendus hebdomadaires de VAcademic des Sciences (figure 1.8)14.
Hippolyte Fizeau
Figure 3.11. Hippolyte Fizeau (1819-1896) jeune.
La premiere amelioration notable du daguerreotype est due a un etudiant en medecine age de vingt ans, Hippolyte Fizeau (figure 3.11). Fizeau etait, en quelque sorte, le double de Foucault. Ne a Paris, cinq jours seulement apres Foucault, il venait lui aussi d'un milieu aise : son pere etait medecin a Suresnes15. II avait egalement etudie au College Stanislas, avant de devenir etudiant en medecine. Tous deux occupaient leurs loisirs a faire des experiences scientifiques, et devaient abandonner la medecine pour la physique.
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Fizeau avait decouvert que 1'image du daguerreotype est consolidee et amelioree par une dorure chimique realisee avec un melange de chlorure d'or et de thiosulfate de sodium. Le resultat de cette reaction est de remplacer les atomes de mercure dans les globules par des atomes d'or. Arago fit allusion pour la premiere fois a ce precede devant 1'Academic au printemps de 1840, a peine six mois apres avoir revele les secrets de Daguerre16, puis le presenta officiellement le 10 aout 184017. Plus tard, Fizeau imagina d'exposer pendant quelques instants la plaque iodee aux vapeurs provenant d'une solution tres diluee de brome18. L'iodure d'argent etait alors remplace par du bromure d'argent, bien plus sensible a la lumiere, et le temps d'exposition etait reduit a une vingtaine de secondes en pleine lumiere, ce qui permit de realiser des portraits de personnes vivantes. II remarqua enfin qu'on pourrait aussi reduire le temps de pose en augmentant le rapport d'ouverture des chambres photographiques au-dela de celui (f/15) des chambres commercialisees par Daguerre et Giroux19.
La bromuration A cette epoque, Foucault faisait de son cote des experiences sur le daguerreotype. Le materiel et les produits chimiques necessaires etaient chers, sans etre hors de portee d'une famille aisee. D'apres les quelques daguerreotypes et papiers de Foucault qui nous sont parvenus, nous pouvons conclure qu'il s'agissait essentiellement d'une activite de week-end. La photographic etait certainement une agreable diversion a la medecine, diversion a la fois moderne, excitante et prenante. Bien entendu, Foucault essaya les diverses methodes existantes pour diminuer le temps de pose des photographies. II avait probablement connu Fizeau au College Stanislas ou a 1'Ecole de medecine. II prit contact avec lui pour avoir des details sur sa methode de bromuration des plaques. II fallait realiser une solution saturee de brome dans 1'eau, qui etait de couleur rouge, puis la diluer dans de 1'eau de riviere filtree jusqu'a ce qu'elle ait la meme teinte que de 1'eau de vie. On versait une partie de cette solution dans une soucoupe couverte, placee dans une boite speciale. Quand on voulait sensibiliser la plaque, on decouvrait la soucoupe et on abaissait la plaque sur des supports de fagon a ce qu'elle se trouve a environ 150 millimetres au-dessus du liquide. La bromuration durait entre 20 secondes et une minute. Une nouvelle solution etait employee pour chaque plaque. « On congoit combien cette idee de renouveler la dissolution pour chaque epreuve est heureuse et importante ; c'est la un grand point sans lequel on n'aurait jamais pu arriver a
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1'exactitude », ecrivit plus tard Foucault. « Cependant, tout ceci ne suffit pas, les plaques ainsi preparees au brome sont encore loin de presenter 1'identite des plaques seulement iodees. »20 En consequence, les photographes ne pouvaient pas avoir confiance dans la reussite d'une premiere plaque pour determiner le temps d'exposition des suivantes. Foucault avait identifie quelques deficiences dans la procedure de bromuration de Fizeau et s'employa avec succes a y remedier. II fut plus rigoureux dans la preparation de la solution de brome, et il diminua la distance entre la plaque et la solution, en maintenant rigoureusement paralleles la plaque et la surface du liquide grace a des vis de reglage. II entreposait jusqu'au dernier moment la plaque dans la boite represented figure 3.12, ou il introduisait la solution par 1'entonnoir visible derriere la boite, puis laissait 1'obturateur en verre situe devant la plaque quelques temps en place, afin que les vapeurs de brome se melangent uniformement avec 1'air. Comme precedemment Daguerre et Niepce, Foucault achetait ses produits chez Chevalier. II decrivit son precede de bromuration dans une brochure de dix pages qui fut aussitot publiee dans le guide pratique de Chevalier intitule Nouvelles instructions sur I'usage du daguerreotype21. La note se terminait par un compliment envers Fizeau : Mais, je dois le redire en terminant, c'est a M. Fizeau qu'appartient 1'idee importante, 1'idee capitale, celle de renouveler la dissolution pour chaque epreuve.
Paysages et portraits
Figure 3.12. L'appareil de Foucault pour l'application uniforme de la vapeur de brome. La boite etait petite — seulement 30 millimetres de profondeur environ — et etait probablement utilisee avec des plaques dont les dimensions n'etaient que le quart de celles des premieres plaques de Daguerre.
Chevalier, dans ses Nouvelles instructions, rapporte que Foucault avait, en septembre 1841, utilise un objectif ameliore et un prisme redresseur, afin d'obtenir des vues non inversees de monuments avec des temps de pose de 15 a 20 secondes seulement. II les jugeait « sans contredit, d'une execution superieure a tout ce qu'on a fait jusqu'a ce jour ». Malheureusement il n'en subsiste aucune22. Nous ne connaissons que deux des premiers daguerreotypes de Foucault, qui datent de 1'ete suivant. La figure 3.13 reproduit le plus ancien. Le bord noir autour de 1'image est mentionne par Chevalier : M. Foucault menage le bruni des bords de la plaque afin de lui former un cadre naturel; 1'aspect de ces tableaux, encadres sur un fond blanc, est d'un effet tres agreable. L'autre daguerreotype de 1842 qui nous est parvenu est un portrait, ce qui confirme que les temps de pose utilises par Foucault devaient etre assez courts (figure 3.14).
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Figure 3.13. L'eglise et le monastere des Carmelites de la rue de Vaugirard. C'est le plus ancien daguerreotype subsistant de Foucault, pris le 29 mai 1842. La vue fut probablement prise a partir d'une fenetre mansardee de sa maison au 5 rue d'Assas. Cette image positive est inversee, et done prise sans prisme redresseur devant 1'objectif de la chambre.
I/aberration de sphericite La figure 3.14 est le seul portrait connu realise par Foucault, mais une note trouvee dans ses papiers apres sa mort indique qu'il en a pris beaucoup d'autres. Dans cette note, il indique comment utiliser un defaut de 1'image denomme aberration de sphericite « pour produire des effets imitant les productions d'art »23. Uaberration de sphericite est un defaut qui se produit lorsque les surfaces des lentilles (ou du miroir) utilisees comme objectifs photographiques sont spheriques. Alors, la focalisation ne se fait pas en un seul point, mais dans un volume (figure 3.15). Comme 1'aberration chromatique dont nous avons parle precedemment (figure 3.1), 1'aberration de sphericite affecte la totalite de 1'image, y compris ses regions centrales. Elle differe en cela d'autres aberrations comme la courbure de champ, la coma et rastigmatisme, qui sont nulles au centre de 1'image mais augmentent rapidement quand on s'en eloigne. II se peut que les coins de la figure 3.14 aient ete occultes pour cacher ces aberrations hors d'axe. Cependant, il est possible de corriger un doublet a la fois de 1'aberration chromatique et de 1'aberration de sphericite, mais cette derniere correction est une complication supplementaire. La plupart des lentilles achromatiques pour les daguerreotypes n'etaient pas corrigees de 1'aberration de sphericite. La figure 3.16 montre que cette aberration est surtout due aux regions proches des bords de la lentille ; mais ce sont aussi les regions qui collectent le plus de lumiere, ce qui renforce 1'effet de 1'aberration. Les photographes
Figure 3.14. Ce portrait a ete realise par Foucault le 2 juillet 1842. La decoration sur le revers gauche de la veste, qui est 1'endroit ou on les porte toujours en France, montre que Foucault a utilise un prisme redresseur. II se peut que le sujet soit le tuteur de Foucault, LJ.N. Monmerque.
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Figure 3.15. L'aberration de sphericite produite par une lentille. Les rayons qui traversent la lentille pres de son centre se rencontrent a un endroit different de ceux qui passent loin du centre. Les fleches verticales indiquent les points d'intersection de ces rayons : leur separation montre que cette lentille n'a pas un bon foyer.
Figure 3.16. L'aberration de sphericite est produite principalement par les regions externes d'une lentille. Cette figure est semblable a la figure 3.15, sauf qu'on y a trace trois paires de rayons d'espacements egaux. Le point d'intersection (fleches verticales) est bien plus decale pour les rayons les plus exterieurs.
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etaient partages entre deux desirs contradictoires : celui d'avoir une petite ouverture pour obtenir de bonnes images, et celui d'avoir une grande ouverture pour diminuer le temps de pose. Foucault, comme de nombreux photographies, ne voulait pas toujours que les images fussent tres nettes24. II deplorait « la secheresse des contours et les rugosites de la peau » dans un portrait trop au point (les defauts de la peau sont d'ailleurs accentues par la lumiere bleue, a laquelle la plaque etait la plus sensible). II recommandait done de placer un diaphragme circulaire pres de 1'objectif, afin de reduire le diametre du faisceau jusqu'a ce que 1'image soit tres nette, puis de decouper ce diaphragme en etoile afin d'ajouter une quantite controlee d'aberration de sphericite (figure 3.17). On pouvait faire des decoupes plus profondes afin d'etaler chaque element de 1'image sur une plus grande surface, ou les faire plus larges de fac.on a augmenter la brillance du halo d'aberration autour de chaque point. Remarquons que ce precede est different de celui utilise quelquefois par les photographies actuels. Ceux-ci placent un diaphragme circulaire ou ovale a bord dentele a une plus grande distance de 1'objectif que Foucault, de fac.on a obtenir un portrait circulaire ou ovale degrade sur les bords. II n'y a aucune reduction de faille ou degradation sur les bords avec le precede de Foucault, qui n'affecte que la nettete et les contrastes sur toute 1'image. Foucault a aussi fait des experiences avec un disque dentele rotatif, obtenant « des effets d'estompe vraiment remarquables »25. Non sans fierte, Foucault grava au burin son nom et la date sur le bord de ses daguerreotypes de 1842. Deux ans se sont ecoules jusqu'a la photographic suivante qui nous est parvenue, et, de fac.on plus significative, jusqu'a sa publication suivante. On peut supposer que Foucault a ete entre temps absorbe par ses etudes medicales. Mais nous verrons que, pendant la deuxieme moitie de 1843 et en 1844, il s'est a nouveau occupe de science, en collaborant simultanement avec trois personnes : Hippolyte Fizeau que nous avons deja rencontre, Alfred Donne dont nous reparlerons en detail dans les deux chapitres suivants, et Henry Belfield-Lefevre.
Figure 3.17. Foucault placait un diaphragme en etoile pres de 1'objectif de facon a introduire des quantites controlees d'aberration de sphericite dans ses portraits daguerreotypes, afin d'estomper les lignes et de masquer les defauts de la peau.
Chapitre 4 Le « delicieux passe-temps » applique a la science
Foucault ecrivit en 1848 que la photographic etait rapidement devenue « le delicieux passe-temps d'une foule d'amateurs passionnes »1. II etait lui-meme plus qu'un amateur, et fit bien davantage que d'ameliorer la technique. Comme 1'avait espere et predit Arago, il appliqua l'invention de Daguerre a la recherche scientifique.
Henry Belfield-Lefevre, D.M.P. Apres plus de cent cinquante ans, on ne sait plus grand chose sur 1'un des premiers collaborateurs de Foucault, Henry Belfield-Lefevre. Son prenom, son nom, et le sigle qu'il y attachait ordinairement et qui signifie Docteur en Medecine de la Faculte de Paris, indiquent une ascendance anglaise. De fait, il traduisit en anglais un journal de medecine franc,ais dans les annees 18302. II obtint son doctorat en medecine a Paris en 1837, et etait done plus age que Foucault de quelques annees. II publia en 1835 un Precis d'anatomie comparee, et ecrivit des articles sur divers sujets, notamment sur la galvanoplastie qui va nous interesser maintenant. La decouverte de la galvanoplastie, qui utilise le depot d'un metal sur une electrode par electrolyse d'un de ses sels, agita le monde scientifique en 1839, annee de 1'apparition du daguerreotype, mais suscita moins d'interet. L'industriel et chercheur amateur Warren de la Rue (1815-1889) avait remarque en 1836 que la couche de metal deposee par electrolyse sur une electrode pouvait facilement s'en detacher et en donnait une empreinte fidele. Trois ans plus tard, Thomas Spencer a Liverpool et Moritz Hermann von Jacobi a Saint Petersbourg annoncerent independamment qu'on pouvait realiser par cette methode des fac-similes de medailles ou de pieces de monnaie : on y deposait d'abord une couche de metal qui, apres avoir ete decollee, servait d'electrode, done de moule, pour une deuxieme galvanoplastie.
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Figure 4.1. Une exposition croissante a la lumiere produit une reponse croissante sur une plaque daguerreotype bromuree normalement. Mais si la plaque est surexposee, la reponse peut diminuer en raison d'un effet appele solarisation (trait pointille). Si la plaque a ete trop exposee au brome, sa sensibilite diminue, c'est-a-dire qu'il faut un temps de pose plus grand pour obtenir la meme reponse. Mais la saturation arrive moins tot et la dynamique de la plaque devient plus grande en pratique.
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En 1842, Belfield-Lefevre suggera qu'on pourrait fabriquer des plaques pour daguerreotypes par galvanoplastie. On partait d'une electrode de cuivre poll sur laquelle on deposait par electrolyse d'abord une couche d'argent, puis une couche de cuivre. On detachait alors ces deux dernieres couches qui constituaient la plaque. II n'etait pas necessaire de polir cette plaque puisque la couche d'argent avait le meme poll que 1'electrode : c'etait un avantage substantiel. Belfield-Lefevre s'associa avec un nomme Colas et le fabricant parisien d'instruments Louis Joseph Deleuil (1794-1862) pour commercialiser ses plaques. On dit qu'elles etaient de bonne qualite et qu'elles se vendaient bien, mais elles etaient trop cheres, et la societe fit faillite3. Ce n'est que vers 1850 que les plaques fabriquees par galvanoplastie connurent un succes commercial4. Nous ne savons pas quand ni comment Foucault a rencontre Belfield-Lefevre. Toujours est-il qu'ils collaborerent. Quand BelfieldLefevre mourut prematurement dix ans plus tard, Moigno le decrivit comme un « ami et collaborates » de Foucault5. Leur premiere publication commune, qui date de 1843, concerne les plaques pour daguerreotypes et propose une methode pour les nettoyer et les polir6. Aujourd'hui, il ne nous est pas facile de nous faire une opinion sur cette methode, mais elle fut tres critiquee a 1'epoque, particulierement par Daguerre lui-meme7. Le nettoyage et le polissage des plaques pour daguerreotypes etaient des etapes importantes puisque, comme I'ecrivait Daguerre, « c'est du poli parfait de la plaque que depend, en grande partie, la beaute de 1'epreuve »8. Foucault, qui etait tres susceptible, n'a certainement pas apprecie ces critiques, meme s'il etait capable d'en juger le bien fonde. Quelques semaines plus tard, Belfield-Lefevre ecrivit une autre lettre a 1'Academic concernant les daguerreotypes9, et deposa un pli cachete sur la sensibilisation au brome10. Foucault ne cosigna ni 1'une ni 1'autre. En depit de ce contretemps, il continua a travailler avec Belfield-Lefevre. Trois ans plus tard, Foucault ecrivit une note ou les deux noms apparaissent, proposant d'etendre la bromuration de la plaque au-dela du stade de maximum de sensibilite ou elle est jaune d'or, jusqu'a ce qu'elle devienne bleu-violet fonce. Bien qu'une dose de brome approximativement triple ait diminue la sensibilite de la plaque, elle reduisait aussi le contraste, et on pouvait ainsi 1'utiliser pour photographier un sujet presentant une grande gamme de luminosites (figure 4.1)11. « Nous avons vu un petit tableau de ce genre fait par un temps de soleil », commentait 1'Abbe Moigno ; « On y voyait a la fois des nuages au ciel, des maisons blanches avec des ombres portees bien transparentes, et des arbres dont le feuillage se dessine par groupes, a peu pres comme un artiste les aurait indiques. »12 Moigno mentionne aussi une recette de Belfield-Lefevre et Foucault pour repolir les plaques pour daguerreotypes deja utilisees.
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Alfred Donne Bien que la Faculte de Medecine de Paris ait ete la plus grande et la meilleure de France, 1'enseignement y etait incomplet. Certes, il y avait davantage de travaux pratiques, et quand Foucault revetait le tablier bleu et la calotte noire pour une de ces dissections qui lui soulevaient le cceur, le cadavre etait probablement fourni par la Faculte, et non pas par quelque fossoyeur comme c'etait le cas auparavant. Mais le principe de base de la Faculte etait d'observer les symptomes et d'appliquer aveuglement la therapie en vogue. On apprenait tout par cceur, sans approfondir les causes14. II y avait done un marche — et deja une longue tradition — pour un enseignement complementaire delivre par des instructeurs prives, qui donnaient une presentation plus vivante des matieres officielles, et enseignaient des sujets ignores par la Faculte tels que 1'obstetrique, la pediatrie, et meme la philosophie. Ces enseignants traitaient egalement de chirnie et de physique experimentale, qu'ils appliquaient souvent eux-memes a la medecine. Certains de ces professeurs libres etaient completement independants de 1'Universite. D'autres avaient un poste dans d'autres facultes plus orientees vers les sciences physiques, ou dans un hopital15. Marie Francois Alfred Donne etait 1'un d'eux16. Alfred Donne est ne a Noyon. Son pere etait un riche marchand qui mourut alors que Donne etait adolescent (on pretendit plus tard que Donne etait le seul eleve qui venait en classe en voiture). Quand il eut vingt ans, sa famille s'installa a Paris. On 1'obligea a etudier le droit, qu'il detestait. II devint avocat en 1826. Ay ant ainsi obei au desir familial, il commenc,a d'autres etudes, en medecine cette fois. II y reussit si bien que, trois ans plus tard, il etait nomme Chef de clinique a la Charite, 1'un des hopitaux de Paris. C'est a ce moment qu'il commenc.a a ecrire pour le Journal des Debats, dont nous reparlerons au chapitre 7. La these de Donne porte sur 1'application de la microscopic a la medecine. C'etait hardi, car la majorite du corps medical etait hostile au microscope, ou le considerait au mieux comme sans interet. II y avait a cela des raisons a la fois theoriques et pratiques. On estimait generalement que la maladie etait due a des causes macroscopiques comme un desequilibre interne ou un environnement malsain, et le medecin ne devait s'aider d'aucun appareillage pour son diagnostic17. Un anatomiste du debut du siecle ecrivait : « [la microscopic] fait oublier 1'homme pour ne songer qu'aux cellules et elle se perd dans 1'abime des infiniment petits. » Goethe, qui se piquait de science, declarait de son cote : « le microscope egare le jugement ».
Figure 4.2. Curieusement, il semble qu'aucune photographic ni aucun portrait fiables de Donne (1801-1878) ne nous soit parvenu, malgre son role dans le developpement initial de la photographic13.
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Figure 4.3. Le lactoscope, invente par Donne pour mesurer le taux de matieres grasses du lait a partir de son opacite. Cette mesure etait importante, car le lait etait souvent falsifie par des substances telles que la fecule, la farine, le lait de chaux, la fressure de veau et meme la cervelle de chien ! « Ainsi il y a deja progres », remarquait un journaliste, « car si on vole 1'acheteur, au moins on ne detruit pas sa sante. »20
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L'opinion de Goethe n'etait pas sans fondement: le microscope etait alors un instrument complique et d'utilisation difficile. Les observations manquaient de contraste et leur interpretation etait delicate, les images etant peu nettes et entachees d'aberration chromatique. Cependant, vers 1820, on commenga a fixer et a colorer les preparations, et Charles Chevalier reussit a fabriquer des microscopes depourvus d'aberration chromatique, ce qui etait un exploit car il fallait realiser des doublets de quelques millimetres de diametre seulement18. La boutique de Chevalier s'appelait d'ailleurs Au MICROSCOPE ACHROMATIQUE. Bien que leur prix ait diminue, les microscopes etaient chers — plusieurs centaines de francs — mais ce n'etait pas un probleme pour le riche Donne. Sa these, soutenue en 1831, avait pour titre « Recherches physiologiques et chimicomicroscopiques sur les globules du sang, du pus, du mucus, et de ceux des humeurs de 1'ceil ». II devait suivre cette ligne tout le reste de sa carriere. Les fluides corporels qu'il examina plus tard au microscope comprenaient 1'urine, la salive, la sueur, le sperme et les secretions vaginales. C'est dans ces dernieres qu'il decouvrit le trichomonas vaginalis, le second parasite humain unicellulaire connu (le premier, giardia intestinalis, avait ete decouvert 160 ans plus tot par van Leeuwenhoek, 1'inventeur du microscope). Donne decrivit aussi 1'exces de globules blancs dans le sang connu aujourd'hui sous le nom de leucemie*. Cependant, c'est au lait, qu'il soit de femme, de vache ou d'anesse, que Donne a porte le plus d'attention (figure 4.3). En 1837, un comite preside par le Doyen de 1'Ecole de medecine avait fait un rapport favorable sur le travail de Donne : Ainsi les etudes microscopiques ne peuvent plus etre considerees comme un objet de pure curiosite ; elles sont appelees a rendre de grands services a la medecine et a eclairer beaucoup de points jusque la obscurs.
Figure 4.4. Le microscope solaire etait place dans un trou decoupe dans un des volets d'une salle obscure. Le miroir reflechissait le soleil dans le microscope. L'image agrandie etait projetee sur un ecran visible de tous.
A la suite de ce rapport, Donne fut nomme professeur particulier de microscopie, et autorise a delivrer un cours libre de microscopie medicale sous 1'egide de 1'Ecole de medecine. L'auditoire atteignait apres quelques annees plus d'une centaine d'etudiants, et il n'etait plus question qu'ils puissent examiner individuellement les preparations microscopiques. Donne voulut done montrer ces preparations a tout 1'amphitheatre grace a une projection. II fit quelques essais avec un microscope solaire presente pour la premiere fois a Londres par un medecin allemand, le Dr Johann Lieberkiihn (figure 4.4). Cet instrument projetait une image agrandie sur un ecran, mais necessitait une source de lumiere si intense qu'elle ne pouvait venir que du * Cette decouverte est generalement attribuee a tort a J.H. Bennett, un medecin ecossais qui avait etudie la microscopie avec Donne19.
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soleil. Mais on ne pouvait pas utiliser le microscope solaire puisque Donne donnait ses cours le soir, et le ciel, souvent couvert, de Paris n'en permettait pas 1'usage regulier. Comme tous les enseignants, Donne avait remarque que les etudiants se dissipent si les experiences de cours ne fonctionnent pas bien. II persuada le Doyen de lui laisser installer un microscope solaire modifie, dont la source de lumiere serait un morceau de craie porte a incandescence par un chalumeau a hydrogene et oxygene21. Cette technique avait ete inventee dans les annees 1820 par Thomas Drummond (1797-1840) pour fournir une lumiere brillante utilisee pour etablir la topographic de ITrlande, dont Drummond devait devenir plus tard un des rares administrateurs eclaires. La lumiere de Drummond, ou limelight (lumiere de chaux), est vive et blanche, et Sir John Herschel rapportait qu'« un cri de triomphe et d'admiration de tous les assistants » accompagna sa premiere demonstration sur la Tour de Londres. Cependant, elle etait encore insuffisante pour la projection des echantillons microscopiques faiblement contrastes. Foucault suivait le cours de Donne, dont les aspects scientifiques devaient lui plaire. Apres la mort de Foucault, Donne se souvint ainsi de leur premiere rencontre : II y a trente ans, un jeune homme a 1'ceil terne, mais profond, suivait les cours de Microscopic que j'etais charge de faire a 1'hopital des cliniques de la Faculte de medecine de Paris. Apres la le^on, je voyais ce jeune homme s'approcher de ma table, manier mes instruments, les demonter, les examiner piece a piece, et puis quelquefois, s'adressant a moi d'un ton froid et calme : « Monsieur, vous nous avez dit que telle chose se passait ainsi; je crois que ce n'est pas exact et qu'elle se produit de telle autre maniere. » J'etais tente de trouver la remarque impertinente ; mais, en reflechissant, comme elle paraissait juste, je la prenais en consideration. « Vous vous occupez done d'observations microscopiques, lui repondis-je un jour ? — Mais oui. — Eh bien ! venez me voir, nous causerons. » Ce jeune homme etait Foucault : il avait alors dix-neuf ans. « Aimeriez-vous, lui dis-je, a etudier de pres les objets de mon enseignement, a disposer de mes instruments (la collection etait tres complete) ? Voudriez-vous m'aider a preparer les experiences dedicates de mon cours ? — Tres volontiers. » Voila comment j'ai connu Foucault, comment j'ai eu le plus habile des preparateurs, comment nous avons travaille ensemble, et nous sommes lies d'une etroite amitie qui a dure autant que sa trop courte existence.22
La memoire de Donne est defaillante sur un point: la rencontre date probablement de 1841 ou 1842, alors que Foucault avait plus de dix-neuf ans, et la premiere trace incontestable de leur collaboration ne date que de l'automne de 1843. C'est a partir de cette date
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que Foucault servit pendant trois ans d'assistant a Donne pour ses demonstrations de cours23. Donne s'interessait aussi au daguerreotype, et avait decrit Tannonce publique du precede de Daguerre dans le Journal des Debats2^. A peine une semaine plus tard, utilisant une copie de 1'appareil de Daguerre fournie par Charles Chevalier, il reussissait un daguerreotype imparfait, mais montrant des details remarquables. « Ma conviction est desormais acquise a Tinvention de M. Daguerre », dit-il.25 Quinze jours plus tard, apres une demonstration publique de Daguerre, il ecrivit que si il avait encore vingt-cinq ans, il parcourrait le monde pour le photographier. Mais il en avait quarante, et il dut se contenter d'appliquer la photographic a ses « etudes habituelles et favorites »26. Donne fit plusieurs communications a 1'Academic concernant le daguerreotype27. La plus interessante pour nous concerne ce que nous appelons aujourd'hui la photomicrographie, c'est-a-dire le daguerreotype d'objets microscopiques28.
Le microscope-daguerreotype Ayant termine un livre sur les soins aux nourrissons en 1842, Donne eut le temps de s'interesser a de nouveaux projets. Deux d'entre eux aboutirent entre 1843 et 1845, tous deux en collaboration avec Foucault. Us utilisaient des progres technologiques recents. Le premier projet fut la realisation d'un microscope a projection utilisant Tare electrique comme source de lumiere. Ce microscope photoelectrique, comme ils 1'appelaient, sera decrit dans le prochain chapitre. L'autre projet etait 1'edition de son cours libre sous forme d'un traite, publie en 1843-1844 sous le titre de Cours de microscopie complementaire des etudes medicales21. A 1'epoque, les illustrations de haute qualite n'etaient pas toujours publiees avec le texte, mais separement dans un Atlas. Ce fut le cas pour 1'ouvrage de Donne : plutot que de se fier a un dessinateur pour montrer les objets microscopiques decrits dans le texte, Donne decida d'utiliser le daguerreotype, juge plus fidele. Foucault 1'aida a prendre ces photomicrographies. Ils firent quelques essais avec la lumiere de Drummond, puis avec Tare electrique qui permettait des poses assez courtes, mais la lumiere solaire etait quand meme plus brillante et permettait de faire des poses encore plus courtes, pendant lesquelles 1'echantillon n'avait pas le temps de se degrader sous 1'effet de la chaleur. Trente ans plus tard, on notait encore que « la lumiere solaire peut seule donner le moyen d'obtenir d'utiles photographies d'objets microscopiques »29. Une grande partie des daguerreotypes qui ont servi a VAtlas existent encore. Ils sont signes et dates par Foucault de 1'ete 1844.
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L'equipement utilise etait assez simple. Un heliostat, comme son nom 1'indique, servait a renvoyer le rayonnement solaire dans une direction fixe, grace a un mouvement d'horlogerie entrainant un rniroir plan. L'heliostat etait un dispositif essentiel pour beaucoup d'experiences d'optique, puis dix ans plus tard, pour realiser des agrandissements photographiques. Nous le rencontrerons dans la plupart des experiences de Foucault. Nous verrons son fonctionnement plus en detail au chapitre 16. Donne et Foucault ont probablement utilise un heliostat construit par Johann Theobald Silbermann (1806-1865, figure 4.5). Donne ecrivait a son sujet: Get instrument [... ] a subi entre les mains de 1'auteur des changemens si notables et de si habiles perfectionnemens, que non settlement il offre plus de simplicite dans la manoeuvre et plus d'exactitude que la plupart de ceux employes en physique jusqu'ici, mais son prix autrefois si eleve (les heliostats de M. Gambey ne coutent pas moins de douze a quinze cents francs) est devenu tout-a-fait abordable : 1'heliostat de M. Silbermann, execute avec un grand soin par M. Soleil, est livre aux physiciens pour 350 francs.30
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Figure 4.5. L'heliostat etait un element essentiel de toute experience d'optique necessitant une source de lumiere tres brillante. Le miroir est oriente et entraine par un mouvement d'horlogerie de faqon a renvoyer la lumiere du Soleil dans une direction fixe. Get heliostat est du a Silbermann.
La figure 4.6 est un schema du microscope-daguerreotype, comme Foucault et Donne nommaient leur appareil31. II comprenait trois ensembles de lentilles, qui permettaient des grandissements differents sur la plaque. Un filtre bleu sombre servait a diminuer 1'echauffement de 1'echantillon, sans augmenter notablement le temps de pose puisque le daguerreotype est surtout sensible a la lumiere bleue. Les plaques daguerreotypes etaient preparees par la methode
Figure 4.6. Les elements principaux du microscope-daguerreotype utilise par Foucault et Donne pour obtenir les microphotographies de leur Atlas de microscopie medicale.
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Figure 4.7. Six microphotographies, la plupart signees et datees par Foucault. En haut, de gauche a droite : lait d'anesse, sang humain, cristaux d'acide urique. En has, sang humain en putrefaction, sang de grenouille, cristaux de cholesterol.
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classique, avec toutefois une solution de brome plus diluee, au 1/100006. Le mauvais temps de 1'ete 1844 fut malheureusement peu propice a 1'obtention des photographies, mais Foucault reussit cependant a en obtenir environ 80.
« Une fidelite rigoureuse » L'Atlas comprend 80 figures groupees par quatre en 20 planches32. Apres divers essais de reproduction directe des plaques daguerreotypes, que Donne abandonna afin de ne pas endommager les plaques, il decida de les faire reproduire par gravure, ce qui permettait d'y ajouter du texte. Oudet, le graveur, avait une certaine notoriete : il avait deja realise des gravures pour le traite du celebre naturaliste Georges Cuvier (1769-1832), Le Regne animal, qui comportait quatre volumes. La realisation de ces gravures prit beaucoup de temps, aussi VAtlas fut public en quatre series, chacune coutant 7 francs 50, une somme importante pour 1'epoque. Les deux premieres furent disponibles en 1845, annoncees une publicite qui disait: « dans cet ouvrage tout est reproduit avec une fidelite rigoureuse inconnue jusqu'ici »33. Nous reproduisons quelques daguerreotypes figure 4.7, ainsi que deux planches de VAtlas figures 4.8 et 4.9. On peut apprecier les
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Figure 4.8. Mucus et cils dans I'Atlas de Donne & Foucault (Planche IX). A gauche : mucus vaginal contenant des globules purulents (B,B,B) et trichomonas protozoans (C,C,C). A droite : cils de moule. Le champ de vue circulaire correspond a un diametre de 0,2 millimetre.
talents de graveur de Oudet en comparant une de ses gravures avec le daguerreotype original (figures 4.10 et 4.7). Les specimens represented dans 1''Atlas refletent bien entendu les interets medicaux de Donne : pus, sang, mucus, epithelium, spermatozoides, ovules, lait, amidon, cristaux varies. Ces figures etaient aussi, selon Donne, « le moyen de convaincre les esprits les plus refractaires » que les observations microscopiques n'etaient pas des illusions : Le daguerreotype n'est-il pas arrive a propos pour dormer la derniere preuve, la demonstration la plus complete en faveur des observations microscopiques, et detruire ce qui pourrait rester de prevention centre les pretendues illusions de 1'instrument ?34
Malgre leur beaute et leur nouveaute technique, les microphotographies de I'Atlas n'eurent pas beaucoup de succes dans le monde medical, et furent rapidement oubliees. Les raisons en etaient multiples. La coloration des preparations microscopiques, encore balbutiante a 1'epoque de YAtlas, se repandait rapidement et pouvait augmenter considerablement le contraste, y compris en noir et blanc. Le microscope n'etait pas encore utilise couramment en medecine, bien que Donne ait invente des microscopes bon marche que les medecins pouvaient transporter avec eux35. Dans le traite, on ne trouvait aucune allusion aux idees en gestation concernant 1'importance des cellules ; or il n'y avait dans Y Atlas aucune image de cellule de 1'interieur du corps. Enfin, bien que son cours avait un caractere officiel, Donne n'etait pas membre de la Faculte et n'avait pas une grande influence dans le milieu medical parisien36. II fallut attendre les annees 1850 pour que la microphotographie commence a avoir quelque impact, grace aux photographies au collodion de Joseph Delves en Angleterre et d'Auguste Bertsch en France. La premiere utilisation intensive et efficace de la microphotographie medicale est due a un chirurgien de 1'armee des Etats-Unis, le Lieutenant-Colonel
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Figure 4.9. Spermatozoi'des dans VAtlas de Donne & Foucault (Planche XV). Fig. 60 : grenouille. Fig. 61 : homme. Fig. 62 : chauve-souris. Fig. 63 : souris. Le grandissement original dans I'Atlas est de 400. Le champ de vue circulaire correspond a un diametre de 0,2 millimetre.
Figure 4.10. Lait d'anesse. Cette gravure de 1'Atlas de Donne & Foucault (planche XIX, figure 82) peut etre comparee au daguerreotype original (figure 4.7, en haut a gauche). Le lait d'anesse avait la reputation d'etre particulierement sain, et les gens riches le preferaient au lait de vache.
J.J. Woodward (1833-1884). L'invention des plaques orthochromatiques et panchromatiques, sensibles a toute la lumiere visible, devait conduire a d'autres progres entre 1880 et 190037.
Les debuts de la photometric Les progres techniques engendrent souvent de nouveaux domaines de recherche. Alors qu'il cornmengait a travailler a YAtlas avec
Le « delicieux passe-temps »
Donne, Foucault collaborait avec Fizeau pour appliquer le daguerreotype a un autre domaine, projet imagine par Arago des 1839 : la photometric, qui est la mesure de 1'intensite de la lumiere. Cette collaboration etait motivee, en 1843-1844, par une consideration pratique : il s'agissait de comparer 1'intensite de la lumiere solaire avec celle de deux sources artificielles de lumiere qui pourraient rivaliser avec elle, 1'idee etant d'utiliser la meilleure source pour des experiences ou des instruments optiques. Nous avons deja parle d'une de ces sources artificielles : la lumiere de Drummond. L'autre etait Tare electrique. Produire de la lumiere grace a 1'electricite est devenu une realite avec 1'invention, par Alessandro Volta (1745-1827), de la pile electrique, qui etait formee d'un empilement de disques de cuivre et de zinc separes par du tissu impregne d'acide. On montra bientot que le courant issu de cette pile peut chauffer a incandescence un fil metallique, par exemple de platine, ou produire un arc entre des electrodes de metal ou de carbone. Le nom de Sir Humphrey Davy est generalement associe a cette derniere demonstration, qu'il realisa en 1802 avec un arc alimente par une pile formee de 150 disques, dans I'amphitheatre de 1'Institut royal de Londres38. Cependant, les electrodes en charbon de bois de Davy s'enflammaient dans 1'air, et il dut les placer dans un « ceuf electrique » vide d'air (figure 4.11). Mais les electrodes degageaient de la fumee qui se deposait rapidement sur la paroi de verre et 1'obscurcissait. Quant a la pile, elle fut perfectionnee en 1842 par le chimiste allemand Robert Wilhelm Bunsen (voir plus loin la figure 8.15), et put fournir un courant important pendant assez longtemps. « Alors 1'experience de Davy fut repetee de tous cotes », noterent Donne et Foucault, « et dans nos amphitheatres on fut ebloui des torrents de lumiere verses par les cones de charbon. »39 Le but de Foucault et de Fizeau etait de comparer la luminance du soleil, du morceau de craie incandescent de Drummond, et du charbon de 1'arc. La luminance est une quantite intrinseque a un objet lumineux, qui exprime la quantite d'energie qu'il emet par seconde et par unite de sa surface, dans un angle solide unite. Us n'avaient pas les moyens de mesurer la luminance de fac.on absolue, mais ils purent au moins comparer la luminance des trois objets au moyen du dispositif represente figure 4.12.
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Figure 4.11. L'oeuf electrique de Davy (1778-1829).
Figure 4.12. La luminance peut etre mesuree en utilisant une lentille qui projette 1'image de la source sur le detecteur (ici une plaque daguerreotype). Pour le soleil, situe a 1'infini, Foucault et Fizeau utilisaient une lentille de distance focale d = 1,413 metre munie de diaphragmes limitant son ouverture a des diametres compris entre 1,3 et 3,0 millimetres. Pour la lumiere provenant du morceau de craie incandescent ou de 1'arc electrique, la distance d de la lentille a la plaque etait de 1,126 metre et le diaphragme place sur la lentille avait un diametre compris entre 3 et 17 millimetres.
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Tableau 4.1. Quelques luminances rapportees en 1844 a 1'Academie par Foucault et Fizeau. La luminance du soleil le 2 avril etait utilisee comme niveau de reference, place arbitrairement a 1000.
Soleil a midi 2 avril 1 844 1000 751 20 septembre 1 843 Arc electrique 136-385 Lumiere de Drummond 0,5-6,85
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Une lentille doublet achromatique donne 1'image de la source sur la plaque daguerreotype. Si la source est 1'arc electrique, la lentille projette sur la plaque 1'image de la partie brillante, qui est le charbon relie au pole positif de la pile. La quantite d'energie rec.ue par seconde par unite de surface de cette image (par exemple par millimetre carre) depend de la luminance du charbon, mais aussi de la geometric du systeme. Si Ton augmente la distance d entre la lentille et la plaque (tout en maintenant 1'image au point, ce qui necessite de modifier la distance de 1'objet a la lentille ou d'utiliser une lentille avec une distance focale differente), la taille de 1'image est plus grande et 1'energie recue de cette image par millimetre carre est plus petite : elle varie comme 1/d2. Si, par ailleurs, on reduit le diametre utile de la lentille a 1'aide d'un diaphragme, cela ne change par les dimensions de 1'image, mais 1'energie recue par millimetre carre est reduite comme la surface utile A de la lentille. On peut done modifier comme on veut la quantite de lumiere qui tombe chaque seconde sur un millimetre carre de 1'image, soit en changeant la distance d entre la lentille et 1'image, soit en diaphragmant plus ou moins la lentille pour changer sa surface utile A. Enfin, si Ton fait varier le temps de pose de la photographic, 1'image sera plus ou moins visible sur la plaque daguerreotype. Fizeau et Foucault jouerent sur ces trois parametres pour obtenir des reponses identiques du daguerreotype aux images des trois sources qu'ils voulaient comparer. En fait, ils utiliserent le daguerreotype au seuil de sensibilite, c'est-a-dire apres developpement, au moment ou 1'image commence juste a etre visible. Ils se servaient de plaques non sensibilisees au brome, car ils remarquerent qu'elles etaient semblables les unes aux autres lorsqu'elles etaient preparees de la meme fac,on par la meme personne. Leur sensibilite etait d'ailleurs plus que suffisante car les sources etaient tres brillantes. Ils ne pouvaient pas regler les valeurs de d et de A pour obtenir exactement la meme reponse pour les trois sources, mais realisaient une serie de poses a differents endroits de la meme plaque avec des temps de pose allant de 0,6 a 3 secondes, et notaient le temps de pose pour lequel on commencait a voir 1'image. Le resultat (tableau 4.1) fut que la luminance de la craie incandescente de Drummond etait bien plus faible que celle du soleil, alors que la surface du charbon de 1'arc n'etait pas tellement moins brillante que le soleil. Nous pouvons penser aujourd'hui que 1'experience de Foucault et Fizeau n'avait rien de bien remarquable. Mais il nous faut realiser tout ce qu'elle impliquait a 1'epoque : une salle assez grande et tout a fait obscure ; un jeu de supports et de diaphragmes bien calibres, probablement realises par les experimentateurs eux-memes ; la production de la lumiere de Drummond, qui necessitait d'assez grandes
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quantites d'hydrogene et d'oxygene synthetises par les experimentateurs, respectivement par la reaction du zinc avec 1'acide sulfurique et par chauffage du chlorate de potassium40 ; la fabrication de 1'arc electrique, qui necessitait de tailler du coke tres cassant pour realiser des electrodes cylindriques, qu'il fallait maintenir dans des supports ajustables. II fallait aussi se procurer de nouvelles piles de Bunsen, dont pas moins de 138 furent acquises avec leur connexions electriques, sans doute chez le fabriquant d'instruments Deleuil, qui en etait le revendeur (figure 4.13). II fallait enfin fabriquer les daguerreotypes. Cela faisait beaucoup pour nos deux amateurs. Sans doute encourages par 1'interet que suscita leurs travaux, ils presenterent des details supplementaires a 1'Academic le 6 mai 1844. On peut reconnaitre 1'influence d'Arago dans cette presentation. Nous ne savons pas exactement quand le puissant secretaire perpetuel s'etait mis en rapport avec nos deux jeunes physiciens. Quoi qu'il en soit, il parait certain qu'Arago a discute avec eux a 1'occasion de leur premier memoire sur la luminance. II dut alors leur parler du probleme de rassombrissement du bord du Soleil.
La photographic du Soleil Dans leur communication du 6 mai 1844, Fizeau et Foucault avaient presente diverses trouvailles concernant 1'arc electrique. Mais Arago fut particulierement interesse par I'annonce que leurs photographies du Soleil de la fin du mois d'aout 1843 avaient clairement montre une grande tache, et surtout que le disque solaire paraissait toujours un peu moins brillant aux bords qu'au centre. « Nous comprenons, en effet, ecrivaient-ils dans leur memoire, que cette simple remarque, faite incidemment dans nos recherches, n'a pas une valeur proportionnee a 1'importance de la question. » De fait, cette question preoccupait Arago depuis plusieurs decennies. La reponse etait cruciale pour comprendre la constitution physique du Soleil. Quelle etait la nature du materiau incandescent ? Solide, liquide ou gazeux ? « La solution, ecrivait Arago,
51 Figure 4.13. La pile de Bunsen, P, amelioree par Deleuil vers 1849, et ses composantes F, Z, V et C. Dans le recipient de porcelaine ou de verre F, 1'electrode negative (anode) Z, en zinc amalgame avec du mercure, etait plongee dans une solution d'acide sulfurique. A 1'interieur, un vase poreux V contenait une solution d'acide nitrique dans laquelle plongeait 1'electrode positive (cathode) C, en poudre de coke agglomeree. En 1844, cependant, 1'ordre des elements etait inverse : la cathode de carbone formait un cylindre creux a 1'exterieur et 1'anode de zinc etait au centre41.
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Figure 4.14. Si la surface du Soleil est un liquide ou un solide incandescent opaque (en haut), le disque doit apparaitre uniformement lumineux (a droite) bien que la lumiere vue par 1'observateur soit emise selon differents angles aux differents endroits du disque (a gauche). Si le Soleil est entoure d'une atmosphere incandescente assez transparente (au milieu), son disque doit etre plus brillant a la peripherie car la lumiere vient d'une plus grande epaisseur au bord qu'au centre. Une analogic bien connue au XIXe siecle est celle d'une flamme de lampe a huile alimentee par une meche circulaire, qui est plus brillante sur les bords. En realite, le Soleil est plus sombre au bord qu'au centre (en bas), car son atmosphere est constitute d'un gaz absorbant dont la temperature decroit vers 1'exterieur. Bien que la lumiere du bord provienne d'une epaisseur plus grande, elle est emise par un milieu plus froid que celle du centre du disque, laquelle nous parvient de regions plus profondes et plus chaudes.
Leon Foucault
[... ] implique plus ou moins 1'examen de cette question capitale: les bords et le centre du Soleil sont-ils egalement lumineux ? »42 Malheureusement, les observations et leur interpretation etaient equivoques, voire contradictoires. L'angle sous lequel on voit la surface du Soleil varie a travers le disque : on observe cette surface perpendiculairement au centre, et presque parallement au bord. Si le Soleil etait solide ou liquide, il devait etre uniformement brillant sur tout le disque, car un liquide ou un solide incandescent emet de la lumiere avec une intensite egale dans toute les directions. L'ltalien Galilee, le Hollandais Christiaan Huygens (1629-1695), et 1'Allemand J.H. Lambert (1728-1777) avaient affirme que le disque solaire est uniforme, et Huygens pensait que le Soleil etait une boule liquide. Mais si la lumiere du Soleil etait emise par une atmosphere incandescente assez transparente, on s'attendait a ce que le disque soit plus brillant sur les bords qu'au centre, puisqu'il y a alors plus de matiere sur la ligne de visee (figure 4.14). De leur cote, d'autres astronomes comme Pierre Bouguer (16981758), George Airy et John Herschel avaient conclu que les bords du disque solaire sont moins brillants que le centre. Finalement, Arago lui-meme avait effectue diverses mesures montrant que la difference, si elle existait, ne depassait pas 2,5 %. La mesure d'Arago semblait done impliquer une nature solide ou liquide du Soleil. Mais de telles mesures etaient difficiles, en raison de la petite taille de 1'image du Soleil que Ton obtenait avec les lentilles habituelles. Cependant, Arago avait mis en evidence un autre phenomene : la polarisation de la lumiere. Pour comprendre la polarisation, il nous faut dire quelque mots de la nature des ondes. Les ondes sonores sont des ondes longitudinales, ou les molecules vibrent alternativement vers 1'avant et vers 1'arriere le long de la direction de propagation de Tonde (figure 4.15a). Quant a la lumiere, elle etait deja considered en 1840 comme une onde transversale : dans ce cas,- quelle que soit la nature de ce qui oscille, 1'oscillation a lieu dans un plan perpendiculaire (transversal) a la direction de propagation (figure 4.15b). Une vague a la surface de 1'eau est un exemple simple d'onde transversale. Une onde lumineuse est plus complexe, car elle peut osciller dans une infinite de directions perpendiculaires a la propagation (figure 4.15c). Mais on peut selectionner a 1'aide de certains cristaux les oscillations qui se produisent dans un plan particulier (figure 4.15d). On a alors affaire a une onde polarisee. Quand on fabrique, a 1'aide d'un polariseur, un faiseau polarise a partir d'un faisceau non polarise comme celui de la figure 4.15c, on selectionne non seulement 1'oscillation complete qui existe dans le plan de polarisation, mais aussi la projection sur ce plan des oscillations ayant toutes les orientations. Les vagues sont une onde polarisee, car les deplacements du fluide sont
Le « delicieux passe-temps »
seulement verticaux. Comme on le verra au chapitre suivant, la decouverte de la polarisation de la lumiere au debut du XIXe siecle a prouve la nature ondulatoire de la lumiere, et montre que les ondes lumineuses sont transversales puisque les ondes longitudinales ne peuvent pas etre polarisees. On rencontre frequemment la lumiere polarisee dans la nature, particulierement la lumiere du ciel et la lumiere reflechie sur des surfaces. Vers 1811, Arago avait observe le Soleil avec un polariseur de son invention, dit polariscope, mais il n'avait trouve aucune polarisation dans le disque solaire. II avait aussi observe des flammes, du fer et du platine incandescents, ainsi que du fer et du verre en fusion. II avait constate que la lumiere emise par ces solides et liquides incandescents etait partiellement polarisee lorsqu'on les observait presque parallelement a la surface, tandis que la lumiere emise par le gaz chaud d'une flamme n'est pas polarisee. L'absence de polarisation pres du bord solaire, ou le Soleil est observe presque tangentiellement, lui suggerait que les regions emissives sont gazeuses, ce qui paraissait en contradiction avec 1'uniformite possible de la luminance du disque solaire. Cependant, Laplace avait deja realise, dans sa Mecanique celeste, que meme si le gaz solaire est absorbant, il pourrait ne pas y avoir renforcement de la luminance aux bords du disque, lequel pourrait meme presenter un assombrissement. Les daguerreotypes du Soleil presentaient done un double interet. Us pouvaient contribuer a 1'etude des taches solaires, et ils pouvaient peut-etre decider si le bord du Soleil est plus brillant ou plus sombre que le reste du disque. II semble que 1'opticien N.-M.P. Lerebours (1807-1873) ait essaye de photographier le Soleil des 1842, mais 1'image etait surexposee et Arago a interprete ses bords plus sombres comme un effet de la solarisation (figure 4.1)43. Entre 1844 et 1845, presses par Arago, Foucault et Fizeau prirent« un grand nombre » de daguerreotypes du Soleil. La lumiere du Soleil etait renvoyee par un heliostat vers une lentille, qui projettait 1'image de 1'astre sur le daguerreotype44. La principale difficulte etait de faire des poses suffisamment courtes45. Jusque la, les temps de poses se comptaient en secondes et etaient faciles a obtenir manuellement avec un couvre-objectif quelconque. Le Soleil exigeait des temps de pose compris entre 1/100e et l/60e de seconde. Foucault et Fizeau imaginerent un obturateur « assez original», ancetre de notre obturateur a rideau, ou la lumiere passait a travers une fente de taille appropriee pratiquee dans une planche qu'on laissait tomber devant 1'objectif46. Une chute d'une hauteur de moins d'un metre suffisait. Fizeau et Foucault utiliserent deux objectifs achromatiques differents. L'un d'eux produisait des images de la taille d'une petite piece de monnaie (12,8 millimetres de diametre).
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Figure 4.15. (a) Onde longitudinale : la direction de vibration des particules (double fleche en grise) est parallele a la direction de propagation de 1'onde (simple fleche noire), (b) Onde transversale : les vibrations sont perpendiculaires a la direction de propagation de 1'onde. (c) Lumiere naturelle : les vibrations transversales sont dans toutes les directions (d) Lumiere polarisee : les oscillations n'ont lieu que dans un seul plan.
54 Figure 4.16. A gauche, des daguerreotypes du Soleil de la taille d'une piece de monnaie, obtenus par Fizeau et Foucault en 1843-45. Ils montrent tous 1'assombrissement du bord solaire, quel que soit leur temps de pose. A droite, des images uniformes de disques de carton blanc montrent que rassombrissement du limbe du Soleil est reel, et non un artefact du precede du daguerreotype. Ces gravures se trouvent dans le Recueil.
Figure 4.17. Daguerreotype du Soleil pris le 2 avril 1845 a 9 h 45 du matin par Fizeau et Foucault. Les taches solaires et rassombrissement du bord sont bien visibles. Le diametre reel de 1'image du Soleil sur la plaque est d'environ 90 millimetres.
Leon Foucault
La figure 4.16 reproduit quelques-unes de ces images, qui montrent rassombrissement du bord solaire quel que soit leur temps de pose. La finesse de 1'image des taches, quand il y en avait, montre que cet assombrissement n'est pas du a un etalement de 1'image resultant d'une mauvaise focalisation. II etait toutefois possible qu'il s'agisse d'un artefact resultant de quelque processus chimique dans le traitement du daguerreotype ; mais des images d'un disque de carton blanc prises dans des conditions semblables etaientbien uniformes47. Pour avoir plus de details, il fallait obtenir des images beaucoup plus grandes en utilisant un objectif de focale bien plus longue. Foucault et Fizeau utiliserent un doublet achromatique de 9,88 metres de focale, dormant des images du Soleil d'environ 91,5 millimetres de diametre. La figure 4.17 presente le seul grand daguerreotype du Soleil qui ait ete conserve. Ce daguerreotype fut grave plus tard pour 1''Astronomic populaire d'Arago, sans doute parce que c'etait celui qui montrait les plus grandes taches solaires. II peut nous paraitre surprenant que Fizeau et Foucault n'aient pas presente leurs resultats sur rassombrissement du bord solaire a 1'Academie. On peut imaginer plusieurs raisons a cela. D'abord, la recherche etait en quelque sorte celle d'Arago, qui en avait suggere le sujet, et c'etait a lui d'en publier le resultat, ce qu'il fit cinq ans
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plus tard. D'autre part, le resultat n'etait pas ce qu'il attendait, et les implications en etaient incertaines. II n'est pas impossible que Fizeau et Foucault aient evalue le contraste centre/bord du Soleil de la meme maniere qu'ils avaient compare la luminance du Soleil, de 1'arc et de la lumiere de Drummond. Dans ce cas, ils ont du obtenir une valeur bien plus grande que celle d'Arago. Les instruments d'Arago etaient probablement affectes par de la lumiere diffusee. De toutes fac.ons, il etait clair que le Soleil n'avait pas un bord plus brillant que le centre. Arago et Foucault ont finalement conclu que la couche lumineuse du Soleil, qu'Arago appelait la photosphere, devait etre entouree d'une couche absorbante, qui assombrissait davantage son rayonnement au bord qu'au centre. Nous savons aujourd'hui que la raison de rassombrissement des bords du disque solaire est plus subtile. L'atmosphere du Soleil est bien gazeuse. Elle est plus chaude vers 1'interieur du Soleil, ce a quoi Arago n'avait pas pense. Elle emet de la lumiere sur toute son epaisseur et n'est que partiellement transparente. Nous ne recevons pas le rayonnement des couches profondes, car ce rayonnement est completement absorbe par les couches plus superficielles. La lumiere que nous recevons provient principalement de la couche ou 1'opacite devient importante. Cette region est plus profonde, done plus chaude et plus lumineuse, au centre qu'au bord du Soleil.
D'autres photographies de Foucault Trois autres daguerreotypes de Foucault nous sont parvenus. L'un d'eux, qui montre une serie de spectres du Soleil, sera etudie dans le prochain chapitre. Un autre represente une grappe de raisin (figure 4.18). Son eclairage et sa beaute sont exceptionnels. Le troisieme daguerreotype montre des toits (figure 4.18). II n'est pas signe, mais il est attribue a Foucault par son premier collectionneur, Alfred Nachet, de la celebre societe parisienne de fabrication de microscopes. La maison pourrait etre celle que Madame Foucault louait au 5 rue d'Assas au debut des annees 1840. La vue aurait alors ete prise depuis le toit du batiment au premier plan dans la figure 3.1348. Le support de ce daguerreotype est une plaque de cuivre. Les halogenures de cuivre sont sensibles a la lumiere, et, en 1841, Fox Talbot a brevete un precede daguerreotypique utilisant une plaque de cuivre poli sensibilisee aux vapeurs d'iode, de brome ou de chlore, et developpee au mercure ou au sulfure d'hydrogene.
Figure 4.18. Daguerreotype attribue a Foucault (1844). II s'agit probablement d'une grappe de raisin d'un cepage aujourd'hui presque disparu, mais qui etait alors commun dans la vallee de la Loire et ailleurs, le meslier saint-fran<;ois.
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Figure 4.19. Daguerreotype de toits de Paris, attribue a Foucault.
Un precede semblable a ete decouvert independamment a Vienne49. Cependant, ces precedes etaient peu sensibles. On a aussi suggere que 1'original de la figure 4.19 pourrait etre une plaque gravee a partir d'un daguerreotype et renforcee par un depot electrolytique de cuivre, une methode developpee par Fizeau a partir d'essais de Donne et brevete en 1843. En realite, la photographic de la figure 4.18 est probablement une copie electrolytique sur cuivre d'un daguerreotype normal sur argent. Fizeau montra une « admirable planche » de ce type a 1'Academie des le printemps 184150. Le precede, decrit dans les traites de Chevalier et de Gaudin et Lerebours, est assez simple et peut produire plusieurs copies. II n'est realisable qu'avec des daguerreotypes renforces par dorure. La plaque etait placee dans une cellule electrolytique semblable a celle montree figure 4.20. On deposait lentement par electrolyse une couche de cuivre sur le daguerreotype. Quand elle etait assez epaisse, on otait 1'ensemble du bain et les bords etaient enleves avec de forts ciseaux ou avec une lime. Avec une lame de couteau, on decollait ensuite du daguerreotype la copie de cuivre en creux. Les proprietes de la diffusion de la lumiere par cette copie restaient semblables a celles de la plaque initiale, si bien qu'on observait toujours une image positive. Si tout allait bien, le daguerreotype restait intact, et on pouvait le copier a nouveau. La copie electrolytique devait etre scellee immediatement dans un cadre de verre, afin d'eviter 1'oxydation qui aurait diminue le pouvoir de reflection du cuivre.
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Le delicieux passe-temps Le delicieux passe-temps ne dura pas plus pour Foucault que la decennie de gloire du daguerreotype. Le daguerreotype devait alors etre abandonne, vers 1850, au profit du negatif sur verre recouvert d'une emulsion a 1'albumine puis au collodion, avec tirage sur papier. Comme le note Foucault: ceux qui reprochaient aux plaques de Daguerre leur poids incommode, leur miroitage et meme leur prix eleve peuvent maintenant s'adonner de tour cceur a la photographic sur papier, car elle peut desormais leur offrir les avantages precieux d'une manipulation rapide, economique et conduisant a des resultats a peu pres certains et d'une grande perfection.51
Nous verrons plus tard que Foucault a utilise ce precede pour photographier 1'eclipse totale de Soleil de 1860 en Espagne (chapitre 13). Foucault a toujours conserve son interet pour la photographic car il fut un membre fondateur actif de la Societe franchise de photographic en 1854 (voir le chapitre 15), et realisa des heliostats pour les agrandissements photographiques (chapitre 16). On dit que le peintre Paul Delaroche, apres avoir vu un daguerreotype pour la premiere fois, s'etait exclame : « Aujourd'hui, la peinture est morte ! »52 Heureusement pour 1'art, il fut bientot clair que la qualite artistique des daguerreotypes etait tres variable, et qu'il y avait encore de la place pour la peinture. On ne peut que regretter la disparition de la plupart des daguerreotypes de Foucault, car le peu qui nous soit parvenu revele un talent remarquable.
Figure 4.20. Copie par galvanoplastie d'une plaque daguerreotype, utilisant 1'electrographe de Spencer tel qu'il est decrit par Belfield-Lefevre. La paroi semi-permeable pouvait etre en parchemin, en platre ou en vessie de pore. Les ions cuivre dans la solution de sulfate de cuivre etaient reduits et se deposaient sur la plaque daguerreotype (Cu++ + 2e- =* Cu). La vitesse du depot dependait de la concentration, et done de la conductivity de la solution d'acide sulfurique (on pouvait aussi utiliser une solution de sulfate de zinc ou de chlorure de sodium). De nombreuses precautions etaient necessaires pour obtenir un bon resultat.
Cette page est laissée intentionnellement en blanc.
Chapitre 5 La belle science de 1'optique Nous avons evoque precedemment les efforts de Donne et de Foucault pour projeter des preparations microscopiques sur un ecran. La difficulte principale etait 1'eclairage de 1'echantillon. La lumiere du soleil etait inutilisable pendant les cours, et la lumiere de Drummond etait trop faible. Foucault et Donne envisagerent done d'utiliser la lumiere de Tare electrique dans un microscope a projection.
Le microscope photo-electrique Pour 1'arc electrique, Foucault avait abandonne les electrodes en charbon de bois au profit d'electrodes en coke, si dures qu'il fallait les tailler avec un outil diamante. Ces tiges de 3 millimetres carres de section se consumaient rapidement: 1'electrode positive se raccourcissait de 5 centimetres et la negative de 2,5 centimetres en 20 minutes de fonctionnement1. Des la premiere nuit d'experimentation, Foucault decouvrit que les fumees d'oxyde nitreux emises par les piles de Bunsen n'etaient pas le seul danger du dispositif: le rayonnement ultraviolet de Tare lui brulait les yeux*. II note : « ophthalmic intense jusqu'a trois heures et qui n'a cede qu'au bain de pied ». Pendant les mois qui suivirent, Foucault ameliora son equipement, adoptant notamment, au lieu d'une lentille, un miroir spherique assez grand pour condenser beaucoup de lumiere sur 1'echantillon. II utilisa 112 piles de Bunsen au lieu de 60. Bientot, il put projeter des images sur un ecran situe a 1,5 metre, puis a 2 metres du microscope. II semble qu'il ait travaille seul puisqu'il note, le 3 decembre 1843 : « repetition des experiences precedentes devant M. Donne ». Donne fut suffisamment impressionne pour deposer, avec Foucault, un pli cachete a 1'Academic des sciences2. On peut y lire, de 1'ecriture claire et soignee de Foucault, la description de perfectionnements qui permettaient de porter a 3 metres la distance de 1'ecran au microscope. Le pli etait ferme par le sceau de Donne, representant Romulus et Remus nourris par la louve, bien entendu en rapport avec son interet pour 1'allaitement. En avril suivant, ils presentment publiquement leur travail a 1'Academic3, mais ce n'est qu'en 1845 qu'ils publierent la description de 1'appareil, * Les soudeurs a 1'arc se protegent aujourd'hui par des lunettes speciales.
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Figure 5.1. Vue laterale en coupe du « microscope photo-electrique » construit par Foucault et Donne entre 1843 et 1845 pour des demonstrations de cours. La lumiere est fournie par un arc electrique form6 par deux charbons horizontaux situes a 1'interieur de la paroi avant de la boite. Ces charbons etaient maintenus en place par des ressorts, qui apportaient aussi le courant. Un miroir concave condensait la lumiere sur 1'echantillon, qui etait tenu par une glissiere verticale entre le panneau avant et 1'objectif du microscope (a gauche). Un reservoir contenant une solution d'alun, place devant le miroir, servait de filtre calorifique. Des volets en bas et en haut permettaient la ventilation sans laisser passer la lumiere. L'operateur surveillait 1'arc a travers des vitres presque opaques, et agissait sur de nombreuses commandes pour assurer un bon fonctionnement.
apres en avoir fait une demonstration pratique devant la Societe d'encouragement pour 1'industrie nationale4. Cette societe, fondee en 1801, offrait un cadre approprie pour les presentations relatives a la science appliquee5. Les figures 5.1 et 5.2 montrent 1'appareil final, que Foucault et Donne baptiserent microscope photo-electrique, pour rappeler qu'il mettait en jeu aussi bien la lumiere que I'electricite1. Le microscope etait fabrique par Charles Chevalier et les piles de Bunsen par Deleuil. Foucault recommandait que 1'arc ne soit allume que lors de la projection, afin d'economiser les piles, la preparation des electrodes se faisant a la lumiere d'une bougie. Les reglages etaient Figure 5.2. Le microscope photo- electrique vu de face.
f Le terme photo-electrique a acquis une signification differente avec la mecanique quantique, au debut du XXe siecle.
La belle science de I'optique
assez complexes : « on voit que c'est bien de 1'occupation pour un seul experimentateur, disait Foucault, cependant la chose est possible, et nous 1'avons prouve maintes fois ». Les commandes etaient cependant dupliquees de chaque cote de la boite afin de permettre a deux operateurs de faire les reglages, le cas echeant. Donne et Foucault projeterent divers echantillons devant la Societe d'encouragement, et lui offrirent le « brillant spectacle » de la circulation du sang, sans doute dans une langue de grenouille6. Us projeterent aussi 1'image des charbons de 1'arc (probablement une premiere). La lumiere provenait des electrodes incandescentes, surtout de 1'electrode positive qui s'usait plus vite que 1'autre (figure 5.3). L'arc lui-meme etait bien plus faible7. Us improviserent enfin quelques experiences en lumiere polarisee, afin de demontrer 1'utilite de leur appareil pour « presenter aux commen<;ants la belle science de 1'optique, avec tous les attraits qui, d'ordinaire, ne se manifestent qu'au petit nombre d'adeptes qui ont le courage d'affronter 1'aridite de ses elements ». A nous qui sommes habitues aux projecteurs modernes, le microscope photo-electrique peut sembler un dinosaure. Mais a 1'epoque, « les resultats firent quelque sensation », d'apres une encyclopedic publiee quelques annees plus tard, et cette invention fut jugee assez importante pour etre mentionnee sur la pierre tombale de Foucault (figure 17.6).
La nature de la lumiere Jusqu'ici, Foucault avait fait davantage de technologic que de science pure. II avait ameliore divers precedes, tels que la preparation et la bromuration des plaques daguerreotypes, et construit des appareils comme le microscope-daguerreotype et le microscope photoelectrique, mais il ne s'etait pas encore preoccupe de questions de physique fondamentale. Ce n'est qu'en 1845 et 1846 qu'il demontra la possibilite de realiser des interferences lumineuses avec des differences de marche considerables. Afin de comprendre 1'importance des travaux ulterieurs de Foucault, rappelons quelles etaient les idees courantes sur la nature de la lumiere au milieu du XIXe siecle, ainsi que 1'origine de ces idees. Commenc.ons par la refraction, dont les lois ont ete decouvertes en 1621 par le physicien hollandais Willebrord Snel van Royen (Snell, ou Snellius) (vers 1580-1626) apres de longues experiences, mais non publiees par lui. On les retrouve exprimees en 1637 sous une forme plus moderne dans la Dioptrique de Rene Descartes (15961650), qui vivait alors aux Pays-Bas. Quoi qu'il en soit, Descartes a donne sa propre theorie de la refraction dont nous reparlerons au
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Figure 5.3. Auto-projection des charbons d'un arc par le microscope photo-electrique. L'electrode positive s'erode plus rapidement que la negative, on sait aujourd'hui que cela est du au bombardement par les electrons. Les globules colles sur les charbons sont des impuretes refractaires.
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Figure 5.4. Sir Isaac Newton (1642-1727) a affirme que la lumiere etait de nature corpusculaire. Ce n'etait pas une bonne idee, mais on sait que Newton en a eu d'autres tout a fait geniales !
Figure 5.5. La double refraction (birefringence) d'un cristal de spath d'Islande. Le cristal decompose la lumiere en deux rayons polarises, formant une double image. Le spath, qui provient de Eskifiordkr en Islande, est une forme cristalline du carbonate de calcium ou les cristaux sont des rhomboedres.
Leon Foucault
chapitre 9. Bien entendu, les philosophes du XVIP siecle se sont interroges sur la nature physique de la lumiere. Descartes a hesite entre deux theories, dont Tune disait que la lumiere etait constitute de corpuscules. Newton (figure 5.4) a adopte ce dernier concept. Dans son Optique de 1704, il explique divers phenomenes, dont la diffraction, par des forces agissant sur les corpuscules de lumiere lorsqu'elle passe pres d'un objet opaque. En revanche, 1'anglais Robert Hooke (1635-1703) exposa dans ses Micrographia, publiees en 1665, 1'idee que la lumiere est faite d'ondes. II aboutit a cette conclusion en observant les figures et les couleurs donnees par des lames minces. Une theorie semblable fut publiee 30 ans plus tard par Huygens aux Pays-Bas. Huygens a egalement etudie la double refraction de certains cristaux tels que le spath d'Islande. Ce cristal decompose la lumiere naturelle en deux faisceaux polarises, dits respectivement ordinaire et extraordinaire (figure 5.5), pour lesquels 1'indice de refraction n'est pas le meme. Le rayon extraordinaire n'obeit pas aux lois de la refraction. Au XVIIF siecle, on preferait les theories corpusculaires de Descartes et de Newton aux theories ondulatoires de Hooke et de Huygens. Par exemple, Laplace pensait que les phenomenes physiques et chimiques peuvent s'expliquer par des interactions a courte portee entre des particules de lumiere, de chaleur, d'electricite et de matiere ordinaire8. Laplace, qui siegeait a la fois a 1'Ecole polytechnique, a 1'Institut national et au Bureau des Longitudes, exerc.ait une forte influence sur ses collegues plus jeunes, mais ses idees n'etaient cependant pas acceptees par tous. Vers 1800, le physicien anglais Thomas Young (1773-1829) apporta une preuve convaincante de la nature ondulatoire de la lumiere. II savait deja que le son etait une onde. II imagina une experience dans laquelle la lumiere, provenant de deux petits trous (ou fentes paralleles) proches 1'un de 1'autre et illumines par une meme source lumineuse, se combinait pour former une figure d'interferences semblable a celle que produit la rencontre de deux systemes d'ondes a la surface de 1'eau. La figure 5.6 illustre le principe de son experience. La presence de franges noires, dues a Vinterference destructive qui se produit lorsque la difference de longueur entre les deux trajets de la lumiere depuis les fentes D' et D" est egale a un multiple impair d'une demi longueur d'onde, a particulierement frappe les esprits. Comme le commente Foucault, « Ce dernier fait surtout a semble tres extraordinaire [aux contemporains de Young], et pour le presenter au monde d'une maniere pittoresque, on s'est plu a lui repeter qu'on sait aujourd'hui, avec deux rayons de lumiere, produire 1'obscurite. »9 Cependant, Young considerait la lumiere comme une onde longitudinale, semblable a une onde sonore ou le milieu parcouru par 1'onde oscille vers 1'avant et vers 1'arriere dans la direction de
La belle science de I'optique
propagation (figure 4.15). II emettait aussi 1'hypothese plus correcte que chaque couleur de la lumiere avait une longueur d'onde particuliere. L'onde lumineuse pouvait expliquer la reflexion, la refraction, la diffraction et les interferences. Les idees « emissionnistes », qui pronaient la nature corpusculaire de la lumiere, parurent cependant confortees par la decouverte de la polarisation par Etienne Malus10. En 1807, a 1'instigation de Laplace, un prix fut offert par 1'Academie pour une etude experimentale et theorique de la double refraction. Malus gagna ce prix, mais sa decouverte la plus importante devait survenir peu apres, lorsqu'il observa, a travers un cristal de spath d'Islande, la lumiere reflechie par les fenetres du Palais du Luxembourg (qui abrite aujourd'hui le Senat). A sa grande surprise, la lumiere changeait d'intensite lorsqu'il tournait le cristal, sans cependant disparaitre completement. On n'avait precedemment observe ce phenomene qu'avec de la lumiere transmise a travers un autre cristal de spath. De surcroit, des deux faisceaux lumineux transmis par le spath d'Islande dans cette observation, un seul etait reflechi par la surface du verre tandis que 1'autre y penetrait sans reflexion. En tournant le cristal de 90 degres, les faisceaux echangeaient leur comportement. Malus qualifia la lumiere reflechie par les vitres de lumiere polarisee. II supposait que les corpuscules de la lumiere presentaient une certaine asymetrie. II imaginait que ces corpuscules etaient tries selon leur asymetrie lorsqu'ils etaient reflechis par une surface. Malus aurait sans doute fait d'autres decouvertes s'il n'avait succombe peu apres a la tuberculose. Les chercheurs de 1'epoque se partageaient toujours entre emissionnistes, comme 1'ecossais David Brewster (1781-1868) ou le franc,ais Jean-Baptiste Biot, et partisans de la theorie ondulatoire comme Arago et surtout Augustin Fresnel. Quand Fresnel (figure 5.7) enonga la theorie moderne de la lumiere consideree comme une onde transversale, c'est Arago qui defendit sa cause devant 1'Academie des sciences. II semble que Fresnel n'ait pas eu connaissance des travaux de Huygens et de Young, et qu'il ait propose independamment la theorie de la nature ondulatoire de la lumiere. En 1821, il montra que
63 Figure 5.6. Schema de 1'experience de Young. La lumiere passant a travers une premiere fente S illumine deux fentes paralleles D' et D". La fente S est necessaire afin d'illuminer les fentes D' et D" avec la meme lumiere, qui arrive en phase sur ces fentes. La combinaison de la lumiere provenant des deux fentes produit sur 1'ecran P une figure d'interference, formant une serie de franges alternativement brillantes et sombres. Lorsque les deux ondes provenant des deux fentes arrivent en phase, c'est-a-dire que leurs deux trajets different d'un nombre entier de longueurs d'onde, on obtient une frange brillante comme B0 (difference de marche nulle), BI ou B_i (difference de marche d'une longueur d'onde), 62 ou B_2 (difference de marche de deux longueurs d'onde), etc. A Tinverse, on obtient une frange sombre lorsque les ondes arrivent en opposition de phase et s'annulent mutuellement, ce qui se produit si la difference de longueur entre les deux trajets est un multiple impair d'une demi longueur d'onde, par exemple en Di/ 2 ou D_i/ 2 (difference de marche d'une demi longueur d'onde), ou en D3/2 ou D_3/2 (difference de marche d'une longueur d'onde et demie), etc. La position de 1'ecran P peut etre quelconque : les franges d'interference sont presentes partout.
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la polarisation, la diffraction et les phenomenes d'interference pouvaient etre entierement expliques si la lumiere etait une vibration transversale, perpendiculaire a la direction de propagation, et non longitudinale comme le pensait Young. Tout d'abord, il n'eut pas beaucoup de succes. En effet, il etait difficile d'imaginer qu'un milieu puisse etre suffisamment rigide pour propager la lumiere a une vitesse que Ton savait deja enorme, comme nous le verrons au chapitre 9. Le fait que la theorie de Fresnel pouvait expliquer la double refraction convainquit progressivement ses contemporains de sa justesse.
Les interferences aux grandes differences de marche Figure 5.7. Augustin Fresnel (1788-1827).
On pourrait s'attendre a ce que la figure d'interference que nous avons montree figure 5.6 s'etende a 1'infini dans le plan d'observation P, mais on ne pouvait observer que quelques franges. Foucault et Fizeau remarquerent que cela etait du au fait qu'ils utilisaient de la lumiere blanche. La figure 5.6 a ete construite pour une longueur d'onde (ou une couleur) bien definie. Mais la lumiere blanche, celle des bougies, des lampes a huile ou du soleil, comprend un large eventail de longueurs d'onde, dont chacune produit son propre systeme de franges d'interference. Ces franges sont d'autant plus serrees que la longueur d'onde est plus courte. Toutes ces franges se superposent sur 1'ecran. Cependant, la frange centrale coincide pour toutes les longueurs d'onde, et est done blanche et tres brillante. Lorsqu'on s'en eloigne, les trajets parcourus par la lumiere depuis les deux fentes sont differents : la difference entre ces deux trajets, que 1'on appelle difference de marche, contient un nombre de longueurs d'onde qui depend de la couleur, et les franges se brouillent comme le montre la figure 5.8. Si on reduit le domaine de longueurs d'onde de la lumiere, par exemple grace a un filtre colore, on augmente le nombre de franges visibles, mais elles finissent toujours par se brouiller. Jusqu'ou peut-on voir le phenomene d'interference ? Plus precisement, jusqu'a quelle distance de la frange centrale peut-on voir des franges ? La longueur des trains d'onde qui forment la lumiere est-elle suffisante pour permettre des interferences a grande difference de marche ? Telle etait la question que se posaient Foucault et Fizeau en 1845. Us ne savaient pas reduire suffisamment le domaine de longueurs d'onde de la lumiere, faute de disposer de filtres assez etroits ou d'une source de lumiere monochromatique. Us eurent done recours a une astuce, qui consiste a selectionner la lumiere qui arrive sur
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1'ecran P de la figure 5.6 loin de la frange centrale, et a 1'analyser avec un prisme. La figure 5.8 explique le principe de leur experience. Dans cette figure, la rente d'analyse est placee a peu de distance de la f range centrale. Mais Foucault et Fizeau observerent encore des phenomenes d'interference (le spectre cannele) en plac.ant la fente beaucoup plus loin, de telle maniere que la difference de marche entre les deux faisceaux provenant des fentes de Young atteigne 7 000 longueurs d'onde. Us modifierent le dispositif de Young de fac,on a le rendre beaucoup plus lumineux, ce qui etait essentiel car, meme avec la lumiere du soleil, le spectre cannele etait faible. Grace a un heliostat, ils envoyaient la lumiere du soleil dans la piece obscure ou etait monte leur appareil. La lumiere etait concentree par une lentille cylindrique sur une ligne /, qui etait 1'equivalent de la premiere fente S de Young (figure 5.6). Au lieu des fentes de Young, ils utiliserent un dispositif connu aujourd'hui sous le nom de miroirs de Fresnel (planche 3, page 197) : deux miroirs m' et m", d'inclinaison tres legerement differente, donnaient de la ligne / deux images virtuelles /' et /" *. /' et /" sont les equivalents des deux fentes d'Young D' et D" de la figure 5.6. Les interferences se formaient sur un ecran situe a environ 2 metres de la. Une fente o dans cet ecran isolait la partie de la lumiere qu'on desirait etudier. Cette lumiere etait dispersee par un prisme pour former un spectre cannele V—R, qui mesurait quelques millimetres de longueur et que Ton examinait avec un oculaire (non represente). La lentille I/ produisait un faisceau parallele sur le prisme, qui deviait done du meme angle tous les rayons d'une meme longueur d'onde ; la seconde lentille L" focalisait ces rayons devies sur le spectre V—R. Ainsi, on recueillait le maximum de lumiere possible sur le spectre, qui etait egalement bien au point. Le spectre observe par Foucault et Fizeau (figure 5.10) etait traverse, en plus des cannelures regulierement espacees, par diverses lignes ou bandes noires. Les lignes noires, que Ton appelle aujourd'hui les raies spectmles, sont caracteristiques de la lumiere du soleil. Les premieres ont ete decouvertes par Wollaston en 1802, mais c'est 1'allemand Joseph von Fraunhofer (1787-1826) qui les a decrites le premier, et qui a designe les plus fortes par des lettres allant de A (dans le rouge) a H (une raie double remarquable dans le violet)11. Ce spectre a ete simule dans la partie superieure de la figure 5.10. Les cannelures produites par leur appareil permirent a Foucault et a Fizeau d'etalonner en longueurs d'onde le spectre du soleil, et de mesurer la difference de marche qui correspondait a chaque cannelure, de la maniere suivante. Pour chaque cannelure brillante, la difference de marche est egale a un nombre entier n de fois la longueur * On appelle image virtuelle une image d'ou parait venir la lumiere, mais d'ou les rayons ne partent pas reellement.
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Figure 5.8. Principe de 1'experience de Fizeau & Foucault. La source de lumiere produit toute une gamme de longueurs d'onde et les franges d'interference, par exemple dans 1'experience de Young (figure 5.6), se brouillent tres vite lorsqu'on s'eloigne de la frange centrale. On selectionne avec une fente une petite portion de la lumiere brouillee de 1'ecran P de la figure 5.6, loin de la frange centrale, et on la disperse avec un prisme afin de separer 1'interference a chaque longueur d'onde. Le spectre cannele ainsi produit (a droite) montre une alternance de parties brillantes et de parties sombres. Les parties brillantes correspondent aux longueurs d'onde ou les deux rayons arrivent en phase sur la fente, et les parties sombres a celles ou ils arrivent en opposition de phase.
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Figure 5.9. Principe de 1'appareil d'interferences construit en 1845 par Foucault et Fizeau pour montrer 1'existence d'interferences avec de grandes differences de marche. Ce dessin n'est pas a 1'echelle. Les distances entre les miroirs et 1'ecran, 1'ecran et le prisme et le prisme et le spectre final etaient toutes d'environ 2 metres. Explications dans le texte.
Figure 5.10. (en haul) Le spectre du Soleil presente des raies ou bandes sombres intrinseques. (en has) Le spectre tel qu'il est observe avec 1'appareil d'interferences de Foucault et Fizeau (figure 5.9): il montre en plus des cannelures d'interference, qui peuvent etre utilisees pour etalonner les longueurs d'onde.
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d'onde a laquelle la cannelure se trouve dans le spectre. Considerons par exemple les cannelures situees a peu pres aux longueurs d'onde AE et Ap des raies E et F du spectre solaire. La difference de marche entre les deux faisceaux incidents correspond respectivement pour ces deux cannelures a AE x HE et a Ap X np, quantites qui sont done egales entre elles. Ayant au prealable mesure par d'autres methodes les longueurs d'onde AE et AF et compte le nombre de cannelures entre les raies E et F, on peut determiner WE et np puis d'autres longueurs d'onde. Le 24 novembre 1845, Fizeau et Foucault presentment leur travail a 1'Academic, sous la forme d'un memoire. Afin d'eviter toute confusion, notre figure 5.10 ne presente que 10 cannelures entre les absorptions marquees E et F, mais Foucault et Fizeau disent en avoir obtenu 66, puis 141, ce qui correspond a des differences de marche de 813, puis de 1737 fois la longueur d'onde de F, soit respectivement 0,4 et 1,4 millimetre. Us decrivirent d'autres experiences du meme genre, ou la difference de marche etait produite en faisant passer un des faisceaux lumineux a travers une mince epaisseur de verre (ou la longueur d'onde est plus petite que dans 1'air), ou bien
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en faisant reflechir les faisceaux sur les faces opposees d'une lame de verre (figure 5.11). Dans ce dernier cas, ils obtinrent une difference de marche de 3 406 longueurs d'onde. Ils obtinrent aussi des franges entre les rayons ordinaires et extraordinaires produits par des cristaux birefringents de gypse, de calcite et de spath d'Islande. Tous ces resultats s'expliquaient sans difficulte dans le cadre de la theorie ondulatoire, ce qui jeta un doute croissant sur le point de vue emissionniste. « Nous nous sommes certainement complus, avec M. Fizeau, dans la contemplation du joli phenomene qui s'est realise entre nos mains, mais notre ambition va un peu plus loin. »12 Ils realiserent qu'ils pouvaient utiliser les positions des cannelures pour mesurer la dispersion (c'est-a-dire la variation de 1'indice de refraction avec la longueur d'onde) pour les rayons ordinaires et extraordinaires produits par un cristal birefringent; mais, en depit de leur affirmation selon laquelle « nous nous proposons de nous mettre immediatement a 1'ceuvre... », il n'en fut rien. Le travail eut ete fastidieux, et certainement pas du gout de Foucault.
Figure 5.11. Un autre moyen utilise par Foucault et Fizeau pour obtenir de grandes differences de marche etait de faire interferer les rayons b et c reflechis respectivement par la face avant et par la face arriere d'une lame de verre.
Quelques mois plus tard, au printemps de 1846, les deux experimentateurs presentment a 1'Academie ce qu'ils avaient fait a la place. II s'agissait toujours de birefringence, mais considered cette fois d'une autre fagon. Cette experience concernait ce qu'on devait appeler la polarisation chromatique13. Elle est toujours decrite dans les manuels d'optique physique14. La place nous manque pour la discuter, d'autant plus qu'elle est assez complexe. Nous dirons simplement qu'en plus d'avoir confirme la theorie ondulatoire de la lumiere, elle a permis d'obtenir des interferences avec des differences de marche atteignant 7 394 fois la longueur d'onde de la raie G de Fraunhofer, soit 3,2 millimetres. Foucault et Fizeau concluaient: « L'existence de ces phenomenes d'influence mutuelle entre deux rayons, dans le cas de grande difference de marche, est interessante pour la theorie de la lumiere, en ce qu'elle revele dans 1'emission des ondes successives une regularite persistante qu'aucun phenomene n'indiquait jusqu'ici. » Dans le Journal des Debats, Foucault ajoutait que leur resultat « nous fait supposer que la limite reelle a laquelle les interferences cessent de se produire est incomparablement plus reculee encore. »15 II avait raison : nous savons aujourd'hui qu'avec des lampes monochromatiques, il est possible d'obtenir des franges d'interference avec des differences de marche au moins mille fois plus grandes que celles atteintes par Foucault et Fizeau, et que la difference de marche peut etre des dizaines de millions de fois plus grande si la source est un laser.
Figure 5.12. Le physicien Jacques Babinet (1794-1872).
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Les Comptes rendus ne publierent qu'un extrait de la premiere communication de Foucault et Fizeau relative a cette experience, et seulement le titre de la seconde, probablement en raison de leur grande longueur. Comme a 1'ordinaire, 1'Academie designa un comite pour examiner ce travail. II comprenait evidemment Arago, et aussi Jacques Babinet (figure 5.12), qui avait lui aussi travaille sur la polarisation chromatique, et enfin un homme plus jeune, Victor Regnault (1810-1878), elu dans la section de chimie mais dont 1'interet se tournait maintenant vers la physique. Foucault ecrivit plus tard : Nous en etions encore a nos debuts ; nous avions aborde temerairement peut-etre une question tres delicate; et pour entrainer la conviction de nos commissaires, il etait indispensable de les rendre temoins des experiences qui nous avaient paru decisives, et de faire fonctionner devant eux les appareils nouveaux [... ] La lumiere du soleil etait indispensable. Elle ne nous a pas manque...16
Figure 5.13. Plan de la maison de precision, comme la surnommerent plus tard les amis de Foucault, construite par Madame Foucault au 26 (plus tard 34) rue d'Assas vers 1845. C'est dans sa cave que Foucault « vit la Terre tourner » pour la premiere fois en Janvier 1851.
Les commissaires furent tres satisfaits de leur visite du laboratoire de Foucault et Fizeau, et leur prodiguerent leurs encouragements. Nous ne savons malheureusement pas ou se trouvait ce laboratoire. C'est d'ailleurs vers cette epoque que Foucault et sa mere demenagerent. Us ne devaient pas aller bien loin : en septembre 1844, Madame Foucault achetait un terrain d'environ 800 metres carres a 250 metres de leur premier domicile, 26 rue d'Assas, au coin de la rue de Vaugirard. La maison qu'elle y fit construire, et qu'elle devait habiter avec son fils jusqu'a la fin de leurs jours, etait certainement achevee fin 1846. Son plan (figure 5.13) montre qu'elle comportait des toilettes a 1'interieur et des cheminees dans toutes les pieces. Les commissions de 1'Academie publiaient rarement un rapport ecrit. Ce fut cependant le cas pour 1'experience de Foucault et Fizeau17, en pleine revolution de 1848. Comme Foucault le dit : « L'Academic emploie ses tristes loisirs a faire des rapports sur divers Memoires qui depuis longtemps etaient soumis a son jugement et qui sollicitaient son approbation. » Arago aurait bien aime ecrire lui-meme le rapport sur une experience realisee dans un domaine qu'il avait fonde, mais il avait d'autres preoccupations en tant que membre du gouvernement provisoire. C'est done Babinet qui le fit, d'une fac,on d'ailleurs tres favorable. « C'est un honneur et un encouragement dont nous sentons vivement le prix », ecrivit Foucault. L'appareil etait, d'apres Babinet, « une invention experimentale de premier ordre » et 1'Academie decida que les memoires seraient imprimes dans la serie des Memoires des Savants etrangers, une collection a parution irreguliere d'articles juges particulierement interessants, provenant d'auteurs non membres de 1'Academie. Une telle recommandation n'etait cependant que rarement suivie d'effet,
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et finalement les memoires ne parurent que quatre ans plus tard, dans les Annales de chimie et de physique. On peut voir la 1'influence d'Arago qui etait 1'un des redacteurs des Annales. Ce delai a du etre frustrant pour nos jeunes chercheurs. II etait cependant inevitable pour ceux qui recherchaient 1'approbation de 1'Academie : ils devaient soit decider d'attendre jusqu'a ce que tout espoir de publication par 1'Academie soit perdu, et done de publier ailleurs, soit decider de publier ailleurs tout de suite, renongant par la meme a tout examen par 1'Academie, puisque celle-ci se refusait a considerer les travaux deja publies18.
L'abandon de la medecine Au moment du mariage de sa sceur, en juillet 1844, Foucault se considerait encore comme etudiant en medecine. Mais il devait renoncer a devenir medecin quelque temps apres, peut-etre au vu de ses succes en optique. On estime cependant qu'il aimait la medecine19. II avait d'ailleurs poursuivi ses etudes jusqu'a 1'externat20. Alors pourquoi ce renoncement ? Louis Figuier pretend que ce changement a ete provoque par une remarque du fameux chirurgien Denonvilliers, qui aurait tance Foucault devant les autres externes pour avoir passe trop de temps a faire de la physique au detriment de la medecine21. Dans une notice necrologique, on lit par ailleurs que le changement soudain dans la carriere de Foucault etait cause par sa repugnance devant«la vue du sang et le spectacle douloureux des souffrances qu'il devait soulager au prix de souffrances plus grandes encore »22. Pourtant, les ecrits de Foucault dans le Journal des Debats montrent qu'il etait fort prosai'que et avait meme une certaine fascination pour 1'horreur. Ainsi, il ecrivait : « II suffit de quelques coups de marteau pour briser la tete d'un cadavre... »23 En fait, il devait avoir conscience des limitations de 1'art du chirurgien, a une epoque ou il n'y avait pas encore d'anesthesie, et ou un bon chirurgien etait un chirurgien rapide : « il ne faut pas se dissimuler que toutes les fois que 1'on fait agir le bistouri, le cas de mort est pose », ecrivait-il.24 De surcroit, la medecine parisienne etait en crise : elle avait atteint un point ou regnait « une impression justifiee de malaise [... ] une certaine stagnation, une certaine sterilite, une certaine routine devenant de plus en plus evidents »25. La medecine ne pouvait plus faire de progres sans que la physique et d'autres sciences n'interviennent, ce a quoi s'opposait une grande partie du corps medical. « Au train dont vont les choses, remarquait un medecin, le pauvre corps humain ne sera bientot considere que comme une eprouvette a reactifs. »26 De son cote, Foucault etait certainement conscient des rapports entre la
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mecanique et I'anatomie ou la physiologic du corps humain. Dans 1'un des rares brouillons qui nous soient parvenus, date d'avril 1844, il traite en termes de leviers les forces qui s'exercent sur les os du pied (figure 5.14)27. Nous avons ici un temoignage de la pensee de Foucault. A mesure que son gout pour la physique se developpait, il devait etre rebute par le conservatisme et les opinions anti-scientifiques de beaucoup de ses futurs collegues. De grands progres revolutionnerent bientot la medecine, mais ils ont ete le fait de scientifiques exterieurs au corps medical comme Louis Pasteur (1822-1895) ou le physiologiste Claude Bernard (1813-1878). Foucault devait ecrire en 1847 : Assez longtemps, on a dedaigne 1'application des sciences positives a 1'art de guerir, assez longtemps 1'etude de la physique et de la chimie ont ete renfermees a 1'Ecole de Medecine dans des limites trop etroites.28 De plus, il y avait deja trop de medecins a Paris par rapport au nombre de patients capables de les payer29. Desormais, Foucault pouvait se consacrer entierement a la science.
Figure 5.14. A la jonction de I'anatomie et de la physique : schema du pied et de la jambe par Foucault, date d'avril 1844, et son analyse en termes de leviers du premier ou du second genre lorsque les muscles du mollet sont contracted et que tout le poids du corps est supporte par le bout du pied, le pivot du levier etant place soit a cet endroit, soit sous les os de la jambe.
Chapitre 6 Toujours 1'optique et la photographic Les rayons calorifiques Foucault et Fizeau auraient volontiers poursuivi leur travail sur les interferences aux grandes differences de marche, mais ils se sont « arretes devant les frais que [leur] aurait causes une experimentation plus complete ». Ils utiliserent cependant leur technique pour etudier les rayons calorifiques. Les rayons calorifiques avaient ete decouverts en 1800 par 1'astronome William Herschel (1738-1822), celui qui avait identifie Uranus. William Herschel observait le Soleil dans un telescope, a travers un filtre en verre presque opaque qui en diminuait beaucoup 1'eclat. Ce filtre chauffait jusqu'a se briser, il en vint done a etudier les effets calorifiques du Soleil aux differentes longueurs d'onde. Plac,ant de petits thermometres sur un spectre du Soleil produit par un prisme, il constata que ces thermometres s'echauffaient plus du cote rouge du spectre que du cote bleu, et encore davantage au-dela du rouge, ou il n'y avait plus rien de visible. II avait ainsi decouvert ce que nous nommons aujourd'hui le rayonnement infrarouge. Des experiences ulterieures n'ont pas montre de difference entre ce rayonnement et la lumiere visible : comme la lumiere, les rayons calorifiques peuvent etre reflechis, refractes ou transmis par certains materiaux. Comme le disent Foucault et Fizeau dans leur memoire a 1'Academie des sciences d'aout 1847: Les analogies nombreuses revelees par 1'experience entre les proprietes des rayons calorifiques et celles des rayons lumineux, ont amene a etendre 1'idee des mouvements ondulatoires aux rayons calorifiques. Cette maniere de voir est generalement admise aujourd'hui, et cependant elle n'est fondee que sur des analogies, car aucune des proprietes observees jusqu'ici dans les rayons calorifiques ne revele en eux une nature ondulatoire. L'existence de phenomenes d'interference serait decisive ... l Deux difficultes devaient etre surmontees pour observer des franges d'interference dans 1'infrarouge : la finesse des franges et la faiblesse des variations de temperature a travers une frange. II fallait done utiliser des thermometres tres fins et tres sensibles. La figure 6.1 montre quelques-uns des thermometres ay ant servi aux
Figure 6.1. Quelques thermometres a liquide utilises par Foucault et Fizeau pour etudier les rayons calorifiques, reproduits a peu pres grandeur nature. La premiere detection de franges d'interference produites par ce rayonnement, enregistree dans un pli cachete, utilisa probablement le N° 2, rempli d'ether. Les autres thermometres sont a 1'alcool. Le N° 5 fut utilise pour les experiences publiees.
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Figure 6.2. La boite utilisee par Fizeau et Foucault pour abriter leur thermometre des courants d'air. Us focalisaient la partie etudiee du spectre sur le bulbe du thermometre place en f. La variation de temperature etait lue avec le microscope M. On determinait la position du thermometre par rapport au spectre soit depuis 1'ecran c sur un cote de la boite, soit par projection sur 1'ecran eloigne N.
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experiences. On ne salt pas si nos experimentateurs les avaient achetes ou s'ils les avaient fabriques eux-memes, ce qui n'exigeait pas un appareillage bien complique. Le thermometre etait place dans une boite en bois pour le proteger des courants d'air. Le meilleur thermometre avait un bulbe de 1,1 millimetre de diametre et un capillaire de 0,01 millimetre; 1'alcool montait de 8 millimetres environ par degre C. Le niveau du liquide etait lu a 1'aide d'un microscope muni d'un oculaire gradue en dixiemes de millimetre, une division correspondant approximativement a 1/4006 de degre C. La chaleur d'une bougie a 1 metre faisait monter de 7 divisions le thermometre « dont la reussite est pour ainsi dire un coup de fortune » admettait Foucault2. Le spectre fourni par 1'appareil represente figure 5.9 du chapitre precedent etait projete sur le thermometre. Les deux jeunes gens essayerent d'abord de detecter la frange d'interference centrale produite par deux miroirs de Fresnel, illumines presque tangentiellement de fac.on a obtenir des franges larges. On pouvait voir ou se trouvait le bulbe du thermometre par rapport au spectre visible, soit directement devant la boite, soit en projection sur 1'ecran N de la figure 6.2. Un filtre rouge etait utilise pour isoler les longueurs d'onde visibles les plus longues. Le succes vint vite. En mai 1846, deux mois apres la presentation de leur travail sur les interferences a grande difference de marche, Foucault et Fizeau deposerent un pli cachete a 1'Academie afin d'enregistrer leur priorite. Us avaient observe la frange centrale brillante donnee par les rayons calorifiques, ainsi qu'une autre frange de chaque cote ; ensuite, les franges se brouillaient en raison de la largeur de la bande de longueurs d'onde qui etait presente. La temperature augmentait d'un douzieme de degre dans la frange centrale. « Les rayons calorifiques sont susceptibles d'interferer comme les rayons lumineux », soulignerent-ils a la fin du pli cachete3. Le pli n'a jamais ete ouvert a 1'epoque, car personne n'avait tente une experience semblable avant que les experimentateurs aient termine leur travail, seize mois plus tard. Foucault et Fizeau obtinrent d'autres resultats en utilisant une variante de leur appareil qui faisait intervenir la polarisation chromatique. Us pouvaient ainsi obtenir soit un spectre normal du Soleil, montrant les raies et les bandes habituelles de Fraunhofer, soit un spectre cannele. Us pouvaient egalement obtenir un autre spectre cannele ou les cannelures sombres du spectre precedent etaient remplacees par des cannelures brillantes, et vice versa. Ceci leur permettait de mesurer les longueurs d'onde dans le spectre comme nous 1'avons vu au precedent chapitre, y compris dans 1'infrarouge. Mais c'est Fizeau seul qui presenta ce calcul4. Cela montre bien la difference entre nos deux experimentateurs : Fizeau etait parfaitement
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capable d'exprimer la realite physique en termes mathematiques et quantitatifs. Ce n'etait pas le point fort de Foucault, dont la perception etait surtout intuitive et qualitative. Nous en verrons d'autres exemples. La figure 6.3, en S, reproduit ce que Foucault et Fizeau ont observe. Bien que le thermometre fut enferme dans une boite en bois, la temperature variait lentement, et, pour faire leurs mesures, ils eurent recours a une astuce indispensable pour les mesures dans 1'infrarouge, et que Ton nomme aujourd'hui la permutation. Le faisceau qui tombait sur le thermometre etait hache periodiquement par un obturateur, et on mesurait continuellement la difference de temperature entre les deux positions de 1'obturateur. Cette difference donnait le signal recherche, les variations lentes de temperature etant ainsi eliminees. Le trace du haut en traits interrompus montre le resultat : le maximum de signal etait obtenu dans le rouge, ou le thermometre s'elevait d'un dixieme de degre. Dans la partie infrarouge, il apparaissait que les « rayons calorifiques invisibles » comportaient des gammes de longueurs d'onde ou le rayonnement etait affaibli, comme dans les bandes de Fraunhofer de la partie visible du spectre. Ces regions d'absorption avaient deja ete decouvertes par John Herschel en 1840, comme le reconnaissaient nos jeunes physiciens. Herschel avait projete le spectre infrarouge du Soleil sur un papier noir imbibe d'alcool, lequel s'evaporait d'autant plus vite que le rayonnement etait plus intense. Foucault et Fizeau remarquerent
Figure 6.3. L'emission calorifique du Soleil et sa polarisation chromatique telles qu'elles furent publiees par Fizeau et Foucault en 1847. La taille du bulbe de 1,1 millimetre de leur thermometre par rapport a celle du spectre est indiquee en T. Nous avons ajoute, en haut a droite, un fragment du spectre infrarouge moderne du Soleil. En S se trouve le spectre normal du Soleil ou les raies de Fraunhofer sont indiquees par des lettres majuscules. En S' et S", le meme spectre maintenant cannele de deux manieres differentes (les cannelures sont reperees par des lettres minuscules), ce qui permettait de mesurer les longueurs d'onde.
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qu'il ne subsistait « aucune chaleur sensible » dans la bande qu'ils appelerent ;'. Nous savons aujourd'hui que ces bandes ne sont pas formees dans 1'atmosphere du Soleil, mais sont dues a 1'absorption par 1'eau liquide ou sous forme de vapeur que contient 1'atmosphere terrestre, que traverse le rayonnement solaire. Fizeau et Foucault etudierent aussi la diffraction des rayons calorifiques par un bord d'ecran. Le fait que les rayons calorifiques soient caracterises par une longueur d'onde et puissent, comme la lumiere, dormer des phenomenes de diffraction et d'interference n'etait pas surprenant, mais comme le note Foucault, « pour concourir utilement aux progres de la science, il ne faut pas dedaigner de se livrer parfois a des simples verifications »5.
La reponse du daguerreotype a la lumiere Les scientifiques utilisent parfois leur materiel et les procedures des experiences sans comprendre vraiment comment tout cela fonctionne. Ce n'est pas satisfaisant pour 1'esprit, et, pire encore, le physicien n'est pas a 1'abri d'erreurs d'interpretation. Puisqu'ils avaient utilise le daguerreotype pour comparer la luminance du soleil avec celle de Tare electrique et de la lumiere de Drummond, il est naturel que Fizeau et Foucault aient cherche a mieux comprendre comment le daguerreotype repond a la lumiere. Ils n'etaient pas les seuls. Da vantage de lumiere produit une reponse accrue de la plaque : cela etait bien connu, et on avait aussi observe la solarisation, c'est-a-dire la diminution de la reponse liee a une surexposition (figure 4.1). On savait aussi que la plaque n'etait pas egalement sensible aux differentes couleurs. Son maximum de sensibilite se trouvait dans le violet, et la plaque etait d'ailleurs impressionnee par un rayonnement qui n'etait pas perc.u par 1'ceil humain : nous le nommons aujourd'hui le rayonnement ultraviolet*. Le daguerreotype etait en revanche insensible a la lumiere rouge sombre que pouvait encore percevoir 1'ceil humain. Ce n'etait pas tout. II faut se souvenir que les daguerreotypes etaient utilises avec des temps de pose relativement courts, produisant seulement des images latentes invisibles, qui devaient etre revelees par la vapeur de mercure. Mais si on faisait des poses bien plus longues, des grains d'argent pouvaient etre directement reduits par la lumiere sans qu'un developpement soit necessaire. Un papier impregne de sels d'argent pouvait done noircir sous une lumiere intense. Un autre effet se produit lorsque le daguerreotype est soumis * La decouverte du rayonnement infrarouge en 1800 par William Herschel avait conduit J. W. Ritter (1776-1810), en Silesie, a decouvrir 1'annee suivante le rayonnement ultraviolet de 1'autre cote du spectre : ce rayonnement noircissait un papier imbibe d'une solution de chlorure d'argent.
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a une lumiere uniforme avant la pose proprement dite: sa sensibilite est modifiee. Des 1844, nos deux chercheurs entreprirent d'elucider ces phenomenes. Us utiliserent les plaques bromurees, les plus sensibles alors disponibles. Us les exposaient pendant quelques secondes a la lumiere d'une lampe Carcel, puis ils prenaient une photographic du spectre du soleil, suivie d'un developpement a la vapeur de mercure. Le 9 decembre, ils avaient obtenu suffisamment de resultats pour pouvoir deposer un pli cachete a 1'Academic. Ils avaient constate qu'apres cette exposition prealable, la lumiere pouvait agir negativement dans le rouge sur 1'image latente du daguerreotype, c'est-a-dire qu'elle produisait, comme la solarisation, une diminution de la reponse au lieu d'une augmentation. A 1'inverse, la sensibilite au vert et au bleu etait amelioree, comme le savent bien les photographes. La reponse a une lumiere orangee etait negative si elle etait peu intense ou si le temps de pose etait court, et positive dans le cas contraire. Dans la region spectrale ou 1'action etait negative, les raies de Fraunhofer apparaissaient done brillantes au lieu d'etre sombres. La figure 6.4 illustre ces observations. Ils firent ensuite varier les conditions de 1'experience. Ce devait etre long et f astidieux, et il f allait un ciel clair pour pouvoir photographier le spectre du soleil. Le travail progressa lentement, sans doute parce que Foucault et Fizeau preferaient consacrer leur energie aux experiences d'interference qu'il jugeaient plus gratifiantes. De plus, Fizeau avait des problemes de sante et souffrait de migraines atroces. II abandonna ses etudes de medecine et voyagea pour se refaire une sante. C'est pendant son absence, a 1'automne de 1846, que 1'opticien N.-M.P. Lerebours adressa un memoire a 1'Academic concernant la construction d'objectifs achromatiques pouvant servir aussi bien a 1'observation visuelle qu'a la photographic, ce qui etait essentiel pour la mise au point des daguerreotypes. II y remarquait incidemment qu'une illumination prealable de la plaque par une lumiere dont la couleur pouvait aller du vert au rouge semblait « retarder » 1'action de la lumiere bleue sur le daguerreotype6.
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Figure 6.4. Gravure d'un daguerreotype typique du spectre solaire obtenu au cours des recherches de Foucault et Fizeau sur la reponse du daguerreotype. Ici, le spectre est inverse aux longueurs d'onde plus grandes que celles des raies D, et les raies de Fraunhofer, normalement sombres (figure 5.10), apparaissent plus claires que le fond continu. La partie du spectre contenant les raies H a F est surexposee, et la solarisation y produit aussi une inversion (Foucault ecrit au sujet du fond continu : « Cette teinte, quoique foncee a 1'ceil, a pour le physicien le meme sens que si elle brillait du plus vif eclat, et sa presence donne le point correspondant aux rayons les plus actifs. »). Finalement, seule la partie du spectre qui contient les longueurs d'onde plus courtes que celles ou il y a solarisation, et la partie intermediate contenant la raie E, apparaissent normalement en positif. Le spectre du Soleil, comme le disque solaire, etant moins lumineux sur les bords, la region solarisee a des bords non solarises en bas et en haut. En revanche, les bords plus clairs de la partie rouge du spectre paraissent etre une invention du graveur : ils ne sont pas presents dans le daguerreotype reproduit planche 4, page 198.
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Foucault ecrivit a 1'Academic pour affirmer sa propriete intellectuelle et celle de Fizeau sur ce sujet, demandant 1'ouverture du pli cachete, et demontrant qu'il fallait encore beaucoup de travail afin d'aboutir a un resultat publiable. II s'ensuivit des echanges assez vifs et confus entre Foucault et deux collegues, Edmond Becquerel (1820-1891) et Marc-Antoine Gaudin (1804-1880), qui reclamaient la priorite sur certains points. Foucault n'y eut pas toujours le beau role. Finalement, Fizeau et Foucault ecrivirent un « Memoire complet », dont Fizeau annonga publiquement les resultats le 16 Janvier 18477. Ce memoire ne fut public que trente ans plus tard, dans le Recueil. C'est dommage, car il contient des resultats interessants et une conclusion correcte sur la nature du processus photographique. Foucault et Fizeau avaient fait varier les conditions de 1'experience de diverses manieres. Les variations de 1'exposition prealable a la lumiere avaient peu d'effet. Mais les changements de la duree de la pose lors de la photographic du spectre solaire en avaient beaucoup, comme on peut le voir sur la planche 4, page 198 ou Ton trouve cinq spectres obtenus avec des temps de pose differents. Ici 1'effet negatif se deplace du vert au rouge extreme lorsque le temps de pose augmente de 5 a 120 secondes. Cela signifie que la lumiere aux longueurs d'onde plus longues que le vert agit d'abord negativement, puis positivement quand on allonge la pose. Mais cela n'est pas vrai en lumiere bleue ou violette, contrairement a ce que nos experimentateurs avaient imagine initialement. Foucault et Fizeau abandonnerent ensuite la lumiere blanche de la lampe Carcel et pre-exposerent les plaques a certaines longueurs d'onde seulement, grace a un dispositif astucieux represente figure 6.5. Get appareil contient un prisme, qui produit un spectre R—V du soleil de la meme fagon que dans les experiences d'interference (figure 5.9). Pres du prisme, la lumiere reste blanche au centre car c'est seulement au bord que les rayons disperses se
Figure 6.5. L'appareil de Foucault destine a produire des couleurs uniformes, avec lesquelles il pre-exposait les plaques daguerreotypes8. Une fente placee sur le spectre R—V selectionnait la couleur desiree. Les lignes en traits interrompus ne representent pas des rayons lumineux, mais montrent comment la lentille L" donne une image de 1'ouverture sur la plaque9.
Toujours I'opticjue et la photographic
separent suffisarnment les uns des autres pour que les couleurs soient visibles. Foucault disposal! alors un diaphragme dans cette region, et plagait la lentille L" de maniere a ce qu'elle produise une image de la partie interieure de ce diaphragme sur la plaque daguerreotype, qui etait done illumine uniformement par une lumiere blanche. Mais la lentille produisait toujours un spectre bien net R—V. Puisque tous les rayons aboutissant a 1'image finale passaient par ce spectre, il etait facile d'y selectionner, a 1'aide d'une fente, la couleur avec laquelle on voulait illuminer la plaque, « d'une maniere aussi sure, aussi positive que 1'artiste quand il prend ses couleurs materielles et qu'il les melange pour les jeter sur la toile. » Ce dispositif fut utilise a la Sorbonne et par Hermann von Helmholtz (1821-1894) a Konigsberg lors de ses cours sur les couleurs. Nos experimentateurs constaterent que les effets negatifs sont elimines'si la plaque est pre-exposee a la lumiere rouge, mais apparaissent (dans le rouge) si elle est pre-exposee a la lumiere orangee ; ces effets pouvaient meme se produire dans le vert, puis dans le violet et 1'ultraviolet. Foucault et Fizeau firent aussi des experiences du meme genre avec d'autres surfaces sensibles, qu'ils purent classer par ordre de sensibilite comme indique dans le tableau 6.1.
La physique et la chimie du daguerreotype Foucault et Fizeau eurent du mal a faire accepter leurs conclusions, en raison de la difficulte du sujet et de la confusion qui regnait a son propos. Comme le predisait Arago : « On fera peut-etre des milliers de beaux dessins avec le daguerreotype, avant que son mode d'action ait ete bien completement analyse. » II fallut attendre pour cela de comprendre la physique quantique des solides. Entre temps, on avait realise des centaines de millions de daguerreotypes, puis la technique fut depassee. L'opinion dominante etait que la photographie resultait d'un processus chimique, et Ton nommait souvent rayons diimiques la lumiere a laquelle les substances utilisees etaient sensibles. Ce terme etait pertinent, puisque la liberation de 1'argent a partir de ses sels peut se produire sous la seule action de la lumiere. On avait aussi compris que le processus etait irreversible, comme le montrait le degagement de chlore, d'iode ou de brome qui accompagnait la reaction. Le resultat principal de Foucault et de Fizeau etait le renversement de sensibilite produit par la lumiere rouge. « La manifestation des proprietes negatives de certains rayons nous semble le premier fait incompatible avec une theorie qui, dans la formation des images
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Tableau 6.1. Classement des sensibilites des plaques daguerreotypes preparees de diverses fagons.
lode + brome lode + exces de brome lode + chlore lode + exces de chlore lode seul
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photographiques, rapporterait tout a 1'action chimique », ecrivaient nos experimentateurs ; ils poursuivaient en faisant des analogies avec le phosphore de Canton (sulfure de calcium), dont la phosphorescence est excitee par la lumiere bleue et supprimee par la lumiere rouge. Ils concluaient que la lumiere bleu-violette portait la substance sensible dans un etat physique intermediate necessaire a la reaction chimique, laquelle pouvait alors avoir lieu sous 1'effet du developpement ou d'une autre irradiation. En revanche, la lumiere rouge pouvait detruire cet etat physique. Ces conclusions sont correctes. Nous savons maintenant quelle est la nature des changements physiques qui produisent 1'image latente10. La premiere etape de la formation de 1'image latente du daguerreotype est la meme que celle qui caracterise n'importe quel precede photographique faisant intervenir un halogenure d'argent. La lumiere fait passer certains electrons d'un cristal d'iodure d'argent (par exemple) depuis le niveau d'energie, dit bande de valence, ou ils se trouvent normalement, jusqu'a un niveau d'energie plus grande, dit bande de conduction. Ces electrons excites, que Ton nomme photoelectrons, peuvent alors circuler librement dans le cristal jusqu'a ce qu'ils rencontrent un endroit ou le cristal a un defaut, par lequel ils sont captures. Ce defaut acquiert done une charge electrique negative. Comme le cristal, imparfait, contient aussi des ions d'argent non fixes dans la structure cristalline et qui peuvent s'y deplacer, ces ions charges positivement sont attires par les photoelectrons captures dans les defauts, electrons avec lesquels ils se combinent pour former des atomes d'argent. Lorsqu'il sont isoles, ces atomes s'ionisent spontanement en un ion et un electron. Mais si la pose est suffisamment longue, il se forme, au niveau des defauts, des agglomerats d'atomes d'argent, qui ont une meilleure stabilite. Ce sont ces agglomerats qui forment 1'image latente. S'ils sont petits, ils restent peu stables et peuvent etre detruits par la lumiere verte a rouge. Mais si le cristal a re^u beaucoup de lumiere, les agglomerats sont devenus suffisamment gros pour etre stables : on peut alors les voir. Le developpement des daguerreotypes a la vapeur de mercure est un processus de depot chimique, ou le mercure se comporte comme un solvant capable de cristalliser les petits amas instables d'argent en particules d'argent tres stables, qui forment 1'image visible. Labromuration a pour effet d'augmenter la sensibilite du daguerreotype par la formation d'un sel mixte, le bromo-iodure d'argent, dans lequel les ions argent peuvent se deplacer beaucoup plus facilement. Cela ameliore les possibilites de formation des petits amas d'argent, et il y a alors besoin de moins de lumiere pour produire 1'image latente.
Toujours I'optique et la photographic
La Societe philomatique Nous ne comprenons pas pourquoi les travaux de Foucault et de Fizeau sur le daguerreotype n'ont pas ete publies. Foucault avait clairement cherche a etre public auparavant, et avait souvent envoye ses articles a plusieurs journaux a la fois. II est egalement surprenant que Fizeau n'ait pas envoye, le 16 Janvier 1847, leur travail cornmun a 1'Academic (il est vrai qu'il ne contenait pas grand chose de nouveau par rapport a ce que Foucault avait soumis en octobre de 1'annee precedente). II 1'adressa cependant a une autre institution, a laquelle ni lui ni Foucault n'avaient eu affaire auparavant11. Cette institution etait la Societe philomatique de Paris, qui tenait une reunion tous les samedis soirs12. Cette societe, dont le nom signifie « qui aime le savoir » avait ete fondee la derniere annee de 1'ancien regime par une demi-douzaine de jeunes gens, qui y exposaient et discutaient les decouvertes recentes. Quand survint la Revolution, qui supprima 1'Academie royale des sciences, les academiciens en firent aussitot leur lieu de rencontre. On pouvait y rencontrer Laplace, Cuvier, et aussi Antoine de Lavoisier, qui serait guillotine en 1794. Le nombre de membres atteignit la soixantaine, nombre qui devait par la suite etre considere comme un maximum. Avec sa devise sympathique, Etude et amitie, la societe etait une institution plus hospitaliere que 1'Academie des sciences. Les candidats n'avaient pas a attendre que la mort de membres libere des sieges. En effet, les membres de la societe demandaient souvent a devenir membres honoraires apres dix a quinze ans, et liberaient ainsi leur place. Au cours des temps, la Societe philomatique etait devenue « une antichambre de 1'Academic ». Arago, Malus et Fresnel en avaient ete membres, de meme qu'Henri-Prudence Gambey (17871847), un constructeur d'instruments admire par Foucault, avec lequel il devait collaborer. Babinet, Donne et Le Verrier y avaient etc elus plus recemment, de meme qu'Edmond Becquerel qui etait entre a la Societe en 1841, a 1'age de vingt et un ans, sans doute grace a la reputation de son pere Antoine (1788-1878), egalement physicien. La presentation qu'y fit Fizeau en Janvier 1847 etait un premier pas vers sa candidature et celle de son ami Foucault a la Societe, puis ulterieurement a 1'Academic. Foucault cut du mal a se faire elire a ces deux institutions, car sa franchise en tant que journaliste lui avait cree des ennemis, comme nous aliens le voir.
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Cette page est laissée intentionnellement en blanc.
Chapitre 7 Ordre, precision et clarte : chroniqueur au Journal des Debats Avant tout, nous devons etre fidele, et c'est un devoir que nous tenons a remplir scrupuleusement. LEON FOUCAULT, Journal des Debats, 30 mai 1848
Tableau 7.1. Tirage des principaux journaux quotidiens a Paris en 18461. Le Siecle Le Constitutionnel La Presse L'Epoque Le Journal des Debats Le National L'Univers L 'Esprit public L'Estafette La Patrie
32900 24800 22200 11 300 9300 4300 4200 3600 3200 3100
Le Journal des Debats Le Journal des Debats n'etait pas, au milieu du XIXe siecle, le quotidien le plus lu : le tableau 7.1 montre que le tirage combine des quatre principaux journaux etait dix fois plus important. Mais son influence etait beaucoup plus grande que cela ne le laisse imaginer. Elle avait ete obtenue au prix d'un soutien inconditionnel au gouvernement, quel qu'il soit. Le journal avait ete fonde en 1789 pour publier les debats et les decisions des assemblies revolutionnaires. Dix ans plus tard, il avait ete achete par les freres Bertin, qui, curieusement, portaient le meme prenom. Aussi les appelait-on respectivement Bertin I'Ame (figure 7.1) et Bertin de Vaux (1771-1842). Pendant le Premier Empire, la presse etait soumise a une censure fort stricte. Meme 1'attitude prudente adoptee par le Journal des Debats, qui stigmatisait de fac.on systematique les institutions revolutionnaires et faisait preuve d'une flagornerie constante vis-a-vis de 1'Empereur* n'avait pas suffi a lui eviter la censure et a empecher que son nom ne soit change en Journal de I'Empire. Ses biens furent meme confisques, jusqu'aux plumes sur les bureaux, et Napoleon les partagea entre lui-meme et ses feaux. A la chute de 1'Empire, le journal fut restitue aux Bertin. La reputation du journal ne provenait pas seulement de son allegeance au gouvernement en place, mais aussi du talent remarquable * On disait a 1'epoque a propos de Geoffrey, un des journalistes du Journal des Debats :
Si 1'empereur faisait un pet Geoffroy dirait qu'il sent la rose, Et le senat aspirerait A 1'honneur de prouver la chose.
Figure 7.1. Ce celebre portrait par Ingres de Bertin 1'Aine (1766-1841) exprime parfaitement 1'assise bourgeoise de Bertin et de son journal.
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de ses redacteurs. On trouve parmi eux Francois-Rene de Chateaubriand (1768-1848), et des auteurs rnoins connus aujourd'hui tels que 1'historien Marc Saint-Marc Girardin (1801-1873), 1'ecrivain Samuel Sylvestre de Sacy (1801-1879) et le critique dramatique Jules Janin (1804-1874), qui avaient une grande reputation a 1'epoque. Beaucoup des collaborateurs du journal furent elus a 1'Academie franc,aise ou a d'autres academies de 1'Institut. Le gouvernement de Charles X devenant tres reactionnaire, le journal vira discretement vers le liberalisme, et fut poursuivi pour un article qui concluait : « Malheureuse France ! Malheureux roi ! » Apres la Revolution de Juillet, les redacteurs du journal entrerent en masse au Parlement, et son influence s'accrut d'autant (on disait meme qu'il recevait des fonds secrets du gouvernement). Le Journal des Debats etait devenu le quotidien des puissants.
Reportages scientifiques Des sa fondation, le Journal des Debats avait public des articles scientifiques. L'astronome J.-J. Lalande (1732-1807), 1'un des Encyclopedistes, en fut un collaborateur occasionnel dans les dernieres annees de sa vie2. En 1829, cependant, il etait clair que les connaissances scientifiques des collaborateurs habituels du journal etaient insuffisantes pour leur permettre de traiter convenablement de la science et de 1'industrie, et qu'il fallait engager un specialiste. Ce specialiste, ami et futur gendre de Sylvestre de Sacy, etait Alfred Donne, alors age de 28 ans. Donne etait prudent, au moins dans ses ecrits, encore qu'un commentateur ait dit: On pretend qu'un peu homme de parti, il profile quelquef ois de 1'espece d'influence que sa collaboration aux Debats lui donne dans ce journal, pour rehausser quand meme les oeuvres de ses amis ou des amis de ses amis, et pour presenter sous le jour le moins favorable, toujours quand meme, les travaux de ceux qui n'ont pas 1'honneur de vivre dans la sphere ou il a eu le talent de se placer.3
Quoi qu'il en soit, Donne essayait d'ecrire pour le lecteur habituel du journal, brossant les sujets a grands traits et laissant de cote les details par trop arides. Apres que 1'Academie eut ouvert ses portes aux journalistes et au public en 1835, il ecrivit des reportages sur les seances du lundi. II mentionne par exemple 1'annonce par Arago du precede de Daguerre en 1839, dont nous avons parle au chapitre 3. Lorsque Donne ecrivit son reportage du 2 avril 1842, il n'imaginait pas que ce serait le dernier4. Quelques jours plus tard, il etait nomme Inspecteur general des Ecoles de medecine, ce qui impliquait de nombreux deplacements. II ne pouvait done plus assister regulierement
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aux seances du lundi. II continua cependant jusqu'a sa mort, en 1870, a ecrire de nombreux articles pour le Journal des Debats. Donne recommanda Leon Foucault pour suivre a sa place les debats de 1'Academie des sciences. Comme Donne a ses debuts, Foucault etait jeune (il n'avait que 25 ans), et il avait etudie la medecine, un sujet qui interessait vivement les lecteurs. La breve incursion de Foucault dans le journalisme pour le Journal des Artistes avait montre qu'il ecrivait avec esprit et vivacite, mais qu'il etait capable de quelques exces5. Le premier article de Foucault, paru le 16 avril 1842, etait quelque peu guinde, mais il se montra d'emblee tel qu'il etait, avec ses opinions personnelles bien tranchees. Un de ses commentaires concernait un chemin de fer pneumatique, dont«1'idee bizarre [... ] est due a 1'imagination vagabonde d'un ingenieur danois ». II recommandait a Arago de rediger lui-meme ses legons d'astronomie, au lieu de se plaindre des erreurs qu'on trouvait dans 1'ouvrage recemment publie : Legons d'astronomie de M. Arago, redigees par un de ses eleves. De fait, Arago devait finalement se resoudre a les dieter lui-meme dans ses dernieres annees (voir les pages 9 et 10). Bien que son premier article ait ete imprime dans une page interieure, la plupart des articles de Foucault se trouvaient au bas de la premiere et de la seconde page, s'etendant occasionnellement sur une troisieme (figure 7.2). Ces bas de page avaient depuis longtemps ete utilises pour des articles de critique artistique ou scientifique, ou pour des editoriaux. A la fin des annees 1830, le Journal des Debats commenc.a a y placer des feuilletons ecrits par des auteurs celebres. Cette innovation fut un succes, et fut bientot imitee par d'autres journaux de moindre calibre lorsqu'ils manquaient de crimes croustillants. Lorsque Foucault fit ses debuts, ses articles se trouvaient intercales entre des episodes du Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas (1803-1870); on trouvait egalement dans le journal des feuilletons d'Honore de Balzac (1799-1850), de George Sand (1804-1876), et plus tard de Jules Verne (1828-1905) dont le De la Terre a la Lune fut publie par episodes en 1865. Malgre les feuilletons, le tirage du Journal des Debats, qui se vendait presque uniquement par abonnements, resta constant pendant toute la periode ou Foucault y contribua (figure 7.3). II faut dire qu'il etait 50 % plus cher que ses concurrents6.
Guglielmo Libri Foucault n'etait pas le seul a vouloir remplacer Donne. II avait un rival en un homme au nom glorieux de Guillaume Brutus Scilius Timoleon Libri, Comte Libri Carrucci-Bagnano della Sommaja (fi-
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Figure 7.2. Les articles de Foucault paraissaient le plus souvement en position de feuilleton, en bas des premieres pages du Journal des Debats. Le Journal etait de grand format, environ 460x600 millimetres.
Figure 7.3. Le tirage du Journal des Debats est reste constant pendant les annees ou Foucault y a contribue (1845-62), contrairement a celui d'autres journaux.
gure 7.4). Libri etait ne a Florence, dans une famille de la noblesse7. II etait doue pour les mathematiques, avait public son premier article scientifique a 19 ans et avait ete nomme peu apres professeur a Pise. La revolution de juillet 1830 declencha des revolutions dans toute 1'Europe. Libri fut implique dans un soulevement avorte en Toscane, et dut s'enfuir en France. II y fut bien re^u grace a sa double reputation de savant et de revolutionnaire, en particulier par Arago
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qui le fit admettre a 1'Academie en 1833. II devint aussi professeur a la Sorbonne. Mais Libri s'allia bientot avec Guizot, le ministre de Louis-Philippe, et se retourna contre Arago qu'il attaqua dans le Journal des Debats. Cette attaque faisait sans doute partie d'un complot du gouvernement contre Arago, juge trop republicain. Libri avait done deja de 1'influence au Journal des Debats, influence renforcee par son amour des livres et des manuscrits, qu'il partageait avec le nouveau redacteur en chef, Armand Bertin (figure 7.5), fils de Bertin 1'Aine. Un mois apres le depart de Donne, alors que Foucault avait deja public deux chroniques, Libri inaugura une revue scientifique8. II y annonc.ait qu'« un redacteur » ecrirait des comptes-rendus des seances de 1'Academie, tandis que la revue scientifique elargirait chaque mois le domaine de la science au-dela des presentations a 1'Academie. Mais en realite, Libri n'y parlait qu'occasionnellement de science, s'interessant plutot aux maigres salaires et a 1'avancement difficile dans 1'Enseignement superieur, sans doute en relation avec son experience personnelle a la Sorbonne. Six semaines plus tard, il reiterait9, s'epanchant cette fois sur la condition des instituteurs, sur la critique par le Parlement des cours au College de France, et — en tant que bibliophile — sur les manuscrits du mathematicien Pierre de Fermat (1601-1665), qu'il etait question de publier. Ce fut tout pour un an, puis Libri publia un rapport sur la reunion publique annuelle de 1'Academie10. Ce rapport etait essentiellement une attaque contre Arago.11 En depit de la rarete de ses activites de chroniqueur scientifique, Libri essaya d'exercer un controle sur Foucault, comme en temoignent deux lettres que ce dernier lui ecrivit en 1846. La premiere, datee du 6 octobre commence par ces mots : « mes torts et mon age me font un devoir de vous presenter mes excuses [...]», et s'acheve sur le meme ton, bien que Foucault affirme qu'il restait libre de decrire les choses comme il les voyait, meme s'il s'etait par trop etendu sur des sujets qu'il ne connaissait pas assez bien12. De quoi Foucault s'etait-il done rendu responsable ? Une ou deux semaines auparavant, la nouvelle d'une des plus celebres decouvertes du XIXe siecle etait parvenue a Paris : celle de Neptune, qui suivit la prediction de U.J.J. Le Verrier, un homme dont nous aurons 1'occasion de reparler. J.G. Galle (1812-1910) avait ete charge par J.F. Encke (1791-1865) d'observer la nouvelle planete a 1'Observatoire de Berlin. On comprend 1'excitation de Foucault: Avant tout, annongons une nouvelle que nous n'avons pas recueillie a la seance et qui nous arrive a 1'instant. La planete supposee dont M, Le Verrier a trace si hardiment 1'histoire detaillee fait desormais partie du monde des realites !13
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Figure 7.4. Guglielmo Libri (1802-1869).
Figure 7.5. Armand Bertin, redacteur en chef du Journal des Debats jusqu'a sa mort en 1854, Peinture de Delaroche, qui temoigne de ce que la peinture avait survecu au daguerreotype !
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Peut-etre Libri avait-il considere que Foucault avait marche sur ses plates-bandes en mentionnant une decouverte qui n'avait pas encore ete annoncee a 1'Academie ? II ecrivit en tous cas une revue sur la nouvelle planete deux semaines plus tard14. Si telle etait bien la pomrne de discorde, on ne comprend pas pourquoi Libri aurait reproche a Foucault d'avoir parle « de sujets qu'il ne connaissait pas assez bien ». Quoi qu'il en soit, Foucault fut agressif presque jusqu'a Timpertinence dans sa seconde lettre datee du lendemain15. Libri avait precise quelles etaient leurs responsabilites respectives dans le journal, et Foucault en etait mecontent: « L'arrangement que vous avez invente justifie assez clairement les craintes qui s'etaient soulevees en moi [... ] a part le petit scandale que cela va produire [... ] Veuillez agreer, Monsieur, 1'assurance de ma soumission respectueuse et forcee [ . . . ] » La suite a montre que Libri n'etait guere digne de respect, force ou non. Les deux lettres de Foucault ont survecu, car elles se trouvaient parmi des papiers saisis par la police dans le bureau de Libri a la Sorbonne. Avec son nom predestine, Libri aimait les livres au point de les voler. II se debrouilla pour etre nomine Inspecteur general des bibliotheques, ce qui le mit dans une position confortable pour piller les bibliotheques de la France entiere. Bien entendu, il y eut des soup^ons. Une enquete commenc.a en 1846, et un rapport de police se trouvait sur le bureau de Guizot, le protecteur de Libri, au moment meme ou Louis-Philippe et son gouvernement etaient balayes par la Revolution de fevrier 1848. Le gouvernement provisoire decouvrit et publia ce rapport, ce qui dut rejouir a la fois Arago et Foucault. Demasque, Libri s'enfuit en Angleterre, d'ou il clama son innocence. En vain : il fut juge par contumace et condamne a dix ans de prison. Plus tard, on decouvrit d'autres faits compromettants pour lui, comme une double condamnation de son pere pour fraude et escroquerie, si bien qu'il disparut definitivement.
Le chroniqueur et ses lecteurs Heureusement pour Foucault, d'autres avaient envers lui de meilleures intentions que Libri. Donne et Armand Bertin lui donnaient certainement des conseils. Quand ce dernier mourut en 1854, Foucault se souvint de ses recommandations : « [ . . . ] Raconter, decrire, discuter, contredire, louer avec abandon, blamer avec reserve. » II ajoutait: Qu'on se meprenne au point de croire que le feuilleton scientifique ait pu echapper un seul instant a sa haute et intelligente direction, cela se concevrait a peine ; mais que le plus humble d'entre nous ait pu resister a son genre de seduction, benefice
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inestimable des rapports quotidiens avec une si belle ame, voila ce qu'on ne saurait imaginer.16 On peut deduire de cette remarque que Foucault devait souvent se rendre au bureau du journal, rue des Pretres Saint-Germain 1'Auxerrois, sur la rive droite de la Seine (figure 7.6). En cas d'urgence, il lui suffisait de traverser la Seine sur le Pont des Arts des que VAcademic se reunissait en comite secret, en reglant les 5 centimes de peagef, puis d'ecrire son article dans la salle des journalistes au deuxieme etage, tandis que les presses ferraillaient au rez de chaussee. Qui etaient les lecteurs de Foucault ? II nous dit: L'Academic des Sciences a tenu lundi dernier sa seance publique annuelle. II y avait comme d'habitude, au palais de 1'Institut, un concours empresse de ces personnes du monde qui, sans se dormer pour des vrais savans, recherchent cependant, avec un soin qui les honore, toutes les occasions d'acquerir quelques notions positives de philosophic naturelle. Ce public d'elite, trop dedaigne, trop meconnu par les Societes savantes, est precisement celui auquel nous nous adressons tous les quinze jours; c'est pour lui que nous executons avec conviction un labeur plus rude qu'il ne pense, et dont le but est, en definitive, de lui enoncer dans son propre langage tous les resultats qu'il a droit de connaitre.17 Foucault a fait d'autres allusions a la difficulte d'ecrire des articles. II parle de l'« enfantement laborieux » de ses articles18. II enviait les vulgarisateurs qui avaient le temps d'ecrire des livres a tete reposee: M. Figuier n'ecrit pas a batons rompus sur des feuilles volantes; il a le temps de coordonner ses idees, de chatier son style et de conquerir son lecteur, et a meme au besoin le temps d'abreger19. II etait aussi conscient que certains de ses textes etaient difficiles a assimiler: apres quelques 2 000 mots sur 1'electrochimie, il expliquait qu'il avait choisi pour la suite un sujet plus simple, « pour reposer 1'esprit du lecteur, qui sans doute aura eu peine a nous suivre a travers les detours de cette longue dissertation... »20 II a plus d'une fois regrette de ne pas pouvoir illustrer ses articles21. En tant que photographe, il avait une predilection pour les gravures de qualite, comme cela ressort des eloges qu'il faisait sur les livres bien illustres tels que le Traite elementaire de Physique experimental de Ganot22, ou le Cours de chimie generate de Pelouze et Fremy23. Malgre toutes ces difficultes, il n'hesitait pas a 1'occasion a presenter des donnees tres techniques, comme par exemple les elements des orbites des petites planetes recemment decouvertes. II le justifiait ainsi: « Suivant notre habitude, nous allons dormer ces elemens, qui pour les personnes adonnees a 1'astronomie ont un sens bien determine... »24. f
Les peages pour traverser la Seine ne furent abolis que par la Revolution de 1848.
Figure 7.6. Les bureaux du Journal des Debats, rue des Pretres Saint-Germain 1'Auxerrois.
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L'anesthesie Les feuilletons de Foucault montrent une grande variete de style. Certains ne sont que de brefs rapports, tandis que d'autres temoignent d'un enthousiasme sans limites. Un de ces derniers concerne la decouverte de Tanesthesie. Les nouvelles qui arrivaient de Boston, ou le chirurgien-dentiste James Jackson avait opere un patient anesthesie a Tether, rendirent Foucault lyrique : Est-il vrai qu'on ait conquis le moyen d'epargner aux malheureux qu'on ampute les douleurs attachees aux operations chirurgicales ? Est-il vrai que, sans payer ce tribut oblige de cruelles souffrances, on pourra faire le sacrifice d'un bras, d'une jambe, d'une partie de soi-meme, devenu le siege de quelque maladie incurable ? Le Nouveau Monde, cette source inepuisable de richesses, revendiquera-t-il encore 1'honneur d'avoir fourni le premier le talisman inespere dont la puissance rend un homme insensible au tranchant du bistouri, a ces mille tortures par lesquelles la chirurgie s'efforce d'apporter un terme a tant de maux ?25 II en profite pour fustiger, dans une digression, le manque de culture scientifique des medecins : en lisant entre les lignes, on peut percevoir dans la suite un soutien a Donne : Comment les hommes de 1'art ont-ils accueilli une decouverte qui emeut tout le monde, car tout le monde a hante le malheur, ou de pres ou de loin ? On n'y pourrait repondre aussitot d'une maniere assuree, a cause des difficultes inherentes au sujet, et peut-etre aussi parce que la plupart de nos medecins et chirurgiens se sont un peu trop rouilles sur leurs ele'mens de physique. Assez longtemps on a dedaigne 1'application des sciences positives a 1'art de guerir, assez longtemps 1'etude de la physique et de la chimie ont ete renfermees a TEcole de Medecine dans des limites trop etroites. Au moment ou 1'on songe a leur dormer plus d'extension, il semble que la decouverte de M. Jackson vienne tout expres pour plaider la cause des sciences dites accessoires et pour montrer combien il importe de ne pas entraver les efforts des hommes eminens auxquels leur enseignement est confie. Apres avoir decrit ce qu'on savait de Tether, Foucault dit qu'il espere en apprendre davantage a TAcademie, ajoutant: Ce sera pour la section de medecine et de chirurgie une occasion de sortir de son inaction et de se ressouvenir des devoirs d'academicien, devoirs qui ne consistent pas seulement a venir assister aux seances et a proceder aux remplacemens des membres defunts.
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Foucault entretint ensuite, toujours sur le meme sujet, une violente polemique avec un physiologiste de renom, Francois Magendie (figure 7.7), qui etait oppose a Tanesthesie. L'enthousiasme de Foucault pour Tanesthesie alia jusqu'a lui f aire tester sur lui-meme et sur d'autres les effets de Tether : Les experiences que nous avons eu le loisir de faire, non seulement sur nous-meme, mais encore sur un grand nombre de personnes, hommes et femmes, differant d'age, de caractere et de temperament, ont singulierement affermi nos convictions, tant sur Tefficacite du precede que sur le peu d'importance des inconveniens dont on avait voulu le rendre inseparable.26
II est assez plaisant de s'imaginer Foucault en train d'experimenter les effets de Tether avec sa mere, sa sceur et son beau-frere, sans doute sous la conduite de son ami pharmacien Jules Regnauld, qui devait plus tard faire des recherches sur Tanesthesie.
Critiques et compliments Tout d'abord, Foucault ne fit guere attention a la recommandation de Bertin : « blamer avec reserve ». II critiqua le vieux naturaliste Henri Dutrochet pour le manque de substance scientifique d'une experience ou il avait soumis un chara (sorte d'algue d'eau douce) au champ d'un electroaimant: L'experience est decrite avec beaucoup de soin: les dimensions du fer doux, le nombre des coupes employees pour y developper Taimantation, la distance a laquelle il faut placer le chara, rien n'y manque; et avec ces donnees chacun pourra comme lui constater qu'il ne se passe rien de particulier. On a beau changer les poles, augmenter ou diminuer Tintensite du courant, le chara ne s'en emeut en aucune fagon et se soucie fort peu qu'il y ait aupres de lui un aimant a porter le tombeau de Mahomet ou qu'il n'y en ait pas. Assurement, il faut etre membre de TInstitut pour trouver moyen de faire un Memoire pour si peu.27
Les plus jeunes n'echappaient pas a la vindicte de Foucault. II critiqua par exemple Edmond Becquerel, ou aussi Edme Hippolyte Marie-Davy (1820-1893), un physicien qui devait devenir son collegue a TObservatoire de Paris en tant que meteorologiste, « qui pour son age nous parait un peu trop decide a renouveler la face de la science... »28 Marie-Davy n'avait qu'un an de moins que Foucault! Foucault avait souvent raison ; les chercheurs d'aujourd'hui ont certainement des opinions semblables sur certains de leurs collegues, mais ils ne les expriment qu'en prive. Nous ne pouvons qu'etre
Figure 7.7. Francois Magendie (1783-1855), physiologiste et adepte de la vivisection.
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surpris par la severity et la verve de ce qu'ecrivait Foucault. II n'y a plus guere que les homines politiques qui se traitent ainsi! Foucault n'etait pas le plus violent, comme en temoigne 1'extrait suivant d'un article public dans La Presse par 1'abbe Moigno, un ami de Foucault : Quand nous ecrivions le preambule de notre dernier Bulletin, nous etions loin de prevoir a quels exces arriverait [... ] la colere des ennemis acharnes du progres, des defenseurs opiniatres de la routine et des vieilles theories. Qu'ils lisent le Journal d'Agriculture pratique, livraison du 5 Janvier 1851, et nos lecteurs verront quels torrens d'injures [la passion aveugle] sait inspirer. Notre plume est une plume venale; nos feuilletons sont derisoirement appeles bulletins scientifiques ; nous sommes devoues, et pour cause ; nous sommes un soi-disant savant, etc., etc. II n'est pas jusqu'a notre robe qu'on n'outrage ! Nous le comprenons, cette fois. Pour nous attaquer jusque dans notre honneur, il fallait se rappeler forcement que nous ne pouvions pas nous venger, et que nous pardonnions d'avance.29
Evidemment, les opinions tranchees de Foucault se sont parfois retournees centre lui, notamment quand il s'est agi de son election a T Academic30. Au cours du temps, Foucault apprit a faire preuve de tact et fut plus enclin a « louer avec abandon ». Ses critiques initiales concernant Arago firent place a des commentaires positifs. En 1852, alors qu'Arago n'avait plus longtemps a vivre, Foucault devint franchement aimable : « Apres Bouguer on a vu M. Arago [... ] reprendre ces divers problemes et les traiter avec toute 1'elegance d'un grand physicien. »31 Si Arago, Edmond Becquerel et le mathematicien Augustin Cauchy (1769-1857) ont ete souvent 1'objet des critiques de Foucault, Michael Faraday, le chimiste Eugene Chevreul (1786-1889), 1'astronome un peu oublie Jean Chacornac (1823-1873)32, et le physiologiste Claude Bernard en furent invariablement loues, de meme qu'un autre physiologiste, 1'autre secretaire perpetuel de 1'Academie avec Arago, 1'affable Pierre Flourens (1794-1867). La principale qualite de Flourens, aux yeux de Foucault, etait 1'elegance de son style : « Le style, c'est 1'homme, pourvu toutefois que 1'homme ait un style », disait-il33. II etait severe avec ceux qui lui paraissaient incomprehensibles, meme avec Pasteur dont un memoire sur la cristallographie lui « a semble tout a fait impenetrable ».34 II n'appreciait pas non plus le jargon scientifique qu'on utilisait souvent a 1'Academie : « Nous avouons n'y rien comprendre », ecrivit-il a propos d'un memoire sur la reproduction des champignons qui abondait en termes comme tremelle, baside, decusse et sterigmate, « et pourtant nous sommes persuades que les memes choses pourraient se dire tout simplement et intelligiblement en francais ».35 II constatait aussi que :
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La chimie est une science qui se forge de plus en plus une langue toute pour elle : c'est a cette circonstance particuliere qu'il faut attribuer la difficulte qu'on eprouve a lui faire occuper dans les comptes rendus scientifiques une place proportionnelle a son importance.36
Humour et lyrisme Foucault n'appreciait guere « les anecdotes, les quolibets, les recits pittoresques, les exagerations dont le mauvais gout des vulgarisateurs [... ] se croit oblige de farder, de pomponner et de defigurer 1'austere figure de la science »37. Bien que ses articles soient fondamentalement serieux, il ne dedaignait pas d'y inserer des plaisanteries. Par exemple, il regrettait que 1'anatomie vegetale soit parmi les sciences descriptives, 1'une des plus arides et des moins capables d'alimenter notre compte-rendu. Nos lecteurs ne connaissent ni les hypericinees ni les dilleniacees ; quant aux cucurbitacees, ils ne leur accordent quelque estime qu'a 1'epoque de leur parfaite maturite.38 En discutant du reboisement, il ecrivait: «[...] il faudra, bon gre mal gre, que les arbres apprennent a pousser plus vite »39, et a propos des techniques utilisees par les faussaires : « il n'y a pas necessite absolue de faire de notre feuilleton un manuel du faussaire [... ] »40. Foucault pouvait aussi etre lyrique, utilisant des termes grandiloquents comme « 1'empire de la necessite »41, « le sanctuaire de 1'inconnu »42, « le fer, ce roi des metaux », etc. Comme ses contemporains, il aimait les metaphores et les images approximatives : par exemple, une comete s'approchait du Soleil pour y « redorer sa chevelure »,43 tandis que la planete Neptune « gravite lentement dans ses froides et pales solitudes »44. S'enthousiasmant pour les beautes de la Nature, il ecrivait: La rosee apparait aux esprits reflechis comme 1'un des phenomenes les plus propres a exciter d'une maniere douce et persuasive le sentiment des harmonies de la nature. Avec quelle abondance elle se precipite sur les plantes lorsqu'une nuit calme et transparente succede a un beau jour d'ete !45 Ce lyrisme nous fait sourire, mais il etait tout a fait courant a 1'epoque, et Flammarion a ecrit bien pire un demi-siecle plus tard !
Le lot du journaliste Les articles de Foucault dans le Journal des Debats ont du lui rapporter un argent bienvenu. II est difficile de dire combien, mais certainement moins que les 246 francs payes a Alexandre Dumas pour
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Figure 7.8. La distribution au cours du temps des 246 feuilletons et autres articles publies par Foucault dans le Journal des Debuts.
Figure 7.9. Les cercles indiquent le nombre de sujets differents traites dans chacun des articles de Foucault dans le Journal des Debats. Les points representent des moyennes annuelles.
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chacun des episodes du Comte de Monte-Cristo46. Les « piges » de Foucault devaient etre plus proches de ce que recevait Hector Berlioz (1803-1869), un autre ancien etudiant en medecine. Berlioz recevait 100 francs pour une critique musicale de 8 a 12 colonnes, et 50 francs pour 4 colonnes; il remarquait que «\ejournal des Debats estpourtant celui de toutes les feuilles de ce genre qui paye le mieux »47. Les articles de Foucault se rarefierent a partir de 1855 (figure 7.8), 1'annee ou il fut nomme physicien a 1'Observatoire de Paris (voir le chapitre 12). Au cours du temps, le nombre de sujets traites dans un meme article diminua (figure 7.9). Les deux premieres annees, il mentionnait tout ce qui se passait a 1'Academic, et ses articles etaient des sortes de mini-Comptes rendus. Mais certains sujets n'allaient guere au-dela des titres des memoires. Avec le temps, Foucault se montra plus selectif et traita les sujets qu'il avait choisis de fac.on plus approfondie. Des evenements exterieurs devaient compliquer sa tache. Lors du Comite secret du 9 mai 1853, 1'Academie decida que les journalistes ne seraient plus autorises a consulter les manuscrits, les memoires et les lettres presentes a chaque seance, ce que faisaient les plus consciencieux d'entre eux. Les raisons avancees etaient que cette pratique retardait la publication des Comptes rendus, et que les manuscrits presentes devaient etre reserves a 1'Academie. Cette derniere raison etait particulierement specieuse car un auteur a toujours envie qu'on parle de son ceuvre. La decision fut appliquee deux semaines plus tard. Foucault etait furieux. L'Academic des sciences, disait-il, « vient de prendre envers les redacteurs des journaux, et, par suite, a 1'egard du public, une mesure des plus rigoureuses ». II comparait cette decision a celle qui, vingt ans auparavant, avait ouvert au public les portes de 1'Academie. II faisait remarquer qu'il serait desormais impossible d'elucider des points obscurs, de verifier des valeurs numeriques ou meme 1'orthographe du nom de 1'auteur avant la publication des Comptes rendus officiels, une semaine apres la seance. Et encore, puisque les Comptes rendus ne publiaient qu'une selection abregee preparee par les secretaires perpetuels. II concluait: Nous n'essaierons pas de discerner les motifs qui ont pu porter 1'Academie a traiter en ennemis ceux qui, depuis un quart de siecle, n'ont cesse de la servir dans la mesure de leurs faibles moyens. La decision, qui voue a un eternel oubli les pieces negligees en seance, a ete adoptee en comite secret. Du reste, 1'auteur d'une pareille motion n'a pas ete assez fier de son ceuvre pour desirer de se laisser connaitre. Nous pourrions bien affirmer que ce n'est point M. tel ou tel, mais nous n'aurions garde de poursuivre ce genre d'examen, tant nous craindrions de tomber par voie d'exclusion sur quelque nom illustre et venere.48
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Foucault n'etait pas seul a se plaindre : trois jours auparavant, une protestation similaire avait ete publiee par le chroniqueur scientifique du Constitutionnel49, et 1'abbe Moigno n'avait pas non plus mache ses mots dans Cosmos50. Foucault eut sa revanche, rnais une revanche amere, quant il lut les Comptes rendus de la semaine suivante : « les Comptes-rendus de 1'Academie, la source unique a laquelle nous sommes desormais invites a puiser, nous offrent, pour inaugurer le nouveau regime, deux communications modeles [... ] »51. Ces communications etaient des aneries. La premiere, qui emanait pourtant d'un des correspondants de 1'Academie, decrivait comment une table de noyer s'etait soulevee au contact d'une « chaine animale » de mains ; 1'autre occupait trois pages pour suggerer qu'on pourrait mesurer la vitesse d'un vehicule en observant I'asymetrie du mouvement d'un pendule qui y serait place. Foucault ajoutait de fagon sarcastique : « au moment de reprimer les abus des publications anticipees, 1'Academie a certainement precede avec maturite a la composition des derniers numeros qu'elle a adresses au monde savant ». L'annee suivante, Foucault ne cessa de marteler des propos semblables. II fut particulierement amer de ne pas avoir pu rendre justice au physicien Victor Regnault, dont un important travail sur les proprietes calorifiques des gaz, bien que presente oralement a 1'Academie, n'avait fait 1'objet que d'un titre dans les Comptes rendus52. Ces protestations n'eurent aucun effet. L'Academie ne ceda pas.
Les sujets des articles Le tableau 7.2 donne la distribution des sujets traites par Foucault. Comme il ne discutait que rarement ceux qui n'etaient pas presentes a 1'Academie, cette distribution reflete ce qui y etait discute ; mais a mesure qu'il est devenu plus selectif, il se pourrait qu'elle soit biaisee par ses choix. Nous n'avons cependant pas constate de difference appreciable entre les sujets des deux premieres annees et ceux des annees suivantes, meme apres que 1'Academie eut ferme son secretariat aux journalistes. La seule exception, sur laquelle nous reviendrons, concerne les mathematiques. II n'est pas etonnant de trouver la physique en tete du tableau 7.2. L'importance accordee a la medecine et a la physiologic est plus surprenante : bien entendu, Foucault pouvait ainsi « satisfaire une de ses plus cheres fantaisies, celle de parler medecine »53, fantaisie
Tableau 7.2. Sujets traites par Foucault dans le Journal des Debats. Physique Medecine dont physiologie Chimie Biologie Sciences de la Terre Astronomie Agriculture et forets Industrie Transports et communications
20 % 15 % 7% 11 % 8% 8% 8% 7% 6% 4%
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qui etait aussi celle du public. Passionne par la physiologic, en particulier par les travaux de Claude Bernard, il ecrivait: M. Claude Bernard a fait sur 1'animal vivant une des ces experiences qui etonnent par la nettete du resultat et qui plaisent a 1'esprit, comme si elle isolait quelques uns des ressorts de I'organisation.54
Opinions et attitudes Foucault ne dedaignait pas a 1'occasion de mentionner son propre travail, et ceci nous donne des informations precieuses non seulement sur les details de ses recherches, mais aussi sur ses motivations et sa pensee. Au cours de ses 17 ans de collaboration, Foucault n'a ecrit que 21 articles concernant les mathematiques — trop peu pour que le pourcentage correspondant figure au tableau 7.2 — et sur ce total neuf ont ete publiees la premiere annee, en 1845, quand il essay ait de mentionner tout ce qui se produisait a 1'Academie. Aucun autre n'a ete public apres 1855. La raison en est claire, comme 1'explique son ami, le mathematicien Joseph Bertrand (figure 7.10). L'education mathematique de Foucault etait « tres solide », disait-il, mais « peu etendue »55. Comme il ne connaissait pas grand chose aux mathematiques, il etait difficile a Foucault de les vulgariser. A propos des recherches de son ami en algebre, Foucault admettait: « il nous est impossible de dormer, meme par extrait, une idee de ce travail »56. II y aurait probablement compris quelque chose si il 1'avait voulu. Mais il n'avait sans doute pas envie d'essayer car il n'avait aucun gout pour 1'abstraction. Pire, il la dedaignait, et etait soulage quand d'autres que lui arrivaient a rendre les mathematiques claires : Depuis longtemps on avait desespere de rien plus comprendre aux effrayantes elucubrations analytiques de M. Cauchy. M. Jamin s'est devoue a saisir, quand il y en a un, le sens physique de cette transcendante analyse. Grace au concours de cet intelligent interprete, il est possible que M. Cauchy finisse pas nous reveler de loin en loin quelques menus brins de verite concrete...57
Louis-Napoleon favorisait 1'application de la science a 1'industrie, en vue d'ameliorer la qualite de ses produits, et aussi d'augmenter le bien-etre general des differentes classes de la societe, y compris la classe ouvriere. Foucault partageait cette opinion. Mais son amour de rhumanite n'allait pas jusqu'a apprecier les bains de foule. II se plaignait d'avoir ete « rudement coudoye » aux funerailles d'Arago58. Foucault n'avait aucune sympathie pour les homeopathes, phrenologistes et autres charlatans, bien qu'il ne soit fait aucune illusion
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sur \e fait qu'il y en aurait toujours : Dans notre siecle un peu moins credule, pour trouver bon accueil, les faits surnaturels sont obliges de s'entourer d'un prestige scientifique; c'est pour cela qu'aux fantomes de 1' Antiquite et du Moyen Age on a vu succeder le magnetisme, la phrenologie et rhomceopathie. On ne croit plus aux proprietes curatives des saintes reliques, mais on va consulter la somnambule ; on n'oserait plus se faire tirer les cartes et demander sa bonne a venture, mais on laissera volontiers palper le crane d'un jeune fils au savant docteur qui pourrait dire s'il y a sous ses doigts de quoi faire un avocat ou un general, un mathematicien ou un artiste celebre ... II serait difficile de dire aujourd'hui sous quelle forme 1'incroyable s'offrira a la credulite du vulgaire dans les siecles a venir ; mais il est certain que les savans et les esprits positifs de 1'epoque auront, comme aujourd'hui, bien d'erreurs a combattre et de luttes a soutenir contre les prejuges.59
Certaines preoccupations de Foucault, notamment 1'ecologie, nous paraissent etonnamment modernes. Par exemple, il se plaignait du peu de gout du pain blanc et du sucre raffine60, mentionnait la necessite du reboisement pour proteger les cours d'eau et la fertilite des sols61, et les dangers de la monoculture a propos d'une maladie qui avait ravage les pommes de terre fin 184062. On trouve souvent dans les ecrits de Foucault le terme « positif ». On peut etre tente d'y voir rinfluence du Cours de philosophic positive d'Auguste Comte, dont la publication en six volumes avait pris douze ans et s'etait achevee en 1842. Ce travail considerable comprenait une analyse de la science, de ses methodes et de ses applications a la societe. On pouvait y lire en exergue : « Reorganiser sans Dieu ni roi, par le culte systematique de I'humanite. » II ne faut cependant pas surestimer Tinfluence d'Auguste Comte sur Foucault. Foucault n'utilise jamais le mot « positivisme », neologisme introduit par Comte, et ne s'aventure que rarement dans le domaine de la philosophic. II avait peu d'interet pour 1'abstraction : « [ . . . ] de philosophic aujourd'hui, chacun en parle a tout propos ; le plus petit savant en pretend mettre jusqu'a dans la maniere de nouer sa cravate »63. On a longtemps tenu le positivisme pour responsable de la resistance des chimistes franc,ais a adopter la theorie atomiste, mais cette opinion peu credible est aujourd'hui fortement controversee : en effet, le positivisme de Comte ne niait pas la possibilite d'existence d'objets qui n'etaient pas directement observables, tels que les atomes, mais affirmait seulement que les hypotheses positives etaient celles qui pouvaient etre confirmees ou infirmees par 1'observation ou 1'experience64. N'en deplaise aux philosophies, les doctrines philosophiques n'avaient probablement pas plus d'influence qu'aujourd'hui sur la fac.on dont les chercheurs
Figure 7.10. Joseph Bertrand (1822-1900), mathematicien, ami de Foucault. II a ete partiellement defigure en 1842 lors du premier grave accident de chemin de fer, sur la ligne de Versailles.
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travaillaient. Foucault utilisait certainement le terme « positif » dans le sens de « certain » ou « assure ». Etant donne son obsession de la clarte, les ecrits de Comte devaient lui paraitre irremediablement verbeux et illisibles.
Politique On ne sera pas surpris qu'un chroniqueur scientifique tel que Foucault se tienne a 1'ecart de la politique, mais les evenements de 1848 font exception. Dans sa premiere colonne, Foucault ecrit qu'apres 1'abdication de Louis-Philippe, le 24 fevrier, et la proclamation de la deuxieme Republique 1'Academie n'a pas interrompu le cours de ses seances. Tel on s'etait quitte le lundi 21 fevrier, et tel on s'est retrouve huit jours plus tard ; on s'est separe sans inquietude, on s'est reuni sans trouble. En moins d'une semaine, une revolution s'est accomplie, et le mouvement irresistible qui nous a tous emportes ne nous a pas desunis. Chacun, reprenant sa place, a ete heureux de reconnaitre et de saluer ses voisins ; on croyait se retrouver apres une longue absence, tellement la sensation du temps est influencee par la grandeur et 1'importance des evenements qui signalent son cours. Et pourquoi les hommes qui composent le bureau de 1'Academie auraient-ils fait defaut en pareil circonstance ? Pourquoi les membres de la Compagnie auraient-ils abandonne leur fauteuil ? Pourquoi le public aurait-il manque ? Pourquoi les journalistes auraient-ils neglige d'occuper leurs places reservees ? La science, amie de tous les gouvernemens, ne doit-elle pas rester debout quand meme ? Les commotions qui ebranlent les empires peuvent-elles modifier en rien les grandes lois de la nature, dont la decouverte et la confirmation forment, apres 1'amour du pays, le premier soin des vrais savans ? Tant que 1'ordre sera respecte, tant qu'on laissera a 1'astronome, au physicien leurs nobles instrumens, au chimiste son laboratoire, au geometre sa plume, la science, 1'une des gloires de la France, continuera sa marche ascendante; et nous, fidele a notre poste, nous serons heureux de repeter, comme par le passe, les verites qu'elle nous aura revelees65. On peut deviner dans ces mots une certaine sympathie pour le « mouvement irresistible ». Mais contrairement a ce qu'affirmait Foucault, 1'Academie avait change. En mai, il remarquait que 1'assistance etait moins nombreuse et qu'« une morne indifference » caracterisait les seances. « Le provisoire, disait-il, inquiete les hautes etudes aussi
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bien que les grandes operations industrielles. »66 Deux semaines plus tard, il faisait une autre constatation : Une certaine pudeur retient les savans qui ont voue leur existence aux speculations theoriques, et la parole est toute a ceux qui se sont adonnes plus particulierement aux applications. II semblerait que la science, delaissant et se reprochant les loisirs de la contemplation, se soit levee pour se meler aux travailleurs en disant: Moi aussi, je pretends etre utile a la chose publique; et voici 1'extraction du salpetre des debris des vieux murs, la poudre-coton, la galvanoplastie et mille autres exemples qui montrent que la science ne joue pas dans le monde un role inutile, et qu'elle ne peut encourir le reproche d'elaborer en pure perte de vaines theories. Mais ces resultats materiels qui frappent la multitude et lui font aimer la source dont ils emanent ne suffiraient pas a conserver a la science toute sa dignite, et la decouverte d'un rapport nouveau, d'une harmonic qui charme 1'esprit est, selon nous, une conquete qui, meme au temps ou nous sommes, doit etre accueillie avec la meme faveur que les applications les plus directes [... ] Le champ des applications [... ] ne tarderait pas a etre frappe de sterilite s'il cessait d'etre feconde et vivifie par les bienfaisantes clartes que les recherches theoriques rayonnent et deversent incessamment sur lui.67 Tout favorable qu'etait Foucault a la chute de Louis-Philippe, il n'en fut pas moins horrific par la brutalite du soulevement populaire en juin suivant. Les barricades n'etaient qu'a quelques centaines de metres de 1'Institut, et touchaient le jardin du Luxembourg et 1'Observatoire. Ce soulevement fut de courte duree, et seule la seance de 1'Academie du lundi 26 juin 1848 dut etre annulee. Le rapport de Foucault sur la seance suivante fut bref; il y montrait ses preoccupations : Encore tout emu de la lutte sanglante qui a jete la destruction dans notre grande cite, nous n'avons pas 1'intention de distraire longtemps 1'attention publique au profit d'un simple bulletin scientifique; tout au plus souhaitons-nous de faire acte de presence pour annoncer a nos lecteurs que lundi dernier 1'Academie s'est reunie en seance, et que le deuil n'a pas penetre dans la savante compagnie. [... ] Des que Ton n'aura plus a craindre a tout instant 1'invasion des barbares qui semblent, a un coup de sifflet, sortir de dessous terre; des qu'on pourra deposer les armes, heureux de confier son salut a des lois tutelaires et respectees, croyez que le mouvement scientifique, naguere si rapide, ne tardera pas a reprendre sa vitesse premiere.68 Foucault devait passer sous silence le coup d'Etat du 2 decembre 1852. II est vrai que Louis-Napoleon venait de lui attribuer 10000 francs (voir le chapitre 10). Sans doute suivait-il egalement la politique du journal, qui se bornait a publier les avis officiels. Le Journal
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des Debats avait assez souffert sous Napoleon ler pour ne pas craindre 1'arrivee d'un autre membre du clan. Ce n'est qu'apres que le plebiscite eut legitime le coup d'Etat qu'Armand Bertin exposa la position du journal dans un editorial: silence, mais pas soumission. On ne s'etonnera pas de trouver dans les articles de Foucault quelques attitudes que nous ne tolererions plus aujourd'hui, par exemple sexistes ou racistes. Elles sont cependant attenuees sous sa plume, comme le montre le passage suivant qui parle des differences entre les hommes noirs et les blancs : Mais peut-etre que ces differences ne s'exagerent que pour nous autres hommes qui les envisageons de trop pres, et qui, en considerant notre propre espece, sentons avec une extreme vivacite des differences qui, vues dans une autre espece, perdraient leur importance et donneraient lieu a distinguer de simples varietes.69
II exprime alors une opinion sans ambigui'te centre 1'esclavage : C'est en effet dans ce sens que se prononcent les conclusions des travaux relatifs a 1'anthropologie ; c'est encore dans cette direction qu'agissent les gouvernemens qui se sont associes pour abolir 1'indigne trafic dont la race negre a ete si longtemps la victime et 1'objet.
Souvenons-nous a ce point des ascendances coloniales de Foucault, qui avait sans doute entendu bien des recits sur 1'esclavage de la part de son oncle marin.
La fin des reportages L'activite journalistique de Foucault ne s'est pas terminee brutalement, mais s'est ralentie progressivement (figure 7.8). Le Journal des Debats a continue ses chroniques scientifiques. Mais alors que les feuilletons de Foucault se rarefiaient, le journal commenga a publier des articles de Babinet. C'est finalement un de ses amis, le chimiste Aime Girard (1830-1898), qui succeda a Foucault. Mais rien n'indique, dans le dernier feuilleton de Foucault, public le 11 mai 1862, qu'il devait etre le dernier. L'essentiel de ce dernier article concernait 1'astronomie. Foucault y relatait la decouverte du compagnon de 1'etoile Sirius, dont 1'existence avait ete predite par la mecanique celeste, grace a la nouvelle lunette de 15 pouces de 1'Observatoire de Harvard College aux Etats-Unis. II mentionnait que cette decouverte avait ete rapidement confirmee a 1'Observatoire de Paris grace au plus grand des telescopes qu'il y avait construit ; nous en reparlerons au chapitre 13. Le reste du feuilleton contenait une analyse favorable du troisieme
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volume du traite d'artillerie du Colonel Ildephonse Fave, un des aides-de-camp de 1'Empereur, professeur a 1'Ecole polytechnique. Foucault connaissait Fave (1812-1894), qui lui avait ecrit pour lui annoncer au moins une des subventions que Louis-Napoleon lui avait accordee, et on ne peut s'attendre a ce que Foucault ait critique son livre. Bien lui en prit, car trois ans plus tard, cette amabilite a du arranger les choses lorsqu'ils postulaient tous deux un siege a 1'Academie. Quel fut 1'impact des articles de Foucault ? Ses amis le nommaient plaisamment « le jeune folliculaire », mais il est probable que 1'erudition et 1'intelligence de ses ecrits passaient au-dessus de la tete de la plupart des lecteurs du Journal des Debats. En 1853, Donne trouva les explications de Foucault sur son pendule et son gyroscope trop complexes, et publia lui-meme un feuilleton sur ce sujet a 1'intention « des hommes et des femmes du monde qui me liront a la legere [... ] 1'auteur ayant lui-meme expose ici ses travaux a 1'intention des gens graves... »70. Une opinion analogue a celle de Donne se retrouve dans un texte public en 1889 a 1'occasion du centenaire du Journal des Debats : « Son style etait froid, un peu sec; il exposait nettement, facilement, mais ses descriptions manquaient de mouvement et d'eclat [... ] II ecrivait avant tout pour un petit cercle, pour son monde et pour 1'Academic. »2 Ce « petit cercle », de son cote, appreciait beaucoup les articles de Foucault. Son ami mathematicien Joseph Bertrand, devenu 1'un des secretaires perpetuels de 1'Academie, ecrivait plus tard : II montra, des le debut, beaucoup de sens, beaucoup de finesse et une liberte de jugement temperee par plus de prudence qu'on n'en attendait d'un esprit mordant et severe. Ses premiers articles furent remarques, ils etaient spirituels [... ] et, dans un role ou la mediocrite est insupportable, il obtint un succes complet... On loua la precision de ses resumes, on remarqua d'ingenieux conseils, on admira plus d'une fois des vues droites et nouvelles. Le lecteur pourra en juger par lui-meme en lisant quelques extraits de colonnes de Foucault que nous reproduisons dans 1'AppendiceB71.
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Cette page est laissée intentionnellement en blanc.
Chapitre 8 Succes et deceptions Collaboration Foucault dut apprecier de travailler avec Fizeau sur les interferences et la polarisation. C'etait un vrai travail de physicien : leurs experiences visaient a verifier des hypotheses physiques, notamment sur la nature de la lumiere. Ces recherches avaient en outre ete bien regues par la communaute scientifique. Foucault appreciait les collaborations, cornme le montre ce texte de 1845 : Vous traitez une question de physique ; mais peut-etre que les mathematiques d'une part et la chimie de 1'autre auraient a vous offrir de bien utiles secours. Dans ce cas, on s'adjoint ou un mathematicien ou un chimiste, on double ses forces, on accroit ses ressources, et Ton ne peut manquer de realiser de bien meilleurs travaux.1
C'etait a 1'epoque un point de vue tres moderne, emanant d'un vrai professionnel de la recherche. II explique pourquoi Donne avait recrute Foucault : les deux hommes se completaient parfaitement. La collaboration de Foucault avec Fizeau etait moins fondee sur une quelconque complementarite que sur le plaisir de travailler ensemble : ils etaient tous deux des experimentateurs habiles, tout a fait aptes a travailler seuls. II se peut cependant que des considerations pratiques aient joue un role, par exemple la possibilite de disposer d'un espace suffisant pour realiser leurs experiences, et de partager les depenses. Nos deux chercheurs etaient cependant differents sur quelques points. Contrairement a Foucault, Fizeau n'avait pas peur des mathematiques. II s'interessait surtout a la recherche fondamentale, c'est-a-dire a la comprehension des lois naturelles, tandis que Foucault preferait les applications pratiques. Les voies des deux jeunes gens finirent d'ailleurs par se separer. En 1849, Fizeau partit mesurer la vitesse de la lumiere. La fascination de Foucault pour la mecanique trouva a s'exprimer a la fin des annees 1840 dans 1'entretien des mouvements d'horlogerie et sur la regulation de 1'arc electrique. Cependant, au moment ou sa carriere semblait s'epanouir, les inventions de Foucault ne connurent pas le meme succes que ses experiences precedentes avec Fizeau.
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Figure 8.1. La coupole de 12 metres de diametre erigee par Arago en 1845-47 sur la tour est de 1'Observatoire de Paris. La lunette qu'elle contient fut installee en 1855, mais son objectif se deteriora rapidement. La lunette est supportee rigidement par une curieuse araignee metallique, qui repartit les efforts autour de la voute situee en dessous.
Le pendule conique Au cours des annees 1830, Arago s'etait procure, aupres de 1'opticien N.J. Lerebours (1761-1840), un objectif de 10 centimetres de diametre, et avait charge le constructeur d'instruments Henri-Prudence Gambey de 1'installer dans une nouvelle lunette equatoriale a 1'Observatoire de Paris. Dix ans plus tard, Arago decida d'acquerir une nouvelle lunette bien plus puissante pour explorer la nature physique des planetes, etudier les satellites de Saturne, et rechercher des anneaux et des satellites d'Uranus, la nouvelle planete decouverte par Le Verrier. On ne savait pas quel diametre dormer au nouvel objectif. Lerebours avait commence a travailler sur des lentilles de 38 centimetres, mais il etait peut etre plus prudent de se limiter a 19 centimetres. Neanmoins, Arago decida de construire une grande coupole pour y installer la future lunette, qui devait etre placee sur la tour est de la terrasse de 1'Observatoire afin de viser au-dessus des immeubles qui poussaient partout dans Paris (figure 8.1). Foucault fut impressionne par cette construction : « Qui n'a remarque, en jetant les yeux sur 1'Observatoire, rimmense calotte hemispherique qui s'eleve sur la partie gauche de ce monument sombre et severe ? » demandait-il en 18472. II etait motive par « 1'esperance
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de concourir pour une certaine part a 1'edification du colossal instrument que 1'astronomie reclame »3. Sa contribution serait un mouvement d'horlogerie destine a entrainer la monture de la lunette pour lui permettre de suivre les etoiles. Ce mouvement serait debarrasse du manque d'isochronisme de nombreux mouvements*. Le cceur de toute horloge est un dispositif physique isochrone, c'est-a-dire qui se repete continuellement de fac,on identique a luimeme. La premier dispositif convenable fut suggere par Galilee vers 1583, puis realise par Huygens cent ans plus tard, sous la forme de 1'echappement des horloges a balancier. Les oscillations du balancier d'une horloge, qui n'est autre qu'un pendule, sont cependant freinees par la resistance de Fair et les frictions dans la suspension. C'est ici que Vechappement joue son role essentiel (figure 8.2). II applique a chaque oscillation une force sur une ancre solidaire du pendule, force qui entretient son mouvement4. Comme la resistance de 1'air et les pertes par friction augmentent avec 1'amplitude du balancier, cette amplitude croit jusqu'a ce que les pertes soient exactement compensees par 1'energie fournie par 1'echappement. Dans une horloge ordinaire, il n'y a pas d'inconvenient a ce que les aiguilles, qui sont liees a la roue d'echappement par des engrenages, avancent par saccades comme cette roue. Mais cela n'est pas tolerable dans le mouvement d'horlogerie qui pilote la monture equatoriale d'une lunette ou d'un telescope (figure 3.7), ou bien d'un heliostat. Leur mouvement doit etre continu pour bien suivre les etoiles ou le Soleil. Pour la premiere lunette equatoriale construite par Gambey dans les annees 1830, les saccades etaient attenuees par des ressorts et un regulateur a ailettes dans le train d'engrenages. « Bien que cette belle machine, sortie des mains de Gambey, ait fonctionne d'une maniere satisfaisante ecrivait Foucault, on ne la considere plus aujourd'hui comme representant la solution definitive de la question. »5 Foucault avait sans doute commence a reflechir a 1'entrainement des lunettes astronomiques au printemps de 1847, en ecrivant la notice necrologique de Gambey, qui venait de mourir. Gambey aurait du construire 1'entrainement de la nouvelle lunette d'Arago, et son idee etait d'utiliser un moteur puissant muni d'un regulateur centrifuge2. Nous reparlerons de ces regulateurs au chapitre 16. Mais Foucault avait une autre idee, qui consistait a utiliser un mouvement d'horlogerie traditionnel, ou le balancier simple serait remplace par un pendule conique (figure 8.3). Huygens avait deja pense construire une horloge a pendule conique, « mais cette idee n'a jamais ete, que je sache, 1'objet d'aucune application serieuse et durable », notait Foucault5. * Le probleme de 1'isochronisme devait a nouveau occuper Foucault dans les dernieres annees de sa vie.
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Figure 8.2. L'echappement est un element cle dans une horloge. La roue d'echappement entrainee par un poids ou un ressort donne a chaque oscillation une legere impulsion a 1'ancre solidaire du balancier, ce qui entretient son mouvement. Les extremites de 1'ancre s'engagent et se desengagent alternativement des dents de la roue d'echappement, laquelle tourne d'un cran a chaque oscillation. L'energie est transmise au pendule au moment ou la dent glisse sur le bord incline de 1'ancre.
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Figure 8.3. Le poids d'un pendule simple oscille dans un plan de par) et d'autre de la verticale. Celui d'un pendule conique tourne circulairement autour de la verticale,
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Un pendule conique doit pouvoir tourner librement dans les deux directions perpendiculaires. Foucault pensa au debut utiliser une suspension a la Cardan, puis il imagina un systeme plus simple et plus facile a regler, utilisant deux lames de couteau perpendiculaires. II est represente figure 8.4. Le mouvement est entretenu par un simple doigt tournant L, qui presse sur une petite tige t prolongeant 1'axe du pendule. Le mouvement est done continu, et non saccade comme dans le cas du pendule simple. Foucault presenta son mouvement a 1'Academic lors de la seance du lundi 26 juillet 1847, puis a la Societe philomatique le samedi suivant. II est probable qu'il 1'a entierement realise lui-meme, peutetre en utilisant quelques elements achetes dans le commerce. Son memoire ne mentionne pas la contribution d'un horloger ; or, plus tard, Foucault a cite tres scrupuleusement les constructeurs qui lui ont fourni des instruments. La figure 8.4 est adaptee du manuscrit original conserve dans les archives de 1'Academic. Le pendule etait constitue d'une « forte piece metallique »inclinee a 20° de la verticale. Cette amplitude est tres superieure a celle que Ton utilise generalement pour des balanciers simples. Pour ces derniers, le choix d'une faible amplitude correspond a une recherche d'isochronisme : les oscillations d'un pendule simple ne sont pas strictement isochrones, la periode augmentant legerement avec 1'amplitude, proportionnellement a son carre. Par exemple, une horloge dont le balancier aurait une amplitude de 20° retarderait de 11 minutes par jour par rapport a une horloge identique dont le balancier n'aurait qu'une amplitude de2°. Bien sur, 1'echappement maintient plus ou moins constante 1'amplitude d'un pendule simple. Mais tout changement dans 1'energie communiquee par 1'echappement, du par exemple au deroulement du ressort moteur ou a des irregularites dans les rouages d'entrainement, produit un changement d'amplitude, done de periode du pendule. Get effet est tres faible si 1'amplitude est petite, ce qui permet de construire de bonnes horloges a balancier, mais il devient important si 1'amplitude du pendule est trop grande. Revenons au pendule conique de Foucault. Le mouvement d'un tel pendule peut etre considere comme la composition des mouvements de deux pendules simples, oscillant dans deux directions perpendiculaires avec un decalage d'un quart de periode. Si le pendule a un mouvement elliptique et non circulaire, les deux mouvements elementaires ont des periodes legerement differentes, puisque leurs amplitudes ne sont pas les memes. L'ellipse decrite par le pendule se met alors a tourner comme le montre la figure 8.5, et la periode de rotation est alteree. II est done tres important que le pendule conique ait un mouvement bien circulaire. Pour lancer un tel mouvement, Foucault
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utilisait un disque qu'il faisait tourner manuellement, lequel entrainait une pointe prolongeant 1'axe du pendule. Ce disque presentait aussi 1'interet d'eviter que le pendule ne s'abimat quand on 1'arretait. Une fois le pendule lance, la resistance de 1'air suffisait a maintenir son mouvement bien circulaire, ce que Foucault avait constate sans en comprendre la cause. La reaction a son invention ne fut pas ce qu'esperait Foucault. On peut lire sa deconvenue dans le Journal des Debuts : Avant meme d'entreprendre aucune construction, nous avons consulte des personnes competentes, nous avons compulse divers ouvrages d'horlogerie pour nous assurer que notre idee fut neuve ; nos recherches nous ont laisse croire qu'elle 1'etait en effet. Toutefois, depuis le jour ou nous avons fait notre presentation, des machines analogues ont surgi de tous cotes, et parmi elles on en trouve qui presentent avec la notre une ressemblance incontestable. En presence de ces faits, devons-nous retirer notre proposition et abandonner une idee dont personne ne saurait designer au juste le premier auteur ? Souffrirons-nous sans plainte que 1'on confonde a plaisir un projet d'horloge applicable aux usages astronomiques avec la conception puerile d'une pendule d 'alcove, ou de malade et qui ne fait pas de bruit ? Aussi, malgre la resurrection de toutes ces pieces curieuses, nous avons 1'esperance que nos efforts ne seront pas comptes pour rien si 1'on applique un jour le pendule conique a la direction des lunettes parallatiques [c'est-a-dire equatoriales].3
De surcroit, un certain M. Pecqueur avait depose un pli cachete concernant l'isochronisme du pendule conique, et devait montrer a 1'Academie un modele en etat de marche, quinze jours seulement apres avoir vu celui de Foucault6. Les commissaires designes par 1'Academic pour examiner le pendule etaient Arago, ce qui ne nous etonnera pas, et deux autres astronomes, Victor Mauvais (1809-1854) et Ernest Laugier (1812-1872); ce dernier epousa plus tard la niece d'Arago, celle a qui Arago devait dieter son Astronomic Populaire. Mais il n'y eut pas de rapport, et le projet de Foucault pour rentrainement de la lunette ne fut pas adopte par 1'Observatoire. Un defaut possible de ce dispositif etait le fait qu'une perturbation du pendule mettait plusieurs minutes a s'amortir. On choisit finalement une horloge standard ; la monture equatoriale est due au constructeur d'instrument Brimner (1802-1862, son prenom est inconnu)7. Ce ne fut done pas un succes pour Foucault. C'est sans doute la raison pour laquelle il ne mentionne pas le pendule conique dans les notices de titres et travaux qu'il redigea plus tard pour sa candidature a 1'Academie des sciences8.
Figure 8.4. La suspension du pendule conique de Foucault. Afin que le pendule puisse s'incliner dans toutes les directions, il reposait sur deux couteaux perpendiculaires (en gris clair). L'un, pointant vers le haut et situe dans le plan de la figure, supporte deux plans P graves d'un trait, qui sont fixes a 1'axe du pendule. L'autre, pointant vers le bas, s'appuie sur un plan horizontal P', egalement grave d'un trait, qui est fixe rigidement au bati. Les deux couteaux sont solidaires 1'un de 1'autre grace a des agrafes. Les details de I'echappement sont visibles en haut de la figure. Un disque tournant, en bas, sert a lancer le pendule sur sa trajectoire circulaire.
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Figure 8.5. Si un pendule conique decrit une ellipse, les amplitudes a et b des deux mouvements dans lesquels on peut decomposer celui du pendule sont differentes. Les periodes correspondantes etant legerement differentes puisque le pendule n'est pas isochrone, 1'ellipse tourne d'un angle A a chaque rotation. Ces phenomenes sont tres fortement exageres dans la figure. L'ellipse tourne dans le sens de rotation du pendule. Cela s'accompagne d'un changement de periode.
Figure 8.6. Sir George Biddell Airy (1801-1892), Astronome royal.
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La lunette elle-meme ne fut pas non plus une reussite. Le Bureau des Longitudes, dont dependait 1'Observatoire, decida finalement acheter 1'objectif de 38 centimetres de Lerebours, qui avait ete termine par son fils, N.M.P. Lerebours (celui-la meme qui avait essaye le premier de photographier le Soleil). Get objectif avait un diametre semblable a celui des plus grandes lunettes de 1'epoque, qui se trouvaient a 1'Observatoire de Poulkovo en Russie et au Harvard College Observatory aux Etats-Unis. Le prix de 20 000 francs paraissait raisonnable, mais la qualite n'y etait pas car le verre s'est bientot abime9. L'espoir de Foucault ne fut cependant pas totalement vain car un pendule conique fut utilise plus tard par la societe Warner and Swasey10. Mais entre temps, Foucault avait utilise d'autres methodes pour entrainer les telescopes, comme nous le verrons dans les chapitres suivants.
La distribution de 1'heure astronomique Ce n'est que vers 1972, avec 1'introduction des horloges atomiques, que la determination de 1'heure passa du domaine des astronomes a celui des physiciens. Auparavant, une des grandes activites de 1'astronomie etait de determiner le temps a partir des observations du Soleil et des etoiles. Les observatoires possedaient alors les horloges les plus precises, et les astronomes se preoccupaient sans cesse de les perfectionner. Par exemple, 1'Astronome royal anglais, Sir George Airy (figure 8.6), avait conc.u un echappement ameliore11. II fallait aussi distribuer 1'heure. Les jours clairs, les Parisiens pouvaient entendre un coup de canon provenant du Palais Royal; la meche en etait allumee, au midi local, par le rayonnement du Soleil focalise par une lentille. Pour obtenir une meilleure precision, les horlogers et les navigateurs reglaient leurs montres et leurs chronometres sur le temps de 1'Observatoire. Bien que les astronomes de 1'Academie soient restes muets sur le pendule conique de Foucault, ils eurent recours a ses competences pour la distribution du temps. Le responsable de cette distribution etait un astronome nouvellement elu a 1'Academie, Herve Faye (1814-1902). Faye, comme d'autres et notammment Arago, pensait qu'on pouvait utiliser le telegraphe electrique pour distribuer 1'heure12. De son cote, un physicien et astronome bavarois tres inventif, Karl August Steinheil (18011870), avait suggere qu'une horloge maitresse pourrait distribuer le temps dans toute une ville en pilotant des horloges esclaves grace a des signaux electriques. Un tel systeme fut installe en 1844 a Lyon par 1'horloger Louis Breguet, dont nous aurons 1'occasion de reparler au prochain chapitre. Un dispositif semblable de distribution de 1'heure avait ete presente en 1845 a 1'Academie par un Ecossais
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nomme Alexander Bain (1810-1877), et Foucault 1'avait mentionne, remarquant toutefois que les horloges esclaves dependaient trop de la qualite du courant electrique13. Pour distribuer 1'heure a 1'interieur de 1'Observatoire grace a I'electricite, Faye s'adressa a Foucault, « une personne habituee a faire fonctionner [un systeme electrique] sous toutes les formes »14. Cela implique que Foucault avait fait davantage d'experiences sur 1'electricite que ne le laissent supposer ses publications. Sa suggestion fut tres simple. Le courant de 1'horloge-mere passait par le balancier, et le contact se faisait de chaque cote a 1'elongation maximum de ce balancier par un « ressort tres flexible ». Comme la periode des pendules etait generalement de deux secondes, on obtenait une impulsion chaque seconde15. Ces impulsions etaient transmises aux horloges esclaves. Foucault proposa deux solutions pour realiser les horloges esclaves. Dans 1'une, une plaque de fer doux etait suspendue entre deux electroaimants, dont chacun etait actionne alternativement par le courant provenant d'un des contacts de 1'horloge maitresse. La plaque etait done attiree tour a tour par 1'un ou 1'autre des electroaimants, et 1'astronome pouvait entendre le claquement de la plaque sur le pole de 1'electroaimant. Dans 1'autre solution, moins tributaire de la qualite des contacts dans 1'horloge maitresse, les electroaimants attiraient une masse de fer fixee au balancier d'une horloge deja bien reglee. Cela assurait 1'entretien de cette horloge et assujettissait sa periode a celle de 1'horloge maitresse, meme si 1'amplitude des impulsions etait irreguliere. Par ailleurs, ce dispositif necessitait peu de courant, et les piles qui le fournissaient pouvaient durer des mois. C'est apparemment la premiere fois que quelqu'un a suggere qu'on puisse synchroniser des horloges avec 1'electricite ; seize ans plus tard, Foucault ne manqua pas de le rappeler a un certain M. Verite, un horloger qui avait applique ce principe aux horloges de la Gare du Nord et qui avait ingenument suggere a I'Academie que cette innovation pourrait etre de quelque utilite pour 1'astronomie16. Les idees de Foucault et de Faye ne firent pas 1'objet d'une application immediate. II fallut attendre les annees 1850 ou Le Verrier fit installer, dans les catacombes situees sous 1'Observatoire, une horloge construite par Emmanuel Liais (1826-1900), de Cherbourg. La transmission electrique de 1'heure devait ensuite se repandre largement dans les villes, les chemins de fer et les observatoires17.
L'automatisation de Tare electrique En 1840, Paris n'etait eclaire que par des lampes a huile. II n'est done pas etonnant que Ton ait essaye 1'arc electrique pour eclairer
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Figure 8.7. L'illumination de la place de la Concorde avec 1'arc electrique.
les rues, des que les piles de Bunsen furent disponibles. Les premiers essais sont dus a un inventeur du meme age que Foucault, HenriAdolphe Archereau (1819-1893), et a Deleuil, le fournisseur des piles de Bunsen18. L'Illustration, le nouvel hebdomadaire illustre de Paris, presentait une gravure de la place de la Concorde ainsi eclairee, dont la legende disait : « Eclairage au gaz sideral », ce qui etait doublement absurde puisque ni le gaz, ni les etoiles n'avaient a voir avec cet eclairage19. D'apres Figuier, Deleuil et Foucault recommencerent 1'annee suivante rillumination de la place de la Concorde (figure 8.7). « Je constatai que Ton pouvait lire un journal au pied de 1'obelisque, ecrivait-il, malgre la nuit noire [... ] et le brouillard qui s'etendait partout. »20 Figuier ecrivait quarante ans apres I'evenement, que personne d'autre que lui ne parait avoir relate ; il est done probable qu'il a fait une confusion, et que rillumination a laquelle il a assiste etait celle d'Archereau, qui eut effectivement lieu par une nuit de brouillard21. Que Foucault ait participe ou non a rillumination de la place de la Concorde, il ne se faisait aucune illusion sur 1'utilite de 1'arc electrique pour 1'eclairage public : « II ne faut pas avoir manie bien longtemps cette lumiere pour se faire une opinion sur son compte, ecrivait-il en 1845, et se resigner a ne la considerer encore que comme une magnifique experience de physique. »22 II etait cependant toujours preoccupe par 1'entretien de 1'arc. Apres en avoir
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Figure 8.8. Le premier arc electrique automatique de Foucault, termine au debut de 1848. Les fleches indiquent le sens du courant qui etait utilise pour reguler la separation des electrodes. Le trou carre situe derriere Tare mesure environ 10 centimetres de cote : on voit que 1'appareil etait fort encombrant. Les charbons de 1'arc etaient montes sur deux chariots B' et B. Les ressorts P' et P tendaient a rapprocher les chariots, mais ces chariots etaient retenus par des cordes. Une des cordes reunissaient les deux chariots par 1'intermediaire du levier L, et 1'autre corde, attachee au chariot de droite B, exergait done son action sur les deux chariots a la fois. Elle etait tiree par un mouvement d'horlogerie R qui tendait a separer les electrodes. Le courant alimentant 1'arc passait en serie dans 1'electroaimant E, qui agissait sur une armature et une tige solidaire D, maintenues par le ressort C. Si le courant etait fort, 1'armature etait attiree et la tige bloquait le mouvement d'horlogerie, si bien que les electrodes ne bougeaient pas. Si le courant baissait, le mouvement etait libere et les chariots et les electrodes se rapprochaient jusqu'a ce que le courant redevienne normal.
termine avec le pendule conique, Foucault entreprit la construction d'un « mecanisme intelligent », et vit pour la premiere fois au printemps de 1847, les electrodes de 1'arc s'ajuster d'elles-memes au bon ecartement. « Ma mere fut temoin de ce premier essai, ecrivit-il, elle en comprenait la portee et sa foi fut grande. »23 Foucault termina son mecanisme au moment de la Revolution de fevrier 1848. « Publier alors eut ete le plus prudent, ecrivit- il plus tard, mais nous aurions rougi, au milieu des tourmentes qui agitaient le pays, de pretendre interesser le public aux secrets du laboratoire [... ] »24 « II me repugnait de presenter un simple moyen d'etude, un pur outillage ; dans mon esprit, 1'instrument ne devait passer qu'en seconde ligne et ne paraitre qu'apres avoir servi a elucider quelque question nouvelle. »23 En revanche, ecrivait-il, « Je me plaisais a grouper autour de mon nouvel appareil les experiences d'optique les plus brillantes et les plus delicates. »24 L'appareil de Foucault est montre figure 8.8. Get appareil pouvait fonctionner aisement pendant une heure. On reglait le courant, done 1'intensite de 1'arc, en ajustant les armatures et aussi a 1'aide de plaques de platine trempant plus ou moins dans un acide, en M. L'intensite du courant etait sans doute de 1'ordre de 10 amperes25. Foucault aurait peut-etre rougi de presenter cet appareil etrange a 1'Academie. Mais il 1'a montre a ses amis et a ses collegues, en particulier au constructeur d'instruments Gustave Froment, qui en avait fourni quelques elements. Froment (figure 8.9) faisait partie d'une nouvelle race de constructeurs d'instruments qui avaient fait des etudes scientifiques.
Figure 8.9. P.G. Froment (1815-1865), « un jeune constructeur fort habile »26 qui fournit des elements du regulateur de 1'arc et construisit plus tard les meilleurs instruments de Foucault.
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Figure 8.10. L'appareil brevete de Staite pour 1'eclairage electrique, gravure parue dans The Illustrated London News.
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« Froment etait ne mecanicien comme d'autres sont nes poetes. »27 II etait sorti de 1'Ecole poly technique en 1837, avait passe quelques temps a Manchester pour etudier les grosses machines, puis etait entre dans 1'atelier de Gambey en 1840. Trois ans plus tard, il s'etablissait a son compte. Son habilete manuelle etait telle qu'on dit qu'il etait capable de couper un cheveu en quatre et de percer un trou tout au long d'une aiguille! Sa reputation etait surtout due a des machines electriques (incluant 1'invention de la sonnette electrique et d'une machine a diviser precise au micrometre), mais il fabriquait aussi des instruments purement mecaniques. II a realise plus tard les instruments les plus importants de Foucault. Foucault n'eut pas plus de chance avec son servo-mecanisme qu'avec son pendule conique. En Angleterre, un certain W. Edward Staite (1809-1854) avait realise, en association avec un ingenieur, William Petrie (1821-1904), un mecanisme du meme genre qui lui avait coute dix ans de travail (figure 8.10).28 Ce mecanisme avait ete decrit et illustre le 18 novembre 1848 dans The Illustrated London News, puis utilise trois semaines plus tard pour illuminer Trafalgar Square29. Foucault fut desespere en 1'apprenant. Que faire ? Comment « reserver ici nos titres d'inventeur, et prevenir, par une prompte publicite, la douleur de nous voir arracher le fruit de nos propres travaux » ? devait-il ecrire plus tard. II soumit precipitamment un court memoire a 1'Academie, dans lequel il demandait qu'une commission vienne examiner son appareil, et temoigner qu'il lui aurait ete impossible de le construire dans le bref delai qui s'etait ecoule apres que 1'invention anglaise fut devenue publique30. Son memoire finissait par ces lignes : Ainsi, la Commission se convaincra, je 1'espere, que je suivais une ligne bien determinee, et que, dans ces conjonctures si facheuses pour moi, j'ai ete victime du desir de ne soumettre a 1'Academie qu'un travail complet.
Figure 8.11. Le chimiste et nomine d'Etat J.B.A. Dumas (1800-1884) a confirme 1'originalite du travail de Foucault sur la regulation de 1'arc electrique. Foucault lui en fut reconnaissant, et lui dedia plus tard sa these de doctorat.
L'Academic le comprit, et designa deux commissaires. L'un etait Victor Regnault, dont nous avons deja parle. L'autre etait JeanBaptiste Dumas (figure 8.11), un chimiste tres influent, professeur a la Sorbonne, a 1'Ecole polytechnique et a 1'Ecole de medecine. Dumas avait de nombreux eleves et ses cours etaient tres suivis. Regnault et Dumas firent leur inspection des la fin de la seance, pour conclure que « les precedes imagines par M. Foucault 1'ont ete d'une maniere originale et independante de ceux que M. Staite a inventes de son cote dans le meme but. »31 Cependant, une autre surprise desagreable attendait Foucault : Staite avait brevete son invention non seulement en Angleterre, mais
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III
aussi en France32 ! Foucault se precipita au ministere du Commerce pour examiner ce brevet. II vida son cceur dans le Journal des Debats : Etrange position que celle des savans qui poursuivent na'ivement leurs ingrates etudes ! De leurs mains liberates s'echappent successivement la pile, la flamme volta'ique, 1'electroaimant ; puis quand ils s'avisent de grouper en faisceaux les instrumens qu'ils ont forges a la sueur de leur front, il suffit d'un brevet pour leur en prohiber 1'usage [... ] Nous vous abandonnons sans regret applications et benefices, mais respectez I'amphitheatre ou Ton enseigne, respectez surtout 1'humble asile ou s'elaborent les decouvertes, elemens de vos richesses.33 L'article continuait par un hommage aux f abricants d'instruments qui lui avaient fourni des parties de ses appareillages: des lentilles et cristaux « d'une beaute superieure » provenant de Charles Chevalier et d'un autre opticien, J.B.F. Soleil (1798-1878), lequel avait fabrique la plupart des appareils de Fresnel, et des elements mecaniques dus a un horloger, un certain M. Chaude, et bien sur a Froment. II terminait ainsi: En les remerciant ici, nous ne pensions pas etre quitte envers eux : notre intention etait de leur livrer nos plans. Leur sera-t-il permis d'en user ? C'est la le point de droit qui reste a eclairer; nous consulterons les hommes competens, et nous apprendrons d'eux la mesure des rigueurs de nos lois envers la science. Sans doute les inventions anglaises et franchises avaient-elles ete jugees trop semblables, car Foucault abandonna tout travail sur 1'arc electrique pendant quinze ans, la duree du brevet. Certes, quelques elements de 1'invention de Staite et Petrie n'etaient pas nouveaux, mais les brevets frangais etaient attribues sans garantie du Gouvernement que les inventions fussent reellement nouvelles et brevetables34. Contournant ou rachetant les droits du brevet, Jules Duboscq (1817-1886), le gendre et successeur de Soleil, presenta a 1'Academic en 1850 un regulateur pour lampe a arc sans mouvement d'horlogerie, puis avec mouvement d'horlogerie (figure 8.12). Nous y reviendrons au chapitre 16. Le pendule conique et 1'arc asservi etaient des realisations purement technologiques. Foucault ne fit qu'une seule experience proprement scientifique a la fin des annees 1840, que nous nous contenterons de mentionner. Nous avons vu qu'avec Fizeau, il savait produire des plages colorees en utilisant la polarisation chromatique. Dans cette nouvelle experience faite avec son ami Jules Regnauld, ces couleurs ont ete utilisees pour etudier quelques points de la physiologic de la vision des couleurs35.
Figure 8.12. La lampe a arc regule de Duboscq des annees 1850 incorpore un mouvement d'horlogerie simple et une commande electromagnetique.
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Un lever de soleil a 1'Opera
Figure 8.13. Giacomo Meyerbeer, compositeur (1791-1864). L'utilisation de 1'arc electrique de Foucault pour simuler le lever du Soleil dans son opera Le Prophete marqua le debut des relations suivies entre Foucault et les constructeurs d'instruments de precision.
Malgre le brevet anglais, 1'arc electrique de Foucault devait servir au public — mais a 1'Opera ! Ce fut dans Le Prophete de Giacomo Meyerbeer (figure 8.13), un compositeur extremement populaire a 1'epoque, bien decrie ensuite mais qui revient a 1'honneur de nos jours. Les representations du Prophete eurent lieu dans une salle de la rue Le Peletier, ou se trouvait alors 1'Opera. Ce fut un succes immediat. Le chef decorateur, Edmond Duponchel, ne reculait devait rien pour obtenir des effets susceptibles de surprendre et d'enchanter le public, et on ne saurait s'etonner qu'il ait utilise la lampe a arc de Foucault pour simuler le lever du Soleil au troisieme acte. « L'effet du lever du Soleil est une des choses les plus neuves et les plus belles que Ton ait vues au theatre », ecrivait un critique. « Grace a la lumiere electrique, nous avons vu un vrai soleil, qu'on ne pouvait regarder fixement sans etre ebloui, et dont la lumiere se projetait jusqu'au fond des loges plus reculees de la scene. »36 Le « soleil » etait une copie de 1'arc regule de Foucault, construite par Froment pour 350 francs37. L'« appareil electrique » est cependant revenu a un total de 1200 francs, probablement a cause des piles de Bunsen qui etaient necessaires. Ce n'etait cependant pas la premiere fois qu'on utilisait 1'arc electrique a 1'Opera, mais c'est la lumiere electrique du Prophete qui obtint « les applaudissements les plus unanimes »38. Cependant, ce ne furent ni Foucault ni Froment qui fournirent les appareils simulant l'arc-en-ciel, les eclairs et les fontaines lumineuses qui devaient bientot devenir des accessoires habituels de la mise en scene des operas. L'encombrant instrument de Foucault fut bientot remplace par 1'appareil plus compact de Duboscq, et ce fut ce dernier qui fournit ulterieurement tous les effets electriques au theatre39. C'est Foucault lui-meme qui faisait fonctionner 1'arc electrique du Prophete, et on pouvait le voir transporter sous le bras le miroir reflecteur associe a cet arc40. Mais il fut sans doute lasse des exigences de Meyerbeer, car a la fin de 1'annee, un certain M. Lormier, qualifie de « physicien », etait paye 10 francs par representation pour s'occuper du soleil41. Et il y avait encore mieux que le lever du soleil : le dernier acte du Prophete comportait un ballet de patineurs sur glace (en fait sur patins a roulettes !)42.
Une decouverte inexploitee: le renversement des raies D du sodium Les charbons qu'utilisait Foucault pour son arc ne lui donnaient pas toute satisfaction. II experimente des electrodes fabriquees a partir
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de sucre chauffe sous pression, ou avec divers metaux. II projetait 1'image de Tare sur un ecran pour en examiner Taspect, et aussi sur la fente d'un spectroscope pour en faire un spectre, comme dans ses experiences avec Fizeau. Foucault constata que le spectre de 1'arc au charbon etait« sillonne » de raies brillantes. Parmi elles, se trouvait une paire de raies jaune-orange qui rappelaient les raies D de Fraunhofer dans la meme region du spectre du Soleil43. II aurait fallu, pour voir qu'il s'agissait des rnemes raies, mesurer Tangle de deviation donne par le prisme, mais Foucault ne disposait pas du materiel necessaire. II focalisa done 1'image du Soleil sur Tare, afin de pouvoir observer simultanement le spectre du Soleil et celui de 1'arc. II constata que les raies brillantes de Tare coi'ncidaient exactement avec les raies sombres du spectre solaire. II n'aurait pas du en etre surpris, car Fraunhofer avait deja remarque, en 1817, que les raies D solaires coi'ncidaient avec des raies du spectre de flammes44. Foucault etait un observateur meticuleux, et il constata des effets inattendus. Tout d'abord, 1'arc lui-meme, que traversait la lumiere provenant du Soleil, etait extremement transparent. Ensuite, il remarqua que les raies D du spectre solaire devenaient plus sombres dans la partie de ce spectre pour laquelle la lumiere traversait 1'arc. II confirma cet effet en focalisant, cette fois avec un miroir concave, 1'image d'une des electrodes de charbon sur 1'arc lui-meme : 1'electrode incandescente produisait un spectre continu, sans raies d'emission ni d'absorption, mais quand elle etait vue a travers 1'arc Foucault observait des raies D sombres, ce que nous avons simule figure 8.14. On aurait pu pourtant s'attendre a observer des raies brillantes, puisque la lumiere de 1'arc s'ajoutait a celle de 1'electrode incandescente. « Ainsi 1'arc nous offre un milieu qui emet pour son propre compte les rayons D, et qui, en meme temps, les absorbe lorsque ces rayons viennent d'ailleurs », conclut Foucault. Foucault observa par ailleurs que les raies D apparaissaient, avec des intensites variees, dans la lumiere produite avec toutes sortes d'electrodes metalliques, et qu'elles etaient considerablement renforcees quand on touchait 1'electrode avec de la potasse, de la soude ou de la craie. II remarqua judicieusement: « Avant de rien conclure de la presence presque constante de la raie D, il faudra sans doute s'assurer si son apparition ne decele pas une meme matiere qui serait melee a tous nos conducteurs. » Nous savons aujourd'hui que ces raies proviennent du sodium, que Ton trouve effectivement un peu partout sous forme de traces. II continuait de fac.on tout aussi prophetique : Neanmoins, ce phenomena nous semble des aujourd'hui une invitation pressante a 1'etude des spectres des etoiles, car, si par
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Figure 8.14. (A gauche) Foucault projetait, a 1'aide d'un miroir concave, 1'image d'une des electrodes incandescentes sur 1'arc electrique lui-meme, et faisait 1'image d'une tranche verticale du tout sur la fente d'un spectroscope, 1'electrode etant done vue a travers le gaz incandescent qui formait 1'arc. (A droite) Le spectre montrait que 1'arc emettait les raies D, mais que ces raies apparaissaient sombres (en absorption) dans le spectre continu du charbon, qui emet a toutes les longueurs d'onde.
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bonheur on y retrouvait cette meme raie, 1'astronomie stellaire en tirerait certainement parti. II nota enfin que le spectre d'un arc avec des electrodes d'argent est domine par une raie verte tres intense, que Ton pourrait utiliser pour des experiences d'optique requerant une lumiere monochrornatique, qu'on n'avait pas reussi a produire simplement jusqu'alors. II concluait: Tous ces faits [... ] ont besoin d'etre soumis a une etude approfondie ; mais dans les circonstances ou je me trouve, ayant ete devance en Angleterre par la publication d'un appareil analogue au mien, j'ai voulu, par tous les moyens qui sont en mon pouvoir, montrer que depuis longtemps j'avais entre les mains un germe qui peut devenir fecond et qui, s'il doit porter fruit sur le terrain de 1'industrie, aura du moins offert ses primeurs a la science.
Figure 8.15. G.R. Kirchhoff (1824-1887, debout) et R.W. Bunsen (1811-1899) photographies en 1862. Kirchhoff redecouvrit le renversement des raies D du sodium observe par Foucault et fut le premier a comprendre son mecanisme. II realisa alors avec Bunsen la premiere analyse chimique de 1'atmosphere du Soleil.
II est surprenant que Foucault ait abandonne cette quete, si du moins on se fie a ses publications. Le renversement des raies D, comme on baptisa plus tard le phenomene qu'il avait observe, continua cependant a le preoccuper. Quand il se rendit a Londres en 1855 pour y recevoir la Medaille Copley de la Royal Society (voir le chapitre 11), ce fut un des sujets de conversation lors de son diner avec le physicien britannique G.G. Stokes (1819-1903). Stokes ecrivit plus tard : « Qu'un milieu puisse simultanement emettre et absorber les raies D m'a frappe comme quelque chose de tres original lorsque Foucault m'en a parle en 1855.» Stokes envisageait meme de traduire en anglais le texte de Foucault.45 S'il 1'avait fait, la decouverte aurait ete mieux connue. Foucault ne 1'avait publiee qu'en fran^ais dans les proces verbaux de la Societe philomatique, et aussi dans un hebdomadaire diffusant des nouvelles scientifiques intitule L'Institut, ainsi que dans la Bibliotheque universelle de Geneve, publiee par Auguste de la Rive (1801-1873), professeur de physique experimentale dans cette ville. Le renversement des raies D fut redecouvert dans les flammes en 1859 par le physicien d'Heidelberg Gustav Kirchhoff (figure 8.15). Contrairement a Foucault, Kirchhoff comprit ce qui se passait. A 1'equilibre, les atomes de sodium emettent autant qu'ils absorbent dans les raies D : c'est la loi d'emission et d'absorption de Kirchhoff, qui fait de Tabsorption le corollaire inseparable de 1'emission. Dans 1'experience de Foucault, le rayonnement qui provenait de 1'electrode de charbon n'arrivait sur 1'arc que d'un seul cote. Les atomes de sodium absorbaient ce rayonnement dans les raies D et reemettaient, toujours dans ces raies, 1'energie absorbee, mais cette fois dans toutes les directions. En raison de cet effet geometrique, 1'emission vue dans les raies par 1'observateur etait plus faible que celle du rayonnement continu adjacent, emis par les charbons incandescents. Les raies de
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Fraunhofer dans le spectre du Soleil se produisent de la meme maniere : remission continue des regions profondes de la photosphere est en partie absorbee par les differents elements (dont le sodium) presents dans les regions exterieures plus froides, si bien que ces raies sont en absorption. Ce mecanisme etant compris, il etait clair que les raies de Fraunhofer pourraient etre utilisees pour 1'analyse chimique. Dans son article fondamental public en 1860 avec son collegue R.W. Bunsen (figure 8.15), Kirchhoff compare la longueur d'onde des raies du Soleil avec celle de raies de divers elements introduits dans des flammes au laboratoire, et conclut que 1'atmosphere du Soleil contient du fer, du calcium, du magnesium, du sodium, du nickel et du chrome. Pourtant, Auguste Comte avait declare dans son Cours de philosophic positive que la composition chimique des etoiles serait a jamais impossible a connaitre. Vingt-cinq ans plus tard, la premiere analyse de la composition d'une etoile, notre Soleil, etait realisee, contredisant Auguste Comte et realisant la prediction de Foucault. Le travail de Kirchhoff et de Bunsen suscita un interet considerable. Foucault montra son enthousiasme dans un de ses feuilletons : Toutes ces vapeurs vibrent comme des harpes avec une sonorite propre, emettant dans 1'espace des notes lumineuses douees d'un timbre inalterable, et capables de franchir les plus grandes distances. Qu'importent done les 30 millions de lieues qui nous separent du Soleil ?46
Beaucoup reclamerent une part de gloire dans cette affaire : le physicien suedois A.J. Angstrom (1814-1874), et meme 1'abbe Moigno !47 Les amis de Fox Talbot et de William Thomson (1824-1907, plus tard Lord Kelvin) s'efforcerent de prouver que ces derniers avaient contribues a la decouverte, tandis que Stokes et d'autres se faisaient les champions de Foucault, en reimprimant son memoire de 1849.48 Foucault fit preuve d'une plus grande modestie, et ne dit nulle part dans son feuilleton qu'il avait examine les spectres de 1'arc. II avait fait une observation cruciale, mais n'avait pas su reconnaitre son importance et sa signification. Onze ans plus tard, la situation de Kirchhoff etait meilleure : William Swan (1818-1894), a Edimbourg, avait montre qu'il fallait tres peu de sodium pour produire les raies D, et qu'il n'etait done pas etonnant qu'on les visse partout.49 D'autre part, Kirchhoff travaillait sur les flammes alors qu'il reconnaissait volontiers que « 1'arc est un phenomene qui est accompagne d'effets souvent tres enigmatiques. »50 Enfin, le concept de conservation de 1'energie s'etait precise au cours des annees 1850, et ce concept est essentiel pour comprendre le lien entre absorption et emission.
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Affrontements a la Societe philomatique Apres la presentation par Fizeau devant la Societe philomatique, en Janvier 1847, de son travail commun avec Foucault consacre a la reponse du daguerreotype, les deux hommes continuerent a y exposer assidument leurs resultats.51 La plus celebre decouverte de Fizeau y fut decrite le 23 decembre 1848. II s'agissait du changement de frequence d'un son produit par une source se deplacant par rapport a 1'observateur, et il mentionnait la possibilite d'observer le meme effet sur la lumiere : « les difficultes ne sont pas telles qu'on ne puisse esperer de les surmonter. »52 Tout brillant qu'il fut, ce resultat ne semble pas avoir joue un grand role dans 1'election de Fizeau a la Seconde section de la Societe (celle qui s'occupait de physique et de chimie), trois semaines plus tard53. Les elections s'effectuaient de la meme maniere qu'a 1'Academie. Quand un siege etait vacant, on creait une commission qui proposait un classement parmi les candidats. Les membres de la Societe suivaient en general ce classement, les candidats exclus etant retenus pour une election ulterieure : tout etait done arrange d'avance. Un mois apres 1'election de Fizeau, un autre siege se trouva vacant et Foucault se porta candidat. Parmi les membres de la commission ad hoc, on trouve Cesar Despretz, qui avait ete examinateur au baccalaureat de Foucault, et Fizeau, car la tradition voulait que la commission comporte le dernier membre elu. La commission recommanda, dans 1'ordre, le physicien Jules Jamin (1818-1886), qui suivait Fizeau dans le classement lors de 1'election de ce dernier, puis, ex aequo, Foucault et un pharmacien nomme P.H. Boutigny (mort en 1884). Jamin fut done elu le 3 mars 1849. Trois mois plus tard, il y eut encore un siege vacant. La commission nominee pour le pourvoir etait totalement differente, et comprenait outre Jamin, le dernier elu, et Edmond Becquerel, trois chimistes : A.J. Balard (1800-1876), le decouvreur du brome, P.A. Favre (1813-1880) et C.A. Wurtz (1817-1884), qui devait plus tard se Her d'amitie avec Foucault. Rompant avec la tradition, cette commission ne recommanda ni Boutigny, ni Foucault, mais deux chimistes, V.A. Jacquelain (1802-1885) et J.A. Barral (1819-1884)! La Societe en fut scandalisee. Le compte-rendu de la seance du 21 juillet 1849 dit: Le scrutin pour la nomination d'un membre dans la 2e section est annule, faute d'un nombre suffisant de votants, et quoique la liste de presence indique 30 membres presents.
Ayant ainsi proteste, la Societe n'en elut pas moins Jacquelain la semaine suivante.
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Passage a vide C'est au cours de cette periode que Donne a pergu la fragilite de Foucault, son jeune collaborates et ami. En 1856, il devait en informer le nouveau directeur de 1'Observatoire, Urbain Le Verrier : Vous savez que je lui suis uni d'amitie [...]; je 1'ai suivi dans sa carriere et j'ai eu sujet en plusieurs occasions de me preoccuper de son etat de sante. Ce n'est pas de la sante du corps dont je veux parler ; sans etre fort, il est rarement malade, rnais il n'en est pas de meme de son etat moral. Fils d'un pere qui a ete frappe d'alienation mentale, il est lui-meme, malgre ses facultes remarquables, d'un moral assez faible. A la suite de travaux assidus ou simplement d'un sejour trop prolonge a Paris, je 1'ai vu tomber dans un aneantissement dont j'ai ete effraye.54 En ami veritable, Donne fit ce qu'il fallait faire : Je ne 1'ai tire de cet etat qu'en 1'eloignant pour quelques temps de tout affaire et de toute occupation d'esprit. C'est ainsi que je 1'ai amene tantot en Angleterre, tantot aux bains de mer, tantot a la campagne. Apres ce repos de quelques semaines, il revenait raffermi et fournissait sans danger une nouvelle carriere. On sait pen de choses de la vie de Foucault apres 1'echec de son election a la Societe philomatique enjuillet 1849. II subsiste des traces d'un essai infmctueux avec Fizeau pour « determiner 1'indice de refraction de Tor »55, et, en septembre, Foucault a depose un pli cachete concernant un moyen de rendre ses regulateurs pour 1'arc independants des variations de tension de la pile.56 A part cela, pas trace de Foucault: pas de feuilleton, pas de presentation a 1'Academie, aucune apparition a la Societe philomatique. Probablement etait-il dans une de ses phases de depression. Qu'avait-il realise par lui-meme, hors de sa collaboration avec Fizeau ? Pourquoi Arago ne s'etait-il pas interesse a son pendule conique ou a ses idees sur la distribution de 1'heure ? Son travail sur 1'automatisation de 1'arc electrique n'avait abouti a rien, a cause de ce brevet d'un anglais inconnu. Et ou en etaient ses talents pour la mecanique ? Froment, grace a son atelier bien equipe, avait montre qu'il pouvait faire mieux que lui. Foucault n'avait pas ete elu a la Societe philomatique, alors qu'il aurait du 1'etre si tout s'etait passe normalement. Et pour couronner le tout, en juillet 1849, son ami Fizeau avait rec.u eloges et lauriers pour avoir mesure pour la premiere fois la vitesse de la lumiere. C'en etait trop : il devait se mettre au vert.
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Figure 8.16. Helas, pourquoi s'endormit-elle, sa petite Jeanneton ?
La fin du texte d'une celebre chanson grivoise, « donne a M. Foucault pour son instruction le ler decembre 1849 ».
« Jeanneton prend sa faucille » Nous ignorons combien de temps Foucault resta a la campagne, et combien de bains de mer il prit. Mais nous savons qu'il se portait bien le ler decembre, et qu'une affaire sentimentale y a peut-etre ete pour quelque chose. Ce jour la, il rec.ut un curieux petit mot, qui contenait le texte d'une chanson grivoise bien connue : Jeanneton prend safaucille. II etait transmis a Foucault « pour son instruction » par un ami ou un groupe d'amis. Sans doute etait-il amoureux de quelque jeune femme, mais n'osait pas pousser 1'affaire. Mais il n'y eut pas mariage. La dame fut-elle exasperee par sa froideur, comme le craignait Donne ? Ou bien, Foucault avait-il peur de devenir fou comme son pere, ou de transmettre sa fragilite a ses enfants ?
Succes extraordinaire a la Societe philomatique La Societe philomatique se mettait en vacances en automne. A sa rentree, en novembre, il y avait encore un siege vacant, et une nouvelle commission fut formee, comprenant Balard, Fizeau, le physicien Paul Desains (1817-1885) et le vieux Charles Cagniard de Latour (17771859), qui devait battre Foucault a 1'Academie des sciences quinze mois plus tard. La commission reprit ses anciennes habitudes, placant Foucault en premiere ligne. Lors du vote, il y avait trois fois
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Figure 8.17. La chance sourit enfin: Foucault elu a la Societe philomatique le 15 decembre 1849.
plus de membres presents qu'a 1'ordinaire, et Foucault obtint 93 des 96 voix, un evenement incroyable. Sans doute certains membres voulaient-ils ainsi reparer 1'injustice qu'avait represente 1'election de Jacquelain, ou bien voulaient-ils montrer leur sympathie pour quelqu'un qui vivait des heures douloureuses, mettant ainsi en pratique 1'adage de la Societe : Etude et amitie. Foucault fut done em (figure 8.17). Maintenant le chemin de 1'Academic etait ouvert. Cependant, cette voie devait se reveler encore plus tortueuse. Foucault fut tres assidu aux seances de la Societe : les feuilles de presence pour 1851, qui ont ete conservees, montrent que cette annee-la, il n'a manque que six des 42 seances. Peut-etre avait-il des besoins financiers, et appreciait-il le jeton de presence de 1 franc 25 par seance, a valoir sur la cotisation annuelle. II presenta devant la Societe pratiquement toutes ses decouvertes, et fit regulierement des commentaires sur les travaux des autres, surtout quand ils avaient quelque rapport avec les siens : par exemple, 1'emissivite lumineuse du platine incandescent, une nouvelle pile electrique, le mucus, comment distinguer « la fleur de soufre du soufre pulverise », les tubes capillaires, les flammes, 1'asphyxie, la vessie natatoire des poissons, etc. II presida la Societe a la rentree de 1851, fut designe pour rediger des rapports sur les progres de la physique pendant 1'annee 1860, et participa a des comites de nomination, y compris celui de son successeur quand il devint membre honoraire apres son election a 1'Academic des sciences en 1865. La chance avait tourne en sa faveur. II allait entrer dans son annus mirabilis, pour utiliser un terme indissociable de la vie de Newton : c'est pendant cette annee que Foucault devait obtenir son premier resultat majeur en optique, et realiser 1'experience du pendule qui lui assurerait l'immortalite.
Cette page est laissée intentionnellement en blanc.
Chapitre 9 La vitesse de la lumiere I. La fin de la theorie corpusculaire
Paris, la Ville-lumiere, etait sans doute un lieu predestine pour les recherches sur ce sujet. C'est a 1'Observatoire de Paris que R0mer a montre que la lumiere se propage a une vitesse finie. C'est a Paris que Malus a decouvert la polarisation, en regardant le del se reflechir sur les vitres du Palais du Luxembourg. Sa decouverte fut a 1'origine de la theorie ondulatoire de Fresnel et des travaux d'Arago sur la polarisation chromatique. Plus tard, la mesure de la vitesse de la lumiere devait etre le monopole des parisiens pendant quarante ans. Foucault y a contribue grace a deux experiences cruciales : 1'une en 1850, qui fait 1'objet du present chapitre, et 1'autre en 1862, dont nous parlerons au chapitre 14. Ces deux experiences ont utilise les memes techniques, mais elles avaient des buts differents, sans relation 1'un avec 1'autre. Avant de les aborder, rappelons brievement 1'histoire des idees sur la propagation de la lumiere.
La vitesse de la lumiere Avant le XVIF siecle, la plupart des savants consideraient que les phenomenes lumineux se propageaient instantanement, et ne se posaient pas la question de la vitesse de la lumiere. Retrospectivement, leurs arguments nous paraissent plutot bizarres. Par exemple, les Grecs pensaient que les etoiles etaient tres lointaines, or Heron d'Alexandrie (Ier siecle ap. J.C.) remarquait qu'il voyait immediatement les etoiles des qu'il ouvrait les yeux. Comme la vision etait alors censee aller de 1'ceil vers 1'objet regarde puis inversement, il en conclut que sa propagation etait instantanee. Quinze cents ans plus tard, Johannes Kepler (1571-1630) pensait que puisque 1'espace etait immateriel, il ne pouvait opposer aucune resistance a la lumiere, laquelle devait done voyager a une vitesse infinie. Galileo Galilei (figure 9.1) fut le premier a essayer de mesurer la vitesse de la lumiere. Le dialogue entre Sagredo, Salviati et Simplicio, qu'il met en scene dans ses Discorsi e dimostrazioni de 1638, suggere que Galilee et un aide, munis de lanternes, s'etaient places a un
Figure 9.1. Galileo Galilei (1564-1642).
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Figure 9.2. Pour comprendre comment R0mer a explique la variation des intervalles entre les eclipses des satellites de Jupiter, il suffit de considerer les variations de la distance de Jupiter a la Terre au cours d'une annee. Lorsque cette distance diminue (positions 1—»2—»3), on ne peut observer que 1'entree (immersion) du satellite de Jupiter dans I'ombre de la planete, mais pas sa sortie (emersion) car elle est cachee derriere Jupiter. Comme la lumiere met alors de moins en moins de temps a parcourir la distance Jupiter-Terre, les entrees dans I'ombre sont separees par des intervalles plus courts que lorsque la distance Jupiter-Terre augmente (positions 4—»5—»6), cas ou les sorties de 1'ombre sont seules observables.
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peu plus d'un kilometre 1'un de 1'autre. L'un d'eux decouvrait la lanterne. Des qu'il voyait ce signal, 1'autre en faisait autant, et le premier estimait le temps separant le moment ou il percevait ce second signal du moment ou il avait donne le premier. Galilee ne put decider si la lumiere se propageait instantanement ou non, mais il constata que, si elle n'etait pas infinie, sa vitesse devait etre extremement rapide. C'est au danois Ole R0mer (1644-1710) que revient 1'honneur d'avoir montre, en 1676, que la vitesse de la lumiere n'est pas infinie. R0mer, assistant a 1'Observatoire de Copenhague, avait ete invite a Paris en 1672 par 1'astronome franc.ais Jean Picard (1620-1682), qui travaillait avec Cassini. Picard avait rencontre R0mer lors de son voyage au Danemark en 1671, voyage dont le but etait de mesurer la difference de longitude entre Paris et 1'observatoire de Tycho Brahe a Uranibourg. A Paris, R0mer, loge a 1'Observatoire qui venait juste d'etre construit, fut pourvu d'une pension par Louis XIV, et fut nomme tuteur du Dauphin. II se joignit a Cassini et a Picard pour observer les satellites de Jupiter, dont on pensait que les eclipses par la planete pourraient servir de reperes de temps utilisables pour determiner les longitudes, a cette epoque ou les chronometres transportables etaient peu precis. Galilee avait suggere cette possibilite en 1612, deux ans apres avoir decouvert les satellites de Jupiter; en 1668, Cassini avait publie des ephemerides de leur mouvement. R0mer, etudiant une serie d'eclipses des satellites de Jupiter, constata qu'elles etaient souvent en avance ou en retard par rapport aux predictions des ephemerides de Cassini, et attribua ces avances ou retards au temps que mettait la lumiere pour aller de Jupiter a la Terre. Pour informer de fac.on spectaculaire 1'Academic de cette decouverte, R0mer predit lors d'une seance de septembre 1676 que le satellite le plus interne de Jupiter sortirait de I'ombre de la planete le 9 novembre dix minutes plus tard que ce que donnaient les ephemerides. Les observations confirmerent cette prediction, et, peu de temps apres, R0mer presenta une communication ou il proposait son explication. II remarqua que la geometric ne permet d'observer que les entrees des satellites dans I'ombre de la planete lorsque la Terre s'approche de Jupiter, et que les sorties lorsqu'elle s'en eloigne. Les entrees dans I'ombre venaient plus tot et les sorties plus tard que ce que prevoyaient les ephemerides moyennes (figure 9.2). A partir de ses observations, il calcula que le temps que devait mettre la lumiere pour traverser le diametre de 1'orbite terrestre etait de 22 minutes. Cassini contesta violemment 1'explication de R0mer, mais elle devait en revanche etre acceptee par Huygens, Newton et d'autres. II ne subsista plus aucun doute sur le fait que la vitesse de la lumiere etait finie lorsque 1'astronome d'Oxford James Bradley (1693-1762), le futur Astronome Royal, decouvrit \'aberration de la lumiere. II nous
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parait interessant de dire quelques mots sur cet effet, car il confirme egalement que la Terre orbite autour du Soleil. Quant il parut tres probable, apres les travaux de Copernic et de Kepler dont nous reparlerons au chapitre suivant, que la Terre tournait autour du Soleil, on comprit aussi que notre point de vue sur les etoiles devait changer au cours de 1'annee, le diametre de 1'orbite terrestre etant tres grand (figure 9.3). Bradley avait fait des mesures soignees de la position de 1'etoile y Draconis au cours de 1'annee, dans le but de trouver les petites variations annuelles de position (parallaxe) que devrait montrer cette etoile, supposee proche, par rapport aux etoiles lointaines. Bradley ne trouva aucune parallaxe (celle des etoiles connues les plus proches est seulement de 1,5 seconde d'arc, ce qu'il n'avait pas les moyens de mesurer). Mais il decouvrit un effet beaucoup plus grand, qui se produit parce que la direction d'ou arrive la lumiere de 1'etoile est affectee par le fait que la Terre est en mouvement. Au cours de la rotation de la Terre autour du Soleil, la direction d'arrivee de la lumiere des etoiles change, exactement comme nous parait changer la direction d'ou tombe la pluie quand nous nous mettons a courir. La position des etoiles dans le ciel varie done systematiquement au cours de 1'annee (figure 9.4): c'est le phenomene d''aberration. Le changement maximal de la position des etoiles au cours d'une annee, qui est de 40 secondes d'arc, depend du rapport de la vitesse de la Terre sur son orbite a la vitesse de la lumiere. L'aberration montre done que la Terre tourne autour du Soleil, et non 1'inverse, puisqu'elle n'existerait pas si la Terre etait fixe. Elle montre aussi que la vitesse de la lumiere n'est pas infmie. L'aberration affecte de le meme maniere toutes les etoiles quelle que soit leur distance, et peut done se distinguer de la parallaxe qui n'affecte que les etoiles proches et est de toutes fagons beaucoup plus petite et agit dans une direction perpendiculaire. La parallaxe n'a ete detectee que cent ans apres 1'aberration par 1'astronome allemand RW. Bessel (1784-1846), qui observait 61 Cygni, 1'etoile tres proche. L'evaluation par R0mer du temps que met la lumiere a traverser le diametre de 1'orbite terrestre, soit 22 minutes, devait etre bientot amelioree par 1'astronome anglais Edmond Halley (1656-1742), qui la reduisit a 17 minutes. Pour obtenir la vitesse de la lumiere, il faut diviser le diametre de 1'orbite terrestre par ces 17 minutes. Les dimensions de 1'orbite terrestre peuvent etre mesurees par diverses triangulations, comme nous le verrons au chapitre 14. Dans les annees 1850, Arago donnait, dans son Astronomic populaire, une vitesse de la lumiere obtenue ainsi de 77 076 lieues par seconde, soit 308 300 kilometres par seconde. Retenons pour 1'instant que la vitesse de la lumiere est enorme, mais pas infinie, et qu'a 1'epoque d'Arago elle etait determinee a partir de mesures astronomiques.
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Figure 9.3. Le point de vue sous lequel nous voyons les etoiles change au cours de 1'annee, lorsque la Terre tourne autour du Soleil. Une etoile proche, comme celle qui est representee, presente un emplacement apparent par rapport aux etoiles lointaines : c'est le phenomene de parallaxe. Ici, ce phenomene a ete exagere : la distance de 1'etoile la plus proche est en fait environ 300 000 fois plus grande que la distance de la Terre au Soleil.
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Ondes ou corpuscules ? Au milieu du XIXe siecle, la theorie ondulatoire de la lumiere etait bien acceptee par la plupart des chercheurs. Mais il subsistait un certain nombre d'« emissionnistes » tels que Brewster en Ecosse, dont 1'opposition allait en s'affaiblissant. Comme Newton, ces emissionnistes pensaient que la lumiere etait faite de corpuscules emis par les corps lumineux ; nous devons insister sur le fait que ces corpuscules n'avaient rien a voir avec ce que nous appelons aujourd'hui les photons. Foucault avertissait ainsi ses lecteurs du Journal des Debats :
Figure 9.4. L'aberration des etoiles. La vitesse de la Terre sur son orbite se combine avec la vitesse de la lumiere pour faire varier au cours de 1'annee la direction selon laquelle on voit une etoile. II est commode de se placer dans le systeme de la Terre : 1'observateur O est fixe et les etoiles sont mobiles en apparence, leur vitesse apparente etant opposee a celle de la Terre. Au temps to, 1'etoile est en E et sa lumiere parvient en O au temps i\. L'intervalle de temps t\ — to est le temps mis par la lumiere pour parcourir la distance d de 1'etoile a la vitesse de la lumiere c. A 1'instant i\, 1'etoile s'est deplacee a la position E\ par rapport a la Terre, telle que EE\ ait pour valeur V(t\ — to), V etant la vitesse de la Terre sur son orbite. La direction vraie de 1'etoile au temps ti est done OE\, tandis que sa direction apparente est OE. L'angle entre ces deux directions est A0 = (V/c) sin 6, et ne depend pas de la distance de 1'etoile. Six mois plus tard, la situation est inversee. L'angle A6> est tres exagere sur la figure.
Tandis que les uns, en fervens disciples de Huygens, de Descartes et de Fresnel, dirigent avec confiance leurs recherches dans le sens favorable a la theorie des ondulations, apportant preuve sur preuve au service d'un systeme desormais inebranlable, quelques autres, fideles encore aux erremens de 1'immortel Newton, s'ingenient non pas a ressusciter 1'ancienne theorie de 1'emission, mais a creer des embarras a la nouvelle ecole ; c'est surtout de 1'autre cote de la Manche que partent ces innocentes escarmouches. Dernierement lord Brougham, [et] aujourd'hui sir David Brewster, s'en viennent armes de tres jolis, mais de tout petits phenomenes, les enoncent, les developpent et les posent comme des pierres d'achoppement sur lesquelles ils comptent pour tenir pendant quelques instans du moins les ondulationistes en echec.1
Cependant, malgre les succes de la theorie ondulatoire, il manquait toujours une experience qui aurait definitivement mis a mal les idees emissionnistes.
L'experimentum cruets d'Arago En 1834, Wheatstone s'etait attaque a la mesure de la « vitesse de 1'electricite »2. Ce terme n'a plus guere de sens pour le physicien d'aujourd'hui, qui sait que les signaux electriques ont des vitesses de propagation differentes selon les circonstances. Mais le sujet etait d'une grande importance pour savoir s'il etait raisonnable de construire des telegraphies electriques : si la propagation de 1'electricite etait un phenomene de diffusion comme Test la propagation de la chaleur, le telegraphe serait d'une lenteur prohibitive. Pour sa mesure, Wheatstone transmettait une impulsion electrique de haute tension dans un fil de 800 metres de long. Le circuit etait coupe par de petits intervalles, aux deux extremites et au milieu. Ces trois coupures etaient ramenees cote a cote sur une meme planche, et a mesure de 1'avancee de I'impulsion, une etincelle se produisait successivement a travers chacune d'elles.
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L'intervalle de temps entre les etincelles, qui devait permettre de mesurer la vitesse de 1'impulsion, etait visiblement tres court. Aussi, Wheatstone imagina-t-il de les regarder par reflexion sur un miroir d'acier poll tournant a 800 tours par seconde (figure 9.5). Le miroir tournant un peu d'une etincelle a la suivante, il s'attendait a voir un leger deplacement de 1'image. Les impulsions etaient synchronisers avec la rotation du miroir par un interrupteur tournant, de fac,on a ce que les images des etincelles successives apparaissent toutes a la meme position et semblent ne faire qu'une seule image continue grace a la persistance des impressions lumineuses sur 1'ceil. Wheatstone observa que cette image etait legerement etalee par la duree des etincelles, et cet etalement 1'empecha de faire une mesure fiable de la vitesse de 1'electricite. Arago etait en Grande-Bretagne en 1834 pour assister au congres de 1'Association britannique pour 1'avancement des sciences a Edimbourg. C'est probablement la qu'il entendit parler de 1'experience de Wheatstone3. Quoi qu'il en soit, il fut tres impressionne par 1'idee et par ses developpements possibles. Le retentissement de 1'experience explique sans doute 1'election de Wheatstone comme correspondant de 1'Academie des sciences franchise en 18424. En depit des moqueries de ses collegues academiciens, Arago suggera d'utiliser un miroir tournant pour faire un test decisif sur la nature de la lumiere5. Wheatstone et Sir John Herschel avaient eu la meme idee, independamment ou ensemble, mais ils ne 1'avaient pas publiee. Comme 1'ecrivait Arago, puisque 1'idee n'avait pas ete publiee, c'est comme si elle n'avait pas existe, la publication etant le seul moyen d'etablir lapriorite 6 . L'idee d'Arago etait de comparer la vitesse uair de la lumiere dans 1'air a sa vitesse ueau dans 1'eau. En effet, la theorie corpusculaire et la theorie ondulatoire emettaient des predictions opposees quant au rapport de ces vitesses. Cela etait lie a la fagon differente dont ces deux theories expliquaient la refraction, comme 1'explique la figure 9.6*. La mesure de la difference entre la vitesse de la lumiere dans 1'air et dans 1'eau offrait done un moyen depourvu d'ambigui'te pour choisir entre les deux theories. Pour mesurer cette difference, Arago imagina de creer une etincelle electrique verticale. La lumiere de la partie inferieure de cette etincelle se propagerait dans 1'axe d'un tube rempli d'eau, tandis que celle de la partie superieure passerait dans 1'air. Les deux rayons frapperaient alors un miroir tournant autour d'un axe vertical: le rayon le plus lent, arrivant plus tard sur le miroir, serait reflechi avec un angle plus grand. Les images des deux parties de I'etincelle seraient done decalees 1'une par rapport * L'indice de refraction de 1'eau (celui de 1'air etant tres voisin de 1) est n = u a ir/^eau dans la theorie ondulatoire, et n = veau/v^r dans la theorie emissionniste.
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Figure 9.5. Vue generale et details du miroir tournant de 25 mm E, grace auquel Wheatstone rendait immobile 1'image reflechie des etincelles dans sa determination de la « vitesse de 1'electricite » en 1834. La rotation se faisait par une courroie et une poulie. La plaque de verre R servait a proteger les yeux.
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Figure 9.6. (En haul) Selon la theorie de remission, la composante de la vitesse des particules de lumiere parallele a la surface de separation ne changeait pas lorsqu'elles penetraient dans 1'eau (fleches blanches), et la composante perpendiculaire a la surface (fleches grises) augmentait en raison d'une attraction supposee par le materiau dense. La vitesse totale des particules devait done augmenter dans 1'eau. (En bas) Dans la theorie ondulatoire, les fronts d'onde perpendiculaires a la direction de propagation sont devies, mais pas rompus lorsque la lumiere penetre dans 1'eau. Ici les fronts d'onde sont separes par des intervalles de temps egaux. La distance qui les separe se reduisant dans 1'eau, la vitesse de la lumiere y diminue.
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a 1'autre, et le sens de ce decalage permettrait de trancher entre les deux theories. Arago estima qu'un trajet de 14 metres dans 1'eau serait convenable si le miroir tournait a 1000 tours par seconde, et si Ton disposait d'une lunette capable de mesurer une deviation d'une demiminute d'arc. Mais 1'absorption de la lumiere dans 1'eau sur une telle longueur serait prohibitive, si bien qu'Arago en vint a proposer soit un miroir tournant encore plus vite, grace a une demultiplication suggeree par Gambey, soit un miroir prismatique comportant 8 a 10 faces reflechissantes pour gagner de la lumiere, en disposant en cercle plusieurs observateurs autour de 1'experience. Arago tenta 1'experience en 1843, profitant sans doute des ressources accrues que lui procurait son nouveau poste de directeur de 1'Observatoire. Pour construire 1'instrument, il eut recours a Louis Breguet (1804-1883), le petit-fils du celebre horloger Abraham Breguet (1747-1823). Louis Breguet avait ete desherite par son pere. Dans son enfance, il survecut en volant des pommes qu'il revendait ensuite, et a quinze ans, il ne savait pas lire7. Mais il devait finalement reprendre 1'entreprise familiale, et diversifier son activite vers la fabrication d'instruments de precision. Le premier appareil construit par Breguet pour Arago comportait trois miroirs qui pouvaient tourner a 1000 et meme 2 000 tours par seconde8. Les derniers engrenages du mouvement d'entrainement avaient des dents helicoi'dales pour reduire la friction. Le physicien anglais Robert Hooke, en 1666, avait eu 1'idee des engrenages helicoidaux, mais ce fut une de leurs toutes premieres applications. Breguet dut d'ailleurs construire une machine speciale pour les tailler9. Cependant, apres trois reflexions, 1'intensite de la lumiere avait beaucoup diminue, si bien qu'Arago et Breguet se resignerent a n'utiliser qu'un seul miroir, mais tournant trois fois plus vite (figure 9.7). Les progres furent lents, car Breguet etait occupe a construire le premier telegraphe electrique en France, reliant Paris a Rouen. Sans le miroir, Breguet put faire tourner 1'axe a la vitesse incroyable de 8000 tours par seconde. Comme on pensait que la resistance de 1'air ralentissait la rotation, on construisit une chambre a vide contenant un seul miroir de 10 millimetres de diametre, mais sans gain appreciable. C'est alors que le diabete commenc.a a affecter la vue d'Arago, qui abandonna 1'experience. Etant donnes leurs liens avec Arago, il etait naturel que Foucault et Fizeau se soient demandes comment ameliorer 1'experience. D'apres Fizeau, un premier progres fut realise lorsque Foucault imagina de renvoyer sur lui-meme le faisceau provenant du miroir tournant grace a un miroir plan, evitant ainsi tous ces observateurs distribues en cercle autour de 1'experience10. Cependant, Foucault et Arago disaient tous deux que 1'idee venait de Bessel11. De toutes
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fac,ons, ce n'etait pas une bonne idee. En effet, le faisceau etait reflechi par le miroir plan dans une direction qui dependait de 1'inclinaison du miroir tournant, comme on peut le voir figure 9.8. On aurait pu reduire ce phenomene en utilisant un miroir reduit a un rectangle tres etroit, mais cela aurait considerablement diminue la quantite de lumiere utilisable. A ce point, Foucault et Fizeau abandonnerent leurs cogitations.
Un rayon lumineux a travers Paris C'est alors que Fizeau imagina une experience grandiose qui devait lui permettre de mesurer la vitesse de la lumiere dans 1'air de fac,on directe et absolue, c'est-a-dire en metres par seconde. Son but n'etait pas de savoir si la lumiere etait faite d'ondes ou de corpuscules, mais de verifier la valeur de sa vitesse, determinee comme nous 1'avons vu par des moyens astronomiques, qui donnaient 308 300 kilometres par seconde. L'experience de Fizeau est represented figure 9.9 (cette figure est extraite de VAstronomic populaire d'Arago). Le cceur de Tappareil etait une roue tournante R, taillee de dents tres fines en son pourtour. Un faisceau lumineux provenant d'une lampe arrivait sur une lame de verre inclinee a 45 degres, placee juste derriere la roue dentee. Le faisceau etait alors regulierement hache par les dents de la roue tournante, et les impulsions qui en resultaient etaient envoyees vers Montmartre. On ne peut voir sur la figure ni la lame de verre, ni une lentille qui focalise la lumiere de la lampe sur les dents de la roue, car tout cela est place a Tinterieur du tube de la lunette qui projeterait le faisceau vers Montmartre. L'instrument se trouvait dans un belvedere au-dessus de la maison des parents de Fizeau a Suresnes. La station qui recevait les impulsions etait situee a Montmartre, a une distance de 8 633 metres12. La, une seconde lunette semblable a la premiere focalisait la lumiere sur un miroir qui la renvoyait vers Suresnes a travers la premiere. Les impulsions reflechies etaient alors focalisees par la lunette de Figure 9.8. (En haul] La lumiere provenant de la direction o est d'abord reflechie sur le miroir tournant et arrive sur le miroir plan a une position qui depend de Tangle fait par le miroir tournant: le miroir plan est done balaye par le faisceau. A son tour, il renvoie la lumiere dans une direction p ou c\ qui varie rapidement quand le miroir tourne. (En bus) Si Ton utilise un miroir concave au lieu d'un miroir plan, le faisceau provenant du miroir tournant est renvoye sur ce dernier dans la direction d'origine o, quelle que soit 1'orientation de ce miroir tournant. On a suppose provisoirement dans les deux cas que ce miroir n'a pas eu le temps de tourner notablement pendant Taller et retour de la lumiere vers le miroir fixe.
Figure 9.7. Un des miroirs tournants d'Arago, construit par Louis Breguet.
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Figure 9.9. La methode de Fizeau pour mesurer la vitesse de la lumiere, d'apres VAstronomic populaire d'Arago. Un faisceau lumineux etait decoupe en impulsions periodiques par une roue dentee tournante R a Suresnes, envoye a Montmartre puis renvoye a Suresnes, ou le temps de trajet aller et retour de la lumiere etait mesure par stroboscopie. Les derniers engrenages du mouvement d'entrainement de la roue dentee etaient helicoi'daux.
Figure 9.10. (en haut a gauche)
Quand la roue ne tourne pas, la lumiere reflechie depuis Montmartre est visible entre deux dents, (en haut a droite) Quand la roue dentee s'accelere, une dent commence a s'interposer sur le faisceau reflechi car elle a eu le temps de tourner un peu pendant 1'aller-retour de la lumiere. (en has) A une vitesse encore plus grande, la dent a completement bloque le faisceau.
Suresnes de 1'autre cote de la roue dentee. A 1'aide d'un oculaire, Fizeau observait la lumiere reflechie qui passait a travers les dents de cette roue. La partie en haut a gauche de la figure 9.10 montre ce qu'il voyait dans 1'oculaire lorsque la roue ne tournait pas ou tournait lentement. La lumiere qui passait a Taller dans 1'intervalle entre deux dents revenait au meme point avant que cet intervalle ait pu tourner de fac,on appreciable, et Fizeau voyait un point brillant. Mais si la roue tournait plus vite, la dent voisine commmenc.ait a s'interposer dans le faisceau retour, et celui-ci etait affaibli comme on le voit en haut a droite de la figure. A une vitesse de rotation superieure, la dent se plagait en plein dans le faisceau et Fizeau ne voyait plus rien (bas de la figure 9.10). A vitesse encore plus grande, l'intervalle suivant entre les dents remplac.ait le premier, et la lumiere reapparaissait. En augmentant encore progressivement la vitesse, il observait une succession de transmissions et d'eclipses. Une fois connue la vitesse de rotation de la roue dentee (et le nombre de dents), il etait facile de calculer le temps mis par la lumiere pour faire 1'aller-retour de Suresnes a Montmartre, et d'en deduire la vitesse de la lumiere puisque la distance entre ces lieux etait connue. Cette experience s'inscrivait parfaitement dans la logique de la pensee de Fizeau a cette epoque. Fizeau etait obsede par la lumiere,
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et venait de prononcer, devant la Societe philomatique la celebre communication que nous avons deja mentionnee, qui concernait les « consequences curieuses » d'un mouvement relatif entre la source d'un son et 1'auditeur. II y avait indique que cet effet pourrait egalement se produire avec la lumiere13. Fizeau ne mit que six mois pour terminer le prototype de son appareil et pour demontrer la faisabilite de son experience. L'appareil fut construit par Froment (figure 9.9). Les mesures etaient effectuees le soir, « quand 1'atmosphere est pure et calme ».14 La source de lumiere etait une lampe de Drummond. La roue dentee comportait 720 dents et la premiere eclipse se produisait quand elle tournait a 12,6 tours par seconde. Le 23 juillet 1849, Fizeau informa 1'Academic qu'apres une serie de 28 observations, il avait trouve que la vitesse de la lumiere etait de 70 948 lieues par seconde, soit 315 300 kilometres par seconde, proche de la valeur determined par 1'astronomie, estimee a 308 300 kilometres par seconde. Fizeau considerait que son experience demontrait la possibility de mesurer directement la vitesse de la lumiere, mais il ne fit pas grand cas de la valeur numerique qu'il avait obtenue. Foucault revint a Paris en decembre apres avoir soigne sa depression. II consacra son premier feuilleton a la mesure realisee par son ami : « La publication de ce travail est un grand evenement dans la science, ecrivait-il, et le moment de son apparition figurera dans 1'histoire parmi les dates les plus memorables [... ] C'est merveille que d'entendre M. Fizeau exposer lui-meme les avantages de sa methode et raconter comme quoi il a eu du bonheur. »14 II concluait : « Qu'il en ait quelquefois, j'en conviens, mais c'est le meme bonheur qui fournit la rime au poe'te et les decouvertes aux hommes de genie. » Cette reussite valut la Legion d'honneur a Fizeau et a Froment15, puis, en 1856, le prix triennal qui venait d'etre cree par Napoleon III et decerne par les cinq Academies de 1'Institut pour recompenser « la decouverte [... ] qui honore ou sert le mieux le pays. » Ce prix etait richement dote : 30 000 francs16.
La competition Bien que la chronologic soit incertaine, il semble que c'est a 1'epoque de la parution de 1'article de Foucault dans le Journal des Debats que Fizeau et lui repenserent a 1'experience d'Arago. « Pour achever de ruiner cette pauvre theorie de 1'emission, comme 1'ecrivait Foucault, pour lui porter le coup fatal, il ne s'agissait plus que de realiser [cette] experience fameuse. »1 Fizeau realisa que 1'experience ne pourrait reussir que si la lumiere etait reflechie sur le miroir tournant par
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un miroir concave spherique et non pas par un miroir plan. Si le centre du miroir spherique se trouvait sur le miroir tournant, la lumiere revenait toujours sur ce dernier et etait ensuite reflechie par lui dans sa direction initiale, du moins s'il n'avait pas tourne notablemment pendant 1'aller-retour de la lumiere (figure 9.8). Mais si sa rotation etait tres rapide, le miroir aurait tourne un peu pendant cet aller-retour et la mesure de la deviation du faisceau qu'il reflechissait devait permettre de mesurer la vitesse de la lumiere. Selon un texte tardif du physicien Alfred Cornu (1841-1902), un futur protege de Fizeau, « le jour ou cette solution apparut fut le dernier de la collaboration : les deux grands physiciens se separerent [ . . . ] » Toutefois, il faut considerer les ecrits de Cornu avec precaution, car ils sont invariablement a la louange de Fizeau. II est possible que nos deux experimentateurs aient diverge sur la methode a adopter pour faire tourner le miroir. Le fait est qu'ils commencerent une competition (une « steeple chase », comme disait Cornu en utilisant le terme anglais) en vue de realiser 1'experience d'Arago. II semble que Foucault ait regrette cette separation, car dans 1'inventaire de ses papiers effectue apres sa mort (figure P.3) est mentionnee parmi plusieurs documents relatifs au miroir tournant, une « Lettre de Foucault a Fizeau (conciliante) », qui suggere que Foucault a essaye de recoller les morceaux. L'annee suivante, Foucault a d'ailleurs depose un pli cachete a 1'Academic, dont nous reparlerons au chapitre suivant, qui implique qu'il esperait encore travailler avec Fizeau17. Mais la rupture devait etre definitive. Pour travailler a 1'experience d'Arago, Foucault « s'etait retire dans son laboratoire » — sans aucun doute dans la nouvelle maison de la rue d'Assas. Sa collaboration avec Froment sur le regulateur de Tare electrique, et la perfection avec laquelle ce dernier avait realise la roue dentee et les engrenages pour 1'experience de Fizeau, 1'avaient convaincu que ce constructeur professionnel d'instruments pourrait realiser le materiel necessaire bien mieux qu'un amateur, aussi doue soit-il. II demanda done a Froment de construire la partie la plus delicate de 1'appareil: le miroir tournant. Pendant ce temps, Fizeau travaillait a 1'Observatoire en collaboration avec Breguet, utilisant un des miroirs tournant construits pour Arago (figure 9.7). Ils s'etaient installe dans la salle du meridien au premier etage, ou Arago luiFigure 9.11. La salle du meridian a meme avait deja travaille (figure 9.11). C'est un lieu impressionnant, 1'Observatoire de Paris, aujourd'hui ou le meridien de Paris est materialise par une bande de bronze salle Cassini, ou ont ete realisees de incrustee dans le sol, et ou Cassini et ses successeurs ont effectue de nombreuses experiences, longues series de mesures de la hauteur du Soleil et de la Lune a leur notamment celle de Fizeau et Breguet avec le miroir tournant en passage au meridien. Les deux experiences etaient tres semblables. Celle de Foucault 1850, et la premiere demonstration est schematisee figure 9.12. La lumiere du Soleil, reflechie par un publique du pendule de Foucault au debut de 1851. heliostat, etait projetee sur une ouverture carree de 2 millimetres
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Figure 9.12. Principe de 1'experience de Foucault sur la vitesse de la lumiere en 1850, avec un miroir tournant. Les echelles ne sont pas respectees : le tube contenant de 1'eau mesurait 3 metres de long mais 1'ouverture seulement 2 millimetres. Explications dans le texte.
de cote, en a. mitialement, Foucault y avait place une grille verticale de 11 fils de platine, mais il n'utilisa plus qu'un seul fil par la suite, comme on le voit figure 9.13. Considerons d'abord le trajet de la lumiere dans 1'air, dans la partie superieure de la figure 9.12. Une lentille achromatique L focalisait 1'image de ce fil sur le miroir concave M, par 1'intermediaire du miroir tournant plan m. Si ce miroir ne tournait pas, M reflechissait le faisceau sur lui-meme et formait une image du fil co'incidant avec lui, en a. Rappelons que cela reste vrai quelle que soit 1'orientation du miroir m, pourvu bien entendu que le faisceau tombe sur le miroir M. Pour examiner 1'image finale, Foucault inserait une lame de verre a 45° dans le faisceau. Cette lame separatrice reflechissait une partie de 1'image en a, image qu'il examinait avec un oculaire. Un reticule place dans cet oculaire etait amene a coi'ncider avec 1'image du fil en a, afin de donner une reference de position pour cette image (figure 9.13a). Lorsqu'on mettait le miroir m en rotation, il tournait d'un tres petit angle pendant le temps que prenait la lumiere pour faire un aller-retour entre m et M. Le rayon finalement reflechi par le miroir tournant etait done devie d'un angle double, et 1'image se deplac,ait lateralement en a' ou en a'. L'importance du deplacement etait proportionnelle a Tangle dont le miroir avait tourne pendant 1'allerretour de la lumiere, angle qui dependait lui-meme de la vitesse de rotation du miroir et du temps qu'avait mis la lumiere a faire 1'allerretour. Foucault disait que la principale difficulte de 1'experience etait d'obtenir une image fine, etant donnee la complexite du trajet optique.
Figure 9.13. Vues dans 1'oculaire de 1'experience de Foucault en 1850 sur la vitesse de la lumiere dans 1'air et dans 1'eau. (a) Image apres propagation de la lumiere dans 1'air. Une marque verticale gravee sur une lame dans 1'oculaire est ajustee de facon a coincider avec 1'image du fil place dans 1'ouverture d'entree, (b) La hauteur de cette image est diminuee par un diaphragme. (c) L'image plus faible produite apres cheminement de la lumiere dans 1'eau est placee des deux cotes de 1'image de la branche « air ». (d) On fait tourner le miroir. Les deux images sont devices vers la droite par rapport au repere de 1'oculaire. La deviation est plus grande pour la branche « eau ».
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Figure 9.14. La sirene de Cagniard de Latour. Les engrenages de la partie superieure entrainent un compte-tours permettant de mesurer la vitesse de rotation.
Figure 9.15. Details de 1'admission de vapeur et du rotor de la turbine d'entrainement du miroir tournant de Foucault.
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Le miroir tournant etait fixe dans une monture en barillet maintenue entre des pointes (figure 9.16). Foucault a utilise soit un seul miroir, soit deux miroirs places dos a dos. Pour I'entrainement, il a abandonne le mouvement d'horlogerie, car il craignait qu'il ne s'use rapidement a grande vitesse. II emprunta a un acousticien, Cagniard de Latour, 1'idee de sa sirene. L'appareil de Cagniard de Latour (figure 9.14) etait appele sirene car il pouvait produire des sons sous 1'eau, comme les sirenes de la mythologie. Foucault 1'adapta sous la forme d'une turbine a 24 pales mue par la vapeur (figure 9.15 et 9.16). II fallait prendre beaucoup de precautions pour assurer une rotation sans heurt du miroir et de son armature. « C'est la seule partie delicate de la machine », remarquait Foucault11. Foucault devait assurer son equilibrage statique et dynamique a 1'aide d'une plaque triangulaire munie de trois vis, que Ton peut voir figure 9.16, entre le miroir et la turbine. La vapeur provenait d'une chaudiere de 25 litres et etait rechauffee avec une lampe a alcool juste avant usage. Des bouteilles sous legere pression apportaient 1'huile sur les paliers. II etait necessaire de proteger 1'optique des projections de vapeur et d'huile et aussi des courants d'air chaud a 1'aide d'ecrans. Foucault vit pour la premiere fois le deplacement de 1'image du fil le 17 fevrier 185018. II fut alors sur que 1'experience allait marcher. Mais il lui fallut encore deux mois pour installer la partie ou la lumiere passe dans 1'eau. Cette partie est semblable a celle ou ce trajet se fait dans 1'air, avec un autre miroir concave M pour reflechir la lumiere en formant les images a" et a" (figure 9.12). La lumiere traversait deux fois un tube plein d'eau de 3 metres de long ; une lentille convergente supplementaire U etait necessaire pour compenser 1'effet de la refraction dans 1'eau. Pour obtenir une bonne image, il fallait aussi que les fenetres qui fermaient le tube soient de qualite optique, avec des faces bien paralleles ; par chance, il y avait un fabriquant de telles lames a Paris, la maison Radiguet et fils. Ces fenetres devaient etre fixees sans contraintes aux extremites du tube. L'eau devait etre la plus limpide possible. Foucault decouvrit que le tube perdait des lamelles d'oxyde de zinc dans 1'eau, et il dut vernir 1'interieur avec de la resine de copal. L'eau distillee fourmillait de microorganismes qui la rendaient trouble, et 1'eau du robinet se revela bien plus transparente. Malgre toutes ces precautions, 1'image finale du fil etait verte et tres faible. C'est pourquoi Foucault et Fizeau durent tous deux avoir recours a la lumiere du Soleil. Finalement, Foucault plaga dos a dos deux miroirs dans le barillet rotatif, mais la surface reflechissante de ces miroirs devait elle aussi poser probleme. Cette surface etait faite d'une couche d'amalgame d'etain et de mercure, mais cette couche se detachait sous 1'effet de la force centrifuge quand la vitesse de rotation depassait 200 tours par
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Figure 9.16. Le miroir tournant de 14 millimetres entraine a la vapeur utilise par Foucault dans son experience air/eau de 1850.
seconde. Foucault deposa done sur les miroirs une couche d'argent plus robuste, grace a un precede chimique qui commenc,ait a etre commercialise. II devait plus tard utiliser ce precede pour argenter ses miroirs de telescopes, comme nous le verrons au chapitre 13. Afin d'observer simultanement les deux images du fil a travers Tair et a travers 1'eau, Foucault masqua le miroir M au moyen d'un ecran perce d'une fente horizontale (figure 9.17). Cette fente reduisait la hauteur de 1'image correspondante (figure 9.13b), et il pouvait voir au-dessus et en dessous, 1'image plus faible formee a travers 1'eau (figure 9.13c). L'experience reussit parfaitement le samedi 27 avril. Le deplacement de 1'image du fil etait plus grand pour la lumiere qui avait traverse 1'eau, comme illustre par la figure 9.13d. Le rapport des deux deviations etait bien dans le rapport calcule selon 1'indice de refraction de 1'eau. La theorie de 1'emission avait vecu ! Moins de trois heures apres, quatre autres personnes avaient observe dans 1'oculaire et confirme le resultat.
La proclamation du resultat Deux jours plus tard, Arago devait savoir que Ton s'approchait de la ligne d'arrivee, car il presenta a 1'Academie une communication inattendue, intitulee : « Note sur le systeme d'experiences, propose en 1838, pour prononcer definitivement entre la theorie des ondes et de la theorie de remission »6. Craignant des reclamations possibles de Wheatstone et de John Herschel, il y affirmait tout d'abord avoir eu 1'idee le premier. Puis il dressait un bref historique qui montrait que c'est Fizeau, et non pas Foucault, qui beneficiait de toute sa sympathie : Les choses etaient dans cet etat, lorsque M. Fizeau determina, par une experience si ingenieuse, la vitesse de la lumiere dans
Figure 9.17. (A gauche) Le miroir concave utilise pour renvoyer la lumiere vers le miroir tournant. (A droite) Le diaphragme place sur le miroir reduisait la hauteur de 1'image pour la voie ou la lumiere se propageait dans 1'air.
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1'atmosphere. Cette experience n'etant pas indiquee dans mon Memoire [de 1838], 1'auteur avait done le droit de la faire sans s'exposer au plus leger reproche d'indelicatesse. Quant a 1'experience de la vitesse comparative de la lumiere dans un liquide et dans l'air, 1'auteur m'ecrivait : « Je n'ai fait encore aucun essai dans ce sens, et je ne m'en occuperai que sur votre invitation formelle. » Cette reserve loyale ne pouvait qu'ajouter a 1'estime que le caractere et les travaux de M. Fizeau m'ont inspiree, et je me suis empresse d'autoriser M. Breguet a lui prefer un ou plusieurs de mes miroirs rotatifs. M. Foucault, dont 1'Academic connait 1'esprit inventif, est venu lui-meme me faire part du desir qu'il avait de soumettre a 1'epreuve de 1'experience une modification qu'il voulait apporter a mes appareils. Je ne puis, dans 1'etat actuel de ma vue, qu'accompagner de mes vceux les experimentateurs qui veulent suivre mes idees... Foucault etait present sur le bane des journalistes, mais il ne lui etait pas possible d'interrompre la seance pour annoncer son succes. Compte tenu des problemes qu'il avait rencontres avec le pendule conique et Tare electrique, il ne voulait cependant pas garder la nouvelle pour lui jusqu'au lundi suivant, car Fizeau et Breguet auraient bien pu reussir leur propre experience d'ici la. II ecrivit done une courte annonce publiee des le lendemain par le Journal des Debats19. Quatre jours plus tard, on lisait encore dans ce journal: Le Soleil ayant reparu ces jours-ci, 1'experience a pu etre repetee a plusieurs reprises en presence d'un certain nombre de savans frangais et etrangers, et deja les precedes qui en ont assure le succes commencent a etre connus et a se repandre dans le public20. Les « savans etrangers » etaient probablement ceux qui etaient presents a la seance de 1'Academie le lundi precedent c'est-a-dire les derniers emissionnistes ecossais, Sir David Brewster et Lord Brougham, et aussi De la Rive, de Geneve. Le lundi 6 mai suivant, Foucault fit son rapport a 1'Academic11. La vitesse de rotation du miroir etait estimee d'apres le son qu'il produisait, mais n'etait pas determinee avec precision, ce qui empechait d'obtenir une bonne mesure de la vitesse de la lumiere. Avec une vitesse de 600 a 800 tours par seconde, les deviations etaient de 0,2 a 0,3 millimetre. Foucault suggerera qu'on pourrait rendre la mesure absolue et 1'appliquer aussi aux rayons calorifiques grace aux petits thermometres qu'il avait utilises avec Fizeau. La presentation de Foucault etait suivie d'une communication de Fizeau et Breguet21. Eux aussi operaient avec un tube plein d'eau
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de 3 metres de long, mais le chemin dans 1'air etait plus court, soit 2,25 metres: La disposition des appareils est completement achevee, mais 1'etat de I'atmosphere ne nous a pas encore permis de faire 1'observation, et ces experiences exigent une lumiere si vive, qu'il n'est pas possible de remplacer la lumiere solaire par des lumieres artificielles. Si le temps eut ete decouvert hier ou aujourd'hui, nous aurions pu faire 1'observation et en presenter aujourd'hui le resultat a 1'Academic; si nos experiences ne sont pas encore terminees, c'est que nous avons attendu pour les entreprendre que M. Arago nous autorisat a nous occuper d'un sujet de recherches qui lui appartenait. La derniere remarque implique clairement que Foucault avait commence son experience sans demander 1'approbation d'Arago. De fait, Arago avait bien dit la semaine precedence que Foucault etait venu en personne [lui] faire part du desir qu'il avait d'entreprendre 1'experience, mais non pas pour lui demander I'autorisation. Si 1'ethique scientifique actuelle permet d'utiliser une idee des qu'elle est rendue publique, cela n'etait pas completement accepte au milieu du XIXe siecle. La rigueur etait encore plus grande au debut de ce siecle : les etrangers admis aux seances de 1'Academie etaient censes garder pour eux ce qu'ils y avaient entendu ; mais cette convention avait disparu en 1835, a 1'epoque de la creation des Comptes Rendus par Arago. Arago appartenait a la vieille ecole, du moins quand il s'agissait de ses propres idees. Bien qu'il eut encourage les autres a les exploiter, il etait tres jaloux de sa paternite. Cette histoire est-elle la cause de la brouille entre Fizeau et Foucault ? Nous n'en saurons jamais rien, car tous les documents qui auraient pu servir ont disparu. D'ailleurs, comme 1'ecrivait Cornu, « La science n'a rien a gagner a rechercher les motifs de cette separation, d'autant que la discretion et la courtoisie des deux rivaux 1'ont laissee ignorer au public. » Neanmoins, dans une tentative pour apaiser 1'influent, mais vieillissant secretaire perpetuel, et peut etre aussi Fizeau, Foucault concluait ainsi sa presentation a 1'Academie : Si les physiciens accueillent favorablement le fruit de mes premiers efforts, que tout 1'honneur en revienne a M. Arago qui, dans une pensee d'une hardiesse admirable, a montre que les questions relatives a la vitesse de la lumiere devaient passer du domaine de 1'astronomie dans celui de la physique, et qui, par une genereuse abnegation, a permis aux jeunes savants de se lancer avec ardeur dans la voie qu'il leur a tracee. La meteorologie devait etre aussi peu favorable que possible a ces jeunes savants (figure 9.18). De surcroit, Fizeau et Breguet
Figure 9.18. Comme le montrent les donnees obtenues a 1'Observatoire de Paris, le temps fut particulierement execrable au printemps de 1850. Des eclaircies le 27 avril ont permis a Foucault de montrer que la lumiere va plus vite dans 1'air que dans 1'eau. La confirmation par Fizeau et Breguet a ete annoncee le 17 juin.
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Figure 9.19. Lettre du compositeur Hector Berlioz a Foucault, lui demandant de venir voir son experience.
avaient du remplacer le tube en zinc qu'ils remplissaient d'eau par un tube plus court (2 metres) en cristal, ce qui retarda leur resultat: il n'annoncerent leur reussite que le 17 juin, sept sernaines apres Foucault22. Fizeau avait perdu, mais il aurait peut-etre gagne s'il n'avait pas ete occupe par un autre projet, dont il avait decrit les resultats des le 15 avril23. Avec un ingenieur des telegraphies, E. Gounelle (mort en 1863)24, il avait adapte son experience de la roue dentee a la mesure de la vitesse de 1'electricite, cette fois en coupant et retablissant alternativement le courant dans la ligne du telegraphe Paris-Rouen. D'apres Cornu, ce travail fut rec.u fraichement, car on pensait alors que I'electricite se propageait par diffusion, a une vitesse qui decroissait avec la distance parcourue, alors que le travail de Fizeau et Gounelle suggerait qu'elle etait constante. Foucault montra son appareil a des savants franc.ais, en premier lieu Dumas, devenu ministre de 1'Agriculture et du Commerce, qui avait emis le rapport favorable concernant Tare electrique dont nous avons parle au chapitre precedent. Mais le jour ou Dumas devait venir, une panne etait survenue. « Depuis ce moment, je travaille sans relache a conjurer toutes les chances d'accidents », ecrivit Foucault pour s'excuser25. D'autres personnes voulurent voir 1'experience, par exemple le compositeur Hector Berlioz, qui etait critique musical au Journal des Debats (figure 9.19).
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Un eminent historien de la science de Harvard, le regrette George Sarton, insistait sur 1'audace technique et les consequences decisives de 1'experience air-eau en declarant : « 1'histoire des experiences d'Arago-Foucault est a jamais une des plus belles de 1'histoire de I'humanite26 ». Malgre tout, 1'experience n'etait pas tout a fait Yexperimentum crucis qu'avait imaginee Arago. Elle montrait bien que la theorie corpusculaire n'etait pas en accord avec 1'experience, mais elle ne prouvait nullement que la theorie ondulatoire etait compatible avec toutes les observations. Les etudes ulterieures du rayonnement thermique des corps ont montre que la theorie ondulatoire ne suffit pas a en rendre compte. On sait qu'au debut du XXe siecle, ces etudes ont conduit a la creation de la theorie quantique du rayonnement, avec sa dualite ondes-corpuscules. Ces developpements sortent du cadre du present ouvrage, et nous nous contenterons de rappeler que les photons n'ont rien a voir avec les particules de lumiere de la theorie corpusculaire.
Foucault docteur es sciences En decembre 1850, Foucault regut une premiere distinction pour son travail scientifique : il fut nomme Chevalier de la Legion d'honneur pour avoir porte le coup fatal a la theorie emissionniste de la lumiere. Deux ans plus tard, au printemps 1853, Foucault soumit son experience a la Sorbonne en vue d'obtenir un doctorat es sciences physiques. Entre temps, il avait realise le pendule et le gyroscope, dont nous gardens aujourd'hui un souvenir plus vivace. II peut nous paraitre curieux qu'il n'ait pas presente ces sujets pour sa these: mais, comme nous le verrons au prochain chapitre, ce n'etaient pour lui que des demonstrations de la rotation de la Terre, sur laquelle on n'avait guere de doute, et done des nouveautes moins eclatantes. Et pourtant, Foucault faillit ne pas obtenir sa these ! Le jury comprenait trois membres. Le president etait Dumas, auquel Foucault avait dedicace son memoire en « temoignage d'admiration pour le Savant et pour le Professeur »27. Les membres etaient un autre chimiste, Balard, qui avait decouvert le brome et dont la « vivacite toute juvenile » devait contraster avec la « gravite » de Dumas28, et le physicien Cesar Despretz, qui avait deja fait passer son baccalaureat a Foucault. Lors de la soutenance, Foucault pouvait presenter soit deux theses sur des sujets differents, soit une seule these et repondre aux questions du jury29. II choisit la deuxieme option. II subsiste des notes preparatories a un discours de Despretz, qui, en 1861 s'opposait a la quatrieme candidature de Foucault a 1'Academic des sciences30. Despretz n'etait pas particulierement doue, mais il avait reussi a force de travail et de perseverance. « Sa vie etait reguliere a 1'exces »,
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Figure 9.20. Le diploma de doctorat de Foucault, decerne en 1853.
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ecrivait Moigno, et bien qu'il fut un examinateur plutot aimable, il etait solitaire et jaloux du succes academique des autres quand il estimait qu'il aurait du lui revenir31. Dans son discours, Despretz rappelle la soutenance de Foucault. Apres quelques remarques classiques, il dit: Je lui ai fait aussi quelques autres questions au moment ou il decrivait son appareil. Le tout avec politesse. II a repondu a tout, c'est-a-dire qu'il a parle sur mes observations, mais il n'a repondu en realite a rien [... ] 30 . Despretz demanda aussi a Foucault de corriger des erreurs dans les formules de son memoire, en les demontrant a nouveau. Mais Foucault n'y parvint pas32. II ne repondit pas non plus de fagon satisfaisante aux questions concernant la chimie. Le jury devait maintenant voter : Mes deux collegues ont donne la boule blanche a 1'experience. J'ai donne ma boule rouge a la these que je ne trouve ni bien f aite, ni bien soutenue [... ] Quant aux questions, nous avons ete tous les trois d'une grande indulgence. Je devais evidemment lui dormer une boule noire, parce qu'il ne m'a pu rien repondre. Je n'ai pas voulu le faire refuser, puis comme mes deux collegues sur ses reponses aux questions ne pouvaient pas lui dormer deuxboules blanches [... ] M. Balard a demande a M. Chasles [le mathematicien (1793-1880)] quelle etait son impression. Celuici a repondu : « tres defavorable ». C'est peut-etre a juste titre que Despretz pensait que Foucault avait mal defendu sa these, mais on peut s'etonner de ce qu'il 1'ait consideree comme mal faite. Peut-etre etait-il jaloux des succes de Foucault. De plus, Foucault ne s'etait pas mis en bonne posture, ayant affirme dans le Journal des Debats qu'une partie du travail de Despretz n'etait pas nouveau33, ou alors n'etait que « patiente et insipide besogne »34. Foucault savait depuis deux semaines quelles questions lui seraient posees, et on aurait pu s'attendre a des reponses correctes. On a 1'impression qu'il n'appreciait pas de passer un examen, qu'il considerait peut-etre cet examen comme un affront a son honneur et a sa dignite, et qu'il pensait que les examinateurs ne pouvaient pas refuser la these a 1'auteur de la celebre experience du pendule. II aurait tout de meme pu considerer ses reponses aux questions de chimie, qui etaient tres classiques, comme il le faisait pour ses feuilletons du Journal des Debats, qui exigeaient de lui precision et clarte. C'est du moins ce qu'aurait fait une personne moins imbue d'elle-meme que Foucault.
Chapitre 10 La rotation de la Terre : le pendule et le gyroscope L'industrie etait deja bien developpee en 1851,1'annee ou 1'experience du pendule a rendu Foucault celebre. Cette annee-la, une Exposition universelle des produits de 1'industrie de toutes les nations eut lieu a Londres dans le Crystal Palace, un batiment de fer et de verre tres innovant, et le telegraphe electrique relia la France a 1'Angleterre. Tout le monde ou presque etait alors persuade que la Terre tournait sur elle-meme en un jour. Pourquoi done la demonstration de ce fait etabli par Foucault suscita-t-elle une telle emotion, non seulement parmi les gens cultives, mais aussi chez rhomme de la rue ?
Le mouvement de la Terre
Figure 10.1. Les principaux mouvements de la Terre sont sa rotation diurne et sa revolution annuelle autour du Soleil. La rotation se fait avec une periode de 24 heures par rapport au Soleil ou de 23 heures 56 minutes 04.1 secondes par rapport aux etoiles. Aucun des pendules de Foucault construits jusqu'ici n'a atteint la precision qui lui permettrait d'etre affecte de facon appreciable par les mouvements secondaires de la Terre : precession des equinoxes, nutation, mouvement du pole, variations de la duree du jour et mouvement orbital autour du centre de la Galaxie. Par ailleurs, le Systeme solaire se deplace par rapport a 1'Univers local (tel qu'il est defini par le rayonnement cosmologique) a une vitesse de 370 kilometres par seconde.
L'idee que la Terre est en mouvement date des Grecs1. Des le Ve siecle avant notre ere, le philosophe et mathematicien pythagoricien Philolaos (ne vers 470 av. J.C.) avait defie le sens commun en suggerant, de fac,on aussi osee qu'incorrecte, qu'elle tournait chaque jour autour d'un feu central, de meme que le Soleil et la Lune. La rotation de la Terre sur elle-meme est un concept different, que Ton attribue habituellement a Heraclide du Pont (vers 540-480 av. J.C.). Deux siecles plus tard, Aristarque de Samos (vers 310-230 av. J.C.) avanga que la Terre tourne a la fois sur elle-meme et autour du Soleil (figure 10.1). II fut accuse d'impiete, et Ton sait que 1'idee d'une Terre immobile a ete soutenue par Aristote (384-322 av. J.C.) et par Ptolemee (vers 90-168 ap. J.C.), dont rinfluence a ete preponderant^ jusqu'a Nicolas Copernic (figure 10.2). On connait la suite, et en particulier les problemes qu'a rencontres Galilee (figure 9.1) pour faire admettre les idees heliocentriques. Les observations des mouvements de la Terre sont de nature differente pour prouver sa revolution autour du Soleil ou sa rotation. Le mouvement orbital autour du Soleil est mis en evidence par ses effets geometriques et cinematiques sur la position des etoiles : la parallaxe annuelle et 1'aberration, que nous avons examinees au chapitre precedent. En ce qui concerne la rotation de la Terre sur elle- Figure 10.2. Nicolas Copernic meme, il ne fait aucun doute qu'il existe un mouvement diurne relatif (1473-1543).
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entre la Terre et les etoiles ou le Soleil, qui se levent et se couchent chaque jour. Mais est-ce la Terre ou est-ce le ciel qui tourne ? Par exemple, Copernic disait: Comme le ciel est ce qui contient et embrasse tout, le lieu commun de toutes les choses, il n'est pas immediatement clair pourquoi le mouvement ne doit pas etre attribue au contenu plutot qu'au contenant. L'idee que c'est le contenu, c'est-a-dire la Terre, qui tourne, est certes plausible. On 1'a souvent exprimee par des analogies simples, en comparant la Terre a un roti sur une broche qui tourne autour du foyer plutot que le foyer autour du roti2. Mais cette analogic n'est pas une demonstration. La cinematique — c'est-a-dire la discussion du seul mouvement independamment de ses causes — ne peut pas prouver 1'existence d'une rotation absolue de la Terre. La preuve requiert un argument physique, emprunte a la dynamique. La dynamique d'Aristote suggerait que la rotation de la Terre devait causer la deviation vers 1'ouest d'un projectile lance verticalement. Le pere Marin Mersenne (1588-1648), qui a traduit les ceuvres de Galilee en frangais, a tire verticalement des coups d'arquebuse puis de canon, mais il n'a pas vu retomber le projectile (figure P.I) ! II paraissait plus commode de faire des experiences avec des poids tombant en chute libre. Cependant, on ne savait pas encore exactement quel etait 1'effet de la rotation de la Terre sur la chute d'un corps. Newton, apres avoir etabli la relation entre la force et le mouvement, a f onde une dynamique a partir de 1'idee d'un temps absolu, et aussi d'un espace absolu dans lequel le centre de masse du Systeme solaire serait au repos. D'apres cette dynamique, il predisait qu'un poids en chute libre serait devie vers 1'est. Son argument etait que le haut de la tour d'ou on laissait tomber le poids etant plus eloigne du centre de la Terre que le sol, sa vitesse vers 1'est etait done plus grande que celle de la base de la tour : cette vitesse en exces faisait que le poids devait etre devie vers 1'est dans sa chute. Hooke, qui s'opposait a Newton sur la nature de la lumiere (page 62), n'etait pas non plus d'accord avec cette demonstration. II affirmait que la chute d'un poids devait etre traitee comme un mouvement orbital, ce qui est juste, et predisait, en plus de la deviation vers Test, une deviation importante vers 1'equateur. Cette seconde conclusion etait cependant erronee. Dans la pratique, la deviation ne peut etre mesuree que par rapport a la verticale, telle qu'elle est definie par un fil a plomb. Mais le plomb, comme tout autre corps terrestre tournant avec la Terre, est soumis, du fait de la rotation de celle-ci, a une acceleration centrifuge, qui fait que la verticale locale ne passe pas par le centre de la Terre mais s'en ecarte d'un angle qui depend de la latitude. A Paris, la verticale
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est ainsi device d'environ un dixieme de degre3. Newton a predit d'autres effets de 1'acceleration centrifuge, tels que la reduction de la gravite a 1'equateur, et 1'aplatissement du globe terrestre aux poles (figure 10.3). II se trouve que la deviation de la verticale compense exactement la deviation vers 1'equateur p revue par Hooke. L'erreur de Hooke est suffisamment subtile pour n'avoir ete decouverte qu'au debut du XIXe siecle. La deviation ne fut finalement calculee de maniere correcte, en tenant meme compte de la resistance de 1'air, que par Laplace et par le mathematicien allemand Karl Gauss (1777-1855). La deviation qu'un observateur terrestre peut en principe observer est dirigee vers Test et n'atteint que 10 millimetres a Paris apres une chute de 80 metres4. Comme nous 1'avons vu au chapitre 9, la premiere preuve de la revolution de la Terre autour du Soleil est 1'aberration, decouverte par Bradley. Cette decouverte fit sensation ; d'Alembert la considerait comme la plus importante du XVIIP siecle. La premiere indication en faveur de la rotation de la Terre sur elle-meme fut son aplatissement, mis en evidence par la comparaison de la longueur d'arcs de meridien mesures par Maupertuis en Laponie en 1736 et 1737 et par La Condamine et Bouguer au Perou, dans les annees 1740. On a aussi tente de comparer 1'attraction de la pesanteur a diverses latitudes, mais les mesures etaient difficiles a interpreter : en effet, si 1'acceleration centrifuge reduit bien la gravite apparente aux basses latitudes, la gravite y est egalement diminuee physiquement car en raison de la forme de la planete, 1'equateur est plus eloigne du centre de la Terre que les poles. Personne ne contestait plus que la Terre tourne sur elle-meme. Les consequences dynamiques etaient claires : la chute des corps devait etre perturbee par cette rotation mais aucune experience ne 1'avait encore montre. De nombreux chercheurs ont essaye de mesurer la deviation de la chute des corps par rapport a la verticale : Hooke en 1679-80, mais avec une chute de 8 metres seulement ; 1'Abbe Giambattista Guglielmini depuis la tour Asinelli a Bologne en 1791 (78 metres); J.F. Benzenberg depuis la tour de 1'eglise SaintMichael de Hambourg en 1802 (76 metres), puis en 1804 dans un puits de mine a Schlebusch pres de Cologne (85 metres) ; et enfin Ferdinand Reich en 1831 dans la mine des Trois Freres a Freiberg (158 metres). Retrospectivement, nous pensons que les experiences de Benzenberg et de Reich auraient probablement montre la rotation de la Terre si elles avaient ete correctement interpreters. Quoi qu'il en soit, il n'existait pas encore en 1851 de preuve dynamique formelle
Figure 10.3. Ce dispositif simule la forme de la Terre, qui est (ou a ete) deformable. Quand on le met en rotation, la bande de metal s'aplatit sous 1'effet de la force centrifuge, comme 1'a fait la Terre.
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de la rotation de la Terre. Comme 1'avait ecrit Laplace, cinquante ans auparavant, dans sa Mecanique Celeste : Quoique la rotation de la Terre soit maintenant etablie avec toute la certitude que les sciences physiques comportent, cependant une preuve directe de ce phenomene doit interesser les geometres et les astronornes.
La rotation de la Terre revelee En juin 1849, Foucault avait ecrit un article concernant une theorie des courants marins due a Babinet. Selon cette theorie, c'etait la rotation de la Terre qui gouvernait la circulation des courants oceaniques, de la meme maniere qu'elle le faisait pour les vents dominants. Foucault concluait ainsi: Cette double circulation de I'air et de 1'eau a pour adoucir les climats une influence immense, et Ton a peine a s'imaginer ce que deviendrait notre pays si, la Terre restant en place, le Soleil se mettait a tourner autour d'elle, suivant le systeme de Ptolemee [... ] Le mouvement de rotation de la Terre entre done comme un element important dans l'harmonie du monde que nous habitons ; il s'y trahit meme par des phenomenes qui le rendent sensible sans que nous ayons besoin de jeter les yeux sur la voute du ciel pour y chercher des points de repere fixes5.
Auparavant, Foucault et Fizeau avaient tente de detecter, par une methode optique, le mouvement de la Terre sur son orbite. Us pensaient que les ondes lumineuses etaient la vibration d'un milieu, Tether, comme le son est la vibration de 1'air. Us s'attendaient done a ce que la vitesse et la longueur d'onde de la lumiere soient affeetees par le mouvement de la source et de 1'observateur dans I'ether comme le son 1'etait dans I'air, ce que Fizeau lui-meme venait juste d'expliquer devant la Societe philomatique. L'ether etait suppose etre au repos, representant 1'espace absolu de Newton. Puisque le mouvement de la Terre change de direction au cours de 1'annee, on aurait du voir, dans une experience purement terrestre, des variations de la vitesse ou de la longueur d'onde de la lumiere. Or, on n'avait rien observe de tel. Le 27 mai 1850, quelques semaines seulement apres la reussite de 1'experience du miroir tournant, Foucault deposait a 1'Academic un pli cachete ou il decrivait des essais faits « dans [son] laboratoire » : L'impossibilite de constater autrement que sur les etoiles aucun phenomene d'aberration du au mouvement de translation de la Terre dans 1'espace nous a fait adopter, a M. Fizeau et a moi, cette6idee que I'ether est entraine avec la matiere ponderable
[...]
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La rotation de la Terre: le pendule et le gyroscope
L'idee d'un entrainement de Tether par la matiere n'etait pas nouvelle. Pour qu'on ne voie rien dans les laboratoires terrestres, il fallait cependant que cet entrainement de Tether fut total. Or, dans le cadre de sa theorie ondulatoire de la lumiere, Fresnel avait predit un entrainement partiel de Tether, qui etait cense dependre de Tindice de refraction et de la vitesse du milieu par rapport a Tespace absolu. Pour realiser leur experience, Foucault et Fizeau avaient adopte le «tube double » conc.u par Arago plusieurs decennies auparavant7. Uappareil etait derive du dispositif d'interference de Young (figure 5.6), ou Ton faisait passer les deux faisceaux lumineux dans deux tubes paralleles. Arago mettait de Tair sec dans un des tubes et de Tair humide dans Tautre, et detectait le petit deplacement des franges d'interferences qui est produit par la faible difference entre les indices de refraction des deux milieux. L'experience de Foucault et Fizeau reprenait le meme dispositif, mais ils faisaient passer des courants d'air en sens inverse dans les deux tubes paralleles, dans Tespoir de voir s'ajouter les entrainements de Tether par Tair. Ils ne virent aucun deplacement des franges8. Foucault etait done prepare a Tidee que la rotation de la Terre puisse etre mise en evidence par quelque phenomene subtil.
Les germes de 1'experience du pendule Contrairement a certaines informations fantaisistes donnees par Louis Figuier9, Foucault a dit lui-meme : « ce qui m'a mis sur la voie » de Texperience du pendule est le fait que le plan de vibration d'une verge fixee dans le mandrin d'un tour reste fixe lorsqu'on met le tour en rotation (figure 10.4)10. Cet effet nous parait toujours surprenant. Si le plan de vibration reste fixe, c'est qu'il n'y a aucune force qui puisse le faire tourner. On ne sait pas quand Foucault a imagine Tanalogie entre le mandrin du tour et la Terre, et entre la verge et le pendule. II s'est rendu compte qu'un observateur terrestre devrait voir la rotation de la Terre se manifester sous la forme d'une lente rotation apparente en sens inverse du plan d'oscillation d'un pendule libre. En utilisant le langage des marins, on peut dire qu'un pendule situe dans Themisphere nord et suppose vu du dessus vire dans le sens des aiguilles d'une montre. Le sens de rotation du pendule est inverse dans Themisphere sud*. Foucault realisa la premiere experience du pendule dans la cave de sa maison de la rue d'Assas (figure 5.13). C'est Froment qui avait * La rotation du plan du pendule est souvent appelee improprement precession (voir la figure 10.27).
Figure 10.4. (En haut) Une verge
fixee dans le mandrin d'un tour est mise en vibration dans un plan donne. (En bus) Quand on met le tour en rotation, il n'y a aucune force susceptible de devier le plan de vibration, et la verge continue a vibrer dans ce plan.
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Leon Foucault
PHYSIQUE. — Demonstration physique du mouvement de rotation de la terre au moyen du pendule; par M. L. FOUCAULT. (Commissaires, MM. Arago, Pouillet, Binet.)
Figure 10.5. Le debut de la communication de Foucault dans les Comptes Rendus du 3 fevrier 1851, annoncant 1'experience du pendule.10
« Les observations si nombreuses et si importantes dont le pendule a ete jusqu'ici 1'objet, sont surtout relatives a la duree des oscillations; celles que je me propose de faire connaitre a I'Academie ont principalement porte sur la direction du plan d'oscillation qui, se deplacant graduellement, d'orient en Occident, fournit un signe sensible du mouvement diurne du globe terrestre.
construit ce pendule, de meme qu'il devait construire tous les suivants. Une « forte piece » de fonte etait fixee a la voute, a laquelle etait suspendue une boule de laiton de 5 kilogrammes au bout d'un fil d'acier de 2 metres de long. Foucault se plaignait des vibrations dues aux petites industries locales ou au passage des camions traines par des chevaux, vibrations auxquelles 1'Observatoire lui-meme n'echappait pas completement11. Nous pouvons imaginer Foucault travaillant la nuit, une tasse de cafe a portee de main : Vendredi [3 Janvier 1851], de 1 heure a 2 : premiere experience, resultat favorable; le fil casse. Mercredi, 8 Janvier [1851], 2 heures du matin : le pendule a tourne dans le sens du mouvement diurne de la sphere celeste.
Figure 10.6. « La suspension proprement dite est toujours tres delicate a etablir », ecrivait Foucault12. Pour eviter la rupture du fil du a la fatigue du metal, la suspension de ses premiers pendules utilisait probablement ce montage, ou le fil suit une courbure progressive avant de sortir de la tete au niveau de la vis de maintien.
Foucault annonc.a aussitot sa decouverte a Arago. Bien qu'il fut quelque peu en froid avec Foucault, Arago considera qu'une demonstration en vaudrait la peine, et 1'autorisa a monter un pendule de 11 metres dans la salle du Meridien de 1'Observatoire. Aucun lieu ne pouvait etre plus approprie. Entre autres avantages, il permettait un acces facile a la suspension du pendule, qui est un des elements les plus delicats de 1'experience: en effet, le pendule etait probablement suspendu au sommet de la coupole Nord de cette salle (non visible figure 9.11), qui est accessible du dessus. Mais si on passe le fil dans un trou d'un diametre juste superieur a sa section, perce dans un bloc de metal, il se courbe fortement a la sortie de ce trou et finit par se rompre en raison de la fatigue du materiau. C'est probablement ce qui a cause la rupture du fil le 3 Janvier. Dans son Astronomie populaire, Arago montre un dispositif preferable, ou le trou n'est pas cylindrique mais evase vers le haut comme le pavilion d'une trompette, si bien que la courbure du fil est progressive (figure 10.6). II est vraisemblable que Foucault a adopte ce montage, car nous n'avons aucune indication d'une rupture du fil dans la salle du Meridien. Le 3 fevrier, Foucault annonga sa decouverte a I'Academie des sciences par une communication ecrite (figure 10.5), qui fut presentee par Arago « de la maniere la plus flatteuse pour 1'auteur », d'apres
La rotation de la Terre : le pendule et le gyroscope
le journaliste du Siecle. Des compliments furent aussi adresses par C.S.M.M.R. Pouillet (1790-1868), ancien directeur du Conservatoire des Arts et Metiers et physicien renomme pour la clarte de ses traites, qui etaient largement diffuses. Foucault nota que le plan du pendule devrait tourner de 360° par jour sideral aux poles de la Terre, mais que sa periode de rotation etait plus longue aux latitudes moins elevees, etant divisee par le sinus de la latitude (pour ceux qui 1'auraient oubliee, la figure 10.7 rappelle la definition du sinus, qui varie de 0 pour un angle nul a 1 pour un angle de 90°). Pour le demontrer, ecrivait-il, « il faut recourir soit a 1'analyse, soit a des considerations mecaniques que ne comporte pas 1'etendue restreinte de cette Note [ . . . ] » Nous verrons plus loin combien il eut raison de ne pas s'etre engage a ce sujet. Foucault remarqua que la rotation du plan de son pendule s'accordait avec les predictions d'un memoire du physicien Denis Poisson, lu a 1'Academie en 1837 : ce dernier avait etudie la deviation produite par la rotation terrestre sur le mouvement d'un projectile lance horizontalement. Cette deviation se produit vers la droite dans 1'hemisphere nord13. Cependant, 1'effet de la rotation de la Terre sur un projectile, comme d'ailleurs sur un poids en chute libre, est tres petit et done difficile a observer, et Foucault continuait en disant: « Toutefois le pendule presente 1'avantage d'accumuler les effets. » La deviation vers la droite qui se produit a chaque oscillation du pendule se cumule en effet avec les precedentes pour produire une rotation incontestable du plan d'oscillation, comme 1'explique la figure 10.8. C'est la raison pour laquelle 1'experience de Foucault a reussi, alors que tous ses predecesseurs n'ont rien tire de leurs experiences dans les tours ou dans les mines. « Le pendule [...], ecrivait Foucault, [est done] 1'un des plus precieux instrumens de la physique, 1'une des plus belles conceptions de Galilee. »14 Arago et Foucault deciderent qu'il fallait faire de la publicite pour la demonstration a 1'Observatoire. « Vous etes invites a voir tourner la Terre, dans la salle meridienne de 1'Observatoire de Paris, demain, de 2 heures a 3 heures. Tel est, en substance, le billet adresse la semaine passee a quelques personnes par M. Leon Foucault », ecrivait, dans Le National, un journaliste nomme Terrien. « A 1'heure dite, j'etais au rendez-vous, dans la salle de la Meridienne, et j'ai vu tourner la Terre. »15 Un pendule long presente divers avantages. II est moins sujet aux perturbations exterieures, et la rotation du plan est plus facile a voir que pour un pendule court car 1'oscillation est plus lente : le pendule tourne done d'un angle plus grand a chaque oscillation. De plus, 1'amplitude est importante et le deplacement lateral de la boule a chaque oscillation est plus facile a apprecier. Pour mieux voir le deplacement, Foucault prolongeait la boule par un style pointu, et
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Figure 10.7. Le sinus de Tangle A, sinA, est le rapport du cote oppose o a 1'hypotenuse h du triangle rectangle : sin A = o/h.
Figure 10.8. Dans 1'hemisphere norcl, la boule du pendule est legerement device vers la droite a chaque oscillation. La succession de ces deviations D occasionne une rotation vers la gauche (ou, vu du dessus, dans le sens des aiguilles d'une montre) du plan d'oscillation du pendule vu par un observateur terrestre. La deviation a ete considerablement exageree pour la clarte de la figure.
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plagait en dessous un autre style fixe pointant cette fois vers le haut, que le style mobile venait affleurer a son elongation maximale. On pouvait ainsi observer la rotation apres une seule oscillation16.
Le sinus de la latitude
Figure 10.9. Le premier pendule de table : gravure dans L'Illustration du 5 avril 1851 illustrant une reimpression de 1'article de Foucault dans le Journal des Debats,
paru la semaine precedente. Ce pendule comporte une manivelle permettant de faire tourner sur lui-meme le fil (et done la boule), dans le but de montrer que cette rotation n'affecte pas le mouvement du pendule. Tableau 10.1. Temps mis par le pendule de Foucault pour tourner de360°. Hemisphere Nord (Sens des aiguilles d'une montre) Pole Nord Fairbanks Edinbourg Paris Los Angeles Bombay Lagos Singapour
90 65 56 49 34 19 6,4 1,3
°N °N °N °N °N °N °N °N
23h56m 26h24m 28h53m 31h47m 42h48m 73h49m 21 4h 1070h
Hemisphere Sud (Sens inverse des aiguilles d'une montre) Rio de Janiero Sydney Base Scott Pole Sud
23 34 78 90
°S °S °S °S
61 hi 5m 42h56m 24h29m 23h56m
Avant d'aborder le sinus de la latitude, le facteur dont parle Foucault, et ses interpretations simplistes qui ont cause bien des confusions depuis 1851, il faut nous faire une idee claire de ce qu'est le mouvement du pendule de Foucault. Remarquons tout d'abord que la rotation sur lui-meme du fil de suspension du pendule, et finalement de la boule, ne produit aucun effet sur 1'oscillation du pendule et sur 1'orientation du plan de cette oscillation. La situation est la meme que pour la verge vibrante, qui continue a osciller dans le meme plan lorsqu'on met le tour en rotation, bien qu'elle tourne sur elle-meme avec le mandrin (figure 10.4). Un pendule de table du a Foucault lui-meme (figure 10.9) a ete utilise pour le demontrer experimentalement. La force de rappel qui produit 1'oscillation du pendule est la resultante du poids de la boule (c'est-a-dire de 1'attraction gravitationnelle de la Terre) et de la tension du fil. Pour un pendule qui serait place au pole nord ou au pole sud de la Terre, ces deux forces se trouvent dans un plan qui contient 1'axe de la Terre, qui est une direction fixe dans 1'espace. La rotation de la Terre ne produit alors aucun effet sur 1'oscillation du pendule, dont le plan reste done fixe par rapport aux etoiles. Pour un observateur situe sur la Terre, le plan du pendule effectue done un tour complet en un jour sideral de 23h56m en temps universel. La situation est plus complexe pour un pendule situe ailleurs qu'au pole. L'attraction gravitationnelle de la Terre sur la boule cree une force qui est toujours dirigee vers le centre de la Terre, mais cette fois, la direction de cette force change par rapport aux etoiles, decrivant un cone au cours de la journee. De plus, le point de suspension du pendule se deplace avec la rotation de la Terre. Les forces qui s'exercent sur la boule, poids et tension, se comportent done de maniere plus complexe qu'au pole, et c'est ce qui donne le facteur sin A. Par exemple, un pendule au pole effectue un tour en 23h56m mais le plan d'oscillation d'un pendule situe a une latitude de 30 °Nord, ou sin A = 1/2, tourne deux fois plus lentement, soit 47h52m. Les temps de rotation pour d'autres latitudes sont donnes parle tableau 10.1. Le mouvement d'un pendule de Foucault a la latitude de Paris est illustre par la figure 10.10. Les mathematiciens reperent souvent un plan par une droite qui lui est perpendiculaire. C'est ce que
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nous avons fait dans cette figure, ou le plan dans lequel oscille le pendule est symbolise par une longue fleche en grise. Pour un observateur terrestre, cette fleche parcourt I'horizon en a peu pres 32 heures. Le calcul, que nous ne pouvons presenter ici mais que certains ont fait des la demonstration de Foucault, montre que la fleche suit exactement la composante horizontale du mouvement apparent des etoiles proches de 1'horizon17. Le mouvement apparent des etoiles est represente par des fleches sombres ; la trigonometric spherique permet de montrer que, pour les etoiles tres proches de I'horizon (done a leur lever ou a leur coucher), la projection de ces fleches sur I'horizon a toujours la meme longueur, qui correspond a un mouvement angulaire identique a celui du pendule. En quelque sorte, le pendule « suit » le mouvement des etoiles du mieux qu'il peut, compte tenu du fait qu'il reste attache a la Terre. Un modele didactique plus perfectionne que celui de la figure 10.9 a ete montre a 1'Academic et a la Societe d'encouragement par un certain capitaine Edouard Silvestre18. Ce modele (figure 10.11) pouvait etre ajuste pour n'importe quelle latitude, et on obtenait la loi en sinus pour la rotation du plan de son petit« pendule » par la friction du disque incline sur le disque horizontal. « En agissant sur une manivelle, ecrivait Foucault, on se donne a peu pres le spectacle qui serait reserve a un observateur qui, pouvant s'isoler du mouvement de la Terre, s'etablirait en quelque point fixe dans 1'espace, et suivrait d'un regard attentif les mouvemens absolus et relatifs du meridien, de la verticale et du plan d'oscillation. »19
L'experience du Pantheon « M. Foucault ne s'en tiendra pas la, je 1'espere », continuait Terrien dans son reportage: Une experience de cette qualite veut etre faite publiquement, dans des proportions plus grandioses, et avec quelque solennite. C'est a la voute du Pantheon qu'il convient de suspendre un fil long d'une soixantaine de metres; ces nobles murailles, qui choment en attendant la magnifique decoration que le peintre leur prepare dans un laborieux silence, sont dignes de servir de cadre a 1'une des plus belles experiences qui soient jamais sorties de 1'esprit d'un physicien. Le Pantheon, au cceur du quartier Latin, etait 1'ancienne eglise Sainte-Genevieve, construite par Soufflot a la fin du XVIIP siecle, et presque aussitot transformee, en 1791 par 1'Assemblee constituante, en Pantheon frangais (figure 10.12). Bien entendu, le Pantheon devint vite un symbole de la lutte entre le republicanisms anticlerical et le catholicisme. Napoleon ler en fit de nouveau une eglise, puis
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Figure 10.10. Le mouvement du pendule de Foucault a la latitude de Paris, repere par rapport a la sphere celeste. Pour 1'observateur terrestre, le plan d'oscillation du pendule, represente par une longue fleche en grise qui lui est perpendiculaire, tourne lentement dans le sens des aiguilles d'une montre. Au bout d'un jour, le plan parti de la position 0 est arrive au point 1, apres environ trois quarts de tour. La rotation complete prend environ 32 heures. Les fleches sombres representent le mouvement angulaire des etoiles, et done de la sphere celeste. Le plan du pendule tourne a la meme vitesse que la projection sur I'horizon d'une etoile a son lever ou a son coucher.
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Louis-Philippe lui rendit son usage civil. La deuxieme Republique envisagea d'en faire un Temple de I'Humanite. Avec une hate surprenante, on commanda au peintre Paul Chevanard la decoration des murs. Pendant les journees de juin 1848, les insurges s'etaient refugies dans le Pantheon, d'ou ils furent deloges de maniere sanglante. L'edifice etait reste ferme depuis cette epoque20. II fallait done une autorisation gouvernementale pour installer le pendule dans un endroit aussi sensible, autorisation que seul le Prince-president pouvait dormer, comme 1'explique Foucault dans le Journal des Debats :
Figure 10.11. Un appareil construit en 1851 par le capitaine Silvestre, qui peut etre ajuste pour reproduire la rotation du plan d'oscilation du pendule pour toute latitude nord.
Figure 10.12. Le Pantheon. Lorsque cette ancienne eglise fut transformee en Temple destine a recevoir les cendres des grands hommes
a la Revolution, on mura les fenetres pour rendre 1'interieur plus solennel, et on inscrivit au fronton la celebre phrase : « Aux grands hommes, la Pa trie reconnaissante ».
Mais sous les voutes elevees de certains edifices, le phenomene devait prendre une splendeur magnifique. Nous avons trouve dans le Pantheon un emplacement merveilleusement approprie a 1'installation d'un pendule gigantesque ; nous avons trouve pareillement dans 1'administration les dispositions les plus favorables a 1'execution du progres que suggerait la vue de cette immense coupole. Sur une simple description du projet d'experience, sur 1'enonce des resultats probables qu'elle fournirait a la science et qu'elle mettrait sous les yeux de tout le monde, le president de la Republique resolut que la chose serait faite, et avec la rapidite de 1'eclair, sa haute protection reagissant jusqu'au dernier degre de 1'echelle administrative, on vit, en moins de quinze jours, se dresser les appareils [... ]14 « Pour que 1'appareil fut digne de remplacement, ecrivitplus tard Foucault, on me fit savoir que les frais d'etablissement ne resteraient pas a ma charge. »21 Le projet de Chevanard comprenait une fresque ayant pour sujet Galilee emprisonne par le Saint-Siege pour avoir suggere que la Terre n'etait pas le centre de I'Univers. Le pendule etait la preuve tangible de la veracite des vues de Galilee, et certains pouvaient considerer son installation au Pantheon comme une victoire du rationalisme sur la foi. Terrien s'en fait le temoin : « Entre les paroles de Teveque et celles de Tastronome, choisissez » ecrivait-il22. « M. Foucault se proclame heretique a la fa^on de Galilee », ecrivait un autre journaliste23. Mais si la fresque de Chevanard etait deliberement provocatrice, et d'ailleurs condamnee par le tres catholique quotidien I'Univers (« L'eglise Sainte-Genevieve semble a jamais vouee a la profanation et au sacrilege »24), ce n'etait pas forcement le cas du pendule. Nous ne savons pas si Foucault etait croyant, mais en tout cas il n'etait pas anticlerical : il etait familier de 1'Eglise par 1'intermediaire de sa mere, tres religieuse, et du jovial abbe Moigno. Le choix du Pantheon n'etait dicte a ses yeux que par ses avantages techniques et la splendeur du lieu, et les raisons probables de 1'approbation de Louis-Napoleon n'etaient que son admiration pour la science et 1'aspect grandiose de la manifestation. L'Univers ne vit d'ailleurs rien de reprehensible dans 1'mstallation du pendule, estimant meme que
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Figure 10.13. Le pendule de Foucault au Pantheon, en mars-avril 1851. « Des qu'il entre en mouvement, ce pendule appartient en quelque sorte aux espaces celestes », ecrivait Foucault. L'artiste a exagere la taille de la boule ; son diametre reel n'etait que de 17 centimetres. Cette gravure fut publiee par /'Illustration le 5 avril 1851, deux ou trois semaines apres le debut des demonstrations publiques. La statue de I'lmmortalite, aujourd'hui enlevee, se trouvait en fait dans 1'abside, 40 metres derriere le pendule.
le Pantheon « doit etre tout fier d'avoir enfin regu une occupation honnete »25. Nous ne savons pas qui a eu 1'idee d'utiliser le Pantheon. Certainement pas Terrien, car son article n'est paru que le 19 fevrier, le jour ou Foucault a rec,u la permission de s'y installer26. Une gravure contemporaine parue dans 1'hebdomadaire L'lllustration est reproduite figure 10.13. Une fois de plus, c'est Froment qui avait construit le materiel, en moins de deux semaines14. L'installation elle-meme a ete rapide, puisque le 20 mars, Le Siede indiquait que 1'experience fonctionnait deja « depuis plusieurs jours ». Le Pantheon possede trois coupoles superposees. La coupole interne presente une ouverture qui permet de voir la fresque qui orne 1'interieur de la coupole intermediaire. Cette peinture, due au baron Antoine Gros (1771-1835), represente I'apotheose de Louis XVIII, avec sainte Genevieve qui etend les bras pour proteger la France. On
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Figure 10.14. Le pendule du Pantheon etait supporte par une poutre de 40 centimetres de section, posee a travers 1'ouverture du sommet de la coupole intermediaire.
retira un bouchon situe au sommet de cette coupole intermediaire, bouchon sur lequel Gros avait represente le Soleil pour couronner sa composition. On plac.a, a travers 1'ouverture ainsi amenagee, une poutre en sapin de 40 centimetres de section carree, qui supportait le fil de 1,4 millimetre de diametre (figure 10.14). La boule, situee 67 metres plus bas, etait une sphere creuse en laiton de 17 centimetres de diametre, a 1'interieur de laquelle on avait coule du plomb pour atteindre une masse totale de 28 kilogrammes (planche 5, page 198). Une boule de cette masse, comparable a celle d'une petite boule de demolition, n'est pas sans danger. Aussi, pour en proteger le public et pour empecher les spectateurs d'interferer avec son mouvement, on avait place une balustrade tout autour du dispositif. Foucault avait envisage les consequences desastreuses d'une rupture eventuelle du fil, aussi Ton repandit une epaisseur de 20 centimetres de terre sur le dallage. Une echelle graduee en degres et quarts de degres, de 6 metres de diametre, permettait de voir la progression du pendule. Pour les gens presses, on avait dispose un petit tas de sable humide sur lequel le style du pendule elargissait une breche a chaque oscillation, a 2,3 millimetres de la precedente. L'effet a du etre spectaculaire, car Foucault commentait: Tout homme, mis en presence du fait, convert! ou non aux idees regnantes, demeure quelques instants pensif et silencieux, et generalement il se retire emportant par devers lui un sentiment plus pressant et plus vif de notre incessante mobilite dans 1'espace.
Le mois de mars 1851 fut tres mediocre : il y avait une epidemic de grippe27, de la neige, et des pluies si torrentielles que la Seine avait beaucoup monte. Cela n'empecha pas la foule de se precipiter pour voir le pendule. L'entree etait libre, et Foucault etait souvent la pour expliquer 1'experience. II avait de quoi etre fier, mais « [ . . . ] ceux qui 1'ont vu agir sous cette magnifique coupole n'ont ete frappes que de la modestie et de la simplicite de ses allures », dit plus tard Donne.
La manie du pendule La « manie du pendule », comme 1'appelle un journal, se repandit comme feu de poudre28. « Les journaux [... ] ont inonde la province de details de cette important decouverte », ecrivait un medecin de campagne de Barsac pres de Bordeaux29. Les savants, mais aussi les philosophes en chambre, essayaient de comprendre le phenomene, comme nous le verrons dans la prochaine section. Des le 22 mars, 1'Angleterre etait informee grace a la Literary Gazette, et, des le 9 avril, au cours d'une soiree un pendule oscillait a la Russell Institution de
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Great Coram Street a Londres, avec un succes considerable. On installa ensuite des pendules a Oxford, Bristol, Dublin, Liverpool et York. En France, 1'experience fut repetee a Rennes et dans la cathedrale de Reims, tandis que le pere Angelo Secchi (1818-1878), astronome au Vatican, montait un pendule a Rome. En juillet, des collegues de De la Rive installaient un pendule dans la cathedrale Saint-Pierre de Geneve sous 1'impulsion du General Dufour (17871874), celebre en Suisse pour avoir evite une guerre civile en 1847. II y en eut aussi des pendules a Cologne, a Florence, a Gand, a Bruxelles, a Rio de Janeiro et certainement en beaucoup d'autres endroits. La manie du pendule atteignit les Etats-Unis, ou 1'experience fut repetee dans au moins 25 villes pendant 1'ete de 1851 (figure 10.15).
I/interpretation du mouvement du pendule Des tentatives d'explications du fameux facteur sin A furent donnees des la premiere semaine suivant la presentation de Foucault a 1'Academic. Le premier a s'exprimer fut Jacques Binet (17861856), professeur de mecanique a 1'Ecole poly technique et professeur d'astronomie au College de France. Binet est bien oublie aujourd'hui, mais il fut 1'un des trois membres charges par 1'Academie d'examiner le memoire de Foucault (les deux autres etaient Arago et Pouillet). Pour Binet, la question relevait du domaine de la dynamique, et necessitait de considerer les differentes accelerations qui s'exer^aient sur le pendule, et leur consequence sur la trajectoire de la boule. Newton avait etabli la relation entre la force, 1'acceleration et le mouvement dans un repere galileen xyz (dit aussi repere inertiel, figure 10.16), qui est soit au repos, soit anime d'un mouvement de translation uniforme, sans acceleration ni rotation. La force exercee sur un corps cree une acceleration qui lui est proportionnelle, acceleration qui fait varier la vitesse du corps. Mais les choses se compliquent lorsqu'on se place dans un repere non galileen, comme les axes ENZ issus d'un point a de la surface du globe terrestre (figure 10.16). Le point a tourne, et est done affecte d'une acceleration (c'est 1'acceleration centrifuge dont nous avons deja parle). Si nous effectuons les mesures dans le repere ENZ, il nous faut done modifier les lois du mouvement pour tenir compte du fait que ce repere n'est pas galileen. Pour ce faire, on doit ajouter deux termes d'acceleration, qui refletent 1'acceleration du nouveau systeme de reference par rapport au systeme galileen. On represente communement ces accelerations en termes des forces qui seraient necessaires pour les produire si ENZ etait un repere galileen. Mais 1'introduction de ces forces fictives est source de malentendus, si bien que nous parlerons seulement ici d'accelerations, quantites qui sont parfaitement
Figure 10.15. La manie du pendule aux Etats-Unis : 1'emplacement des 39 pendules de Foucault installes entre mai et juillet 1851. Le plus grand, qui n'avait que 3 metres de moins que celui du Pantheon, fut installe dans le monument consacre a la Guerre d'Independance a Bunker Hill, pres de Boston30. Axes galileens
Axes non galileens
Figure 10.16. Le repere xyz, suppose au repos ou anime seulement d'un mouvement de translation uniforme, est dit repere galileen ou inertiel. Un repere tournant lie a la Terre comme ENZ est non-inertiel ou non-galileen. L'etude d'un mouvement dans un tel repere exige 1'addition d'accelerations supplementaires aux lois de la dynamique de Newton.
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reelles et mesurables. Les forces reelles ne dependent pas du repere. Pour de nombreuses applications, on peut negliger ces accelerations supplementaires, qui ne sont pas tres grandes numeriquement. Mais pas pour le pendule de Foucault! La premiere de ces accelerations supplementaires est simplement 1'acceleration centrifuge, qui affecte de la meme maniere tous les corps au voisinage de a, et dont nous avons vu qu'elle fait que la verticale, mesuree avec un fil a plomb, ne passe pas par le centre de la Terre. L'autre acceleration est plus difficile a comprendre. Si nous envisageons, au voisinage de, a un objet qui n'est pas physiquement lie a la Terre, comme par exemple un obus lance par un canon, ou un satellite artificiel, et que nous etudions son mouvement dans un repere galileen comme xyz, nous le voyons suivre, sous 1'effet de la seule acceleration de la pesanteur, une trajectoire simple (une parabole pour 1'obus, un cercle pour le satellite). Mais si nous le regardons maintenant depuis le point a, il presente un deplacement lateral supplementaire, puisque a se deplace continuellement par rapport au repere galileen. Notre objet nous semble done soumis a une acceleration laterale: I'obus est devie, et le satellite ne se retrouve plus a la meme place dans le ciel d'une orbite a la suivante. Cette acceleration est dite acceleration de Coriolis^, du nom d'un eleve de Poisson, Gaspard Gustave de Coriolis (1792-1843). Elle existe pour tout corps mobile par rapport au point a, qu'il soit totalement libre ou en partie attache a la Terre, comme un vehicule en mouvement ou la boule du pendule. L'acceleration est proportionnelle a sa vitesse par rapport a a, et agit perpendiculairement a cette vitesse. Si la rotation du systeme de reference ENZ (par rapport a un systeme galileen comme celui forme par les etoiles) se fait, vu du haut, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, ce qui est le cas pour I'hemisphere nord de la Terre, 1'acceleration de Coriolis devie 1'objet vers la droite comme sur la figure 10.8. Si la rotation de ENZ s'effectue dans le sens des aiguilles d'une montre, comme dans 1'hemisphere sud, la deviation va vers la gauche. En 1851, les equations de la dynamique incluant 1'acceleration centrifuge et 1'acceleration de Coriolis etaient bien connues. On pouvait les trouver dans la Mecanique celeste de Laplace, et aussi dans le memoire de Poisson sur le mouvement d'un projectile, en 1837. Poisson avait meme analyse 1'effet de 1'acceleration de Coriolis sur un pendule, mais n'avait pas vu que son accumulation sur de nombreuses oscillations donnerait un effet observable, comme devait le comprendre Foucault. II avait conclu que 1'effet etait«trop petit pour ecarter sensiblement le pendule de son plan et avoir une influence appreciable sur son mouvement ». A 1'Academic, Binet ecrivit les f
Cette designation tardive n'avait pas encore etc adoptee en 1851.
La rotation de la Terre : le pendule et le gyroscope
equations une troisieme fois, ajoutant qu'il n'avait d'autre but « que de montrer comment 1'experience importante de M. Foucault aurait pu etre indiquee par les equations de la dynamique interpretees sans inadvertance ». Apres une serie d'approximations et une demonstration quelque peu alambiquee, il arrivait a la loi du sinus de la latitude31. Done, des cette epoque, certains avaient compris comment fonctionnait le pendule de Foucault. Uintervenant suivant fut Joseph Liouville (1809-1882), qui venait juste d'etre elu professeur de mathematiques au College de France en remplacement de Libri. La plupart des travaux de Liouville completaient ou approfondissaient des recherches initiees par d'autres, aussi n'est-il pas surprenant qu'il se soit attaque au mouvement du pendule. La figure 10.17 explique sa conception : « L'idee est bien simple; elle a du se presenter a tout le monde [...], disait-il, mais les developpements que j'ai ajoutes constituent, je crois, une demonstration mathematique qui se suffit a elle-meme, et qui donne tout ce que peut dormer le calcul. »32 Louis Poinsot (1777-1859) devait ajouter son point de vue la semaine suivante. Poinsot etait avant tout un geometre, qui appliquait la geometric a la mecanique, par exemple au mouvement de rotation dans sa Theorie nouvelle de la rotation des corps publiee en 1837. Poinsot etait, comme Foucault, un esprit original qui ne suivait ni maitre ni tradition.33 Voici le point de vue de Poinsot sur le pendule de Foucault: [... ] le phenomena [... ] ne depend au fond, ni de la gravite, ni d'aucune autre force. Le mouvement [... ] dis-je, est un phenomene purement geometrique, et dont 1'explication doit etre donne par la simple geometric, comme 1'a fait M. Foucault, et non point par des principes de dynamique qui n'y entrent pour nen 34 Poinsot continuait en proposant un autre appareil permettant de demontrer la rotation de la Terre, appareil que, d'apres lui, Foucault avait 1'intention de construire. Ce projet fut apparemment sans suite. Nous verrons cependant que c'est Poinsot qui a incite Foucault a construire un autre instrument, qui devait permettre de montrer cette rotation de fac.cn plus simple que le pendule : le gyroscope. II serait fastidieux de detailler toutes les controverses souvent passionnees qui se produisirent a 1'Academie et dans le monde entier a propos du mouvement du pendule. II nous parait suffisant de dire qu'elles ont suscite un developpement important de la mecanique analytique. Foucault se tint sagement a 1'ecart de ces controverses. Mais quelle etait 1'explication purement geometrique qu'avait mentionnee Poinsot ? Foucault ne 1'a jamais presentee officiellement, mais dans
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Figure 10.17. L'explication de Liouville. En tout point de la surface de la Terre, la vitesse angulaire de rotation de la Terre peut etre representee par un vecteur Q® parallele a 1'axe de la Terre (© est le symbole astronomique de la Terre). Liouville decomposait Qe en une composante horizontale h et une composante verticale v. La rotation du plan du pendule correspond seulement a la composante v, qui est proportionnelle au sinus de la latitude.
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Explication de Foucault
Leon Foucault
le Recueil posthume, Gariel a public le brouillon d'une lettre ou il explique son idee. « Si je ne 1'ai pas encore publiee, ecrivait Foucault j'en ai deja un peu parle et je me suis apergu qu'elle n'allait pas a tout le monde. » II continuait: Je commence par poser effrontement un postulatum tel que celui-ci : quand la verticale, toujours comprise dans le plan d'oscillation, change de direction dans 1'espace, les positions successives du plan d'oscillation sont determinees par la condition de faire entre elles des angles minima. Autrement dit en langue vulgaire : lorsque la verticale sort du plan d'impulsion primitive, le plan d'oscillation la suit en restant aussi parallele que possible.
Generalisation de Bertrand
Figure 10.18. Foucault postulait que les plans successifs d'oscillation changeaient de direction aussi peu que possible, tout en contenant la verticale. La trigonometric permet alors de montrer simplement que pendant que la Terre tourne d'un angle e dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, le plan d'oscillation tourne d'un angle p dans 1'autre sens, qui est plus petit que e par un facteur egal au sinus de la latitude. Foucault n'avait considere qu'un plan d'oscillation situe initialement dans le meridien; son ami Joseph Bertrand generalise la geometric a un plan d'orientation arbitraire (en bus).
La figure 10.18, qui est basee sur un dessin de Foucault, illustre graphiquement cette idee « effrontee ». Elle devait etre generalised par son ami mathematicien Joseph Bertrand apres la publication du Recueil35. Les academiciens n'etaient pas seuls a tenter d'expliquer le mouvement du pendule de Foucault. Parmi ces tentatives, on trouve celle d'un officier d'artillerie, Joseph Tardieu, et celle du vieil ami de Foucault, Belfield-Lefevre36. En Angleterre, le reverend Baden Powell (1796-1860), professeur de geometric a I'Universite d'Oxford et fondateur du scoutisme, trouva 1'experience peu originale (il devait plus tard egalement « oublier » de mentionner Foucault a propos du gyroscope). D'autres tentatives d'explication etaient nettement moins scientifiques : celle du magazine satirique anglais Punch est a base de cognac a 1'eau (figure 10.19).
Une election a 1'Academie Quelques jours avant 1'experience du Pantheon, 1'Academie des sciences se mit en devoir d'occuper le siege laisse vacant par la mort du physicien et chimiste Louis Gay-Lussac (1778-1850) au mois de mai de 1'annee precedente. Dans sa grande sagesse, la section de physique ne proposa pas moins de dix candidats37. On trouve parmi eux 1'homme de la sirene, Cagniard de Latour, qui avait 73 ans ; les autres etaient beaucoup plus jeunes. C'etait souvent leur premiere candidature. Chacun des candidats devait rendre visite a chaque academicien, et lui presenter une notice de titres et travaux. Foucault, qui etait parmi ces candidats, avait prepare une notice de 17 pages (figure 10.20); nous pouvons imaginer combien il dut lui etre penible de solliciter un vote en sa faveur aupres de certains academiciens qui n'etaient que des clowns a ses yeux. Apres trois tours de scrutin, il ne restait plus que quatre noms. Cagniard de Latour etait en tete, suivi de Foucault38. Le vote final
La rotation de la Terre : le pendule et le gyroscope
THE ROTATION OF THE EARTH. To the Editor of " Punch." " SIR,—Allow me to call your serious and polite attention to the extraordinary phenomenon, demonstrating the rotation of the Earth, which I at this present moment experience, and you yourself or anylrody else, I have not the slightest doubt, would be satisfied of, under similar circumstances. Some sceptical and obstinate individuals may doubt that the Earth's motion is visible, but I say from personal observation it's a positive fact. "I don't care about latitude or longitude, or a vibratory pendulum revolving round the sine of a tangent on a spherical surface, nor axes, nor apsides, nor anything of the sort. That is all rubbish. All I know is, I see the ceiling of this coffee-room going round. I perceive this distinctly with the naked eye—only my sight has been sharpened by a slight stimulant. I write after my sixth go of brandy-and-water, whereof witness my hand, «« SWIGGINS." " Goose and Gridiron, May 5M., 1851." " P. S. Why do two waiters come when I only call one ? " *»* We hope our correspondent did not conclude his evening in the station-house.—FUHCU.
designa Cagniard de Latour, dont c'etait la quatrieme candidature (tableau 10.2). On ne pouvait guere s'attendre a ce que 1'Academie elise du premier coup un savant de trente ans. L'age moyen des academiciens a leur election augmentait rapidement: de 36 ans en 1760, il avait atteint 43 ans en 1850, puis plus de 60 ans un siecle plus tard39. Mais la performance de Foucault fut remarquee, tout au moins par son ami Moigno qui ecrivait dans La Presse : « L'Academic a recompense le zele et 1'habilite de M. Foucault, en lui decernant, qu'on nous pardonne cette expression emprunte aux usages du grand concours, le premier prix des nouveaux. »40 Foucault avait d'ailleurs obtenu un tiers des votes au dernier tour de scrutin. II avait done de bonnes raisons de penser que son heure viendrait bientot... Mais il se trompait.
Difficultes pratiques «I/experience [du pendule] est si simple que le moins qualifie de vos lecteurs peut s'y essayer », ecrivait un certain H.C. dans une lettre au Times de Londres41. Rien n'est moins vrai. La rotation du plan est tres lente, et la construction doit etre realisee avec une grande precision. Foucault a certainement eu bien des difficultes puisqu'il ecrit: En passant de la theorie a 1'experience, le physicien doit s'attendre a des mecomptes ; et, dans le cas present, il devrait s'estimer tres-heureux s'il parvient avec un pendule materiel a obtenir une deviation non equivoque dans le sens prevu.14
Maintenant que la physique du pendule est bien comprise, il est possible d'analyser ces difficultes.
155 Figure 10.19. Explication du mouvement du pendule par le journal satirique anglais Punch. Voici la traduction du texte. La rotation de la Terre. Lettre au redacteur de Punch. « Monsieur, Permettez-moi d'attirer votre attention distinguee sur un phenomene extraordinaire qui demontre la rotation de la Terre, phenomene dont je suis presentement le temoin, et de la realite duquel vous-meme, ou n'importe qui, seriez facilement convaincu dans des circonstances semblables. Certains individus sceptiques et obstines peuvent encore douter qu'on puisse voir la Terre tourner, mais mon observation personnelle montre que c'est un fait certain. Je ne me preoccupe ni de latitude ni de longitude, ni d'un pendule oscillant qui tourne selon le sinus d'une tangente sur une surface spherique, ni d'axes, ni d'apses, ni de quoi que ce soit de ce genre. Tout cela n'a aucun sens. Tout ce que je sais est que je vois tourner le plafond de ce bar. Pour ma part, je percois distinctement le mouvement a 1'ceil nu, car ma vue a ete rendue plus perc.ante par un stimulant. Je vous ecris apres mon sixieme cognac a 1'eau, ce dont temoigne mon ecriture. Signe : GLOUP, Trifouillis les Oies, le 5 mai 1851. » P.S. Pourquoi done deux garcons arrivent-ils quand je n'en appelle qu'un ? *** Nous esperons que notre correspondant n'a pas termine sa soiree au poste. — PUNCH.
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Figure 10.20. Les candidats a 1'Academic doivent fournir une notice de titres et travaux.
Le premier probleme que Foucault a rencontre est 1'amortissement de 1'oscillation du pendule. II n'affecte pas la rotation du plan d'oscillation, mais limite la duree de 1'experience, ce qui exige de placer des reperes afin que le spectateur apprecie convenablement cette rotation. L'amortissement, qui est montre figure 10.21 pour les trois premiers pendules de Foucault, est du a la resistance de 1'air sur la boule et sur le fil de suspension. Le flux de 1'air autour de la boule est laminaire, si bien que la resistance est proportionnelle au carre de la vitesse, mais 1'ecoulement autour du fil est plutot turbulent. Foucault ne savait certainement pas tout cela, mais il avait surement anticipe un amortissement plus important au Pantheon, du a la grande longueur du fil. II dit d'ailleurs que le style du pendule ne laissait des marques dans le sable que pendant un quart d'heure. On pretend souvent que plus le pendule est long, moins il s'amortit, mais c'est completement faux comme le montre la figure 10.2142. Au debut du mois de mai, Foucault envoya une lettre au ministre de 1'Instruction publique et des Cultes, demandant le reglement d'une facture de 450 francs qu'il venait de recevoir de Froment. Cette facture comprenait 300 francs pour « le pendule proprement dit », plus 150 francs pour « 1'etablissement du cercle divise »43, Foucault demandait 500 francs supplementaires pour remplacer la boule « provisoire » de 28 kilogrammes par une autre pesant 100 kilogrammes, qui aurait reduit ramortissement d'un facteur 3 (figure 10.22). Cette lettre est restee sans reponse. « Je dus d'abord laisser passer la foule », ecrivit plus tard Foucault, et il n'y a aucun doute qu'il devait souvent redemarrer le pendule. Mais quand le public etait parti, il pouvait le laisser fonctionner plus longtemps. C'est alors qu'il decouvrit que 1'oscillation, au lieu d'etre rectiligne, pouvait presenter, selon ses propres termes des « deformations elliptiques ». Ce phenomene se produit si le pendule presente une asymetrie, ou si le fil se courbe plus facilement dans une direction que dans une autre au point de suspension. En termes techniques, on dit alors que le pendule est anisotrope ; sa longueur effective, done sa periode, sont alors influencees par la direction. C'est bien ce qu'avait suspecte Foucault, car il a etudie le probleme experimentalement et presente ses resultats devant la Societe philomatique au debut du moins d'aout. Cependant, il ne realisa pas ces experiences avec un pendule, mais avec la verge vibrante qui lui avait donne 1'idee du pendule. II utilisa une verge « a peu pres ronde, telle que [celles que] Ton trouve dans le commerce ». En faisant vibrer cette tige elliptique, il observa que « quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent » l'extre"mite de la verge ne faisait pas une oscillation rectiligne fixe suivant 1'oscillation initiale RR' (figure 10.23.1), mais decrivait« une courbe elliptique incessamment changeante ». L'ellipse s'elargissait
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La rotation de la Terre: le pendule et le gyroscope
jusqu'a un maximum (figure 10.23.111) puis se retrecissait dans une nouvelle direction SS' ou elle redevenait lineaire; puis le mouvement s'inversait jusqu'a revenir a la situation initiale, etc. Cependant, Foucault observa quelquefois que les vibrations persistaient dans leur plan initial. Ceci ne se produisait que pour deux « plans de vibrations stables », perpendiculaires Tun a 1'autre, qui sont les plans LI/ et MM' de la figure 10.23.1. De plus, le plan SS' etait toujours symetrique de RR' par rapport a LL' ou MM'. II est facile de simuler ces effets. Les traces obtenues (figure 10.24) sont appelees figures de Lissajous, du nom d'un physicien ami de Foucault, Jules Lissajous (1822-1880), professeur de physique au lycee Saint-Louis, qui les produisait en faisant se reflechir un faisceau lumineux sur des petits miroirs fixes sur des diapasons. Si bien construit qu'il soit, un pendule reel est toujours legerement anisotrope. II y aura done inevitablement deux plans perpendiculaires ou la vibration est stable. Si elle n'est pas lancee dans un de ces plans, la boule decrira une trajectoire en forme d'ellipse allongee, qui tournera alternativement dans un sens, puis dans 1'autre. II fallut trois decennies pour que cela soit bien compris. Ce fut le sujet de la these du physicien hollandais Heike Kamerling Onnes (figure 10.25), qui a plus tard liquefie 1'helium et decouvert la supraconductivite. Dans cette these soutenue a Groningue et intitulee Nieuive bewijzen voor de aswenteling der aarde (Nouvelles preuves de la rotation de la Terre sur son axe), il fut le premier a dormer une theorie approfondie du pendule de Foucault, ou il expliquait ce mouvement elliptique si genant44. C'est Kirchhoff, qui etait alors a Berlin, qui lui avait suggere le sujet. Onnes construisit un pendule constitue d'une tige rigide supportee par deux couteaux croises, comme le pendule conique de Foucault (chapitre 8). Grace a une bonne connaissance de la mecanique en jeu, Onnes etudia la trajectoire du pendule et en deduisit qu'on pouvait ajouter des masselottes pour reduire I'anisotropie jusqu'a ce qu'elle ne produise plus qu'une faible modulation de 1'orientation du plan d'oscillation autour de son mouvement global du a la rotation de la Terre. Foucault aurait ete bien incapable de faire une analyse mathematique comme celle de Onnes, et malgre son intuition remarquable en mecanique, il n'est pas sur qu'il ait compris la nature du mouvement elliptique de la boule, meme d'un point de vue qualitatif. II savait sans aucun doute qu'il fallait construire des pendules aussi symetriques que possible, notamment en martelant la boule jusqu'a ce que son centre de gravite coincide avec son centre geometrique de la meme fagon que pour son miroir tournant. II savait aussi qu'au Pantheon, il fallait la suspendre a une poutre assez forte pour que le point d'attache du fil ne flechisse que de quelques milliemes de millimetre sous 1'effet du mouvement du pendule.
Tableau 10.2. Les votes a 1'election de 1'Academie le 17 mars 1851. Foucault etait bien place, rnais les academiciens se deciderent en faveur de la tradition et de 1'age en elisant le vieux Baron Charles Cagniard de Latour.
Premier tour Cagniard de Latour Ed. Becquerel Foucault Bravais Fizeau de la Provostaye Wertheim Jamin Masson Verdet
age 73 30 31 39 31 39 36 32 44 27
VOIX
12 11 11 8 8 1 1 0 0 0
Deuxieme tour Cagniard de Latour Ed. Becquerel Foucault Bravais Fizeau
18 11 11 10 4
Troisieme tour Cagniard de Latour Foucault Bravais Ed. Becquerel
19 14 12 9
Vote final Cagniard de Latour Foucault
34 19
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Figure 10.21. Resultats du calcul de 1'amortissement des pendules de 1851. Nous avons suppose que leur amplitude initiale etait de 2.2 ° (1'amplitude etant comptee de la position au repos a 1'elongation maximale). La variation de 1'amplitude au cours du temps est donnee par 1'echelle de gauche, et les echelles de droite donnent 1'amplitude convertie en metres. La largeur de chaque courbe donne 1'incertitude sur 1'amortissement qui est due a la variation inconnue de la pression done de la densite de 1'air, et a 1'incertitude sur le diametre du fil dans les experiences de la cave et de la salle du Meridien, dont Foucault dit seulement qu'il etait compris entre 0,6 et 1,1 millimetres. La qualite de la simulation peut se juger par la comparaison de la courbe marquee « 1996 » avec les croix, qui correspondent respectivement au calcul et aux observations de ramortissement du pendule de 47 kilogrammes installe recemment au Pantheon.
Figure 10.22. Le calcul montre que 1'oscillation de la boule de 100 kilogrammes proposee par Foucault aurait ete beaucoup moins amortie que celle de 28 kilogrammes, qui a ete effectivement montee.
Leon Foucault
L'anisotropie du pendule est probablement a 1'origine du comportement inattendu de pendules tels que celui monte a Saint-Pierre de Geneve, qui tournait a des vitesses differentes selon la direction de lancement45. Meme si le pendule est parfaitement isotrope, son plan d'oscillation sera perturbe si 1'orbite de sa boule est elliptique pour une raison quelconque, comme nous 1'avons explique figure 8.5. Mais les ellipses sont alors tres allongees (figure 10.26). Pour lancer la boule selon une trajectoire bien rectiligne, il faut eviter de lui dormer une impulsion later ale. Pour cela, Foucault entourait la boule d'une boucle de fil de coton et lorsqu'elle etait totalement immobile, il brulait le fil (planche 6, page 199). Les consequences du mouvement elliptique sont reduites pour un pendule de grande longueur. Par exemple, pour un pendule de 67 metres comme celui du Pantheon ayant une amplitude a = 2,5 metres, la deviation due au mouvement elliptique n'egale celle due au mouvement de la Terre que lorsque le petit axe b de 1'ellipse atteint 340 millimetres. Mais 1'ellipticite devient critique pour les petits pendules, et il n'est pas difficile de voir un pendule tourner dans n'importe quelle direction et avec n'importe quelle vitesse de rotation. Le pendule du Pantheon a du plutot bien se comporter. En effet, dans le Journal des Debats, Foucault ecrivait que « le plan des oscillations, quelque petites qu'elles soient, peut etre suivi dans son mouvement apparent pendant cinq ou six heures ». L'amplitude des oscillations devait alors etre reduite a environ 130 millimetres (figure 10.22), et il fallait alors suivre le deplacement sur les graduations de la table centrale (figure 10.13).
La rotation de la Terre : le pendule et le gyroscope
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Figure 10.23. En etudiant la vibration d'une verge encastree « a peu pres ronde » Foucault vit que les vibrations ne conservaient la meme direction que si elles avaient lieu dans un des deux plans perpendiculaires MM' et LL'. Les vibrations dans toute autre direction, comme RR', se degradaient pour se faire selon une ellipse tournante.
Problemes Au debut de mai, les craintes de Foucault a propos de la suspension du pendule du Pantheon se trouverent justifiees. II explique : On salt quel accident est venu interrompre le cours des observations qui se faisaient au Pantheon. A force de manceuvrer pour tout le monde du matin jusqu'au soir, 1'immense pendule a fini par se detacher; le fil qui le suspendait, long de 67 metres, rompu en son point le plus eleve, s'est amoncele sur le boulet en replis inextricables.
Sans doute le fil s'etait-il rompu au point de flexion maximale (figure 10.14), en raison de la fatigue du metal qui peut se produire rapidement, comme on peut le constater en pliant plusieurs fois une epingle. Get incident a probablement mis fin a la demonstration19. La facture de Froment n'etait toujours pas payee. Le fil n'etait certainement pas remplace debut juillet, quand Foucault ecrivit a nouveau au ministre de 1'Instruction publique une lettre plus detaillee et plus pressante que la premiere. Le nom du Prince-president y etait mentionne a plusieurs reprises, et Foucault signalait que les visiteurs etrangers « qui, dans cette saison, affluent vers notre capitale », etaient degus de ne pas voir la fameuse experience. Cette fois, il ne demandait plus 500 francs pour realiser une boule plus massive, mais pour construire un moteur permettant d'entretenir 1'oscillation du pendule21. Parallelement, il informait ses lecteurs du Journal des Debats que le pendule attendait que « les dispensateurs des deniers publics daignent » agir. L'effet de cette phrase fut probablement negatif, car le ministre n'a finalement attribue que 300 francs a Foucault, et seulement en novembre. Pendant que le ministre rechignait a repondre a la requete de Foucault, Louis-Napoleon preparait son coup d'Etat du 2 decembre. Le Pantheon etant un endroit sensible, il fut occupe par la troupe46, jusqu'a ce que Louis-Napoleon decide, le 6 decembre, de le reaffecter
Difference de periode de 20 pour cent
Difference de periode de 4 pour cent
Figure 10.24. Simulation du mouvement de la boule d'un pendule anisotrope. En haut, le deplacement de la boule lorsque la periode du mouvement horizontal differe de 20 % de la periode du mouvement vertical. Partant de r, la boule fait une boucle dans le sens des aiguilles d'une montre jusqu'a s, puis decrit la meme courbe dans 1'autre sens jusqu'a r. En bas, la difference entre les periodes n'est que de 4 %. Les deux oscillations sont de meme amplitude a gauche, et d'amplitude differente a droite. Dans ce dernier cas, les axes de 1'ellipse tournent.
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Leon Foucault
a 1'Eglise, dans 1'espoir d'amadouer les catholiques. Le pendule ne devait plus fonctionner au Pantheon durant tout le XIXe siecle47.
Un beau cadeau Les appareils de precision sont couteux, et Foucault avait du faire face a des depenses importantes pour realiser ses pendules, et surtout son miroir tournant. La suite devait lui etre facilitee par LouisNapoleon, qui lui octroya une subvention de 10000 francs en fevrier 1852, somme considerable a 1'epoque48. Cette largesse etait une manifestation de 1'interet porte a la science par le Prince-president.
Le gyroscope Figure 10.25. C'est seulement en 1879 que Heike Kamerling Onnes (1853-1926) devait expliquer pourquoi les pendules de Foucault tendent a prendre un mouvement elliptique.
Figure 10.26. Meme pour un pendule isotrope, si la boule a une trajectoire elliptique, cette trajectoire devie par rapport a ce que produirait la rotation de la Terre. Cela se produit parce que la periode du pendule est legerement plus grande pour une grande amplitude a que pour une petite amplitude b. La deviation A se produit dans le meme sens que le mouvement sur 1'ellipse. Elle est proportionnelle au produit ab et peut aisement masquer la rotation du plan d'oscillation due a la rotation de la Terre.
Le public avait de grandes difficultes a comprendre la raison du fameux facteur du sinus de la latitude dans le mouvement du pendule. Pour demontrer plus directement et de fac.on plus claire le mouvement de la Terre, il fallait realiser, comme 1'avait remarque Poinsot, un objet dont 1'orientation « demeure fixe dans 1'espace absolu »34. Poinsot et Foucault s'appreciaient mutuellement, et il ne fait pas de doute qu'ils discuterent du moyen de realiser un tel objet, car Poinsot est remercie dans les communications de Foucault. II ne fallait cependant pas beaucoup d'imagination pour realiser que 1'objet en question pourrait etre 1'axe d'une masse tournant librement sur elle-meme : comme il n'y a alors aucune force, 1'axe ne peut pas devier. La Terre elle-meme est un tel objet, du moins en premiere approximation. En effet, elle est soumise a un couple produit par 1'action gravitationnelle du Soleil et de la Lune sur son bourrelet equatorial, couple qui cause un mouvement de precession et de nutation semblable au mouvement d'une toupie sous 1'action du couple poids-reaction du sol (figure 10.27). La precession de la Terre (dite precession des equinoxes) a une periode de 26 000 ans et a etc decouverte par les anciens Grecs. Newton 1'avait expliquee, et avait aussi predit la nutation de la Terre, decouverte par Bradley en 1748, vingt ans apres 1'aberration. Des le XVIIP siecle, on avait fait des experiences avec des disques en rotation dans le but de realiser un horizon artificiel stable en mer49. Pour illustrer la precession et la nutation, des fabricants d'instruments avaient construits divers dispositifs a base de disques tournants. Le plus connu est celui conc,u vers 1819 a Tubingen par Johann von Bohenberger (1765-1831), et introduit en France par Arago50. II etait constitue d'une sphere montee a la Cardan, de telle maniere que son axe puisse s'orienter dans n'importe quelle
La rotation de la Terre : le pendule et le gyroscope
direction. Un instrument semblable, nomme rotascope, avait ete construit a Philadelphie dans les annees 1830. En 1836, quelqu'un avait meme suggere devant la Royal Scottish Society of Arts que de tels appareils pourraient etre utilises pour demontrer la rotation de la Terre, mais cette idee n'avait pas donne lieu a publication51. L'axe d'un rotor libre de ses mouvements suit les etoiles, de la meme facon qu'un telescope a monture equatoriale (figure 3.7). Mais il faut qu'il soit bien construit, c'est-a-dire que son poids soit exactement compense par la reaction du support (voir figure 10.28). Si le poids du rotor W et la reaction du support a cardan R ne sont pas exactement opposes, ils forment un couple qui occasionne une precession, laquelle peut masquer la rotation de la Terre. Aucun des rotors construits precedemment ne repondait a cette specification. Foucault etait done confronte a un probleme difficile. « Mais ou trouver, s'il vous plait, un constructeur dispose a accepter une pareille commande ? », demandait-il. « C'etait a desesperer du succes, si nous n'eussions connu des longtemps M. Froment [...]. »52 La planche 7 page 200 et la figure 10.28 montrent 1'appareil termine, que Foucault nomma a juste titre le gyroscope, mot dont les racines grecques signifient « qui regarde la rotation ». Le cceur de 1'appareil etait un tore de bronze monte sur un axe d'acier. Un tore a I'essentiel de sa masse a grande distance de I'axe de rotation, ce qui permet une plus grand stabilite. Ce tore possedait quatre vis de chaque cote et autour de sa circonference, pour assurer 1'equilibrage (1'experience acquise pour equilibrer le miroir tournant a du etre utile a Foucault). L'axe etait supporte par deux paliers sur un cardan interne, lequel etait pose sur un cardan externe par 1'intermediaire de deux couteaux. Ce deuxieme cardan etait lui-meme guide en haut et en bas, mais le poids de 1'ensemble etait supporte par un fil sans torsion. Le cardan interne pouvait etre enleve et attache a un train d'engrenages entraine par une manivelle, qui faisait tourner le rotor. Une fois le rotor lance, on remettait ce cardan en place. L'axe du rotor restait alors fixe par rapport aux etoiles, comme on le voit figure 10.29. Le gyroscope se comporte done beaucoup plus simplement que le pendule. Foucault pouvait suivre le mouvement du cardan externe soit avec un pointeur, soit en visant une petite echelle graduee avec un microscope. Plus le rotor tourne vite, et moins les defauts residuels inevitables de 1'appareil ont d'importance. Foucault atteignait une vitesse de rotation de 150 a 200 tours par seconde53. Lance a cette vitesse, le rotor pouvait tourner pendant huit a dix minutes, ce qui est considerable. Cela permettait de verifier que le gyroscope tournait vers 1'ouest comme on s'y attendait, et cela independamment du sens de
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Figure 10.27. La precession et la nutation sont deux mouvements qui se produisent lorsqu'un corps en rotation est soumis a un couple. Pour une toupie, ce couple est constitue de son poids W, et de la reaction du sol R. La precession est un mouvement circulaire perpendiculaire au plan contenant W et R, qui s'inverse si la toupie tourne dans 1'autre sens. La nutation est une oscillation de faible amplitude autour de la position moyenne de I'axe de rotation. Si W et R sont alignes, il n'y a aucun couple, et done ni precession ni nutation : I'axe de rotation reste alors fixe dans un espace galileen. Le genie experimental de Foucault lui permit de realiser cela dans son gyroscope.
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Leon Foucault
Figure 10.28. Le gyroscope de Foucault. Un repere observe a 1'aide d'un microscope permettait de voir la lente rotation de la Terre. On lancait le tore a 1'aide d'une manivelle et d'un train d'engrenages avant de le placer sur son support a la Cardan.
rotation du rotor, ce qui montrait qu'il ne s'agissait pas de precession, mais bien de 1'effet de la rotation de la Terre. Foucault a dit plus tard que le gyroscope fonctionnait et que son experience etait terminee en mai 1852. « Pour en faire part a 1'Academie des sciences, ecrivait-il, j'attendais paisiblement 1'expiration des vacances et le retour d'une epoque plus favorable a la presentation d'un assez long travail. » On peut avoir quelques doutes : Foucault a surement vu la rotation de la Terre avec son gyroscope des le mois de mai, mais comme I'affirmait un de ses collegues, il ne voulait presenter que des resultats surs. Dans le Journal des Debats, Foucault admit plus tard que « huit mois de surveillance assidue » lui avaient ete necessaires pour obtenir « un appareil si parfait, que [... ] les pieces qui le composent se meuvent au moindre souffle ». II etait imprudent de tant tarder. L'idee etait dans 1'air, et Foucault aurait du savoir que d'autres y travaillaient. II apprit, le mardi 21 septembre, qu'il y aurait une communication sur ce sujet a 1'Academic a la seance du lundi suivant. Se ferait-il doubler une fois de plus ?
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II fit comme pour le miroir tournant: des le mercredi, il publiait sa decouverte dans le Journal des Debats au moyen d'une lettre dont il reconnaissait qu'elle etait probablement« inintelligible aux personnes qui n'ont pas fait de la mecanique 1'objet de leurs preoccupations habituelles ». Mais « Dieu soit loue, le but a ete rempli ! » II y eut en fait deux presentations concurrentes a 1'Academic. L'une d'elles emanait du doyen de la faculte des Sciences de Besan^on, Charles Cleophas Person, mais elle disait seulement que si 1'appareil de Bohnenberger etait « execute avec precision », il pourrait montrer la rotation de la Terre54. L'autre communication venait de 1'assistant de Person, un certain Georges Sire (1826-1906)55. On ne sera pas surpris qu'a Besangon, la ville des dix mille horlogers, Sire ait realise un instrument comportant une roue tournante. Mais « 1'equilibre d'une pareille roue est tres difficile a realiser, disait-il, et j'attribue a son imperfection les irregularites que j'ai observees »56. Foucault, au contraire, presenta un appareil en fonctionnement, et repeta son experience « devant des spectateurs competens ». Dans une seconde communication qui suivait immediatement la premiere, il discutait d'autres proprietes du mouvement gyroscopique. Quand il bloquait le cardan interne sur le cardan externe, de telle fac,on que 1'axe du tore ne puisse se mouvoir que dans un plan horizontal, il observait que cet axe executait une serie d'oscillations d'amplitude decroissante pour finalernent se stabiliser dans la direction du meridien57. Ces oscillations devaient etre assez rapides, avec une periode de 10 a 20 secondes etant donnee la vitesse de rotation du rotor58. Si au contraire Foucault liberait le cardan interne, et bloquait le cardan externe de fac.on a ce que 1'axe de rotation ne puisse se deplacer que dans le plan du meridien, 1'axe s'alignait sur le pole celeste apres une serie d'oscillations amorties le long du meridien. Cette propriete d'alignement sur le pole est a la base du compas gyroscopique, qui indique le nord vrai (et non le nord magnetique). Person et Sire n'etaient pas les seuls concurrents de Foucault. Un certain E.-F. Hamann, constructeur d'instruments quai des Augustins a Paris, avait depose un pli cachete a 1'Academic des le 10 mars 1851, alors que Foucault etait en pleine preparation du pendule du Pantheon. II y indiquait le principe du compas gyroscopique, en remarquant que le rotor devait pointer vers le pole pour que le cardan interne ne bouge plus. Mais il n'avait pas realise qu'il suffisait de bloquer ce cardan pour que le rotor s'aligne automatiquement vers le pole59. Cinq jours plus tard, un certain E. Lamarle avait, lui aussi, depose un pli cachete a 1'Academie des sciences de Bruxelles, ou il montrait qu'un disque tournant dont 1'axe etait assujetti a se deplacer dans le plan du meridien s'alignerait sur le pole60. Comme Person et Sire, Hamman et Lamarle voulaient leur part de gloire a propos du gyroscope, et leurs plis furent aussitot ouverts.
Nord
Figure 10.29. Le mouvement du gyroscope de Foucault a la latitude de Paris, presente sur la sphere celeste. L'axe de rotation du gyroscope, indique par une fleche gris clair, suit le mouvement des etoiles, mettant un jour sideral pour faire un tour. Ce mouvement est beaucoup plus simple que celui du pendule (voir la figure 10.10).
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Foucault fut magnanime : Nous ne faisons de reserve que relativement a la priorite de la publication et de la realisation experimentale. Or, depuis deux mois personne ne s'est trouve en mesure de montrer aucun appareil susceptible de fonctionner comme le gyroscope en presence du seul mouvement de la Terre. Nous le constatons une fois pour toutes, et nous n'y reviendrons plus.61 Moigno alia plus loin : [... ] la gloire officielle, la propriete scientifique [... ] appartiennent irrevocablement a M. Leon Foucault [... ] parce qu'un depot cachete, de 1'aveu de tous, ne peut avoir pour effet que de dormer une date certaine au travail de son auteur, mais non le mettre en possession solennelle de la decouverte qu'il y consignait. Un paquet cachete, en effet, ne constitue pas une publication reelle, puisque au contraire il exprime 1'intention et la volonte de maintenir secrete la communication qu'il renf erme [... ] D'autres, toutefois, peuvent penser autrement, et pour eux M. Lamarle serait le veritable inventeur du gyroscope, au moins dans la forme qu'il lui a donnee.62 Apres un temps de reflexion, Person arriva a 1'etrange conclusion que Foucault n'avait rien compris au gyroscope, et que son rotor ne pouvait pas avoir une direction fixe dans 1'espace63. Heureusement, il y avait, au college Saint-Louis, un physicien plus perspicace. En 1839, Jean-Antoine Quet (1810-1884) avait redige sa these sur les oscillations des solides libres, et envoye a 1'Academie un memoire sur ramortissement du pendule. En a peine plus cTun mois, il expliquait 1'alignement sur le pole d'un gyroscope contraint. II predisait aussi que le gyroscope s'alignerait sur le pole s'il etait contraint a se mouvoir dans n'importe quel plan contenant le pole, et pas seulement dans le plan meridien64. Foucault testa les predictions de Quet. « Nous devons 1'assurer, ecrivit-il, de par 1'experience qu'il est pleinement dans le vrai. »61
Le gyroscope en Angleterre Deux ans plus tard, Foucault se rendit en Angleterre avec Moigno et un certain M. Bernard pour assister au «tohu-bohu » de la reunion annuelle de 1'Association britannique pour 1'avancement des sciences, qui avait lieu a Liverpool. II y presenta le gyroscope avec un succes considerable. II rapporte a Jules Regnauld : Jusqu'a present tout s'est passe pour le mieux, bonne traversee bon gite et le reste. Seulement a mon gre je ne m'appartiens pas assez. [... ] J'ai pu juger du pouvoir du gyroscope sur ce monde I...]. 65 Le rapport officiel fut tout a fait enthousiaste66.
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Figure 10.30. Le Palais de 1'Industrie, a 1'Exposition universelle de 1855. Foucault installa son dernier pendule, entretenu cette fois, sur le palier de 1'escalier situe dans 1'appendice nord-ouest (partie avant droite du batiment). Le Palais fut demoli a la fin du siecle pour laisser place a 1'Exposition universelle de 1900. Le dessin qui a servi de base a cette gravure est du soit au second mari de la sceur de Foucault, Adolphe Rouargue, soit a son frere Emile, tous deux artistes.
Le dernier pendule de Foucault L'annee 1855 fut celle de la guerre de Crimee, mais aussi celle de 1'Exposition universelle qui se tint, de mai a novembre, dans un batiment construit tout expres entre 1'avenue des Champs Elysees et la Seine, pres de la place de la Concorde (figure 10.30). Nous reparlerons de cette exposition au chapitre 12, car Foucault y fut a la fois juge et exposant. L'appareil N° 1998 etait le dernier et le meilleur des pendules construits par Foucault, qui avait beneficie de 1'experience acquise avec les precedents67. Ce pendule etait, lui aussi, construit par Froment. La hauteur disponible etait de 11 metres, comme dans la salle du Meridien de 1'Observatoire. Nous avons de bonnes raisons de croire que Foucault y a teste son pendule, car il existe dans les collections de 1'Observatoire des prototypes de certains des elements finaux, notamment un « parachute » (figure 10.31), et une premiere version du systeme d'entretien electromagnetique de 1'oscillation du pendule. Ce dispositif (planche 8, page 201 et figure 10.32), qui constituait 1'innovation majeure du nouveau pendule, nous parait aujourd'hui etrangement complique, puisque grace a I'electronique, nous pouvons obtenir le meme resultat sans element mobile. Pourtant c'etait sans doute ce qu'on pouvait faire de plus simple a 1'epoque. II fallait d'abord centrer 1'appareil sur la boule au repos. La boule etait en fer doux. En s'approchant de la verticale, elle etait attiree par Telectroaimant principal E (figure 10.32). L'attraction accelerait la boule pour compenser son freinage par 1'air, afin de maintenir une amplitude constante « aussi longtemps que durera 1'Exposition
Figure 10.31. Un systeme dit parachute pour eviter la chute du pendule apres la rupture du fil de suspension : le pendule est alors retenu par 1'anneau de garde.
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Figure 10.32. Principe du systeme electromagnetique d'entretien du pendule de Foucault a 1'Exposition universelle de 1855. Explications dans le texte.
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universelle », pour utiliser les termes de Moigno68. L'attraction magnetique etant reciproque, la boule attirait egalement I'electroaimant. Les spectateurs pouvaient entendre un petit declic lorsque cet electroaimant s'elevait sur son ressort R : c'est que 1'axe o, entrainant le levier ap, ouvrait un contact electrique en ab. Ceci coupait le courant dans 1'electroaimant E pendant que la boule s'eloignait de la verticale. Des engrenages, une came rotative v, un second electroaimant E' et une autre paire de contacts cd assuraient que le courant n'alimenterait pas 1'electroaimant E tant que la boule ne reviendrait pas pres du systeme. Malheureusement, une attraction de la boule augmente 1'ellipticite du mouvement lorsqu'elle existe. II aurait mieux valu repousser la boule au lieu de 1'attirer, mais la technologie de 1855 ne permettait pas de detecter le passage de la boule au-dessus de 1'appareil. Le pendule attira « la plus vive curiosite du public »69. Le reporter de L'lllustration ecrivait : « C'est le seul fait vraiment et purement scientifique admis a 1'Exposition universelle, c'est le seul apport de 1'esprit dans cette grande association des interets materiels. »70 Le Prince Jerome-Napoleon, cousin de 1'Empereur, felicita Foucault pendant 1'inspection officielle qu'il fit en tant que president du comite d'organisation71. Sir David Brewster et d'autres membres du jury pour les instruments de precision furent impressionnes. Us ecrivirent dans leur rapport: Le Jury, qui aurait decerne la plus haute distinction a M. Foucault, s'il n'avait pas ete hors de concours comme jure, a decide que sa belle decouverte serait mentionnee de la maniere la plus honorable.72
Les pendules plus recents au Pantheon En 1885, apres diverses vicissitudes, le Pantheon redevint un batiment civil. L'annee suivante, trente trois membres du Conseil Municipal de Paris proposerent que le pendule de Foucault y soit reinstalle, cette fois de fagon permanente. « L'appareil qui a servi existe tout entier, il n'y aura done qu'a le remettre en place », disaient-ils, montrant ainsi leur ignorance des difficultes de 1'affaire73. Malgre cette proposition, c'est a la tour Saint Jacques que fut installe un pendule de 39,5 metres74. L'Empereur du Bresil Dom Pedro II fut parmi les visiteurs. II etait lui aussi interesse par la science, avait precedemment decore Foucault pour ses decouvertes, et regu un gyroscope en cadeau. Ce n'est qu'en 1902 que le pendule oscilla a nouveau au Pantheon, en partie grace a Camille Flammarion75. Le pendule suivant a ete monte en octobre 1995 par Jacques Foiret, ingenieur retraite
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du Conservatoire national des arts et metiers76. II comprenait une boule de 28 kilogrammes et de 38 centimetres de diametre provenant des collections du Conservatoire, que Ton avait pris a tort pour une boule originale de Foucault77 Avec une boule aussi enorme et un fil de 1,8 millimetre de diametre, ramortissement etait tres rapide : 1'amplitude decroissait d'un facteur 2 en un quart d'heure. On imaginait que cette boule contenait un systeme d'entretien des oscillations, peut-etre une masse mue par un mouvement d'horlogerie, mais une radiographie gamma montra qu'elle etait vide (figure 10.33). Le pendule de Foucault, a son emplacement le plus majestueux, attira au Pantheon deux fois plus de touristes que d'habitude, aussi fut-il decide de prolonger la demonstration au-dela des six mois prevus. Une nouvelle boule de 47 kilogrammes et de 20 centimetres de diametre fut done construite. Suspendue a un fil de 1,6 millimetre de diametre, elle donne des resultats satisfaisants depuis 1996 (figure 10.34 et figure 10.21), etant ordinairement relancee toutes les heures.
Espace et rotation : Mach et Einstein Aucune etude du pendule et du gyroscope de Foucault n'est complete si on ne les replace pas dans le contexte scientifique actuel. Pour Foucault, la rotation du plan d'oscillation du pendule ne posait pas de probleme de principe : elle etait simplement la consequence de 1'existence d'un espace absolu, dans lequel les objets non acceleres sont soit au repos, soit animes d'un simple mouvement de translation uniforme. « Le plan d'oscillation n'est pas un object materiel, ecrivait-il, il n'appartient ni au support ni a la table [figure 10.9], il appartient a 1'espace, a 1'espace absolu. »14 L'inertie des corps, c'est-a-dire leur resistance a I'acceleration, etait incluse dans la loi de la dynamique de Newton F = my, qui lie la force F a I'acceleration y, la masse du corps etant m. De plus, il n'y avait pas lieu de distinguer la masse inerte, c'est-a-dire celle qui entre dans la loi de Newton, de la masse pesante qui decrit la force qui resulte d'une 1'attraction gravitationnelle, par exemple celle de la Terre. Le concept d'ether (qui assurait la propagation de la lumiere) s'accordait avec la notion d'espace absolu, et done de systeme de reference absolu dans lequel on pouvait mesurer le mouvement des corps. Le physicien et mathematicien Ernst Mach (1838-1916) ne trouvait pas, quant a lui, les choses aussi simples. Reprenant un theme de Descartes, il voulait eliminer ce qu'il appelait « das Begriffsungentiim des absoluten Raumes » (la monstruosite du concept d'espace absolu)79. Dans sa theorie, 1'espace est inobservable en tant que tel, et les positions et les mouvements ne peuvent etre mesures que par rapport a d'autres corps. En consequence, un corps
Figure 10.33. (En haut] La boule du XIXe siecle installee en 1995 au Pantheon. Les oscillations s'amortissaient vite en raison de la resistance de 1'air sur le fil et surtout sur cette enorme boule. (En bas) La radiographie gamma avec une source au Cobalt 60 confirme que cette boule est creuse. On peut voit 1'enveloppe contenant le film sensible derriere la boule dans la photographic du haut.78
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isole dans un espace totalement vide n'a ni rotation ni inertie, et il n'y a pas necessairement d'egalite entre la masse inerte et la masse pesante. Sur une planete solitaire dans un Univers suppose vide, le plan d'oscillation du pendule de Foucault ne tournerait pas, et 1'axe de rotation du gyroscope ne se deplacerait pas par rapport a la planete. Selon Mach, c'est la distribution de toutes les masses dans 1'Univers qui est la cause de 1'inertie, par quelque interaction non specifiee. Ce principe est denomme le principe de Mach, bien qu'il ne 1'ait jamais enonce. Cependant, ce principe est implicite dans les ecrits de Mach, et il ne s'en est jamais ecarte malgre bien des controverses80. Si 1'egalite que Ton observe experimentalement entre la masse inerte et la masse pesante ne depend pas de la direction, et que la distribution de la masse dans 1'Univers proche est tres fragmented, c'est que 1'inertie est surtout produite par les masses les plus distantes de 1'Univers, et qu'a cette grande echelle les masses sont distributes de fac.on egale dans toutes les directions. Figure 10.34. Le pendule installe en 1996 au Pantheon dortne des resultats satisfaisants, avec la boule de 20 centimetres de diametre pesant 7 kilogrammes et son fil de 1,6 millimetre de diametre. On le relance generalement toutes les heures (voir la figure 10.21).
Les idees de Mach ont en principe des consequences observables sur le pendule et le gyroscope. Imaginons une planete isolee dans un Univers vide, sur laquelle le plan d'oscillation du pendule ne tournerait pas. Supposons que 1'on ajoute de la matiere dans une region eloignee. II deviendrait possible d'observer la rotation de la planete par rapport a cette matiere, mais si Ton n'a pas ajoute beaucoup de matiere, il n'y aura pas non plus beaucoup d'inertie et la rotation du plan du pendule sera tres lente. Plus on ajoute de matiere et plus 1'effet est grand. Finalement, la rotation du plan est dominee par 1'Univers tout entier. Mais la masse de la planete a par elle-meme un petit effet, et le plan des oscillations ne suit pas exactement les galaxies lointaines. Si, par exemple, 1'interaction supposee par Mach est inversement proportionnelle a la distance des masses, on peut montrer qu'un pendule de Foucault doit tourner a une vitesse apparente plus petite d'un millionieme que celle des etoiles, la difference etant d'ailleurs speculative car elle depend de la masse de 1'Univers observable. II en est de meme du gyroscope : apres un an, un pendule ou un gyroscope pourrait devier de quelques secondes d'arc par rapport aux etoiles. Vers 1900, certains scientifiques ont considere que le pendule de Foucault pourrait bien ne pas demontrer la rotation de la Terre, et qu'il serait possible de construire une nouvelle dynamique inspiree de Mach, dans laquelle il suffirait d'une rotation relative entre la Terre et 1'Univers pour faire tourner le pendule ou le gyroscope. Ce point de vue s'appuyait sur la celebre experience de Michelson-Morley. Realisee en 1887, elle n'avait pas permis de detecter le mouvement d'un eventuel ether au cours du mouvement orbital de la Terre autour du Soleil, demolissant ainsi 1'idee d'un systeme de reference absolu,
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au moins pour les mouvements de translation. On peut citer ce qu'ecrivait Henri Poincare (1854-1912) en 1902 : [... ] L'espace absolu, c'est-a-dire le repere auquel il faudrait rapporter la Terre pour savoir si reellement elle tourne, n'a aucune existence objective [... ] Ces deux propositions : « la Terre tourne », et « il est plus commode de supposer que la Terre tourne », ont un seul et meme sens ; il n'y a rien de plus dans 1'une que dans 1'autre.81 Cependant, les concepts ont evolue depuis cette epoque. Les idees de Mach ont fortement influence Einstein dans le developpement de sa theorie de la relativite. C'est d'ailleurs Einstein qui designa 1'idee de Mach sans le nom de principe de Mach en 1918, deux ans apres la mort de celui-ci82. Einstein fit deux postulats. Le premier dit qu'aucun systeme de reference n'est plus fondamental qu'un autre pour la formulation des lois de la physique. L'autre est que la masse inerte et la masse gravitationnelle (ou pesante) sont proportionnelles 1'une a 1'autre (c'est le principe d'equivalence). La Relativite generale reintroduit la notion d'espace sous la forme nouvelle de 1'espace-temps, qui existe independamment des masses, bien que sa geometrie soit affectee par elles et que les masses se meuvent sous 1'influence de cette geometrie. II existe dans 1'espace-temps des systemes de reference galileens localises a des volumes assez petits, par rapport auxquels on peut definir une inertie, une acceleration et une rotation de fac.on absolue, et en observer les effets dynamiques comme dans la mecanique de Newton. Le pendule et a fortiori le gyroscope definissent le systeme galileen de I'Univers local : c'est pourquoi ils suivent le mouvement apparent des etoiles proches, au moins en premiere approximation. Du point de vue de la Relativite generale (la meilleure theorie existante de la gravitation) et de sa dynamique (qui a passe avec succes tous les tests experimentaux auxquels on l'a soumise), Foucault a done reellement montre que la Terre tourne. Cependant, une planete en rotation entrame legerement le systeme galileen qui 1'entoure, et la Relativite generale predit qu'un pendule ou un gyroscope place sur cette planete ne suit pas rigoureusement les etoiles. C'est 1'effet Lense-Thirring. A la difference de 1'effet predit par Mach, 1'effet Lense-Thirring depend de la latitude, et est maximum aux poles ou il atteint 0,2 seconde d'arc par an sur la Terre, ce qui est bien superieur a une eventuelle rotation de I'Univers dans son ensemble (done des « etoiles fixes » : tableau 10.3)83. Une experience a ete tentee pour rechercher cet effet au moyen d'un pendule de Foucault place au pole sud, et realise, avec toute la precision possible, mais elle n'a pas eu de suite. L'effet LenseThirring est a la limite du mesurable dans les observations par laser
Tableau 10.3. Vitesses de rotation comparees a 1'effet Lense-Thirring. Terre 361 °/jour Local (etoiles « fixes ») lxl(T 6o /an Univers ~10~11 °/an Effet Lense-Thirring (aux poles) 60 x 10~6 °/an
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des orbites des LAser GEOdynamics Satellites (LAGEOS)84-85. Un projet de la NASA, deja ancien, dit Gravity Probe B, cherche a detecter 1'effet Lense-Thirring sur le mouvement de quatre gyroscopes places a 1'interieur de satellites artificiels, dont les rotors sont des boules de quartz couvertes de niobium parfaitement spheriques, suspendues dans le vide et sans contact par un champ electrique. On estime que leur vitesse de rotation diminuerait de moins de 1 % en mille ans. Une confirmation definitive de 1'effet Lense-Thirring serait un resultat majeur. Mais sa mesure est tres difficile, en raison de diverses perturbations du mouvement qui doivent etre bien evaluees afin d'etre convenablement corrigees. II faudra sans doute realiser plusieurs experiences independantes avant qu'aucun resultat ne puisse etre considere comme bien etabli. L'experience du pendule continue a exciter notre imagination, et a ete repetee des milliers de fois, avec plus ou moins de succes. Le gyroscope et le compas gyroscopique ont eu une importance considerable tout au long du XXe siecle pour le guidage par inertie et la navigation. Mais la navigation a evolue avec 1'utilisation des signaux radio des satellites du Global Positioning System (GPS) et les gyroscopes mecaniques sont supplantes, dans beaucoup d'applications, par les gyroscopes optiques ou Ton fait interferer deux faisceaux lumineux parcourant des chemins optiques de direction differente : la contraction relativiste occasionne une variation relative entre les chemins optiques quand la direction de 1'appareil change, variation qui se traduit par un deplacement des franges d'interference qui indique la rotation. En 1852, Figuier publiait un livre intitule Exposition et Histoire des principals decouvertes scientifi^ues modernes. II n'y est fait aucune allusion au pendule de Foucault. Pique au vif, ce dernier ecrivit: « [ . . . ] il faudra bien [que Figuier] ajoute encore un tout petit chapitre pour dire qu'il n'y a pas que les roues de locomotive ou de bateau a vapeur qui tournent. »86 Si le pendule et le gyroscope sont les contributions les plus celebres de Foucault a la science, ce n'est pas parce qu'elles ouvrent de nouvelles lois physiques, mais parce qu'elles montrent toute la richesse que contiennent les lois existantes lorsqu'on sait les interpreter « sans inadvertance ». L'Appendice D donne des indications pratiques a ceux de nos lecteurs qui voudraient construire un pendule de Foucault.
Chapitre 11 Dans 1'expectative Foucault s'interrogeait sur son avenir. Sa reputation etait etablie grace a ses experiences sur la vitesse de la lumiere, le pendule et le gyroscope, mais il n'avait aucune fonction officielle et, pour tout revenu, des piges au Journal des Debats. II se mit done a la recherche d'un emploi.
Un passe-droit Apres le coup d'Etat de Louis-Napoleon en 1851, la nouvelle constitution exigeait que tous les fonctionnaires fissent allegeance au regime du Prince-president. Pouillet, 1'auteur de manuels celebres et professeur au Conservatoire des arts et metiers, avait ete un des partisans les plus actifs de Louis-Philippe. II refusa de preter serment et fut done revoque. Foucault, de meme que Edmond Becquerel et Cesar Despretz, deja age, se mirent sur les rangs pour occuper son poste. La nomination etait du ressort du ministre de 1'Instruction publique, sur proposition de 1'Academie des sciences et du Conseil du Conservatoire. Le Conseil elimina Despretz au motif qu'il avait deja une chaire ailleurs. Becquerel avait aussi une chaire a I'lnstitut national agronomique, recemment cree a Versailles, mais il 1'avait aussitot perdue car le nouveau regime avait ferme 1'Institut. En compensation, le Conseil le recommanda a Tunanimite pour la chaire du Conservatoire, notant qu'il avait fait ses preuves en tant qu'enseignant, bien que sa recherche suivit les traces de celle de son pere et n'eut pas 1'originalite de celle de Foucault. II ne fait aucun doute que le Conseil avait ete influence par la notoriete du pere de Becquerel1. L'Academie suivit le Conseil, preferant Becquerel a Foucault par 35 voix contre 15 et six abstentions2. Becquerel fut done nomme, ce qui dut irriter considerablement Foucault. En soutenant sa these quelques mois plus tard, Foucault avait probablement pour but d'ameliorer ses chances d'obtenir un poste permanent. La soutenance n'avait pas encore eu lieu (ce qui valait peut-etre mieux !) lorsque la chaire de Physique experimentale de la Sorbonne fut declaree vacante, mais pour une periode de six mois. C'etait evidemment un cadeau empoisonne. Foucault se porta
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candidat mais decida par ailleurs de s'adresser au sommet de la hierarchie. II ecrivit par deux fois a 1'Empereur pour lui demander que le poste devienne permanent. Mais des avant que ses lettres fussent revenues au ministere de 1'Instruction publique accompagnees d'une note insistant sur les « bienveillantes dispositions » de 1'Empereur, le ministre avait decide qu'il n'y aurait pas de poste permanent. Foucault retira done sa candidature. « Mon heure n'est pas encore venue », ecrivit Foucault a Dumas, qui abandonnait alors la chimie pour la politique et conseillait Foucault dans sa recherche d'un emploi. « Vous me laisserez sans reproche eviter un danger reel et retourner a 1'ecart jusqu'au jour ou devra se produire une occasion meilleure. »3 En attendant, Foucault revint a 1'une de ses anciennes amours : 1'electricite.
Faraday en question
Figure 11.1. Michael Faraday (1791-1867).
Foucault avait construit un regulateur auxiliaire pour Tare electrique. Ce dispositif etait constitue de lames de platine plongees, a une profondeur variable, dans un bain d'acide grace a un electroaimant. II avait besoin d'un tel regulateur, car la luminosite de Tare dependait non seulement du courant qui le traversait, mais aussi de la tension, done de la force electromotrice des piles de Bunsen, qui baissait au cours de leur utilisation. Le regulateur devait egalement apporter une solution au probleme de la « distribution », comme 1'appelait Foucault, c'est-a-dire de 1'alimentation de plusieurs arcs par une seule batterie de piles4. Deleuil, le fournisseur des piles de Bunsen a Paris, avait « vivement sollicite » Foucault pour resoudre cet important probleme, et Foucault avait consenti. Deleuil remettait toujours les choses au lendemain, aussi Foucault eut-il le temps d'inventer un systeme de regulation beaucoup plus simple. II plac.ait les lames de platine dans un recipient renverse sur un bain d'acide, qui collectait 1'hydrogene et 1'oxygene liberes par le passage du courant dans ce bain. Le gaz reduisait la hauteur immergee des electrodes, diminuant ainsi le courant. Quand le courant devenait trop faible, un electroaimant ouvrait une vanne qui laissait sortir le gaz ; 1'acide pouvait alors remonter le long des electrodes et 1'intensite augmentait a nouveau. L'electrolyse etait 1'un cfes sujets de chimie que la Faculte avait soumis a Foucault lors de sa soutenance de sa these. Sa soutenance peu glorieuse et ses reflexions sur le regulateur auxiliaire ont sans doute amene Foucault a s'interesser aux lois de 1'electrolyse. Ces lois avaient ete enoncees dans les annees 1830 par Faraday (figure 11.1), qu'il admirait beaucoup. C'est un des rares cas ou Foucault s'est fourvoye dans une voie sans issue a 1'epoque.
Dans I'expectative
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En experimentant sur de nombreux corps, Faraday avait decouvert que certains liquides tels que 1'eau, 1'acide sulfurique dilue ou le chlorure de plomb en fusion conduisaient 1'electricite, mais que ce n'etait pas le cas pour d'autres liquides cornme 1'acide acetique glacial ou le verre fondus. Lors de la conduction, le liquide (['electrolyte, comme le nommait Faraday) se decomposait aux electrodes (un autre terme imagine par Faraday) pour former des especes chimiques plus simples. C'est ce qui se passait dans le regulateur. Faraday avait conclu que « la puissance chimique du courant electrique [c'est-adire la quantite de chacun des produits de la decomposition] est proportionnelle a la quantite d'electricite qui traverse le liquide ».5 Faraday avait egalement constate que certains electrolytes solides comme le sel, le salpetre ou la glace conduisaient faiblement le courant, apparemment sans degager aucun produit si le courant qui les traversait etait faible. C'etait aussi le cas de quelques electrolytes liquides. Cela paraissait violer quelque peu sa loi de la decomposition electrochimique, et il emit 1'hypothese qu'il existait, a cote de la « conduction chimique » qui conduit a 1'electrolyse, une conduction additionnelle ne produisant pas d'electrolyse6. En octobre 1853, Foucault adressa une communication a 1'Academie ou il donnait des arguments en faveur de 1'existence de cette conduction « physique », comme il 1'appelait7. De l'opinion de Moigno, c'etait « un acte de courage » que de remettre en question la loi de Faraday8. Foucault presentait d'abord des arguments theoriques, ingenieux bien qu'incorrects. Ensuite, il decrivait quelques experiences. Dans la plus simple d'entre elles, il connectait entre elles deux cellules a electrolyse identiques, en intercalant dans le circuit un galvanometre tres sensible permettant de detecter un eventuel courant (figure 11.2). Chaque cellule comportait une electrode en zinc et une en platine immergees dans une solution acide diluee. Les cellules etaient connectees en opposition, c'est-a-dire que les deux electrodes de zinc etaient reunies par un conducteur, de meme que celles de platine. Quand 1'espacement entre les electrodes etait le meme dans les deux cellules, il n'y avait aucun courant, mais un faible courant apparaissait quand 1'espacement etait different. Selon Foucault, c'est parce que la resistance electrique correspondant a la conduction physique etait reduite lorsqu'on rapprochait les plaques : les courants internes correspondants ne s'annihilaient plus, et il y avait done un courant global. « L'experience [... ] est delicate a reproduire, et reclame beaucoup de soin », commentait Foucault. II realisa done une autre experience plus simple, inspiree de la pile de Volta, avec deux empilements identiques de disques de zinc et de cuivre separes par des rondelles de tissu impregnees d'acide. La aussi, un courant
Figure 11.2. (En haul) le galvanometre n'indiquait aucun courant quand Foucault connectait en opposition deux cellules d'electrolyse identiques. (En has) Un courant apparaissait quand on introduisait une asymetrie. D'apres la theorie de 1'electricite en faveur a 1'epoque, on pensait qu'il y avait un courant positif et un courant negatif (fleches noires et blanches, respectivement), qui se neutralisaient dans 1'acide.
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Figure 11.3. L'electrolyse de 1'eau. Foucault faisait passer le meme courant dans deux « voltametres » (cellules d'electrolyse), 1'un contenant de 1'eau distillee et 1'autre de 1'acide sulfurique dilue. II attribua de fac.on erronee la production inegale de gaz dans les deux cellules a une conduction « physique » de 1'electrolyte ne produisant pas sa decomposition. En realite, la difference provient de la dissolution partielle des gaz dans 1'eau et de la production d'eau oxygenee.
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apparaissait quand on plac.ait deux rondelles de tissu d'un cote au lieu d'une seule. L'idee selon laquelle les liquides pouvaient presenter une conduction physique amena Foucault a penser qu'on pourrait construire des piles sans metal, ce qui existe d'ailleurs chez les poissons electriques. En fait, ce n'est possible que grace a la conductivite chimique des electrolytes. II construisit done des piles a 1'aide de rectangles de toile impregnees de solutions diverses, placees entre d'autres couches humides, le courant etant recueilli par des plaques de platine enserrant le tout. Apres sa publication dans les Comptes rendus, Foucault envoya son article a Auguste de la Rive a Geneve. De la Rive etait connu pour ses travaux sur 1'electricite. II avait invente, en 1840, une methode de dorure par galvanoplastie qui lui avait valu le Prix Monthyon de 1'Academie des sciences de France, prix destine a recompenser 1'amelioration de precedes industriels dangereux. II etait aussi le redacteur en chef des Archives des sciences physiques et naturelles, supplement mensuel de la Bibliotheque universelle de Geneve, qui etait plutot litteraire. Comme de nombreux periodiques de 1'epoque, les Archives reproduisaient des articles deja publics ailleurs, en les traduisant en franc.ais le cas echeant. Leur originalite etait d'ajouter des commentaires de la redaction, ce qu'avait d'ailleurs imite Moigno dans son Cosmos. De la Rive fut sceptique quant aux conclusions de Foucault9. D'autre part, un physicien de Giessen, Heinrich Buff, realisa une cellule d'electrolyse ou Ton ne voyait plus aucun courant quelle que soit la distance entre les electrodes10. Foucault fit encore une experience d'electrolyse (figure 11.3), mais il n'avait plus guere confiance dans ses analyses, et 1'article ne fut pas accepte a 1'Academic, mais public seulement dans les Archives et dans Cosmos11. Foucault avait bien raison de se mefier. S'il avait lu les articles de Faraday, ou leur compilation dans les Experimental Researches in Electricity, il aurait vu que Faraday lui-meme savait que 1'electrolyse est beaucoup moins simple en pratique qu'en theorie. Les gaz de decomposition peuvent se dissoudre en partie dans le liquide, et des reactions imprevues peuvent se produire. Par exemple, une experience aussi simple en apparence que 1'electrolyse de 1'eau ne produit que rarement des volumes d'hydrogene et d'oxygene dans le rapport de 2 auquel on s'attend. II peut en particulier se former de 1'eau oxygenee H2O2- On ne s'etonnera done pas qu'il y ait eu beaucoup de controverses a ce sujet, certains soutenant 1'analyse de Foucault et d'autres s'y opposant. II n'y eut finalement aucune experience decisive permettant de rejeter 1'idee de la conduction physique, et le debat s'enlisa. Le sujet etait trop difficile pour 1'epoque, et la theorie de 1'electricite trop insuffisante. La conduction physique n'est plus
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adrnise aujourd'hui, mais ce qui se produit reellement au cours d'une electrolyse n'est toujours pas clair.
Une science incomplete « Assurement, la science de 1'electricite n'est pas une science faite », ecrivait Foucault : c'est pourquoi elle lui paraissait un domaine d'investigation prometteur12. Pendant qu'il s'interessait a la conduction dans les liquides, Foucault avait d'autres visees sur 1'electricite. A la fin de 1853, Frederic Herve de la Provostaye (1812-1863), 1'un des jeunes concurrents de Foucault lors d'une election a 1'Academie, presentait une communication interessante a 1'Academic, co-signee avec Paul Desains, qui devait y etre elu vingt ans plus tard13. Nous reproduisons dans 1'appendice B les commentaires de Foucault sur cet article dans le Journal des Debats. C'est un bon exemple de la fac.on dont Foucault presentait une idee scientifique, en 1'occurence legerement simplified. On connectait une vingtaine de centimetres de fil de platine aux bornes d'une pile A (figure 11.4). Le fil s'echauffait. Si Ton connectait en parallele une autre pile B avec la premiere, le fil s'echauffait davantage (cela est du a 1'existence d'une resistance interne dans chaque pile). Mais si on inversait le sens d'une des piles, le fil restait froid. Pourquoi ? De la Provostaye et Desains expliquaient que les courants positifs et negatifs que 1'on imaginait a 1'epoque (voir la figure 11.2) parcouraient le fil de platine dans des sens opposes, et que leurs effets calorifiques s'annihilaient. Nous savons aujourd'hui que le courant electrique dans les metaux est un flot d'electrons charges negativement14, et que 1'echauffement est du a la resistance du conducteur au mouvement de ces electrons. Mais meme dans la theorie des deux fluides electriques, ou 1'echauffement etait suppose provenir d'une neutralisation des deux fluides, on ne pouvait pas comprendre pourquoi des flots allant en sens oppose pourraient ne pas se neutraliser et produire de la chaleur. Foucault ecrivait : « Nous n'insisterons pas sur une interpretation dont avant peu les auteurs seront aussi surpris que nous. »15 De la Rive etait d'accord avec Foucault, mais Moigno, qui venait d'ecrire un livre sur le telegraphe electrique, se tenait du cote de De la Provostaye et Desains. Breguet et Gounelle, rappelait-il a ses lecteurs de Cosmos, n'avaient-ils pas reussi a transmettre des signaux soit positifs soit negatifs dans le telegraphe de Paris a Rouen ? En fait, Moigno confondait des signaux alternatifs avec un courant constant16. Cette fois, 1'interpretation de Foucault etait la bonne. Sa clairvoyance etait partagee par son ami Jules Regnauld. Ce dernier avait bien compris qu'il ne pouvait y avoir de courant dans un circuit ou
Figure 11.4. Principe de 1'experience de De la Provostaye & Desains. (En haul) Quand les piles A et B sont connectees en parallele, le fil de platine devient incandescent. (En has) Le fil reste froid si le sens de la pile B est inverse (ce qui entre parentheses court-circuite les piles).
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les tensions sont en opposition, et il avait mis au point une excellente methode de mesure de la force electromotrice d'une pile: il la mettait en opposition avec la force electromotrice d'un thermocouple forme de deux jonctions, 1'une froide et I'autre chaude, entre un fil de bismuth et un fil de cuivre. II avait ainsi constate que la pile de Daniell, par exemple, avait une force electromotrice deux fois superieure a ce qu'on avait cru mesurer precedemment17.
Un voyage en Grande-Bretagne La Grande-Bretagne etait le pays le plus riche et le plus puissant d'Europe. Bien que, comme ils le font encore, les chercheurs britanniques se plaignissent du manque de moyens, la science de GrandeBretagne etait tres influente, et Foucault etait bien avise d'aller presenter ses resultats de I'autre cote de la Manche. Ce fut certainement le motif de son voyage a Liverpool a 1'automne 1854, qui lui permit d'assister au congres de 1'Association britannique pour 1'avancement des sciences. Nous avons vu que son gyroscope y a rec.u un accueil tres favorable. « En somme, je crois que la campagne est assez bonne et qu'elle portera ses fruits », ecrivait-il a son ami Regnauld, reste en France. II semble que Foucault briguait alors la Medaille Copley de la Royal Society de Londres. Ce prestigieux prix annuel etait 1'equivalent de 1'actuel prix Nobel (mais il ne comportait aucun avantage financier). Les espoirs de Foucault etaient justifies, car il rec,ut la Medaille Copley 1'annee suivante « en temoignage d'admiration pour 1'habilete, 1'ingeniosite et talent dont ont fait preuve [ses] recherches experimentales tres remarquables ».18 Foucault a ete alors prefere a Pasteur, mais il ne 1'a probablement jamais su19. Faraday etait a Liverpool, et Foucault avait pu le rencontrer. Mais Faraday avait malheureusement du retourner a Londres juste avant la demonstration du gyroscope. Foucault n'en fut pas trop dec.u, car comme il 1'ecrivait a Jules Regnauld : [... ] J'aurais tort de me plaindre car deux jours auparavant, invite a diner chez le Maire de la ville, je m'etais trouve place entre Richard Owen [le zoologiste] et Michael Faraday. J'ai done pu jouir du brave homme tout a mon aise et me dedommager d'avance du contretemps qui devait plus tard me 1'enlever au bon moment. Michael Faraday n'est point tel que nous 1'imaginons, et chose singuliere il n'est nullement conforme a nos souvenirs. C'est un petit homme vif aux cheveux gris, a 1'ceil malin [... ] Cesse done de te figurer Faraday comme un bonhomme de patriarche ; nous avions deux ans de moins quand il nous sembla un personnage venerable. Si tu le voyais aujourd'hui tu ne pourrais t'empecher de blaguer avec lui. Le gaillard n'est pas sans malice : pendant le diner nous parlions
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des illustrations [personnages illustres] que la mort avait enleves dans ces derniers temps a la science, et sans changer de ton il ajouta : vous avez encore perdu Mr Dumas ; j'ai cru qu'il confondait et qu'il voulait dire Arago [mort 1'annee precedente] : pas du tout. II entrait en plein dans notre maniere de voir : selon lui Dumas etait perdu pour la science [... ] 20 A Liverpool, Foucault rencontra « 1'infame [Baden]-Powell qui fait metier d'enseigner le gyroscope sans me nommer »21 (voir le chapitre precedent). Baden Powell a du etre convaincu par cette rencontre, car, au printemps suivant, il mentionnait non sans flagornerie les « experiences remarquables » de Foucault22. Foucault se trouva en « fort bons termes » avec trois physiciens anglais « a peu pres de [son] age et qui paraissent etre d'assez bons gargons » : Hockes, William Thomson, et 1'assistant de Faraday, John Tyndall. Avec Moigno, il fut rec.u dans la « savante et hospitaliere solitude » de Bradstones par William Lassell, un riche brasseur, amateur passionne d'astronomie23. Lassell avait construit un telescope geant a miroir metallique de 60 centimetres de diametre, avec lequel il avait decouvert Triton, le satellite de Neptune, moins de deux semaines apres la decouverte de la planete elle-meme. A cette epoque, tous les miroirs de telescopes etaient en bronze. Celui de Lassell n'etait pas le plus grand au monde (voir plus loin le chapitre 13), mais c'etait le premier grand miroir qui avait pu etre place avec succes dans une monture equatoriale. En vue de son entree a 1'Observatoire de Paris (voir le chapitre suivant) Foucault a certainement etudie avec interet la mecanique et 1'optique du telescope de Lassell, et admire les images qu'il produisait: Triton, asteroides, amas d'etoiles, une nebuleuse spirale et 1'etoile multiple e Lyrae. Sur le chemin du retour, Foucault s'arreta a Londres pour y revoir Faraday, et aussi pour visiter 1'atelier de Wheatstone : [... ] J'ai meme passe chez lui une journee entiere a faire le service de tous ses engins ; je n'y ai pas appris grand chose, mais enfin j'ai noue connaissance avec cet homme si interessant et qui parait dispose a soutenir mes droits en toute occasion. Quant a Faraday, il savait que le Prince Albert, le mari de la Reine Victoria, etait interesse par une eventuelle utilisation de disques tournants pour stabiliser son yacht. II ecrivit done au secretaire prive du Prince pour lui suggerer que le gyroscope pourrait avoir un interet. « M. Foucault est un parfait gentleman », annongait-il. « Son appareil est transportable. »24 Six jours plus tard, Foucault faisait la demonstration du gyroscope devant le Prince au chateau de Windsor25.
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Figure 11.5. Trois chimistes. Au centre : A.J. Balard (1802-1876), le decouvreur du brome, qui fut un des examinateurs de Foucault pour la soutenance de sa these en 1853. A gauche : Henri Sainte-Claire Deville (1818-1881), ami de Foucault, qui succeda a Balard a 1'Ecole normale superieure. A droite : Adolphe Wurtz (1817-1884), un autre ami de Foucault.
Henri Sainte-Claire Deville C'est probablement a cette epoque que Foucault fit une autre rencontre importante : celle du chimiste Henri Sainte-Claire Deville (figure 11.5). Sainte-Claire Deville, un homme affable, avait, comme Foucault, suivi des etudes medicales, puis avait abandonne la medecine pour la chimie. Nomme professeur a 1'Ecole normale superieure en 1851, il y fonda le laboratoire de chimie. II decouvrit un procede pour produire raluminium en quantites importantes. L'Empereur fut informe de cette decouverte par une medaille en aluminium que le chimiste lui offrit. Imaginant que ce metal pourrait servir a construire des blindages legers pour 1'armee imperiale, il finanga la recherche de Sainte-Claire Deville en vue d'une production a grande echelle. On s'extasiait sur raluminium : « II etait le bienvenu, on le faisait sonner, on lui prodiguait de brillans horoscopes », ecrivait Foucault26, mais bien que son prix soit tombe a 300 francs le kilogramme en 1859, puis a dix fois moins apres 1'invention du raffinage electrolytique vers 1880,1'aluminium n'a guere trouve d'applications industrielles jusqu'a la fin de la deuxieme guerre mondiale27. Cependant, Foucault utilisa raluminium dans quelques-uns de ses appareils.
l/eclairage au gaz Les travaux de Foucault sur Teclairage au gaz lui rapporterent quelque argent. On sait qu'au temps de la Revolution, Philippe Lebon (1767-1804) avait montre qu'on pouvait obtenir un gaz
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Figure 11.6. Le « photometre a compartiment» construit par Foucault pour mesurer le pouvoir eclair ant du gaz de tourbe. Un faisceau de bougies donnait une source de reference bien stable pour la comparaison. combustible en faisant chauffer du bois dans une cornue, et suggere qu'on pourrait remplacer les lampes a huile par des bees de gaz pour 1'eclairage public. Lebon fut assassine en revenant du couronnement de Napoleon Ier, et ce n'est que sous Louis XVIII qu'on commenc.a a eclairer Paris au gaz, a 1'aide d'une technologic anglaise. Au debut des annees 1850, le gaz avait remplace 1'huile pour 1'eclairage des rues et des boutiques, et meme de certaines habitations. On produisait le gaz en chauffant diverses substances : le bois, le bitume, le charbon et meme des excrements. La plus grande partie du gaz parisien venait du charbon bitumineux, mais on ne negligeait pas la possibilite de trouver d'autres sources, moins cheres28. Une societe sise au 53 boulevard de Strasbourg, produisait du gaz a partir de la tourbe29. Foucault fut sollicite pour determiner si la lumiere ainsi produite pourrait etre assez brillante pour que le precede s'impose. « C'est, a notre connaissance, le premier travail de ce genre conduit par un physicien eminemment habile », declara 1'Abbe Moigno30. Foucault fit ses mesures en novembre et decembre. II adapta a ses besoins le photometre de Rumford, un instrument qui etait couramment utilise. Son dispositif, qu'il appelait photometre a compartiment, permettait la comparaison directe de 1'intensite lumineuse d'un bee de gaz et d'une source de reference, en 1'occurrence un faisceau de bougies (figure 11.6, planche 9, page 201). Le principe de 1'appareil est decrit par la figure 11.7. Les deux sources a comparer S et S' donnaient chacune 1'ombre d'une plaque opaque sur un ecran translucide. A 1'ombre produite par une source, se superposait 1'eclairement produit par 1'autre source. On eloignait ou rapprochait les sources jusqu'a ce que ces eclairements soient egaux. Comme 1'eclairement est inversement proportionnel au carre de la distance de la source, on pouvait f acilement deduire de la distance des sources le rapport de leurs intensites lumineuses. Pour obtenir une bonne sensibilite, on projetait 1'intersection P des ombres sur le verre translucide, ce qui permettait de voir s'il y avait un saut d'eclairement en passant d'une plage a 1'autre. II fallait avancer ou reculer la plaque apres avoir deplace les sources jusqu'a ce que cela soit realise. Apres
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divers essais, Foucault fabriqua 1'ecran translucide en deposant de 1'amidon sur une plaque de verre. Le gaz de tourbe etant plus dense que le gaz de houille, il s'ecoulait plus lentement que ce dernier dans le bee de gaz. Comme on vendait le gaz au volume, Foucault deduisit qu'il lui fallait comparer les intensites a flux de gaz egaux. « Nous avons constate [...], disait son rapport, que pendant une quinzaine de jours, le melange des [... ] gaz, tel qu'on le produit a 1'usine du boulevard de Strasbourg, s'est constamment montre plus lumineux que le gaz de houille, et son pouvoir eclairant compare a celui du gaz ordinaire, represente par 100, s'est maintenu dans les limites comprises entre 150 et 300. »31 Dumas, qui etait entre autres president du Conseil municipal de la Ville de Paris, et Victor Regnault utiliserent quelques annees plus tard le photometre de Foucault pour constater que le gaz de houille produit par la societe d'eclairage n'etait pas conforme aux specifications de la ville32. On utilisa des photometres de ce genre jusqu'au XXe siecle33.
Figure 11.7. Principe du photometre a compartiment. Explications dans le texte. L'astuce, pour obtenir de la sensibilite consiste a placer sur 1'ecran translucide 1'intersection P des ombres produites par les deux sources S et S' a comparer (diagramme du bas).
Chapitre 12 Le physicien de 1'Observatoire La mort d'Arago Apres le coup d'Etat de Louis-Napoleon, Pouillet n'avait pas ete le seul savant a refuser de preter allegeance au nouveau regime. Arago, mine par le diabete et la nephrite, ecrivit au ministre de 1'Instruction publique une lettre tres digne, par laquelle il rappelait son attachement a la Republique dont il avait ete Fun des fondateurs, et presentait sa demission de 1'Observatoire qu'il avait tant contribue a relever et qui « [pouvait] maintenant servir d'exemple a 1'etranger ».1 Le ministre consulta le Prince-president, qui fut aussi magnanime que Napoleon 1'avait ete lorsqu'Arago, encore etudiant a 1'Ecole polytechnique, lui avait refuse son soutien : il dispensa Arago de serment. Dans ses dernieres annees, Arago avait dicte ses memoires et son cours public d'astronomie a sa niece, Lucie Laugier. Suivant 1'avis de ses amis, il partit avec elle dans le Roussillon, ou il etait ne. Cela ne lui fit aucun bien, et il mourut a I'automne de I'annee suivante, en 1853 (figure 12.1). Sensible aux realisations et a la reputation d'Arago, 1'Empereur ordonna des funerailles nationales. Foucault les raconte dans le Journal des Debats : Dans la foule qui grossissait en suivant son cortege, toutes les classes de la societe se trouvaient representees, et Ton voyait avec interet qu'[Arago] comptait de nombreux admirateurs jusque dans les faubourgs. On peut dormer, il est vrai, de cette grande popularite plusieurs explications ; quant a nous, celle que nous preferons, celle sur laquelle nous arreterions le plus volontiers notre pensee, se fonde sur I'lnestimable concours des brillantes facultes dont la nature s'etait plu a doter cette rare intelligence. Arago etait orateur, de plus il avait la memoire et I'lmagination ; il trouva des grandes choses, et dans le developpement de sa carriere, la gloire de 1'inventeur fut constamment servie par le prestige de 1'observation et les ressources de 1'erudition. Non seulement, comme professeur a 1'Observatoire et comme secretaire perpetuel a 1'Academic des sciences, il mettait en circulation plus d'idees a lui seul qu'une generation tout entiere, mais encore il redigea pendant nombre d'annees ces admirables Notices qui ont complete le vulgarisateur en le classant parmi les meilleurs ecrivains.2
Figure 12.1. Photographic d'Arago quinze jours avant sa mort.
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On dit que les dernieres paroles d'Arago furent : « Travaillez, travaillez bien ! » mais, d'apres Foucault, elles furent, de fac,on plus credible : « J'etouffe ! »
Urbain Le Verrier
Figure 12.2. Urbain Le Verrier (1811-1877), nomme directeur de 1'Observatoire de Paris en 1854.
Que 1'Observatoire puisse servir d'exemple a 1'etranger n'etait pas 1'opinion de tout le monde. En fait, comme beaucoup de directeurs a la fin de leur mandat, Arago avait laisse les choses se degrader. Les instruments etaient vetustes. Le plus recent etait la lunette equatoriale construite par Gambey dans les annees 1830, et un cercle meridien du meme constructeur acheve en 1843. La coupole Est (figure 8.1), construite en 1846, renfermait bien une monture equatoriale, mais sans lunette3. George Airy, l'Astronome royal d'Angleterre, devait juger plus tard 1'Observatoire en « tres-minime condition ».4 L'Observatoire avait done besoin d'un renouveau pour retrouver I'avant-scene de 1'astronomie mondiale. Un mois apres la mort d'Arago, une commission fut creee pour « examiner les ameliorations a apporter dans 1'organisation scientifique et administrative de 1'Observatoire de Paris et du Bureau des Longitudes ». Un decret de Janvier 1854 nomma Urbain Le Verrier directeur (figure 12.2). Le Bureau des Longitudes etait alors separe de 1'Observatoire5. Le choix de Le Verrier n'avait rien de surprenant: c'etait, apres Arago, le plus celebre des astronomes frangais, grace a sa prediction qui avait conduit a la decouverte de Neptune. Comme Arago, Le Verrier venait d'un milieu modeste et s'etait eleve grace a son merite. Son pere avait vendu sa maison pour lui permettre de suivre des cours preparatoires a 1'Ecole polytechnique, ou il entra en 1831 apres avoir echoue 1'annee precedents, et dont il sortit en 1834. Le Verrier travailla quelques annees a la Manufacture des Tabacs, ce qui lui permit de rester a Paris et de faire des recherches en chimie, domaine dans lequel il publia deux articles consacres au phosphore. En 1837, il se presenta au poste de repetiteur du chimiste Gay-Lussac, mais c'est un autre bon candidat, Victor Regnault, qui 1'obtint. Par bonheur, un autre poste de repetiteur fut bientot vacant en « geodesic, astronomie et machines » et c'est la qu'il fut nomme. Cette nomination, qu'il prit avec philosophic, devait decider de sa carriere. II commenc,a par travailler sur une question toujours d'actualite : le Systeme solaire est-il stable, ou les interactions entre planetes conduiront-elles a des changements profonds ? Le Verrier devait bientot decouvrir que les masses des planetes n'etaient pas assez bien connues pour permettre d'aborder ce sujet avec profit.
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A la suggestion d'Arago, il se mit a analyser 1'orbite de la septieme planete, Uranus, decouverte par hasard en 1781 par William Herschel. On sait qu'il expliqua les anomalies du mouvement d'Uranus par 1'existence d'une autre planete : Neptune, decouverte sur ses indications par Galle a 1'Observatoire de Berlin (voir le chapitre 7)6. Foucault ecrivit peu apres que c'etait une grande decouverte, et que «la gloire de cet homme est imperissable et rien n'en saura ternir 1'eclat ». En bon experimentateur, il ajoutait: Dans 1'enthousiasme qui en est resulte, on n'a guere eu egard qu'a ces beaux calculs aussitot confirmes par une verification si eclatante. On a pour ainsi dire perdu de vue ces quatre-vingts annees d'observations qui en ont fourni les bases.7 Le Verrier avait plus d'une corde a son arc : il etait aussi professeur d'astronomie a la Sorbonne et depute de la Manche, du parti conservateur des Amis de I'Ordre. II avait redige, pour 1'Assemblee nationale, des rapports sur les chemins de fer, le telegraphe electrique et 1'Ecole poly technique. II etait cependant loin d'etre republicain : apres le coup d'Etat, il fut nomme membre du Senat imperial. II avait ete membre de la Commission chargee d'examiner 1'avenir de I'Observatoire et du bureau des Longitudes. II connaissait done bien les aspects scientifiques, administratifs et politiques de la direction de I'Observatoire. Malheureusement, il avait un esprit plutot mesquin : un de ses premiers actes de directeur fut de demolir 1'amphitheatre d'Arago.
Enfin un emploi! La tache du nouveau directeur etait considerable. De plus, il fallait de 1'argent pour moderniser I'Observatoire, bien au-dela du budget habituel. Le Verrier hesita avant d'accepter, mais une fois decide, il agit avec efficacite. Sa premiere preoccupation etait de definir les buts de 1'institution. II y avait aussi la question de Foucault. L'Empereur avait un interet personnel et pour I'Observatoire et pour Foucault, et il fallait en tenir compte. « Nous eumes de longs entretiens sur ce sujet », se souvint plus tard Le Verrier8, et il demanda a Foucault de coucher par ecrit ce qu'il ferait s'il etait nomme a I'Observatoire. Foucault s'executa dans une lettre ecrite depuis un hotel de Dieppe, ou il attendait probablement de s'embarquer pour 1'Angleterre avec son gyroscope9. II envisageait deux projets. Le premier etait 1'application des methodes de la physique experimentale a 1'observation astronomique : il pensait a 1'utilisation du telegraphe electrique, a des ameliorations de
Figure 12.3. La Planete Le Verrier.
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1'optique, a la photographie du Soleil et de la Lime, et a la determination de la verticale, en pensant qu'on pourrait en deduire des informations sur 1'attraction gravitationnelle du Soleil et de la Lune, ce qui permettrait d'ameliorer la connaissance de leur masse. Son second projet etait plus conforme a ce qu'il avait fait jusque la : il voulait s'attaquer a divers problemes de physique en utilisant 1'astronomie. En particulier, il proposait une etude experimentale de 1'effet du mouvement de la Terre sur la refraction de la lumiere des etoiles. L'opinion generate etait qu'il n'y avait pas d'effet, mais Foucault ecrivait: « J'ai de bonnes raisons de douter qu'il en soit ainsi [... ] » II pensait bien entendu a 1'experience sur Tether qu'il avait commencee avec Fizeau, avec 1'idee erronee qu'il pourrait mettre en evidence le mouvement orbital de la Terre par rapport a 1'espace newtonien absolu. Arrive a Liverpool, Foucault s'impatientait. Ou en etait-on de sa nomination ? Son vieil ami Jules Regnauld consentit a servir d'intermediaire. Un mois plus tard, il lui racontait ainsi son entrevue avec Le Verrier: [... ] grace a ton nom j'ai pu parvenir dans le temple et approcher le Dieu [... ] Neptune n'a pas craint de m'initier a ses mysteres et j'ai joui tout a mon aise de ce divin commerce [... ] II a voulu se justifier a tout prix de negliger tes interets. « Dites bien a M. Foucault que je veux absolument qu'il soit des notres. Mais pour que sa position ici soit digne de lui sous tous les rapports il faut que la place qu'on lui creera se rattache au vaste plan de reformes que je medite et que je redige. Je veux qu'il entre ici avec toutes les ressources d'appareils et de credits qui montrent que ce n'est pas une sinecure qu'on lui donne. Mais vous comprenez que les plans d'amelioration se resument en demandes d'argent. Je n'ai que 30 000 francs pour tout mon monde, mes instruments. Que voulez-vous que je fasse avec cette bagatelle ? Je suis dans les mines, dans les decombres, dans un taudis ; c'est ignoble, degoutant, hideux. J'ai pris la clef de la boutique et je n'entrerai que vainqueur, ou je sortirai; oui Monsieur, on fera ce que je veux ou je sortirrrrai !! [... ] Mais, en resume, M. Foucault sera de 1'Observatoire, pas tout de suite, il est vrai. Car enfin pour arriver a un succes il faut choisir ses moments ; or le moment est mal choisi. »10 En effet, ce n'etait pas le bon moment. Au printemps 1854, les Frangais et les Anglais s'etaient allies aux Ottomans contre le Tzar. L'argent promis a Le Verrier ne serait pas attribue avant 1856, date a laquelle, esperait-on, la guerre serait gagnee depuis longtemps. Au moment de 1'entrevue entre Regnauld et Le Verrier, les troupes Franco-Anglaises debarquaient en Crimee et se preparaient a attaquer Sebastopol. « Si j'allais trouver 1'Empereur hie et nunc,
Le physicien de I'Observatoire
continuait Le Verrier, il me repondrait sans doute : Prendrons-nous Sebastopol ? et m'enverrait promener. Patience ! » Nous pouvons deja constater quelques divergences entre les idees de Foucault et celles de Le Verrier. Foucault avait suggere un certain nombre d'experiences isolees qu'il aurait pu realiser lui-meme, ou des techniques qu'il aurait pu developper. Le Verrier voyait plutot Foucault animant un groupe de chercheurs dans le cadre de son plan general pour I'Observatoire. Cependant, un mois plus tard, Foucault discutait, dans le Journal des Debats, une determination de la difference de longitude entre les Observatoires de Paris et de Greenwich, determination qui faisait intervenir le telegraphe. II en profita pour y glisser quelques phrases en faveur de la reforme entreprise par Le Verrier, et, en filigrane, un soutien a sa propre nomination : [... ] mais le directeur de I'Observatoire de Paris a rencontre des difficultes d'un autre ordre, de veri tables entraves provenant de 1'imperfection du materiel et de 1'insuffisance des ressources affectees de temps immemorial aux progres de 1'astronomie en France. Celui qui reclame aujourd'hui en faveur de 1'astronomie pratique a fait avec sa plume tout ce qu'on peut attendre de 1'intelligence humaine, il vous a donne une planete lointaine ; mais puisque vous 1'avez appele a soutenir la lutte avec les Observatoires etrangers, faut-il au moins qu'il soit arme en consequence.11
En decembre, 1'attaque de Sebastopol s'etait transformed en siege. Le Verrier a du considerer que 1'Empereur etait plus accessible, et il lui transmit son plan par I'intermediaire du ministre de 1'Instruction publique. C'etait un document de 88 pages, comprenant sept themes, entre autres 1'amelioration de I'instrumentation et la recherche sur les objets decouverts recemment. II mentionnait enfin des travaux directement utiles a la nation, tels que la verification des chronometres pour la Marine, la distribution du temps par telegraphe et la mise en place d'un service meteorologique12. Le Verrier disait egalement que la physique experimental pourrait rendre de grands services a 1'astronomie. II mentionnait quelques-unes des idees de Foucault, remarquant qu'il existait un grand nombre de fabricants d'instruments scientifiques qui ne demandaient qu'a realiser de grands objectifs pour les lunettes astronomiques, mais qu'ils avaient besoin de 1'avis de scientifiques. La mesure de la vitesse de la lumiere et de I'electricite meritaient aussi de nouveaux travaux. Les propositions de Le Verrier avaient quelques detracteurs, notamment le Suisse Emile Plantamour, plus tard directeur de I'Observatoire de Geneve, qui regrettait que dans le projet « les recherches purement scientifiques [soient] presque entierement exclues ». II remarquait egalement de fagon premonitoire : « Quel est le savant de
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merite qui consentira a devenir le subordonne de M. Le Verrier ? [... ] un homme dont le caractere n'est pas de nature a permettre autour de lui des collaborateurs, mais seulement des subordonnes, des machines. »13 Cependant, Foucault n'avait pas le choix. Le Verrier ecrivit au ministre pour proposer la creation d'un poste de physicien, qu'occuperait Foucault/ avec Emmanuel Liais qui etait deja un des adjoints de Le Verrier. « Les titres de M. Foucault sont bien connus de Votre Excellence, ecrivait Le Verrier, mais ceux de M. Liais [... ] ne sont pas moins reels. »14 Deux mois plus tard, le 20 fevrier 1855, 1'Empereur approuvait la nomination de Foucault comme physicien a TObservatoire, avec un salaire annuel de 5000 francs15. L'abbe Moigno ecrivit alors, non sans auto-satisfaction : « On nous permettra de dire que le premier nous avons serieusement exprime le desir de voir creer ce poste eminent et d'y voir appeler M. Foucault. »16 Foucault commenc,a aussitot. Une de ses premieres taches fut d'examiner un instrument enregistreur de Froment qui ne fonctionnait pas bien17. Cependant, il lui restait des travaux a terminer en dehors de 1'Observatoire : son rapport sur le gaz de tourbe, qui fut fierement signe Par Leon Foucault, Physicien de 1'Observatoire de Paris18, et des recherches sur 1'electricite. II etait egalement implique dans la preparation de la prochaine Exposition universelle.
Idees nouvelles : les courants de Foucault Des relations etroites entre le travail scientifique de Foucault et son activite de reporter pour le Journal des Debats 1'incitaient a reflechir sur les idees nouvelles. L'une de ces idees etait 1'equivalence du travail et de la chaleur, dont il avait entretenu ses lecteurs en 1853 et 1854, en decrivant les travaux de Victor Regnault dont nous avons parle page 9319 : Cette idee, nous 1'avons deja dit, consiste a voir dans la chaleur une des formes du principe dynamique qui anime 1'univers. Ce principe etant indestructible, aussi bien que la matiere, il y avait pour 1'ancienne physique un embarras extreme a expliquer l'aneantissement apparent de tous les mouvemens que nous voyons s'amortir autour de nous. D'un autre cote, le mouvement ne pouvant sortir du neant, on ne savait non plus comment dire pourquoi les animaux se remuent et pourquoi les machines a feu produisent de la force. L'existence reconnue et bien averee d'un equivalent mecanique de la chaleur a tout fait rentrer dans 1'ordre.20 Souvenons-nous que le debut du XIXe siecle etait 1'epoque de la mecanisation et de I'lndustrialisation. Bien que les rivieres
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fournissaient beaucoup d'energie, 1'apparition de la machine a vapeur fut saluee comme un evenement majeur. Dans un effort pour comprendre son fonctionnement, Sadi Carnot (1796-1832), un ingenieur militaire sorti de Polytechnique, avait publie en 1824 un opuscule intitule Reflexions sur la puissance motrice dufeu. Pour Foucault, les theories de Carnot etaient d'« anciens erremens, qu'on aura beaucoup de peine a deloger de la tete a plus d'un ». II ajoutait: « rien qu'a I'ennui qu'on en ressentait, on jugeait que c'etait faux ». Cette opinion negative surprendra le lecteur qui connait la thermodynamique, Carnot etant considere comme 1'un des fondateurs de cette science. II n'en reste pas moins que, pour Carnot, la chaleur etait un fluide indestructible, le calorique, qui pouvait produire du travail lorsqu'il allait d'une haute temperature a une temperature plus basse, de la meme maniere que 1'eau produit du travail en descendant du reservoir d'un moulin. L'idee que la chaleur et le travail pourraient etre deux manifestations d'un meme phenomene, 1'energie, n'etait cependant pas aussi nouvelle que le pretendait Foucault. Elle avait deja etc proposee sous des formes variees par Newton, Laplace et 1'ingenieur Marc Seguin (1786-1875), qui avait construit des ponts suspendus et des chemins de fer en Suisse et en France. L'histoire a surtout retenu le nom de Julius Robert Mayer (1814-1878), un medecin de Heilbronn dans le Wurtemberg. En 1842, Mayer avait explicitement propose le « principe fecond », comme le qualifiait Foucault, selon lequel la chaleur et le travail sont equivalents. C'est la conception actuelle, mais, a 1'epoque de Carnot, 1'idee du calorique n'etait pas si bizarre. En effet, il n'etait pas possible de mesurer les pertes de chaleur dans les premieres machines a vapeur, dont le rendement n'etait que de quelques pour cent. Carnot mourut du cholera en 1832; son souvenir persiste, car ses idees furent developpees dans les annees 1850 par le physicien irlandais William Thomson (1824-1907, plus tard Lord Kelvin), un des physiciens avec lesquels Foucault avait sympathise a Liverpool. Venons-en aux courants de Foucault, dont nous aliens comprendre la relation avec le principe d'equivalence entre le travail et la chaleur. On dit qu'en 1824, Gambey avait remarque que 1'aiguille d'une boussole etait amortie quand on la plagait dans un boitier metallique, comme si le metal avait freine ses oscillations. De son cote, Arago avait constate qu'un disque de cuivre en rotation place sous un aimant tendait a entrainer celui-ci. Bien qu'il ait valu a Arago la Medaille Copley, ce phenomene etait reste inexplique jusqu'a ce qu'il conduise Faraday a decouvrir 1'induction en 1831 : le champ magnetique induit des courants electriques dans le cuivre en mouvement (c'est le principe de la dynamo), et ces courants produisent eux-memes un champ magnetique oppose qui ralentit le disque, ou
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qui entraine 1'electroaimant si on maintient le disque en mouvement. Foucault resumait ainsi 1'effet: « On peut dire, d'une maniere generale, que 1'aimant et le corps conducteur tendent par une influence mutuelle vers le repos relatif. » Cette reflexion de Foucault est sans doute nee de sa visite a 1'atelier du fabricant d'instruments Heinrich Daniel Ruhmkorff (figure 12.4). Ne a Hanovre, fils d'un postilion, Ruhmkorff travailla dans divers ateliers en Allemagne, a Paris et a Londres, pour finalement s'etablir a Paris, d'abord comme chef d'atelier de 1'entreprise d'optique de Charles Chevalier, puis a son compte en 1839, se specialisant dans les appareils electriques21. C'est dans son atelier que Foucault fut temoin du freinage rapide d'un bloc ou d'une plaque conductrice que 1'on laissait tomber entre les poles d'un electroaimant puissant. Figure 12.4. La specialite de H.D. Ruhmkorff (1803-1877) etaitles bobines d'induction et autres appareils electriques.
Que devient done ce mouvement qui s'eteint dans le vide, redisions-nous avec insistance aux spectateurs pensifs qui partageaient notre admiration ? Et chacun demeurait sans reponse et comme atterre devant ce mystere.22
Finalement Foucault trouva la cle du mystere : Si, malgre cette influence, on veut que le mouvement persiste, il faut fournir incessamment un certain travail; la partie mobile semble etre pressee par un frein, et ce travail produit n^cessairement un effet dynamique que j'ai juge, suivant les nouvelles doctrines, devoir se retrouver en chaleur.23
Mayer avait obtenu une valeur numerique du rapport de conversion entre le travail et la chaleur. Utilisant cette valeur, Foucault estima que 1'on devait pouvoir observer 1'echauffement du cuivre. Par bonheur, il avait sous la main le materiel necessaire a une « prompte verification ». II plac,a le rotor de son gyroscope entre les poles d'un fort electroaimant, et constata que la rotation s'arretait en quelques secondes. Puis, il utilisa l'entrainement a manivelle du rotor pour le maintenir en mouvement, et il observa que sa temperature s'elevait de la valeur ambiante de 16 °C jusqu'a 20, 25, 30 puis 34 °C, et a la fin qu'il devenait« brulant ». C'est Babinet qui presenta 1'experience de Foucault a 1'Academie le 17 septembre 1855, avec, selon Moigno, « un bonheur et un entrain remarquables ».24 Le memoire de Foucault concluait: Si 1'experience semble digne d'interet, il sera facile de disposer un appareil pour reproduire en 1'exagerant le phenomene [... ] et a mettre sous les yeux du public assemble dans les amphitheatres un curieux exemple de la conversion du travail en chaleur.
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D'apres les gravures de 1'epoque, il semble que les fabricants d'instruments ont construit differents « arrangements faciles » pour cette demonstration. La figure 12.5 montre le principe d'un appareils illustre planche 10, page 201 et fabrique par Ruhmkorff, ou on observait 1'echauffement d'un epais disque de cuivre tournant entre les poles d'un electroaimant. Pour d'autres instruments, Ruhmkorff construisait la piece tournante en cuivre en forme de bouteille horizontale, dans laquelle un trou etait perce pour y inserer un thermometre. Dans d'autres appareils enfin, 1'axe de la manivelle et 1'electroaimant etaient horizontaux, et pour certains, 1'objet de cuivre etait creux, rempli d'eau et muni d'un bouchon qui sautait quand 1'eau se mettait a bouillir25. II n'y avait en fait rien de nouveau dans toute cette physique, et Foucault n'a jamais pretendu que son experience eusse d'autre interet que de servir a des demonstrations de cours. Neanmoins, il « acquit rapidement une juste celebrite ».27 Cette notoriete atteignit le Palais des Tuileries. La plus grande partie des 10 000 francs alloues par 1'Empereur avaient probablement servi au gyroscope. Quinze jours apres la seance de 1'Academic, Foucault apprenait une bonne nouvelle transmise par 1'aide de camp de 1'Empereur, Ildephonse Fave : J'ai eu 1'honneur de rendre compte a 1'Empereur de vos nouvelles experiences [... ] S.M. s'est vivement interessee a cette decouverte, et desirant faciliter et favoriser vos travaux, Elle a decide que tous les frais des experiences que vous ferez a 1'avenir seront payes sur sa cassette.28
En Angleterre, 1'enthousiasme fut plus mesure29. Six semaines plus tard, Foucault etait a Londres pour recevoir la Medaille Copley. Nous avons parle page 114 de son diner avec G.G. Stokes. Us ont du discuter de 1'experience, car deux jours plus tard, Stokes ecrivait a William Thomson a Glasgow : Foucault a realise recemment une experience qui semble avoir fait grand bruit a Paris [... ] Un joli resultat, mais je n'y vois rien de nouveau, du moins pour nous en Angleterre.
Ce a quoi Thomson repondit: C'est seulement parce qu'on ignorait ce que Joule nous a appris il y a douze ans que 1'experience de Foucault a cause cette sensation. J'en ai vu la publication dans les Comptes rendus, et j'ai admire mais sans m'emerveiller. Je savais bien par Faraday qu'une masse de cuivre s'arrete instantanement entre les poles d'un fort aimant [...], quelle que soit la vitesse a laquelle elle tourne, et j'ai souvent montre ce phenomene dans mes cours. Je pense ne 1'avoir jamais presente sans dire que si on avait maintenu la piece en rotation, le travail depense se serait transforme en chaleur dans le cuivre.
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Figure 12.5. Demonstration par Foucault de 1'equivalence du travail et de la chaleur. On fait tourner un disque de cuivre de 8 centimetres de diametre et de 7 millimetres d'epaisseur entre les poles d'un electroaimant, et Ton constate qu'il s'echauffe.26
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En effet, en 1843, James Prescott Joule (1818-1889) avait presente a Manchester ses experiences d'induction, dans lesquelles il avait mesure, comrne Mayer, 1'equivalence de la chaleur et du travail ; mais ses resultats avaient ete froidement rec.us, car la theorie du calorique etait encore trop ancree dans les esprits, et parce que les echauffements qu'il mesurait etaient petits30. En France, on nomme aujourd'hui courants de Foucault les courants induits dans un volume de metal plein assez important. Us ont de nombreuses applications pratiques, dont le freinage des vehicules industriels, le test des tuyaux ou parois metalliques, la detection des metaux, la separation des dechets metalliques des dechets non metalliques, etc. On peut utiliser 1'echauffement produit par ces courants, par exemple dans les plaques a induction utilisees pour la cuisine. Cependant, le plus souvent, on lutte centre cet echauffement en fragmentant le metal soumis a des champs magnetiques variables, par exemple en feuilletant les toles de fer des moteurs et des transformateurs. II serait peut-etre plus juste que ces courants soient nommes courants de Faraday. Foucault a eu cependant le grand merite de realiser une experience nouvelle et claire, et de la publier, ce que Thomson n'avait pas fait. Cette experience a fait progresser la cause de la conservation de 1'energie et de la transformation reciproque du travail en chaleur, notions que les esprits de 1'epoque furent lents a assimiler d'un cote et de 1'autre de la Manche31.
La bobine d'induction Dans 1'atelier de Ruhmkorff, Foucault put voir un dispositif a la fois captivant et effrayant, qui tel un dragon faisait des etincelles, du bruit et des odeurs : c'etait la bobine d'induction (planche 11, page 202), qui a fait la renommee de Ruhmkorff.32 Independamment de Faraday, d'autres avaient decouvert les courants induits, notamment Joseph Henry (1797-1878) aux Etats-Unis, qui devait devenir le premier directeur de la Smithsonian Institution. L'annonce du travail de Henry a suscite le developpement de la bobine d'induction des deux cotes de 1'Atlantique. La figure 12.6 montre le principe de 1''inductorium (comme on 1'appelait quelquefois a 1'epoque), principe etabli independamment a la fin des annees 1830 par Charles Grafton Page (1812-1868), physicien a Salem, Massachussetts, et par le Pere Nicholas Callan (1799-1864) du Maynooth College, pres de Dublin. Pour produire un courant d'induction, le champ magnetique doit varier dans le conducteur. On peut soit deplacer le conducteur par rapport au champ magnetique (ou inversement) comme dans 1'experience de Foucault, soit faire varier 1'intensite du champ magnetique sans qu'il y ait deplacement. C'est ce qui est realise dans
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Figure 12.6. Principe d'une bobine d'induction. Explications dans le texte.
la bobine de Ruhmkorff. Deux bobinages independants sont enroules autour d'un noyau de fer doux, qui sert a augmenter le champ magnetique. Une pile envoie du courant hache par un interrupteur dans une des bobines, dite bobine primaire, qui ne comporte qu'un petit nombre de tours. Ce courant engendre un champ magnetique rapidement variable a chaque interruption du courant, champ qui induit par impulsions une force electro-motrice dans 1'autre bobine, la bobine secondaire, laquelle comporte un grand nombre de tours. La difference de potentiel aux bornes de la bobine secondaire peut etre assez elevee pour produire de longues etincelles. Dans les annees 1840, on fabriqua des bobines d'induction en grand nombre pour des usages medicaux : c'etait a la mode, et sans doute profitable pour les medecins, de soigner divers maux par 1'electricite. Les interrupteurs repetitifs necessaires au fonctionnement de 1'appareil etaient tres varies : il pouvait s'agir d'un fil deplace sur un peigne, d'une roue dentee rotative, ou enfin d'une palette de fer portant un contact en platine, palette actionnee par 1'attraction du noyau de la bobine : le contact etait alors ouvert des que le courant etait etabli dans la bobine. Ce dernier systeme, represente figure 12.6, est toujours utilise dans les sonnettes electriques. Cependant, il se produisait une etincelle au niveau de 1'interrupteur, etincelle qui finissait par detruire les contacts meme s'ils etaient en platine. En 1853, Fizeau imagina, pour pallier cet inconvenient, de placer un condensateur en parallele (figure 12.7), qui absorbait une partie du courant produit par auto-induction dans le bobinage primaire et limitait la difference de potentiel aux bornes de 1'interrupteur. Cela permettait au champ magnetique de decroitre plus vite, ce qui ameliorait le fonctionnement de la bobine qui fournissait alors des etincelles de 8 a 10 millimetres de longueur. De nos jours, on utilise toujours un condensateur dans le systeme d'allumage qui equipe des centaines de millions de voitures. La haute tension produite dans la bobine secondaire imposait de disposer le fil en plusieurs sections, separees par des parois
Figure 12.7. Le condensateur de Fizeau se composait d'empilements de fines feuilles isolantes et d'etain. II ameliorait considerablement le fonctionnement de la bobine de Ruhmkorff.
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Figure 12.8. Le premier interrupteur & mercure de Foucault.
Figure 12.9. L'interrupteur double de Foucault permettait d'alimenter 1'interrupteur et le primaire d'une bobine de Ruhmkorff avec deux piles differentes. On ajustait la frequence des etincelles avec la masselotte mobile sur la tige verticale.
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isolantes verticales. Malgre tout, la tension restait limitee par le risque d'etincelles a travers cet isolant. Foucault eut 1'idee de connecter deux bobines de Ruhmkorff en serie pour augmenter encore la tension, done la longueur de I'etincelle, en synchronisant les deux interrupteurs correspondants : il obtenait alors des etincelles « bruyantes, sinueuses et longues de 10 a 18 millimetres ».33 II ameliora ensuite 1'interrupteur, en le remplac.ant« comme bien d'autres, sans doute », reconnaissait-il, par un doigt de platine trempant dans du mercure. La figure 12.8 represente son premier interrupteur a mercure, ou un systeme electromagnetique actionne le doigt de platine. Foucault realisa bien vite que le mercure eclaboussait et s'evaporait a 1'interruption du circuit. II le recouvrit done d'une couche d'eau, puis d'alcool. L'interruption etait plus rapide, accompagnee d'un « bruit sec », et, avec les deux bobines en serie, les etincelles atteignaient 30 a 35 millimetres de long34. C'est tout ce que permettait 1'isolation entre le primaire et le secondaire. Ruhmkorff mit alors un tube de verre pour les separer. Avec quatre bobines de ce type, Foucault obtint des etincelles de 7 a 8 centimetres, ce qui correspond a pres de 150000 volts. La planche 11, page 202 montre une bobine de Ruhmkorff commerciale munie d'un coupe-circuit a mercure de Foucault actionne par la bobine elle-meme. Ruhmkorff vendait aussi des interrupteurs separement35. Foucault augmenta egalement la surface totale du condensateur jusqu'a 6 metres carres36, et doubla 1'interrupteur (figure 12.9). II construisit egalement un interrupteur capable de couper le courant deux fois par oscillation.37 Fin 1857, il constata que 1'interrupteur fonctionnait encore mieux si on rendait le mercure plus visqueux en lui ajoutant un peu d'argent38. Cela dut le satisfaire entierement, puisqu'il annonc.a devant la Societe philomatique qu'il parvenait a obtenir une decharge de 2 metres de long dans un tube a vide, avec toutes les jolies couleurs et les stratifications que Ton connaissait deja. Mais il etait reserve a d'autres d'utiliser la bobine de Ruhmkorff pour etudier la conduction de 1'electricite dans les gaz, puis, des decennies plus tard, pour decouvrir les ondes hertziennes, les rayons X et 1'electron. Le temps ou Foucault repugnait a presenter un instrument jusqu'a ce qu'il ait« servi a elucider quelque question nouvelle » etait loin. Le seul travail de recherche fondamentale qu'il a effectue par la suite devait etre la mesure de la vitesse de la lumiere (chapitre 14). Foucault se tournait maintenant vers la technologic.
L'Exposition universelle de 1855 Revenons maintenant trois ans en arriere, a 1'ete 1854. La Revolution de 1789 avait instaure une exposition nationale annuelle de
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1'industrie, « afin de porter le coup le plus funeste a 1'industrie anglaise ». Celle-ci a neanmoins survecu, puis 1'intervalle entre deux expositions fut porte a cinq ans. Par ailleurs, les Anglais avaient monte en 1851, avec un enorme succes, une exposition internationale, la Grande Exposition des travaux de 1'industrie de toutes les nations. Peu apres son coup d'Etat, Louis-Napoleon decida de repousser d'un an 1'exposition nationale habituelle, qui etait prevue en 1854, et d'y convier des exposants etrangers, esperant en faire une meilleure vitrine pour le nouveau regime. Son cousin, le Prince Jerome-Napoleon, fut nomme a la presidence de la Commission imperiale chargee d'organiser les festivites. Le choix des themes de 1'exposition de 1851 avait souleve des critiques, car ils refletaient davantage la production industrielle de 1'Angleterre que celle des autres nations, ce qui avait evidemment permis aux Anglais de recolter un maximum de recompenses. Par exemple, on avait donne trop d'importance a la coutellerie, une specialite anglaise. C'est Frederic Le Play (1806-1882), pionnier des methodes quantitatives en economic mais aussi reformateur social paternaliste — ce qui devait plaire a 1'Empereur — qui fut charge de la tache « aride et difficile » de faire un schema de classification different39. La simplicite toute pragmatique des quatre groupes de 1851 — materiaux bruts, machines, biens manufactures et beaux-arts — fut remplacee par un choix plus philosophique comportant huit groupes, dont chacun allait des materiaux bruts aux produits finis (tableau 12.1). Peu importe : ce qu'on voulait, c'etait de nombreuses categories de fac.on a pouvoir attribuer de nombreux prix, ce qui devait logiquement se traduire par une augmentation des ventes. Les deux expositions — 1'anglaise et la franchise — avaient divise leurs groupes en 30 classes au total, subdivisees, en 1855, en un total de 251 sections et de pres de 3 000 sous-sections. Bien entendu, on s'etait encore arrange pour favoriser Tindustrie nationale, en introduisant des categories telles que 1'habillement et la mode, qui etaient deja des specialites parisiennes. Quatre cent juges etaient charges de I'attribution des prix. Apres avoir ete membre du jury d'admission pour les exposants du Departement de la Seine (done de Paris), jury dont il etait secretaire adjoint40, Foucault fut nomme secretaire du jury pour la classe 9 : Industries concernant I'emploi economique de la chaleur, de la lumiere et de I'electricite. Le president de ce jury de neuf membres etait Charles Wheatstone, et on y trouvait Babinet, de I'Observatoire, 1'omnipresent Edmond Becquerel et un autre Anglais, le physicien Neil Arnott, qui avait de 1'experience en tant que juge de 1'Exposition de 1851. L'exposition fut inauguree en grande pompe par Napoleon III, a la mi-mai. II declara: « J'ouvre avec bonheur ce temple de la paix. »41
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Tableau 12.1. L'exposition de 1855 comprenait huit groupes (chiffres remains) divises en 30 classes. Les classes du groupe III sont indiquees en chiffres arabes. Foucault etait membre du jury de la classe 9. I. Extraction ou production des richesses brutes II. Utilisation des forces mecaniques III. Utilisation d'agents physiques ou chimiques, ou relatifs a la science ou a I'enseignement 8. Arts de precision, science ou enseignement 9. Emploi economique de la chaleur, de la lumiere et de I'electricite 10. Chimie, teintures, papier, peaux, caoutchouc 11. Preparation et conservation des aliments IV. Industries rattachees aux professions savantes V. Manufactures de produits mineraux VI. Fabrication de vetements VII.Ameublement, decoration, mode, dessin industriel, imprimerie, musique VI11. Beaux-arts
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II y avait environ 25000 exposants. 150000 personnes se presserent a 1'exposition le 17 mai, jour ou 1'entree etait gratuite. On denombra un total de cinq millions de visiteurs jusqu'a la fin de 1'Exposition, en novembre. Dans le Palais de 1'Industrie construit pour 1'occasion (figure 10.30) et dans d'autres batiments, on pouvait voir les machines a coudre d'Isaac Singer, le premier microscope a immersion, la bobine de Ruhmkorff et ses etincelles, le miroir tournant et le gyroscope de Foucault dans le stand de Froment, un percolateur a cafe, des lingots d'aluminium, des peintures d'Ingres, de Delacroix et de Winterhal, la Lumiere du Bresil (un fabuleux diamant) mais aussi une exposition d'objets domestiques bon marche, organisee par Le Play a 1'intention du commun des mortels. Sir David Brewster, vice-president du jury de la classe 8, admettait que la galerie des Machines surpassait tout ce qu'on avait vu au Crystal Palace. Foucault fut charge du rapport sur les lampes a huile et a gaz, « une Industrie eminemment parisienne », d'apres lui, pour laquelle les Franc, ais obtinrent 12 des 13 medailles42. Babinet et lui redigerent un rapport sur une autre specialite franchise, la manufacture des phares lenticulaires inventes par Fresnel et fabriques par 1'opticien Soleil (figure 12.10). II n'etait cependant plus question de porter « le coup le plus funeste » a 1'industrie anglaise, et meme dans le domaine quasimonopolistique des phares, les jures recompenserent par une medaille les freres Chance, de Birmingham, « en consideration de leurs efforts pour importer en Angleterre la construction des phares lenticulaires ».43
Les disques des freres Chance
Figure 12.10. Travaillant avec 1'opticien Soleil, Fresnel construisit ses premieres lentilles de phare des les annees 1820. En 1855,1'industrie franchise dominait la production de 1'optique pour les phares. Avec Arago, Fresnel ameliora les lampes a huile des phares, inventant les meches circulaires concentriques et le refroidissement par huile.
Le maitre verrier des freres Chance etait Georges Bontemps, polytechnicien et ancien directeur de la manufacture de Choisy-le-Roi. Apres la Revolution de 1848, Bontemps s'etait refugie en Angleterre ou il etait entre dans 1'usine des freres Chance. Ces derniers avaient montre deux disques de verre a 1'Exposition, Tun de flint et 1'autre de crown. Ces disques atteignaient le diametre impressionnant de 75 centimetres, et pouvaient done servir a fabriquer 1'objectif achromatique d'une lunette geante. Les jures de 1'Exposition ne firent aucun commentaire sur ces disques. Lorsqu'il fut question d'emporter les disques a Birmingham, Bontemps pensa qu'on pourrait les vendre a 1'Observatoire44. Le Verrier decida alors, avec 1'accord du gouvernement, de faire examiner les disques. S'ils se revelaient bons, on les acheterait pour 25 000 francs et si Ton parvenait a en faire un objectif achromatique, les freres Chance recevraient encore 25 000 francs.
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Figure 12.11. Pour tester 1'homogeneite du verre des disques de Chance, Foucault les eclairait avec une lumiere provenant d'une petite ouverture. Des gradients de densite raides (fils sees) donnaient sur un ecran distant des lignes flanquees de franges de diffraction, tandis que des gradients moins raides (fils gras) se traduisaient par de simples variations d'eclairement sur 1'ecran.
Au debut de 1856, Foucault fut done charge de verifier les disques. II fallait pour cela disposer d'une vaste piece obscure ou Ton pourrait introduire la lumiere du Soleil grace a un heliostat (cette piece fut probablement realisee a Tinterieur de la Salle du meridien). Le disque de flint pesait plus de 200 kilogrammes, celui de crown probablement 130 kilogrammes45. I/operation necessitait done des supports tres solides, et 1'aide de plusieurs personnes pour deplacer ces disques. Foucault examina d'abord 1'homogeneite des disques, par une methode simple illustree figure 12.11. Le disque de flint presentait des def auts sur pres de la moitie de sa surface, mais il etait impossible de savoir jusqu'a quel point ils etaient genants. Quant au disque de crown, il etait pratiquement parfait: « De tous les verres grands et petits que nous avons examines, ce crown est le plus beau qui ait passe sous nos yeux », concluait le rapport de Foucault. II mesura ensuite 1'indice de refraction des deux disques, selon la methode illustree figure 12.12, pour savoir si on pouvait reellement en faire un doublet achromatique. La reponse fut positive. Cependant, on n'avait pu faire des mesures que sur un seul trajet optique dans le disque de flint. Par bonheur, ce disque etait ovale et on pouvait y decouper deux echantillons aux deux extremites du grand diametre sans affecter le diarnetre final. Ces deux echantillons avaient le meme indice de refraction. Les disques etaient done acceptables.
Conflit et desespoir Ces examens difficiles prirent presque toute 1'annee 1856 a Foucault, et Le Verrier a du trouver le temps bien long. De plus, Foucault n'avait pas fait grand chose pour I'Observatoire 1'annee precedente, occupe qu'il etait par son experience sur la conservation de 1'energie et par 1'Exposition universelle. Enfin, Foucault s'interessait
Figure 12.12. (En haut) On avait poli des fenetres a 120 degres sur la tranche des disques, de fagon a pouvoir mesurer 1'indice de refraction sur trois chemins optiques (traits interrompus). (En has) Bien qu'il ait en principe suffi de mesurer les trois angles i\, r^ and a, la mesure a ete laborieuse et assez longue.
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egalement a la bobine d'induction. Le directeur de 1'Observatoire, qui, d'apres le statut de 1854, « dirige seul [... ] tous les travaux scientifiques qui s'executent a 1'Observatoire », n'etait pas du genre a garder son mecontentement pour lui. Dechire entre les exigences imperieuses de Le Verrier et son travail avec Ruhmkorff, Foucault etait au desespoir. Preoccupe, son ami Donne ecrivit de Montpellier une lettre a Le Verrier, dont nous avons reproduit quelques extraits au chapitre 8. II continuait: Ordonnez-lui le repos, dites-lui de venir passer le mois de septembre avec moi, je vous le rendrai avec de nouvelles forces et une nouvelle ardeur pour vous seconder dans vos grands travaux. II semble que Le Verrier ait compris la sagesse du conseil. De toutes fac.ons, en novembre, Foucault en avait termine avec les disques de Chance. L'Empereur, qui avait vu les disques lors d'une visite a 1'Observatoire au printemps precedent, approuva rapidement leur acquisition46. Foucault consacra alors plus de temps a 1'Observatoire. Mais ce n'etait pas encore assez pour Le Verrier.
Planches en couleurs
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Planche 1. (A gauche) Une peinture mysterieuse representant Foucault, sa soeur et les enfants de celle-ci, vers 1866. Pourquoi Foucault regarde-t-il le vapeur avec une longue-vue, et que signifie 1'epi de ble sur son chapeau ?
Planche 2. Leon Foucault vers 1850. Le daguerreotype est inverse. Planche 3. (A droite) La dexterite et le soin de Foucault sont evidents dans le montage de ces miroirs reglables en verre noir (celui de gauche manque), probablement realises pour 1'etude des interferences a grande difference de marche faite avec Fizeau en 1845. Un miroir permet une vue arriere.
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Planche 4. Cinq spectres solaires pris avec differents temps de pose sur une plaque daguerreotype pre-exposee, dans le cadre de 1'etude du comportement du daguerreotype faite par Fizeau et Foucault, vers 1844-1845. Le cote violet des spectres est a gauche, le cote rouge a droite. La duree d'exposition augmente de has en haut. Dans les trois spectres les plus poses, en haut, les deux raies de Fraunhofer les plus importantes paraissent brillantes en raison de la solarisation. La plaque avait ete prealablement exposee a une lumiere rouge, qui produit une action negative analogue a la solarisation du cote rouge (a droite) du spectre; ce cote du spectre parait alors plus sombre que le fond. L'action negative depend du temps de pose.
Planche 5. La boule remplie de plomb du pendule de Foucault au Pantheon en 1851. Sa masse et son diametre sont respectivement de 28,2 kilogrammes et de 6| pouces (172 millimetres). Le support et le style ne sont pas d'origine.
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Planche 6. Afin d'eviter de donner au pendule une trajectoire initiale elliptique, Foucault brulait un fil pour lancer la boule. Ici, cette methode est utilisee par le ministre de I'lnstruction publique pour lancer un pendule installe au Pantheon en 1902 par Camille Flammarion (1'homme a la barbe) et le physicien Alphonse Berget (rhomme aux lunettes).
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Planche 7. Le gyroscope de Foucault, construit initialement en 1852. Cette copie a ete realisee pour 1'Exposition universelle de 1867 par Dumoulin-Froment, successeur de Frornent. Un commentateur en a dit: « Beaucoup de ces instruments tres-savants sont la, oisifs, les bras ballants ; eux qui pourraient causer de si vives surprises [... ] s'ils fonctionnaient [...], ils en sont reduits, immobiles sous leur carapace de fer et de cuivre, a n'etonner le public que par leur forme bizarre. »a Cependant chaque detail a une raison.
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Planche 8. (gauche) Prototype de 1'entrainement electromagnetique imagine par Foucault pour entretenir les oscillations de son pendule a 1'Exposition universelle de 1855. L'electroaimant attirait la boule de fer du pendule pendant qu'elle s'approchait du dispositif, a chaque demi-oscillation. Planche 9. (droite) Un photometre de Foucault, imagine vers 1855 pour tester les lampes a gaz.
Planche 10. Appareil de demonstration de cours imagine par Foucault vers 1855, pour montrer la transformation de 1'energie mecanique en chaleur. Un disque de cuivre est mis en rotation entre les poles d'un electroaimant. Le champ magnetique induit des courants dans le disque, provoquant son echauffement.
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Planche 11. Bobine de Ruhmkorff avec un interrupteur a mercure de Foucault et un condensateur de Fizeau dans la base creuse, vers 1856.
Planche 12. (gauche) Get instrument qui date de 1857 est peut-etre le premier telescope de Foucault. Le miroir a un diametre de 4 pouces 1/2, mais son diametre utile est reduit a 88 millimetres par le diaphragme. Le miroir de verre a perdu son argenture, et 1'oculaire manque. Planche 13. (droite) Un telescope de 10 centimetres a monture equatoriale, vendu par Secretan.
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Planche 14. (En haut a gauche) Les petits telescopes vendus par Secretan portaient la signature de Foucault comme garantie d'authenticite. Planche 15. (En haut a droite) Modeles de bois des solides differentiels utilises par Foucault pour sa demonstration du test du couteau. Planche 16. Le telescope de 80 centimetres de Marseille, avec sa monture equatoriale de bois construite par Eichens. Ce telescope poursuivait les etoiles a 1'aide d'un regulateur de Foucault (aujourd'hui disparu).
Planche 17. (A gauche en haut) Le dos poli du miroir de 80 centimetres, et sa tranche gravee d'une rainure. Planche 18. (A gauche en bas) L'objectif achromatique de 240 millimetres (9 pouces) de Foucault, realise avec des retouches locales. Planche 19. (A droite) Le spherometre de Foucault et sa boite en acajou. Ce spherometre, construit par Froment, est un des premiers objets realises en aluminium, peu apres que Sainte-Claire Deville ait reussi a produire ce metal.
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Planche 20. Le miroir tournant mu a 1'air comprime, utilise par Foucault en 1862 pour la premiere rnesure precise de la vitesse de la lumiere au laboratoire. Le diametre du miroir est de 14 millimetres. Pour gagner du poids, les vis servant a equilibrer le rotor sont inserees dans un tambour fait avec le nouveau metal de Sainte-Claire Deville, raluminium (au-dessus du barillet noir du miroir).
Planche 21. (A gauche) Cette roue dentee entrainee par un mouvement d'horlogerie servait a mesurer la vitesse de rotation du miroir par stroboscopie. De fines dents taillees dans la roue etaient eclairees par le faisceau lumineux reflechi par le miroir tournant; lorsque ces dents paraissaient fixes, la vitesse de rotation du miroir etait exactement de 400 tours par seconde (voir la figure 14.6). Planche 22. (A droite) Ces cinq miroirs-relais servaient a realiser le trajet de deux fois 20,2 metres sur lequel Foucault mesurait la vitesse de la lumiere. II subsiste une argenture tres ternie sur les deux miroirs de droite.
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Chapitre 13 I/amelioration des telescopes Pour tailler les disques de Chance, Foucault se tourna vers 1'atelier de Marc Secretan (figure 13.1)1. Secretan etait ne a Lausanne et avait fait des etudes de droit, mais il etait plus interesse par les mathematiques. En 1844, il se rendit a Paris, ou il s'associa avec Lerebours, le fabricant de daguerreotypes et d'instruments. La societe fit de bonnes affaires, et quand Lerebours prit sa retraite en 1855, Secretan en devint 1'unique proprietaire2. La societe travaillait depuis longtemps pour 1'Observatoire et pour le Bureau des Longitudes, et il etait naturel que Foucault s'y rendisse pour etudier la fabrication des optiques pour 1'astronomie. Foucault n'ignorait pas que le polissage des lentilles etait plus un art qu'une science. « En 1'espace de quelques mois, ecrivit-il, par suite de mes relations journalieres avec le patron et les ouvriers, j'ai pu me rendre compte de la maniere dont les choses se passent, depuis le commencement jusqu'a la fin du travail. »3 II nous sera utile pour la suite de savoir comment on taillait alors un miroir concave spherique. Les surfaces spheriques etaient les plus faciles a realiser. On formait d'abord sur un tour une paire de disques de cuivre apparies : on donnait grossierement a 1'un une forme concave, et a 1'autre la forme convexe complementaire. Ces pieces etaient nominees respectivement le bassin et la balle. On les frottait alors Tune centre 1'autre en inserant de 1'emeri de plus en plus fin entre les deux, jusqu'a ce qu'elles glissent sans resistance 1'une sur Tautre dans toutes les directions, ce qui indiquait que les surfaces etaient semblables (figure 13.2). On frottait le disque de verre a travailler contre la balle (si on voulait un miroir concave), toujours avec de 1'emeri de grain de plus en plus fin, jusqu'a ce que les deux surfaces aient acquis la meme forme et que le verre soit uniformement depoli. On collait alors sur la balle une feuille de papier qui retenait le dernier abrasif, du rouge d'Angleterre (oxyde ferrique) tres fin, et on frottait la balle sur le verre pour obtenir le poli final du miroir. C'est pendant cette derniere operation qu'on verifiait la qualite de la surface. La surface d'un miroir de qualite ne doit pas presenter d'ecarts a une sphere superieurs a une longueur d'onde, et il n'est que trop facile de 1'abimer en pressant trop ou pas assez fort pendant le polissage. L'obtention d'une bonne surface etait done une operation longue et aleatoire, exigeant de nombreux controles.
Figure 13.1. Marc Secretan (1804-1867). Foucault construisit tous ses telescopes en collaboration avec ce fabricant d'instruments d'origine suisse.
Figure 13.2. La balle et le bassin frottes 1'un sur 1'autre avec de la poudre d'emeri, de facon reguliere dans toutes les directions, prennent une forme spherique.
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Pour verifier un objectif de lunette ou un miroir de telescope, on observait generalement 1'image d'objets tres eloignes, ce qui n'etait guere cornrnode. Foucault realisa que ce test serait facilite si Ton utilisait un collimateur, c'est-a-dire une lentille ou un miroir muni d'une source ponctuelle de lumiere a son foyer (figure 13.3a). Le collimateur envoie alors un faisceau parallele sur 1'objectif a verifier. Mais, comme le disait Foucault, il y a la « un cercle vicieux », puisque le collimateur lui-meme doit etre parfait et doit done etre teste avec une lentille parfaite, laquelle ne peut etre verifiee sans collimateur. Mais ce cercle vicieux disparait si le collimateur est un miroir concave. Si le miroir est bien spherique, une source ponctuelle situee tres pres de son centre donnera une image ponctuelle elle-meme tres proche du centre (figure 13.3c) : c'est ce que 1'on appelle Yauto-collimation. L'opticien peut examiner cette image avec un microscope, et verifier ainsi la qualite du miroir. Le miroir ainsi verifie peut alors servir de collimateur pour d'autres usages. Pour verifier les lentilles que Ton devait construire avec les disques de Chance, il fallait disposer d'un miroir collimateur ayant au moins 75 centimetres de diametre. Foucault avait vu un miroir proche de cette taille dans le telescope de Lassell pres de Liverpool, et savait que Lord Rosse (1800-1867) avait poli des miroirs encore plus grands en Irlande dans les annees 1840. Ces miroirs etaient en speculum, un bronze compose principalement de cuivre et d'etain, choisi pour son pouvoir reflecteur. Le premier telescope, invente par Isaac Newton en 1668, avait deja un miroir metallique (figure 13.4). Foucault constata que la surface de ces miroirs metalliques, vue au microscope, n'avait pas bel aspect. II se tourna done vers le verre, dont Newton savait deja qu'il etait plus facile a travailler que le bronze. Newton avait d'ailleurs obtenu de bonnes images avec un miroir de verre4. Mais le verre, meme correctement poli, reflechit mal la lumiere. Meme en verifiant bien la surface, il n'etait pas question d'observer le ciel. Pour Foucault, le remede etait evident car il Tavait deja utilise pour son miroir tournant: il fallait argenter le verre. Figure 13.3. (a) Une source ponctuelle au foyer d'une lentille produit un faisceau parallele, ou collimate. (b) Un miroir concave spherique peut aussi produire un faisceau collimate. La surface focale est alors a mi-distance entre le miroir et le centre C de la sphere dont le miroir est une portion, (c) Un miroir concave peut etre verifie en examinant la qualite de 1'image i d'une source ponctuelle o placee pres du centre de courbure C.
Le speculum et le verre argente L'un des avantages des telescopes est qu'ils ne presentent pas d'aberration chromatique (voir la figure 3.1): un miroir reflechit de la meme maniere la lumiere de toutes les couleurs. Toutefois le developpement des telescopes a ete freine car on ne savait pas fabriquer des miroirs ayant un bon pouvoir reflechissant. Bien sur, les miroirs ordinaires reflechissent bien la lumiere, mais la surface reflechissante est a 1'arriere du verre. On realisait cette surface reflechissante en plaquant une fine feuille d'etain contre la face arriere de la glace, et en trempant le tout dans du mercure pendant un jour ou deux.
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L'amalgame ainsi produit etait epais, rugueux et fragile, et seule la surface protegee par le verre reflechissait bien. Newton, Airy et bien d'autres ont essaye de fabriquer des miroirs de telescope ainsi etames a 1'arriere, mais ils etaient inutilisables en raison des distorsions dues a 1'imperfection du verre, et aussi de la cristallisation de 1'amalgame5. C'est pourquoi Lord Rosse et Lassell utilisaient encore le speculum. L'argent reflechit tres bien la lumiere visible, bien mieux que le speculum. Lord Rosse avait fabrique des miroirs plans en argent pur, ou recouverts d'argent melange a de la laque. Ce ne sont pas les besoins de I'astronomie qui furent a 1'origine du developpement des techniques d'argenture du verre, mais plutot les dangers du mercure utilise pour 1'etamage des glaces, qui occasionnait des maladies graves chez les ouvriers. L'argenture utilisait des substances moins toxiques : 1'argent se deposait par reduction chimique d'une solution de nitrate d'argent. C'est le chimiste allemand Justus von Liebig (1803-1873) qui a decouvert cette reaction en 1835, en etudiant les aldehydes6. Dans la reaction de Liebig, on devait faire bouillir les solutions, ce qui n'etait guere approprie au traitement des surfaces optiques de precision. En 1843, un certain Thomas Drayton, gentleman de Brighton, deposa un brevet a Londres proposant un choix de reactifs qui fonctionnaient a froid7. Pour se conformer aux besoins de 1'optique et de 1'industrie, les details de 1'argenture chimique devaient connaitre de nombreuses modifications au cours des decennies suivantes mais le principe etait toujours le meme : une solution ammoniacale de nitrate d'argent etait melangee a un agent reducteur, et on y plongeait la surface a argenter, dument nettoyee et humidifiee. Le produit reducteur pouvait etre, selon la mode, de 1'huile de girofle, du sucre de raisin, du lait, du sucre inverti, un aldehyde, ou de 1'acide tartrique, saccharique ou glycerique. Le choix des concentrations etait crucial pour assurer le depot d'une couche d'argent uniforme, solide et bien reflechissante. Dans son brevet de 1843, Drayton estimait que « dix-huit grains de nitrate d'argent sont necessaires par pied carre de verre ». Cela correspond a une couche d'argent epaisse de 0,76 micrometre. Les variations d'epaisseur devaient etre bien inferieures a ce chiffre, et done plus petites que les longueurs d'onde de la lumiere. Ainsi, un depot d'argent sur la face avant d'un miroir de verre n'en alterait pas la qualite optique, tout en dormant un bon pouvoir reflechissant.
« Le poll du verre et 1'eclat de 1'argent » Un miroir de collimateur argente peut aussi servir de miroir de telescope. Foucault termina son premier miroir de verre argente au
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Figure 13.4. Les elements principaux d'un telescope sont visibles dans cette illustration, adaptee de VOptique de Newton. Le miroir concave concentre les rayons paralleles (traits pointilles) en un foyer /, qui est renvoye vers une position commode par un miroir plan incline a 45°, ou par un prisme a reflexion totale (la solution representee ici). On examine 1'image focale avec un oculaire, ici compose d'une lentille simple.
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debut de 1857. II decrivit son invention devant la Societe philomatique a la fin Janvier, et Le Verrier la presenta a 1'Academic peu apres8. Le miroir avait ete poli en collaboration avec « un ouvrier habile » de chez Secretan. Son diametre utile etait 9 ou 10 centimetres (les documents ne sont pas en accord les uns avec les autres9) et sa distance focale 50 centimetres. La solution pour 1'argenture avait ete fournie par les agents frangais de Drayton. Apres depot, 1'argent etait « terne et sombre », mais on le rendait facilement brillant en le frottant avec une peau de chamois enduite d'un peu de rouge d'Angleterre. Monte, comme le telescope de Newton (figure 13.4), avec un prisme a reflexion totale et un oculaire, il donnait de bons resultats avec un grossissement de 200. Foucault enumerait les avantages de son instrument en comparaison avec une lunette de meme diametre : il etait moins cher, donnait de meilleures images et etait bien entendu sans aberration chromatique. En utilisant son photometre a compartiment, il observa que le telescope ne perdait que 10 pour cent de la lumiere par rapport a un doublet achromatique de meme diametre. Puisque le verre ne servait que de support a la couche reflechissante, il pouvait presenter des defauts et des bulles qui auraient ete redhibitoires pour une lentille. Les miroirs de speculum se ternissaient rapidement en raison de leur haute teneur en cuivre. Le miroir de Foucault etait trop neuf pour s'etre deja terni, mais il remarqua que, si cela etait necessaire, on pouvait facilement le reargenter (cependant, 1'argent etait encore brillant 18 mois plus tard)10. Si le telescope presente planche 12 (page 202) n'est pas reellement le premier telescope de Foucault, il est certainement presque identique. Son miroir, ecrivit plus tard Foucault, avait « le poli du verre et 1'eclat de 1'argent ».n Babinet, qui ecrivait des articles sur 1'astronomie et la meteorologie dans le Journal des Debats, fut dithyrambique : Parmi les nouvelles astronomiques, je ne vois rien de plus important que la nouvelle construction de telescopes reflecteurs par M. Foucault [... ] J'ai essaye de jour et de nuit les admirables miroirs de M. Foucault, montes tres simplement en telescope newtonien, et leur effet a ete au-dessus de tout ce qu'on obtenait autrefois avec de pareilles ouvertures [... ] Je tiens de notre excellent constructeur et opticien, M. Secretan, que depuis plusieurs annees la vente des lunettes et telescopes est devenue de plus en plus active, et avec 1'invention de M. Foucault, il n'y a pas de doute que la popularisation du telescope et des notions astronomiques ne fasse de grands progres. Avant peu, il n'y aura pas de chateau ou de manoir ou, pour le plaisir et 1'instruction des habitans, il n'y ait une lunette ou telescope a pied avec lequel on puisse compter les pieds d'une mouche du bout d'un jardin a 1'autre extremite. Je repete que la construction optique de M. Foucault n'est point seulement a 1'etat d'essai
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ou de projet. J'ai vu avec son telescope des disques d'etoiles de premiere qualite, et aussi tres netternent la phase de Venus, astre pour lequel, d'apres un dicton astronomique, il n'y a pas de bonne lunette [... ]12
Les avantages des telescopes a miroir de verre argente etaient considerables, et on ne saurait s'etonner que 1'idee de les utiliser soit venue 1'annee precedente a Carl Steinheil, de Munich, que nous avons deja rencontre au chapitre 8, pour la distribution de 1'heure par signaux electriques. Steinheil avait congu un miroir de la merne taille que celui de Foucault, ce qu'il fit remarquer dans une lettre a 1'Academie13. Dans Cosmos, Moigno reagit au quart de tour en faveur de Foucault: « M. Foucault ne connaissait certainement pas les essais de M. Steinheil, [... ] nous ne les connaissions pas nous-meme, [nous] qui suivons cependant si attentivement le mouvement scientin'que de 1'Allemagne. »14 Dans sa lettre, Steinheil avait explicite un avantage que Foucault n'avait qu'effleure : un repolissage detruisait la qualite optique d'un miroir en speculum, qu'il fallait done travailler et tester a nouveau, tandis qu'un miroir en verre pouvait etre reargente sans que sa surface soit deterioree15. Bien qu'il eut predit un avenir brillant aux telescopes, Steinheil passa le reste de sa vie a construire des lunettes16. C'est done Leon Foucault qui devait transformer en science 1'art de faire des miroirs de telescope. Mais en attendant, il s'employa a construire un prisme polarisant en spath d'Islande, plus compact que le classique prisme de Nicol: une realisation isolee et sans lendemain, sur laquelle nous ne nous etendrons pas ici17.
Un voyage en Irlande Foucault emporta son telescope a Dublin pour le montrer a la reunion annuelle de 1'Association britannique pour 1'avancement des sciences18. Comme pour la reunion de Liverpool, il voyagea avec Moigno et deux jeunes compagnons « de tres bonne famille ».19 « L'abbe a ete gai et bon enfant, nous 1'avons fait enrager tout le temps, ecrivait Foucault a Jules Regnauld, j'ai voulu le convertir au Diable et lui a son bon Dieu. »20 Contrairement au voyage en Angleterre, trois ans auparavant, la visite en Irlande fut de courte duree. Foucault etait de retour a Paris dix jours apres pour la fete de sa mere, qui avait finance son voyage. A Dublin, on lui avait decerne un Doctorat honoris causa (figure 13.5). II etait alle voir Lord Rosse en son chateau de Birr Castle, 130 kilometres a 1'ouest de Dublin, ou il avait fierement signe le livre d'or « Leon Foucault LL.D., T.C.D. », et vu le « Leviathan » de Lord Rosse, avec son miroir de bronze de 1,8 metre de diametre et qui pesait quatre tonnes (figure 13.6). Fou-
Figure 13.5. Foucault a ete un des nombreux savants a recevoir un diplome de Docteur honoris causa du Trinity College de Dublin, lors du congres de la British association en 1857.
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cault fut peu impressionne par le plus grand telescope de 1'epoque : « Le telescope de Lord Rosse est une blague », ecrivit-il a Regnauld. Mais a cote de ce miroir enorme, son petit miroir de 10 centimetres n'avait pas suscite la meme admiration que son gyroscope trois ans auparavant. De plus, Lord Rosse ne manquait pas d'admirateurs a Dublin21. « Pour les anglais, le mien n'existe pas, se lamentait Foucault, il a ete, il est, il sera encore quelque temps comme non avenu. » Neanmoins, sur le chemin du retour, Foucault rendit visite a 1'astronome John Herschel (le fils du celebre William) dans sa maison du Kent, et lui donna deux petits miroirs en verre22. La famille de Herschel trouva Foucault tres exotique, et une des femmes dessina plus tard une « bonne caricature de la figure du franc.ais », dont on se souvenait encore quarante ans plus tard. Figure 13.6. Le telescope de 1,8 metre de diametre de Lord Rosse. Le miroir (cache dans le puits) etait spherique et son enorme distance focale de 17 metres etait necessaire pour limiter les aberrations.
« Le Physicien ne peut conserve! sa position » Deux semaines apres son retour dans sa maison de la rue d'Assas, Foucault realisait les premiers essais d'un nouveau miroir de verre argente d'un diametre utile de 18 centimetres, deux fois plus que le premier. Moigno rapporte : Vu dans ce second miroir, Jupiter presentait un spectacle magnifique ; on voyait distinctement cinq bandes equatoriales avec des largeurs differentes et parfaitement accusees ; des masses nuageuses, a formes variables d'un jour a 1'autre, se montraient nettement dessinees vers les poles [... ] 23
Cependant, Le Verrier perdait patience. II n'avait que faire des bobines cTinduction et des voyages a Dublin. Certes, les miroirs de Foucault etaient interessants, mais il n'avait que cela a presenter au bout de deux annees passees en tant que physicien de 1'Observatoire. Ce que voulait Le Verrier, c'etait que Foucault et ses assistants s'occupent des poids et des mesures, du magnetisme terrestre et de la meteorologie, et travaillent a ameliorer 1'instrumentation de 1'Observatoire. En particulier, Foucault aurait du s'occuper des disques de Chance. On lui avait reamenage un laboratoire a 1'Observatoire, mais Foucault n'y avait rien installe. Le Verrier se resolut a lui envoyer une lettre d'avertissement: [... ] Je reconnais que vous travaillez dans votre cabinet particulier de la rue d'Assas; et sans doute, vos instruments y rec,oivent les soins necessaires. Mais le cabinet de 1'Observatoire est laisse dans le plus grand desordre; vous y paraissez a peine quelques instants par semaine.
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Monsieur le ministre de 1'Instruction publique m'a fait savoir qu'il veut nous honorer d'une visite [... ] Si rien n'est change, Son Exc. ne rencontrerait le Physicien que par le plus grand des hasards. II verrait le cabinet le plus desordonne de Paris. Sur les grands verres acquis, 1'un ne pourrait etre presente ; 1'autre est relegue dans la poussiere. Assurement, Son Exc. aurait le droit de nous dire que ce n'est pas la ce qu'a voulu S.M. 1'Empereur quand elle a fonde la place de Physicien de 1'Observatoire Imperial de Paris. Je ne pourrais done laisser se prolonger cet etat de choses et avec lui 1'exemple qui en resulterait.24
Le Verrier intima a Foucault 1'ordre de commencer a installer son laboratoire des le lundi suivant. Foucault ne fit rien d'autre que d'ajouter un peu d'argent au mercure de son coupe-circuit. D'autre part, 1'absenteisme se repandait. Emmanuel Liais, qui avait obtenu le poste de meteorologiste de 1'Observatoire, etait souvent absent lui aussi, distrait par ce que Le Verrier appelait des « dissipations », et surtout occupe par ses demandes reiterees d'avancement25. Trois semaines plus tard, Le Verrier exaspere ecrivait au ministre que ses ordres a Foucault etaient restes sans reponse, sanseffet,etcommenulset
nonavenus [ . . . ]
Que dans le present etat des choses, on n'arrivera point a tailler les grands verres achetes il y a deja un an [... ] En consequence j'ai 1'honneur, Monsieur le Ministre de demander vos ordres. Ay ant pour penible necessite de dormer mon avis, j'estime que le Physicien, persistant a ne pas faire son service et a se placer au dessus de toute autorite, ne peut conserver sa position a 1'Observatoire.26
Malgre tout, Le Verrier faisait encore des avances a Foucault : « Vous savez tres bien que si je ne puis sacrifier 1'Observatoire en vous abandonnant le principe, lui ecrivait-il debut Janvier, je ferai pour 1'execution tout ce que vous voudrez. »27 Mais Foucault n'avait aucune envie d'etre responsable d'un service, comme il le disait dans une reponse conciliante : II est reellement impossible de revenir sur ce que je vous ai dit en differentes occasions. Je n'ambitionne pas d'occuper un poste eminent, je desire seulement conserver la facilite de travailler et d'accomplir modestement ma destinee. Veuillez ne pas m'en vouloir, car je n'ai pas perdu un seul instant le souvenir de ce que je vous dois.28
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Le Verrier transmit cette reponse au ministre avec le commentaire suivant: Un refus aussi net de concourir a I'organisation du service auquel on a ete appele doit, ce me semble, etre considere comme une demission. J'ai le regret de dire qu'il me parait indispensable que cette demission soit acceptee.29 Liais fut, quant a lui, mis en disponibilite, mais Foucault avait 1'estime de 1'Empereur et on ne pouvait pas le mettre a la porte aussi facilement. De plus, 1'Empereur voulait qu'il garde son titre de Physicien de 1'Observatoire30. Le Verrier changea de tactique. Etait-ce « uniquement par mauvais vouloir » que Foucault refusait de diriger un service de physique, « ou bien aurait-il impuissance ? » demandait-il, produisant au ministre la lettre que Donne lui avait envoyee huit mois auparavant a propos de la fragilite mentale de Foucault31. Six semaines plus tard, apres de longues discussions, on aboutissait a un compromis : Paul Desains, de la Sorbonne, dirigerait la physique a 1'Observatoire, tandis que Foucault serait « laisse a ses travaux personnels a peu pres comme M. Chacornac en astronomic ».32 Curieusement, maintenant qu'il etait delivre de ses obligations, Foucault devait consacrer une grande partie des quelques annees qui suivirent aux interets de 1'Observatoire. II se remit au travail sur les miroirs de telescope. Les progres furent rapides, et pendant quelques temps il decrivait presque chaque semaine ses avancees a la Societe philomatique33. En un peu moins d'un an, il avait mis au point des methodes definitives pour construire de grands miroirs de verre argente atteignant la perfection. II les exposa dans une monographie publiee en 1859 dans les Annales de 1'Observatoire imperial de Paris34. Foucault n'avait plus une tres bonne opinion des ouvriers de 1'atelier de Secretan. « Quand un miroir ne donne pas de bonnes images, ecrivait-il, on se contente ordinairement de le rejeter sans rechercher en quoi il peche; on refait la surface a nouveau, et 1'on repete le travail jusqu'a ce qu'on juge avoir reussi. » Dans sa monographie, Foucault raconte que c'est apres que 1'ouvrier eut rate cinq fois de suite un miroir de 42 centimetres qu'il avait ressenti « 1'imperieuse necessite » d'etudier la forme reelle du miroir qui venait d'etre poli. Sans doute ecrit-il cela pour la logique de 1'argumentation, car cette affirmation est contredite par des publications anterieures. Mais suivons la methode de Foucault sans nous embarrasser de chronologic. Apres avoir congu des miroirs de 9 et 18 centimetres utiles, Foucault reussit a en fabriquer de 32 et de 36 centimetres qui donnaient de bonnes images avec une distance focale de 3,5 metres. « J'estime que ces images sont bonnes, ecrivait Foucault, parce qu'elles presentent le meme caractere de nettete et de limpidite qui deja constituaient les
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qualites dominantes des instruments plus petits fondes sur le meme principe. » Foucault etait conscient qu'il lui fallait« echapper aux appreciations vagues qui laisseraient place aux illusions », et quantifier la qualite de ses miroirs au moyen d'une procedure standard. Un indicateur important de la qualite d'un miroir est sa capacite a resoudre des details fins. Les aberrations degradent cette performance, mais meme avec une lentille ou un miroir parf ait, il existe une limite due a la diffraction, un phenomene etudie par Airy en 1835. La limite de resolution due a la diffraction est, exprimee en radians, 1,22 A/D, ou A est la longueur d'onde et D le diametre du miroir. Pour une longueur d'onde visible de 0,55 micrometre, la limite est de 14/D seconde d'arc, D etant donne en centimetres. Par exemple, un miroir de 32 centimetres de diametre comme celui de Foucault peut au mieux resoudre deux etoiles distantes de 0,43 seconde d'arc. Foucault demanda a Froment de graver des bandes regulieres sur la surface d'un morceau de glace argentee, de fac.on a realiser un objet test (figure 13.7). On plagait cet objet, eclaire par 1'arriere, en face du miroir a controler, et on examinait son image. On inclinait 1'objet jusqu'a ce que les bandes ne soient plus distinctes les unes des autres. On pouvait alors en deduire le pouvoir separateur du telescope. Foucault 1'appelait le pouvoir optique, mais ce terme ne lui a pas survecu. Les resultats etaient impressionnants : le miroir de 32 centimetres pouvait separer des bandes distantes angulairement les unes des autres de 0,5 seconde d'arc, ce qui est a peine superieur a la limite imposee par la diffraction, soit 0,44 seconde. Cela correspond a un « pouvoir optique » de 400 000,1'inverse du pouvoir separateur exprime en radians. Le miroir pouvait separer des details de pres de 1/4 000e du diametre apparent du Soleil ou de la Lune. « La nettete ainsi definie rend les instruments comparables sans qu'il soit necessaire de les essayer cote a cote », ecrivait-il.
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Figure 13.7. (A gauche) Objet de test fait par Froment pour tester les miroirs de Foucault. (A droite) On pouvait changer la separation apparente entre les bandes en inclinant 1'objet.
L'examen de la forme du miroir En utilisant le microscope pour examiner 1'image donnee par autocollimation sur son miroir (figure 13.3c), Foucault s'est rendu compte que la forme de cette image pourrait lui fournir des renseignements sur les imperfections du miroir. II a done imagine trois tests. Nous avons deja decrit le premier : un simple examen de 1'image d'une source ponctuelle pres du centre de courbure du miroir. Pour realiser la source ponctuelle, Foucault illuminait un petit trou dans un ecran avec un faisceau provenant d'une lampe laterale, reflechi par un prisme a reflexion totale (figure 13.8). Si 1'image etait circulaire, cela signifiait que le miroir etait bien symetrique. Si le miroir etait egalement bien spherique, les rayons reflechis convergeaient en un
Figure 13.8. La disposition utilisee pour le premier test du miroir.
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a) Foyer parfait
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seul point, 1'image presque ponctuelle etant entouree d'anneaux de diffraction (figure 13.9a). Mais si, par exemple, le miroir etait trop courbe sur les bords, les rayons reflechis par sa peripherie etaient reflechis plus pres du miroir que ceux reflechis par la region centrale (figure 13.9b); inversement, si les bords du miroir n'etaientpas assez courbes (figure 13.9c), les rayons etaient moins devies que les rayons provenant du centre. Foucault appela respectivement ces defauts I'aberration positive et \'aberration negative, mais ces termes ne sont plus en usage aujourd'hui. Un examen attentif de 1'image realise en b) Aberration positive deplagant le microscope vers 1'avant et vers 1'arriere, pouvait done indiquer les defauts globaux du miroir. Le deuxieme test etait d'interpretation plus facile. Cette fois, 1'objet etait une grille carree, toujours placee pres du centre de courbure du miroir. Pour en comprendre le principe, il suffit de considerer un fil de la grille-objet. Les rayons issus d'un point de ce fil donnent une image dont la qualite depend evidemment de celle du miroir. L'innovation de Foucault etait d'observer cette image a travers une petite ouverture, de maniere a isoler les rayons qui proc) Aberration negative venaient d'une petite region du miroir, et non de toute sa surface. Cela est illustre par la figure 13.10, ou la ligne courbe est 1'image d'un fil droit. Chaque point de cette image correspond a un point du miroir. Dans cet exemple, les bords du miroir sont trop courbes et les rayons qui s'y reflechissent forment un foyer plus proche que ceux qui provienent du centre, si bien que 1'image i est courbe. L'image d'une grille donne done une carte des defauts du miroir, comme on le voit figure 13.11. Bien que ces deux tests pouvaient caracteriser les defauts d'un Figure 13.9. (a) Foyer miroir, ils etaient peu sensibles. Le troisieme test, au contraire, etait geometriquement parfait. (V) extremement sensible et est toujours utilise : c'est le test dit du couL'aberration positive, dans laquelle teau de Foucault (figure 13.12). Comme pour le premier test, on place les rayons exterieurs sont trop devies. (c) L'aberration negative, une source lumineuse ponctuelle au centre de courbure du miroir. dans laquelle les rayons exterieurs Mais cette fois, 1'opticien regarde directement la surface du miroir, et ne sont pas assez devies. ce dernier lui parait brillant puisqu'il reflechit la lumiere. On coupe 1'image avec une lame de couteau. Si 1'image est parfaite et si le Figure 13.10. Le deuxieme test de couteau est bien au niveau du foyer, les rayons qui proviennent de Foucault. (a gauche) Le montage. tous les points du miroir arrivent au meme endroit (figure 13.13a), (a droite) Le principe, illustre pour un seul des fils de la grille. Son image est examinee a travers un petit trou. Les differentes parties de 1'image sont alors formees par des rayons qui proviennent de portions limitees de la surface du miroir. La deformation de 1'image renseigne sur les erreurs des differentes parties de cette surface.
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Figure 13.11. Les distorsions de 1'image d'une grille rectangulaire renseignent sur la forme de la surface du miroir. Pour la figure 3 le miroir est bon, tandis que pour les figures 4 et 5 respectivement, les bords ou le centre ont ete trop creuses. Pour la figure 6, un anneau a ete trop creuse dans le miroir.
et 1'opticien voit le miroir s'eteindre uniformement quand il deplace le couteau lateralement. Mais si le miroir a des defauts, des rayons passent hors du foyer, formant « une aureole lumineuse » comme disait Foucault. Des que les rayons qui tombent tres pres du foyer sont eteints par la lame du couteau, les rayons d'aberration « denoncent » les portions du miroir qui ne reflechissent pas la lumiere selon le bon angle. La figure 13.13b montre un exemple d'aberration positive. Quand la plus grande partie de la lumiere est obstruee, ne restent que les rayons qui proviennent de la partie superieure du miroir. On voit alors quelles sont les parties qui « pechent » : elles sont trop inclinees vers le bas. A la difference d'une surface parfaite, cette surface a la forme d'un bol tres plat (figure 13.13c). Un cas plus complexe est montre figure 13.13d. Les defauts du miroir apparaissent done avec un relief tres exagere. La figure 13.14 en montre deux exemples. Comme 1'a remarque Foucault, ces profils sont 1'objet d'une illusion d'optique. Pour une certaine position du couteau, 1'opticien peut voir une vallee illuminee d'un certain cote, tandis que pour une autre position, la vallee est remplacee par une colline illuminee de 1'autre cote. II faut done tenir compte de la position du couteau pour interpreter ce qu'on voit. La
Figure 13.12. L'arrangement pour le troisieme test, dit du couteau de Foucault. Figure 13.13. (a) Si le miroir donne un foyer parfait, le couteau coupe simultanement tous les rayons, et le miroir s'eteint uniformement. (b) Si le miroir n'est pas parfait, les rayons reflechis par certaines portions atteignent encore 1'ceil. (c) Dans le cas b, une surface qui est la difference entre le miroir reel et le miroir parfait parait illuminee dans la direction opposee au couteau. (d) Le fonctionnement du test pour une surface deformee arbitrairement.
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planche 15, page 203 montre deux modeles de bois que Foucault utilisait pour la demonstration de son troisieme test, modeles qu'il appelait les solides differentiels.
Les retouches locales Figure 13.14. Le test du couteau de Foucault montre les defauts du miroirs avec un relief tres amplifie.
Foucault avait annonce que son miroir de 36 centimetres etait tres bon, mais 1'abbe Moigno etait plus reserve. Au debut de mai, il observait Saturne. « L'image de la planete ne nous satisfaisait pas pleinement », ecrivait-il, mais 1'image etait « tres-belle » lorsqu'on n'utilisait que la partie centrale du miroir35. Utilisant ses tests, Foucault constata que la partie centrale de son miroir etait tres bonne, mais pas les zones exterieures*. Tout autre que lui aurait tente de repolir entierement le miroir, alors qu'il suffisait de retoucher les regions defectueuses. Cependant, le principe des retouches locales propose par Foucault « repugnait aux praticiens » de 1'atelier de Secretan. Ce scepticisme n'etait pas du gout de Foucault: il est revenu sur ce point beaucoup plus tard. II retoucha done le miroir, et 1'operation « reussit mieux qu'on ne saurait croire ». En quelques heures, le miroir etait devenu parfaitement spherique36. II nota avec satisfaction : « La restauration d'une surface spherique par des retouches locales est de venue pour moi un fait acquis. » Cependant, un miroir spherique n'est pas un miroir ideal : les images qu'il produit d'un objet situe a 1'infini (une etoile par exemple) sont entachees d'aberration de sphericite, au moins si la distance focale du miroir est courte par rapport a son diametre (figures 3.15 et 3.16). Si 1'on veut obtenir une bonne image d'un objet plus eloigne que le centre de courbure du miroir, ce dernier doit etre en forme d'ellipsoi'de, les deux foyers se trouvent respectivement sur 1'objet et sur son image. Lorsqu'on recherche une bonne image d'un objet encore plus eloigne, 1'ellipsoide doit progressivement se rapprocher d'un paraboloi'de, forme requise pour un objet situe a l'infini (une etoile par exemple). La distance focale du paraboloi'de peut etre petite par rapport a son diametre, ce qui permet d'obtenir des telescopes compacts, qui sont beaucoup moins onereux a construire et a abriter que les lunettes astronomiques. * II y a une certaine contradiction entre ce resultat et 1'affirmation selon laquelle le miroir etait cense donner des images presque aussi bonnes que la limite de diffraction le permettait.
Figure 13.15. Le miroir ellipsoidal de Foucault et ses foyers, situes a 9 metres 1'un de 1'autre. Les dimensions verticales sont doublees pour la clarte de la figure.
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Foucault s'est rendu compte que ses controles pouvaient s'appliquer a n'importe quelle surface devant produire de bonnes images. II partit done d'un miroir spherique, et deplac,a lentement 1'objet entre le foyer et le centre du miroir. L'image (et done 1'endroit ou il faisait les tests) se trouvait alors a une grande distance du miroir. II retoucha le miroir jusqu'a ce que 1'image soit satisfaisante : le miroir, dont le diametre etait de 24 centimetres, etait devenu ellipsoidal, 1'un des foyers, /, etant situe a 1,10 metre de la surface et 1'autre, /', 9 metres plus loin (figure 13.15). En utilisant les bandes de Froment, il mesura pour ce miroir un pouvoir optique de 300 000, ce qui etait pratiquement la limite imposee par la diffraction. Cette fois, le pouvoir de resolution du miroir diminuait lorsqu'on reduisait son diametre au moyen d'un diaphragme : il etait done limite par la diffraction, et non plus par les aberrations.
Nouveaux obstacles Foucault devait maintenant s'attaquer au miroir parabolique. C'est alors que Le Verrier lui mit a nouveau des batons dans les roues en supprimant son salaire. A 1'epoque, il y avait un tout jeune employe a TObservatoire, au service des calculs : c'etait Camille Flammarion (1842-1925), alors age de 16 ans, celui-la meme qui devait devenir le grand vulgarisateur de I'astronomie. II se souvenait encore, en 1911, que Foucault etait alors « menace de folie ».37 Au cours des annees, Le Verrier avait diminue le salaire de bien de ses employes. Dans le cas de Foucault, la suppression de son salaire ne pouvait guere ameliorer son etat mental. C'etait peut-etre le but recherche... Foucault se plaignit au ministre : Au moment ou je fais les plus grands sacrifices pour mener a bonne fin une entreprise tout recemment encore agreee par 1'Empereur, ce retard, s'il venait a se prolonger, pourrait avoir pour moi des cruelles consequences.38
De son cote, Le Verrier avait deja ecrit au ministre, lui demandant que Foucault soit paye par 1'Empereur, et non pas par 1'Observatoire. II disait: C'est pour 1'Observatoire une mesure d'ordre que ce fonctionnaire hors cadre ne paraisse pas chaque mois pour s'emarger et sans avoir pris aucune part au service. II en resulte pour ses anciens collegues le plus regrettable exemple [... ] Ce qui n'est pas moins grave, M. Foucault prend une attitude provocatrice et va jusqu'a insulter ses collegues.39
Pris entre deux feux, le ministre hesitait. L'intervention d'lldephonse Fave, 1'aide de camp de 1'Empereur, fut necessaire pour
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Figure 13.16. La parabolisation d'un miroir elliptique, dont le foyer / se trouve a la distance x du foyer Fp que Ton veut obtenir apres cette parabolisation. La parabolisation, effecruee par retouches locales, est terminee lorsque les aberrations que Ton observe apres ces retouches (lorsque le petit trou du test de la figure est place en /) sont les memes que celles que Ton avait observees avec le miroir elliptique lorsque le petit trou etait place en X.
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resoudre le probleme. II est probable que la subvention provenant de la cassette personnelle de 1'Empereur etait tarie, si elle avait jamais ete versee : Louis-Napoleon n'etait pas avare de promesses, mais bien souvent, il ne les tenait pas. Fave savait probablement que Foucault finangait les developpements du telescope de ses propres deniers, et que le but de Le Verrier etait de se debarrasser de Foucault, malgre 1'accord intervenu 1'annee precedente : 1'acces a son laboratoire de 1'Observatoire lui etait maintenant« rigoureusement interdit »,40 « et cela quand 1'Empereur avant son depart pour Plombieres a voulu voir par lui meme les nouveaux telescopes de M. Foucault» ajoutait Fave a sa lettre au ministre. Le plus urgent etait de payer Foucault. Le ministre decida que son salaire lui serait verse directement par le ministere des Finances, comme le voulait Le Verrier, mais apres qu'il cut signe une feuille de paie a 1'Observatoire. Figure 13.17. F. Wilhelm Eichens (1818-1884), chef d'atelier chez Secretan, puis a son compte en 1866.
Figure 13.18. Une monture d'Eichens pour des telescopes de Foucault.
La parabolisation des miroirs En depit de ces problemes, Foucault avangait dans ses recherches concernant le miroir parabolique. II lui etait evidemment impossible de se placer a l'infini pour le controler ! Aussi, eut-il recours a une astuce. II fabriqua d'abord, comme nous 1'avons vu dans la section precedente, un miroir elliptique aussi voisih que possible d'un parabolo'ide, compte tenu de la longueur disponible dans 1'atelier. La source lumineuse qui etait placee au foyer / du miroir elliptique (figure 13.15) se trouvait alors a une faible distance du foyer choisi pour le paraboloide, distance que nous appellerons x (figure 13.16). En deplac.ant la source par rapport a /, on observait en /' une image alteree par des aberrations. Foucault augmenta done la distance de la source a la surface du miroir d'une quantite x, la plac.ant en X, si bien que la distance de 1'objet au futur foyer etait de 2x. II deduisit que les aberrations de 1'image devaient alors etre semblables mais de signe oppose a celles que Ton aurait si la source etait placee a la meme distance x de /, mais de 1'autre cote, done au futur foyer du paraboloide, en Fp. Foucault mesura done les aberrations sur 1'image en /', la source etant en X, et fit sur le miroir les retouches locales necessaires pour obtenir les memes aberrations lorsqu'il replagait 1'objet en /. L'operation a reussi, il obtint un miroir parabolique ayant la distance focale desiree (figure 13.16). Foucault realisa deux miroirs paraboliques, 1'un de 25 centimetres de diametre et 1'autre de 33 centimetres et de distance focale de 2,25 metres. Foucault essaya ce deuxieme miroir sur le ciel, avec une monture provisoire qui serait bientot remplac£e par une monture equatoriale definitive en bois due a Wilhelm Eichens, un Prussien,
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le chef d'atelier de Secretan (figures 13.17 et 13.18). Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1858, il observa y Andromedae, une etoile triple dont les cornposantes les plus faibles etaient alors distantes de seulement 0,6 seconde d'arc41. Foucault et deux compagnons durent attendre jusqu'a 3 heures du matin que la turbulence atmospherique se calme. Us virent alors les deux cornposantes bien separees, et a des positions que Ton put verifier plus tard dans les catalogues. Le telescope parabolique avait fait ses preuves. Neanmoins, il apparutbientot que le miroir, qui etait assez mince, se deformait sous son propre poids lorsqu'on inclinait le telescope. Foucault imagina de compenser cette deformation en poussant sur 1'arriere du miroir de fac.on controlee. A cet effet, il plagait un coussin d'air en caoutchouc entre le miroir et son barillet, dans lequel 1'observateur pouvait souffler par un tuyau muni d'un robinet allant jusqu'a 1'oculaire (figure 13.19). Uobservateur soufflait dans le tuyau ou laissait partir 1'air jusqu'a obtenir une image parfaite42. « C'est un de ces petits traits de genie auquel 1'habile physicien nous a habitues. »43 Lassell avait deja imagine un systeme de compensation automatique des deformations gravitationnelles des miroirs, le levier astatique^, mais le coussin d'air de Foucault presentait 1'avantage d'etre reglable a volonte. La Nature envoya la comete la plus brillante du siecle pour inaugurer le telescope de Foucault. Decouverte le 2 juin 1858 par G.B. Donati (1826-1873), de Florence, cette comete avait une queue de plus de 40° de longueur apres qu'elle fut passee au plus pres du Soleil le 30 septembre. Foucault invita ses amis a observer la tete de la comete dans son telescope. II y avait la Moigno, Babinet, Faye et Honore d'Albert, due de Luynes, un voisin de Foucault qui etait un mecene, grand amateur d'art, d'archeologie et de photographic46. « Le succes de son invention a depasse mes esperances ecrivait Faye, et tout ce que j'ai vu, en fait de cometes, avec les instruments dont j'ai pu disposer jusqu'ici, m'a semble inferieur. »47 La figure 13.20 reproduit une gravure sur bois de la tete de la comete observee la meme nuit avec le telescope de Foucault par un certain C. Bulard, qui avait des talents de dessinateur et devait bientot etre envoye a Alger par Napoleon III pour y installer 1'observatoire qui venait d'y etre cree48.
Dans 1'impasse Au debut aout, Foucault informa 1'Academic de ses resultats. II concluait en remarquant que ses depenses avaient ete assez peu importantes pour qu'elles puissent etre supportees par un seul individu (lui-meme)49. Puisqu'il avait tout paye, il avait le droit d'exploiter
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Figure 13.19. Foucault imagina de compenser la deformation d'un miroir de telescope en le poussant a 1'arriere par un coussin gonflable. Ici, 1'idee a ete reprise par Henry Draper aux USA pour un miroir de 40 centimetres.45
Figure 13.20. La tete de la comete Donati observee avec le miroir parabolique de 33 centimetres de Foucault le 5 octobre 1858. Moigno comparait le noyau brillant a 1'electrode de charbon d'un arc electrique, et etait frappe par le cone noir qui separait la queue en deux parties. Le Due de Luynes avait remarque une tache sombre pres du centre du noyau.
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Figure 13.21. Secretan vendait des telescopes a miroir de verre argente de 10 centimetres de diametre, avec un tube en acajou. Us coutaient 10 livres sterling en Angleterre (250 francs)53. La longueur de 1'oculaire indique qu'il y avait un relais optique, qui redressait aussi les images. Cela permettait 1'usage du telescope pour des observations terrestres, ce qui devait augmenter les ventes.
Figure 13.22. Le microscope catadioptrique de Foucault. Foucault appliquait des retouches locales au miroir pour compenser les aberrations des lentilles de 1'objectif.
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commercialement son invention : de fait, des telescopes de 9 et de 18 centimetres de diametre figuraient au catalogue de Secretan des le mois de mai 185850. La figure 13.21 en montre un exemple, tandis que les planches 13 et 14 pages 202 et 203 representent une version equatoriale permettant de suivre le ciel plus facilement. Babinet remarqua qu'on attrapait beaucoup moins de torticolis avec ces instruments qu'avec des lunettes51. Les telescopes etaient livres avec des instructions qui ont du faire sourire dans les manoirs : « Lorsque vous regardez votre miroir, craignez d'y toucher avec les doigts et d'y projeter la moindre goutte de salive [... ] »52 Foucault avait maintenant tous les elements en main pour s'attaquer a un miroir plus grand, mais ses propres ressources devenaient insuffisantes. II lui fallait puiser dans celles de 1'Observatoire, mais Le Verrier lui en avait pris les clefs ! En attendant des jours meilleurs, il utilisa ses miroirs de verre argentes pour une nouvelle invention, dont les petites dimensions lui permettaient de travailler chez lui : celle du microscope catadioptrique, c'est-a-dire dont 1'optique utilise a la fois des lentilles et des miroirs. L'idee etait simple, et sans doute destinee a corriger les defauts du microscope, defauts que Foucault, observateur soigneux, n'avait pas manque de constater quinze ans plus tot lorsqu'il travaillait avec Donne. Un microscope est un objectif de distance focale tres courte qui donne une image agrandie du specimen observe. Cette image est examinee avec un oculaire. Pour obtenir une bonne resolution, 1'objectif doit avoir la plus grande ouverture possible. C'est exactement ce qu'il faut pour obtenir les aberrations les plus horribles ! Foucault insera done un miroir argente dans le train optique, comme on le voit sur la figure 13.22, miroir qu'il retouchait localement de maniere a compenser les aberrations de la lentille formant 1'objectif. II presenta son microscope a la Societe philomatique au debut de 1859, et montra un croquis de globules rouges du sang que Bulard dessina a partir d'une observation avec cet instrument54. Mais ce nouveau microscope etait bien encombrant, le miroir etant situe a 40 centimetres du reste de 1'optique. L'amelioration du microscope devait emprunter d'autres voies. C'est alors que Le Verrier fit une erreur: il retint la feuille de paie de Foucault, ce qui privait celui-ci de salaire une seconde fois. Le pretexte etait que le travail personnel de Foucault ne profitait pas a 1'Observatoire de Paris, une rumeur disant que son telescope de 33 centimetres etait destine a 1'Observatoire d'Alger55. Cette fois, le ministre se mit en colere, et prit lui-meme sa plume pour repondre a Le Verrier. « Ma memoire me rappelle parfaitement la solution definitive prise a 1'egard de M. Foucault apres une foule de pourparlers, ecrivait-il. La convention doit etre executee, et si vous persistiez,
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je crois que vous vous attireriez le reproche de tracasseries et de persecution. Mon avis formel est done le paiement du traitement echu. »56
Le telescope de 40 centimetres Foucault et Le Verrier etaient tous les deux tetus, mais il fallait bien trouver un compromis. Le Verrier realisait qu'il etait alle trop loin, et Foucault avait besoin de travailler a 1'Observatoire. On lui rendit ses cles, il obtint son salaire aussi qu'un budget pour ses recherches, si bien qu'il put travailler a un telescope de 40 centimetres de diametre. La paix avait ete signee en fevrier, et des le mois de juin le telescope etait aux essais. Le Verrier le presenta a 1'Academic en juillet57. On ne sait pas ou Foucault s'etait procure ses petits disques de verre. II etait certainement plus difficile de se procurer un disque de 40 centimetres. Foucault s'adressa done a 1'usine de Saint-Gobain, qui fournissait de grosses pieces de crown destinees aux lentilles de Fresnel utilisees pour les phares. Ces pieces n'etaient pas recuites, si bien que le verre avait des tensions internes qui pouvaient se liberer pendant le travail. Mais Foucault se disait que, puisqu'il n'avait pas eu de probleme jusqu'alors pendant le polissage, il pouvait utiliser le verre tel quel. L'experience lui donna raison. A 1'Exposition Universelle, Foucault avait vu des lentilles de Fresnel destinees aux phares, realisees par Louis Sautter (figure 13.23)5 Comme Secretan, Sautter etait ne en Suisse. C'est dans son atelier que le nouveau bloc de verre de Saint-Gobain fut degrossi. Le dos du miroir etait convexe, le verre etant deux fois plus epais au centre qu'aux bords. Pour une masse donnee, cela permet une meilleure resistance aux deformations du miroir sous son propre poids lors du mouvement du telescope. La face arriere etait polie de maniere a ce qu'on puisse voir, a travers le verre, comment 1'argent se deposait sur la face avant. On avait menage une rainure tout autour du disque, et on pouvait ainsi le manipuler avec une corde. Le polissage se fit chez Secretan. Foucault en detaille les etapes dans son memoire sur la fabrication des telescopes, ecrit en automne. II serait fastidieux de les exposer ici. Contentons-nous de dire qu'on a utilise un outil metallique ; Foucault recommande cependant un outil de verre, plus leger et moins cher, pour polir les grands miroirs. Get outil (la balle) etait solidement fixe au sol, et le disque etait appuye dessus, 1'essentiel de son poids etant porte par des cordes et un ressort attache au plafond (figure 13.24). Ainsi, il fallait moins de force pour mouvoir le miroir sur 1'outil, et il y avait moins de degagement de chaleur, ce qui est essentiel pour eviter les deformations de la balle et du miroir. De temps en temps, on verifiait la courbure
Figure 13.23. Louis Sautter (1825-1912). II est curieux que ce Suisse se soit specialise dans la fabrication des phares, puisque la Suisse ne touche pas la mer.
a) Pour augmenter la courbure
b) Pour diminuer la courbure
Figure 13.24. (a) Pendant le polissage, les passes longues augmentent la courbure de la surface du miroir, car la pression et done 1'abrasion sont plus grande sur les bords (*). (b) Pour diminuer la courbure, on inverse la position de la balle et du miroir.
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Figure 13.25. Le spherometre de Foucault, fabrique en aluminium par Gustave Froment. La difficulte est de s'assurer qu'aucun de ses pieds ne decolle du verre quand on abaisse la pointe centrale jusqu'a toucher la surface.
du miroir avec un spherometre. La figure 13.25 et la planche 19 page 203 montrent un spherometre utilise par Foucault, construit par Froment en aluminium, le nouveau metal de 1'ami Sainte-Claire Deville. Si la courbure n'etait pas suffisante, on augmentait la longueur des passes : une fraction plus grande du poids du miroir etait supportee par les bords de la balle et le centre du miroir, ce qui favorisait 1'usure de ces parties (figure 13.24a). A 1'inverse, on echangeait la position de la balle et du miroir si on avait depasse la courbure requise (figure 13.24b). Le stade final, celui des retouches locales, etait 1'apanage de Foucault. II operait a 1'Observatoire, le miroir etant tourne sur sa tranche pour chaque controle. Foucault decrit en detail ses procedures de polissage au rouge d'Angleterre ou au tripoli de Venise sur papier, ses methodes de controle et ses precedes de parabolisation. II devait se sentir dans la plenitude de ses moyens. C'etait la un travail de precision d'avant-garde, qui necessitait intelligence et habilete manuelle, mais pas de mathematiques. Son ami Jules Lissajous en disait: L'ouvrier lui donnait une surface au poll eclatant, ceuvre terminee en apparence, mediocre en realite ; Foucault 1'amenait en quelques heures au dernier degre de perfection. II aimait a se comparer au sculpteur qui, par quelques retouches habiles, complete le travail du praticien, et donne au modele d'un medaillon toute sa purete artistique.59
L'argenture etait realisee dans un bassin de cuivre argente par electrolyse. Foucault restait fidele au precede de Drayton. II utilisait
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des ingredients onereux tels que 1'essence de girofle ou la gomme galbanum vireuse, mais leur cout etait negligeable a cote du reste. Apres tout, ne valait-il pas mieux utiliser sans modification un procede qui avait fait ses preuves ? II fallait nettoyer soigneusement le miroir a 1'acide nitrique, avec du blanc d'Espagne et des morceaux de coton fraichement carde. L'argent se deposait sur le miroir apres cinq minutes dans le bain, et il fallait y laisser le miroir cinq a six fois plus longtemps pour obtenir une couche bien reflechissante. Apres rinc,age et sechage, on polissait 1'argent avec une peau de chamois pendant une heure ou deux pour lui dormer tout son eclat. Eichens construisit une monture equatoriale en bois pour le telescope de 40 centimetres (figure 13.26). Le miroir etait supporte par un coussin d'air. Le prisme a reflexion totale du montage Newton etait tres petit afin de minimiser 1'obstruction, comme dans le telescope original de Newton (figure 13.4). II fallait done deux lentilles relais pour amener le foyer en dehors du tube, ou Ton pouvait observer 1'image avec des oculaires de differents grossissements. Ces lentilles donnaient de 1'aberration de sphericite, que Foucault eliminait par des retouches finales au miroir primaire. « Ce systeme de compensation, qui, contrairement a 1'usage, consiste a corriger 1'oculaire par 1'objectif, a ete applique avec succes », indiqua Foucault a 1'Academic. Le telescope fut teste sur un objet gradue situe a 80 metres, et son pouvoir optique fut evalue a 480000. Sur le del, il resolvait bien les deux composantes faibles de j Andromedae. On tourna ensuite le telescope vers la Lune : « Au jugement de MM. Le Verrier et Chacornac, commentait Moigno, jamais aussi belle image de la Lune n'avait ete admiree sous le ciel de Paris. »60 Les directeurs des observatoires du Cap de Bonne Esperance et d'Armagh en Irlande, qui etaient presents, admirerent eux aussi le spectacle, de meme que George Airy. L'Association Britannique avait quelque peu meprise le petit telescope de Foucault deux ans auparavant, mais le rapport d'Airy a la Royal Astronomical Society a Londres contenait [... ] des termes extremement elogieux [... ] L'image etaitbrillante, et beaucoup de details fins et delicats, aussi bien sur les parties volcaniques que sur les parties plus plates de la surface de la Lune, etaient visibles avec une clarte jamais atteinte encore.61
D'apres Moigno, Le Verrier etait « justement fier de la victoire remportee par la France ». Emporte par 1'enthousiasme, Moigno continuait: M. Le Verrier a deja autorise, ou plutot deja somme M. Foucault de dormer a 1'Observatoire un miroir d'un metre de diametre, ce miroir sera done sous peu une grande realite : apres le miroir d'un metre qui montrera deja beaucoup plus que le miroir de Lord Rosse, viendra le miroir de deux metres qui promet des merveilles.62
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Figure 13.26. Le telescope de 40 centimetres de diametre. Le coussin d'air a disparu.
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Nous verrons que Foucault n'a pas vecu assez longtemps pour cela. Le plus grand telescope qu'il ait construit a un diametre de 80 centimetres, et il est probable qu'il commenc.a tout de suite a y travailler, puisqu'il etait deja termine en 186263. II semble qu'il ait, en meme temps, fabrique d'autres miroirs. Bulard partit a Alger avec un miroir de 50 centimetres, et 1'Observatoire de Toulouse s'equipa d'un miroir de 33 centimetres64. II dut y en avoir encore d'autres, sans compter les telescopes vendus a des particuliers par Secretan.
Une eclipse en Espagne
Figure 13.27. Le trajet de 1'eclipse totale de Soleil du 18 juillet 1860. Le groupe de Le Verrier avait voyage via Bayonne et Pampelune pour atteindre le site d'observation situe pres de Tarazona. Une expedition britannique avait observe 1'eclipse depuis Rivabellosa, pres de Vitoria. Le pere Secchi s'etait etabli pres de Castellon de la Plana.
Les eclipses ont toujours interesse les astronomes, surtout les eclipses totales de Soleil, ou le disque de la Lune bloque la lumiere brillante de la photosphere, ce qui permet de voir les regions exterieures de 1'atmosphere du Soleil. Les eclipses totales sont rares et les astronomes se pressent pour les observer. Ce fut le cas pour 1'eclipse totale du 18 juillet 1860, visible 1'apres-midi en Espagne et en Algerie. Deux expeditions franchises partirent 1'observer. Celle de 1'Ecole polytechnique se rendit a Batra en Algerie, et celle de 1'Observatoire de Paris, en Espagne. Comme Herve Faye, qui avait prepare cette seconde expedition, avait entre temps fui les turbulences de 1'Observatoire pour s'etablir a 1'Ecole polytechnique, c'est Le Verrier lui-meme qui enprit la direction65. Foucault etait de la partie, ainsi que Chacornac, un autre astronome de 1'Observatoire, Antoine Yvon Villarceau (1813-1883), et d'autres personnes appartenant a differentes institutions. On n'expedia pas moins de trente trois caisses de materiel a la fin juin, dont une grande partie servirait a determiner les coordonnees du lieu d'observation et a etablir 1'heure. On envoya egalement les deux telescopes de Foucault, de 20 et de 40 centimetres. Leur dimensions relativement faibles les rendaient facilement transportables et peu sensibles au vent. Ces deux telescopes furent d'ailleurs utilises plus tard pour d'autres eclipses66. Le site choisi, partage avec une expedition espagnole, se trouvait au-dessus de la vallee de 1'Ebre, pres d'un sanctuaire (Santuario) a 1400 metres d'altitude, sur les pentes de la Sierra del Moncayo pres de Tarazona67. Villarceau arriva le 10 juillet pour y installer les instruments, suivi, deux jours plus tard de Foucault et Chacornac. Quant a Le Verrier, il n'arriva que trois jours avant 1'eclipse, accueilli par un orage. La montagne etait dans les nuages, bien qu'il fisse beau dans la vallee. Le Verrier n'etait pas homme a rester inactif, aussi envoya-t-il des telegrammes pour savoir quel temps il faisait dans le Golfe de Gascogne. Pour eventuellement deplacer le materiel installe au Santuario, il requisitionna toutes les charrettes qu'il put trouver dans les villages des alentours. Avec Foucault et Chacornac,
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il monta jusqu'au sommet, 1000 metres au-dessus du Santuario, et constata qu'il y avait des nuages partout. Au Santuario, les cloches sonnaient pour guider les voyageurs perdus dans le brouillard. Les chances d'eclaircies paraissaient bien maigres. Le matin de 1'eclipse, Le Verrier et Foucault redescendirent done du Santuario ou il bruinait, avec les charrettes et le materiel, en esperant que, comme la veille, il ferait beau dans la vallee. Trois heures avant le commencement de 1'eclipse, ils parvinrent pres du cimetiere de Tarazona, ou ils s'etablirent. II y avait beaucoup a faire pour reinstaller le materiel. En particulier, Foucault devait preparer une chambre noire portative, car il voulait photographier 1'eclipse totale. Au « moment supreme » de la totalite, il faisait beau partout. « Les savants, les amateurs, les curieux de tous les pays qui se sont distribues le long du parcours de 1'ombre n'ont a regretter ni les depenses qu'ils ont faites, ni les fatigues qu'ils se sont imposees pour assister a un spectacle si fugitif, si grandiose et si rare » ecrivait Foucault dans un de ses articles, devenus rares, du Journal des Debats68. L'expedition avait plusieurs objectifs scientifiques : determiner les heures de debut et de fin de 1'eclipse, ce dont Le Verrier etait en charge; rechercher une nouvelle planete qui aurait pu expliquer les anomalies du mouvement de Mercure, qui ne furent expliquees que plus tard par la Relativite generate (on ne trouva pas de nouvelle planete !) ; et enfin connaitre la nature de la chromosphere et des protuberances du Soleil. On savait depuis longtemps qu'au moment de la totalite, on voyait un grand halo, ou couronne, autour du Soleil et de la Lune. En outre, les observateurs de 1'eclipse de 1842 avaient ete frappes par la presence, a la base de la couronne, de protuberances rose vif (figure 13.28). Nous savons aujourd'hui que la couronne est un gaz tenu et extremement chaud issu du Soleil, et que les protuberances sont des arches ou des colonnes de matiere plus froide qui penetrent dans la couronne. En 1860, on ne savait pas si ces phenomenes etaient d'origine solaire, ou bien associees a la Lune : elles auraient alors ete produites par la diffusion de la lumiere solaire par une eventuelle atmosphere lunaire, ou dues a la diffraction par le bord lunaire. Le test decisif etait de savoir si la couronne et les protuberances suivent le Soleil ou la Lune dans leur mouvement: un test difficile etant donnee la courte duree pendant laquelle on pouvait les observer. Chacornac et Villarceau s'attaquerent aux protuberances, en les observant avec les telescopes de Foucault muni d'oculaires gradues. La question fut reglee : les protuberances etaient solaires. Quant au probleme de la couronne, il fut partiellement resolu pendant la meme eclipse par d'autres expeditions, qui montrerent que la couronne etait polarisee et ne pouvait pas etre due a la diffraction.
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Figure 13.28. L'eclipse de Soleil de 1842. Sur ce dessin, deux protuberances ressemblant a des montagnes sont visibles pres du bord solaire. La couronne formait alors un anneau complet, avec des strieset deux jets.
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Dans le Journal des Debats, Foucault decrit les ombres volantes qui se deplacent tres rapidement sur le sol pendant les secondes qui precedent la totalite, la couronne d'un blanc pur, le ciel gris ardoise parseme d'etoiles et de planetes, et la couleur argentee et cuivree de la lumiere : On voudrait, a la vue d'un si imposant spectacle, dominer 1'emotion dont on est oppresse, suspendre le cours du temps et concentrer toutes les forces de 1'attention sur la scene grandiose dont les phases se succedent avec une effrayante rapidite. Foucault avait pour tache de photographier la couronne et les protuberances, dont on pourrait plus tard examiner les details a tete reposee. Le succes etait loin d'etre -assure, car les intensites avaient paru bien faibles lors des eclipses precedentes. Cependant, les nouvelles emulsions au collodion humide etaient dix fois plus sensibles que les vieilles plaques daguerreotypes. Foucault adopta un precede dit ambrotype, semblable a celui qu'il avait experimente au debut des annees 1850 (figure 13.29). II installa une chambre
Figure 13.29. La seule photographic survivante faite par Foucault qui ne soit pas un daguerreotype : un amphitype du Couvent des Carmes. Les sels sensibles etaient inclus dans une couche d'albumine d'oeuf deposee sur une plaque de verre. Apres developpement, 1'emulsion impressionnee etait claire. L'amphitype etait presente sur un fond noir ; son aspect etait assez semblable a celui d'un daguerreotype, les parties exposees apparaissant blanches, tandis que les parties non exposees, transparentes, paraissaient sombres. Get amphitype est difficile a dater, mais il est certain que Foucault avait essaye les emulsions a l'albumine sur verre des 1852. Les ambrotypes sont semblables aux amphitypes, sauf que 1'emulsion est au collodion (coton dissous dans 1'ether).
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noire munie d'un objectif a courte focale, et pourvue d'une lunette de guidage, de fagon a pouvoir suivre 1'eclipse. Les plaques devaient etre preparees juste avant, afin de rester humides pendant la pose. Pendant les 194 secondes de la totalite, Foucault reussit a prendre trois plaques avec des poses de 10, 20 et 60 secondes. II fallait pour cela garder la tete froide, ce qui etait une qualite de Foucault, mais, dans son emotion, il donna quand meme un coup a la chambre pendant la premiere pose. II en resulta trois images parasites sur la plaque, pour lesquelles il estima que la pose etait inferieure a un quart de seconde. Sur les trois images, on voyait le bord de la Lune se detachant sur les protuberances et la couronne interne. L'aspect etait identique, ce qui montrait que tout etait reel, et non du a des defauts de 1'emulsion ou a des artefacts. Quand aux poses plus longues, elles etaient reussies. La pose de 60 secondes montrait la couronne jusqu'a un diametre egal a trois fois celui du Soleil, ainsi que des jets (figure 13.30). Un jet particulierement brillant semblait sortir d'un cran dans le bord lunaire, ce qui conduisit Foucault a conclure que « jusqu'a plus ample examen » la couronne etait un phenomene de diffraction. II etait peut-etre influence par son ami Herve Faye, dont c'etait 1'opinion, mais cette conclusion etait erronee. L'eclipse de 1860 est la premiere a avoir ete photographiee, mais Foucault n'etait pas le seul photographe. L'Anglais Warren de la Rue reussit a prendre deux poses de 60 secondes chacune, et le pere Secchi de Rome prit cinq poses de 20 secondes70. Les photographies de De la Rue firent 1'objet d'une grande publicite, ce qui est peut-etre la raison pour laquelle celles de Foucault n'ont pas ete publiees71.
Un telescope vraiment serieux Les methodes de test des miroirs developpees par Foucault « ne devraient prendre, disait-il, une importance decisive qu'a partir du jour ou les miroirs ainsi obtenus atteindraient des dimensions superieures a celles des plus grands objectifs achromatiques »72. Le plus grand objectif de lunette de 1'epoque avait un diametre de 52 centimetres. II etait 1'ceuvre d'Ignace Porro (1795-1875), un Italien qui vivait a Paris. II 1'avait installe dans un tube de 15 metres de long a 1'exterieur de son Institut technomatique, situe boulevard d'Enfer, a quelques centaines de metres seulement de 1'Observatoire73. Porro avait propose son objectif a Le Verrier en 1858, pour la somme enorme de 160000 francs, mais on avait des doutes quant a sa qualite. Le Verrier refusa, et il semble que la lentille ait ete cassee. Les objectifs de 38 centimetres des lunettes de 1'Observatoire Russe Imperial de Pulkovo et du Harvard College Observatory aux Etats-Unis etaient done les plus grands au monde, et le telescope de 40 centimetres les avaient deja
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Figure 13.30. La couronne et les protuberances, telles qu'elles apparaissaient au moment de 1'eclipse totale observee a Tarazona69.
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depasses. Prudent, Foucault ne retint pas 1'idee d'un objectif de 1 metre avancee par Moigno, rnais limita son ambition a un diametre de 80 centimetres. II ne rencontra aucune difficulte particuliere dans sa construction, et au debut de 1862, le telescope etait termine (figure 13.31 et planches 16 et 17, page 203). C'etait a peu de chose pres une version agrandie du telescope de 40 centimetres, bien que la distance focale relative ait ete diminuee de 10 pour cent, afin de raccourcir le tube. Elle etait de 4,5 metres.
Figure 13.31. Le telescope de 80 centimetres. La monture, qui etait initialement alt-azimuthale avec un axe vertical et 1'autre horizontal, a ete modifiee en monture equatoriale. Noter combien ce telescope, avec son miroir parabolique, est plus compact que le telescope excessivement long de Lord Rosse (figure 13.6).
Figure 13.32. Le noyau de la comete Swift-Tuttle observee de Paris avec le telescope de 80 centimetres de Foucault, le 23 aout 1862 a 21 heures. Quelques annees apres, 1'astronome italien Giovanni Schiaparelli (1835-1910) montra que cette comete avait la meme orbite que les Perseides, confirmant 1'association presumee de ces meteorites et de la comete. On a revu la comete Swift-Tuttle en 1992.
Le verre avait ete fondu par Saint-Gobain dans un moule prepare specialement par Sautter, et avait ete recuit, mais pas de fac.on totalement satisfaisante. Un outil du diametre du miroir n'aurait pas permis de le travailler a la main, aussi les ouvriers de Secretan ont-ils utilise une balle de verre de 50 centimetres. Pour le polissage final, tout ce qu'un ouvrier pouvait manipuler etait un outil de 22 centimetres recouvert de papier. Le miroir fut poli systematiquement, par cercles concentriques, avec de frequents controles optiques11. Cette operation ne prit pas plus d'une semaine. Foucault fit les retouches locales a 1'Observatoire. Le diametre utile du miroir etait de 78 centimetres. Eichens construisit rapidement une monture en sapin, avec un axe horizontal et un axe vertical. Quand le temps s'y pretait, on utilisait le telescope de la terrasse de 1'Observatoire. C'etait le premier telescope a miroir de verre argente « vraiment serieux », ecrivait Foucault pour ses lecteurs du Journal des Debats. Habituellement, c'est Chacornac qui observait mais il arrivait a Foucault et a d'autres de regarder dans le telescope74. Apres plusieurs nuits turbulentes, I'atmosphere se calma le 20 mars et Chacornac put voir le faible compagnon de Sirius, decouvert 1'annee precedente par Alvan Clark, un constructeur de telescopes de Cambridge (Massachussets). Le compagnon de Sirius est une etoile naine blanche, a peine plus grosse que la Terre. Chacornac observa aussi le transit du satellite Titan devant Saturne. La Nature envoya une autre comete pour saluer ce nouveau telescope, dont Chacornac publia un dessin (figure 13.32). Ce dernier dessina aussi la Nebuleuse de 1'anneau (une nebuleuse planetaire) et la Galaxie des Chiens de chasse (M51), dont Lord Rosse avait decouvert la structure spirale avec le Leviathan. Ces dessins sont malheureusement perdus, mais leur description indique que Chacornac a vu beaucoup plus d'etoiles dans le champ que Lord Rosse. Le Verrier fut content du telescope, et s'arrangea pour que Foucault soit promu au rang d'Officier de la Legion d'honneur (figure 13.33)75. Cependant, il etait evident que le ciel nuageux de Paris n'etait pas ideal pour le plus puissant telescope de France. Le Verrier contacta le ministre, qui donna rapidement 1'autorisation de le transporter sous les cieux plus clairs du sud de la France.
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Figure 13.33. Foucault fut nomme Off icier de la Legion d'honneur pour son travail sur le telescope a miroir de verre argente.
Montpellier, Marseille et Toulon se mirent sur les rangs pour heberger le telescope. Marseille etait la mieux placee, mais on avait peur que les observations ne soient genees par le mistral, ce vent violent qui souffle en Provence. Justement, le mistral soufflait lors de la visite de Le Verrier et de Foucault sur les cotes mediterraneennes. A Montpellier, ils furent accueillis par Alfred Donne, qui y etait devenu recteur. Donne fut agreablement surpris de revoir Foucault, car il ne savait pas qu'il accompagnait Le Verrier. Foucault et Le Verrier assisterent a une reunion de la societe savante locale, puis a un diner en plein air. Le vent etait aussi fort a Montpellier ou a Toulon qu'a Marseille. Plus d'hesitation ! L'offre de Marseille fut acceptee. La coupole ay ant ete terminee pendant 1'ete de 1864, le telescope fut transporte a Marseille en septembre, et les observations commencerent le 28 decembre. La figure 13.34 montre le plan de Foucault pour la coupole de forme cylindrique, et le pont interne tournant qui permettait d'acceder facilement a 1'oculaire. La figure 13.35 montre la coupole avec le telescope installe. Le telescope a ete utilise jusqu'en 1965 et existe toujours a 1'Observatoire de Marseille ainsi que son miroir, mais la coupole et le coussin d'air derriere le miroir ont malheureusement disparu. Les points culminants de la carriere du telescope ont ete des recherches sur les nebuleuses et les etoiles doubles, ainsi qu'un premier essai de mesure du diametre des etoiles dans les
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Figure 13.34. Le plan de Foucault pour la coupole cylindrique construite a 1'Observatoire de Marseille pour le telescope de 80 centimetres.
annees 1870. C'etait une idee de Fizeau, mais c'est Edouard Stephan (1837-1923) qui 1'a realisee76. Stephan plac,ait un masque comportant deux fentes paralleles sur le miroir, qui agissaient comrne les fentes dans 1'experience d'interference de Young (voir la figure 5.6). En lumiere blanche, on s'attendait a voir une figure d'interference semblable a celle de la figure 5.8. L'ecartement entre les fentes etait tel que la separation angulaire des franges atteignait environ l/6e de seconde d'arc. Si le diametre apparent de 1'etoile avait atteint cette valeur, les franges auraient etc brouillees. Stephan examina toutes les etoiles brillantes de 1'hemisphere Nord et vit qu'elles produisaient toutes des franges, ce qui montrait qu'elles etaient toutes plus petites que l/6e de seconde d'arc. Ce n'est que cinquante ans plus tard que A.A. Michelson et KG. Pease reussirent a mesurer le premier diametre stellaire a 1'Observatoire du Mont Wilson en Californie77. Dans leur observation, les franges de 1'etoile geante Betelgeuse disparaissaient lorsque les fentes etaient a 2,5 metres 1'une de 1'autre, indiquant un diametre apparent de l/20e de seconde d'arc. Stephan etait passe pres du succes, mais 1'ecartement entre ses fentes etait trop petit.
La construction des telescopes modernes Figure 13.35. La coupole du telescope de 80 centimetres vue de 1'exterieur, et 1'interieur avec le telescope.
Quelques remarques premonitoires accompagnerent la naissance du telescope a miroir de verre argente. En ayant entendu parler, Donne ecrivit a Foucault vers 1857 pour le feliciter. II commengait par
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taquiner son ami: occupait-il tout son temps a construire des telescopes ? « Mais non, car je sais que vous trouvez encore des instants pour les soirees de la rue de 1'Odeon ou vous m'avez 1'air d'avoir des rendez-vous avec la petite Marie. » II continuait plus serieusement: Savez-vous qu'en revenant a votre diable de lunette je pensais qu'avec votre ingenieux precede il n'y aurait pour ainsi dire plus de limite a la dimension du miroir, qu'il pourrait sans doute s'appliquer a d'autres substances que le verre, a 1'un de ces enduits par exemple plus dur que le marbre que Ton fait aujourd'hui et susceptible de recevoir un poli parfait; qu'ainsi on pourrait construire des miroirs en magonnerie grands comme la coupole du Pantheon ou comme la Butte Montmartre [... ] on pourrait meme faire des miroirs de plusieurs morceaux de verre [... ]78
Ces predictions, qui, pour la plupart, furent reprises par Steinheil 1'annee suivante, devaient se reveler correctes15. Les controles frequents suivis de retouches locales sont a la base du polissage des optiques modernes. Avec 1'avenement de la photographic astronomique et le developpement de 1'astrophysique et de 1'astronomie extragalactique, les telescopes a courte focale sont devenus les instruments privilegies de 1'astronomie optique et infrarouge. Les idees de Foucault ont permis la construction de miroirs enormes comme celui de 5 metres du telescope Hale du Mont Palomar, celui de 6 metres de Zelenchuk en Russie, et les quatre telescopes de 8 metres qui f orment le Very Large Telescope a Paranal, au nord du Chili, entre autres. Bien sur, les details ont change. Le verre a ete remplace, comme le predisait Donne, par une ceramique a coefficient de dilatation pratiquement nul qui ne se deforme pas quand la temperature change. Cette propriete est interessante non seulement dans la coupole ou la temperature varie pendant la nuit, mais aussi au laboratoire d'optique ou 1'on peut controler le miroir immediatement apres les retouches locales, malgre le degagement de chaleur qu'elles impliquent. Les miroirs sont maintenant testes directement sur la machine a polir ; on peut les controler par une methode interferentielle utilisant un laser, et examiner tour a tour chaque region du miroir en utilisant des masques. On sait aujourd'hui produire des surfaces aspheriques et meme asymetriques en les taillant avec des fraiseuses numeriques munies d'outils diamantes, ou par erosion par un plasma. Plus prosai'quement, le carbure de silicium a remplace 1'emeri comme poudre abrasive, et les miroirs sont generalement alumines sous vide plutot qu'argentes, bien que 1'on revienne a Targenhire dans certains cas, mais avec une protection. Cent cinquante ans apres Foucault, on a vu apparaitre des techniques radicalement nouvelles, comme \'optique active dans laquelle les miroirs sont deformes par des actuateurs controles par ordinateur,
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de fac.on a compenser les flexions et les effets thermiques. Avec son coussin gonflable a 1'arriere du miroir, Foucault est le precurseur de ce procede. On salt aussi compenser les effets de I'atmosphere avec un miroir secondaire deformable. Enfin, on salt utiliser ensemble de nombreux miroirs formant une grande mosai'que. Cela permet d'envisager des projets de telescopes gigantesques comme le Overwhelmingly Large Telescope de 1'Observatoire Europeen Austral. Us pourraient bien atteindre la taille du Pantheon, et peut etre meme de la Butte Montmartre ! Le couteau de Foucault demeure le test crucial de la qualite de 1'image focale. Si il avait ete employe pour controler le telescope spatial Hubble, on aurait tout de suite decouvert ses aberrations si genantes. En raison de sa simplicite, ce test est tres utile pour les telescopes d'amateurs, et le couteau sert toujours a la mise au point des grands telescopes.
Grandes ambitions Les ambitions de Le Verrier et de Foucault ne s'arreterent pas au telescope de 80 centimetres. En 1863, chez Saint-Gobain, un disque geant de 1,215 metre fut coule et deux ans plus tard Le Verrier obtenait presque 400 000 francs de 1'Assemblee Nationale pour la construction d'un telescope de 120 centimetres utilisant ce disque, et d'une lunette utilisant les fameux disques de Chance. Nous decrirons au chapitre 17 la contribution de Foucault a ces projets. Tout en continuant de s'occuper de 1'optique des telescopes, Foucault tourna a nouveau son attention vers leur entrainement. Nous verrons au chapitre 16 qu'il a abandonne le pendule conique de sa jeunesse, et construit des regulateurs pour assurer un entrainement regulier (celui qu'il a construit pour le telescope de Marseille se devine sur la figure 13.31.) Mais avant d'en venir a ces developpements purement technologiques, nous considererons la derniere experience scientih'que de Foucault. Dans sa carriere, qui est caracterisee par la recherche de la precision et des effets subtils, c'est la seule qui ait conduit a un resultat numerique precis : nous voulons parler de sa mesure de la vitesse de la lumiere.
Chapitre 14 La vitesse de la lumiere II. Les dimensions du Systeme solaire Nous sommes en 1861. Foucault est sur le point de terminer son telescope « reellement serieux » pour TObservatoire, et Le Verrier en est satisfait. II decide alors de financer un projet qui lui tient a cceur, de meme d'ailleurs qu'a Foucault: la mesure de la vitesse de la lumiere en laboratoire. Nous savons aujourd'hui que la vitesse de la lumiere est une constante de la Nature, qui regit Telectromagnetisme et la relativite, mais, en 1861, elle ne paraissait pas plus fondamentale que la vitesse du son. Mais « si la belle experience par laquelle M. Leon Foucault essayera bientot de mesurer directement la vitesse de la lumiere est couronnee d'un plein succes, disait Le Verrier en juillet 1861, cette question, la plus delicate de 1'astronomie moderne, sera plus tot resolue. »* Quelle etait done la question, et pourquoi etait-elle si cruciale ?
La distance du Soleil Le probleme auquel allait s'attaquer Foucault etait de connaitre les dimensions du Systeme solaire, ou plus precisement la distance de la Terre au Soleil, qui sert d'etalon. Kepler avait construit un modele global du Systeme solaire, grace aux lois du mouvement des planetes qu'il avait decouvertes, et Newton en avait donne les justifications physiques, mais Techelle etait inconnue. Si une distance, par exemple la distance de la Terre au Soleil, pouvait etre mesuree, alors on pourrait calculer toutes les distances dans le Systeme solaire. La distance de la Terre au Soleil varie de quelques pour cent au cours de Tannee, car 1'orbite de la Terre est legerement elliptique, et il est d'usage d'utiliser sa valeur moyenne, qui est T unite astronomique (symbole : u.a.). Nous 1'exprimons habituellement en metres ou en multiples du metre, mais au XIXe siecle on 1'exprimait generalement sous la forme de la parallaxe du Soleil, qui est Tangle sous lequel le rayon equatorial de la Terre serait vu du Soleil a sa distance moyenne (figure 14.1). Une parallaxe plus grande correspond a une valeur plus petite de 1'unite astronomique, et vice versa.
Figure 14.1. La relation entre 1'unite astronomique (u.a.), le rayon de la Terre et la parallaxe du Soleil. La parallaxe du Soleil est un moyen d'exprimer la distance du Soleil: c'est Tangle sous lequel le rayon de la Terre serait vu du Soleil. La figure n'est pas a Techelle, la parallaxe etant un angle d'environ un quatre centieme de degre.
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Figure 14.2. Les astronomes determinaient indirectement la parallaxe du Soleil par triangulation de Venus lorsque la planete passait devant le Soleil. On pouvait aussi utiliser une triangulation de Mars par rapport aux etoiles. II n'etait guere possible de mesurer directement la parallaxe du Soleil par triangulation. La figure n'est pas a 1'echelle. Le petit angle represente ici pour la triangulation de Venus n'est que d'un soixantieme de degre environ.
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La vitesse de la lumiere etait determinee a partir de la parallaxe solaire, par deux precedes que nous avons deja detailles au chapitre 9. Le premier consistait a diviser le diametre de 1'orbite terrestre, deduit de la parallaxe du Soleil, par le temps de trajet de la lumiere obtenu par R0mer et ses successeurs en etudiant les occultations des satellites de Jupiter (figure 9.2). Le second procede utilisait 1'aberration des etoiles, qui relie la vitesse de la Terre sur son orbite a la vitesse de la lumiere (figure 9.4). La vitesse orbitale de la Terre est le rapport de la circonference de 1'orbite (elle-meme deduite de la parallaxe du Soleil) au temps mis pour la parcourir, soit une annee : on pouvait la calculer et en deduire la vitesse de la lumiere. La vitesse de la lumiere provenait done de mesures astronomiques, et non pas de mesures de laboratoire. Elle etait fort incertaine puisque la parallaxe solaire etait mal connue. La determination de la parallaxe du Soleil etait considered par George Airy comme « le probleme le plus noble de 1'astronomie »2. En principe, il suffit pour 1'obtenir de mesurer la difference de position, par rapport a un objet lointain, d'un astre du Systeme solaire observe simultanement de deux points eloignes de la Terre : c'est une triangulation. On ne pouvait pas observer directement le Soleil de la sorte, car il etait impossible de voir, pour se reperer, des etoiles suffisamment proches du bord solaire. De plus, le Soleil etait trop loin, done sa parallaxe trop petite pour permettre une mesure precise. On observait plutot Mars ou Venus, qui sont plus proches que le Soleil dans une partie de leur orbite et qui donnent done des resultats plus precis (figure 14.2). A 1'opposition, c'est-a-dire quand il est a 1'oppose du Soleil par rapport a la Terre, Mars est a environ 0,52 u.a. de nous, tandis que Venus en conjonction (presque dans la direction du Soleil) n'est qu'a 0,28 u.a. Si 1'on parvient a faire la triangulation d'une de ces deux planetes, on peut obtenir d'un coup toutes les distances dans le Systeme solaire grace aux lois de Kepler, y compris bien entendu la distance du Soleil. Etant deux fois plus proche que Mars, Venus parait plus favorable pour cette mesure. Mais elle est invisible a sa conjonction, car elle ne nous montre alors que son hemisphere non eclaire, si bien qu'on ne peut la voir que lorsqu'elle passe devant le Soleil. La planete apparait alors comme une petite tache noire sur le disque solaire. C'est alors qu'on peut determiner sa parallaxe, done celle du Soleil. Mais les passages de Venus sont tres rares, en raison de la difference entre 1'inclinaison de 1'orbite de Venus et de celle de la Terre. Ces passages ne se produisent que tous les 113 ans, deux passages prenant alors place a 8 ans d'intervalle. Les deux derniers avaient eu lieu en 1761 et 1769. Le second avait ete observe par de nombreuses expeditions, en particulier par celle du capitaine Cook a Tahiti. A partir de ces observations, Encke, de Berlin, avait determine une valeur moyenne
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pour la parallaxe de 8,57 secondes d'arc. Cependant, des doutes subsistaient quant a cette valeur, certaines observations ayant ete considerees (d'ailleurs a tort) comme des falsifications. Le Verrier s'attaqua d'une autre maniere au probleme des dimensions du Systeme solaire. L'oeuvre de sa vie fut d'analyser le mouvement de toutes les planetes a partir de la mecanique de Newton et de la gravitation. II congut ce projet heroi'que en 1847, apres sa decouverte de Neptune. II ne fut acheve que trente ans plus tard, quelques semaines avant la mort de 1'astronome. Sa description remplit plus de 4000 pages des Annales de VObservatoire de Paris. En premiere approximation, le mouvement des planetes obeit aux lois de Kepler, qui ne font intervenir que la masse du Soleil et la distance de la planete au Soleil. Mais les planetes subissent leurs attractions mutuelles, qui font intervenir leur propre masse. De 1'etude de ces perturbations, Le Verrier deduisit des relations entre les masses relatives des planetes et les distances dans le Systeme solaire, que Ton peut toutes exprimer en fonction de la parallaxe du Soleil. Comme on connait tres bien la masse d'une planete, la Terre, le probleme peut etre entierement resolu et on peut finalement determiner la valeur de la parallaxe solaire. En 1858, Le Verrier obtint ainsi 8,95 secondes d'arc, valeur qu'il confirma en 1861 par d'autres etudes. Elle etait superieure a la valeur de Encke par plus de 4 pour cent. On imagina alors de reprendre a 1'envers le probleme de la vitesse de la lumiere : apres avoir mesure cette vitesse avec precision au laboratoire, on pourrait, en la combinant avec le temps relativement bien connu que met la lumiere a traverser 1'orbite terrestre, obtenir les dimensions de cette orbite, done la parallaxe du Soleil. Fizeau avait deja mesure la vitesse de la lumiere entre Paris et Suresnes grace a sa roue dentee, mais cette mesure n'etait pas assez precise pour etre pertinente. Arago avait alors ecrit: En repetant ces observations avec des appareils mecaniquement plus parfaits, on pourra un jour, sans sortir de Paris et de sa banlieue, trouver cette parallaxe du Soleil qui, vers le milieu du siecle dernier, donna lieu a des voyages si longs, si lointains, si penibles, et a tant de depenses.3 La nouvelle valeur de Le Verrier pour la parallaxe du Soleil impliquait que la vitesse de la lumiere devait etre inferieure d'environ 4 pour cent a la valeur que Ton deduisait auparavant des observations astronomiques, valeur qui, nous 1'avons vu au chapitre 9, etait de 308 300 kilometres par seconde. Une nouvelle mesure de la vitesse de la lumiere s'accorderait-elle avec la prediction de Le Verrier ?
Figure 14.3. Le Verrier, sur de lui. L'ceuvre de sa vie fut d'analyser le mouvement des planetes a partir de la mecanique de Newton et de la gravitation. C'est ainsi qu'il a decouvert une anomalie du mouvement de Mercure, inexpliquee a 1'epoque, qui a constitue une preuve de la Relativite generale.
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La mesure au laboratoire
Figure 14.4. Aristide Cavaille-Coll (1811-1899) construisit en France plus de 500 orgues, entre autres celui de Notre-Dame de Paris, et environ 100 a 1'etranger. II fournissait aussi des mannequins (banes d'essai), des tuyaux et des souffleries pour les experiences acoustiques.
Figure 14.5. Le dispositif de mesure de la vitesse de la lumiere par Foucault en 1862, vu de dessus. II comportait a la fois un miroir tournant et une roue dentee, 1'utilisation de cette derniere n'ayant cependant rien a voir avec celle qu'en faisait Fizeau. Les echelles ne sont pas respectees.
Foucault se mit done au travail, modifiant son experience de 1850 avec le miroir tournant. Cette fois, 1'experience fut montee a 1'Observatoire, dans la salle du Meridien. D'apres Moigno, tout etait pret a la fin du printemps de 18614, mais il se passa plus d'une annee avant que Foucault obtienne un resultat, car il etait tres occupe par ailleurs: le miroir de 80 centimetres avait besoin des retouches finales, et il construisait des regulateurs et des heliostats dont nous parlerons dans un prochain chapitre. II avait aussi des taches administratives, comme celle de faire obtenir la Legion d'honneur a Eichens pour recompenser ses talents de mecanicien5. L'appareil, construit comme d'habitude par Froment, comportait trois innovations. D'une part, Foucault abandonnait la vapeur et actionnait son miroir tournant (planche 20, page 204) avec de 1'air comprime, provenant d'une soufflerie regulee fournie par le celebre facteur d'orgues Aristide Cavaille-Coll (figure 14.4). Son atelier etait situe pres de chez Foucault et il travaillait alors a 1'orgue de 1'eglise Saint Sulpice, toute proche. Sa soufflerie et son regulateur donnaient une pression stable a 1 pour 1500, ce qui permettait d'ajuster et de maintenir la rotation du miroir avec une bonne precision. La seconde innovation etait 1'adjonction d'une roue dentee comportant 400 dents (planche 21, page 204) qui tournait a un tour par seconde exactement, et qui permettait de mesurer la vitesse de rotation du miroir, comme nous 1'expliquerons plus loin. La troisieme innovation etait 1'utilisation d'un train de cinq miroirs concaves, qui permettait d'allonger le trajet optique sans perdre beaucoup de lumiere (planche 22, page 204), ce qui n'aurait pas ete possible avec un seul miroir concave de dimensions raisonnables. La figure 14.5 montre 1'agencement de 1'experience6. II etait peu different de ce que Foucault avec suggere douze ans auparavant. La lumiere du Soleil etait envoyee dans le laboratoire par un heliostat, et eclairait un micrometre sur verre argente (que Foucault appelait mire
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microscopique), qui avait ete gradue « avec beaucoup de soin » par Froment. II comportait 30 lignes transparentes, distantes 1'une de 1'autre de 0,1 millimetre. Comme 1'a fait Foucault dans sa description, nous suivrons le trajet de la lumiere, le miroir tournant etant d'abord immobile. La lumiere tombait sur ce miroir, distant d'environ 1 metre; une lentille relais produisait 1'image du micrometre sur un premier miroir concave m\, 4 metres plus loin. Les quatre autres miroirs concaves allongeaient le trajet de la lumiere jusqu'a 20,2 metres a Taller. Le dernier miroir, MS, renvoyait la lumiere en sens inverse. Si tout etait bien aligne, 1'image finale du micrometre se superposait au micrometre lui-meme, de la meme maniere que 1'image du fil objet de superposait a ce fil dans 1'experience de 1850. Cependant, une lame separatrice semi-transparente, a 45°, envoyait le faisceau retour vers un microscope. On pouvait alors reperer la position de 1'image grace au reticule contenu dans 1'oculaire de ce microscope. La roue dentee etait placee dans le meme plan que 1'image finale, de fac.on a ce que Ton puisse en voir les dents dans le microscope en meme temps que 1'image du micrometre. La figure 14.6 montre ce qui etait visible dans le microscope. Les fils croises du reticule du microscope se superposaient a 1'image du micrometre gradue d'entree, qui apparaissait claire sur un fond d'un bleu faible, puisque la mince couche d'argent de ce micrometre transmettait faiblement la lumiere bleue. On voyait au-dessous une petite partie de la roue dentee, en projection devant ce fond bleute. Comme la roue tournait a un tour par seconde, on ne pouvait pas en voir les dents qui se deplac.aient trop vite, mais lorsque Foucault ouvrait le robinet qui alimentait en air la turbine du miroir tournant, la lumiere n'arrivait plus sur 1'image que sous forme d'eclats tres courts, puisque le train de miroirs m\ - m$ ne recevait la lumiere que pendant une faible partie de la periode de rotation du miroir. Get eclairage intermittent faisait stroboscope, et Foucault ajustait 1'entree d'air jusqu'a ce que les dents paraissent fixes. En fait, 1'une des dents se substituait a la precedente d'un eclat a 1'autre, le miroir ayant alors fait un tour sur lui-meme : comme il y avait 400 dents sur la roue dentee qui tournait a 1 tour par seconde, le miroir tournait alors a 400 tours par seconde. Foucault dit qu'il pouvait maintenir cette vitesse constante a un dix-millieme pres pendant plusieurs minutes. La rotation du miroir produisait un deplacement de 1'image du micrometre, puisque le miroir avait tourne pendant que la lumiere parcourait la distance de 40,4 metres aller et retour, fixee par la chaine de miroirs m\-m^. C'est ce deplacement qui etait mesure en deplac.ant les fils du reticule du microscope. On pouvait alors en deduire la vitesse de la lumiere, et, connaissant la distance parcourue, la vitesse de rotation du miroir et la distance entre le miroir tournant et 1'image du micrometre.
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Figure 14.6. Ce que Ton voyait dans 1'oculaire de 1'experience de 1862. Contrairement au dispositif de 1850 (figure 9.13), celui-ci comprenait un micrometre gradue permettant des mesures quantitatives. On ne salt pas a quoi servait le bord rectiligne dente visible en haut de 1'image.
238 Figure 14.7. Les mesures de la vitesse de la lumiere par Foucault en 1862. Les determinations preliminaries peu precises du printemps et de 1'ete furent ameliorees en septembre. La ligne continue et les deux lignes en traits interrompus de chaque cote correspondent a la determination de Foucault et a 1'incertitude qu'il estimait, soit 298 000 ± 500 kilometres par seconde ; il semble que les mesures du dimanche 21 septembre aient ete ecartees. La valeur precedente, determinee par des moyens purement astronomiques, etait de 308 300 kilometres, bien en dehors des limites du dessin. La valeur actuelle est indiquee par une ligne pointillee, en haut. Les erreurs etaient done un peu sous-estimees par Foucault.
Leon Foucault
Les mesures commencerent en mai 1862. Foucault fut surpris d'obtenir des resultats encore plus discordants qu'il ne le prevoyait. II lui fallut quelque temps pour decouvrir que la mesure du deplacement des fils du reticule en etait responsable : elle n'etait pas aussi precise qu'il le pensait. Le remede, assez surprenant a premiere vue, ne fut pas de remplacer le systeme de mesure, mais de placer 1'ensemble du micrometre gradue, de la lame semi-transparente, de la roue dentee et du microscope sur un chariot, dont on pouvait ajuster la distance au miroir tournant jusqu'a ce que le deplacement de 1'image soit exactement de 0,7 millimetre, soit 7 graduations du micrometre de Froment. Pour chaque mesure, on determinait la distance du micrometre gradue au miroir tournant, ce qui etait plus facile que de mesurer un deplacement variable de 1'image du micrometre. « Les mesures portant alors sur une longueur d'environ 1 metre, remarquait Foucault, les dernieres fractions gardent encore une grandeur directement visible et ne laissent plus place a 1'erreur. » II n'y avait plus qu'a attendre qu'il f asse beau, mais Le Verrier etait presse. Mars etait a son opposition, et une nouvelle determination de la parallaxe du Soleil allait etre realisee. II voulait que la mesure de Foucault soit publiee la premiere7. Enfin, le temps devint propice a la mi-septembre (figure 14.7), et quelques jours plus tard, Le Verrier put lire a 1'Academie une breve note de Foucault qui decrivait son resultat8. « Suivant les donnees revues, ecrivait Foucault cette vitesse serait de 308 millions de metres par seconde, et 1'experience nouvelle du miroir tournant donne, en nombre rond, 298 millions. » Foucault estimait que 1'incertitude sur ce nombre ne depassait pas un demi million de metres par seconde. La parallaxe du Soleil passait de 8,57 a 8,86 secondes d'arc. La prevision de Le Verrier, 8,95 secondes d'arc, etait confirmee pour 1'essentiel. Le Systeme solaire s'etait retired d'un trentieme ! La valeur actuelle de la parallaxe du Soleil est proche de la valeur de Foucault: 8,79 secondes d'arc.
Les reactions Foucault recueillit aussitot des louanges pour son resultat. La semaine suivante, Babinet disait devant 1'Academie : La determination precise de la distance du Soleil, par M. Leon Foucault, au moyen d'un appareil de physique, est un grand
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evenement scientifique et dont 1'honneur rejaillit sur les artistes qui ont rendu possible une operation si delicate, sur la technologic dans laquelle 1'auteur occupe un des premiers rangs de 1'aveu des juges competents, et enfin sur la science francaise qui, grace a la perseverance et au genie mecanique de 1'auteur, obtient aujourd'hui un triomphe que personne ne lui contestera. [...] Quant a la parallaxe de 8," 57, conclue du passage de 1769, j'ai pendant plus de trente ans reclame au nom de 1'optique contre la precision qu'on attribuait a cette determination, dont le principe etait regarde comme un titre de gloire pour Halley et ses compatriotes.9
Babinet poursuivait en montrant que 1'opposition de Mars ne pourrait pas dormer une precision meilleure que l/40e, bien moins bonne que celle de Foucault. Foucault avait 1'intention d'ameliorer encore sa precision en augmentant le trajet de la lumiere jusqu'a plusieurs centaines de metres, ce qui aurait necessite un long train de lentilles plutot que de miroirs. II avait meme choisi, a 1'Observatoire, 1'endroit ou il aurait fait cette mesure, mais le projet avorta10. Cependant, il se trouva des gens pour contester le resultat de Foucault11. La deviation de 0,7 millimetre etait bien petite. Les notes manuscrites de Fizeau enumerent d'autres problemes, dont le plus serieux etait le suivant : si les faces de la lame semi-transparente n'etaient pas planes et paralleles, 1'echelle du micrometre gradue pourrait etre alteree12. Cette affaire comportait aussi un aspect humain. II etait de notoriete publique que Le Verrier s'attendait a ce que Foucault trouve une valeur plus faible pour la vitesse de la lumiere. Sa pression avait-elle influence Foucault ? Moigno a discute ce point cinq ans plus tard, alors que Foucault etait pres de mourir : [... ] M. Le Verrier pressait vivement M. Foucault de determiner cette parallaxe par la mesure directe de la vitesse de la lumiere. « M. Foucault, ajoutait-il, m'apportait chaque jour ses nombres, et je le 1'encourageais a perseverer jusqu'a ce qu'il fut arrive au chiffre veritable. » Evidemment M. Le Verrier comparait volontairement ou sans le vouloir les determinations de M. Foucault avec sa valeur de 8"95, devenue en quelque sorte pour lui un dogme, et si nous ne connaissions pas le caractere de M. Foucault, nous pourrions croire qu'il ne 1'a laisse en repos qu'apres qu'il eut trouve le chiffre 8,86, tres peu different du sien.13
Ceux qui ne connaissaient pas bien le caractere de M. Foucault pouvaient avoir des doutes, bien comprehensibles au vu de la difficulte de 1'experience. C'etait le premier resultat chiffre de sa carriere : aucune mesure precedente ne pouvait temoigner de sa competence en metrologie. « Mes dernieres communications etaient fort mal
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revues », ecrivait Foucault dans une lettre. Faisant reference a une recente extension des limites de la capitale, il ajoutait : « On peut reculer les barrieres de Paris, mais on ne change pas impunement la distance du Soleil. »14 Dix ans plus tard, il parut opportun de refaire une nouvelle mesure de la vitesse de la lumiere. Comme celle de Foucault, elle fut financee par 1'Observatoire. L'experimentateur etait Alfred Cornu, protege de Fizeau. Cornu testa le miroir tournant de Foucault et la roue dentee de Fizeau, et prefera cette derniere. En 1872, il obtint une valeur de 298 500 kilometres par seconde, extraordinairement proche de celle de Foucault, avec une precision qu'il estimait a 1/3006. « Je ne chercherai pas a dissimuler que le nombre trouve par Foucault me paraissait suspect. » ecrivait Cornu. « Cette coincidence, a laquelle j'etais loin de m'attendre, je dois 1'avouer, dissipe en grande partie les doutes que j'avais congus sur la validite de la methode du miroir tournant. »15 Dans une experience ulterieure utilisant une base de 23 kilometres, Cornu obtint 300400 kilometres par seconde, avec une precision qu'il estimait a 1/1000e 16. Les mesures de Cornu n'etaient pas sans relation avec les passages de Venus de 1874 et de 1882. II n'y eut pas moins de quatrevingt expeditions dans le monde pour observer le passage de 1874, mais il n'en resulta aucune valeur definitive de la parallaxe du Soleil qui puisse se comparer avec celle deduite de la mesure de la vitesse de la lumiere au laboratoire. En particulier, on attendait beaucoup des mesures photographiques du passage, mais leurs resultats etaient a peine meilleurs que ceux des mesures visuelles. La valeur numerique de la vitesse de la lumiere prenait a 1'epoque une importance croissante aussi bien pour la physique que pour 1'astronomie: W. Weber (1804-1891) et F. Kohlrausch (1840-1910) avaient montre en 1856 qu'elle etait liee a deux quantites fondamentales de 1'electricite et du magnetisme17, et en 1868, le physicien ecossais James Clerk Maxwell (1831-1879) avait rendu publique sa conclusion que la lumiere etait une onde electromagnetique18. Le monopole franc,ais sur la mesure de la vitesse de la lumiere devait etre rompu, principalement par Albert A. Michelson, un jeune instructeur a 1'Academie navale d'Annapolis, aux Etats-Unis, qui utilisait un miroir tournant. Ulterieurement, d'autres methodes utiliserent la modulation de faisceaux polarises, des cavites resonantes, et diverses techniques radar et radio19. La vitesse d'une onde etant le produit de sa longueur d'onde par sa frequence, des determinations de la vitesse de la lumiere furent obtenues en multipliant 1'une par 1'autre des valeurs precises de la frequence et de la longueur d'onde de diverses raies spectrales, en particulier d'une raie du krypton 86. Plus recemment, on a refait ces mesures avec une precision encore meilleure, en utilisant des lasers a colorant stabilises.
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En 1983, les metrologistes s'entendirent pour definir le metre a partir de la seconde et de la vitesse de la lumiere, a laquelle on donne la valeur conventionnelle exacte de 299 792 458 metres par seconde (tableau 14.1). Cette valeur est tres proche de celle etablie par Foucault en 1862, bien que sa determination d'erreur ait ete un peu optimiste. Aujourd'hui, une experience du miroir tournant, realisable dans un laboratoire scolaire en entrainant le miroir par un moteur, mesure la longueur du metre et non plus la vitesse de la lumiere !20 L'unite astronomique est une des quantites les mieux determinees de 1'astronomie. Elle vaut 149597870660 metres, avec une incertitude de quelques centaines de metres seulement, ce qui correspond a une parallaxe du Soleil (arrondie) de 8,79 secondes d'arc, qui justifie la prediction de Le Verrier et la mesure de Foucault. Mais la determination des distances dans le systeme solaire ne provient plus de mesures de laboratoires de haute precision, comme le predisait Arago, mais de mesures plus directes de distances par echos radar sur les planetes et surtout sur les sondes spatiales. Cependant, les sondes interplanetaires sont infiniment plus lointaines et plus onereuses que les voyages accomplis pour observer les passages de Venus, voyages auxquels Arago faisait allusion.
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Tableau 14.1. La definition du metre adoptee en octobre 1983 par la Conference generate des Poids et Mesures. Le metre est la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumiere pendant une duree de 1/299792458 de seconde
Cette page est laissée intentionnellement en blanc.
Chapitre 15 Enfin reconnu par ses pairs Foucault se tenait a 1'ecart de la communaute scientifique officielle. II n'etait pas membre de 1'Academie, et jusqu'en 1855, il n'avait occupe aucun emploi de fonctionnaire. En tant que journaliste, il etait totalement independant, et insensible aux effets que pouvaient avoir ses critiques. Mais d'un autre cote il avait son cercle d'amis, qui se reunissaient dans sa maison chaque jeudi pour discuter des derniers progres de la science1. Des reunions du merne genre etaient organisees par ses amis : Henri Sainte-Claire Deville a 1'Ecole normale superieure le dimanche matin, et Joseph Bertrand dans sa maison de la rue de Rivoli2. Foucault etait suffisamment integre dans la communaute pour etre soutenu par Dumas, pour accomplir des missions au ministere des Finances et pour sieger dans les comites de 1'Exposition Universelle. II possedait un habit de cour (bleu brode d'or) pour ses visites a I'Empereur. Son travail etait reconnu. Enfin, il assistait aux reunions de diverses societes savantes: la Societe philomatique chaque samedi soir, puis plus tard la Societe franchise de photographie, dont il fut en 1854,1'un des 93 membres fondateurs.
La Societe franchise de photographie La Societe franchise de photographie etait, d'apres ses statuts, « une association purement artistique et scientifique » dont les membres « ne [contractaient] d'autre engagement que celui de travailler suivant leur pouvoir aux progres de la photographie ». Comme la Societe philomatique, elle prenait modele sur 1'Academie des sciences, avec un effectif limite, des reunions ou Ton presentait des communications, et des compte-rendus publics. Ses membres fondateurs comprenaient des artistes comme le baron Gros, des fabricants d'instruments comme Charles Chevalier et Secretan, de nombreux photographes et des scientifiques comme Victor Regnault (le premier president de la Societe), Edmond Becquerel, Aime Girard, Moigno et Foucault lui-meme. Foucault fut bientot elu membre du comite, qui nota dans son bulletin que « la Societe [devait] [... ] se feliciter de 1'entree au Comite de M. L. Foucault, que ses nouvelles fonctions a 1'Observatoire [... ] appellent a une pratique constante de la photographie. »3
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L'usage constant de la photographic a 1'Observatoire n'etait qu'un voeu pieux : ni Foucault ni ses collegues n'ont consacre beaucoup d'efforts a la photographic astronomique. En depit de quelques cliches d'une eclipse de Lune pris par des collegues avec le telescope de 20 centimetres, Moigno deplorait, en 1866, la faible implication de 1'Observatoire dans la photographic du ciel4. Pourtant, les telescopes sont bien adaptes a la photographic car ils ne souffrent pas d'aberration chromatique et ont un champ de vue assez grand, ce qui explique leur popularite actuelle. Foucault fut tres actif au sein de la Societe5. II fut constamment reelu au Comite, participa aux commissions chargees d'examiner des problemes techniques, et a tous les comites preparatories aux expositions annuelles de la Societe, de 1859 a sa mort. Foucault aimait les belles images, et il a du prendre plaisir a juger les photographies soumises a la Societe, meme si ses remarques etaient surtout d'ordre techniques. A 1'occasion, il presidait les reunions mensuelles de la Societe le vendredi soir, faisant des commentaires sur les sujets qu'il connaissait bien, comme la microphotographie. II etait membre des comites qui decernaient prix et medailles. L'un de ces prix est reste celebre : celui pour lequel, en 1856, le Due de Luynes, ami et voisin de Foucault, avait offert la somme considerable de 10 000 francs dans le but de « stimuler le zele des personnes qui se livrent a ces importantes recherches [en histoire naturelle, ethnographie et archeologie], et de les indemniser des depenses qu'elles necessiteront. » On decida de consacrer la somme a deux prix differents. Le premier, d'un montant de 2000 francs, etait destine a recompenser le procede photographique qui donnerait les resultats les plus durables, et serait attribue en 1858. L'autre, de 8 000 francs, recompenserait le meilleur procede de reproduction photographique pour rimprimerie commerciale, et serait decerne un an plus tard. Le jury etait compose des graveurs, d'archivistes et de photographies, et aussi de chercheurs comme Foucault, Victor Regnault, Balard et 1'omnipresent Edmond Becquerel6. II n'est pas utile de decrire la saga de la competition. Les dates limites furent repoussees plusieurs fois, et les candidats les plus interessants durent faire la demonstration de leur procede devant une sous-commission ou siegeait Foucault7. Les deux prix furent finalement attribues a Alphonse Poitevin (18191882) pour un procede au carbone. La recommandation unanime des juges pour le second prix ne fut rendue publique qu'en 1867 ; ce fut une des dernieres activites de Foucault pour la Societe. Le Comite a manque de clairvoyance a propos du procede de similigravure de Charles de Berchtold, de Vienne. « Ce procede n'a pas paru a la Commission une amelioration assez importante pour etre pris en consideration », peut-on lire dans le rapport final. II est
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pourtant devenu par la suite le principal precede de reproduction photo-mecanique8.
Les prix manques Etre membre d'une societe savante signifie que Ton est reconnu par ses pairs, mais cette reconnaissance devient vite automatique. Foucault avait regu bien d'autres honneurs : 1'attribution de la Legion d'honneur, et sa nomination a divers comites du Gouvernement tels que le Cornite consultatif des arts et manufactures, qui approuvait les brevets, donnait son avis sur certains tarifs et designait les industries insalubres10. Foucault fut decore par 1'Empereur du Bresil Dom Pedro II, grand ami des sciences et en particulier de 1'astronomie. La Royal Society de Londres lui a decerne sa prestigieuse medaille Copley. Aucune gratification n'accompagnait ces distinctions, et pourtant, les scientifiques avaientbesoin d'argent. La science commengait a peine a etre institutionnalisee par 1'Etat et les laboratoires industriels. Les chercheurs devaient financer eux-memes leur recherche : c'est ce qui a limite 1'activite de Foucault et de Fizeau dans les annees 1840. C'est la raison pour laquelle le Due de Luynes et d'autres mecenes prodiguaient des prix et des « encouragements ». L'Academic en distribuait des douzaines. Pourquoi Foucault n'en a-t-il jamais rec,u ? Certains prix etaient decernes sur la base de memoires rediges par les candidats sur un sujet impose. Dans le Journal des Debats, Foucault a critique certains de ces sujets. II les trouvaient soit trop difficiles (« Etablir les equations des mouvements generaux de 1'atmosphere terrestre »), soit sans interet (« La question posee ne presente pour ainsi dire aucune difficulte : il s'agit seulement d'executer un travail de longue patience ; nous verrons s'il se rencontre un physicien assez denue d'inspiration et assez desireux de gagner le prix pour se devouer a d'aussi ingrates recherches »)n. De plus, 1'Academie considerait qu'il n'y avait pratiquement personne qui fut digne d'un prix, sauf en medecine, comme 1'illustre le tableau 15.1. En 1859, un Moigno « triste, desappointe » deplorait qu'aucun des six grands prix pour les sciences exactes n'eusse ete attribue, et meme des prix de moindre importance. « Rien, au jugement de 1'Academic, n'aurait done ete invente ou perfectionne du ler avril 1857 au ler avril 1858, dans le triple domaine de 1'agriculture, de 1'industrie ou des sciences. » II citait de nombreuses inventions extraites des Comptes rendus de cette periode, incluant celle du miroir argente par Foucault, et demandait si « tant d'autres excellentes choses ne vaudraient pas une medaille d'or de QUATRE CENT CINQUANTE francs ! »12
Tableau 15.1. Le montant total des prix attribues par 1'Academie des sciences en 1852. Moigno en deduisait que 1'Academie des sciences ferait tout aussi bien d'echanger son nom et son siege avec 1'Academie de medecine.9 OF Mathematiques 477 F Statistique OF Physique 900 F Mecanique 850 F Physiologie OF Industries insalubres Medecine et chirurgie 28 200 F
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Cependant, Foucault brigua un prix important. Louis-Napoleon avait une predilection pour 1'electricite et avait presente a 1'Academie les experiences qu'il avait faites en prison (figure 1.9)13. Moins de trois mois apres son coup d'Etat, il ouvrait une competition pour cinq ans, dotee d'un prix de 50000 francs destine a recompenser 1'utilisation la plus utile de 1'electricite voltai'que (c'est-a-dire le courant fourni par des piles, en opposition avec 1'electricite statique). Comme dans le cas du prix du Due de Luynes, le comite fut incapable de faire un choix au bout des cinq ans ; il distribua quelques prix preliminaries, et le delai fut prolonge de cinq annees, la date limite devenant mai 1863. A cette epoque, Foucault avait ameliore son regulateur pour Tare electrique (voir le chapitre suivant). Le jury, dont le president etait Dumas, avaient une haute opinion de cette source de lumiere, mais c'est Ruhmkorff qui obtint le prix pour sa bobine d'induction14. Le comite montra ainsi beaucoup plus de perspicacite que celui du prix du Due de Luynes, dans lequel siegeait Foucault. Deja plus de 500 bobines de Ruhmkorff miniatures avaient etc produites pour allumer le gaz dans le premier moteur a combustion interne, qui avait etc invente quelques annees auparavant par J.J.E. Lenoir (1822-1900)15. Actuellement, on fabrique des dizaines de millions de bobines par an pour les besoins de rautomobile.
Le Bureau des Longitudes En 1862, Foucault fut nomme au Bureau des Longitudes. Cela peut nous surprendre, car a la suite de la reorganisation de 1854, qui detachait 1'Observatoire du Bureau des longitudes, le role de ce dernier etait de calculer et de publier des ephemerides a 1'usage des astronomes et des navigateurs, sous la forme de la Connaissance des Temps16. Foucault n'etait pas vraiment concerne, mais sa nomination conclut une periode pendant laquelle Poinsot et d'autres membres du Bureau, decedes, n'avaient pas ete remplaces, a cause de Le Verrier. Foucault n'etait pas la seule victime des exactions de Le Verrier : « Les resultats [... ] d'un caractere si infernal, sont vraiment effrayants : ceux-ci conduits au suicide, ceux-la rendus fous, d'autres tortures avec une tenacite sans pareille, un grand nombre de carrieres brisees [...]», telle etait 1'opinion du critique le plus virulent, son collegue en mecanique celeste Charles Delaunay (1816-1872). Le Verrier etait incontestablement capable d'apporter une contribution importante a la precision des calculs servant de base a la connaissance des temps. Aussi, il pouvait paraitre etrange a ses collegues etrangers qu'il ne fut pas nomme au Bureau des Longitudes, mais aucun des membres de ce Bureau ne pouvait le supporter. Quand il leur fallut finalement se decider, ils recommanderent au
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ministre de I'lnstruction publique les noms d'Ernest Laugier (le marl de la niece d'Arago, Lucie), de Delaunay et d'un militaire nomme Peytier. De son cote, 1'Academie refusa de recommander Le Verrier. Le probleme fut resolu d'un trait de plume par le ministre : les membres du Bureau seraient desormais 13 au lieu de 9, ce qui laissait 7 sieges vacants. C'etait exactement le nombre des candidats, qui furent done tous nommes : Delaunay, Peytier, Laugier, Faye, Villarceau — et Le Verrier et Foucault. En ce qui concerne Foucault, il s'agissait probablement d'une sinecure, mais dotee d'un salaire annuel de 3 000 francs : le discours d'Yvon Villarceau a ses funerailles ne mentionne aucune contribution specifique de Foucault au Bureau. Cependant, peu avant sa maladie, le Bureau lui avait commande un objectif de lunette17.
Les portes de VAcademic toujours fermees Les societes savantes ont pour tradition d'honorer des collegues etrangers en les nommant membres honoraires. Foucault a ainsi ete abondamment salue par des societes de Londres, de Geneve, de Berlin, de Saint-Petersbourg et d'ailleurs (tableau 15.2, figures 15.1 et 15.2), mais sa nomination a 1'Academie des sciences franchise a ete laborieuse et tardive. Foucault avait souvent manque de respect a cette auguste compagnie. Le texte suivant, du a un autre journaliste, montre qu'il n'etait pas le seul:
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Tableau 15.2. Les societes savantes qui ont elu Foucault comme membre etranger, et d'autres distinctions. Chevalier, 1850 Legion d'honneur, Paris Academie Pontificale, 1853 Rome Medaille Copley, 1855 Royal Society, Londres Societe Royale des 1856 Sciences, Liege LLD., Trinity College, 1857 Dublin Societe de physique et d'histoire naturelle, 1859 Geneve Academie imperiale des sciences, 1860 Saint-Petersbourg Academie des Sciences et 1862 Lettres, Montpellier Officier, 1862 Legion d'honneur, Paris Royal Astronomical Society, 1863 Londres 1864 Royal Society, Londres 1864 Royal Society, Edimbourg Academie royale des sciences 1865 de Prusse, Berlin
[... ] lorsque ces savants, dont le nom est connu de toute 1'Europe, siegent dans la grande salle de 1'Institut, lorsque Ton contemple ces larges fronts qu'ont agrandis les meditations profondes, et aussi les cheveux devenus rares, on s'imaginerait volontiers qu'on se trouve dans un sanctuaire [... ] Mais 1'aspect des seances ne repond pas a 1'ideal. Pendant que M. le Secretaire perpetuel depouille d'une fagon aussi ennuyeuse qu'ennuyee la correspondance, que de causeries qui ne temoignent pas d'une grande attention ! Et comme on regrette de voir ces doctes personnages s'echauffer bien plus vivement pour une querelle personnelle que pour une question ou la science est en jeu !18
Malgre tout, etre membre de 1'Academie etait tres prestigieux, bien plus que d'etre professeur a la Sorbonne ou membre de la Legion d'honneur. Au cours du XIXe siecle, 1'election a 1'Academie recompensait les realisations passees du candidat, plutot que son avenir prometteur. On etait rarement elu du premier coup, mais les candidatures precedentes donnaient un bonus pour les suivantes.
Figure 15.1. Certificat de 1'Academie de' Lincei.
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Lors de sa premiere candidature a 1'Academie en 1851, Foucault avait deja presente son pendule (« un des titres les plus importants de M. L. Foucault» d'apres un commentateur19) et avait obtenu un score surprenant (chapitre 10). Notre commentateur avait trouve 1'election « tres-curieuse ». Les suivantes devaient 1'etre plus encore20. Les academiciens jouissaient d'une sante robuste dans les annees 1850, et il fallut attendre 1857 que la mort mit fin aux « effrayantes elucubrations analytiques de Cauchy », liberant un siege en section de mecanique, auquel Foucault pouvait pretendre. Le 22 fevrier 1858, Foucault posa sa candidature21. Quelques jours plus tard, dans Cosmos, Moigno se faisait 1'echo d'une rumeur selon laquelle cette section ne considererait que des theoriciens. Mais « nous sommes heureux d'apprendre que ces bruits etaient faux », continuait-il, et il se faisait un plaisir de proposer sa propre liste, qui comportait des candidats tels que Foucault, Froment et Breguet a cote d'ingenieurs et de theoriciens comme Adhemar Saint-Venant (1797-1886), ingenieur en chef des ponts et chaussees, ou I'ingenieur des mines Emile Clapeyron (1799-1864)22. Moigno prenait ses desirs pour des realites : quand la section de mecanique produisit ses recommandations trois semaines plus tard, Foucault ne figurait pas dans la liste, qui ne contenait que des ingenieurs et des theoriciens. Cela emut les academiciens, mais ils n'eurent ni le courage ni 1'envie de changer quoi que ce soit : aucun nom ne fut ajoute a la liste23. Cependant, Foucault obtint trois voix au premier tour24. Cagniard de Latour fut le suivant a deceder, en 1859, et Moigno dressa une liste de huit successeurs potentiels (tableau 15.3), tout en suggerant que la taille de la section de physique, avec ses six sieges, etait loin de refleter 1'importance du domaine. Cette section plac.a Fizeau en tete, puis en second, Foucault et Edmond Becquerel exsequo, ajoutant un nom a la liste imaginee par Moigno. II fallut deux seances pour discuter les travaux des candidats. Finalement, Fizeau fut elu au second tour (tableau 15.4). Puis, un siege se libera dans la section de geographic et navigation. II n'est pas surprenant que Foucault n'ait pas ete parmi les candidats retenus par cette section : il a fallu attendre 40 annees avant que le gyroscope ne soit utilise en navigation25. Neanmoins, un quart des academiciens voterent pour Foucault au premier tour, le pla^ant en seconde position (tableau 15.5)26. Le commentaire de Moigno fut le suivant:
Figure 15.2. Certificats de diverses societes savantes.
Le fait que, sans avoir ete mis sur la liste, sans meme avoir ete considere comme candidat serieux, M. Leon Foucault a obtenu 16 voix, et quelles voix ! Les voix de MM. Boussingault, Dumas, de Senarmont etc., prouvent, il nous semble. de la maniere la
Enfin reconnu par ses pairs
plus frappante que la place de 1'habile physicien est depuis longtemps marquee a I'Academie, qu'il faut absolument que les portes lui en soient bientot ouvertes.27
Libere du joug II s'ecoula encore deux annees avant qu'un siege soit a nouveau vacant, a la suite du deces de Despretz, le vieil ennemi de Foucault. Foucault revisa sa notice de titres et travaux, qui comportait maintenant 34 pages. II semble qu'il n'ait pas accompli les visites rituelles a chaque academicien. « Les titres scientifiques [... ] seront done ma seule recommandation aupres des Membres de 1'Academic », ecrivit-il plus tard28. Fizeau etant elu, le concurrent de Foucault le plus serieux etait Edmond Becquerel. Les cinq membres de la section de physique etaient Antoine Becquerel, le pere d'Edmond, Pouillet, Fizeau, Babinet et J.M.C. Duhamel (1797-1872). Les deux premiers soutenaient Becquerel, les deux derniers Foucault. Quant a Fizeau, il etait, on s'en souvient, en mauvais termes avec Foucault. La section decida de se reunir en 1'absence de Duhamel, qui etait loin de Paris ; c'etait visiblement un coup monte par les partisans de Becquerel, et les chances de Foucault etaient minimes. Foucault en avait assez. II exprima ses sentiments dans une longue lettre a une correspondante de Montpellier, qui etait sans doute la femme de Donne, Marie-Antoinette. Cette lettre etait ecrite dans un style alerte, deformant volontairement des noms en Brequerel et en Fozeau, mais elle contenait un message serieux : Or je savais trop qu'une opposition organisee de longue main epiait tous mes f aits et gestes et ne manquait pas une occasion de faire des recrues parmi les honnetes gens qui votaient pour les fils, les gendres, les neveux et les petits cousins... Les parti-pris d'avance, les amours-propres froisses et meles avec les interets de famille rendaient done la position insoutenable et je ruminais dans mon coin aux moyens d'en sortir, lorsque 1'occasion fut subitement offerte par 1'Academie, occasion superbe, admirable et irreparable si je me hatais de la saisir au vol.29
Le 11 mai, 1'Academie se reunit en comite secret. Le compterendu de cette reunion montre que la section de physique avait classe Foucault et Becquerel a egalite, Fizeau s'etant finalement range du cote de Foucault30. Toutefois, ce dernier ne pouvait pas le savoir. Tandis que les academiciens s'appretaient a entendre les rapports sur les candidats, le secretaire perpetuel, Pierre Flourens, lut une
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Tableau 15.3. Le hasard favorise 1'ordre alphabetique ! La liste de candidats a la section de physique de 1'Academic, imaginee par 1'abbe Moigno en 1859, et la date de leur election ulterieure eventuelle a 1'Academie.
Date d'election Ed. Becquerel
P. Desains Fizeau Foucault Jamin de la Provostaye Verdet Wertheim
1863
1873 1860 1865 1868
Tableau 15.4. Resultats de 1'election a la section de physique de 1'Academic le 2 Janvier 1860. La preference pour Fizeau et Becquerel etait nette.
Premier tour Fizeau Ed. Becquerel
Foucault de la Provostaye
voix 24 20 14 1
Deuxieme tour Fizeau Ed. Becquerel
Foucault
30 25 3
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Tableau 15.5. Resultat des votes pour 1'election de 1861 a la section de geographic et navigation de 1'Academie. Foucault n'etait pas Candidat, mais se retrouva second.
Premier tour de Tessan Foucault Paris d'Abbadie Peytier
voix
25 16 9 7 2
Deuxieme tour de Tessan Foucault Paris d'Abbadie
38 13 7 1
lettre que Foucault venait juste d'adresser a 1'Academie, lettre qui demandait a Flourens d'etre [son] interprete aupres de 1'Academie, et de lui exprimer tous [ses] regrets de ne pouvoir lui offrir, en pareille circonstance, le modeste tribut de [ses] longues recherches.31
Quelle histoire ! D'apres Moigno, il y eut un « murmure d'etonnement» dans les banes dupublic32. Malgre tout, neuf academiciens voterent pour Foucault la semaine suivante33. Ayant retire sa candidature, Foucault etait soulage. II continuait ainsi sa lettre (figure 15.3): Mon but etait pleinement atteint. Les adversaires mesurant leurs efforts a la resistance presumee avait mis a nu leur turpitudes ; les ennemis intimes avaient repandu leur venin en pure perte. L'Academic toute entiere commettant une faute patente pour tout le monde, j'en ai profite pour secouer definitivement le joug des candidatures. Quant a 1'effet produit, il a depasse toute esperance ; 1'etonnement a ete jusqu'a la stupeur ; on voulait une apparence de discussion : on n'a eu qu'un morne silence. Certainement on s'en souviendra. Maintenant vous dirais-je qu'ils sont contents de moi ? Non, pas positivement; je n'avais pas non plus 1'intention de leur etre agreable; mais 1'important etait de m'emanciper en prenant une nouvelle attitude.
La femme du recteur repondit dans le meme style : Merci Monsieur Foco [... ] je ne puis que vous feliciter sincerement d'avoir brule vos vaisseaux d'une maniere aussi noble ! Ce n'etait pas la peine de tant remuer et de tant s'agiter ; mais 1'ombre de votre nom suffit a epouvanter les gens et qui se sent morveux se mouche, dit vulgairement le proverbe !34
Figure 15.3. « Quant a 1'effet produit [... ] ecrivait Foucault apres avoir retire sa candidature a 1'Academie en 1863,1'etonnement a ete jusqu'a la stupeur. »
Enfin reconnu par ses pairs
Persuade par ses amis « Foucault n'avait pas une grande ambition de 1'Academie », ecrivit plus tard Donne. Les reunions du jeudi matin a son domicile lui importaient bien davantage35. Ay ant brule ses vaisseaux d'une fac.on spectaculaire, il ne reagit pas lorsque le prochain siege convenable fut vacant, ce qui se produisit au mois de Janvier suivant a la suite du deces de Clapeyron, elu en 1858 dans la section de mecanique. La section, dont le membre le plus jeune etait ne en 1801, ne se pressait pas pour proceder au remplacement de Clapeyron. En mars, Saint-Venant dut presenter sa candidature par ecrit. Pourtant ce n'etait pas un inconnu, puisqu'il suivait immediatement Clapeyron lors de 1'election de ce dernier. Un nomme Burdin, correspondant de 1'Academic qui s'etait installe a Paris, dut lui aussi rappeler son existence a la section, de meme que Passot, un mecanicien celeste peu connu35. L'Academie etait consciente de 1'avantage qu'il y aurait a compter des gens haut places parmi ses membres, et d'autres candidats se firent connaitre. Le Marechal Vaillant, un familier de LouisNapoleon, avait ete elu sans difficulte en 1853 comme academicien libre. Le Colonel Fave, 1'aide de camp de 1'Empereur, etait professeur d'artillerie a 1'Ecole Poly technique. II avait un certain nombre de publications a son actif, et ses innovations avaient ete utiles pendant la guerre de Crimee. L'artillerie etant fondee sur la mecanique, il se decida a postuler, produisant la notice habituelle36. Fave avait ete 1'intermediaire de la generosite de 1'Empereur envers Foucault, aussi bien qu'envers Pasteur, aussi rendit-il visite a ce dernier. Ennuye, celui-ci lui repondit cependant avec franchise : Que j'etais loin de prevoir, Monsieur, que si j'avais un jour la satisfaction d'apprendre que vous etiez candidat a une place vacante a 1'Academie, je serais parmi ceux qui ne contribueraient pas a votre succes. C'est cependant le vif chagrin qui m'etait reserve. Je ne vois pas le moyen de ne pas voter pour M. Foucault, s'il se presente, ce que j'ignore, car on ne sait pas toujours bien ce qu'il a dans Tame. Si son election n'est pas sure, j'aurais la consolation de vous porter au second tour.37
Quelle que fut la position de Foucault sur sa propre candidature a 1'Academie, ses amis consideraient qu'il y avait sa place. II fallait monter une campagne plus efficace qu'en 1858 pour persuader les academiciens de 1'admettre en section de mecanique. L'ami Joseph Bertrand se mit au travail, mettant, selon Moigno « loyalement, vigoureusement sa popularite academique si grande au service de I'impopularite aveugle et desesperante de M. Leon Foucault ». Bertrand ecrivit un « glorieux panegyrique » de « vingt pages eloquentes » en faveur de Foucault dans la Revue des Deux Mondes,
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un mensuel a grand tirage, fonde dans le but de renforcer les relations entre la France et les Etats-Unis, qui publiait des articles sur 1'actualite politique, sociale, litteraire et scientifique38. Puisque le siege vacant se trouvait en section de mecanique, Bertrand avait intitule son article Des progres de la mecanique. En voici le debut: L'Evangile a dit: « Celui qui croit ne sera pas juge ». Les savants devraient s'inspirer de cette maxime et dire a leur tour : Celui qui trouve ne sera pas juge39. Toute methode qui fait trouver doit etre accueillie avec reconnaissance, et quiconque apporte une verite nouvelle doit toujours etre bien regu. [... ].40
Bertrand poursuivait par le raisonnement suivant. La geometric et la mecanique ont ete bouleversees respectivement par Descartes et Lagrange, qui ont introduit un formalisme mathematique qui perrnet une analyse algebrique generale. Ces puissantes techniques ont acquis « une autorite, je dirais presque une tyrannic », qui conduisirent a 1'idee que la geometric de Descartes et la mecanique de Lagrange etaient les seules justifications theoriques valables et acceptables. Mais n'etait-il pas aussi valable, et plus pres de la Nature, de penser la geometric en termes de droites, de triangles, etc., et la mecanique en termes de mouvements et de lois de Newton ? « Dans la mecanique, rien ne dispense de considerer les choses en elles-memes », ecrivait-il. II comparait alors Foucault a feu Poinsot. Poinsot s'etait attache a dormer une description physique de la rotation de solides arbitraires. Ses resultats etaient inclus dans la mecanique de Lagrange, mais Poinsot les avait obtenus independamment. II en etait de meme pour Foucault. II n'y avait pas de nouvelle physique dans ses experiences du pendule et du gyroscope, mais depuis Galilee et Newton, personne n'avait imagine avant lui que la rotation de la Terre pourrait etre demontree aussi aisement. Poinsot et Foucault avaient tous deux « le meme sentiment profond de la realite ». L'exces de louange peut nuire, aussi Bertrand mentionnaitil quelques defauts des deux hommes : [... ] ils temoignent pour les routes battues le meme eloignement, pousse parfois a 1'injustice ; ils considerent tous deux, avec un dedain que je ne partage pas, les travaux estimables qui [... ] ressemblent au devoir d'un bon ecolier, et pour ajouter enfin un dernier trait qui leur est commun, tout ce qui dans la science ne leur semble pas clair n'existe pas a leurs yeux.
Bien entendu, Bertrand rappelait que Poinsot avait ete longtemps membre de 1'Academie dans la section de geometric, et le lecteur etait cense en conclure que Foucault devait avoir sa place dans celle de mecanique. Bertrand mettait ensuite en valeur le pendule et le gyroscope, et evoquait le travail de Foucault sur les regulateurs. II
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terminait en affirmant qu'on pouvait certainement faire des decouvertes en suivant un chemin bien trace, et qu'on ne pouvait que recommander un tel cheminement a un jeune chercheur, « en souhaitant peut-etre tout bas qu'il se sente assez fort pour ne pas le suivre ». Foucault fut flatte. « Get article [... ] est le plus beau jour de ma vie », ecrivit-il a De la Rive a Geneve; mais il n'en fut pas pour autant convaincu de poser sa candidature : « II y a deja un certain temps que je ne vise plus de ce cote la. »41 La section de mecanique continuait a chipoter sur le choix des candidats. Alors, le 26 decembre, Saint-Venant prevint qu'il se retirait. En comite secret, la section proposa finalement une liste de deux noms : Edouard Phillips et Eugene Rolland, qui etaient tout a fait representatifs de la section, sauf en ce qui concernait 1'age. Aussi, des academiciens exterieurs a la section suggererent qu'on ajoute Fave a la liste, ainsi que Foucault42. Figuier nous dit que Foucault prenait ses decisions rapidement, et qu'elles etaient en general irrevocables. Toutefois, ses amis ont du le presser de postuler, et 1'article de Bertrand etait sans doute autant destine a convaincre Foucault que 1'Academie. II finit done par se decider. II n'avait plus le temps d'ecrire une nouvelle notice, si bien qu'il se contenta d'aj outer quelques pages a celle de 1863. II distribua le tout a la seance suivante de 1'Academie, accompagne d'une lettre a son president: La place devenue vacante dans la Section de Mecanique [... ] semblait dans 1'opinion de la Section ne pouvoir etre accessible qu'a un savant qui aurait reussi a se distinguer par des travaux de Mecanique analytique [... ] Cependant la discussion a pris une dimension qui tend a elargir le champ ouvert aux candidats ; je demande done la permission de ceder aux conseils des personnes amies qui, dans 1'Academie, considerent mes derniers travaux de Mecanique appliquee comme etant de nature a m'attirer leurs suffrages.
La discussion qui s'ensuivit dut etre agitee ; apres deux tours de scrutin, les noms de Fave et de Foucault furent tous deux ajoutes a la liste des candidats proposes par la section, par 30 et 35 voix respectivement. « Les chances de 1'election sont en ce moment pour M. Foucault», remarqua Moigno43. Les academiciens discuterent les merites respectifs des quatre candidats pendant une heure et quart, apres quoi les membres du comite secret se separerent. Le lundi suivant, 61 des 64 membres de 1'Academie etaient presents pour le scrutin. La majorite absolue etait requise, et Fave la
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Tableau 15.6. Enfin le succes ! Foucault elu a 1'Academie des sciences, par un vote tres serre.
16 Janvier 1865 Premier tour Fave Foucault Phillips Rolland
voix 30 20 10 1
Deuxieme tour Foucault Fave Phillips
30 29 2
Troisieme tour Fave Foucault
23 Janvier 1865 Foucault Fave bulletin blanc
30 30 voix 31 28 1
manqua d'une voix au premier tour (tableau 15.6). Les deux candidats de la section recueillirent peu de voix. Au deuxieme tour, ceux qui avaient vote pour Phillips se reporterent en majorite sur Foucault, qui manqua a son tour la majorite absolue d'une voix. II y eut egalite au troisieme tour, 1'un des academiciens s'etant abstenu. Le president, Joseph Decaisne, professeur au Museum, consulta le reglement et decida de reporter le vote final a la semaine suivante. « L'emotion pendant le vote et a chacune de ces peripeties a ete tres-grande » ! D'apres Moigno, « les vceux des assistants etaient visiblement pour M. Leon Foucault ».44 On imagine quelle dut etre 1'agitation au cours de cette semaine. Les ballottages ont surement rappele a Foucault les interminables tours de scrutin lors de sa premiere candidature quatorze ans plus tot (tableau 10.2), et il a du se mordre les doigts de s'etre represente. Fave devait penser la meme chose. Fave etant lie a 1'Empereur, et 1'Empire etant de plus en plus critique, on pouvait interpreter les votes en sa defaveur comme des votes politiques. « Et voila comment M. Fave, homme modeste et excellent, s'est trouve fourvoye dans une intrigue qu'il n'avait pas cherchee », remarquait un commentateur45. Qui done s'etait abstenu lors du troisieme tour ? On eut la reponse lors du vote final du 23 Janvier. Les banes du public etaient combles. Juste avant le scrutin, le vieux Pouillet annon^a que « dans 1'interet de la science », il ne voterait pour aucun des deux candidats, car ni 1'un ni 1'autre, selon son opinion, ne se presentait dans la bonne section. Notre commentateur attribua des motifs moins nobles a cette attitude : Pouillet n'aimait pas Foucault, et avait des griefs personnels envers le Second Empire. Pendant le depouillement, 1'assistance retint son souffle. Foucault, obtint 31 voix et Fave 28. Un murmure d'approbation fusa du public, il y eut meme des applaudissements vite reprimes par le president. Plusieurs academiciens se precipiterent hors de la salle pour annoncer la nouvelle, suivis par une grande partie du public. L'election, dit un journaliste, etait « unique dans les annales de 1'Institut », et on en parlait encore quatre decennies plus tard, a la mort de Bertrand46. Napoleon III approuva dans les deux jours la recommandation de 1'Academie. « On trouverait peu d'exemples d'une approbation aussi prompte, ecrivit Moigno, et cette promptitude prouve surabondamment que la nouvelle election a ete accueillie [... ] en haut lieu avec une vive sympathie. »47 L'Empereur eut sans doute des paroles de consolation pour son aide de camp, mais Fave dut attendre 1876 avant d'etre elu a 1'Academie.
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Une des joies de sa vie Bertrand rapporte que son election a 1'Academic a etc pour Foucault « une des joies de sa vie », d'apres sa propre expression. Toutefois, sa joie a du etre temperee par la mort, survenue peu apres, de Gustave Froment, avec lequel il avait entretenu une fructueuse collaboration48. Selon son habitude, Foucault fut tres assidu, ne manquant que huit des 127 seances de 1'Academic avant qu'il ne tombe malade en juillet 1867. Suivant la tradition, il presenta le travail de ses amis et d'autres personnes exterieures a 1'Academie, et servit souvent d'intermediaire49. II fut elu a des comites charges de distribuer les prix de 1'Academie. Ironie du sort, il arriva que Tun de ces comites decide qu'aucun des travaux presentes n'etait digne du prix. Une autre fois, le sujet impose etait la mesure des indices de refraction, ce qui demandait de la patience mais pas d'imagination50. Pourquoi 1'election de Foucault fut-elle si difficile ? Outre la malchance, « ses airs de pacha a trois queues », qu'avait releves notre commentateur, n'etaient pas du gout de tout le monde. Certains ne le consideraient pas comme un vrai physicien puisqu'il n'avait pas suivi d'etudes superieures apres son baccalaureat, et que ses competences en mathematiques etaient limitees. « Nous sommes des amateurs », plaisantait-il avec Donne. « Nous n'avons ete ni a 1'Ecole Polytechnique, ni a 1'Ecole Normale, nous ne sommes pas les eleves de tel ou tel maitre. » Foucault ne faisait done pas partie de la coterie des anciens eleves des grandes ecoles, ni, en consequence, de celle de la section de mecanique, qui de 1847 a 1885 n'a comporte que des polytechniciens, a la seule exception de Foucault. Mais la raison principale, relevee par tous les commentateurs, doit etre recherchee dans les inimities creees par ses articles dans les journaux. Joseph Bertrand ecrivit plus tard que « des personnages considerables » de la science avaient essaye d'attirer 1'attention du jeune journaliste, moins soucieux peut-etre de son opinion que de ses louanges. Froidement poll, attentif a la verite seule, Foucault jugeait avec choix, avec etude et reflexion, sans accorder ni promettre aucune complaisance. Ce jeune homme [... ] osait impatienter par sa tranquille assurance, irriter par son audacieuse franchise, exasperer quelquefois par sa fine ironie ceux qui superbement se croyaient ses maitres et qu'attendait souvent 1'oubli. II excitait de vifs ressentiments et faisait naitre de patientes rancunes.51
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Cette page est laissée intentionnellement en blanc.
Chapitre 16 Les regulateurs: a la recherche de la fortune En 1855, dans le Journal des Debats, Foucault consacra un feuilleton a une nouvelle turbine conc.ue par son ami 1'ingenieur hydraulicien L.-D. Girard, turbine destinee a alimenter la chocolaterie Menier a Noisiel-sur-Marne, a Test de Paris. Outre 1'absence de pales fixes, cette turbine comportait une autre innovation : un rotor de 5 metres de diametre pesant 6 tonnes, creuse de canaux helicoidaux qui s'evasaient pour tenir compte de la deceleration de 1'eau. Plus encore que 1'invention, Foucault admirait 1'efficacite de 1'industrie : La roue helice n'a pas eu d'enfance ; on n'a pas fait subir a 1'auteur l'humiliation du modele au dixieme ; de la conception on a passe immediatement a 1'execution en grand [... ] en moins de temps qu'il ne faut aux commissions academiques pour exprimer seulement une opinion.1
Encourage par cet exemple, et peut-etre aussi par les revenus qu'il tirait de la commercialisation de ses telescopes par Secretan, Foucault delaissa desormais la recherche fondamentale pour la recherche appliquee. II fit breveter toutes ses inventions en France, et les principales en Angleterre et en Belgique2. Comme 1'expliqua plus tard son ami Jules Lissajous, la motivation de Foucault n'etait pas la recherche de la richesse en elle-meme : Foucault entrevoyait une brillante fortune, non point qu'il rut avide d'argent, mais la fortune, c'etait pour lui 1'independance. Cette independance complete et absolue qu'il desirait si ardemment, c'etait la possibilite de realiser ses grandes idees dans un laboratoire modele avec des instruments de prix. C'etait, apres tant d'annees de travail penible, le confortable dans le travail.3
Le controle de la lumiere Nous avons deja parle de Jules Duboscq, constructeur d'instruments qui fabriquait entre autres des stereoscopes (figure 16.1). Au debut des annees 1850, Foucault avait ete charge d'acheter quelques vues stereoscopiques de Duboscq pour un cousin de province (« Je veux
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Figure 16.1. Daguerreotype stereoscopique de 1'opticien et constructeur d'instruments parisien Jules Duboscq (1817-1886). Le stereoscope a ete invente par Wheatstone et perfectionne par Brewster, mais c'est Duboscq qui en fit un succes populaire apres que la Reine Victoria 1'eut admire a la Grande Exposition de 1851 en Angleterre. Un des triomphes du stereoscope etait la possibilite de voir la Lune en relief (au moyen de deux poses decalees dans le temps).
qu'il n'y ait rien qui puisse choquer », prevenait le cousin !). C'est a cette epoque que Foucault fut immortalise en relief par Duboscq (figure 16.2). Foucault connaissait deja Duboscq : le beau-pere de celui-ci, J.B.F. Soleil, avait fourni des elements pour 1'arc electrique de Foucault en 1849, et Duboscq, qui lui avait succede, fabriquait un arc plus compact et plus aisement commercialisable que 1'enorme prototype de Foucault (comparer les figures 8.12 et 8.8). II est done comprehensible que ces deux hommes se soient assoces.
Figure 16.2. Daguerreotype stereoscopique de Foucault pris par Duboscq. D'apres 1'apparence de Foucault, cette vue date du debut ou du milieu des annees 1850.
L'heliostat Le but d'un heliostat est de renvoyer la lumiere du Soleil dans une direction fixe, en compensant le mouvement diurne de 1'astre. Dans sa jeunesse, Foucault avait fait un usage intensif de 1'heliostat de
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Silbermann (figure 4.5), fabrique par Soleil puis par Duboscq. C'etait un mecanisme delicat qui ne pouvait entramer qu'un petit miroir leger, si bien que le faisceau reflechi ne depassait pas 5 centimetres de large. Le tirage photographique sur papier des negatifs sur verre, dont Duboscq etait un pionnier, exigeait un faisceau bien plus large. Au debut de 1861, Duboscq produisait un heliostat pour le developpement photographique dont le miroir massif avait 80 centimetres de diametre, ce qui convenait pour tirer les grands negatifs de 27 centimetres; mais la poursuite du Soleil se faisait manuellement4. Le premier microscope photo-electrique de Foucault presentait la meme contrainte, et Foucault a du s'en souvenir lorsqu'il s'est demande comment realiser un mouvement d'horlogerie capable d'entrainer automatiquement un grand miroir d'heliostat. Dans son concept simple et robuste, un pilier solide muni d'une fourche supportait le poids du miroir, qui mesurait 30 centimetres par 15 centimetres. On peut en comprendre le fonctionnement a 1'aide de la figure 16.3. La loi de la reflexion exige que le miroir reste oriente symetriquement par rapport a la direction du Soleil, qui change continuellement, et a la direction fixe ou Ton veut renvoyer la lumiere. En d'autre termes, la normale au miroir est la bissectrice du rayon incident et du rayon reflechi. Foucault a adapte un entrainement equatorial avec son axe polaire et son axe de declinaison, le miroir lui-meme etant entrame avec une alidade. Alors que 1'heliostat de Silbermann pouvait etre installe a n'importe quelle latitude, 1'axe polaire de l'instrument de Foucault etait fixe pour simplifier, 1'instrument ne pouvant done fonctionner qu'a une latitude donnee. L'alidade entrainait le miroir par des glissieres. Get heliostat n'etait pas completement nouveau. II etait inspire d'un instrument conq:u au XVIIP siecle par le hollandais Willem'sGravesande5. II etait cependant bien plus facile a installer, et le
Figure 16.3. Un petit heliostat congu par Foucault et construit par Duboscq au debut de 1862. Un mouvement d'horlogerie dans la boite cylindrique entrainait 1'axe polaire avec la meme vitesse que celle du Soleil, et 1'alidade suivait done le Soleil. La direction XM du faisceau reflechi etait determinee en orientant le bras PQ. La construction mecanique etait telle que SXM etait un triangle isocele avec i = r, ce qui donnait une direction de reflexion fixe.
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faisceau reflechi etait plus stable, non aplati, et pouvait etre dirige suffisamment au nord. Foucault breveta le principe en mars 1862, et Duboscq montra 1'instrument le meme jour a 1'Academic6. II disait que 1'instrument serait utile non seulement pour la photographie, mais aussi pour des demonstrations de cours et pour 1'astronomie. Nous reparlerons de cette derniere application au prochain chapitre. Sept mois plus tard, Foucault et Duboscq construisaient un modele encore plus grand, destine specifiquement aux agrandissements photographiques. Son miroir de 80 x 40 centimetres donnait un faisceau de 30 a 40 centimetres (figure 16.4). Cet heliostat geant fut presente dans 1'antichambre de l'Academie, ou, d'apres Moigno, il suscita 1'admiration generale8. Cependant, il ne semble pas que les heliostats de Foucault aient ete des succes sur le plan commercial, et le brevet fut abandonne apres quelques annees9. Des usages tels que 1'eclairage de pieces sombres n'etaient pas rentables10. Les plaques photographiques devenant de plus en plus petites et de plus en plus sensibles, ces enormes faisceaux lumineux devenaient inutiles. La limitation a une latitude particuliere etait peut-etre genante, et surtout, comme nous aliens le voir, 1'arc electrique devenait enfin une source de lumiere facile a utiliser et fiable, a la fois au laboratoire et dans les amphitheatres.
A nouveau Tare electrique
Figure 16.4. Le grand heliostat Foucault-Duboscq pour les agrandissements photographiques, construit a 1'automne 1862. Le principe etait simplifie en supprimant 1'ajusternent en hauteur du faisceau reflechi. Le miroir de 80 x 40 centimetres etait monte sur galets pour reduire les frottements. Un ressort a 1'interieur du pilier aidait a 1'entrainement du miroir quand une force importante etait necessaire dans des orientations difficiles.7
Tout en travaillant a 1'heliostat, Foucault n'oubliait pas 1'arc electrique. II existait un marche rentable. Au cours des dix annees precedentes, Duboscq avait vendu 280 de ses regulateurs11, et le moment etait venu de tester une nouvelle source d'electricite devenue disponible en remplacement des piles de Bunsen tres onereuses et peu pratiques. Elle devait permettre de passer d'un usage limite au laboratoire a une utilisation plus generale. La nouvelle source de courant etait le generateur fabrique a Paris par la Compagnie L'Alliance (figure 16.5) dirigee par un certain Auguste Berlioz12. La machine s'inspirait de celle de F. Nollet, professeur de physique a 1'Ecole militaire de Bruxelles ; une machine semblable avait ete construite a Londres par F.H. Holmes, qui avait travaille pour la Compagnie L'Alliance. Ce generateur etait une magneto, comprenant des aimants permanents fixes arranges en couronne, qui induisaient des courants alternatifs dans des bobinages tournants. Pour la galvanoplastie, il fallait redresser ces courants grace a un collecteur a lames et des balais, mais un collecteur annulaire simple suffisait quand on pouvait se contenter de courants alternatifs, par exemple pour alimenter un arc. La magneto etait robuste et d'entretien aise, et pouvait etre actionnee par une machine a vapeur, engin tres commun a 1'epoque.
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Figure 16.5. Dans les annees 1860, la magneto de la Compagnie L'Alliance etait une source d'energie moins problematique que les piles de Bunsen. Une machine a vapeur de 3 ou 4 chevaux suffisait a alimenter un arc electrique.
Dans les annees 1850, on avait construit de nombreux regulateurs pour Tare electrique. Pour allumer Tare, il fallait mettre les electrodes en contact, puis les separer ; cependant le mecanisme de Foucault, comme tous les autres, ne pouvait que rapprocher les electrodes, si bien qu'il fallait allumer Tare manuellement, une operation particulierement delicate pour un phare eleve au-dessus d'un quai ou une lumiere en haut d'un mat de navire. Ce probleme avait ete resolu par un denomme Victor Serrin a Paris, qui avait construit un arc a auto-allumage en 1860 (figure 16.6). Le poids de 1'electrode superieure suffisait a la rapprocher de 1'electrode inferieure. Pour maintenir la source de lumiere en place, un engrenage deplagait les electrodes dans un rapport 2, celui de leur usure respective. De plus, 1'electrode inferieure etait montee sur un bras pousse par un ressort, qui etait normalement retenu par un electro-aimant monte en serie avec 1'arc. Si 1'arc etait souffle par le vent, ou si le courant etait interrompu un instant, 1'electrode inferieure remontait pour rallumer 1'arc. Cosmos ecrit qu'en juin 1861, aux Invalides, Foucault a assiste a une demonstration de 1'arc de Serrin alimente par une magneto, elle-meme entrainee par le moteur a combustion interne de Lenoir13. I/installation etait construite « pour un riche amateur du Bresil, lecteur assidu du Cosmos, et auquel aucune de nos grandes nouveautes n'est etrangere ». Ce personnage etait probablement 1'Empereur du Bresil, Dom Pedro II. C'est peut-etre cet auguste client, et la facilite avec laquelle on pouvait maintenant produire 1'electricite, qui ont conduit Foucault a s'interesser a nouveau a la regulation de 1'arc electrique et a son avenir commercial. II savait sans doute aussi que le brevet franc.ais de Staite et Petrie allait bientot arriver a expiration.
Figure 16.6. Une des formes de 1'arc electrique a auto-allumage de Serrin, dans les annees 1860.
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Figure 16.7. Le repartiteur de Robert-Houdin. Grace a la came C, tiree par un ressort r, la position de 1'armature AF et des ancres H variait uniformement avec le courant dans 1'electroaimant E.
Figure 16.8. Schema du systeme d'engrenages du regulateur ameliore de Foucault pour 1'arc electrique. Trois engrenages sont montes libres sur 1'axe principal pq. Us sont connectes par les engrenages planetaires 6 et k, ce qui permet aux ressorts spiraux contenus dans les boites M et N d'entrainer dans les deux directions les tiges G et I auxquelles sont attachees les electrodes.
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Dans son regulateur ameliore, Foucault eut recours a un principe different pour deplacer les electrodes. Comrne a son habitude, il fit appel a un mouvement d'horlogerie. II utilisa deux trains d'engrenage agissant en sens oppose, 1'un pour separer les electrodes et 1'autre pour les rapprocher. Pour controler le mouvement, des ancres bloquaient 1'un ou 1'autre des trains, ou les deux. Ces ancres etaient actionnees par un electroaimant monte en serie avec Tare. En 1849, il n'avait besoin que de deux positions : avance et arret, et un simple relais etait suffisant. Maintenant, il lui en fallait trois : avance, arret et arriere. Cela supposait de mouvoir de fac.on progressive 1'armature a laquelle etaient fixees les ancres, ce qui n'est pas evident avec un electroaimant dont la force d'attraction augmente tres vite quand la piece de fer se rapproche du pole. Foucault adopta une solution inventee par Jean-Eugene Robert-Houdin (18051871), un horloger de talent, plus connu aujourd'hui pour ses talents de prestidigitateur et de magicien : Robert-Houdin s'etait suffisamment enrichi avec ses soirees fantastiques pour pouvoir se consacrer entierement a la science et a la technologic, mais on ne le prenait pas toujours au serieux en raison de sa reputation d'amuseur public14. Foucault, cependant, le considerait suffisamment pour adopter son repartiteur dans son arc electrique. La figure 16.7 montre Tune des versions de cet appareil, qui fut presentee a 1'Academic en 1855 et a 1'Exposition universelle15. Ce double mecanisme demande de nombreux rouages. Afin que les charbons puissent se deplacer dans les deux sens, il fallait connecter les entrarnements differentiellement avec des engrenages planetaires. Dans ce systeme, un engrenage monte sur un axe principal porte un engrenage secondaire monte sur un axe decale, lequel s'engage sur un autre engrenage libre autour de 1'axe principal (figure 16.8)16. Foucault testa d'abord ces modifications sur un de ses vieux arcs de 184917, mais la commercialisation exigeait un appareil plus compact et plus solide. C'est alors qu'intervint Duboscq, et le produit fut brevete a rautomne de 1863 (figure 16.9).18 Les innovations indiquees dans le brevet etaient 1'utilisation d'engrenages planetaires, le controle a trois positions des charbons, et le fait que le noyau de 1'electroaimant et 1'armature etaient feuilletes. Ce feuilletage etait necessaire pour 1'alimentation par une magneto Alliance, dont le courant alternatif aurait donne trop de courants induits, et done d'echauffement, dans des pieces de fer doux massives. On pouvait ajuster la verticalite de 1'arc, ce qui etait important dans les alignements optiques. Le fait que les electrodes soient mues par un mouvement d'horlogerie et non pas par leur propre poids permettaient d'utiliser 1'arc dans n'importe quelle orientation, ainsi que sur des plates-formes peu stables comme des navires. II suffisait sans
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doute de remonter les ressorts quand on changeait les charbons, ce qui n'occasionnait aucune difficulte supplemental lorsque 1'arc se trouvait dans des lieux peu accessibles. Avec le courant alternatif, les electrodes s'usaient de la meme fac.on, et le rapport entre les trains d'engrenages etait de 1 ; mais il etait facile de passer a un rapport 2 pour I'utilisation en courant continu : il suffisait d'une boite de reduction, ce qui fut fait quelques annees plus tard, juste avant la mort de Foucault.
Essais de phares au Cap de La Heve La securite des voyages actuels nous a fait oublier les dangers qui attendaient le voyageur en mer jusqu'au milieu du XXe siecle. Lors de son retour de Liverpool, Foucault decrivait a son ami Jules Regnauld un fait qui 1'avait beaucoup impressionne : Je ne t'ai pas parle, mon bon, de ma visite a bord d'un magnifique steamer, VArclique, destine a faire le service des passagers de Liverpool a New York. C'est pourtant un des premiers evenements de mon voyage [... ] C'est un moteur de mille chevaux, c'est tout ce qu'on peut imaginer de plus majestueux et surtout de plus rassurant; j'enviais le sort d'un de mes compagnons de voyage, qui devait continuer la route sur ce continent flottant, j'enviais jusqu'aux matelots qui recuraient son auguste pont. Eh bien, mon cher, I'Antique n'est plus ; pris au flanc par un vapeur francais, aux environs de Terre-Neuve, il a coule d'une piece dans 1'abime, avec les trois quarts des passagers. Encore une fois, la mer est traitre, et des que vous vous embarquez, le cas de mort est pose.19
L'arc electrique devait ameliorer la securite maritime en augmentant la luminosite des phares et en eclairant mieux les navires la nuit. La Commission des phares avait essaye des arcs electriques dans les annees 1840, mais elle ne les avait pas retenus car ils necessitaient des piles, dont 1'usage etait malaise dans des lieux peu accessibles. La magneto devait faire changer 1'avis des specialistes des deux cotes de la Manche, et le premier arc operationnel fut installe le 8 decembre 1858 au phare du South Foreland, pres de Douvres. II utilisait un regulateur de Duboscq, alimente par une magneto de Holmes. Quelques annees plus tard, on essay a deux magnetos Alliance dans les phares jumeaux du Cap de la Heve, pres du Havre, a 1'endroit ou la Seine rejoint la Manche (figure 16.10). Grace a son association avec Sautter, Foucault devait savoir ce que faisait la Commission des phares, et reciproquement. Puisque les anglais avaient installe un regulateur de Duboscq au phare du South Foreland, il n'est pas etonnant que la Commission ait teste le
Figure 16.9. L'arc electrique de Foucault-Duboscq etait le nee plus ultra dans les annees I860, mais sa complexite le rendait mal adapte a 1'utilisation courante.
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Figure 16.10. Les phares jumeaux au Cap de La Heve ou le dangereux estuaire de la Seine rejoint la Manche. En 1863, la lampe a arc de Foucault fut essayee dans le phare sud (a droite), mais c'est le regulateur de Serrin qui fut finalement adopte lorsque le phare fut electrifie en 1865. Les deux phares ont ete detruits par 1'artillerie alliee en 1944, a la Liberation.
regulateur de Foucault-Duboscq en meme temps que celui de Serrin, lors des essais qui commencerent juste apres Noel 186320. Pour avoir plus de lumiere, on avait superpose deux exemplaires de chaque regulateur dans le phare sud. Le succes fut immediat. Un seul arc fournissait une lumiere equivalente a celle de 3 500 lampes Carcel, soit plus de cinq fois autant que la lampe a 1'huile de colza du phare nord. La lumiere electrique donnait une portee plus grande (sauf par temps de brouillard) et revenait a peine plus cher. « II y a autant de difference entre les phares qu'entre une chandelle et un bee de gaz », declarait un des pilotes locaux. C'est le regulateur de Serrin qui fut retenu. Celui de Foucault presentait deux inconvenients. II necessitait une isolation electrique supplemental car son corps principal etait relie a 1'electrode inferieure, et de plus, il avait eu deux pannes : le mecanisme avait trop separe les charbons Tun de 1'autre, mais nous ne connaissons pas la cause de cette panne. Duboscq y remedia ulterieurement en arretant les charbons par des butees, mais il etait trop tard : le regulateur de Serrin avait deja ete choisi pour 1'electrification de La Heve en 1865, puis plus tard pour celle d'autres phares frangais.
Un miracle dans Tempire de Neptune Le naufrage de VAntique n'avait rien d'exceptionnel a 1'epoque. Faute d'eclairage, les naufrages avaient surtout lieu la nuit. A la fin des annees I860, 1'abbe Moigno faisait campagne pour que les navires soient equipes de projecteurs electriques, citant de nombreuses collisions de navires qui s'etaient produites de nuit : le Warrior, le Royal Oak, le Calcutta, le Montebello, La Flandre, le Latouche-Treville,
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le Prince-Pierre, le General Abbatucci, le Marquis of Abercorn, le Lord Gough... parmi les quelque 2000 collisions enregistrees en 186721. La situation devait changer lorsque le cousin de 1'Empereur, le Prince Jerome-Napoleon, acquit un nouveau yacht, baptise de fac.on peu modeste le Jerome-Napoleon, comme son precedent navire !22 C'etait un aviso reconverti. Les avisos etaient des navires mixtes voile/vapeur d'environ 50 metres de long, jaugeant quelques centaines de tonnes, equipes de machines d'environ 150 chevaux. Le prince desirait que son yacht fut equipe des derniers perfectionnements, incluant la lumiere electrique. On y installa done un generateur Alliance en mars 1867. Moigno remarqua avec enthousiasme qu'il y aurait un projecteur de Sautter equipe d'une lampe a arc de Foucault (figure 16.II)23. Deux semaines plus tard, le capitaine du yacht, M. Georgette du Buisson, avertissait Moigno que le projecteur etait un grand succes, et ajoutait avec beaucoup d'optimisme que les collisions etaient maintenant devenues « impossibles ».24 Un an plus tard, apres la mort de Foucault, le projecteur electrique fit « dans 1'empire de Neptune son premier miracle », comme 1'ecrivait un Moigno poete25. L'aviso Le Renard avait quitte Cherbourg pour 1'Angleterre, sans doute porteur d'un message destine au gouvernement de Sa Majeste, message trop hatif car on decida immediatement qu'il fallait arreter le navire en route. Le Jerome-Napoleon fut envoye pour 1'intercepter. Le Capitaine Georgette du Buisson localisa rapidement 1'aviso grace a son projecteur (figure 16.12): De son cote, le pauvre Renard, inonde subitement de ce flot de lumiere dont la source et la nature lui etaient entierement inconnues, ne savait quel sort lui etait reserve, ni a quel saint se vouer. Le batiment qui 1'eclairait d'une si grande distance pouvait tout aussi bien lui lancer un boulet [... ] II mit en panne et se resigna a attendre.
Par bonheur, le Jerome-Napoleon etait un navire ami!
Le declin de 1'arc electrique Au cours des annees 1860-70, on eclairait frequemment avec des arcs electriques des chantiers de construction, des usines, des places, ou des boulevards. On construisit a cet effet de nombreux regulateurs, mais 1'utilisation de 1'arc devait etre ephemere. II etait bien trop lumineux pour la plupart des usages, et sa lumiere etait « dure et blafarde » d'apres Foucault lui-meme26. La lampe a filament incandescent de Swan et Edison devait resoudre ces problemes dans les annees 1880, et en consequence eclipser 1'arc electrique, qui n'eut plus sa place que pour des usages specialises tels que le microscope
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Figure 16.11. Le projecteur muni d'une lampe a arc de Foucault installe a bord du yacht Jerome-Napoleon, en 1867.
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Figure 16.12. Le yacht du Prince Imperial identifiant 1'aviso Le Renard grace au projecteur a lampe a arc de Foucault.
a grand grossissement. L'arc fut egalement abandonne dans les phares en raison des difficultes que Ton avait a faire fonctionner les generateurs dans des sites aussi isoles. La source de lumiere des phares actuels est generalement une lampe a halogene.
Les regulateurs du mouvement
Figure 16.13. Le regulateur invente par 1'ingenieur ecossais James Watt (1736-1819). Des tiges reliaient des masses assez lourdes a un axe vertical entraine par la machine a vapeur a controler. Si la machine allait trop vite, les masses s'ecartaient sous 1'effet de la force centrifuge, le collier coulissant sur 1'axe s'elevait et agissait sur le levier, qui ralentissait la machine en diminuant 1'admission de vapeur ou en actionnant un frein. Si la vitesse etait trop faible, le levier agissait en sens inverse.
L'entrainement du telescope de 80 centimetres conduisit Foucault a s'interesser a nouveau a la regulation des machines, en vue de produire un mouvement parfaitement regulier. La methode habituelle consistait a munir le moteur d'un regulateur centrifuge de Watt (figure 16.13). Ce regulateur est un pendule conique (figure 8.3), mais double pour des raisons d'equilibrage. Un inconvenient du pendule conique, et done de ce regulateur, est son manque d'isochronisme. II serait preferable que 1'isochronisme soit approximativement realise, c'est-a-dire que le regulateur tourne presque a la meme vitesse quelle que soit la separation entre les masses, done quel que soit Tangle a de la figure 16.13. Dans ce cas, une tres faible variation de vitesse occasionnerait un changement tres important de la separation des masses rotatives et done de la position du levier de controle, et le regulateur deviendrait extremement sensible. Divers essais ont ete faits pour pallier au manque d'isochronisme du pendule conique. Au XVIF siecle, Huygens avait essay e une suspension ou le fil s'appuyait sur une surface conique. Plus recemment, un ingenieur nomme Pecqueur avait reuni les tiges de suspension des masses a 1'axe par des ressorts qui s'allongeaient lorsque la vitesse augmentait. Toutefois, les ressorts vieillissent, ce qui rend le precede peu fiable. Un autre ingenieur, Farcot, avait suspendu les masses
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a des pivots excentres, ce qui donnait une solution approximative au probleme. Foucault inventa une autre solution, qualifiee par Moigno de « tres-simple et tres-inattendue ».27 Son analyse etait que, les masses etant trop lourdes si elles tournaient vite, il fallait en compenser partiellement le poids avec un systeme de masses et de tiges auxiliaires qui poussaient le collier coulissant vers le haut avec la force appropriee. « Cette condition n'a jamais ete realisee avant moi, ecrivait-il, et donne [... ] un regulateur completement et rigoureusement isochrone, c'est-a-dire un produit industriel tout a fait nouveau. » Secretan construisit le prototype de ce regulateur, qui fut essaye a 1'Observatoire. Dans une lettre a 1'Academic datee du 21 juillet 1862, Foucault en decrit le principe de fac.on vague et generate, car il n'en avait pas encore brevete 1'invention28. Le brevet, de la main de Foucault, fut soumis un mois plus tard. La figure 16.14 illustre cet appareil, qui etait suppose convenir aux « operations d'astronomie et de chronographie », ce dernier terme decrivant 1'entrainement de cylindres enregistreurs et appareils similaires. Le regulateur actionnait un frein a air qui controlait la vitesse. Dans son brevet, Foucault disait que cette vitesse restait constante a 1/5 000e pres, done un peu mieux qu'une seconde par heure. Au cours des mois suivants, Foucault termina un regulateur pour rentrainement du telescope de 80 centimetres de Marseille qui fonctionne selon le meme principe. On peut le voir figure 13.31. Plus tard, Foucault conc.ut un autre regulateur du meme type mais plus petit, entraine par un poids de 60 kilogrammes, pour la lunette de 33 centimetres que Secretan venait de terminer pour 1'Observatoire29. Bien que Le Verrier ait fait detruire I'amphitheatre d'Arago, il avait fini par comprendre 1'importance de la publicite. Foucault avait montre le regulateur marseillais et son experience de mesure de la vitesse de la lumiere, parmi d'autres choses, lors d'une soi- Figure 16.14. Le premier regulateur ree organisee par Le Verrier a 1'Observatoire au printemps de 1863. de Foucault controlait un L'impayable Moigno assurait que le regulateur etait un « mecanisme mouvement d'horlogerie. Le vraiment merveilleux, qui a fait 1'admiration de [... ] tous les savants controle etait assure par des tiges et de 1'assemblee »30. Le ministre de 1'Instruction publique assistait des masses, a 1'exclusion de a la seance, de meme que le Marechal Vaillant, chef de la Maison ressorts. On ajustait la vitesse de de 1'Empereur et president du Bureau des Longitudes. Les deux rotation en deplagant le poids R. La hommes ont du etre heureux de voir que Foucault s'attaquait aux puissance en exces etait dissipee problemes pratiques de 1'astronomie, et Le Verrier etait egalement par un frein a air forme d'ailettes satisfait : « Je tiens maintenant beaucoup a M. Leon Foucault », tournant a 30-35 tours par seconde a 1'interieur d'une boite munie de ecrivait-il au ministre quelques mois plus tard31. Mais nous verrons volets. Pour eviter tout collage, que cette accalmie n'a ete que de courte duree. 1'ensemble etait maintenu en Sautter etait lui aussi interesse par le controle de la rotation des vibration grace a des ondulations tambours portant les obturateurs et des filtres, qui produisaient pratiquees sur la face interne du les eclats et les changements de couleur dans les phares les plus collier coulissant.
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Figure 16.15. Le regulateur de Foucault pour la rotation des tambours portant les filtres et les obturateurs des phares les plus importants equipes par Sautter (un controle manuel suffisait pour les phares de moindre importance). La puissance en exces etait dissipee par les ailettes dont 1'inclinaison etait controlee par des tiges reliees aux boules. Le poids coulissant en forme de soucoupe volante augmentait la vitesse de rotation, dont la valeur moyenne etait fixee une fois pour toutes. Le gros contrepoids spherique et les tringles associees donnaient la poussee variable vers le haut qui assurait un isochronisme approximatif35.
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importants. II voulait aussi controler les machines a vapeur qui entrainaient les tours et d'autres machines-outils dans son usine. Foucault entra alors dans ce qui allait etre la derniere phase de sa vie, pendant laquelle il devait travailler avec acharnement a la regulation mecanique. « II travaillait done beaucoup, se souvenait Henri Sainte-Claire Deville, mais, s'il travaillait, il ecrivait peu. »32 Cependant, si ses communications a 1'Academie devenaient rares33, ses progres sont decrits en detail dans plus de 15 documents de brevets, ou il pouvait se repandre sans craindre les restrictions imposees aux Comptes rendus. II serait fastidieux de les exposer en detail, mais il n'est pas sans interet d'en etudier les idees generates. La recherche va souvent du particulier au general, et Foucault devait vite realiser que son arrangement de masses et de tringles n'etait qu'une des nombreuses manieres d'arriver a 1'isochronisme. II construisit des regulateurs plus compacts en utilisant des contrepoids dresses. II reecrivit la condition d'isochronisme sous une forme plus generale. II ameliora par ailleurs les soupapes pour la vapeur et leurs tringles de commande afin de reduire la friction et de les rendre plus progressives. Au debut de 1864, Sautter decrivit les progres realises devant la Societe des ingenieurs civils34. Un mouvement d'horlogerie entraine par des poids destine aux phares etait controle par un regulateur a pales semblable a celui de la figure 16.15, et la masse du moteur avait pu etre reduite de 200 kilogrammes a la moitie. Le tambour portant les filtres colores pouvait etre embraye ou debraye sans qu'il y ait de changement appreciable de la vitesse du moteur. L'amelioration de 1'isochronisme rendait, comme nous 1'avons vu, le controle plus sensible. On pouvait done obtenir les memes performances avec un regulateur plus petit. Dans son usine, Sautter avait remplace le regulateur de Watt de 45 kilogrammes d'une machine a vapeur de 16 chevaux par un regulateur de Foucault de seulement 5 kilogrammes. Une horloge entrainee par la machine donnait 1'heure avec un ecart de moins d'une seconde par demiheure, malgre la distance de la soupape de controle au regulateur et des variations abruptes de la charge.36 Un autre regulateur de Foucault donnait « de tres-bons resultats » aux fonderies de Fourchambault sur la Loire.
Les regulateurs pour la marine Les innovations de Foucault s'acceleraient, et nous pouvons en examiner quelques-unes sous la forme de quatre regulateurs qu'il construisit pour la Marine franchise, par contrats passes a 1'ete de 1865. L'un d'eux etait destine a la scierie des docks de Brest, et les autres a trois avisos : le Renaudin, qui etait au carenage a Brest,
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et le Bouvet et le Guichen, les navires jumeaux en construction a Rochefort37. Dans un but visiblement experimental, les quatre regulateurs etaient differents les uns des autres (figure 16.16). Examinons d'abord celui du Guichen : Foucault plac,a une paire de masses et de tiges supplementaires au-dessus du pivot, dans le but de realiser des bras symetriques dont la configuration ne dependait pas de I'mclinaison. De cette maniere, le regulateur etait soustrait a Faction de la pesanteur et pouvait etre utilise en mer. II fallait alors compenser la force centrifuge en remplac.ant le poids des masses par des ressorts. Cependant, Foucault realisa qu'on pouvait rendre le regulateur de Watt independant de la gravite en suspendant deux masses seulement par un pantographe, de fagon a ce qu'elles se meuvent dans un plan horizontal, et n'aient done pas de position preferentielle en 1'absence de rotation. Foucault nomma ces regulateurs regulateurs a plan fixe. C'est a peu de choses pres 1'arrangement adopte pour les regulateurs de la scierie et du Bouvet. Ces regulateurs, comme celui du Guichen, utilisent des ressorts de rappel. Comme un ressort exerce une force proportionnelle a son allongement, Foucault realisa qu'on pourrait assurer I'isochronisme en attachant les extremites d'un ressort au centre des deux masses de telle maniere que la force de rappel soit nulle lorsque le centre des masses se trouve sur 1'axe de rotation; cependant, cette position est physiquement irrealisable avec un seul ressort. Avec deux ressorts, cette condition pouvait etre remplie dans les deux regulateurs que nous venons de mentionner, mais avec un inconvenient dans celui de la scierie : la force est exercee de fac.on asymetrique, sur le cote de chaque masse. Le regulateur du Bouvet est plus rationnel, avec ses deux ressorts reunissant les deux masses de chaque cote. Dans ce cas (et aussi dans le cas du Guichen), Foucault les attachait a la partie externe des masses, sacrifiant I'isochronisme exact pour eviter que les ressorts ne flechissent trop lorsque les masses etaient proches 1'une de 1'autre. Les ressorts avaient un autre avantage : puisque leur masse etait faible, le regulateur reagissait plus promptement que dans le cas ou la force de rappel etait donnee par un gros poids. C'etait souhaitable pour la scierie, et crucial pour les avisos. Par mer forte, 1'helice du bateau pouvait sortir de 1'eau, et le moteur s'emballer. Pire, quand 1'helice retombait dans 1'eau, le choc pouvait tordre et casser 1'arbre d'entrainement. Sur beaucoup de lignes maritimes, chaque vapeur avait son arbre casse une fois par an en moyenne38. Les avisos n'etaient certainement pas la gloire de la marine frangaise : ils etaient instables, lents et necessitaient un reapprovisionnement frequent. Ils etaient peu appropries pour transporter des messages urgents ! Cependant, Foucault a du etre satisfait de son
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Figure 16.16. Regulateurs de Foucault pour la Marine. La vitesse de rotation etait de 100 tours/minute pour le regulateur de la scierie, et de 150 tours/minute pour les autres. Le regulateur du Renaudin etait semblable a celui de Brest, mais chaque masse avait deux ressorts.
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contrat: Napoleon III etant en train d'augmenter et de moderniser la marine, il y avait d'autres navires en projet. Cependant, il semble que Foucault ait eu quelques doutes, car deux jours apres avoir signe le contrat, il refusait une invitation a la campagne, ecrivant: Le fait est que je suis tenu, par un traite en bonne forme, de livrer au mois de septembre au Ministre de la Marine des appareils regulateurs d'un nouveau systeme et dont la premiere piece n'est pas encore forgee. Si j'avais 1'imprudence de m'eloigner dans un pareil moment, je serais trop sur de mon affaire ; on commettra des erreurs et Ton n'arriverait certainement pas a temps39.
Ses doutes n'etaient pas sans fondement. La realisation des regulateurs fut rapide. Le premier, pour le Renaudin, fut livre seulement deux mois apres la signature du contrat, et le dernier et le plus complexe, celui destine au Guichen, en Janvier suivant. Les pieces de fonderie avaient ete realisees dans 1'usine de Sautter, qui pouvait travailler a cette echelle. Chaque appareil coutait 1250 francs. Le regulateur de la scierie a du dormer satisfaction, car, au debut de 1867, Foucault en a livre un semblable a la fonderie de 1'arsenal de Brest pour equiper une machine a vapeur mobile de 20 chevaux40. Mais les essais montrerent que les regulateurs embarques ne fonctionnaient pas bien en mer. Celui du Renaudin fut essaye pendant un voyage au Gabon. « Le moderateur Foucault qui a ete installe a Brest ne nous a ete d'aucune utilite », ecrivit le capitaine. Le mauvais fonctionnement etait attribue au collage de soupapes plutot qu'au « moderateur », mais celui-ci n'en fut pas moins abandonne. II semble que celui du Bouvet ait mieux fonctionne, car il etait encore en place lorsque le navire sombra sur les cotes d'Haiti en 1871. Le regulateur du Guichen fit 1'objet de davantage d'efforts. Les premiers essais eurent lieu entre Rochefort, Lorient et Belle lie, mais certaines parties du regulateur se devisserent. Apres reparation, cela n'alla pas mieux. « Le regulateur etait done completement inefficace, conclut la commission d'examen, ajoutant hardiment qu'un pareil resultat, en disaccord complet avec les effets remarquables constates sur les machines a terre, ne peut s'expliquer que par une mauvaise confection des ressorts ». Les essais ulterieurs furent abreges par le depart du Guichen en mission, mais les regulateurs de Foucault avaient suffisamment dec,u pour que les inspecteurs de la marine soient amenes a demander a Foucault comment on pourrait les ameliorer. On nota que depuis qu'il avait livre ses premiers regulateurs, M. L. Foucault a modifie sa conception premiere dont il avait
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reconnu les defauts, et il a imagine une disposition nouvelle dont 1'experience a, dit-il, pleinement etabli la valeur pratique.
Le regulateur du Guichen fut done rapporte en France pour modifications, mais, quand il arriva, Foucault etait mort.
Instabilites Au debut de 1865, Foucault mentionne dix regulateurs pour machine a vapeur en service ; il est clair que ses regulateurs pour la marine n'etaient pas les seuls a presenter des instabilites36. Certains ingenieurs en rendaient responsable un isochronisme trop parfait, qui, d'apres eux, rendait les regulateurs trop sensibles, puisqu'une tres faible variation de vitesse pouvait envoyer les masses a bout de course. « Le regulateur de M. Foucault, disait Tun d'eux, fait 1'effet d'une balance trebuchant au milligramme mise entre les mains d'un charbonnier. »41 Foucault a du reconnaitre la justesse de cette remarque, car, dans plusieurs de ses derniers regulateurs, 1'isochronisme fut partiellement abandonne, par exemple en abaissant quelque peu les masses dans celui de la scierie de Brest. Foucault attribua d'abord le mauvais fonctionnement de son instrument aux soupapes et au jeu dans les tringles et les courroies de transmission. Mais il conclut que le probleme venait surtout du grand volant que Ton adaptait a toutes les machines a vapeur pour amortir 1'effet de la force irreguliere exercee par un petit nombre de pistons. Son regulateur etait sensible a la vitesse, mais a cause de 1'inertie de la machine et surtout du volant, la vitesse ne pouvait changer que lentement, si bien que la correction du regulateur se produisait avec retard. « II arrive [alors] presque necessairement que la machine se constitue en etat de vitesse periodique », concluait-il. Sa solution est illustree figure 16.17. Elle consistait a rendre le regulateur sensible non seulement a la vitesse, mais aussi a 1'acceleration. Le pivot de suspension etait maintenant monte sur un palier, de fagon a ne pas etre entraine directement par 1'axe; a vitesse constante, les frottements entramaient cependant le systeme a la meme vitesse que 1'axe. Pour rendre le regulateur sensible a 1'acceleration, le collier inferieur etait reuni a 1'axe par un filetage : a vitesse constante, rien ne se passait, mais si 1'axe accelerait ou decelerait, une force etait appliquee au collier et aux boules par 1'intermediaire de ce filetage. La separation entre les boules changeait et la soupape d'admission de la vapeur etait actionnee. Foucault esperait pouvoir remplacer, sur toute la gamme des machines a vapeur existantes, les vieux regulateurs de Watt par ce systeme. L'ingenieur charge de modifier en ce sens les regulateurs de la marine apres la mort de Foucault, un certain M. Madamet, observa que
Figure 16.17. Un regulateur de Foucault sensible aussi bien a 1'acceleration qu'a la vitesse, grace au couplage variable provenant du filetage sur 1'axe et sur le collier coulissant (le sens du filetage dependait du sens de rotation). Une autre innovation est que les tiges pivotaient autour d'axes separes, eliminant le systeme complexe et onereux comprenant deux fourchettes qui etait necessaire pour les faire pivoter autour du meme axe. Foucault breveta ce regulateur en decembre 1865, mais il devait etre la cause de tous ses problemes a YExposition universelle de 1867 (voir le chapitre suivant).
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les instabilites periodiques etaient reduites par ce systeme, mais pas completement eliminees. Des ressorts supplementaires, appliques empiriquement, pouvaient d'apres lui ameliorer encore le fonctionnement, et, avec 1'approbation de Foucault, il avait deja ajoute de tels ressorts aux regulateurs de la fonderie et de la scierie. Le regulateur du Guichen ainsi modifie fut installe sur un navire de transport, le Marne, et essaye au large de Brest en 1869. La mer etait calme et Thelice ne sortit pas de 1'eau ; on compara le fonctionnement du regulateur, le navire remontant le vent avec les voiles serrees, puis descendant le vent toutes voiles dehors. La vitesse de 1'arbre resta constante a 58 tours par minute, en depit d'une difference de vitesse de 40 pour cent pour le navire. La commission d'examen declara que le regulateur fonctionnait bien, mais remarqua qu'un test vraiment convaincant ne pourrait etre fait que par grosse mer. Ce test n'eut jamais lieu.
A la recherche des vrais principes Figure 16.18. Un regulateur de Foucault vendu par Secretan pour 1'entrainement des telescopes. Eichens fabriqua plus tard un regulateur tres semblable, mais avec un contrepoids dresse et non pendant (figure 17.4).
Dans un de ses brevets, Foucault remarquait que les essais effectues jusque la pour ameliorer les regulateurs avaient ete empiriques et n'avaient pas ete tres efficaces « par faute de donnees indispensables qui ne peuvent emaner que de la connaissance des vrais principes ». Pensant qu'il avait decouvert une methode generale pour rendre le regulateur de Watt isochrone, il supposa qu'on pourrait 1'appliquer partout. Lissajous remarqua que cet espoir etait vain : Mais des que Foucault fut engage dans la voie industrielle, il comprit trop tard que la tache etait plus lourde qu'il ne 1'avait pense ; il ne s'agissait pas d'introduire dans chaque machine un organe nouveau, le substituant a un organe ancien, il fallait modifier les conditions de 1'execution suivant la disposition de chaque moteur, suivant les exigences particulieres de chaque industrie. II avait cru le probleme limite, le terrain circonscrit, et il se trouvait chaque jour en presence de solutions nouvelles et de circonstances imprevues.3
Figure 16.19. Un petit regulateur de Foucault avec des ailettes centrifuges construit par Secretan. II etait regie pour une vitesse de rotation des ailettes de 8 tours/seconde, la poulie tournant a 1 tour par minute. On pouvait ajuster la vitesse a 1'aide des poids sur les ailettes.
La theorie de la regulation (ou, comme on dit aussi, des servomecanismes) est assez ardue sur le plan mathematique. Elle etait hors de la portee de Foucault. Comme le disait Bertrand, « la langue algebrique lui est peu familiere ; il la comprend, mais ne la parle pas. »42 Abandonnant son dedain vis-a-vis des mathematiques, Foucault a du faire de grands efforts, car ses brevets contiennent beaucoup plus de calculs que ses publications precedentes. Mais il s'agit seulement d'algebre, limitee au cas de 1'equilibre. Comme dans sa these, ses calculs sont emailles d'erreurs, qui ont necessite de nombreux rectificatifs.43 Les performances d'un regulateur sont
Les regulateurs : a la recherche de la fortune
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en general fonction de la machine a controler et des retards dans sa reaction. Une analyse correcte fait intervenir le calcul differential des variations, et le secret d'un bon controle ne reside pas seulement dans la promptitude de la reaction, mais aussi dans l'amortissement de la chaine. Airy avait bien fait, vers 1840, quelques tentatives d'exploration du comportement dynamique des regulateurs ; mais ce n'est qu'un an apres la mort de Foucault que le physicien ecossais James Clerk Maxwell a demontre quelques criteres clairs de stabilite des regulateurs, et etabli des bases solides pour le developpement ulterieur de la theorie44.
Les regulateurs a ailettes Si les regulateurs de Foucault etaient deficients pour le controle des grosses machines, ils fonctionnaient mieux lorsque qu'ils etaient integres au moteur et quand 1'exces de puissance etait dissipe par des ailettes rotatives. Le premier regulateur isochrone de Foucault etait de ce type, de meme que celui qu'il avait construit pour les phares de Sautter. Les figures 16.18 et 16.19 montrent des modeles commercialises par Secretan en 186645. Tous deux sont des regulateurs a plan fixe : bien que les ailettes puissent s'ecarter, la hauteur de leur centre de gravite reste fixe. Le premier regulateur etait destine a rentrainement des montures equatoriales, et etait suppose etre tres stable et fiable car il ne comprenait que des poids et des leviers. Des rapports ulterieurs ont toutefois suggere un comportement mediocre46. Le second comprenait des ressorts et etait potentiellement moins stable. L'inversion des ailettes « rend 1'appareil plus agreable a 1'ceil », ce qui etait peut-etre un argument de vente mais surement pas une justification scientifique. On pouvait aussi acheter un cylindre enregistreur muni de ce regulateur, destine a des mesures de phenomenes variables dans le temps en physique et en physiologic. La figure 16.20 montre le dernier regulateur a ailettes de Foucault, brevete pendant la maladie qui devait emporter son auteur. Ses caracteristiques principales etaient une grande simplicite mecanique et en particulier un nombre reduit d'articulations. La coulisse avait disparu, et avec elle la friction qui lui etait associee. La tige oblique, en aluminium comme les ailettes, assurait la symetrie des ailettes. « J'attache une grande importance [a cette amelioration] », ecrivait Foucault. II avait raison : avec des ressorts de bonne qualite, la stabilite etait meilleure que le dix millieme. L'appareil etait encore en vente au debut du XXe siecle.47
Figure 16.20. « Get excellent regulateur, si mal connu », telle etait I'opinion d'un astronome a propos du dernier regulateur a ailettes de Foucault, tres simplifie par rapport aux precedents.47
Cette page est laissée intentionnellement en blanc.
Chapitre 17 Pro jets inacheves
Lunettes ou telescopes ? Bien qu'un doublet achromatique produise une image bien meilleure qu'une lentille simple, son foyer n'est pas absolument parfait, car les dispersions du crown et du flint ne s'annulent pas a toutes les longueurs d'onde. Des etoiles vues a travers une lunette astronomique sont toujours entourees d'un faible halo pourpre, compose de la lumiere rouge et violette pour lesquelles la correction d'achromatisme n'est pas parfaite. Foucault pensait que ses telescopes a miroir, qui etaient parfaitement achromatiques, seraient toujours superieurs aux lunettes, mais son opinion changea en 1860. II venait de construire son miroir de 33 centimetres, et, dans le meme temps, un objectif du meme diametre avait ete termine par Secretan pour la lunette qu'il destinait a la coupole Quest de 1'Observatoire. Foucault examina cet objectif fonde sur les techniques qu'il avait developpees, et y decela quelques defauts. « Mais, contrairement a mes previsions, je dus reconnaitre que, sous certains rapports, la lunette se montrait manifestement superieure au telescope », ecrivit-il, non sans depit1. Le pouvoir de resolution du telescope etait toujours superieur, par exemple pour resoudre une etoile double serree en ses deux composantes. Mais pour les objets etendus comme les planetes, la lunette paraissait meilleure, car les residus d'aberration chromatique se traduisent en variations de couleur qui sont plus faciles a apprecier pour 1'ceil que des variations de luminance. « Vues dans une lunette meme mediocre, les bandes de Jupiter paraissent plus fortement accusees que dans le meilleur telescope a reflexion », soupirait Foucault. Le Verrier saisit 1'occasion pour exiger de Foucault qu'il se remette au travail sur les disques de Chance2. Mais Foucault etait occupe par son experience de mesure de la vitesse de la lumiere, et il semblait que son miroir pour le telescope de 80 centimetres fut reussi. Le Verrier changea alors son fusil d'epaule, et ecrivit au ministre au debut de 1862 pour lui demander de permettre a Foucault de travailler a un miroir encore plus grand, de 1,2 metre de diametre. Par ailleurs, la lunette installee dans la coupole d'Arago posait probleme : 1'objectif
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de 38 centimetres de Lerebours, elabore quelques annees auparavant, commenc,ait a se devitrifier. Foucault avait suggere qu'on pourrait la remplacer par un objectif de 48 centimetres taille dans les disques de Chance, mais Le Verrier ne voulait pas sacrifier ces verres uniques par leur taille : il proposa d'« ajourner definitivement » tout travail sur les disques de Chance3. La Galerie des glaces du chateau de Versailles avait fait la reputation de 1'usine de Saint-Gobain. Deux siecles plus tard, la firme vit sans doute des avantages similaires a s'investir dans le plus grand telescope du monde, car elle proposa de fondre et de recuire le disque de 1,2 metre a prix coutant. La somme etait suffisamment faible — moins de 6 000 francs — pour que Le Verrier puisse s'engager sans demander de subvention speciale au ministre. Un premier disque s'avera trop petit, mais dans les deux ans, 1'Observatoire se trouva en possession d'un beau disque de 1,23 metre de diametre provenant de 1'usine Saint-Gobain, disque dont la face arriere avait ete polie par 1'atelier de Sautter. Sans argent pour continuer, Le Verrier fit ce que beaucoup auraient fait a sa place, a savoir un chantage au ministre : « Faut-il maintenant le mettre au magasin ? lui demanda-t-il. Nous serions ridiculises si nous ne le polissions pas. »4 Foucault avait des reserves. « M. Foucault est lance dans son grand miroir [... ] Nous 1'y avons pousse », admettait Le Verrier. Le miroir de 80 centimetres avait ete poli a la main, mais c'etait probablement la limite de ce qu'on pouvait faire ainsi, et Foucault pensait qu'une machine a polir coutant quelque 30 000 francs etait maintenant necessaire. II avait probablement vu, en Grande-Bretagne, les machines avec lesquelles Lassell et Lord Rosse avaient poli leurs miroirs. Mais, toujours prudent, il voulait d'abord polir mecaniquement un miroir de 40 ou 50 centimetres avant de s'attaquer a celui de 1,23 metre5.
L'autorisation du gouvernement Foucault etait impatient d'avoir 1'argent. II ecrivit a De la Rive : Ce qu'il me faut maintenant, ce sont des £cus bien denses et non de la fumee. Avec les ecus on fait tout ce qu'on veut, on fait de la science pour la science, on fait des telescopes et des observations particulieres sans la permission du gouvernement.6
Encourage par ses premiers succes avec les regulateurs centrifuges, il ajoutait: Et puisque le regulateur promet de devenir assez productif, je suis la veine sans m'inquieter de savoir ce que disent les
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Burgraves. Done je realiserai probablement mon reve : j'aurai un beau laboratoire, des instruments, des preparations ; et qui sait, peut- etre aussi des eleves dresses a cette nouvelle ecole de liber te.
Le Verrier explorait d'autres voies pour le financement. Tout en faisant sa demande au ministre, il avait forme avec ses collegues du Senat (quelques-uns des Burgraves de Foucault), une Association pour l'avancement de 1'astronomie et de la meteorologie, qui promit aussitot 50 000 francs pour polir les disques de Chance7. C'est peut-etre pour cela que Foucault se tourna a nouveau vers la fabrication de lentilles. On ne sait pas comment il a adapte ses tests a 1'objectif de 33 centimetres de Secretan; toujours est-il qu'il utilisa sa methode des retouches locales pour construire un miroir de controle rigoureusement plan, construction dont Arago et Gambey avaient tout deux affirme qu'elle etait impossible. Un tel miroir peut etre utilise derriere une lentille en auto-collimation (un terme introduit par Foucault), le tout se comportant exactement comme un miroir concave (figure 17.1). Les tests sont plus faciles que pour un miroir, puisque la lumiere passe deux fois a travers la lentille, doublant les aberrations. Le miroir plan avait 35 centimetres de diametre. Lord Rosse avait controle des miroirs plans en y regardant le cadran d'une montre par reflexion, mais il existait de meilleures methodes. Foucault eclairait son miroir obliquement par de la lumiere issue d'une source ponctuelle placee a trois ou quatre metres, et examinait 1'image de cette source dans diverses regions du miroir avec une lunette, a la recherche de concentrations de lumiere produites par des courbures residuelles. II appliquait alors des retouches locales. Cette operation fut beaucoup plus fastidieuse que pour les miroirs de telescopes : le polissage final demanda trois jours, au lieu de quelques heures.
Une belle institution d'optique Foucault savait maintenant qu'il pourrait utiliser les retouches locales pour polir des doublets achromatiques. Le Verrier conc,ut probablement alors 1'idee d'« une belle institution optique » pour exploiter les precedes de Foucault, et pressa Secretan de s'associer avec ce dernier. Les negociations ne furent pas faciles, semble-t-il, mais un contrat d'association fut finalement signe le 22 mars 1865. Deux mois plus tard, Le Verrier commandait un objectif de 24 centimetres, compatible avec les possibilites du miroir plan de 35 centimetres. Enthousiasme par ce miroir plan, Le Verrier pensa qu'il tenait enfin le moyen de polir les disques de Chance. Foucault se montra plus prudent, car il lui fallait d'abord polir le miroir plan de 75 centimetres
Figure 17.1. Le montage de Foucault pour tester une lentille par auto-collimation. Le miroir sur lequel se reflechit la lumiere doit etre exactement plan de facon a ne pas ajouter des aberrations a celles de 1'objectif. Les trois tests de Foucault pouvaient alors etre appliques a 1'image de la source ponctuelle (voir les figures 13.8, 13.10 et 13.12).
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Figure 17.2. Adolphe Martin (1824-1896). Martin s'interessait a la photographic et devint 1'eleve de Foucault qui lui enseigna les precedes de fabrication en optique. Apres la mort de Foucault, il publia une serie d'articles sur ces precedes dans les Comptes rendus, et occupa le siege de Foucault au Comite de la Societe francaise de photographic.
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qui etait necessaire au montage ; Sainte-Claire Deville dit plus tard que Foucault avait reclame 30 000 francs pour les etudes prealables8. Divine surprise : la campagne de Le Verrier aupres des Burgraves avait porte ses fruits, puisqu'en 1865, 1'Assemblee Nationale avait vote une subvention de presque 400 000 francs pour I'achevement du telescope de 1,2 metre et la construction d'une lunette geante de 16 metres de distance focale, utilisant les disques de Chance. C'est sans doute a ce moment, alors qu'il avait a terminer un objectif de 24 centimetres et avec les disques de Chance en perspective, que Foucault decida de former un eleve. II choisit Adolphe Martin (figure 17.2), avec lequel il avait recemment siege en comite a la Societe franchise de photographic pour evaluer un agrandisseur americain. Martin etait professeur de chimie au College SainteBarbe, et s'interessait depuis longtemps a la photographie. En 1852, il avait public un ouvrage chez Charles Chevalier, intitule La photographie nouvelle, et decrit un precede de photographie dit ambrotype, proche de celui utilise par Foucault pour 1'eclipse de Soleil en Espagne9. Martin preparait une these sur les instruments d'optique. Theorique et mathematique, elle s'opposait a celle de Foucault, mais Martin a certainement compris 1'avantage de s'associer avec un praticien, et vice versa. Quand Martin soutint sa these au printemps 1867, il la dedia a Foucault en « hommage respectueux de son eleve devoue »10. II est probable que Foucault et Martin se firent la main sur de petites lentilles, mais 1'objectif de 24 centimetres etait pret un an apres la commande. II n'etait pas tres bon, et il fallut quelques mois pour le retoucher avant la livraison finale en septembre 1865 (planche 18, page 203). Henri Sainte-Claire Deville revela plus tard que Foucault, toujours perfectionniste, n'en etait pas encore satisfait11. Toutefois, lorsque 1'objectif fut monte dans la lunette, tout le monde en fut content, et Le Verrier refusa que Ton y touche encore. « Si je le laissais aller, disait-il en riant, je n'aurais plus ma lunette ; jamais M. Foucault n'est content de lui. »12 Foucault avait projete de retirer 1'objectif pour y retravailler, mettant a la place un autre objectif non termine. Mais les premiers symptomes de sa maladie 1'arreterent en chemin. Mi-1867, Foucault avait termine un autre objectif de 19 centimetres destine a 1'Observatoire de Lima au Perou, nouvellement cree. A partir de tests sur y Andromedae et d'autres objets du ciel parisien, 1'opinion unanime fut que cet objectif etait meilleur qu'un objectif semblable mais plus cher realise par Merz et Mahler, une firme optique reputee de Munich13. Cependant, des revolutions au Perou retarderent I'achevement de 1'Observatoire de Lima, et une douzaine d'annees plus tard, 1'objectif etait encore en caisse14.
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Bien que Foucault n'ait termine son objectif de 19 centimetres qu'au moment de tomber malade, il avait certainement 1'intention de fabriquer un objectif de 75 centimetres avec les fameux disques de Chance. Ceux-ci avaient etc tournes au bon diametre et un poli prealable avait ete realise. Foucault put alors examiner ces disques qu'il jugea trop minces. On ne pourrait done en faire qu'un objectif de distance focale excessivement longue, la lunette serait difficile a construire a cause des flexions du tube, et une tres grande coupole serait necessaire. Foucault proposa de ramollir les disques a la chaleur et de reduire leur diametre, ce qui resoudrait le probleme et permettrait en meme temps d'eliminer les defauts du flint. Le Verrier n'etait pas d'accord : c'est pour une lunette de 75 centimetres qu'il avait obtenu les fonds, et il n'etait pas question d'en reduire le diametre. Devant ce blocage, on arreta de travailler sur les disques de Chance.
Le siderostat Pour realiser la grande lunette, il existait d'autres possibilites qui avaient deja ete exploiters par Fizeau et Foucault pour photographier le Soleil en 1845, et par 1'Ecole polytechnique lors de 1'eclipse de 1860. Dans les deux cas, 1'image du Soleil avait ete renvoyee dans une direction fixe grace a 1'heliostat de Silbermann. Foucault avait d'ailleurs teste la qualite du miroir plan de 1'heliostat de Polytechnique pour son ami chimiste Aime Girard, qui avait pris les photographies lors de 1'eclipse en Algerie15. L'idee de Foucault etait de construire un instrument permanent selon le meme principe, mais destine aux etoiles plutot qu'au Soleil, instrument avec lequel il aurait alimente une lunette horizontale fixe. Puisqu'il fallait compenser le mouvement sideral, il decida de baptiser cet instrument le siderostat. Les avantages d'un tel montage etaient considerables. II n'y avait plus de flexion dans le tube de la lunette, puisqu'elle etait fixe. Les lentilles de crown et de flint de 1'objectif n'auraient plus aucune raison de se desaligner, et il n'y aurait plus besoin de contrepoids lorsqu'on adapterait des instruments lourds au foyer de la lunette : chambre photographique, spectrographe, polarimetre ou photometre. Ces instruments eux-memes ne seraient pas soumis aux flexions dues a la gravite. Bien sur, le miroir plan de renvoi se deformerait sous 1'effet de son propre poids, mais on pourrait minimiser la deformation en augmentant son epaisseur. Cependant, ils restaient quelques problemes a resoudre. Si un miroir d'heliostat destine a 1'agrandissement photographique n'avait pas besoin d'etre specialement plan ni entraine avec precision, ce n'etait pas le cas pour une utilisation astronomique. Or, Foucault
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savait construire un miroir parfaitement plan, il avait appris avec Duboscq comment monter un miroir lourd sur un heliostat, et il avait realise des regulateurs a ailettes permettant un entrainement tres regulier. La longueur de la lunette n'etait plus un probleme. Foucault proposa done de construire un siderostat dont le miroir plan serait realise a partir du disque de 1,23 metre de Saint-Gobain, siderostat qui alimenterait une longue lunette utilisant les disques de Chance. II y eut de longues discussions avec Le Verrier, qui trouvait 1'idee trop dangereuse : il y avait trop de nouveautes — polir les disques de Chance, et realiser, monter et entrainer un miroir plan geant. II demanda a Foucault une proposition ecrite. Foucault hesita, et proposa de fabriquer a titre d'essai un petit heliostat, pour lequel Eichens construisit un modele en bois. L'opinion plutot raisonnable de Le Verrier fut la suivante : Mais quand notre collaborateur etait deja charge de la construction d'une grande lunette, prise, abandonnee, puis reprise, et a laquelle on n'avait presque rien fait; quand il etait deja charge d'un telescope auquel on n'a rien fait du tout; quand ces deux premieres entreprises etaient basees sur une loi, et que le Ministre nous avait ecrit avec raison de ne rien negliger pour les faire aboutir, nous le demandons, eut-il ete raisonnable a nous de consentir a leur abandon en faveur d'un troisieme projet ?
Enfin libre ! Les inventions et les arrangements commerciaux de Foucault ne lui ont jamais beaucoup rapporte. A sa mort, Secretan lui devait un benefice de 2700 francs, dont la moitie devait d'ailleurs revenir a Martin, et Foucault devait 1800 francs a Duboscq. Foucault ne connut done jamais la fortune. II recevait du Bureau des Longitudes, de 1'Institut et de 1'Observatoire un salaire cumule d'environ 9 000 francs par an, Le Verrier lui ayant d'ailleurs accorde une augmentation en 1865. II depensait peu, car a son deces sa fortune etait evaluee a 80 000 francs, dont 8 200 francs en « deniers comptants »(especes)16. Ses finances etaient done saines. II avait pu louer un appartement utilise comme laboratoire au 42 rue de Fleurus, pres de la rue d'Assas, et Donne se souvint de 1'avoir vu payer des ouvriers entre 6 et 10 francs par jour pour installer ses instruments. Foucault pouvait done envisager de construire seul son siderostat. Retournant a la recherche fondamentale, il prepara un programme d'observations prolongees du Soleil (probablement pour la surveillance des taches solaires). On ne savait encore presque rien sur la nature physique du Soleil. Foucault 1'avait photographie plusieurs fois, et en 1866, il avait
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imagine une nouvelle methode d'observation : au lieu d'utiliser un filtre dans 1'oculaire, qui risquait d'eclater sous 1'effet de la chaleur, il suggera d'argenter la face avant de 1'objectif de la lunette, car il savait qu'une mince couche d'argent attenuait beaucoup la lumiere. Presque toute la lumiere, et done la chaleur, etaient reflechies, ce qui preservait 1'ceil de 1'observateur, et les images n'etaient en rien degradees17. Foucault envisagea done d'installer son siderostat (qu'il aurait mieux valu dans ce cas appeler heliostat, mais le nom etait deja pris), au premier etage de sa maison de la rue d'Assas. Eichens realisa un second modele en bois, modifie par rapport au premier car la lunette ne pouvait pas viser le Sud (voir la figure 5.13). Foucault fit faire des changements a sa maison, decrits plus tard par Donne : Rien de plus confortable [... ] de plus agreable, de plus elegant meme que les cabinets de 1'illustre physicien; tout recemment encore, il venait de renouveler son installation et de la disposer d'une maniere particuliere pour les observations qu'il se proposait de faire sur le Soleil, et en meme temps il avait applique un luxe savant a sa chambre de travail, realisant ce que nous appelions entre nous sa maison de precision. Tout marchait bien dans cet appartement: les portes, les fenetres, les serrures et les cheminees ; tout s'ouvrait et se fermait doucement, exactement et sans bruit. Pour se garantir du tapage de la rue de Vaugirard, il avait fait mettre des chassis doubles aux fenetres [... ] de petits rideaux en soie puce garnissaient chaque fenetre en glissant par un doux tirage sur les carreaux. La question d'art meme n'avait pas ete negligee dans cette delicieuse retraite, au moins quant a 1'harmonie des couleurs [... ] Les panneaux et les portes avaient des encadrements d'ebene dont le ton se mariait tres bien avec la couleur lilas de la tenture et avec les teintes degradees des corniches. Et c'est du coin de son feu et assis dans un bon fauteuil, que 1'heureux habitant de ce joli sejour devait se hater a une serie d'experiences nouvelles sur le disque du Soleil, a 1'abri du froid en hiver et de la chaleur en ete. On trouvera ces soins bien recherches pour un savant serieux, mais Foucault n'avait pas seulement en vue son bien-etre en s'etablissant ainsi, il disait avec raison que c'etait le meilleur moyen de poursuivre avec exactitude les observations qui demandaient a etre soutenues pendant des heures et d'arriver a un resultat certain.18 Malheureusement, ces preparatifs etaient a peine realises que Foucault tomba malade.
[/Exposition universelle de 1867 La seconde Exposition universelle fut, encore davantage que la premiere, une vitrine du regne de Napoleon III. Elle se tint au Champ
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Figure 17.3. Les galeries concentriques de 1'Exposition universelle de 1867.
Tableau 17.1. 11 y avait dix groupes a 1'Exposition universelle de 1867 (chiffres remains), subdivise en 95 classes. Celles du groupe II sont indiquees (chiffres arabes). Foucault etait membre du jury de la classe 12. I.CEuvres d'art II. Arts liberaux 6. Imprimerie et librairie 7. Papeterie, reliure, fournitures pour artistes 8. Arts graphiques 9. Materiel photographique 10. Instruments de musique 1 1. Fournitures et instruments medicaux 12. Instruments de precision et materiel d'enseignement 13. Cartes et materiel cartographique III.Mobilier et objets domestiques IV. Vetements et joaillerie V. Produits miniers VI. Materiel industriel VII. Industries alimentaires VIII. Agriculture IX. Horticulture X. Amelioration physique et morale de la population
de Mars, a cote de 1'endroit ou se dresse aujourd'hui la Tour Eiffel, et etait quatre fois plus etendue que celle de 1855. Frederic le Play, le commissaire general de 1'exposition, con^ut un nouveau systeme de classement pour les 52 000 exposants, qui se refletait dans la disposition en ovales concentriques des batiments, chaque ovale etant destine a chaque classe (figure 17.3 et tableau 17.1). De nombreux souverains etrangers visiterent 1'exposition, si nombreux que comme le disait Prosper Merimee « il en viendra tant qu'on sera oblige de les mettre a coucher deux dans le merne lit »19. Des visiteurs moins huppes vinrent en grand nombre : Thomas Cook organisa une visite de quatre jours pour 12 000 visiteurs anglais, au prix de 1 livre 16 shillings (environ 45 francs de 1'epoque). Les visiteurs s'emerveillaient devant des fontaines d'eau de Cologne, un ascenseur hydraulique, une machine qui, en 50 minutes, transformait des poils de lapin en chapeaux de feutre, et un canon prussien de 47 tonnes, precurseur de ceux que Bismarck devait pointer sur Paris quelques annees plus tard. II y eut plus de 10 millions de visiteurs, plus de deux fois le contingent de 1855, et 1'operation fut beneficiaire. De nombreuses inventions de Foucault etaient presentees. Le stand de Duboscq montrait la lampe a arc, et un enorme heliostat muni d'un miroir de 1,5 metre sur 70 centimetres. DumoulinFroment, le successeur de Froment exposait une replique du gyroscope. Les bobines de Ruhmkorff faisaient des etincelles grace aux interrupteurs a mercure de Foucault. On pouvait voir, au stand de Secretan, un telescope de 16 centimetres parmi divers appareils a miroir argente, et des objectifs de lunette de 9,11 et 13 centimetres20. Secretan exposait aussi des regulateurs de Foucault, mais il n'etait pas le seul a le faire. L'annee precedente, Marc Secretan avait passe la main a son fils Auguste, qui decida de ne plus utiliser les services d'Eichens. C'etait une folie, car Eichens jouait un role central dans 1'entreprise. « Bien que les instruments dont il s'agit ont ete etablis dans la maison connue au nom de Secretan, avait ecrit Foucault quelques annees auparavant a propos d'instruments de 1'Observatoire, en realite tous ces travaux de mecanique de precision sont 1'ceuvre de M. Eichens qui est depuis de longues annees a la tete des ateliers, et on peut le dire de la maison. »21 Eichens fonda done son propre etablissement, certainement avec le soutien de Foucault, car il montrait a I'Exposition un regulateur a ailettes semblable a ceux qu'il avait construits chez Secretan (figure 17.4 ; voir aussi la figure 16.18). Ce regulateur fut utilise par la suite pour entrainer plusieurs grandes lunettes equatoriales22. Cette fois encore, Foucault faisait partie d'un jury, Tun des cinq jurys de la classe 12 (instruments de precision et materiel pour 1'enseignement des sciences). Les juges disposaient de tres peu de temps pour leur travail : 1'exposition avait ouvert ses portes
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le ler avril, et il fallait examiner les produits de plus de cent exposants frangais, sans compter les etrangers, et proceder aux selections avant la ceremonie de remise des prix, le ler juillet. « Les membres du jury etaient a la hauteur de leur mission, mais on les a presses, surmenes, ahuris ; on ne leur a pas donne le temps de prendre une decision motivee », se lamentait Moigno. Lors de la distribution, les medailles d'or furent attributes a des constructeurs bien connus — Duboscq, Ruhmkorff, Dumoulin-Froment, Secretan, Steinheil, les freres Chance, Deleuil, Sautter, et le regulateur de Foucault valut a Eichens la recompense la plus prestigieuse de 1'Exposition, Tun des 66 Grand prix23. Cependant, bien des merites n'ont pas ete recompenses : « Jamais jugements n'ont ete regus avec moins de faveur [... ] » ecrivait Moigno pour protester contre les decisions du jury de Foucault ; « mal renseignes, [les juges] ont cede a la pression d'une renommee usurpee, d'une sympathie personnelle, d'une amitie aveugle, d'une rivalite en eveil ».24 Pour Foucault, 1'Exposition universelle fut a 1'origine de nouvelles angoisses. Les grosses machines, exposees dans 1'ovale exterieur, etaient mues par des arbres communs munis de poulies et de courroies. Pour entrainer un de ces arbres, les exposants americains avaient apporte une machine a vapeur de Corliss, constructeur a Providence, Rhode Island. Malheureusement, le commissaire responsable de la section des Etats-Unis etait un expatrie de longue date qui avait perdu tout interet envers ses compatriotes, et qui etait un tel despote que « chacun d'entre eux aurait ete heureux de lui passer une corde autour du cou pour le pendre ».25 Ce commissaire savait que la machine de Corliss arrivait; pourtant, il demanda aux organisateurs franc.ais de lui fournir une machine a vapeur, ce qu'ils firent. Cette machine, construite par la societe Flaud a Paris, etait munie du dernier regulateur de Foucault, qui, malgre des perfectionnements de derniere minute, ne manqua pas de produire des instabilites, ce qui entraina des commentaires peu favorables de la part des professionnels26. En verite, le controle etait difficile, car il fallait entrainer simultanement des machines diverses, comme des machines a bois et des machines a fabriquer les clous dont la charge pouvait varier soudainement, mais aussi des metiers a tisser delicats dont la vitesse devait etre constante. Chaque matin, des 6 heures, Foucault etait sur place pour essayer de faire marcher son regulateur, avant de se rendre au jury de la classe 12. L'ingenieur Paul Worms de Romilly analysa plus tard le regulateur de Foucault, concluant que les oscillations etaient inevitables, mais que, s'il avait vecu, Foucault aurait pu les eliminer, en modifiant les soupapes d'admission de la vapeur27. II avait peut-etre raison, car dans la machine de Corliss, renommee pour sa regularite, le controle se faisait en agissant sur les soupapes
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Figure 17.4. Le regulateur centrifuge de Foucault presente par Eichens a 1'Exposition Universelle de 1867.
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qui se fermaient instantanement grace a un ressort, dont le regulateur controlait le point d'ouverture plutot que 1'ouverture totale. Les exposants americains etaient a juste titre exasperes de voir la machine de Corliss (qui obtint une medaille d'or !), inactive a cote de la machine chaotique de Flaud28.
Bruits sinistres Un autre calvaire devait suivre celui de 1'Exposition Universelle. Foucault se sentait fatigue et surmene. Le 10 juillet 1867, une paralysie de la main 1'empecha de signer son nom. On le sut a 1'Academie trois semaines plus tard : « pendant et apres la seance, ecrivait Moigno, on faisait courir les bruits les plus sinistres sur la sante de M. Leon Foucault ».29 On disait que son bras etait paralyse et qu'il parlait difficilement. Alarme, Moigno s'en fut trouver Madame Foucault, puis le Dr Guerard, de 1'Academie de medecine. II ne voulait pas rendre visite au malade de peur de le fatiguer, mais il apprit qu'il faisait une promenade tous les jours, et que, deux jours auparavant, il avait dine avec Jules Regnauld. Moigno en conclut done que les rumeurs etaient exagerees. Guerard, ainsi que Jean-Martin Charcot, 1'etoile montante de la neurologic, avaient rendu visite a Foucault le matin meme et 1'avaient trouve mieux. « Tout laisse a croire a un rapide et complet retablissement », concluait 1'abbe. Mais bientot la vue de Foucault devait etre atteinte. Donne attribua ces symptomes a la fatigue due a « [cette] diable d'exposition », et invita Foucault a se reposer chez lui, a Noyon. « Le repos de corps et d'esprit pour une organisation comme la votre, c'est un supplice », reconnaissait Donne. Mais il disait a Foucault qu'il en avait assez fait dans sa vie pour qu'une gloire «imperissable »lui fut assuree, et qu'il lui fallait se reposer et se distraire. Le recteur citait un ami qui avait presente les memes symptomes et qui s'etait retabli en suivant ce traitement benefique30. Cependant, d'apres Lissajous, Foucault ne se faisait aucune illusion sur son sort. II en connaissait trop en medecine. Tous les temoins s'accordent sur 1'horreur de la degradation progressive de sa sante. D'abord, il eut du mal a parler, puis il devint presque aveugle. Un de ses anciens collegues du Journal des Debats, L.A. Prevost-Paradol, ecrivait: Cette destruction de 1'esprit a ete chez lui assez lente et assez graduee pour qu'il en suivit longtemps les phases et qu'il ne put eviter d'en sentir l'amertume. On peut dire qu'il en pleurait lui-meme, lorsqu'il nous exprimait, par un geste ou par un mot peniblement prononce, le desespoir avec lequel il se sentait de plus en plus gagne par les tenebres. Lequel de ses amis de la
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derniere heure oubliera ce mot: toujours malade I qu'il repetait d'une maniere si navrante, en laissant tomber son front epuise sur sa main debile31 ?
Ces symptomes paraissent etre ceux de la sclerose en plaques, decrite pour la premiere fois par Charcot en 1866. Cette maladie peut laisser des periodes de remission, contrairement a la tumeur au cerveau, mais elle peut aussi evoluer tres vite. Une penible ceremonie eut lieu rue d'Assas le lundi 4 novembre. Foucault avait convoque son notaire et quelques amis pour faire son testament32. Bien que Foucault fut encore capable de dieter ses volonte s, sans doute avec beaucoup d'efforts, il ne pouvait plus ecrire le moindre signe sur une feuille de papier : ses amis ont du certifier que le document exprimait bien ses intentions. La plus grande partie des biens de Foucault revenaient a sa mere et a sa sceur, et le testament ne concerne que ses appareils scientifiques. II leguait son gyroscope « avec ses deux boites » au College de France. L'appareillage de 1862 qui servit a mesurer la vitesse de la lumiere alia a 1'Observatoire de Paris. Foucault considerait qu'il devait restituer cet appareillage a 1'Observatoire, qui en avait assure le financement (mais il fallut payer une taxe de 90 francs)33. Le pendule de 1'Exposition Universelle de 1855 et son systeme d'entrainement furent donnes au Conservatoire imperial des Arts et Metiers. Tous les autres instruments furent legues a son vieil ami Jules Regnauld. Enfin, le brevet pour 1'arc electrique fut passe a Jules Duboscq, soumis a la condition que cinq pour cent des benefices reviennent a la sceur et a la mere de Foucault. Comme la fin approchait, meme 1'Imperatrice (figure 17.5) se sentit concernee, demandant avec « une bonte touchante » des nouvelles de la sante de Foucault lors d'une visite au laboratoire de Henri Sainte-Claire Deville a 1'Ecole normale superieure34. Pres de la mort, Foucault se tourna vers la religion catholique, peut-etre pour la premiere fois, car Moigno remarque que sa confession fut « lente et plusieurs fois reprise »35. II continuait: Son intelligence genee, mais saine, a du s'appliquer successivement aux idees de creation, de meditation, de redemption, de pardon et d'absolution. II s'est rendu volontairement; il a accepte de grand cceur le ministere du pieux religieux qui 1'avait entoure d'ami tie.
II rec,ut 1'extreme onction. Cette conversion tardive peut nous paraitre surprenante, mais Foucault n'avait plus tous ses esprits, et le pretre « avait toute la confiance de sa mere », qui etait tres pieuse36. Quoi qu'il en soit, il faut considerer avec reserves I'affirmation selon laquelle 1'aphasie de Foucault avait diminue lorsqu'il avait fait sa confession31.
Figure 17.5. L'imperatrice Eugenie demanda des nouvelles de la sante de Foucault.
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Figure 17.6. La tombe de Foucault au cimetiere de Montmartre. Les principales decouvertes de Foucault sont enumerees sur le monument: le microscope photo-electrique, le pendule, le gyroscope, le telescope et les regulateurs.
Foucault mourut le mardi 11 fevrier 1868 a 11 heures trente du matin37. Son dernier mot resume les tourments physiques et moraux de ses derniers mois : « Malheur ! » Le service funebre eut lieu le vendredi suivant. Les insertions dans les journaux demandaient aux participants de se rassembler a la maison de la rue d'Assas, puis, a 11 heures, de se rendre au service religieux a Saint-Sulpice, 1'eglise meme ou les parents de Foucault s'etaient maries plus de cinquante ans auparavant38. Trente trois academiciens etaient la, trois fois plus qu'a 1'enterrement d'un membre ordinaire de 1'Academic39. Foucault repose au cimetiere de Montmartre, ou sa famille avait acquis une concession en 1859 (figure 17.6). Les cordons du poele etaient tenus par quatre academiciens. L'un d'eux etait Charles Combes, un collegue de la section de mecanique, directeur de 1'Ecole des mines, et les trois autres — Le Verrier, Yvon Villarceau et Delaunay — venaient de 1'Observatoire ou du Bureau des Longitudes. Au cimetiere, il y eut trois discours. Le General Arthur Morin, de la section de mecanique, parla pour 1'Academic des sciences et Villarceau pour le Bureau des Longitudes. Puis Joseph Bertrand retra^a « en termes affectueux »le travail scientifique de son ami40. On ne manqua pas de relever que Le Verrier n'avait rien dit a rinhumation41.
Une bataille La bataille debuta moins de deux semaines plus tard quand Henri Sainte-Claire Deville lut une note a I'Academie, qui concernait le dernier travail de son ami a 1'Observatoire42. La dictature de Le Verrier etait 1'objet de critiques de plus en plus vives, et le personnel de 1'Observatoire etait en pleine revolte. Le ministre de 1'Instruction publique avait ecrit franchement a 1'Empereur: « Depuis quatre ans, je n'ose pas regarder dans 1'Observatoire », et une commission d'enquete avait ete creee. En 1867, alors que Foucault etait deja malade, Le Verrier avait distribue une brochure justificative intitulee Travaux des Treize dernieres annees : [ . . . ] Situation presente ; Abstention regrettable de I'administration superieure [ . . . ] Comme le suggere le titre, Le Verrier tentait de justifier les moyens par la fin. « Un paragraphe entier concerne les travaux executes a 1'Observatoire par M. Leon Foucault», annonc,a Sainte-Claire Deville « d'une voix emue » devant un auditoire silencieux, « travaux qui ne paraissent pas apprecies a leur juste valeur »43. II poursuivit en disant qu'il avait eu des discussions approfondies avec son « malheureux ami », et qu'il faisait cette presentation « pour 1'honneur de sa memoire et pour sauvegarder ses droits a une grande decouverte encore inedite ».
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Dans sa brochure, Le Verrier rappelait qu'il avait obtenu 400 000 francs pour construire une lunette avec les disques de Chance, ainsi qu'un telescope de 120 centimetres. II mettait 1'absence d'avancement de ces projets sur le compte de 1'Exposition universelle : Quand on entreprend un travail de cette importance, le fonctionnaire qui en est charge devrait y etre laisse tout entier, sinon on echouera toujours. Or on a enleve a son oeuvre 1'habile physicien sur qui nous avions compte, et on 1'a detourne pour le service de 1'Exposition Universelle. Aussi, a notre grande douleur, le travail a-t-il ete suspendu. Le Verrier continuait: Du reste, la situation est entiere, en ce sens que, si Ton n'a pas travaille, 1'argent est reste intact. C'est cela qui avait mit Sainte-Claire Deville en colere. On n'avait peut-etre rien depense des 400 000 francs, mais, objectait-il, Foucault « a travaille, a longtemps et consciencieusement travaille la question des grands verres d'optique ; je puis dire meme qu'il 1'a resolue de la maniere la plus remarquable et la plus complete ». SainteClaire Deville esperait que son intervention etablirait la priorite de Foucault pour les methodes de polissage des surfaces optiques : en effet, on pouvait mal interpreter les paroles de Le Verrier, qui « sans doute, ne sont qu'irreflechies pour avoir ete prononcees au milieu de luttes ardentes [... ] » Apres son intervention, Sainte-Claire Deville deposa un paquet cachete d'Adolphe Martin decrivant les methodes de Foucault. Le Verrier ne s'attendait pas a une telle critique, d'autant qu'il etait absent. II revint la semaine suivante, pret a repondre devant un auditoire nombreux venu assister au combat malgre le temps maussade. Sous le vacillement des bougies, Le Verrier affirma d'abord que le jour meme de la mort de Foucault, il avait decide de publier un compte-rendu de son travail dans les Annales de I'Observatoire, disant qu'il etait bien place pour le faire, car il possedait de nombreux papiers de Foucault. II pourrait alors montrer que les travaux de Foucault etaient « plus grands, [s'enchainaient] mieux et [remontaient] plus haut » que ce que Deville pouvait imaginer, si bien que 1'intervention de ce dernier « qui n'[apprenait] rien, etait inutile ». Le Verrier continua en rappelant le debut de la carriere de Foucault, et 1'histoire des disques de Chance. Le temps passait, et le president de seance dut 1'interrompre pour proceder a une election44. Le nouvel academicien elu, Le Verrier recommenga : achat des disques de Chance, periodes successives pendant lesquelles Foucault envisageait ou n'envisageait pas d'y travailler, etc. Remettant la suite a
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la semaine suivante, il conclut: « On verra [... ] combien je me suis occupe d'aider M. Leon Foucault [... ] malgre les embarras que ces changements ont causes [... ] au point de vue de VAdministration. »45 Vint le tour de Sainte-Claire Deville. Lisant son texte, il decrivit les plans de Foucault pour le siderostat et la collaboration qu'il avait entreprise a ce sujet avec Charles Wolf, un des astronomes de TObservatoire. Furieux, Le Verrier l'interrompit : c'etait une intervention « inutile ». II raconterait toute 1'histoire du siderostat la semaine suivante. « Ah! M. Deville, si Leon Foucault n'avait que des defenseurs comme vous, il serait bien malheureux, dit-il en ricanant. Puisque vous etes si au courant, dites-moi la date de 1'invention du siderostat ? »44 Sainte-Claire Deville en resta sans voix : il ne connaissait pas la date et etait desar^onne par 1'offensive de Le Verrier. Devant ce spectacle affligeant, plusieurs academiciens demanderent au president de passer a la seance en comite secret. Mais, excite par la bagarre, le president, Charles Delaunay, ennemi jure de Le Verrier, decida de 1'attaquer en lui posant une autre question : pourquoi refusait-il de dormer le nom des observateurs qui decouvraient de nouvelles petites planetes a 1'Observatoire de Marseille ? Reponse : ce n'etaient que des executants a ses ordres, qui ne se plaignaient pas de rester anonymes. D'ailleurs, « ils regoivent pour chacune une augmentation de 250 fr et une medaille d'or ». Tapage dans les banes du public, que le president fit evacuer, la dispute continuant en prive. Cette seance « ne sera jamais oubliee de ceux qui [y] ont assiste », commenta un journal46. « Trois heures de discussion vaines et steriles », telle fut 1'opinion d'un autre47. Un academicien en profita pour exiger a nouveau la demission de Le Verrier48.
Le respect du legs scientifique de Foucault La foule se pressa a nouveau a 1'Academic la semaine suivante, esperant une nouvelle bagarre, mais elle fut bien decue49. Le Verrier envoya un mot disant qu'il prenait des vacances, dont il avait « le plus grand besoin ».50 Le Verrier ne parlerait du siderostat que dans la version imprimee de ses remarques51. La seule nouvelle ayant quelque interet etait que 1'Empereur avait decide d'honorer la memoire de Foucault, en reunissant un comite charge de terminer ce que Foucault avait entrepris, et de reunir ses ecrits en un volume memorial52. Tout en honorant son protege, Napoleon III suivait ainsi la tradition de publier les ceuvres completes des academiciens celebres sous 1'egide du gouvernement. « Je veux faire a mes frais les depenses que cette publication reclame », ecrivait 1'Empereur, allouant a cet effet 10 000 francs par an pris sur la cassette imperiale53.
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Le comite etait compose d'amis intimes et de confidents scientifiques de Foucault : Eugene Rolland, que Foucault avait pourtant battu lors de 1'election de 1865 a 1'Academic, Charles Wolf, Jules Lissajous, Jules Regnauld et Adolphe Martin. L'Academie auraitbien aime etre representee au comite, mais Sainte-Claire Deville repondit que « si la commission a ete ainsi constitute, c'est pour repondre a un vceu de notre regrette confrere ; il y a la un testament scientifique qu'il faut respecter, et il a ete respecte »54. Avant de mourir, Foucault parlait avec amertume de projets qui auraient pu 1'occuper pendant vingt ans encore : une nouvelle mesure de la vitesse de la lumiere, et une monographic sur les regulateurs55. On a pense plus tard que Foucault avait detruit toutes les etudes preliminaires a ces projets56. Toujours est-il qu'il ne restait pas grand chose a sa mort, et que le comite a vite realise qu'on ne pourrait terminer que le siderostat. Eichens en construisit la mecanique et Martin le miroir plan (figure 17.7)57. Le siderostat fut installe dans le jardin de 1'Observatoire, mais il ne fut utilise que sporadiquement pour observer le Soleil ou pour faire des agrandissements photographiques58. Une copie en fut bien realise pour le Dun Echt Observatory en Ecosse, mais le siderostat ne devint pas 1'instrument essentiel dont Foucault avait reve. Un siderostat geant avec un miroir de 2 metres alimentant une lunette horizontale de 1,25 metre de diametre fut realise pour 1'Exposition Universelle de
Figure 17.7. Le siderostat, termine a la fin de 1869, fut installe dans le jardin de 1'Observatoire devant un telescope horizontal de 20 centimetres de diametre. L'observateur pouvait pointer 1'appareil en tournant les deux tiges de commande que Ton peut voir au devant de 1'appareil. Un engrenage planetaire monte sur 1'axe polaire permettait d'ajuster la declinaison pendant la poursuite de 1'astre observe. Le regulateur represente ici fut remplace ulterieurement un regulateur plus simple, tres voisin de celui que 1'on peut voir figure 16.20.
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Paris en 1900, accompagne du slogan « La Lune a un metre » (en fait 1'image de la Lune avait 54 centimetres de diametre). La poursuite du ciel etait bonne, et cet instrument fut, pour peu de temps la plus grande lunette existante, mais il n'interessa guere les astronomes professionnels, d'autant plus que ce projet prestigieux avait ete mene en dehors de leur communaute59. Le disque de Saint-Gobain et les disques de Chance n'eurent pas plus d'avenir. La mecanique du telescope de 120 centimetres fut commandee a Eichens en 1869, et terminee en 1875. L'optique etait confiee a Martin, mais il n'a jamais reussi a faire un bon miroir : il essaya meme d'en masquer la mauvaise qualite par un diaphragme situe dans 1'oculaire. A la fin des annees 1870, Martin avait perdu tout interet au projet, d'autant plus qu'il avait deja ete paye. Le miroir etait peut-etre trop mince, et done insuffisamment rigide pour pouvoir etre poli correctement. Dans les annees 1940, il fut repoli et transporte a 1'Observatoire de Haute Provence recemment cree, mais il fut casse pendant 1'aluminure. Seuls des elements de la monture subsistent aujourd'hui dans le telescope de 120 centimetres de cet observatoire. On chargea Martin et Eichens de construire la grande lunette a partir des disques de Chance. Le disque de flint, qui etait imparfait, fut remplace en 1879 puis encore en 1880, mais 1'Observatoire ne trouva pas 1'argent pour financer un nouveau site pour la coupole, et le projet fut abandonne60. Ce n'est qu'a la fin du XIXe siecle que la plaque photographique rempla^a 1'ceil humain pour 1'observation astronomique. L'astronomie se detournait progressivement des mesures de position, pour lesquelles la grande distance focale des lunettes etait un avantage. Pour ces deux raisons, les telescopes a miroir avec leur surface unique, leur achromatisme parfait et leur courte distance focale remplacerent progressivement les lunettes, et c'est le telescope a miroir argente ou alumine qui devint, et est encore, I'instrument principal de 1'observation optique en astronomic.
Une mere inconsolable
Figure 17.8. Charles-Marie Gariel (1841-1924), qui edita le Recueil des travaux scientifiques de Foucault.
La chute du Second Empire le 4 septembre 1870, apres la defaite de Sedan, mit un terme a la subvention imperiale. La publication des ceuvres de Foucault fut alors reprise par Aimee, sa mere. Elle nomma Lissajous editeur, mais c'est finalement Charles-Marie Gariel (figure 17.8), professeur de physique a 1'Ecole de medecine et mari de la niece de Foucault, Marguerite, qui se chargea de la publication. Le Recueil parut en 1878 (figure 17.9), deux ans avant la mort d'Aimee. « [J'ai] eu la satisfaction de terminer cette publication de mon vivant », ecrivit-elle. Malheureusement, la plupart des exemplaires furent detruits dans un incendie61.
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Figure 17.9. Le Recueil fut finalement public en 1878, dix ans apres la mort de Foucault, aux frais de sa mere. Accompagne d'un Atlas comprenant 19 gravures sur cuivre, il coutait 30 francs et resta au catalogue de 1'editeur jusqu'au milieu des annees 1890.
Aimee avait d'autres projets pour honorer la memoire de son fils. Par testament, elle fit dire des messes pour le repos de son ame62. Elle distribua des souvenirs, dormant notamment a une amie un tete-atete en porcelaine qu'aimait beaucoup son fils63, et a Jules Regnauld un exemplaire de VAtlas de microphotographies, dedicace ainsi : « Temoignage sincere d'attachement a I'ami le plus zele de mon cher Leon. Sa mere inconsolable [... ] »64. Elle pensait que 1'etage occupe par son fils ne devrait plus etre utilise pour des usages domestiques sans qu'il soit commis « une sorte de profanation ».65 Le cure de Saint-Sulpice, 1'abbe Riche, vint a son aide. Inspire par les idees politiques de Le Play, il organisa dans cet appartement des reunions
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de jeunes gens. On y disait des exposes sur des questions sociales et economiques, ainsi que sur la philosophic, 1'histoire, la science et la litterature. Ces reunions commencerent en 1872, mais s'arreterent probablement apres la mort de le mere de Foucault, survenue le jour de Noel 1880. Afin de prolonger encore la memoire de son fils, elle demanda par testament que la « maison de precision » ne soit pas demolie pendant les 25 annees qui suivraient la mort de Foucault. L/immeuble qui s'eleve aujourd'hui au meme endroit porte une inscription commemorative et un bas-relief representant le pendule (figure 17.10).
Autres souvenirs
Figure 17.10. Bas-reliefs commemorant la premiere experience du pendule, au coin de la rue de Vaugirard et de la rue d'Assas a Paris.
Figure 17.11. Le buste
« merveilleusement ressemblant» du au sculpteur Gustave Garnier (1834-1892).
D'autres monuments perpetuent le souvenir de Foucault. Sans doute grace a Sainte-Claire Deville, un buste de marbre d'ltalie fut commande au sculpteur Gustave Garnier pour la cour de 1'Ecole normale superieure. La sceur de Foucault et Sainte-Claire Deville en virent le modele en terre cuite, qu'ils trouverent satisfaisant et meme « merveilleusement ressemblant »66. On en fit des copies pour ITnstitut, la Faculte des sciences de Toulouse et pour la tombe de Foucault67. La mere de Foucault en commanda elle aussi une copie, qui fut plus tard offerte a 1'Observatoire de Paris (figure 17.11). En 1871, apres 1'incendie de 1'Hotel de ville de Paris pendant la Commune, Garnier sculpta une statue de Foucault grandeur nature, avec une representation de Tare electrique et du pendule du Pantheon. On peut la voir sur le cote du nouvel Hotel de ville qui surplombe la rue de Rivoli.68 D'autres hommages sont moins tangibles. Les societes savantes auxquelles appartenaient Foucault ont bien entendu ecrit des eloges qui sont de bonnes sources d'information sur son caractere. Le nom de Foucault se trouve parmi ceux des 72 savants post-revolutionnaires inscrits dans la structure de la Tour Eiffel. Le Foucault aurait ete le premier sous-marin coule par un avion, en 1916. II existe une rue Foucault a Paris, un Leon Foucault Gymnasium (lycee) a Hoyerswerda en Allemagne, et meme un cratere Foucault sur la Lune. Mais on se souvient surtout de Foucault pour son pendule, qui est toujours un objet de fascination et de reflexions. Le pendule est devenu un instrument de mort dans un roman policier et dans le celebre roman eponyme d'Umberto Eco, qui a ete traduit dans de nombreuses langues69. Des centaines de pendules de Foucault oscillent sur la planete, et attirent les curieux. C'est le pendule qui a rendu le nom de Foucault « imperissable. »
Chapitre 18 Epilogue
Telle a ete la vie de Foucault, avec ses succes et ses deconvenues. Cette vie nous a paru interessante en elle-meme, et aussi en tant que temoignage d'une epoque revolue. Essayons pour conclure de resumer les realisations de Foucault et les legons que Ton peut en tirer.
Les incertitudes J'enseigne a mes etudiants qu'il est impossible d'interpreter une mesure physique sans en connaitre 1'incertitude, mais c'est un principe bien plus general. Jusqu'a quel point les details de la biographic de Foucault sont-ils etablis ? J'estime que ma description de 1'ceuvre scientifique de Foucault est correcte au moins dans ses grandes lignes, car elle est principalement fondee sur ses ecrits, qui donnent 1'information la plus fiable possible sur son travail. Cependant, ses publications n'indiquent pas comment les idees lui sont venues et comment elles se sont developpees. Ecrites soit dans le but de faire une demonstration dans les Comptes Rendus, soit dans un but didactique dans le Journal des Debats, elles ne refletent pas la chronologic de ses recherches. Par exemple, Foucault affirme que c'est seulement apres avoir fabrique un miroir en verre argente destine a des controles optiques qu'il a compris qu'on pourrait 1'utiliser comme miroir de telescope. C'est evidemment faux, puisque les miroirs de telescopes existaient depuis longtemps et que bien d'autres avant Foucault avaient essaye de fabriquer des miroirs en verre. Certains points m'ont semble probables, mais bien difficiles a verifier : par exemple, il aurait eu un passage a vide en 1849, ou son microscope catadioptrique n'aurait servi qu'a 1'occuper entre deux autres projets. Inevitablement, quelques-unes de ces deductions ne sont que des demi-verites, ou sont peut-etre meme fausses. Certains aspects du travail de Foucault nous seront a jamais inaccessibles. II existe des indications selon lesquelles il a fait bien plus d'experiences sur 1'electricite que celles que j'ai decrites. Dans le Recueil, Gariel donne quelques details sur un appareil mysterieux, qui
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Figure 18.1. Qu'est-ce que cet appareil ? A quoi servait-il ? Est-il meme presente dans le bon sens ? Des trous de fixation perces dans la plaque de base suggerent qu'il pouvait etre monte sur un mur ou un plafond.
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transforme un mouvement de rotation en un mouvement alternatif, appareil qui est presente figure 18.1. II ne savait pas lui-meme pourquoi Foucault 1'avait construit, et je n'ai pas reussi a le decouvrir. C'est le hasard qui a choisi les quelques lettres et instruments originaux de Foucault qui nous sont parvenus. Nous ne savons qu'indirectement, et par une lettre unique, que Foucault s'interessait aux plantes et a la musique. II a eu certainement d'autres joies ou des vicissitudes, sur lesquelles nous ne savons rien. Un tableau du au graveur Adolphe Rouargue, le second mari de sa sceur (planche 1, page 197) montre tres probablement Foucault, sa sceur et les trois enfants de celle-ci, car les ages concordent (figure 2.1) : la jeune fille entouree de marguerites est probablement 1'ainee, prenommee Marguerite. II y a visiblement d'autres symboles dans cette peinture. Pourquoi Foucault a-t-il un epi de ble a son chapeau, et pourquoi regarde-t-il le bateau a vapeur avec une longue-vue ? Le bateau contiendrait-il un de ses regulateurs ? Son pere possedait des actions d'une compagnie de navigation a vapeur sur la Loire : Foucault verifie-t-il les investissements de la famille ? Que signifient la rose tremiere et la chaise inclinee ? On ne pourra probablement jamais repondre a ces questions. Fire qu'une information dont le sens est perdu est une information mal interpreted. Un journaliste trop inventif a pretendu, par exemple, que Foucault avait ete licencie par Le Verrier et s'etait retire dans un couvent, ou il avait contracte une maladie dont il etait mort1. Nous avons vu que Louis Figuier est un autre grand pourvoyeur d'informations erronees et meme inventees de toutes pieces. L'histoire est souvent ecrite avec des vues nationalistes. Anglais, ecrivant la biographic d'un Frangais, j'ai decouvert a quel point 1'histoire des sciences peut etre perdue differemment dans les deux pays. Est-ce la loi de Boyle ou celle de Mariotte qui relie le volume d'un gaz a sa pression ? Qui de Charles Babbage ou de Blaise Pascal est le precurseur de 1'ordinateur ? La machine a vapeur a-t-elle ete inventee par Denis Papin ou par Thomas Newcomen ? Les courants de Foucault sont inconnus en dehors des pays ou 1'influence frangaise est importante, et cela ne saurait nous surprendre, car ils n'ont pas grand chose a voir avec Foucault. Les biographes discutent rarement les limites de leur exercice, mais celui-ci implique souvent des extrapolations hardies a partir de donnees peu sures et fragmentaires. Ecrire une biographic est un projet de si longue haleine et si absorbant que le biographe ne manque pas de developper des relations emotionnelles avec son sujet. J'ai ete tres emu en lisant pour la premiere fois le testament de Foucault, et en realisant qu'il etait trop malade pour pouvoir le signer. En decrivant des motivations ou des sentiments, je me suis souvent demande si j'ecrivais sur Foucault ou sur moi-meme. Une
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biographic est semblable a un rapport de police sur un crime : au mieux, il y a suffisamment de preuves pour qu'on puisse en tirer des conclusions valables, mais on ne connaitra jamais toute la verite, ou bien elle sera affectee par les opinions et 1'attitude de 1'auteur.
L'homme « Nous n'aimons pas 1'homme, ecrivait un journaliste, mais le savant peut passer pour une des gloires de la France. »2 Foucault etait « sec et peu affable a premiere vue », disait un autre3. Foucault n'hesitait jamais a dire ce qu'il pensait. Lorsqu'en 1853, il postulait a la chaire de physique experimentale de la Sorbonne, il n'y alia pas par quatre chemins en ecrivant a Napoleon III : « Je demande done a Votre Majeste d'approuver ma candidature et de me designer au choix du Ministre de 1'Instruction publique. »4 Lissajous disait de Foucault: Incapable de dissimulation, il disait la verite a tous sous une forme parfois incisive, jamais malveillante, mais avec tant de nettete et de finesse que le trait portait toujours au defaut de la cuirasse. Plut a Dieu que tous ceux qu'il blessa ainsi eussent eu la generosite de lui pardonner.5
Evidemment, sa franchise ne lui a pas reussi et son chemin vers 1'Academic en fut parseme d'embuches. L'attitude de Foucault nous parait etonnamment actuelle, de par son attachement aux preuves empiriques et a la raison, et ses commentaires sur les problemes ecologiques, notamment sur la nourriture. II est tellement rationnel qu'il continue a nous surprendre, puisque 1'irrationalite est toujours bien ancree chez la plupart d'entre nous. Cette attitude etait peut-etre une reaction a la folie de son pere et a sa propre fragilite mentale. Bien que Foucault fut une personnalite austere et irritable, sa fidelite envers ses amis etait a toute epreuve, et d'ailleurs reciproque. Ses articles sont pleins d'un humour caustique, et le ton des quelques lettres qui existent encore montre a quel point il pouvait etre malicieux en prive. II termine une note dormant rendez-vous a Jules Regnauld pour dejeuner par: « Tout a vous du coeur et de 1'estomac. »6 II traitait de ses problemes avec Le Verrier sur le ton de plaisanterie. L'un de ses necrologues nous dit: [... ] j'ai hate de le dire, Foucault ne prit jamais de chagrin de ses relations avec 1'Observatoire, et ses amis savent avec quelle verve spirituelle et parfois mordante il contait ses mesaventures a ce sujet.7
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Foucault etait un homme d'interieur. Donne ecrit, a propos de son sejour chez lui a Noyon : Tableau 18.1. Liste des astronomes qui ont quitte de 1'Observatoire de Paris sous Le Verrier.
6 astronomes Faye Liais Puiseux
Desains Simon Chacornac
11 astronomes-adjoints Besse Bergier Charrault Leyssenne Serret Vezy Babinet
Barbier Lepissier Voigt Lechartier Gernez
47 aides-astronomes, calculateurs, assistants Butillon Vinches Bouchet Garrit Reboul Gelin Thuvien Thirion Delaire Flammarion Saffray Harlant Bourdette Loiseau Lartigur (C.) Hceltzen Lartigur (H.) Dussolin Durand Barbelet Boillot Monin Bulard Tixier Lafon Lucas Dumerthe Leroy Lecocq Descroix Boblin Parault Dien Perrin Hermitte Thillay Noel Combres Delepine (deux fois) Dubois Rambosson Massenot Hirtsch Caniard Maerleyn Neuville (Mme)
11 ne sortait pas meme de la maison et tout au plus faisait-il quelques tours de jardin. 11 menait, pour ainsi dire, la vie de ces chats de bonne maison qui s'etablissent comme chez eux, a la meilleure place de la chambre ou du salon. Quand venait une visite qui ne lui convenait pas, il se retirait dans un coin, avec son livre dans un main et son crayon qui ne 1'abandonnait pas [...]"
Une epoque de transition Foucault vivait a une epoque de transition. La recherche etait en train de devenir une activite professionnelle reconnue. Foucault debuta en amateur, et ne vivait que de son activite de journaliste, mais il devint fonctionnaire pendant les douze dernieres annees de sa vie. Cette transition ne fut pas sans difficulte, car elle compromettait son independance. 11 continua a travailler chez lui meme lorsqu'il eut un laboratoire a sa disposition a 1'Observatoire, ou il ne se rendait que lorsque les moyens etaient insuffisants a son domicile. Ce fut une cause de tension permanente avec Le Verrier, qui voulait organiser et planifier la recherche a 1'Observatoire. Le Verrier avait obtenu pour plus qu'il ne pouvait produire lorsque 1'Assemblee nationale lui avait accorde 400 000 francs pour construire des instruments geants. Foucault avait imagine et experiment^ des techniques tout a fait nouvelles pour les realiser, mais ses idees evoluaient continuellement et 1'avenir etait incertain. Le conflit etait inevitable, mais la faute n'en revenait qu'en partie a Foucault. Malgre tout, il fut un des rares membres de 1'Observatoire a y rester malgre Le Verrier (tableau 18.1). 11 etait suffisamment tenace, et protege par 1'Empereur et par son statut de fonctionnaire. « Monsieur le Ministre, dit-il au Ministre lors de son examen de TObservatoire en 1867, nous autres titulaires nous pouvons, au besoin, nous defendre, je vous recommande les faibles. »9 Bien que Foucault n'ait eu aucun desir de diriger une equipe, il n'etait pas misanthrope. Le debut de sa carriere est marque par des collaborations avec d'autres chercheurs, puis par la suite avec des fabricants d'instruments. 11 a aussi forme un etudiant, ce qui commengait a se faire a 1'epoque : Dumas et Sainte-Claire Deville eux-memes supervisaient des etudiants dans leurs laboratoires10. On ne sait pas tres bien quel role a joue Louis-Napoleon dans la carriere de Foucault. Lors d'une audience de membres du Bureau des longitudes, Moigno remarqua que Foucault « avait seul fixe 1'attention de 1'Empereur, que Sa Majeste 1'avait prit par le bras et avait cause quelques instants avec lui ».n Donne mentionne que
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Foucault ne manquait pas d'informer 1'Empereur de ses decouvertes les plus interessantes. Son intimite avec Napoleon III a-t-elle ete assez grande pour qu'il ait ete invite aux fameuses soirees de 1'Empereur et de 1'Imperatrice au chateau de Compiegne ? Quoi qu'il en soit, Foucault a ete un de ceux qui ont stimule 1'interet deja grand de 1'Empereur pour la science.
Le processus creatif Quand on demanda a Newton comment il avait decouvert la loi de la gravitation, il repondit simplement: « en y reflechissant». Foucault, de son cote, « prenait rarement la peine d'exposer les principes qui 1'avaient guide ».12 De nombreux contemporains ont remarque 1'originalite de la demarche scientifique de Foucault. On peut voir trois raisons a cette originalite. Tout d'abord, il n'avait suivi d'autre enseignement en physique que ce qui conduisait au baccalaureat. « Bien souvent au debut d'une recherche nouvelle, il avait recours a 1'erudition de ses amis, et en se faisant enseigner, sans aucun embarras, les premiers elements d'une theorie classique [... ] »13 II etait done moins porte que d'autres a suivre les senders battus. Par ailleurs, il etait tres independant, et remettait volontiers en cause les notions etablies. Enfin, comme le remarquait un commentateur, « il passait plus de temps a reflechir qu'a lire. »7 Bien des progres scientifiques sont le fruit d'un travail laborieux, mais la reflexion et 1'imagination sont essentiels pour aboutir a des decouvertes reellement nouvelles (voir le frontispice). Foucault ne nous a pas davantage renseignes sur les problemes qu'il a rencontres dans la construction de ses appareils. II decrit comment il a equilibre son miroir tournant, mais on ne connait les difficultes de la realisation d'un pendule de Foucault que grace aux nombreux essais qui ont suivi le sien. Dans son article des Annales de I'Observatoire, il decrit avec un luxe inhabituel de details les principes generaux de la construction des telescopes a miroir argente, mais ce n'est que grace aux descriptions posthumes de Martin que 1'on peut se faire une idee de la fac,on dont Foucault a etendu ses techniques aux miroirs plans et aux lentilles.
La physique de Foucault Foucault n'a pas connu que des succes. Son premier regulateur pour 1'arc electrique n'a pas abouti a cause d'un brevet rival, et le second a souffert de la concurrence de celui de Serrin. Son siderostat n'a pas interesse grand monde. Foucault aimait la physique concrete et la
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mecanique. Les questions plus fondamentales qui auraient excite les physiciens d'aujourd'hui, comme le fonctionnement du daguerreotype, le renversement des raies D, ou la nature de la conduction de 1'electricite, etaient hors de sa portee. Tout cela le rend representatif du chercheur habituel : bien peu vont de succes en succes, ou ont des idees vraiment neuves. La science de Foucault englobe la physique fondamentale et la physique appliquee; elle est bien typique du XIXe siecle. La plupart des methodes experimentales qu'il a mises au point sont maintenant depassees, bien que le test du couteau soit toujours utilise pour mettre au point les telescopes. Apres quelques decennies, le gyroscope a donne naissance au compas gyroscopique, rnais celui-ci a ete lui-meme supplante par le gyro-laser et le GPS. En physique fondamentale, on conc,oit aujourd'hui la nature de la lumiere comme une dualite ondes-particules, et la distance du Soleil est mesuree par radar. Les experiences d'interference de Foucault et de Fizeau, de meme que leurs mesures de la vitesse de la lumiere, ont ete realisees dans un contexte scientifique elabore par d'autres. Foucault n'a pas introduit de concept nouveau: il n'a laisse aucune «loi de Foucault». Bertrand a ecrit dans la Revue des Deux Mondes : II montre plus de sagesse que de profondeur: il ne produit pas de travaux de synthese, mais des inventions ; il n'apporte pas de nouvelles theories, mais des faits decisifs et inattendus qui clarifient et confirment les principes.
II ajoutait: « La savante simplicite de ses methodes aurait pu etre comprise il y a deux cents ans. » Ses methodes nous sont tout autant accessibles apres deux autres siecles. Nous pouvons constater qu'il y a dans son travail des lignes directrices claires, dont 1'une aboutit au siderostat. Le pendule, qui avait deja mis Galilee sur la voie de la dynamique, a ete pour Foucault 1'occasion de son intuition la plus durable. Nos idees sur la nature de 1'espace et sur 1'interpretation des experiences du pendule et du gyroscope ont certes evolue, mais 1'essentiel subsiste : ces experiences montrent la rotation de la Terre. On peut caracteriser Foucault en deux mots : independance et precision. Independance de 1'homme, et independance de ses methodes; precision de ses observations, de sa pensee et de ses ecrits, et precision dans la construction des ses instruments. Apres tout, ce n'est pas un ideal si mediocre pour la plupart d'entre nous, les chercheurs. Les talents de Foucault etaient certes remarquables, mais ils ne sont pas superieurs aux notres au point de nous sembler inaccessibles. Face a 1'adversite, nous pouvons trouver quelque reconfort en sachant que Foucault a eu, lui aussi, bien des difficultes. Son genie est a notre portee. C'est finalement a juste titre que ce remarquable enfant de la Ville des Lumieres est passe a la posterite.
Appendice A Chronologic et Carte Chronologie de Foucault 1819 — Naissance de Leon Foucault a Paris. 1834 — L'interdiction de son pere. 1837 — Bachelier es lettres. 1839 — Bachelier es sciences physiques. — Mort de son pere. — Annonce publique du procede du daguerreotype. — Commence des etudes medicales. 1841 — Travaille sur le daguerreotype. — Bromuration uniforme des plaques. — Publication dans le Journal des Artistes. 1843 — Ameliorations du daguerreotype, avec BelfieldLefevre. — Travaille aux micro-daguerreotypes, avec Donne. — Mesure des luminances, avec Fizeau. 1844 — Abandonne la medecine ? 1845 — Daguerreotype du Soleil. — Debut des reportages dans le Journal des Debats. — Publication de VAtlas de Donne et Foucault. — Microscope photo-electrique. — Interferences aux grandes differences de marche et travail sur la reponse du daguerreotype, avec Fizeau. 1846 — Polarisation chromatique, avec Fizeau. — Amelioration de la dynamique du daguerreotype, avec BelfieldLefevre. 1847 — Reponse du daguerreotype, avec Fizeau. — Critique de Magendie. — Premier regulateur automatique pour 1'arc electrique. — Pendule conique. — Transmission de 1'heure. — Interference des rayons calorifiques, avec Fizeau. 1848 — Deuxieme Republique. — Rapport de Babinet. — Insurrection en juin. — Instruction pour le peuple. — Louis-Napoleon elu President. 1849 — Presente 1'arc automatique devant 1'Academie. — Experiences sur les couleurs, avec Regnauld. — L'arc electrique a 1'Opera. — Travail sur les piles de Bunsen. — Passage a vide ? — Election a la Societe philomatique. 1850 — Experience de la vitesse de la lumiere dans 1'air et dans 1'eau. — Nomme chevalier de la Legion d'honneur. 1851 — Experience du pendule. Premiere candidature a 1'Academic. — Verge vibrante. — President de la Societe philomatique. — Coup d'Etat. 1852 — Don de 10 000 francs par Louis-Napoleon. — Gyroscope. — Second Empire. 1853 — Docteur-es-sciences physiques. — Fin de 1'acces des journalistes aux documents de I'Academie. — Conductivity des liquides.
1854 — Debut de la guerre de Crimee. — Congres de la British Association a Liverpool. — Lumiere du gaz de tourbe. — Membre fondateur de la Societe franc, aise de photographic. 1855 — Nomme physicien de 1'Observatoire. — Exposition Universelle. — Demonstration de 1'equivalence entre le travail et la chaleur (« courants de Foucault »). — Napoleon III promet de financer toutes ses experiences futures. — Medaille Copley. 1856 — Ameliorations de la bobine de Ruhmkorff. — Donne s'inquiete de 1'etat mental de Foucault. — Rapport sur les disques de Chance. 1857 — Telescope a miroir de verre argente. — Nouveau prisme polarisant. — Ameliorations de 1'interrupteur a mercure. — Congres de la British Association a Dublin. — Le Verrier considere Foucault comme demissionnaire. 1858 — Telescope de 33 centimetres. — Miroirs elliptiques et paraboliques. — Tests optiques. 1859 — Microscope catadioptrique. — Telescope a miroir parabolique de 40 centimetres. 1860 — Travail sur le miroir de 80 centimetres. — Photographic de 1'eclipse de Soleil en Espagne. 1862 — Heliostats. — Nomme membre du Bureau des Longitudes. — Achievement du miroir de 80 centimetres — Dernier article au Journal des Debats. — Premier regulateur isochrone. 1863 — Suite du travail sur les regulateurs. — Nouveau regulateur pour 1'arc electrique. 1864 — Travail sur le disque de 1,2 metre. — Travail sur les regulateurs. — Le telescope de 80 centimetres installe a Marseille. 1865 — Election a I'Academie. — Association commerciale avec Secretan. — Travail sur les objectifs de lunettes. — Regulateurs pour la marine. 1866 — Objectif argente pour 1'observation du Soleil. — Travail sur 1'optique et les regulateurs. 1867 — La lumiere electrique en mer. — Problemes avec les regulateurs pour la Marine. — Exposition Universelle. — Maladie. 1868 — Mort de Leon Foucault a Paris. 1869 — Achievement du siderostat, finance par Napoleon III. 1870 — Revocation de Le Verrier. — Chute du Second Empire. 1878 — Publication du Recueil.
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Paris vers 1855 Paris a beaucoup change pendant la vie de Foucault, car Napoleon III et son prefet le baron Haussmann ont perce de larges boulevards rectilignes a travers la ville. Ces cartes montrent Paris en 1855. La ville etait encore entouree de remparts, et protegee par de nombreux forts exterieurs construits dans les annees 1840.
Appendice B Extraits du Journal des Debats La plupart des articles de Leon Foucault traitent de plusieurs sujets. Chacun d'eux commence par une introduction, se poursuit par une description des travaux recemment presentes a I'Academie, et se termine par des remarcjues personnelles de Foucault. Chaque article pent comprendre jusqu'a 4 000 mots. A cette epoque sans radio ni television, ou les tdches domestiques etaient effectuees par des serviteurs, il est certain que c'est ce que souhaitaient les abonnes aises et oisifs du Journal des Debats. Cependant, la longueur et la tournure des phrases peuvent rebuter le lecteur d'aujourd'hui. De plus, les travaux nouveaux ne relatent, en general, qu'une avancee insignifiante, qui n'a plus beaucoup d'interet apres un siecle et demi. Les extraits qui suivent ont ete selectionnes soit parce qu'ils sont amusants, soit parce qu'ils revelent des aspects de la personnalite de Foucault. Nous avons cependant reproduit le premier extrait dans son integralite car il donne un bon exemple de la maniere dont Foucault decrit un resultat de physique : avec soin et clarte, et sans precipitation. Les articles originaux n'etaient pas illustres. Les figures et les images sont des ajouts. L'orthographe de I'epoque a ete conservee.
Sur les courants electriques Lorsque deux corps contiennent plus d'electricite 1'un que 1'autre, et que Ton les met en communication par un fil metallique, 1'equilibre s'etablit plus ou moins promptement, et Ton dit alors que le fil est traverse par un courant allant du corps electrise en plus a celui qui est electrise en moins. En livrant passage a ce courant, le fil acquiert des proprietes nouvelles : il agit sur 1'aiguille aimantee et degage une certaine quantite de chaleur. L'action sur 1'aiguille aimantee decele en meme temps le sens et la presence du courant. Si, par exemple, le fil et 1'aiguille sont places parallelement 1'un au-dessus de 1'autre, le passage du courant s'accusera par une deviation qui aura lieu dans un sens ou dans 1'autre, suivant que le courant entrera par 1'une ou par 1'autre extremite du fil. Quant au degagement de chaleur, il sera le meme dans les deux cas ; en sorte que si le physicien n'avait pas d'autres moyens pour reconnaitre la presence d'un courant, il ne pourrait pas en determiner la direction. L'action magnetique et 1'action calorifique n'ont done pas, physiquement parlant, la meme importance phenomenale, et Ton comprend de reste pourquoi les experimentateurs ont generalement accorde la preference a 1'action magnetique. Cependant, il y a telle circonstance ou 1'action magnetique se trouve completement paralysee, ou par consequent il ne reste plus au physicien qu'a interroger 1'action calorifique pour savoir s'il n'y a pas de courant. Je suppose, par exemple, qu'un fil conducteur recouvert d'une enveloppe isolante soit replie sur lui-meme et tordu comme une corde a deux brins, puis qu'ainsi dispose il livre passage a un fort courant. Que peut faire 1'aiguille
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Figure B.I. Piles differentes avec leurs electrodes semblables ou opposees connectees ensemble.
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aimantee en presence de cette torsade metallique dont les deux cordons elementaires, traverses par des courans contradictoires, exercent sur elle des actions egales et opposees ? Elle doit rester et elle reste effectivement indifferente. Get instrument, habituellement si delicat et si precis, se trouve en pareil cas totalement incapable de dire si le courant passe ou s'il ne passe pas. C'est alors qu'il convient d'observer la chaleur degagee ; car 1'action calorifique de 1'un des fils ne contrarie en aucune fagon 1'action calorifique de 1'autre fil. Au contraire, les deux effets s'ajoutent, et si le courant mis en marche prend une intensite suffisante, le cordage metallique s'echauffera jusqu'a rougir et jusqu'a entrer en fusion, quand bien meme il serait forme de platine ou de quelque autre metal choisi parmi les plus refractaires. Si done 1'action magnetique fait defaut quelquefois, on peut du moins toujours compter sur 1'action calorifique. Ceci bien etabli, nous aliens nous en servir pour eclairer, s'il se peut, un des points les plus controverses de la theorie des phenomenes electrodynamiques. Lorsqu'on prend deux piles differentes en tous points, et par les forces electro-motrices qui les animent, et par les resistances qui entrent dans leur construction, on peut les reunir de deux manieres differentes : soit en faisant communiquer les poles de meme nom, soit en amenant au contact les poles de noms contraires. Les intensites des courans qui cheminent dans le systeme ont, dans les deux cas, des valeurs bien differentes : car la reunion des poles de noms contraires fait agir les deux forces electro-motrices dans le meme sens, tandis que la reunion des poles de meme nom met les deux piles en opposition. Quand on adopte ce dernier mode d'assemblage, c'esta-dire lorsqu'on reunit les poles de meme nom, ou, ce qui revient au meme, lorsqu'on dirige les deux courans a 1'encontre 1'un de 1'autre, le plus fort 1'emporte sur le plus faible, et Ton observe un courant resultant dont on propose de calculer 1'intensite au moyen et, comme on dit, en fonction des forces electro-motrices et des resistances des deux piles. Le calcul peut etre effectue de deux manieres. La methode la plus simple consiste a comparer les deux forces electromotrices, a soustraire la plus petite de la plus grande, et a mettre la force qu'on obtient comme reste en presence de la somme des resistances des deux piles. Puis il y a une autre methode qui consiste a supposer que le courant de la pile faible marche a travers la pile forte, ce qui est permis a la rigueur, pourvu qu'on suppose en meme temps que le courant de la pile forte marche a travers la pile faible sous 1'impulsion de toute sa force electro-motrice. On obtient alors deux courans opposes en direction, inegaux en intensite, et dont la difference donne le courant observe. Algebriquement, les deux methodes ne different que par 1'ordre dans lequel les operations s'effectuent, la soustraction portant soit sur les forces electro-motrices, soit sur les courans qui en resultent. Physiquement, la difference est plus grave en ce que 1'on ne peut pas contester 1'existence possible de deux forces electro-motrices dirigees en sens contraires, tandis que la coexistence de deux courans opposes dans un meme corps solide peut assurement etre revoquee en doute. Neanmoins la seconde methode, quoique moins simple, prevaut quelquefois sur la premiere, notamment dans le cas ou 1'opposition des deux
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Extraits du Journal des Debats
piles est compliquee de 1'addition d'un arc de derivation qui reunit les deux poles positifs et les deux poles negatifs a la maniere de la barre transversale d'un H (figure B.2); la consideration de deux courants inverses cheminant simultanement dans un meme circuit devient alors un artifice commode pour obtenir par le calcul 1'intensite des courans sensibles qui se distribuent dans les diverses parties du systeme. Reste maintenant a savoir si 1'accord qui se manifeste entre les intensites calculees et les resultats fournis par 1'observation justifient dans sa realite physique 1'existence des courans opposes qu'on a introduits dans le calcul comme des quantites auxiliaires. Pour jeter quelque jour sur cette importante question, nous aliens recourir a une comparaison fondee sur 1'ecoulement des liquides entre deux vases communiquans. Donnons-nous deux reservoirs d'eau A et B dans lesquels le liquide s'eleve a des niveaux differens, et faisons-les communiquer par un tube horizontal. Au moment ou la communication devient libre, un courant s'etablit dans le tube et transporte le liquide du reservoir A, ou Ton suppose le niveau le plus eleve, au reservoir B, ou le niveau est plus bas. La difference des niveaux decide de la vitesse de 1'ecoulement qui est proportionnelle non a la simple distance qui les separe, mais bien a sa racine carree1. Quand on veut evaluer la puissance dynamique de ce courant d'eau, on rapporte les deux niveaux a un meme plan horizontal, a celui par exemple qui contient le tube d'ecoulement, et 1'on prend la difference de ces deux hauteurs. Toutefois rien n'empeche de proceder autrement. Aussi bien on pourrait considerer successivement ce que deviendrait le courant circulant en sens oppose, et sans contre-pression, uniquement d'abord sous la charge de A, uniquement ensuite sous la charge de B ; on aurait ainsi deux courans hypothetiques dont les effets mecaniques retranches 1'un de 1'autre donneraient 1'effet du courant reel. Serait-on pour cela en droit de conclure que dans ce tube de communication circulent reellement, et en sens inverse, les deux courans contraires qui correspondent aux charges absolues de A et de B ? Assurement non; jamais une pareille idee n'est venue a 1'esprit d'un hydraulicien, attendu que 1'on voit de ses yeux le seul et unique courant qui chemine en vertu de la difference des niveaux. Pourquoi done la question resterait-elle indecise quand il s'agit de 1'electricite ? Pourquoi ? parce que Ton ne voit pas les fluides imponderables ; parce qu'on leur supppose volontiers des proprietes merveilleuses, et qu'on s'imagine que tout leur est possible. Ainsi, pour en revenir au point en litige et pour 1'exprimer en termes precis, il y a des physiciens qui n'admettent pas que deux courans inverses puissent coexister dans un meme corps solide ; il en est d'autres, parmi les plus celebres, qui accordent une realite physique a ces doubles courans dont le calcul leur semble demontrer 1'existence. Si de tels courans n'agissent pas sur 1'aiguille aimantee, ce n'est pas, disent-ils, une raison pour en contester 1'existence, car ce manque d'action resulte necessairement de leurs directions opposees. En raisonnant ainsi on ne songeait pas que les pouvoirs calorifiques de ces doubles courans devaient persister, et qu'au lieu de discuter, mieux valait experimenter, afin de reconnaitre s'il se produit, oui ou non, ce degagement de chaleur qui accompagne en toute circonstance les courans electriques, quel que soit d'ailleurs le sens de leur propagation.
Figure B.2. Piles connectees en H.
Figure B.3. Des reservoirs communicants.
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Cependant voici que deux physiciens distingues, MM. de la Provostaye et P. Desains, ont senti 1'opportunite d'une experience de ce genre. Us ont place un fil de platine dans les circonstances les plus favorables pour qu'il rut traverse, s'il etait possible, par deux courans intenses et de directions contraires. Ce fil, touche a ses deux extremites par les rheophores d'une forte pile, entrait d'abord dans une vive incandescence sous 1'influence d'un courant qui le traversait, je suppose, de droite a gauche ; puis, tandis que le phenomene etait en pleine activite, on venait appliquer aux extremites du meme fil les conducteurs d'une seconde pile en tout semblable a la premiere, mais disposee de maniere a fournir son courant de gauche a droite. Aussitot on voyait cesser toute incandescence, et le platine retombait a la temperature ordinaire. Nous etions tout pret a accueillir avec acclamation la consequence naturelle d'un phenomene aussi concluant; mais en vertu d'une disposition d'esprit dont la cause nous echappe, les auteurs ont maintenu pour reel 1'existence des deux courans contraires a 1'interieur du fil de platine, en leur attribuant, pour les besoins de la cause et dans cette circonstance unique et speciale, la propriete de neutraliser leurs pouvoirs calorifiques. Nous n'insisterons pas sur une interpretation dont avant peu les auteurs seront aussi surpris que nous. Ce que nous voulons recueillir et mettre en evidence, c'est le fait lui-meme de 1'absence de chaleur venant confirmer 1'absence probable de courant; car tot ou tard ce fait portera sa veritable conclusion et il repoussera dans le neant des formules une pure fiction qui ne doit pas sortir du domaine de 1'abstraction. (25 novembre 1853) Sur 1'Academic des Sciences L'Academic a pris hier possession de la nouvelle salle qui vient d'etre construite. Elle est situee dans un corps de batiment neuf qui fait face a celui ou se tenaient precedemment les seances. Le changement s'est fait de la maniere la plus simple, il n'en a meme pas ete question. Quoique un peu plus grande dans toutes ses dimensions, la nouvelle salle ressemble beaucoup a I'ancienne. Les murs sont revetus de ce meme bois de chene; ce sont les memes statues, les memes portraits, seulement tout 1'ensemble a ete transpose d'une maniere symetrique, et chacun a pu se diriger d'emblee a sa place, retrouvant a sa droite le voisin qu'il avait a sa gauche et reciproquement. Le public n'y comptera que quelques places de plus; une plus grande hauteur, un eclairage plus favorable, une ventilation, dit-on, plus reguliere : tels sont les avantages que presente le nouveau local. (Cependant, Foucault se plaint deux mois plus tard que le chauffage marche mal et que la peinture n'est pas terminee2.)
(12 novembre 1846) L'influence des vacances s'ajoutant a celle qui resulte depuis plusieurs mois des agitations de la politique, la tribune s'est trouvee accessible hier, des le commencement de la seance, aux savans etr angers a 1'Academic. M. de Quatrefages en a profite tout d'abord pour nous entretenir des mysteres de la generation chez les animaux a fecondation exterieure. Puis M. Dechartre
Extraits du Journal des Debats
a lu 1'extrait d'un travail tendant a faire rentrer dans la grande classe des plantes dicotyledones celles qui, au moment de leur germination, ont semble jusqu'ici pourvues de plus de deux cotyledons ou feuilles germinales. En dernier est venu M. Audouard qui, en discutant sur les peregrinations du cholera en Algerie pendant les annees 1835 et 1836, incline pour ranger parmi les maladies contagieuses le terrible fleau dont nous redoutons en ce moment 1'invasion. M. Audouard agite en meme temps une question qui n'est pas sans interet : il se demande si dans un pays, dans une ville comme la notre, qui a deja ete visitee par le cholera, les personnes qui ont une premiere fois affronte 1'invasion de la maladie sans la subir, ne seraient pas par cela meme assurees a y resister pareillement une autre fois. L'ordre du jour etait peu charge, les materiaux menagaient de manquer pour occuper convenablement la seance ; mais les honorables membres ont trouve moyen de passer le temps en se taquinant les uns les autres au sujet du reglement; ils ont mis en discussion quelques uns de ses articles les plus insignifians. M. Serres surtout s'est montre remarquablement pointilleux : il ne voulait pas que 1'Academie saisit cette occasion de s'occuper de cholera. Et pourquoi done ? Parce que, suivant 1'usage antique et solennel, un Memoire ne peut et ne doit etre renvoye a des commissaires s'il ne termine par un alinea final redige en forme de conclusion. Get usage academique, M. Audouard 1'avait meconnu ; au lieu de hasarder des conclusions, il posait en definitive une simple question, et 1'Academie n'a pas 1'habitude de repondre a tous ceux qui s'avisent de 1'interroger. Neanmoins cette fois la Compagnie ne s'est pas tenue pour offensee, et la proposition mise en avant par M. Audouard, question ou conclusion, peu importe, a ete renvoyee a une commission qui, si elle le juge convenable, en fera 1'objet d'un examen approfondi. M. Geoffroy Saint-Hilaire a montre aussi pour le reglement une susceptibilite vraiment exageree. M. de Quatrefages venait de communiquer les derniers resultats de ses etudes embryogeniques, et, en lui demandant quelques eclaircissemens, M. Lallemand lui offrait 1'occasion de sortir de cette contrainte que 1'Academie impose aux etrangers qui sollicitent de parler devant elle. Vous etes tenu de lire assis, sans intonation, sans geste, sans rien faire pour animer le debit et soutenir 1'attention. C'etait done une marque d'interet et une faveur a la fois que 1'interpellation bienveillante adressee par le savant chirurgien a M. de Quatrefages ; une faveur qui permettait de prononcer autre chose que des mots ecrits ; une faveur que le reglement n'admet pas : on 1'a bien fait sentir. Alors M. Lallemand, soit par un respect affecte pour ce reglement dont on invoquait plutot la lettre que 1'esprit, et qui menagait de degenerer en discipline, soit par une inspiration finement railleuse, M. Lallemand a quitte le fauteuil et s'en est alle tout simplement s'asseoir parmi le public sur la banquette, aupres du naturaliste avec lequel il a eu un entretien particulier dont personne n'a pu profiter. Ainsi M. Lallemand a mis les rieurs de son cote ; M. Biot en etait. « Quand nous etions jeunes, a-t-il dit d'un air qui sied aux vieillards, nous etions singulierement flattes que Laplace ou Lagrange voulussent bien nous demander quelques explications, et en pareille circonstance le respect des uns et la bienveillance des autres n'auraient jamais permis a 1'entretien de
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tourner en controverse. N'avons nous pas d'ailleurs un president ? Pour qui le prenez-vous ? » Nous en croyons vos brillans souvenirs, M. Biot, et nous souhaitions qu'une irregularite qui remonte aux beaux temps de 1' Academie se perpetue comme une tradition et se conserve dans les usages de cette assemblee. (30 aout 1848) Sur 1'utilisation du langage Sur I'Anthropologie de I'Afriquefran^aise, par M. Bory de Saint Vincent. Est-ce bien a 1'Academie que 1'auteur a pu lire dans son entier un pareil Memoire ? Est-ce bien au nom de la science qu'il a redige trop a 1'aise ces phrases a perdre haleine ; ou les documens serieux sont entremeles de reflexions dont le seul defautn'estpas d'etre inutiles ? Les etudes anthropologiques ont-elles place les Arabes et les Ethiopiens assez loin de nous pour motiver la gaiete et le ton demi-plaisant avec lequel 1'auteur raconte la fin des malheureux dont les cranes figurent sur le bureau de 1'Academie ? « Tel nurnero faisant partie d'une bande de pillards, qui, ayant pousse une pointe forte avant dans la Mitidja, y fut sabree, circonstance a laquelle 1'Academie devra de pouvoir juger, etc. Tel autre numero est la tete d'un bandit natif du Soudan, tue dans le Sahel, ou 1'un des coups de sabre dont il fut atteint montre combien 1'epaisseur des os du crane, etc. » Heureux auxiliaires que les coups de sabre et la decollation venant en aide aux progres de la science ! Qu'a-t-il a faire aussi de la beaute des femmes mauresques et de 1'ampleur de leurs charmes ? Et ces malheureux rdtis aux ardeurs du soleil et ces spectres crasseux aux allures de squelette ? (16juilletl845) Nous commenc,erons par payer notre dette a M. Matteucci, et par terminer, s'il se peut, notre differend avec ce savant distingue. Ayant annonce les derniers travaux du physicien de Pise3, tout en eprouvant quelque embarras pour en rendre compte, nous avons pris a notre charge de formuler un reproche qu'on adresse generalement a M. Matteucci. Nous avons ose dire que M. Matteucci n'apportait pas dans la redaction de ses travaux toute la clarte desirable, et qu'on ne pouvait sans un travail considerable coordonner les faits nombreux qui decoulent de son active experimentation. M. Matteucci nous a fait 1'honneur de prendre en consideration ces quelques paroles ; il a compris qu'elles exprimaient plutot un regret qu'une critique, et il nous a ecrit de maniere a nous indemniser du devoir cruel que nous avions accompli. En meme temps M. Matteucci nous a montre que pour ecrire a la frangaise, c'est-a-dire avec ordre, precision et clarte, il ne s'agissait pour lui que d'y songer et de le vouloir. II ne nous reste done plus qu'une priere a adresser a M. Matteucci, c'est qu'a 1'avenir il consente a s'imposer pour tous ses lecteurs en general la petite peine qu'il vient de prendre pour nous en particulier. (II peut paraitre severe de la part de Foucault de blamer un physicien et physiologiste italien pour sa connaissance insuffisante dufrangais. Mais Carlo Matteucci (18111868) avait passe huit mois a la Sorbonne en 1829-1830 et ecrivait habituellement ses articles enfrangais. II devint plus tard ministre de I'lnstruction publicjue dans le gouvernement de I'ltalie unifiee4.) (ler juillet 1853)
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Sur 1'astronomie Les resultats de I'astronomie ont le singulier privilege d'impressionner tres inegalement les personnes plus ou moins susceptibles de s'interesser au mouvement scientifique de notre epoque. Les unes, reservant une estime aux decouvertes capables de fournir des applications immediates, se montrent peu touchees d'etre initiees aux grandeurs, aux distances et aux mouvemens de ces corps avec lesquels elles n'auront jamais de relations bien intimes. L'idee seule d'habiter une sphere suspendue dans 1'espace et tournarit sur elle-meme leur repugne et les indispose centre un systeme qui leur assigne sans doute dans le monde physique une place trop petite. Les autres, plus sensibles aux moyens de conviction dont la science dispose, se pretent plus volontiers a admettre, malgre le temoignage grossier de leurs sens, 1'ensemble des principes etablis par 1'observation et le calcul. Pour nous, il semble qu'un charme particulier s'attache a comparer la splendeur des resultats avec la faiblesse des moyens dont I'humanite dispose pour les obtenir et pour les controler. (2 septembre 1846) Deux nouvelles planetes viennent encore de se laisser inscrire parmi les elemens de notre systeme solaire. L'une d'elles a ete decouverte a Paris meme, rue de Seine, au balcon de la maison n° 12, et au moyen d'une lunette a tirage, d'une simple longue-vue, par un peintre d'histoire, M. Hermann Goldschmit. L'aventure est singuliere. Toutefois il ne faudrait pas faire honneur au pur hasard de la bonne fortune qui vient d'apporter une vraie planete a un artiste regardant vaguement au ciel pour y chercher 1'inspiration au travers d'une lunette : M. Goldschmit connait tres bien ses constellations, il a chez lui les Heures de Berlin qui sont une representation fidele et detaillee du ciel etoile. De plus, il parait que M. Goldschmit a, comme on dit, la bosse de la comparaison, que sa memoire retient avec une fidelite surprenante les arrangemens de details, lors meme qu'ils sont distribues d'une maniere quelconque. C'est precisement la faculte la plus propre a la decouverte de ces astres mobiles, qui, pour un ceil attentif, viennent par leur passage troubler la figure des constellations. Examinant done avec sa lunette, le 15 novembre, vers dix heures et demie du soir, la constellation du Belier, M. Goldschmit y vit un petit point inaccoutume, un point blanc de 8e a 9e de grandeur. De plus, ce point marchait lentement dans le sens direct; evidemment c'etait une planete. Mais 1'astre etait-il nouveau ? Dans un ciel ou voyagent deja une vingtaine de ces asteroi'des successivement decouverts dans ces dernieres annees, il y avait a se defier de rencontrer quelqu'un d'entre eux. C'est alors que notre artiste s'est montre beaucoup plus astronome qu'on n'eut pu s'y attendre. Prenant les elemens elliptiques des orbites de toutes les petites planetes, il a calcule toutes leurs positions actuelles, et il s'est assure qu'aucune d'entre elles ne se trouvait alors dans le Belier. Au reste, il est alle bien vite a 1'Observatoire faire part de son heureuse rencontre, et bientot la decouverte a ete confirmee dans sa realite et dans sa nouveaute. On s'est enfin demande comment s'appellerait la nouvelle conquete, et au risque de lui dormer un nom qui pourrait un jour convenir a une autre, M. Arago a propose celui de Lutetia.
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(L'Academic a donne a Goldschmit une medaille pour sa decouverte5. II decouvrit par la suite 13 autres astero'ides, dont Harmonia, ainsi nomme pour celebrer la fin de la guerre de Crimee, et Eugenia, le premier nomme d'apres un personnage reel, rimperatrice Eugenie6.) (26 novembre 1852)
Sur la medecine et la sante Foucault decrit la difference entre le cancer et I'ulcere de la peau. Le cancer, cette affreuse maladie dont le nom seul inspire tant d'effroi, s'attaque a tous les organes, et, dans sa marche envahissante, ne respecte aucun tissu. Souvent il apparait au visage, et, dans ce cas, on lui applique cette denomination expressive, noli me tangere. C'est en quelque sorte un avertissement qui rappelle au chirurgien 1'incurabilite de cette affection quand elle est bien caracterisee. Toutefois le docteur Lebert affirme que Ton a souvent confondu avec le vrai cancer de la peau une alteration de cet organe qui y ressemble assez a 1'exterieur, mais qui en differe essentiellement en ce qu'il manque de 1'element cancereux proprement dit, caracterise d'une maniere certaine par des globules faciles a distinguer au microscope. Ce faux cancer ou pseudo-cancer reclame au contraire une operation prompte et complete, et est susceptible d'une guerison radicale. Ce serait done encore une de ces applications heureuses du microscope, ou I'instrument, en exaltant la puissance de la vue, fournirait un moyen de diagnostic auquel nul autre ne pouvait suppleer. (23 decembre 1846) De tous cotes arrivent en foule des communications sur le cholera ; mais il en est peu qui meritent d'etre prises serieusement en consideration. Ce sont des remedes secrets, des preservatifs infaillibles ; 1'un attribue 1'intensite du fleau a la pleine lune, 1'autre s'en prend a 1'affaiblissement de 1'electricite atmospherique et croit juger des vicissitudes de 1'epidemie par la longeur des etincelles fournies par la machine electrique. Les gens eclaires sont atterres, gardent le silence et reconnaissent en toute humilite leur impuissance a trouver la moindre trace du principe qui vient de sevir sur nous et nous a decimes d'une maniere si cruelle. (La transmission du cholera par les eaux souillees n'a ete reconnue qu'en 1854, apres que John Snow eut enleve le levier d'une pompe contaminee dans Broad Street a Londres. Ilfallut encore trois decennies pour que le bacille soit isole par le bacteriologiste allemand Robert Koch.)
(30juinl849) Sur les f ous M. H. Carnot soutient toujours que la vaccine est une invention funeste qui pese sur la population, limite son accroissement et produit, comme dit 1'auteur, par une nouvelle repartition de la mortalite, un defaut de proportions entre les bouches inutiles et les bras charges de les nourrir. Vainement M. Charles Dupin, par des argumens irrecusables, fondes sur la discussion des chiffres officiels, demontre jour pour jour 1'accroissement de la vie moyenne
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et le developpement du bien-etre des masses. M. Carnot persiste dans son erreur et s'ingenie a la revetir de formules nouvelles. Mais en meme temps la difficulte qu'il eprouve a repandre ses opinions parmi les gens eclaires devient pour lui 1'occasion de se comparer a Colomb, a Galilee incompris jadis comme lui. A ce symptome caracteristique toute discussion doit cesser, et le moment est venu de laisser le statisticien heretique prophetiser dans son coin 1'epoque a laquelle la population va prendre en France une marche decroissante ; cet evenement, dit-il, peut etre predit avec plus d'elemens de certitude que le retour d'une comete apres sa premiere apparition. Nous en acceptons tres volontiers 1'augure, car la plupart des cometes, apres une seule apparition, s'eloignent pour ne plus revenir. (16 mai 1849) II faut convenir que le succes des tables et des chapeaux tournans a depasse toutes les previsions de la raison la plus indulgente. Dans notre simplicite, nous nous etions persuade, a 1'apparition des premiers symptomes de cette etrange manie, que pour y mettre un terme il suffirait de hausser les epaules et de passer tout droit son chemin sans autre forme de proces ; nous avions, comme on dit, compte sans notre hote; nous avions compte sans la credulite des hommes, sans les nerfs des femmes, sans la persecution des uns et des autres. Pendant toute une semaine, Paris a ete inhabitable ; et, jusqu'au fond de la province ou nous nous etions refugie, nous avons constate que la maladie sevissait avec une incroyable intensite. II nous semble encore entendre un fervent admirateur du mystere, qui, pour dormer plus de force a son argumentation, s'etait empare du bouton de notre habit et semblait ne vouloir le lacher qu'apres nous avoir converti et s'etre assure d'une complete soumission. Ce genre de demonstration, assez inusite dans la science, pouvait bien, il est vrai, nous reduire au silence, mais non pas entrainer une conviction aussi ardente que celle de notre interlocuteur ; nous nous sommes done borne a demander grace et a prendre patience, esperant qu'un jour viendrait bientot ou Ton pourrait, sans courir d'aussi grands dangers, hasarder une opinion sur la rotation des tables, des chapeaux et des ustensiles de menage. (19 mai 1853) Sur les mathematiques Foucault avail de grandes difficultes en mathematiques et adoptait quelquefois une attitude de rejet, comme le montre I'extrait suivant d'un de ses premiers articles. M. le docteur Broc a parle durant trois quarts d'heure pour tacher de nous dormer une nouvelle definition de la ligne droite. Au dire de certains geometres, nous aurions deja de trop de celle qui consiste a definir la ligne droite, le plus court chemin d'un point a un autre. En exprimant ainsi une des proprietes de la ligne droite, on ne represente pas a 1'esprit 1'idee principale qui s'y rattache. L'expression « la ligne droite » reveille en nous une idee tellement simple, que nous sommes impropres a la rendre comme nous la sentons. Aussi, apres tant d'efforts faits inutilement dans le but de tout definir et de tout demontrer, est-on revenu au parti de poser franchement comme evidens une certaine quantite de termes et d'en appeler au sens intime pour apprecier des idees uniques dans leur genre et trop simples pour
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Courbe du 2e degre, 5 inconnues : 0 = 1 + Ax + By + Cx2 + Dxy + Ey2 Courbe du 3e degre, 9 inconnues : 0 = 1 + Ax + By + Cx2 + Dxy + Ey2 + Gx3 + Hx2y + Jxy2 + Ky3
Figure B.4. Equations du deuxieme et du troisieme degre.
preter a aucune definition. Ainsi on ne definit pas la vie, ni le temps, ni 1'espace, on ne dit pas ce qu'est un angle, et on est bien embarrasse a definir la force, ou bien alors on se paie de mots. Ce qui prouve d'ailleurs combien les poursuites de ce genre sont vaines et superflues, c'est que les pretendues lacunes qu'elles tendent a combler n'ont pas entrave la marche de la science. (15 octobre 1845) Huit ans apres, son attitude etait plus positive, mais mains que pour d'autres sciences : I'extrait suivant fait partie du petit nombre d'articles ou Foucault relate des decouvertes mathematiques. On se pose souvent en geometric des questions de ce genre : faire passer une certaine espece de courbe par un certain nombre de points donnes. Tout bachelier es lettres doit savoir faire passer un cercle par trois points marques au hasard sur le tableau, et savoir montrer qu'on n'en peut faire passer qu'un seul. Plus tard, on vous donne cinq points, et 1'on demande de tracer la courbe du second degre qu'ils determinent. Ce probleme ne presente encore aucune difficulte ; mais quand on s'adresse aux courbes d'un ordre superieur, la question se complique au point que Newton luimeme la declara tres difficile a resoudre d'une maniere generale. Pour les courbes du troisieme degre, le probleme se presente ainsi : faire passer une telle courbe par neuf points donnes. L'Academie compte depuis quelques annees dans son sein un geometre qui ne s'est pas laisse decourager par 1'appreciation de Newton. Non seulement M. Chasles a surmonte la difficulte, mais encore il apporte deux solutions differentes de ce fameux probleme de la description des courbes du troisieme ordre, solutions purement geometriques bien entendu, lesquelles reposent sur des proprietes de ces courbes qui permettent d'impliquer sur-le-champ les neuf points par lesquels la courbe doit passer. C'est assurement, au point de vue theorique, un resultat important ; car un moyen simple de construire un dixieme point quelconque de la courbe du troisieme ordre, determinee par neuf points, ne peut manquer d'exprimer une propriete generale, veritable equation de la courbe qui devra se preter avec plus ou moins de facilite aux developpemens de toutes les autres proprietes. (16juinl853) Sur une ascension en ballon
Figure B.5. Le gonflement d'un aerostat.
Les premiers ballons lances avec succes sont ceux des freres Montgolfier en 1783, et, des I'annee suivante, des vols d'aerostats furent organises pour la recherche scientifique et la reconnaissance militaire. En 1804, le chimiste Gay-Lussac etudia I'atmosphere au cours de deux ascensions dans des ballons militaires utilises pendant la campagne d'Egypte de Napoleon ler, mais on ne connait pas d'autre ascension scientifique jusqu'aux deux vols effectues en 1850 par le chimiste J.A. Barral (18191884) et J.A. Bixio (1808-1865), membre de VAssemblee Legislative. Hier 1'Academic ne pouvait disposer que de fort peu de temps pour la partie publique de sa seance ; neanmoins, le secretaire perpetuel, M. Arago, a cru devoir dormer quelques details sur 1'expedition aerostatique dont les journaux quotidiens ont deja fait connaitre le personnel, le but et les principaux incidens.
Extraits du Journal des Debats
L'entreprise de MM. Barral et Bixio est assurement tres louable ; ils ont voulu, a 1'instar de M. Gay-Lussac, faire de la navigation aerienne un moyen d'exploration scientifique ; ils ont voulu faire une application serieuse du magnifique appareil qui, jusqu'a present, n'a trouve a s'employer qu'aux divertissemens de la multitude. Au lieu de s'elancer en plein midi sur la place publique au milieu des curieux, ils devaient partir silencieusement tout au matin du jardin de 1'Observatoire ; au lieu d'agiter a la main un drapeau aux vives couleurs, ils avaient charge la nacelle d'instrumens de precision, de barometres, de thermometres, d'hygrometres, de recipiens divers pour recueillir de 1'air a hauteurs differentes ; au lieu de flotter paisiblement a quelques centaines de metres a la vue du port, ils devaient s'elancer comme une fleche et s'elever tant que leur permettraient leurs poumons et la force ascensionnelle de leur monture. Mais sans doute ils ont craint de se commettre avec les gens dont ils voulaient etre nettement distingues. Ils n'ont pas voulu ou ils ont neglige de prendre a bord un pilote dont le nom aurait rappele des exercices frivoles, et, dans leur inexperience, ils n'ont guere pu recolter que 1'honneur sterile d'un courageux naufrage. [... ] C'est samedi dernier, a quatre heures du matin, que le savant et le representant devaient s'elever dans les airs. A minuit, le ballon n'etait pas encore arrive. Enfin on apporte la fatale machine, on 1'enfle et on la coiffe d'un filet trop etroit. Le ballon etait trop vieux, le filet etait trop neuf. La pluie qui vint a tomber, retrecissant les mailles, raccourcissant les cordages, la nacelle, au lieu de rester suspendue a plusieurs metres au-dessous de 1'aerostat, etait presque en contact avec lui. Mais 1'heure s'avangait, on tenait a partir absolument, malgre vents et marees. Dans des conditions si defavorables, quand 1'impatiente machine, agitee par le vent, surcharged par la pluie, se debattait captive au milieu de trente hommes employes a la retenir ; quand on hesitait sur la quantite de lest a emporter; quand surtout deux ouvrieres, 1'aiguille a la main, ne suffisaient pas a reparer les points faibles, d'autres, moins resolus, plus raisonnables aussi, auraient remis le depart a huitaine. Mais il parait qu'au moment d'accomplir un grand ceuvre, 1'homme est pris d'un vertige auquel il ne resiste pas meme en presence du plus grand danger. Le fait est qu'a dix heures vingt-sept minutes du matin, les voyageurs ont quitte terre en presence de quelques savans qui ont du les suivre d'un ceil inquiet jusqu'au moment ou ils ont disparu dans les nuages, car le temps etait couvert d'une couche nuageuse de 3 000 metres d'epaisseur, ainsi qu'ont pu constater sur place les aeronautes improvises. C'est apres avoir domine ce voile epais, et au moment ou ils retrouvaient un ciel serein, que les voyageurs commencerent a reconnaitre les vices de construction de leur frele esquif et a en ressentir les inconveniens. En penetrant dans des regions elevees, le ballon, qui etait parti gorge d'humidite, se dessechait, se delestait spontanement et sa force ascensionnelle allait toujours croissant. Survint une dilatation inevitable qu'on n'avait pas prevue, ou dont on croyait du moins pouvoir se rendre maitre. Mais comme le filet etait trop petit, comme les cordages etaient trop courts, le ballon, en se dilatant, vint bientot peser sur le cerceau qui suspend la nacelle, puis son volume augmentant toujours, il finit par faire hernie a travers le cercle, en couvrant les experimentateurs comme d'un vaste chapeau. Impossible de continuer les observations, la rupture etait imminente. II fallait dormer issue
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a 1'excedent de gaz en faisant jouer la soupape, mais on la trouva condamnee ; son fil, presse entre le cercle de suspension et la tumeur proeminente de 1'aerostat, ne transmettait plus 1'action de la main. M. Barral prend alors son couteau, le plonge dans 1'enveloppe et livre passage a 1'hydrogene, qui, en s'ecoulant, enveloppe la nacelle d'une atmosphere irrespirable. A des symptomes d'asphyxie succedent des vomissemens, et en revenant a eux les voyageurs s'apergoivent qu'ils descendent a toute vitesse. En levant les yeux, ils aperc.oivent, un peu au-dessous de 1'equateur du ballon, une longue dechirure horizontale de plus d'un metre et demi. Get accident, qui dut leur causer tant d'effroi, leur sauva probablement la vie. La rapidite de la descente les debarrassa du gaz qui les enveloppait. Mais il fallait surtout se preparer a toucher terre. C'est dans cette manceuvre que M. Barral montra tout le sang-froid, toute la presence d'esprit, toute 1'habilite d'un aeronaute consomme. Sans s'intimider, il rassemble son lest, et mesure d'un regard assure la distance qui le separe de terre et qui diminue avec une effrayante rapidite, et des qu'il se croit assez pres du sol, il jette par-dessus le bord tout ce qu'il croit pouvoir soulager la nacelle, en epargnant, quoi qu'il en ait dit, ses precieux instrumens. Le coup lui reussit aussi bien que possible, le ballon vint echouer, moins violemment qu'on aurait pu le craindre, dans un champ de vigne, pres de Lagny, dans le departement de Seine-et-Marne. M. Bixio en est sorti sain et sauf. M. Barral en a ete quitte pour une egratignure et une contusion au visage, qu'il eut evitee s'il n'avait pas tenu a sauver son compagnon d'infortune, le barometre qui lui avait servi a mesurer les hauteurs. Cette perilleuse traversee a dure en tout quarante-sept minutes, et la descente s'est effectuee en sept minutes seulement. MM. Barral et Bixio ne s'en sont pas moins eleves a 5 828 metres au-dessus de leur point de depart, et a 5893 metres au-dessus du niveau de la mer. Le peu de duree de leur sejour dans les hautes regions de I'armosphere ne leur a pas permis de remplir leur programme ; ils n'ont pu relever, pendant leur periode ascensionnelle, que quelques observations au moyen du barometre, du thermometre et du polarimetre. Le barometre leur donnait les hauteurs a tout instant, et c'est au moyen de cet instrument qu'ils ont mesure 1'etonnante epaisseur de 3 000 metres que portait la couche de nuages dans laquelle ils ont disparu ; le thermometre leur a montre que la temperature baissait a mesure qu'ils s'elevaient, a peu pres suivant la meme loi qu'avait observee M. Gay-Lussac lors de sa memorable ascension en 1804. Pendant son sejour dans les nuages, M. Barral a vise dans toutes les directions, avec le polariscope que lui avait confie M. Arago, et il n'a trouve aucune trace de lumiere polarisee; c'est bien ainsi que M. Arago entendait que les choses se passent, lorsque dans une precedente seance il montrait que le polariscope peut servir a mesurer la hauteur des nuages isoles dans un ciel serein. Au moment le plus critique de 1'expedition, quand M. Barral plongeait son couteau dans 1'etoffe distendue par le gaz, il ne songeait guere a observer la temperature; mais les thermometres a minima que lui avait confies M. Walferdin faisaient tout seuls leur besogne, ils ont du conserver 1'indication des temperatures qu'ils marquaient a cet instant, et quand ils auront ete rapportes avec tout le materiel de 1'expedition, on aura sur ce point des renseignemens precis.
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(Quatre semaines plus tard, Banal et Bixiofirent un second vol avec le meme ballon, qui sefendit encore. Neanmoins, Us purent s'clever dans les nuages jusqu'a 7000 metres, ou Us decouvrirent des cristaux de glace en forme d'aiguille et mesurerent la temperature incroyablement basse de -39°C. Us atterrirent pres de Coulommiers7.)
(3juilletl850) Sur un crapaud dans un trou Une personne qui habite la ville de Blois, et dont nous n'avons pu dechiffrer le nom, vient de faire le voyage de Paris tout expres pour mettre sous les yeux de 1'Academic un volumineux silex separe en deux morceaux, et dans lequel on a trouve un crapaud vivant. Apres avoir lu le recit de cette singuliere decouverte, qui fut faite le 23 juin dernier, par des ouvriers qui creusaient un puits, le delegue de la ville de Blois a souleve 1'un des fragmens et a mis a decouvert une cavite qui continue a etre la retraite habituelle du solitaire. L'Academic a bien vu le silex, la cavite et le crapaud; mais le moment decisif etait celui ou la pierre fut brisee, et il faut sur ce point s'en rapporter aux recits d'honnetes ouvriers peu habitues a 1'observation. Cependant il faut dire que les faits de ce genre abondent dans 1'histoire de la science. (L'homme de Blois, dans le Loir-et-Cher, etait un certain Dr Monins8. L'Academic designa une commission de quatre personnes qui fit le voyage de Blois, puis ecrivit un rapport ne comprenant pas mains de onze pages. Ce rapport enumerait deux douzaines de faits du meme genre au cours des deux siecles precedents9. Les commissaires resterent cependant « perplexes ». Apres lecture du rapport, le physiologiste Francois Magendie nota que les muscles du crapaud n'etaient pas atrophies, comme Us auraient du I'etre apres une longue captivite, et suggera que I'un des terrassiers avail bien pu mettre un animal errant dans la cavite10. II ajouta que c'etait une bonne plaisanterie.) (27juilletl851) Sur le kilogramme etalon M. Deleuil presente un kilogramme type etalonne en suivant une nouvelle methode qui permet de realiser rigoureusement le poids voulu sans entamer la dorure dont on recouvre ordinairement tous les poids etalons formes d'un metal oxydable. Pour eviter de rompre cet epiderme d'or fin en operant la reduction progressive du poids a sa juste valeur, on ne croyait pas pouvoir mieux faire que de construire 1'objet en deux pieces, de rapporter le bouton a vis en menageant une petite cavite interieure ou 1'on introduisait un complement necessaire. En realite c'etait un poids en trois morceaux, qui pouvaient se disjoindre si la vis venait a se relacher, ce qui, au bout d'un certain temps, arrivait en effet presque toujours. Pour dormer au kilogramme etalon 1'unite qui convient a de pareils objets, M. Deleuil le construit en cuivre et d'une seule piece ; il le dore, il le brunit, et il s'arrange de maniere a 1'amener un peu au-dessous du poids, puis, pour le completer, il enfonce a force sur la tete une petite cheville d'or massif qui reste saillante, et sur laquelle portent les soustractions graduelles qui permettent d'etalonner rigoureusement. (28 fevrier 1852)
Figure B.6. Bufo viridis, le crapaud vert, avec sa bande dorsale caracteristique, reconnu par les commissaires de 1'Academic pour etre le crapaud dans un silex, a Blois.
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Sur les huiles de graissage Nous aliens maintenant parler d'un fort beau travail de M. Berthelot sur les combinaisons de la glycerine avec les acides, et sur la synthese des principes immediats des graisses animales [... ] Ayant rapporte du travail de M. Berthelot, ce qui nous parait susceptible d'en faire apprecier le plus vivement le merite scientifique, nous presenterons quelques reflexions relatives a 1'une des applications les plus dedicates des corps gras. Quand on a vu 1'etude approfondie de la constitution des corps gras aboutir a une application aussi importante que 1'invention des bougies steariques, on n'a plus le droit de poser 1'eternel et impertinent cut bono ? Cependant les corps gras ne servent pas seulement a 1'eclairage. La mecanique pratique les emploie a adoucir les frottemens, et dans 1'horlogerie de precision surtout 1'huile joue un role extremement important. Comment se fait-il que dans 1'etat actuel de la science on ne soit pas en mesure de fournir a coup sur aux artistes une huile douee des proprietes qu'on rencontre accidentellement dans certains echantillons ? Un horloger n'est sur de son huile qu'apres 1'avoir essayee, et 1'essai n'est concluant qu'au bout d'un temps tres long. Puisque M. Berthelot sait recomposer les corps gras, apres en avoir isole et purifie a son gre les elemens, il semble qu'il pourrait mieux que tout autre s'appliquer a reproduire regulierement une huile fine et douee de toutes les proprietes requises. Cette application n'est pas indigne d'un savant ; la decouverte d'un liquide onctueux non siccatif et propre a regulariser la marche des montres marines est un des plus beaux perfectionnemens qu'on puisse apporter a 1'horlogerie. Encore une fois le probleme n'est pas insoluble, puisque le hasard fournit parfois des echantillons excellens; c'est done a la science a supplanter ce capricieux auxiliaire. (23 septembre 1853) Sur la nourriture Nous saisissons volontiers 1'occasion de reclamer centre 1'abus et 1'obsession du pain blanc. Pour peu qu'on ait mene la vie de garc.cn, pour peu qu'on ait subi pendant quelque temps le regime du petit pain de gruau qui vous est inflige dans les endroits publics avec tant d'insistance, on finit par prendre en souverain degout cette blancheur ou plutot cette paleur de mie, indice certain de 1'absence de saveur. La repulsion centre le pain blanc pur est plus repandue qu'on ne le pense, et pour que le commerce continue a en favoriser 1'usage il faut qu'il y trouve un interet cache qui echappe au consommateur. En general, 1'industrie deploie beaucoup trop de zele a perfectionner les raffinages de toute espece, a pratiquer ces epurations a outrance qui depouillent de leur cachet original les denrees qu'elle emploie, leur enleve jusqu'aux dernieres traces de leur veritable provenance et les fait converger vers une identite complete. Qui pourrait aujourd'hui distinguer le sucre de canne du sucre de betterave, depuis que 1'art du raffineur a prive celui-la de ses principes aromatiques, et depuis qu'il a debarrasse celui-ci des produits repoussans qui lui imprimaient dans 1'origine une inferiorite notoire ? Le sucre est tres beau, tres blanc, c'est vrai, mais n'est plus un aliment, ce n'est qu'un condiment. C'est un produit chimique repr^sente par une formule rigoureuse et pres duquel on mourrait bien vite de faim.
Extraits du Journal des Debats
Le pain blanc n'en est pas arrive la, mais guere s'en faut; s'il charme les yeux il ne flatte plus le gout; et tandis que les hommes s'y laissent encore prendre, les chiens, dit-on, n'en veulent pas. (11 decembre 1853) La Bibliotheque des chemins de fer vient de mettre en vente un petit livre qui nous parait destine a completer bien des educations. Au college, on n'apprend pas a faire le pain, a recolter les vins, a conserver les viandes, a reconnaitre les falsifications qui assiegent de toutes parts les consommateurs, si bien qu'il se trouve par le monde quantite de gens qui, sans y prendre garde, continuent de rester dans une ignorance complete en ce qui concerne leur existence materielle ; 1'histoire des substances alimentaires n'est pourtant pas, tant s'en faut, denuee d'interet ; et M. Payen, en y consacrant le petit livre dont il s'agit, nous semble avoir compris les besoins intellectuels de cette partie eclairee du public qui ne demande pas mieux que de connaitre les sources premieres des substances livrees a la consommation. Ces substances done ont ete examinees par M. Payen au point de vue de leurs qualites, de leurs alterations spontanees, des moyens de conservation, des falsifications dont elles ont ete 1'objet, et des moyens de decouvrir ces fraudes ; enfin 1'auteur s'est attache a definir le role qu'elles accomplissent, et a analyser les conditions principales d'une bonne alimentation. (6 Janvier 1854) Sur la chaleur et le travail
Si nous n'etions habitue par 1'experience de chaque jour a voir les machines a vapeur s'agiter d'elles-memes comme des etres vivans, le fait assurement nous paraitrait fort extraordinaire ; car enfin quelle relation directe notre raison saisit-elle entre le mouvement produit et la pelletee de charbon jetee dans le foyer ? Pourquoi cette force motrice qui apparait ne serait-elle pas dix fois, cent fois plus petite ou plus grande ? [... ] C'est done un phenomene bien remarquable que cette apparition de force motrice qui n'emane ni du choc d'un corps en mouvement ni de 1'abaissement d'une masse pesante. Ce phenomene est du sans aucun doute a 1'intervention de la chaleur ; mais comment definir son role et comment 1'expliquer sans contrevenir aux lois generates de la mecanique ? La premiere idee qui s'est presentee etait d'attribuer le mouvement produit au passage de la chaleur a travers la machine : la vapeur n'etait alors que le vehicule du principe moteur, lequel agissait avec d'autant plus d'efficacite qu'il prenait une expansion plus considerable. La chaleur se detendait comme un ressort pendant 1'abaissement de la temperature du vehicule employe. Du reste, la chaleur devait se retrouver en totalite au sortir de la machine. Nous n'insisterons pas sur cette theorie, qui a ete proposee par S. Carnot, car elle tombe devant une objection a peu pres irresistible. Suivant Carnot, la chaleur ne fait que traverser la machine et se retrouve sans perte apres avoir produit son effet. D'un autre cote, puisque la machine fonctionne, on pourrait 1'employer a exercer des frottemens qui regenereraient un surcroit de chaleur ; on recolterait en definitive plus de chaleur qu'on n'en a fourni, ce qui est evidemment impossible.
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Le fait du degagement de chaleur par le frottement etait connu, a vrai dire, de toute antiquite ; c'etait meme un moyen d'obtenir le feu ; mais il ne semble pas qu'avant M. J.-R. Mayer, de Hellbronn, personne ait eu la hardiesse d'en tirer le principe fecond sur lequel doit reposer a 1'avenir toute la theorie mecanique de la chaleur. Puisque le frottement aneantit le mouvement, ou plutot le travail ou la force vive*, et qu'il fait apparaitre du calorique, il faut bien qu'il y ait transformation de 1'un en 1'autre: autrement, dit M. Mayer, il y aurait en meme temps effet sans cause et cause sans effet. Puis M. Mayer enumere divers exemples de transformations reciproques de chaleur en travail. Enfin il attribue a un semblable echange les evolutions de chaleur qui se produisent lorsqu'on dilate un gaz et qu'on le comprime alternativement; et pour achever de preciser sa pensee, des 1'annee 1842, il designe du mot equivalent mecanique de la chaleur les 365 kilogrammes dont 1'abaissement a 1 metre est capable de degager la chaleur suffisante pour echauffer de 1 degre 1 kilogramme d'eau. II serait bien injuste de disputer sur ce chiffre qui, ainsi que nous le verrons plus loin, est sensiblement trop faible ; on aurait tort aussi de vouloir recriminer sur le vague des expressions mouvement et force mecanique employees par M. Mayer pour indiquer ce que Ton designe plus nettement aujourd'hui par le travail et la force vive ; il est bien clair que M. Mayer a voulu parler des deux formes les plus ordinaires sous lesquelles se manifeste le resultat d'une force reellement agissante : a savoir 1'elevation d'un poids a une certaine hauteur, ou la vitesse communiquee a une certaine masse. En annoncant qu'il existe un equivalent mecanique de la chaleur, M. Mayer a voulu dire expressement que le principe dynamique, dont on connaissait deja deux formes, le travail et la force vive, est susceptible d'en revetir une troisieme, qui est la chaleur. S'il en est ainsi, les machines a vapeur, et en general toutes les machines a feu, ne sont que les organes de la transformation de la chaleur en travail, et, contrairement aux idees de Carnot, cette transformation doit entrainer dans la chaleur fournie un deficit equivalent au travail obtenu. Apres que Carnot eut pose en principe que la production de travail est le resultat d'une chute de temperature sans deperdition aucune de chaleur, M. Mayer, en pronongant seulement le mot equivalent, proclamait un principe tout oppose dont la consequence immediate etait la disparition sur place d'une quantite definie de chaleur transformee. Comme on le voit, les deux systemes ainsi mis en presence ont au moins 1'avantage de presenter une opposition aussi tranchee que possible, ce qui n'a pas eloigne les geometres de la pensee de les amalgamer ensemble. Mais avant qu'on eut reussi a jeter les voiles de 1'analyse sur la plus belle question de physique de 1'epoque, un savant anglais, doue d'un esprit net et prompt, inventif et eleve, M. Joule, avait deja vu que les deux systemes conduisaient a des consequences tellement differentes qu'il serait possible de les soumettre a 1'epreuve d'une experience simple et decisive. Les idees de Carnot, d'accord avec les principes de 1'ancienne physique des gaz, s'arrangeaient tres bien des capacites variables dont on les supposait doues pour la chaleur ; autrement dit, Carnot admettait ce qui du reste s'enseigne encore tous les jours, que, toutes choses egales d'ailleurs, il y * que nous appelons aujourd'hui 1'energie cinetique.
Extraits du Journal des Debats
a plus de chaleur dans un gaz dilate que dans le meme gaz reduit a un moindre volume ; des milieux gazeux on faisait comme une boite elastique dans laquelle il y avait d'autant plus de place pour la chaleur qu'elle etait plus distendue, et cette assimilation grossiere, qu'on aura beaucoup de peine a deloger de la tete a plus d'un, etait fondee sur ce fait qu'en comprimant la boite on semblait en faire sortir la chaleur ; partant de la, on dogmatisait a n'en plus finir sur la distinction des capacites calorifiques sous pression constante et sous volume constant; rien qu'a 1'ennui qu'on en ressentait on jugeait que c'etait faux. Dans 1'hypothese ou Ton admet 1'existence de 1'equivalent mecanique, les choses se passent tout autrement: la quantite de chaleur contenue dans un gaz ne depend plus que de sa temperature et de 1'espece de matiere dont il est forme. Quant au calorique qui se degage pendant la compression, il ne provient pas du gaz, mais il resulte de la transformation du travail exterieur qu'il a fallu depenser; reciproquement, le froid produit par la dilation n'indique pas que la chaleur se soit refugiee ou cachee dans 1'interieur du gaz ; non, elle s'est echappee sous forme de travail restitue, et pour prouver qu'en effet les changemens de volume ne sont pour rien dans des evolutions de chaleur, il suffisait d'imaginer un moyen de provoquer de pareils changemens sans complication d'un travail quelconque. L'experience par laquelle M. Joule a realise ces donnees restera celebre, car elle porte aux anciennes idees un coup dont elles ne se releveront pas, un coup qui les enverra rejoindre les debris glorieux en optique et en electricite du systeme de 1'emission et de la theorie du contact. Cette experience, que nous rappelons a neuf annees de date, est du reste d'une simplicite qui ajoute encore a sa valeur et a son importance. Elle consiste a placer dans un meme calorimetre deux recipiens de meme capacite et qui communiquent ensemble par un tube a robinet; dans 1'un on a fait le vide, et dans 1'autre on a refoule 1'air a 22 atmospheres ; 1'ouverture du robinet, en permettant a un moment donne la libre circulation entre les deux vases, determine 1'expansion du gaz dans un espace double. Mais comme cette expansion a lieu en presence de parois fixes, comme il n'y a pas de piston souleve, il n'y a pas non plus de travail produit. Le thermometre va done prononcer entre les deux systemes. Si les changemens de temperature sont essentiellement lies aux changemens de volume, le thermometre doit baisser, et c'est la physique d'autrefois qui 1'emporte ; si au contraire la calorification est liee au travail, le thermometre demeure immobile et la verite se declare du cote de MM. Mayer et Joule. L'experience, avons-nous dit, restera celebre, c'est que en effet le thermometre n'a pas bouge. La temperature s'est bien abaissee dans le premier recipient en meme temps qu'elle s'elevait dans le second, ainsi que M. Joule 1'a constate directement; mais il y a eu compensation exacte. Au contraire, en faisant degager le gaz sous une cloche pleine d'eau, on a eu une dilatation du gaz qui etait accompagnee d'un travail mecanique, puisqu'il fallait alors soulever le poids de 1'atmosphere ; ce travail depense fut fidelement traduit par un abaissement de temperature tres sensible. Cette derniere experience, tout en confirmant les idees qui ont dicte la premiere, a permis en outre de calculer une nouvelle valeur de 1'equivalent mecanique de la chaleur, qui s'est eleve a 441 au lieu de 365 qu'avait donne M. Mayer.
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Plus tard, dans une autre serie d'experiences qui ont eu principalement pour but de recueillir et de mesurer la chaleur issue de f rottement des solides ou des liquides, M. Joule a encore retouche a ce chiffre, et 1'a vu en definitive osciller tres legerement autour du nombre 431. Cependant, en France, M. V. Regnault poursuivait de son cote ses grands travaux sur la chaleur, sans laisser soupgonner qu'il eut pris parti pour 1'un ou pour 1'autre systeme. Le petit nombre de personnes qui se tenaient au courant de la revolution qu'operaient dans la science MM. Mayer et Joule attendaient avec impatience, je dirais presque avec anxiete, des resultats qui, a tous les points de vue, devraient offrir les garanties d'une haute precision. On sait d'ailleurs quel esprit de conduite preside a ces graves recherches. M. Regnault a fait maintes fois sa declaration de principes. « Je me suis toujours applique, disait-il encore dernierement, a definir de la maniere la plus precise les conditions dans lesquelles j'opere, afin que Ton puisse tirer parti de mes experiences, quelle que soit la theorie qui 1'emporte. » Eh bien, sur un premier point la theorie nouvelle 1'a deja emporte. On disait, suivant Delaroche et Berard, au sujet des gaz considered sous pression constante, que leur capacite pour la chaleur dependait et de la temperature et de la pression. Contrairement a cet article de foi qui avait bon besoin d'etre verifie, M. Regnault est venu annoncer 1'annee derniere que la chaleur specifique de 1'air ne varie pas, ou si vous aimez mieux, par egard pour nos peres, ne varie plus avec la temperature, et que des experiences sur d'autres gaz permanens conduisent a une semblable conclusion. De meme, les chaleurs specifiques aux differentes pressions se sont montrees sensiblement les memes. (8juinl854) Sur le barometre Figure B.7. Un barometre a mercure.
Le barometre a meme penetre dans les appartemens : il est devenu le complement oblige d'un ameublement complet, et beaucoup de gens qui le confondent avec le thermometre a cause du mercure, du verre et du metal divise dont ils sont formes tous deux, ne manquent pas de le consulter au moment de sortir pour se decider a chausser le caoutchouc ou le soulier verni. Pour ceux qui ont le gout irreflechi des observations quand meme, et qui dans la pratique des sciences confondent obstinement le but et le moyen, le barometre est devenu une source inepuisable de jouissances, car enfin, quelque temps qu'il fasse, 1'inoffensif instrument offre toujours une indication qui se puisse noter, et son registre une fois rempli, 1'homme au barometre est au moins assez satisfait de 1'emploi de sa journee que 1'etait Titusf apres avoir fait une bonne action. (17 fevrier 1857) Sur les industries insalubres Parmi les corps susceptibles d'affecter plusieurs etats, nous avons nomme le phosphore, qui, conjointement avec le soufre, est journellement employe + Titus Vespasianus, qui bien que debauche et violent dans sa jeunesse, devint un empereur bienfaisant en 79-81.
Extraits du Journal des Debats
dans la fabrication des allumettes chimiques. Cette introduction du phosphore dans la composition d'un objet usuel a deja cause bien des malheurs. Le phosphore, tel qu'on 1'a employe jusqu'ici, est un poison violent et une cause perpetuelle d'incendie ; ses proprietes veneneuses sevissent sur les ouvriers qui le manient, les exposent a des caries, a des necroses, et les conduisent infailliblement a une mort prematuree. Aussi la fabrication des allumettes est-elle marquee en noir parmi les arts insalubres. Le poison penetre ensuite chez le consommateur, ou sa presence peut parfois servir de coupables desseins, ou toujours elle constitue un danger permanent. D'ailleurs le phosphore ne fut-il pas veneneux, des allumettes qui s'enflamment par le frottement sur un objet quelconque ne peuvent manquer d'augmenter dans une forte proportion les chances d'incendie. En presence de tant de dangers, 1'autorite songerait vainement a prohiber un objet qui est devenu d'un usage aussi general; mais la science a fait mieux, elle a trouve un autre phosphore qui n'est plus veneneux, qui ne repand plus de vapeurs nauseabondes, qui ne brule qu'avec une extreme difficulte, et qui pourtant peut encore, sous 1'influence du frottement, provoquer I'lnflammation d'un melange de soufre et de chlorate de potasse. Le savant qui 1'a decouvert ne songeait nullement aux applications ; il se plaisait seulement a montrer que le phosphore ordinaire, longtemps maintenu a la temperature de 240 a 250 degres, se transforme peu a peu en une poudre inerte qui, sans rien gagner ni rien perdre, tourne au rouge brique, devient inodore et cesse de se dissoudre dans le sulfure de carbone. M. Schroetter a nomme phosphore amorphe le resultat de cette transformation; il n'y voyait qu'un exemple curieux de changement de propriete que 1'application de la chaleur peut imprimer a un corps elementaire. Les premiers essais par lesquels on a tente de substituer le nouveau phosphore a 1'ancien dans la fabrication des allumettes n'ont pas donne de bons resultats. Les emanations deleteres avaient disparu, mais la composition, avivee par le chlorate de potasse, etait dangereuse a manier pour le fabricant et pour le consommateur, en ce qu'elle constitue un melange fortement explosif. Mais un Suedois, M. Lundstrom, eut enfin 1'excellente idee de maintenir separes le chlorate de potasse et le phosphore, laissant 1'un au bout des allumettes et etalant 1'autre en couche mince, en guise de gratin, sur le corps frotte. Par cette combinaison tous les inconveniens ont disparu a la fois : la fabrication a ete assainie, les chances d'explosion ont cesse d'exister, le consommateur n'a rien a changer a ses habitudes, seulement 1'allumette ne prend que lorsqu'on la frotte sur le carton enduit de phosphore rouge, partout ailleurs elle refuse le service, et c'est ce qui fait la securite du nouveau precede. Les cessionnaires du brevet suedois, MM. Coignet pere et fils, ont glisse leurs boites d'allumettes parmis les Memoires presentes, et nous n'avons point hesite a en parler comme d'une elegante, serieuse et utile application des recherches desinteressees du savant chimiste allemand qui a decouvert le phosphore rouge. (8 avril 1857)
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Sur la synthese comme base de la chimie organique En 1793, Lavoisier avail decrit la chimie comme « la science de Vanalyse ».n Trente cinq ans plus tard seulement, Fredrick Wohler avait transforme le cyanate d'ammonium [NH4OCN] en son isomere, I'uree [OC(NH2)2l- Cette synthese d'une substance organique a partir d'une substance minerale a souvent ete interpretee a tort comme /'experimentum crucis qui a elimine le vitalisme de la chimie. La theorie vitaliste etait toujours vivante : elle pretendait qu'il y a une difference fondamentale entre la chimie des substances minerales (non vitales) et celles des substances organiques (vitales) que Von trouve dans les organismes vivants. En 1860, Marcellin Berthelot (1827-1907) publia sa Chimie organique fondee sur la synthese12. Dans ce qui suit, Foucault met I'accent sur les progres theoriques qui peuvent resulter de la synthese, mais il ne semble pas avoir remarque que I'ouvrage de Berthelot etait un cheval de Troie contre le vitalisme, que ce dernier avait en horreur.
Les premiers chimistes qui essayerent de decomposer les materiaux si nombreux qui se tirent des organes des animaux et des plantes furent bien etonnes de voir qu'ils arrivaient finalement a isoler toujours les memes elemens. On eut beau varier les traitemens et redoubler d'attention pour ne rien laisser echapper, de tant de substances douees de proprietes si diverses, on ne parvint a tirer que du carbone, de 1'hydrogene, de 1'oxygene et de 1'azote. Ces quatre elemens, diversement combines, forment done presqu'a eux seuls tous les principes immediats qu'on rencontre tout faits dans les organes des etres vivans ; mais ces principes eux-memes, des qu'on sut les traiter avec management, on les vit se resoudre en des composes de plus en plus simples, qui, tout en se rapprochant des substances minerales, conservent plus ou moins 1'empreinte d'une origine organique. La decouverte de tant d'especes distinctes eut jete dans la science un etrange desordre, si les chimistes ne s'etaient hates d'etablir des groupes ou les produits viennent se ranger d'apres leurs fonctions chimiques. Toujours guides par 1'analyse elementaire, et particulierement attentifs aux circonstances ou les roles se dessinent, ils ont etabli des categories distinctes ou viennent se ranger les acides, les bases, les alcools, les ethers, les aldehydes, les amides, etc. Ainsi s'est constitute cette vaste chimie organique qui decomposait,pour les analyser, les innombrables produits issus du regne organique, mais qui ne se croyait pas tenue de les refaire dans leur integrite. II ne lui arrivait que dans des cas tres rares, et par exception, de reproduire artificiellement des composes naturels. Mais que de fois dans les sciences 1'exception s'est montree plus instructive que la regie ! Le tout est d'arriver a en obtenir la generalisation et d'enlever au fait isole son caractere accidentel. La regie etait 1'analyse et la synthese 1'exception. M. Berthelot, en chimiste novateur, a resolument entrepris de generaliser la synthese et de reformer les matieres organiques en partant des elemens mineraux. M. Berthelot a deja consacre dix annees a la poursuite de cet important resultat, et dans une serie de Memoires il a annonce la formation artificielle d'un certain nombre des produits les plus interessans de la chimie organique : hydrogenes carbones, alcools, acides, ethers, corps gras, etc. II est bien entendu que les resultats ainsi obtenus ont un interet purement philosophique ; il n'est nullement question de creer economiquement des combinaisons que Ton rencontre toutes faites dans la nature ou qui derivent
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sans difficulte des produits naturels. On n'arrive pas, jusqu'a present du moins, a renverser 1'ordre naturel des metamorphoses de la chimie organique sans recourir a des detours, a des artifices subtils ou compliques ; mais enfin, scientifiquement parlant, M. Berthelot rencontre presque toujours et de plusieurs manieres la solution du probleme ; pour les savans, c'est 1'essentiel. Comme une meme pensee domine cette belle serie de travaux, comme aussi bien des fois 1'application des memes methodes a ete couronnee de succes, on comprend que 1'auteur ait songe a reunir 1'ensemble de ses recherches en un corps d'ouvrage. Mais dans ce remaniement une idee nouvelle s'est fait jour, et ces excellens Memoires qu'on avait si bien acueillis sous des titres varies sont devenus, reunis ensemble, une Chimie organique fondee sur la synthese. Comment des reactions qui hier encore etaient a 1'etude, comment cette oeuvre de recompositionprecedee, secondee, etayee par 1'analyse, peut-elle des aujourd'hui detroner 1'analyse elle-meme et devenir la base de la chimie organique ? Voila ce que se demandent avec etonnement tous ceux qui aiment a se compter parmis les partisans et les amis de M. Berthelot. Et d'abord, il ne s'agit pas de supprimer precisement 1'analyse. II s'agit tout au plus de lui susciter comme rivale la synthese, qui sera chargee de confirmer ses resultats, de refaire ce qu'elle detruit et de creer du meme coup une multitude de formations qui ne se rencontrent pas dans la nature. Ecrire une chimie fondee sur la synthese, ce n'est pas faire de la synthese 1'unique fondement de la science; cela signifie qu'on a voulu, comme 1'auteur, se placer au point de vue particulier ou Ton envisage specialement les avantages que la science pourra retirer, dans le present ou dans 1'avenir, de 1'application des methodes synthetiques. Quand on a reussi a former des hydrogenes carbones avec 1'eau et 1'oxyde de carbone, que de la on est passe aux alcools ; quand ensuite il a suffit de combiner les alcools avec les acides pour obtenir les ethers ; lorsque enfin ces memes alcools, unis a I'ammoniac, ont donne naissance a des alcalis artificiels, il est sans doute permis de regarder comme probable et prochaine la reproduction artificielle des alcalis naturels, tels que la morphine, la quinine, la strychnine, la nicotine et tant d'autres principes actifs contenus dans les vegetaux. Non seulement toutes les substances naturelles seront reproduites dans le laboratoire ; mais, une fois en possession des methodes generates, la synthese en formera une infinite d'autres ; on peut deja citer pour exemple les millions de composes artificiels que Ton peut former de toutes pieces, en suivant la methode si simple par laquelle M. Berthelot a realise la synthese des quinze ou vingt corps gras qu'on rencontre dans la nature. Ces millions de composes possibles, on les realisera ou on ne les realisera pas, peu importe, mais ils sont a la disposition du chimiste qui, dans le developpement de telle ou telle serie de corps analogues engendres suivant une meme loi generate, pourra saisir dans leurs variations progressives les relations qui existent entre les compositions et les proprietes physiques et chimiques de ces corps. Telles sont les principales raisons pour lesquelles M. Berthelot a pense qu'on pouvait des aujourd'hui embrasser la generalite des faits dans une chimie synthetique qui, dans un avenir prochain, marcherait au moins de pair avec 1'ensemble des considerations analytiques sur lesquelles se fonde la chimie organique.
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Quoi qu'il en soit, on reconnait a premiere vue dans la nouvelle Chimie organique 1'oeuvre originale d'un esprit eminent. On peut n'etre pas d'accord en toutes choses avec M. Berthelot; mais quelques points de dissidence ne contrarient nullement 1'entrainement qu'on eprouve vers ceux qui pensent par eux-memes et ne se contentent pas de repeter de confiance ce que d'autres ont repete avant eux. (En fait, la synthese se montra utile aussi Men en pratique que pour la theorie. Le premier colorant de synthese, le mauve, avait deja ete realise par W.H. Perkin en Angleterre des 1856, avant la publication du livre de Berthelot, mais c'est en Allemagne que la synthese industrielle devait s'epanouir a la fin du XIXe siecle. La synthese est a la base de la production pharmaceutique actuelle. Elle est restee cruciale pour I'elucidation des structures chimiques jusqu'a I'arrivee des spectrographes de masse a haute resolution et des spectrometres a resonance magnetique nucleaire dans les annees I96013. Dans un ouvrage oil le Pantheon joue un role eminent, il parait interessant de faire une remarque concernant Berthelot. Apres le deces de safemme, il se retira dans sa chambre oil on le trouva mort quelques heures plus tard. On ordonna des funerailles nationales, et ilsfurent tous les deux enterres au Pantheon. Cefut la premiere femme a avoir eu cet honneur, avant Marie Curie dont les restes furent transferes au Pantheon en 1995.) (6 decembre 1860)
Appendice C Photographies et instruments Peu de daguerreotypes de Foucault ont survecu. L'un des deux premiers, qui sont signes et dates de 1842 (figure 3.13), a recemment ete vendu1, et 1'autre se trouve dans la collection Cromer de la George Eastman House a Rochester (figure 3.14). Depuis 1929, la Societe franchise de photographic (SFP) a Paris possede plusieurs photographies non signees attributes a Foucault, probablement avec raison, par leur collectionneur d'origine, Alfred Nachet, de la celebre maison parisienne de fabrication de microscopes. Elles comprennent les figures 4.182, 4.19, 13.29 et la planche 4. La SFP possede egalement huit micro-daguerreotypes et la Bibliotheque nationale de France deux, tandis qu'en Grande-Bretagne la Royal Microscopical Society en possede six (figure 4.7) et la Wellcome Institute Library huit. La plupart ont ete donnes par Nachet3. Le Musee national des techniques du Conservatoire national des arts et metiers (CNAM) a Paris possede le daguerreotype du Soleil de Foucault et Fizeau (figure 4.17). II subsiste encore moins d'instruments originaux de Foucault. Le microscope photoelectrique (figures 5.1 et 5.2) et un microscope composite etaient catalogues dans la collection de microscopes de Nachet en 19294, mais on en a perdu la trace. Foucault a legue au CNAM le pendule de 1'Exposition universelle de 1855 et son systeme d'entretien. Le CNAM possede aussi ce qui est probablement la boule du pendule du Pantheon de 1851 (planche 5) et un globe marque par Foucault pour illustrer la rotation du plan d'oscillation du pendule5. Le meme legs a attribue a 1'Observatoire de Paris les elements de 1'experience de mesure de la vitesse de la lumiere de 1862 (planches 2022). L'Observatoire de Paris possede ce qui est probablement le premier telescope de 10 centimetres (planche 12), les telescopes de 20 et de 40 centimetres (figure 13.26), un objectif de lunette de 240 millimetres de diametre (planche 18), des modeles en bois illustrant le controle des miroirs avec le couteau (planche 15), et des prototypes d'elements du pendule de 1855 (un systeme d'entretien, planche 8 et des parties d'un parachute semblable a celui de la figure 10.31). Le telescope de 80 centimetres (planches 16 et 17) se trouve a 1'Observatoire de Marseille. Foucault a legue le reste de ses appareils a son ami Jules Regnauld6. Presque tout est perdu, mais ce dernier legs est a 1'origine des miroirs de Fresnel pour les interferences (planche 3), et du spherometre (figure 13.25 et planche 19) qui se trouvent a 1'Observatoire de Paris, et peut-etre d'une bobine de Ruhmkorff sectionnee au CNAM7. Bien que le materiel original soit rare, les musees renferment de nombreuses copies qui etaient vendues par les constructeurs avec lesquels Foucault travaillait. Ces copies sont souvent presentees a tort comme etant des originaux. II faut aussi se souvenir que les fabricants d'instruments
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mettaient souvent a leur catalogue des instruments fabriques par d'autres8. Un exemple est la bobine de Ruhmkorff de 1'Universite d'Urbino (planche 11) qui porte une petite plaque de laiton avec 1'inscription « Secretan a Paris ». Le gyroscope original de 1852 avait ete legue au College de France et est perdu, mais des copies se trouvent au CNAM (cet instrument a ete construit par la maison Dumoulin-Froment pour 1'Exposition universelle de 1867) et au Science Museum de Londres. La Smithsonian Institution de Washington possede un gyroscope incomplet. En Italic, Ton trouve des photometres au Museo per la Storia dell'Universita a Pavie (planche 9) et a 1'Universite de Catane. Des appareils de demonstration des courants de Foucault existent au CNAM (ou il y a egalement un prisme polarisant), a 1'Ecole polytechnique et a Pavie (planche 10). II existe de nombreux interrupteurs a mercure, isoles ou incorpores a une bobine de Ruhmkorff: au CNAM, a la Fondazione Scienza e Tecnica (Florence), a Pavie (figure 12.9), a 1'Universite d'Urbino (planche 11) et au Science Museum de Londres. On peut voir de petits telescopes a miroir de verre argente au Palais de la Decouverte a Paris, au Deutsches Museum a Munich, au Science Museum (numero 26) et a la Smithsonian Institution (planches 13 et 14). II y a aussi un telescope de 40 centimetres a 1'Universite Laval a Quebec. Le Science Museum possede des miroirs de verre, argente et recouvert de platine, donnes par Foucault a John Herschel en 1857. Des copies du miroir tournant de 1862 se trouvent au CNAM, au Musee Teyler de Haarlem, au Museum of the History of Science a Oxford et au Museum of Scotland a Edimbourg. Des lampes a arc de Foucault-Duboscq, qu'il faut distinguer de la forme anterieure de Duboscq, existent a Oxford, au Science Museum et au Ndrodnf Technicke Muzeum de Prague. L'exemplaire d'Oxford porte le numero 130, ce qui suggere qu'il y en a beaucoup d'autres ailleurs. Le Musee Teyler presente une lampe a arc de forme legerement differente, numerotee 1 par Duboscq. Aucun heliostat de Foucault n'est connu. Une etude approfondie est necessaire pour identifier les regulateurs du type de ceux de Foucault. Celui du siderostat posthume de 1'Observatoire de Paris, bien que non original, en est un, ainsi qu'un autre regulateur initialement monte sur ce siderostat, conserve a 1'Observatoire de Paris. Le CNAM possede un cylindre enregistreur avec un regulateur semblable a celui de la figure 16.199. Cette enumeration des copies d'instruments de Foucault est certainement incomplete. Le lecteur interesse doit consulter les catalogues des musees, qui sont de plus en plus souvent accessibles sur Internet, avec des photographies (on peut en trouver facilement les adresses grace aux moteurs de recherche). Le Online Register of Scientific Instruments, cree sous les auspices de Y International Union of the History and Philosophy of Science, deviendra de plus en plus utile a mesure de son developpement. II est interessant de noter le prix d'achat des instruments commerciaux. Le Musee Tayler a paye 296 florins son miroir tournant en 186310. Le catalogue de Duboscq de 1864 liste des heliostats de Foucault, petit et grand modele, pour 800 et 1200 francs, respectivement11. L'heliostat de Silbermann coutait 500 francs. Le catalogue de Secretan de 1874 donne les prix suivants12 : pendule 250 francs ; gyroscope 2500 francs ; photometre 45 francs ; appareil a courants de Foucault 350 francs ; telescope de 10 centimetres monte en metal sur tripode 500 francs ; idem 16
Photographies et instruments
centimetres 1200 francs ; telescope equatorial de 16 centimetres en metal, avec entrainement 2 500 francs ; idem avec monture en bois 1650 francs ; idem avec miroir de 50 centimetres 29000 francs ; idem avec monture en metal 35000 francs ; re-argenture d'un miroir de 16 centimetres 7 francs 50 ; idem pour 50 centimetres 70 francs ; lampe a arc 200 francs ; regulateur a ailettes (figure 16.19) 250 francs ; idem avec cylindre enregistreur 500-600 francs; siderostat 12 000 francs Pour la valeur de 1'argent en France, voir le tableau 2.1.
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Appendice D Construction d'un pendule de Foucault Au vu de la simplicite apparente du pendule de Foucault, beaucoup ont cru pouvoir le construire facilement. Cependant, comme nous 1'avons indique au chapitre 10, cette construction n'a rien d'evident. II n'existe pas de recette standard car la hauteur disponible, 1'acces a la suspension et la duree requise pour la demonstration varient selon le cas. Get appendice donne des instructions et des references a des articles publics pour les lecteurs qui desirent se lancer dans la construction d'un pendule. C'est la seule partie de cet ouvrage qui necessite des connaissances en physique. On peut aussi se procurer un pendule chez certains fabricants1. La physique d'un pendule ideal, isotrope, mais pas isochrone si son amplitude n'est pas tres petite, est etudiee dans de nombreux traites de mecanique, et a etc decrite avec differents degres de detail par Olsson2. La periode P d'oscillation dans un plan d'un pendule forme d'une masse ponctuelle m a la distance / du point de suspension, dont 1'amplitude angulaire est a (2a d'un point d'arret a 1'autre) est donnee par P = Po[l + «2/16], ou g est 1'acceleration de la pesanteur et PO = 27i/a>0 = 2n -\flj~g. Si le pendule execute des oscillations orthogonales d'amplitude lineaire a et b, son extremite decrit une trajectoire elliptique avec une periode PQ(! + (a2 + b2)/16/2), qui tourne pendant un cycle d'oscillation d'un angle A = 3nab/4l2, dans la meme direction que le mouvement sur cette trajectoire (figure 10.26), soit a la vitesse angulaire dd/dt - 3abgl/2/8l5/2. On peut utiliser ces equations pour estimer 1'importance de la rotation du plan d'oscillation du pendule due a un mouvement elliptique eventuel vis-a-vis de la rotation due a la rotation de la Terre. A la latitude A, cette derniere s'effectue a la vitesse angulaire Q® sin A, ou Q® est la vitesse angulaire de la rotation de la Terre. Le lancement du pendule depuis une position de repos par rapport a la Terre ralentit la vitesse angulaire de rotation du plan du pendule avec un taux Sa^G® sin A/8/2, ou a® est 1'amplitude initiale du pendule3. Cet effet est negligeable si 1'amplitude est faible. On notera que, pour un pendule reel, le centre de gravite peut se situer bien au-dessus de la pointe. La longueur / du pendule simple equivalent doit etre determinee a partir de la distribution des masses dans le pendule compose reel, et peut etre fort differente de la longueur physique du pendule (pour le pendule de 67 metres de Foucault, la difference est d'environ 1 metre). Les demonstrations qui utilisent un pendule dont le mouvement s'amorrit sont peu convaincantes, et il est bien preferable d'entretenir 1'oscillation. La methode la plus elegante utilise une amplification parametrique ; elle a ete
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Figure D.I. Un dispositif electromagnetique d'entretien du pendule. (En haut) Un petit aimant est fixe sous la boule. En haut du tube d'aluminium au-dessus de la boule, une bague de caoutchouc presse sur le fil pour amortir le balancement. Les bobines d'entrainement et de detection du mouvement sont situees sous la plaque. (En has) Le passage de 1'aimant a la verticale induit un potentiel dans la bobine detectrice centrale. Ce potentiel declenche avec un retard reglable une impulsion dans la bobine d'entrainement, qui repousse 1'aimant alors qu'il s'eloigne.
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suggeree quelques semaines seulement apres 1'experience de Foucault au Pantheon4. Pour cela, le point de suspension est anime d'une oscillation verticale avec une frequence double de celle du pendule. On le souleve lorsque le pendule est au point le plus bas et done quand la tension du fil est la plus forte (la force centrifuge s'ajoutant alors au poids de la boule), et on 1'abaisse au point le plus haut, ou la tension du fil est minimale. On fournit done plus d'energie pendant le mouvement ascendant qu'il n'en est perdu pendant le mouvement descendant, et ce supplement d'energie compense les pertes correspondant a ramortissement du pendule. Plus important encore, on extrait ainsi de 1'energie des composantes en opposition de phase avec le mouvement du point de suspension: 1'amplification parametrique a done 1'avantage significatif d'amortir les oscillations selon le petit axe d'un pendule elliptique. Le pendule du Science Museum de Londres est entretenu par amplification parametrique. II a ete decrit par son realisateur, Sir Brian Pippard5. La suspension est mecaniquement assez complexe, puisqu'elle doit osciller, et le pendule est contrebalance de fagon a ce que le moteur d'entrainement pas a pas n'ait pas a deplacer tout le poids du pendule. II existe aussi des dispositifs pour minimiser 1'anisotropie. L'installation et le reglage d'un appareil aussi complexe et delicat necessite un acces facile au point de suspension. L'amplification parametrique est susceptible d'augmenter 1'amplitude de fac,on illimitee lorsque 1'amortissement est proportionnel au carre de la vitesse, ce qui est le cas si le poids est une sphere qui se deplace dans 1'air en regime laminaire. Pour limiter les oscillations, il faut remplacer la boule par un cylindre, ce qui engendre des tourbillons qui augmentent les pertes d'energie. Un entrainement electromagnetique est plus facile a realiser. II ne comporte aucune partie mobile, et contrairement a 1'entrainement de Foucault en 1855, le pendule est repousse vers 1'exterieur, ce qui reduit 1'ellipticite. La figure D.I montre des vues d'un entrainement electromagnetique simple sur batterie qui a permis de faire fonctionner continuellement, pendant la semaine dite Science-Technology Extravaganza en 1987, un pendule de Foucault de 10,5 metres et 18,5 kilogrammes monte dans les King Edward Barracks a Christchurch, Nouvelle-Zelande. Le style qui indiquait 1'azimuth du plan d'oscillation etait forme d'un aimant permanent. Lorsque le pendule passait par la verticale, cet aimant induisait un potentiel dans une bobine horizontale de 100 tours de fil centree a la position de repos du pendule. Ce potentiel etait amplifie et produisait une impulsion dont la retombee declenchait une autre impulsion. Cette derniere etait amplifiee par un transistor de puissance dont le courant alimentait une bobine concentrique de 400 tours, dont le grand diametre (160 millimetres) etait choisi pour minimiser les erreurs de centrage et produire un champ a symetrie exactement radiale, qui repoussait 1'aimant lorsqu'il s'eloignait du centre. La duree et le retard de 1'impulsion etaient ajustees empiriquement avec 1'aide d'un oscilloscope, de fac.on a maintenir 1'amplitude desiree de 1'oscillation, ±0,6 metre (±3,3°). Pippard donne les equations differentielles couplees qui decrivent 1'evolution de Tangle de rotation 6 du plan de symetrie du mouvement du pendule et de la quantite £ = b/a pour un pendule anisotrope (c'est-a-dire qui presente des asymetries de forme ou de materiau par rapport a 1'axe defini
Construction d'un pendule de Foucault
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par le fil de suspension), entretenu parametriquement6. Si les frequences fondamentales d'un tel pendule anisotrope sont co - 6 et w + 5,1'anisotropie cause une modulation de la rotation du plan dd/dt - 2<5f cos 20. On essaye de reduire 2£, mais si on prend la valeur 1 pour ce facteur, on obtient une limite en ordre de grandeur 6/Q®sinA < 0,1 pour une modulation de la rotation du plan de 10 pour cent et une reduction de sa vitesse angulaire moyenne de moins de 1 pour cent (une modulation de la vitesse de rotation de QI + Q2 sin n6 correspond a une vitesse angulaire moyenne (Q2 - Q2)1/2). En convertissant 1'anisotropie ±6 en une anisotropie fictive de longueur A/, on trouve A/// < 0,4(Qffi/o;) sin A, ou A/ < 9,3 x 10~6 sin A /3/2 metre, soit un tiers de millimetre pour un pendule de 10 metres a latitude moyenne. Cela indique 1'importance d'une realisation mecanique soignee, en particulier pour la suspension. Une structure inhomogene du materiau de la partie du fil de suspension qui se courbe pendant le mouvement peut etre une source d'asymetrie importante. II faut tester 1'anisotropie d'un pendule en mesurant la periode de petites oscillations a des azimuts varies. En 1931, F. Charron a invente un dispositif utile pour reduire 1'ellipticite d'un pendule entretenu7. Un anneau horizontal centre avec precision est installe juste au-dessous du point de suspension. L'amplitude d'oscillation et le diametre de 1'anneau sont choisis de telle maniere que le fil touche 1'anneau lorsque 1'amplitude est maximale. La friction entre le fil et 1'anneau amortit la vitesse tangentielle du fil, qui correspond a 1'ellipticite du mouvement. En quelque sorte, 1'anneau de Charron redemarre le pendule radialement a chaque demie-oscillation. Pour diminuer la fatigue du fil, il est preferable que 1'interieur de 1'anneau soit incurve. On peut aussi placer 1'anneau de Charron pres du sol, de fagon a ce qu'il soit touche par la boule ou par le style. II est alors necessaire que 1'anneau ait un peu de « mou »8. Dans un pendule de Foucault installe au Brown Boveri Research Centre a Baden, Suisse, 1'amortissement tangentiel est produit de facon elegante par un fort aimant au samarium-cobalt formant le style, qui induit des courants de Foucault dans un anneau de cuivre place sur le sol9. L'anneau de Charron ou ses equivalents sont si efficaces qu'ils permettent de lancer le pendule a la main au lieu d'avoir recours a un fil lateral qu'on enflamme (planche 6, page 199). Dick Crane decrit une methode pour eliminer non pas 1'ellipticite, mais ses effets10. Un barreau aimante est place sur 1'axe de la bobine d'entrainement, ses poles etant orientes de fagon a repousser 1'aimant du pendule. La repulsion supplementaire elimine la rotation due a 1'ellipticite quels que soient a et b, a condition que 1'aimant soit a une hauteur appropriee, que Ton peut trouver empiriquement sans connaitre la vitesse de rotation du plan du pendule. Si le pendule est entretenu et muni d'un anneau de Charron, sa longueur, son anisotropie et le diametre du fil ont beaucoup moins d'importance. Le pendule de Charron n'avait que 1,7 metre de longueur, et plusieurs descriptions ont ete publiees concernant des pendules de Foucault courts et portables, pouvant fonctionner pendant des semaines11. Le pendule le plus court qui ait ete decrit a une longueur de 15 centimetres seulement. Crane decrit en detail un pendule de 70 centimetres, qui peut etre construit dans un atelier d'amateur12, et meme un pendule de 17 centimetres (figure D.2).
Figure D.2. Un petit pendule de Foucault d'une longueur de 17 centimetres fabrique par H.R. Crane.
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DEVIATION PAR RAPPORT AU PLAN D'OSCILLATION IDEAL
Figure D.3. Performances d'un pendule de Foucault muni d'un anneau de Charron, monte dans les King Edward Barracks, Christchurch (Nouvelle Zelande). Les lignes en traits interrompus indiquent divers incidents : enfants ayant franchi la barriere de protection et ayant touche la boule, et rupture du fil.
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Avec un anneau de Charron, il est possible d'obtenir des resultats tout a fait acceptables meme avec un pendule realise rapidement (figure D.3). La possibilite de rupture du fil due a la fatigue du metal fait de la suspension un des elements les plus delicats du pendule de Foucault. Afin de minimiser 1'effet des courants d'air, qui peuvent produire un mouvement elliptique, il est souhaitable d'utiliser un fil de suspension aussi fin que possible. Mais un fil pres de sa limite d'elasticite et sujet a des efforts cycliques se rompt facilement: de petits defauts superficiels se developpent au point de tension maximum et se propagent dans le fil, occasionnant sa rupture. Pour la suspension, il est preferable d'utiliser un fil d'acier de haut module de Young, etire a froid, ce qui lui donne une structure interne isotrope et une limite de rupture Smax elevee. Autre avantage : 1'acier a une limite de fatigue OLF,O bien definie. Si la contrainte periodique est inferieure a cette limite, le fil peut etre plie indefiniment. Cependant, la limite de fatigue est reduite si il existe, en plus, une contrainte permanente. II est done necessaire de tenir compte de ces deux contraintes pour choisir un fil qui fonctionne en dessous de la limite de fatigue13. Une methode simple pour attacher le fil de suspension consiste a le tenir dans un mandrin dont les machoires ont ete fraisees au diametre exact du fil. Cependant, lorsque le pendule oscille, le fil fortement tendu se courbe a la sortie du mandrin, ce qui produit une contrainte importante14. Soit p le rayon du fil suppose vertical et rigidement maintenu, E son module de Young, T sa tension, £ la distance au point de suspension. Sous 1'effet d'un effort lateral produisant un deplacement a a la distance £ = 7, le deplacement a une distance £ quelconque est C(v£ + e~v<^ -1), ou v2 = 4T/n£p 4 et C ~ a/vl. La courbure maximale du fil, obtenue pour £ = 0, est Cv2, et la contrainte maximale des fibres du fil est amax = Cv2pE « (2a//p)(£T/7i)1/2. La resistance a la fatigue peut varier considerablement, meme pour des echantillons provenant d'un meme fil. Une regie empirique approximative pour 1'acier veut que des contraintes egales a 0,9 fois la tension de rupture Smax causeront la rupture apres 103 cycles, tandis que la rupture ne se produira qu'apres 106 cycles pour 0,5 Smax. II est done recommande d'estimer la limite de fatigue comme 0,3 ac. Pour 1'acier, E ~ 2 x 1011 N m~2, et la tension de rupture, qui est amelioree par 1'etirage a froid du fil, peut avoir une gamme etendue de valeurs, Smax ~ 1-2,5 x 109 N m~2. Les contraintes respectivement statique et maximum dans un cycle, pour le pendule de Christchurch (Nouvelle Zelande), dont le fil avait un rayon de 0,35 millimetre, etaient de 0,5 et 1,1 x 109N rrT2. Pour le pendule de Foucault au Pantheon, elles valaient respectivement 0,2 et 0,5 x 109 N m~2. Ces chiffres etant voisins, on ne s'etonnera pas que le fil se soit rompu dans les deux cas ! En raison du caractere aleatoire et incertain de la fatigue, il est recommande de disposer d'un parachute (figure 10.31). II faut aussi s'assurer que le fil ne soit pas endommage pres du point de suspension. Finalement, bien qu'on utilise traditionnellement un fil pour suspendre le pendule, on peut tout aussi bien utiliser une corde si on veut le faire fonctionner plusieurs semaines de suite15. Afin de reduire les contraintes cycliques, on peut utiliser un fil plus gros (amax oc p~l), ou enrouler soigneusement un fil autour de la partie superieure
Construction d'un pendule de Foucault
du fil de suspension, comme pour le pendule actuel du Pantheon (mais attention ! il y a un risque de corrosion si deux metaux differents sont en contact). Dans le pendule du Science Museum, on utilise une longue tige au lieu d'un fil flexible. On peut eliminer completement la flexion en utilisant une suspension a lame de couteau, comme a Baden, ou un joint universel (cardan), comme dans le pendule offert par les Pays-Has au siege des Nations Unies a New York, qui a ete congu pour pouvoir fonctionner pendant des annees sans intervention16. Si le pendule est entretenu, il n'est pas necessaire que la boule soit exceptionnellement massive. Traditionnellement, il s'agit d'une sphere mais on peut aussi utiliser un ellipsoi'de si les courants d'air posent probleme9. L'entrainement electromagnetique produit une impulsion laterale sur la boule, qui peut vaciller. Un palliatif consiste a fixer rigidement un tube au sommet de la boule, en inserant le fil dans une bague de caoutchouc en haut de ce tube, ce qui amortit ces oscillations indesirables. On ne doit pas negliger la visualisation de la rotation du plan du pendule. II est essentiel d'installer des graduations en azimut. Pour des petits pendules, des miroirs places a des endroits appropries peuvent reveler la suspension. La rotation est lente et 1'experience montre qu'elle est bien mise en evidence si le style fait tomber de petits objets ou ecorne un tas de sable. Dans un moment d'optimisme, Foucault a ecrit que son pendule est « d'une execution facile, d'une reussite assuree »17. Si 1'on s'y prend avec soin et intelligence, ce peut effectivement etre le cas.
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Appendice E Bibliographic generale (Voir aussi les indications bibliographiques dans les notes et references.) Abbott, D. (Ed.) (1984) The Biographical Dictionary of Scientists. Astronomers. Blond Educational, London. Alter, A. & Testard-Vaillant, P. (1997) Guide du Paris savant. Belin, Paris. Anderson, R.G.W., Burnett, J. & Gee, B. (1990) Handlist of Scientific InstrumentMakers' Trade Catalogues 1600-1914. National Museums of Scotland, Edinburgh. Antoine, M.E. & Olivier, S. (1975) Inventaire des papiers de la division des Sciences et Lettres du Ministere de I'lnstruction publique et des services qui en sont issus (Sous-serie F17), Tome I. Archives nationales, Paris. Aries, P. & Duby, G. (1987) Histoire de la vie privee: de la Revolution a la Grande Guerre. Seuil, Paris. Beguet, B. (1990) La science pour tous. Bibliotheque du Conservatoire national des arts et metiers, Paris. Bernard, G. (1981) Guide des recherches sur I'histoire des families. Archives nationales, Paris. Brian, E. & Demeulenaere-Douyere, C. (1996) Histoire et Memoire de I'Academic des sciences : guide de recherche. Technique et Documentation, Paris. Bury, J.P.T. (Ed.) (1960) The New Cambridge Modern History. Vol. X. The zenith of European power 1830-70. Cambridge University Press, Cambridge. Daumas, M. (Ed.) (1962-79) Histoire generale des techniques. 4 vols. Presses Universitaire de France, Paris. Demeulenaere-Douyere, C. (1983) Guide des sources de I'etat civil Parisien. Archives de Paris, Paris. Dupiney de Vorepierre, B. (1860, 1864) Dictionnaire frangais illustre et Encyclopedic universelle. Bureau de la publication & Levy freres, Paris. Gillispie, C.C. (Ed.) (1970-80) Dictionary of Scientific Biography. Vols I-XIV. Charles Scribner's Sons, New York. Hecht, E. & Zajac, A. (1974) Optics. Addison-Wesley Publishing Co., Reading, Mass. Houzeau, J.C. & Lancaster, A. (1882) Bibliographic generale de I'astronomie jusqu'en 1880. (Nouvelle edition 1964, D.W. Dewhirst (ed). The Holland Press, London.) Institut de France (1979) Index biographique de VAcademic des sciences du 22 decembre 1666 au ler octobre 1978. Gauthier-Villars, Paris. Jayawardene, S. A. (1982) Reference books for the historian of science. Science Museum, London. Joanne, A. (1863) Le guide Parisien. Hachette, Paris. King, B.C. (1979) The History of the Telescope. Dover, New York.
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Notes et references Nous ne donnons ici que des references a des sources specialisees. Les titres ne sont donnes que pour les articles de Foucault et d'autres articles choisis. Le materiel de base de notre ouvrage est emprunte sans citation a des livres de reference classiques, que Ton peut trouver dans toutes les bonnes bibliotheques. Afin de limiter les possibilites d'erreur, les noms des journaux ne sont par abreges, a 1'exception des C.R.A.S.: Comptes rendus hebdomadaires de I'Academic des sciences et
du JdD : Journal des Debats. Le Recueil est 1'abreviation de Gariel C.-M. (Ed.) (1878) Recueil des Travaux Scientifiques de Leon Foucault. Gauthier-Villars, Paris. Les archives souvent utilisees sont abregees comme suit: A.A.d.S.: Archives de I'Academie des Sciences ; A.d.R : Archives de Paris ; A.N.: Archives nationales ; I.d.F.: Bibliotheque de I'lnstitut de France.
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Prologue l
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Chapitre 1: Introduction l
Les Nouvelles meteorologiques, publiees sous les auspices de la Societe Meteorologique de France, Annee 1868 (Libraire agricole de la maison rustique, Paris) pp. 130-140, rapportent que le 2 mars 1868 le ciel etait couvert, la temperature moyenne de 7,0° C (avec un minimum de 3,2° C) et que le vent etait d'ouest modere. 2 Les Mondes, 16, 2e serie, 384 (1868). 3 McKie D. (1966) Endeavour, 25,100-103. 4 Grillot S. (1980) Revue d'histoire du quatorzieme arrondissement de Paris, 25, 7-24 ; Wahiche J-D. (1989) L'Astronomie, 103, 249-257. 5 On affirme souvent que Cassini fut le premier directeur de 1'Observatoire, mais c'est apparemment incorrect : voir Nature, 19,122-123 (1878). 6 Bigourdan G. (n.d.) Annuaire pour Van 1928 publie par le Bureau des Longitudes. Gauthier Villars, Paris, A1-A72. 7 Cite par D. Guedj (1988) La Revolution des savants, p. 92. Gallimard, Paris. 8 Correspondance de Napoleon Ier, Vol. VI, N° 4384. Imprimerie imperiale, Paris (1859). 9 Jamin J.C. (1885) Eloge historique de M. Francois Arago. Institut de France, Paris. 10 Heilbron J.L. (1989) American Journal of Physics, 57, 988-992. 11 Ces aventures sont decrites dans la charmante Histoire de ma jeunesse (1854), Kiessling, Schnee et Cie, Bruxelles & Leipzig, reimprimee (1985) par Bourgois, Paris. 12 Alors denommee la Premiere classe de 1'Institut national. 13 /dD, 7 octobre 1853. 14 Voir les remarques introductives d'Arago pour son cours de 1841, dans Astronomic populaire, Vol. I, Barral J.-A. (Ed.) Gide, Paris (1857). 15 Par ex. Revue scientifique et industrielle, 13 (2e se'rie), 84 (1847). 16 Tisserand F.F. (1893) Nature, 48,223-4.
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Les arrondissements furent remanies en 1860. L'ancien 12e arrondissement correspondait a la partie sud-est du 5e arrondissement actuel et au nord du 14e. 18 Voir Sole R. (1998) Les savants de Bonaparte. Seuil, Paris. 19 Farmer P. (1960) in The New Cambridge Modern History. Bury J.P.T. (Ed.) Vol. X. Cambridge University Press, Cambridge. Chapitre 2 : Les jeunes annees I
Dauzat A. (rev. Morlet M.-T.) (1988) Les noms defamilleen France. Librairie Guenegaud, Paris, donne les racines Fulc = peuple ou faucon, et Wald : foret. 2 Voir McClellan J.E. (1992) Colonialism and Science : Saint Domingue in the Old Regime (Johns Hopkins University Press) pour une description de Saint-Domingue avant la Revolution. 3 La plupart des informations concernant les antecedents de Foucault proviennent de 1'inventaire apres le deces de son pere. A.N. ET/XLIX/1248. 4 Compile a partir de documents aux Archives Nationales et aux Archives de la Ville de Paris. On peut se demander si Julienne Claire Minee etait parente du pretre constitutionnel Julien Minee (1739 Nantes -1808 Paris). Index biographique frangais, 743,127. 5 A.N. F18,1764. 6 Quelques-uns parurent avant le brevet, par exemple Les Ligueurs de 1814, par M*** (de Nantes) Foucault, Paris (1814). Ce pamphlet fut probablement publie avant son mariage et est cite dans la Bibliographie de la France du 29 octobre 1814. L'adresse de 1'editeur, 17 quai des Augustins, confirme qu'il s'agit bien du pere de Leon Foucault. 7 [Foucault J.L.F.] (1816) Avertissement du Libraire-Editeur. Dans Petitot, Repertoire du theatre franc ois, Tome I. Foucault, Paris (1817). 8 A son mariage en 1814, le pere de Foucault habitait pres de la Seine au 17 quai des Augustins (A.d.P. Fichiers des manages Parisiens) ; son appartement n'etait peut-etre pas suffisant pour un couple, si bien qu'en 1817 on retrouve la librairie au 37 rue des Noyers ; elle demenagea plus tard au 9 rue de la Sorbonne. Toutes ces adresses sont situees dans le Quartier Latin. 9 La Reconstitution de I'etat civil—Baptemes aux Archives de Paris rapporte qu'un certain Jean Aime Barthelemy Foucault est ne le 7 novembre 1822 et fut baptise des le jour suivant a Saint-Etienne du Mont, comme si on s'attendait a ce qu'il ne survive pas. Le choix des prenoms suggere une parente avec Leon. Aimee est nee le 7 aout 1823, 273 jours plus tard. Comme une femme peut quelquefois etre feconde deux semaines apres un accouchement, il suffit qu'Aimee ait ete un peu prematuree pour que Jean Aime Barthelemy soit son frere. 10 Ces maisons se trouvaient au 6 rue Bonsecours, au coin de la rue Kervegan, sur la riche lie Feydeau, et au 9 petite rue Saint-Clement (rue des Orphelins). II On peut voir ces arbres sur une photographie de Marville : voir les notes concernant la figure 4.19. u ]dD, ler juillet 1845.
Notes et references
/dD, ler novembre 1848. Martin H.J. & Chartier R. (Eds.) (1985) Histoire de I'Edition frangaise, Vol. 3. Promodis, Paris. 15 JdD, 4 octobre 1848. 16 Lissajous (1869) Eloge historique de Leon Foucault. Revue des cours scientifiques de la France et de I'etranger, 6, 484-489. (Reimprime dans le Recueil) 17 Bertrand J. (1883) Eloge historique de Leon Foucault. Mimoires de I'Academie des sciences de I'lnstitut de France, 42, Ixxvii-cciv. 18 Gariel C.-M. (1869) Leon Foucault. Annuaire scientifique public par P.-P. Deherain, Huitieme annee. Masson, Paris, pp. 82-97. 19 Almanack Royal et National pour Van MDCCXXXIX. Guyot, Paris (1839). 20 Corlieu A. (1896) Centenaire de la Faculte de Medecine de Paris. Imprimerie nationale, Paris. 21 A.M. A}165327. 22 L'artiste qui a peint ces tableaux (figures 2.6 et 2.7) est Finck. 23 A.N. ET/XLIX/1504 24 Peut-etre Charles Lecorbeiller, pianiste et compositeur (Fetis F.J. (1881-9) Biographic universelle des musiciens, deuxieme edition). Le Journal des Artistes lui a dedie un poeme en 1843 (17e annee, ler vol., 9-11). 25 La lettre, datee « Paris 10 avril 1840 » et adressee a « Mon cher ami », est restee dans les papiers de la famille. Foucault a peut-etre trouve qu'il s'etait trop apitoye sur son sort et a renonce a 1'envoyer. 26 A.d.P. V2E12084. 27 A.N. ET/XLIV/1504. Us etaient cependant evalues 500 francs, ce qui est bien peu pour des Stradivarius meme en 1868. Voir Hill W.H., Hill A.F., & Hill A.E. (1963) Antonio Stradivari : His Life and Work (1644-1737). Dover, New York. Doring E.N. (1945) How many Strads ? Lewis, Chicago ne cite aucun Stradivarius qui ait pu appartenir a Foucault. 28 JdD, ler decembre!848. 29 de Parville H. (1869) Causeries scientifiques, Seme annee 1868. Rotschild, Paris. 30 Papiers en possession de la famille de Foucault. 31 On peut en juger par le rapport sur une demonstration de diapasons a 1'Academie en 1845 (JdD, 30 avril 1845), ou Foucault fut capable d'entendre des sons bien plus aigus que la plupart des academiciens. Les valeurs des frequences qui sont donnees dans cet article sont incorrectes : les estimations anciennes des frequences basees sur 1'audition pure sont toujours surestimees. Voir Graff K.F. (1981) A History of Ultrasonics. Physical Acoustics, 15,1-97. 32 « Ses yeux de lynx... » Voir Les Mondes, 16,337-338. 33 JdD, 14 mars 1849. 3i JdD, 5 aout 1846. 35 JdD, 6 Janvier 1846. 36 The British Medical Journal, 1,454 (1895). 37 A.N. AJ16232 ; Foucault L. JdD, 19 Janvier 1854 ; Cheymol J., Soubiran A. (1968) La Presse Medicale, 76,2366-2368. 38 Donne, Al. JdD, ler mars 1868. 39 Lettre conservee par la famille de G. Darrieus, datee de Liverpool le 24 septembre 1854.
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14
Chapitre 3 : Les debuts de la photographic I
Voir par ex. Norman PR. (1967) L.J.M. Daguerre, 1789-1851 et W.H. Fox Talbot, 1800-1877, dans Early Nineteenth Century Scientists, Olby R.C. (Ed.) Pergamon, Oxford. 2 Bontemps (voir le chapitre 12) cite par Figuier L. (Les Merveilles de I'lndustrie, Furne, Jouvet et Cie, Paris), donne les recettes suivantes. Verre crown : sable blanc 120 kg, potasse 33kg, soude 20kg, craie 15kg, arsenic blanc 1kg. Verre flint: sable 100 parties en masse, oxyde de plomb au moins 100 parties, carbonate de potassium 30 parties. 3 C'est Brewster qui a attire 1'attention sur les proprietes utiles en optique du baume du Canada. Voir Mills A.A. (1991) Annals of Science, 48,173-185. 4 Gernsheim H. & A. (1952) Photographic Journal, mai 1952. Voir aussi le Bulletin de la Societe Franqaise de Photographic, mai 1952. 5 Harmant P.G., Lefebvre B. (1974) Charles-Louis Chevalier. Pavilion de la Photographie, Rouen. journal des Artistes, 2,203 (1835). 7 Arago (1839) C.R.A.S., 8,4-6. 8 Arago (1839) C.R.A.S., 8,170-2. 9 Donne A. JdD, 20 aout 1839. 10 Duboscq J. (1853) Regies pratiques de la photographic sur plaque, papier, albumine et collodion d'apres les meilleurs precedes connus. Chez 1'auteur, Paris. II Donne Al. JdD, 16 octobre 1839. 12 Barger M.S., White W.B. (1991) The Daguerreotype: NineteenthCentury Technology and Modern Science. Smithsonian Institution Press, Washington. Ce livre contient un resume historique detaille de la decouverte et des developpements du daguerreotype. 13 L'Academie se reunit a partir de 1846 dans une nouvelle salle dans 1'aile Le Bas du Palais de I'lnstitut. La figure 3.10 est basee sur le plan de cette salle donne par Maindron E. (1888) L'Academic des sciences. Alcan, Paris. L'annonce d'Arago (figure 3.8) avait eu lieu dans 1'ancienne salle de 1'aile Le Vau. Les deux salles etaient tres semblables. 14 Donne note (JdD, 7 juillet 1841) que I'Academie avait decide de ne plus publier de memoires deja imprimes par ailleurs. 15 Le pere de Fizeau etait professeur de pathologic medicale; il fut revoque apres la Revolution de juillet. Corlieu A. (1896) Centenaire de la Faculte de Medecine de Paris. Imprimerie nationale, Paris. 16 Arago (1840) C.R.A.S., 10,488. 17 Fizeau H. (1840) C.R.A.S., 11, 237-8. 18 Fizeau (1841) C.R.A.S., 12, 1189-90. 19 Fizeau parle d'une reduction des temps de pose par un facteur 5 a 10, ce qui pourrait avoir ete rendu possible par un objectif a plusieurs lentilles du a Chevalier, objectif qui pouvait servir a volonte au paysage ou au portrait. II est illustre dans ses Nouvelles instructions...21 ; voir aussi van Hasbroeck P-H. (1989) 150 classic cameras from 1839 to the present, Sotheby's Publications, London. Le fameux objectif de Petzval fut introduit a peu pres en meme temps ; il atteignait un rapport d'ouverture de f/3,5 et etait 20 fois plus rapide, mais n'avait une bonne definition que dans
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un champ reduit en raison de son astigmatisme et de sa courbure du champ, ce qui limitait son usage aux portraits. Voir Thomas D.B. (1969) The Science Museum Photography Collection. Her Majesty's Stationery Office, London. 20 Foucault L. (1841) Methode pour appliquer le brome a la production des epreuves daguerriennes. In Chevalier, note 21. 21 Chevalier C. (1841) Nouvelles Instructions sur I'usage du Daguerreotype. Chez 1'auteur et chez Balliere, Paris. 22 A moins que la figure 4.19 ne soit une copie electrotype d'une de ces plaques, auquel cas cette image serait anterieure a la figure 3.13. 23 Note sur 1'emploi d'un diaphragme etoile pour 1'obtention des fonds degrades dans les epreuves daguerriennes. Recueil, p. 57-58. 24 Baudelaire etait du meme avis. Voir les CEuvres completes de Charles Baudelaire. Correspondance generale. 5,189. Conard, Paris (1949). 25 Cosmos, 2, 685-6 (1853). Chapitre 4 : Le « delicieux passe-temps » applique a la science l
JdD, 24 fevrier 1848. The Monthly Journal of Medico-Chirurgical Knowledge. London (1833). 3 Moigno F. (1853) Cosmos, 3,104-7 (cependant ce rapport ecrit dix ans plus tard inverse, peut-etre par inadvertance, certains elements), 158. 4 Cela peut s'expliquer par 1'existence de litiges continuels sur les droits des brevets concernant les bains electrolytiques contenant des cyanures, ce qui rendit 1'exploitation commerciale difficile dans les annees 1840, et aussi par le fait que 1'argent depose a partir des premieres solutions de cyanures etait trop poreux pour avoir un bon poli. Ce n'est qu'a la fin de cette decennie que la Societe Christofle decouvrit un precede de depot de 1'argent qui donnait un bon poli; c'est seulement alors que les plaques fabriquees par galvanoplastie dominerent le marche. 5 Cosmos, 3,158 (1853). 6 Belfield Lefevre, Foucault L., (1843) De la preparation de la couche sensible qui doit conserver 1'image de la chambre noire. Revue Scientifique et Industrielle, 14, 198-9. (Communique par M. Arago). 7 Daguerre (1839) Historique et description des precedes du daguerreotype et du diorama. Giroux, Paris. Reimpression 1982, Rumeur des Ages, La Rochelle. 8 Daguerre (1843) C.R.A.S., 17, 356-61. 9 Belfield-Lefevre (1843) C.R.A.S., 17, 914-6. 10 Ce pli (N° 440, depose le 9 octobre 1843), fut ouvert en 1980 et soumis a un expert de Kodak pour commentaire. II conclut qu'on ne pourrait rien en dire sans faire des experiences longues et difficiles. A.A.d.S. n Belfield-Lefevre & Foucault L. (1846) Note sur un procede qui permet de reproduire, avec une egale perfection, dans une image daguerrienne, les tons brillants et les tons obscurs du modele. C.R.A.S 23, 713-4. 2
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Moigno (1847) Revue scientifique et industrielle, 14, (2eme serie) 231. 13 Les photographies reproduites par A. Lennox Thorburn sont de qualite tres mediocre et ont ete retouchees au niveau des yeux ; 1'origine d'un dessin cense representer Donne avec un chapeau n'est pas mentionnee (British Journal of Venereal Diseases, 50, 377-80, 1974). Donne pourrait etre le sujet d'une caricature gravee par Maurisset (La Caricature, 8 decembre 1839), mais est-elle ressemblante ? 14 Chaix-Parat J. (1966) Essai sur le renoncement d'Hector Berlioz a la carriere medicale. These pour le Doctorat en Medecine, Universite de Paris. 15 Huart P., Imbault-Huart M. J, (1974) Revue d'histoire des sciences, 17,45-62. 16 Bertrand A. (1997) Bulletin de I'Academic des Sciences et Lettres de Montpellier, 28 (nouvelle serie) 99-113. 17 La Berge A. (1994) Clio Medica, 25,296-326. 18 Robin C. (1871) Traite du microscope. Balliere, Paris. 19 Degos L. (1995) Histoire de la medecine et des sciences, 11,147881. Le travail de Donne est peut-etre passe inapergu parce qu'il a ete d'abord publie dans un traite au lieu d'etre presente devant une societe savante. Voir aussi la reference 17. 20 rillustration, (1844) 2,103. 21 Donne, Al. (1844, mais deja disponible fin 1843) Cours de microscopie complementaire des etudes medicales. Anatomie microscopique et physiologie des fluides de I'economie. Balliere, Paris. 22 Donne Al. JdD, ler mars 1868. 23 Gariel, C.-M. (1869) Leon Foucault. Annuaire scientifique publie par P.-P. Deherain, Huitieme annee. Masson, Paris, pp. 82-97. 24 Donne Al. JdD, 20 aout 1839. 25 Donne Al. JdD, 28 aout 1839. 26 Donne Al. JdD, 11 septembre 1839. 27 Donne (1839) C.R.A.S., 9, 376-378 ; Donne Al. JdD, 18 septembre 1839. Donne C.R.A.S. (1839) 9, 411, 485 ; (1840) 10, 933. 28 Donne C.R.A.S. (1839) 9,485 ; (1840) 10,288,339, 667. 29 Robin C. (1871) Traite du Microscope. Balliere, Paris. Robin pretend qu'il a fourni quantite d'echantillons photographies dans VAtlas, mais le seul fournisseur mentionne dans celui-ci est un certain M. Bourgogne. 30 Donne Al. JdD, 22 decembre 1843. 31 Donne A., Foucault L. (1845) Cours de microscopic complementaire des etudes medicales. Anatomie microscopique et physiologie des fluides de I'economie. Atlas execute d'apres nature au microscope-daguerreotype. Balliere, Paris. 80 planches 32 Seules deux figures reproduisent des dessins plutot que des daguerreotypes. 33 Avertissement dans le JdD, 27 fevrier 1845. 34 Donne Al. Cours de microscopic, op. cit. p. 35-39. ^Bulletin de I'Academic Royale de Medecine (1841) 6, 541. 36 Richet G. (1997) Histoire de la Medecine et des Sciences, 13,45-8. 37 Gernsheim, A. (1961) Medical and Biological Illustration, 11, 85-92 ; Turner G.L'E. (1973) Journal of Microscopy, 100, 3-20. 38 Tyndall J. (1896) The Electric Light. In Fragments of Science. Longmans, Green & Co., London.
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Notes et references
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Donne (1845) Notice sur le Microscope photo-electrique. Bulletin de la Societe d'encouragement pour I'industrie nationale, 44, 388-92. 40 Voir par exemple Debray H. (1862) Annales de chimie et de physique, 65, (troisieme serie) 331-340. 41 Voir par exemple, Foucault L. ]dD, ler juin 1849. 42 Arago R (1858) CEuvres completes, Vol. 10, 231-250. 43 de Vaucouleurs G. (1958) La photographic astronomique du Daguerreotype au telescope electronique. Albin Michel, Paris, p. 21. ^Wolf C. (1874) Revue Scientifique de France et de I'Etranger, 14, 356-357. 45 Plusieurs auteurs, qui n'avaient pas realise ce point, s'etonnent de ce qu'on ait fait des daguerreotypes du spectre solaire (par exemple J.W. Draper aux Etats-Unis le 27 juillet 1842), bien avant de photographier le Soleil lui-meme (par exemple Norman D. (1938) Osiris, 5,560-94; Darius J. (1984) Beyond Vision. Oxford University Press, Oxford.) Toutefois, les temps d'expositions necessaires pour photographier la lumiere solaire dispersee par un prisme etaient bien plus longs, et faciles a obtenir avec un obturateur manuel. 46 /dD, 29 mai 1850. 47 Des plaques daguerreotypes sur lesquelles etait pose un materiau comportant une ouverture de 91,5 millimetres de diametre (la taille des images solaires obtenues avec 1'objectif a longue focale) ont aussi ete exposees a la lumiere naturelle; les images obtenues etaient uniformes. 48 Le nombre de fenetres est correct, mais pour correspondre au plan au sol, (A.N. F3131 Piece 8) il faudrait que 1'image soit inversee. Les maisons au fond seraient du cote ouest de la rue d'Assas. Cependant, si le daguerreotype est en fait une copie par galvanoplastie, 1'original ne serait pas inverse et aurait alors ete pris avec un prisme redresseur, qu'utilisait Foucault en septembre 1841 (p. 36). L'arche visible en bas et a droite de la photographic pourrait etre celle qu'on voit en face du 5 rue d'Assas dans une photographic prise par Charles Marville en 1868, bien qu'il y ait des differences dans les corniches et qu'une structure au nord de 1'arche ne figure pas sur le daguerreotype pris 20 ans auparavant. Voir Mellot P. (1993) Paris sens dessus-dessous. Trinckvel, Paris, p. 185. 49 Baker R. (1977) History of Photography, 1,111-116. 50 C.R.A.S., 12, 401-2. Fizeau recopia ensuite la copie (C.R.A.S., 12,509, 597). 5l JdD, 29 aout 1850. 52 Cite par Buerger J.E. (1988) French Daguerreotypes, University of Chicago Press, Chicago, p. 7.
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Donne (1845) Bulletin de la Societe d'encouragement pour I'industrie nationale, 44,388-392 ; 44, 578-586 et 977 (planche). 5 Butrica A.J. (1988) History and Technology, 6, 325-334. 6 JdD, ler juillet 1847. 7 Pouillet (1844) Elements de physique experimentale et de meteorologie, quatrieme edition, Vol. 2, 746-749. 8 Laplace (1796) Exposition du systeme du monde. II, 198. 9 JdD, 29 septembre 1847. 10 Pour plus de details sur les developpements du sujet au debut du XIXe siecle, voir Buchwald J.Z. (1989) The Rise of the Wave Theory of Light. University of Chicago Press, Chicago. 11 La designation moderne H et K pour ces deux raies dues au calcium ionise n'a ete introduite qu'en 1864. l2 JdD, 28 novembre 1845. 13 Fizeau, Foucault (1846) Sur la polarisation chromatique produite par les lames epaisses cristallisees. C.R.A.S., 22,422. (Memoire presente; aucun texte publie.) 14 Jenkins F.A., White H.E. (1975) Fundamentals of Optics. McGraw-Hill, Kogakusha, Tokyo. l5 JdD, 11 mars 1846. l6 ]dD, 7 juillet 1848. 17 Babinet (1848) C.R.A.S., 26, 680-682. 18 Voir les commentaires de Foucault sur ce systeme dans le Journal des Debats du 16 septembre 1846 (reproduit figure 7.2 pour les lecteurs ayant une excellente vue ou munis d'une loupe !) 19 Gariel C.-M. (1869) Leon Foucault. In Annuaire scientifique publie par P.-P. Deherain, Huitieme annee. Masson, Paris, pp. 82-97. 20 de Parville H. (1869) Causeries scientifiques, 8e annee 1868. Rotschild, Paris, pp. 152-70. De Parville dit que « ses gouts etaient ailleurs » mais c'est peut-etre maniere de parler, car Gariel, un membre de la famille, disait que Foucault « manifestait un gout assez vif » pour la medecine. 21 Figuier L. (1884) Les nouvelles conquetes de la science. Librairie illustree, Paris. 22 Lissajous J.A. (1869) Revue des cours scientifiques de la France et de I'etranger, 6,484-489 (reimprime dans le Recueil). 23 JdD, 15 septembre 1850. 2 *}dD, 11 novembre 1853. 25 Ackerknecht E. H., (1967) Medicine at the Paris hospital 17941848, Johns Hopkins Press, Baltimore. 26 Revue scientifique et industrielle, 7,443-451 (1841). 27 Conserve par la famille de Foucault. 28 JdD, 26 Janvier 1847. 29 La lancettefrangaise, I, (deuxieme serie) 540 (1839) mentionne 1310 medecins et 200 officiers de sante a Paris pour une population de 900 000 habitants.
Chapitre 5 : La belle science de 1'optique Chapitre 6 : Toujours 1'optique et la photographic
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Le Recueil (p. 60) donne 25 centimetres pour 1'electrode negative, mais ce doit etre une faute d'impression car 1'electrode positive se consume deux fois plus vite que la negative. 2 A.A.d.S., seance du 18 decembre 1843. 3 Donne & Foucault (1844) Appareil destine aux demonstrations microscopiques. C.R.A.S., 18, 696. (Memoire presente ; 1'appareil a etc montre, mais aucun texte n'a ete public.)
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Fizeau H. & Foucault L. (1847) Recherches sur les interferences des rayons calorifiques. C.R.A.S., 25, 447-50. Bien que ce memoire ait ete envoye a 1'Academie le 2 aout, Arago ne 1'inscrivit a 1'agenda que le 27 septembre. Voir ITnstitut (1847) 15, 314-315. 2 JdD, 29 septembre 1847.
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A.A.d.S., seance du 4 mai 1846. Le pli est de 1'ecriture de Foucault et a finalement ete ouvert en 1981. 4 Fizeau, Proces-verbaux de la Societe philomatique de Paris, 1847, 108. 5 JdD, 29 septembre 1847. 6 Lerebours (1846) C.R.A.S., 23, 634. 7 Fizeau H., Foucault L. (1847) Action chimique du spectre solaire. L'Institut, 15, premiere section, 28-9. Societe philomatique de Paris. Extraits des proces-verbaux des seances pendant I'annee 1847. 8 Foucault L. (1853) Sur la recomposition des couleurs du spectre en teintes plates. Cosmos, 2,232-3. 9 La premiere description de cet appareil (voir le Recueil, p. 37, figure 2) ne montre ni la lentille cylindrique ni la lentille L', qui affectent la purete spectrale de 1'image. Les rayons traces dans le Recueil, et surtout dans la reference juste citee, sont sources de confusions, car il n'est pas fait de distinction entre les rayons lumineux reels et les lignes utilisees pour la construction de 1'image de 1'ouverture. 10 Voir la note 3.12. n Bibliotheque de la Sorbonne, MS 2089, Proces verbaux 1842 VI18-1849 XII29. 12 Berthelot (1888) Notice sur les origines et sur 1'histoire de la Societe philomatique. In Memoires publies par la Societe philomatique a I'occasion du centenaire de safondation, 17881888. Gauthier-Villars, Paris ; Duveen D.I. (1954) Annals of Science, 10, 339-41 ; Thomas E. (ed.) (1990) La Societe philomatique de Paris et deux siecles d'histoire de la Science en France. Presses Universitaires de France, Paris. Chapitre 7: Le Journal des Debuts ^ellange C, Godecho }., Guira P., Terrou F. (1969) Histoire Generate de la Presse Frangaise. Vol. II. Presses Universitaires de France, Paris, p. 146. 2 de Parville H. (1889) La Critique Scientifique : Donne, Foucault, Babinet, Ch. Daremberg. In Le livre du centenaire du Journal des Debats, Plon, Nourrit et Compagnie, Paris. 3 Sachaile C. [pseudonyme de Lachaise C.] (1845) Les medecins de Paris juges par leurs ceuvres. Chez 1'auteur, Paris. 4 Donne Al. JdD, 2 avril 1845 ; Donne mentionne qu'il traitera certains sujets dans des numeros suivants. 5 Journal des Artistes, quinzieme annee (1841) 2, N° 20, 305-307. 6 En 1851, un abonnement pour trois mois revenait a 17 francs, alors que Le Siecle, Le Constitutionnel et La Presse coutaient respectivement a 12,12 et 13 francs. 7 Ruju P.A.M., Mostert M. (1995) The life and times of Guglielmo Libri (1802-1869) : scientist, patriot, scholar, journalist and thief. Verloren Publishers, Hilversum. 8 JdD, 23 mai 1845. 9 JdD, 9 juillet 1845. 10 Cependant Libri publia des Revues scientifiques dans la Revue des Deux Mondes. 11 JdD, 21 mai 1846. II s'ensuivit une polemique epistolaire entre Arago et Libri, publiee dans les Debats du 1/2 juin. 12 Bibliotheque nationale de France fr.n.a. 3268 (347). 13 /dD, 30 septembre 1846.
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JdD, 21 octobre 1846. Libri ecrivit aussi sur la planete de Le Verrier dans la Revue des Deux Mondes, 16, 378, sous le pseudonyme V. de Mars. 15 Bibliotheque nationale de France fr.n.a. 3267 (348). 16 /rfD, 19 Janvier 1854. 17 'JdD, 13 Janvier 1855. 18 JdD, 25 Janvier 1850. 19 JdD, ler septembre 1852. 20 JdD, 8 avril 1857. 21 Par ex. JdD, 6 Janvier 1846,12 Janvier et 7 juillet 1848. 22 JdD, 19 mai 1853. 23 /dD, 2 juin 1848. 24 /dD, 2 juillet 1851. 25 JdD, 26 Janvier 1847. 26 JdD, 24 mars 1847. 27 JdD, 19 avril 1846. 28 JdD, 30 septembre 1846. 29 La Presse, 8 fevrier 1851. 30 Par exemple, Le moniteur scientifique, 7, 140-1 (1865) ; Gariel C-M., (1869) in Annuaire Scientifique publie par P-P. Deherain, huitieme annee. Masson, Paris, pp. 82-97. 31 JdD, ler octobre 1852. 32 Fraissinet A. (1873) La Nature, 1, 358-60 ; (1873) Les Mondes, 32,101-2. 33 JdD, 24 mars et 21 mai 1847, 5 aout 1854, 4 juin 1858. 34 /dD, 2 juin 1848. 35 JdD, 15 avril 1853. 36 JdD, 17 fevrier 1847. 37 JdD, 22 juin 1854. 38 JdD, 27 octobre 1853. 39 JdD, 27 decembre 1851. 40 /dD, 16 decembre 1848. 41 /dD, 20 decembre 1856. 42 /dD, ler avril 1846. *3JdD, 4 Janvier 1851. u JdD, 12 juillet 1849. 45 JdD, 27 octobre 1847. 46 Alis H. (1889) Le Roman-Feuilleton. Dans Le livre du centenaire du Journal des Debats, Plon, Nourrit et Compagnie, Paris. 47 Citron P. (Ed.) (1978) H. Berlioz : Correspondance generale. Flammarion, Paris, p. 120. 48 JdD, 29 mai 1853. 49 Roger H. Le Constitutionnel, 23 mai 1853. -, 50 Cosmos, 2, 659 (1853). 51 /^D,2juinl853. 52 JdD, 8 juin 1854. Ce travail fut publie un an apres dans les Memoires de I'Academic, ce qui etait exceptionnellement rapide. 53 JdD, ler avril 1846. 54 JdD, 19 mars 1853. 55 Bertrand J. (1864) Revue des Deux Mondes, 51, 96-115. 56 JdD, 28 novembre 1845. 57 JdD, 8 fevrier 1850. 58 JdD, 7 octobre 1853. 59 JdD, 11 septembre 1845. 60 JdD, 11 decembre 1853.
Notes et references
61
JdD, 10 decembre 1845. ]dD, 30 mars 1848. 63 JdD, 6 Janvier 1846. 64 Bensaude-Vincent B. (1999) Annals of Science, 56, 81-94. 65 JdD, 12 mars 1848. 66 JdD, 14 mai 1848. 67 JdD, 30 mai 1848. 68 /dD,7juilletl848. 69 /dD, 14juinl850. 70 JdD, 12 fevrier 1853. 71 Pour etre complet, mentionnons que Foucault fit une autre incursion dans le monde du journalisme. En 1848, il ecrivit pour une serie intitulee Instruction pour le peuple : cent traites sur les connaissances les plus utiles, deux traites de physique generate, qui couvraient les proprietes de la matiere, la gravite, 1'acoustique et 1'optique (voir la publicite dans VAlmanack de {'Illustration 1849, Paris, Paulin & Le Chevalier). Son ami Jules Regnauld fournit un troisieme traite sur 1'electricite et le magnetisme. L'article sur Foucault dans le Dictionary of Scientific Biography pretend qu'il a aussi ecrit des manuels scolaires. C'est inexact; 1'erreur provient d'une confusion avec un certain L. Foucault, professeur de mathematiques a Pons, en Charente-Inferieure (aujourd'hui Charente Maritime). 62
Chapitre 8 : Succes et deceptions JdD, 14 novembre 1845. 2 JdD, 9 mars 1847. 3 JdD, 19 aout 1847. 4 En principe, la periode du pendule est legerement modifiee par I'echappement, mais cet effet est negligeable pour une horloge. 5 Foucault L. (1847) Sur une horloge a pendule conique. C.R.A.S, 25,154-60. (Memoire lu). 6 Pecqueur (1847) C.R.A.S., 25, 251-3. Pecqueur affirmait que son horloge fonctionnait avec des amplitudes comprises entre 2,5° et 30° et des variations d'un facteur 30 dans la force d'entrainement. Pour d'autres revendications, voir les remarques de Winnerl, de Sainte-Preuve et de Garner (1847) C.R.A.S., 25, 214-5. 7 Bigourdan G. (n.d.) Le Bureau des Longitudes. In Annuaire pour Van 1931 publie par Le Bureau des Longitudes, A1-A151. Gauthier-Villars, Paris. 8 Foucault L. Notice sur les travaux de M. Leon Foucault. Bachelier, Paris ; Foucault L. (1850, 1859) Notice sur les travaux de M. Leon Foucault. Mallet-Bachelier, Paris (1863,1865). 9 Brenni P. (1994) Bulletin of the Scientific Instrument Society, 40, 3-6. 10 Le Bruce Telescope a Chicago en est un exemple. Voir Barnard E.E. (1905) Astrophysical Journal, 21, 35-48. n Voir Dent Gardner H. (1876) Nature, 14, 573-5. 12 Faye y avait pense des 1845. Voir la Revue scientifique et industrielle, 5, (deuxieme serie) 337 (1845). 13 C.R.AS., 21, 923 (1845); JdD, 15 et 22 octobre 1845. 14 Foucault L. (1847) Sur un moyen de transmettre 1'heure a distance avec le degre de precision necessaire aux usages l
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astronomiques. Imprime dans le Recueil, p. 305-309. Dans le Recueil, p. 310-312, 1'ingenieur electricien Theodore du Moncel (1821-1884), bienfaiteur de 1'Academic, decrit des contacts pour la distribution de 1'heure qu'il dit avoir ete realises par Foucault en 1858 ou 1859. 15 La longueur du balancier d'une horloge battant la seconde, c'est-a-dire avec une periode de 2 secondes, est tres proche du metre. On avait considere au moment de la Convention que cela pourrait servir a la definition du metre, mais on prefera finalement definir le metre a partir de la longueur du meridien terrestre. Cela avait 1'interet de justifier la mesure du meridien, laquelle avait pour but essentiel d'obtenir une meilleure representation de la Terre. Voir Heilbron J.L. (1989) American Journal of Physics, 57, 988-92. 16 Verite (1863) C.R.A.S., 56, 401-2 ; Foucault L. (1863) Remarques au sujet d'une communication de M. Verite sur un moyen d'obtenir le synchronisme des horloges publiques. C.R.A.S., 56, 645-6. (Correspondance, Note presentee par M. Faye.) 17 Le Bureau International de 1'Heure (1992) 75 ans au service de 1'heure universelle. Bureau des Longitudes, Paris ; Niaudet A. (1881) Nature, 23, 367-369. 18 Voir Revue scientifique et industrielle (1843) 14,200-201. 19 L'Illustration (28 octobre 1843) 2,152. 20 Figuier L. (1884) Les nouvelles conquetes de la science. Librairie illustree, Paris. 21 Des affirmations ulterieures selon lesquelles Foucault et Deleuil ont eclaire la Place de la Concorde sont probablement toutes fondees sur les deux publications de Figuier : par exemple, 1'article Eclairage dans La grande encyclopedia, Vol. 14. Lamirault, Paris (1885-1902), p. 342 ; Mme la Comtesse Drohojowska (1888) Les savants modernes et leurs ceuvres. Lefort, Lille. Ceux qui connaissent bien Foucault ne mentionnent pas cette illumination et indiquent seulement qu'il a effectivement utilise la lumiere electrique dans les representations du Prophete de Meyerbeer (chapitre 8); cela suggere que Figuier s'est trompe. 22 /dD, 11 septembre 1845. 23 A.A.d.S., dossier Foucault, lettre de Foucault a Dumas datee du 19 Janvier 1849. 24 Foucault L. (1849) Appareil destine a rendre constante la lumiere emanant d'un charbon place entre les deux poles d'une pile. C.R.A.S., 28, 68-9. 25 Foucault ne savait probablement pas que la resistance d'un arc electrique est negative. Si le courant diminuait lorsque les charbons s'usaient, c'est que la resistance interne des piles de Bunsen et du regulateur platine/acide s'y ajoutait et limitait le courant. Si on veut faire fonctionner un arc avec un generateur moderne qui a une resistance interne tres faible, il est indispensable de mettre une resistance en serie avec 1'arc. 26 JdD, 11 mars 1846. 27 Laussedat A. (1865) Notice biographique sur Gustave Froment. Hetzel, Paris. 28 Mackechnie Jarvis C. (1958) The distribution and utilization of electricity. In A History of Technology, Vol. 5. Singer C.,
Leon Foucault
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Holmgard E.J., Hal A.R., William T.I. (Eds) Oxford University Press, Oxford. 29 The Illustrated London News, 9 decembre 1848, p. 368 30 Foucault L. (1849) Appareil destine a rendre constante la lumiere emanant d'un charbon place entre les deux poles d'une pile. C.R.A.S., 28, 68-9. (Memoire presente) 31 Dumas (1849) C.R.A.S., 28,120-121. 32 Un an auparavant. Brevet d'Invention N° 7033, demande deposee le 14 Janvier 1848. 33 JdD, 9 fevrier 1849. 34 Voir Darnis JdD, 21 decembre 1856, pour une breve discussion sur la nullite dans la loi franchise sur les brevets. 35 Foucault L., Regnauld J. (1848) Sur quelques phenomenes de la vision au moyen des deux yeux. L'Institut, 17, premiere section, 3-5; Societe Philomatique de Paris. Extraits des procesverbeaux des seances pendant I'annee 1848, 72-78. 36 Adam A. Le Constitutionnel, 18 avril 1847. 37 A.N. AJ13429 enregistre trois paiements a Froment, de 150, 100 et 100 francs. 38 Duboscq J. (1877) Catalogue des Appareils employes pour la production des phenomenes physiques au theatre. Duboscq, Paris. 39 Par exemple, A.N. AJ13428 contient des factures de Duboscq datees de 1853 et de 1854 pour 1'eclairage du ballet JElia et Mysis. C'est cependant a tort que certains auteurs pretendent que Duboscq a fabrique 1'arc electrique pour Le Prophete en 1849. Une salle electrique magnifique fut installee par Duboscq quand 1'Opera demenagea a son emplacement actuel dans les annees 1870. Voir Nature, 11,369-71 (1875). 40 Figuier L. (1884) Les nouvelles conquetes de la science, Librairie illustree, Paris. Vol. I, p. 14. 41 A.N. AJ13335. 42 Becker H. & G. (1989) Giacomo Meyerbeer: A Life in Letters. Amadeus Press, Portland, pp. 122-125. 43 Foucault L. (1849) sur 1'emploi de la lumiere electrique. L'institut, 17, (yme section) 44-46; Societe philomatique de Paris, Extraits des proces-verbaux des seances pendant I'annee 1849,16-20; Bibliotheque universelle de Geneve, Archives des seances physiques et naturelles, 10, 222-225. ^Pour un expose complet sur les origines de la spectroscopie, voir Hearnshaw J.B. (1986) The analysis of starlight. Cambridge University Press, Cambridge. 45 Voir Whitmell C.T.L. (1876) Nature, 13, 188-9, et Wilson D.B. (Ed.) (1990) The correspondence between Sir George Gabriel Stokes and Sir William Thomson, Baron Kelvin ofLargs. Cambridge University Press, Cambridge, lettre 277, 5 juillet 1871. La memoire de Stokes n'est cependant pas fiable : il avait ecrit a Thomson avant 1855 a propos de la decouverte de Foucault (lettre 104, 28 mars 1854.) 46 JdD, 16 juillet 1860. 47 Moigno F. (1861) Cosmos, 19, (deuxieme serie) 136-40. ^Philosophical Magazine, 19, 193-7 (1860); Annales de Chimie et de Physique, (troisieme serie), 58,476-8 (1860). 49 Voir 1'article de revue de Sutton M.A. (1988) Platinum Metals Review, 32,28-30.
50
Kirchhoff G. (1860) The London, Edinburgh and Dublin Philosophical Magazine and Journal of Science, (quatrieme serie) 20, 17-21. 51 II existe une communication anterieure de MM. Lefevre et Foucault sur les « images pathographiques » datee du 12 aout 1843. Les archives de la Societe philomatique se trouvent a la Bibliotheque de la Sorbonne. Voir le carton 125 et les manuscrits 2089-2092 pour les comptes-rendus des seances, 2099 F110 pour la liste de membres en 1852-53, et le carton 134 pour les listes de presence en 1851. 52 LTnstitut, 17, 11 (1849) Societe philomatique de Paris. Extraits des proces-verbaux des seances pendant I'annee 1848, 81-83. 53 Par exemple, Beleze G. (1859) Dictionnaire de la vie pratique a la ville et a la campagne. Paris, Hachette. 54 I.d.F. Ms3711 No. 39. Lettre datee du 13 aout 1856. 55 A.A.d.S., carton Fizeau N° 2 (Boite 185). 56 A.A.d.S., pochette pour le ler mars 1852, pli cachete. Chapitre 9 : La vitesse de la lumiere I. la fin de la theorie corpusculaire l
JdD, 15 mai 1850. Wheatstone C. (1834) Philosophical Transactions of the Royal Society of London for the year MDCCCXXXIV, 583-91. 3 Voir Report of the Fourth Meeting of the British Association for the Advancement of Science ; held at Edinburgh in 1834, John Murray, London (1835). 4 Voir Wheatstone C. 1856 The Times 15 novembre. 5 Arago (1837) C.R.A.S., 7, 954-965. 6 Arago (29 avril 1850) C.R.A.S., 30,489-495. 7 JdD, 2 et 3 novembre 1883. 8 Breguet L.F.C. (1873) Notice sur les travaux de M.L Breguet, Artiste, Membre du Bureau des longitudes. Gauthier-Villars, Paris. 9 Breguet, Boquillon (1843) Bulletin de la Societe d'encouragement pour I'Industrie nationals, 41, 98 et 42, 331. 10 D'apres Cornu A. (1900) Sur la vitesse de la lumiere. In Rapports presentes au Congres international de physique reuni a Paris en 1900 sous les auspices de la Societe franc, aise de physique, Vol. 2. Gauthier-Villars, Paris. 11 Foucault L. (1850) Methode generate pour mesurer la vitesse de la lumiere dans 1'air et les milieux transparents. Vitesses relatives de la lumiere dans 1'air et dans 1'eau. Projet d'experience sur la vitesse de propagation du calorique rayonnant. C.R.A.S, 30, 551-560. Note 6 12 La localisation de la station de Montmartre est indiquee dans la Revue scientifique et industrielle, 5, (troisieme serie) 393-397 (1849). 13 Fizeau (1849) Societe philomatique de Paris. Extraits des procesverbaux des seances pendant I'annee 1848, 81-83. u JdD., 20 decembre 1849. 15 Fizeau: A.N. LH 977/56 (reconstitution); Froment: Lami E-O. (1885) Dictionnaire encyclopedique et biographique de I'industrie et des arts industriels. Librairie des dictionnaires, Paris. 2
Notes et references
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Delaunay C.E. (n.d.) Notice sur la vitesse de la lumiere. Annuaire pour Van 1865 public par le Bureau des Longitudes. Gauthier-Villars, Paris. 17 C.R.A.S. (1850) 30, 668. l8 Recueil, p. 518. l9 JdD, 30 avril 1850. 20 JdD, 4 mai 1850. 21 Fizeau H, Breguet L. (6 mai 1850) C.R.A.S., 30,562-563. 22 Fizeau H., Breguet L. (17 juin 1850) C.R.A.S., 30,771-774. 23 Fizeau H., Gounelle E. (15 avril 1850) C.R.A.S., 30,437-440. 24 Pour une courte biographie, voir Les Mondes, 2,475-476. 25 A.A.d.S., dossier Foucault, lettres datees du 31 mai et du 20 juin 1850. 26 Sarton G. (1936) The Study of the History of Science. Cambridge, Mass., Harvard University Press. 27 Foucault Leon (1853) Sur les vitesses de la lumiere dans I'air et dans I'eau. Bachelier, Paris. 36 pages, 1 planche (These de Doctorat es Sciences) 28 Bournard F. (1899) Un bienfaiteur de I'Humanite. Pasteur. Sa vie, son ceuvre. Toltra, Paris, p. 19. 29 Almanac Imperial pour 1853 presente a leurs Majestes. Guyot et Scribe, Paris, p. 105. 30 A.A.d.S., dossier Foucault. 31 Les Mondes (1863) 1,141-143. 32 La formule qui donne la vitesse de propagation V de la lumiere entre le miroir tournant m et le miroir concave M est V = 8nnl2r/d(l + I'), si le miroir m tourne a n tours par seconde, d est la deviation lineaire mesuree par 1'oculaire, / la distance de m a M, /' la distance de m a L et r la distance de L a a (voir figure 9.12). Foucault donne d au lieu de d en plusieurs endroits, d etant la deviation angulaire, et non lineaire. On pourrait penser qu'il s'agit d'erreurs typographiques et non d'erreurs logiques, mais (i) Foucault parait avoir ete incapable d'etablir des formules correctes pendant sa soutenance, (ii) les formules ne sont pas appliquees aux observations dans la these, bien que des valeurs indicatives de d soient calculees correctement, et (iii) ces erreurs se reproduisent dans les Annales de chimie et de physique publiees 1'annee suivante. Files sont corrigees dans le Recueil. 33 JdD, 25 Janvier 1850. 34 /dD, 21 mai 1852. Chapitre 10 : La rotation de la Terre : le pendule et le gyroscope a
Kuhn T.S. (1957) The Copernican Revolution. Harvard University Press, Cambridge & London ; Acloque P. (1982). Cahiers d'histoire & de philosophie des sciences, nouvelle serie, N° 4; Gapaillard J. (1988) Cahiers d'histoire & de philosophie des sciences, nouvelle serie N° 25 ; Gapaillard J. (1993) Et pourtant, elle tourne I Seuil, Paris. 2 « II me semble qu'il est beaucoup plus naturel de faire tourner le roti devant le foyer, que de faire tourner le foyer autour de roti; et puisque les cuisiniers de la terre ont toujours agi
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ainsi, pourquoi le grand architecte des mondes s'ecarteraitil tout seul des lois du simple bon sens ? » La Presse, 14 mars 1851. 3 L'angle en radians est (l/g)Q|RcosAsinA, ou g, Q9,R et A sont respectivement 1'acceleration de la pesanteur, la vitesse angulaire et le rayon de la Terre, et la latitude du lieu. 4 L'effet de la resistance de I'air est negligeable. La deviation vers Test est (2/3)(2/g)1/2Q®/i3/2cos A ou h est la hauteur de la chute. 5 JdD, 30 juin 1849. 6 Costabel P. (1984) La Vie des Sciences, 1,235-249. 7 Costabel P. (1989) In Studies in the History of Scientific Instruments. Blondel C., Parot F., Turner A., Williams M. (Eds.) Rojers Turner, London, pp. 129-133. 8 Fizeau mesura 1'annee suivante un deplacement probable des franges en accord avec la prediction de Fresnel : voir Fizeau H. (1851) C.R.A.S., 33,349-355. II utilisait des courants d'eau et un arrangement optique ou chaque rayon passait a travers les deux tubes (dans des sens opposes) afin d'annuler les dephasages aleatoires dus aux tourbillons et autres heterogeneites. L'effet a ete explique cinquante ans plus tard par la theorie de la relativite d'Einstein. 9 Figuier L. (1884) Les nouvelles conquetes de la science. Librairie illustree, Paris, p. 20. 10 Foucault L. (1851) Demonstration physique du mouvement de rotation de la Terre au moyen du pendule. C.R.A.S., 32, 135-138. n JdD, 19 octobre 1852. l2 JdD, 16 decembre 1852. 13 Poisson (1837) C.R.A.S., 5, 660-667. C'est un extrait; le texte complet a ete public dans le Journal de I'Ecole poly technique. u JdD, 31 mars 1851. 15 Terrien A. Le National, 19 fevrier 1851. Le texte de Terrien a souvent ete deforme, par exemple par de Fonville W. (1887) La Nature, quinzieme annee, deuxieme semestre, p. 411. 16 Les details donnes par Ph. Blanchard dans Le Siecle du 16 fevrier 1851 montrent que Foucault a utilise la meme boule de 5 kilogrammes dans la salle du Meridien que dans sa cave. 17 Sher D. (1969) Journal of the Royal Astronomical Society of Canada, 63, 227-8. 18 Sylvestre E. (1851) C.R.A.S., 33, 40-41. 19 /dD,27juilletl851. 20 Centre canadien d'architecture/Caisse nationale des monuments historiques et des sites (1989) Le Pantheon : Symbole des revolutions de la Nation au Temple des grands hommes. Picard, Paris. 21 A.N. F173153, lettre datee du 8 juillet 1851. 22 Le National, 26 mars 1851. 23 Roger H. Le Constitutionnel, 15 mars 1851. 2 *L'Univers, 4 mars 1851. 25 L'Univers, 31 mars 1851. 26 A.N. F21845. On trouve aussi mention de cette possibilite dans Le Siecle du 16 fevrier 1851. 27 Le Siecle, 12 mars 1851.
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28
Putnam's Monthly Magazine of American Literature, Science and Art, 8,416-21 (1856). 29 A.A.d.S., pochette pour le 7 juillet 1851. 30 Conlin M.F. (1999) Ms, 90,181-204. 31 Binet (1851) C.R.A.S., 32, 157-9 & 197-205. Le memoire fut public dans deux numeros successifs en raison de sa longueur. 32 Liouville (1851) C.R.A.S., 32,159-160. 33 Bertrand J. in Poinsot L. (1872) Elements de statique, douzieme edition Gauthier Villars, Paris. 34 Poinsot (1851) C.R.A.S., 32, 206-7. 35 Bertrand (1882) C.R.A.S., 94, 371-2. 36 Belfield-Lefebvre (1852) Revue scientifique et industrielle, 1, (quatrieme serie) 19-21 & PI. I; cf. The Times (1851) 29 avril, p. 8, col. b. 37 C.R.A.S. (1851) 32,352. 38 C.R.AS. (1851) 32,367-368. 39 Crosland M. (1992) Science under Control — The French Academy of Sciences 1795-1914. Cambridge University Press, Cambridge. 40 Lo Presse, 4 avril 1851. 41 The Times, 11 avril 1851. 42 Par exemple, Charron (1931) C.R.A.S., 198, 208-10. 43 A.N. F173153, lettre recue le ler mai 1851. ^Pour une revue recente, voir Schulz-DuBois E.O. (1970) American Journal of Physics, 38,173-88. 45 Dufour, Wartmann, Marignac (1851) C.R.A.S., 33,13-15. 46 A.N. F21845. 47 Bertrand (note 2.17) ecrit que le pendule du Pantheon a fonctionne pendant « plusieurs mois », ce qui implique qu'il n'a pas ete remonte ! L'inventaire des papiers de Foucault du a Gariel mentionne cinq carnets d'observations du pendule du Pantheon allant jusqu'a octobre 1852. Mais cet inventaire a ete realise rapidement et contient des erreurs manifestes, si bien que nous ne pouvons rien en conclure avec certitude. 48 Revue scientifique et industrielle, 1, (quatrieme serie) 220-221. 49 Voir par exemple Short J. (1752) Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 47,353-353. 50 von Bohnenberger J.G.F. (1819) Annalen der Physik, 60, 60-71. 51 Sang E. (1856) Transactions of the Royal Scottish Society of Arts, 4,413-420. 52 JdD, ler octobre 1852. 53 Foucault L. (1852), Sur une nouvelle demonstration experimentale du mouvement de la Terre, fondee sur la fixite du plan de rotation, C.R.A.S., 35, 421-424, ne donne pas de valeur numerique ; elle vient de Foucault L. (1855), De la chaleur produite par I'influence de 1'aimant sur les corps en mouvement. C.R.A.S., 41, 450-452. 54 Person (1852) C.R.A.S., 35,417-420 55 Cosmos (1859) 15,108-110. 56 Sire G. (1852) C.R.A.S., 35,431-432. Sire avait cru que sa lettre n'etait pas arrivee a 1'Academie, et il en avait ecrit une autre. Voir A.A.d.S., pochette pour le 11 octobre 1852.
57
Foucault L. (1852) Sur les phenomenes d'orientation des corps tournants entraines par un axe fixe a la surface de la Terre. C.R.A.S., 35,424-427. 58 La periode de ces oscillations horizontales est Thoriz = 2n[lI (7sQ©o)s cos A)]1/2 ou Is et I sont les moments d'inertie autour de 1'axe de rotation du rotor et autour des deux autres axes principaux d'inertie, et Qe et a>s respectivement la vitesse angulaire de la Terre et celle du rotor, A etant la latitude. 59 A.A.d.S., pochette pour le 11 octobre 1852. 60 Cosmos (1853) 2, 645-647. 6l ]dD, 26 novembre 1852. 62 Cosmos (1853) 3,362-364. 63 Person C.-C. (1852) C.R.A.S., 35,549-552, 753-754. 64 Quet (1852) C.R.A.S., 35, 602-3, 669, 686-688. 65 Chapitre 2, note 39. ^Transactions of the sections, in Report of the twenty-fourth meeting of the British Association for the Advancement of Science John Murray, London, p. 56 (1855). ^Catalogue Officiel, deuxieme edition. Imprimerie nationale, Paris. 68 Cosmos (1855) 7, 67-73. 69 BrisseL. (1857) Album de VExposition universelle, Tomel. Abeille Imperiale, Paris, p. 196. 70 Govi G. (1855) Illustration, 26,198-199. 71 V/sz'tes et etudes de S.A.I. le Prince Napoleon au Palais de I'lndustrie, ou guide pratique et complet a I'Exposition universelle de 1855. Perrotin, Paris (1855). 72 Exposition universelle de 1855. (1856) Rapports du jury mixte international. Imprimerie imperiale, Paris, p. 401. Froment etait egalement juge pour les instruments de precision et ne pouvait pas non plus concourir. 73 A.N. F173726. 74 de Fonville W. (1887) La Nature, 15e annee, 2e semestre, p. 409411. 75 Details dans I'Astronomie, 465-80 (1902). 76 1851 -1902-1995 Le pendule de Foucault au Pantheon. Caisse nationale des monuments historiques et des sites/Musee de Conservatoire national des arts et metiers, Paris (1995). 77 Inv. 12658. 78 II fallut 3 heures de pose avec une source de 60Co de 42 curies placee a 3 metres de la boule. 79 Mach E. (1883) Die Mechanik in ihrer Entwickelung historischkritisch dargestellt. Brockhauss, Leipzig. 80 Voir Barbour J.B., Pfister H., (ed.) (1995) Mach's Principle : From Newton's Bucket to Quantum Gravity. Birkhauser, Boston. 81 Poincare H. (reimpression 1968) La Science et I'hypothese. Flammarion, Paris. 82 Einstein E. (1918) Annalen der Physik, 55,240-244. 83 Li L.-X. (1998) General Relativity and Gravitation, 30,497-507. 84 Braginsky V.B., Polnarev A.G., Thome K.S. (1984) Physical Review Letters, 53, 863-866. 85 Ciufolini I., Pavlis E., Chieppa E, Fernandes-Viera E., PerezMercader J. (1998) Science, 279,2100-2103. 86 JdD, 20 juin 1852.
Notes et references
Chapitre 11: Dans 1'expectative ^londel C. (1994) in Les professeurs du Conservatoire national des arts et metiers. Fontanon C., Grelon A. (Eds.) Institut national de recherche pedagogique, Conservatoire national des arts et metiers, Paris. Tome 1, pp. 168-182. 2 C.R.A.S. (1852) 35, 803,823. 3 A.A.d.S. Archives A. Lacroix, A.N. F174758. 4 Le pli cachete ou Foucault decrit son regulateur est vague (note 8.56). II semble toutefois necessaire que 1'electroaimant commandant le regulateur ait ete mis en parallele avec 1'arc tandis que les lames et 1'acide etaient en serie. 5 Voir par exemple Faraday, M. (1839) Experimental Researches in Electricity. Vol. I, R. & J.E. Taylor, London. § 783. 6 Par exemple, Experimental Researches (note 5) § 968-73, 984, 1017 et particulierement 1032. 7 Foucault L. (1853) Sur la conductibilite propre des liquides. Piles sans metal. C.R.A.S., 37,580-583. 8 Cosmos (1854) 4,242. 9 A.d.l.R. (1853) Bibliotheque universelle de Geneve. Archives des sciences physiques et naturelles, 24,268-270. 10 A.d.l.R. (1854) Bibliotheque universelle de Geneve. Archives des sciences physiques et naturelles, 25,65-67. n Foucault L. (1854) Sur la conductibilite physique des liquides. Courant partiellement transmis par 1'eau sans decomposition. Cosmos, 4, 248-250 ; Bibliotheque universelle de Geneve, Archives des sciences physiques et naturelles, 25,180-183. l2 JdD, 7 mai 1856. 13 de la Provostaye K, Desains P. (1853) C.R.A.S., 37, 749-752. 14 Sauf dans les semiconducteurs ou il y a aussi des porteurs mobiles de charge positive. l5 ]dD, 25 novembre 1853. 16 Cosmos (1854) 4,213-218. l7 JdD, 19 Janvier 1854. C.R.A.S. (1854) 38,38-42. ^Proceedings of the Royal Society of London (1855) 7, 571-574. 19] Minutes of Council of the Royal Society from December Wth 1846 to November 30th 1858 Taylor & Francis, London (1858). II est vrai que Pasteur n'avait pas encore fait ses decouvertes les plus importantes. La medaille avait ete decernee precedement a Arago, A.C. Becquerel, Dumas et Le Verrier. 20 Note 2.39. 21 Powell B. (1854) Notices of the Proceedings at the meetings of the members of the Royal Institution, 1,393-399. 22 Powell B. (1855) Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 15,182-185. 23 Moigno F. (1855) Cosmos, 6,145-146. 24 James F.A.J.L. (ed.) (1999) The Correspondence of Michael Faraday. Vol. 4. Institution of Electrical Engineers, London. 25 The Times, 27 octobre 1854, p. 6 col. f. 26 JdD, 28 decembre 1856. 27 Boas Hall M. (1976) History of Technology, 1,143-148. 28 Deribere M. & P. (1979) Prehistoire et histoire de la lumiere, France-Empire, Paris. 29 Nous ignorons d'ou pouvait bien provenir cette tourbe, assez rare en France. 30 Moigno F. (1855) Cosmos, 6,593-7.
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31
Foucault L. (1855) Rapport sur le pouvoir eclairant des produits gazeux fournis par la distillation de la tourbe. Imprimerie de Wiesener, Paris. 28 p. 32 Audouin P., Berard P. (1862) Annales de chimie et de physique, 65, (troisieme serie) 423-88 ; Regnault V., Dumas J. idem 486-95 (la numerotation des pages est defectueuse). 33 Becquerel Ed., (1867) dans La lumiere, ses causes et ses effects, Vol. I, Firmin Didot, Paris p. 101, montre un photometre de Foucault ou le film d'amidon est protege entre deux verres et ou la plaque mobile se termine au niveau de 1'ecran par une lame perpendiculaire plus large. Un photometre de Foucault conserve a 1'Universite de Catane a un filtre rouge incorpore. Chapitre 12 : Le Physicien de 1'Observatoire Cite par un anonyme (en fait Brewster D.) (1854) North British Review, 20,459-500. 2 JdD, 7 octobre 1853. 3 Bigourdan G. Le Bureau des Longitudes (quatrieme partie). Dans YAnnuaire pour Van 1931 public par Le Bureau des Longitudes. Gauthier-Villars, Paris. Les fonds pour la lunette avaient ete attribues en 1848. 4 Cite par Le Verrier (1870) Extrait du Discours prononce au Senat dans la Question de 1'Observatoire, le Sfevrier 1870. 5 Voir Institut de France (1911) Centenaire de la naissance de U.-J.-J. Le Verrier. Gauthier-Villars, Paris ; Moniteur Universel, 3 fevrier 1854. 6 Une description detaillee de la decouverte est donnee par Baum R., Sheehan W. (1997) In search of planet Vulcan : The ghost in Newton's clockwork universe. Plenum Trade, New York. 7 JdD, 12 novembre 1846. 8 Le Verrier (1868) C.R.A.S., 66,380. 9 Observatoire de Paris manuscrit 1037 (Lettre a Regnauld datee du 15 octobre 1854); I.d.F. Ms3711 N° 40. 10 Papiers de la famille Foucault, lettre datee du 22 septembre 1854. n JdD, 15 novembre 1854 12 Le Verrier (1854) Memoire sur I'etat actuel de 1'Observatoire imperial de Paris et projet d'organisation scientifique. Reimprime sous forme abregee dans les Annales de 1'Observatoire imperial de Paris (Memoires), 1 (1856). 13 Cite dans Bigourdan G. Le Bureau des Longitudes (cinquieme partie). Dans YAnnuaire pour Van 1932 publie par Le Bureau des Longitudes. Gauthier-Villars, Paris. 14 A.N., F1720758, 28 decembre 1854. 15 A.M., F1720758. 16 Cosmos (1855) 6,255-256. 17 I.d.F. Ms3711 Nos 44, 45. 18 Foucault L. (1855) Rapport sur le pouvoir eclairant des produits gazeux fournis par la distillation de la tourbe. Imprimerie de Wiesener, Paris. 28 p. l9 JdD, 5 mai 1853, 8 juin et 14 septembre 1854, mais Foucault avait deja mentionne 1'idee alors naissante de la conservation de 1'energie des le 15 septembre 1848. 20 JdD, 14 septembre 1854. a
Leon Foucault
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21
Brenni P. (1994) Bulletin of the Scientific Instrument Society, N° 41, 4-8. 22 JdD, 18 octobre 1855. 23 Foucault L. (1855) De la chaleur produite par 1'influence de 1'aimant sur les corps en mouvement. C.R.A.S., 41,450-452. (Me'moire presente) 24 Foucault L. (1855) De la chaleur produite par 1'influence de 1'aimant sur les corps en mouvement. Cosmos, 7,309-10. 25 Par exemple, Ganot A. (1856) Traite elementaire de physique experimentale et appliquee et de meteorologie. Sixieme edition chez 1'auteur-editeur, Paris ; La Nature, Sem. II, p. 221 (1878). 26 Les dimensions sont donnees dans Foucault L. (1963) Notice sur les travaux de M. Leon Foucault. Mallet-Bachelier, Paris. 34 p. 27 Bertin M. (1867) Rapport sur le progres de la thermodynamique en France. Imprimerie Imperiale, Paris. 28 Lettre du 29 septembre 1855 conserved par la famille de Foucault. 29 Wilson D.B. (ed.) (1990) The correspondence between Sir George Gabriel Stokes and Sir William Thomson, Baron Kelvin or Largs. Lettres 134 et 135. Cambridge University Press, Cambridge. 30 Joule J.P. (1843) The London, Edinburgh and Dublin Philosophical Magazine and Journal of Science, 23 (troisieme serie) 263-276, 347-355, 435-443. 31 Voir par exemple Murray R.H. (1925) Science and Scientists in the Nineteenth Century. Ch. IV. Sheldon Press, London. 32 Pour 1'histoire de la bobine d'induction, voir Shiers G. (1971) Scientific American, 244, numero de mai, et Hackmann W.D. (1989) Studies in the History of Scientific Instruments. Blondel C, Parot F., Turner A., Williams M. (Eds.) pp. 235-250. Rogers Turner, London. 33 Foucault L. (1856) Note sur 1'emploi des appareils d'induction; effets des machines multiples. C.R.A.S., 42, 215-217. (Correspondance) 34 Foucault L. (1856) Note sur 1'emploi des appareils d'induction; interrupteur a mercure. C.R.A.S., 43, 44-47. (Correspondance) 35 Illustres dans le Recueil, p. 355. 36 Foucault. L. (1856) Sur les effets produits par 1'interrupteur a mercure. LTnstitut, 24, premiere section, 414 ; Societe Philomatique de Paris. Extraits des proces-verbaux des seances pendant I'annee 1856, 57-58. 37 Foucault L. (1857) Interrupteur a double effet pour les appareils d'induction. LTnstitut, 25, premiere section, 265-6 ; Societe Philomatique de Paris. Extraits des proces-verbaux des seances pendant I'annee 1857,105. 38 Foucault L. (1857) Perfectionnement dans 1'emploi de 1'interrupteur a mercure. Societe Philomatique de Paris. Extraits des proces-verbaux des seances pendant I'annee 1857,133-134. 39 Figuier L. (1858) Rapport sur 1'Exposition universelle de 1855. In L'annee scientifique et industrielle, deuxieme annee, pp. 463-474. Hachette, Paris. 40 Cosmos (1854) 5,1.
41
Brisse L., Jubinal A., Gage P. (1856) Album de 1'Exposition Universelle, Vol. 1. Abeille imperiale, Paris. 42 Foucault (1856) Appareils d'eclairage. Exposition Universelle de 1855. Rapports de Jury Mixte International publics sous la direction de S.A.I. le Prince Napoleon, President de la Commission imperiale, Imprimerie impe'riale, Paris. 43 Foucault, Babinet (1856) Phares lenticulaires. Exposition Universelle de 1855. Rapports de Jury Mixte International publics sous la direction de S.A.I, le Prince Napoleon, President de la Commission imperiale, Imprimerie imperiale, Paris. M En 1844, quand il dirigeait encore 1'usine de Choisy le Roi, il avait offert deux disques de 55 centimetres en flint et en crown au Bureau des Longitudes. (LTllustration, decembre 1844, p. 242.) 45 Figuier L. (1873-1877) Les merveilles de I'industrie. Furne, Jouvet et Compagnie, Paris. 46 Le Verrier (1868) C.R.A.S., 66, 380-389 ; A.N. F173730. Planches en couleurs a
Gautier H. (1867) Les Curiosites de 1'Exposition universelle de 1867. Delagrave, Paris. Chapitre 13 : L'amelioration des telescopes
1
Selon les documents, on trouve la graphic Secretan ou Secretan : nous utiliserons la seconde. 2 Brenni P. (1994) Bulletin of the Scientific Instrument Society, N° 40, 3-6. 3 Foucault L. (1858) Telescope en verre argente ; miroirs a surfaces ellipsoi'de et parabolo'ide de revolution. Evaluation numerique des pouvoirs optiques. Cosmos, 13,162-168. 4 Newton I. (1704) Optics Lib. I, Prop. VII, VIII. 5 Airy W. (Ed.) (1896) Autobiography of Sir George Biddell Airy. Cambridge University Press, Cambridge. 6 Liebig J. (1835) Annalen der Pharmacie, 14,131-167. 7 Brevet britannique N° 9968 (1843). Cependant une recette ulterieure de Drayton, qui etait devenu « practical chemist» dans Regent Street, specifiait qu'il fallait chauffer a 160 ° Fahrenheit, soit 70 °C (No. 12358,1848). 8 LTnstitut, 25, (premiere section) 38 ; Societe Philomatique de Paris. Extraits des proces-verbaux des seances pendant I'annee 1857,15 ; Foucault L. (1857) Note sur un telescope en verre argente, C.R.A.S., 44, 339-342. 9 Voir Foucault L. (1858) Sur la construction des telescopes en verre argente. LTnstitut, 26, premiere section, 151. 10 Bibliotheque de la Sorbonne, 2044, ler mai 1858. n }dD, 11 mai 1862. u JdD, 26 fevrier 1857. 13 Steinheil (1857) C.R.A.S., 45,968-9. 14 Cosmos (1857) 11, 652. 15 Steinheil (1858) Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 19, 56-60. 16 I1 n'avait pas compris comme Foucault les relations entre les defauts de 1'image et les defauts du miroir [Steinheil (1858) Astronomische Nachrichten, N° 1138,145-150; Cosmos (1859) 14, 32-33], ce qui ne 1'a pas empeche de reussir au moins
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Notes et references
un miroir de 30 centimetres [Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (1859) 20, 26]. Son catalogue de 1860 ne mentionne pas de miroirs en verre argente [Steinheil C.A. (1860) Astronomische Nachrichten, N° 1235,171-176]. 17 Foucault L. (1857) Sue un nouveau polariseur, L'Institut, 25, (premiere section) 265 ; Societe Philomatique de Paris. Extraits des proces-verbaux des seances pendant I'annee 1857,104 ; C.R.A.S., 45, 238-241 ; Cosmos, 11, 217-220. II n'y a aucun doute que c'est Foucault qui a lui-meme realise le prisme, car aucun fabricant n'est remercie alors que Foucault le faisait toujours scrupuleusement. 18 Foucault L. (1858) Report of the 27th meeting of the British Association for the Advancement of Science, Dublin AugustSeptember 1857. Notices and Abstracts of Miscellaneous Communications to the Sections. John Murray, London, pp. 5-6, 6-8. l9 Royal Society, manuscrits HS.7.377, HS.12.354, 355. 20 Observatoire de Paris, manuscrit 1037, enveloppe obliteree 29 SEPTEMBRE 21
1857.
L'Institut (1857) 25, (premiere section) 343. 22 Aujourd'hui, au Science Museum de Londres, Inv. 1943-55. L'un d'eux est un miroir concave argente tres creux, a f/1, et done impropre a un usage astronomique. L'autre est un secteur decoupe dans un disque mince recouvert de platine, ce qui montre que Foucault a etudie cette possibilite a cote de 1'argenture ; mais elle requiert une temperature d'environ 320 °C, et le verre s'est visiblement distordu. L'origine est indiquee dans une lettre datee du 17 juin 1910, qui se trouve dans le dossier associe au centre de documentation du musee. 23 Cosmos (1857) 11,368. 24 A.N. F173719A, lettre datee du 16 octobre 1857. 25 A.N. F173719A, lettre datee du 9 Janvier 1858. Mais il etait reellement malade. (Institut de France, manuscrit 3716) 26 A.M. F173719A, lettre datee du 10 novembre 1857. 27 A.N. F1720758, lettre datee du 4 Janvier 1858. 28 I.d.F., manuscrit 3711, N° 41, lettre datee du 4 Janvier 1858. 29 A.N. F1720758, lettre datee du 6 Janvier 1858. 30 A.N. F1720758, lettre datee du 2 fevrier 1859. 31 A.N. F1720758, lettre datee du 9 Janvier 1858. 32 A.M. F173719A, lettre datee du 23 fevrier 1858. Le manuscrit 3716 de I'lnstitut de France suggere que le decret correspondant a ete signe le 3 mars. ^L'Institut (1858) 26, (premiere section) 151,161,186,221 (1858); Societe philomatique de Paris. Extraits des proces-verbaux des seances pendant I'annee 1858, 47-48, 41 (date de fac.on incorrecte), 49-50, 51-52. 34 Foucault L. (1859) Memoire sur la construction des telescopes en verre argente, Annales I'Observatoire imperial de Paris (Memoires), 5,197-237 et planche. 35 Cosmos (1858) 12,518-519. 36 Reference 3. Les remarques a propos du scepticisme des opticiens se trouvent dans la reference 34. 37 Flammarion C. (1911) Memoires biographiques et philosophiques d'un astronome. Flammarion, Paris, p. 139. 38 A.N., F1720758, lettre datee du 3 juillet 1858.
39
A.N., F1720758, lettre datee du ler juillet 1858. A.N., F1720758, lettre datee du 23 juillet 1858. 41 Dans son memoire sur les telescopes (note 34), Foucault presumait que leur separation avait encore la valeur de 0,4 seconde d'arc mesuree par Otto Wilhelm Struve (1819-1905) quelques annees auparavant ; mais en realite les etoiles s'etaient ecartees a 1'epoque de 1'observation. ^•Cosmos (1858) 13,328. ^Cosmos (1859) 15,138-140. "^Lassell W. (1842) Memoirs of the Astronomical Society of London, 12, 265-272. 45 Draper H. (1864, reimpression en 1904) Smithsonian Contributions to Knowledge, 14, article 4. ^Cosmos (1858) 13,411. 47 Faye (1858) C.R.A.S., 47, 619-621. Les commentaires de Faye lui attirerent une replique de Le Verrier, mecontent de ce que Foucault n'ait pas utilise les nouveaux instruments de I'Observatoire : Le Verrier (1858) C.R.A.S., 47,673-674. 48 Monf% Notices of the Royal Astronomical Society (1859) 20, 24. Pour d'autres images de la comete Donati, voir Pasachoff J.M., Olson R.J.M., Hazen M.L. (1996) Journal for the History of Astronomy, 27,129-145. 49 Le rapport publie dans Foucault L. (1858) C.R.A.S., 47, 205207 est abrege. Le memoire complet se trouve dans la reference 3. 50 En automne 1865, Secretan commenc,a a vendre des telescopes de 10 centimetres dans un tube metallique montes sur tripode. Les Mondes (1865) 9,272-273. 5l JdD, 23 juin 1858. 52 Instructions accompagnant le telescope de la Smithsonian Institution. 53 Intellectual Observer (1862) 1,380-381. Ces gravures datent de 1858 (Magasin Pittoresque, 26,312). 54 Foucault L. (1859) Microscope catadioptrique avec miroir en verre argente. L'Institut (1859) 27, (premiere section) 62 ; Societe philomatique de Paris. Extraits des proces-verbaux des seances pendant I'annee 1859, 16 ; on trouve un texte plus complet dans le Recueil, pp. 285-286. 55 A.N. F1720758, lettre datee du 31 Janvier 1859 ; Babinet, JdD, 9 fevrier 1859. 56 A.N. F1720758, lettre datee du 2 fevrier 1859. 57 Foucault L. (1859) Essai d'un nouveau telescope parabolique en verre argente. C.R.A.S., 49, 85-7; et references 34 et 43. 58 Sautter L. (1915) Louis Sautter (1825-1912). D'apres son journal intime et sa correspondance. Fischbacher, Paris. 59 Lissajous (1869) Revue des Cours scientifiques de la France et de I'Etranger, 6, 484-489. 60 Cosmos (1859) 15,138. 6l Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (1860) 20,147. 62 Cosmos (1859) 15,397-401. 63 Un manuscrit vendu par Charavay (3 rue de Furstenberg, Paris), date d'avril 1860, decrit les procedures prevues pour sa construction. 64 Depuis Alger, Bulard dit qu'il avait la monture d'un telescope de 33 centimetres, mais un autre miroir. On ne sait pas si le telescope de 50 centimetres est cet instrument ou un autre. 40
Leon Foucault
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Bulard C. (1861) C.R.A.S., 53, 509-512 ; (1862) 55, 879-881. La monture de bois fut remplacee plus tard par une monture de metal: Lagrula J-L. (1932) Journal des Observateurs, 15, 167-170 ; Baillaud B. (1880) Annales de I'Observatoire de Toulouse 1, v-vii. 65 Voir A.N., F173726 pour des details sur 1'expedition de I'Observatoire. 66 Georgelin Y, ArzanoS. (1999) L'Astronomie, 113,12-17 (eclipse au Siam). Le telescope de 40 centimetres fut aussi utilise pour une eclipse en Algerie en 1905. 67 Moniteur Universel, 29 juillet et 6 aout 1860, pp. 906,942; Yvon Villarceau, Memoires et compte rendu des travaux de la Societe des ingenieurs civils. Annee 1860, 344-347. 68 JdD, ler septembre 1860. 69 Magasin Pittoresque (1863) 31,31-32. 70 de Vaucouleurs G. (1958) La photographie astronomique. Albin Michel, Paris. 71 Voir Rothermel H. (1993) British Journal for the History of Science, 26,137-69. E. Mouchez ne mentionne meme pas le travail de Foucault dans son article La photographie astronomique a I'Observatoire de Paris, Annuaire pour Van 1887 publie par le Bureau des Longitudes. Gauthier-Villars, Paris (non date). 72 Foucault L. (1862) C.R.A.S., 54, 859-861. 73 Fuentes P. (1997) L'Astronomie, 111, 270-272. 74 C.R.AS. (1862) 54, 626-628, 888-889, 1012 ; Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (1862) 22,277; Cosmos (1862) 20,391-393. 75 A.N., F1720758. 76 Fizeau (1868) C.R.A.S., 66, 932-934 ; Stephan (1874) C.R.A.S., 78,1008-1012. 77 Michelson A.A., Pease KG., (1921) Astrophysical Journal, 53, 249-259. 78 Lettre appartenant a la famille de Foucault, datee du 27 fevrier 1857. File semble indiquer que Foucault avait pense aux retouches locales des cette epoque. Chapitre 14 : La vitesse de la lumiere et les dimensions du Systeme solaire 1
Cosmos, 19, Rapport sur la seance du 22 juillet 1861 de 1'Academie des sciences. 2 The Astronomer Royal (1857) Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 17, 208-221. 3 Arago F. (1857) Astronomie populaire, Vol. 4. Gide, Paris, p. 418. ^Cosmos (1861) 18, 536. 5 I.d.F., manuscrit3711 N° 5 et 7. 6 Illustre dans le Recueil et decrit dans Foucault L. (1862) C.RA.S., 55, 792-796. 7 Le Verrier (1867) C.R.A.S., 65,878-884. 8 Foucault L. (1862) C.R.A.S. Determination experimentale de la vitesse de la lumiere ; parallaxe du Soleil. 55, 501-503. 9 Babinet (1862) C.R.A.S., 55,537-540. 10 Wolf C. (1885) C.R.A.S., 100,301-309. n Cornu A. (1900) Sur la vitesse de la lumiere, Rapports presentes au Congres international de physique reuni a Paris en 1900 sous les auspices de la Societefranc, aise de physique, Vol. 2. GauthierVillars, Paris.
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A.A.d.S., Fizeau, Boite 3. Les Mondes (1867) 15,511. Le Verrier etait emu lors de sa presentation a 1'Academic (Les Mondes (1867) 15,509-510) et il avait peut-etre ete plus loin que sa pensee. Son texte imprime insiste sur le danger des biais experimentaux (note 7). 14 Brouillon d'une lettre, conserve par la famille de Foucault. 15 Cornu A. (1874) Journal des I'Ecole poly technique, 27,133-180. 16 Cornu A. (1876) Annales de I'Observatoire de Paris (Memoires), 13, A.1-A.315. 17 La vitesse de la lumiere c est telle que c = I/ yeo^o/ £Q et JUQ etant respectivement la constante dielectrique et la permeabilite magnetique du vide. 18 Weber W., Kohlrausch R. (1856) (Poggendorff's) Annalen der Physik, 99,10-25 ; Maxwell J.C. (1868) Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 158, 643-658. 19 Froome K.D., Essen L. (1969) The Velocity of Light and Radio Waves. Academic Press, London. 20 Taylor I.D. (1970) School Science Review, 52, 28-38 ; voir aussi Domkowski A.J., Richardson C.B., Rowbotham N. (1972) American Journal of Physics, 40, 910-912. l3
Chapitre 15 : Enfin reconnu par ses pairs ^'abord, ces reunions se tenaient 1'apres-midi, (Cosmos (1855) 7, 598) puis elles eurent lieu le matin (Donne Al., JdD, ler mars 1868). 2 C.R.A.S. (1907) 144, 668. ^Bulletin de la Societe francaise de photographie (1865) 1, 62. ^Bulletin de la Societe francaise de photographie (1865) 12,80 ; Cosmos (1866) 3, (deuxieme serie) 398-400. 5 Bulletin de la Societe francaise de photographie (1855) 1, 62, 133 ; (1856) 2, 117, 170-171 ; (1857) 3, 62, 337 ; (1858) 4, 67-70 ; (1859) 5,153,156; (1860) 6,63,223; (1861) 7,13-16,150-151; (1862) 8, 36, 119-122, 286 ; (1863) 9, 35, 101 ; (1864) 10, 38 ; (1865) 11,32, 33, 205 ; (1866) 12,57. 6 Le comite d'attribution du premier prix fut reconduit pour le second. Bulletin de la Societe francaise de photographie (1860) 6,113, (1861) 7,186. 7 Bulletin de la Societe francaise de photographie (1859) 5,121. ^Bulletin de la Societe francaise de photographie (1867) 13, 89-112. 9 Cosmos (1853) 2,131. 10 Une lettre de E. Chevreul datee du 12 avril 1865 informe Foucault que 1'Empereur a confirme sa nomination au Comite consultatif le matin meme. (Archives familiales) 11 JdD, 5 fevrier 1857. u Cosmos (1859) 14, 293-294. 13 Bonaparte L.-N. (1843) C.R.A.S., 16,1180. u Les Mondes (1863) 1,337-339 ; (1864) 6,138-152. 15 Quand Foucault vit pour la premiere fois le moteur de Lenoir en 1860, il predit que grace au developpement rapide de la distribution du gaz a Paris, le moteur pourrait aisement fournir la puissance necessaire dans les petits ateliers, ce qui fut bientot le cas. (JdD, 7 juin 1860.) 16 Bigourdan G. Le Bureau des Longitudes. Ve partie, in Annuaire pour Van 1932 publie par le Bureau des Longitudes, A1-A117 ; We partie, in Annuaire pour Van 1933 publie par le Bureau des Longitudes, A1-A91, Gauthier-Villars, Paris.
Notes et references
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Discours de M. Yvon Villarceau (1868) Institut imperial de France, Paris. 18 Chantrel J. (1868) Revue du Monde Catholique, 17, 849. l9 Revue scientifique et industrielle (1851) 41,135. 20 Revue scientifique et industrielle (1851) 41,141. 21 C.R.A.S., 46,408 ; et A.A.d.S., dossier Foucault. 22 Cosmos (1858) 12,249. 23 Cosmos (1858) 12,330-331. 24 C.R.A.S. (1858) 46, 564. 25 C.R.A.S. (1861) 52, 668. 26 C.R.A.S. (1861) 52, 715. 27 Cosmos (1861) 18,435-436. 28 Notice sur les travaux de M. Leon Foucault. Mallet-Bachelier, Paris (1863-1865). 29 Brouillon d'une lettre en possession de la famille. 30 A.A.d.S., pochette pour la reunion du 11 mai 1863. Bien sur, le nom de Foucault a disparu du rapport dans les Comptes rendus (C.R.A.S. (1863) 56, 919). 31 Cosmos (1863) 22, 626. Cette transcription parait plus fiable que celle de Moigno (note suivante). 32 Les Mondes (1863) 1, 390-391. 33 C.R.A.S. (1863)56,945. 34 Lettre datee du 27 mai, conservee par la famille. 35 Les Mondes (1864) 6, 523-524 ; C.R.A.S. (1864) 59, 725,1060. 36 Notice des travaux scientifiques de M. Fave. Gauthier-Villars, Paris. 1864. 37 A.A.d.S., boite Foucault, lettre datee du 3 avril 1864. 38 Les Mondes, 5,276-281. 39 Paraphrase de Jean 3.18. 40 Bertrand J. (1864) Revue des Deux Mondes, 51, 96-115. 41 Lettre du 19 mai 1864, conservee par la famille. 42 Cosmos (1865) (deuxieme serie) 1,55-56. 43 Les Mondes (1865) 7,84. 44 Les Mondes (1865) 7,123-124. 45 'Le Moniteur scientifique (1865) 7,140-141. 46 Cosmos (1865) 1, (deuxieme serie) 111 ; Bryan G.H. (1900) Nature, 61, 614-616. 47 Les Mondes (1865) 7, 225. 48 Les Mondes (1865) 7, 280. 49 Les Mondes (1866) 2, (deuxieme serie), 177-178. 50 C.R.A.S. (1865) 60, 518, 545 ; (1866) 62, 478, 777 ; (1867) 64, 450-454. 51 Bertrand J. (1883) Memoires de I'Academie des Sciences de I'lnstitut de France, 42, Ixxvii-civ. Chapitre 16: Les regulateurs: a la recherche de la fortune l
JdD, 13 avril 1855. En 1858-1860, Foucault servit d'expert au Tribunal de Tours lors d'un proces intente par Girard pour violation de brevet. Contrairement a Foucault, les autres experts ne conclurent pas a une violation. Archives Departementales d'Indre-et-Loire. 2 Brevets: heliostat, 53377 (17 mars 1862, certificat d'addition 18 octobre 1862); regulateurs, 55346 (23 aout 1862, avec 12 certificats d'addition jusqu'au 9 Janvier 1866); regulateur pour arc electrique, 60460 (15 octobre 1863, certificat d'addition
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4 novembre 1867) ; regulateurs, 69585 (6 decembre 1865, avec 3 certificats d'addition jusqu'au 15 octobre 1867). Brevets anglais : 30 decembre 1862, N° 3479 ; 25 juin 1864, N° 1597 ; 21 decembre 1864, N° 3169 ; 4 juillet 1866, N° 1777. Brevets d'importation beiges : 13686 (5 Janvier 1863) ; 15502 (24 decembre 1863); 16532 (28 avril 1864); 19246 (5 mars 1866). 3 Lissajous (1869) Revue des Cours Scientifiques de la France et de I'Etranger, 6,484-9. ^Bulletin de la Societe frangaise de photographic (1861) 7,58-59. 5 Mills A. A. (1985) Journal of the British Astronomical Association, 95, 89- 95 ; (1986) Annals of Science, 43, 369-406. 6 Duboscq (1862) C.R.A.S., 54, 618-620. 7 Duboscq (1862) C.R.A.S., 55, 644-645. 8 Cosmos (1862 21,470-472). 9 A.N., ET/XLIV/1504. 10 Clavel (1852) C.R.A.S., 35,604-605. "Duboscq J. (1862) C.R.A.S., 54, 741. 12 Auguste Berlioz ne semble pas avoir ete de la famille proche d'Hector Berlioz. 13 Cosmos (1861) 18,646-647. 14 L'artiste Hongrois Eric Weiss (1874-1926) adopta Houdini comme pseudonyme, en hommage a RobertHoudin. 15 Robert-Houdin (1855) C.R.A.S., 40,1141-1143. 16 Le principe de ces engrenages est decrit par Gariel C.M. (1886) dans son Traite pratique d'electricite, Vol. II, Doin, Paris, pp. 94-98, qu'il est interessant de consulter pour completer la description souvent confuse qui est donnee dans Les Mondes (1866) 2, (deuxieme serie) (11,) 620-624. 17 Illustre dans Foucault (1867) Appareil regulateur de la lumiere electrique. Dictionnaire general des sciences theoriques et appliquees. Privat-Deschanel & Focillon, Ad. (eds). Delagrave, Paris, pp. 1581-3. Cette illustration est reproduite par Mackechnie Jarvis (chapitre 8, note ??), mais avec une date inexacte. 18 Foucault L. (15 octobre 1863) Un appareil regulateur de la lumiere electrique, a recul et a detente equilibree. Brevet d'invention N° 60460. (Certificat d'addition 4 novembre 1867). Les formes originates illustrees dans le brevet et par E. SaintEdme (1864) Cosmos, 24,121-6 sont un peu differentes. 19 Observatoire de Paris, manuscrit 1037. Lettre datee du 15 octobre 1857. 20 Reynaud L. Le Moniteur Universel, 21 mai 1866, 609-610 ; Figuier L. (1867) L'annee scientifique et industrielle, Onzieme annee (1866). Hachette, Paris, pp. 48-56 ; Quinette de Rochemont (1870) Annales des ponts et chaussees. Memoires, 19, (quatrieme serie) 309-346. 21 Les Mondes (1868) 18, 43-44, 19, 327-328, 549-550, (1869) 20, 89-90,105. 22 Battesti M. (1997) La marine de Napoleon III. Service Historique de la Marine, Paris. 23 Les Mondes (1867) 13,405-406. 24 Les Mondes (1867) 13,493. 25 Les Mondes (1868) 16, 700-702. 26 JdD, 8 juillet 1859.
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Cosmos (1862) 21,103-104. Foucault L. (1862) C.R.A.S. Sur une solution de 1'isochronisme du pendule conique 55,135-136. 29 Les Mondes (1864) 6,487-492. 30 Les Mondes (1863) 1,253. 31 A.N., F173730, lettre datee du ler aout 1863. 32 Sainte-Claire Deville H. (1868) C.R.A.S., 66, 389-396. 33 Par example quatre seulement pour les regulateurs: C.R.A.S. (1863) 57, 738-740, (1865) 61, 278-279, 430-431, 515-516. 34 Sautter L. Memoires et compte rendu des travaux de la Societe des ingenieurs civils. Annee 1864, 65-68. 35 Sautter L. (1880) Notice sur les phares,fanaux, bouees et signaux sonores. Chaix, Paris. 36 Foucault L. (1865) Notice sur les travaux de M. Leon Foucault. Mallet-Bachelier, Paris. 37 p. ; le regulateur et 1'horloge sont illustres dans le Certificat d'addition du 8 decembre 1863 au brevet 55346. 37 Service Historique de la Marine, Vincennes. 5 DD1 73:2461; 7DD1 108,127,168, 255, 294. 38 Normand Memoires et compte rendu des travaux de la Societe des ingenieurs civils. Annee 1867, 639-642. 39 A.A.d.S., boite Foucault, lettre datee du 6 aout 1865. 40 Plus petit, comme on peut en juger par son prix de 430 francs. 41 Memoires et compte rendu des travaux de la Societe des ingenieurs civils. Annee 1864, 73 (1864). 42 Chapitre 15, reference 40. 43 Dans les brevets, et aussi Cosmos (1863) 23, 545-548, retire et corrige par 24,37-39. ^Mayr O. (1971) Notes and Records of the Royal Society of London, 26,205-28. 45 Les Mondes (1866) 2, (deuxieme serie) 207-211. 46 Vogel H.C. cite note 47. 47 Wilterdink J.-H. (1918) Annalen van de Sterrwacht le Leiden, 11, A1-A89. 28
Chapitre 17: Projets inacheves Du spectre secondaire et de son influence sur la vision dans les instruments d'optique, note non datee, imprime dans le Recueil, 296-300. 2 Cosmos (1861) 18,536. 3 A.N., F173730, lettre datee du 27 fevrier 1862. 4 A.N., F173730, lettre datee du 6 Janvier 1864. 5 A.N., F173730, rapport date du 20 Janvier 1864. 6 Lettre en possession de la famille, datee du 19 mai 1864. 7 Les Mondes (1864) 5,133-135. 8 Sainte-Claire Deville H. (1868) C.R.A.S. 66,338-342. 9 Martin A. (1852) C.R.A.S., 35, 29-30. II appliqua ce precede 1'annee suivante a des plaques de metal (36, 703-704) avec 1'idee que ces plaques pourraient etre gravees pour 1'impression manuelle, mais finalement cela donna lieu a un procede tres utilise par les photographes de plage et les photographes itinerants jusqu'a bien avant dans le XXe siicle. 10 Martin A. (1867) Theses presentees a la Faculte des sciences de Paris. n D'apres Sainte-Claire Deville H. (1868) C.R.A.S. 66, 338-342, 389-392 ; Le Verrier (1868) C.R.A.S. 66, 380-389, 393-396. l
Leon Foucault
12
de Parville H. Causeries scientifiques Seme annee 1868. Rothschild, Paris, pp. 152-170. 13 Les Mondes (1867) 14, 242-247 ; (1867) 15,164 ; D'Abbadie A. (1868) C.R.A.S. 66,589-590. 14 Andre C, Angot A. (1881) L'astronomie pratique. 4e partie. Observatoires de I'Amerique du Sud. Gauthier-Villars, Paris. 15 Laussedat A. Revue des Cours scientifiques de la France et de I'etranger (1868) 5,259-264 ; (1874) 14,155-161. 16 A.N., ET/XLIX/1504. 17 Foucault L. (1866) C.R.A.S. Sur un moyen d'affaiblir les rayons du Soleil au foyer des lunettes. 63,413-415. ls JdD, ler mars 1868. 19 Lettre a Tourgueniev datee du 7 mai 1867. 20 Cosmos (1867) 5, (deuxieme serie) 664-671 ; Les Mondes, 14, 242-247. 21 I.d.R, Ms 3711 No. 7, brouillon de Foucault. 22 Exposition universelle de 1867 a Paris. Catalogue General publie par la Commission Imperiale. 2eme livraison. Materiel et application des arts Hberaux (Groupe II — Classes 6 a 13). Dentu, Paris (1867); Wolf C. (1869) C.R.A.S. 69,1222-1226. 23 Le Temps, 10 juillet 1867. 24 Les Mondes (1867) 14, 717-726. 25 Porter C.T. (1908) Engineering reminiscences. Ch. 13. Wiley, New York; Pickering T.B. (1883-84) Transactions of the American Society of Mechanical Engineers, 5,113-121. 26 Memoires et compte rendu des travaux de la Societe d'ingenieurs civils, Annee 1867. 332-334. La machine et son regulateur sont illustres dans Armengaud Aine & E., fils (1869) Les progres de I'industrie a I'Exposition universelle, Tome 2, PI. 1-2. Morel, Paris. 27 Worms de Romilly (1872) Annales des Mines, (septieme serie) 1, 36-64. 28 Mayr O. (1971) Notes and Records of the Royal Society of London, 26, 205-28. 29 Les Mondes, 14,598. 30 Lettre de Montpellier datee du 11 aout 1867, en possession de la famille. 31 Prevost-Paradol, cite par Moigno dans Les Mondes (1868) 16, 343. 32 A.N., ET/XLIX/1502. 33 A.d.P, DQ81531 Table des Successions et Absences. 34 Pasteur L. (1868) cite dans Les Mondes, 16, 221-223. 35 Les Mondes (1868) 16, 343. 36 Les Mondes (1868) 16, 337. 37 A.N., ET/XLIX/1504 et acte de deces. 38 e.g. JdD et Le Siecle, 14 fevrier 1868. 39 A.A.d.S., 1B17 Feuilles de presence 1867 a 1872. 40 Flammarion C. Le Siecle, 17 fevrier 1868. 41 Grandeau L. Le Temps, 13 mars 1868. 42 Sainte-Claire Deville H. (1868) C.R.A.S., 66,338-342. 43 de Parville H. Le Constitutionnel, 16 fevrier 1868. ^Cosmos (1868) (troisieme serie) 2,20-25. 45 Le Verrier (1868) C.R.A.S., 66,380-389. 46 Le Temps, 13 mars 1868. 47 de Parville H. Le Constitutionnel, 4 mars 1868.
351
Notes et references
48
Rapporte par Flammarion dans Le Constitutionnel du 14 mars 1868. 49 Le Constitutionnel, 10 mars 1868. 50 Le Verrier (1868) C.R.AS., 66,442. 51 C.R.A.S. (1868) 66, 393-396. 52 Duruy V. (1868) C.R.AS., 66, 441-442. 53 A.N., F173242. 54 de Parville H. Le Constitutionnel, 10 mars 1868; Cosmos (1868) (troisieme serie) 2,22. 55 Bulletin administratif, N° 179, 70-74 (aout 1868). 56 Le Petit Parisien, 21 octobre 1902. 57 Sainte-Claire Deville (1869) C.R.A.S. 69, 1221-1222 ; Wolf C. (1869) C.R.AS. 69,1222-1226; Wolf C. (1872) Annales scientificjues de I'Ecole normale superieure (deuxieme serie) 1,51-84. 58 Rapport annuel sur I'etat de I'Observatoire de Paris pour I'an 1880, p. 11. 59 Ashbrook J. (1958) Sky & Telescope, 17, 509. 60 Tobin W. (1987) Vistas in Astronomy, 30,153-184. 61 Codicille d'Aimee Foucault date du 13 novembre 1880, conserve par la famille et reference 56. 62 Testament date du 19 fevrier 1874, conserve par la famille. 63 Lettre conservee par la famille. M Le livre appartient aujourd'hui a I'Observatoire de Paris. 65 Riche A. (1891) Frederic Le Play, Poussielgue, Paris ; Brun F. (1876) Conference Leon Foucault: Etude sur la chanson de Roland. Plon, Paris. 66 A.N.,F21219. 67 L'Institut commanda un autre buste de marbre de Foucault a un sculpteur nomme Mengue, qui fut place dans le jardin d'une de ses proprietes, le chateau de Prunay, a 1'ouest de Paris. 68 Veyrat G. (1988) Les sentinelles de I'Hotel de Ville. Paris, Saurat. 69 Aird C. (1981) His Burial Too. Bantam Books, New York ; Eco U. (1990) Le pendule de Foucault. Grasset, Paris. Chapitre 18 : Epilogue 1
Dubois L. Le Courrier Frangais, 27 fevrier 1868. 2 Ring F. La Situation, 24 novembre 1867. 3 de Parville H. (1869) Causeries scientifiques, Seme annee, 1868. Rotschild, Paris, pp. 152-170. 4 A.N., F17 20758. 5 Lissajous (1869) Revue des cours Scientifiques de la France et de I'Etranger, 6, 484-489. 6 Observatoire de Paris, Ms 1037 ; lettre datee du 15 octobre 1854. 7 Grandeau L. Le Temps, 1 mars 1868. 8 Donne Al. JdD, ler mars 1868. ^Memoire sur I'Etat actuel de I'Observatoire imperial presente par les astronomes a Son Exce. le Ministre de I'Instruction publique. Imprimerie Lahure, Paris (1870). 10 Klosterman L.J. (1985) Annals of Science, 42,1-40. n LesMonrfes(1865)7,225. 12 Morin (1868) Discours de M. Morin prononce aux funerailles de M. Foucault. Institut imperial de France, Paris. 13 Bertrand, dans YAvertissement du Recueil.
Appendice B : Extraits du Journal des Debats J
Pour le tube de diametre de 1'ordre du centimetre que semble evoquer Foucault, le flux est limite par 1'inertie de 1'eau et depend comme il le dit de la racine carree de la difference de pression. C'est la loi de Torricelli, qui malheureusement ne permet pas de faire completement 1'analogie avec le courant electrique que tente Foucault. S'il avait reuni les reservoirs par un tube capillaire, la viscosite aurait limite le flux qui aurait £te proportionnel a la difference de pression, et 1'analogie aurait ete complete. Les travaux de Poiseuille sur les flots dans des tubes capillaires avaient ete presentes a 1'Academic au cours de la decennie precedente. 2 JdD, 6 Janvier 1847. 3 JdD, 2 juin 1853 4 Cerise (1869) Les Mondes, 19,35-38. 5 C.R.AS. (1852) 35, 873. 6 Schmadel L.D. (1992) Dictionary of Minor Planet Names. Springer Verlag, Berlin. 7 JdD, 31 juillet 1850. 8 Monins (1851) C.R.AS., 33, 60-61. 9 Dumeril (1851) C.R.AS., 33,105. 10 Magendie (1851) C.R.AS., 33,115. 11 Russell C.A. (1987) Ambix, 34,169-180. 12 Berthelot M. (1860) Chimie organique, fondee sur la sythese. Mallet-Bachelier, Paris. 13 Brock W.H. (1992) The Fontana History of Chemistry. Fontana, London. Appendice C : Photographies et instruments x
Par Sotheby's le 27 octobre 1999. Cataloguee, apparemment a tort, comme signee et datee, (Marbot, B. (1976) Une invention du XIXe siecle. Expression et technique. La photographie. Collections de la Societe franc, aise de photographic. Bibliotheque nationale, Paris). 3 En 1905 a la RMS (Journal of the Royal Microscopical Society for the year 1906122) et en 1929 a la SFP et au Wellcome Institute. 4 Nachet A. (1929) Collection Nachet. Instruments Scientifiques et Livres Anciens. Petit, Paris. 5 Inventaire 8045. 6 Inventorie dans les Archives Nationales ET/XLIX/1504. 7 Inventaire 13993. 8 Brenni P. (1989) in Blondel Ch., Parot F., Turner A., Williams M. (eds) Studies in the History of Scientific Instruments, pp. 169-78. Rogers Turner, London. 9 Inventaire 8985. 10 Turner G.L'E. (1983) Nineteenth-century Scientific Instruments. Sotheby, London. 11 Catalogue systematique des appareils d'optique construit dans les ateliers de J. Duboscq. Hennuyer, Paris (1864). ^Catalogue et prix des instruments de science qui se trouvent ou s'executent dans les magasins et ateliers de Secretan. Deuxieme partie, Geodesie, Astronomie, Meteorologie, Marine. Paris (1874). 2
352
Appendice D : Construction d'un pendule de Foucault ^ar exemple, The California Academy of Sciences (http://www.calacademy.org) 2 Par exemple, Synge J.L., Griffith B.A. (1949) Principles of Mechanics. New York, McGraw-Hill; Olsson, M.G. (1978) The precessing spherical pendulum. American Journal of Physics, 46, 1118-1119 ; (1981) Spherical pendulum revisited. 49, 531-534. L'utilisation du terme « precession » dans la premiere reference d'Olsson est une incorrection commune dans la litterature concernant le pendule de Foucault. Voir la note en bas de la page 143. 3 Pour une discusion, voir 1'excellent Aclocque P. (1981) Oscillations et stabilite selon Foucault. Editions du CNRS, Pris. 4 Franchot, C.R.A.S. 32,505, ou Faye dit que Foucault avait deja eu cette idee pendant ses essais a 1'Observatoire. L'idee initiale de Franchot etait d'avoir une masse mobile dans la boule (Le Siecle, 18 avril 1851). II suggera plus tard 1'idee plus pratique d'un mouvement du point de suspension (C.R.A.S. 32, 768-770). 5 Pippard A.B. (1989) Foucault's pendulum. Proceedings of the Royal Institution of Great Britain, 63,87-100. 6 Pippard A.B. (1988) The parametrically maintained Foucault pendulum and its perturbations. Proceedings of the Royal Society of London, A, 420, 81-91. 7 Charron F. (1931) C.R.A.S. 192, 208-210 ; Bulletin de la Societe astronomique de France, 45,457-462. Un cone cycloi'dal avait deja ete suggere par Whittle G. (1887) English Mechanic & World of Science, 1185,346. 8 Moppert C.F., Bonwick W.J. (1980) The New Foucault Pendulum at Monash University. Quarterly Journal of the Royal Astronomical Society, 21,108-118. 9 Masner G., Vokura V, Maschek M., Vogt E. & Kaufmann H.P. (1984) Foucault pendulum with eddy-current damping of the elliptical motion. Review of Scientific Instruments, 55,
Leon Foucault
1533-1538. Get article donne une illustration graphique de 1'importance d'un entrainement poussant vers 1'exterieur pour minimiser 1'ellipticite. 10 Crane H.R. (1981) Short Foucault pendulum : A way to eliminate the precession due to ellipticity. American Journal of Physics, 49, 1004-1006. L'effet de 1'aimant de Crane a ete analyse par Hecht K.T. (1983) The Crane Foucault pendulum : An exercise in action-angle variable perturbation theory. American Journal of Physics, 51,110-114. n Kruglak H., Oppliger L., Fitter R., Steele S. (1978) A short Foucault pendulum for a hallway exhibit. American Journal of Physics, 46, 438-440 ; Kruglak H., Fitter R. (1980) Portable, continuously operating Foucault pendulum. American Journal of Physics, 48, 419-420 ; Kruglak H., Pittet R., Steele S. (1980) A short, movable Foucault Pendulum. Sky & Telescope, 60, 330-332 ; Kruglak H., Steele S. (1984) A 25 cm continuously operating Foucault pendulum. Physics Education, 19, 294-296. 12 Crane H.R. (1995) Foucault pendulum « wall clock ». American Journal of Physics, 63,33-39. 13 Dieter G.E. (1976) Mechanical Metallurgy. McGraw-Hill, New York. 14 On peut limiter la courbure en fixant le fil & 1'interieur d'un trou en forme de pavilion dont le diametre se retrecit vers le haut jusqu'au diametre du fil. Le pavilion sert aussi d'anneau de Charron. 15 Marillier A. (1998) L'experience du pendule de Foucault au Palais de la Decouverte. Revue du Palais de la Decouverte, 26, N° 258, 31-45. Get article est une excellente introduction a la construction d'un pendule de Foucault. 16 Haringx J.A., van Suchtelen H. (1957/8) The Foucault pendulum in the United Nations Building in New York. Philips Technical Review, 19, 236-241. 17 Chapitre 10, note 14.
Index A Airy, 52, 106, 213, 215, 223, 273 Arago, 7-9, 29-33, 51-55, 53-57, 83, 102, 123-126, 135, 144-145, 181, 187, 235 Aristarque de Samos, 139
B Babinet, 67-68, 98, 142, 208, 238 Balard, 117, 137-138, 178 Baden-Powell, 154, 177 Barral, 117, 318-322 Becquerel, Edmond, 76, 81, 89, 171 Belfield-Lefevre, 39^0, 154 Berlioz, Hector, 92, 136 Berthelot, 328-334 Bertin, Armand, 85-87 Bertrand, 94, 99, 243, 251-253, 286 Bessel, 123, 126 Binet, 151-152 Biot, 7, 63 Bixio, 318-322 Bohnenberger, 160 Bonaparte, Louis-Napoleon, voir Napoleon III Bonaparte, Napoleon, voir Napoleon Ier Bontemps, 194 Bouguer, 58, 141 Bradley, 122-123 Breguet, Louis, 106, 126, 130-135, 175 Brewster, 63, 124, 166, 194 Bulard, 219, 224 Bunsen, 114-115
c Cagniard de Latour, 119, 132, 154 Carnot, 187, 323-325
Cauchy, 90, 94 Cassini, 3, 122 Cavaille-Coll, 236 Chacornac, 90, 212, 223-228 Chance, 194-196, 205, 275-280 Charcot, 284-285 Chevalier, 28, 32, 36, 42, 60, 111, 278 Comte, Auguste, 95-96 Copernic, 139-140 Coriolis, 152 Cornu, 130, 240
D Daguerre, 27-29, 31, 32 d' Albert, Due de Luynes, 219, 244 Davy, 49 de la Provostaye, 175, 312 De la Rive, 115, 174 Delaunay, 246, 288 Deleuil, 40, 51, 108, 172, 321 Desains, 175, 212 Descartes, 61 Desprez, 18, 116, 137-138 Dom Pedro II, 166, 245, 262 Donne, 41-17, 59-61, 82-83, 88, 117, 196, 229-231, 284, 295 Drayton, 207 Drummond, 43-44, 50-51 Duboscq, 112, 257-264, 280-283, 285 Dumas, Jean-Baptiste, 111, 137-138 Dumoulin-Froment, 200
E Eichens, 218, 223, 280-283, 289-290 Einstein, 167-169 Encke, 85 Eugenie (Imperatrice), 285
F Faraday, 172-177, 187, 190 Faye, 106-107, 224 Fave, 99, 189, 217, 251-254 Figuier, viii, 87, 108, 170 Fizeau, 34-36, 49-56, 64-70, 71-78, 101, 117, 126-136, 142-143, 191, 197-198, 202, 230, 239 Flammarion, 166, 199, 217 Flourens, 90, 249-250 Foucault, Aimee Alexandrine, 14 Foucault, Aimee Nicole, 14, 285, 290-292 Foucault, Jean Leon Fortune, 13-18 Fraunhofer, 65 Fresnel, 63-65, 194 Froment, 110, 129-130, 143, 156, 161, 165, 212, 222, 236-238, 255
G Galilee, 103, 121, 139 Galle, 85, 183 Gambey, 47, 79, 102-103, 182, 187 Gariel, 290, 293 Gay-Lussac, 154 Girard, 98, 257, 279 Goldschmit, 313-314
H Halley, 123 Hamann, 163 Henry, 190 Heraclide du Pont, 139 Heron d'Alexandrie, 121 Herschel, John, 32, 73, 125, 133, 209
354
Herschel, William, 71, 183 Hooke, 62, 140-141 Huygens, 52, 103, 267
I
Ingres, 83, 196
J Jerome-Napoleon, 166 Joule, 190, 322-326
Leon Foucault
N
Nachet, 55 Napoleon Ier, 5-7 Napoleon III, 9-11, 97, 148, 159-160, 171, 193, 218, 246, 254, 288 Newton, vi, 25, 124, 140-144, 151, 167-169, 206 Niepce, 27-28
o
Serrin, 261 's-Gravesande, 260 Silbermann, 45, 259 Silvestre, 147 Sire, 163-164 Snell, 61 Soleil, 47, 111, 194, 259 Staite, 110 Steinheil, 106, 209 Stephan, 230 Stokes, 114, 189
T
Oudet, 46-47 Thomson (Lord Kelvin), 116, 187, 189
K P
Kamerling Onnes, 157 Kelvin (Lord), voir Thomson Kepler, 121, 123, 233-235 Kirchhoff, 114-116
L Lamarle, 163-164 Laplace, 141, 152 Lassell, 177, 206, 219 Lebon, 178-179 Le Play, 193, 282 Lerebours, N.J., 102, 106 Lerebours, N.M.P., 53, 75, 106 Le Verrier, vi, 1, 85, 182-186, 194-196, 210-212, 217-232, 233-239, 267, 286-288 Liais, 107, 186,211-212 Libri, 83-86 Liouville, 153 Lissajous, 157 Louis-Philippe, 6, 96-97
M
Mach, 167-169 Malus, 63 Martin, 278, 289-290 Matteucci, 312 Mayer, 187-188, 322-326 Maxwell, 240, 273 Meyerbeer, 112-113 Michelson, 168, 230, 240 Moigno, 22, 90, 93, 164, 209, 239
Pasteur, 70, 90 Person, 163-165 Petrie, 110 Philolaos, 139 Poincare, 169 Poinsot, 153, 160, 252 Poisson, 8, 152 Pouillet, 144, 181, 254 Ptolemee, 139
V Villarceau, 224-225
w Warren de la Rue, 39, 227 Watt, 266 Wheatstone, 124-125, 133, 193 Wollaston, 26, 65 Wurtz, 117, 178
Q Quet, 164
Y Young, 62, 64
R Regnauld, Jules, 21, 184, 285, 291 Regnault, Victor, 68, 93, 180, 182, 326 Robert-Houdin, 262 Romer, 122-123 Rosse, Lord, 206-207, 209 Rouargue, 165, 294 Ruhmkorff, 190-192, 202
s Sainte-Claire Deville, 1-2, 178, 203-204, 222, 243, 286-288 Sautter, 221, 228, 263-270 Secchi, 151, 227 Secretan, 202-203, 205-212, 216, 220, 267-273, 275-277
Relecture : Laurence Vitot Composition : e-press
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