LE VIVANT DÉCODÉ Quelle nouvelle définition donner à la vie ?
Jean-Nicolas Tournier
E IY SCIENCES
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LE VIVANT DÉCODÉ Quelle nouvelle définition donner à la vie ?
Jean-Nicolas Tournier
E IY SCIENCES
17, avenue du Hoggar Parc d’Activités de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
ISBN : 2-86883-814-6
Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les " copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ",et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, " toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite " (alinéa 1-de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. 0EDP Sciences 2005
À ma mère, in memoriam. À mon père, à Claire-Lise et mes enfants, à ma famille. Ils forment les traits d’unionfragiles au sein desquels ma vie s’insère et s’illumine.
cc La connaissance isolée qui est obtenue par un groupe de spécialistes dans un champ étroit n’a en elle-même aucune valeur d’aucune sorte ; elle n’a de valeur que dans la synthèse qui la réunit à tout le reste de la connaissance et seulement dans la mesure où elle contribue réellement, dans cette synthèse à répondre à la question : “Qui sommes-nous ?” ». Erwin Schrodinger
SOMMAIRE Introduction .................................................................................................................................. Chapitre I. La vie : une nouvelle définition pour quelle bio-Zogique.................................................................................................. Pourquoi une définition de la vie ?...................................................... La vie :dualité structure cellulaire/ état thermodynamique de la structure .........................................
Chapitre 2. La notion de système cellulaire...................................... Les constituants fondamentaux du système .............................. Les diflérents types cellulaires ..............................................................
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Chapitre 3. Quelques notions de thermodynamique ............. 41 Les principes de la thermodynamique classique : la thermostatique ................................................................................................. les principes de la thermodynamique non linéaire : la notion de système dissipatifs ..............................................................
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Chapitre 4. Le vivant paradigme des systèmes dissipatifs......... 55 . a, 1 etat unicellulaire .......................................................................... La vie 1’
Quelle vie pour u n virus ?............................................................................ La vie sociale :les multicellulaires......................................................
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Chapitre 5. Le temps et sa flèche : un élément fondateur du sens en biologie.............................................................................................................. 69 Chapitre 6. Le temps, quatrième dimension du vivant : la théorie de l’évolution ou l’interaction du temps et du vivant........................................................................................................................................
79 Les péripéties de la genèse d’une théorie : du transformisme à la théorie synthétique de l’évolution .... 81
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Quelques aspects modernes de l’évolution : , . .., une theorze revisztee ?................................................................................... De la théorie de l’évolution à la pratique ...................................
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Chapitre 7 . L’origine de la vie : quelle problématique ................................................................................
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hasard ou p a r nécessité physique << légale >> ?............................................................... 111 Émergence de la vie :u n phénomène unique ou une ontogenèse p a r étapes ? ....... ......................................... 116 Hasard ou nécessité de l’émergence de la complexité : le modèle de la sexualité ? ........................................................................ 124
Chapitre 8. La vie est-elle réductible ................................................................. aux biotechnologies ? Chapitre 9. La propriété du vivant : un concept rénové par les biotechnologies .......................................................... La bataille de la brevetabilité .............................................................. L’épouvantail des OGM......................
Chapitre io. Les biotechnologies et l’éthique : une limite de plus en plus imprécise........
.....................
Le clonage reproductif humain : l’épopée de Dolly à Ève .......................................... Le tranfert nucléaire à quelfutur en médecine humaine ?.................................................... Les cellules souches humaines d origine embryonnaire............................................................ 7
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Bibliographie ...................................................................
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Introduction
En ce début de X X I ~siècle, quel regard l’homme peut-il porter sur la vie ? La question peut sembler éculée tant les progrès de la biologie moderne exposés à grand renfort de publicités abondent et saturent la réflexion dans une surenchère constante. Pourtant, à l’aube du troisième millénaire, une célèbre réflexion de John Locke n’a jamais paru aussi moderne : N (...) Il n’y a point de terme plus commun que celui de vie, et il se trouveraitpeu de gens qui ne prissent pour un affront qu’on leur demande ce qu’ils entendent par ce mot. Cependant, (...) il est aisé de voir qu’une idée claire, distincte et déterminée n’accompagne pas toujours l’usage d’un mot aussi connu que celui de vie‘. n Alors que le siècle qui se dessine semble être celui des biotechnologies, que le conflit ouvert entre la puissance envahissante de la biologie et les limitations de l’éthique devient irrémédiable, la notion même de vie semble s’être extirpée du champ de la biologie. N On n’interroge plus la vie dans les laboratoires D s’écriait François Jacob‘. Cette exclamation projette une vérité crue : le scientifique a pour objet de travail du matériel vivant, mais l’objet de son travail n’est pas la vie. La technique envahit le champ du biologiste, prenant le pas sur une réflexion plus large. La technicité l’écrase et il n’y échappe plus que rarement pour tenter d’apercevoir quels sont les contours et les singularités de l’objet qu’il examine quotidiennement. Cette évolution est d’ailleurs très marquée sémantiquement, puisque de la biologie, le glissement s’est effectué vers les bio-techno-logies. I1 émerge enfin une problématique nouvelle, liée à l’explosion du progrès technologique, qui permet une maîtrise chaque jour plus grande du vivant. Des possibilités inédites s’ouvrent quotidiennement, offrant des perspectives fascinantes. Elles peuvent aussi se révéler plus inquiétantes. C’est la rançon du progrès avec sa double facette, sa dualité, son ambivalence lancinante. L’avancée scientifique n’est plus associée mécaniquement à une augmentation du bien-être. De ce fait, le progrès doit-il susciter émerveillement ou suspicion ? Par ailleurs, comment ne pas être admiratif devant les prouesses
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techniques et l’ingéniosité débordante dont font preuve les biologistes pour décrypter le vivant ? Maîtriser mieux le vivant, c’est aussi pouvoir plus, c’est donc augmenter ses capacités à enfreindre des lois établies par la nature. Or, toucher à la vie n’est pas sans risque. Le risque est la rançon du savoir. Mais d u n autre côté, refuser dogmatiquement l’aventure du progrès est potentiellement aussi dommageable. La connaissance ne peut progresser ex nihilo. Le progrès est indissociable de l’expérimentationsur le vivant. Anatomie, biologie cellulaire, puis moléculaire sont apparentées, frappées du même sceau, chacune marquant un progrès pour l’humanité dans la dissection de la grande machinerie du vivant. Dans ces conditions, à quels risques les explorateurs de la biologie nous exposent-ils ? Ils sont multiples et flous. Pourtant, objectivement les dangers tiennent davantage à l’ambiguïté des rapports que l’homme entretient avec la nature, qu’à un risque réel inhérent au progrès. Ainsi, fustiger d’emblée et sans discernement le progrès paraît un peu trivial. La génétique moderne nous fournit un exemple des dangers des mélanges et malentendus à propos de cette science honnie par certains et vénérée par d’autres. Sans le savoir, l’homme utilise cette science depuis des millénaires, et le Monsieur Jourdain de la génétique a eu du succès : les milliers d’espèces, de races utilisées couramment dans l’agriculture (maïs, blé, colza, ...) sont issues de croisements dirigés par une main humaine. Le meilleur (c ami de l’homme >> est aussi le plus ancien animal d’expérimentation génétique. Les races canines, qui nous entourent et nous paraissent si naturelles, sont un pur produit de l’artifice humain. Elles résultent de la sélection par l’homme de critères physiques ou purement esthétiques qui sont ensuite amplifiés jusqu’à former des << lignées pures ». Ces manipulations, en apparence si naturelles, ne sont pas objectivement pires que les terribles manipulations génétiques annoncées dans les médias ... Ou plutôt, le fossé qui sépare la génétique d’élevage des dernières manipulations génétiques n’est pas si grand. Le principe ne varie pas, seuls les moyens évoluent. En effet, les outils de manipulations du vivant n’appartiennent maintenant plus à l’ordre de l’empirique mais à celui du technologique. C‘est-à-dire que l’homme agit, modèle, transforme le vivant à travers des outils et par une méthode raisonnée et non plus par des procédés empiriques ancestraux de croisements et de sélections. L’échelle de production s’en trouve décuplée et surtout la finesse et la résolution des techniques permettent d’agir au niveau de la bio-molécule, à des dimensions nanométriques. L’homme utilise ainsi la connaissance du vivant qu’il a acquise, par exemple celle de l’universalité du code génétique, pour transférer des gènes de certaines espèces dans d’autres à des fins industrielles ou pharmaceutiques. Mais un décalage sémantique est progressivement apparu entre des potentialités accrues liées aux progrès techniques et certains messages livrés crûment au grand public. Imperceptiblement, de nouveaux moyens ont
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émergé dont les applications dépassent l’entendement, ou plutôt brouillent le message d u n e biologie raisonnée. Ainsi, certaines informations nouvelles au sens angoissant proviennent de domaines de la biologie liés à ce qui singularise l’être, comme peut l’être l’exploration du génome et la toute nouvelle a génomique ». Le génome est l’identité propre de l’être, le soi le plus intime, l’héritage parental par excellence qui est transmis aux générations futures. Autant dire que tout ce qui touche de près ou de loin au génome est perçu comme hautement à risque. Ce génome peut maintenant être manipulé facilement pour les bactéries, ou de manière plus lourde pour les êtres vivants eucaryotes, dont l’homme. Le démantèlement et le décryptage de l’ensemble du message par séquençage sont maintenant terminés chez de nombreuses espèces modèles ou d’intérêt industriel : des bactéries de plus en plus nombreuses, des unicellulaires (la levure et, depuis peu, l’agent du paludisme) et quelques animaux multicellulaires comme un petit ver nommé savamment Caenorhabitis elegans, l’homme, une mouche célèbre nommée drosophile, le moustique vecteur du paludisme et même récemment la souris, le rat et la poule ! Le premier génome de plante (Arabidopsis thaliana) a été mis à jour, celui du riz est désormais achevé et ceux d’autres plantes d’intérêt agronomique comme le blé devraient rapidement suivre. Cette exploration a été largement médiatisée par les scientifiques eux-mêmes parce qu’ils avaient des besoins énormes de financement : ainsi ont-ils dû promettre de changer le monde par la seule connaissance du séquençage. L’accès à la connaissance du génome humain a été associé à de très nombreuses promesses dont la notion mythique de gène-médicament en est un des paradigmes. I1 a aussi probablement révélé d’autres angoisses profondes liées à la quête d’une connaissance d’essence presque divine : la recherche du code, du secret, du principe de ce qui singularise l’homme. Dans cette épopée, pour la première fois dans l’histoire, le scientifique se laissait clairement aller au fantasme du démiurge. Pourtant, à l’examiner objectivement avec un peu de recul, l’accès au génome n’a pas tenu ces promesses. Même si cette aventure représente une prouesse en soi, celle-ci ne résulte que d’une application à l’échelle du gigantisme industriel de techniques découvertes plus de vingt-cinq ans auparavant. Si la lecture de ce génome n’a été accompagnée d’aucune véritable révolution conceptuelle, ni de retombée immédiate, c’est que la prouesse est plus industrielle que scientifique. Aussi, les polémiques créées par le séquençage touchent toutes à des problèmes de propriété industrielle de séquence, ce qui est révélateur du déplacement de la problématique : il ne s’agit pas de retombées éthiques d u n e avancée nouvelle mais d’un problème de concurrence industrielle. Le génome de nombreuses espèces, dont la nôtre, a été décrypté, explosé, émietté, fragmenté, recomposé, industrialisé, voire même ré-approprié. Le génome-instrument de la connaissance a progressivement glissé vers le génome-instrument de la concurrence pour le
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pouvoir et l’argent. Le génome est devenu un produit financier sur lequel des paris énormes ont été effectués, mais qui est au fond davantage le reflet des problèmes de nos sociétés que des problèmes inhérents aux progrès de la biologie. Simultanément, de nombreuses applications de l’utilisation des gènes apparaissent dans l’environnement immédiat de l’homme. Bactéries, plantes et animaux sont améliorés par la main humaine. Les critères de sélection sont choisis subjectivement en fonction d’intérêts à court terme : plus résistant, plus rentable, produisant des protéines sélectionnées ou purifiées. Le vivant devient exploitable, véritable usine microscopique à haut rendement. À côté de techniques rudimentaires de génétique bactérienne, méthodes routinières, d’autres techniques initient leurs applications industrielles et agronomiques comme la transgénèse chez les mammifères ou les plantes. Dans ce cas, l’homme greffe un gène étranger, nommé alors << transgène », sur une plante (maïs, soja dits << transgénique B) ou un animal (souris, lapin << transgénique B) qui deviennent alors des organismes génétiquement modifiés plus connus sous leur sigle : OGM. Les applications de ces nouvelles technologies concernent principalement les plantes, domaine dont les applications dans l’agro-alimentaire recèlent une potentialité importante en termes de progrès. Toutefois, des inconnues persistent quant à la stabilité à long terme du greffon chez l’hôte et surtout à la diffusion du transgène dans la biosphère à d’autres espèces et donc sa perte de contrôle par l’homme. L’exploitation à l’échelle agro-industrielle des plantes transgéniques a cependant pu débuter aux États-Unis et en Europe. Mais les controverses sur l’utilité et l’innocuité des OGM font rage dans un climat passionnel. Aussi, le moindre décalage entre la réalité d’un progrès de la science et sa perception dans l’opinion publique peut être catastrophique. Parfois, le brouillage du message médiatique provient même de la maladresse des producteurs dOGM. Ainsi, les semenciers ont baptisé une de leurs constructions du doux nom de << Terminator »,ce qui n’est de nature à rassurer ni les agriculteurs, ni les consommateurs. Les biotechnologies constitueraient-elles un e danger D pour le bien de l’humanité ? L’homme est probablement plus dangereux pour lui-même que la science ne peut l’être per se. En tout cas, les problèmes à venir ne doivent être ni éludés ni minimisés. Ils proviendront sûrement là où ils sont le moins attendus, de techniques probablement moins décriées que les OGM, mais qui ont des conséquences potentielles qui ne sont ni maîtrisées, ni même appréhendées. I1 ne se passe pas un mois sans que les médias ne se fassent l’écho de nouvelles plus extravagantes les unes que les autres : naissance de souris sans père, clonage de cellules humaines en utilisant des ovocytes de lapines ou de vaches, tentative de clonage d’animaux ou d’êtres humains décédés... Ainsi, le très médiatique problème du clonage de mammifères transcende la raison
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humaine et interpelle notre conscience. I1 est évident que cette technique touche à un problème lié à l’essence même de la vie et à son corollaire, fantasme le plus profond : la recherche de l’éternité. Quel sens biologique ou éthique donner à une reproduction asexuée chez l’homme ? Ou encore, quel sens donner à la porte ouverte sur l’immortalité que nous offre la perspective du clonage humain ? Enfin, quelles conséquences en découleront pour l’humanité et pour la richesse de son patrimoine génétique liée au succès de la reproduction sexuée ? I1 devient donc de plus en plus difficile de différencier au sein de ce que le savoir autorise, ce qui est éthiquement possible de ce qui est clairement interdit. Une difficulté supplémentaire provient de l’impossibilité de prévoir ce que la science autorisera demain. Un éditorialiste d’une revue scientifique proposait récemment une recherche dont l’éthique serait volontairement non limitative, sauf pour les travaux mettant en danger la vie d’un être humain3. Les limites de la science touchent donc bien aux limites de la définition du vivant, puisque la seule limite posée à l’exploration en biologie est donnée par l’atteinte irréversible portée à une vie humaine. Mais alors qui est protégé par ce dogme ? Quel sens donner au mot vie ? L’embryon est-il << en vie >> dès sa conception ? Le clone, l’autre soi, peut-il être réifié pour répondre au simple besoin de cellules souches d’une personne dont la vie est elle-même mise en péril ? Ces questions nouvelles ne sont qu’une formulation moderne de questions pérennes. La biologie ne peut se départir de la réflexion éthique sur le sens du mot dont elle semble désespérément nier l’existence, mais qui la hante constamment : la vie. La vie est bien l’ombre de la biologie. Le biologique se définit par le corpus de connaissances que l’homme a pu extraire dans le domaine de l’étude du vivant. La biologie, somme de connaissances, représente la face éclairée d’un objet vivant, alors que la vie n’est que la vision projetée, la face sombre, l’ombre de la biologie. Les contours de la vie sont donc formés par des projections géométriques de l’état de la connaissance à un instant donné. La vie, objet non défini, fluctuant dans le temps comme l’ombre du cadran solaire, prend alors des formes différentes selon l’histoire. La biologie, comme les mains peuvent animer un théâtre d‘ombres chinoises, comme les ombres animent la caverne de Platon, laisse paraître des images de la vie. La vie grandit ou diminue, s’aplatit ou grossit selon la puissance et l’orientation de l’éclairage, mais elle est toujours présente, irréductible aux problèmes de la biologie. Dans ce flot d’informations déstabilisantes, comment fonder une réflexion d’honnête homme sur le sens de la vie ? Ces questions ne peuvent rester sans réponse trop longtemps. La vacuité de la réflexion concernant l’éthique de la biologie moderne laisse la technique maîtresse du terrain. Poussée par les intérêts économiques, la machine technologique peut alors déraper, l’homme ne contrôlant plus ce qui aurait dû rester cantonné à l’état
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d’outil. Mais la dérive est dangereuse, car les conséquences d’une telle perte de contrôle ne sont pas anodines. Très souvent, les biologistes refusent de prendre part au débat et se retranchent dans leur rôle de a techniciens du progrès scientifique >>.Cette dérive participe d’un processus plus général d’éclatement et de parcellisation des savoirs qui, de plus en plus pointus, demeurent aussi beaucoup plus restreints. Le travail de l’acteur de la science semble alors se limiter à la mise à la disposition de la société de connaissances et de moyens nouveaux. Une telle conception est dangereuse : << En biologie, il pourrait être nécessaire de penser »,ironisait lucidement René Thom. La responsabilité du scientifique ne se restreint pas à la seule technique, mais embrasse l’ensemble des champs de recherche y compris celui de l’éthique. Les rapports tumultueux de l’éthique à la science sont anciens. Ainsi, les élucubrations d’Alexis Carrel auréolé par un prix Nobel de médecine ont servi de caution à certains crimes commis par une des pires des barbaries du siècle. Tout scientifique, fut-il biologiste, ne peut se dédouaner, par un revers de manche, des conséquences de ses travaux ... Les premiers hommes qui ont fait basculer l’humanité dans l’ère de la reproduction par clonage ne peuvent s’être abstenus d’avoir réfléchi, tant les mises en garde ont été nombreuses. L’Histoire les jugera à son heure, les faisant entrer dans le panthéon des bienfaiteurs, en les précipitant dans les oubliettes de la médiocrité, ou encore les marquant éternellement du sceau de l’infamie. L’analyse à laquelle nous vous convions ne se limite pas à un champ de la science. L’expérience montre que le vivant ne peut s’entendre, au regard de sa complexité, que dans une vision intégrative. Ainsi, un objet aussi simple qu’une pièce de monnaie ne peut pas être observé des deux côtés simultanément. La connaissance de la pièce ne peut se faire qu’en intégrant la face observable à des données mémorisées qui concernent la face cachée. L’intégrale des points de vue est ainsi le meilleur moyen d’avoir connaissance d u n objet simple. Dans le domaine des arts, les cubistes ont tenté une représentation picturale de plusieurs faces d’un objet sans représentation des perspectives sur la toile. Mais la compréhension de telles œuvres est dificile au premier abord pour un œil novice. Les visages des femmes peintes par Pablo Picasso peuvent rester longtemps étrangers à l’amateur avant qu’ils ne lui soient clairement expliqués. Ces visages déformés sont complexes à appréhender, parce qu’ils ne répondent à aucun réel tangible. Pourtant, l’observation de ces peintures peut procurer un plaisir jubilatoire, par l’importance de l’information, la richesse des images subtilement superposées sur une même toile. Sans avoir l’ambition de se comparer aux cubistes, ni d’égaler leur talent, je recherche à faire mien cet état d’esprit en tentant d’approcher la vie par une vision la plus intégrative possible. Chaque face de cet objet insondable sera éclairée par plusieurs projecteurs. Aussi, mon approche, sans revendiquer l’ambition d’être celle d’un biologiste, ni celle d’un biochimiste et encore
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moins celle d’un physicien, sera plutôt à la marge, à l’interface de ces trois domaines de la science profondément imbriqués. Je passerai successivement d’un domaine à l’autre afin de pouvoir montrer comment chaque domaine éclaire des aspects différents et donne du relief au monde de la vie qui nous entoure. Chacun de ces différents modes de pensée pénètrent les problèmes du vivant sous un angle opposé mais complémentaire, permettant de mieux cerner la forme de cet objet curieux et insondable qu’est la vie. C’est en effet des propriétés physiques de la matière que découlent les principes guidant l’organisation macromoléculaire du monde vivant. Comprendre la logique de construction de la biologie, c’est intégrer l’articulation de ces différentes propriétés dans un modèle cohérent. Cette démarche permet de pressentir de manière intuitive, une Logique du vivant pour paraphraser François Jacob. Cet essai tente de définir dans le même esprit, les fondements de la vie. Définir la vie, c’est-à-dire appréhender une véritable bio-logique. Ce néologisme souligne la profonde ambivalence du mot biologie, terme analogue forgé par Lamarck sur les racines grecs bios (PEOO) qui désigne la manière de vivre et logos (hoyoo) qui désigne ce qui concerne la raison. La biologie est donc une science dont l’objet étymologique originel était d’explorer la logique de la vie. Le mot forgé au début du XIX‘ siècle a donc largement divergé de son origine étymologique. La biologie, science générale des êtres vivants, est en pleine expansion et son objet d’étude est très large, mais elle est devenue incapable de donner un sens logique au mot vie. À partir des définitions qui ont été proposées pour le vivant, nous allons en bâtir une nouvelle et la confronter aux données et aux problèmes induits par les bio-techno-sciences. Actuellement, de nombreux contresens aboutissent à imposer à la biologie une acception purement technologiste. Le vivant est alors réifié pour devenir l’objet de manipulations techniques. De la biologie, un glissement imperceptible s’effectue vers les bio-techno-logies. Or ce glissement terminologique est révélateur d’un état de fait. Décomposer le terme biologie pour en retrouver finalement sa racine étymologique, la compréhension de la vie, permet de mesurer combien le chemin de la connaissance de la vie a pu s’égarer. Partis à la recherche de la logique de la vie (raison des origines), les biologistes modernes se sont arrêtés en chemin ; flattés, jouissant d’un plaisir narcissique, attirés irrésistiblement par la technologie dérivée du vivant, miroir qui les renvoie à leur puissance et à un discours stérile. << - Miroir, dis-moi que je suis le plus puissant ...,jamais homme auparavant n’a pu autant que moi. - Oui, bio-technologiste, jamais homme avant toi n’avait autant violé mes lois et mes secrets ».Le narcisse de la technologie fait finalement évanouir, évaporer les raisons premières qui ont poussé l’homme à l’expérimentation : celle de la compréhension - au sens noble des lois de la vie - ou peut-être celle de la compréhension de << l’esprit des Lois ». I1 ne s’agit ni de vouer les techno-sciences aux géhennes, ni d‘implorer ou d’imposer un arrêt des
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recherches et des progrès de la science. Non, il s’agit plutôt de tenter de précéder les problèmes par une réflexion plus profonde et plus large sur le sens du mot vie afin de mieux accompagner les surprises que livre pudiquement et difficilement la nature. Cette réflexion permettra peut-être de mieux repérer les limites de la tentation démiurgique de l’homme et d’éviter que des techniques mal utilisées attentent à la vie humaine, seules limites couramment reconnues à l’utilisation d u n savoir.
Chapitre I. LA VIE : UNE NOUVELLE DÉFINITION POUR QUELLE BIO-LOGIQUE ?
Pourquoi une définition de la vie ? Est-il réellement pertinent de vouloir définir la vie ? La question est loin de faire l’unanimité. Futilité pour certains, ineptie pour d’autres, la question est hors sujet pour beaucoup dont la majorité des biologistes. La vie et le vivant sont toujours restés dans une sorte de nappe de brouillard, de flou indéfini, qui inhibe leur caractérisation patente. Est-ce par paresse intellectuelle, ou par volonté délibérée de laisser le champ libre à la métaphysique, ou à la mystique ? La réponse n’est pas claire. Le vivant fut exclu dès le départ, du fait de sa complexité trop importante, du champ de l’expérimentation. I1 n’a pas encore été réintégré à l’issue d u n processus qui tient plus dune parcellisation des savoirs que d’une molécularisation des centres d’intérêts. Un homme singulier avait tenté de définir la vie. Cet homme n’était pas du sérail, ni biologiste, ni chimiste, ni naturaliste, ni généticien, ni physiologiste : rien ne le prédisposait à s’exprimer sur le sujet. Erwin Schrodinger était tout simplement physicien, fondateur de la mécanique quantique au début du siècle et récompensé en 1933par le prix Nobel de physique. I1 publia en 1944, au plus fort de la guerre, un petit opuscule intitulé Qu’est ce que la vie ?’. Ce texte précurseur a permis d’exclure le démon vitaliste des sciences de la vie, sans permettre une synthèse par défaut des connaissances de l’époque en biologie qui étaient plus que rudimentaires. Pourtant, bien que les connaissances dans le domaine du vivant aient progressé vertigineusement, la vie continue de nous faire défaut de sa définition. Nous l’observons dans de nombreux domaines de plus en plus proches du quotidien. Le questionnement sur la définition et le sens de la vie est de plus
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en plus prégnant. Aujourd’hui, il ne se passe plus un seul mois sans que ne soient annoncées les découvertes les plus surprenantes des confins du vivant : réactivation d’espèces disparues, clonage de mammifères, manipulation de cellules souches, thérapie génique, création ex nihilo de nouvelles formes de vie. Toutes n’ont pas la même portée, les mêmes conséquences, mais en chacune résonne un questionnement profond sur l’interaction entre les outils que l’homme forge jour après jour et l’éthique de leur utilisation dans le quotidien. I1 n’est pas besoin de se tourner bien loin dans notre passé pour comprendre combien ces questions sont cruciales. Le xxesiècle a souffert avec l’eugénisme et le lyssenkisme de deux formes d’utilisation des connaissances biologiques par des systèmes totalitaires. Donner une explication formelle d’une notion intuitive n’est pas chose aisée. La vie a-t-elle une définition autre que surnaturelle ? I1 s’agit là dune conviction intime, c’est pourquoi nous allons tenter de montrer que la vie peut très bien se concevoir dans le champ de la science moderne par un modèle rationnel. De nombreuses tentatives d’explication de la vie émaillent l’histoire de la biologie ; il suffit, pour s’en persuader, de lire la volumineuse Histoire de la notion de vie d’André Pichot‘. Pour certains, la logique de la vie se situe en dehors de la science car au-delà du monde des molécules. Claude Bernard, déjà, réfutait toute entrée de la notion de vie dans le domaine des sciences : << Il sufit que l’on s’entende sur le mot vie, pour l’employer ;mais ilfaut surtout que nous sachions qu’il est illusoire et chimérique, contraire à l’esprit même de la science d’en chercher une définition a b ~ o l u e >>. ~Plus proche de nous, une conception tranchée se résume dans le titre d u n ouvrage, maintenant ancien, d’Ernest Kahane mais aux concepts ciselés dans le manichéisme : La Vie n’existe pas !4. Le matérialisme exprimé sous la forme de ce titre provocateur s’explique historiquement par la volonté de faire entrer la biologie de la deuxième moitié du lop siècle dans le carcan marxiste. La biologie d’alors, et notamment la génétique, étaient en prise avec des luttes âpres issues de l’affrontement des deux grands systèmes de l’époque : capitalisme et marxisme. Du côté soviétique, un idéologue délirant à l’habillage scientifique d’ingénieur agronome dénommé Trofim Lyssenko ravit les faveurs de Staline, il fit déporter ou éliminer les quelques biologistes soviétiques qui s’opposaient à lui, critiqua la a génétique bourgeoise >> et tenta de montrer que la biologie est une << science marxiste ».I1 prétendait éduquer D les plantes à la façon dont l’éducation marxiste pouvait donner naissance à l’homme nouveau. La suite fut un naufrage de l’agronomie soviétique, une catastrophe pour son agriculture et son économie. En occident, la science fut aussi l’objet de critiques attentives voire de luttes d’inspirations dogmatiques entre un matérialisme marxiste, et une science dont les acteurs dominants appartenaient à la société capitaliste (sans que ceux-ci n’en fussent nécessairement les thuriféraires). Les interférences entre biologie et
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dogmes politiques furent alors très nombreuses et éminemment puissantes, avant que celles-ci ne s’estompent dans le temps où les grands antagonismes économico-politiques s’effondraient avec la fin du régime soviétique. De nombreux biologistes modernes restent tout autant radicaux, mais pour des raisons entièrement différentes : pour Henri Atlan la vie n’est pas un concept opérant. La logique du vivant s’évanouit dans le fatras des lois moléculaires : << Les malentendus concernent la signification nouvelle, ou l’absence de signijïcation, que reçoit maintenant la notion de vie. (...) La démarche quej e propose consiste à enfoncer le clou. Et à reconnaître en efSet que la vie n’existe pas en tant que telle comme objet d’investigation scientifique, puisque ses mécanismes se réduisent à des interactions chimiques5 ». Pour Ernst Mayr la tentative de réduire le vivant à des lois physiques est caduque : << (...) La démarche analytique visant à comprendre les systèmes est une méthode de grand intérêt, mais (...) les essais de “ réduire ” les phénomènes ou les concepts biologiques aux lois de la physique ont rarement, voirejamais, conduit à quelques progrès que ce soit dans les connaissances. Le réductionnisme, dans ce sens, est, au mieux une approche creuse, et plus sûrement, trompeuse etfutile6 ».Pour tous ces biologistes, la vie n’est pas un concept dont l’approche est expérimentalement possible ; elle n’est pas donc pas un concept interrogeable par des outils scientifiques et se retrouve ipso facto hors du champ de la science. L’objet d’étude de la biologie ne ferait donc l’objet d’aucune définition. Cet état de fait a de quoi surprendre. Ainsi s’en étonne Gérard Amzallag : N La vie, dans ses manifestations les plus spécijiques, serait-elle exclue du champ de scientificité ? On est en droit de le penser du fait qu’il n’existe jusqu’aujourd’hui aucune définition scientijïque de la vie (...>.Il s’agit là d’une situation plutôt étonnante. En effet, la biologie peut dificilement prétendre à une scientificité calquée sur le modèle de la N physique classique avant même d’avoir défini l’objet de son in~estigation.~ Les critiques sont donc nombreuses, pourtant nous avons la conviction que la vie n’est pas une question étrangère à la science. Un premier faisceau d’arguments provient de la communauté scientifique avec le renouveau récent de l’intérêt d’une partie des astrophysiciens pour les recherches de traces lointaines de vie dans d’autres planètes du système solaire, ou de recherches d’exo-planètes autour d’étoiles très éloignées. Les succès de ce domaine de la science pose un problème nouveau (qui n’est que la re-formulation dune question ancienne). Chercher la vie ailleurs revient à poser la question centrale : qu’est ce que la vie ? En effet, que recherchent les robots propulsés par l’homme sur Mars ? La réponse est une lapalissade : des traces de vie. Mais alors, qu’est ce que les astrophysiciens aux commandes de leur engin à distance pourront considérer comme un succès dans la découverte de la vie ? Les physiciens se sont alors tournés vers leurs collègues biologistes dont la vacuité de réflexion dans ce domaine peut surprendre. Ainsi, le renouveau de
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la préoccupation de certains biologistes pour cette question longtemps méprisée car trop littéraire, trop métaphysique, trop liée aux risques d’une réflexion complexe vient donc des sciences (< dures ». La physique a donc inséminé un champ entièrement nouveau du savoir, parallèle à la biologie. Comme souvent, le loup chassé par la fenêtre revient par la porte, mais ici il ne s’agit pas dune porte de service mais de la porte d‘honneur. Poussés par des physiciens, des biologistes se sont enfin mis à se risquer à exposer un certain nombre de définitions de la vie dans des revues scientifiques prestigieuse^'.^. Le deuxième type d’arguments est lié aux relations qu’entretient la science avec la société moderne. Il n’est plus en effet tenable d’observer que les problèmes de bioéthiques modernes fassent tous référence à la vie, alors que les scientifiques énoncent péremptoirement que celle-ci n’existe pas. La science en tant que structure sociale au fonctionnement et au dessein imperméables aux problèmes de la société engendre une rupture profonde entre citoyens et scientifiques. Cet isolement ne peut que favoriser des comportements irrationnels, des préjugés anti-scientifiques hâtifs et aveugles, voire des actions violentes comme les arrachages de plantations expérimentales transgéniques par des commandos médiatisés. I1 est donc devenu un devoir de citoyen de tenter d’expliquer comment la science comprend le sens du mot vie, afin de pouvoir répondre avec plus de discernement à d’autres questions plus larges touchant à la génétique, aux OGM, aux cellules souches, au clonage, ou encore à la fin de vie. La vie doit donc être un concept descriptible e en la science »,avec des termes propres à ce champ de connaissance. Ce point de vue n’est pas isolé. Michel Morange dans un ouvrage paru pour le cinquante-naire de la découverte de la structure de l’acide désoxyribonucléique (ADN) portait le titre : La Vie expliquée I1 tentait alors de rapprocher les concepts de la biologie et ceux de la tradition philosophique. S’interrogeant sur le refus de la majorité des biologistes d’aborder le problème de la vie, il regrette : a Une telle absence apparente de curiosité de la part de la majorité des biologistes (...>est la marque d’une certaine paupérisation intellectuelle du milieu scientifique, préjudiciable à sa créativité. Elle signij-le une coupure entre la connaissance scient3que et la culture.» Sans vouloir porter de jugement sur la volonté de la communauté scientifique de vouloir rallier les problèmes philosophiques posés par l’avancée du savoir, je voudrais poser le problème dans des termes proches de ceux de Michel Morange. Mon ambition est de donner une définition à la vie qui puisse faire sens dans le champ de la science, et dévaluer ensuite sa portée dans le champ de l’éthique. La vie est un concept (< d’interface D au sein de la science, à l’intersection entre les domaines de la physique et de la biologie. En effet, le vivant comme objet d’étude de la biologie, n’échappe pas à un autre champ de la physique des échanges d’énergie qu’est la thermodynamique. Ce modèle fait donc appel à des notions simples de biologie et de physique thermodynamique sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement. Cette conception originale et ?O.
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moderne de la vie se détermine totalement par des lois physiques simples et universelles. Elle éradique donc définitivement toute tentation vitaliste et permet par ailleurs de comprendre certaines propriétés de la vie et d’appréhender son émergence. L’approche proposée n’est pas expérimentale au sens de la biologie classique qui est produite par analyse d’expérience pratiquée sur le vivant. En ce sens, elle diffère complètement de la conception classique de la biologie et des biotechnologies. I1 ne s’agit ni de résultats expérimentaux, ni d’une découverte de mécanismes nouveaux. I1 s’agira, pour certains, d’un handicap rédhibitoire ;c’est là une critique que nous admettons d’emblée et facilement. En effet, la définition de la vie est indispensable pour le plein épanouissement de sa face complémentaire : la biologie. La biologie moderne a été essentiellement - sinon exclusivement - analytique P rappelle François Jacob. J’ai choisi délibérément une approche complémentaire synthétique. I1 ne s’agit donc pas de la découverte matérielle d’un nouveau constituant moléculaire du vivant mais plus modestement d’une tentative d‘intégration des mécanismes biologiques fondamentaux dans un cadre conceptuel plus large. L’objectif final est de donner à la vie un cadre, une définition, dans laquelle puissent se reconnaître les lois à la fois de la biologie et de la physique, notamment un des développements récents de la physique thermodynamique. ((
La vie : dualité structure cellulaire/état thermodynamique de la structure La vie n’est pas définissable en l’état, nous l’avons déjà dit. Le modèle du vivant proposé entraîne une nouvelle définition. La vie se conçoit comme une entité duale : un système biologique et son état thermodynamique. La vie est donc une dualité ! C‘est à la fois un système, au sens physicochimique, qui doit présenter certaines strictes caractéristiques structurales et la caractérisation de son état thermodynamique qui doit remplir d’autres conditions non moins strictes. Concernant le système, il s’agit d’une structure stéréotypée représentée par la cellule formant la base de tous les systèmes biologiques vivants. Concernant l’état thermodynamique,le système cellulaire doit être ouvert et auto-entretenu en dehors de l’équilibre thermodynamique. En d’autres termes, il s’agit thermodynamiquement d u n système dissipatif selon l’expression célèbre forgée par Prigogine. Cette dualité n’est pas virtuelle, elle est à la base du paradigme. La vie est à la fois l’un et l’autre terme de cette équation du vivant : cellule et état dissipatif auto-entretenu du système cellule. En effet, dune part sans cellule, la notion de vie n’a pas de sens, puisque les systèmes dissipatifs ne sont pas l’apanage de la biologie, bien au
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contraire. I1 existe de très nombreux modèles de systèmes dissipatifs des plus simples aux plus complexes. D’autre part, la cellule bien que physiquement objectivable n’est pas suffisante puisque celle-ci peut être conservée bien longtemps après l’arrêt de tout échange thermodynamique (donc après sa mort). Les anatomopathologistes fixent et examinent des cellules bien après leur mort. I1 est possible de conserver des cellules mortes, pendant de nombreuses années. Ainsi les deux facettes de la définition sont indissociables : sans la cellule, pas plus de vie que sans le maintien de celle-ci dans un état dissipatif. Pour autant, les deux versants du paradigme ne sont pas deux entités indépendantes. Les deux éléments sont même profondément intriqués. Par exemple, l’intégrité physique de la cellule est nécessaire pour maintenir sa capacité à contrôler son métabolisme, et donc son état thermodynamique hors de l’équilibre. Cette notion princeps n’a rien dune tautologie. Nous allons maintenant illustrer notre paradigme par un exemple nécessairement un peu simplificateur, mais dont l’analogie est forte : comprendre si une cellule (ou un organisme) est en vie, revient à tenter de comprendre si une voiture se déplace à une certaine vitesse (Figure 1). L’analogie peut paraître surprenante. Mais la voiture forme un système (relativement) facile à appréhender et à modéliser pour l’esprit.
Figure I : Le paradigme du vivant et l’analogie avec la vitesse d’une voiture. La vie peut être dé5niepar l’existence d’une cellule dont ïétat thermodynamique est caractérisépar la dissipation d’unj7ux d’énergie (état hors de l’équilibre), comme une voiture qui roule est caractérisée par un système physique (roue + carrosserie + moteur) dont l’étatphysique est caractérisé par un vecteur vitesse.
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L a voiture forme un système physique individualisable, autonome, descriptible : carrosserie, pneu, pare-brise, volant, siège, moteur ... Nous appellerons ce système physique, le système-voiture. Exactement de la même manière, la cellule peut être analysée par de nombreuses méthodes. I1 s’agit d’un système complexe dont les sous-unités peuvent être décrites sous un microscope : membrane, noyau, organites. La cellule forme alors un système entièrement descriptible, que nous appellerons système-cellulaire. La notion de vie pour le système-cellulaire peut alors être assimilée à ce qu’est la notion de vitesse pour le système-voiture. La vitesse est un état cinématique de la voiture (c’est alors la dérivée de la fonction position du système-voiture). La vitesse est donc une grandeur physique instantanée et abstraite. De manière analogue, la vie (pour un de ses caractères) caractérise une grandeur physique qui est un état thermodynamique particulier du système cellulaire considéré : le maintien hors de l’équilibre par dissipation d’énergie. Cet état thermodynamique est une entité physique abstraite mais mesurable. Paradoxalement,la vitesse pour le système-voitureprend une dimension analogue à ce que représente l’état thermodynamique pour le système cellulaire. Sans voiture, la notion de vitesse s’évanouit et sans cellule, la notion d’état thermodynamique disparaît. À l’inverse une voiture peut très bien être arrêtée et une cellule retourner vers un état thermodynamique à l’équilibre, c’est-à-dire vers la mort. Les deux versants du paradigme ne sont donc pas symétriques. La structure cellulaire peut perdurer après la mort cellulaire, comme la structure physique de la voiture perdure après son arrêt au parking ou son immobilisation définitive. Le fossé qui sépare la définition du vivant et les travaux de la biologie moderne naît de cette incompréhension. Intuitivement, il paraît complètement absurde, pour comprendre ce qu’est la vitesse, de vouloir soulever le capot de la voiture et démonter le moteur ! Tout le monde sait bien que ce n’est pas dans le moteur qu’il est possible d’observer la vitesse ! De manière analogue, la vie (dans une de ses facettes de sa dualité) caractérise une grandeur physique thermodynamique. Elle n’est donc pas observable au microscope par le biologiste. Dans le cas contraire, le biologiste se place dans la perspective du mécanicien démontant le moteur d’une voiture inconnue, pour comprendre son fonctionnement. Mais à aucun moment, le mécanicien ne se trouve en position de pouvoir expliquer ce qu’est la vitesse du bolide, quand bien même il connaisse les fonctions de toutes les pièces du moteur ! De manière identique, le biologiste est bien en peine de pouvoir donner une explication de la vie de la cellule. I1 observe, fragmente, découpe, remplace certaines sous-unités de son système cellulaire, sous son microscope. I1 peut décrire maintenant presque pleinement ce qu’est ce système cellulaire et son fonctionnement moléculaire. I1 connaît les interactions de nombreuses molécules qui expliquent les réactions du vivant.
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Mais la vie, c’est autre chose ! C’est à la fois ce système cellulaire, << la structure visible >> de François Jacob, que le biologiste sait si bien décrire, mais aussi cette grandeur physique thermodynamique intrinsèque qui lui échappe. Ce petit rien que Michel Serres et Neyla Farouki appellent dans leur dictionnaire des sciences sans le définir : << un don supplémentaire qui s’ajoute aux éléments matériels reçus de la nature >>I1. Ce petit quelque chose qui a été longtemps appelé principe vital, mais qui se révèle être plutôt une notion thermodynamique abstraite mais bien réelle. C’est ici que se révèle un malentendu majeur qui a longtemps empoisonné l’histoire de la biologie. Les biologistes travaillent sur le vivant, mais à la façon du mécanicien qui démonte pièce par pièce le moteur cellulaire à la recherche de la vitesse. Le quiproquo est total. L’essence de la vie ne peut pas se trouver à l’échelle moléculaire. À ce niveau-là de l’analyse, il n’est possible de trouver que des pièces dune mécanique d’horlogerie, acquises au hasard de l’évolution et huilées par des millions d‘années d‘expériences et de sélections. Mais comme l’analyse << mécanistique >> des pièces de la voiture ne donne en rien le sens de la notion de vitesse, l’analyse des pièces du puzzle du vivant n’explique rien de la notion de vie. Le vivant étant une propriété physique thermodynamique acquise temporairement par un système biologique déterminé, il est nécessaire de l’appréhender dans sa globalité. Cette approche sous-tend d’ailleurs par ses aspects globalisants un certain degré d’incertitude physique. C‘est finalement là, une conception qui s’oppose à un certain idéal utopique << moléculariste >> qui anime certains biologistes. La vie ne s’approche pas en démontant les rouages des objets en vie, mais en les remontant et en analysant les différences physiques qui séparent ce système singulier d’un simple caillou. Pourtant ces deux approches ne sont pas aussi opposées que nous l’avons soulignéjusqu’à présent. Elles sont même relativement complémentaires. Chaque avancée dans la compréhension moléculaire du vivant ne peut être que l’occasion de mieux réajuster la définition de la vie et de comprendre comment l’association de ces pièces moléculaires forment un système répondant à des spécifications physiques. De la même façon, un mécanicien analysant les pièces d u n moteur ne peut comprendre comment celui-ci va générer le déplacement du véhicule qu’en articulant et en intégrant les connaissances qu’il a de chaque pièce. Nous voyons poindre, dans cette description sommaire, une manière de caractériser la vie. Mais cette définition ne doit pas se cacher derrière des mots abstraits ou des notions confuses. Une définition opérante doit pouvoir permettre l’émergence d’une logique permettant de mieux asseoir une réflexion plus large pour mieux appréhender certains questionnements éthiques. C’est pourquoi je vais maintenant expliciter de manière plus détaillée ce que j’entends par les deux termes de notre système vivant : le système cellulaire et l’état thermodynamique de ce système.
Chapitre 2. LA NOTION DE SYSTÈME CELLULAIRE
La définition du système cellulaire nécessite de faire un petit détour dans l’univers << occulte B des sciences de la vie. En effet, définir la vie revient à d’abord définir la cellule. << C‘est donc Ù la cellule qu’il faut attribuer les propriétés du vivant >> s’exclame François Jacob. Cette assertion n’est pas un truisme. La recherche d’une définition concise de la vie peut rapidement s’évanouir dans la continuité de la problématique. Cette continuité peut se révéler vertigineuse. La descente trop rapide des marches de la connaissance de la matière peut aboutir à un hors sujet tragique. Le curieux doit faire très attention où il met les pieds. Les biologistes, même les plus avertis, peuvent faire fausse route. 11est donc bien nécessaire de définir à quelle échelle se situe une sorte << de plus petit commun multiple »,unité de base pour la construction du monde vivant. À la suite de Claude Bernard, il est loisible d’affirmer : << (...) La vie réside dans chaque cellule, dans chaque élément organique qui fonctionne pour son propre compte. Elle n’est centralisée nulle part dans aucun organe ou appareil du corps’ ».Mais l’affirmer de manière péremptoire n’a de sens qu’en explicitant pourquoi et surtout en définissant exactement ce qu’est une cellule. La question du sens du mot vie revient donc à poser la question : qu’est-ce qu’une cellule ? la cellule est la plus petite unité morphologique et fonctionnelle possédant les propriétés du vivant. L’assertion peut passer pour tautologique puisque la définition du vivant utilise celle de la cellule, et que nous avons déjà énoncé que celle de la cellule fait partie intégrante de celle du vivant. Mais faut-il au juste parler d’un modèle cellulaire universel ou de plusieurs types de cellules ? I1 existe globalement deux grands types d’architectures pour les cellules : la cellule eucaryote, celle qui constitue l’unité de fonctionnement de chacun de nous et de notre entourage perceptible (plantes et animaux) et la cellule bactérienne, unité de fonctionnement du monde microscopique bactérien.
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Les deux types de cellules forment des systèmes complexes, adaptés à leurs niches écologiques, dont le schéma de base de fonctionnement est stéréotypé. La cellule est un système physiquement fermé, délimité par une membrane à l’intérieur de laquelle se déroulent des réactions métaboliques ordonnées grâce à des protéines à fonctions enzymatiques, provenant de la traduction d’un message génétiqueporté par un polymère complexe :l’acide désoxyribonucléique dont le sigle célèbre est l’ADN. Toute cellule, de la plus simple à la plus complexe, comprend au moins un système génétique, des protéines chargées de l’exécution du programme et une membrane délimitant le tout. Cette vision nécessairement réductrice doit être plus nuancée dans les détails. Cependant, elle permet une appréhension globale correcte du système.
Les constituants fondamentaux du système I1 est apparu rapidement aux biochimistes que les organismes étaient bâtis à partir de constituants structuraux universels. Les briques de la vie sont toutes les mêmes. De la bactérie à la salade, de l’insecte à l’homme, nous sommes tous construits à partir dune trentaine de biomolécules fondamentales : vingt acides aminés, cinq bases azotées, quelques sucres et quelques lipides. Commençons par le contenant cellulaire : qu’est-ce qu’une membrane cellulaire ? La membrane péri-cellulaire, ou plus communément la membrane plasmique, est d’abord une entité stéréotypée dans le vivant. Elle a une cornposition univoque de phospholipides et de protéines principalement. Ensuite, de ces éléments constitutifs découlent des propriétés utilisées par toutes nos cellules. La membrane forme une barrière de cinq nanomètres d’épaisseur, véritable espace-plan séparateur entre le milieu extracellulaire et le milieu intracellulaire, nommé cytoplasme. La conception simplificatrice comprise dans l’aphorisme de Francis Crick du << sac à enzyme »> est dépassée. Car, cette membrane ne peut être uniquement assimilée à un sac inerte. La membrane possède d’autres caractères : plasticité, et perméabilité intrinsèque. Surtout, elle assure de nombreuses fonctions << vitales D pour le système cellulaire : contrôle des flux de molécules, d’énergie, d’information entre la cellule et le milieu, reconnaissance, adhérence, motilité etc. La membrane est en somme un véritable << sac intelligent »> qui, outre le contrôle de nombreux échanges, participe aux grandes fonctions de la physiologie cellulaire. Voyons maintenant le contenu cellulaire : qu’est-ce-que le système génétique ? Pour Jacques Monod une caractéristique du vivant est sa propriété
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téléologique, c’est-à-dire N d’être des objets doués d‘unprojet qu’à lufois ils représentent dans leurs structures et accomplissent duns leursper$ormances »‘ . Une cellule possède donc, dans ses structures, un programme mémorisé qu’elle va à la fois tenter d’appliquer de manière ordonnée et de répliquer pour le transmettre à sa descendance. L’ADN est sur le plan structural un très long polymère résultant de la condensation d’unités élémentaires : les nucléotides. La taille de la molécule peut varier de quelques milliers d’unités élémentaires jusqu’à plusieurs milliards. Cette molécule est formée de deux chaînes anticomplémentaires hélicoïdales (Figure 2). Elle peut être comparée à un escalier en colimaçon dont les montants seraient formés d’un squelette de sucres liés par des phosphates et dont les marches seraient formées par des bases azotées empilées horizontalement. Cette structure mythique a été découverte par deux biologistes qui auront marqué l’histoire de la biologie du xxe siècle. À ce stade, il est inévitable d’ouvrir une parenthèse sur cet épisode épique de l’histoire des sciences. Tout d’abord, les circonstances de la découverte méritent d’être rappelées. Dans La doubZe hélice, James Watson en relate les dessous, les intrigues, les passions. I1 explique par le menu les chemins erratiques de la connaissance, dans un récit qui sonne comme une confession de repenti3. I1 y avoue sans complaisance pour lui-même une ambition et un arrivisme sans mesure, ce qui lui vaudra des critiques acerbes. Figure 2 :La structure de 1’mN. La double hélice anti-parallèle, décrite initialement par J. Watson et F. Crick. Les bases (en clair) sont tournées sur l’intérieur de façon stricte p a r l’intermédiaire de liaisons hydrogènes. L’empilement des bases perpendiculairement à l’axe entraîne une torsion de l’hélice dont les montants extérieurs sont formés p a r le squelette pentosephosphate (en sombre).
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Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt : les défauts de Watson ne doivent pas masquer une intuition brillante et un esprit d’analyse puissant, servi par une chance insolente. Watson flaire le coup lors d’unstage post-doctoral au hasard d’un congrès scientifique à Naples en mai 1951. Maurice Wilkins (du King’s College) y présente alors ses travaux d’étude structurale de l’ADN par la méthode de diffraction aux rayons X. Watson est alors littéralement séduit : l’ADN est cristallisable, il possède donc une structure régulière qu’il reste à découvrir ! I1 va alors mettre tous les moyens, même les moins avouables, au service de son ambition : la découverte de la structure moléculaire du gène. I1 quitte rapidement son laboratoire d’accueil de Copenhague où il s’ennuie, pour un stage chez Max Perutz au Cavendish à Cambridge, car celui-ci s’intéresse aux structures des macromolécules biologiques. Mais la raison princeps de son départ est ailleurs : c’est surtout la proximité du laboratoire de Maurice Wilkins, qui motive James Watson. Ce choix est excellent, car il trouve, au Cavendish, le << biotope D nécessaire à son épanouissement : l’équipe regroupe des scientifiques de premier plan et de tous horizons (physiciens cristallographes dont Francis Crick, virologues et biochimistes). L’interdisciplinarité joue un rôle fondamental, permettant un gain de temps et un échange interactif des idées. Par ailleurs, la fin justifiant les moyens, Watson ne se fixe pas de limite éthique : espionnage des équipes adverses, dévoiement de résultats de l’équipe de Maurice Wilkins, dont fait partie la malheureuse Roselynd Franklin (absente du prix Nobel car ayant succombé à une leucémie radio-induite dans l’indifférence la plus totale trois ans avant que l’Académie Karolinska ne distingue cette découverte). Tout est bon pour arriver ! Mais, détrompons-nous. James Watson et Francis Crick n’ont pas triché sur l’essentiel, c’est-à-dire cette formidable intuition de la double hélice qui arrive à contre-courant de tout ce qui est proposé à l’époque (triple Depuis, Francis Crick et Maurice Wilkins ont hélice à structure inver~ée)~. finalement accepté de livrer leurs versions de cette découverte, versions plus sages, plus pragmatiques de ces hommes qui ont permit un saut immense dans l’histoire de la b i o l ~ g i e ~ . ~ . L’ADN est devenu un mot magique (pour paraphraser une phrase de Gaston Bachelard) ; sa découverte fut une des premières victoires de la biochimie structurale : elle permit de corréler pour la première fois structure moléculaire et fonction biologique. Mais la fascination va bien au-delà de toutes limites de la raison. La structure de la molécule est parfaite, véritable bijou où la place de chaque atome s’explique par << les besoins de la nature », où la symétrie des deux brins s’emmêle dans une double hélice vertigineuse. À cette beauté structurale répondent la simplicité et la pureté de la fonction de gardien intemporel d’une information encodée par cette succession de quatre types de bases azotées. Aujourd’hui encore, cette structure fascine. Les bases
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dont il existe quatre modèles différents s’apparient spécifiquement une à une. Par ailleurs, l’empilement des bases les unes au-dessus des autres entraîne une torsion de l’échelle responsable de la structure en double hélice. La conformation n’étant cependant pas parfaite, la structure adopte (< des courbures et des faux plis >> selon l’expression de James Watson. Cette molécule contient donc un message donné par la succession des quatre types de marches d‘escalier ou bases azotées. Chaque brin est la copie conforme - dans le sens opposé -, du brin antiparallèle appelé aussi antisens. La réplication par ouverture de la double hélice permet une copie parfaite du message qui est donc religieusement conservé au cours des réplications. Un système de décodage, constitué de protéines, permet de réaliser une copie du génome sous forme d’acide ribonucléique (ARN) ; molécule presque identique à l’ADN qui est ensuite (< décodée »,c’est-à-dire traduite en un autre langage, celui des protéines. Les séquences de nucléotides sont alors reconnues par groupes de trois, puis traduites en unités chimiques distinctes : l’acide aminé constituant fondamental d’une protéine. I1 existe soixante-quatre combinaisons de triplets nucléotidiques codant universellement chacun des vingt acides aminés. Par ailleurs, au sein même de cette immense molécule, il existe une organisation cachée. Tous les nucléotides n’ont pas la même valeur. Toute séquence ne fait pas sens pour la cellule ; certains fragments a ne codent pour rien »,les autres sont organisés en unités fonctionnelles de transcription et de traduction : le gène. I1 est surprenant de remarquer que le gène a été appréhendé bien avant sa découverte moléculaire, puisqu’il n’était originellement qu’une notion abstraite d’entité mutable. Le gène est donc la plus petite séquence d’ADN permettant de produire une protéine. Cette définition est à la fois fonctionnelle et structurale. Elle est sous-tendue par l’existence dune séquence d’acides nucléiques. Certains biologistes remettent en cause cette définition, car pour eux le gène est une pure séquence informative (donc non nécessairement constituée d’ADN). Ce système génétique de codage ne serait rien sans le système protéique de décodage et d’exécution de l’information. Ce système de protéines à fonctions enzymatiques pour la majorité est indissociable des deux autres principaux constituants de la cellule. Nous en avons séparé l’étude pour plus de clarté. Mais, sans protéine, il n’est pas possible de décoder l’information génétique et, sans information génétique, impossible de synthétiser des protéines. La cellule vivante forme donc un système fermé. Le système fonctionne en boucle. C’est Jacques Monod qui le rappelle : e Le code ne peut être traduit que par des produits de traduction. C‘est l’expression moderne du omne vivum ex ovo2 ». Au sein de ces boucles, les protéines cellulaires constituent la cheville ouvrière de la cellule. Tous les besoins de la cellule sont remplis grâce à l’action concertée de nombreuses protéines dont chacune joue un rôle bien précis. Les protéines sont les véritables musiciens moléculaires D de la cellule-orchestre ((
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philharmonique. Ce sont elles qui répètent inlassablement la même partition du vivant sous la direction d’un génome contenu dans l’ADN-chef d’orchestre tyrannique. Les protéines-exécutantes ne peuvent s’échapper du système luimême << bouclé >> et sévèrement contrôlé. Les interactions entre les gènes et les protéines sont cependant plus complexes et interdépendantes. Si la synthèse des protéines en tant qu’information cryptée dans la séquence d’ADN est fixée et rigide, la régulation du fonctionnement des gènes reste sous l’emprise totale des protéines. Mais, au juste, qu’est ce qu’une protéine ? C’est, comme l’ADN, un long polymère mais dont les sous-unités sont des acides aminés. Cette différence chimique est fondamentale, puisque la cellule utilise vingt molécules très variées (au lieu de quatre bases pour l’ADN). Cette première différence apporte une variété très importante si elle est comparée à la monotonie et à l’uniformité de la structure de l’ADN. La diversité des vingt acides aminés permet de construire mathématiquement un nombre extraordinaire de molécules différentes aux propriétés les plus diverses (plus de 20” pour une protéine de n acides aminés). Or la nature n’exploite paradoxalement qu’une infime partie de la diversité que les mathématiques mettent à sa disposition ! En effet, les protéines sont, le plus souvent, apparentées structurellement en grandes familles. Mais déjà cette combinatoire permet de rendre compte de l’extraordinaire diversité structurale des systèmes vivants qui nous entourent. La deuxième différence majeure résulte des propriétés chimiques des acides aminés gui possèdent des chaînes latérales chimiquement réactives. Cette propriété est primordiale : certaines chaînes sont hydrophobes, d’autres acides, d’autres neutres, d’autres encore polaires. Cette diversité chimique est fondamentale comparée à la monotonie des acides nucléiques. Cette diversité va permettre de créer des sites réactifs chimiquement avec toutes les molécules possibles, et aussi de créer des superstructures, et donc de créer en fait la diversité de la vie. Ainsi, l’enchaînement des acides aminés joue un rôle moteur fondamental en permettant un repliement de la chaîne protéique en fonction des propriétés chimiques locales. La protéine adopte, sous l’effet des attirances entre groupes chimiques, une conformation, c’est-à-dire une structure particulière dans l’espace qui est stable (hélice, feuillet, etc.) (Figure 3). Plus précisément encore, il devient possible de créer localement, dans une région de la protéine, des régions réactives chimiquement. Ces régions sont spécialisées pour catalyser des réactions métaboliques : elles portent une fonction enzymatique. Une fois synthétisées, les protéines peuvent diffuser dans le cytosol, ou s’organiser en unités multiprotéiques de grosses tailles, comme les ribosomes qui constituent des véritables N usines B à construire des protéines. I1 est commode de distinguer les protéines fibrillaires aux fonctions structurales et
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les protéines globulaires aux fonctions enzymatiques. L'activité d'une protéine n'est en général pas constitutive : la fonction se trouve acquise et régulée principalement par des modifications de la conformation de celle-ci. Figure 3 :Structure tridimensionnelle dune protéine après repliement dans i'espace.Struciure de i'antigène protecteur de Bacillus anthracis établie daprès Protéine data bank (URL : http://www.rcsb.org/pdb/cgi/explore.cgi~ob=graphics;pdbld=~C;page&opt=show~~e=~o~).
Les différents types cellulaires Voilà grossièrement brossés les trois principaux constituants nécessaires à la cellule en vie. Toutes les cellules possèdent les trois grandes entités que nous avons décrites. Cependant, depuis les quatre milliards d'années que la terre porte les premières cellules, celles-ci ont eu le temps d'évoluer et de se diversifier. Sur le schéma de base initial, des modifications, des aménagements, des améliorations se sont greffés, retenues selon le principe de la sélection darwinienne dans un grand bric-à-brac moléculaire que François Jacob a baptisé N le bricolage de l'évolution D ~ .Nous allons maintenant présenter les deux grands ensembles de cellules rencontrés dans le monde vivant. Sur un schéma de fonctionnement unique, le vivant a construit des cellules à l'aspect fortement différent. Le vivant a littéralement
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de décrire : c'est le cas des bactéries ou procaryotes. D'autres, qui se sont très sensiblement transformées, ont été retenues par le filtre de l'évolution et forment des cellules plus complexes : les cellules eucaryotes (Figure 4). Figure 4 :Aspects structuraux d'une cellule procaryote et d'une cellule eucaryote.
:ellule procaryote
Cellule eucaryote
Le premier ensemble regroupe donc les bactéries qui constituent les entités fonctionnelles les plus simples : une membrane limitant un génome et un système protéique d'exécution du programme. Mais la simplicité fonctionnelle est en elle-même un abus de langage. Ces cellules sont en effet des entités complexes au fonctionnement hautement régulé suite à des milliards d'années d'évolution ayant permis amélioration et adaptation. Une approche de la complexité d'un être vivant peut être donnée par la taille de son génome. Pour la cellule procaryote moyenne, celui-ci mesure environ trois millions de paires de bases, pour environ quatre mille gènes codant des protéines à la fonction pour la plupart inconnue. Une caractéristique des procaryotes est la relative condensation du génome qui est majoritairement codant (à plus de quatre-vingt-cinq pour cent). Le génome d'un nombre de plus en plus important d'espèces procaryotes
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a déjà été séquencé, grâce à un travail de fourmi regroupant de nombreuses équipes. L’organisation du génome révèle une complexité insoupçonnée, tant dans son architecture globale que dans la multiplicité des gènes dont beaucoup ont une fonction inconnue à ce jour. À la simplicité fonctionnelle de la cellule procaryote, répond la complexité de l’entité phylogénique. En effet, des techniques de phylogénie moléculaire - c’est-à-dire d’analyse des divergences des génomes de différentes espèces - ont permis d‘individualiser non pas une mais deux entités procaryotes. Archéabactéries et eubactéries forment deux ensembles de même rang au sein du super-ensemble des bactéries. Les eubactéries sont les bactéries classiques - celles qui constituent notre entourage proche - et qui sont bien connues. La célèbrissime Escherichia coli, fétiche de tous les scientifiques, en est la chef de file. De manière un peu paradoxale, des organites de cellules eucaryotes (chloroplastes et mitochondries) ont été rattachés à ce groupe. En effet, l’analyse de leur génome les classe dans les eubactéries. I1 s’agit en fait, probablement, de descendants de bactéries qui ont parasité les premières cellules eucaryotes avant que la relation de parasitisme n’ait été retournée par l’hôte et ne soit transformée en une interdépendance. Ce type particulier de relation s’appelle l’endosymbiose : sans mitochondrie, il n’y a pas de vie eucaryote possible, et sans cellule eucaryote, les mitochondries ne peuvent plus survivre. Cette inter-relation est unique. Les mitochondries, ces << bactéries de l’intérieur », ont un génome indépendant du noyau cellulaire, dont la transmission ne suit pas les lois de la génétique classique puisqu’il est transmis par la mère chez les mammifères. Ainsi, les maladies génétiques mitochondriales ont une expression génétique particulière ! Plus surprenant encore, cette relation entre les deux génomes n’est pas figée. I1 a ainsi été démontré qu’il existe une continuelle colonisation du génome humain par des séquences génétiques mitochondriales’. Ce mode de vie endosymbiotique est donc un combat encore en devenir. Pourtant, peut-on parler de combat alors même que la situation est réellement celle d’une interdépendance, que sans mitochondrie la vie eucaryote n’est pas envisageable ? Les archéabactéries sont des bactéries de découverte plus récente, car leur niche écologique est un peu particulière. I1 s’agit de milieux extrêmes où la vie, telle qu’elle est comprise classiquement, paraît impossible : sources chaudes où la température dépasse les cent degrés Celsius, milieux hypersalés, fonds marins dans lesquels la pression est écrasante. Ces bactéries, outre leurs aptitudes particulières à la survie et leur proximité génétique avec les eucaryotes, possèdent une troisième particularité : la présence de lipides particuliers dans la membrane dont les liaisons sont de type éther, alors que tous les autres êtres vivants possèdent une membrane avec des lipides à liaison ester. Leur nom << archéa D provient de l’hypothèse qui en fait les descendants les plus proches des premières cellules eucaryotes. Leur grande
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résistance dans les milieux hostiles leur aurait permis de survivre dans les milieux extrêmes de la biosphère primitive, avant de se replier vers des niches écologiques plus restreintes. Le dernier type de cellule est la cellule eucaryote. Elle fait figure de paradigme de la complexité dans le vivant. Son génome est monstrueux en taille. I1 mesure plus de trois mille millions de paires de bases pour l’homme, organisées d’après les données récentes du séquençage en moins de vingt mille gènes dont les fonctions restent pour la majorité à découvrir. Ce génome est << enfermé >> dans une double enveloppe, le noyau, qui conserve, réplique et régule l’expression de celui-ci. Mais ce n’est pas tout, ce génome est organisé en chromosomes linéaires indépendants afin de faciliter la division. I1 comprend enfin de très nombreuses séquences muettes dont << l’utilité B est mal comprise. Dans le phylum des mammifères qui comprend l’espèce humaine, quatre-vingt-quinze pour cent de l’information génomique n’est pas utilisée directement par la cellule. Le génome est donc caractérisé par une grande misère informative : il s’agit d’un océan de séquences non codantes dans lequel quelques îlots perdus de gènes codent des protéines qui surnagent. Dernier paradoxe concernant le génome eucaryote : les deux étapes de la synthèse des protéines, transcription et traduction, sont découplées topologiquement : la synthèse des ARN se fait dans le noyau, alors que la synthèse des protéines se fait dans le cytosol. Mais la complexité déborde le simple cadre du génome et se retrouve partout. Le cytosol baigne de nombreux organites dont chacun a une fonction particulière : le réticulum endoplasmique et l’appareil de Golgi servent à la synthèse de protéines qui y sont transformées, modifiées, maturées. L’appareil lysosomial sert à la digestion des nutriments extracellulaires, la mitochondrie à la production de substrats énergétiques pour la cellule, et le chloroplaste sert, lui, à la photosynthèse chez les plantes. Par ailleurs, le cytosol est quadrillé par un cytosquelette, dont la dénomination exprime bien mal toutes les fonctions dynamiques auxquelles il participe : transports intracellulaires, divisions et mouvements cellulaires. Enfin, la cellule eucaryote se trouve aussi à la base de deux nouveautés chez les cellules vivantes : la sexualité qui va permettre une accélération de l’évolution par le brassage qu’elle amène et la multicellularité sans laquelle nous ne serions pas là pour disserter puisque nous et notre environnement tangible sommes principalement constitués de multicellulaires : animaux, plantes et champignons. Voilà le système observable du vivant grossièrement décrit, celui que les biologistes décryptent chaque jour un peu mieux. Ce monde de la cellule n’est pas figé. I1 reflète l’état des connaissances à un instant précis, il forme un instantané, une photographie d’un monde en mouvement dont les pixels sont plus ou moins grossiers. I1 est probable que l’évolution des connaissances
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nous obligera à en modifier certains aspects, mais la trame persistera. Un des aspects dual du vivant c’est, avant tout, cette cellule qui peut s’organiser en être multicellulaire. L’autre aspect est plus immatériel, car il tient à un aspect physique du système, à l’état thermodynamique, terme complexe qu’il est nécessaire de rendre explicite. Cette définition de la vie associée à la cellule - au sens large - peut passer pour tautologique. I1 est pourtant indispensable de circonscrire le système d’intérêt. Un mouvement né avec les résultats quasi-magiques de la biologie moléculaire et largement amplifié depuis avec les espoirs nés de cartographie et de séquençage du génome tente, pour ainsi dire, d’assimiler le vivant au gène, voire à la molécule d’ADN. I1 est vrai que cette molécule est singulière puisque retrouvée uniquement dans les systèmes biologiques. Deux mouvements se sont plus particulièrement isolés. Le premier emporté par Richard Dawkins et sa théorie du gène-égoïste ne voit dans la cellule qu’un mélange de gènes dont les effets combinés n’auront pour objet, inconscient mais unique, que leur reproduction. La cellule n’est alors plus qu’un véhicule temporaire et chaotique qui va permettre au gène naviguant dans le << fleuve de la vie D de se reproduire à l’identique. La cellule n’a pour Dawkins rien qui puisse être assimilé à une entité cohérente du vivant : ce n’est qu’un véhicule - singulier certes - mais véhicule quand même. La vie est ailleurs, dans ce gène, qui n’est d’ailleurs qu’une succession de bases azotées enchevêtrées en double hélice dans leur squelette de ribose-phosphate. Cette conception du véhicule des gènes a d’ailleurs reçu certaines validations expérimentales. Car pour peu que soient respectées quelques règles syntaxiques du langage génétique, il est possible de transférer un gène humain dans une bactérie ou une levure pour lui faire exprimer une protéine humaine (insuline, hormone de croissance, facteur de coagulation, etc.). Un gène peut donc utiliser - au moins de manière expérimentale - divers véhicules », depuis le carrosse antique jusqu’à la Rolls-Royce. Cependant, la première objection à cette vision provient d’une analyse plus fine de ce type d’expérience. La survie du gène dépend de son véhicule. Certains gènes rustiques résistent bien au transfert alors que d’autres ne sont pas exprimés puis sont rapidement éliminés par l’hôte. En l’absence d’artifice, les deux génomes ne cohabitent pas de manière passive comme deux passagers hétéroclites d’un même véhicule. L’image du gène voyageant tranquillement en surclassement serait plutôt à remplacer par celle de deux conducteurs luttant à mort pour conduire (< la voiture ».À les observer de plus près, cela ressemble plutôt d’ailleurs à un réel acte de piratage contre lequel le véhicule-hôte est doté de moyens de défense. La deuxième objection à la vision de Dawkins provient de l’observation que l’introduction d’un gène humain dans une bactérie n’induit pas l’humanisation de celle-ci. I1 s’agit simplement d’un échange de molécules un peu forcé par la main de l’homme. Mais en aucun cas, la nature de la bactérie n’est ((
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modifiée. Elle n’aura jamais conscience de son << humanisation ».L’essence de la vie bactérienne n’est pas troublée par l’introduction d’un gène humain. Inversement, l’être humain qui reçoit des xénogènes lors dune infection retrovirale ou un transgène lors d’une expérience de thérapie génique n’est pas modifié dans son statut d’humain : l’essence du vivant ne se trouve donc pas au niveau du gène. Le << véhicule B selon l’expression de Dawkins est au moins aussi important que le gène lui-même. La troisième objection à la vision géno-centriste de la biologie provient de deux données majeures de la biologie moderne qui ont fait beaucoup de bruits dans les médias. La première tient au succès chez les mammifères des méthodes de re-programmation de noyaux de cellules différenciées après transfert nucléaire, technique plus connue sous le terme de clonage. Cette technique utilise le noyau d’une cellule adulte différenciée qui est introduit par effraction dans le cytoplasme d’un ovocyte préalablement énucléé. Au-delà des problèmes éthiques, une des conséquences conceptuelles de cette première, est la démonstration que le cytoplasme d u n ovocyte contient toute l’information (liée à l’organisation spatiale et au contenu de celui-ci) nécessaire à la re-programmation d u n noyau de cellule différenciée en cellule embryonnaire. I1 s’agit là de la revanche du cytoplasme sur la vison centro-simpliste d’un génome tout puissant. Cela démontre avec élégance que ni le génome, ni le cytoplasme n’agissent sous la domination l’un de l’autre, comme un gène pourrait utiliser un véhicule. Ces deux entités sont en constantes interactions et celles-ci ne sont en aucun cas unidirectionnelles. Un gène n’est exprimé que si les facteurs de transcription cytoplasmiques sont présents au moment idoine. Une autre entorse au géno-centrisme a été apportée Stanley Prusiner et son modèle du prion comme agent étiologique de la maladie de la vache folle dont le pendant humain est la maladie de Creutzfeldt-JakobS Dans ce modèle (dont la validité au sens de Karl Popper tient au fait que rien ne soit encore venu le falsifier) une protéine seule pourrait être à l’origine de la maladie. La pathogénie serait liée à un problème de repliement, de conformation. Mal repliée la protéine ne serait plus dégradée, elle s’autoagrégeraitet entraînerait d’autres protéines dans sa course folle. L’ensemble de ces phénomènes seraient à l’origine de la mort des neurones et des symptômes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Le repliement de la protéine est donc porteur d u n sens, dune information biologique qui peut être transmise ou non à d’autres molécules. L’information portée par le gène est complètement mise hors jeu dans ce modèle d’échanges d’informations. Le gène n’est donc nullement le garant, le porteur unique dune information qui serait conservée comme dans un sanctuaire. Le biologiste et généticien Henri Atlan souligne très judicieusement : << (...) L’idée que “tout est génétique” commence à être sérieusement ébranlée. Cette idée (...) tend petit à petit à être remplacée par un modèle plus complexe, qui repose sur des notions d’interactions, d’effets réciproques
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entre le génétique dont il ne s’agit pas de nier le rôle central, et l’épigénétique dont on découvre progressivement l’importance1oP. Evelyn Fox Keller dans son histoire critique du concept de gène rappelle que les fonctions du gène doivent être << appréhendées de manière dynamique B << Puisque la fonction biologique réside dans l’activité des protéines plutôt que dans celle des gènes, l’eflondrement de l’hypothèse “un gène-une enzyme” réduit considérablement la possibilité d’attribuer une fonction à l’unité structurale qui a été traditionnellement considérée comme le gène. Pourtant, si on le conçoit de nouveau comme une unité fonctionnelle (...) le gène nepeut être placé au dessus et à l’écart des processus qui déterminent l’organisation cellulaire et intercellulaire” B. L’auteur revient plus loin sur cette dualité des définitions structurale et fonctionnelle qui oblige << à concevoir le gène comme (...) deux types différents d’entités :d’une part, une entité structurale, maintenue par la machinerie moléculaire de la cellule de telle sorte qu’elle peut être transmise jïdèlement de génération en génération ;d’autre part, une entité fonctionnelle qui ne se manifeste que par l’interaction dynamique de très nombreux acteurs (...) ».Elle met ici en exergue le << bouclage B du système génétique : l’ADN n’est rien sans protéine pour lire son message et le traduire et vice-versa les protéines dépendent de l’ADN pour leur synthèse. Ces arguments commencent à être largement admis dans la communauté scientifique. Ils s’opposent cependant à des réticences importantes car ils impliquent d’abandonner des simplismes qui ont longtemps prévalu. C’est ainsi qu’ils imposent de tirer un trait sur la biologie moléculaire triomphante de la fin du mesiècle et d’immerger le gène non dans << l’écrin de la vie », mais dans un fouillis d’autres molécules sans hiérarchie particulière, baignant dans un océan d’inter-relations complexes. Cette critique de la notion de gène est apparue de manière très cinglante dans plusieurs ouvrages de scientifiques français dans lesquels la génétique est revisitée, le gène disséqué et réexaminé. Dans leur Ni dieu, ni gène, Pierre Sonigo et Jean-Jacques Kupiec retirent au gène son caractère sacré, le replaçant au sein et non plus au centre de la cellule“. Michel Morange va encore plus loin en réclamant la << déconstruction de la notion de gène D : << Le gène n’existe pas : c’est une construction bancale tentant de rendre compte et d’accompagner le travail des biologistes. L’ADN existe, les protéines existent - et encore ! -, pas le gène (...) si l’on ne souhaite pas régresser vers l’époque où les philosophes avaient vocation à une activité normative et pensaient être capables de donner des leçons aux scientzjçques sur l’utilisation des concepts, le plus sûr est certainement de répondre non ; ou ,plus correctement, de dire que la question n’a pas de sensI3». Finalement, la notion même de gène en devenant plus complexe est devenue plus floue. Evelyn Fox-Keller recommande son abandon, car cette notion est devenue dangereuse à la fois pour le scientifique et le profane :
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<< Qu’est ce qu’un gène aujourd’hui ? (...) le gène est devenu pluriel. Ce n’estplus une entité unique, mais un mot doté dune grande plasticité, dé$ni uniquement par le contexte expérimental spécijïque dans lequel il est employé” ».Sans aller aussi loin, il est aisément compréhensible que le concept de gène ait évolué depuis ses débuts en tant qu’entité mutable, puis en tant que fragment moléculaire d u n e longue chaîne d’acides nucléiques dans les années 1950, avant la découverte des mécanismes éminemment complexes de sa régulation. Pour autant, il s’agit d u n concept opérant indispensable à la compréhension du monde vivant, aussi difficile qu’il fût de le définir. Le deuxième mouvement, encore plus vaste, de tentative de réduction de la vie au gène tient aux moyens gigantesques qu’il a fallu et qu’il faut encore pour décrypter les énormes génomes de l’homme et de quelques autres espèces eucaryotes. Ce vaste programme, d’un intérêt scientifique immense, a nécessité des moyens financiers non moins colossaux et la collaboration et la coordination de nombreux pays. Pour convaincre les décideurs, il a donc fallu, de manière excessivement réductrice, leur expliquer que la connaissance du génome allait nous amener à la connaissance de la vie. Finalement, cette chimère s’est évanouie après l’annonce de l’échéance finale du séquençage de la dernière paire de base du génome humain. Après la conquête du patrimoine génétique de l’homme, d’autres espèces vont faire l’objet d’explorations approfondies. Ces résultats, obtenus par de grandes équipes aguerries, tiennent à des expéditions employant de nombreux sherpas et rappelant les conquêtes historiques des sommets de l’Himalaya. Mais après la conquête du sommet, la moitié du chemin a été seulement parcourue. I1 faut encore redescendre vivant et, c’est là que de nombreux accidents ont malheureusement transformé l’ivresse de la conquête du sommet en catastrophe lors du retour. I1 en est de même pour l’exploration du génome. La nouvelle période, qui devait commencer avec la connaissance de la séquence, ressemble tristement à celle qui la précédait : une phase de labeur après un court sentiment de domination au sommet. La descente est longue et certains accidents tragiques verront disparaître probablement certaines sociétés de biotechnologie. L’Eldorado promis par la connaissance du génome humain n’est pas au rendez-vous. I1 s’agit d’un outil puissant pour les biologistes, sans plus. Le problème maintenant s’est déplacé, et il est de bon ton de parler de << l’après génomique ». Le génome et après ? telle est la question que beaucoup ont évoquée après la phase d’ivresse qui précédait l’annonce du séquençage complet du génome humain. Le décryptage du génome a donc apporté une masse énorme d’informations qu’il s’agit maintenant être capable d’analyser et d’ordonner. En outre, l’information apportée n’est que de l’ordre de la succession ordonnée des paires de bases. Nul ne voit plus le séquençage du génome comme une recherche de l’essence de la vie. La connaissance de plus en plus précise de la séquence de l’ADN a peut-être fait évaporer l’aspect magique de cette molécule.
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Le séquençage aura permis d’expulser la mystique de la vie de la molécule d’ADN. La vie est loin de se résumer à la lecture de la séquence de bases d’acides nucléiques le long d’un polymère. L’ADN humain purifié dans un
tube à essai ne possède en rien les caractères du vivant. I1 s’agit simplement d’un polymère singulier issu d’une fraction cellulaire un peu différente.
Chapitre 3. QUELQUES NOTIONS DE THERMODYNAMIQUE
La thermodynamique est une branche de la physique dont l’objet est l’étude de l’évolution de systèmes macroscopiques au cours d’échanges d’énergie, sous des formes les plus diverses. En thermodynamique, il est question de lois qui permettent de prédire l’état et l’évolution d u n système. Mais qu’est-ce qu’un système ? Un système est accepté comme une portion de l’univers possédant une certaine individualité dans l’espace et dans le temps. Cette notion d’individualité contient forcément une part de subjectivité. Par ailleurs, individualité ne signifie pas indépendance. En effet, la plupart des systèmes échangent de la matière ou de l’énergie avec l’extérieur. I1 faut distinguer les systèmes ouverts qui peuvent échanger matière et énergie, comme la cellule vivante, des systèmes fermés qui ne peuvent échanger que de l’énergie, et enfin des systèmes clos qui n’échangent ni matière ni énergie. Historiquement, les premiers fondements de la thermodynamique sont jetés au X I X ~siècle, appuyés par les efforts pour améliorer le rendement des machines au cours de la révolution industrielle. De nombreux théoriciens attachèrent leurs noms aux grands principes de cette science nouvelle : Nicolas Léonard Sadi Carnot, Joseph Fourier, Rudolf Clausius, Walther Nernst, Prescott Joule, William Thomson, plus connu sous son titre nobiliaire de Lord Kelvin, Ludwig Boltzmann ... Son développement s’est déroulé par évolutions successives. En thermodynamique, Isabelle Stengers et Ilya Prigogine retiennent trois stades dans l’évolution des concepts : la thermostatique, la thermodynamique linéaire et la thermodynamique non-linéaire. Initialement, la thermodynamique s’est intéressée aux systèmes matériels en équilibre et à leur évolution lors des transitions entre deux états d’équilibre. Cette partie de la thermodynamique est
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appelée la thermostatique ; elle est entièrement formalisée à l’entrée dans le xxesiècle, en 1906, avec le dernier principe connu sous le nom de principe de Nernst. Ultérieurement, certains ont tenté de formaliser des situations hors de l’équilibre. C’est ce qu’a brillamment réussi Lars Onsager en 1931en établissant une relation linéaire, célèbre sous le nom de relation de réciprocité. C’est une première étape. La relation de réciprocité établit qu’un gradient de chaleur appliqué à un milieu homogène, donc préalablement à l’équilibre, entraîne un gradient de concentration de matière. Réciproquement, un gradient de concentration, fourni à un milieu homogène, entraîne un gradient de chaleur. Cette relation fut la première à s’appliquer à des situations hors d‘équilibre. Cependant, son application est restreinte à des situations proches de l’équilibre, (< des comportements stables, prévisibles, des systèmes qui tendent vers le taux minimal dactivité compatible avec lesfiux qui les nourrissent (...>.Quelle que soit la situation initiale, le système atteintfinalement un état déterminé par ses conditions aux limites », pour Prigogine et Stengers’. C‘est pourquoi cette relation n’aura pas la portée de la thermodynamique non-linéaire qui suivra : e Dans ce sens la thermodynamique linéaire ne permet pas de dépasser le paradoxe de l’opposition entre Darwin et Carnot, entre Z’apparition de formes naturelles organisées et la tendance physique à la désorganisation’. >> La dernière étape est la formalisation de la thermodynamique nonlinéaire à laquelle a fortement participé Ilya Prigogine à la tête de <( l’école de Bruxelles ».Elle s’applique à des systèmes contraints par des flux d‘énergie ou de matière qui maintiennent le système hors de l’équilibre. Cette théorie féconde a permis l’appréhension de comportements de systèmes paradoxaux, des structures dissipatives qui n’évoluent pas vers l’équilibre et donc vers une augmentation d‘entropie, mais vers une création d’ordre. C’est l’apparition de la notion de <( l’ordre parfiuctuation »,selon l’expression de Prigogine. Une appréhension nouvelle du monde surgit ;le vivant n’est plus isolé dans le monde physique, son comportement devient décryptable en termes physiques. Nous allons rappeler les principes de la thermostatique, avant de voir combien la thermodynamique non-linéaire a constitué une révolution pour la pensée.
Les principes de la thermodynamique classique : la thermostatique Cette branche de la physique a été énoncée sous une forme qui présente des propriétés remarquables. Tout d’abord, elle s’énonce sous une forme axiomatique. Quatre principes universels servent de contenant hermétique et simplifié, dun ensemble théorique très vaste et aux champs d’applications immenses.
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Ensuite et surtout, c’est le bonheur pour le néophyte, l’amateur des sciences, dont je suis, handicapé par des capacités restreintes d’abstraction mathématique. Car l’ensemble de ces quatre principes peut être formulé sans faire appel à une formalisation mathématique abstraite. I1 suffit d u n simple énoncé en langage courant et familier. Je ne peux me priver du plaisir de rappeler les énoncés à résonance universelle, donnés par Clausius en 1865, des deux premiers principes de la thermodynamique : - Die Energie der Welt ist konstant / L’énergie d u n système clos est constante. - Die Entropie der Welt strebt einem Maximum zu / L’entropie d’un système clos tend vers un maximum. La pureté, la simplicité et la portée de ces deux phrases n’ont aucun équivalent dans le monde de la physique. Cette situation est exceptionnelle et tient littéralement du miracle ! C‘est une des rares branches de la science physique accessible a démocratiquement B dans sa complexité brute. Le terme démocratique est sûrement utilisé abusivement, simplement pour souligner à quel point certaines théories complexes issues d’autres branches de la physique fondamentale, telle la mécanique quantique, échappent complètement au plus grand nombre. En thermodynamique, la situation est radicalement différente. I1 s’agit d’un modèle théorique explicatif complet, qui peut être compris de manière simplifiée par tous. I1 ne s’agit pas de vulgarisation d u n point précis dune théorie complexe, comme peut l’être pour la mécanique quantique, le principe d’incertitude d’Heisenberg, qui se révèle intuitivement relativement accessible. Non, en thermodynamique la pureté d’un concept physique reste en accès direct sans passer par le formalisme mathématique. En fait, les quatre principes sont numérotés de zéro à trois. Cette numérotation peut paraître paradoxale. Elle résulte d’une logique historique : les trois premiers principes ont été énoncés et numérotés chronologiquement de un à trois. Puis, un quatrième principe a été énoncé ultérieurement, mais comme les trois autres s’appuient intuitivement sur lui, il a été décidé de le placer en tête. I1 porte donc le nom curieux de principe zéro. Par ailleurs, comme nous le verrons, les quatre principes n’ont pas tous la même puissance, le premier et deuxième principe dominent largement, par leur portée, les deux autres. Le principe zéro énonce le concept de température empirique. I1 résulte d’observations empiriques et simples et confère une propriété de transitivité à la température entre des systèmes en équilibre thermique. Si deux systèmes en équilibre thermique sont en équilibre thermique chacun avec un troisième système, alors, les trois systèmes sont en équilibre thermique entre eux. L’égalité de température est donc la condition d’équilibre thermique. Ce principe fait de la température une grandeur physique indépendante de la nature du
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système. Ce principe peut paraître trivial. Cependant, il formalise des applications nombreuses, dont la plus connue est celle du thermomètre. Le thermomètre est un système physique dont une propriété mesurable (taille, résistance électrique) varie avec la température. I1 est alors placé en contact pour échanger de la chaleur avec le système dont on veut connaître la température. Lorsque les deux systèmes atteignent l’équilibre thermique, ils sont alors à la même température, celle donnée par le thermomètre. Le premier principe de la thermodynamique énonce de manière générale la conservation de l’énergie. I1 a été formulé par Kelvin et Clausius. L’énergie d u n système clos est constante selon la formulation de Clausius. Pour un système physique, la transition entre deux états thermodynamiques à l’équilibre ne dépend que de l’état initial et de l’état final du système. Peu importe les échanges de travail ou de chaleur entre le système et le milieu extérieur. L’état final ne dépend que du bilan des échanges réalisés au cours des transitions de phase. Cet énoncé est le pendant des lois de conservation de l’énergie en mécanique et en électrostatique. Le corollaire de cette propriété, constitue l’équivalence entre chaleur et travail, qui ne sont pas deux << isoformes B de l’énergie mais deux << vecteurs B pour son transfert à un système. Ainsi, une quantité d’énergie transmise à un système peut l’être sous forme d’un travail : dans ce cas, l’application de forces sur le système permet un déplacement macroscopique du système. Le travail en thermodynamique renvoie à la notion classique de travail en mécanique. Par exemple, la compression d’un volume de gaz, au cours d’un travail fourni par le milieu à un système formé par une bouteille, va entraîner un échauffement de celle-ci. Pour aboutir à la même température, on peut fournir de l’énergie sous une autre forme : de la chaleur. La bouteille de gaz va voir, dans ce cas, augmenter sa température à volume constant. Le deuxième principe de la thermodynamique a prêté longuement, et prête toujours, à des discussions qui dépassent largement le cadre de la simple physique pour empiéter sur la métaphysique. En fait, il indique qu’il est impossible de transformer totalement l’énergie en travail, une partie s’évaporant obligatoirement en chaleur. I1 induit une dissymétrie entre travail et chaleur, certaines transformations étant irréversibles et surtout certaines transformations se font dans un sens privilégié. Ce sens naturel de l’évolution correspond à une détérioration progressive de la qualité de l’énergie qui se dégrade progressivement en chaleur et s’uniformise. Une grandeur physique introduite par le deuxième principe donne le sens des transformations :l’entropie, mesure de l’aspect désordonné de l’énergie ». Dans un système fermé, la variation d’entropie de toute transformation est toujours strictement positive, c’est-à-dire que toute transformation se fait dans le sens d’une augmentation de l’état désordonné de l’énergie. Pour simplifier, dans un système fermé, << le désordre ne peut qu’augmenter ».Cette assertion posera longtemps des problèmes
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à de nombreux thermostaticiens, notamment ceux qui ont cherché à appliquer la thermodynamique à l’étude du vivant, système physique capable de produire de l’ordre. L’entropie se trouve donc au centre dune problématique liée à son essence même. La formulation du deuxième principe nous informe sur l’évolution inexorable de l’univers vers un état maximum de l’entropie. Le monde doit évoluer vers une soupe tiède et isotrope... L’entropie est << l’ombre >> de l’énergie ; derrière la seconde se retrouve toujours la première. Inséparable de cette dernière, l’entropie parasite progressivement l’énergie pour la vider de sa substance. Le troisième et dernier principe énoncé par Nernst postule qu’il est impossible d’atteindre la température du zéro degré absolu. Ce zéro degré de l’échelle Kelvin correspond à environ -273,i5” de notre échelle Celsius habituelle. La température est interprétée comme un reflet macroscopique, de l’état d’agitation moléculaire de la matière. Plus la température augmente, plus les molécules s’agitent, plus elles ont tendance à vouloir << occuper un espace plus grand », ce qui se traduit macroscopiquement par la dilatation de la matière. Inversement plus la température baisse, moins les molécules s’agitent. Mais cette définition induit une dissymétrie : il existe un état de la matière (au moins théorique) d’agitation nulle, au-delà duquel la notion de température n’a plus de sens. C’est l’état limite d‘immuabilité totale, le zéro absolu. La température apparaît donc comme une grandeur dont l’échelle est asymétrique, bornée dun seul côté, celui du froid absolu, température impossible à atteindre. I1 s’agit là des quatre principes fondateurs de la thermostatique. Jusqu’au développement récent de la thermodynamique de non-équilibre, cette formalisation a été à l’origine de raisonnements schizophréniques pour les physiciens qui se sont intéressés de près ou de loin au vivant. En effet, le deuxième principe est tragiquement contradictoire pour qui veut faire entrer la vie dans le champ d’une explication physico-chimique rationnelle. Une cellule en vie produit des réactions hautement ordonnées, construit des édifices macromoléculaires d’une complexité inégalée en conséquence de quoi l’entropie du système doit diminuer. Comment un système tel qu’une cellule en vie peut-il voir son entropie diminuer et donc violer éperdument le deuxième principe ? Longtemps, les rapports entre les principes de la thermodynamique et le vivant ont été chaotiques et, jusqu’à récemment, difficilement compatibles. Le vivant était l’exception notoire, le point noir sur lequel il était dangereux de se pencher. Certains brillants physiciens, tel Schrodinger s’y cassèrent les dents. Ainsi, le vivant le choqua tellement qu’il émit l’hypothèse que la vie faisait exception dans la nature. Peu importe, la rationalité ! I1 admit que la vie faisait entorse à la thermodynamique en absorbant de l’entropie négative, la néguentropie :
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<< (...) Quel est donc ceprécieux quelque chose incorporé à notre nourriture, qui nous sauve de la mort ? (...) [le vivant] ne peut s’en tenir éloigné c’est-à-dire rester en vie, qu’en soutirant continuellement de l’entropie négative (...)’ ». Le vivant obligea Schrodinger à un contorsionnisme intellectuel. I1 ne put renier ni l’observation d’une exception notoire ni un principe fondateur de la physique. I1 mit donc en concordance les deux en inventant un concept nouveau, mais vain, la néguentropie. Cette problématique intrinsèque à la thermostatique avait été appréhendée bien avant Schrodinger par Ludwig Boltzmann, physicien célèbre. I1 n’arrivait pas à mettre en concordance la compréhension d u n univers ordonné tel qu’il l’observait, et la prédiction de chaos désordonné que donne le deuxième principe. L’entropie de l’univers augmente, c’est donc qu’il doit évoluer spontanément vers un état désordonné à température uniforme dans toutes les directions de l’espace, ce qui est encore contraire à l’observation. Ainsi, Ludwig Boltzmann faisait remarquer : << Nous avons le choix entre deux types de représentation. Ou bien nous supposons que l’univers tout entier est à l’heure actuelle dans un état très improbable. Ou bien nous faisons l’hypothèse que les éons qui mesurent la durée de cet état improbable, et la distance d’ici à Sirius, sont infimes, comparés à l’âge de l’univers tout entier. Dans un tel univers, qui dans son ensemble est à l’équilibre thermique et est donc mort, des régions relativement petites, de la taille de notre galaxie, se trouveront, çà et là, des régions (que nous pouvons appeler “monde”)qui dévient de manière significative de l’équilibre thermique pendant des temps relativement courts de ces “éons”de temps. Parmi ces mondes, il s’en trouve dont les états sont à probabilité (cést-à-dire à entropie) croissante, aussi souvent que d’autres dont les états ont des probabilités décroissantes. Au sein de l’univers dans son entier, les deux directions du temps ne peuvent être distinguées, exactement comme dans l’espace il n’y a pas de haut ni de bas... Il me semble que cette manière de considérer les choses est la seule qui permette de comprendre (...) la mort thermique de chaque monde individuel, sans invoquer un changement unidirectionnel de l’Univers entier d’un état initial défini vers un étatJnaP. H Cette contradiction était intolérable pour Boltzmann. Le problème posé par l’entropie le poussa à élaborer une théorie réconciliatrice entre la mécanique newtonienne réversible et la thermodynamique irréversible, en abandonnant le calcul des trajectoires pour une étude probabiliste sur l’ensemble des particules. Il proposa, en 1872, d’introduire une fonction analogue microscopique pour l’entropie. Cette grandeur est une fonction des positions et des vitesses des molécules d u n gaz, dont l’évolution sous l’influence des collisions entre molécules diminue ou reste constante. Cette grandeur est donc, au signe près, l’analogue microscopique de l’entropie. L’évolution irréversible dans la direction du principe d’augmentation de l’entropie que
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nous observons macroscopiquement ne serait donc liée qu'à notre vision d'un phénomène dont les déterminants sont microscopiques. L'évolution macroscopique d u n système dont l'entropie augmente conformément au deuxième principe, est due à une modification de ct sa conformation D d'un état peu probable vers un état plus probable. La probabilité de l'état du système au niveau macroscopique est une fonction du nombre plus ou moins important de micro-états plus ou moins compatibles avec le macro-état. Au bout du compte, l'irréversibilité d'évolution du macro-état est donnée par l'intégration de l'évolution des microétats dont le déterminismeest lui-même réversible. Irréversibilité macroscopique et réversibilité microscopique ne sont donc plus incompatibles pour Boltzmann. Plusieurs objections à la formulation de Boltzmann ont depuis été apportées par Loschmidt et Poincaré. La plus sévère est celle d'Henri Poincaré portant sur la symétrie de l'équation qui permet une réversibilité des phénomènes. Poincaré interdisait même à ses élèves de manière autoritaire, quoique officieuse, de s'intéresser aux travaux de Boltzmann. Nous ne rentrerons pas dans le détail de ces querelles scientifiques. Nous retiendrons malheureusement sur le plan humain la tragédie qu'a vécue Boltzmann. Son incapacité à réconcilier dans une vision unitaire, l'observation du monde et les principes de la thermodynamique fut, pour lui, une souffrance atroce. Pour comprendre l'insondable problématique de Ludwig Boltzmann, il est nécessaire de rappeler qu'il finit, accablé, par se suicider. Physicien brillant, attaché à une vision du monde en concordance avec la thermodynamique, il le reste dans la mort, puisque l'épitaphe de sa tombe est gravé de son équation tt S = k LogW ».C'est finalement Prigogine et sa thermodynamique non-linéaire qui permirent de sortir le vivant c< du ghetto D dans lequel il était enferré et que Boltzmann n'avait pas réussi à libérer.
Les principes de la thermodynamique non-linéaire : la notion de systèmes dissipatifs Les premiers fondements de la thermodynamique non-linéaire sont jetés par Prigogine en 1945. Tout de suite, il s'aperçoit de l'importance de ses découvertes et de la portée des conclusions qui dépassent largement le cadre de la thermodynamique. Non seulement, il s'intéresse aux systèmes maintenus hors de l'équilibre, mais il en généralise les propriétés. L'état d'équilibre thermodynamique n'est plus qu'un état particulier du système au sein d'une variété d'états tout aussi probables. I1 en comprend vite les implications notamment dans le monde du vivant lorsqu'il rappelle avec Isabelle Stengers : tt Le vivantfonctionne loin de l'équilibre, dans un domaine où les conséquences de la croksance de Z'entropie ne peuvent plus être interprétéesselon le principe d'ordre de Boltzmann, il fonctionne dans un domaine où les processus qui dissipent l'énergie, jouent un rôle construct^ sont source d'ordre'. D
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Dès le début, Prigogine a manifesté beaucoup d’intérêt pour la biologie. I1 reconnaîtra ultérieurement d’ailleurs, que << la fascination exercée sur (...) nous par la biologie est peut-être responsable de la conception suivant laquelle nous avons ident@ïé vie et complexité4.>> Paradoxalement, des systèmes dissipatifs, au sens de l’expression forgée par Prigogine en 1969, avaient été décrits depuis longtemps. Mais ils ont longtemps végété dans le domaine de l’anecdote avant d’acquérir leurs lettres de noblesse avec la thermodynamique non-linéaire. Ainsi, dès 1890 le célèbre mathématicien Henri Poincaré avait jeté les bases mathématiques de la théorie des équations différentielles de la dynamique et introduit la notion de bifurcation et de chaos. Moins de dix ans plus tard la première description d’un système dissipatif était réalisée par Henri Bénard, normalien, physicien qui s’intéressa à des tourbillons obtenus dans une nappe liquide soumise à une source de chaleur. Ces tourbillons resteront dans l’histoire des sciences << les tourbillons de Bénard B . Henri Bénard a décrit ce phénomène dans deux ~, qu’il ne devienne l’objet de sa articles scientifiques parus en i 9 0 0 ~ , avant thèse soutenue au Collège de France en 1901 et intitulée Les tourbillons cellulaires dans une nappe liquide propageant de la chaleur par convection en régime permanent. Auparavant, quelques observations sur des phénomènes proches avaient été rapportées à la fin du XIX“ siècle. Mais, Henri Bénard en donne une description détaillée par des études sur de nombreux liquides soumis à des transferts de chaleur et dans lesquels les courants de convections s’organisent en cellules. Comment ces curieux tourbillons de Bénard apparaissent-ils ? Le système est fort simple. I1 s’agit d’une mince couche de liquide limitée par deux plaques dont les surfaces sont très grandes comparées à l’épaisseur de la couche. Examinons l’état du système sous différentes contraintes. Au repos, le liquide évolue spontanément vers l’homogénéité moléculaire. I1 n’existe pas d’ordre, les molécules sont agitées de manière aléatoire dans tous les sens de l’espace. Cet état est celui de l’équilibre thermodynamique : la couche mince est à la même température que le milieu extérieur en contact avec les deux surfaces délimitantes. Considérons l’évolution du système soumis à une contrainte thermodynamique : par exemple, une des deux plaques est chauffée. Le système reçoit de l’énergie sous forme de chaleur par la plaque inférieure. Dans ces conditions, le système est soumis à un flux de chaleur entre les deux plaques, de la plus chaude vers la plus froide. Si les températures ne s’égalisent pas, cette contrainte maintient le système hors d’état d’équilibre. Si la contrainte est faible, il va se créer un gradient croissant de température entre les deux couches sans modification de l’organisation du système, C’est le phénomène de conduction thermique classique qui prévaut près de l’équilibre thermodynamique.
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En s’écartant plus fortement de l’équilibre, c’est-à-dire en imposant une forte différence de température entre les deux plaques, le système va se comporter tout autrement. Le fluide va s’animer de mouvements ordonnés en cellules de convection dont la taille est fonction de l’épaisseur de la couche. Les mouvements entre cellules adjacentes sont coordonnés et inversés. C’est le phénomène de convection thermique, à l’origine des cellules de Bénard (Figure 5). Figure 5 :Homologies structurales entre lesflux des cellules de Bénard et les schémas généraux d’échangesau sein des cellules biologiques eucaryotes. A : Flux de molécules dans les cellules de Bénard.
U B : Flux de membranes (fléches épaisses) et de molécules (flèches fines) au sein d’une
cellule eucaryote type.
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Ce phénomène est l’exemple même du système dissipatif, c’est-à-dire soumis à des contraintes le maintenant hors de l’équilibre et lui permettant de dissiper de l’énergie. Le choix du terme dissipatif a été judicieusement introduit par Prigogine qui souhaitait associer l’idée d’ordre et de gaspillage : la dissipation de matière et d‘énergie, auparavant associée à la notion d’entropie (et donc d’augmentation de désordre), devient, dans les conditions de non-équilibre, à l’origine de nouveaux états ordonnés de la matière. La dissipation d’énergie n’est pas désordonnée et s’oppose même à une augmentation de l’entropie, si nous restreignons l’étude au système dissipatif stricto sensu. En fait, le système est ouvert, bénéficie d’un flux de chaleur ; l’entropie globale augmente bien : le deuxième principe est donc respecté. Mais une partie de l’augmentation de l’entropie est dérivée et utilisée par le système pour la création d’ordre. L’entropie ne peut plus être associée à la création de désordre dont la notion devient indissociable de celle d u n ordre nouveau. Par ailleurs, cette création d’ordre n’est pas gratuite, elle a un coût pour le système. L’ordre naît du désordre, Prigogine et Stengers soulignent que << [le] processus (...) a pour prix une création permanente de désordre7 ». Ainsi, la convection thermique des tourbillons de Bénard est plus coûteuse en entropie que la conduction thermique. La chaleur est transportée plus efficacement d’une surface à l’autre et le maintien de l’état hors d’équilibre nécessite plus de chaleur pour maintenir la même différence de température entre les deux plaques. La création d’ordre dans une région déterminée de l’espace, fut-elle spontanée et liée aux lois de la matière ou dirigée par un << démon microscopique », est toujours corrélée à une augmentation de l’entropie de l’univers. Examinons maintenant certaines particularités du système dissipatif des tourbillons de Bénard. La première particularité que nous voulons souligner est la création d’ordre entre les molécules par des corrélations à longue portée. Chacune des molécules de la couche de liquide n’évolue plus en fonction d’interactions moléculaires à très courte portée (de l’ordre de 1’Angstrom soit IO-’’ m), comme dans la soupe initiale au début de l’expérience. Dans le système au repos, les molécules interagissent entre elles de manière aléatoire avec des trajectoires browniennes. Dans les tourbillons de Bénard, la matière acquiert des propriétés nouvelles : elle s’auto-organise pour produire des structures complexes centimétriques grâce à des interactions à longues portées. 11 se crée ex nihilo une complexité nouvelle. Celle-ci n’a rien à voir avec le modèle classique de la complexité du cristal, longtemps prise en exemple. Dans le cristal, la structure globale de l’ensemble macromoléculaire est donnée par la géométrie tridimensionnelle des interactions au niveau atomique. La monotonie de la régularité de la structure atomique se répète à tous les niveaux pour devenir perceptible macroscopiquement. Pourtant, la rigueur de l’ordre établi dans le cristal peut se trouver notablement émoussée.
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Ainsi les atomes du cristal soumis à une excitation entrent en état de vibration aléatoire et désordonnée malgré les contraintes de la structure cristalline. Dans le cas du régime turbulent des tourbillons de Bénard, les contraintes thermodynamiques imposent une structure ordonnée par des corrélations centimétriques à très longues distances sur des objets aussi petits qu'un atome : les interactions ne sont pas du même ordre de grandeur. La deuxième particularité de ces tourbillons est la rupture de symétrie du système. Cette rupture de symétrie est d'abord géométrique. Imaginons un petit être se trouvant à l'intérieur de notre système et souhaitant se repérer dans l'espace. Au repos, il n'a aucun moyen de se repérer. Pour lui, l'espace est isotrope dans toutes les directions ; les molécules ont toutes des trajectoires aléatoires. Après l'apparition des cellules de Bénard, tout a changé : il se crée des structures ordonnées permettant de se repérer en fonction du sens de rotation des cellules (Figure 6). Les déplacements peuvent être alors très correctement évalués en comptant le nombre de cellules traversées au cours du déplacement. La rupture de symétrie est une des caractéristiques des systèmes hors de l'équilibre thermodynamique, mais Prigogine, lui, en donne une Figure 6 :Les tourbillons de Bénard, de la création d'ordre à la genèse dune brisure de symétrie :la création d'unejèche du temps (d'après G. Nicolis et I. Prigogine, À la rencontre du complexe, 1996, Presses Universitairesde France, Paris). Au temps To, les mol~culescontenues entre les deux plans ont des mouvements désordonnés dit browniens liés à l'agitation moléculaire aléatoire.Au temps T+N,lejux d'énergie transforme le système en système dissipatiià l'intérieur duquel il y a création d'ordre. Les mouvements des molécules sont alors coordonnés par des corrélations à longue portée quifinissent par former des R cellules ».Chaque cellule est séparée de l'autre par des mouvements conuech5 de molécules de sens opposé. De sorte qua part+ d'un système, il va pouvoir exister deux états distincts et mutuellement exclusi$ du système liés à son histoire :un état dans lequel ïalternance des sens de rotationpourra être D/G/D/G, le second étant G/D/G/D. T+N
G
D
G
D
G
Dissipation d'énergie
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dimension plus large, plus cosmologique. Pour lui, la rupture de symétrie est une propriété de la vie, du non-équilibre et surtout elle est inhérente aux lois de la matière. Ainsi reprenait-ils une phrase de Pasteur associant la vie à un système capable de discriminer entre des molécules dissymétriques : << Pasteur n’a-t-il pas écrit : “La vie telle quélle se manifeste à nous est une fonction de l’asymétrie de l’univers et une conséquence de ce fait”. >> La conclusion en est métaphysique : les propriétés des systèmes hors de l’équilibre (dont les systèmes biologiques vivants) sont inscrites dans les lois fondamentales de la matière. La dernière propriété de ces tourbillons dissipatifs que nous voulons souligner est l’apparition de points de bifurcations dans l’évolution qui préside à des choix multiples. L’apparition de cellules de Bénard est entièrement reproductible à partir de conditions initiales standardisées : le phénomène obéit donc à une loi déterministe stricte qui définit les contraintes de températures sous lesquelles apparaîtront les cellules. Cependant, un paramètre de l’expérience semble totalement incontrôlable. I1 échappe à toute loi malgré les soins apportés au contrôle des paramètres initiaux de l’expérience. Ce paramètre, c’est le sens de rotation des cellules. Comme nous l’avons déjà dit, les cellules possèdent un sens de rotation défini qui alterne de manière à former une suite de cellules tournant alternativement à droite et à gauche. En clair, sous l’influence des contraintes thermodynamiques identiques, le système peut s’adapter pour produire plusieurs états ou encore plusieurs solutions possibles ; la suite de l’ensemble des cellules sera soit de type droite/gauche/droite/gauche, soit de type gauche/droite/gauche/droite. Le choix entre ces solutions est entièrement aléatoire, non-prédictible. I1 est chaotique, dans le sens où il est déterminé par des micro-variations aléatoires de l’état du système introduisant en aval des macro-Variations à distance lors de la mise en ordre du système (Figure 7). Mais l’origine de cette non-prédictibilité n’est pas inscrite dans une ignorance contingente des paramètres du système qui pourrait à terme être contournée par une meilleure connaissance de l’état initial. Non ! Cette caractéristique est inhérente au système dont l’évolution vers plusieurs régimes stabilisés passe par des points de bifurcation. Le régime de la conduction thermique devient instable lorsque la différence de température dépasse un certain seuil, il évolue alors intrinsèquement vers plusieurs états possibles après avoir franchi un point de bifurcation. Dans notre modèle, la transition vers les tourbillons se fait selon deux solutions (droite/gauche/droite/gauche ou gauche/droite/gauche/droite) après passage d’un point de bifurcation. À proximité du point de transition, le système doit effectuer un choix notable entre deux solutions. Seul, le hasard préside aux choix : le système fluctue autour de sa solution unique, puis il bascule vers une des deux solutions après avoir franchi le point de bifurcation, incité par des oscillations microscopiques qui, en s’amplifiant, produisent les modifications
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Figure 7 :Le point de bifurcation :rôle de micro-événements dans l’orientation de laflèche du temps dans un système chaotique.
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macroscopiques observées. Prigogine et Nicolis en donnent une formulation intuitive littéraire : N Le système scrute le “terrain”,fait quelques tentatives, peut-être infructueuses au début, pour laisser libre cours à une fluctuation particulière4. >> Cette singularité induit une conséquence notable :le système acquiert une dimension historique. Le franchissement d’un point de bifurcation topologique induit une rupture de symétrie temporelle entre l’avant et l’après. Le point de bifurcation est à l’origine de l’historicité du système dont la flèche du temps devient brusquement orientée. Le système n’est plus symétrique et il possède une histoire donnée par les solutions adoptées par celui-ci. L’évolution ultérieure du système dépendra des choix qui auront été e décidés s au point de bifurcation. Ces trois caractéristiques des cellules de Bénard, sont vérifiées par tous les systèmes dissipatifs : corrélation à longue portée, rupture de symétrie et choix multiples. La complexité des cellules de Bénard peut faire sourire. La complexité atteinte par ces systèmes paraît désespérément simple au regard de l’immense complexité de la plus simple des cellules vivantes (Figure 5). I1 n’en reste pas moins que ces systèmes dissipatifs sont indispensables pour appréhender la compréhension des systèmes cellulaires ultra-complexes. En effet, ces notions fondamentales découvertes par Prigogine permettent de concevoir à la fois les caractères primordiaux des systèmes vivants et les mécanismes qui ont présidé à leurs émergences.
Chapitre 4. LE VIVANT, PARADIGME DES SYSTÈMES DISSIPATIFS
Le vivant a été très souvent pris en exemple par Prigogine pour démontrer la pluralité des applications de la thermodynamique de non-équilibre (biologie, sociologie, météorologie en sont les applications les plus souvent discutées)’. Mais l’intérêt de Prigogine pour le vivant fut très important. Sa description servit de point de départ à une nouvelle vision de la biologie. Finalement, il aura définitivement achevé l’élimination du vitalisme. C’est donc un physicien qui aura subrepticement révolutionné la biologie de la fin du XX‘ siècle. Grâce à lui, la biologie moderne peut enfin s’émanciper et s’affirmer dans le monde des sciences. Elle ne doit plus faire appel à quelques forces vitales pour donner un modèle explicatif des phénomènes qu’elle est censée décrire. Les systèmes biologiques ne font plus exception dans la physico-chimie, ils sont régis par des lois universelles, celles de la thermodynamique de non-équilibre. Matières inorganique et organique ne sont plus opposables, elles sont l’une et l’autre deux facettes d u n même monde et l’expression d’une même raison, celle des lois de la physique. La seule différence entre la cellule vivante et le tourbillon de Bénard est le niveau de complexité. La cellule biologique est un système dont le raffinement et la complexité n’ont cessé de croître en quatre milliards d’années d’évolution. La cellule vivante est un système thermodynamiquement ouvert, traversé constamment par un flux d’énergie qui le maintient hors de l’équilibre. Ce principe est connu, Claude Bernard, déjà, l’avait flairé sans en donner la description moderne : << Le principe des corps vivants n’est pas intérieur :on ne saurait le séparer, l’isoler des conditions atmosphériques ou cosmiques extérieures ...‘ B . Les bactéries photosynthétiques et les végétaux puisent leur énergie directement dans la lumière solaire. Cette énergie est emmagasinée, le jour, sous forme de molécules carbonées dont l’oxydation pourra libérer de l’énergie directement utilisable pour d’autres besoins cellulaires. Les autres êtres
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vivants du monde bactérien et animal, dont l’homme, sont des parasites obligatoires du monde végétal. Le monde animal est né et a prospéré entièrement aux dépens des végétaux. La cellule animale est, elle aussi, l’objet d u n flux constant d’énergie. Elle utilise, pour ses besoins, les molécules carbonées produites par les végétaux ou d’autres animaux eux-mêmes dépendants des végétaux. Du point de vue de l’entropie, globalement, celle-ci augmente bien : seule une partie en est déviée par les systèmes cellulaires pour produire de la complexité. La cellule vivante est donc bien un système dissipatif au sens de Prigogine. Par ailleurs, dans ces cellules biologiques, il est possible d’identifier les propriétés des systèmes hors d’équilibre : corrélations à longues portées, choix multiples et rupture de symétrie. La cellule est organisée topologiquement et architecturalement de manière à répondre à ses besoins. Les molécules répondent donc à une logique d’organisation grâce à des corrélations à grande portée. La cellule n’est pas, comme nous l’avons déjà vu, un vulgaire sac à enzyme dans lequel les molécules se rencontrent de manière aléatoire en fonction de l’agitation thermique. Dans les cellules, les réactions enzymatiques sont orientées grâce à des corrélations à longue portée. Le système enzymatique de la chaîne respiratoire mitochondriale en est un exemple frappant. La mitochondrie est un organite intracellulaire des eucaryotes, limité par deux membranes et qui est destiné à produire des substrats énergétiques pour l’ensemble du système cellulaire. Au cours des réactions de la phosphorylation oxydative, des électrons à haute énergie sont cédés par une molécule oxydée aux complexes enzymatiques de la chaîne respiratoire. Ces complexes de trois types se lient dans un ordre approprié aux électrons qui cèdent progressivement leur énergie. Les électrons (c dévalent donc la pente D de la chaîne respiratoire jusqu’à être cédés à l’oxygène qui est réduit en eau. L’ensemble de l’énergie libérée par les électrons, entraînant des modifications conformationnelles des enzymes de la chaîne respiratoire, est ensuite utilisé pour produire un gradient de protons, lui-même à son tour réutilisé pour produire de l’adénosine tri-phosphate, substrat énergétique cellulaire universel. Dans ce système, les électrons ne dévalent pas la pente aléatoirement, les yeux fermés >> ; ils rencontrent les trois complexes de manière ordonnée, en fonction de leur énergie, grâce à des corrélations à longue portée. Par ailleurs, le système cellulaire va répondre toute sa vie à des choix multiples en fonction d’événements internes ou externes, qui engageront la cellule sur des voies de différenciation, de division des voies végétatives. Ces choix multiples règlent l’ensemble de la vie de la cellule qui est sans arrêt sollicitée. Ainsi, la croissance de la cellule même, dans un système idéal sphérique en autonomie complète, ne peut pas être linéaire. Le volume, fonction cubique du rayon, s’accroît plus vite que la surface qui n’est qu’une fonction carrée. ((
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I1 en résulte une désorganisation de la cellule si celle-ci dépasse le diamètre idéal. La cellule en croissance a donc le choix entre mourir et se diviser. L’aphorisme de François Jacob : << Le rêve d’une bactérie est de se diviser pour donner deux bactéries »,n’est pas seulement inscrit dans une perspective téléologique de perpétuation du génome. La bactérie n’est pas uniquement impliquée dans une logique altruiste de survie de l’espèce. C’est aussi une question de survie tout court que de se diviser. La division ou la mort, voilà un rêve à caractère comminatoire ! La division est donc une alternative vitale pour toute cellule, c’est pourquoi les phénomènes qui président à ces choix sont régulés. Ces choix multiples orientent réellement la flèche du temps de la vie cellulaire. Chez les eucaryotes, les mécanismes de régulation commencent à être bien connus. I1 s’agit de franchissement, de points de bifurcation qui engagent la cellule sur des voies irréversibles au sein d u n cycle de réplication nommé cycle cellulaire. Ce cycle est entièrement coordonné par des mécanismes qui régulent l’entrée en cycle réplicatif, la progression et éventuellement la sortie du cycle. Ce cycle comprend obligatoirement une phase de réplication du génome, puis une phase de séparation des cellules en deux cellules-filles avant un retour à l’état basal. Ce cycle est immuable, il nécessite un ordonnancement spatial et temporel complexe et surtout finement régulé. I1 serait catastrophique pour une cellule de se diviser avant d’avoir répliqué son génome : une seule des cellules-filles récupérerait le génome alors que l’autre ne serait qu’un sac vide. Au total, la cellule-mère aurait perdu une partie de son temps et de ses ressources énergétiques à préparer une opération inutile voire dangereuse pour sa survie et celle de l’espèce. De même, le génome après sa réplication est entièrement contrôlé, vérifié, analysé et les erreurs retrouvées sont rapidement corrigées. Cette opération apparemment coûteuse en ressource est indispensable pour la survie des descendants cellulaires. Toute altération du message est potentiellement désastreuse pour la descendance si des mutations ont été incorporées au message. De plus, comme pour construire une maison, le toit ne peut pas être placé avant les murs. Ici, la régulation est encore plus cruciale, c’est une question de survie à très court terme. C’est pourquoi, la progression dans le cycle se fait grâce à des transitions d’états unidirectionnels et contrôlés. Ces contrôles se font au niveau de points de contrôle. Le point de contrôle du cycle cellulaire peut s’identifier au point de bifurcation des cellules de Bénard. Plusieurs points de contrôle ont été identifiés. Le point start d’entrée dans le cycle correspond à l’engagement irrémédiable dans le cycle de division. Avant son franchissement, la cellule peut hésiter, puis, en fonction de l’intégration de nombreux messages solubles (hormones ou facteur de croissance) ou de signaux produits par des molécules d’adhérence, la cellule choisit entre la quiescence et la division. Après avoir franchi start, la cellule est << induite D sur la voie de la division. La cellule mitotique
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va ensuite rencontrer d’autres points de contrôle qui régulent les transitions dans les phases les plus délicates. I1 existe différents points de contrôle du cycle : points de contrôle de la réplication du génome, points de contrôle de la division cellulaire. En effet, une fois certains signaux acquis, la cellule ne doit plus pouvoir retourner à l’état antérieur. I1 y a un sens de la flèche du temps cellulaire, sans quoi des anomalies majeures sont susceptibles de survenir. Par exemple, le génome ne doit être répliqué qu’une seule fois au cours du cycle mitotique, faute de quoi le génome des cellules-filles se trouverait localement sous ou sur-représenté. De telles aberrations pourraient aboutir à des triplications partielles ou totales du génome et donc à une augmentation de la présence de certains gènes. La survenue de telles anomalies est de nature à déséquilibrer complètement l’économie cellulaire et induire in fine la mort de la cellule qui présenterait de telles anomalies et également celle de ces descendantes. Nous allons maintenant tenter de cerner comment les connaissances actuelles des systèmes biologiques peuvent s’articuler avec notre définition du vivant. Mais d’abord, comment appliquer cette définition ? Reste-t-elle un modèle d’école ou a-t-elle une quelconque utilité heuristique ? Pour être utile, une définition de la vie ne doit pas rester dans le domaine abstrait ; elle doit pouvoir s’appliquer et permettre de résoudre les nombreux problèmes éthiques et scientifiquesdéjà évoqués. Nous allons donc passer cette définition << à l’épreuve pratique du vivant >> à travers trois modèles : la cellule isolée en premier lieu, ensuite le virus et enfin l’être multicellulaire. Rappelons que la définition reste un système cellulaire ou un ensemble de systèmes cellulaires auto-entretenus dans un état hors de l’équilibre thermodynamique.
La vie à l’état unicellulaire Nous allons commencer par analyser ce que représente la notion de vivant pour une bactérie ou un être eucaryote unicellulaire. Le système est simple : il est limité par une membrane et, à l’état vivant, il puise dans le milieu externe l’énergie nécessaire à son organisation et à l’entretien thermodynamique du système loin de l’équilibre. Si le système vient à être endommagé par une cause physique (chaleur, dessiccation, etc.) ou chimique (acidité, solvant, etc.) deux possibilités se présentent : soit le petit être vivant s’adapte, se protège (sporulation, état végétatif...) et répare les dommages tout en se préservant pour le futur, soit il disparaît. Cette notion est très importante pour le vivant puisqu’elle est à la base de la notion de sélection naturelle, fondement de la théorie de l’évolution.
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En l’absence d’adaptation, l’ensemble cellulaire retourne alors à l’équilibre thermodynamique (la mort) quand bien même sa structure cellulaire perdure encore et reste apparente. De tels changement brutaux de milieu ne sont pas pure abstraction, il s’agit du quotidien pour la vie bactérienne et, à une échelle plus large, des changements environnementaux majeurs sont à l’origine des grandes extinctions fossiles. C’est le cas des bactéries ou des cellules colorées puis fixées sur une lame, visibles au microscope. Si la structure cellulaire existe encore, la vie a bel et bien disparu. Le génome, le protéome peuvent même subsister bien longtemps à la postérité de notre modeste être unicellulaire. Ces caractéristiques sont utilisées par la police scientifique dans les enquêtes criminelles. Pour autant, la mort équivaut au retour à la stabilité thermodynamique, état irréversible du système. Rien ne peut donc réanimer notre bactérie, pas même la réinjection du génome dans la carcasse cellulaire d’une lointaine descendance, quelques millions d’années après sa mort. La mort est égale pour tous les vivants : il s’agit du retour irréversible à l’équilibre thermodynamique ! Bien entendu, ce retour peut n’être pas immédiat ; l’état thermodynamique peut osciller autour de l’équilibre, << autour de la mort du système ».L’état d’équilibre joue le rôle d’attracteur au sens d u n attracteur pour un système chaotique : le vivant étant inexorablement attiré par la stabilité de l’état d’équilibre. La mort ne peut alors être caractérisée que lors du retour définitif à l’équilibre, et non lors du franchissement transitoire de l’équilibre au cours d’oscillations périodiques. La vie d’une cellule indépendante est donc une notion à la fois simple, mesurable, modélisable et donc prédictible, mais aussi une notion abstraite, une entité physique. La contingence vitale de notre cellule-modèle lui échappe complètement. La cellule isolée dans son milieu ne peut prédire sa mort ; elle essaie simplement de maintenir son métabolisme hors de l’équilibre, conformément à son programme génétique, sans pouvoir agir sur les contingences du milieu ; seules ses capacités adaptatives sélectionnéespar quelques millions d’années d’évolution lui permettent d’optimiser sa survie. Son destin est simple : soit elle parvient à terme à se diviser pour produire deux cellulesfilles, soit elle finit par mourir sans accomplir << son devoir biologique reproductif B au sens de François Jacob. La vie d’un unicellulaire est donc d’une simplicité déroutante et d’une tristesse tragique. Pourtant, des problèmes de lisibilité de cette vie peuvent survenir. Le premier des problèmes est posé par l’existence d’états dits végétatifs. I1 s’agit de périodes dans la vie d u n unicellulaire (protiste et bactérie) pendant lesquelles le métabolisme de la cellule se modifie pour permettre la survie de l’individu dans un milieu transitoirement agressif ou pauvre en nutriments. Ces modifications sont très précautionneusement régulées et font partie des stratégies d’adaptation et de survie de l’espèce : chez les bactéries, c’est la sporulation ; chez les protistes comme l’amibe, c’est
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l’état végétatif. L’individu s’insère dans une gangue protectrice, alors que son métabolisme s’adapte à un bas niveau. I1 s’agit pour beaucoup d u n état de mort apparente. En fait, il n’en est rien. En état végétatif, l’individu vit toujours, mais à un niveau inférieur, plus près de l’équilibre thermodynamique. Mais l’état thermodynamique est toujours hors de l’équilibre, et l’entité cellule est toujours présente. I1 ne s’agit pas plus dune mort transitoire, que dune mort apparente, mais bien plutôt de la démonstration de la magnifique capacité d’adaptation du vivant aux conditions extrêmes du milieu. Le paradoxe survient quand on compare l’espérance de vie d’une bactérie (qui peut se diviser toutes les 20 minutes en conditions standard) et l’espérance de vie dune bactérie sporulée (plusieurs vingtaines d’années dans le cas des bactéries du genre Bacillus). La bactérie multiplie son espérance de vie de manière extraordinaire ! D’ailleurs, devons-nous parler de vie végétative en pareil cas ? Le second problème concerne les éléments génétiques échangeables qui naviguent de manière assez erratique chez les bactéries. Pour être plus clair, les bactéries échangent de manière constante des fragments de matériels génétiques de petite taille, circulaires, nommés plasmides. Ces plasmides véhiculent des gènes complets avec leurs systèmes cybernétiques de régulation. De manière assez surprenante, ces gènes sont échangés sans complexe dans la population. Le problème résulte de la notion d’individualité de la bactérie elle-même, celle-ci pouvant acquérir les gènes de sa voisine. Mais, le problème n’est pas uniquement théorique : ainsi, une bactérie peut acquérir un facteur de résistance à un antibiotique, un facteur de virulence ou un facteur d’adhésion. Par ailleurs, ces transferts ne se font pas uniquement au sein de l’espèce, mais peuvent déborder vers les espèces voisines...Autant dire que la vie des bactéries est fortement perturbée par ces transferts génétiques, qui confinent au brassage constant. Leur vie n’est plus la même avant l’acquisition d’un facteur de résistance à un antibiotique et après. Pourtant la vie des bactéries ne change pas de nature avec l’arrivée du plasmide. Leur destinée est toujours celle d’un être unicellulaire dans sa structure et se maintenant hors de l’équilibre thermodynamique << sur le plan fonctionnel »,c’est-à-dire vivant. Peu importe les apports exogènes de matériels génétiques : l’entité intangible de vie, la cellule, n’est pas atteinte dans sa structure ; la vie n’est donc pas modifiée dans sa nature.
Quelle vie pour un virus ? L’étude de la vie suppose de s’attarder à une entité singulière dans le monde biologique :le virus. Comment définir les phénomènes déclenchés par la survenue d’un virus ? D’abord qu’est-ce-qu’un virus ? << Les virus sont les virus !B s’exclamait André Lwoff, prix Nobel de médecine, lors d’un congrès
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international de virologie. I1 marquait ainsi la singularité de ces systèmes au sein de la biologie, qui ne sont ni des micro-organismes, ni des organismes. En retenant les deux critères que nous avons exposés : présence dune structure cellulaire et d’un métabolisme qui permette de considérer le système hors de l’équilibre, les virus sont définitivement exclus du champ du vivant. Les virus ne sont pas des cellules, et n’entrent donc pas, a priori, dans le cadre des êtres vivants en leur appliquant les critères structuraux de notre définition. De plus il s’agit de particules qui ne sont douées d’aucun métabolisme, ce qui ne permet pas non plus de les rapprocher d’une structure dissipative. François Jacob avait pour sa part exclu les virus pour des raisons similaires : (< (...) Si les virus manifestent certaines propriétés des organismes, ils sont loin de lesposséder toutes. Et le manque d’autonomie qui en résulte empêche de les considérer comme des êtres vivants3. P D’après notre définition du vivant, les virus, de par leurs singularités, ne peuvent donc prétendre à leur inclusion dans le cénacle restreint des êtres vivants. Ils sont donc exclus de la vie, même si les rapports qu’ils entretiennent avec elle sont très étroits. Pourtant les choses peuvent être plus complexes. En effet, ils constituent des particules formées de morceaux de séquences génomiques entourés d’une enveloppe de protéines capables de s’introduire dans une cellule pour en dériver la machinerie biologique à leur profit. Les virus peuvent donc se trouver sous deux états : soit libres, sous forme de virions infectieux, soit associés à une cellule au cours d’une infection. L’infectionvirale s’apparente alors à un véritable abordage par le virus, puis à un piratage de la machinerie-cellulaire, ces actions pouvant aboutir au sabordage du navire-cellule. Les deux protagonistes se livrent alors une bataille pour la survie, silencieuse, mais sans merci. Plusieurs scénarios deviennent possibles : le premier scénario voit le virus se rendre rapidement maître de la cellule-hôte. 11 s’y réplique et la tue rapidement en libérant de très nombreux autres virions prêts à s’attaquer à d’autres cellules vierges. C’est l’infection productive qui voit le triomphe du pirate. Dans le deuxième scénario, le virus commence à se répliquer, puis reste bloqué à un stade précoce de son cycle, c’est l’infection restrictive. Le virus est alors contenu, la tentative de piratage est étouffée dans l’œuf. Un autre voit la cellule garder le contrôle de son métabolisme, contenir le virus et rester maîtresse de la situation, c’est l’infection abortive. La machinerie piratée triomphe et survit. Enfin, le dernier scénario possible est celui de la latence virale : le virus exprime des gènes spécifiques dits de latence qui lui permettent une survie à long terme dans l’hôte dans une sorte de paix armée. Les différents types d’interactions entre le virus et son hôte démontrent la complexité et l’ancienneté des relations du couple virus-hôte. Alors, le virus fait-il ou non partie du vivant ? Quels jeux subtils mène-t-il entre la vie et la mort de la machinerie avec laquelle il peut adopter différents
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comportements ? Dans le cas présent, il semble intéressant de considérer le problème plutôt sous l’angle du système, que de l’individu. Le virion isolé n’est pas vivant, bien entendu. Isolé en suspension, il n’est capable ni de métabolisme, ni de reproduction, ni de nutrition, ni de mouvements dirigés. Le virion est là, sans aucun métabolisme, dans un pur hic et nunc, comme un objet. En revanche, le système virion-cellule hôte représente bien un système vivant qui répond aux critères de notre paradigme : système cellulaire maintenu hors de l’état thermodynamique, comprenant deux génomes, celui de la cellule et du virus. Dans ce contexte, il est plus facile de comprendre le virus comme un ensemble de gènes structurellement organisés, issus originellement du génome dune cellule-cible, mais dont la toxicité pour la collectivité des gènes cellulaires a nécessité la mise au point d’un système complexe de réplication. Cellule et virus entretiennent probablement des rapports anciens et complexes qui ont fluctué au cours de processus Co-évolutifs. L’infection productive représente l’étape bruyante d’une vie commune mouvementée, où le combat voit alterner sommeils végétatifs et réveils tonitruants. La singularité des virus et leur dépendance totale pour la réplication d u n vivant en font des êtres à part. Si on considère le problème de leur origine, la singularité se transforme en problématique insoluble. 11 est inconcevable de voir le virus comme l’ancêtre de la cellule dans N la phylogénie de la vie ».Le virus doit plutôt être perçu comme le prolongement incongru d’un groupe de gènes cellulaires incapables de maîtriser leurs capacités à rester au sein du génome. Incapables de vivre dans leur communauté génomique originelle, les proto-gènes viraux séditieux ont dû mener un combat contre les mécanismes cybernétiques de régulation de l’entité << génome ».Le combat fratricide a dû aboutir à la sécession. Nul ne peut d’ailleurs savoir qui, de la cellule ou du proto-virus a expulsé l’autre. Le proto-gène viral sociopathique a acquis son indépendance, mais la cellule s’est aussi débarrassée d’un gène ou d’un groupe de gènes bien encombrant pour son équilibre vital. Cependant, libérée du carcan génomique, l’autonomie est loin d’être complète. Les proto-gènes viraux n’ont pas emporté avec eux l’ensemble du génome cellulaire, faute de place dans leur << capsule spatiale D de sortie et d’exploration du milieu extracellulaire nommée capside virale. Cette capside, le plus souvent un simple assemblage de protéines, permet la conservation du génome dans le milieu extérieur et l’adhésion sur les cellules cibles. Les proto-gènes viraux, véritables N géno-spationautes », n’ont pu s’arracher de la cellule avec une charge utile importante. Ils sont partis en emportant le << minimum vital D de matériel génétique, c’est-à-dire, le plus souvent, quelques gènes codant pour les protéines de capside, et quelques gènes codant des protéines de régulation du cycle. Avec quelques milliers de bases d’acides nucléiques, le virus arrive à perpétuer sa séquence, ce qui est monstrueusement économe comparé aux >)
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plusieurs millions de paires de bases indispensables à la plus simple des cellules. Bien qu’émergence dune cellule, le virus n’existe donc que par les rapports tumultueux et conflictuels qu’il entretient avec elle. Cette relation bancale et bizarre existe pourtant depuis la nuit des temps. C’est donc qu’elle est suffisamment stable pour que chacun puisse << survivre ».Virus et cellules doivent pouvoir y trouver leur compte. On sait, par les premiers récits médicaux, que les maladies ont toujours poursuivi l’humanité. D’autres arguments fondés sur l’analyse comparée des génomes démontrent que virus et hôtes ont Co-évolué. Virus et hôtes entretiennent ainsi des liens divers et variés. Pourtant le cycle d’infection productive, avec retentissement cytopathogène et manifestation clinique, ne représente qu’une partie émergée de l’iceberg des relations possibles. Ainsi, les maladies virales humaines et animales, si présentes à nos yeux, ne constituent qu’une goutte d’eau dans les relations complexes et encore incomprises des relations ambivalentes entre cellules et virus. De nombreux virus, tels les spumavirus, infectent l’homme sans paraître causer des manifestations pathologiques. Par ailleurs, certains virus adoptent des cycles complexes de réplication, passant d’un site de réplication chez l’insecte à un cycle infectieux chez l’homme. Ainsi, les arbovirus transmis à l’homme par des moustiques, et inversement, ne peuvent survivre que par cette double capacité à infecter des cellules d’insectes et de mammifères. Globalement, virus et cellule hôte peuvent être compris comme deux facettes d u n système qui a dû se scinder physiquement pour continuer à exister. Le virion isolé ne représente qu’un état végétatif transitoire entre deux états vivants, c’est-à-dire entre deux infections cellulaires au cours desquelles le système retourne à son état originel...
La vie sociale :les multicellulaires Il reste maintenant à appréhender le problème des multicellulaires, genre auquel nous appartenons. L’individu n’est plus une cellule mais une multitude de cellules cohabitant pacifiquement grâce à des interactions complexes multiples et intégrées par chacun. Vie et mort ne peuvent alors plus se comprendre au niveau de l’individu cellulaire mais au niveau du groupe, seule entité pertinente. Chez le multicellulaire tout est complexité. La définition même de l’entité spatiale vivante est ambivalente. Pour exemple, chacun d’entre nous n’est pas le seul à vivre sur le même site ! Tout le monde héberge dans son tube digestif une cohorte volumineuse d’êtres vivants microscopiques indispensables à la bonne digestion. I1 y a même numériquement dix fois plus de bactéries dans le tube digestif que de cellules dans un être humain. I1 en est de même pour tous les germes saprophytes qui colonisent les autres muqueuses. L’épiderme est lui aussi recouvert d’une
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flore dont la bonne cohabitation est indispensable pour éviter la contamination par des germes pathogènes. Un article scientifique récent a démontré que le génome humain était ponctué d’au moins quarante gènes présents uniquement chez les bactéries4. Ce qui voudrait suggérer que ces gènes nous aient été transférés par des bactéries. Que dire enfin des virus que nous hébergeons à l’état de latence comme les herpès-virus, qui, une fois rencontrés, sont hébergés grassement toute la vie, le plus souvent lors de la petite enfance, et qui ne resurgissent qu’en cas de défaillance du système immunitaire ? Pour finir le tour d’horizon, il est indispensable d’évoquer les énigmatiques rétrovirus endogènes, véritables virus-fainéants, dont la paresse est telle qu’ils se fondent dans le génome de l’hôte pour se reproduire, à des endroits divers, ce qui n’est pas sans conséquences lorsqu’ils s’insèrent dans un gène important ou qu’ils transportent des séquences stimulatrices pour des gènes inappropriés. D’une manière générale, ils influent beaucoup sur la plasticité du génome. Dans ce contexte, la notion de génome individuel est donc pour le moins floue. Qu’inclure dans la notion d’individu ? la personne et ses inséparables hôtes bactériens ? En pratique, la décontamination d’une personne avant son entrée en chambre stérile lors d’une greffe de moelle osseuse est toujours très difficile à réaliser. I1 est presque physiquement impossible de se débarrasser de ses hôtes bactériens. Topologiquement, l’entité vivante devient alors plus complexe à définir. Les bactéries du tube digestif font-elles partie de notre individualité ? De même, la myriade de virus hébergés chaleureusement par l’hôte font-ils partie de l’individu ? répondre que l’individu est défini par son génome ne résout pas tous les problèmes. Car si les bactéries commensales sont clairement exclues par cette définition, il reste le problème des génomes viraux exogènes. Nous sommes tous porteurs, dans un certain nombre de cellules réservoirs, de génomes viraux latents. Les cellules composant la plupart des humains forment - dans une certaine mesure - une mosaïque. Ces cellules seraient-elles à exclure de notre individualité ? Le génome majoritaire est plus ou moins parasité par des séquences intégrées ou épisomiques qui compliquent la lecture de l’entité. Évidemment, il faut se garder de tout alarmisme, car, dans son écrasante majorité le génome n’est pas modifié ! La lisibilité de l’individu est aussi parasitée par la variabilité temporelle. Les cellules ont une durée de vie limitée, et se renouvellent constamment au cours du temps à un rythme qui dépend de leur état de différentiation. L’individu n’est plus physiquement formé des mêmes cellules au début et à la fin de sa vie (mis à part quelques types cellulaires particuliers comme le neurone, bien que ce dogme évolue). Ce renouvellement constant est une propriété caractéristique des pluri-cellulaires chez qui la mort cellulaire est véritablement programmée et contrôlée au sein d’un vaste phénomène physiologique nommé apoptose. Certaines cellules disparaissent, meurent, alors que d’autres se reproduisent. Ce mécanisme n’est pas du tout anarchique,
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il fait l’objet d’un contrôle très strict de la part de l’individu dont la survie dépend du fonctionnement de chaque cellule. Dans ce dessein, les cellules communiquent entre elles, s’envoient des signaux de prolifération, différenciation, ou de mort cellulaire programmée. Un dérèglement de ce mécanisme de régulation de la mort est excessivement grave pour l’individu ; c’est pour lui le début dun cancer...,triste rançon du succès évolutif de la multicellularité. Alors, quel individu pour quelle vie ? Notre paradigme se vérifie toujours : nous avons déjà vu que le génome n’est pas l’entité la plus pertinente pour définir le vivant (à l’instar de ce que nous avons remarqué pour les unicellulaires). Alors qu’est ce qu’un être multicellulaire vivant ? L’expérience moderne de la réanimation s’est très vite confrontée au problème de la mort, chez des sujets porteurs de lésions cérébrales irréversibles. Quand un être humain nécessite la suppléance de plusieurs machines pour vivre, est-il virtuellement mort, dans un no man’s land entre la vie et la mort, ou déjà mort ? Le législateur,pour régler les problèmes juridiques qui en découlent a donc défini les critères de la mort. I1 est question de mort cérébrale, puisque la définition repose sur l’absence définitive d’activité cérébrale attestée par un contrôle électroencéphalographique. L’absence d’activité cérébrale signifie la mort et inversement. Malgré tout, il existe un court intervalle de vie après la mort légale. Une personne en état de mort végétative est encore capable de survivre avec une assistance (au moins temporairement). Par ailleurs, avant la naissance, nous avons tous vécu, temporairement sans cerveau, puisque celui-ci apparaît assez tardivement au cours de l’embryogenèse. L’embryon avant la neurulation est-il vivant dans la mesure où l’on considère que l’activité cérébrale définit légalement la notion de vie ? Nous voyons là les limites des réponses légales, qui d’ailleurs se bornent à quelques définitions pratiques sans vouloir pousser le raisonnement jusqu’au bout. L’entité physique du vivant est toujours de l’ordre du cellulaire ; par ailleurs l’état thermodynamique global du système doit toujours être maintenu hors de l’équilibre. Le système n’est plus assimilé à une cellule, mais à un ensemble de cellules. Et encore, l’ensemble doit-il être structuré ! Si vous prenez, une souris et que vous lui coupez la queue, elle survit. L’organisation globale de l’entité n’est pas déstructurée, le système peut encore se maintenir totalement, sans trop de dégâts hors de l’équilibre thermodynamique. Si vous lui coupez la tête (pourtant distante de quelques centimètres de la queue), elle meurt : c’est-à-dire que le système retourne rapidement à l’équilibre thermodynamique, a l’entité-souris n’arrivant plus à maintenir des conditions de vie tolérables pour toutes << les entités-cellules ». Le cerveau ne contrôle plus toutes les fonctions régulatrices et motrices, et, en échange, il n’est plus vascularisé et meurt d’anoxie. Rapidement, l’hémorragie cataclysmique déclenchée par la décapitation, entraîne l’arrêt de toutes les autres grandes fonctions (cardio-respiratoire, rénale, hépatique). C’est la mort pour tout le >)
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monde : la souris en tant qu’entité globale meurt dans l’instant, suivie plus ou moins rapidement de toutes les cellules qui la composent. Même si certaines cellules résistantes peuvent survivre quelque temps à la mort de l’entité-souris, leur destin est scellé par le lien mortel qui les lie, tels les vassaux à leur suzerain... La mort est donc convenue comme le retour à l’équilibre thermodynamique du système. Et le système doit s’entendre dans sa globalité. Un artifice technique qui consisterait à prendre quelques cellules et à les mettre en culture n’aurait pas de valeur conjuratoire pour le destin tragique de cette malheureuse souris. Pourtant, les cellules, dans des conditions artificielles, pourraient être entretenues pendant une durée qui pourrait dépasser largement l’espérance de vie initiale de la souris... Alors, que dire de ces cellules en culture : mortes ou vivantes ? il faut éviter les syllogismes : si les cellules sont bien maintenues dans des conditions artificielles de vie, la souris est, quant à elle, bien morte... Quant aux cellules, répondent-elles complètement aux critères de la vie ? la question mérite d’être posée, car il est bien évident que leurs conditions de survie sont artificielles. Leur maintien hors de l’équilibre thermodynamique est entièrement dépendant d’un appareillage qui permet le maintien de la vie (milieu de culture, température constante, enrichissement en dioxyde de carbone, etc.). En l’absence de la main humaine, c’est le retour à l’équilibre et à la mort. Les cellules isolées, n’ont aucune capacité à s’auto-entretenir hors de l’équilibre et à s’organiser en un système complexe dont elles portent le génome (en l’occurrence celui de la souris). Cette vie-là ne répond donc pas aux critères naturels du vivant. Les cellules cultivées artificiellement ne pourront jamais acquérir à nouveau les capacités de production d’un système-souris complet et indépendant : la souris est bien morte... Pour l’homme, les conclusions de nos observations sont transposables. Cependant quelques remarques liminaires s’imposent. Dans le cas de l’homme, la vie a toujours été source de questionnement métaphysique. Ou plutôt, la mort a toujours fait sens. En effet, la biologie a clos le débat sur la mort de manière assez simple. Sa définition médicale classique est l’arrêt irréversible des grandes fonctionsvitales. De manière plus simple, c’est le retour du système vers l’équilibre thermodynamique gouverné par le deuxième principe : l’entropie tend vers un maximum, la mort. La mort ? c’est donc le retour du succès de l’entropie. Vies et morts humaines ne dérogent donc pas aux lois de la physique et de manière plus large à notre définition de la vie. Cependant, ce qui touche à l’homme est plus complexe à appréhender du fait du principe d’humanité. Non pas que notre vie déroge en quelques points des lois de la physique qui la régissent comme toute vie animale mais parce que l’appartenance à l’espèce humaine nous empêche de voir en l’homme un simple amas de molécules un peu mieux ou un peu différemment ordonnées. I1 est notable que la naissance de l’homme, son << humanisation >> a été révélée par le traitement qu’il a donné à ses morts principalement par l’inhumation.
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Si Homo neandertalis n’a pas laissé de traces de sépulture comme celles de sapiens, cela traduit un saut dans l’émergence de l’humain moderne. Ce geste n’est pas anodin : l’homme, en s’humanisant, a clairement tiré un trait entre le vivant et le mort. Ce faisant, il se pose sûrement la question de son statut d’être vivant ; il a donc marqué la prise de conscience de ce qu’est sa vie et entre dans la longue épopée de son humanisation. L’enterrement des morts à l’aube de l’humanité, formalise donc le début de la réflexion de l’homme sur le sens de la vie et, par là, de la vie tout court. Le traitement et l’égard réservés aux morts sont en effet une des principales différences entre l’humanité et le reste du règne animal. Antigone, héroïne dramatique antique, est le symbole de l’humanité soumise à l’obligation morale de rites funéraires. Créon, son père, roi de Thèbes, a interdit à quiconque de donner une sépulture à ses deux frères qui se sont entre-tués en transgressant la Loi. La peine est exemplaire : leurs corps pourriront en public sous le soleil comme ceux des animaux. Quiconque y touchera s’exposera au même traitement. Le destin d’Antigone, est de donner une sépulture décente à ses frères, de les retenir dans le champ de l’humanité, même si elle doit le payer de sa vie. La condition d’Antigone humaine >> lui impose son destin tragique :elle doit retenir ceux qui partagent son sang << en l’humanité >> par leurs sépultures. La mort et le respect du corps au-delà de la mort est une donnée transculturelle et constante dans l’histoire de l’humanité. Longtemps donc, les problèmes concernant la vie furent hantés par cette mort qui rôdait et fauchait alors copieusement des êtres jeunes. L’humanité après sa fondation aurait même pendant longtemps << vivoté >> en comptant péniblement quelques centaines de milliers d’individus. La survie de l’espèce aurait pu être mise en péril à ce moment crucial de son existence, et le reste de l’histoire de la terre aurait pu être complètement modifié. Homo sapiens aurait pu ne rester qu’un fossile transitoire dans l‘histoire complexe et bouleversée de sa lignée comme le fut Homo neandertalis. Le succès évolutif d’Homo sapiens (en terme quantitatif par la taille de sa population) a tardé à se manifester. Les traces que nos ancêtres ont laissées donnent à penser que les problèmes éthiques et religieux concernaient donc quasi-exclusivement l’extrémité de la vie et sa frontière avec la mort. Cette question n’a cesser de hanter l’homme. Sans cesse revient l’éternelle question de la vie après la mort et son corollaire :l’au-delà. L’homme cherche toujours sa part d’éternité ; il fallait, avant la mort, avoir épousé les différentes contraintes imposées par les religions avant de pouvoir se faire enterrer selon les rites permettant l’accès au paradis. En Europe, la terre chrétienne B était réservée aux seuls élus que le clergé jugeait dignes. Sinon, << pour les impies », c’était la fosse commune, étape pendant laquelle les corps se mêlaient de manière infâme avant le purgatoire. Les questions focalisaient donc sur cette étape singulière de la transition vie-mort. Toutes les hypothèses, des plus poétiques aux plus machiavéliques, avaient cours ; les imaginations débordaient
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pour expliquer cette grande inconnue. L‘accès au paradis spirituel alternait avec la promesse d u n purgatoire, plus terrible encore que l’enfer pour les âmes damnées... Avec l’avancée de la science, notamment de la biologie moderne, les questions semblent s’inverser. C’est plutôt l’autre extrémité de la vie qui pose des questions... Ce qui semblait autrefois si naturel devient maintenant une problématique, voire un sujet d’étude porteur, mais aussi dangereux. Or la science ouvre maintenant des perspectives du côté des étapes précoces de la vie ; c’est donc naturellement par là que surgissent des débats éthiques. En effet, la biologie moderne donne des moyens nouveaux à l’humanité non seulement pour le contrôle de la fécondité, mais aussi pour passer outre à de nombreuses étapes de la conception d u n enfant. Les débats deviennent de plus en plus brûlants pour qui ose y toucher : l’embryon est-il un être vivant au sens plein du terme ? Comment considérer les années qui peuvent séparer, grâce à la congélation, la conception d’un embryon et sa réimplantation dans l’utérus ? Les interférences de la biologie avec l’expérience intuitive de la vie aboutissent à de virulents débats éthiques entre les partisans jusqu’au-boutistes et démiurgiques dune avancée inexorable de la technologie et les tenants raisonnés d’une science liée irrémédiablement à l’usage réfléchi de nouvelles technologies. I1 est, bien entendu, nécessaire de replacer au-delà du sens commun la notion de vie afin d’appréhender la nature de la vie humaine, mais aussi de s’interroger sur ce qui fonde la singularité de l’appartenance à la communauté humaine. Car les derniers progrès de la technique ne posent pas tant de problèmes au vivant qui s’accommode de nombreuses transgressions D, mais à ce que l’homme en tant qu’être doué d’intelligence et responsable de ses actes est prêt à accepter, à tolérer pour lui-même en tant qu’être vivant-humain et non pas comme simple vivant-objet. I1 devient alors évident que même si la plupart des <( dangers des biotechnologies D ne semblent pas nous menacer directement dans notre vie quotidienne, ils risquent d’offenser l’humanité inhérente aux quelques individus devenus objet d’expérimentations et par là-même l’humanité dans sa globalité. L’attachement à la défense de cette entité théorique, à cette notion d’humanité n’est pas un pur raisonnement philosophique, ou un attachement inadéquat à des valeurs passées, mais une nécessité. Toute brèche dans la reconnaissance des droits attachés à l’autre, toute entreprise de négation de l’altérité a toujours conduit aux pires désastres pour l’humanité entière. ((
Chapitre 5. LE TEMPS ET SA FLÈCHE : UN ÉLÉMENT FONDATEUR DU SENS EN BIOLOGIE
Le temps est une question centrale, récurrente qui a transcendé la réflexion de nombreux philosophes. Cette question est à la fois une des plus complexes et des plus faciles à appréhender. Saint Augustin avait formulé à propos du temps : N Si personne ne me demande ce que c’est,j e le sais ;mais si on me le demande et quej e veuille l’expliquer, j e ne le sais plus’. D Le temps est une notion du quotidien, paramètre physique dont chacun peut juger, à moins d’être frappé d’un mal nommé amnésie. Le temps est, aussi et surtout, une entité singulière : il s’écoule toujours dans le même sens et n’épargne personne, il est universel. Échapper au temps est un fantasme aussi constant dans l’imaginaire populaire que de vouloir le remonter. Un instrument magique, le cinématographe, n’a paradoxalement pas résolu le problème puisque faire défiler un film à l’envers est d’une telle incongruité qu’il déclenche en général l’hilarité du spectateur. Par ailleurs, cette situation ne s’apparente pas stricto sensu à remonter le temps, puisque le temps réel continue inexorablement à s’écouler dans le bon sens au cours de la projection. Le temps ne se dévie donc pas si facilement, il s’écoule même désespérément dans le sens qu’il a choisi. Le temps dévorant emporte tout le monde dans sa danse infernale, au rythme sonné invariablement par les saccades de la montre. Le temps, insupportable par la rapidité avec laquelle il s’écoule, est pourtant un élément structurant indispensable du monde qui nous entoure. Imagine-t-on un monde sans temps, où passé, présent et avenir sont fondus dans une mélasse paralysante, l’instant prenant la dimension de l’éternité ? Sans écoulement du temps, pas d’avenir possible et donc pas d’espoir présent. II est difficile d’imaginer une histoire sans le déroulement chronologique des événements. Mais il est encore plus dur de vouloir imaginer une biologie sans existence du temps. Nous sommes, en tant qu’êtres biologiques, le produit dune histoire, celle rappelée par la phylogénie, celle de l’arbre de la vie.
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<< Rien n’a de sens en biologie, si ce n’est à la lumière de Z’évolution clamait le célèbre paléontologue Theodosius Dobzhanski. Cette évolution est la fille naturelle de l’interaction entre les systèmes vivants et le temps. Le temps, paramètre du biologique, semble toutefois avoir été longtemps délaissé par de nombreux biologistes. Pour eux, le vivant ne pouvait se concevoir que dans l’instant où celui-ci est examiné. Pourtant, le vivant n’est pas le produit unique de son histoire personnelle, de son histoire ontologique. I1 est aussi, avant tout, l’expression d u n plan P qui a été affiné par des milliards d’années de sélection. Dans ce sens il est le produit de l’histoire de son espèce et de manière plus large le produit de l’Histoire, ou plutôt de l’odyssée du vivant. Ne pas l’intégrer à sa réflexion serait une grossière erreur. Celle-ci reviendrait, pour reprendre la comparaison automobile, à vouloir comparer la structure et le fonctionnement des automobiles du début du siècle aux automobiles modernes. Bien que profondément apparentées, celles-ci ont aussi profondément changé. Vouloir les mettre sur le même plan pour les comparer n’aurait pas de sens. Ce sont donc naturellement les physiciens qui ont repris l’étude du temps, avant qu’il puisse être réinséré pleinement dans la dimension réelle qui lui revient en biologie. La compréhension des mécanismes de l’écoulement du temps à sens unique, à notre échelle d’intégration du monde, a longtemps été source de difficultés. Les succès de la physique mécanique newtonienne imposaient en effet le temps comme réversible et symétrique dans ses équations. Présent, passé et avenir étaient donc symétriques. Le temps se déroulant vers le passé était le même, symétriquement, que celui qui se déroulait dans l’autre sens. Ce paradigme qui s’applique si bien à des systèmes mécaniques semblait quand même offrir des limites dans des systèmes plus complexes réticents à la réversibilité. Ainsi, comment comprendre que certains systèmes simples évoluent avec une monotonie déconcertante ? Pourquoi le sucre se dissout-il invariablement dans la tasse de café, alors qu’il est impossible de voir l’inverse se produire ? Et pourquoi la chute d’une tasse sur le sol aboutit invariablement à ce qu’elle se brise alors que le contraire n’arrive jamais ? Voir une tasse se reconstituer à partir de morceaux est inconcevable pour le commun des mortels. Le temps paramètre réversible pour Newton au XVIII~siècle, ne semble plus l’être pour les physiciens thermodynamiciens du XIX“. Comment rendre compte de l’écoulement du temps à sens unique ? Le temps suit une direction unique et intangible. La notion de << flèche du temps B émerge alors. Quelles notions se cachent derrière ce nouveau terme ? Ce sont les thermodynamiciens qui vont, les premiers, être confrontés à l’émergence de ce nouveau concept de flèche du temps. Ce sont eux aussi qui vont en apporter l’explication qui se nomme entropie. Ludwig Boltzmann a beaucoup souffert de l’inintelligibilité d’un monde à la fois réversible dans ))
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son explication mécanique et irréversible dans son explication thermodynamique. Selon la conception de Boltzmann, cette irréversibilité macroscopique n’est qu’une illusion dont nous sommes victimes. L’approche statistique déforme les caractères réversibles réels de la matière, pour nous les représenter comme irréversibles. Le monde réel et l’approche statistique macroscopique diffèrent. Cette conception sera rénovée par d’autres physiciens. C’est sans conteste Ilya Prigogine qui apporte une vision complètement nouvelle de l’écoulement irréversible du temps. Pour lui, la proposition de réversibilité de temps à l’échelle microscopique produisant l’illusion d’irréversibilité macroscopique est à inverser. Pour lui, l’irréversibilité est ancrée à tous les niveaux de la matière. I1 faut retourner les arguments : << Il y a uneflèche du temps, mais le niueau microscopique crée l’illusion qu’il n’y en a pas‘. B Dans ce contexte, tout a une histoire, même la tasse de café à l’équilibre thermique. Les molécules interagissent entre elles et leurs trajectoires individuelles sont donc liées à une histoire complexe de collisions itératives. Cette histoire procède de la notion d’événement qui marque la chronologie. Au niveau moléculaire, l’événement significatif est la collision avec une autre molécule. Le plus petit événement,aussi imperceptible soit-il, a son importanceintrinsèque puisqu’il oriente irréversiblement l’histoire du système. La théorie du chaos nous apprend qu’une différence très faible des conditions du système au départ peut être amplifiée pour donner deux phénomènes complètement divergents à l’arrivée. C’est devenu un lieu commun d’énoncer qu’un mouvement aussi léger qu’un battement d’aile de papillon dans un lieu quelconque de la planète peut être à l’origine d’un cyclone aux antipodes par simple obéissance aux lois de la théorie du chaos ! Chaque événement crée une brisure de symétrie entre l’avant et l’après. Cette brisure de symétrie est présente à tous les niveaux de la matière : depuis les molécules d’eau d’une tasse de café qui ont une histoire liée aux collisions, celles-ci modifiant perpétuellement leurs trajectoires jusqu’aux phénomènes météorologiques. Dans notre tasse, deux molécules initialement très proches peuvent rapidement diverger, l’une se retrouvant près de la surface, qui après éjection dans l’atmosphère sous forme de vapeur peut venir chatouiller nos narines, alors que l’autre termine au fond de la tasse pour être engloutie dans l’estomac ! << Le destin moléculaire >> de ces deux objets microscopiques est radicalement divergeant ! Un monde les sépare à l’arrivée alors qu’un rien les unit au départ. Mais ce principe ne s’applique pas uniquement aux molécules. Notre histoire dépend d’événements incontrôlables s’enchaînant irrémédiablement. L’exemple le plus flagrant et le plus quotidiennement perceptible est celui du bus passant toutes les dix minutes qui est raté d’une poignée de secondes. Ce ratage pour quelques misérables secondes peut s’enchaîner avec le manquement du départ d’un train qui ne passe que toutes les heures, pour aboutir à
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rester clouer au sol à l’aéroport pour un vol qui n’est que quotidien. Une poignée de secondes au départ conditionnent un retard d’une journée à l’arrivée... Les hôtels installés à proximité des grands aéroports vivent de ces flux chaotiques de passagers en attente de correspondances. À côté de cet aspect anecdotique, ces secondes peuvent être néfastes pour un rendez-vous important ou fatales, si l’avion du jour suivant s’abîme en mer ! Dans toute catastrophe aérienne se trouvent des victimes dont le sort se scelle à quelques poignées d’instants qui forgent une brisure de symétrie. Les lois du chaos imposent des choix parfois tragiques. Notre vie, dans son déterminisme quotidien, suit donc une loi chaotique ! Le terme chaotique n’est pas à prendre dans le sens commun, mais dans le sens de système physique où tout événement est créateur de sens, celui-ci reliant chaque instant dans une flèche d’écoulement du temps cohérente et universelle. Prigogine cite le paradigme du cavalier dont le cheval perd un clou sous un sabot, perte qui entraîne la perte de celle du fer ; cette dernière immobilise le cavalier porteur d‘un message indispensable à la victoire de la bataille qui conditionne ultérieurement la survie d‘un Empire. Prigogine induit donc une cohérence nouvelle à l’écoulement du temps qui est naturellement irréversible à tous les niveaux. Cette petite fable nous rappelle invariablement combien le sens de l’histoire peut faire l’objet de bifurcations liées à des éléments minimes au départ. Le paradigme cher au météorologiste du battement d’aile de papillon à l’origine du plus terrible des cyclones dans le système atmosphérique chaotique s’y apparente beaucoup. L’histoire humaine répond elle aussi aux lois d’un système chaotique. L’image de l’histoire de l’Europe du xx‘ siècle est à ce titre exemplaire. Revenons au printemps 1914, plus précisément 28 juin. La journée avait été chaude à Sarajevo, c’est le début de l’été. Le soleil commence à faire fondre les neiges des sommets alentour et la ville se remet d u n hiver plutôt rigoureux. De nombreux commerçants installent leurs étals dans les petites rues des quartiers musulmans et l’agitation est importante. En effet, c’est aujourd’hui un jour particulier : la Bosnie est annexée par l’empire austrohongrois depuis 1878 qui en fait le siège de son administration, elle est l’objet dune visite impériale. L’archiduc François-Ferdinand, prince héritier du trône est en visite officielle à Sarajevo. L’évènement est banal ? pas tout à fait. Ce jour-là, des extrémistes nationalistes serbes du milieu estudiantin décident d’assassiner l’archiduc François-Ferdinand. Un jeune idéaliste fanatisé de dix-neuf ans se désigne pour passer à l’acte. Son nom est Gavrilo Prinzip. I1 doit tirer les coups de feu qui feront s’écrouler l’archiduc et l’Europe entière à sa suite. Essayons d’imaginer ce qui a pu se passer à ces instants précis. Une foule massée sur le parcours, un convoi officiel de plusieurs voitures à cheval, des gardes, un jeune étudiant armé d’un simple pistolet qui tire à 10 mètres à peine et un homme qui s’écroule. Comment imaginer le nombre de facteurs qui auraient pu influer sur l’attentat : un convoi
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dévié in extremis, une arme pointée trop tôt et démasquée par les gardes impériaux, une petite averse qui aurait obligé le Prince à voyager dans une voiture fermée, une balle qui s’enraye, un doigt sur la détente un peu trop tendu qui dévie le canon, et le cours de l’Histoire est bouleversé. Mais non, ce jour-là tout réussit. I1 fait chaud à Sarajevo et le prince François-Ferdinand offre fièrement sa poitrine au tireur isolé. L’aubaine est idéale ! Le symbole est unique et singulier. Si seulement il eût plu ce 28 juin sur Sarajevo ! Ce doigt sur une détente qui va décrire un mouvement d’une amplitude d’à peine un millimètre va être à l’origine du plus grand cataclysme de l’histoire de l’Europe et entrainer le xx“ siècle dans un tourbillon d’horreurs et de massacres. Les coups de feu claquent sèchement dans ce début d’été, mais les coups sourds de l’Histoire résonnent déjà dans le tourment des capitales européennes. Immédiatement après l’assassinat, les tensions sont au plus fort dans les grandes capitales qui n’ont pas besoin de cela pour s’affronter. D’ultimatums en menaces, la logique des coalitions joue à bloc et la guerre est inéluctablement déclarée le 3 août entre la France et l’Allemagne. Aux départs la fleur au bout du fusil »,et aux rendez-vous dans quinze jours à Berlin », succèderont la boue de la Champagne, la rigueur de l’hiver dans les Ardennes, les cadences infernales de l’artillerie, les premiers gazages à large échelle et les millions de morts dans les grandes batailles, de la Marne à Verdun où l’héroïsme de générations entières va s’échouer dans les ressacs de la Grande Guerre. Mais l’Histoire est lancée, une brisure de symétrie a été créée. Elle ne s’arrête pas en si bon chemin : la bifurcation est prise, le retour en arrière est impossible. Les empires sont dépecés, la Russie tsariste tombe et une révolution d’un type nouveau donne naissance à un régime totalitaire fondé sur l’utopie communiste qui emportera dans sa paranoïa des millions de victimes. Plus encore, la fin de la guerre va porter en elle, le germe de la seconde. Une deuxième bifurcation est mal négociée et un traité de Versailles nourri de quatre ans de supplice accouche <( d’un diktat D dont l’Allemagne de Weimar ne pourra se remettre. Fille d’une paix mal partie, quinze ans après, l’Europe de l’entre-deux-guerres est passée aux mains du fascisme et l’Histoire se répète. La der des der B voit culminer le dernier perfectionnement de l’abjectionhumaine avec la monstruosité nazie dont le souvenir hantera éternellement les ruines maudites des camps d’extermination. Le tout s’achève dans une grande déflagration touts azimuts dont le triste bouquet final s’appelle Nagasaki. Le retour e à l’état initial », à une Europe réunifiée et en paix ne se fera qu’avec la chute du mur de Berlin le 3 novembre 1989, soixante-quinze ans après le coup de feu du jeune Prinzip à Sarajevo. Cet index crispé sur la détente, ce bras tendu vers l’archiduc François-Ferdinand, ce mouvement infime qui va déclencher cette cascade d’évènements, toute l’Histoire du xx‘ siècle remonte à lui. C’est ce mouvement infime, négligeable mais désespérément orienté dans le sens de la mort qui va emporter l’avenir ((
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de centaines de millions d’autres. Oui, l’histoire de ces flots humains promis à la mort aurait pu être différente si cet index n’avait pas poussé cette gâchette à cet instant précis, si ce doigt tendu n’avait pas fait sens, n’avait pas créé une brisure entre l’avant et l’après dont l’Europe mettra si longtemps à se remettre. Notre histoire est donc entièrement contingente d’évènements infimes dont la portée peut être démesurément amplifiée dans le système chaotique dans lequel nous vivons. S’il est encore besoin de convaincre que les lois du chaos déterminent notre vie quotidienne, il faut alors rappeler l’extraordinaire histoire d’Henri Dunand connu pour avoir fondé la Croix-Rouge. Rien ne semblait prédisposer cet homme d’affaire genevois à une telle entreprise. I1 partit en Algérie pour faire fortune, l’administration coloniale tatillonne traîne les pieds pour satisfaire ses demandes de concessions. Nonobstant la mauvaise foi administrative, il décide d’obtenir audience directement auprès de Napoléon III à Paris. Malheureusement, celui-ci est parti en Italie pour mener une de ses glorieuses campagnes. Henri Dunand décide alors de le rejoindre pour plaider sa cause au plus vite. I1 n’arriverajamais jusqu’à l’empereur. Sa route, passe par la ville de Solférino le 25 juin 1859, lendemain de bataille mémorable où plus de quarante mille blessés des deux camps périssent abandonnés dans le dénuement le plus complet et la puanteur des corps en décomposition attisée par la chaleur de cette journée d’été. Le spectacle est d u n e telle horreur, que Dunand, marqué à jamais par les atrocités qu’il rencontre, décide de vouer le reste de sa vie à la défense des victimes des champs de batailles. Non content de témoigner du sort des victimes des combats de Solférino, il décide de fonder l’organisation internationale de la CroixRouge chargée de l’amélioration du sort des blessés. Après de dures tractations, mais moins de 5 ans après la terrible bataille de Solférino, le 22 août 1864 la première Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés est déjà signée. Un long processus est alors enclenché pour reconnaître la neutralité aux blessés et aux personnels chargés de leur porter secours. Le soldat blessé n’est plus un combattant, plus un ennemi, mais un blessé dont le statut est protégé par le droit international. Henri Dunand, que le destin promettait aux plus grandes fortunes, deviendra, par le fait de sa rencontre fortuite avec la misère d u n champ de bataille, le fondateur de la première organisation humanitaire non gouvernementale des temps modernes et mourra esseulé dans le plus grand dénuement. Le simple fait de la << mécanique du chaos >> conduit parfois à des destins inimaginables. 11 n’existe pas malheureusement de théorie physique unique et unifiée du temps. L’existence dune flèche du temps cosmologique semble pourtant admise par la plupart des physiciens. Faut41 parler dune flèche ou de plusieurs fléchettes ? il s’agit probablement dune discussion byzantine. Nous considérerons ici qu’à l’échelle à laquelle se déroulent les phénomènes qui nous intéressent, le temps ne peut être considéré autrement que lié à sa flèche.
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À l’échelle du vivant, le temps physique est indissociable de la notion d’histoire. Cette histoire est celle de chacun de nous qui rend cohérent notre présent. Flèche du temps et vivant sont indissociables. Ce que Henri Bergson énonçait, (< Partout où quelque chose vit, il y a ouvert quelque part, un registre où le temps s’inscrit3 », ce que François Jacob rappelle de manière plus moderne : Laflèche du temps, on la trouve ù travers l’ensemble du monde vivant, qui est le produit d’une évolution dans le temps. (...) Laflèche du temps, nécessaire là où il y a vie,fait maintenant partie de notre représentation du monde. C‘est la spécialité de la biologie, son estampille pour ainsi dire4. D Le temps c’est aussi, pour la biologie, une longue histoire qui rend cohérente l’émergence de l’homme au sein d’une nature qui a vu évoluer et interagir de nombreuses espèces biologiques depuis l’apparition de la vie, il y a plus de trois milliards d’années. Cette histoire prend le nom d‘histoire naturelle. Nous allons pouvoir maintenant essayer de démêler les liens inextricables qui ancrent profondément le temps et les systèmes biologiques vivant au sein de cette histoire naturelle. Les différences qui ont longtemps séparé biologistes et physiciens tiennent à la nature même de la conception qu’ils ont du temps, comme le rappelle François Jacob : (( Les corps inanimés ne dépendent pas du temps. Les corps vivants lui sont indissolublement liés. Chez eux, aucune structure ne peut être détachée de l’histoire4. B Ces différences tiennent à la fois à des problèmes d’échelles et de référentiels. Pour le physicien, le temps est résolument orienté vers l’avenir. Ce temps à devenir est celui de la prédiction des phénomènes qu’il va pouvoir examiner. Le temps est celui qu’il observe. De ces résultats, il va pouvoir inférer sur l’avenir par modélisation des résultats passés qui seront mis en algorithmes. Le biologiste, lui, se retourne inéluctablement vers le passé. L’avenir n’a pas d’intérêt, il est incapable de pouvoir prédire ce qu’il n’arrive pas à appréhender. Comprendre le présent biologique, nécessite de s’intéresser à son passé. Car le vivant a une histoire complexe de milliards d’années d’évolution et de perfectionnement. Beaucoup de ce qui fait le monde vivant aujourd‘hui trouve son explication rationnelle dans le passé et dans l’héritage qui a été transmis. Le biologiste compare ainsi les archives millénaires du génome, pour essayer de comprendre la logique du monde vivant aujourd’hui. Biologistes et physiciens, bien que travaillant tous les deux avec la variable temps, ne croisent pas vraiment leurs concepts. À cette différence d’orientation s’ajoute celle de l’échelle : les physiciens travaillent soit à une échelle temporelle très courte inférieure à la microseconde pour les atomistes, soit supérieure au milliard d’années pour les astrophysiciens. Les biologistes travaillent eux, juste dans l’intervalle laissé libre par les physiciens. Autant dire qu’il est difficile dans ces conditions d’appréhender les mêmes phénomènes avec des différences ((
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aussi notables sur la nature de la variable mesurée. Pourtant temps-physique et temps-biologique ne sont pas si distants et le temps reste une notion structurante majeure pour la biologie. Cette dimension structurante est d’ailleurs assez ambivalente pour le néophyte. Le temps introduit dans l’espace du vivant une notion nouvelle mais difficilement assimilable pour le biologiste : l’indéterminisme. L’indéterminisme en biologie naît de sa dimension temporelle. Cette dimension temporelle fait évoluer le système dans un espace chaotique dans une direction déterminée, celle de la flèche du temps. Cette dimension structurante de la vie va induire l’indéterminisme. Le biologique paraît être déterministe. Mais c’est parce qu’elle est analysée dans le sens inverse de la flèche du temps que la vie nous paraît déterminée. Le film est visionné à l’envers. Comme l’illusion burlesque du film visionné à rebours, il apparaît une illusion cohérente du << film du vivant ».Or, c’est dans l’autre sens qu’il faut regarder le système. Pour la vie, rien n’est déterminé à l’avance :le vivant suit la flèche du temps, soumis aux lois du chaos. La sensibilité aux conditions initiales, la structuration dans des conditions loin de l’équilibre, tout dans la vie est chaotique. Quelle que soit l’échelle à laquelle nous nous plaçons rien n’est déterminé. Ainsi, le cours de la vie à l’échelle individuelle subit un parcours chaotique, ballotté par des événements entièrement indéterministes. Ce que les religions appellent la providence, les astrologues la bonne étoile, ou les agnostiques les aléas, tout n’est que reflet de la soumission du vivant à la loi du chaos. Cette dimension chaotique induit l’indéterminisme dans la vie. À l’échelle de l’espèce, l’évolution du vivant n’est pas non plus prédictible. Nul ne peut prédire comment se fera l’évolution du vivant. Ainsi de grandes inconnues pèsent maintenant que l’homme commence à envahir et à modifier de nombreux biotopes, et à réchauffer le climat. Cette évolution-là est totalement indéterministe a priori. L’histoire de la vie a aussi été marquée par des disparitions importantes comme celle des dinosaures à la fin du secondaire. Elles ont vraisemblablement été provoquées par des catastrophes géologiques terrestres ou extra-terrestres (rencontre de la terre avec une météorite géante) ayant des répercussions climatiques majeures. Les dinosaures adaptés à leurs environnements ne l’étaient plus du tout après que le climat eut été fortement perturbé. Mais il est impossible de savoir à un instant donné ce que sera l’adaptation d’un phylum après des modifications environnementales majeures. Cette capacité à pouvoir s’adapter à un environnement improbable est totalement aléatoire. Elle nécessite l’acquisition de capacités pour lesquelles il est impossible d’être directement sélectionné puisque la sélection est réalisée par l’environnement immédiat et non futur. Si toutes les espèces de plus de quelques kilogrammes de poids ne peuvent survivre dans le climat infernal de la fin du secondaire, alors logiquement tous les dinosaures doivent disparaître. Cependant les premiers mammifères n’auront pas pour autant << prévu >> et acquis des
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caractères spécifiques permettant leur survie dans ce climat cataclysmique. Ils auront simplement passé le filtre du changement climatique et auront été sélectionnés en quelques sortes par défaut, parce que leur masse le leur permettait. L’importance de ces contingences imprévisibles a été soulignée par le célèbre paléontologiste Stephen Jay Gould. L’impossibilité de tester a priori l’hypothèse de la théorie de l’évolution, de pouvoir valider la falsifiabilité de la théorie a longtemps été pour Karl Popper une raison pour rejeter la théorie de l’évolution hors du champ de la science. A posteriori, le système paraît évidemment lié et figé, et la phylogénie apparaît logique. Les évènements ne font sens que lorsqu’ils sont analysés tournés vers le passé :le film de l’évolutiondu vivant regardé à l’enversparaît logique, alors qu’une projection vers le futur semblerait complètement incompréhensible. Mais cette logique apparente n’est que celle donnée par l’observation à l’envers de la dimension temps. La bio-logique est indéterministe. Si les dinosaures ont disparu il y a soixante-cinq millions d’années, les espèces qui leur ont succédé ont naturellement un lien de parenté. En ce sens, tout devient alors << logique », mais celle-ci n’est qu’apparente. La << logique observée est liée au biais d’observations historiques qui donnent une illusion déterministe. Car, la vie, par sa dimension temporelle, suit une loi indéterministe par essence. Une observation à reculons de l’histoire naturelle aboutit à la vision panglossienne des choses : << La nature a bien fait les choses en nous pourvoyant d’un nez, puisqu’il n’est pas d’organe plus utile pour porter des lunettes5. D L’assertion fait sourire, mais nombre d’ouvrages scientifiques à destination du grand public sont remplis de raisonnements de ce type. L’ingénue perfection dans le domaine est sans doute atteinte par Michael Denton dans son ouvrage L’Évolution a-t-elle un sens ?6. Pour lui, toutes les lois de la physique n’ont qu’un but unique :permettre l’émergence de l’homme. Comme le nez n’a pu être créé que pour porter des lunettes, la molécule d’eau n’a de propriétés chimiques que dans l’unique but de favoriser la chimie du vivant. Toutes les lois physiques de l’univers << n’ont été créées D que pour donner naissance à la vie, et pour favoriser l’émergence de l’homme. >)
Chapitre 6. LE TEMPS, QUATRIEME DIMENSION DU VIVANT : LA THÉORIE DE L’ÉVOLUTION OU L’INTERACTION DU TEMPS ET DU VIVANT
I1 y a plus de trois siècles, naissaient les premiers germes du doute quant à un créationnisme d’interprétation littérale de la bible. C‘est Lamarck qui exposa clairement le premier l’idée que le vivant se transforme. Depuis Lamarck, la science sait que le vivant n’a pas toujours été immuable. I1 faudra attendre quelques années pour comprendre avec Charles Darwin, selon quels déterminismes celui-ci évolue. À mesure que la notion d’évolution émergeait, celle de <( fièche du temps D se forgeait. Les deux se confrontant pour donner une cohérence au monde vivant tel que nous l’observons. Pour François Jacob, le temps, estampille de la biologie, est enfin démasqué et mis à jour : [Le temps] est indissociable de la genèse même du monde vivant et de son évolution. B Le temps est donc le phénomène physique qui explique la cohérence des événements depuis l’émergence de la vie jusqu’à l’apparition de l’homme et jusqu’à notre propre existence. Ce lien à sens unique peut facilement être remonté mentalement. Tout devient alors continuité. En effet, depuis l’apparition du premier système cellulaire vivant, toute cellule dérive de cette cellule unique dont le protoplasme n’a cessé de se diviser depuis la nuit des temps. Tous les êtres vivants sont donc liés historiquement par le sceau originel. De la première cellule qui a émergé, jusqu’à celles qui constituent notre corps, toutes sont liées par le même lien ténu, puisque toutes résultent de la division de la même et unique cellule originelle depuis la nuit des temps. Ce retour en arrière est vertigineux. I1 projette sur nous les liens et le destin communs de tous les vivants de la ((
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biosphère terrestre. I1 nous rappelle aussi que ce lien historique, depuis la première proto-cellule, est jonché d’événements pertinents qui ont brisé un à un la symétrie entre l’avant et l’après créant une histoire. Entre la première cellule et le moment où celle-ci a donné naissance à une proto-espèce originelle qui a divergé en deux espèces, autant d’événements moléculaires imperceptibles mais riches de sens ont produit une histoire logique. I1 y a eu l’espèce originelle avant la première mutation, et il y aura les espèces divergentes après cette première mutation ... La flèche du temps demeure indissociable du vivant. I1 est impossible de percevoir le vivant d’aujourd’hui, sans essayer de comprendre le lien profond qu’il entretient avec celui d’hier au travers de l’histoire. Sans dimension temporelle cohérente, autant de concepts tels que mutation, sélection, ou évolution du vivant sont caducs. Le rôle du temps dans l’histoire de la vie a pris une part importante de la réflexion de Stephen Jay Gould, paléontologiste brillant à l’origine d’une révision de la théorie de l’évolution. Pour Gould, la compréhension des phénomènes macro-évolutifs (spéciation) n’a de sens qu’à l’échelle du << temps profond »,celui des études géologiques. Cette distinction du temps profond n’est pas un gadget de plus de l’histoire de la théorie de l’évolution. I1 s’agit de donner une dimension nouvelle au temps géologique dont le sens est profondément différent de son acception intuitive. Cette notion de << temps profond >> tente de réhabiliter le rôle central du temps, tout en insistant sur la différence entre le temps perçu à l’échelle humaine et l’échelle de temps à laquelle a eu lieu l’évolution. Pour Gould : << Le temps profond est si dificile à appréhender, si étranger à notre expérience de tous les jours, qu’il demeure une énorme pierre d’achoppement pour notre entendement. (...) Concevoir de façon abstraite et intellectuelle le temps est assez simple : j e sais combien de zéros j e dois mettre après le nombre dix pour représenter des milliards. Quant à le digérer, c’est une autre affaire. La notion de temps profond est si étrange que nous ne pouvons la saisir qu’à travers une métaphore’. >> L’empreinte visible et interprétable du temps sur le vivant s’articule à deux niveaux. Au niveau de l’individu, l’ontogenèse décrit les lois permettant l’exécution d’un programme en vertu de l’interaction du vivant avec son environnement. En marge de l’étude du développement de l’individu, la biologie du vieillissement émerge aujourd’hui pour essayer de comprendre l’empreinte réelle du temps sur la vie. Au niveau de l’espèce, la phylogénie s’attache à comprendre les liens qui relient les espèces entre elles dans la grande machinerie de l’évolution. L’expansion de la vie n’est donc restreinte ni dans l’espace, ni dans le temps, mais dans un espace à quatre dimensions :l’espace-temps de la terre de quatre milliards d’années à nos jours. L’histoire de la vie est entièrement inscrite dans cette espace-là. Vouloir dissocier la compréhension de la vie
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entre l’espace et le temps est un non-sens. C‘est dénaturer l’objet de l’étude de manière manifeste, comme peut l’être une photographie pour un objet à trois dimensions. Photographier un cube donne une idée assez précise de l’objet d’intérêt. Mais en matière d’information, la photographie fait perdre toute une partie de ce que peut rendre l’analyse en trois dimensions puisque, sur les six faces, trois ne seront jamais accessibles à l’analyse. En permettant de sur-dimensionner la << dimension temps », en figeant un instant pour l’éternité,la photographie écrase les << trois dimensionsspatiales B dans l’espaceplan à deux dimensions du film photographique (le cinéma n’est qu’une superposition rapide d’images qui joue sur la lenteur de la réception rétinienne pour donner l’illusion d’un déroulement dans le temps). Ce qui est gagné sur la dimension temporelle est perdu sur une des trois autres dimensions spatiales. Le biologiste est lui aussi réduit à ce qui pourrait se nommer par analogie << la problématique du photographe ».L’analyse du monde biologique doit se faire dans les quatre dimensions du référentiel espace-temps. Pour autant, cette analyse est complexe et ne peut se faire que par des découpages, des << saucissonnages photographiques »,permettant de simplifier l’analyse. Mais ces découpages qui permettent d‘avoir une image instantanée induisent une perte de l’information dans les autres dimensions. Le monde biologique est viscéralement ancré par sa dimension temporelle. I1 fallut beaucoup plus de temps pour s’en rendre compte qu’il n’en a fallu pour commencer à comprendre les grandes fonctions physiologiques. Même actuellement, période éclairée où la prégnance la théorie de l’évolution des espèces est forte, il est difficile d’analyser les données de la biologie moderne en termes d’histoire naturelle. Un premier modèle descriptif et explicatif de l’évolution biologique a été proposé par Charles Darwin en 1859. Depuis, celui-ci a été complété, étoffé par l’apport de la génétique et reformulé sous la forme de la théorie synthétique de l’évolution ou le néodarwinisme. Mais le cheminement des idées a été, dans les faits, plus chaotique que ne le laisse penser cette présentation lissée, enluminée par la réécriture de l’histoire*.
Les péripéties de la genèse d’une théorie :du transformisme à la théorie synthétique de l’évolution Jean-Baptiste de Monnet, chevalier de Lamarck, a profondément marqué la fin du XVIII~siècle. I1 est en effet le premier à décrire explicitement l’évolution des espèces, ce qui constitue une véritable révolution conceptuelle. Toutefois, Lamarck reste souvent associé dans l’inconscient collectif à l’hérédité des caractères acquis. La postérité est très souvent injuste, ne retenant que certains traits dune vie complexe, pour livrer une image simple dont les
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aspérités ont été gommées. La mémoire ne retient que le minimum nécessaire : un homme est associé à une idée ou à un concept. Cette transformation aboutit forcément à une perte d’information. Parfois, la perte d’information est tragique, car elle participe à la contrefaçon de l’image. Lamarck en est une victime particulièrement éloquente. I1 est invariablement associé au mot transformisme ou à l’idée transformiste et surtout à la transmission des caractères acquis. Pour verrouiller cette postérité, ses détracteurs ont même créé le néologisme incongru de Lamarckisme. Pourtant la biologie doit bien plus à cet homme, ne serait-ce que par son nom de baptême. Homme du XVIII~siècle, né en 1744, il est à l’origine de travaux incontournables comme sa volumineuse classification des invertébrés, à la base de l’architecture de la classification actuelle et surtout de sa Philosophie zoologique?, ouvrage publié sur le tard à soixante-cinq ans en 1809, cinquante ans avant la sortie de L’Origine des espèces4de Darwin. La biographie du chevalier de Lamarck paraît, comme souvent, marquée par de nombreux errements, inhérents aux aléas du siècle perturbé dans lequel s’insèrent les singulières histoires individuelles. À seize ans, il quitte prématurément le collège jésuite à la mort de son père en 1760,pour faire une brève carrière dans le métier des armes pour lequel il doit rapidement être déclaré inapte suite à une mauvaise blessure. Muni d’une médiocre pension militaire, complétée de petits appointements d’employé de banque, Lamarck monte à Paris partagé entre le désir de poursuivre une carrière médicale ... ou musicale. C’est le hasard d’une rencontre avec Jean-Jacques Rousseau qui le mène à herboriser. Le succès sera ensuite rapide. En 1778, il publie un premier travail botanique, Florefrançaise, son succès le conduit l’année suivante à un fauteuil à l’Académie des sciences et au poste de botaniste du Roi en 1781. I1 occupe cependant le poste subalterne de conservateur de 1’Herbarium du Roi, quand la révolution française éclate. C’est alors lui qui participe activement à la fondation du Muséum d’histoire naturelle sur décision de la Convention. I1 récupère ensuite la difficile chaire de zoologie des invertébrés, alors que celle des vertébrés échoit à GeoffroySaint-Hilaire. La mauvaise connaissance des invertébrés, à l’époque, pousse Lamarck à un travail herculéen de synthèse qu’il publie en 1801. Mais son œuvre la plus marquante reste sa Philosophie zoologique?. Malheureusement, l’accueil réservé à son œuvre novatrice est glacial : Cuvier, notamment, le critique violemment. La fin de sa vie ne verra pas plus de reconnaissance, il mourra esseulé et ignoré. Mais Lamarck est d’abord le père d’un mot étonnamment moderne : la biologie. Au-delà du mot, c’est aussi la naissance d’une discipline scientifique autonome. L’étude du vivant s’individualise enfin. Lamarck est aussi le père d’une des premières définitions modernes de la vie. Cette définition rassemble neuf propriétés certes un peu confuses, mais qui ont le mérite d’être énoncées une première fois et d’être opposées aux
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objets inanimés. Ces neuf propositions forment pourtant une avancée singulière lorsqu’elles sont publiées en 1805. Elles tranchent avec les écrits antérieurs. Elles marquent dabord la naissance de la biologie et l’étude du vivant devient une fin en soi, et non un sujet annexe et divertissant. Elles dénotent enfin un esprit d’observation scientifique rigoureux et synthétique, car la plupart d’entres-elles vont pouvoir être l’objet de développements et conjectures à la base de la biologie moderne. Lamarck pressent une conscience futuriste de la vie qu’il énonce en des termes de son siècle, le mue. Enfin, il révolutionne la vision du vivant en déclarant que celui-ci n’est pas immuable. Le vivant évolue, il se transforme. C’est la première fois dans l’histoire de l’homme qu’est clairement énoncé le concept selon lequel les espèces ne sont pas figées. Ces transformations ne sont, bien entendu, pas visibles à notre référentiel de temps << Comparativement aux durées que nous regardons comme grandes dans nos calculs ordinaires, il a fallu, sans doute, un temps énorme (...) pour que la nature ait p u amener l’organisation des animaux aux degrés de complication (...) où nous la voyons3.D C‘est sur le moteur de ces transformations que les critiques seront les plus dures. Elles évolueront même vers un dénigrement systématique qui aboutira à l’enterrement de l’ensemble de l’œuvre laissée par Lamarck. I1 est vrai que le transformisme procède d u n e tendance à la complexification dont les explications restent confuses : << accroissement de mouvements desjluides », ou encore la célèbre assertion, << lafonctionfait l’organe ».Celle-ci sera souvent tournée en dérision avec l’exemple célèbre du cou des girafes ou des pattes palmées des canards créés par le besoin de ces animaux à manger en hauteur ou à nager dans l’eau... À chaque fois, c’est le mouvement des fluides qui est à l’origine de l’évolution des organes (renforcement ou disparition). Enfin, le dernier moteur de la transformation est l’hérédité des caractères acquis qui bien que formulée ponctuellement et de manière restreinte, lui sera constamment associée : (...) Un défaut d’usage constant de telle partie, (...) conservepour la génération de nouveaux individus qui en proviennent, pourvu que les changements acquis soient communs aux deux sexes, ou à ceux qui ont produit ces nouveaux individus3.D Fondateur de la biologie, Lamarck esquisse donc les contours d u n vivant encore flou, mais profondément enraciné dans un monde rationnel, où la physique prévaut. Son œuvre reste donc majeure par son influence ultérieure ; Darwin, lui-même, reconnaîtra avoir lu Lamarck. C’est un truisme d’énoncer que Charles Robert Darwin révolutionne la biologie du xrxe siècle. Avec Darwin, le naturalisme acquiert sur un socle scientifique, une indépendance nouvelle. Scientifique ayant épousé son siècle, né en 1809 et mort en 1882, rien ne le prédisposait à révolutionner la pensée biologique de manière aussi radicale. Son parcours universitaire est assez terne et erratique. Après avoir entamé des études de médecine par devoir filial en 1827, il les abandonne deux ans plus tard. Désespoir paternel
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du docteur Robert Darwin ; il est inscrit au Christ college de l’université de Cambridge en 1828 dans le but de devenir pasteur ... Derrière ce choix, se cache mal sa passion pour les sciences naturelles, son seul véritable pôle d’intérêt, comme l’atteste son goût immodéré pour les collections diverses. En effet, la charge de pasteur en milieu rural lui permettrait de s’échapper facilement et de pouvoir s’adonner à sa véritable passion : l’étude de la nature. Son destin va en décider autrement et lui ouvrir bien plus qu’il n’espérait. À Cambridge, il confirme son dégoût pour l’enseignement académique des sciences en décrochant péniblement un bachelor of arts. Mais plus que tout, Cambridge lui offre l’opportunité de croiser d’éminents naturalistes dont le botaniste John Stevens Henslow, proche de son jeune disciple, Charles Darwin. Cette rencontre, qui se transformera en liens amicaux forts et durables, sera déterminante pour l’histoire de la biologie. Après son départ de l’université en janvier 1831, Henslow contacte son élève pour lui proposer de partir en tant que naturaliste, sans traitement, à bord du H.M.S. Beagle brick de la Marine royale, pour un voyage circumterrestre. I1 embarque, non sans réticences paternelles, avec le titre officiel de médecin du bord. Son rôle est en réalité encore plus prosaïque. Le commandant de bord, le jeune capitaine Robert Fitzroy, de quatre ans son aîné, l’a surtout sélectionné pour remplir la fonction d’homme de bonne compagnie. Le voyage initiatique va durer près de cinq ans. I1 part de Devonport le 27 décembre 1831 et débarque définitivement le 2 octobre 1836 à Falmouth. Les premiers milles franchis, les frasques du capitaine Fitzroy, névrotique notoire aux convictions politiques et religieuses radicales, lassent le jeune naturaliste en devenir. Isolé, Darwin va pouvoir se donner à plein dans l’analyse des milieux naturels insulaires. En cinq ans, plus de 70 escales lui permettront de recueillir et de comparer de précieuses données. I1 visite les îles du Cap-Vert, le Brésil, la Patagonie, le Chili, le Pérou, et en septembre 1835 il atteint les îles Galapagos, point d’orgue du périple. L’étude de la faune de l’archipel sera la plus riche d’enseignement et permettra ainsi la naissance de l’idée maîtresse de sa théorie : la comparaison de la faune insulaire à la gamme continentale objective des différences notables ; les espèces ont dû évoluer graduellement. Son étude porte plus particulièrement sur les oiseaux et un groupe particulier de moineaux nommés M pinsons de Danvin ».I1 répertorie plus de treize variétés de pinsons qui se distinguent par des critères morphologiques et éthologiques. Toutes ces variétés réparties dans l’archipel rappellent celles du continent tout en différant singulièrement, comme si un individu issu du continent avait donné naissance à une descendance qui s’était diversifiée dans l’archipel. Un germe vient d’être planté dans l’esprit d u n naturaliste fécond. Le voyage se poursuit, toujours plus instructif : Tahiti, Nouvelle-Zélande, Australie, Tasmanie, île Maurice, le Brésil, les îles du Cap-Vert et enfin les Açores. Darwin achève son premier et dernier voyage de naturaliste le 2 octobre 1836. Une page fondamentale de histoire de la biologie
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vient de se tourner. Le ferment a trouvé son biotope, mais la gestation de la théorie va maintenant prendre plus de vingt-trois ans. Et encore, Darwin va devoir être poussé par ses maîtres. Ayant reçu un manuscrit de Wallace le 18 juin 1858 où l’évolution par sélection naturelle transparaît, Lye11 insiste auprès de Darwin pour organiser, le 1“ juillet 1858, une communication commune avec Wallace devant la Linnean Society of London. Wallace, modèle d’intégrité intellectuelle et de savoir vivre très britannique, ne revendiqua jamais une part de la paternité du concept de sélection naturelle. I1 laisse même Darwin modeler à souhait le monstrueux manuscrit de son Origine des espèces dont << la gestation D s’achève le 24 novembre 1859. Darwin, pour venir à bout de l’imposant ouvrage, avouera avoir travaillé plus durement << qu’aucun nègre sous lefouet ».S’intitulant originellement On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Strugglefor Life, l’ouvrage révolutionnaire est un véritable succès de librairie4. I1 est épuisé à peine mis en vente. I1 aura fallu plus de vingt ans à Darwin une fois débarqué du Beagle pour aboutir à la publication de son ouvrage révolutionnaire. Pendant ce temps, il a beaucoup mûri, beaucoup lu (dont les ouvrages de Malthus), beaucoup publié, beaucoup communiqué aux tribunes des sociétés savantes, fondé une famille en épousant sa cousine germaine qui lui donnera dix enfants. I1 n’y a donc pas de fossé, pas d’interruption, mais au contraire, un long continuum au cours duquel les idées vont pouvoir être ordonnées, expérimentées, associées, confrontées au sein dun grand mouvement de pensée largement évolutionniste des milieux naturalistes de l’Angleterre victorienne. Voilà brossé le cheminement d’un homme complexe qui se cherche, qui s’intéresse au vivant par l’histoire erratique et sinueuse qu’il a empruntée pour se construire. Sans le vouloir, il crée une brisure de symétrie, une fracture dans l’histoire de la biologie. I1 y a eu la compréhension du vivant avant lui, mais celle qui suivra n’aura plus rien à voir. Pour preuve si il en fallait encore, l’épaisse Histoire de la biologie d’Ernst Mayr articule ses deux tomes (des origines à Darwin et de Darwin à nos jours) en deux ères distinctes, tranchées par la révolution darwinienne5a6.Ultérieurement remaniée, intégrée à des concepts appartenant à d’autres champs de la biologie comme la génétique, la théorie de l’évolution de Charles Darwin reste le socle incontournable pour la compréhension de l’émergence du monde vivant. Quelles conjectures L’Origine des espèces introduit-elle alors ? Le paradigme darwinien est relativement simple ;il est cependant exprimé longuement avec force détails et explications pour prévenir les inévitables polémiques qui suivront. Les précautions multiples prises par Darwin font de L’Origine des espèces un ouvrage touffu et complexe. Pourtant, son << économie de la nature >> est facilement réductible à un conflit entre des populations en constante expansion et des ressources non extensibles. De cette concurrence, surgit le
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phénomène de sélection naturelle qui élimine de nombreux individus. Cette sélection s’applique aussi bien au sein dune même espèce que dans un contexte interspécifique. Au sein dune espèce, certaines variations inter-individuelles vont favoriser la survie de certains individus, pour tendre infine à produire de nouvelles espèces. Dans un cadre plus général inter-spécifique, la lutte pour la survie peut favoriser l’extinction de certaines espèces et la domination de certaines autres. Ce paradigme, si simple dans sa formulation mais si difficile à percevoir dans l’observation de la nature (à moins d u n sens aigu de l’observation forgé au cours d’un long voyage), est fort bien résumé par l’auteur : << Si nous oublions un instant que chaque espèce tend à se multiplier à l’infini, mais qu’elle est constamment tenue en échec par des causes que nous ne comprenons que rarement, toute l’économie de la nature est incompréhensible4. >> I1 crève les yeux que la théorie de l’évolution dans cette formulation est fortement inspirée de Thomas Robert Malthus, économiste anglais dont 1’Essay on the Principle of Population (paru en 1798) est dans les mains de Darwin en 1838, alors que sa théorie est, à ce moment-là, en pleine gestation. Malthus avait, sans le vouloir, défriché le terrain. Darwin ne se cache d’ailleurs pas de son inspiration économiste, il l’évoquera sans complexe : << C’est la doctrine de Malthus appliquée avec une intensité plus considérable à tout le règne animal et à tout le règne végétal ...4 >> Quelle que soit son inspiration, le modèle de l’évolution proposé par Darwin est cohérent. Ernst M a p en donne une exégèse très structurée en cinq faits et trois inférences’. Darwin énonce deux concepts qu’il est absolument nécessaire d’éclaircir sous l’éclairage de la connaissance au XIX‘ siècle, et de l’idée que s’en fait l’auteur : la sélection naturelle et les variations interindividuelles ... La sélection naturelle est le principe de base sur lequel s’articule toute la théorie de l’évolution. Ce principe innovant partie intégrante du titre de l’ouvrage de référence de Darwin est l’objet du quatrième chapitre. Cette sélection est conçue dans un cadre concurrentiel : le combat pour la survie, le strugglefor Zife. Ce combat, l’individu doit le mener chaque jour contre les conditions que lui impose son milieu naturel. Mais ce combat n’est pas statique, il n’aboutit pas à un équilibre tacite entre espèces existantes, mais conduit à un déséquilibre,qui provoque la dynamique évolutive. Ce déséquilibre est le moteur même de l’évolution. Les individus, porteurs d’un avantage sélectif, sont favorisés. À terme, c’est la disparition des ancêtres, et des moins avantagés dont l’accès aux ressources se tarit au sein d u n même << écosystème D : << D’après la théorie de la sélection naturelle, l’extinction des formes anciennes et la production de formes nouvelles perfectionnées sont deux faits intimement connexey. >> Une fois établies la sélection naturelle et ses conséquences multiples et déterminantes pour l’histoire du monde vivant, Darwin cherche à déterminer
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les causes de cette sélection. À l’évidence, celle-ci ne tient pas à la seule inadéquation entre taille de la population et ressources alimentaires. De nombreux autres facteurs peuvent intervenir et Darwin a parfaitement compris la complexité des relations possibles au sein d u n écosystème. Tout peut être facteur de sélection : aléas climatiques, multiplication des prédateurs, épidémies, isolement géographique sont même des facteurs beaucoup plus sélectifs que l’absence de nourriture :cc (...) ce qui détermine le nombre moyen des individus d’une espèce, ce n’estpas la dificulté d’obtenir des aliments, mais la facilité avec laquelle les individus deviennent la proie d’autres animaux. (...) Le climat joue un rôle important quant à la détermination du nombre moyen d’une espèce, et le retour périodique des froids ou des sécheresses extrêmes semble être le plus eficace de tous lesfreins4.B Néanmoins, le concept de sélection naturelle reste quand même très flou, tant dans sa définition que dans ses causes premières et ses conséquences. Darwin a du mal à y voir clair. L’Origine des espèces est construite par des variations sur un même thème. Exemples et contre-exemples critiques se succèdent ;les difficultés sont même avouées publiquement. Le deuxième terme est contenu dans ce que Darwin appelle les lois de la variation D dont il fait le chapitre cinq de l’Origine des espèces. Ce deuxième terme est crucial : sans variation, la sélection peut certes toujours s’exercer, mais elle perd son sens historique. La sélection ne peut plus favoriser un sens évolutif quelconque : elle n’agit plus qualitativement pour donner de nouvelles formes du vivant, mais quantitativement pour limiter des populations en croissance débridée. La difficulté principale de Darwin est l’absolue nécessité de l’existence de cette variabilité liée à une transmission héréditaire, alors qu’aucune loi de la génétique, et a fortiori la notion de mutation, n’est connue en 1859. I1 incorpore donc dans sa théorie une loi de la variation qu’il infère plus qu’il ne démontre. Le pressentiment s’avère très judicieux a posteriori ; les variations correspondent bien à des phénomènes génétiques liés à la reproduction sexuée. Cependant à l’époque, il faut bien donner corps aux phénomènes de variations. Darwin retient plusieurs types de variations : celles spontanées qu’il décrit très succinctement, celles liées à l’environnement, aux conditions de vie, et celles liées à l’usage et au nonusage. Darwin appuie son argumentation par une observation fort précise des variations dans les espèces << à l’état de nature N et domestiques. Seuls manquent cruellement les compléments qu’apporteront les généticiens pour produire la théorie synthétique de l’évolution. Ce trou dans l’argumentaire est cependant avantageusement comblé par de multiples explications parfois contradictoires concernant les causes de ces variations. Ainsi, le rôle du milieu extérieur sur les variations tend à rapprocher Darwin de la théorie transformiste de Lamarck, le rôle du milieu diluant même l’intérêt de la sélection naturelle. L’ambivalence du rôle du milieu est majeure : en insistant ((
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sur l’effet du milieu, comme inducteur d’une variation adaptative et héréditaire, Darwin se tourne vers le transformisme lamarckien ; alors qu’en insistant sur les effets indéfinis du milieu, l’explication devient néodarwiniste. Le génie de Darwin résulte dans la reconnaissance de ces deux mécanismes (sélection naturelle et variation) dont l’articulation de l’une sur l’autre permet enfin de proposer un modèle cohérent d’évolution du vivant au sein de la biosphère. Le siècle est coupé en deux par la publication de l’Origine des espèces. Avant 1859, la terre est peuplée d’espèces vivantes et fossiles dont la classificatio a été organisée par Linné, mais dont la cohérence phylogénique est absente. Après 1859, la terre trouve son unité, le vivant posséde une origine unique de laquelle dérive toute la diversité du monde présent. La fracture intellectuelle créée par Darwin est profonde, aussi, les remous dans la société dépassent largement le cadre du microcosme naturaliste. Chacun s’en mêle, et une nouvelle ligne de partage se crée dans la société anglaise : les évolutionnistes darwiniens et les créationnistes tenant de la Natural theology de William Paley pour qui la perfection de l’ordre naturel est la marque intime de l’existence divine. Le débat est vif et sans concession : les esprits restent encore marqués par la réunion houleuse devant la British Association for the Advancement of Science du 27 juin au 4 juillet 1860 au cours de laquelle s’affrontent Thomas Huxley surnommé N le bull-dog de Darwin B et l’évêque Wilberforce. Le second demande au premier s’il descend du singe par sa grand-mère ou son grand-père. Huxley répond alors sans vaciller qu’il préfère avoir un singe pour ancêtre plutôt qu’un homme capable de telles plaisanteries. De tels incidents, rarissimes devant les sociétés savantes, plus habituées à la finesse des traits d’humour et aux débats policés qu’aux esclandres et aux insultes grossières, traduisent bien << la fracture >> créée par Darwin dans la société anglaise victorienne. Darwin lègue donc aux générations futures une vision révolutionnée du vivant. Son œuvre n’est cependant pas achevée. En avance sur son temps, Darwin ne peut y intégrer les découvertes futures qui aboutiront au xx“siècle à la théorie synthétique de l’évolution. Peu importe, il plante avec l’Origine des espèces, le germe qui possède toutes les qualités pour s’épanouir dans la biologie du siècle suivant. La théorie de l’évolution de Darwin est progressivement intégrée dans les schémas de pensée classique, enseignée, modernisée et réactualisée à chaque avancée dans le domaine de la biologie en pleine ébullition. La théorie darwinienne de l’évolution ne représente donc pas une théorie achevée, fermée. Elle s’est enrichie des apports successifs de August Weissman, Gregor Mendel, Hugo de Vries entre la fin du XIX et le début de rn siècle. Le premier apport fut sans conteste celui de Gregor Mendel, père de la génétique moderne, qui formalisa, dans le plus complet isolement scientifique, les lois de la transmission des caractères héréditaires, énoncés en 1865 à la tribune de la société botanique de Brno en Moravie. Ces lois furent simultanément ré-identifiées en 1900 par trois botanistes : le Hollandais Hugo de Vries,
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l’Allemand Carl Correns, l’Autrichien Erich Tschermak von Seysenegg. L’histoire veut que, miraculeusement,de Vries découvre les travaux de Mendel grâce à l’indexation de ses travaux dans un ouvrage botanique entièrement consacré au pois. Après une querelle de paternité, tous trois reconnaissent finalement l’antériorité de Mendel. Ces lois permirent pour la première fois de formaliser la transmission des caractères héréditaires. Le terme de gène a été introduit plus tard par Wilhelm Johannsen. Le deuxième apport de la génétique fut sans conteste celui de Thomas Hunt Morgan, << père >> d’un célèbre groupe travaillant sur la mouche du vinaigre (drosophile savamment dénommée Drosophila melanogaster), qui associa les modifications chromosomiques à des modifications morphologiques, démontra le rôle des recombinaisons dans le brassage génétique lié au sexe et mis au point des méthodes de cartographie du génome. Avec Morgan, chromosomes et hérédité sont alors indéfectiblement liés. En 1933, le prix Nobel lui est attribué pour l’ensemble de ses travaux. Son œuvre est pionnière à plusieurs titres : sur le plan strictement génétique, il ouvre la voie pour la compréhension des mécanismes de l’hérédité, mais aussi il forge avec la drosophile un outil qui donnera d’autres découvertes en embryologie moléculaire. La drosophile entre, avec Morgan, dans le Panthéon des outils de la science. Le troisième siècle a été d’identifier les mécanismes à apport de la génétique du début du l’origine de la variabilité des gènes dans les populations avec notamment l’identification de phénomènes pouvant induire les mutations. C’est dans le groupe de Thomas Morgan que Hermann Joseph Muller identifia la possibilité d’induire avec une grande fréquence des mutations par irradiation des drosophiles par des rayons X. Les gènes n’étaient jusqu’aux travaux de Muller, que des entités dont il existait des allèles différents à l’état naturel. Mais l’origine de cette diversité restait grandement inconnue. Muller a été le premier à montrer qu’il est possible d’induire des mutations sur des gènes. En d’autres termes, il a démontré que le gène n’est pas immuable, mais qu’il peut être muté au cours du temps et que celui-ci a une histoire propre. La variabilité de la population à l’état naturel décrite par Darwin est donc liée à une << certaine historicité >> du gène. Cette découverte valut à Muller le prix Nobel de Médecine et, depuis, ces travaux ont été amplement complétés. Les mécanismes moléculaires de la genèse des mutations ont depuis été largement étudiés et d’innombrables types de mutations ont été décrites. La reconnaissance de ces phénomènes n’est pas sans conséquences sur la théorie de l’évolutionpuisqu’en effet, le mécanisme de la sélection n’existe que parce qu’il existe une diversité. La sélection ne s’opère pas << sur les possibles mais sur les existants >> comme le rappelle François Jacob. I1 va donc exister, en conséquence du polymorphisme génétique, un polymorphisme phénotypique sur lequel va pouvoir s’exercer la sélection naturelle. Du fait de leur variabilité intrinsèque liée à la mutagenèse, il existe pour un même gène plusieurs allèles, c’est-à-dire plusieurs << formes du gènes >> qui pourront avoir des expressions différentes dans le phénotype.
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Mendel montre que le croisement de deux adultes hétérozygotes donne naissance à une descendance dont la fréquence du phénotype est constante. Ces lois furent ensuite étendues à une population dans son ensemble. En première intuition, il pouvait paraître licite de penser que, dans toute population, l’expression des gènes dominants était retrouvée chez les trois-quarts des individus (proportion dans une descendance d’un couple hétérozygote d‘après les lois de Mendel). Pourtant, la réalité est tout autre. Ce paradoxe a été compris en 1908 par le mathématicien anglais Godfrey Harold Hardy et l’obstétricienallemand Wilhelm Weinberg qui formulèrent isolément la même loi. Ils montrèrent que la fréquence de deux allèles du même gène dans une population est déterminée dans des proportions qui n’ont rien à voir avec les lois de Mendel et que, par ailleurs, cette fréquence est constante au cours du temps. Cette loi est vérifiée si les croisements s’effectuent selon des conditions de panmixie (population de taille infinie et dans laquelle le choix du partenaire sexuel est totalement aléatoire). Ces deux conditions peuvent être considérées comme remplies en première approximation dans certaines populations. Toutefois, ces lois, une fois mises à jour, ne donnaient plus aucun sens à la théorie de l’évolution, car si elles admettaient les variations allèliques des gènes (et donc une variabilité), leur transmission était fixée de manière irréversible : la fréquence de la transmission des allèles est fixée au niveau du couple par les lois de Mendel et de la population par les lois de Hardy-Weinberg. La loi de Hardy-Weinberg est dite l’hypothèse nulle de l’évolution dont les critères sont remplis à l’état d’équilibre. Mais d’autres phénomènes peuvent modifier la répartition des fréquences allèliques dans la population en modifiant l’équilibre, permettant ainsi l’évolution : la dérive génétique et la sélection naturelle. La dérive génétique est définie comme la variation de la fréquence des allèles d’une population de gènes. Cette dérive est liée à des variations stochastiques totalement incontrôlables. Cette idée a été formalisée historiquement pour la première fois à partir de 1931 par un biométricien américain nommé Sewal Wright. Wright fut le premier à penser qu’en biologie, les populations ne vérifientjamais les critères de Hardy et Weinberg : taille infinie et panmixie. I1 focalisa alors son étude sur des populations de petites tailles soumises à des fluctuations aléatoires et donc à une dérive génétique très importante. Plus la population est de petite taille, plus la dérive est importante ce qui est aisément compréhensible. À l’extrême, une population fondée sur une île déserte par un seul couple de reproducteur ne possèdera que les seuls allèles portés par le couple fondateur. La population sera passée par un goulet d’étranglement de la diversité. D’un ensemble de panels d’allèles, la population n’aura plus le choix qu’entre ceux de deux individus fondateurs. Ce phénomène est connu des éleveurs depuis la nuit des temps. Par un jeu de croisements entre animaux d’une même portée et de croisements avec les parents, il est possible de créer des souches de souris quasi-jumelles : toutes
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possèdent le même patrimoine génétique. À l’inverse, d’autres souches de souris sont entretenues de manière à garder une certaine diversité génétique entre individus. Les éleveurs doivent alors constamment lutter contre cette dérive génétique qui leur pose souvent de gros problèmes. Mais la dérive génétique est un phénomène qui dépasse largement le cadre étriqué de l’élevage ; il est en fait très général en biologie. Ainsi les populations géographiquement isolées (par des barrières physiques, géographiques comme l’insularité), sont génétiquement beaucoup plus pauvres en termes de diversité. Les populations en voie de disparition sont très difficiles à << reconstituer D dans leur diversité originelle. Le passage d’une population par un goulet d’étranglement, comme lorsque celle-ci est dite en voie de disparition transitoirement, laisse des traces très importantes en termes de diversité génétique : de nombreux allèles sont alors perdus, d’autres plus ou moins délétères peuvent être fixés. Cette perte de diversité n’est pas une vague notion biologique : elle a des répercussions sur le fonctionnement biologique de l’espèce et à terme sur sa survie. Ainsi dans ces populations, la fréquence statistique de l’homozygotie augmente, ce qui induit mécaniquement l’expression phénotypique de très nombreux allèles récessifs dont le caractère délétère peut alors pleinement s’exprimer. Par ailleurs, au sein d u n e population quasi-clonale, l’arrivée d’un pathogène très virulent, peut conduire à la disparition de l’espèce infectée. En effet, la diversité génétique est la base d’une des stratégies majeures pour une population de lutte contre les agressions. Si un pathogène utilise une faille laissée par un hôte quasi-clonal, la survie de l’espèce est gravement mise en jeu. Diversité allèlique et brassage génétique sont des facteurs essentiels pour la survie d’une espèce face à l’émergence d u n nouveau pathogène. Le deuxième facteur de variation des fréquences alléliques dans une population est lié au rôle de la sélection naturelle. Le premier à avoir eu l’idée que la sélection naturelle joue un rôle sur la répartition d’allèles dans une population est un statisticien anglais au nom célèbre : Ronald Aylmer Fisher. I1 forgea de nombreux outils statistiques (dont la variance) et appliqua avec succès les lois de la statistique dans le domaine de la génétique. I1 publia le premier, dès 1922, une théorie génétique de l’évolution basée sur l’idée d u n << équilibre adaptatif »,étape ultime de la sélection. Pour Fisher, l’histoire dune population est le produit d’alternances entre des périodes de déséquilibreliées à l’apparition de nouveaux allèles et des périodes d’équilibres qui résultent de la sélection de l’allèle le plus adapté. La sélection naturelle aurait ici pour effet d’être homogénéisante. À partir de 1924, le généticien anglais John Burdon Sanderson Haldane apporte des critiques à la vision de Fisher, notamment sur l’indépendance des gènes dans le traitement statistique. Haldane ayant travaillé en cytogénétique sur les problèmes de linkage sait l’importance des remaniements chromosomiques pour l’évolution. À partir des années 1930, la théorie de l’évolution est ré-analysée à la lumière de l’ensemble des connaissances acquises par la génétique des
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populations pour aboutir à la genèse de la théorie synthétique de l’évolution, encore appelée << la Synthèse ».Ernst Mayr, naturaliste, systématicien de renom participa à cette re-formulation avec Theodosius Dobzhansky, généticien des populations membre du groupe de Morgan, George Gaylord Simpson paléontologue et Julian Huxley biologiste et petit-fils de Thomas Huxley, le << bull-dog de Darwin ».Chacun y participa en apportant une vision de la théorie de l’évolution sous l’angle de << sa spécialité ».Dobzhansky a joué dans ce groupe un rôle majeur, tant par l’originalité de son apport que par son imposante production scientifique. I1 est aussi le premier du groupe à publier en 1937,Genetics and the origin of species, un ouvrage qui restera une référence en matière de synthèse entre la théorie de l’évolution et la génétique moderne7.Cet ouvrage énonce les conséquences de la formalisation de la génétique dans une perspective évolutionniste. Ainsi, Dobzhansky, cytogénéticien associé au groupe de Morgan, relie la prévalence des anomalies chromosomiques, qu’il cartographie chez la drosophile à l’état sauvage, à une valeur sélective différentielle des mutations. Dans Genetics and the origin of species, il propose clairement que les variations observées dans les populations à l’état naturel selon le concept de Darwin soient liées à des mutations et que celles-ci puissent avoir une valeur sélective différente. Par ailleurs, il propose une définition moderne de l’espèce comme communauté de reproduction. Enfin, il remarque différents mécanismes de spéciation liés soit à un isolement géographique, soit à un isolement reproductif. Par cet ouvrage Dobzhansky influencera fortement les autres fondateurs de la théorie synthétique de l’évolution dont notamment Ernst Mayr et George Simpson. George Gaylord Simpson, paléontologiste de renom, apporte les lettres de noblesse à ce champ des sciences qui n’était jusqu’alors que le marchepied de la théorie de l’évolution. En 1944 il publie Tempo and Mode in evolution qui va participer à réinsérer le rôle central du temps en biologie et à montrer que les modifications observées à l’échelle des temps paléontologiques trouvent leur source dans les modifications induites par les mutations à l’échelle de temps de généticiens’. Simpson introduit en paléontologie la biométrie et l’outil statistique pour mesurer les variations dans des populations disparues. Parallèlement, en 1942,l’Anglais Julian Sorel1 Huxley et l’Américain Ernst Mayr publient deux ouvrages qui finiront d’achever l’élaboration de la théorie synthétique de l’évolution. Julian Huxley dans Evolution, the modern synthesis refonde la synthèse entre génétique des populations et théorie de l’évolution’. I1 s’attaque alors au problème de la définition de l’espèce et aux mécanismes de spéciation. Cependant son travail reste trop général et sera moins connu que celui d’Ernst Mayr. Mayr avec Systematics and the origin of species” publie un ouvrage qui a l’ambition de répondre à Genetics and the origin of species publié cinq ans plus tôt par Dobzhansky. Le travail est à la hauteur de ses ambitions. Le rôle de l’espèce y est précisé, les mécanismes de spéciation et d’adaptation mieux appréhendés. I1 sépare des mécanismes
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d‘adaptation intraspécifiques qui concernent l’adaptation d’une espèce à son environnement ou microévolution, des mécanismes d’adaptation qui conduisent à la spéciation ou macroévolution. À l’intérieur d u n e population ou entre des populations, les transferts géniques sont libres. Le seul obstacle aux transferts géniques est alors représenté par la spéciation. En effet, deux espèces différentes, même proches phylogéniquement, ne peuvent se croiser c’est-à-dire échanger du matériel génétique. C’est la base de la définition d‘espèce par Mayr : une espèce regroupe un ensemble d‘individus interféconds. Cette définition est importante. C’est là que réside l’apport de la théorie synthétique dans laquelle l’espèce biologique est à la fois une unité de classification et d’évolution. L’espèce est donc l’élément de base de l’évolution. Une fois un mécanisme de spéciation achevé, le retour en arrière est impossible. À l’inverse, c’est au sein de l’espèce que se déroulent les mécanismes évolutifs. La théorie synthétique fait une place importante aux mécanismes de spéciation. À l’origine,le mécanisme décrit par Mayr est celui de la spéciation géographique dite encore allopatrique. Des études de génétique des populations ont permis de montrer que des populations proches géographiquement, mais sans échanges, tendent à diverger de manière notable rapidement. Ces phénomènes sont favorisés dans des cas d’isolement géographique caractérisé, comme peut l’être l’insularité. Charles Darwin lui-même, avec ses célèbres pinsons, a bénéficié de l’effet accélérateur de l’insularité. À l’inverse, les migrations tendent à réduire la divergence génétique des populations. Dans ce modèle, l’événement à l’origine de la spéciation est extrinsèque, c’est la barrière géographique qui induit la divergence des populations ; cellesci, même rapprochées, ne peuvent plus se reproduire et la spéciation se trouve alors achevée. Ernst M a y récuse le modèle de spéciation dans des populations qui cohabitent (un modèle de spéciation dit sympatrique qui peut-être dictée par des remaniements génétiques qui rendent les individus mutés non interféconds avec leurs parents). I1 présentera plus tard un modèle de spéciation péripatrique (petite population périphérique à la niche écologique qui s’isole). La Synthèse a été enseignée, depuis sa formalisation, comme un dogme qui a nourri des générations de biologistes, avant que de nouvelles propositions d’un certain nombre d’individus iconoclastes ne soient émises et viennent modifier sensiblement le modèle initial.
Quelques aspects modernes de l’évolution : une théorie revisitée ? La théorie synthétique de l’évolution a été affinée, enrichie et même contestée, non pas dans sa réalité mais dans l’analyse critique de ses moteurs par plusieurs modèles théoriques récents : d’une part le modèle neutraliste de
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l’évolution de Motoo Kimura qui a été rapidement intégré par de nombreux autres zoologistes dans leurs réflexions, d’autre part l’œuvre de Stephen Jay Gould et le modèle des équilibres ponctués qu’il a proposé avec Niles Eldredge, et enfin le modèle << molécularisé D de l’évolution selon Richard Dawkins. La théorie neutraliste de l’évolution est énoncée par Motoo Kimura en 1968”.I1 propose que l’évolution soit le produit de l’accumulation de nombreuses mutations génétiques sans aucune valeur sélective (valeur neutre) ou de mutations à très faible valeur sélective. Dans ce modèle, l’évolution résulte alors de la fixation de mutants aléatoires sélectivement neutres et non d‘une sélection positive classique. Ce modèle est entièrement différent dans le sens ou le moteur de l’évolution est la dérive génétique de la population et non plus la sélection positive de certains allèles. Certains allèles (et même la plupart) sont éliminés par dérive aléatoire, alors qu’une minorité est réellement porteuse dune valeur sélective positive intrinsèque. Dans la vision de Kimura, l’évolution est complètement inversée dans ses moteurs. La sélection naturelle ne joue plus qu’un rôle de deuxième rang, puisque la plupart des mutations n’ont aucune valeur sélective. Un certain nombre de démonstrations ont été apportées par Kimura et son équipe”. Les arguments reposent par exemple sur le fait que les gènes codant certaines protéines peuvent subir des mutations dans certaines zones sans aucune répercussion fonctionnelle sur l’activité de celles-ci, alors que dans d’autres zones (site actif dune enzyme, zone d’interaction avec d’autres protéines) les mutations modifient complètement leurs fonctions. I1 en résulte que dans certaines zones, des mutations s’accumulent sans aucune répercussion fonctionnelle (et donc sans aucune valeur sélective) alors que, dans d’autres, les mutations sont beaucoup plus rares, car quand elles surviennent, elles sont éliminées par sélection en raison de leur valeur sélective négative. La théorie neutraliste de l’évolution n’est pas en complète opposition avec le modèle darwinien dans lequel l’évolution est gouvernée par la sélection naturelle, mais elle révèle plutôt une face cachée de celle-ci. Elle met en relief le rôle prépondérant de la dérive aléatoire au niveau moléculaire et ramène l’apparition de mutations sélectivements positives au rang de phénomène exceptionnel. En 1972, Gould et Eldredge jettent un pavé dans la mare de la théorie synthétique de 1’é~01~tion~*~’~. S’appuyant sur l’étude des différents fossiles dans les strates géologiques, ils considèrent que l’évolution n’est pas graduelle au contraire. Tout semble montrer que certaines espèces n’évoluent pas sur de très longues périodes de plusieurs millions dannées, avant de voir apparaître de brusques changements évolutifs sans espèces intermédiaires. À de longues périodes de stase évolutive pendant lesquelles l’espèce est en équilibre avec son milieu succèdent des périodes de spéciation qui ponctuent chaque période. L’évolution aurait un tempo. Cette vision est en rupture avec le
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modèle de Darwin qui clamait : << Comme la sélection naturelle n’agit qu’en accumulant des variations légères, successives et favorables, elle ne peut pas produire des modifications considérables ou subites ;elle ne peut agir qu’à pas lents et courts. Cette théorie rend facile à comprendre l’axiome : Natura non facit saltum, dont chaque nouvelle conquête de la science démontre chaque jour un peu plus la vérité4. N Darwin était probablement inspiré à cette époque par le modèle dune évolution graduelle liée au progrès. Cette conception a survécu longtemps à Darwin et a donné naissance au concept de gradualisme : les espèces évoluent par modifications graduelles constantes au cours du temps. Pour Gould et Eldredge, au contraire, l’évolution ne s’est pas faite de manière graduelle. I1 existe de nombreuses traces dans les restes fossiles de modifications et de radiations brutales : l’explosion radiative cambrienne, les extinctions massives des dinosaures à la fin du secondaire ... De même, l’évolution a souvent subi de grandes phases de stases sur des périodes de plusieurs millions d’années, ce qui permet à Gould et Eldredge dénoncer que G la stase est la règle ».De plus, la stabilité des espèces a été validée notamment lors de périodes d’instabilité environnementale comme les modifications climatiques lors de glaciations. Ces données permettent de penser que la stabilité est liée à des mécanismes actifs et non pas uniquement passifs. Ces phases de stases ont été suivies par des accélérations faramineuses : de brutales explosions du nombre d’espèces, des bouquets de diversifications qui tranchent singulièrement avec les périodes qui avaient précédé. Ces données étaient connues depuis longtemps, mais leur formalisation théorique ne s’est réalisée que grâce à la ténacité et l’acuité de Gould et Eldredge. En effet, pour la communauté des paléontologistes et des spécialistes de l’évolution, ces données ne reflétaient que les imperfections de la conservation et de la mise à jour des fossiles. L’aspect ponctué de l’évolution ne reflétait alors que l’état dune science fragmentaire dont de nombreuses données avaient été effacées,voir même jamais conservées. Cette explication négative à propos de l’aspect des données, longtemps prégnante, a permis au gradualisme de survivre pendant longtemps. Ainsi, l’évolution de la lignée qui a donné naissance au cheval moderne passait pour un paradigme du gradualisme. Or, cette lignée évolutive a été réévaluée dans le cadre d’une évolution ponctuée. Ce modèle est en effet un des rares pour lequel les paléontologues possèdent toutes les espèces intermédiaires fossiles, ce qui peut donner en même temps l’impression dune gradation évolutive et l’impression qu’il existe un sens à l’évolution. En fait, toutes les lignées intermédiaires ont subi de longues périodes de stases avant de donner naissance, au cours de périodes brèves, à un nouveau lignage. Cet exemple célèbre n’est donc aucunement une exception qui confirme la règle. Cette théorie a été régulièrement confirmée par des apports nouveaux de la paléontologie, de la génétique moléculaire, de l’embryologie comparée. Ainsi, les modifications morphogénétiques nécessitent des mutations et des
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modifications dans les gènes impliqués dans le développement. Les contraintes existantes sur ces gènes sont grandes, puisqu’ils ont été conservés depuis leur apparition chez les invertébrés et les vertébrés. L’apparition de mutations stables permettant la genèse d’une nouvelle espèce est donc probablement un événement rare, qui explique les longues périodes de stases. Une fois apparue, la nouvelle lignée va être rapidement isolée et une nouvelle espèce se trouvera alors fondée sur une courte période de temps :la ponctuation. Dans ce modèle, Gould et Eldredge inversent les lois de la mécanique de l’évolution selon la Synthèse. Dans les équilibres ponctués, la spéciation n’est pas la conséquence de l’adaptation. 11 existe des grandes phases de spéciation rapide comme lors des grandes radiations au début du primaire, puis l’adaptation s’effectue ensuite lors des grandes phases de stase évolutive. Gould donne aussi une grande place à la contingence et au rôle du hasard notamment dans les phénomènes d’extinction de masse. Ces cataclysmes écologiques sont survenus au moins plusieurs fois dans l’évolution des êtres vivants, mais leur importance a été sous-estimée. Les causes de cette sous-estimation sont multiples. Mais il faut y voir essentiellement les stigmates d u n désintérêt des paléontologistes pour les causes d’un phénomène qui n’a rien à voir avec leur objet d’investigation. En effet, l’explication la plus rationnelle de ces catastrophes évolutives est la survenue de modifications brutales de l’environnement. I1 s’agit donc de phénomènes liés à des contingences externes et non pas de mécanismes intrinsèques à la vie. Pourtant, ces catastrophes ont probablement joué un rôle majeur dans l’évolution. Si les dinosaures qui peuplaient la terre avec un certain succès évolutif à la fin de l’ère secondaire n’avaient pas brutalement disparu, ils n’auraient jamais permis aux mammifères d’évoluer et de donner naissance à l’espèce humaine après leur explosion évolutive. L’évolution est donc aussi faite de ces contingences-là. L’histoire de l’évolution dépend de la capacité d‘adaptation des espèces à un environnement hostile, improbable mais qui peut survenir du fait d’un cataclysme majeur. Cet argument a été beaucoup reproché à Stephen Gould, car il nécessite de faire intervenir l’hypothèse que des conditions différentes auraient pu faire émerger d’autres issues dans le processus évolutif. S’il est clair qu’un résultat d’évènements contingents ne devient pas nécessaire parce qu’il est survenu, l’utilisation du conditionnel contrefactuel >> comme base de réflexion doit être examinée avec rigueur. Claude Debru dans son ouvrage Le possible et les biotechnologies examine attentivement l’utilisation de ce mode de raisonnement par Gould4. Ainsi, il rappelle l’énoncé de Nelson Goodman selon lequel << la nature même d’un contrefactuel empêche toute vérijkation empirique directe par la réalisation de son antécédent ».I1 y a donc ici un problème épistémologique. Une assertion produite par l’utilisation du conditionnel contrefactuel est par nature infalsifiable au sens de Karl Popper, puisqu’il est impossible à la fois de remonter le temps et d’imaginer revenir aux conditions dans lesquelles des (<
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événements contingents de l’évolution, comme les grandes extinctions, sont survenus. Les différentes possibilités de ramification du futur antérieur hypothétique ne sont pas testables. Par extension, ces conjectures non testables doivent être examinées avec la plus grande délicatesse. Claude Debru rappelle ainsi que << (Le) but (de Stephen Gould) était de s’opposer aux visions nécessitaristes de l‘histoire, et à l’idéologie qui voit dans l’homme le produit nécessaire dune évolution biologique (...) finalisée. Dans cette démonstration, la contingence était équivalente à la notion d’un processus évolutif qui ‘aurait pu’prendre des directions différentes. Mais la critique d’une idéefausse, celle d’une philosophie nécessitariste, n’est pas nécessairement effectuée par des arguments d’égale valeur. Vouloir trop démontrer est peut-être rester prisonnier dune alternative mal posée, et d’instruments rationnels peut-être inadéquats. >> Cette critique est pertinente, mais elle ne doit pas cacher l’intelligence des observations de Stephen Gould. En effet, si le raisonnement en lui-même n’a pas toute la rigueur au regard d’une analyse critique épistémologique, il n’en reste pas moins que ces propositions gardent une grande force heuristique. Stephen Gould a fait progresser la théorie de l’évolution comme jamais depuis l’émergence de la Synthèse. Des regards critiques de la théorie de l’évolution lui rendent même un hommage appuy&. Par ailleurs, Stephen Gould a clarifié un certain nombre d’autres points, comme la différence qui existe entre diversité et disparité des espèces biologiques. La notion de diversité est simple à appréhender. I1 s’agit du nombre d’espèces qui existent à un instant donné dans un écosystème donné. En revanche, la disparité est le nombre d’espèces qui utilisent le même plan de développement. Selon le raisonnement de Gould, le nombre de plans de développement utilisés par les animaux est actuellement relativement restreint. De nos jours, la disparité biologique est beaucoup plus restreinte que lors de la grande radiation qui a eu lieu au Cambrien. L’analyse des animaux contenus dans le schiste de Burgess a en effet révélé l’existence d’animaux fantastiques dont la structure ne révèle aucune homologie avec ce qui est actuellement connu. Certains plans de développement ont complètement disparu comme les trilobites. Pour Stephen Jay Gould, cette disparition est probablement entièrement contingente. C’est-à-dire que si le cours de l’histoire de la vie reprenait une deuxième fois au moment de l’explosion cambrienne, des plans de développement entièrement différents de ceux qui ont survécu pourraient être sélectionnés. Le hasard, l’environnement contingent jouent un rôle majeur d’après Gould dans l’évolution comme il l’énonce dans La vie est belleI6.Dans cet ouvrage, il expose avec une grande érudition la problématique des magnifiques fossiles du schiste de Burgess, ainsi que l’extravagante histoire de leur découverte par Charles Doolittle Walcott Jr. I1 rappelle aussi leurs re-découvertes, et la ré-écriture de la description de cet animal fabuleux nommé Opabinia par Harry Whittington en 1975. I1 possède
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cinq yeux, une trompe frontale munie d’une pièce de deux moitiés chacune garnie d’épines à son extrémité, un tube digestif central formant un << U D au niveau de la tête, et une partie principale de quinze segments ! La disparition d’animaux aussi surprenants que complexes pose évidemment la question de la cause de leur disparition brutale. Stephen Gould pose aussi la question fatale : << Et si on redéroulait lejZm de la vie ? L’expérience cruciale. n Un peu plus loin il explique : << Des groupes entiers peuvent survivre ou périr pour des raisons n’ayant aucun rapport avec les bases darwiniennes du succès en temps normal. Même si les poissons affinent leurs adaptations jusqu’à atteindre les sommets de la perfection aquatique, ils périront tous en cas d’assèchement des mares. Mais ce vieux minable de dipneuste, la risée des spécialistes des poissons, peut, dans de telles conditions, se tirer daflaire - et pas parce qu’un renflement sur les nageoires de son arrière grand-père a prévenu ses ancêtres de l’impact imminent d’une comète. Le vieux dipneuste et sa descendance ont triomphé parce qu’ils possédaient une caractéristique anatomique apparue bien longtemps auparavant et utilisée jusque-là à d’autres$ns :par hasard, elle leur apermis de survivre lors d’un soudain et imprévisible changement dans les conditions de milieu ». Richard Dawkins, professeur à l’université d’Oxford, présente une autre variante de la théorie de l’évolution du vivant. Dawkins est fasciné par les mécanismes qui ont présidé à l’émergence du vivant. I1 a donc choisi un modèle qui puisse rationnellement en donner une explication. Pour Dawkins, le paradigme darwinien se déplace, se molécularise. L’objet de la sélection naturelle n’est plus l’individu mais ... le gène. Mais Dawkins ne s’arrête pas en si bon chemin. I1 pousse le raisonnement jusqu’au bout. Tout est réductible au gène. Chacun de nous n’est d’ailleurs que l’expression coordonnée d’un fatras de gènes empêtrés dans << une machine à survie ». << Il n’y a pas de doute que, dans certaines occasions, les gènes, pour maximiser leur bien être individuel, organisent des coopérations désintéressées, ou même l’autosacrifice de l’organisme lui-même. Mais le bien-être du groupe est toujours une conséquence fortuite, jamais l’élément moteur. C’est ce que veut dire l’expression “le gène égoïste” >> déclare Dawkins17. Le gène est le véritable objet de la sélection naturelle. L’individu, le groupe d’individu, le clade, l’espèce sont des entités qui sont complètement balayées par ce nouveau modèle. Même si le moteur de l’évolution reste celui proposé par Charles Darwin, le modèle de Dawkins est complètement nouveau. À partir du thème du << gène-égoïste », Dawkins glisse et propose une vision du vivant entièrement centrée sur le gène. Le gène, entité sur laquelle agit la sélection naturelle, devient l’essence même de la caractérisation du vivant. Le produit de l’expression du gène : le système cellulaire, l’être vivant avec son phénotype, son caractère, ses forces et ses faiblesses n’est plus que le support matériel du gène. Le gène est alors matérialisé par le phénotype. La cellule n’est que
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l’encombrante expression du gène, comme le corps peut l’être pour l’âme. Le gène égoïste est le véritable objet de la sélection darwinienne. Son unique but << dans la vie D est d’optimiser sa reproduction. Dawkins nous offre donc une vie centrée sur le gène non pas seulement égoïste mais gène-roi au centre d u n monde décharné. Le gène est au centre de tout, dirigeant tout, supervisant tyranniquement son embarcation, immortel dans son message. Son seul centre d’intérêt est sa réplication, quels que soient les véhicules corporels qu’il emprunte au cours de son périple. Cette vision est sans doute simplificatrice à plus d’un sens. Cristallisant les grandes fonctions << régaliennes B cellulaires, situées au centre géométrique de toutes les cellules, il eût été surprenant que l’on ne prête pas aux gènes, plus que de mesure. Dawkins n’échappe pas à la critique, en donnant au gène une dimension éthérée, comparable à l’âme dans un modèle de théorie de la réincarnation. Alors faut-il percevoir un gène-roi, un gène-égoïste, ou un gène-divinité ? Pourtant, cette vision est renforcée par plusieurs constats de la biologie eucaryote. Cette théorie du gène-égoïste a même été renforcée par celle de l’ADNégoïste, d‘abord, par la très grande abondance de séquences apparemment inutiles, ou au moins superfétatoire dans les génomes eucaryotes. Ainsi certaines séquences ne semblent avoir d’autres fonctions que leur reproduction aux dépens d’un organisme complexe... c’est l’ADN égoïste, qui plus est fainéant, dont le seul but est l’auto-duplication et le maintien en l’état dans le génome. Par ailleurs, l’analyse comparée de séquences en phylogénie moléculaire a montré que la vitesse d’évolution des gènes n’était pas uniforme, loin de là. L’analyse comparée des séquences est donc flagrante. Le moteur évolutionniste ne tourne absolument pas au même régime à l’intérieur du génome. Certains gènes évoluent vite, alors que d’autres semblent immuablement stables. L’entité pertinente d’analyse de la sélection naturelle n’est donc pas l’être vivant dans sa complexité, mais le gène, entité individuelle, dont le seul but égoïste est d’être transmis à la génération suivante. Le vivant n’est alors plus un tout dont l’agencement complexe peut être regardé avec admiration, mais un fourre-tout anarchique. Dans cette cacophonie, chacun des composants du génome ne regarde que son intérêt propre en cherchant à se répliquer de la meilleure façon possible. À l’intérieur des populations, la sélection naturelle, élimine les gènes les moins aptes à la survie et sauvegarde les entités géniques les plus pertinentes, qui auront droit à la reproduction. De cette définition, le gène s’en tire d’ailleurs relativement mal, puisque la définition de celui-ci repose sur une unité fonctionnelle de séquences (pas toujours linéaire) dont le seul but est l’expression régulée d u n produit. Dans le gène, il n’existe point de notion de succès reproductif. Dans cette perspective de gène-égoïste, le gène perd son poids au profit de la séquence. La séquence n’est pas forcément insérée dans une structure fonctionnelle dont l’organisation est téléologiquement orientée sur la production régulée d’une molécule.
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La séquence est là, sans but autre que la reproduction à l’identique. Cette notion a abouti à la publication d’un article célèbre dans la revue Nature en 1980 par Leslie Orgel et Francis Crick : Selfish DNA: The ultimate parasite (L’AûN égoïste : le parasite ultime)”. Ces travaux succédaient à la découverte assez surprenante que les gènes, dans les espèces supérieures, étaient ponctués de séquences inutiles : les introns qui sont excisés lors de la maturation de la molécule d ’ A m messager. À l’intérieur d’un gène, de nombreuses séquences ne semblent avoir aucune fonction, mis à part leur simple soif de réplication aux dépens du gène. Ces introns ayant un coût de réplication pour l’individu, il fallait proposer une hypothèse explicative à ce gaspillage apparent d’énergie pour la cellule. Orgel et Crick ont alors proposé que ces séquences soient des parasites de l’ADN, séquences sans objet de transcription finale et produits d’une molécule dont G l’esprit réplicatif D serait en quelque sorte perverti ... Paradoxalement, le rôle (ou l’absence de rôle) de ces séquences d’ADN reste très discuté. Des analyses récentes plus fines issues du décryptage du génome humain semblent infirmer cette idée‘’. Une étude portant sur l’ensemble des séquences du chromosome vingt-et-un chez l’homme et quinze autres mammifères laisse penser que les régions non-codantes du génome semblent-elles aussi subir une pression sélective. Ainsi ces séquences au N rôle >> inconnu ne se cantonnent pas uniquement à une existence égoïste, à une présence inerte et superflue, mais joueraient un rôle qu’il reste encore à découvrir : régulation de la e structure D du génome ou des chromosomes, voire des fonctions qui n’ont pas encore été identifiées. D’autres résultats non moins récents affirment l’inverse ! Des souris dont on a supprimé deux immenses régions du génome sans fonction connue se portent comme des charmes (au moins à la première génération)’”. Alors que certains pensent que l’expérimentation sur des souris prévaut à des analyses de séquences effectuées sur ordinateur, les tenants de l’analyse informatique répondent que leurs résultats sont plus fiables, car le fait de survivre une génération pour un animal est une démonstration moins puissante que de porter des stigmates génétiques d’une sélection darwinienne de plusieurs millions d’années... Logiquement, toute population peut aussi se réduire à un ensemble de gènes. L’aperçu de la vie de cette population est donné par l’image d’un fleuve de gènes qui coule dune source unique dont la séparation en autant de bras représente autant d’espèces au cours de l’évolution. << Pour le gène, il n’y a que la perspective à long terme d’unjleuve d’ADN qui traverse les générations, abritées seulement pour un temps dans des corps particuliers, partageant seulement pour un temps un corps avec d’autres gènes, compagnons de route, qui pourront “échouer”ou “réussir”eux aussi2’. B Au sein de ce fleuve de gènes s’opère la sélection naturelle. Mais celle-ci s’exerce uniquement sur les gènes. La vie, c’est donc ce fleuve de séquences qui coule paisiblement, encombrées qu’elles sont par les corps successifs qui les abritent, mais qui ne
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sont, in fine, que des vecteurs transitoires, plus ou moins performants de cette mélasse de gènes. Cette vision est évidemment en opposition complète avec la classique Synthèse et a été vertement critiquée par les paléontologistes dont Stephen Gould.
De la théorie de l’évolution à la pratique Théorie non réfutable au sens de Karl Popper, la théorie de l’évolutionsemble d’une résistance exceptionnelle au temps. Et la nature semble lui obéir comme un animal dressé pour un numéro de cirque. Pour preuve, nous avons choisi deux exemples récents, deux découvertes qui concordent étonnement,là où les opposants pointaient les faiblesses d’une théorie en mal d’explications :l’origine des oiseaux, et l’origine des yeux dans le monde animai. Enfin, nous montrerons que des champs nouveaux d’explorations de la théorie de l’évolution sont apparus avec la naissance de 1’« évo-dévo ». La naissance des oiseaux a souvent été l’objet de nombreux combats acharnés. Jusqu’à récemment, le seul ancêtre connu des oiseaux était 1’Archaeopteryx découvert en Bavière en 1846, dont l’âge est évalué à cent cinquante millions d’années. Couvert de plumes, constitué d’un squelette se rapprochant de celui des oiseaux, mais porteur d’une mâchoire dentée et d’une queue rappelant les reptiles, ce fossile pose plus de problème qu’il n’apporte de réponse. Une des controverses majeures concerne sa capacité putative à voler. Pour certains, l’anatomie de ses ailes ne le permet pas. Récemment une étude scannographique de son crâne a révélé que son cerveau possédait des aires motrices et des aires de la vision comparables à celles des oiseaux d’aujourd’hui et donc un cerveau compatible avec le vol”. Contrairement aux idées qui figeaient Archaeopteryx dans son rôle de chaînon manquant bâtard, cette étude réintigre donc Archaeopteryx dans le clan des oiseaux dentés ! Mais les questions restent nombreuses : en matière d’oiseaux, c’est d’ailleurs une question de principe avec le classique paradigme de l’œuf et de la poule, on ne sait jamais trop quoi est l’origine de quoi. Pour l’occasion, ce sont les plumes des oiseaux, encore nommées savamment rémiges, qui posent un problème. Ces ramiges sont-elles apparues alors que l’animal avait déjà appris à voler ? ou est-ce parce qu’il porte des plumes qu’il a pu apprendre à voler. Une ébauche de réponse est venue de Chine, où une volière préhistorique est en cours de mise à jour. La province du Liaoning au nord-est de Pékin attire l’attention des paléontologues du monde entier. En 1996, deux spécimens d’un dinosaure carnivore, Sinosauropteryx, dotés d’une étrange toison, ni vraiment plume, ni réellement poil étaient extraits d’une couche datant de cent quarante-cinq millions d’années... Plus récemment une découverte surprenante a fait les gros
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titres de la revue Naturez3.Et pour cause, deux nouvelles espèces ont été exhumées de la volière : Caudipteryx zoui et Protarchaeopteryx robusta. Or, ces deux espèces de dinosaures de la famille des théraupodes ressemblent à s’y méprendre à des oiseaux. Ils portent un bec, ressemblent à une petite dinde couverte de... plumes. La plume, caractère-clé des oiseaux pour les paléontologues, ne l’est plus désormais, puisque certains dinosaures arboraient des plumes. Malgré le casse-tête que cause cette petite bête pour les paléontologues, cet animal a des aspects bien sympathiques. 11permet en effet de disjoindre l’apparition des plumes et l’envol de l’oiseau, puisqu’il existe des dinosaures à plumes non-volants. Car une chose est sûre : ni Caudipteryx zoui, ni Protarchaeopteryx robusta ne volaient. Vouloir lier le vol et la plume implique une relation de téléonomie entre ces deux entités. La plume aurait été porteuse du projet de l’envol. Or, il paraît difficile d’imaginer qu’un organe aussi complexe n’ait été créé avec pour seul objectif le vol, sans se résigner à abandonner l’idée d’une sélection naturelle aveugle. I1 faut alors réhabiliter d’urgence la théorie de l’hérédité des caractères acquis... Les plumes ont poussé sur les oiseaux dont le rêve était de voler. Cette découverte récente met un terme final à ces discussions qui semblaient mettre en défaut la théorie darwinienne de l’évolution. La plume n’a pas plus été créée dans la finalité unique du vol qu’elle n’est spécifique des oiseaux. Ainsi, bien que longtemps critiquée, même de manière récente, la théorie de l’évolution reste robuste. À ce jour, aucune découverte paléontologique ne permet d’infirmer son bien-fondé. Toutes viennent modifier le modèle par petites touches, pour donner à chaque fois une vision plus cohérente. L’apparition de l’œil dans le monde du vivant a toujours fait figure de paradoxe dans la mesure où Darwin lui-même semblait douter de son origine difficilement compatible avec sa théorie de l’évolution : << Supposer qu’avec toutes ses inimitables dispositions pour l’ajustement à diverses distances de sonfoyer, l’admission d’une quantité variable de lumière et la correction des aberrations sphériques et chromatiques, l’œil ait pu seformer par sélection naturelle, paraît, j e dois l’avouer absurde au possible‘. D À cette première difficulté, semblait s’en ajouter une deuxième, liée au fait que non seulement l’œil dit camérulaire est apparu chez les vertébrés, mais aussi que d’autres types d’œil fort différents structurellement sont apparus dans différents phylums. À cette situation inextricable, quelques domaines de la science ont été d’un secours fort apprécié : la phylogénie moléculaire et l’embryologie moléculaire. La première s’occupe de la comparaison des différents phylums par analyse de séquences de gènes, alors que la seconde s’occupe de l’analyse fonctionnelle des gènes intervenant dans l’embryogenèse. I1 se trouve que ces deux domaines de la science se croisent fréquemment puisque, de manière un peu
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surprenante, mais finalement assez naturelle, la nature a été peu imaginative et a réutilisé sans vergogne les mêmes gènes pour construire des structures aussi différentes qu’une souris et un homme ou une souris et une mouche. Ainsi, l’œil de tous les plun-cellulaires fonctionne grâce à la même molécule photo-réceptrice, la rhodopsine. Celle-ci est elle-même formée par un récepteur à sept domaines transmembranaires : l’opsine, liée à un élément photosensiblede la famille des rétinoïdes,le rétinal. Le rétinal lié à l’opsine change de conformation lorsqu’il rencontre un photon (un seul est suffisant). Ce signal infime va ensuite être transduit, c’est-à-dire que cette modification infinitésimale liée à l’absorption photonique va induire une cascade damplifications du signal : activation de la transducine, qui produit de la guanosine monophosphate cyclique et infine une modification de la perméabilité membranaire par action sur des canaux ioniques. Le signal peut enfin être transmis aux neurones qui conduisent l’influx au cerveau. Le cerveau peut donc percevoir théoriquement - un rayon lumineux infime transmis par un seul photon ! Le plus surprenant de l’histoire est cependant que tous les yeux sur Terre utilisent le même photorécepteur. De l’homme, en passant par la vache, les moustiques, les crustacés, tout ce petit monde qui voit porte un regard ombré par l’opsine. Apparemment ce photorécepteur n’est pas né par hasard puisqu’on le retrouve chez certaines Archeabactéries ; l’ancêtre commun aux Eucaryotes et aux Archeabactéries devait donc posséder ce récepteur dans un passé fort lointain. Mais les analogies vont encore plus loin : outre le système moléculaire récepteur, les gènes intervenant dans la mise en place de l’organe sont liés. Ainsi, les gènes Pax6 humains et murins sont homologues au gène eyeless de la drosophile. Comme par un heureux hasard, ces deux gènes << homologues B participent tous deux à la morphogenèse oculaire. Mais ces deux structures oculaires n’ont rien à voir structurellement. L’œil camérulaire de vertébrés n’a rien à voir avec l’œil à facettes de la mouche. Et pourtant, dans les deux structures, les mêmes gènes interviennent pour guider la formation de ces structures complexes. Cette découverte est très intéressante à plusieurs points de vue. D’abord, elle permet d’écarter élégamment l’hypothèse d‘une origine polyphylétique des yeux dont la diversité dans le règne animal, et notamment dans le phylum des invertébrés, est importante. La Nature n’a pas innové ;la diversité n’est qu’apparente. La Nature n’a effectué que << son bricolage >> habituel, créant du neuf avec l’héritage laissé par l’ancêtre vivant il y a cinq cents millions d’années avant la grande divergence entre vertébrés et invertébrés. Le gène contrôlant l’expression de la rhodopsine était, semble-t-il, déjà sous le contrôle morphogénétique du proto-Pax6. Ensuite elle permet d’alimenter le débat qui porte sur l’homologie d’organes aussi différents que les yeux de mouches et d’hommes. Une homologie de gènes morphogénétiques, implique-t-elle une homologie de fonction ? Non, les yeux de mouches ne seront jamais homologues à ceux capables de nous séduire. L’homologie est
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certes génique, mais, par exemple, Pax6 intervient dans la morphogenèse d’autres structures (systèmes nerveux, organes des sens), dont il est clair qu’elles ne sont pas homologues comme le rappelle François Gasser : << Ces gènes sont homologues en eux-mêmes, mais ne sont pas des marqueurs de relations d’homologie pour les organes considérés, qui se sont diflérenciés dans des contextesphylétiques tout àfait dz@érents. (...) Le concept “d’évolution en mosaïque” s’applique parfaitement à notre problème si on le transpose de l’individu à l’organe :l’organogenèse met en jeu des gènes et des hiérarchies anciennes conservées, mais aussi des combinaisons de gènes récentesw.B Le temps, paramètre physique indissociable de l’étude du vivant, est donc ancré au plus profond de l’organisation de nos gènes. L‘analyse comparée de ceux-ci aboutit à des découvertes surprenantes. Au cours du temps, les gènes ont été transmis, mais leur rôle a dérivé, permettant avec une plasticité surprenante de construire des réalisations moléculaires radicalement différentes : la mouche et l’homme. Leurs gènes morphogénétiques sont apparentés, ils dictent les mêmes instructions mais sur des effecteurs différents et aboutissent à des structures antinomiques. Le message structurel est donc brouillé : alors qu’au niveau génique la cohérence est toujours conservée, au niveau structurel les réalisations divergent notablement. Seule une analyse complète des structures des génomes de nombreuses espèces pourra nous délivrer la cohérence historique du message que chacun porte au plus profond de soi. L a théorie de l’évolution bénéficie depuis peu de temps de la naissance d’un champ de la science entièrement nouveau, issu des progrès de la biologie du développement : l’évo-dévo. Ce nouveau développement de la science a pour objet l’analyse des relations entre les mécanismes de la biologie du développement et de la biologie de l’évolution‘5. La phylogénie et l’embryologie sont deux champs de la science qui ont eu de nombreuses et fructueuses interactions dans l’histoire et dont un des faits les plus anciens et les plus marquants remonte à 1822. Cinquante-cinq ans avant Darwin, le naturaliste français Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire émet alors la théorie des analogues : dans un article publié dans les Mémoires du Muséum, Geoffroy-Saint-Hilaire compare l’anatomie d’un poisson, la plie (de l’embranchement des vertébrés), et d’un homard qui appartient aux invertébrés. I1 perçoit alors, dans une intuition géniale, une unité d’organisation entre les deux êtres que tout apparemment sépare : << Je plaçai l’animal non plus comme il est posé relativement au sol, mais comme il convenait de la voir pour le comparer aux animaux de premiers rangs. (...) Quellefut ma surprise, etfajoute, de quelle admiration nefus-je pas saisi, en apercevant une ordonnance qui plaçait sous mes yeux tous les systèmes organiques de ce homard dans l’ordre où ils sont rangés chez les animaux mammifères ?Ainsi, sur les côtés de la moelle épinière, j e vis tous et chacun des muscles dorsaux ;au-dessous étaient les appareils de la digestion et les organes thoraciques, plus bas encore, le cœur et tout le
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système sanguin, et plus bas enfinformant la dernière couche, tous et chacun des muscles abdominauFj. B Cette dissection célèbre du homard donnera naissance à la théorie des analogues : << Je ne cherchai qu’une preuve conjïrmative de mes premiers faits ;et non seulement elle m’est donnée, mais j e viens de trouver que tous les organes mous, c’est-à-dire, que les organes principaux de la vie sont reproduits chez les crustacés, et par conséquents chez les insectes dans le même ordre, dans les mêmes relations et avec le même arrangement que leurs analogues chez les hauts vertébrés2“.D Dans ces quelques phrases, Geoffroy-Saint-Hilaire fit une des remarques les plus pertinentes de l’anatomie comparée. Malheureusement, cette idée va être ardemment combattue par ses opposants et plus particulièrement par son rival de toujours, Georges Cuvier. Cuvier va lutter âprement contre Geoffroy-Saint-Hilaire lors de séances mémorables à l’Académie des sciences. Certains témoins compareront la violence des échanges verbaux à l’intensité des combats de rues qui secouaient alors Paris, en proie à la révolution qui mènera au détrônement du dernier roi des Français, Charles X. Cuvier va tenter et réussir à ridiculiser l’idée qu’il puisse y avoir une quelconque homologie entre des êtres supérieurs comme les vertébrés et de vulgaires insectes. Pour lui, il existe quatre embranchements d’animaux totalement hermétiques entre lesquels il n’existe aucune homologie. Et, bien que les arguments de Cuvier emportèrent la conviction de l’Académie d’alors, Geoffroy-Saint-Hilaireterrassé par la rhétorique et le verbiage de son adversaire avait raison scientifiquement. La réhabilitation du << sacrifié D de l’Académie des sciences ne sera que posthume. Les éléments de preuve de la théorie des analogues n’ont en effet été découverts que très tardivement (plus d’un siècle et demi après sa mort), après que la biologie du développement eut découvert les gènes morphogénétiques. La théorie de Cuvier a été en quelque sorte << falsifiée >> au sens de Popper, puisqu’un élément de preuve est intervenu en sa défaveur. En 1994, deux équipes indépendantes découvrent chez la drosophile le gène sog qui induit le développementventral de l’embryonz7, et chez un vertébré, le xénope (batracien), son gène homologue chordin qui induit un développement dorsal de l’embryonz8.Invertébrés et vertébrés possèdent donc dans leur génome deux gènes homologues qui fonctionnent en ~ ~retournements ~”. du plan de symétrie du sens inverse : sog et c h ~ r d i n ~Les homard et de la plie ne sont que les avatars de l’évolution du même gène ancestral qui a donné sog et chordin, deux cousins qui se sont mis à fonctionner à l’inverse l’un de l’autre, selon l’axe de symétrie dorso-ventral. I1 existe donc bien une homologie qui n’est pas réellement structurale mais de codage du plan entre vertébrés et invertébrés. En 1859, Darwin lui-même dans L’Origine des espèces s’interrogeait sur les homologies qui existaient au cours du développement entre des embryons de mammifères et d’espèces aussi éloignées que les poissons. Mais les comparaisons de Darwin étaient
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beaucoup moins audacieuses que celle de Geoffroy-Saint-Hilaire. Elles s’arrêtaient à la comparaison entre des vertébrés ! En 1860, le célèbre embryologiste allemand, Ernst Haeckel énonçait dans une phrase restée célèbre que << l’ontogénie résume la phylogénie ». Haeckel, fervent admirateur de Darwin, tenta alors de donner une explication à l’évolution par sa théorie de la récapitulation. L‘embryologie restera ensuite essentiellement phénoménologique pendant plus d’un siècle. François Jacob reconnaissait même à la fin des années 1970 : << Les biologistes connaissent dans le détail l’anatomie moléculaire d’une main humaine. Ils ignorent totalement la manière dont l’organisme se dicte à lui-même les instructions pour construire cette main, le langage qu’il parle pour désigner un doigt, le procédé qu’il utilise pour sculpter un ongle, le nombre de gènes impliqués, les interactions de ces gène^...^^. B Depuis ce constat de François Jacob, la biologie du développement a été littéralement refondée, il y a vingt ans, par la formidable découverte des premiers gènes morphogénétiques, les gènes Hox qui régulent la segmentation antéro-postérieure de l’embryon. Leurs deux codécouvreurs Christiane Nüsslein-Volhard et Éric Wieschaus ont été récompensés par le prix Nobel de médecine (partagé avec Edward Lewis), car leurs travaux ont permis d’expliquer enfin le << pourquoi B du développement embryonnaire, sans en rester à un simple << comment >> descriptif. À leur suite, embryologie et biologie de l’évolution se sont alliées afin de mieux interagir. En effet, le plan de développement d u n individu est gouverné par des gènes identifiés, qu’il est désormais possible de comparer entre phylums. Le complexe Hox est paradigmatique de l’intérêt de cette approche. I1 s’agit de comparer comment s’est mis en place le plan de développement et quelle a été l’histoire de celui-ci. En effet, les animaux dans la nature ont des formes très diverses, mais qui sont toutes gouvernées par des gènes ou des groupes de gènes hautement conservés au cours de l’évolution. En effet, la pression de sélection sur ces gènes est énorme car la moindre mutation peut avoir des effets catastrophiques pour le développement embryonnaire. L’intérêt de l’évo-dévo est de tenter de comprendre quelle est l’histoire évolutive de ces gènes si particuliers. Ainsi, après la découverte du complexe génique Hox codant pour la mise en place de l’axe antéro-postérieur de l’embryon chez la drosophile, le même complexe a été retrouvé en quatre exemplaires chez la souris (et l’ensemble des vertébrés). Ce complexe est en fait hautement conservé entre la mouche et les vertéb r é ~ ~Au-delà *. de ce qui pourrait passer pour anecdotique, il a été montré qu’une mutation sur un gène Hox pouvait expliquer les modifications du développement de la mâchoire entre les reptiles et mammifère^^^. Les reptiles ont des mâchoires dont les os ne sont pas fusionnés, alors que les mammifères ont une mâchoire d’un seul tenant. L’introduction d’une mutation sur un gène Hox de souris entraîne le développement dune souris à la mâchoire de reptile... De manière plus singulière, la capacité à maîtriser la parole est une
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caractéristique de l’espèce humaine. Les bases génétiques de la capacité d u n individu à maîtriser le langage ont commencé à être décryptées en termes moléculaires en 2001. L’histoire de cette découverte est assez étonnante et montre que les chemins de la découverte empruntent souvent des trajectoires chaotiques. Elle commence par la découverte dune famille (baptisée famille KE) porteuse dune curieuse maladie génétique autosomale récessive affectant la moitié de ses membres et se manifestant par une incapacité à maîtriser un quelconque langage articulé humain. Les travaux de recherches entrepris pour comprendre les bases génétiques de cette maladie orpheline aboutirent alors à l’isolement d’une mutation ponctuelle sur un seul gène (nommé FOXP2 pour Forkhead box P2) dont le locus se trouve sur le bras long du chromosome sept34.Mais l’histoire de cette découverte va beaucoup plus loin. Rapidement le gène est séquencé et des homologies géniques sont recherchées dans d’autres espèces. En 2002, un travail montre que ce gène est hautement conservé dans l’évolution des mammifères puisqu’il n’existe que trois mutations entre l’homme et la souris, et que deux de ces trois mutations sont apparues après la divergence entre le lignage humain et le lignage qui a conduit au chimpanzé et au bonobo, il y a entre quatre et six millions d’années35.Une de ces mutations est même survenue au cours des deux cent mille dernières années, suggérant fortement qu’elle puisse avoir joué un rôle majeur dans l’émergence d’Homo sapiens. Le rôle fonctionnel de ce gène reste à déterminer clairement, mais une étude dans la famille KE, chez les sujets malades et sains, a montré que les mutations altérant les fonctions de FOXP2 induisent des altérations du développement des aires cérébrales (notamment l’aire de Brocca) impliquées dans le langage36.Ces résultats éclairent de nombreuses données d’un jour entièrement nouveau. I1 en est ainsi pour l’énigme du chimpanzé qui possède plus de 99,4 pour cent d’homologies génomiques avec l’homme et que certains veulent inclure dans le genre I1 est capable d’apprendreun langage de signes très élaboré3R, mais, de manière surprenante, il ne dispose d‘aucune capacité d’articulation des sons. Cette différence fondamentale avec l’homme n’est pas liée à l’environnement,comme l’ont démontré les tentatives déducation de bébés chimpanzés dans des << familles humaines ». C‘est une malheureuse petite mutation qui a donc interdit au chimpanzé de s’humaniser par le langage, plus que la limitation de ses facultés intellectuellescomparées à celles de ses cousins du genre Homo. Une mutation sur un gène apparu récemment dans l’évolution aurait donc permis à l’humanité d’émergeret de maîtriser cet outil formidable qu’est le langage. L’analyse de la structure et de la fonction de gènes intervenant au cours du développement s’avère donc être une singulière mine de renseignements sur la façon dont l’évolution a permis l’émergence de fonctions de plus en plus complexes. Si ces données se confirment, une petite mutation, le changement dune molécule par une autre sur un gène précis aurait augmenté significativement le développement du cerveau
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de primates, il y a trois cent mille ans, donnant naissance à l’homme. Cette mutation, cet évènement aléatoire, ce petit rien aurait pu ne pas survenir... I1 devient alors possible d’imaginer un monde sans cette mutation, un monde peuplé de primates qui ne franchissent pas la barrière du langage, et dont la longue évolution n’aboutit pas à l’hominisation, mais à d’autres formes d’adaptation. Ainsi, biologistes de l’évolution et embryologistes regroupés par l’évo-dévo s’intéressent à une double historicité. Les embryologistes décryptent les mécanismes moléculaires de la mise en place du plan individuel découlant de l’histoire d’un groupe de gènes qui coordonne un ensemble de cellules, alors que les biologistes de l’évolution décodent au niveau des espèces comment et par quels mécanismes historiques ces groupes de gènes ont évolué et ont été sélectionnés.
Chapitre 7. L’ORIGINE DE LA VIE : QUELLE PROBLÉMATIQUE POUR L’ÉMERGENCE ?
I1 n’est pas de question plus prégnante dans l’histoire de l’homme que celle de son origine. Celle-ci a été présente dans tous les domaines de sa réflexion, qu’elle soit classiquement philosophique ou religieuse mais aussi, non moins accessoirement, dans de nombreux domaines artistiques. Ainsi, Paul Gauguin avait peint ce tableau troublant intitulé D’où uenom-nous ? Que sommes-nous ? Où allons nous ? En quelques coups de pinceaux, il cristallisait alors, fixait pour les générations futures l’interrogation métaphysique. À la sérénité et au mystère de la scène figurant des polynésiennes lascives, répond l’angoisse des questions sans réponses portées sur un angle de la toile. Dans un autre registre, le poème intitulé D’où uenom-nous ? de Maurice Carême nous rappelle que le questionnement sur les origines n’est pas l’apanage des hommes de science. Finalement, le problème de l’origine, qui passait pour avoir été résolu par Charles Darwin en 1859 avec son célèbre ouvrage sur l’origine des espèces, restait entier. Darwin décrivait un modèle général d‘évolution des espèces relativement simple, s’appliquant à un système déjà vivant. Mais il ne pouvait rendre compte que de l’évolution d’un système déjà vivant, formé de cellules. I1 ne donnait aucune indication sur les mécanismes qui pouvaient présider à la naissance de la première cellule vivante. Comment expliquer la naissance du vivant ? Rien à l’époque ne pouvait aider Charles Darwin à pouvoir donner un modèle pour l’émergence de la vie. Pourtant, Darwin ne manque ni d’imagination ni d’audace. I1 ne peut s’empêcher de spéculer. I1 se délie, en 1871, d’un vieux rêve, avec son modèle de la mare originelle où trempent les éléments de la première proto-cellule. Son souhait de produire une théorie qui puisse expliquer l’ensemble des phénomènes depuis la Genèse à nos jours est
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flagrante. I1 s’était alors bien gardé de laisser transparaître une telle idée dans L’Origine des espèces. Quand on connaît le scandale que ce livre, même épuré de toute référence à une genèse extra-biblique, a provoqué dans l’opinion publique, la retenue de Darwin était toute justifiée. Reste le problème crucial de l’émergence du vivant. Par quel bonheur un événement aussi improbable et complexe que la construction d’une protocellule a pu parvenir à son terme ? Et surtout quels principes physiques ont pu miraculeusement jouer le rôle de bonne fée sur le berceau du vivant en dirigeant la manœuvre aussi habilement ? Car, personne ne peut croire que la naissance du vivant ait pu être abandonnée dans les mains du seul hasard. La chose est trop complexe. La probabilité d’occurrence spontanée d’un tel événement aurait nécessité un temps supérieur à plusieurs fois l’âge connu de l’univers... Or il est notoire qu’il n’a pas fallu plus d’un petit milliard d’années après la naissance de la terre pour voir survenir les premières cellules d u n monde pré-biotique. Un autre difficulté majeure provient d’obstacles conceptuels et théoriques, physiques notamment thermodynamiques. En effet, le monde pré-biotique ne peut obéir qu’à des lois de la physique. Or, celle-ci ne prédit rien de bon pour le vivant avec la barrière infranchissabledu deuxième principe pour lequel la création d’ordre est impossible sans faire intervenir les démons de Maxwell. La physique thermodynamique semblait ériger une barrière infranchissable à cette construction de la première cellule. Le monde pré-biotique et le vivant semblaient irrémédiablement irréconciliables. De plus, la question de l’origine est d’autant plus complexe que les traces des événements primordiaux sont ténues. Le grand livre de la vie a été progressivement effacé, corrigé, écrit, réutilisé, réécrit comme les palimpsestes sur un vieux grimoire. Mais comment y mettre bon ordre, alors que des milliards d’années dévolution ont effacé, involontairement mais définitivement, de nombreuses archives nécessaires à la compréhension de l’histoire ? Comment retrouver traces d’archives perdues, noyées dans un flot d‘informations ? Le retour en arrière est facile sur le premier milliard d’années qui a suivi l’apparition des métazoaires, mais avant, l’exploration est beaucoup plus difficile. L’existence de fossile n’est plus réellement informative pour des cellules. L’anatomie extérieure dune cellule apporte peu sur son fonctionnement interne. La grande séparation des branches procaryotes (eubacteria et archeabacteria)et eucaryote reste encore un mystère. Que dire des événements primordiaux qui ont permis la naissance de la première cellule ? Probablement que la première cellule a ensuite évolué rapidement en fonction de conditions environnementales. I1 est connu que la composition de l’atmosphère actuelle est très différente de ce qu’elle fut originellement. La cellule est donc passée par des états transitoires instables en fonction des variations environnementales. Les gènes qui avaient été sélectionnés lors de sa genèse n’ont probablement plus rien à voir avec ceux qui ont été nécessaires ensuite pour survivre dans un environnement bouleversé. Une grande partie de
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l’information génétique présente dans la première cellule a donc probablement été perdue. Les premières formes du vivant ont dû rapidement se débarrasser de ce fardeau génétique dont le sens s’est perdu dans la nuit des temps, effacé lors des étapes et réinscriptions successives.
Émergence par heureux hasard ou par nécessité physique a légale >> ? Dans Le Hasard et la nécessité, la conclusion de Jacques Monod est ainsi libellée : << L’ancienne alliance est rompue ;l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indiflérente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part‘ ». Jacques Monod ose prononcer la sentence : l’homme sait enfin qu’il a émergé par hasard dans un océan d’improbabilités. Quiconque n’a pas la foi dans une dimension mystique de l’homme est désespéré. Non seulement, son origine est bâtarde, mais, en plus, elle n’a aucun sens. Ou plutôt, dans le meilleur des cas ce sens est celui d’une absence totale de raison. La conception de l’émergence du vivant est vraiment difficile à concevoir du point de vue de Monod. C‘est l’argument téléologique qui est le plus difficile à intégrer pour lui. I1 faut dire que cet argument a longtemps été un frein épistémologique à l’acceptation même de l’émergence. C‘est l’argument massue de William Paley, prélat anglican du x& siècle, dont la << théologie naturelle >> fut très prégnante lors de la phase pré-darwinienne de ce siècle. Paley posait l’argument de la téléonomie avec la certitude du raisonnement par l’absurde. I1 demande au lecteur de s’imaginer trouvant une montre abandonnée sur une plage : quiconque ne connaissant pas la fonction de la montre pourra aisément comprendre que celle-ci a été créée par un artisan selon un plan dans le but unique de donner l’heure. Cette personne pourra aisément comprendre que quelque chose distingue la montre de la pierre sur laquelle elle est posée. Cette différence est l’existence d’un créateur. Pour Paley, cette analogie est valable pour la vie : l’argument valable pour la montre, l’est aussi pour l’homme. Ce qui distingue le vivant de la pierre ou du sable est l’existence d u n créateur qui l’a conçu dans l’unique dessein de remplir sa fonctionnalité. Le perfectionnement des êtres vivants ne peut absolument pas être l’œuvre du hasard ; il est << la marque de fabrique du créateur divin. Pour Monod, l’argument téléologique est très fort : comment concevoir, à partir du désordre, la naissance de l’ordre ? Aucune théorie fondamentale ne permet d’éclairer le problème. L’unicité du phénomène trouble profondément Jacques Monod. Le seul modèle auquel il peut rattacher l’émergence est celui de la loi des probabilités. Or, cette probabilité est très faible par essence et son occurrence fut unique. Comment raisonner sur un phénomène unique >)
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alors que les probabilités ne s’appliquent qu’aux grands nombres ? Par ailleurs, l’apparition de la première cellule renvoie à un véritable a mur du son »,obstacle infranchissable.Qu’est ce qui permet de prédire ce que donnera la transition de l’état pré-biotique vers le premier système cellulaire ? En effet, les deux ne semblent pas fonctionner selon les mêmes règles. Beaucoup se réfèrent à la théorie de l’information de Claude Elwood Shannon. Pendant longtemps, la complexité du vivant n’a été considérée que par comparaison avec la complexité du message contenu dans le génome. Complexité du vivant et complexité du signal génétique étaient alors assimilées. Le vivant n’est complexe que parce qu’il possède un génome dont le signal est complexe. De nombreuses théories d’émergence d’un signal à partir d’un bruit ont vu le jour pour expliquer l’émergence de la vie. Dawkins, qui restreint singulièrement la vision du vivant à celle du gène donc de l’information, s’appuie sur elle pour faire apparaître l’émergence. Dans L’horloger aveugle, il fournit une explication à l’émergence de la complexité par sélection progressive de mutations‘. La variation n’est plus à l’origine d’un bruit de fond, mais d u n e cohérence par restriction des formes nouvelles les plus avantageuses. Le bruitage de la variabilité est comme retourné pour donner une cohérence à l’évolution. Cependant, ces théories sont profondément limitées par la théorie des probabilités. Le risque de voir émerger la vie dans ces conditions, bien que non nul, est alors très faible. Le vivant, système complexe contrariant les lois de la thermodynamique, serait apparu par hasard, au gré des contingences locales et des irrégularités microscopiques de la soupe primitive. Cette vision donne de l’émergence, un relief particulier. I1 aurait donc suffi de quelques modifications locales du chaos de la soupe primitive pour que l’étincelle du vivant ne jaillisse pas. La terre ne serait alors que la réplique de ses voisines du système solaire, balayant indéfiniment sa trajectoire sans jamais voir perturber sa course par la myriade de petits satellites artificiels lancés par l’homme. Ces singularités cosmiques ne s’expliquent que par le produit d’une émergence puis d u n e évolution du vivant, capables de comprendre les lois de la matière qui constituent son environnement. Ce modèle d’émergence au hasard a, depuis, fait l’objet dune profonde révision avec les apports de la théorie du chaos, elle-même capable de prédire l’émergence d u n e complexité locale à partir d’un système hors de l’équilibre thermodynamique. L’émergence passe du statut d’aléa improbable à celui d’événement nécessaire, produit d u n e histoire cohérente. L’émergence semble devoir être définie de manière rigoureuse. Qu’est ce que l’émergence réellement ? Dans la physique classique, l’émergence est admise comme l’apparition brutale, pour un niveau d’études donné, de propriétés nouvelles dont rien ne permet de présager l’existence par l’analyse des éléments du niveau détude inférieur. Pour les physiciens, l’émergence est
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un phénomène commun, l’exemple le plus trivial étant l’émergence de propriétés singulières des molécules d’eau, que rien ne permet de prédire pour quiconque ne connaît que les propriétés des atomes d’hydrogène et d’oxygène. Les propriétés de la molécule d’eau (chimiquement deux atomes d‘hydrogène liés à un atome d‘oxygène) qui nous paraissent si communes, ne sont pourtant pas inscrites au niveau des atomes qui la constituent ! Aux températures habituelles, sous nos climats, l’eau est liquide, alors que l’oxygène et hydrogène sont gazeux. De plus, l’hydrogène et l’oxygène sont inflammables. Le mélange dans des proportions stoechiométriques de deux volumes d‘hydrogène pour un volume d’oxygène produit une réaction explosive qui conduit ... à la genèse d’eau. Alors que l’eau (qui n’est que la combinaison moléculaire des deux types d’atomes) est le meilleur agent de lutte contre les incendies. Qu’en est-il en biologie ? Les propriétés des êtres vivants, sont-elles inscrites dans les rapports physico-chimiques qu’entretiennent les molécules entre elles ? L’émergence de la vie marque-t-elle une réelle rupture entre les phénomènes physico-chimiques et les phénomènes biologiques ? à l’évidence non. Claude Bernard soupçonnait déjà que tous les phénomènes vitaux pouvaient se réduire à des explications physico-chimiques. Physico-chimie et biologie ne diffèrent donc pas dans leurs niveaux structurels. Les deux plongent leurs racines dans les mêmes lois au même << niveau hiérarchique B de la matière : la molécule. Qu’est-ce donc que l’émergence de la vie ? C’est l’ensemble des mécanismes qui, dans le temps, ont permis la naissance d’un système vivant au sens moderne du terme, il y a plus de 3,8 milliards d’années : c’est-à-dire une cellule capable de se maintenir hors de l’équilibre thermodynamique. I1 est conceptuellement difficile d’imaginer le passage de la mare à la cellule. Les mécanismes ne sont pourtant pas improbables puisqu’ils sont survenus. Pourtant, jusqu’à récemment, l’émergence du vivant était regardée avec circonspection. La physique semblait être d u n secours peu efficace puisque la thermodynamique classique nous apprenait que l’évolution spontanée d’un système thermodynamique était le désordre. L’aboutissement de tout système était inévitablement un état de désordre maximal. Dans ce contexte, la vie était regardée d’un œil méfiant puisque ne se pliant pas à la loi générale. Ce paradoxe a même fait couler l’encre d’Erwin Schrodinger, pour qui la cellule vivante absorbait de la néguentropie. La mathématique ne semblait pas beaucoup plus coopérante puisque, faute de loi physique expliquant l’émergence de la vie, il fallait se résoudre à l’émergence liée au bonheur du hasard ; le seul problème étant que la théorie des probabilités donne des prédictions qui demandent des temps de réalisation parfois supérieurs à l’âge de l’univers ! La biologie devait donc échapper à la rigueur des mathématiques et de la physique. Une théorie singulière a alors vu le jour : la panspermie. Si la naissance de la vie ne s’est pas faite faute de chance sur terre, celle-ci a une
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occurrence de probabilité supérieure si on considère qu’elle a pu avoir lieu ailleurs, pour, ensuite, avoir été N importée >> sur terre par une pluie d’objets célestes extra-terrestres. Quelle singulière vision de l’importation de la vie dans une terre vierge ! Comment un être vivant, lui-même produit d’une histoire et d’une sélection par ses conditions de survie expérimentale, peut-il se voir expulsé de son milieu naturel, survivre dans le milieu interstellaire et trouver sur terre un milieu pour lequel afortiori il n’est pas adapté, mais dans lequel il puisse se développer et s’épanouir ? L’idée paraît quand même singulière ! Tout paraît quand même si simple en considérant que tout s’est passé sur terre sans rajouter des étapes aussi improbables que farfelues... Le voyage de la vie en comète interstellaire est peu convaincant quand on mesure la difficulté que l’homme a éprouvé pour envoyer des êtres vivants dans sa proche banlieue lunaire et les difficultés d’adaptation des vivants à la vie en apesanteur. Deux mouvements complémentaires ont été à l’origine du profond désarroi des scientifiques quant à la problématique de l’émergence de la vie. Le premier est un mouvement emmené par Louis Pasteur qui a démystifié le concept de la génération spontanée dans une célèbre bataille contre FélixArchimède Pouchet qui entraîna Pasteur et ses fioles dans une expédition en haute montagne sur la Mer de glace dans le massif du Mont-Blanc. Le brillant succès de Pasteur, validé par l’Académie des sciences en 1862, eut pour corollaire d’expurger toute vision simpliste de la génération de la vie, mais aussi de compliquer toutes les tentatives ultérieures d’explication d’une genèse dans le champ de la science. Le deuxième est la naissance de la thermodynamique dont le deuxième principe interdit toute évolution spontanée d’un système physique vers l’émergence d u n système aussi complexe qu’une cellule. En 1922, Aleksander Oparine, scientifique soviétique, présente devant la Société botanique de Moscou, l’hypothèse que des composants moléculaires du vivant ont pu se former à partir de composés chimiques inorganiques présents dans l’atmosphère prébiotique sous l’influence de rayonnements cosmiques. I1 publie alors, en 1924, un ouvrage sur l’origine de la vie qui ne sera traduit en anglais que tardivement3.Dans son esprit, l’émergence aurait suivi un chemin un peu complexe : apparition des cellules en premier, puis des enzymes et enfin des gènes. En effet, l’apparition des cellules lui paraissait simple puisqu’une émulsion huile/eau, mélangée dans certaines conditions, peut former des micro-gouttelettes nommées coacervats dans lesquelles des molécules organiques se sont accumulées, avant que les enzymes ne fassent leur apparition, suivies enfin des gènes. Cette chronologie peut faire sourire de nos jours, car les bases moléculaires de nombreux processus organiques sont désormais mieux connues. Toutefois, l’idée était novatrice et heuristique. En 1929, John Burdon Sanderson Haldane, plus connu pour ses travaux sur la théorie de l’évolution, propose lui aussi la même idée mais de manière indépendante (les travaux d’Oparine n’ayant pu se propager en occident faute
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de traduction). John Haldane émet l’existence d’une << soupe pré-biotique ». Il s’agit pour ces deux scientifiques d’hypothèses hardies, mais qu’ils ne testeront pas eux-mêmes expérimentalement. 11restait donc à valider l’hypothèse séduisante d’oparine-Haldane. En 1953 un jeune scientifique audacieux dénommé Stanley Miller l’éprouva par l’expérience. I1 fit paraître, avec son directeur de recherche Harold Clayton Urey (prix Nobel de chimie 1934 pour la découverte du tritium), dans les colonnes de la revue Science, les résultats d’une expérience célèbre dans lesquelles une e soupe primitive D reconstituée était soumise à des décharges électriques4.La soupe était mixée dans un ballon. Elle contenait des éléments réducteurs (hydrogène, méthane, ammoniac, vapeur d’eau) ; l’ensemble fut chauffé puis soumis à des décharges itératives censées reproduire les éclairs de l’atmosphère primitive. Au bout de quelques jours, le mélange se troubla, forma un dépôt sur les paroi du ballon primitif. L’analyse révéla, à la grande surprise de Miller la présence d’acides aminés de quatre types différents dans lesquelles la glycine prédominait. I1 s’agissait de la démonstration qu’il était possible de créer des molécules organiques à partir d’élément organiques soumis à des conditions physico-chimiques qui ont pu exister dans l’atmosphère terrestre primitive. Même si actuellement la communauté scientifique pense que l’atmosphère primitive contenait du dioxyde de carbone et non du méthane, ces travaux ont réellement été pionniers dans le domaine de l’exploration de l’origine du vivant. La biologie semblait pourtant bien isolée, émergeant à contre-courant de la physique ! Car, au-delà de la production chimique de << briques n du vivant, c’est bien l’absence de modèles autorisant la construction de structure complexe e des murs B de la vie que la physique ne permettait pas d‘appréhender. C’est pourtant de la physique que vint la solution, avec la thermodynamique non linéaire des systèmes loin de l’équilibre. Dans Entre le temps et l’éternité, Ilya Prigogine et Isabelle Stengers prennent le temps de montrer que le mécanisme central de l’évolution selon Darwin est pleinement conforme aux lois qui régissent les systèmes dissipatifs : N L’évolution darwinienne ne constitue évidemment qu’un modèle, non la vérité de toute histoire. Mais toute histoire contient, comme le modèle darwinien, l’irréversibilité, l’événement et la possibilité pour certains évènements, en certaines circonstances d’acquérir une certaine signification, d’être un point de départ de nouvelles cohérences. Comprendre une histoire, ce n’est la réduire ni à des régularités sousjacentes, ni à un chaos d’évènements arbitraires, c’est comprendre à la fois cohérences et évènements :les cohérences en tant qu’elles peuvent résister aux événements, vouer ceux-ci à l’insignifiance, ou, au contraire, être détruites ou transformées par certains d’entre eux ;les événements en tant qu’ils peuvent ou non faire advenir de nouvelles possibilités d’histoire5. N De plus, cette nouvelle branche de la physique explique non seulement la singularité
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de fonctionnement des systèmes vivants, mais aussi elle donne la solution de l’émergence. Celle-ci est une propriété naturelle des systèmes, hors de l’équilibre pour lesquels des propriétés singulières peuvent émerger d’un état chaotique. En biologie, c’est donc à Ilya Prigogine qu’il faut rendre hommage. Sans lui, point d’émergence cohérente : il a rendu l’émergence comme un phénomène légal B au regard des lois régissant la physique et la chimie.
Émergence de la vie :un phénomène unique ou une ontogenèse par étapes ? La genèse du monde vivant n’est pas sortie brusquement d’un coup de baguette magique du chapeau du créateur par pur hasard ou par nécessité physique d’un système soumis à des contraintes aboutissant à une complexité émergente. I1 est fort probable que la naissance de la vie s’est faite par étapes. Combien d‘étapes furent nécessaires ? Quelques grands paliers progressifs, un continuum de micro-modifications, ou une émergence unique et ponctuelle ? L’émergence du vivant ne s’est probablement pas réalisée brusquement. Elle a même sensiblement dû mettre au moins un milliard d’années c’est-à-dire le temps qui sépare la naissance présumée de la terre de la naissance présumée de la vie. Par ailleurs, il n’y a probablement pas eu de transition brutale entre un monde prébiotique et un monde de la vie, mais une multitude d’étapes étalées sur cette très longue période. Jacques Monod voit, lui, trois étapes successives à la construction de la vie : la formation des constituants chimiques essentiels des êtres vivants, la formation des premières macromolécules, puis leurs évolutions et la construction d’une cellule primitive. Ces étapes ne sont pas, elles-mêmes, égales entre elles. Pour Monod, ce qui reste toujours problématique, c’est cette troisième étape. Elle forme véritablement le << mur du son >> qui sépare le pré-biotique du vivant. La constitution de la première cellule est difficilement compréhensible en tant que fermeture du système sur lui-même pour donner un objet doué d u n projet téléologique. L’émergence ne peut évidemment être approchée sans la construction d’un certain nombre d’étapes, de transitions entre les systèmes inorganiques et la vie. Ces transitions peuvent être rapprochées des bifurcations de la théorie de Prigogine. En ce sens, chaque étape est liée à la suivante par les conséquences de la précédente ; à chaque bifurcation, le système se complexifie et sert de lit aux modifications qui suivent. Mais aussi, le système choisit, selon des critères non-déterministes, entre deux issues, en fonction des contraintes qui lui sont imposées. Le système proto-biosphère évolue donc par à-coups, par bifurcations. Le temps s’écoule selon une flèche. Par ailleurs, les systèmes produits ne sont pas inertes, ils interagissent avec leur environnement.
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L’ensemble de la proto-biosphère voit sa composition se modifier radicalement grâce à l’élaboration de la proto-chimie du vivant : par exemple, la photosynthèse a permis la fixation du carbone, et la transformation d’une atmosphère réductrice en atmosphère oxydante qui permettra, en fin de cascade, la naissance de l’aérobiose. Conceptuellement, la naissance de la vie est très complexe à imaginer. Dans quel ordre les éléments se sont-ils assemblés ? Comment le code génétique a-t-il pu se mettre en place ? A priori, les choix ne sont pas arbitraires puisque le succès du vivant est là pour démontrer leur pérennité. En outre, la frontière entre le vivant et le pré-vivant reste assez floue. Par ailleurs, pendant un certain temps les deux mondes ont dû cohabiter avant que l’un ne soit sélectionné et n’élimine l’autre. Cette modélisation de l’émergence de la vie a été beaucoup étudiée par John Maynard Smith et Eors Szathmary : ils proposent en 1995 un modèle cohérent d’émergence dans lequel ils retiennent sept grandes étapes (Tableau I)637.
Tableau I. Les principales transitions dans l’évolution de la vie (d’après J.M. Smith et E. Szathmary, Nature, 1995). La dernière transition est plus une transition sociétale que biologique et a été indiquée en italique par l’auteur.
Ces sept grandes étapes marquent l’arrivée progressive d’un monde nouveau, celui du vivant. La marche est cohérente, elle progresse lentement mais sans états d’âme. Les nouveautés inutiles sont spontanément éliminées, seules celles qui paraissent receler un certain degré d’utilité sont retenues. À quoi correspondent ces étapes ? I1 faut imaginer que le vivant est parti de rien, d’un monde sans molécules organiques, ou en contenant si peu, et des molécules si simples, que tout est à bâtir. À l’arrivée, on retrouve le vivant tel qu’il est aujourd’hui. Entre ces deux extrémités, s’écoulent quatre milliards et demi d’années, tumultueuses, semées d’imprévu. Ce temps est surtout incommensurable à l’échelle humaine comme le rappelle Stephen Gould et sa notion de << temps profond n : quatre milliards et demi d’années, cela représente du temps, beaucoup de temps ! La nature n’est pas pressée.
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Chaque chose vient à temps, toutes les combinaisons sont testées, éliminées ou retenues. Chaque outil biologique est poli, utilisé, optimisé, par la longueur du temps. Puis, il est << bricolé », amélioré, changé de contexte, dénaturé. Et inexorablement, il est mis en compétition avec une innovation qui pourra alors aboutir à sa perte. Dawkins propose dix étapes pour franchir les barrières de l’inorganique à la vies. La première étape serait l’apparition de ce qu’il appelle le réplicateur, c’est-à-dire le support moléculaire du proto-gène. C‘est un système quelconque de réplication avec des possibilités de variations aléatoires. La variation et la réplication induisent inexorablement une proto-sélection naturelle, à partir de capacités de réplications divergentes, qui favorisent les meilleurs réplicateurs. Dans une deuxième étape, serait apparu le phénotype, c’est-à-dire que la survie propre du réplicateur ne serait plus seulement liée à ses capacités propres de réplication mais à l’action indirecte que celui-ci a sur un phénotype. Cette deuxième étape exige l’apparition d’un système intermédiaire complexe entre le gène et le produit de son expression, mais les mécanismes qui président à l’émergence de ceux-ci ne sont pas donnés par Dawkins. Dans une troisième étape, il y aurait apparition de la première véritable cellule. La réplication se ferait << en équipes »,séparées << dans des poches D avec la naissance de la première cellule. La cellule possèderait alors une structure interne complexe et le gène se socialiserait. I1 est notable que pour Dawkins, le fonctionnement en équipe des gènes, n’impose pas au système une sélection à un niveau d’organisation supérieure. La sélection darwinienne se fait toujours au niveau du gène qui prospère << en présence d’autres gènes, eux-mêmes favorisés en présence des premiers ». La quatrième étape serait celle de la pluri-cellularité. Cette étape est essentielle à l’émergence d’êtres vivants, comme l’homme. La multi-cellularité va pouvoir générer un nouveau niveau d’organisation. L’alternance prolifération et différenciation va alors pouvoir permettre la création d’organes aux fonctions multiples adaptées à des besoins nouveaux. L’étape numéro cinq serait pour Dawkins, celle qui voit, chez certains êtres vivants, l’apparition de cellules spécialisées dans la communication : les neurones, cellules nerveuses. Les neurones vont alors pouvoir s’organiser en organes complexes : le cerveau, capable d’intégrer des informations de toute nature, de conserver une mémoire... L’étape suivante serait celle qui voit l’émergence de la conscience, telle qu’elle est apparue chez l’espèce Homo sapiens. La septième étape serait celle de l’apparition du langage, moyen de communication entre vivants. L’ultime étape serait, pour Dawkins, celle que l’homme a franchie avec la technologie collective. John Maynard Smith et Eors Szathmary proposent, eux, une série de transitions entre différents mondes qui ont pu se produire pour arriver au vivant de nos jours6a7.Leur modèle est beaucoup plus puissant que celui de Dawkins. I1 donne non seulement le mode d‘emploi suivi par l’évolution mais
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aussi une explication pour dépasser l’obstaclequi restait infranchissable pour Jacques Monod. Avant de détailler plus avant cette théorie, il est nécessaire de préciser à quelles étapes il faut parler de vie et à quelles autres de non-vie. I1 est certainement plus sage de se rapporter à la définition que nous avons établie de la vie. En ce sens, la cellule marque l’étape déterminante de l’émergence de la vie. Cependant, celle-ci n’est pas apparue ex abrupto. De nombreux systèmes ont dû voir le jour avant d’aboutir à la forme achevée de la cellule. Nous donnerons aux systèmes antérieurs à la première cellule le qualificatif de pré-biotiques ou proto-biotiques. Bien entendu, ces systèmes obéissent à la même chimie, à la même thermodynamique, ils sont donc biotiques, mais leur intégration dans l’ensemble << biologie D peut se faire uniquement par l’apposition du préfixe proto- marquant bien la filiation, tout en en apposant les limites. Dans ce modèle, l’évolution n’est pas linéaire mais saltatoire, passant par des états de transition qui correspondent à l’émergence brutale d’un nouveau niveau de complexité. Quelles sont donc ces principales transitions ? L’apparition de la vie sous-entend, pour John Maynard Smith et Eors Szathmary, l’existenceà l’état naturel de réplicateurs dans la soupe primitive. Le jour primitif se lève sur un océan peuplé de réplicateurs à ARN. Un travail expérimental a même prouvé que les ARN pouvaient avoir des activités de synthèse des acides nucléiques9. Ce résultat est en parfait accord avec la prédiction de ce monde passé par John Maynard Smith et Eors Szathmary. C’est l’Eden du monde à ARN, monde idyllique, avant que ne surviennent les transitions qui mèneront à la vie. La première étape voit la transition entre des molécules auto-répliquantes libres dans un large espace et la survenue d’une compartimentation, avec la première membrane biologique. Dans la deuxième transition, les réplicateurs indépendants dans leurs compartiments se rassemblent en véritables chromosomes. La troisième transition voit la différenciation de deux mondes : celui de Y A R N et le monde à ADN. Cette troisième étape opère une véritable césure : dans le monde primitif 1’ARN joue le rôle de support du gène et de molécule à activité enzymatique ;la structure du gène est donc intimement liée à l’activité enzymatique. Car ici, c’est la structure propre de l’enchaînement des bases d’acides nucléiques du gène qui est active et non l’encodage de la séquence (comme c’est le cas actuellement pour les gènes codant des protéines). La transition du << monde ARN », gène et enzyme, au monde ADN »,support du gène et protéine support de l’activité enzymatique, est une des étapes-clé de la naissance du vivant, au sens classique du terme. La puissance de l’ADN dans sa capacité d’encodage est bien supérieure et la fidélité de la conservation est enfin acquise grâce au double brin. Cependant l’ADN ne possède aucune activité enzymatique ; il faut donc que cette molécule puisse transmettre
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efficacement les données à d’autres molécules (les protéines). La mise en place de nombreux systèmes de traduction du code << acides nucléiques B en code << protéines >> est alors nécessaire. Nous verrons plus tard comment ont pu se mettre en place ces systèmes. À ce stade, la vie est acquise. Nous sommes donc passés de la protobiologie à la biologie qui prend la forme de cellules de type bactériennes (procaryotes). Les transitions qui suivent interviennent dans la complexification progressive du vivant, pour produire les formes actuelles de la vie. La quatrième transition dans l’évolution de la vie (mais la première pour la forme primitive de la vie) voit l’apparition de cellules eucaryotes, c’est-à-dire des premières cellules dont nous sommes tous constitués. La cinquième étape voit l’émergence de la sexualité dans le monde eucaryote. Nous discuterons plus en détail des modalités qui ont pu permettre l’émergence du sexe dans le monde de la vie. La sixième étape est celle qui voit la naissance de la multi-cellularité. Les eucaryotes unicellulaires (les protistes) vont alors pouvoir former des colonies de cellules dont la complexité va sans cesse croissant pour donner des plantes, des champignons, des animaux et ... des hommes. Maynard Smith et Szathmary induisent encore deux étapes, plus sociétales que biologiques, et très marquées par l’anthropocentrisme, puisqu’elles expliquent la naissance de l’homme moderne. La septième étape est donc la naissance de sociétés animales :l’individu n’est plus une entité propre indépendante mais un chaînon dans une société complexe. La dernière étape, qui semble celle de l’achèvement le plus complet pour les deux auteurs, est celle qui concerne le passage dune société animale à une société humaine. C‘est donc le passage de l’hominisation à l’humanisation avec la naissance du langage. Dans ces sept transitions, toutes n’ont pas la même signification. I1 est évident que les premières modifications dans le monde pré-biotique sont vitales. La transition de la proto-biologie à la biologie, avec la scission des fonctions génome et enzyme grâce à l’utilisation de l’ADN est, elle aussi, au centre de la problématique. Par ailleurs, les transitions qui ont lieu après l’émergence de la vie découlent dans une logique plus compréhensible. Enfin, les transitions sociales dans les sociétés animales dépassent un peu le cadre de la biologie. Ainsi, le cœur << du problème téléologique B du vivant s’explique par les mécanismes de découplage entre la fonction génome et enzyme des premières molécules génomiques primitives. D’où le problème du omne ouum ex ou0 venait-il ? de l’impossibilité de différencier quoi est à l’origine de quoi. Le génome traduit des protéines qui, elles-mêmes, servent à construire de nouvelles molécules d’ADN. Or nous pouvons maintenant construire un << arbre phylogénique », ou plutôt un scénario probable de la proto-biologie à la biologie, dans lequel le monde
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ARN tient la vedette. Les molécules-supports du génome étaient donc probablement des ARN. Mais ces ARN n’était pas uniquement des molécules informatives, elles étaient le support d’une fonction catalytique enzymatique. La molécule était un tout : capable de se répliquer, d’hydrolyser ses concurrentes et de fabriquer ses substrats, elle << vivait >> négligemment dans la soupe primitive, traversée par un flux énergétique. En clair, à l’origine, les termes << protéine >> et << gène >> n’avaient pas de sens. Les deux étaient fusionnés dans la même molécule. Ce n’est donc ni l’un qui a fait l’autre, ni l’autre qui est à l’origine de l’un ;les deux ont la même origine. Ils ont ensuite divergé, tout en restant reliés fonctionnellement par le code génétique. C’est ainsi qu’est né le mirage de l’aspect téléologique du système. I1 n’y a pas de projet en soi, mais divergence d u n système en perpétuelle évolution. Comment s’est effectuée cette divergence ? progressivement, car la lutte pour la survie au sein du monde ARN devait sans doute être difficile ; par ailleurs des acides aminés étaient présents au sein du mélange. Or la liaison de 1’ARN à un acide aminé devait pouvoir donner un avantage sélectif certain en diversifiant les radicaux chimiques potentiellement utilisables dans la lutte pour la survie moléculaire. Les acides aminés ont pu radicalement diversifier les potentialités enzymatiques des premiers réplicateurs. Les ARN ont donc dû rapidement se parer d‘acides aminés, à la fois boucliers et épées de la molécule d’ARN. I1 faut remarquer qu’à ce stade YARN ne peut pas porter réellement le nom de génome, puisque l’information donnée par la séquence ne code pour rien, sinon pour la réplication à l’identique : il s’agit d’un protogénome. Par ailleurs, les acides aminés ne pouvaient pas d’avantage prétendre au titre de protéine. On peut imaginer que progressivement les ARN se soient parés linéairement d’acides aminés jusqu’à ce qu’une correspondance exacte entre séquence d‘acide nucléique et acide aminé puisse se faire. Ce serait alors la genèse d u n proto-code génétique et des premières protéines, et donc du premier génome. Cette disjonction est importante dans l’histoire du vivant, puisqu’elle est à l’origine du premier véritable système cellulaire. Mais ce système n’est viable que s’il est isolé puisque la synthèse d’une protéine dans une soupe primitive n’apporte aucun avantage sélectif à celui qui l’a produit, chaque ARN naviguant dans la soupe pouvant théoriquement en profiter. I1 est alors nécessaire d’imaginer conjointement la N fermeture >> du système ARN-protéine dans une enceinte close : la proto-cellule. Ce phénomène n’est pas aussi improbable qu’il paraît, puisque des études portant sur des systèmes de cascades de catalyse grâce à des ARN montrent que ces systèmes ne fonctionnent que dans un espaceplan bidimensionnel dans lequel le substrat saute d’une enzyme à l’autre. Ce genre d’espace étant plutôt rare à l’état naturel (au moins dans une mare primitive), il est fort probable que l’évolution a retenu l’espace tridimensionnel dont le plus simple est la sphère (c’est-à-dire le proto-compartiment cellulaire). I1 est
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notable que dans un tel espace le génome originel de la (des) première(s) cellule(s) était probablement fragmenté sous forme de plusieurs molécules d'ARN. Chacun de ces ARN portait une << séquence spécifique N dont l'ensemble formait alors un proto-génome. Dans de tels systèmes,les ARN auraient agi en synergie. En effet, enfermés dans des boîtes à réplication, les proto-gènes furent ensuite sélectionnés par entité proto-cellulaire, la défaillance d'un ARN pouvant entraîner la mort de toute la cellule. Ultérieurement, le génome, en se séparant des acides aminés aurait pu prendre la place centrale qu'il occupe actuellement dans la cellule. La fin du monde ARN surviendrait classiquement avec son surpassement par l'ADN, molécule très proche mais beaucoup plus stable, et dont la structure bicaténaire est beaucoup plus adaptée à l'invariance reproductive. Progressivement YARN-génome aurait disparu des cellules pour rester confiné aux génomes viraux. La théorie formée par Smith et Szathmary a des implications heuristiques importantes. Elle permet de trancher l'épineux problème de la poule et de l'œuf, le paradigme du ornnes vivum ex ouo souligné par Monod. I1 ne s'agit plus de savoir qui des acides nucléiques ou des protéines a vu le jour le premier. Le temps passant, d'autres modèles d'émergence du vivant ont été proposés. Ainsi en 2001, deux scientifiquesaméricains et un suisse proposèrent un modèle alternatif regroupant certaines des étapes de John Maynard Smith et Eors Szathmary". Ils proposent une définition de la vie opérationnelle : un système cellulaire capable de réplication autonome et d u n e évolution darwinienne. Pour eux, un tel système proto-cellulaire a pu apparaître dans une soupe de réplicateurs à ARN qui ont été enfermés dans des vésicules lipidiques. Dès lors, les réplicateurs les plus efficaces enfermés dans leur vésicule ont progressivement été sélectionnés, puis ont incorporé un ribozyme codant pour une fonction de liaison comme la synthèse des lipides (Figure 8). I1 s'agit dès lors d u n système bouclé, que les auteurs baptisent cellule ». La frontière entre le vivant et le pré-vivant reste cependant assez floue. Par ailleurs, pendant un certain temps, les deux mondes ont dû cohabiter avant que l'un soit sélectionné et élimine l'autre. Où mettre la frontière de la naissance de la vie ? la question mérite d'être posée. Où reconnaître notre généalogie ? Dans des molécules auto-réplicantes d'une soupe primitive mais dont les séquences donneront bientôt la vie, ou seulement lorsque la première proto-cellule s'individualise ? Nous avons placé la définition du vivant dans l'émergence de la première cellule ou proto-cellule. I1 est en effet logique, à partir du moment où la vie se définit à partir du système cellulaire, de vouloir placer la naissance de la vie au moment où apparaît la première cellule, c'est-àdire le premier système physiquement clos dans lequel se trouve une structure d'acides nucléiques à fonction génomique et des molécules à fonctions enzymatiques (même si celles-ci sont remplies par YARN). (<
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Figure 8 : Modèle d‘émergence d’une cellule vivante (d’après J.W. Szostak et al. Nature, 2001).
‘Replicaîe’ acide nocleique type ARN a fonction catalytique auto-replicdnt Vesicule lipidique auto répliiante
ARN codant pour une tonction de limon (ribozyme contrôlant la syntheye de\ lipides) Proto-cellule
Toutes ces étapes ont dû, soit s’étaler dans le temps, soit survenir brusquement, mais au moins se produire de manière à s’enchaîner dans une spirale de complexité. I1 est très probable que ce qui existait avant la première cellule différait assez peu de ce qui a existé après. La naissance de la vie a sûrement été une longue marche, une longue suite de petits pas, qui se sont étalés sur plus d’un milliard d’années. Ce scénario est beaucoup plus probable que celui qui voit brusquement l’apparition d’une cellule comme la résultante heureuse de la théorie des probabilités.
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Finalement, l’émergence de la vie peut être comprise comme un phénomène progressif de complexification d’origine chaotique de molécules capables d‘enregistrer ces phénomènes, les acides nucléiques. Au sein de ces molécules sans arrêt renouvelées, le choix de la nature se serait fait par sélection naturelle des molécules les plus adaptées à leur environnement, comme dans le modèle de la sélection darwinienne.
Hasard ou nécessité de l’émergence de la complexité : le modèle de la sexualité ? L’émergence du sexe dans le monde de la vie résume singulièrement les problèmes posés par l’émergence, surtout quand ils sont regardés à l’envers. À ce sujet, François Jacob semble relativement peu disert, l’émergence de la sexualité est pour lui aussi naturelle que son absence puisque les bactéries vivent sans sexe : << On peut parfaitement concevoir un univers un peu ennuyeux, sans sexe, sans hormones et sans système nerveux. D L’émergence du sexe a-t-elle un sens évolutif? la réponse tentante est assurément positive : le sexe apporte de nombreux avantages pour le vivant. Cependant, quelle raison saugrenue a pu pousser la première cellule à vouloir se reproduire avec sa voisine ? pourquoi une telle émergence ? cette question posée au sexe peut << bêtement B s’appliquer à toute l’histoire de la vie. L’invention du sexe est donc bien étrange. Je l’ai choisie, car elle fait figure de paradigme des problèmes posés par l’émergence en biologie. Mais la question est aussi complexe. À voir le succès du sexe, qui constitue le mode de reproduction majoritaire des unicellulaires eucaryotes et quasi-unique des pluri-cellulaires, celui-ci doit rapporter beaucoup d’avantages sélectifs. Mais les tenants et les aboutissants de la méthode sont loin d’être totalement appréhendés. Qu’est ce que cache le sexe dans le monde vivant ? Pourquoi une telle élaboration des désirs et plaisirs chez les multicellulaires supérieurs ? Pourquoi une telle profusion de moyens ? Pourquoi s’imposer une telle complexité, alors que la simple mitose peut suffire à une reproduction ? La sexualité représente même un lourd boulet sélectif rédhibitoire au premier abord. C’est ce que John Maynard Smith appelle le coût de la méiose, qui a été aussi appelé, le coût de la production des mâles, dans le cas de l’anisogamie (casle plus général où les gamètes mâles et femelles sont différenciés). La reproduction chez les multi-cellulaires peut se faire, dans de nombreuses espèces, par parthénogenèse, c’est-à-dire que la femelle produit, sans fécondation, une cellule-œuf dont le patrimoine génétique est identique à elle-même. Toute la population est alors femelle : ce mode de reproduction est courant chez les invertébrés (puceron, abeille etc.). Une reproduction sexuée
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nécessite un mâle, dont le rôle peut se réduire à la production d‘un spermatozoïde ! Cette vision biologique simplificatrice du rôle du mâle déçoit sûrement notre virilité. Mais cette conception s’entend très bien à l’observation de la nature. Le destin du mâle de la mante religieuse décapité et dévoré immédiatement après avoir fécondé sa concubine, ou le rejet par la ruche des faux-bourdons après la fécondation de la reine, ne laisse pas grande illusion quant au rôle biologique du mâle ! Car la production des mâles a un coût, ce qui ne surprendra sûrement pas les éleveurs qui savent qu’un seul taureau est suffisant pour un troupeau de vaches, les femelles étant le seul facteur limitant la reproduction du troupeau. En admettant que chaque femelle parthénogénétique produit deux femelles, la reproduction sexuée ne produit, elle, qu’un mâle et une femelle. À la génération suivante, la famille parthénogénétique aura doublé (deux femelles qui vont pouvoir en produire quatre...) alors que la famille sexuée n’aura produit qu’un couple qui ne pourra produire que deux individus (Figure 9). À la dixième génération, la reproduction parthénogénétique sera mille fois supérieure en nombre et la cinquante-deuxième génération verra la reproduction sexuée complètement disparaître en l’absence de tout autre avantage sélectif ! I1 devient dans ce contexte difficile d’imaginer l’émergence et la survie du sexe. Figure 9 :Le coût du sexe dans une population (daprès N.H. Barton et B. Charlesworth, Science, 1998). Le coût du sexe (donc de la population mâle) dans une espèce représentée avec des mâles (carrés) et desfemelles (cercles). Si lesfemelles asexuées se reproduisent de la même manière (c’est-à-dire en ne produisant qu’une seulefille à chaque génération), le nombre relafiifdefemelles double à chaque génération, à comparer avec la population sexuée.
Population sexuée
Nombre de filles N = 1
Population asexuée
N=4
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Qu’est-ce que la reproduction sexuée ? Cette reproduction implique, pour le passage d’une génération à l’autre, la fusion de deux cellules parentales plus ou moins spécialisées, les gamètes mâles et femelles. Chaque individu devient unique par le double héritage du génome dont il possède deux exemplaires (un maternel et un paternel). Le sexe induit donc deux notions connexes : la première est la diploïdie, c’est-à-dire la possession du génome en deux exemplaires, apanage des eucaryotes ;la seconde est la recombinaison des gènes au cours des mécanismes de production des gamètes. Les gamètes sont issus de la division des cellules avec réduction du nombre de chromosomes, au cours de la méiose, pour produire une cellule haploïde. Cette cellule est unique, non seulement parce que le jeu de chromosomes parentaux s’est réparti de façon aléatoire, mais surtout parce que les chromosomes homologues ont échangé du matériel génétique. Les chromosomes ne sont ni tout à fait ceux du père, ni réellement ceux de la mère, mais des chromosomes hybrides ayant échangé de manière irréversible du matériel génétique. Un peu comme si l’enfant n’était pas la fusion des génomes du père et de la mère mais la juxtaposition de ces deux génomes. De manière d’ailleurs assez surprenante, les génomes parentaux s’opposent plus qu’ils ne s’accordent. L’enfant n’est pas la fusion idéale des génomes mais plutôt l’objet d u n combat acharné entre les deux génomes, qui a été poétiquement baptisée la << bataille génomique des sexes” ». Dans le couple génomique formé par la descendance, les gènes parentaux se disputent chacun pour s’exprimer de la manière la plus large possible. Les lois de la génétique mendélienne ne sont pas appliquées à la lettre, ce qui explique certains miracles dans l’expression phénotypique des caractères héréditaires. Seules quelques cellules de l’enfant voient réellement la mixité, le mélange charnel des deux génomes parentaux en conflit : les gamètes. En effet, dans les gonades, les gamètes voient l’association pour les générations futures des chromosomes parentaux ... Ce mélange des matériels génétiques représente une deuxième surprise. L’invariance reproductive semblait être la règle chez le vivant et la variance l’exception. Or, le sexe parait avoir transgressé ces lois intangibles et présentes depuis l’origine. La vie a-t-elle besoin de variance ou d’invariance dans la transmission de l’information génétique ? la réponse est à moduler. Les besoins ont pu évoluer au cours du temps. Au début de l’histoire du vivant, les premiers AEW génomiques souffraient sans doute beaucoup de l’absence de brin complémentaire et donc de l’impossibilité de réparer correctement leurs fréquentes lésions génomiques (surtout en considérant que l’atmosphère était, à l’origine, fort différente avec notamment une absence de couche d’ozone protectrice contre les rayons ultraviolets mutagènes). Les entités à ADN double brin peuvent utiliser le brin opposé pour réparer toutes les lésions pouvant survenir sur la matrice, par ailleurs l’énergie nécessaire pour casser deux brins stables est bien supérieure à celle nécessaire pour casser un brin d’ARN.
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C’est sans doute pourquoi les génomes ADN ont pu ultérieurement envahir le vivant (mise à part la petite entité irréductible des virus à ARN pour lesquels une grande variabilité peut présenter des avantages). La sélection a donc retenu des mécanismes d’invariance afin de permettre la constitution d’une identité de proto-espèce. Cependant, rapidement les proto-cellules bactériennes devaient être partagées entre le besoin d’isolement pour maintenir l’identité de la proto-espèce et le besoin d’échanges génétiques pour pouvoir réparer les lésions de l’ADN et intégrer des variations utiles à l’évolution de l’espèce. Chez les bactéries, l’équilibre s’établit grâce à certaines barrières pour l’ADN exogène telles les enzymes de restriction, et aux phénomènes d’échanges de matériels génétiques qui sont relativement fréquents même entre espèces différentes. Ces échanges rendent la définition de l’espèce relativement difficile à déterminer dans le monde bactérien. Chez les eucaryotes, le génome est confiné dans une tour d’ivoire, le noyau, sanctuaire de l’information génétique. Les échanges de matériels génétiquessont donc presque impossibles. La sexualité a donc remédié à la stérilité d‘un tel système où tout échange est exclu. Le sexe s’impose comme un moyen très raffiné et surtout très puissant pour induire une diversité dans un génome confiné dans un sanctuaire. I1 induit parallèlement une barrière d’espèce très sélective puisque les recombinaisons ne sont plus qu’intra-spécifiques. Enfin, il faut rappeler que la variabilité et le brassage liés au sexe ne concernent que les variations alléliques, alors que le système induit une grande conservation génique. I1 faut différencier la grande rareté des évènements de recombinaisons qui vont conduire à une duplication ou suppressions des gènes, alors que les variations alléliques sont très fréquentes, et leur brassage est favorisé par le sexe. Pourquoi << le vivant a-t-il besoin D d’une telle puissance de brassage génétique ? c’est là tout l’intérêt du sexe. Ce brassage induit une très grande variabilité des individus. Cette variation est très importante en casde modification de l’environnement’*.La sélection naturelle va pouvoir jouer sur toute la palette de déclinaisons que lui propose le sexe, pour exercer son choix. Comparons une population à reproduction sexuée et à une reproduction asexuée. Dans le cas de la population asexuée, l’incorporation pour un même individu de mutations favorables va nécessiter autant de générations que de mutations à incorporer. Par exemple pour trois mutations, elle va nécessiter trois générations (par exemple trois fois vingt minutes pour des bactéries, ce qui peut être largement le temps d’action d’un antibiotique). À ce mécanisme se rajoute la nécessité, à chaque étape, d’avoir une population suffisamment grande qui a incorporé la première mutation, pour que la probabilité d’occurrence de la seconde ne soit pas nulle, et ainsi de suite à chaque étape. Pour la population sexuée, le brassage est tel que l’accumulation des mutations se fait très rapidement. L‘avantage de ce brassage est bien entendu fonction du nombre de mutations favorables présentes dans la population à
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un instant donné, puisque plus celui-ci est grand, plus le brassage représentera un avantage sélectif par rapport à une population asexuée (Figure io). Le sexe apporte, outre la rapidité de réunion de mutations favorables, un autre aspect symétrique avantageux. Les mutations défavorables, au lieu de s’accumuler à chaque génération, sont brassées et éliminées. Chez les populations sexuées, deux individus porteurs de mutations défavorables peuvent très bien se reproduire en donnant une descendance << normale >> c’est-à-dire sans aucune mutation délétère. Alors que pour la population asexuée, le nombre de mutations délétères ne peut que croître avec le temps pour s’accumuler au fil des générations. Ce mécanisme d’accumulation de mutations délétères est comparé au cliquet qui s’enclenche sur une crémaillère. Le sens de progression est donné par la crémaillère (ici le temps qui progresse) sans que le retour en arrière ne soit possible. Pour limiter ce mécanisme du cliquet, les espèces asexuées doivent limiter la taille de leur génome et le taux de mutation lors de la réplication, ce qui est le cas chez les procaryotes. Figure i o :Modèle d’évolution dirérentielle d’unepopulation sexuée et asexuée (adapté de N.H. Barton et B. Charlesworth, Science, 1998). Avec la reproduction asexuée, les mutations favorables doivent s’établir séquentiellement. Par exemple si un allèle A est destiné à remplacer un allèle a, n’importe quel allèlefavorable à n’importe quel locus (par exemple B) peut seulement être fié si la mutation survient sur un génome porteur de A. Avec la reproduction sexuée, les mutations favorables à différents loci peuvent être combinées. Ceci conduit à un avantage des propriétés de modijïcations induites par le sexe et les recombinaisons.
Population asexuée
-
Population sexuée
Temps nécessaire à la population pour l’élimination d’un allèle défavorable
Légende : A et a représentent deux allèles possibles d’un même gène sur un locus déterminé. Il en est de même pour B et b.
UQ-
-O+
ab
aB
Ab
-A;p
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Nous venons de décrire les avantages sélectifs que peut donner une population sexuée. La sexualisation a eu un succès très grand dans le monde vivant. À chaque étape de l’évolution, on retrouve des mécanismes de conservation et d’adaptation du sexe au sein de l’espèce. Du sexe, les animaux ont créé la sexualité, ensemble des mécanismes comportementaux complexes mis en jeu au cours de la reproduction sexuée. À tel point que les comportements sexuels de certains vertébrés ont souvent forcé l’admiration des naturalistes. Ainsi, les parades, les combats parfois à mort, les modifications corporelles souvent extravagantes chez les oiseaux dans les rites nécessaires avant l’accouplement ont toujours surpris par leurs caractères hautement complexes. Par ailleurs, l’ensemble de ces rites ont toujours fait figure d’exemple de la sélection sexuelle, au cours de laquelle seuls les individus les plus aptes à la reproduction pouvaient perpétuer l’espèce (au contrai;? de la notion de diversité biologique). Le sexe s’est alors étoffé du halo de la sexualité à travers duquel il est toujours observé. Cependant, le sexe n’a pas pour objet de sélectionner les mâles les plus beaux et les plus résistants. La reproduction semée n’a pas été créée pour la beauté et le raffinement de la parade sexuelle qui n’en sont que des facteurs annexes. Le sexe doit apporter plusieurs avantages : des avantages à long terme, puisque le sexe a depuis longtemps envahi le champ du vivant ;et des avantages à court terme puisque celui-ci doit immédiatement pouvoir s’opposer au coût de la production des mâles. À court terme, l’avantage du sexe a toujours été difficile à appréhender. I1 semble aujourd’hui que l’adaptation à l’environnement demande une plasticité et un brassage génétiques d’une ampleur inégalée. Ce phénomène commence à se percevoir avec les interactions dans un même écosystème entre un hôte et un agent pathogène. Les agents pathogènes ont sûrement été un moteur d’évolution et de sélection très important qui ont pu expliquer la disparition de nombreuses espèces au cours de l’histoire du vivant. Ainsi, le rôle des infections est soupçonné dans la disparition des espèces paraanthropoïdes, il y a quelques millions d’années, laissant l’homme seul avec ses lointains cousins simiens. Les infections affectant une population naïve représentent un danger immense. I1 est clair que la disparition de nombreuses populations amérindiennes, après la découverte du nouveau monde, est due autant aux épidémies de grippe, rougeole, variole, qu’à la sauvagerie de la colonisation. Comment ces agents réputés bénins ont-ils pu causer autant de dommages ? ces agents n’avaient pas évolué dans l’ancien monde ;ils avaient co-évolué. C‘est-à-dire que chacun de son côté, virus et individus, avait été sélectionné pour vivre selon un modus vivendi honorable pour tous. Du côté de la population, les individus les plus réceptifs pour le virus avaient été sélectionnés et probablement éliminés. Parallèlement, les sujets non réceptifs furent favorisés. Un des modèles les mieux connus d’interaction hôte-pathogène
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est celui de l’infection humaine par le Virus de YImmunodéficience Humaine (VIH). Dès le début de l’épidémie d’infections par le VIH, un certain nombre d’individus furent rapidement identifiés, car ils portaient une propriété singulière : malgré des comportements sexuels hautement à risque, ils ne semblaient pas être réceptifs au virus. 11 a depuis été établi un lien entre ce caractère et des mutations qui suppriment l’expression d u n ou de plusieurs récepteurs à des substances nommées chimiokines, celles-ci intervenant dans la régulation de la réponse i m m ~ n e ’ ~Or . ’ ~il. se trouve que ces récepteurs ont aussi pour << fonction annexe D d’intervenir comme Co-récepteur du virus. Ce Co-récepteur agit comme la serrure qui ouvre la porte d’entrée de la cellule. Si le virus qui exprime la clé à sa surface ne trouve pas la serrure, il ne peut infecter de cellules et a fortiori d’individus. L’absence de récepteur au virus présente donc un caractère positivement sélectif dans la population théorique soumise à une pression par un virus pandémique. De manière assez curieuse, l’apparition de cette mutation dans la population caucasienne a été datée à plus de sept cents ansI5. Comme cette période correspond en Europe aux pandémies de peste, il a été supposé que les porteurs de cette mutation pouvaient avoir un avantage sélectif dans la résistance au bacille de la peste, ce qui n’a pas encore été confirmé expérimenta1emenP. Dans le cas du modèle de l’infection par le VIH, il est clair que la théorie de la sélection naturelle au décours dune grande pandémie n’est pas applicable. Mais il reste un modèle singulier d’infection dont les interactions hôtes-agents pathogènes sont les mieux connues, ce qui permet d’étayer un certain nombre d’hypothèses. I1 constitue donc à ce titre un modèle heuristique sans pareil. Mais la sélection ne s’exerce pas dans le sens unique du virus vers l’hôte mais dans les deux sens. Du côté du virus, les souches les plus virulentes sont aussi éliminées rapidement car en causant trop de morts, elles atténuent ainsi leur transmissibilité : un hôte mort n’est plus un hôte producteur et transmetteur de virus. Ce modèle d’atténuation de la virulence dun virus lors du passage d u n individu à un autre est connu depuis fort longtemps en Chine et bien avant la première vaccination moderne, grâce à un virus bien particulier : le virus de la variole, orthopoxvirus humain pathogène. Les variants atténués de ce virus servaient de souches << proto-vaccinales >> totalement empiriques dans un système pré-vaccinal appelé variolisation, ancêtre lointain de la vaccination très en vogue dans la Grande-Bretagne du XVIII~siècle. Cette technique très ancienne avait cependant de nombreux inconvénients : le plus important était de voir poindre des varioles réelles et mortelles ;par ailleurs, le patient variolisé était malade et présentait les symptômes d’une variole a minima ; enfin, il était infectieux pour l’entourage. Ces problèmes rendaient la variolisation rédhibitoire pour nombre de personnes. Cependant, compte tenu du fléau que représentait la variole, le risque était contrebalancé par le bénéfice de l’immunité. Dans ce contexte, c’est l’année 1796, qui voit surgir une avancée majeure dans la lutte
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contre ce fléau. Edward Jenner, né en Angleterre à Berkeley en 1749, est à l’époque un chirurgien d’origine modeste à l’esprit curieux qui s’est intérressé à la chimie et au naturalisme avec quelques succès, mais qui se retire dans la campagne anglaise quand on lui propose une place de naturaliste dans le cadre d’une expédition outre-mer ... Retiré dans son monde rural, il se lance dans une campagne de variolisation qui va lui permettre de mettre au point la première vaccination. Pourquoi ? Parce qu’à la fois doué d’un esprit d’observation vif et aussi aidé par le sort, il réalise une première en e variolisant n une population rurale. I1 observe alors un phénomène singulier : certaines personnes ne présentent pas la classique réaction de variolisation. Or, ces personnes sont justement celles qui ont contracté une maladie analogue, la vaccine, qui infectait la vache de Jenner. L’origine de la vaccine est d’ailleurs un mystère puisque le virus est génétiquement différent de la variole et du cow-pox. Cette affection touchait plus fréquemment les agriculteurs et Jenner avait donc une très grande probabilité (sans le savoir) de rencontrer << des patients vaccinés ».I1 fait alors le lien entre les deux et se persuade qu’il est possible de protéger l’homme contre la variole en lui administrant expérimentalement la vaccine. L’opinion de Jenner est alors révolutionnaire. I1 n’a ensuite plus qu’une idée en tête : vérifier si l’infection par la vaccine induit une immunité stable contre la variole. Le passage à l’acte va prendre plusieurs années, car il s’agit d’inoculer à l’homme un virus (< bovin ».C’est sur un enfant alors âgé de 8 ans (!) James Phibbs, que Jenner passe à l’expérimentation le 14 mai 1796. I1 prélève de la lymphe d’une pustule de vaccine, sur Sarah Nelmes, fille d u n agriculteur propriétaire d’une vache laitière restée célèbre, poétiquement baptisée fleur (blossom), à l’origine de la vaccine. La lymphe est ensuite déposée sur deux petites scarifications réalisées sur le bras de l’enfant. La vaccination est née. L’enfant présente à sept jours une douleur de l’aisselle accompagnée d’une fébricule, mais le lendemain, il est en pleine forme. L’innocuité de la méthode est prouvée, il reste à en démontrer l’efficacité. Le 1“juillet, soit six semaines après la vaccination, Jenner variolise son jeune patient et constate avec succès que celui-ci ne présente aucun des signes classiques post-variolisation, mais une petite réaction comme ceux qui ont déjà présenté une variole. La méthode qui consiste à transmettre la vaccine est baptisée vaccination. Mais les idées révolutionnaires ont du mal à percer. Jenner vient de fonder les bases encore très empiriques d’un mode révolutionnaire de prophylaxie des maladies infectieuses : la vaccination. I1 envoie un manuscrit à la Royal Society qui le lui refuse poliment mais fermement. Tenace, Jenner publie à compte d’auteur, le compte-rendu de ses travaux le 17 septembre 1798, sous le titre, An inquiry into the causes and effects of the variola vaccina, a disease discovered in some of the western countries of England, particulary Gloucestershire and known by the name of the cow pox. Rapidement la méthode de Jenner est reproduite tout d’abord au
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St-George Hospital, en 1799, puis rapidement généralisée avec le succès qu’on lui connaît, puisque la variole a complètement disparu de notre quotidien. Jenner permit, à titre posthume, à l’organisation Mondiale pour la Santé de pouvoir déclarer, en 1980, la première et pour l’instant unique prouesse épidémiologique de l’histoire de l’humanité : l’éradication totale et complète d’un virus hautement pathogène. Le succès de Jenner illustre un fait établi, celui de l’atténuation du virus lors du passage, c’est-à-dire lors du repiquage d’une souche. Le passage d’un virus sur un modèle non adapté à sa prolifération, qu’il soit vivant ou en culture cellulaire, induit fréquemment l’atténuation de la souche. En effet, ce phénomène de passage de virus en lignée cellulaire continue provoque une forte pression de sélection liée aux interactions viruscellules, pour aboutir à une sélection des variants du virus les plus adaptés à la cellule qu’ils infectent. Assez paradoxalement, il devient possible de rendre un virus infectant pour des cellules d u n hôte qu’il n’infectejamais naturellement (virus humains et cellules murines ou d’insectes et inversement). Dans le même ordre d’idée, les virus les moins virulents sont, eux aussi, favorisés dans un tel système. En effet, les virus les plus virulents vont induire rapidement la mort des cellules qu’ils infectent et vont donc scier la branche sur laquelle ils prolifèrent. Alors que les virus les moins agressifs, vont pouvoir infecter de multiples cellules, et se reproduire de manière beaucoup plus efficace à terme. Après de nombreux passages, l’expérience prouve qu’il est possible d’obtenir des lignées qui ont pratiquement perdu toute leur virulence et peuvent être utilisées comme vaccin. C’est le cas de souches vaccinales utilisées pour la vaccination contre la fièvre jaune (souche i7D Rockefeller) ou pour la vaccination contre la poliomyélite (souche Sabin). Ce modèle du passage de virus sur des lignées continues forme même un modèle de sélection naturelle utilisé par les biologistes théoriciens de l’évolution, ceux-ci pouvant alors modéliser simplement des interactions complexes. I1 est donc absolument nécessaire de comprendre l’évolution du système hôte-parasite comme une Co-évolution. Ce n’est ni l’un qui sélectionne l’autre, ni l’autre qui sélectionne l’un, mais l’un et l’autre qui se Co-sélectionnent. Une hypothèse intéressante a permis récemment de modéliser les interactions entre les virus et les hôtes, montrant que le système immunitaire induit une sélection conduisant les virus à adopter une conduite chaotique en matière d’expression de leurs antigènes. Ainsi les deux populations de virus et d’individus interagissent continuellement. Le combat évolutif entre un hôte et son entourage infectieux est souvent comparé au paradoxe de la Reine Rouge. L’hypothèse de la Reine Rouge est émise par Leigh Van Valen, de l’université de Chicago, en 1973’~.Elle tire son nom du conte de Lewis Carrol dans lequel Alice est entraînée par une Reine Rouge dans une course immobile à travers un miroir. Cette course est immobile parce que le décor se déplace à la même vitesse qu’Alice qui court à perdre haleine sans avancer d’un
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centimètre. Ce cauchemar est celui vécu par l’hôte d u n panel d’agents pathogènes dont l’évolution est simultanée et interactive. Finalement, cette course est vaine car l’environnement Co-évolue avec l’espèce. Cette fable n’est pas venue ex abrupto de l’imagination de Van Valen. Elle est le résultat de travaux très importants qui ont porté sur la durée de vie géologique de plus de vingt-quatre mille espèces, genres ou familles éteintes. Il en ressort que la probabilité d’extinction d’une espèce ne varie pas avec l’âge de la lignée. La probabilité d’extinction étant constante, c’est donc que les efforts dadaptation de l’espèce à l’environnement sont inutiles. Puisque l’évolution ne permet pas de diminuer la probabilité d’extinction, c’est que la course évolutive est illusoire bien qu’incontournable. Cette hypothèse, bien que très séduisante et fort utile pour comprendre la pression de sélection à court terme produite par l’environnement d’un individu, souffre quelques critiques. En effet, elle est difficilement vérifiable. Cependant, bien que l’hypothèse de la Reine Rouge se révèle séduisante, car prédisant que l’adaptation n’a pas de sens, elle a ses limites. Elle ne prévoit en effet pas l’adaptation à un environnement futur différent de celui présent à l’instant de l’observation. L’évolution est une course effrénée à l’adaptation dans l’instant présent, sans anticipation sur le futur. Dans ces conditions, la disparition cataclysmique d’espèces fossiles comme les dinosaures au moment de la transition entre l’ère secondaire et tertiaire se comprend. En effet, les hypothèses les plus construites font appel soit à une activité volcanique intense soit à une collision avec une météorite pour expliquer la disparition d’un écosystème aussi prospère. I1 s’agit aussi dune hypothèse qui semble difficile à tester. En tout état de cause des travaux de modélisation aboutissent à des résultats contradictoires. I1 semblerait notamment qu’elle ne puisse pas expliquer l’émergence du sexe en toutes circonstances’s. En tout état de cause, il est clair que l’apparition de la sexualité induit un brassage génétique tel que la résistance aux infections se trouve fortement renforcée par ce mécanisme d’échange de gène à travers la population qu’est le sexe. Le sexe constitue donc un moyen de renforcer la résistance aux agents pathogènes ... Mais la nature étant prolixe, la protection contre les agents pathogènes s’est considérablement développée dans le monde des pluricellulaires avec le développement du système immunitaire, système hautement complexe chez les mammifères et entièrement tourné sur la reconnaissance du non-soi. I1 est intéressant de faire le parallèle avec les lymphocytes du système immunitaire dont la << problématique initiale >> était de pouvoir reconnaître tous les antigènes putatifs qui pouvaient être présents dans le milieu extérieur. Ils ont alors spontanément développé un système de brassage génétique dans les cellules somatiques en dehors de toute arrière-pensée sexuelle. Ce système permet des recombinaisons de chromosomes qui combinent des séquences de gènes très diverses introduites à l’extrémité des
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structures d’immunoglobulines pour créer un anticorps. Cet anticorps possède une spécificité due à la recombinaison des séquences de reconnaissance du non-soi. 11est ainsi possible de créer, de manière aléatoire, grâce à l’ensemble des recombinaisons des gènes de nos lymphocytes, un répertoire immunologique de plus d u n milliard d’anticorps différents, soit de quoi reconnaître normalement plus que l’ensemble des agents pathogènes potentiellement infectants pour l’homme. Brassage génétique et protection contre les agents pathogènes de l’environnement font donc bon ménage. Mais, toute chose ayant un prix, les agents pathogènes peuvent aussi profiter des stratégies sexuelles de leurs hôtes. Ainsi, les agents transmissibles sexuellement font leurs succès des contacts muqueux intimes qu’entretiennent les animaux au cours de leurs rapports sexuels. Le sexe, stratégie d’évasion des pathogènes, peut aussi être pourvoyeur de la maladie.. . Enfin, de manière plus large, les interactions hôte-parasite sont fort intéressantes, puisque l’ensemble de la biosphère animale fonctionne sur un modèle particulier de parasitisme, l’hétérotrophie. L’animal ne peut vivre sans s’insérer dans un écosystème au sein duquel il puise ses ressources alimentaires qu’il arrache au monde végétal. Le monde animal représente donc une sorte d’appendice monstrueux, vivant aux dépens du monde végétal. La compréhension des interactions hôte-parasite dépasse donc largement la seule interaction hôte-pathogène puisque, finalement, chacun s’insère dans un cycle de parasitisme d’une ou de plusieurs autres espèces. À plus long terme, quels avantages peut apporter le sexe ? sur la durée le sexe est un facteur d’adaptation extrêmement puissant. I1 est bien évident que l’évolution ne se mesure pas sur le court terme. À long terme, le sexe est un facteur de plasticité du génome et d’adaptation sans pareil dans le monde vivant. L‘explosion radiative des multicellulaires est bien entendu, à rattacher au sexe qui a permis au génome de se diversifier, de se moduler, de se dupliquer, de créer des familles de gènes qui ont dérivé au fil des besoins du moment. L‘extraordinaire diversité du monde multicellulaire, comparée à la triste monotonie du monde bactérien, est à mettre sur le compte du sexe. Le sexe est donc un éternel pourvoyeur d’originalité dans le monde de la vie. Pour reprendre la problématique initiale, quels facteurs peuvent expliquer la transition entre un monde fade sans sexe, et l’intrusion du trublion sexuel ? la réponse n’est sûrement pas finaliste. L’explication est commune à toute les grandes avancées dans le monde de la vie, liée à l’interaction d’un hasard aveugle et dune sélection précise et efficace. Le sexe a dû apparaître au gré des fluctuations d u n monde vivant, bouillonnant mais limité par une parasexualité terne et peu originale. Au départ, simple curiosité issue d’une mutation malencontreuse ou d’une erreur téléologique, ses avantages l’installent rapidement comme norme reproductive. Entité normative, passage indispensable non seulement pour l’avenir évolutif, mais aussi pour la survie
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des individus et donc de l’espèce, le sexe évolue. Les gènes gouvernant la sexualisation évoluent eux aussi, formant des familles complexes retrouvées dans tous les taxons. Dans certaines espèces, le sexe involue, coexiste avec une reproduction non sexuée. Les pucerons donnent un exemple assez bizarre de ce que peut donner l’évolution. Ils peuvent se reproduire de deux manières : la parthénogenèse qui est un mode de reproduction vivipare, alors que la reproduction sexuée est ovipare. La reproduction ovipare possède l’avantage de produire des œufs qui résistent au froid. L’été et un hiver doux sélectionnent la production de lignées parthénogénétiques qui envahissent les populations, alors qu’un simple hiver rigoureux sélectionne les lignées à reproduction sexuée... Le sexe s’est alors bien éloigné de sa fonction première de brasseur du génome, pour donner un avantage à la résistance au froid. Chez les vertébrés supérieurs, le sexe se pare de nombreux accessoires comportementaux comme la sexualité. Les modes de rapprochement et de choix du reproducteur sont alors inclus de manière plus vaste dans une organisation sociologique de l’espèce. Dans de nombreuses espèces, seul un mâle dominant accède aux femelles qui se conservent pour lui seul. Les autres mâles dominés ne peuvent alors se reproduire. L’organisation du groupe transparaît dans la sexualité... Chez l’homme, la sexualité prend des raffinements extrêmes où le jeu de la séduction peut être fort élaboré. L‘émergence du sexe doit cependant être comprise, dans la philosophie du vivant, dans la bio-logique, comme un système dissipatif auto-entretenu inducteur d‘une complexité sans cesse croissante, le système engendre à tâtons, autour d u n régime stable, un niveau de complexité supérieur. Le vivant est donc profondément inséré dans les lois de fonctionnement de la physique. I1 n’échappe à aucune de ses lois. I1 est comme tout système dissipatif, créateur de complexité. Le sexe n’est donc plus l’enfant du diable, le monstre, la perversion réincarnée. Non, le sexe est le simple produit d’une loi physique sélectionnéepar une nature aveugle. Sa sélection est tout simplement liée à l’avantage sélectif qu’il procure. La nouveauté du sexe n’a pas été sans conséquences. I1 a ainsi propulsé l’évolution, et permis in fine d’enfanter l’homme. Sans sexe, le monde serait sans doute resté une immense mare de bactéries échangeant sans complexe leur matériel génétique par simple parasexualité. Grâce au sexe, de nouvelles perspectives ouvrent la voie à l’émergence de l’humanité.
Chapitre 8. LA VIE EST-ELLE RÉDUCTIBLE AUX BIOTECHNOLOGIES ?
Les rapports entre les technologies et l’homme sont aussi anciens qu’ambivalents, ce dernier oscillant périodiquement entre technophilie béate et technophobie tenace. La maîtrise de la technique reste cependant perçue comme la marque qui sépare le monde de l’homme-animal du monde de l’homme-humanisé. En somme, la technique est la marque imprescriptible du dépassement d’un seuil entre la communauté animale et la communauté humaine. Cette distinctionprofonde indique qu’au-delà de la maîtrise technique, une culture transmise par les contacts sociaux s’élabore, qu’une intelligence sur le sens de l’existence a simultanément enfin éclos pour l’homme-animal. La technologie scelle définitivement l’humanisation de l’homme. Mais les rapports entre la technique et l’homme ne se résument pas au dépassement d’un simple seuil. Chaque nouvelle étape dans la maîtrise d’une technique bouleverse profondément le rapport de l’homme à lui-même. La maîtrise du feu, du fer, de la vapeur ont profondément transformé, bouleversé, voire révolutionné les sociétés au sein desquelles elles ont émergé. Le domaine des biotechnologies n’échappe pas à cette règle. Ainsi, l’élaboration de nouvelles techniques dans le domaine du vivant suscite un vif débat, car il s’agit d’une transformation du rapport de l’homme à la vie. En fait, la biologie moderne rejette les bases même des conceptions anciennes du sens du mot vie. En ce sens, il est possible de parler de révolution biotechnologique. Cette révolution, apportée par la science, suscite des réactions mitigées. Certains dénoncent, dans le bio-pouvoir naissant, l’émergence d’une nouvelle barbarie. D’autres s’impatientent devant les hésitations et les piétinements de la science, dans l’attente expiatoire de l’accouchement difficile d’un monde enfin meilleur... Le progrès biotechnologique peut autant fasciner que générer des angoisses. L’objectif affiché des biotechnologistes (il n’est pas question de remettre en cause ici leur bonne foi) est de mettre à la disposition de l’humanité
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des outils qui permettront d’améliorer la santé ou le bien-être commun. Cependant, toucher à l’homme n’est pas anodin. Non pas que celui-ci constitue un sanctuaire auquel le dogmatisme le plus strict oppose toute forme d’intrusion fut-elle au bénéfice de l’intérêt de celui qui en est victime, mais l’homme est aussi un membre d’une communauté singulière : la communauté humaine. En faire partie lui donne des droits, mais exige aussi des devoirs. Ces devoirs sont notamment ceux imposés par la loi, mais aussi et surtout, ceux imposés par l’éthique au sens de la règle morale. Les règles de l’éthique qui obligent tout individu doué d’intelligence ont été l’objet essentiel de la réflexion d’Emmanuel Kant. L’énoncé de ses principes éthiques a créé une rupture dans la pensée philosophique quand ils ont été publiés pour la première fois en 1785, ils survinrent dans un monde où le respect de la dignité humaine n’inspirait que quelques rares philosophes et où l’esclavage était aussi naturel que la peine de mort. Pour Kant, une première distinction très importante est nécessaire, quant aux actions d‘un individu : il y a d u n côté celles qui peuvent être accomplies en conformité avec une nécessité légale (et donc extérieure à l’individu) et de l’autre celles qui peuvent être accomplies en conformité avec une nécessité morale (et donc propres à l’individu). Cette distinction moralitélégalité est très importante en pratique, puisque la métaphysique kantienne impose une morale dont la rigueur dépasse largement ce que la loi tolère (et tolérait à l’époque à laquelle ces principes ont été publiés). Mais elle est aussi primordiale, car pour Kant la loi morale prime sur tout autre considération, seule la pure forme de la loi morale fonde les bases d’une obligation inconditionnelle. Les lois de la morale ont donc un caractère universel : << Agis selon une maxime telle que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle’. D Kant propose donc d’appliquer à la morale humaine des règles qui sont - ou qui tendent à être universelles. Pour Kant, l’adjectif << universel D ne signifie pas la volonté d’appliquer à la morale, d’essence humaine, des lois plus larges, comme celles de la physique. I1 se rapporte à la notion de norme immuable indépendante des circonstances ou des changements d’intérêts extérieurs. 11 fonde véritablement l’éthique comme la recherche constante d’un absolu. Dans les Fondements de la métaphysique des mœurs Kant induit une césure singulièregrâce à cette maxime qui a été psalmodiée par tous les comités d’éthique : << Agis de telle sorte que tu uses de l’humanité, en ta personne et dans celle d’autrui, toujours comme fin, et jamais simplement comme moyen’. B I1 ajoute clairement : (< Mais l’homme n’est pas une chose ;il n’est pas par conséquent un objet qui puisse être traité simplement comme un moyen ;mais il doit dans toutes ses actions être toujours considéré comme unefin en soi. Ainsi j e ne puis disposer en rien de l’homme en ma personne, soitpour le mutiler, soitpour l’endommager, soitpour le tuer’. B Au-delà des temps, les principes universels de la métaphysique kantienne restent toujours
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d’une vérité limpide. L’homme ne peut donc être entendu ni comme un objet d’études dans l’absolu, ni comme un objet technologique au sens vulgaire. À chaque fois que la technologie se propose d’utiliser une vie humaine, le principe de la métaphysique de Kant reste valable. La reconnaissance de l’altérité, la volonté délibérée de ne pas réifier l’autre, sont des barrières éthiques infranchissables. Pourtant tous les problèmes ne sont pas résolus par la simple lecture de la métaphysique kantienne. S’il devient clairement perceptible que nul homme ne doit être considéré comme un moyen, il devient de moins en moins clair de savoir qui considérer comme un homme, Cette question fait l’objet de débat criant depuis que les progrès de la biologie permettent de s’insinuer dans les premières étapes de la vie. Lorsque l’embryon apparaît, l’homme est-il déjà présent ? L’embryon est-il homme dès la fécondation, estil homme-potentiel, ou chose dont on peut disposer à sa guise ? I1 s’agit d’un problème très important qui n’est pas uniquement philosophique et dont les conséquences se révèlent très pratiques. Ainsi, la Cour de cassation a eu récemment à décider s’il était possible de retenir le qualificatif d’homicide involontaire à propos d u n chauffard qui blessa une femme enceinte dans un accident, entraînant la mort in utero de l’enfant qu’elle portait. Ce chauffard, qui a induit la mort d’une personne à naître, d’une personne en devenir, estil responsable de l’homicide du fœtus ou de simples coups et blessures sur la mère ? I1 est donc bien nécessaire de définir plus clairement ce qu’est une personne humaine vivante en droit mais aussi biologiquement, car le droit s’inspire nécessairement à la fois des données de l’éthique et de la science. De même, il est licite de s’interroger sur la pertinence de nouveaux outils qui sont développés dans l’unique but d’acquérir une poignée de billets de banque ou une parcelle de notoriété, sans se soucier du risque de réification d’êtres humains. Car, à la logique de la recherche de connaissances,se substitue celle moins avouable d’une quête effrénée du profit. La vie peut rapporter de l’argent, beaucoup d’argent. La vie est alors asservie, réifiée par des grands groupes multinationaux engloutissant des millions dans des recherches dont on sait qu’elles peuvent décupler l’investissement initial. Actuellement, il ne se passe pas un semestre sans que de nouvelles techniques soient mises au point, brevets à l’appui, ou que soient publiés des résultats issus du programme de séquençage de génomes d’espèces encore vierges de tout séquençage. Le rythme s’intensifie notablement et de nombreuses technologies brevetées vont pouvoir être rentabilisées sans tarder par des multinationales. La notion même d’utilisation de l’être humain pour dériver de nouveaux outils, et donc de nouveaux profits, est relativement irritante pour qui tient l’être humain pour autre chose qu’une machine technologique.Comment attacher, raccorder, relier dans un même néologisme deux concepts, pour autant aussi antinomiques ? Si la biologie peut en effet être l’objet d’un questionnement raisonné et d’une
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étude scientifique, est-il possible de laisser cette biologie s’enferrer dans le carcan technologiste ? Répondre par l’affirmative en toutes circonstances serait vouloir faire de la vie humaine un outil, un instrument, au service de l’homme. Or l’histoire de l’humanité est malheureusement entachée de monstrueuses séquelles. Celles-ci rappellent clairement les très grandes difficultés de l’humanité à maîtriser ses pulsions autolytiques, violentes et dévastatrices. Depuis les sociétés esclavagistes jusqu’aux dérives de la mise en œuvre de l’eugénisme par les régimes totalitaires du xx“siècle, la tentation de l’application des succès de la biologie animale ou végétale à l’homme n’a laissé que de tristes souvenirs. La dérive est pourtant tentante : chaque progrès de la biologie en tant que science, rapproche un peu plus le vivant de son origine physico-chimique et l’écarte de << son caractère singulier ». Pourtant, les principes fondamentaux de la métaphysique kantienne nous rappellent que si la vie peut et doit être l’objet d’une étude scientifique - et c’est le sens de la biologie - la vie humaine ne doit en aucun cas pouvoir être réifiée, asservie comme le vulgaire objet dune technologie froide utilisée sans raison. Une solution pourrait être de tirer, de l’observation des règles de la nature, des lois applicables à l’humanité, une sorte de << philosophie naturelle B à partir de laquelle il serait possible d’échafauder des règles universelles de l’éthique. Malheureusement, un principe aussi simple est complètement absurde. L’application à l’homme de normes imposées par un modèle qui serait celui des lois de la nature serait contraire à ce qui a fondé la singularité de l’humanité depuis la nuit des temps. Les lois qui régissent la nature ont toujours profondément différé des lois qui régissent les sociétés humaines. L’interdit de l’inceste sur lequel sont bâties les sociétés humaines n’a aucun fondement biologique. L’inceste est parfaitement toléré dans les sociétés animales. Vouloir prendre pour modèle les lois de la nature reviendrait à remettre en cause cet interdit présent dans toutes les sociétés humaines. Mais bien d’autres interdits fondent les lois humaines. Ainsi, l’interdiction de tuer l’autre n’a rien << d’illégal N au regard de la nature qui s’accommode parfaitement de la mise à mort de l’autre (en général plus faible). À cet égard l’eugénisme, mis en œuvre au me siècle par certaines sociétés totalitaires (mais pas uniquementp 3, a été inspiré par un dogmatisme naturaliste encore appelé darwinisme social, dont l’idée est d’imposer aux sociétés humaines de manière artificielle une sélection naturelle (et une élimination des plus faibles, notamment des handicapés) afin d’obéir aux normes universelles de la nature. I1 n’est pas un hasard si les scientifiques qui ont participé à l’élaboration de la synthèse de la théorie de l’évolution au début du xx‘siècle ont, à de rares exceptions près, adhéré à des degrés divers aux principes de l’eugénisme. Pourtant, la vie humaine ne peut être soumise aux lois de la sélection naturelle au seul prétexte de son application à l’ensemble du vivant à l’état sauvage, de son caractère << universel B dans la nature. L’accepter
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serait renier la singularité de l’humanité, nier aussi l’existence de la culture puisque la seule réalité tangible serait celle des lois de la Nature. I1 s’agirait d’une régression énorme. Cela signifierait qu’une nouvelle ère s’annoncerait, laquelle renierait, bafouerait les principes les plus fondamentaux de l’humanité. Les principes de la non-transformation de l’autre en objet en seraient alors supplantés par l’assouvissement des désirs plus forts de ceux qui détiennent le G pouvoir biotechnologique ».La volonté grandissantes de certains scientifiques de voir renier la spécificité de l’homme sont parfois affligeants. James Watson, prix Nobel de médecine, découvreur de la structure tridimensionnelle de l’ADN ne passe pas pour un illuminé dans la communauté scientifique. Pourtant, les échanges qu’il a eus avec Axel Kahn en 1995au sujet des droits de l’homme laissent pantois : << J’ai bien entendu Axel Kahn parler de droits de l’Homme ;mais de quoi voulait-il parler en particulier ? (...) les êtres humains n’ontpas de droits, ils ont des besoins élémentaires (...), de nourn’ture, d’éducation, de santé. Les besoins ne changentpas, mais ce que nous percevons comme des droits de l’Homme varie non seulement d’une région du monde à l’autre, mais aussi au cours de l’histoire. Ainsi, il importe d’être très prudent dans la référence aux droits de l’Homme et à leur caractère intangible. (...) Une conséquence de la révolution darwinienne est que si vous avancez que l’homme a des droits inaliénables, cela s’appliquera aussi au chien, puis à la petite souris, à la mouche du vinaigre... Où tracerons-nous la limite ? (...Y. D Le discours de James Watson tient d’un courant utopiste du milieu scientifique qui voudrait voir appliquer aux choses humaines les lois immuables de la nature. Aussi rigoriste que puisse être ce genre de raisonnement, il n’en est pas moins très proche des systèmes de pensée qui ont soutenu les pires barbaries du mesiècle. Et il faut reconnaître qu’il règne aux yeux de beaucoup une confusion pour ce qui concerne la notion de droit de l’homme. C‘est Jürgen Habermas qui rappelle que << (...) des concepts juridiques moralement saturés tels que ceux de “droits de l’homme’’ ou de “dignité humaine” non seulement perdent de leur acuité si, de manière contre-intuitive on les dilate à l’excès, mais encore y laissent aussi leur potentiel critique%. Pourtant, il n’est pas besoin de se retourner loin dans l’histoire pour reconnaître dans quelles terribles conditions a émergé la notion de crime contre l’humanité. C’est le Tribunal de Nuremberg qui eu à juger les criminels nazis à qui il revint de définir la notion de crime contre les droits imprescriptibles de l’homme : les crimes contre l’humanité. En effet, le mesiècle venait d’être marqué irrémédiablement par l’horreur des camps d’extermination nazis, abjecte perfection de la négation totale de l’appartenance à l’humanité pour les suppliciés du monde concentrationnaire. Primo Levi déporté, << haftling 174517 D survivant d’Auschwitz raconte l’insupportable confrontation qu’il eut avec le doktor Pannwitz, chimiste comme lui, mais du monde de l’anti-science nazie : << Depuis ce jour-là, j’ai pensé bien des fois et de bien des façons au
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Doktor Pannwitz. Je me suis demandé ce quipouvait bien sepasser à l’intérieur de cet homme ;comment il occupait son temps en dehors de la polymérisation et de la conscience indogermanique ;et surtout, quand j’ai été de nouveau un homme libre,j’ai désiré le rencontrer à nouveau, non pas pour me venger mais pour satisfaire ma curiosité de l’âme humaine. Car son regard nefut pas celui d’un homme à un autre homme ;et si j e pouvais expliquer à fond la nature de ce regard, échangé comme à travers la vitre d’un aquarium entre deux êtres appartenant à deux mondes dzyérents, j’aurais expliqué du même coup l’essence de la grande folie du Troisième Reich. Tout ce que nous pensions et disions des Allemands prit cetteforme en cet instant. Le cerveau qui commandait à ces yeux bleus et à ces mains soignées disait clairement : “cequelque chose que j’ai là devant moi appartient à une espèce qui’l importe sans nul doute de supprimer. Mais dans le cas présent, il convient auparavant de s’assurer qu’il ne renferme pas quelque élément utilisable.” >> Ce récit rappelle terriblement la fracture entre deux mondes, celui des certitudes délirantes du Doktor Pannwitz idolâtre d’une science au service d’une aberration mentale, et celui du haftling 174517 >> résistant désespérément à sa réification. Le Doktor Pannwitz ne fut malheureusement pas isolé dans le monde scientifique de l’époque. Des membres éminents de la communauté scientifique allemande d‘alors soutinrent le régime nazi soit par opportunité de carrière après l’éviction de leurs concurrents scientifiques d’origine juive, soit par adhésion à l’idéologie nazie qui ne s’est pourtant jamais cachée de ses considérations biologiquement délirantes à propos des races et de leur hiérarchie dans l’espèce humaine. Paradoxalement, le régime nazi rempli de tant de haine pour certains humains a été, sous l’impulsion personnelle de Hitler, le premier état à se doter d u n arsenal juridique élaboré destiné à accorder des droits et à défendre les animaux. I1 est encore impossible de comprendre pourquoi les nazis accordaient des droits à un chien qu’il n’accordait pas à un enfant parce qu’il étaitjuif. Du Doktor Pannwitz au Doktor Mengele, de nombreux responsables nazis, au moins partiellement imprégnés d’une culture scientifique qui aurait dû leur faire ouvrir les yeux sur la réalité objective du système, ont versé dans la barbarie la plus abjecte. Le docteur Miklos Nyiszli, prisonnier << A.8.450 », rescapé des SonderKommando d’Auschwitz, nous retrace la vie de ces hommes << renouvelés >> tous les quatre mois et qui avaient le triste privilège d’être les esclaves de la phase terminale de l’extermination nazie. Ce récit laisse sans voix n’importe quel être doué d’humanité7.Médecin juif hongrois, il ne dut sa survie qu’à sa connaissance parfaite de la langue allemande et à ses aptitudes à pratiquer des autopsies qu’il mènera au profit exclusif du Doktor Obersturmhhrer Mengele. Un jour de 1944, alors que l’Allemagne nazie vacille, il eut un court échange à caractère privé avec celui qui deviendra tristement le symbole de l’anti-science nazie : << Mais, cette fois-ci, il paraît tellement déprimé que j e prends le courage de lui demander : “Herr <(
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Obersturmfihrer, jusqu’à quand ces anéantissements vont-il durer ? ”Il me regarde et répond : “(. ..) Mon ami, ce sera toujours comme ça, toujours comme ça !”Derrière ces mots, j e distingue une résignation lasse et morbide. Il se lève de son siège, quitte le laboratoire, sa serviette à la main (...). “Dans les jours venir vous aurez un travail intéressant.” (...) J e suis saisi dunfrisson carj e présume que le travail intéressant représente la mort d’un nouveau groupe de jumeaux. P Comment, des médecins, des hommes de sciences ont-ils pu en arriver à une telle froide abomination ? les réponses ne sont pas univoques, mais plusieurs pistes ont été énoncées. Les récits des survivants des camps, comme celui de Miklos Nyiszli, qui vécut le quotidien de l’extermination, l’ordinaire abject de l’anti-science nazie dans le statut peu enviable des Sonderkommando, sont indispensables pour comprendre la brutalité du système, les souffrances des victimes, mais surtout ce que l’avilissement et la réification de l’humain signifient. Le récit du docteur Nyisli rapporte l’insoutenable, la sélection de certains détenus juifs porteurs de malformation, qu’il dut interroger, examiner cliniquement, avant de les voir assassinés, puis de devoir disséquer leur corps précautionneusement et enfin de faire cuire les restes pendant de longues heures pour récupérer les squelettes humains destinés aux collections des musées du IIIe Reich à la gloire de la race aryenne. << Soutenus par le concept de race supérieure, les travaux du docteur Mengele sur la gémellité sont une pseudo-science. Toute aussi fausse est la théorie de la dégénérescence des estropiés et des nains fondée sur lt’nfériorité de la race juive. (...) Les squelettes des estropiés et des nains qui ont été tués ici, munis de leurs noms, âge, occupations, etc., vont être disposés dans des halls spaciewc des grands muséums ». Ces histoires individuelles de victimes et témoins de la barbarie aveugle permettent d’appréhender les mécanismes paralogiques de la pensée des criminels nazis. Absorbés par une idéologie qui réduisait l’homme à un objet, les criminels de l’anti-science avaient décidé, pour répondre à un pseudo-besoin, de produire des expérimentations qui répondent aux normes de l’idéologie nazie en dehors de toute éthique. Pourtant, ces hommes savaient toute l’horreur de ce qu’ils commettaient, la preuve évidente en est la dissimulation des crimes qui a précédé la libération des camps. Dans le chaos de la fin du régime nazi beaucoup de ces criminels de l’anti-science fuirent avant de réapparaître après quelques années d’une clandestinité tranquille et d’entamer, pour certains, une deuxième carrière. Benno Müller-Hill, dans un ouvrage sur la << science nazie D basée sur des entretiens avec les anciens acteurs du régime, a cerné ces parcours d‘hommes de culture scientifique ou médicale qui ont basculé dans l’entreprise de crime de masse8. I1 y montre comment en partant de l’acceptation de la haine de l’étranger ou du malade, comme norme de rapport sociétal, ces hommes ont glissé vers l’abject selon un triptyque vertigineux : détection, ségrégation et extermination. En débutant par des études
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anthropologiques chargées de créer artificiellement le concept de race humaine, de les catégoriser et les classer, en poursuivant par la ségrégation (suite à l’instauration des lois raciales), pour aboutir à la mise en œuvre de l’eugénisme négatif sur les malades mentaux (leur stérilisation obligatoire, puis leur extermination), nombre de psychiatres et médecins ont vidé les hôpitaux psychiatriques de leur malades et donc perdu la base de leurs pouvoirs. Certains ont alors basculé vers les camps : perfectionnement suprême de leurs techniques de sélection-extermination de masse mises au point sur les populations de malades psychiatriques dont le point d’orgue fut le massacre d’un peuple entier dans une sauvagerie sans limite. Dans La Médecine nazie et ses victimes, Ernst Klee analyse finement les ressorts de l’anti-science nazie : << La médecine sous le nazisme, c’est d’abord et toujours la sélection. Les êtres biologiquement inférieurs sont éliminés du “corps ethnique”, toujours avec la promesse d’un meilleur avenir pour le Volk (le peuple, l’ethnie, la souche) ...L’individu ne compte absolument pas, on le stérilise, on l’euthanasie, on l’exécute médicalement sans la moindre pitié. Auschwitz néstpas un dérapage :c’est l’apogée de la médecine de sélection. Il est donc parfaitement logique de retrouver à la rampe des médecins qui envoient à la chambre à gaz les hommes de plus de cinquante ans et les femmes à partir de quarante-cinq. Aucun ne se montre plusfréquemment à la rampe que Joseph Mengele. 11est le symbole de la médecine de sélection allemandeq. >> Ernst Klee, par une étude systématique fondée sur les archives historiques du III’ Reich et des procès des criminels qui suivirent la libération des camps, montre l’existence d’un système hiérarchisé au plus au niveau dans lequel les prisonniers font l’objet de marchandages administratifs, d’une concurrence entre différents services, de négociations de papier derrière lesquelles pointent les conditions sordides des camps de concentration dans lesquels seront utilisés des cobayes humains. Les milliers de victimes de ce système ont souffert un martyre en pure perte. Les travaux sur le typhus, la tuberculose, la malaria, la gangrène gazeuse, la septicémie se mêlent à d’autres sur la survie en altitude, dans l’eau froide, en condition de dénutrition, ou encore à des études au profit de l’industrie chimique. Tous ont un dénominateur commun : ils n’ont abouti à rien, à aucune connaissance utile à la médecine ou au progrès de la science. Ces programmes, sous couvert de verbiages scientifiques, ne furent qu’une sombre entreprise d’anéantissement. Cette période de l’histoire de l’humanité doit sans cesse nous rappeler que la << culture de science P ne forme pas un rempart solide contre l’aveuglement de certains esprits à servir une idéologie définitivement inhumaine. Le loa‘ siècle verra-t-il des scientifiques participer à une telle entreprise ? Rien ne permet de l’exclure définitivement, même si, dans les sociétés industrielles, cette perspective s’estompe. L’homme de << l’après Auschwitz >> n’est plus le même. Les conditions de l’expérimentation humaine ont été profondément
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réévaluées lors du procès de Nuremberg, puis de la déclaration d’Helsinki. I1 n’est plus de société moderne sans comité d’évaluation éthique des expérimentations à la fois médicale et scientifique. Mais aussi le monde a profondément évolué dans le dernier quart du mesiècle. L’Europe s’est pacifiée, et démocratisée. L’affrontement des blocs n’existe plus, les grandes idéologies qui réduisaient l’homme à un moyen de production support du triomphe d’un système appartiennent définitivement à l’histoire. L’heure n’est plus aux victoires d’une idéologie totalitaire déraisonnable plaçant l’intérêt dune entité suprême au delà du respect de la vie humaine. Dans << le monde occidental D le recul des pratiques religieuses, l’effondrement de l’utopie communiste, l’essor de la société libérale ont induit un centrage de la société sur l’individu. L’homme occidental du =re siècle n’est plus prêt à sacrifier sa vie au profit d’une cause supérieure, d’une idéologie ou même d’un dieu. En même temps que l’individu a été sacralisé, l’acceptation du sacrifice au profit d’une cause supérieure s’éloigne. Les risques de l’utilisation des h i t s de ces biotechniques par un régime totalitaire semblent donc s’effacer. De plus les perspectives pratiques d’une réification de l’humanité à large échelle par les biotechnologies sont loin d’être une réalité. Comme l’énonce Jürgen Habermas : << La biopolitique pour l‘instant, n’a pas pour but une amélioration, serait-elle même circonscrite,du patrimoine génétique de l’espèce dans son ensemble. (...) Dans les sociétés libérales, ce sont les marchés commandés par la recherche du p r o f t et les préférences liées à la demande qui laisseraient les décisions eugéniques aux choix individuels des parents, et, d’une manière générale au Ainsi, le danger ne vient désir anarchique des usagers et des clients (...y.>> plus d’une société totalitaire, mais d’une société libérale dans laquelle chacun serait libre juge de ce qu’il pourrait infliger à l’autre, à sa descendance. Mais alors, certains hommes transformés en objets d’expériences comme les embryons humains clonés ne font-ils pas partie d’une humanité en danger, potentiellement meurtrie, malmenée ? Les fantasmes biotechnologiques de certaines sectes, les atteintes à la vie et aux libertés fondamentales que peuvent induire certaines techniques doivent nous amener à imaginer un présent et un futur différent régi par de nouvelles règles. Un futur post-moderne dans lequel auront été intégrées certaines règles qui permettront de protéger la part d’humain présent en chacun de nous. Cet effort pour l’élaboration de règles nouvelles accompagnant le progrès de la science est essentiel. Luc Ferry le rappelle : N Livré à un destin qu’il peut désormais construire, seul aux prises avec ses propres démons, l’homme devra trouver en lui les réponses aux interrogations qu’il a suscitées. Il lui faudra inventer, pour ainsi dire exnihilo, les règles de sa conduite face aux puissances qu’il a déchaînées et dont nul ne sait encore comment il parviendra à les dominer’’. >> L’homme du X X I ~siècle, maître de sa naissance, de son altérité va devoir construire de nouvelles règles afin de se prémunir de sa propre
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puissance, de sa propre capacité de nuisance. Mais ces règles ne pourront être bâties ex nihilo. Elles devront prendre en compte à la fois la définition éthique du principe d’humanité et la définition scientifique du principe de la vie. Dans ce contexte, il devient maintenant un lieu commun d’annoncer la naissance dun monde nouveau, issu des profonds bouleversement, de la révolution biotechnologique. Ainsi, Peter Sloterdjik, philosophe allemand, annonce la naissance de l’homme post-moderne », qui pourra être l’objet dune sélection grâce aux progrès de la biologie”. Certains des mots prononcés lors d’un congrès en Allemagne en 1999 avaient alors semé le trouble dans une opinion publique internationale toujours suspicieuse d’une reviviscence de l’idéologie nazieI2. Même si Sloterdjik n’a pas d’arrière-pensée idéologique extrémiste et s’interroge simplement sur le sens de cette évolution, il n’en reste pas moins que le choix de certains mots (comme les termes << parc humain D ou << dressage B)résultent bien d’une volonté délibérée de faire réfléchir sur le sens de notre futur en choquant les consciences. L’exercice est dificile dans un pays profondément marqué par son histoire récente. D’autres personnalités prophétisent la naissance d’une post-humanité. Francis Fukuyama, qui avait prédit la fin de l’Histoire après la chute du mur de Berlin, propose aujourd’hui la naissance d’une post-humanité comme la conséquence de la révolution biotechn~logique’~.Les erreurs grossières de Fukuyama, en termes d’analyse historique de la chute du régime soviétique, se superposent à celles concernant la révolution biotechnologique. Le terme << post-humanité >> voudrait signifier que la notion même d’humanité est dépassée, perdue, remplacée par de nouveaux concepts. Or la révolution technologique tant annoncée n’a jamais eu l’ambition de porter des changements d’une telle radicalité. La réalité est tout autre, la notion d’humanité est centrale et n’a jamais été autant utilisée, La défense de l’humanité semble dépasser les clivages, depuis les scientifiques qui en appellent au retour à l’homme comme Axel Kahn’, jusqu’à l’essayiste catholique Jean-Claude Guillebaud qui érige la défense de l’homme en principe fondamental dans Le Principe d’humanité Le dépassement << d’un stade par l’humanité >> grâce aux biotechniques et à l’émergence dune maîtrise nouvelle (et raisonnée) du destin de l’homme en tant qu’individu ou en tant qu’espèce est largement un mythe. Comme si l’histoire de l’homme pouvait se découper en de multiples étapes pour aboutir à l’émergence d’une post-humanité. Dominique Janicaud réfute complètement cette thèse : << (...) le dépassement de l’humain est un mythe - un mythe favorable d l’essor des sciences et des techniques, un mythe favorisé par cette inflation publicitaire que nous avons nommé “ techno-discours ”. Pourquoi ce mythe est-il si puissant ? Parce que l’homme lui-même est dépassement, mais en un sens toujours ambigu. Ce qui attend l’humanité de 14.
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demain, ce n’est pas la surhumanité, malgré les éléments titanesques du développement technologique :ce sont de nouvellesformes - hélas peut-être atroces - d’inhumanité >> La post-humanité vantée par tous jusqu’à en forger un slogan commercial est aussi creuse que dangereuse. Elle voudrait nous amener à croire que les biotechnologies ont enfin dominé la face cachée de l’homme pour nous faire entrer dans un nouvel Eden. I1 en est tout autrement dans la réalité. La post-humanité est largement un mythe, mythe dangereux qui plus est, car chargé de nous faire accepter les plus horribles entorses au respect de l’humanité. Mon objet est de tenter d’appréhender la complexité des problèmes bioéthiques à travers la définition que j’ai proposée de la notion de vie. Car l’application de principes éthiques minimaux, comme celui de ne pas nuire délibérément à une vie humaine, nécessite clairement une définition du mot vie. Comment protéger la vie humaine sans pouvoir en donner une définition claire ? Aussi, la biologie doit pouvoir énoncer clairement la définition qu’elle entend donner de la vie. Pourtant, il y a là un vide. Les deux mondes - celui des lois de l’homme, et celui des lois de la biologie - cohabitent mais semblent terriblement éloignés. C’est François Jacob qui remarque : Les concepts de démocratie, de propriété, de salaire sont aussi dépourvus de signijkation pour une cellule ou un organisme que ceux de reproduction ou de sélection naturelle pour une molécule isolée. C’est dire que la biologie vient se diluer dans l‘étude de l‘homme tout comme la physique dans celle de la cellule‘6.>p En écho, Lucien Sève énonce : << Bien entendu, le savoir biologique n’entre pas en concurrence avec la morale ni le droit pour nous éclairer sur le bien et le juste. Il ne prétend pas d’avantage suppléer la philosophie pour nous D Pourtant, quand le monde de la biologie instruire sur le sujet et la libert~?~. entre par effraction dans le monde des lois de l’homme que chacun croit intangibles, des défis et des tensions énormes surgissent. 15.
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Chapitre 9. LA PROPRIÉTÉ DU VIVANT : UN CONCEPT RÉNOVÉ PAR LES BIOTECHNOLOGIES
Ce problème est classique, ancien, mais toujours aussi ambigu. Le vivant a toujours eu une valeur marchande, depuis les systèmes de troc jusqu’à l’agriculture moderne. I1 est donc possible de s’approprier un être vivant comme un objet : acheter une vache, un chien, un poisson, un arbre, une plante, des graines comme une voiture ou une baguette de pain. Tout n’est cependant pas aussi simple.
La bataille de la brevetabilité Une évolution récente des pays développés est de vouloir étendre au vivant le régime des brevets industriels auparavant restreint aux objets inertes (et au départ conçu exclusivement pour eux). Dans certains cas, la propriété peut se réduire à un simple droit d’utilisation. Certains aspects du vivant peuvent être protégés par le code de la propriété intellectuelle ! Le vivant est brevetable ! Comme pour un disque où le prix est calculé par la somme du coût de la matière première du support et des droits dits d’auteur >> servant à rétribuer le travail de l’auteur. Mais, pour le vivant, qui est l’auteur ? sûrement pas l’homme. Or le vivant peut être soumis à des droits de propriétés liés à l’utilisation, non pas d’auteurs, mais de découvreurs. Ces droits sont garantis par la déposition d u n brevet. Le brevet confère à son possesseur un monopole quasi-exclusif sur l’objet. Paradoxalement, cette notion est relativement ancienne, même si sa généralisation est récente. C’est Louis Pasteur qui obtint, en 1873 auprès de l’Office américain des brevets, la protection d’une levure exempte de germes pathogènes. I1 avait isolé alors une nouvelle souche, source de quiétude pour les brasseurs. Sa création fut alors protégée comme une production intellectuelle. Depuis, de ((
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nombreuses espèces ont été brevetées, chaque innovation étant répertoriée et protégée. À l’époque, le principe de l’appropriation de l’intelligence du vivant n’avait posé aucun problème. I1 est fort probable qu’alors, il était impossible d’imaginer la tournure que prendraient le débat et ses conséquences économiques. La réouverture moderne de ce débat a eu lieu en 1972. En effet, la toute jeune biologie moléculaire commence à porter ses premiers fruits fort prometteurs. Ananda Chakrabarty vient de créer une bactérie génétiquement modifiée capable de dépolluer les hydrocarbures. Elle dépose naturellement une demande auprès de l’Office américain des brevets, qui voit bientôt affluer les recours. Le débat s’attise. C‘est la Cour suprême américaine, dernière instance de recours judiciaire, qui eût à trancher. L’arrêt Diamond versus Chakrabarty,rendu en 1980 par cinq voix contre quatre, confirma la légalité de la brevetabilité de cette bactérie en reconnaissant l’ingéniosité du demandeur qui avait créé un être vivant singulier. Le monde du vivant devint alors <( appropriable ». Et depuis, les législations et les jurisprudences du monde entier ont dû intégrer, bon gré, mal gré, cette nouvelle donne scientificoéconomique. Depuis, le débat sur la brevetabilité du vivant connaît une intensité en dents-de-scie. I1 s’atténue après chaque épilogue juridique pour s’attiser violemment dès que des perspectives de spéculation émergent. La première poussée de fièvre était l’enfant du génie génétique, la seconde fut la fille des programmes de séquençage des génomes, associés à une politique du gouvernement américain de promotion de la propriété intellectuelle. L’année 1995 fut, de ce point de vue, particulièrement agitée. Un homme symbolise plus particulièrement l’ébullition qui frappe les milieux fermés de la recherche sur les génomes : Craig Venter. Ce scientifique, converti au début des années 1990 au séquençage des génomes, Co-fonde et dirige une société de biotechnologies. En 1995, Venter défraie la chronique en demandant à breveter des séquences aléatoires issues de banques génomiques particulières. Sa tentative résultait d’un travail audacieux portant sur le séquençage des ARN messagers issus de différents tissus et reflétant donc les protéines majeures exprimées dans ces lignées. Cette stratégie innovante permettait de cibler directement des gènes utiles dans différentes voies de différenciation. Dans l’esprit de Venter, la publication de ces séquences entraînait la perte de tout droit au brevet : il fallait donc breveter pour matérialiser l’avance qu’il avait prise. Ses demandes suscitèrent des remous puissants dans les communautés scientifique et politique. Infine, les demandes de Venter furent rejetées. Le motif essentiel étant que des séquences d’origine aléatoire ne permettent aucunement de prouver une quelconque innovation. LE découvreur ne peut se prévaloir d’aucune découverte, donc d’aucun brevet. Dans le cas contraire, l’aléa eût été retenu comme brevetable. Depuis, la jurisprudence est bien établie tant aux États-Unis avec l’Office américain des brevets que de l’autre côté de l’Atlantique avec son homologue
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européen. Le génome est effectivement brevetable si le découvreur prouve l’originalité de sa découverte par la connaissance de la fonction de la séquence dans le génome. Des journaux spécialisés aussi célèbres que la revue Nature Biotechnology font des mises au point régulières de l’état de l’art des brevets dans chaque branche des biotechnologies. Les conseils pour les candidats aux brevets ne manquent pas, car un brevet mal posé est plus désastreux que pas de brevet du tout. Tout doit être décrit : les fonctions du gène, la protéine codée, les moyens d’étude et d’obtention de la séquence, les moyens de vectorisation de la séquence, les éventuelles possibilités thérapeutiques et commerciales. Tout ce qui doit être protégé, doit avoir été pensé et prévu. Cette << hystérie collective du brevet D dans tous les domaines de la biologie n’est pas sans danger. De nombreuses voix s’élèvent pour critiquer sévèrement ces pratiques. I1 est vrai que la communauté scientifique est traditionnellement plus habituée aux partages des résultats et aux communications publiques, qu’à la politique du secret propre au monde industriel. Deux juristes américains, Michael Heller et Rebecca Eisenberg ont publié un point de vue dans la prestigieuse revue Science, dans laquelle ils exposent un paradigme intéressant‘. Reprenant la métaphore de << la tragédie de la communauté »,chère à Garret Hardin professeur d’écologie, ils proposent de voir dans cette politique débridée de prise de propriété une image en miroir : << La tragédie de l’anticommunauté ». La tragédie de la communauté avait été élaborée pour expliquer les menaces liées à la surpopulation, l’extinction des espèces, la pollution atmosphérique... Le professeur Hardin en faisait l’exposé en 1968, en utilisant la métaphore d’un pré offert à la pâture publique pour tous les bergers dune région. Spontanément, chacun des bergers de la région voudra profiter de l’opportunité et mettre un mouton dans ce pré, puisque le pâturage ne lui coûte rien. Poursuivant le raisonnement, chacun va ensuite être spontanément tenté d’y mettre un autre mouton, puis enfin un maximum de bêtes, puisque celui qui ne le fait pas est lésé par rapport aux voisins. Mais l’usage intensif du pré aboutit rapidement à la raréfaction de l’herbe... et conduit à rendre le bien commun inutilisable. La liberté totale dans une communauté entraîne rapidement la ruine de l’intérêt commun. La tragédie de I’anti-communauté, c’est l’inverse : l’image dans le miroir de la tragédie de la communauté. Lorsqu’une ressource importante est partagée en de multiples petits possesseurs qui s’excluent mutuellement de l’usage de leurs biens, le système se bloque complètement. C’est ce qui se passe dans les pays de l’ex-bloc soviétique où la transition entre économie communiste, et économie de marché induit de graves dysfonctionnements. L’impossibilitéde trouver des fonds d’investissements suffisants pour vendre les biens d’états aboutit à une fragmentation des droits de propriété et à une désaffection des infrastructures industrielles majeures. Ce mécanisme
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explique la pullulation des commerces de rue alors que le froid devrait plutôt inciter les commerçants à s’installer dans l’enceinte des ex-supermarchés d’état désertés. Les auteurs font l’analogie entre ces problèmes et la transition entre la tradition classique d’accessibilité des données et la multiplication des dépôts de propriété sur les innovations biotechnologiques. Dans ce cas-là, le problème est plus gênant que de se retrouver à commercer dans la rue : c’est toute la politique de recherche qui peut se trouver grippée. Puisque le dépôt de brevet sur les innovations dans les études en amont limite les applications, la cascade en aval, spontanée de recherche s’en trouve limitée voir anéantie. Le frein n’est pas seulement administratif, mais financier. Le coût de la recherche s’en trouve alourdi. En bout de chaîne, l’amélioration du bien commun, par le progrès scientifique, censée être le but de la recherche, se trouve détournée et limitée. Mais ce n’est pas tout, la modification des règles induit aussi une modification des comportements. La multiplication des droits de propriété entraîne des conduites visant à les détourner, par des bataillesjudiciaires. Celles-ci concernent les droits au cours de la période sensible entre le dépôt de la demande et l’acceptation du brevet, période pendant laquelle l’innovation est mal protégée. De multiples comportements déviants se multiplient, avec des histoires rocambolesques qui tiennent plus de séries B d’espionnage entre équipes paranoïaques que de la classique collaboration scientifique. Les politiques de dépôt de brevet tous azimuts, largement sous-tendue par la volonté de rentabilisation des recherches, aboutissent de plus en plus souvent à des conflits, à la hauteur des intérêts financiers en jeu. Dans ce contexte, les recherches s’orientent souvent vers des travaux brevetables à court terme, retardant l’émergence dune vraie créativité et eux-mêmes déjà l’objet de brevets en amont. Cependant, toute politique gênant le libre cours d’activités humaines se voit inéluctablement contournée par des démarches imaginatives. Dans le cas de parcellisation de la propriété biologique, de nouveaux cabinets de conseils juridiques ont vu le jour. Leur objet est simple : inventorier les brevets déposés, en analyser le contenu et les perspectives potentielles, en retenir les plus rentables pour en trouver la faille et tenter de les casser. À la lumière de ces quelques exemples, il transparaît bien que les problèmes soulevés par l’appropriation du vivant procèdent des incertitudes liées à la définition de celui-ci. Ouvrir la boîte de Pandorre de la brevetabilité, c’est laisser le champ libre à l’appropriation d’un patrimoine qu’il pourrait être licite de considérer comme accessible à tous. Breveter une plante, un animal, un fragment de génome, c’est s’approprier un bien commun au motif obscur de la primeur d’une découverte. Mais, c’est aussi exproprier la communauté de son patrimoine légitime. Dans quelques années, de multiples fragments du génome humain seront la propriété légale des quelques dizaines de puissants qui auront eu la chance de participer à l’épopée du séquençage.
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Ce précieux patrimoine aura été << pillé >> par les premiers hommes dont le seul mérite aura été d’appliquer à l’échelle industrielle des techniques et un génie mis au point par d’autres. Les séquenceurs rappellent alors les agissements des conquistadors d’une nouvelle Terra incognita à la recherche d’un Eldorado promis. Pourtant, les conflits juridiques liés au séquençage du génome humain restent marginaux. La séquence finale du génome humain publiée début 2001 a été essentiellement due à l’immense effort d u n consortium de laboratoires publics mondiaux ayant accepté de partager l’ensemble des données dont ils disposaient. Parallèlement, le séquençage privé du génome humain par Craig Venter a eu du mal à boucler son exploit. Mais chacun aura pu y trouver son compte. Les données sont accessibles dans le domaine public, et seule l’utilisation industrielle des séquences identifiées est protégée par un brevet. Sûrement avons-nous là l’exemple d’un modus vivendi convenable entre la nécessité de pouvoir financer des recherches privées à l’aide de capitaux issus de l’exploitation de brevets, et l’impérative nécessité de pouvoir disposer les données de ce qui constitue un patrimoine commun. La vision N génocentrique B du vivant, souvent inspirée par les promoteurs du programme génome à la recherche de fonds, se sera finalement bien malencontreusement retournée contre eux. Vouloir réduire la vie au seul génome et accepter simultanément que celui-ci puisse être approprié entraîne par simple transitivité du raisonnement que la vie humaine peut s’approprier comme le maître acquiert un esclave. À la lumière de cette réflexion qui n’est pas un sophisme, il apparaît clairement la nécessité de bien peser ses mots : la définition de la vie humaine ne peut se réduire à une simple séquence, sans quoi breveter le génome est contraire aux principes kantiens qui fondent la base de l’éthique. Si le génome est synonyme de vie alors, breveter le génome humain signifie breveter la vie humaine. La définition de la vie, que les premiers promoteurs du séquençage du génome humain avaient imprudemment associé au génome, est donc caduque. De là est né un quiproquo qui a valu indirectement une suspicion énorme aux tenants du séquençage du génome humain et de son utilisation industrielle. I1 apparaît alors, en prenant du recul, que la définition de la vie humaine ne peut se confondre avec les problèmes industriels nés des programmes de séquençage du génome humain. Les problèmes de propriété industrielle en génomique ne heurtent donc pas fondamentalementla définition éthique de la vie.
L’épouvantail des OGM Nous venons de voir un cas d’école. Mais la pratique touche d’autres domaines dans lesquels les enjeux économiques sont énormes. En 1999, aux États-Unis, le chiffre d’affaires des produits transgéniques alimentaires
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dépasse quatre milliards de dollars. Un des exemples le plus frappant et le plus retentissant touche le monde agronomique. En effet, les biotechnologies ont enfanté des plantes nouvelles, sélectionnées pour leurs qualités, mais aussi dont le patrimoine génétique a été artificiellement trafiqué, pour lui adjoindre des gènes de résistances aux pesticides ou aux parasites naturels. Ces nouvelles plantes issues de la technologie des OGM possèdent un gène exogène qui est introduit dans le patrimoine génétique de l’espèce donnée. Or, ces OGM sont brevetables en l’état. Aux États-Unis, c’est le cas depuis 1985 pour les végétaux et 1987 pour les animaux, alors qu’en Europe la décision s’est fait attendre beaucoup plus longtemps. La directive du 12 mai 1998 autorise la prise de brevet sur les OGM végétaux. C’est-à-dire qu’il suffit d’introduire simplement un gène dans le patrimoine de n’importe quelle plante pour pouvoir la breveter. Enfin, et plus que tout, la plante n’est plus considérée comme un être vivant mais comme un support matériel pour le greffage de gènes. Cette conception va être de plus en plus renforcée par les résultats des différents programmes de séquençage de génomes végétaux en bonne voie de réalisation. Le débat se situe maintenant à deux niveaux : le premier, très pragmatique, concerne la mise en place d u n e politique juridique et économique cohérente de prise de propriété sur les variétés végétales, ce qui n’est pas forcément évident ; le deuxième niveau concerne le débat sur l’intérêt des OGM et leur innocuité environnementale et sanitaire. Le premier niveau de réflexion, lié à la révolution des OGM, n’est pas forcément le plus favorable aux agriculteurs, qui sont les spectateurs d’un formidable assaut des semenciers mondiaux. La logique de l’appropriation du vivant se répand en cascade, depuis les découvertes en amont jusqu’aux applications en aval dont la plus simple est l’utilisation agricole de la graine. Le geste auguste et millénaire de la semeuse, présente au verso de nos anciennes pièces de monnaie frappées en francs, prend un sens nouveau. Le rapport entre le grain et l’argent dépasse la symbolique pour s’introduire dans le réel. Le grain semé n’a plus le même sens, le même statut. I1 porte dans son essence même, dans ses gènes, la trace indéfectible de la main humaine. Cette trace n’est pas innocente, elle n’agit que dans un but lucratif. À partir du moment où le droit de propriété sur le vivant est reconnu, celuici ne peut plus s’exempter d’être l’objet d’une logique économique. I1 reste, en effet, que la brevetabilité des variétés et donc des semences introduit un nouvel équilibre agricole et de nouveaux réflexes. Les semences récoltées par l’agriculteur ne lui appartiennent pas totalement. I1 ne peut plus replanter le grain récolté. Car replanter un OGM, c’est transgresser le contrat d’exploitation du brevet, c’est se mettre dans l’illégalité et s’exposerà des poursuites judiciaires :l’agriculteur deviendrait un pirate de l’agronomie. Acheter du grain transgénique octroie juste un droit d’utilisation temporaire. Dans ce système, le paysan doit donc retourner contractuellement chez le semencier chaque année. Ce petit détail
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légal, aux conséquences économiques majeures, n’est, par ailleurs, pas un pur objet de réflexion sur les poursuites pour piraterie que pourraient déclencher les semenciers contre les paysans récalcitrants. Une bataille juridique opposant un paysan canadien à une grande firme agroalimentaire préfigure les combats du futur entre les utilisateurs de ces graines et leurs propriétaires. Percy Schmeiser, paysan canadien, est poursuivi par un semencier pour avoir utilisé du colza transgénique résistant à un herbicide, alors qu’il soutient avoir utilisé son colza personnel contaminé par les OGM des champs voisins2. Condamné en première instance, Schmeiser continue le combat juridique qu’il médiatise. La querelle n’est pas finie, mais l’enjeu est énorme autant en termes de jurisprudence, qu’en termes de sensibilisation médiatique. Car une autre technique nouvelle, naturellement brevetée par une société de biotechnologie, permet de stériliser les semences agricoles. I1 a été tristement nommé Terminator.Ainsi, le blé, l’orge, le riz, le soja peuvent devenir maintenant stériles. C’est-à-dire que leurs graines vont pouvoir, une fois plantées par l’agriculteur, germer, donner des plantes en parfaite santé à haut rendement, mais ... dont les graines sont stériles. L’agriculteur ne pourra plus, de facto, utiliser le produit de sa culture pour la semence de l’année suivante. I1 devra retourner chez le semencier qui lui a fourni ces graines à haut rendement ... Le paysan n’est plus, réellement, propriétaire de sa production, il n’achète qu’un droit dusage unique de sa semence. I1 devient l’otage du semencier qui pourra, au gré des fluctuations macro-économiques, faire varier le prix de sa semence. Le risque d’une telle méthode est souvent présenté comme marginal, limité aux seules agricultures vivrières du tiers-monde ; pourtant le risque est bien certain d’appauvrir la biodiversité naturelle en bloquant la reproduction sexuée des plantes et donc de faire prendre des risques biologiques importants aux espèces cultivées. Là encore le procédé est né dune collaboration entre laboratoires privés et publics : une petite firme associée à un laboratoire dépendant du ministère américain pour l’agriculture. Pour le ministère de l’Agriculture partenaire, il s’agissait au départ de mettre au point un système permettant de limiter la circulation des gènes. Depuis, alléché par l’idée, un géant de l’agroalimentaire a racheté la petite firme alors que les autres semenciers s’activent pour mettre au point des techniques dérivées. À ce jour le procédé reste difficile à mettre en œuvre. I1 n’a été adapté que pour le tabac et le coton, mais le brevet << protège D ou plutôt prévoit son application à toutes les autres plantes. Le procédé est très ingénieux et fonctionne comme un système à trois étapes, dont chacune est contrôlée par la précédente. Le gène effecteur ou << stérilisateur », dernier étage de la fusée, contient l’informationgénétique pour une protéine qui inhibe la germination. Ce gène est lui-même sous le contrôle d u n deuxième qui inhibe son expression précoce mais permet son expression tardive, sans quoi la graine initiale ne peut pas germer. Enfin l’ensemble est réprimé dans la construction par un
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troisième gène. Celui-ci n’est inhibé que lorsque le semencier a un stock suffisant de graines qu’il veut vendre ; il trempe alors son stock dans un bain enzymatique qui réprime le troisième gène et libère alors l’action de Terminator. Le tour est joué : le paysan n’est plus maître de ce qu’il sème. Cette maîtrise perdue l’est à plusieurs titres. Le libre choix de variétés n’est plus possible, il faut se limiter au catalogue du semencier dont le choix est alors restreint aux graines Terminator. Ensuite, la sélection des plants plus adaptés au terrain ou au climat n’est pas pensable puisque les graines sont stériles. Enfin, économiquement le paysan perd sa liberté de ne pas s’adresser systématiquement au semencier. Le progrès technologique n’est-il pas là, lié à l’aliénation d’une liberté des plus fondamentales, celle de pouvoir user librement des espèces que nous offre l’écosystème ? Même en Amérique, où la technologie transgénique est largement répandue, la suspicion à l’égard de Terminator gagne du terrain. Au-delà de la propriété industrielle des plantes OGM, le second problème est de leur innocuité dans l’environnement et dans la chaîne alimentaire humaine. Cette deuxikme facette du problème a été largement médiatisée dans une large polémique qui a suivi les premières tentatives d’exploitation commerciale en France. Les vives réactions d’associations anti-OGM ont en effet permis de bloquer complètement les tentatives d’exploitation en croisant l’usage de coups de forces médiatisés comme l’arrachage de champs d’OGM sous l’objectif de caméras de télévision et l’utilisation systématique de recours judickires contre les décisions gouvernementales. Les prétoires, dans lesquels les associations qui ont dévasté les champs ont été jugés ont ensuite servi de caisse de résonance à une polémique sur la dangerosité environnementale et sur les conséquences en santé humaine de ces plantes d u n genre nouveau. Le doute s’est ensuite immiscé dans l’esprit du grand public. Dans le contexte d’alors de flambée de l’épizootie d’encéphalite spongiforme bovine et de sa variante humaine, il a soufflé un vent de suspicion sur les OGM. Ainsi, les résultat:; scientifiques sont parfois mêlés à des projections irrationnelles sur la réalité. En 1996, deux articles parus dans la revue Nature affolent le monde de l’agriculture en révélant les possibilités de transfert de gènes de colza transgéniques à des espèces sauvages proche^^.^. Dans ce contexte, la déstabilisation du décideur est totale. Le scientifique ne peut pas donner de réponse du type : << Les OGM ne présentent aucun risque. >> Il suffit d’un seul contre-exemple, qui en l’occurrence, a déjà été publié en 1996 pour annihiler toute crédibilité à cette phrase. Pourtant les transferts de gènes observés sont-ils à la marge, ont-ils de véritables effets délétères sur l’écosystème ? il est impossible de l’affirmer comme de l’infirmer. Dans le doute qui entoure donc les OGM, un certain nombre de décisions contradictoires aboutiront defacto à l’arrêt de la tentative de leur utilisation commerciale en France. Toute la difficulté provient de l’impossibilité de prédire les conséquences
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de l’introduction d’usages nouveaux dans l’industrie agroalimentaire. Le principe de précaution est alors érigé en loi sacrée appliquée avec le plus strict formalisme. Les tergiversations autour de l’autorisation de planter des OGM en France reflètent les difficultés à appréhender les risques et les interférences décisionnelles entre les administrations et les juridictions. Début 1997, trois décisions gouvernementales contradictoires sont prises successivement à propos des premières demandes de cultures de maïs transgéniques. Un autre article semble confirmer le transfert de gènes entre le colza et une plante sauvage, la ravenelle5.Après le deuxième aval gouvernemental pour la mise en culture des premières plantes transgéniques, synchronisé avec une campagne publicitaire sans précédent des principaux fournisseurs de produits biotechnologiques, la mécanique de commercialisation s’est grippée. Comme souvent, la vigueur du débat reflète l’importance des enjeux économiques puis s’enlise en guerre de tranchées juridique. La surprise est arrivée avec la saisine du Conseil d’État par plusieurs associations écologistes. L’étonnement est surtout venu de la décision de surseoir à la décision ministérielle dans un premier temps, par un avis rendu le 25 septembre 1998, au nom du principe de précaution et contrairement aux conclusions du commissaire du gouvernement. C’est le cas du maïs Bt d’une célèbre société multinationale qui a servi de cheval de bataille. Ce maïs génétiquement modifié possède trois transgènes étrangers : un gène codant pour un << insecticide naturel D dirigé contre un ravageur, la pyrale, provenant de Bacillus thurengiensis (d’où le nom Bt) ; un gène de résistance à l’herbicide basta ; et enfin un gène de résistance à un antibiotique courant très utilisé médicalement, l’ampicilline. Ce dernier gène est présent uniquement pour des raisons de facilité technique de production. Quatre grands risques environnementaux ou sanitaires avaient motivé la saisine, puis la décision du Conseil d’état : la crainte d u n développement d u n e résistance des insectes au produit du gène censé les tuer, le risque d’une dissémination incontrôlée de ce gène dans l’écosystème,le déclenchement d’allergie chez le consommateur, et enfin et surtout la dissémination du gène de résistance à l’ampicilline dans l’environnement. Outre le danger lié à la dispersion de ces gènes de résistance dans la nature et éventuellement à l’homme destiné à ingérer ces plantes infine, le risque d’un déséquilibre de l’écosystème est en effet important. Ce facteur a probablement été déterminant dans les choix du Conseil d’état, qui aurait pu tout à fait motiver une décision inverse, arguant l’apparente innocuité de l’utilisation extensive reconnue aux États-Unis (20 millions d’hectares cultivés en 1998 partagés entre le maïs, le soja et le coton), et surtout l’avis de la conférence des citoyens réunie à Paris en juin 1998. Celle-ci était formée par quinze profanes tirés au sort, rassemblés et informés équitablement des progrès et des risques de la transgénèse
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végétale. Cette conférence d u n genre nouveau a finalement G autorisé D la culture des OGM en contrepartie d u n étiquetage et d’une traçabilité des produits. Entre-temps, plusieurs études publiées dans des journaux scientifiques affolent encore le grand public. Une première révèle l’impact négatif du transgène du maïs Bt sur l’écosystème6.Alors que les promoteurs du maïs Bt n’imaginaient qu’une action limitée à la pyrale et accessoirement à la sésamie (aussi nuisible), plusieurs travaux démontrent des impacts non négligeables sur le reste de l’écosystème. Ainsi, une étude sur un papillon migrateur américain menacé de disparition, le monarque (Danaus plexipplus), démontre sinon un danger, au moins un risque. Moins de la moitié des larves de papillon exposées à des feuilles de plantes badigeonnées de pollen de maïs transgénique Bt sont tuées alors que les survivantes perdent leur appétit. Le maïs transgénique ne semble donc pas la panacée, idée pourtant largement assénée au public lors des campagnes de publicité de masse financées par les géants de l’agro-alimentaire. Aussi, une étude très soigneuse de l’impact de telles cultures sur l’écosystème, notamment entomologique, doit être absolument entreprise avant une utilisation massive. Sans quoi, de nombreuses espèces pourraient être menacées, appauvrissant encore la biodiversité et favorisant peut-être l’émergence de parasites encore plus virulents. Le jugement définitif du Conseil d’état, qui devait être rendu en décembre 1998, ne l’a pas été pour de complexes raisons juridiques d’interférences de compétences entre le Conseil d’état, juridiction nationale, et la Cour de Justice des Communautés Européennes de Luxembourg, juridiction européenne. Toutefois, en l’absence de jugement définitif, la décision française d’autoriser l’exploitation agricole des OGM est gelée par un moratoire gouvernemental de deux années promulgué en novembre 1998. Finalement, le Conseil d’état a autorisé en novembre 2000 la culture des trois maïs objets d’une lutte juridique féroce, mais le semencier décida alors que les conditions de confiance du marché n’étaient, finalement, plus réunies. I1 n’en reste pas moins que le principe de précaution a été constamment retenu, ce qui semble indiquer que le débat scientifique n’a pas permis de conclure à des certitudes. D’ailleurs, en pareil cas, comment posséder des certitudes ? C’est l’expérience concrète qui permettra de dire a posteriori si la technique comportait réellement des risques. Un peu comme l’est la pharmacovigilance après commercialisation à grande échelle d’un médicament : c’est la surveillance environnementale et sanitaire, - si la traçabilité des OGM est garantie - qui permettra de conclure à une innocuité de la technique. La large diffusion et l’exploitation à large échelle des plantes transgéniques dans certains continents laisse quand même penser que les dangers des OGM ont été probablement surmédiatisés et surestimés au regard du danger qu’ils représentent réellement à la fois pour le consommateur et pour l’écosystème.
Chapitre io. LES BIOTECHNOLOGIES ET L’ÉTHIQUE : UNE LIMITE DE PLUS EN PLUS IMPRÉCISE
Les biotechnologies, par leur puissance sans limites, induisent de manière récurrente et de plus en plus fréquente des débats éthiques tranchés de manière confidentielle par des juristes installés inconfortablement en moralistes. C’est en effet, de plus en plus souvent, des juridictions qui ont à trancher sur des questions techniques pour lesquelles les biologistes refusent de prendre parti (conseil d’État pour l’utilisation des OGM dans l’agriculture, cour de cassation pour certains problèmes touchant à l’embryon par exemple). La définition de la vie est floue, tout est donc possible, même les techniques les plus folles. Celles qui touchent la genèse du vivant sont les plus sulfureuses. Car, d’une part, il s’agit de l’éternel fantasme démiurgique de la maîtrise de la genèse de l’homme à l’égal de Dieu, et d’autre part les développements récents de la science permettent de mieux comprendre ces étapes restées jusqu’à présent complètement ignorées. Elles font les gros titres des journaux scientifiques avant de résonner bruyamment dans les médias de masse. Deux exemples sont plus particulièrement intéressants : l’affaire du clonage des mammifères, et les progrès récents qui permettent l’utilisation d’embryons humains pour produire des cellules souches à visée thérapeutique.
Le clonage reproductif humain :l’épopée de Dolly à Ève
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L’événement majeur, qui a marqué récemment les bio-technologies, est le très médiatique clonage de mammifère. Incarné en l’espèce par l’innocente brebis Dolly, vedette bien involontaire d’un progrès qui sonne aussi comme un retour en arrière vers l’ancestral bouturage. Le clonage est bien le produit
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d’une technicité en mal de maîtrise et surtout en mal de réflexion éthique. Bien inconfortablement appliqué au règne animal, qui semblait avoir presque exclusivement et définitivement choisi la reproduction sexuée, vers quoi nous emmène Dolly malgré nous ? C‘est la première question qui surgit quand la réflexion se porte sur ce problème. Rappelons les faits : le 5 juillet 1996 naît l’agnelle Dolly, clone d’une brebis de souche $nn dorset à l’institut R o s h près d’Édimbourg ; le 25 novembre suivant parvient à la rédaction de la prestigieuse revue Nature un manuscrit sulfureux de faire-part scientifique de cette naissance extraordinaire. L’équipe à l’origine du travail n’est pas inconnue. Elle a déjà relaté, quelques mois auparavant, des travaux très sérieux qui portaient sur la mise au point d’une technique permettant de transférer des noyaux de cellules embryonnaires dans des ovocytes énucléés. Mais là, un pas est franchi : reprenant la même technique, celle-ci est adaptée à la transfection de noyaux de cellules différenciées adultes. Autrement dit, il est possible, à partir d’une cellule de n’importe quel individu, de produire un autre adulte quasi-identique génétiquement : un autre moi génétique, un presque autre moi tout court, la différence d’âge en moins. Le clonage de mammifères est né. Le clonage humain devient possible. L’affaire est sérieuse et brûlante, tellement brûlante qu’elle éclate au grand jour dans les médias. L’Observer viole le secret, avant que les auteurs eux-mêmes ne soient contraints à confirmer la nouvelle, une semaine avant la parution de l’article scientifique dans le numéro du 27 février 1997 de la revue Nature. 11 s’agit là d u n fait exceptionnel pour une revue dont la discrétion n’a d’égal que le prestige. Peu importe, un agneau trône en première de couverture avec un titre provocateur : Aj7ock of clones (Un troupeau de clones), alors que les auteurs ont péniblement réussi à obtenir une brebis’. L’encre n’a pas eu le temps de sécher que la polémique explose. Les perspectives d’application à l’homme déchaînent des fantasmes et des rêves démiurgiques. Le temps qui glissait jusqu’à présent de manière imperturbable sur l’homme devient potentiellement maîtrisable. L’accès à l’éternité s’entrouvre, puisque le corps devient potentiellement reproductible. Celui-ci peut être reconstitué << après usage N. Celui-ci ne serait plus qu’un vulgaire véhicule dont on pourrait << changer >> de génération en génération. Les médias s’agitent,puis les gouvernants interpellent les principaux responsables des comités de bioéthiques devant l’émotion créée dans leurs opinions publiques respectives. Les réponses sont multiples : bannissement total, moratoire, interdiction des applications à l’homme, caractère national ou universel des interdits, tout et le contraire de tout sont énoncés. Mais outre les difficultés techniques, le principal problème du clonage est la perspective de son application à l’homme. D’emblée, il est nécessaire de distinguer les deux applications majeures de ce type de technique en médecine humaine. La première, la plus emblématique, celle qui pose les plus grands problèmes éthiques est la transposition pure et simple de la technique Dolly D
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à l’homme : la technique du clonage reproductif. I1 s’agit là de reproduire un être humain entier, à partir d’une cellule adulte différenciée dont le noyau est introduit artificiellement dans un ovocyte énucléé. Puis, après induction de l’embryogenèse, le nouvel être en développement est transféré à une mère porteuse. La grossesse aboutit injïne à la naissance d’un individu quasigénétiquement identique à celui qui a donné le noyau de la cellule adulte différenciée qui a été prélevée. Cette technique est finalement la seule pour qui le terme de clonage est adapté tant dans son sens étymologique que dans le sens commun en biologie : la production d’individus génétiquement homologues (ou quasi homologues). Ce mode de reproduction est revendiqué par certains comme un traitement nouveau des stérilités auparavant incurables. La deuxième application majeure, dans la perspective d’une application à l’homme, est la technique du clonage thérapeutique, mais qui pourrait plus justement être rebaptisée transfert de noyaux somatiques dans un ovocyte énucléé, ou transfert nucléaire somatique à visée thérapeutique. En effet, dans cette technique, comme le fait très justement remarquer Henri Atlan, il n’est pas question d’induire une grossesse, mais de manipuler ex uiuo, des cellules afin d’induire le développement de cellules précieuses. Les deux techniques (clonage reproductif et transfert nucléaire somatique à visée thérapeutique) sont très proches techniquement, puisque les étapes initiales sont les mêmes, mais pourtant très éloignées par les problèmes éthiques qu’elles posent (Figure II). La partie commune comprend la récupération, par une opération banale, de cellules adultes différenciées qui sont ensuite transférées dans un ovocyte préalablement énucléé. Une fois cette étape franchie, les deux techniques divergent complètement : pour le clonage reproductif, l’embryon est réimplanté à une mère porteuse dans le dessein de produire un être humain après manipulation. Pour le transfert nucléaire à visée thérapeutique, la manipulation, dans son ensemble, est réalisée in uitro, l’embryon est arrêté au stade blastocytaire du développement, et les cellules souches sont récupérées pour être différenciées, cultivées et réintroduites au patient qui a fourni la cellule initiale. Dans le premier cas, il se produit une véritable fracture par production d u n être vivant humain à partir dune cellule différenciée adulte, dans l’autre il y a des manipulations artefactuelles de lignées cellulaires dans le but de traiter des maladies graves et incurables. C’est pourquoi il faut séparer clairement l’étude du clonage reproductif du transfert nucléaire à visée thérapeutique. Dans un premier temps, nous aborderons les problèmes scientifiques et éthiques actuels du clonage reproductif humain, avant de voir ceux posés par le transfert nucléaire à visée thérapeutique. Revenons aux faits. L’article expose avec une fausse ingénuité de circonstance, qu’à la connaissance des auteurs, il s’agit bien d’une première. Qui sont réellement ces auteurs ? Avant l’affaire Dolly, l’équipe de Ian Wilmut et Keith Campbell était connue des seuls spécialistes de la biologie de
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Figure 11 :Homologies et diflérences entre clonage reproductif et transfert nucléaire somatique à visée thérapeutique.
I
Étapes communes in vitro
I
Enucléauon Prélèvement d'ovule~d u n e (ou pluveun) donnewe(?)
Injection d'une cellule
+
h
Électroïusion des membranes des deux cellules
initiation du développement embryonnaire
n TRANSFERT NUCLÉAIRE SOMATIQUE À VISÉE THERAPEUTIQUE
Réimplantation à une mère poneuse
Culture en présence de facteurs de diflérenciation
O
JI
neurones
O
JI
ccllulcs hémdtopo~i6tiquç\
O
JI
CCIIUICS
cutanées
Thérapeutique ?
Réimplantation in vivo sans création d'un nouvel être humain.
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la reproduction. Elle travaillait en Écosse dans le R o s h Institute, situé dans le banal parc technologique de la ville de R o s h où Co-existent des laboratoires à financement public et des sociétés privées de biotechnologies chargées de la phase industrielle des projets. Dans le cas présent, l’action de la société de biotechnologie en question a vu sa cote boursière multipliée par quatorze dans la semaine mouvementée de l’annonce... Depuis, les choses ont changé puisque cette société tente depuis septembre 2002 de se défaire de son << activité clonage >> qui n’est plus rentable et Ian Wilmut a quitté l’Écosse pour les États-Unis. En 1997, l’équipe travaillait sur le sujet depuis plusieurs années avec des résultats notables. Les auteurs sont partis de trois lignées cellulaires (issues de cellules mammaires dune brebis gravide de six ans, et de deux types de lignées embryonnaires prélevées sur des fœtus). Ils ont reproduit ce qu’ils avaient déjà fait avec des cellules embryonnaires (injection d’un noyau dans un ovocyte énucléé, avant réimplantation dans une brebis porteuse) et l’ont appliqué à la lignée somatique de cellule mammaire. Le résultat, c’est Dolly, agnelle dont le patrimoine génétique est le même (à l’exception du génome mitochondrial) que celui de sa préclone aînée de six ans qui est déjà décédé. Sur le plan de la connaissance fondamentale des interactions génomecytoplasme, les travaux sont purement descriptifs, mais ils démontrent clairement que le noyau d’une cellule différenciée peut être reprogrammé dans des circonstances qui restent à déterminer précisément. Ils ont pourtant de quoi surprendre. Les mécanismes qui président à la différenciation cellulaire sont encore mal connus mais, jusqu’à Dolly, il semblait quand même acquis que toute cette machinerie de régulation se faisait dans l’enceinte nucléaire. I1 est de notoriété publique qu’une cellule peut, sous certaines circonstances, réacquérir des caractères indifférenciés comme dans le cas des processus malins. Cependant, tous les mécanismes connus et décrits se déroulaient quasi-exclusivement à l’intérieur du noyau. Dolly démontre de manière limpide que dans le cytoplasme de l’ovocyte se trouvent tous les éléments nécessaires à << la remise à zéro du génome »,pour que son expression puisse permettre la production d’un être vivant complet. Dans cette vision, le barycentre du contrôle de la cellule se délocalise du noyau vers le cytoplasme. Certes, dans les années 1950, des travaux précurseurs menés par Robert Briggs et Thomas King sur des batraciens semblaient déjà indiquer que des noyaux de cellules embryonnaires pouvaient donner naissance à des individus après injection dans un ovocyte énucléé‘. Cette capacité semblait toutefois décroître quand les cellules étaient prélevées tardivement dans le développement. De plus, le batracien semblait trop éloigné du mammifère pour pouvoir être pertinent en termes de transposition chez les mammifères. Pourtant, dès les années 1980, des scientifiquess’attaquèrent à ce problème avec des résultats contradictoires. Un premier travail démontra la possibilité de transferts nucléaires de cellules embryonnaires chez la souris, mais rapidement une suspicion de fraude
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plana sur ces résultats3. Ces suspicions furent rapidement renforcées par des résultats contradictoires qui ont alors clos temporairement le débat4. Ainsi, dans un avis autorisé rendu le 15 décembre 1986 en France, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé avouait dans le cadre d’un balayage prospectif des problèmes liés aux recherches sur l’embryon humain que cette technique << n’étaitpour l’instant qu’une idée sansfondement scienfjfïque ». Dolly, dans ce contexte, remet donc les pendules à l’heure de gloire du cytoplasme. Le gène ne gouverne nullement la cellule. Le gène n’est qu’un programme, mais pour pouvoir reconstruire un nouvel individu, il lui faut des informations (probablement des facteurs de transcription) d’origine cytoplasmique. Au-delà de cet aspect fondamental, quelles perspectives cette première biotechnologique ouvre-t-elle ? Les premières explications données par les auteurs visent la reproduction de mammifères transgéniques, dont la mise au point est très difficile (rendement très faible autour de cinq pour cent) et dont la reproduction classique est quasi-impossible par absence du transgène dans la lignée germinale qui va donner le génome à la génération suivante. Ces êtres vivants particuliers, conçus et utilisés comme des usines vivantes, ne peuvent être reproduits que de manière artificielle. Le clonage serait un bon moyen substitutif en agronomie, si son rendement était amélioré (deux cent soixante-dix-sept cellules-œufs pour une Dolly). Le futur annonce que les animaux issus du clonage produiront, dans leur lait, de précieuses protéines recombinantes : insulines et autres hormones nécessaires à pallier toutes les déficiences médicales humaines : des facteurs de croissance, des facteurs de coagulation pour les hémophiles notamment ... En bref, le clonage est la panacée prochaine. Le lait du futur pourrait être riche en protéines, alors facilement récoltables, et peut-être ô combien rentables. Et effectivement l’équipe de Wilmut semble vouloir appliquer ses travaux dans ce domaine. En juillet 1997, ses membres annoncent la naissance de Polly, premier clone de brebis porteur d’un gène humain. Le dernier numéro de la revue Science de l’année 1997, outre sa couverture sur le clonage de Dolly, qu’il intronise en découverte de l’année D publie un travail de la célèbre équipe écossaise qui annonce la naissance de clones d’agneaux de Polly porteurs du transgène du facteur IX anti-hémophilique5. Ces clones de moutons étaient issus de fibroblastes fœtaux porteurs du transgène du facteur M humain. L’article se termine en décrivant les perspectives futures de troupeaux de clones produisant la protéine à destinée thérapeutique ultra-pure dans le lait ... Le clonage reproductif animal peut effectivement avoir une utilité en matière de production industrielle de protéines d’intérêt médical, comme le clame Ian Wilmut. Dans ce cas, l’animal pourrait être reproduit (théoriquement) de manière beaucoup plus fidèle que ne l’offre la reproduction sexuée. Depuis ces premières créatures, le clonage reproductif a touché d’autres espèces animales. Ainsi, la souris, espèce favorite des expérimentateurs,
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en pointe dans de nombreux domaines des sciences, a rapidement rattrapé le retard qu’elle avait pris sur le mouton. Le premier clone de muridés, dont le faire-part de naissance a été publié en juillet 1998 dans la revue Nature, fut baptisé du doux nom de Cumulina6.En toute rigueur, ces souris sont un peu différentes dans la mesure ou elles proviennent de cellules du cumulus d’ovocytes. Une équipe japonaise s’est attaquée aux veaux avec succès et les résultats de leurs études ont été publiés en décembre 19987.La technique semble même s’optimiser puisque, sur IO embryons implantés, huit ont survécu et quatre sont arrivés à terme, ce qui représente un bond en avant par rapport aux 277 cellules pour une Dolly. Toutefois, des travaux ultérieurs, publiés en 1999 par l’équipe française de Jean-Paul Renard, rapportent des anomalies qui aboutissent à la mort du clone-veau nouveau-né’. Le clonage de cochon a suivi en 2000, réalisé simultanément par deux équipes indépendantes9,lo. Enfin le clonage d’animaux de compagnie, marché porteur dans les pays riches, a été annoncé à grand renfort de publicité par de nombreuses compagnies. En 1998, un couple anonyme américain millionnaire annonce qu’il offre deux millions de dollars pour quiconque est en mesure de lui cloner sa chienne Missy. C’est le point de départ du projet Missyplicity. À ce jour, le clonage du chien se heurte à de nombreux problèmes techniques et le clone de Missy n’est pas encore né. En revanche, le clonage d’un chat a été réalisé et publié début 2002 par une société de biotechnologie”. I1 a été baptisé pour l’occasion CC pour << copie conforme >> (à l’original,faut-il présumer). Ce chat est aussi le premier animal de compagnie cloné à avoir été vendu plus de cinquante mille dollars au propriétaire qui ne s’était pas remis du décès du préclone. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, l’équipe de Jean-Paul Renard a cloné des lapins en 200212,ainsi que des rats en 200313.Cette année a été relativement faste puisque l’arche de Noé des espèces clonables >> s’est ouverte aux chevaux avec le succès d’une équipe italienne qui a baptisé son clone Pr~metea’~.. . Des travaux sur les primates non-humains ont été simultanément entrepris avec beaucoup de difficultés, puisqu’aucune publication scientifique n’en relate la création à ce jour. Ces difficultés laissent donc présager de sérieux problèmes pour les volontaires qui souhaitent appliquer cette technique à l’homme sans autre forme d’évaluation. Ces problèmes pourraient cependant s’amender puisqu’une équipe américaine de l’université de Pittsburg a annoncé récemment qu’il a été possible d’induire des grossesses sur des femelles singes implantées avec des embryons clonés. I1 reste à attendre leur naissance et à observer les futures conditions de vie de ces singes-clones pour avoir une idée plus précise de ce qui attend leurs cousins humains clonés. Dans leur livre paru en 2000 et intitulé The Second Creation (La Seconde Création) Ian Wilmut et Keith Campbell annoncent ne pas vouloir appliquer leur technique de clonage reproductif à l7hommel5.Pourtant le désir de cloner l’homme a rapidement émergé dans de nombreux esprits après le <(
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faire-part de naissance largement médiatisé de Dolly. Tout de suite après la publication des résultats initiaux, tout le monde a imaginé l’impensable. Techniquement plus rien ne s’y opposait formellement, si ce n’est de grandes inconnues techniques et un profond malaise éthique. Aussi, certains signes semblent préparer l’opinion publique à une telle éventualité comme l’éditorial de la revue médicale The Lancet, qui pose comme un fait accompli les premiers principes du clonage humain et s’apprête à voir naître les premiers enfants du clonageI6.Ainsi il n’aura pas fallu attendre un an pour que le débat soit relancé avec l’annonce par voie médiatique en décembre 1998 de la réalisation d’un clonage d’embryon humain << à titre expérimental »,par une équipe sud-coréenne. La sagesse leur a quand même commandé d e n arrêter le développement par congélation au stade quatre cellules... De nombreuses sociétés de biotechnologies annoncèrent alors avoir pour objectif de mener à terme un programme de clonage humain reproductif. Toutes ne semblent pas avoir de projet scientifique précis. Quelques slogans creux lancés dans une opération de mystification s’y substituent dans des opérations dont les budgets semblent impressionnants. En 1999, la firme de biotechnologie Advanced Cell Technology (ACT) clame avoir produit un amas de cellules embryonnaires grâce à l’introduction dune cellule humaine adulte différenciée dans un ovocyte énucléé de vache. Clonaid, société écran dune secte, propose elle aussi ses services. I1 s’agit en fait de la vitrine dune secte occulte, baptisée Raël. Cette secte a été fondée en 1973 par un français que la rencontre abracadabrantesque avec une soucoupe volante près de Clermont-Ferrand a fait basculer dans le délire mystique. Les extra-terrestres (ou << Elohims D), créateurs de l’espèce humaine, auraient rebaptisé leur interlocuteur infortuné Raël. Ce nom bizarre sonne de manière sensiblement plus crédible dans la fantasmagorie mystique des sectes que le trop réel Claude Vorilhon, aux consonances trop << terriennes ». Raël, illuminé par les extraterrestres, a reçu un certain nombre de << missions n comme celle de construire une ambassade pour accueillir les Elohims, ou encore le développement du clonage reproductif humain comme moyen d’accéder à l’immortalité, avec transfert de mémoire entre les générations ! L’aspect le plus surprenant de l’affaire est la revendication de plus de cinquante mille adhérents à ce culte. Parmi les adeptes se trouvent plusieurs dizaines de jeunes femmes disposées à prêter leurs corps pour cette expérience délirante (pour le don d’ovule et l’accueil de grossesse porteuse de clones). La secte de Raël semble très bien organisée, puisqu’elle propose sur la toile différentes sociétés de service complémentaires : outre Clonaid pour le clonage, il est possible de trouver Insuraclone spécialisée dans le prélèvement et la conservation de cellules en attendant le clonage. Mais la course est serrée et d’autres vedettes scientifico-médiatiques se sont déclarées candidats. Richard Seed, ancien chercheur en physique à la retraite de l’université de Harvard, qui a annoncé après la naissance de Dolly
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le lancement de travaux visant à se cloner lui-même s’est ensuite rétracté pour annoncer qu’il clonerait sa femme. Le clonage semble particulièrement attirer les délires mystiques puisque, d’après ses déclarations, ses motivations seraient vouloir faire jeu égal avec Dieu. Plus sérieusement, mais tout aussi déterminés,d‘autres candidats se déclarent :le responsable de l’Institut américain d’andrologie Panayiotis Zavos et le célèbre gynécologue italien Severino Antinori. Ce dernier rendait public en août 2001 son programme de développement du clonage reproductif humain. Face à ces déclarations, la France et l’Allemagne réagirent vivement et demandèrent conjointement à l’organisation des Nations Unies (ONU) de bannir définitivement le clonage reproductif humain. Malgré la bonne volonté de l’ONU à avancer dans un domaine peu susceptible de déclencher une bataille diplomatique, sa lenteur de réaction n’aboutira en mars 2002 qu’à l’annonce de la préparation d’une convention internationale prohibant définitivement le clonage reproductif humain. Le 25 novembre 2001, une société américaine de biotechnologie récidive et informe les médias, à l’occasion d’une publication scientifique, qu’ils sont arrivés à produire trois embryons humains après transfert nucléaire et à les faire se développer jusqu’au stade six cellule^'^. Les évènements s’accélèrent ensuite singulièrement : à l’occasion d’un congrès en mai 2002, Severino Antinori révèle un secret de Polichinelle en annonçant que plusieurs tentatives de clonage reproductif humain ont eu lieu qui ont permis le développement de plusieurs grossesses dont le terme arrivera début 2003. I1 prend aussi la précaution de ne rien dévoiler sur l’identité de ces nouveau-nés, afin de leur laisser - officiellement - quelques années de développement à l’abri de la pression des médias. Plus sûrement, est-ce le temps nécessaire pour vérifier que ces enfants - tant attendus - ne présentent pas de pathologies rédhibitoires ou condamnables. C’est juste le temps d’effacer les traces de la violence faite à ces homme-objets pour faire bonne figure et être dignes d’être présentés aux médias, c’est-à-dire d’être beaux et en bonne santé. Lors de plusieurs interviews données à des médias, il confirme ses propos tout en précisant que les femmes, porteuses de ces grossesses, sont originaires de pays où le clonage ne fait l’objet d‘aucune interdiction. Les raéliens surenchérissent alors immédiatement, après s’être fait voler la primeur de leurs volontés délirantes. Ils annoncent qu’ils vont montrer des images des premiers embryons humains issus du clonage lors d’un colloque scientifique au Japon en juillet 2002. Alors que les noms des scientifiques participant aux travaux, ainsi que la localisation exacte du laboratoire de Clonaid restent toujours inconnus, les raéliens exposent à ce colloque sur le stand d’une société coréenne de biotechnologies. I1 est possible d’y trouver un appareil qui permet d’améliorer sensiblement l’étape délicate de fusion entre la cellule à cloner et l’ovocyte énucléé par génération d’une impulsion électrique stable et de bas voltage. L‘annonce fait cependant long feu et les raéliens ne produiront
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finalement pas d'images de << leurs dernières productions ».L'effet d'annonce reste pourtant assez surprenant : aux problèmes éthiques et techniques majeurs qu'il reste à résoudre, les raéliens y substituent une machine censée gommer tous les problèmes. La technique remplace l'humain. Le mythe << technocentriste B de la machine générant une vie idéale émerge clairement dans la fantasmagorie raélienne. L'histoire retiendra peut-être que la course folle au clonage aura été gagnée par les raéliens le 26 décembre 2002 avec la naissance d'une petite fille prénommée Ève. En effet, par la voie du << guide-évêque >> Brigitte Boisselier, la secte fit part le 27 décembre 2002 dans une conférence de presse parfaitement organisée de la naissance d'un enfant qui devrait être le premier être humain cloné. Afin de se protéger d'éventuelles poursuites de la justice américaine autant que pour protéger la vie de l'enfant les raéliens entretiennent volontairement le flou et interdisent dans l'immédiat toute confirmation scientifique. Cette annonce, pourtant attendue, survient comme un coup de tonnerre dans un ciel serein et les critiques pleuvent de toutes parts. I1 faut toutefois s'y résoudre : l'humanité vient de basculer (ou basculera à très court terme) dans une ère nouvelle même si certains, comme André Pichot, prédisent pour le clonage reproductif un passage rapide aux oubliettes de l'histoire'8. Début 2003, de nombreux scientifiques de renom en appellent alors à un retour à la ~agesse'~~'", alors que les raéliens ne donnent aucune suite crédible à leurs annonces et que les surenchères se succèdent (ce qui laisseplaner un large doute quant à la réalité technique du clonage). En août 2003, une équipe chinoise annonce avoir réussi à transférer des noyaux somatiques de cellules humaines adultes de différents âges dans des ovocytes énuclés de lapines". Ce transfert fut alors capable de donner naissance à un embryon primitif dont les cellules ont permis de produire certaines lignées de cellules souches. Cependant, la qualité des cellules souches produites reste sujette à caution, puisque les hybrides inter-espèces présentent souvent des instabilités liées à des incompatibilités entre le génome du noyau et de la mitochondrie. En janvier 2004, le controversé Panyiotos Zavos annonce avoir implanté dans l'utérus dune femme un embryon humain cloné, mais il déclare immédiatement après que le début de grossesse a fini en fausse-couche. I1 faudra encore attendre trois mois pour voir annoncer en mars 2004 par une équipe coréenne le premier clonage humain avec production d'un blastocyste viable à partir duquel il a été possible de produire des cellules souches embryonnaires*'. I1 faut noter qu'il aura fallu ici plus de deux cent quarante deux ovocytes provenant de seize donneuses volontaires. Sur l'ensemble des ovocytes, seuls trente se développèrent jusqu'au stade blastocyste. Sur les trente embryons au stade blastocyste, seuls vingt d'entre eux ont permis d'extraire des cellules souches qui n'ont donné naissance finalement qu'à une seule lignée stable dans le temps et correctement caractérisée. I1 s'agit ici du
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premier compte-rendu crédible de la possibilité de développer et d’utiliser la technique de clonage dans une perspective thérapeutique. Toutefois, comme le soulignent tous les spécialistes du domaine, le succès de la reprogrammation d u n noyau somatique lors d u n e opération de clonage est inférieur à cinq pour cenV3. Ce très faible pourcentage reflète la grande difficulté des biologistes à appréhender précisément les mécanismes en cause, et doit appeler à la plus grande prudence en ce qui concerne à la fois les applications potentielles en matière thérapeutique, mais aussi et surtout les projections irrationnelles reproductives. De nombreuses équipes scientifiques semblent toutefois s’engouffrer dans la voie mise au point par l’équipe coréenne : une équipe britannique a obtenu en août 2004 l’autorisation de la Human Fertilisation and Embryology Authority pour débuter ses travaux alors qu’une équipe américaine de l’université de Harvard a annoncé officiellement son engagement dans le domaine en octobre 2004. Au-delà de ces travaux encadrés, persistent les équipes aux desseins les plus fous. Ainsi, Panayiotis Zavos continue dans la voie du clonage reproductif et annonce en août 2004 la création d’embryons issus de l’implantation dans des ovocytes de vaches de noyaux provenant de tissus humains de personnes décédées. Ces hybrides auraient permis d’aboutir à des embryons qui auraient été détruits par la suite. Zavos, coutumier de l’extravagance, annonce à la presse directement la nouvelle sans respecter l’embargo de la revue scientifique dans laquelle il avait prévu de publier ses résultats, ce qui aboutit à la plus grande confusion et au retrait de l’article par l’éditeur en chef du journal scientifique excédé. Tout ce tapage aboutit infine à un discrédit des équipes qui annoncent,en l’absence de toute preuve, à grand renfort de médis, des résultats extravagants. Mais finalement quels problèmes le clonage reproductif humain soulèvet-il ? Sous quels auspices vivront ces enfants et les suivants que la secte de Raël et quelques biologistes jusqu’au-boutistes annoncent ? Ève est-elle la première victime d u n e pulsion délirante de l’humanité ? Les problèmes éthiques
Le clonage reproductif humain ? un vieux fantasme de l’humanité vient de se réveiller. L’homme semble enfin maîtriser sa genèse ; il espère pouvoir secrètement s’appliquer le clonage reproductif. Déjà des voix connues s’élèvent pour réclamer ouvertement l’application du clonage à euxmêmes. Certains articles publiés dans des revues scientifiques prestigieuses comme Science proclament que le clonage reproductif n’a pas d’effets aussi délétères sur le psychisme des futurs individus clonés que ne veulent bien le faire valoir les opposants au clonagez4.Peut-être est-il nécessaire de s’arrêter et de réfléchir à ce que représente le clonage reproductif pour l’homme.
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Clonage reproductif: pour quelles justi3cations ? La première justification de l’application du clonage reproductif à l’homme provient donc de l’idéologie mystico-délirante de plusieurs gourous illuminés par le fantasme de l’éternité et attisés par (( le miracle B des biotechnologies. Ces projets ne reposent sur aucun fondement rationnel ni sur aucune réflexion au sujet du sens éthique de telles actions. Malheureusement, les sectes sont loin d’être pauvres et elles ont probablement à leurs dispositions à la fois des moyens financiers et des (< outils humains D dociles. Des projets aussi éloignés de toute raison sont, bien entendu, condamnables. Mais la tentation banale de l’éternité dépasse largement le milieu des sectes. Après l’annonce Dolly, de nombreuses personnes plus ou moins célèbres avaient annoncé leur intention de tenter le clonage. Le plus vieux et le plus puissant rêve de l’humanité pourrait enfin se réaliser : la quête de l’immortalité. La mort reste le problème majeur de l’homme, c’est une vérité d’évidence. Le salut éternel, promis par toutes les religions, est l’exemplele plus commun et le plus flagrant de cette problématique qui hante l’humanité. De nombreux comportements humains dissimulent mal la quête permanente de l’apaisement de cette angoisse existentielle majeure. La recherche effrénée d’une postérité, fut-elle la plus modeste, occupe compulsivement des vies entières d’hommes jusqu’à induire des comportements irrationnels. Érostrate, dont le nom tristement célèbre est parvenu jusqu’à nous est l’archétype de ces comportements pathologiques. I1 brûla le temple d’Artémis à Ephèse, une des sept merveilles du monde antique en 356 avant J.-C. La construction de ce joyau avait pris cent vingt ans mais disparut brutalement dans l’incendie criminel. Érostrate fut doublement condamné : la première peine, classique pour un criminel en ces temps immémoriaux : la mort ; la seconde, expiatoire, qui exposait toute personne prononçant le nom du pyromane à la même mort. I1 faut croire que la seconde ne put correctement être appliquée puisque le nom du coupable jouit d’une postérité encore actuelle plus de 2 300 ans après les méfaits. Le complexe d’Erostrate D a fait des émules qui jalonnent l’histoire de l’humanité aboutissant souvent aux pires horreurs ou parfois à la genèse de chef-d’œuvres artistiques. Aussi, Dominique Janicaud rappelle que Quand on examine de près la plupart des intentions utopiques qui utilisent les techniques comme supports, on risque d’êtrefort déçu en ne découvrant que les prolongements banals, voire sordides, de pulsions médiocres. Ainsi pour s’en tenir au désir d’immortalité, les technologies de chirurgie esthétique, de médecine du rajeunissement, voire de macabre conservation des cadavres pour une hypothétique survie (...), paraissent bien dérisoiresface à la réalité fondamentale et constitutive de la condition humaine : la mortalité. B Mais le clonage ouvre maintenant d’autres perspectives bien plus alléchantes : tout espoir de vie dans l’au-delà, ((
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ou de survie dans la mémoire collective fait pâle figure. Une fois la vie épuisée, parcourue dans ses largeurs les plus grandes, quand le grand soir approche, il ne reste plus qu’à se faire un petit prélèvement de cellules dans n’importe quel tissu somatique (pourquoi pas les glandes mammaires ?). Ces cellules sont alors re-programmées, remises à zéro pour un nouveau tour de cadran, prélevées, emballées dans un ovocyte, et mises en boîte dans une mère porteuse. Après neuf mois d’attente, vous avez droit à << une deuxième vie ». Le bébé que vous portez dans vos bras n’est plus votre vulgaire fils, encore moins votre vulgaire fille, tristes bâtards du croisement sexué. Non, ce n’est pas non plus votre jumeau, qui aurait eu l’obligation banale de la simultanéité du conscrit. C’est votre alter ego génétique que vous portez dans vos bras, ce bébé que vous serrez contre vous ! La fiction n’était jamais allée aussi loin, faute d’imagination plus poignante. Mais la réalité est plus sordide. Au-delà des problèmes médico-scientifiques qui font du clonage une technique dangereuse pour l’enfant à naître, l’identité de la personne à naître est clairement différente de celle du préclone. La notion d’identité génétique est un leurre. I1 est aussi inepte d’affirmer que clone et préclone forment une personne unique que de dire que deux jumeaux monozygotes ne sont qu’une seule et même personne. Le plus souvent les jumeaux monozygotes restent fort dissemblables et mènent chacun une vie individuelle très différente. I1 ne viendrait à l’idée d’aucune personne sensée de dire que les deux jumeaux sont l’incarnation d’une personne unique. Aussi, le préclone et l’enfant cloné se retrouvent exactement dans la même situation, à quoi il faut ajouter les différences génétiques liées au génome mitochondrial étranger et le fossé de la différence d’âge. I1 y aura clairement deux êtres distincts ! Vouloir projeter sur cette situation bancale le fantasme de l’éternité relève clairement de l’imagination délirante. Le préclone et l’enfant cloné seront deux personnes distinctes. I1 faut d’emblée réfuter la tentation irrationnelle et démiurgique d’interpréter cet artifice technique comme la continuité ou le prolongement artificiel d’une vie. Plus précisément, le nouveau-né cloné est un nouvel individu aspirant à un autre futur que celui, pathologique, projeté par son préclone au crépuscule de sa vie. D’autres voix se sont élevées pour tenter de normaliser des tentatives pour des << raisons médicales ».Ainsi, l’argumentaire de Severino Antinori se fonde sur une vision technicisée à outrance de la procréation. Pour lui, le clonage reproductif est une technologie émergente qui tiendra toute sa place dans l’arsenal du futur pour le traitement des infécondités irrémédiables. Pour Antinori, le clonage reproductif humain est simplement un moyen de pallier certaines stérilités incurables, et il doit à ce titre faire partie de l’arsenal classique de traitement de ces déficiences. I1 s’agit en fait ici d’un débat très important : est-ce que l’infécondité (qui n’est pas une pathologie en soi) justifie toutes les intrusions dans la genèse du vivant ? Les tenants
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dune démarche pragmatique en appellent au besoin de répondre de manière purement technique par une thérapeutique. En effet, la définition de l’état de santé donné par l’organisation mondiale de la santé est un état de bien-être physique et moral. L’infécondité, en générant une frustration, agit bien entendu sur le bien-être moral et vouloir y remédier entre alors dans une démarche thérapeutique. I1 n’empêche que comme l’énonce de manière très juste le philosophe Lucien Sève : << (...) N’est-ce pas par une contamination très contestable entre anomalie et anormalité qu’on vient à en faire, de façon systématique, une pathologie ? Quoi qu’il en soit, les PMA [procréation médicalement assistée] ne sont en rien des thérapeutiques :elles ne constituent que des palliatifs. Après comme avant, le couple demeure stérile. Et n’est-ce pas justement parce que les PMA proposent non un traitement mais une prothèse, qu’elles peuvent si aisément se prêter aux demandes les plus perverses ?Parler ici de médecine confine à l’abus de langage. (...) la biomédecine tend à élargir sans cesse au-delà de la maladie proprement dite le champ de ses prérogatives, et à la limite à fomenter la médicalisation universelle de notre vie. Conception, gestation, naissance : à peine commençons-nous que nous sommes déjà des patients. D La transformation du désir d’enfant en besoin à assouvir nécessairement s’est accomplie progressivement avec les progrès de la science et la médicalisation de la procréation. Répondre à toutes les demandes est-elle toutefois une nécessité expresse ? En effet, le clonage reproductif n’est pas un mode banal de reproduction chez l’homme, et celui-ci pose de nombreux problèmes. La réification ou lefutur monde du clone-objet Le premier problème est celui de la création d’un être humain utilisé comme un moyen. I1 s’agit clairement d’une transgression des principes kantiens, et même au-delà. Jürgen Habermas s’est récemment penché sur le problème en affirmant que toute manipulation intrusive et volontaire des caractères génétiques d’un enfant à naître est une atteinte à << l’éthique de l’espèce humaine ». I1 précise dans L’Avenir de la nature humaine en quoi les modifications délibérées du génome d’un enfant à naître (ce qui est le cas dans la technique du clonage) une atteinte aux fondements de ses libertés et de sa construction sociale future. I1 affirme ainsi: << La manipulation génétiquepourrait transformer la compréhension que nous avons de nous-mêmes en tant qu’êtres d’essence générique à un tel point que, nos représentations juridiques et morales modernes étant attaquées, ce sont du même coup les fondements normatifs incontournables de l’intégration sociale qui seraient touchép. D De plus, quand bien même le clonage reproductif serait clairement accepté par la société, il reste à définir quelle identité donner à l’enfant cloné, quelle place lui céder dans la filiation et dans la famille, quelle perspective lui
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laisser pour tenter de se construire comme un être humain libre. Même pour remédier à une stérilité incurable, le clonage n’est pas sans conséquences éthiques. Vouloir l’appliquer à l’homme, c’est donc s’exposer à une problématique nouvelle, dont toutes les implications ne sont pas connues. Quel est-il, cet enfant qui vient de naître ? Quelle identité lui donner, et quelle identité la société lui reconnaîtra-t-elle ? Portera-t-il le nom et le prénom du préclone, ou sera-t-il un nouvel enfant inscrit dans une filiation complexe ? Qui seront ses parents ? Les parents du préclone, le préclone, la mère porteuse ? Quelle place accorder dans la filiation à la donneuse d’ovocyte ? Celle-ci aura participé à plus d u n titre à redonner << l’étincelle du vivant >> à l’enfant cloné. Elle léguera même à cet enfant à naître une partie de son patrimoine génétique, lui laissant le génome mitochondrial. Une donneuse d’ovocyte pourrait bien vouloir réclamer << sa part de parentalité >> sur l’enfant cloné. Répondre à ces questions renvoie à une double nécessité : l’enfant cloné aura besoin de savoir qui sont ses parents, et symétriquement la société a besoin de savoir dans quelle filiation s’insère cet enfant. I1 n’est pas besoin d’être psychanalyste pour comprendre que l’enfant cloné risque d’être perturbé par cette situation hors du commun. La notion de parentalité est complètement explosée dans ce cas de figure. La notion même de parents biologiques est éclatée entre les parents du préclone qui cèdent le patrimoine génétique nucléaire, la donneuse d’ovocyte qui cède le génome mitochondrial, la mère porteuse qui accouche de l’enfant. Les parents adoptifs, réels au sens social, de l’enfant seront probablement le préclone et/ou son conjoint si ils vivent en couple. L’enfant cloné sera donc élevé par son préclone, son alter ego génétique. I1 n’est pas possible d’exclure d’un revers de manche que l’enfant cloné ne souffrira pas de cette situation complexe dans laquelle il est difficile de ne pas percevoir une certaine perversité. L’enfant pourra rapidement comprendre combien sa conception aura été instrumentalisée, combien la situation de se voir grandir sous le regard d’un père ou d’une mère qui n’est que son égal génétique transgresse, non pas les interdits sociaux ou moraux, mais une loi plus profonde, une constante de l’espèce qui veut que chaque être soit singulier.
Les risques éthiques du marché de l’embryon de la mère porteuse Le deuxième problème est celui du prix que la société est prête à tolérer pour créer ces quelques clones d’exception. En effet, la technique nécessite pour l’instant, de récupérer des ovules, c’est-à-dire qu’il faut accepter que des femmes donnent (ou vendent) leurs ovules au prix de traitements non anodins pour leur santé. Le nombre d’ovocytes nécessaires à la réussite du clonage d’une personne est démesurément important puisque le taux de réussite à la fois chez l’homme ou chez d’autres mammifères est inférieur à
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cinq pour cent ! Les seules données de la première expérience de clonage thérapeutique humain démontrent qu’il faut plus de deux cents ovocytes (issus de seize donneuses) pour voir à peine une vingtaine d’embryons se développer. I1 est nécessaire de préciser pour être tout à fait honnête que ce problème pourrait faire l’objet d’une solution technique puisqu’il a été possible de créer artificiellement des ovocytes ex vivo à partir de cellules souches embryonnaires (au moins dans un premier temps chez la souris)26. Cependant un problème résolu en crée ipso facto un autre qui est l’origine de ces cellules embryonnaires dans l’hypothèse d u n e application industrielle à grande échelle. Tout cela n’aboutirait-il pas in fine à la mise en place à l’échelle industrielle d’une fabrique d’embryons destinés à être sacrifiés pour produire des ovocytes ? Enfin, une fois créés, les embryons devront être réimplantés auprès de mères-porteuses (dans un certain nombre de cas au moins) dont il faudra tolérer la nécessaire rétribution. L’ensemble de ces conditions techniques prêtent le flanc à la constitution d’un marché et, inévitablement, de réseaux d’utilisation ou d’exploitations de femmes qui seront réduites à l’état de moyens. Vouloir créer des clones risque d’induire les conditions propices à l’éclosion d’une nouvelle forme d’asservissement de l’humanité. Ce dernier point n’est pas un des moindres. I1 est impossible (au moins dans l’état actuel des connaissances) de s’affranchir d’une mèreporteuse. Or, une grossesse n’est jamais une affaire dénuée de risques mettant en jeu à la fois la vie de l’enfant et de la mère. Aussi, la mise en place d’un réseau d’exploitation de femmes dans l’objectif de les transformer en mères-porteuses représente un danger réel. Les risques liés aux aléas techniques
Après la publication de la naissance de Dolly, un certain nombre de questions scientifiques restaient soulevées. Tout d’abord, Dolly est-elle vraiment le clone génétique de sa mère ou plutôt de sa préclone ? Cette question n’est qu’apparemment triviale, car au moment de la << conception >> de Dolly, sa préclone avait déjà été éliminée depuis quelque temps. De plus, la préclone de Dolly était gestante au moment du prélèvement mammaire or, pendant cette période, des cellules de l’embryon qui se développe in utero peuvent être physiologiquement retrouvées dans la circulation sanguine de la mère (et donc contaminer le prélèvement de cellules mammaires). Enfin, Dolly était-elle vraiment issue d’un clonage à partir d’une cellule différenciée, ou d’une cellule souche présente << accidentellement >> dans le lot de cellules mammaires prélevées sur la brebis << préclone >> ? La réponse à la première question a été apportée par l’analyse de marqueurs génétiques effectuée par deux laboratoires indépendants. Les résultats démontrent avec certitude que Dolly est le double de la
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brebis préclone décédée quelques années auparavant. En effet, quelques échantillons cellulaires précieux avaient été conservés par les géniteurs de Dolly. La question de savoir si le clonage peut être réalisé à partir de cellules irréversiblement différenciées a été tranchée par Rudolph Jaenisch du Massachussets Institute of Technology. I1 a en effet réussi à cloner des souris à partir de cellules irrémédiablement différenciées : les lymphocytesz7.Ces cellules particulières du système immunitaire perdent en effet une partie de leur génome pour construire leurs récepteurs aux antigènes par réarrangement génétique. Elles portent donc un marqueur génétique commode qui peut être suivi dans la descendance. Cette équipe a réussi à << re-construire D par clonage reproductif des souris à partir de lymphocytes. Ces souris portent donc la marque de la différenciation de la cellule mère par l’absence d’une partie des séquences qui servent normalement à construire le récepteur du lymphocyte. Une autre question majeure n’est pas vraiment réglée, aussi surprenante qu’elle puisse paraître : Quel est l’âge réel de Dolly ? L’âge de son préclone, le sien ou la somme de celui des deux animaux ? la question n’est pas si simple. Si, en première intention, son âge est donné par << l’état civil »,son âge réel pourrait bien être sensiblement différent. En effet, le génome de Dolly provient d’une cellule différenciée issue de sa préclone, donc d’une cellule vieillie qui était destinée à une mort prochaine. Le vieillissement cellulaire est un domaine d’étude en pleine expansion. Comment s’écoule le temps cellulaire ? Existe-t-il des mécanismes moléculaires de mesure du temps, des montres moléculaires ? I1 semble que les cellules ressentent les effets du temps. En vieillissant les cellules se rident P et, qui plus est, peuvent palper leurs rides afin d’évaluer leur âge qui ne doit pas dépasser ce qu’autorise le génome. I1 est maintenant possible de différencier les cellules qui restent éternellement jeunes, capables de se diviser indéfiniment pour le renouvellement des tissus, et les cellules qui vieillissent au nombre de division contingenté et à la mort prochaine. Un des marqueurs les plus fiables est la mesure de la longueur de l’extrémité des chromosomes dénommé télomère. Dans les cellules différenciées, à chaque division, la réplication des chromosomes entraîne un raccourcissement des télomères par un phénomène quasi-mécaniqued’absence de matrice nécessaire à l’efficacité de l’enzyme dédiée à cette fonction. À chaque division quelques bases sont grignotées, jusqu’à disparition complètes des télomères. Cette disparition tragique est reconnue alors comme un signal d’induction de la mort cellulaire. Dans les cellules souches à la base du renouvellementtissulaire, une enzyme nommée télomérase répare les télomères et tricote une extrémité à chaque division cellulaire à partir d’une courte matrice. Sans cette enzyme, les tissus à fort renouvellement tissulaire ne pourraient pas se reconstruire en permanence. Pour mesurer << l’âge absolu D de Dolly, l’équipe de Ian Wilmut a mesuré la longueur de ses télomères. Avec stupeur l’équipe mère de Dolly
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découvre que la longueur des télomères de celle-ci est égale à celle d’un animal de l’âge du préclone (six ans) et non celles de son âge réel au moment du prélèvement (un an). La différence est statistiquement très significative. L’âge télomérique de Dolly est donc bien égal à la somme du sien et de celui du clone parent. Ces aspects très techniques peuvent paraître superflus au premier abord. I1 n’en est rien, car, en biologie, on ne ment pas sur son âge. Dolly a été victime d’une euthanasie prématurée, six ans après sa naissance, après qu’il eut été découvert qu’elle souffrait d’une arthrite chronique et d’une insuffisance pulmonaire provoquée par une infection virale ayant entraîné la croissance dune tumeur. Dolly, le paradigme de la quête de l’éternité, aura vu sa vie mouvementée singulièrement raccourcie ! Mais elle a entamé désormais une troisième vie plus tranquille : après une autopsie et des examens approfondis, elle a été empaillée pour disposer dune place d’honneur au Museum of Scotland à Edimbourg... Au-delà du mythe, Dolly n’aura donc vécu que la moitié de l’espérance de vie d’une brebis quelconque. Des problèmes techniques restent donc en suspens avant une application directe à l’homme. L’évasion vers l’éternité se heurte encore à des problèmes techniques de synchronisation des horloges moléculaires cytoplasmiques et nucléaires. D’autres problèmes très importants restent encore irrésolus avant d’envisager de passer à l’étape humaine. D’abord la mortalité périnatale est très forte quelle que soit l’espèce (mouton, vache, ...). De nombreuses tentatives pour produire des clones dans un panel d’espèces mammifères maintenant assez large aboutissent fréquemment à des grossesses pathologiques ou au développement d‘embryons dont l’involution est spontanée. Même quand les embryons se développent, ils aboutissent à des clones de grosse taille avec une augmentation du poids de naissance, du poids du placenta, et ils meurent précocement de problèmes cardio-respiratoires. Les mécanismes en cause restent largement méconnus. Un travail a démontré qu’il existe des anomalies majeures de l’expression des gènes liées à des très grandes variations de << l’empreinte génétique >> après la re-programmation du noyau après transfert dans l’ovocyteze.De même, il a été montré que des souris clonées, en apparence normales à la naissance, ont une longévité significativement abaissée, sans raisons notables connuesz9.De plus, des travaux engagés par plusieurs équipes sur le primate non-humain n’ont jamais été publiés, sans qu’il y soit possible de savoir si la technique ou si la survie des embryons est en cause. L’homme ne devrait pas échapper à ces nombreuses difficultés, malgré les annonces triomphantes. I1 n’y a aucune raison pour que nous fassions exception à la règle de la nature. Certains travaux précurseurs semblent même le confirmer. L’article publié en novembre 2001 montre que soixante et onze tentatives ont permis d’aboutir une fois à un embryon de six cellules et deux fois à un embryon à quatre cellules’’... Ce taux semble ridicule au regard des soixante et onze ovocytes nécessaires à ces tentatives issues
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dune dizaine de femmes donneuses volontaires pour subir une superovulation à des fins de recherches. Les résultats semblent maigres par rapport aux sacrifices consentis par ces femmes. Les quelques équipes lancées dans cette tentative absurde, poussées par le délire quasi-mystique ou par la volonté de transgresser les interdits, prennent des risques considérables. Les embryons qu’ils vont concevoir sont et seront avant tout des êtres humains, conduits à la vie par une technique dont tous les dangers restent méconnus. Dans l’état actuel des connaissances, énoncer vouloir cloner un homme signifie clairement : << produire >) des êtres humains pour qui le risque davoir un surpoids de naissance, des pathologies cardio-respiratoires ou hématologiques sera important et dont l’espérance de vie sera probablement raccourcie. Non seulement ces hommes auront été réifiés par leurs géniteurs, mais leur vie risque grandement de ressembler à un calvaire. Ces hommes-objets porteront à chaque instant une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. À tous moments, les stigmates des manipulations originelles dont ils auront été victimes pourront réapparaître comme la trace d’une maladie hideuse liée à la folie de leurs géniteurs. Le pire sera l’incertitude, l’attente de la survenue d’un événement incertain mais probable, une vie passée à reconstruire difficilement une identité humaine perturbée par une filiation singulière et la voir s’effondrer brutalement comme un château bâti sur des sables mouvants. Qui peut dans ces conditions accepter de vouloir être cloné ?
Le clonage au regard de notre tentative de déjkition du vivant Le clone est ici le produit dune technicité parfaite dans laquelle l’homme s’enferme, se transforme en sujet d’expérience. I1 découpe ses cellules en différentes entités (noyau et cytoplasme). Le noyau d’une cellule somatique, arraché de son cytoplasme, n’est, bien entendu, plus une entité vivante stricto sensu, au moins dans la définition que nous avons donnée du vivant. L’artifice se situe ici : l’homme arrive à reproduire la continuité du vivant artificiellement, mais la réalité est une discontinuitétotale. L’analyse du procédé doit s’arrêter sur ces instants primordiaux au cours desquels une entité artificielle complètement isolée, un noyau, est insérée au cœur d’une cellule. La vie est alors interrompue doublement. La première interruption est physique : le noyau est maintenu artificiellement en survie, mais il n’est pas possible de considérer cette entité isolée comme vivante dans l’intervalle entre son extrusion par la force et sa réintroduction dans la cellule. I1 n’y a plus de continuité physique vitale, comme dans toute fécondation naturelle. La seconde interruption est informative. Le noyau de la cellule somatique du préclone n’était pas au départ destiné à donner un être vivant complet ; son génome était programmé pour s’exprimer sagement en cellules mammaires (ou d’autres types de cellules très différenciées). Toutefois, la volonté humaine
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en décide autrement. Le génome retourne en enfance, se remet à zéro grâce aux éléments contenus dans le cytoplasme de l’ovocyte d’accueil. L’information contenue dans la cellule est détournée, piratée pour une autre destinée ; la vie est finalement deux fois dénaturée. Le clonage est souvent associé dans l’inconscient collectif avec la reproduction asexuée. Dans la nature de nombreuses espèces se reproduisent de manière asexuée (bactéries, végétaux) alors que de nombreux animaux utilisent la parthénogenèse ; il est alors très judicieux d’observer que le début de toute vie commence classiquement à la fécondation. Or ici, il n’y a plus de fécondation, l’embryon se développe certes, mais où situer le début de sa vie ? Ainsi, dans aucun des casprécédemment cités, la vie n’est réellement interrompue, comme elle l’est ici, avec la dislocation de la brique du vivant :la cellule. Dans tous les cas, la cellule est intègre ;la programmation du nouveau venu se fait à partir d’une cellule spécialisée. Au cours de cette reproduction, les différents éléments de la lignée sont effectivement des clones génétiques. L’association de ces clones-là aux clones artificiels de mammifères est impropre, et le terme a clone N est sans doute utilisé abusivement. Les principes de l’éthique jetés par Emmanuel Kant rappellent qu’il est interdit d’utiliser l’être humain comme un moyen. I1 serait intolérable d’admettre cette technologie chez l’homme quels qu’en soient les objectifs avoués et avouables. I1 n’est pas raisonnable de laisser une personne abandonner son patrimoine génétique entre les mains de manipulateurs anonymes avant de le voir introduit dans l’utérus d u n e mère-porteuse. Ce serait abandonner la condition humaine à la froideur de la technologie dont les dérives visionnaires imaginées par Aldous Huxley en 1932 dans Le Meilleur des mondes ne sont pas à exclure3o.L’homme pourrait être réduit à un objet d’expérimentation : le clone-objet. L’homme désire son clone, désire se voir cloné, mais quel espace de liberté donner à celui qui - réplique d u n autre - n’en est que son objet ou l’objet de son désir ? Comment ne pas désespérer devant le nombre de personnes qui ont naïvement exprimé le souhait de se voir clonées à titre expérimental après l’annonce de la naissance de Dolly ? Malgré les nombreux appels solennels, et les nombreuses interdictions de principe, la bataille continue autour du clonage reproductif humain. En France, le Comité consultatif national d’éthique, dans son avis du 22 avril 1997, proposait au terme d’une longue analyse d’interdire le clonage humain reproductif. Au plan européen, la convention d’Oviedo pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine a bénéficié d’un protocole additionnel formel interdisant le clonage humain depuis le 12 janvier 1998. Aux États-Unis, classiquement à l’avant-garde des progrès technologiques, la National bioethics advisory commission, saisie par le président Clinton, recommandait un moratoire sur le clonage humain et la mise en place d’une loi fédérale
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interdisant celui-ci pendant des périodes de trois ans renouvelables par le congrès, afin de pouvoir ré-évaluer le danger en fonction de l’état de la science. Le débat ne s’est pourtant pas éteint avec les quelques barrages et ajustements juridiques qui de toute façon ne résisteront pas à l’avancée des techniques et surtout à l’hétérogénéité des lois et des jurisprudences. Les bannissements et autres moratoires ne tiennent pas dans la durée. Le moratoire d’Azilomar en 1975 qui limitait temporairement l’exploitation de bactéries génétiquement modifiées paraît bien lointain. I1 n’a, de toute façon, pas tenu plus d’un an ! Les barrières éthiques et légales ont aussi un caractère éphémère. En France, le Comité national d’éthique tente d’apporter des solutions rapides et de conseiller les gouvernants lors de la survenue brusque de problèmes nouveaux. Toutefois, une des critiques majeures opposée à ses décisions est sa propension à autoriser l’acclimatation des techniques nouvelles, avant que la société ne l’accepte defacto définitivement. Au-delà de ces critiques inévitables, le Comité national d’éthique tient en France un rôle majeur à la fois en formant le creuset d’une réflexion ouverte et largement diffusée, et d’autre part en opérant, par ses avis, un travail normatif indispensable. Les lois dites de bioéthique sont un cas d’école du handicap des réponses juridiques :les lois courent après le progrès sans jamais le rattraper. L’élaboration et la mise en œuvre de la loi sont trop lentes, face à une science en plein bouillonnement. Le système législatif ne peut fonctionner correctement qu’avec le recul et le temps indispensables à la réflexion. Les opinions des législateurs doivent se former avant de se confronter dans le débat. Or, la réflexion précède nécessairement la formation de l’opinion, ce qui ne peut en aucun cas s’opérer dans l’urgence et demande du temps. Par ailleurs, certains facteurs extrinsèques alourdissent le système : engorgement de la machine législative, lourdeurs administratives, influences contradictoires des opinions publiques versatiles, pressions antagonistes des lobbies... Ces lois votées en 1994, à peine promulguées par la machine administrative, devaient être révisées et réajustées après cinq ans << d’usage ». Mais leur révision a pris plus de cinq ans de retard. I1 en résulte que le clonage humain, qui a potentiellement émergé en 1997, n’a été officiellement prohibé qu’avec la promulgation de la loi révisée au Journal officiel du 6 août 2004. Au contraire, des techniques utilisant des cellules issues d’embryons humains congelés et abandonnés par leurs géniteurs restèrent sévèrement réprimées cinq ans de plus, alors que les promesses thérapeutiques de ces cellules étaient (et restent) énormes. Toutefois, le retard de révision des lois de bioéthique a permis de voir incorporés, en cours de synthèse, des éléments originaux lors de la première lecture au Sénat en janvier 2003, comme la création d u n crime contre l’espèce humaine qui caractérisera désormais le clonage reproductif (comme le crime d’eugénisme). Ce crime d u n type nouveau est puni dune peine pouvant aller jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle pour les chercheurs, les opérateurs
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et les organisateurs reconnus coupables de clonage reproductif. Ce crime contre l’espèce humaine a par ailleurs des délais de prescription de trente ans à partir de l’âge de majorité du clone, et bénéficie d’une dimension d’extraterritorialité. I1 en résulte que des auteurs de clonage reproductif qui auraient commis leur crime à l’étranger (comme les raéliens) pourraient donc être poursuivis plus de quarante-huit ans après leur forfait. Un handicap supplémentaire est le poids des luttes d’influence et des lobbies qui pèsent sur le décideur. Le législateur (dont la compétence n’est pas technique) finit par avaliser le plus petit commun dénominateur entre les avis des experts et contre-experts du domaine (souvent minimalistes à l’heure du principe de précaution) et les puissants lobbies des industries des biotechnologies auxquels il est soumis. Le dernier handicap identifié à la réponse législative est son caractère limité à l’espace national (bien que l’introduction récente de la notion de crime contre l’espèce humaine atténue ce dernier point). Au-delà des frontières, les avis divergent. Après la surprise créée par Dolly, le Conseil de l’Europe (organe consultatif) a interdit le principe de l’application du clonage reproductif à l’homme en 1999. Mais cet interdit moral a rapidement volé en éclats avec l’annonce par certains états membres emmenés par la Grande-Bretagne de ne pas vouloir brider leur système de recherches. Aux États-Unis, la situation n’est pas plus claire juridiquement. Bien que, dès 1997, la National Bioethics Advisory Commission ait demandé un moratoire sur le clonage reproductif humain et le vote dune loi pour bannir celui-ci, à l’heure où Ève est venue au monde, le clonage reproductif n’était toujours pas banni légalement, par défaut d’une décision politique consensuelle. En effet, celle-ci soulève des tensions énormes entre les tenants d’une défense des libertés individuelles (dont celle de se faire cloner) d u n côté et de l’autre, les groupes anti-avortement et ultraconservateurs religieux. En l’absence de décision fédérale, c’est à chaque état de se décider. Il en résulte que sept états seulement sur les cinquante de l’union avaient voté une loi restreignant partiellement ou totalement le clonage reproductif, jusqu’à l’adoption en février 2003 du Cloning prohibition act par le congrès américain qui mit un terme légal au clonage reproductif. Au niveau international, la France et l’Allemagne furent les états les plus en pointe avec leurs demandes conjointes au printemps 2002 auprès de l’ONU pour la convocation d’une conférence internationale. Malheureusement la situation internationale du moment ne fut pas propice à une issue rapide de la procédure, et la conférence n’est toujours pas programmée à ce jour. L’agitation a repris à l’ONU depuis octobre 2004 pour tenter d’aboutir à un consensus entre les tenants du bannissement universel du clonage reproductif et ceux du libéralisme absolu. Toutefois en décembre 2004, les discussions n’ont abouti qu’à un décevant appel aux états pour adopter une législation régulatrice.
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L’homme joue un jeu dangereux avec la nature du vivant, dont il a compris un certain nombre de règles de fonctionnement. Après avoir soumis son environnement à ses règles, il souhaite pouvoir les appliquer à sa propre genèse. Mais, c’est alors vouloir faire abstraction de l’éthique, cet ensemble de règles formelles qui imposent le respect de la nature humaine, ou peutêtre plus simplement de la nature. Quelles que soient les étapes ultérieures de la maîtrise de la genèse de la vie humaine, le clonage reproductif humain est incontestablement une technique inhumaine.
Le transfert nucléaire à visée thérapeutique :quel futur en médecine humaine ? Paradoxalement, vouloir interdire totalement et définitivement le clonage serait, d’une certaine manière, accepter de se priver dune partie du progrès de la science. En effet, les résultats acquis par l’équipe de Wilmut et Campbell laissent entrevoir la possibilité d’utiliser cette technique de reprogrammation cellulaire pour produire des cellules souches permettant de traiter certaines maladies chroniques incurables. En 2004, une première démonstration technique de son applicabilité à l’homme a même été publiée“. Cette technique encore appelée clonage thérapeutique dans les grands médias devrait être plus justement nommée transfert nucléaire à visée thérapeutique (terme actuellement utilisé largement dans le langage scientifique). I1 ne s’agit pas ici de créer un nouvel euphémisme pour cacher sémantiquement une technique réprouvée par l’éthique. Le problème est simplement de décrire plus précisément, et à l’abri du déchaînement médiatique, une technique parente du clonage mais fondamentalement différente en terme éthique. En effet, cette technique n’a en aucun cas pour objectif de donner naissance à un individu, donc à un clone. Pourtant, l’amalgame entre les deux techniques est très fréquent : ainsi, après la décision prise le 16 août 2000 par le directeur de la santé publique britannique d’autoriser les recherches sur le clonage thérapeutique humain, un célèbre quotidien titra alors un peu prématurément en manchette : L’an I du clonage humain. L’annonce préfigure clairement la confusion qui est régulièrement faite entre clonage reproductif et transfert nucléaire à visée thérapeutique. Ainsi, les résultats publiés par l’équipe coréenne en 2004, furent repris par les médias - même dans les grands journaux habitués à plus d‘exactitude dans le traitement de l’information scientifique - comme un succès du clonage humain. Peut-être ne faut-il voir ici, au-delà de l’aspect racoleur du titre, que la nécessité des grands médias de simplifier leurs messages pour se mettre à la portée du plus grand nombre ? Pourtant plus d’exactitude ne nuirait point à l’attrait de
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l’information et permettrait d’appréhender les problèmes de manière plus sereine. À l’heure où la science est observée avec circonspection, où le clonage semble être dans le grand public une affaire de secte illuminée ou de scientifiques sulfureux, le mélange savamment entretenu entre clonage reproductif et transfert nucléaire thérapeutique est de nature à induire les réactions les plus irrationnelles. Le transfert nucléaire à visée thérapeutique a pour but de produire des lignées de cellules souches (cellules ES pour embryonic stem cells en anglais) plus ou moins différenciées, afin de pouvoir suppléer certains organes défaillants et traiter des patients atteints d’affections graves et incurables. Cette première différence avec le clonage reproductif est de taille. Elle met en balance la sauvegarde d’une vie en danger avec des modifications qui touchent, certes, des manipulations de ce qu’il est convenu d’appeler un << embryon », mais qui s’apparentent beaucoup plus à des manipulations de re-programmation génétique cellulaire ex vivo. Les progrès de la connaissance et de la technique permettront peut-être, dans quelques années, de se passer de l’ovocyte et donc de la création d’un embryon. Dans ce cas, le débat éthique serait entièrement clos. I1 ne s’agit donc ni d’une quelconque élucubration fantasmatique d u n esprit dérangé à la recherche d’une parcelle d’éternité, ni même de la nécessité de pallier une stérilité qui n’est pas à proprement parler une maladie. Les motivations de ces travaux sont donc d’une autre nature que la simple volonté de reproduire quelques individus d‘exception, pour répondre à un phénomène de mode. Sur le plan des implications scientifique et éthique, la technique diffère grandement (Figure 11). Les étapes initiales sont les mêmes : quelques cellules d u n patient à traiter sont mises en culture, puis introduites dans un ovocyte énucléé qui est ensuite stimulé et cultivé jusqu’au stade du blastocyste (une centaine de cellules). À ce stade, les cellules souches embryonnaires sont récupérées puis cultivées avant d’être réintroduites pour traiter le patient sur lequel les cellules ont été prélevées. L’embryon créé ici est un artéfact de laboratoire puisqu’il est issu dune manipulation qui n’est pas une fécondation. I1 subit un développement ex vivo dans des conditions qui ne peuvent être assimilées à une vie. Si l’embryon se développe, ce n’est que parce qu’un ensemble de circonstances données par l’expérimentateur permet à l’ensemble de maintenir un état thermodynamique hors de l’équilibre. L’embryon est maintenu dans un état de quasi-vie par les moyens artificiels du biologiste. Le seul moyen de redonner vie à ces cellules serait de les réimplanter dans l’utérus d’une mère porteuse. À partir de ce moment-là, attenter à l’embryon en développement serait attenter à une vie humaine. Mais au cours de l’ensemble de la manipulation, il n’en est pas de même. En ce sens, pour reprendre la terminologie de Henri Atlan, le transfert nucléaire
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à visée thérapeutique peut entièrement être assimilé à des manipulations cellulaires artéfactuelles effectuées ex vivo : << La cellule ainsi obtenue est un p u r artefact, n’existant nul par dans la nature, pour ce qui concerne les mammifères3’.B En effet, au décours de ces manipulations, il n’y a clairement pas eu de fécondation. Si la définition classique du début de toute vie est la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde (au moins pour les vertébrés à reproduction sexuée exclusive), alors les manipulations ex vivo de ce noyau de cellule différenciée introduit par effraction dans un ovocyte énucléé n’ont rien à voir avec l’alchimie de la reproduction. I1 s’agit simplement d’une technique de biologie cellulaire de haute volée visant à reprogrammer un noyau. Par ailleurs, les mécanismes et les aléas de la technique aboutissent spontanément à l’involution de l’embryon en développement. La seule intervention consiste alors à récupérer les cellules pluripotentes produites afin dune utilisation thérapeutique. I1 n’y a finalement eu que des manipulations artéfactuelles ex vivo de cellules afin de faire involuer un noyau différencié sur la voie de la pluripotence. En ce sens il est nécessaire de séparer le transfert nucléaire à visée thérapeutique du clonage reproductif, puisque, dans le premier cas, l’objet n’est justement pas de produire un embryon vivant mais de manipuler des cellules. Les arguments des opposants aux expériences de transfert nucléaire à visée thérapeutique chez l’homme ne sont pas négligeables. I1 existe en effet des dangers potentiels à développer cette technique. Le premier argument d’importance est que toute avancée dans la maîtrise de cette technique facilitera le travail des cloneurs-reproductifs ». En effet, les deux techniques sont identiques aux stades précoces : vouloir faire progresser l’une sans aider substantiellement l’autre est impossible. Cet argument risque de tomber puisque avec la naissance d’Ève ou celle d’autres enfants annoncée par Severino Antinori, l’histoire pourrait totalement démentir ce danger. Les tenants d’une science asservie par une volonté démiurgique pourraient parvenir au clonage reproductif sans aide aucune d’une science raisonnée qui n’avance qu’à pas comptés. Le deuxième argument est que cette technique nécessite encore l’utilisation d’ovocytes. Pour obtenir cette denrée rare, de jeunes femmes en âge de procréer doivent accepter de donner leur ovocyte après induction dune superovulation.Celle-ci nécessite la prise d u n traitement hormonal pouvant être mal toléré, celui-ci étant suivi d’une ponction sous-échographie : l’ensemble de ces manipulations ne va pas sans causer de préjudice. Aussi, si le transfert nucléaire à visée thérapeutique débouche sur des perspectives thérapeutiques importantes, il y aura forcément création d u n marché potentiel entre offreuses et demandeurs. Les conditions seront alors réunies, dans les pays dits riches, pour que les demandeurs à la recherche d’ovocytes << sollicitent >> financièrement des jeunes femmes à faibles revenus, ou de femmes issues de pays en voie de développement par (<
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le moyen de réseaux. I1 est indubitable qu’il existe potentiellement, sur ce point, matière à création d’un réseau d’exploitation de jeunes femmes, un réseau d’utilisation de celle-ci comme un moyen. I1 s’agit là finalement du seul obstacle éthique d’importance pour le développement de cette technique. De nombreuses équipes travaillent au développement de cette technique sur des modèles animaux dans l’espoir de pouvoir guérir ultérieurement des affections chroniques graves chez l’homme. En avril 2001, un article scientifique relate la possibilité de produire chez la souris des cellules souches embryonnaires à partir d’un blastocyste issu du transfert nucléaire de cellule Cependant, des travaux publiés plus récemment démontrent l’existence d’écueils techniques plus importants que Cette stratégie est techniquement réalisable chez la souris dans un modèle de traitement de déficit immunitaire, mais, de manière assez surprenante, les cellules des souris traitées et clonées se sont avérées rejetées par les cellules des souris a malades ».Les mécanismes qui président à ces modifications ne sont pas clairement élucidés, alors que des résultats contradictoires ont été publiés sur des I1 existe encore donc un certain nombre de points qu’il sera nécessaire de mieux comprendre avant de pouvoir passer à une application à l’homme. Néanmoins, l’obtention d’une première lignée de cellules souches issues d’un clonage représente en soi déjà un grand succès. En France, le Comité consultatif national d’éthique, malgré une division profonde sur le sujet, reconnaissait qu’une majorité de ses membres était favorable à une autorisation encadrée de celui-ci dans un avis rendu en 2001 (qui concernait l’examen de l’avantprojet de révision des lois de 1994). Cependant, en France le clonage thérapeutique a été clairement banni par les dernières lois de bioéthique promulguées en 2004 sous peine de sept ans de réclusion criminelle. I1 ne s’agit pas ici d’une surprise, car les différents rapports préalables à la loi comme celui du Conseil d’État, ou le rapport de l’Office parlementaire des choix technologiques soit n’en firent aucune mention, soit l’excluaient totalement. De plus, les différentes moutures du texte en cours d’élaboration n’ont jamais varié sur ce point. La loi est toutefois susceptible d’évolution. De même que la version de 1994 apportait des avancées comme la suppression de la conservation ad vitam æternam des embryons issus de PMA, celle de 2004 s’accompagne d’assouplissements majeurs en termes de recherche sur les cellules souches embryonnaires. Par ailleurs, le législateur prudent a maintenu une révision à échéance de cinq ans. I1 faut noter que cette interdiction est cohérente avec la position de principe du législateur de s’interdire de créer un embryon à des fins de recherches. Tout le débat étant de savoir si un embryon créé en l’absence de fécondation est bien un embryon ou un artéfact de manipulation lors d’une reprogrammation génétique par transfert nucléaire.
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Les cellules souches humaines d’origine embryonnaire Le dernier événement que nous analyserons de manière plus approfondie est l’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines en thérapeutique. Si la découverte des cellules souches embryonnaires chez la souris survient dans les années 1 9 8 0 ~ce~n’est ~ qu’en 1995 que sont isolées les premières cellules souches embryonnaires de Moins de trois ans après, la même équipe isole des cellules souches embryonnaires humaines ouvrant la voie à des perspectives thérapeutiques très importantes et soulevant de non moins importants problèmes éthiq~es3~. Comme pour le clonage thérapeutique, il s’agit de trouver des cellules qui possèdent les aptitudes à induire la réparation d’un corps endommagé par la maladie ou la vieillesse prématurée (Figure 12). Là encore, le problème sans cesse reposé du statut de l’embryon humain, rejoint la percée de nouvelles technicités. Mais la réflexion technique dépassant largement les progrès de la réflexion éthique, l’homme se retrouve avec des moyens dont il ne sait plus quoi faire. Encore un fois, les réponses juridiques données à ces questionnements varient beaucoup d’un pays à l’autre, du bannissement total à l’autorisation partielle ou complète. La technique publiée en 1998 par James Thomson est relativement simple : les auteurs ont isolé des cellules souches embryonnaires totipotentes. I1 s’agit donc de cellules souches capables d’être induites sur n’importe quelle voie de différenciation. De plus le choix entre ces voies peut être donné par l’expérimentateur. Derrière cette manipulation de virtuose de la biologie cellulaire se dissimule à peine la volonté de créer artificiellement des organes de rechange. I1 s’agit, là encore, de produire des organes ou des lignées cellulaires qui pourront être utilisés en cas de défaillances rencontrées au cours de multiples maladies : diabète sucré, insuffisance rénale, hépatique, cardiaque ... Le problème n’est pas tant dans la réalisation de telles lignées qui peuvent être fort utiles à la médecine, que dans l’origine des cellules totipotentes. Ces cellules humaines proviennent d’embryons humains, récupérés à des fins de recherches à partir de produits d’interruption de grossesses ou de fécondations in vitro, conservés congelés pour lesquels il n’existe plus de projet parental. La question éternellement posée est celle de la définition de l’humain, de sa vie, finalement de la genèse de la vie humaine. L’embryon est-il homme ou sous-produit de l’espèce ne possédant ni statut juridique, ni protection éthique ? Est-il possible de travailler librement sur des embryons, de les dissocier pour mettre en culture les différentes cellules souches ? Le débat est éminemment ouvert. Que dire des profits dégagés par les différentes firmes technologiques impliquées dans ces recherches lucratives ? Leur but est-il si désintéressé qu’il mérite l’abandon d’embryons voués au sacrifice sur l’autel technologique ? Depuis longtemps, des cellules embryonnaires humaines sont utilisées dans l’industrie, pour le diagnostic, la préparation de
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Figure 1 2 :Création de cellules souches embryonnaires.
Cellule
JI
JI
vaccin, la virologie. I1 s'agissait jusqu'à présent de cellules différenciées, assez peu différentes des lignées humaines issues de tissus d'adultes et immortalisées ; mais, depuis récemment, l'intérêt se porte sur les cellules souches. Leur caractère de cellules totipotentes leur donne une dimension autre. La totipotence les rapproche de la cellule-œuf, cellule à l'origine de l'individu, cellule-individu. C'est sur ce point que la technique se retrouve au cœur d'un débat ancien
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mais toujours repoussé. Quelle considération apporter aux cellules embryonnaires ? Depuis quelques dizaines d’années, les techniques de procréation médicalement assistée (banalement connues sous l’acronyme de PMA) ont abouti à la surproduction de nombreuses cellules-œufs embryonnaires, dont toutes ne sont pas réintroduites in utero pour la nidation, au risque de produire des grossesses multiples à risque. Les centres de PMA ont donc accumulé et congelé de nombreux embryons, êtres humains potentiels cryo-conservés dans l’azote liquide. La question qui se pose est de savoir quoi faire de ces cellules et comment les considérer. Embryon-être humain ? Alors pourquoi ce mode de séquestration incongru pour des êtres qui ne demandent qu’à devenir ? Embryon-simples cellules ? I1 est alors possible de les cultiver ex-vivo à volonté et d’en faire un matériel d’expérimentation parfait : Embryon-simple produit biologique ? I1 n’y a alors pas plus d’états d’âme à avoir que pour une simple matière première utilisable à des fins commerciales. Avant d’aborder les divers débats sur l’embryon et son statut, il paraît important de rappeler le long chemin qui part de la fécondation, instant unique et sublime qui voit la fusion de deux cellules sexuelles spécialisées, les gamètes. Ce moment est unique, car il induit une brisure de symétrie entre l’avant et l’après, il oriente la flèche du temps pour reprendre l’expression de Prigogine. Avant cet instant, il n’existe qu’un ovule, et des millions de spermatozoïdes, cellules génitales dont la vie est courte en l’absence de rencontre salvatrice. L’ovule, une fois fécondé par un spermatozoïde, devient une celluleœuf après fusion des noyaux. La fécondation produit donc une cellule unique : la cellule-œuf aux potentialités extraordinaires dont les divisions vont donner un nouvel être humain formé de milliards de cellules. L’agencement et la maturation du futur individu ne sont certes pas instantanés : ils prennent neuf mois dans l’espèce humaine. Le futur être en gestation mérite bien le qualificatif de nouveau. I1 ne s’agit ni du père, ni de la mère, mais d’une troisième personne qui saura d’ailleurs bientôt s’affirmer. Mais, entre temps, la cellule originelle devra se diviser en deux, quatre, huit cellules, puis former un petit conglomérat en forme de petite mure, ou morula. C’est à ce stade, après quatorze jours de liberté dans les voies génitales de la mère, trompe de Fallope et utérus, que l’embryon va pouvoir se nider, se nicher au plus profond de la matrice pour pouvoir grandir. À partir de ce moment, l’embryon va produire deux grands types de cellules : des cellules, à proprement parler embryonnaires (un peu plus de la moitié du lot) qui formeront la structure du nouvel individu, et des cellules à destinée temporaire, qui formeront les annexes. Les annexes n’ont rien d’accessoire, contrairement à ce que pourrait laisser penser leur dénomination, puisqu’il s’agit de toutes les structures d’échanges entre l’enfant et la mère. Sans annexes, il n’y a donc pas de survie intra-utérine possible. Cependant, elles seront expulsées à la délivrance au sein de la structure complexe nommée placenta.
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Entre la morula et le nouveau-né, un fossé sépare les deux êtres qui ne sont qu’un. De nombreux événements doivent être très précisément << ajustés B : neurulation à trois semaines, formation du cœur à la quatrième. À la sixième, l’embryon a une tête énorme, quatre bourgeons de membres, et un énorme rostre ... Suivent la formation des yeux, de l’appareil urinaire, la différenciation sexuelle, la formation des os. À dix semaines, l’embryon devient fœtus, il possède tous les organes du futur petit homme, il ne lui reste plus qu’à les peaufiner, à induire leur maturation, à les préparer à l’avenir chaotique de la vie extra-utérine, pour sortir prêt à affronter << la vie ».La formation de l’être au cours de l’embryogenèse, si mystérieuse jusqu’à récemment, commence à être mieux comprise. Des progrès considérables ont mis à nu certains mécanismes fondamentaux de construction de l’individu. Plus particulièrement, deux concepts permettent de mieux appréhender l’embryogenèse : l’apoptose et les gènes du développement. L’apoptose est un mécanisme de mort cellulaire programmée induit par des signaux internes ou externes qui aboutit à une disparition silencieuse de la cellule. Les gènes du développement sont des gènes dont les protéines servent à réguler le développement embryonnaire. Ces deux phénomènes s’articulent comme le burin du sculpteur et les copeaux de l’ébauche embryonnaire. L’embryon, issu de la cellule-œuf, va se dicter le programme de construction de l’adulte. Une division des cellules sans régulation aboutirait en quelques générations à un nombre incalculable de cellules. En fait, les cellules se divisent, se différencient, communiquent entre elles et régulent des programmes-suicides qui aboutissent à la mort programmée de la cellule ou apoptose. Cette mort cellulaire est propre. Le voisinage n’est jamais gêné par une explosion pestilentielle de cytoplasme ou de débris. La cellule en apoptose se digère, se vacuolise sous le contrôle de mécanismes complexes et de mieux en mieux connus, puis disparaît proprement dans le néant. Ces mécanismes d’apoptose sont activement mis en œuvre pour la sculpture de l’individu sous le burin des gènes du développement. Les copeaux sont proprement éliminés par apoptose ou mort cellulaire programmée. Les gènes du développement sont assimilables aux mains de l’artiste tenant le burin et le marteau, ciselant la matière brute. L’activation en cascade de ces groupes de gènes permet à chaque cellule de connaître << sa position exacte D dans l’individu. De nombreux gènes sont ainsi induits en cascade, non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. I1 en résulte une activation en chaîne qui donne des indications de plus en plus précises sur la position de la cellule. Par ailleurs, ces informations positionnelles sont intégrées dans les processus de différenciation, ce qui permet un développement harmonieux de l’individu. Ces gènes permettent, tel le burin sous le contrôle de l’artiste, le cisèlement de l’embryon selon le plan et l’inspiration du génome. L’image de la statue sculptée se trouve ainsi très proche
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de la réalité de la construction de l’individu. Un certain nombre de cellules n’ont qu’une vie temporaire, elles sont éliminées par l’induction tranquille de leur mort programmée et contrôlée. L’embryon livrant progressivement ses secrets, de nouvelles techniques font donc irruption dans ce monde jusqu’alors isolé. Mais cette entrée en force de la technique induit un véritable cyclone bioéthique qui balaye toute rationalité. Jürgen Habermas rappelle que la notion d’embryon et de vie est une source inépuisable de conflits, << (...) Les hypothèses ontologiques fondamentales du naturalisme scientifique, à partir desquelles la naissance s’impose comme la césure pertinente, ne sont en aucunefaçon plus triviales ni plus “scientifiques”que les hypothèses d’arrière-plan, métaphysiques ou religieuses, qui conduisent à la conclusion contraire. On invoque, de part et d’autre, le fait que, à chaque tentative visant à instaurer une coupure pertinente du point de vue moral (...) reste attachée une part d’arbitraire, parce que la vie, sensible d’abord puis personnelle, se développe depuis ses origines organiques avec une grande continuit&. B Le débat éthique qui a eu lieu devant la représentation nationale en 1994,lors des discussions sur le projet de loi concernant la bioéthique, n’a pas trahi la remarque d’Habermas : qui est embryon, l’embryon est-il en vie dès la fusion des gamètes, ou naît-il à la vie à l’accouchement ? Trois conceptions majoritaires se sont affrontées : la première fait de l’embryon un être humain à part entière. I1 doit donc être protégé conformément aux principes des droits de l’homme et des droits sacrés de la vie. Ce point de vue est celui notamment défendu par les grandes religions monothéistes, et de manière plus tranchée en France par l’église catholique. À l’opposé, le deuxième point de vue est celui qui considère l’embryon comme un amas de cellules indifférenciées (au moins aux stades précoces de son développement). Cette conception pragmatique est très répandue dans les pays anglo-saxons. Elle renvoie notamment à la notion de pré-embryon définie par la loi britannique du premier novembre 1990, qui institue un statut particulier entre le premier et le quinzième jour qui suivent la fécondation. Ce statut dérogatoire de l’être humain, qui autorise toutes les manipulations pendant cette période charnière, est quasi-sophistique. Les embryons du quatorzième et du quinzième jour n’auraient ni les mêmes potentialités, ni le même statut. La dernière conception est celle du compromis entre ces extrêmes. Elle fait de l’embryon un être humain potentiel, en devenir, qui bénéficie du respect de sa dignité. Cet embryon peut faire l’objet d’intervention, avec toute la modération inhérente au respect de la personne. Ce point de vue est celui du Comité consultatif national d’éthique qui a été rendu public dans ses avis des 22 mai 1984 et 15 décembre 1986. Ce dernier avis énonçait alors clairement : G Malgré l’opposition de certains de ses membres, le Comité estime qu’on ne peut a priori exclure toute recherche sur l’embryon in vitro, ni interdire le don d’embryons surnuméraires à cette
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fin. >> Le législateur français en 1994 est finalement resté très en deçà des recommandations du comité d’éthique (au sein duquel l’unanimité n’avait pas prévalu). La première définition, bien que fort belle dans le principe, n’était pas acceptable juridiquement, car incompatible avec la précédente loi sur l’interruption volontaire de grossesse. En effet, la personnalité juridique s’acquière avec la naissance, bien que certains droits (notamment successoraux) puissent s’obtenir rétroactivement. Les lois de bioéthiques de 1994 avaient donc distingué deux cas, pour l’embryon : l’embryon fécondé in utero qui était protégé par un quasi-statut interdisant toute exploitation commerciale ou sans bénéfice pour l’embryon ; et l’embryon fécondé in vitro dont le problème n’était pas pleinement résolu, car à la fois quasi-sacralisé par l’interdiction de l’utiliser à des fins de recherches, mais qu’il était aussi possible de supprimer après cinq ans de congélation. Donner un statut à l’embryon in utero était impossible, car contraire à la loi sur l’interruption volontaire de grossesse qui reconnaît à la mère en détresse la primauté sur l’embryon en développement. L’embryon in utero est donc devenu une personnalité potentielle. De même, si la conservation ad vitam des embryons in vitro était reconnue comme inhumaine et impossible, leur destruction après cinq ans fut autorisée au nom d u n principe d’humanité, mais leur utilisation éventuelle dans un protocole de recherche fut interdit au nom du refus d’un principe utilitariste. Les législateurs avaient donc dû naviguer entre de multiples écueils pour finalement reconnaître à la fois une quasi-personnalité à l’embryon, mais aussi prévoir des exceptions très encadrées à ce quasi-statut. Comme souvent en matière de législation bioéthique, l’embarras était perceptible. La suprématie de l’être est affirmée en préambule, avant d’être plus tard l’objet d’exceptions qui finissent par amoindrir la puissance de la règle. Finalement, les lois de bioéthique de 1994 avaient clairement interdit sous peine de lourdes condamnations de travailler scientifiquement au développement de cellules souches embryonnaires humaines. Depuis 1994, les données scientifiques ont changé, de même qu’un long débat a eu lieu avant leur réexamen au terme de cinq ans de retard. Même si ce retard a un coût en termes de performance scientifique d’équipes de recherches longtemps bridées en France, il a permis de par la multiplicité des avis de faire évoluer le problème de manière consensuelle. En 1997, le Comité consultatif national d’éthique rendait un avis en nette évolution par rapport à celui de 1986, dans lequel il proposait d’autoriser l’utilisation d’embryon sans projet parental provenant de dons de couples (avec toutes les précautions d’usage) pour des travaux de recherches sur les cellules souches embryonnaires. I1 faut noter qu’alors, comme en 1986, le consensus n’était pas total au sein du Comité national d’éthique (des avis individuels opposés à cette utilisation de l’embryon furent présentés en annexe). En 1998, le comité national d’éthique à nouveau saisi au préalable du réexamen des premières lois de bioéthique confirmait ses
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recommandations de 1997. Le Conseil d’État eut ensuite à se prononcer en 1999 dans un long rapport au Premier ministre sur le réexamen de ces lois. I1 notait alors : << (...>Le débat sur l’embryon tend de plus en plus à seposer en termes de recherche d’unjuste équilibre entre deuxprincipes éthiques essentiels : le respect de la vie dès son commencement et le droit de ceux qui soufient à voir la collectivité entreprendre les recherches les plus eficaces possibles, pour lutter contre leurs maux. D I1 proposait alors lui aussi clairement de modifier la loi et d’autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Puis en 2001, le Comité consultatif national d‘éthique était réentendu à propos de l’avant-projet de loi confirmant son approbation devant l’assouplissement de la loi. Les barrières de 1994 qui furent entre temps entrouvertes par un décret dérogatoire d’avril 2002 ont finalement été définitivement levées avec l’adoption définitive de ces lois promulguées en août 2004. En 1994, outre le vote des lois de bioéthique en France, un effort important mené au sein de la communauté européenne visait à la construction de la Convention européenne de bioéthique. Son article 18 stipulait alors que : << Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l‘embryon ; la constitution d’embryons humains auxJns de recherche est interdite. D À côté de l’affirmation communautaire rigide formulée par la convention, dans les faits les législations nationales étaient beaucoup plus disparates qu’il n’y paraissait. L‘embryon recherchait désespérément un statut unifié. Le groupe d‘éthique de la Commission européenne avouait : << La diversité des points de vue quant au caractère moralement acceptable ou non de la recherche sur les embryons humains in vitro traduit des divergences entre principes éthiques, conceptions philosophiques et traditions nationales. Cette diversité est à la base même de la culture européenne. D Dans ce contexte, l’Angleterre se distinguait par sa législation particulièrement souple concernant les travaux sur l’embryon ou l’autorisation de l’application à l’homme des techniques de transfert nucléaire à visée thérapeutique depuis 2000. L’universalité de la convention de 1994 était dès lors caduque. Les États-Unis ont donné une réponse particulièrement ambivalente en la matière, n’interdisant rien au nom du principe de la liberté absolue, mais refusant de subventionner par des fonds publics ce type de travaux en 1994. C’est donc tout naturellement les sociétés privées de biotechnologies qui s’engouffrèrent dans le créneau. Mais, rempli de remords devant l’ampleur des potentialités ouvertes par l’isolement des premières cellules souches embryonnaires humaines, les National Institutes of Health décidèrent de se remettre dans la course. Dans une décision rendue le 19janvier 1999, le professeur Harold Varmus annonçait que les crédits fédéraux pourraient désormais financer des travaux de recherches sur l’embryon humain. Cette décision approuvée par l’administration du président Bill Clinton en 2000, fut modifiée par le président Georges W. Bush. En effet, le 9 août 2001 dans
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une docution télévisée depuis son ranch de Crawford au Texas, celui-ci précisa son embarras à autoriser l’utilisation de fonds publics pour financer des travaux utilisant des embryons voués à la mort. Aussi, il décida d’autoriser un financement public mais uniquement pour des travaux qui portent sur les lignées de cellules souches déjà existantes (pour lesquels l’acte moralement délictueux a déjà été commis). À cette date, une soixantaine de lignées étaient recensées par les services américains. Dans les faits, seule une petite vingtaine de lignées se révéleront utilisables. Certaines lignées instables dans le temps disparurent alors que d’autres produites selon des normes de qualités inacceptables en termes de risques sanitaires (Co-culture avec des cellules murines nourricières, en présence de sérum de veau fœtal) durent être abandonnées. Ce choix avait été remis en cause par John Kerry, le challenger de Georges Bush pour l’élection présidentielle de 2004.La décision de Georges Bush est surprenante à plusieurs titres. Soit utiliser des embryons pour développer des lignées de cellules souches afin d’innover est délictueux et il est nécessaire de l’interdire même au détriment potentiel de patients porteurs de maladies aussi variées que le diabète, l’infarctusdu myocarde ou les maladies neurodégénératives. Mais cette interdiction ne doit pas se restreindre aux financements sur fonds public. Soit l’utilisation d’embryon n’est en rien délictueuse et il n’existe aucune raison d’en interdire leur financement. Enfin, autoriser le financement de l’utilisation de lignées produites dans des conditions que l’on réprouve n’est pas une décision plus morale au regard de ses convictions ou de son éthique. Cela s’apparente à autoriser paradoxalement le recel et interdire le vol alors que l’on réprouve les deux. Comment considérer objectivement cet embryon ? In vivo et ex vivo, rien ne permet de le différencier qualitativement : même cellule, même génome, donc, a priori, identité de structure. Pourtant, dans les faits, comment caractériser le système vivant << embryon D ? L’embryon fécondé in utero va rapidement établir des liens très forts avec la mère (plus de trente pour cent des cellules embryonnaires se différencient en cellules trophoblastiques, destinées à donner le placenta, organe temporaire d’échange, indispensable à la survie). Les rapports sont complexes et étroits. L’embryon, organisme physiquement dépendant de la mère, ne peut être considéré de manière abstraite et séparée. I1 n’existe que par les rapports mère-enfant ;l’ensemble est indissociable. C‘est l’association temporaire mère-embryon qui doit être considérée comme possédant les caractères du vivant. En effet, un embryon isolé est incapable de se maintenir hors de l’équilibre thermodynamique bien longtemps. I1 est vite rattrapé par l’équilibre. Le succès des réimplantations d’embryons lors des fécondations in vitro décroît rapidement après la fécondation : le système vivant est formé à la fois par la mère et l’embryon. C‘est cet ensemble qui doit alors bénéficier du respect inhérent au système vivant humain.
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Qu’en est-il alors de l’embryon fécondé ex vivo ? Grossièrement, ce système issu de la technologie ne peut, dans l’absolu, rester longtemps dans les critères du vivant comme nous l’avons défini. En l’absence de conditions particulières de conservation, ou dune réimplantation in utero, l’embryon abandonné à lui-même ne peut survivre bien longtemps. I1 est impossible pour lui, de se maintenir hors de l’équilibre thermodynamique. Indépendant, il est voué au retour à l’équilibre, à la mort. Sa seule chance de survie est de rencontrer un utérus prêt à l’accueillir, sinon il est condamné à une mort rapide et certaine. L’embryon congelé semble donc bien loin de pouvoir acquérir le statut de vivant. Où se situe alors le fossé qui le sépare de son homologue ? C’est dans la séparation de l’utérus maternel, dont il est totalement dépendant, que se situe la ligne de fracture naturelle. Contrairement aux embryons de poissons qui peuvent vivre dans le milieu extérieur, les embryons de mammifères sont totalement dépendants des voies génitales maternelles. Pour prendre une comparaison que nous avons déjà abordée, l’embryon humain ex utero est dans la même situation que le virion sans sa cellule-hôte (d’ailleurs, l’enfant est souvent comparé à un N parasite », pour lequel le système immunitaire de la mère doit même mettre en place des moyens adaptés d’immuno-modulation, sans quoi I’enfant serait rejeté comme une vulgaire greffe). Les embryons fécondés in vitro non-réimplantés sont le produit d’une technologie médicale lourde. Faut-il les considérer comme des êtres humains vivants ? Répondre positivement serait fallacieux. I1 s’agit d’un être << naturellement mort »,maintenu artificiellement en sursis par la main humaine. La logique serait de ne pas les maintenir ad vitam æternam en sursis dans ces << conditions inhumaines D de congélation. Est-il pour autant un sujet d’expérimentation ? Vouloir travailler sur un embryon humain ex utero, c’est lui donner des conditions artificielles de survie et de développement. C’est le maintenir en vie..., il n’y a donc pas de raison de ne pas le considérer comme élément de notre humanité. Dans ce cas, l’expérimentation est alors inacceptable. Ou bien l’embryon est congelé, et c’est un être mort sursitaire, ou l’embryon est mis dans les conditions nécessaires à son développement et il est vivant avec toutes les implications éthiques qui en découlent. Dans le deuxième cas, l’expérimentation devient alors inacceptable. Mais, quid des embryons humains congelés pour lesquels il n’existe plus de projet parental ? I1 existe bien un problème pour l’avenir de ces êtres au devenir gelé, à la dérive comme l’iceberg lâché par la banquise. Est-il humainement décent de les conserver ad vitam dans l’azote liquide ? Bien au-delà de la disparition du projet parental, viendra la disparition physique des parents. I1 apparaît alors clairement que la conservation sensée être temporaire ne doit pas s’éterniser jusqu’à devenir absente de tout sens. Dans ce cas, une autre interrogation surgit alors.
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Faut-il décongeler et laisser mourir ces embryons ou les utiliser au préalable comme objet de recherche pour le développement de voies thérapeutiques émergentes ? I1 ne s’agit pas d’autoriser la création d’embryons dans un but de recherche, mais de permettre l’utilisation d‘embryons de toute façon voués à une mort prochaine. La recherche sur les cellules souches embryonnaires touche de plein fouet au mythe de la création. I1 était fait référence au mythe prométhéen dans un article récent portant sur les cellules Prométhée, puni par les dieux pour avoir donné le feu à l’humanité, avoir enseigné aux hommes les arts et la civilisation, fut condamné à se faire dévorer le foie par un vautour. Mais le supplice des dieux ne s’arrêta pas à une mort si douce et se prolongea perpétuellement car le foie de Prométhée repoussait quotidiennement. I1 est vrai que la repousse du foie nécessite des cellules souches, mais qui peut penser que les Grecs qui ont imaginé ces mythes aient pu seulement en avoir une vague intuition ? Ces recherches ne stimulent pas seulement l’ardeur et l’inventivité des biologistes impliqués dans les programmes de recherches sur les cellules souches qui ont réussi à produire toutes sortes de lignées, et parfois obtenus des résultats intéressants. Certains biologistes ont compris qu’il fallait intégrer à leurs travaux une dimension éthique. Ainsi dans un article récent deux chercheurs de l’université Columbia au États-Unis ont tenté de définir la notion de mort pour l’embryon39.Pour eux, la vie d’un embryon au stade quatre ou huit cellules correspond à un ensemble de cellules vivantes formant un organisme intégré capable de continuer sa différenciation et sa croissance. I1 se trouve que soixante pour cent des embryons issus de fécondation in vitro ne sont pas viables et ne donnent lieu à aucune grossesse après leur introduction dans l’utérus. Ces embryons sont donc capables de mettre en place les étapes précoces de leur développement, mais certaines anomalies cellulaires individuelles ou plus globales font que leur développement est inéluctablement bloqué aux étapes suivantes. Nous sommes donc en présence d’embryons dont les cellules sont vivantes, mais dont l’évolution en tant qu’individu est obligatoirement un retour à l’équilibre thermodynamique. Comme pour une personne en état de coma dépassé (ou mort clinique), nous sommes en présence d’embryons en état de mort clinique. Ces chercheurs proposent qu’un embryon qui a perdu ses propriétés d’organisme vivant (spontanément ou au cours des manipulations qu’il a subi lors d’une fécondation in vitro) puisse être déclaré comme cliniquement mort, même si individuellement certaines de ses cellules sont vivantes. S’il existait un moyen d’identifier ces embryons non viables, ceux-ci pourraient faire l’objet d’un don à la recherche dont l’objection éthique n’aurait plus de sens. Ce clivage entre embryon vivant et embryon biologiquement mort permettrait d’offrir ces derniers à la recherche, à l’image des individus cliniquement mort qui peuvent être prélevé de leurs organes
Les biotechnologies et l’éthique :une limite deplus en plus imprécise 195
pour une greffe et s’inscrire ainsi dans une chaîne de la vie un peu plus complexe. I1 est intéressant de noter que cette conception du vivant se rapproche beaucoup de celle que nous avons tenté de mieux cerner dans cet ouvrage. La science confrontée au doute éthique ne peut ainsi proposer de réponse que dans une réflexion plus large, en apportant des arguments plus globaux. La biologie se trouve maintenant à la croisée des chemins. Elle passe d u n état stationnaire stable à un état chaotique au sens physique du terme. Le système se voit ainsi contraint à des changements de régime imposant des bifurcations, pour reprendre l’analogie de Prigogine. Mais les bifurcations vont être difficiles à négocier. Après avoir tâté, sondé le terrain, il faudra choisir et assumer les choix qui, dépouillés de leur caractère technologique, sont devenus maintenant éthiques. Après avoir développé des outils, il va falloir une grande sagesse pour se résoudre à ne pas les utiliser, à ne pas les retourner contre l’humanité. La tentation sera d‘autant plus grande qu’au-delà du franchissement de l’interdit se profilent des profits immenses. Mais les tentations ne sont pas uniquement vénales. Elles peuvent être aussi d’un autre ordre, comme peut l’être la tentation inconsciente du monde scientifique de bâtir une humanité idéalisée, contrite par l’intrusion d’une main maladroite dans le monde de la vie. I1 est vrai que le danger n’est plus vraiment lié à l’émergence d’une idéologie totalitaire, mais plutôt à l’adhésion aveugle à l’idée naïve mais couramment répandue que le progrès technique conduit mécaniquement à l’augmentation du bien-être de l’humanité. Espérons que les futures décisions iront dans le sens dune humanisation de la technologie et non dans celui d’une instrumentalisation de l’humain, notamment dans les moments de sa vie où il se trouve constitutionnellement fragilisé.
Conclusion
Au terme de ces quelques éléments de réflexion, nous espérons que notre exposé aura atteint son objectif : donner un éclairage nouveau sur une des questions les plus anciennes. Mais le débat n’est pas clos. Notre ambition n’est pas de fermer la réflexion, mais bien au contraire de l’ouvrir en donnant matière à penser, ... et peut-être à réfuter (au sens de Karl Popper). I1 s’agit simplement de vouloir ordonner les connaissances de manière cohérente pour faire entrer notre monde quotidien dans un ensemble des concepts raisonnés et rationnels. Cette façon de voir les choses peut paraître archaique, à l’heure où les données technologiques se transmettent à la vitesse du photon dans des réseaux électroniques mondiaux. Mais l’état actuel des sciences aboutit à substituer les nécessités de la techno-logie à la logique de la bio-logie. La biologie se séparerait alors des préoccupations humaines pour produire une science éthérée, décharnée, mais surtout, dépourvue de sens pour l’humanité. L’homme du début du X X I ~siècle connaît mieux que jamais les particules qui le forment, mais sa connaissance de la vie s’évanouit dans le fouillis des lois de la matière. Quel sens peut alors prendre cette vision à contre-courant : accepter de prendre un temps de réflexion face à la marche forcée effrénée du progrès ? Nous avons voulu arrêter une définition de la vie. Le dessein n’est pas uniquement celui de vouloir apaiser notre questionnement métaphysique par une réponse simple, voire dogmatique. Non, il s’agit surtout de vouloir insérer le vivant dans le champ de la connaissance scientifique, obéissant à des lois physiques universelles plus seulement réservées à l’inorganique. Le vivant peut enfin se concevoir comme obéissant à la dure loi commune dans sa singularité la plus surprenante. Depuis son émergence, à partir de systèmes plus simples, jusqu’à sa réplication et son évolution depuis la nuit des temps, et enfin dans son fonctionnement quotidien, tout semble pouvoir s’insérer dans une compréhension thermodynamique d’échanges d‘énergie, au sein d‘un système stéréotypé, la cellule. Le vivant s’insère alors dans une cohérence, une logique, ce que nous avons appelé la bio-logique. Cette bio-logique est
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profondément inscrite dans les tables des lois de la physique de la matière. La vie n’a donc jamais fait exception <( aux sciences dures ». La vie reste encore difficile à appréhender avec les connaissances parcellaires actuelles. Elle est pourtant devenue prédictible depuis son émergence jusqu’à son fonctionnement quotidien grâce à la connaissance des lois de la thermodynamique de non-équilibre. Mais cette prédictibilité n’est pas celle, classique, de la mécanique newtonienne, il s’agit dune prédictibilité chaotique de laquelle émerge une complexité. 11 en résulte qu’il n’est plus un seul phénomène de la vie qui n’obéisse pas aux lois communes. Dans ce sens, il devient possible d’affirmer que le démon vitaliste est définitivement extirpé des sciences du vivant. Notre démarche n’est pas uniquement portée par le plaisir de vaincre un obstacle intellectuel, à l’image de celui qui ravit, en montagne, les vainqueurs d u n sommet. La comparaison n’est valide que par l’importance de l’effort nécessaire pour atteindre l’objectif assigné. Car ici, le travail est porteur d’une fragilité intrinsèque, dune tare congénitale qui le confine à l’éphémère. Inévitablement, d’autres travaux se superposeront et réduiront à néant ces quelques pages. Leur unique rôle se réduira alors au mieux à celui <( d’humus >> pour les générations futures, de point de départ d’une nouvelle cohérence, de germes qui stimuleront la fécondité d’esprits mieux instruits. Pourtant, à l’image de Sisyphe, c’est dans ce travail ingrat mais nécessaire que se loge notre seule parcelle de bonheur. Sisyphe fut condamné par les dieux à purger une peine absurde à perpétuité : faire rouler une énorme pierre au sommet d’une montagne, pour la voir dévaler la pente aussitôt arrivée au sommet. Albert Camus nous demande d’imaginer Sisyphe heureux’. Cette assertion peut paraître surprenante. Comment imaginer qu’un tel asservissement puisse contenter un homme ? Sûrement, parce que chaque effort dépensé inutilement, chaque souffrance endurée silencieusement, chaque fraction d’éternité remplie par son labeur est pour lui l’occasion de prendre toute la dimension de sa contingence humaine. C’est sa conscience de l’absurde qui lui permet d’arracher sa maigre parcelle de liberté. Sisyphepuni se libère du joug divin dans l’accomplissement de sa peine. Et c’est dans cet espace libre qu’il apaise ses angoisses et goûte enfin à une forme de bonheur. La condition de l’homme moderne est assez comparable à celle de Sisyphe. Assoiffé de connaissance sur son essence et son origine, il est, depuis l’origine, condamné à se construire des modèles plus ou moins cohérents pour expliquer les phénomènes qu’il observe. C’est pourquoi, l’histoire de l’humanité est jonchée de cadavres de théories plus ou moins célèbres, abandonnées, qui n’ont eu pour unique objet que le contentement temporaire de leurs géniteurs attelés à cette tâche inutile et ingrate, mais seule pourvoyeuse d’un éphémère bonheur, pour tous les Sisyphe perdus peuplant la Terre.
Glossaire
Allèles : Différentes formes possibles d’un même gène occupant la même position (le même locus) dans le génome. Acide aminé : Molécule organique contenant une fonction amine et une fonction acide portées par le même atome de carbone. Les acides aminés sont reliés entre eux par une liaison peptidique. ADN (Acide DésoxyriboNucléique) : Macromolécule informative dont la fonction principale est la conservation et la réplication de l’information génétique. Elle est formée par l’enroulement en double hélice de deux chaînes polynucléotidiques anti-parallèles (James Watson, Francis Crick, Nature, 1953). Le squelette externe de la double hélice est formé de groupements désoxyribose-phosphate reliés par des liaisons phosphodiesters s’établissant entre les carbones 3’ et 5’ de deux désoxyriboses successifs. Les bases sont tournées sur l’intérieur de façon stricte par l’intermédiaire de liaisons hydrogènes (deux pour l’appariement adénine-thymine, et trois pour l’appariement guanine-cytidine). L’empilement des bases perpendiculairement à l’axe entraîne la torsion de l’hélice.
ARN (Acide RiboNucléique) :Sur le plan fonctionnel YARN est impliqué essentiellement dans le transfert d’information du gène à la protéine. I1 est classique de distinguer des ARN messagers (ARNm), des ARN de transfert (ARNt), des ARN ribosomiaux (ARNr) et depuis récemment des petits ARN interférents (ARNsi). Sur le plan structurel, les ARN sont le plus souvent linéaires, mais il est fréquent de retrouver des structures secondaires à types d’enroulement liés à un appariement antiparallèle le plus souvent nécessaire à la fonction de YARN.
Bactérie : Micro-organisme procaryote. Les bactéries sont considérées comme les organismes les plus simples et les plus adaptés à de nombreuses niches écologiques variées.
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Blastocyste : Stade précoce du développement de l’embryon des mammifères qui fait suite à la morula qui s’est creusée d’une cavité limitée par le trophoblaste externe et de la masse cellulaire interne (ou bouton embryonnaire) destinée à donner l’embryon. Cellule :Unité structurale et fonctionnelle des êtres vivants. Clonage :Production d’organismes génétiquement identiques. Initialement restreint aux organismes à reproduction asexuée et aux plantes, le terme clonage a été étendu dans son acception récente à la reproduction des vertébrés et des mammifères par transfert nucléaire d u n noyau de cellule somatique dans un ovocyte artificiellement énucléé. Clone :À l’origine, ensemble d’organismes génétiquement identiques produits par reproduction asexuée. Par extension organisme génétiquement identique à un autre. Cytosol ou cytoplasme :I1 s’agit de l’ensemble des constituants cellulaires baignant les organites et limités par la membrane plasmique. Embryon :Organisme en développement. Chez l’homme, l’embryon inclut tous les stades du développement du zygote depuis la fécondation de l’ovule jusqu’au stade de la maturation permettant une vie autonome hors du corps maternel, soit vers la vingt-cinquième semaine gestationnelle (l’embryon devient alors un fœtus). Endosymbiose :Association vitale entre deux espèces partenaires qui en tirent des bénéfices réciproques, dans laquelle un des deux partenaires vit à l’intérieur de l’autre. Enzyme :Protéine permettant la catalyse d’une réaction biochimique. Eucaryote : Cellule pourvue d’un noyau au cours de l’interphase. Les eucaryotes ont par ailleurs des compartiments membranaires intra-cellulaires spécialisés dénommés organites. Ces cellules sont capables de former des organismes multicellulaires spécialisés. Eugénisme :L’eugénismeou eugénique fut au siècle le champ de la science qui entendait étudier et mettre en œuvre les moyens d’améliorer l’espèce humaine par des mesures destinées à favoriser l’apparition de certains caractères (eugénisme positif) ou à éliminer les maladies héréditaires (eugénisme négatif). L’eugénisme fondé par Francis Galton, cousin de Charles Darwin en 1883, fut mis en œuvre au xx‘ siècle dans de nombreux pays, notamment par le régime nazi avec une méthodique froideur.
Glossaire
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Gène : Ensemble de séquences d’acides nucléiques (ADN ou ARN chez les virus) contenant toute l’information nécessaire à la production régulée d u n ARN (transcription des ARNr et ARNt) ou d’une chaîne polypeptidique ou protéique (transcription et traduction des protéines). Hétérozygote :Chez les organismes diploïdes, cellule ou organisme possédant deux allèles différents au même locus. Homozygote : Chez les organismes diploïdes, cellule ou organisme possédant le même allèle au même locus. Lysosome :Chez les eucaryotes, vésicule cytoplasmique contenant de nombreuses enzymes spécialisées dans la dégradation des produits de phagocytose. Mitochondrie :Organite intra-cytoplasmique,site de production énergétique cellulairepar phosphorylation oxydative et production de molécules d’adénosine tri-phosphate. La mitochondrie possède un génome propre extra-nucléaire. Noyau cellulaire :Élément de la cellule eucaryote interphasique, délimité par une double membrane, dont les échanges avec le cytoplasme sont contrôlés par des pores. Le noyau contient l’ensemble du matériel génomique cellulaire. I1 est le siège des processus de transcription et de réplication du génome. OGM (Organisme Génétiquement Modifié) : Tout organisme vivant bactérie ou eucaryote unicellulaire, plante, animal qui possède dans son génome du fait d’une intervention humaine artificielle, d’une séquence génétique d’origine exogène fonctionnelle ou non.
Ovocyte :Cellule sexuelle femelle. PMA : Procréation Médicalement Assistée.
Procaryote :Organisme cellulaire sans noyau. I1 s’agit des bactéries, organismes uni-cellulaires. Protéine : Constituant macromoléculaire majoritaire des cellules formés par la liaison peptidique entre des acides aminés. La séquence primaire des acides aminés est donnée par la séquence d’ADN. La protéine subit après sa synthèse de nombreuses modifications comme des repliements conformationnels lui donnant sa structure définitive, des glycosylations et phosphorylations modulant et régulant les fonctions de celle-ci. Enfin, les protéines interviennent dans la majorité des processus biologiques comme la synthèse du matériel génétique, leurs propres synthèses et celle de tous les constituants cellulaires, le contrôle de l’information génétique, les processus métaboliques.
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Thermodynamique : Branche de la physique dont l’objet est l’étude des phénomènes dans lesquels interviennent des échanges thermiques. Traduction :Ensemble des processus biochimiques permettant la synthèse d’une chaîne polypeptidique à partir dune séquence dARN messager dont l’information est traduite selon le code génétique (chaque triplet de bases d‘acide nucléique correspond à un acide aminé). Transcription :Ensemble des processus biochimiques permettant la synthèse d’une molécule d’ARN anti-complémentaire à partir dune matrice d’ADN. Transgène : Séquence d’ADN (ou segment génique) exogène introduite dans un organisme receveur, inséré par recombinaison génétique à l’intérieur du génome et transmissible à la descendance. VIH :Virus de 1’Immunodéficience Humaine.
Virus : Micro-organisme infectieux parasite absolu des cellules vivantes, possédant un seul type d’acide nucléique comme support de son information génétique. Ces organismes sont incapables de réplication et d’activité métabolique en dehors des cellules-hôte qu’ils infectent.
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Chapitre 1 - La vie :une nouvelle définition pour quelle bio-logique ? 1.
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Chapitre 3 - Quelques notions de thermodynamique 1.
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Chapitre 4 - La vie à l’épreuvede sa définition :confrontation au réel 1. 2.
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Chapitre 6 - Le temps, quatrième dimension du vivant : la théorie de l’évolution ou l’interaction du temps et du vivant 1.
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Conclusion 1.
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Achevé d'imprimer les presses de France Quercy - Cahors Nod'impression : 51573 Dépôt légal : septembre 2005 Imprimé en France
Jean- Nicolas Tournier
En ce début de XXle siècle, quel regard l'homme porte-t-il sur la vie ? Alors que le siècle qui se dessine semble être celui des biotechnologies, que le conflit ouvert entre la puissance envahissante de la biologie et les limites de l'éthique devient irrémédiable, la notion même de vie semble s'être extirpée du champ de la biologie. Or, les frontières de la science touchent pourtant bien celles de la définition du vivant.
Mais alors quel sens donner au mot vie ? L'embryon est-il en vie dès sa conception ? Le clone, l'autre soi peut-il être réifié pour répondre au simple besoin de cellules souches d'une personne, dont la vie est elle-même mise en péril ? Ces questions nouvelles, ne sont qu'une formulation moderne de questions pérennes. Elles permettent aussi de comprendre que la biologie ne peut se départir d'une réflexion éthique. Le présent ouvrage propose une définition nouvelle, simple et opérante de la vie qui exclut l'appel au vitalisme, et qui permet ensuite de revisiter certaines énigmes de la biologie moderne comme les origines de la vie et son évolution, e t de s'interroger sur les problèmes éthiques de la biologie contemporaine : Quid des OGM, du clonage reproductif e t thérapeutique, des cellules souches au regard de la vie ? II ne s'agit ici ni de vouer les techno-sciences aux géhennes, ni de déplorer les progrès de la science. L'objectif est plutôt d'anticiper l'émergence des problèmes éthiques futurs par une réflexion plus profonde et plus large sur le sens du mot vie, afin de mieux accompagner les surprises que livre pudiquement la nature aux êtres curieux de savoir. JEAN-NICOLAS TOURNIER est docteur en médecine et docteur ès sciences, chercheur au Centre de Recherches du Service de Santé des Armées (CRSSA) à Grenoble. II travaille dans le domaine de l'immunologie et s'intéresse notamment aux interactions hôte-pathogènes.
Graphisme : Béatrice Couëdel
19 euros ISBN : 2-86883-814-6