LE DÉVELOPPEMENT URBAIN DE CONSTANTINOPLE (IV' . VII· siècles)
TRAVAUX ET MEMOIRES DU CENTRE DE RECHERCHE D'HISTOIRE ET CIVILISATION DE BYZANCE COLLÈGE DE FRANCE MONOGRAPHIES 2
Cyril MANGO Professeur à l'Université d'Oxford
LE DÉVELOPPEMENT URBAIN DE CONSTANTINOPLE (Ive - VIle siècles)
Ouvrage publié avec le concours du Collège de France
DIFFUSION DE BOCCARD 11, rue de Médicis, 11 75006 PARIS
1985
ISBN 2-7018-0022-6
PREFACE
Le texte que je présente au lecteur est celui de quatre conférences données au Collège de France en avril 1983. Je n'ai fait qu'apporter de légères retouches et ajouter en notes les explications et les références bibliographiques indispensables. Il s'agit toujours d'un texte provisoire, car j'espère, d'ici quelques années, reprendre le même sujet dans un cadre plus large en utilisant une documentation graphique plus ample et en retraçant - ce que je n'ai fait ici qu'en quelques lignes - l'histoire urbaine de Constantinople durant tout le Moyen Âge, c'est-à-dire du VIle au xve siècle. Que MM. Paul Lemerle et Gilbert Dagron, qui ont bien voulu accueillir cette modeste étude dans leur nouvelle collection, trouvent ici l'expression de ma vive reconnaissance.
INTRODUCTION
De Pierre Gilles (t 1555), le premier savant européen qui ait exploré Constantinople dans un esprit scientifique, au Père Raymond Janin (t 1972) et à Rodolphe Guilland (t 1981), l'étude de la capitale byzantine a été en grande partie orientée vers la topographie. Génération après génération et surtout pendant ces cent dernières années, des spécialistes se sont penchés sur les mêmes problèmes, ont scruté les mêmes textes pour placer ou déplacer sur la carte tel monument, telle rue, tel quartier. Personne ne niera que pour connaître une ville il faut, tout d'abord,en posséder un plan exact. Comment expliquer, cependant, que dans le cas de Constantinople il ait fallu tant d'efforts pour aboutir à des résultats souvent contestables, et que l'aspect topographique ait dominé la recherche à l'exclusion d'autres voies d'approche qui auraient peut-être été plus fructueuses? Pour répondre à ces questions on pourrait invoquer les considérations suivantes : 1. Les Byzantins eux-mêmes ne se sont pas souciés de nous laisser une description détaillée et systématique de leur capitale. Ils ne nous ont légué dans ce domaine que le recueil confus et désordonné des «patriographes» l , dont l'ignotus scriptor (il vaudrait mieux dire les ignoti scriptores) meras nugas habet, comme s'en plaignait déjà Pierre Gilles 2. Si nous mettons de côté l'Anaplus Bosphori par Denys de Byzance, ouvrage rhétorique composé probablement au ne siècle de notre ère 3, donc sensiblement antérieur à la période byzantine, le seul document officiel dont nous disposons est la Notitia urbis Constantinopolitanae de 425 environ 4, texte latin d'une quinzaine de pages, de tradition manuscrite occidentale et ignoré des Grecs byzantins. 1. Pour sa composition voir Th. Preger, Beitrtïge zur Textgeschichte der ndTPia KWV07UVTtvOVlI'ÔÀEWÇ, Munich 1895, et les deux Préfaces à l'éd. des Scriptores originum. En utilisant les patriographes, il est surtout important de ne pas confondre les Parastaseis syntomoi chronikai (milieu du VIlle siècle) avec les Patria en quatre livres (de l'an 995 environ), ce dernier texte reprenant les Parastaseis soit directe-ment, soit le plus souvent par l'entremise de l'Anonyme, éd. M. Treu, Excerpta anonymi byzantini, Ohlau 1880, d'après le Paris. Suppl. gr. 607A du xe siècle. Sur l'ensemble des patriographes voir surtout G. Dagron, Constantinople imaginaire, Paris 1984. Une traduction anglaise des Parastaseis avec commentaire vient de paraître: Constantinople in the Eady Eighth Century, éd. par A. Cameron et J. Herrin, Leyde 1984. 2. P. Gilles, De topographia Constantinopoleos, Lyon 1561, p. 243. '. Pour sa date voir la Préface à l'éd. Güngerich, p. XLIII-IV. ... Pour la date (entre 423/4 et 427) voir P. Speck dans Studien zur Frühgeschichte Konstantinopels, éd. R-G. Beck= Misc. Byz. Monacensia, 14 (1973), p.144·50.
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INTRODUCTION
2. A partir du VIle siècle, sinon avant, la littérature byzantine fut en grande partie écrite à Constantinople pour être lue à Constantinople. Par conséquent, elle est pleine d'allusions à divers quartiers et monuments de la ville, mais ces références ne sont presque jamais expliquées puisque le lecteur connaissait parfaitement les lieux. Dans la mesure où la recherche historique se fonde sur le commentaire des textes, il importe de préciser la situation des toponymes qui y sont mentionnés. 3. A l'époque où commença l'étude scientifique de Constantinople il ne restait de la ville byzantine qu'un petit nombre de monuments identifiés et reconnaissables. Pour citer encore une fois P. Gilles, «nunc nulla extant praeter columnam purpuream, et Arcadianam, et aedem Sophiae, et Hippodromum spoliatum, et cisternas aliquot» s. D'autre part, les habitants de la ville, même grecs, avaient oublié, à quelques exceptions près (Blachernes, Psamathia, Phanar), les anciens noms. Tels sont, je crois, les principaux facteurs qui poussèrent les érudits à étudier de préférence la topographie de Constantinople. En un siècle, bien des résultats ont été obtenus. Pour ne citer que quelques exemples, il est acquis, grâce à la démonstration de van Millingen, que l'Hebdomon se trouvait dans la banlieue européenne, à l'emplacement dit aujourd'hui Baklrkôy, et non pas sur la sixième colline de la ville, comme le croyait Gilles; nous savons, grâce à Pargoire, que le palais de SaintMarnas était à Be~ikt~ sur le Bosphore, ce que personne ne contestera plus; nous avons appris à ne pas confondre le Forum (c'est-à-dire le Forum de Constantin) avec l'Augoustéon, comme on le faisait encore au siècle dernier. Ce n'est pas dire que tout a été résolu ou puisse l'être dans l'état actuel de nos connaissances. Panni les quarante églises byzantines qui existent toujours ou qui ont été découvertes lors de fouilles, vingt-deux, soit plus de la moitié, ne sont pas identifiées. Sans nier l'importance, voire la nécessité de la recherche topographique, on pourrait se demander si elle peut à elle seule nous offrir un tableau complet de Constantinople, d'une ville qui ne fut pas seulement un assemblage de toponymes sur une carte, mais qui vécut dans l'histoire d'une vie très particulière, qui, tout en se prêtant aux exigences d'un rituel impérial, dut aussi subvenir aux besoins de ses habitants en matière d'alimentation, d'adduction d'eau, de sécurité, de commerce et d'industrie, de communications, de loisirs; ville enfin qui se développa, puis déclina, et cela à plusieurs reprises. On dira peut-être qu'une telle enquête, si souhaitable qu'elle puisse paraître, est au-dessus de nos moyens. En effet, pour parler du développement urbain de n'importe quelle ville sous tous les aspects que je viens d'évoquer, il faut disposer d'une documentation appropriée à ce genre de recherche: documentation graphique d'abord, c'est-à-dire cartes, dessins, panoramas reflétant l'aspect de la ville à différentes étapes de son existence, documentation archéologique ensuite, documentation statistique enfin, pour nous renseigner sur le nombre des habitants, leur manière de vivre, le caractère et l'ampleur des services mis à leur disposition. Une telle documentation ne manque peut-être pas entièrement pour Constantinople, mais elle est partielle, lacuneuse et de mauvaise qualité.
5. Op.
cir., p. 239.
INTRODUCTION
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Prenons quelques exemples dans les domaines que je viens d'indiquer. La plus ancienne carte de la ville qui soit faite avec une certaine exactitude est celle dressée par les soins du comte de Choiseul-Gouffier en 1776 (fig. 1) 6, carte dont l'indication des rues est d'ailleurs assez approximative; il faut attendre le milieu du XIxe siècle pour trouver des cartes auxquelles on puisse se fier pleinement? . Or, pour toutes les grandes villes de l'Occident européen on peut utiliser un matériel cartographique de bonne qualité remontant au XVIe, et même au xve siècle. Quant aux dessins et panoramas, nous n'avons pour l'époque byzantine que le croquis de Buondelmonti de 1422 environ, dont l'original est perdu et qui est conservé en une vingtaine de copies sensiblement différentes les unes des autres 8. A cette seule exception, les vues de Constantinople ne commencent qu'à l'époque ottomane, mais comme il était à cette époque difficile, voire dangereux pour un européen de se livrer publiquement à la tâche de dessinateur, les plus anciens panoramas qui nous sont parvenus ont un caractère en partie déformé et fantaisiste. Parmi les meilleurs, il faut citer le panorama d'origine vénitienne, sans doute à dater de la fin du xye siècle, et souvent désigné sous le nom du graveur Valvassore qui en assura, paraît-il, la première impression conserVée, celle de la Bibliothèque de Nürnberg (fig. 2) 9. L'original, qu'on a voulu attribuer à Gentile Bellini, est perdu. Il convient du reste de noter qu'il s'agit d'une vue factice, puisque Constantinople ne se présente dans cette perspective' qu'à vol d'oiseau. Le dessin de l'Hippodrome publié par Onufrio Panvinio 10 et qu'on a daté sans raison valable de 1450 environ, n'est à mon avis qu'un fragment remanié du panorama de Yalvassore. Sans vouloir énumérer tous les dessins utiles, je dois nommer le grand panorama du peintre danois Melchior Lorck de 1559 11 , assez exact celui-là, mais ayant le désavantage de présenter la ville de profil, et deux dessins turcs du XVIe siècle qui, tout en négligeant les lois de la perspective, contiennent maints détails intéressants.
6. Il s'agit de la carte de F. Kauffer, publiée pour la première fois par J.-B. Lechevalier, Voyage de la Propontide et du Pont·Euxin, Paris 1800, t. Il ; reproduite avec des additions par Melling, Voyage pittoresque de Constantinople et du Bosphore, Paris 1819, Album, pl. 49; Choiseul-Gouffier, Voyage pittoresque de la Grèce. t. Il, 2, Paris 1822, pl. 68; J. von Hammer, Constantinopolis und der Bosporos, Pesth 1822, t. I. 7. En particulier celles de H. von Moltke (1 : 25.000), Berlin 1842; deC. 5tolpe (1 : 10.000), Berlin 1866 ; et le plan anonyme turc (1 : 2.000) dressé vers 1876, éd. Ekrem Hakkl Ayverdi, 19. aSlrda Istanbul haritasl, Istanbul 1958. 8. Huit versions publiées par G. Gerola, Le vedute di Costantinopoli di Cristoforo Buondelmonti, SBN 3 (1931), p. 247 et suiv., qui n'a pas utilisé tous les manuscrits connus. 9. E. Oberhummer, Konsta,ltinopel unter Sultan Suleiman dem Grossen, Munich 1902, p. 21. Il existe plusieurs versions de ce panorama: l'une des plus connues est celle publiée par Caedicius (= A.D. Mordtmann), Ancien plon de Constantinople imprimé entre 1566 et 1574, Constantinople (1889). Le dessin est postérieur à la construction des murailles du Palais de Topkapl (vers 1478/9) et probablement antérieur à 1490, si l'on admet que la grande église en contrebas de l'Hippodrome (5. Luca Evangelista : il s'agit vraisemblablement de la Néa Ekklèsia de Basile 1er ) est identique à la Güngormez kilisesi, convertie en poudrière et .détruite par la foudre cette année là. Cf. notre The Brazen Houre, Copenhague 1959, p. 180-82 ; F. Babinger, Drei 5tadtansichten von Konstantinopel... aus dem Ende des 16. Jahrhunderts, Osterr. Akad. d. Wiss., Denkschr., 77/3 (1959), p. 5. 10. De ludir circenribur, Venise 1600, p. 61, pl. R : dessin souvent reproduit. Il. Bibl. de l'Université de' Leide, 21 feuilles, longueur totale Il,52 msur 0,44 m. Ed. Oberhummer, op. cit. Malgré la date qu'il. porte, ce panorama semble avoir été achevé vers 1561 : voir E. Fischer, Melchior Lorck, Copenhague 1962, p. 24-25.
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INTRODUCTION
Il s'agit du dessin de Nasüb al-Matra19 dans le Récit de l'expédition du sultan Süleyman de 1537-1538 (Bibliothèque de l'Université d'Istanbul) 12 et celui du Hünernâme, du Palais de Topkapl, de 1580 environ 13. Bref, la documentation graphique, qu'il faut d'ailleurs savoir interpréter, ne nous conduit pas au-delà de l'époque de Beyazit II et de Süleyman le Magnifique, Ce n'est plus la Constantinople byzantine, mais la ville qu'a connue et décrite Pierre Gilles. Passons à l'archéologie. Les bulletins publiés par Ernest Mamboury et poursuivis quelque temps après sa mort 14 décrivent les découvertes et les travaux effectués à Istanbul depuis le siècle dernier: il ne s'agit pas de les résumer ici. Malgré bien des chances manquées, l'archéologie nous a beaucoup appris sur les monuments et la topographie de la ville. Il convient toutefois de noter que les fouilles les plus étendues se sont trouvées liées à des travaux publics, et ont été conduites à la hâte, sans surveillance scientifique suffisante. Je pense notamment à la construction du chemin de fer, en 187.1, dont seul un amateur grec, le Dr. A.G. Paspatis, nous a laissé une ~"'scription sommaire 15, aux travaux de canalisation des années 1920 et 1930, ,servés tant bien que mal par Ernest Mamboury dont les notes et croquis restent encore inédits 16, à la construction .au bulldozer des nouveaux bâtiments de l'Université dans les années 1940 17, enfin àl'installation par une compagnie japonaise d'une grosse conduite d'eau le long des murailles de la Propontide, entreprise toujours en cours (1983) qui a révélé, sans que personne à ma connaissance s'en occupe, un amas de restes byzantins sur la Pointe du Sérail. Quant aux fouilles menées dans un but scientifique, elles ont été, pour la plupart, limitées à l'exploration de tel ou tel monument. La méthode stratigraphique, la seule qui puisse nous renseigner sur l'évolution chronologique de l'habitat, n'a d'ailleurs été appliquée que tout dernièrement.. Bref, on n'a pas fouillé selon les méthodes modernes appliquées aux grands espaces urbains. Quant à la documentation statistique, nous ne possédons pour toute l'époque byzantine que la Notifia du ve siècle, qui est un dénombrement des quartiers de la ville, avec leurs domus (quelle que soit la signification exacte de ce terme), leurs rues, leurs bains, leurs boulangeries, leurs monuments principaux et le nombre des fonctionnaires préposés aux services urbains. Ce n'est qu'après la conquête ottomane que les statistiques officielles reprennent, sources sans doute précieuses, mais encore en
12. A. Gabriel, Les étapes d'une campagne dans les deux Irak, Syria 9 (1928), p. 331 et suiv. et pl. LXXV; cf. W.D. Denny, A 16th Century Architectural Plan oflstanbul, Ars Orientalis 8 (1970), p. 49-63. 13. Reproduit dans l'Eneyc1opaedia ofIslam, nouv. éd. t. IV (1978), pL V et ailleurs. 14. By: 11 (1936), p. 229-83 ; (938), p. 301-10 ; 21 (1951), p. 425-59 ; J. Lafontaine, By: 29i30 (1960), p.339-86. 15. B\)rav"vail'f~ÉTa', Constantinople 1877, p. 99-126, sans plan. 16. En dépôt à l'Institut Archéologique Allemand d'IstanbuL Indications sommaires dans By: 11 (1936), p.251·55. 17. Flfath, Découverte de trois églises byzantines à Istanbul, CA 5 (1951), p. 163·78 ; E. Mamboury, By: 21 (1951), p. 433-37 ; T.F., Mathews, The Early Churehes of Constantinople, University Park, Pennsylvania 1971, p. 67·73 ; id., The Byzantine Churehes of Istanbul: A Photographie Survey, University Park 1976, p. 28-33 ; Müller-Wiener, Bildlexikon, p. 72.
INTRODUCTION
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partie inédites et difficiles d'accès pour les chercheurs qui ne connaissent pas les langues orientales 18 • Tout en tenant compte du genre d'informations que je viens d'indiquer, c'est aux sources écrites qu'il nous faudra surtout recourir : sources byzantines d'abord, récits de voyage ensuite. Ces sources sont connues depuis longtemps et il est superflu d'en parler. Il convient, toutefois, de mettre en garde ceux qui croient trouver un dépouillement complet dans Constantinople byzantine du Père Janin, livre indispensable, mais que l'on doit utiliser avec beaucoup de prudence. En effet, R. Janin n'a pas exploité toutes les sources disponibles, il en cite quelques-unes d'après des éditions vieillies ou des traductions inexactes (notamment les pèlerins russes), et il n'est pas suffisamment attentif à la valeur et à la date de certains textes, particulièrement dans le cas des Patria, dont il néglige souvent de distinguer les couches superposées. Est-il donc possible, avec la documentation que nous venons d'esquisser, d'entreprendre une étude du développement de la Constantinople byzantine comme ville 19 ? Sans promettre de résultats solides et irréfutables, je crois qu'une telle enquête vaut la peine d'être tentée. Les pages qui suivent en contiennent une première et partielle ébauche.
18. Voir H. Inalcik, The Policy of Mehmed II toward the Greek Population of Istanbul, DOP 23/24 (1969/ 70), p. 241 et suiv. ; id., art. Istanbul, Encyclopaedia ofIslam, nouv. éd., t. IV, p. 244-45. Le plus ancien registre conservé serait de 1455. . 19. L'ouvrage de' R. Mayer, Byzantion, Konstantinopolis, Istanbul. Eine genetische Stadtgeographie, Osterr. Ak.. d. Wiss., Denkschr. 71 (1943), n'est que d'une très faible utilité pour l'époque byzantine.
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L'ANTIQUE BYZANCE
La ville de Constantin, comme tout le monde le sait, fut greffée sur l'antique Byzance. Englobée dans la capitale impériale, la cité grecque en détermina partiellement la dispQsition et c'est donc par elle que nous devons commencer. Si nous laissons de côté son apport épigraphique, qui est considérable et provient surtout de sa nécropole l , nous constatons que les restes monumentaux sont infimes ; ils se limitent à une partie de l'enceinte de l'Acropole, en grand appareil, trouvée lors de la construction du chemin de fer en 1871 et disparue depuis 2, à une tour maritime, vraisemblablement de l'époque romaine, cachée derrière la muraille byzantine 3, à une mosaïque de pavement du ne siècle de notre ère 4, et à quelques autres menus débris. A cette liste il faudrait peut-être ajouter l'aqueduc attribué à l'empereur Valens, et sur lequel nous reviendrons. Bref, nos connaissances sur l'antique Byzance doivent peu à l'archéologie et s'appuient surtout sur les témoignages littéraires. Un mot de la superficie de l'ancienne ville. D'après l'opinion reçue, reproduite dans presque tous les manuels, Byzance aeu deux enceintes successives: celle que l'on l. Voir N. FlIath, Les stèles funéraires de Byzance gréco·romaine avec l'éd. des épitaphes par L. Robert, Paris 1964. On a aussi trouvé plusieurs inscriptions non funéraires, publiées par P.A. Dethier et A.D. Mordtmann, Epigraphik von Byzantion und Constantinopolis, Denkschr. Kais. Akad. d. Wiss., PhiL·hist. CI. 13 (1864) et ailleurs. Une dédicace à Septime Sévère: C.G. Curtis et S. Aristarchès, 'Avi.ôOTOt "'wypa;pat· Bvtavrwtl, KE
E, 'APXatoÀO'Yt"Tr 'E"tTP07l1\, suppl. au 1. 16 (1885), nO 5. 2. Il s'agit du mur «cyclopéen», composé de blocs de plus de 2· m de long, décrit par Paspatis, BvtavTtvat' Il€Àirat, p. 103. Il est marqué sur le plan publié par le même auteur dans Tà/lvtavTtvàltv4"TOpa, Athènes 1885 ; trad. anglaise, The Great Palace of Constantinople, Londres 1893. Des blocs réutilisés dans le soutènement de la voie ferrée et portant diverses lettres grecques, y compris le koppa (ce qui indique l'époque archaïque) semblent en provenir : voir R. Demangel et E. Mamboury, Le quartier des Manganes et la première région de Constanti• nople. Paris 1939, p. 7, n. 2. 3. Demangel et Mamboury, op. cft., p. 53 ; pl. VI, 2 et IX. A tort attribuée à l'époque grecque par H. von Schônebeck, Arch. Anzeiger, 1936, p. 51 ; postérieure à.1a destruction des murailles par Sévère selon W. MüllerWiener, Zur Frage der Stadtbefestigung von Byzantion,BonnerJahrbücher 161 (1961), p. 169, n:9. 4. Découverte en 1935 dans la rue Çatalçe~me, à l'Ouest de la Citerne Basilique: E. Mamboury, Byz 11 (1936), p. 279 ; A. M; Schneider, Byzanz, Berlin 1936, p. 92 et pl. 9. Pour l'emplacement: W. Kleiss, Topogra. phisch·archliol. Plan von Istanbul, Tübingen 1965, Fundortnummer 8.
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LE DeVELOPPEMENT URBAIN DE CONSTANTINOPLE
appelle enceinte mégarienne ou de Byzas, du nom du fondateur mythique, et celle de Septime Sévère (fig. 3). Seul parmi les érudits modernes, W. Müller-Wiener nie ['existence de la muraille de Sévère, tout en gardant celle de Byzas s. Or, l'opinion reçue est doublement fausse : l'enceinte de Byzas telle que nous la concevons appartient au domaine de la légende, et Sévère n'a pas construit de muraille à Byzance. L'existence d'une «muraille de Byzas» s'appuie uniquement sur un passage des Patria 6 provenant, précisons~le, du livre 1 de cette compilation. Ce livre commence par un décalque d'Hésychios (VIe siècle), aux paragraphes 1-36, et se poursuit par un certain nombre d'adjonctions où se trouve notre passage(§ 52). Ces adjonctions, puisées à diverses sources de mauvaise qualité, sont truffées de légendes et inspirent très peu de confiance. Pour nous faire croire à cette muraille de Byzas, décrite à l'aide de quelques points de repère (mur de l'Acropole, Tour d'Eugène, Stratègion, Bain d'Achille, etc.), il faudrait pouvoir démontrer que sa mention remonte à une source très ancienne. Or, une telle source n'existe pas. D'autre part, il est tout à fait invraisemblable que l'auteur des Patria, écrivant vers 995, ait pu voir de ses propres yeux les restes de cette prétendue muraille, dont le tracé contredit nos meilleures sources et de plus n'est pas stratégiquement très acceptable, puisqu'il situe la partie occidentale de la muraille dans la vallée séparant la première et la seconde colline, où elle aurait été dominée par le terrain extérieur. A. van Millingen avait déjà émis quelques doutes touchant la muraille de Byzas 7 : il faut aller plus loin et la rejeter tout simplement. Les bonnes sources, celles qu'on devrait utiliser à ce propos, sont Denys de Byzance, Dion Cassius et Hérodien. Comme je l'ai déjà indiqué, l'Anaplus Bosphori est probablement du ne siècle et il est, en tout cas, antérieur au siège de Byzance par Septime Sévère, siège qui dura de 193 à 195 ou 196. Dion Cassius composa la partie de son Histoire qui nous intéresse en 218 ou 219, tandis que celle d'Hérodien fut écrite vers 240 ou un peu plus tard. Dion Cassius, qui connaissait bien les lieux, dit formellement que l'enceinte de Byzance avant Septime Sévère englobait deux ports du côté de la Corne d'Or, tous deux protégés par des digues fortifiées et fermés par des chaînes qui en rendaient l'accès impossible en temps de guerre : or T€ Àf,Jl€V€C; eVTàc; T€iXOVC; àJJ.I{)OT€POt KÀ€tUToi àXVu€C1W lluav, Kai ai Xl1Àai aiJTwv 1TVP,,),OVC; el{)' €KdT€pa 1ToM 1TpoExovTac; €I{)€POV 8. Denys, de son côté, mentionne trois ports à l'intérieur de la ville, dont
celui dü milieu était suffisamment profond et protégé par des digues de part et d'autre; ayant dépassé les ports en venant de la pointe, on rencontrait une grande tour ronde surgissant de la mer, tour qui marquait la jonction des défenses maritimes et des défenses terrestres 9 • Le désaccord entre Dion et Denys quant au nombre de ports - deux ou trois - ne me paraît pas grave et pourrait être expliqué par la division
5. Zur Frage, p. 165-75. qui remarque très justement de la muraille par Sévère. 6. P.141. 7. Walls, p. 8. 8. LXXV, 10, 5. 9. P. 5, § 11-12.
qu'au~un
.
texte ancien n'indique une reconstruction
L'ANTIQUE BYZANCE
IS
d'un de ces ports en deux' bassins 10. Quoi qu'il en soit, deux ports au moins se trouvaient à l'intérieur des murailles d'avant Septime Sévère, et ces deux ports nous sont bien connus à l'époque byzantine: ils s'appelaient le Bosphorion ou Prosphorion, sis dans la ve Région, et le Néorion ou Arsenal dans la VIe 11. On pourrait y voir un port commercial accouplé à un port militaire. Leur étendue exacte n'est pas établie, mais tous les érudits sont d'accord pour les situer entre la Pointe du Sérail et le pont actuel de Galata. Etant donné que la muraille terrestre de Byzance dépassait à l'Ouest le port du Néorion, elle ne pouvait que monter vers le sommet de la seconde colline pour descendre de l'autre côté vers la Propontide. En d'autres termes, le tracé qu'on attribue à Septime Sévère lui est en réalité antérieur, et peutêtre antérieur de beaucoup, car déjà à l'époque de Xénophon (400 av. J.-C.) le port de Byzance se trouvait à l'intérieur de la ville 12. Sévère détruisit cette muraille pour punir la ville rebelle et il est certain qu'il ne la rebâtit pas puisque Dion, écrivant sept ou huit ans après la mort de l'empereur, le critique pour avoir démoli une défense aussi considérable contre les barbares. Elle était toujours, paraît-il, en ruine quand Hérodien composa son Histoire vers 240 13, mais je crois qu'elle fut refaite peu après, sur le même tracé, pour parer aux invasions des Goths aux années 250-260, car Byzance n'a pas eu à souffrir de leur part. La thèse que je viens d'exposer se trouverait ébranlée si l'on parvenait à démontrer que la nécropole de Byzance s'étendait à l'intérieur de l'espace indiqué. Quelques stèles funéraires proviennent, en effet, des parages de l'Hippodrome et du Grand Palais, mais, sauf erreur, il s'agit de pierres errantes 14. La seule fouille pratiquée en longueur, de Sainte-Sophie à la Colonne Brûlée et au-delà (il s'agit des travaux de canalisation dans les années 1920 et 1930), n'a révélé, selon Ernest Mamboury, aucune trace de tombeaux à l'Est du Forum de Constantin; mais, dès qu'on arriva au Forum, on se trouva en plein dans une nécropole qui s'étendait à l'Ouest vers les bâtiments de l'Université actuelle, et au Nord-Ouest dans la direction de la mosquée . Süleymaniye 15 •
10. L'opinion de K. Lehmann-Hartleben, Die antiken Hafenanlagen des Mittelmeeres, Klio, Beiheft XIV (1923), p. 69·70,249, selon laquelle le texte de Denys serait postérieur à Sévère précisément parce qu'il mentionne trois ports au lieu de deux, est avec raison rejetée par Güngerich, Preface à Denys, p.XLIV. Il. Voir la scholie 16 (p. 37) du manuscrit de Denys: frEPI ~ov WV 1fT< 0't'tO/l€VOIJ Àt/l€VOÇ ~ov EV ~'i> K4ÀOIJ/l€V't' NEWpi't'. Pour l'origine des scholies, copiées du célèbre cod. Pal. Heidelb. 398, ibid., p. XVII. 12. Puisque Xénophon, qui était en dehors de la ville avec ses troupes, demanda la permission d'y entrer pour s'embarquer afin de revenir en Grèce: Anabase, VII, 1,38-39. 13. III, l, 7. Les historiens de l'Antiquité qui se sont occupés de cette question ont eu tort d'accepter la fable convenue concernant la réédification des remparts par Sévère: ainsi M. Platnauer, The Life and Reign of ... Septimius Severus, Oxford 1918, p. 98 ; F. Millar, A Study of Cassius Dio, Oxford 1964, p. 140. 14. D'un total de 232 stèles et sarcophages catalogués par FlIath, op. cif., onze seulement proviennent de l'intérieur de la ville telle que nous l'avons circonscrite. Parmi ces onze, une pièce a été réutilisée (nO 28a), quatre sont d'anciennes acquisitions du Musée d'Istanbul (nOS 40, 83, 116, 191), ce qui veut dire que les circonstances de leur trouvaille sont inconnues, et deux (nOS 194, 195) sont des petites fragments. 15. Voici ce qu'il en dit dans un article publié dans le quotidien La République (Istanbul) du 20 juin 1948 : «De la première porte de Thrace byzantine (il veut dire l'arc du Milion) à la seconde porte de Thrace romaine Guste en deçà du Forum), on ne retrouva rien en fait de tombeaux ... Mais dès qu'on arriva sur la place de Çemberlita§, qui représente l'ancien Forum Constantini, les tombes succédèrent aux tombeaux, aux sarcophages et aux hypogées». .
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L'étendue de la ville antique ainsi délimitée, nous devons aborder un autre problème qui n'est pas sans importance pour le développement ultérieur de la capitale. Il est, en effet, certain que la configuration du terrain et surtout des côtes a beaucoup changé depuis l'Antiquité. Dans une certaine mesure tout le monde l'admet, mais on ne s'est pas rendu compte de l'ampleur de la transformation. Aujourd'hui Istanbul se présente comme un promontoire à peu près triangulaire, ainsi qu'il l'était déjà au Moyen Âge; dans l'Antiquité, pourtant, la ville occupait une péninsule reliée à la terre ferme par un isthme ou col. Le témoignage fondamental, qui a suscité bon nombre de difficultés, est fourni par Denys de Byzance qui s'exprime ainsi: «La ville est entourée par la mer, sauf l'isthme qui la relie à la terre ferme (7rÀ?iv TOÛ aVVâ7rTOVTOÇ aVT?iv 7rPOÇ T?iv 1111'€tPOV 1081J0û). La longueur du pourtour est de 35 stades, tandis que celle du col qui empêche qu'elle ne soit une île est de 5 stades (IJ€-Y€Oo<: ô€ TOÛ IJ€V 7raVTOç 7r€Pl/3ôÀov TPtâKovm 7rÉVT€ amôiwv, TOÛ ô'aVx€vo<: ù",' 03 Ôt€{p-Y€Tat TD 1J?i vr,aoç dvat, 7rÉVT€»> 16. Les érudits qui se sont penchés surcetexte n'ont pu lui donner une explication satisfaisante 17. Trente cinq stades correspondent à 6,500 km : or, le périmètre de Byzance, tel que nous l'avons défini (pour ne pas parler de la muraille de Byzas), ne pouvait dépasser de beaucoup 5 km. Quant à la largeur de l'isthme (5 stades = 925 m), elle paraît à première vue également inexplicable. Laissons ces chiffres de côté, tout en notant que les dimensions qu'on trouve chez Denys pour la longueur et la largeur du Bosphore sont à peu près justes, à l'exception de la longueur de la Corne d'Or qu'il évalue à 60 stades, soit un peu plus de Il km, alors que la longueur actuelle est d'environ 8 km. Or, ce même chiffre de 60 stades se retrouve chez Strabon 18, tandis que Procope (De aed., Lv. 13) est plus près de la vérité en donnant à la Corne d'Or un peu plus de 40 stades de longueur. Même si l'on admet une certaine altération des chiffres de Denys - ceux qui concernent le périmètre de la péninsule et la largeur de l'isthme - dans la tradition manuscrite, on ne peut nier qu'il soit question d'une presqu'île. Denys reprend la même expression plus bas quand il parle de «la plaine du col qui empêche que la ville ne soit une île (1I'€ôiov TOÛ ÔtEiP-YOVTO<: ro 1J?i vr,aov eivat T?iV 7roÀw avxÉvoc:)>> 19. Qui plus est, son témoignage n'est pas isolé. Une Vie de Constantin, celle du Codex Angelicus, qui puise largemènt dans l'Histoire ecclésiastique de Philostorge (dont le texte intégral est perdu), déclare que l'empereur «prit par le milieu le col de la péninsule - car l'endroit est bien une péninsule - et le ferma par un mur allant d'une mer à l'autre en y englobant les faubourgs et les collines environnantes (Tdv avxÉva Til<: X€PPOll'l1aOV ÔtaÀa{3wv, xeppô/lf/ooc: -yâp èaTt Td xwpiov, ÈT€iXt~€V è" OaMTT1]ç €iç OâÀaTTav, etc.)>> 20. Il y a enfin Zosime, l'une de nos meilleures sources pourles origines de Constantinople, qui dit lui aussi au sujet de l'antique Byzance: «Cette ville est située sur une colline qui occupe une partie de l'isthme qui se trouve entre 16. P. 3, § 6. 17. Par exemple Kubitschek, art. Byzantion, RE III/l, c. 1119 ; van Millingen, Wa/ls, p. 8. Janin n'en parle pas. Müller-Wiener, ZUI Frage, p. 174, croit que les 3S stades se rapportent à j'espace habité, tandis que les murs n'avaient que 3,3 km de pourtour. 18. VII, 6,2. 19. P. S, § 12. 20. Philostorgius, Kirchengeschichte, éd. J. Bidez et F. Winkelmann, Berlin 1981, p. 20.
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ce qu'on nomme la Corne et la Propontide (p.épor; È:7I'éxovoa TOV 'w8p.ov TOV ôLà TOV "aÀovp.évov KépaTor; "ai ri/r; IIpo7l'ovTiôor; È:"TeÀovp.évov»>. Et, un peu plus bas: «Comme Constantin voulait rendre la ville beaucoup plus vaste, il l'entoura d'un mur situé 15 stades au-delà de l'ancien et qui comprenait risthme d'une mer à l'autre (TeiXet 71'epté(3aÀ€ riW 71'oÀw a7l'oÀap.(3avovn lI'avra rOll 'w8p.ov a7l'o 8aMoo1/r; elr; 8aÀaaoav)>> 21 •
Zosime fait semblant de ne pas aimer Constantinople, ville bruyante, inutile et surpeuplée à tel point que les empereurs postérieurs à Constantin durent l'agrandir de nouveau; et il poursuit: «Une partie assez importante de la mer qui entoure la ville a aussi été transformée en terre ferme, car on y a tout autour planté des pilotis sur lesquels on a bâti des habitations, qui à elles seules suffisent à constituer une ville entière (€1fe'Yatw81/ ôè "aiTf/r; 1fEpi aimiv 8aMoo1/r; OÙ" 6Ài'Yov, 71'aÀwv "v"À
1fa'YéVTWl( "ai ol"OÔOP.1/P.cLTWV aiJToîr; é7l'tTE8éIlTWV, "ai "a8' éavTà m:>Àw ap"ei p.E'YaÀ1/V 1fÀ1/pWoat) 22».
Les textes que je viens de citer sont parfaitement clairs et précis: les mots aiJXiW et w8p.or; désignent bien une bande étroite qui reliait la péninsule à la terre ferme, et il
ne faut pas reprocher à Zosime, comme le fait son dernier éditeur F. Paschoud 23, d'employer une expression inexacte ou mal choisie. Si Istanbul ne présente pas aujourd'hui la même configuration, c'est que les baies de part et d'autre de risthme ont été comblées, non par l'action lente de la nature, mais de propos délibéré : il s'agit des quartiers sur pilotis, des quartiers gagnés sur la mer dont parle Zosime. Où précisément se situait cet isthme ? La solution évidente qui, je l'avoue, m'a longtemps échappé, est de le placer dans la grande vallée entre la troisième et la quatrième colline, celle qui s'étend du quartier moderne d'Aksaray sur la Mer de Marmara à celui d'Unkapan sur la Corne d'Or (plan 1). Du même coup le texte de Denys s'éclaire : le pourtour de 35 stades ne s'applique pas à la ville de Byzance, mais à la péninsule entière, dont la ville n'occupait qu'une partie, comme l'indique Zosime. Quant à l'isthme, si l'on suit la courbe hypsométrique de 10 m, on obtient une largeur de 1200 m ou 6 stades environ, qu'on pourrait évidemment réduire à 5 stades. D'autres considérations viennent, je crois, à l'appui de l'hypothèse que je viens de présenter. D'abord, la crête de la vallée à l'emplacement de l'aqueduc, ainsi qu'une partie de la pente qui descend vers la Corne d'Or, étaient appelées Zeugma par les Byzantins. Que signifie ce nom? D'après une légende hagiographique, il viendrait du fait qu'à cet endroit on attela les mules qui devaient transporter les reliques de saint Etienne apportées de Jérusalem 24. «Il est plus probable - écrit le Père Janin, digne successeur de l'hagiographe - que la véritable étymologie est qu'il fallait doubler les attelages avant de gravir la pente qui conduit du Zeugma sur la hauteur» 25. Bien entendu, Zeugma peut désigner en grec byzantin un attelage, mais son 21. 22. 23. 24. 25.
II,30,2 et 4. Il,35. Dans l'éd. Budé, l', p. 226. A. Papadopoulos-Kérameus, CPbyz.. p.441.
'Al'aÀ€KTa l'POOOÀV'''ITIKTjÇ oTaXlJOÀooyiaç,
V, p. 67 ;.Patria, p. 239, § 64.
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sens propre est celui de jonction, liaison ou lieu de passage, et il était parfois employé comme toponyme, par exemple en Euphratésie, où la ville de Zeugma marquait un point de traversée de l'Euphrate. A mon avis, le Zeugma de Constantinople gardait le souvenir de l'isthme qui reliait naguère la péninsule à la terre ferme. Seconde observation. Nous avons vu que d'après Zosime les terrains gagnés artificiellement sur la mer étaient assez vastes pour constituer une ville entière : exagération, sans doute, mais une exagération qui doit avoir quelque fondement. Or, nous connaissons un quartier de Constantinople appelé précisément la Nouvelle Ville, Kainopolis. Il était situé dans la Ixe Région, en contrebas de la grande rue, pas très loin et vraisemblablement au Sud-Ouest du Forum de Théodose, donc le long de la côte 26. Ce quartier possédait une église importante de forme basilicale, signalée déjà dans la Notitia du Ve siècle, celle de Saint-Agathonikos, que les patriographes ont tort d'attribuer à Constantin ou à Anastase 27 • La création de ce quartier étant nécessairement antérieure à la date de la Notice, on pourrait émettre l'hypothèse que les travaux de comblement eurent lieu vers l'époque de Théodose, alors que la population de la ville commençait à devenir très dense, comme nous le verrons par la suite. Troisième observation. Si l'antique Byzance n'occupait qu'une partie (Ja partie orientale) de la péninsule, on s'attendrait à ce que l'isthme ait été pourvu d'un ouvrage défensif. Or on trouve effectivement chez les patriographes le souvenir confus d'un 1rpOn"XWlla, c'est-à-dire d'une muraille extérieure dans ces parages, datant d'avant Constantin 28 • Il n'est pas nécessaire de passer en revue tous nos renseignements sur les monuments de l'ancienne ville. Il suffit de dire que le centre religieux se trouvait, comme d'habitude, sur l'Acropole, où trois temples sont mentionnés, ceux d'Aphrodite, d'Artémis et du Soleil; qu'un quatrième temple, dédié à Poséidon, remplacé plus tard par l'église de Saint-Mènas, se dressait près de la pointe 29 ; qu'il y avait un gymnase. peut-être à proximité du bain d'Achille, qui existait encore à l'époque byzantine 30, 26. Nous sommes enclins à situer Kainopolis entre KadIrgalimam et Langa, sur le terrain plat de Kumkap., plutôt que sur la pente au Sud-Est du Forum Tauri, comme le fait Janin, CP byz., p. 362. Le nom Kainopolis semble être tombé en désuétude à une époque assez reculée : sauf une mention dans le Synaxaire (Syn. CP, c. 915,13), il n'apparaît dans aucune source postérieure à la Chronique Pascale (p. 570). 27. Il nous paraît évident, comme l'admet aussi Janin, Eglises, p. 273, que l'église désignée simplement sous le nom de Caenopolis dans la Notifia, p. 237, était celle de Saint-Agathonikos Kawoo"ô7\el. Elle devait se trouver dans la partie Est du quartier à cause de sa proximité avec l'Artotyrianos et Sainte-Barbe (Patria, p. 163-64), c'est-à-dire non loin de l'église grecque moderne de Panagia Elpis. 28. Parastaseis, p. 56, § 56 = Anon. de Treu cité ibid. en apparat =Patria, p. 177, § 48 : Proteichisma et porte construite par le légendaire Carus au Philadelphion, dont nous parlerons plus tard. 29. Pour les trois temples de l'Acropole, voir plus bas. POUl Saint-Mènas : Hésychios, p. 6-7. Statues de Zeus et de Kronos «sur les arcs en marbre au-dessus des deux grandes colonnes» : Patria, p. 140-41, § 51. D'après Denys de Byzance, § § 9-10, le temple de Poséidon, d'une simplicité bien archaïque, était ""
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et un théâtre peut-être sur la forte déclivité à l'Est de l'Acropole, là où une cavité arrondie a été remarquée en contrebas des cuisines du Sérail 31. Plus importante pour notre propos est l'existence de deux places qui survécurent à l'époque byzantine. L'une, correspondant sans doute à l'agora grecque, s'appelait le Stratègion. On a l'habitude de la situer trop haut, près de la Sublime Porte ottomane. En réalité, elle devait se trouver tout près du port, c'est-à-dire aux alentours de la gare de Sirkeci 32. La seconde est celle que Zosime appelle le Tétrastoon, grande place entourée de portiques, dont une partie devint l'Augoustéon byzantin et qui correspond à l'espace ouvert au Sud de Sainte-Sophie 33. Ces deux places étaient certainement reliées par une grande rue : encore au VIe siècle l'empereur se rendait en char pour visiter les entrepôts du Stratègion 34 • Or si nous situons cette rue au fond du vallon qui descend de Sainte-Sophie versSirkeci, comme nous l'avons fait sur notre plan, nous constatons qu'elle forme un angle droit par rapport à la Mésè byzantine. On y devine la base du quadrillage que l'on s'attend à trouver dans une cité antique. Comme toutes les autres villes de l'Orient grec, Byzance s'orna pendant la période impériale de ses monuments les plus prestigieux. A tort ou à raison, la tradition byzantine les attribue tous à Septime Sévère, devenu, comme G. Dagron l'a très bien montré, une espèce de proto-Constantin 35. Parmi ces monuments, il faut mentionner l'Hippodrome, dont on nous dit qu'il ne fut achevé que par Constantin, les célèbres thermes de Zeuxippe, l'amphithéâtre ou Kynègion, situé près de la mer à l'Est de l'Acropole, et une grande rue à portiques, comme on en trouve dans toutes les villes de l'époque, qui reliait le Tétrastoon à la porte terrestre, et qui forma ensuite le premier tronçon de la Mésè 36 . Aussi magnifique que fût le site de Byzance, il présentaitl'inconvénient de manquer d'eau potable, problème qui subsista pendant l'époque byzantine et jusqu'à nos jours. Ëvidemment, la population de l'antique Byzance, qu'on pourrait estimer très approximativement à quelque 20000 habitants, n'avait pas les mêmes exigences que celle de Constantinople à son apogée. Le ruisseau appelé Lykos, qui se déversait dans la baie au Sud de l'isthme, servait sans doute à abreuver les animaux et à faire la lessive. Pour le reste, on dut se tirer d'affaire à l'aide de citernes. Des recherches faites dans divers pays du monde méditerranéen, en Afrique du Nord aussi bien qu'en Gaule, ont montré que des centres urbains importants s'établirent sans qu'ils 31. G. Martiny, The Great Theatre, Byzantium, Antiquity 12 (1938), p. 89-93. 32. Puisqu'elle était proche des entrepôts du port. La localisation, pour ainsi dire traditionnelle, du Stratègion à la Sublime Porte s'appuie uniquement sur une interprétation (qui ne s'impose d'ailleurs pas) du passage des Patria (p. 141) relatif à la muraUle de Byzas. L'arc d'Urbicius (personnage historique du temps d'Anastase), mentionné ibid. comme étant l'une des portes de Byzance. était peut-être le même que la voûte (fombe) in foro StrlJtegii. au-dessus de laquelle se dressait une statue de la Fortune tenant une corne d'abondance (Marcellinus Cornes, a. 510). 33. Nous en avons parlé dans The Brazen House. p. 42 et suiv. 34. Cer., p. 699-701. Le cortège partait de l'Hippodrome. 35. Naissance, p. 15 et suiv. 36. La documentation relative aux constructions dé Sévère n'est pas antérieure au Vie siècle et se décompose en trois branches: 1) Zosime, II, 30, 2 (rue à portiques) ; 2) Hésychios, p. 15-16 ; Jean Lydos, De mens., l, 12 ; De magistr., III, 70 (thermes de Zeuxippe, Hippodrome) ; 3) Malalas, p. 291-92 =Chron. Pasch., p. 49495 (thermes de Zeuxippe; temple d'Hèlios ou d'Apollon sur l'Acropole; Kynègion en face du temple d'Artémis; théâtre en face du temple d'Aphrodite; Hippodrome inachevé; rénovation du Stratègion). La Souda, s.v. r.E{Jiipo~ offre une contamination des branches 2 et 3.
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fussent pourvus d'installations très compliquées d'adduction d'eau; ce ne fut, le plus souvent, que pendant l'époque impériale que les nouvelles habitudes de luxe (grands thermes et nymphées coulant constamment) exigèrent la construction d'aqueducs 37. Tel fut également le cas à Byzance, où un aqueduc portant le nom de l'empereur Hadrien est mentionné dans les sources écrites. Etant donné qu 'Hadrien en a édifié un autre à Nicée 38, tandis que Nicomédie s'en était construit un à grands frais sous Trajan 39 , il n'y a aucune raison de refuser à Hadrien la construction de celui de Byzance. Cet aqueduc, nous le savons par les documents, fonctionnait encore au VIe siècle, quand il fut réparé, et il alimentait précisément la vieille ville, y compris le Palais impérial, les thermes d'Achille près de la place du Stratègion ainsi que la Citerne Basilique aménagée par Justinien 40. Or, l'aqueduc d'Hadrien devait nécessmrement suivre la crête de l'isthme et enjamber la vallée à une vingtaine de mètres de hauteur entre la troisième et la quatrième colline; ce qui veut dire qu'il aurait dû se trouver précisément au même endroit que l'aqueduc que nous attribuons à Valens. Autre détail : pour alimenter son installation, Hadrien a certainement fait venir l'eau de la région bien irriguée la plus proche de Byzance, appelée en turc Halkah, au Nord-Ouest de la ville, dont le débit était en 1920 de 6 000 m 3 par jour, plutôt que de la forêt de Belgrade, région sensiblement plus éloignée, sur le haut Bosphore. Or, d'après les documents turcs, l'aqueduc dit de Valens était alimenté par les sources de Halkah et desservait la vieille ville, y compris l~ Sérail de Topkapl 41 ; ce qui nous conduit à supposer que l'aqueduc, que nous attribuons à Valens en nous fiant aux patriographes et à d'autres auteurs byzantins tardifs 42, était en réalité celui d'Hadrien. Telle était, en bref, l'antique Byzance. Pour une ville de sa dimension, elle semble avoir été assez bien pourvue de ce qui était nécessaire à l'existence quotidienne : elle avait un port protégé, dont l'ampleur correspondait sans doute aux besoins de son approvisionnement et de sa défense ; elle avait de l'eau grâce à Hadrien ; elle pouvait se nourrir des produits de son territoire, qui comprenait, comme Louis Robert l'a démontré, une partie de la région très fertile du Sud de la Propontide 43, sans parler des poissons que procurait en abondance le Bosphore et qui étaient tine source de richesse. Si le site de Byzance pouvait supporter une population de 20 000 habitants, pouvait-il également assurer à 250000 ou 300000 personnes le confort que la vie dans une capitale impériale présupposait? Je crois que non. Le problème ne se posa pas dès que Constantin y eut établi sa résidence, mais peu après ; sa 37. Voir en dernier lieu Ph. Leveau et J.-L. Paillet, L'alimentation en eau de CoellJlrea de Maurétanie et l'aqueduc de Cherchell, Paris 1976, p. 15, 17, 19, 166. 38. A.M. Sèhneider et W. Karnapp, Die Stadtmauer von Iznik (Nicaea), Berlin 1938, p. 44 et suiv., inscriptions nOs 10 et 18. 39. Pline le Jeune,Ep. X, 37-38. Voir aussi X. 90-91 pour Sinope. 40. Cod. Just., XI, 43, 6 (de 440 ?) ; Malalas, p. 435-36 ; Chrono Pasch., p. 619. 41. K.O. Dalman, Das Valens-Aquiidukt in Konstantinopel, Bamberg 1933, p. 24, 34. L'aqueduc romain, d'une centaine de mètres de longueur, dit Mazlum ou Ma'zul Kerner (région de Halkah) appartient au même réseau. Sur ce dernier cf. S. Eyice, Byzantinische Wasserversogungsanlagen in Istanbul, Leichtweiss Imt. !ür Wasserbau Braunschweig, Hft. 64 (1979), p. 5-6 et fig. 2-3. 42. PatriJz, p. 188, § 69 (0 a'l'w'l'oç TWV "''l'aÀwv aljJI6wv). A vrai dire, les autres textes invoqués à ce propos (Parastaseis, p. 67, § 44 ; Kédrènos, l, p. 685) ne désignent pas clairement l'aqueduc, qui existe toujours. 43. Hellenica, VlI (1949), p. 40 ; Un voyage d'Antiphilos de Byzance, Journal des savants, 1979, p. 269.
L'ANTIQUE BYZANCE
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solution exigea des entreprises de construction à vaste échelle et un système d'approvisionnement aussi compliqué et coûteux que fragile. Toute l'histoire de la grande ville que devint Constantinople dépend de cette infrastructure dont bien des aspects nous échappent.
II
LA VILLE DE CONSTANTIN
A peine deux mois après la défaite de son rival Licinius, Constantin délimita sa nouvelle capitale (novembre 324) qu'il inaugura le Il mai 330. Que signifient ces dates par rapport aux travaux concrets d'urbanisme? A quelle étape de la campagne de construction décida-t-on de célébrer la fête de la dédicace? Et quel était l'aspect de la ville lors de la mort de son fondateur sept ans plus tard? Autant de questions qui ne trouvent pas de réponse, car - il faut le dire tout de suite - nous ne possédons aucune source contemporaine qui nous donne des renseignements précis sur les travaux et les étapes de leur déroulement. Eusèbe, notre seul témoin oculaire l, ne s'intéresse qu'aux manifestations de la piété chrétienne de son héros, qu'il présente d'ailleurs d'une façon fort tendancieuse. Les discours de Julien et de Thémistios, si précieux qu'ils soient 2, apportent au total peu de réponses aux questions que nous venons de poser. Il faut descendre au VIe siècle pour trouver dans Zosime 3, dans Hésychios de Milet, dans Malalas, dans la Chronique Pascale, une description sommaire des travaux entrepris par Constantin, dont le souvenir s'était déjà estompé. Heureusement, nous possédons la Notifia qui présente un tableau synoptique de la ville telle qu'elle était au bout d'un siècle de croissance: une source pour ainsi dire officielle et de beaucoup antérieure aux écrivains que je viens de citer. Si nous pouvons aujourd'hui nous occuper de la topographie de la ville, c'est dû en grande partie à l'existence de cette Notifia sur laquelle Pierre Gilles avait déjà fondé son enquête. Avant d'aborder les constructions de Constantin, deux remarques s'imposent. En premier lieu, créer une «nouvelle» capitale, ce n'était nullement innover au début du
1. En effet, il passa quelques temps à la cour de Constantin en 335-336. Cf. T.D. Barnes, Constantine and Eusebius. Cambridge, Mass.1981, p. 266. 2. Pour l'attitude de Thémistios envers Constantinople voir G. Dagron, L'Empire romain d'Orient au Ive siècle, TM 3 (1968), p. 89-90. 3. On aimerait bien savoir à quelle source Zosime puisa ses renseignements sur Constantinople, si ce n'est pas dans Eunape. .
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LE Dl'VELOPPEMENT URBAIN DE CONSTANTINOPLE
Ive siècle. L'époque de la Tétrarchie avait multiplié les résidences impériales - Trèves, Milan, Sirmium, Antioche, Nicomédie, Thessalonique, Héraclée sur la Propontide - et, dans chaque cas, il y avait eu un programme de construction plus ou moins étendu. Les architectes de Constantin en avaient certainement connaissance, et il faut supposer que, tout en tenant compte des particularités du site, ils adoptèrent à peu près les mêmes procédés que les architectes de Dioclétien, Galère et Licinius. Parmi les villes que je viens de nommer, seule Trèves a été étudiée systématiquement, Sirmium en paitie, Milan et Thessalonique très peu, Nicomédie et Héraclée pas du tout, tandis qu'à Antioche le quartier impérial sur l'îlot de l'Oronte n'a pas livré ses secrets aux fouilleurs. Malgré l'insuffisance de la documentation actuelle, on peut déjà affirmer que l'architecture impériale de la Tétrarchie avait ses fonnules propres, telle la juxtaposition du palais et du cirque, qu'on trouve à Thessalonique, à Antioche, à Sirmium aussi bien qu'à Constantinople 4, telle aussi, à ce qu'il semble, l'érection dans un cadre monumental de grands mausolées impériaux en forme de roto~de (Thessalonique, Spalato, Constantinople). Elle se distinguait aussi par un style lourd et pompeux, un style étatique destiné à éblouir les masses, faisant abondamment usage du marbre de porphyre, de l'or et de l'argent. Il faut espérer que notre connaissance des capitales tétrarchiques, qui s'accroît petit à petit, éclairera du même coup les problèmes de Constantinople. En second lieu, il est évident que Constantinople n'a pu surgir tout achevée et pleine d'habitants en l'espace de quelques années. Divers indices, analysés déjà par G. Dagron 5 , portent à croire que la première étape du développement de la ville ne fut atteinte que vers 360, quand Constantinople fut placée sous l'administration d'un préfet urbain, quand elle reçut une grande cathédrale (Sainte-Sophie ou plutôt la Mégalè Ekklèsia), quand ses ressources en eau potable et sa capacité portuaire eurent été augmentées. Constantin ne fit que tracer les grandes lignes qui déterminèrent le développement ultérieur. Quelles étaient ces grandes lignes? D'abord, il commença la construction (car elle ne fut achevée que par son successeur) 6 d'une nouvelle enceinte fortifiée située~ comme le dit Zosime 7, à 15 stades, c'est-à-dire un peu moins de 3 km, à l'Ouest de celle de Byzance. De cette muraille constantinienne il ne subsiste aucun vestige, mais son tracé approximatif peut être déterminé tant par la configuration du terrain que par les indications des auteurs byzantins qui l'avaient sous les yeux, puisqu'elle subsista quelques siècles après la construction de l'enceinte théodosienne 8. Elle était encore debout au temps de la peste de 747 9 et sa grande porte cérémoniale, la Porte Dorée ou Porte de
4. Voir M. Vickers, The Hippodrome at Thessaloniki, J. ofRoman Studies 62 (1972), p. 31-32, qui observe que le palais impérial était régulièrement construit à gauche de l'hippodrome en regardant du côté des carceres. A Nicomédie également le palais et l'hippodrome semblent avoir constitué un ensemble bâti en même temps (ibid.• p. 31, n. 49). 5. Naissance. p. 521. 6. Julien, Or. l, 33. 7. II, 30,4. 8. Voir surtout Th. Preger, Die Konstantinsmauer, BZ 19 (1910), p. 450·61. 9. Théophane, p. 423. Une partie en fut détruite par le tremblement de terre de 860 : Skylitzès, p. 107.
LA VILLE DE CONSTANTIN
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Satourninos, marquée Antiquissima pulchra porta sur le panorama de Buondelmonti, ne fut renversée qu'en 1509 10. La petite église byzantine dite Isakapl mescidi, la mosquée de la Porte de Jésus, en marque à peu près l'emplacement. Le Dr. Paspatis, qui écrivait vers 1870, rapporte que les jardiniers turcs et chrétiens habitant dans ces parages se souvenaient d'une grande muraille près de l'église, muraille qui fut détruite, dit-il, quelques années auparavant 11 . D'autres portes aussi - celle appelée «Ancienne Porte du Précurseur», peut-être la Porte de Mélantias - constituaient des points de repère connus à l'époque byzantine. Il n'y a aucune raison de supposer que Constantin construisit également une muraille maritime sur la Propontide et la Corne d'Or, quoiqu'il ait pu conserver celle de Byzance. Si le comblement des grandes baies, dont nous avons parlé, était prévu par les ÏIi.génieurs de Constantin, la construction d'une muraille maritime aurait dû, en tout cas, être remise à la fin de cette opération 12 • Le point central, l 'omphalos de la cité constantinienne, fut établi par l'aménagement d'un grand forum circulaire, au centre duquel se dressait la colonne de porphyre qui existe toujours sous le nom de Çemberlita~ 13. A son sommet fut érigée vers 328 14 une statue colossale de l'empereur représenté sous les traits du dieu solaire 15 . Le Forum de Constantin se trouvait juste au-delà de la muraille antique dans l'axe des portiques de Sévère. Il était entouré d'une colonnade à deux étages, percée de part et d'autre par un arc monumental en marbre blanc 16. Une clef de voûte ornée de deux têtes de Méduse, trouvée dans ces parages au siècle dernier et conservée
10. Van Millingen, Walls, p. 21. Nous ne comprenons pas pourquoi Schneider, Byzanz, p. 7, nie l'existence d'une Porte Dorée dans l'enceinte constantinienne et rapporte celle de la Notitill, p. 239, à la muraille de Théodose. 11. Butav'I'wai IlE>.ha" p. 363. 12. La question des murailles maritimes est loin d'être réglée. D'après la Chronique Pascale (p. 583) leur construction fut ordonnée par Théodose Il en 439 (ÈKé>'fOOf ... 1'Ù 'l'''t' 'Yfvéo8a, ov /l>.'t' 'l'ci> 1rapa8a>.aooi", K",vo'l'av'I'tvOU7rO>'f"'~),mais il est surprenant que le patriuche Germain 1er , en évoquant le siège de 626, dise qu'il n'y avait pas à cette époque de muraille côtière (wç 1\'I'f 'l'fixouç 7rapa"!W>u XfJPfVouoav) : V. Grumel, Homélie de S. Germain sur la délivrance de Constantinople, REB 16 (1958), p. 195, § 16. La solution proposée pu Grumel, La défense muitime de Constantinople, BSL 25 (1964), p. 217 et suiv., à savoir que la muraille de 439 n'atteignait que le mur constantinien, est loin d'être certaine. L'épigramme de l'Anthol. Pal. IX, 689 fait aussi difficulté. S'il s'agit de l'empereur Julien et si l'inscription était bien sur la pqrte d'Eugène, à une faible distance à l'Ouest de la pointe de l'Acropole, on peut bien se demander contre quel ennemi il aurait construit une muraille (>'ao1717oa TfiXfa 7rT\Eaç) à cet endroit. La prétendue inscription du Préfet Constantin à Yeni Kapl (Langa), mentionnée pu Millingen, Walls, p. 180, n'est qu'un doublet de celle de Yeni Mevlevi Kaplsl (muraille terrestre). La faute en est due' au Patriuche Konstantinos, K",v17'1'av'l'w,à~ 1ra>'a.ta 'l'f Kal vf"''I'épa, 2e éd., Constantinople 1844, p. 30, qui a sans doute confondu deux portes portant le même nom turc. En fait, aucune inscription de la muraille maritime, soit du côté de la Propontide, soit du côté de la Corne d'Or, ne semble être antérieure au règne de Théophile. . 13. Sur cette colonne cf. nos remarques dans Constantinopolitana,JDJ 80 (1965), p. 306-13. 14. Chrono Pasch., p. 528 (la date n'est pas sûre) ; Théophane, AM 5821, p. 28. 15. En effet, la tête de la statue était ceinte d'une couronne radiée, ce qui est affirmé pu de nombreux auteurs. La tentative de J. Kuayannopoulos, pour donner une explication moins païenne de ce monument, Konstantin der Grosse und der Kaiserkult, Historill 5 (1956), p. 341-57, a été repoussée à juste titre par S.P. Kyriakidès, '[17'1'OptKà OfJllftwlla'l'a,'E>'>'fJV'Ka 17 (1960), p. 219-46. 16. Zosime, Il, 30, 4. Les deux arcs sont aussi mentionnés par Hésychios, p. 17, § 41. Sur l'uc oriental se dressait, parait-il, une statue de la Fortune ainsi qu'une croix plaquée d'argent: Patria, p. 205, § § 101-2. L'uc occidental portait l'épigramme conservée dans Anthol. Pal.. IX, 785.
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aujourd'hui au Musée d'Istanbul, appartenait, peut-être, à cet aménagement 17 • Sur le côté Nord du Forum s'élevait le Palais du Sénat, précédé d'un portique de quatre grandes colonnes de porphyre, devant lesquelles se dressaient les statues gigantesques d'Athéna et de Thétis 18. Faisant face au Sénat, du côté Sud, il y avait, semble-t-il, un nymphée 19 . Nous ne dirons que quelques mots concernant le complexe constitué par l'Hippodrome, les theI1l1es de Zeuxippe et le Palais impérial, S'il est vrai, comme l'affirment les auteurs byzantins, que l'Hippodrome fut commencé par Sévère et complété par Constantin, qui l'étendit vers la mer en construisant sur des so~bassements puissants la partie incurvée appelée Sphendonè 20, c'est l'Hippodrome qui déteI1l1ina l'emplacement du Palais. L'existence des theI1l1es de Zeuxippe, ensemble certainement plus vaste, qu'on ne le représente sur les reconstructions hypothétiques du Grand Palais 21 , était aussi un élément gênant qui rendait difficile une ordonnance claire et logique de la demeure impériale, Pourtant, on ne les supprima pas, Il est impossible d'expliquer comment les architectes de Constantin résolurent le problème et assurèrent au Palais la protection et l'isolement nécessaires, puisque de ce palais primitif aucun vestige n'a été retrouvé, Au moins pouvons-nous affirmer qu'il possédait une partie privée, qui comprenait les appartements réservés à la famille impériale, et une partie à demi publique, où se trouvaient les casernes de la garde et le Tribunal, grande cour dans laquelle se déroulaient les audiences et l'investiture des dignitaires. On y accédait, semble-t-il, à partir de l'antique place du Tétrastoon, rétrécie pour fOI1l1er une voie processionnelle menant au vestibule du Palais 22, près duquel se dressait un second bâtiment du Sénat, dont la fonction exacte nous échappe 23. Du côté opposé du Tétrastoon, à l'angle Nord-Ouest, se trouvait la Basilique, vaste cour à portiques dont l'emplacement et l'étendue sont indiqués par la citerne que Justinien fit creuser sous la partie découverte de la cour 24. La Basilique existait déjà dans les années 340, quand le jeune Julien y fréquentait les écoles 25. A côté de la Basilique, un arc monumental ou tétrapyle marquait le
17. D'après Curtis, Broken Bits, Il, nO 31, le bloc en question fut trouvé en 1869 dans les fondements d'une maison au Sud de la colonne de Constantin. Un médaillon circulaire à tête de Méduse proviendrait aussi, semble-t-il, du Forum : G. Mendel, Catal. des sculptures grecques, romaines et byzantines, l, Constantinople 1912, nO 145. 18. Sur le Sénat l'essentiel a été dit par Th. Reinach, Commentaire archéologique de Constantin le Rhodien, p. 55-{j0, qui se trompe cependant en affirmant que l'édifice était «pourvu d'un dôme gigantesque». Sur les statues: R. Jenkins, The Bronze Athena at Byzantium, J. of Hell. Studies 67 (1947), p. 31-33 ; Further Evidence Regarding the Bronze Athena at Byzantium,Ann. Brit. School at Athens 46 (1951), p. 72·74. 19. Mentionné uniquement par Kédrènos, 1, p. 610. 20. Pàtria, p. 145, § 61. Voir aussi supra, ch. J, n. 36. 21. Par exemple celles de J. Ebersolt, Le Grand Palais de Constantinople, Paris 1910, et de l'abbé A. Vogt, t. J du Commentaire de son éd. du Livre des Cérémonies, Paris 1935. S. Miranda, Étude de topographie du Palais Sacré de Byzance, nouv. éd., 1976, a donné aux thermes de Zeuxippe des dimensions plus réalistes. 22. Voir notre The Brazen House, p. 42 ct suiv. 23. Ibid., p. 56 et suiv. avec la suggestion que le Palais du Sénat survécut sous le nom de la Magnaure. 24. Voir ibid., p. 48-51 et P. Speck, Die kaiser/iche Università't von Konstantinopel, Byz. Archiv 14, Munich 1974, p. 92-107. Ces deux travaux sont maintenant à corriger d'après A. Cameron, Theodorus TPw
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commencement de la grande rue : c'était le Milliaire d'Or que les byzantins appelaient Milion 26 • Un autre point fixe de la cité constantinienne nous est fourni par l'église des SaintsApôtres, dont l'emplacement approximatif est occupé par la mosquée de Fatih. Je dis emplacement approximatif, parce qu'une source grecque du XVIe siècle affirme, à tort ou à raison, que les vestiges de l'église se voyaient encore parmi les bâtiments de l'imaret, c'est-à-dire l'hospice de Fatih, à une faible distance au Sud de la mosquée 27. Sans entrer dans les détails d'un problème qui a suscité bien des controverses, je -me contenterai de dire qu'à mon avis Constantin y construisit, non une église, mais un mausolée de fonne circulaire, semblable à celui de Galère à Thessalonique, et que la description bien connue d'Eusèbe s'applique à ce mausolée 28. Je crois que la basilique cruciforme des Saints-Apôtres fut accolée au mausolée par Constance II. Il est à noter que ce monument du fondateur se trouvait sur l'emplacement le plus élevé de la ville, tout près de la muraille, où il y avait certainement une porte. Ayant établi cette série de repères - Tétrastoon avec le Palais et l'Hippodrome, Forum, Porte Dorée, Saints-Apôtres - nous sommes prêts à aborder le problème des grandes artères de la ville, qui est essentiellement celui de la Mésè ou rue centrale. Il nous paraît en effet plus que probable que le tracé de la grande rue faisant communiquer la Porte Dorée d'une part et les Saints-Apôtres d'autre part, avec les deux centres du Forum et du Palais, a dû être établi sous Constantin. La partie orientale de cette rue ne soulève aucune difficulté. Les observations d'Ernest Mamboury 29 et les fouilles allemandes sur l'emplacement du palais d'Antiochos 30 ont en effet démontré que la Mésè, avec les égoûts parallèles disposés au-dessous de la chaussée, suivait un parcours strictement rectiligne à partir du Milliaire jusqu'à l'arc théodosien qui se trouve à l'Ouest de la place de Beyazit, et peut-être au-delà de cet arc. La largeur de la Mésè, y compris ses portiques, était d'environ 25 m, largeur nonnale pour une grande ville de la basse Antiquité, comme Antioche, Apamée, etc. 31. Jetons maintenant un coup d'œil sur la carte (Plan 1). La Mésè se perd sur la pente qui descend dans le vallon d'Aksaray, mais de l'autre côté du vallon on remarque une vieille rue, la Cerrahpa~a Caddesi, rue étroite mais presque rectiligne sur un parcours de 1800 m, qui passe tout près de la colonne d'Arcadius 32 et à une 26. Représenté peut.être par un pilier de marbre trouvé en 1967-1968 : Müller-Wiener, Bildlexikon, p. 216218. 27. Ecthesis chronica. éd. S. Lambros, Londres 1902, p. 19 : inrijpx€ -yàp à VcW( ÈK€WOÇ Èv <\> ÈOTL vûv 1)~apd.Twv TOU aovÀ.'ràv MEElJi'Tll èv 1'~ VOTta'~ #lÉPEt' ïa7"4VTaL "'(àp Kat El( TWV KTWf.&aTWV aVioû ëw( TOÛ vûv. N. Fùath,Ist. Arkeol. Müz. Yrll/lr 4 (1950), p. 41-42 (=61), nO 6, croit aussi que l'église n'occupait pas le même emplacement que la mosquée..Sur quelques fragments de sculpture trouvés dans la cour de la mosquée voir S. Eyice, CA 8 (1956), p. 63-74. 28. Vita Constantini, IV, 58-60. Nous reviendrons ailleurs sur ce sujet. 29. Byz 11 (1936), p. 253_ 30. R. Naumann, Vorberkht über die Ausgrabungen zwischen Mese und Antiochus-Palast 1964 in Istanbul, IstMitt 15 (1965), p.145 s. et fig. 5. 31. Cf. R. Martin, Commentaire archéologique de l'Antiochikos dan.s A.·J. Festugière, Antioche païenne et chrétienne, Paris 1959; p. 39. 32. En 1982, nous avons vu sur le Cerrahpala Caddesi, tout près de la colonne d'Arcadius, un amas de grands fûts en granit qui appartenaient sans doute au portique du forum.
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faible distance au Nord de l'Isakapl Mescidi, qui marque, comme nous l'avons indiqué, l'emplacement approximatif de la première Porte Dorée. Cette rue se prolonge au-delà de l'enceinte constantinienne jusqu'à l'église byzantine de Saint-André in Krisei, où elle se perd dans un dédale de ruelles irrégulières. Il me parait <:ertain - et je ne suis pas le premier à l'affirmer 33 - que la Cerrahpa~a Caddesi représente la partie occidentale de la Mésè, celle qui était bordée par les portiques dits de Troade, les porticus Troadenses de la Notifia. Nous avons ainsi presque tout le parcours de la Mésè depuis le Milliaire jusqu'à la Porte Dorée de Constantin. Mais il reste à déterminer le point où elle bifurquait pour atteindre l'église des SaintsApôtres. Après Constantin une série de places ou fora furent établies sur la Mésè. D'Est en Ouest, on trouvait le Forum de Théodose ou Forum Tauri, qui correspond à la place de Beyazit, le Foros Amastrianos 34 , le Forum du Bœuf, enfin le Forum d'Arcadius ou Xèrolophos, dont l'emplacement est connu grâce au piédestal de sa colonne. Etant donné que ni l'Amastrianos ni le Forum du Bœuf ne sont mentionnés dans la No ti tia, il faut supposer qu'ils étaient d'origine plus récente. Aucune de ces places n'appartenait, répétons-le, à l'époque de Constantin. A une certaine distance à l'Ouest du Forum de Théodose nous rencontrons cependant un endroit, carrefour plutôt que place, que les Byzantins nommaient Philadelphion et qui était orné de plusieurs monuments de porphyre de date vraisemblablement constantinienne. D'après les itinéraires décrits dans le Livre des Cérémonies 35, la bifurcation de la Mésè se trouvait au Philadelphion, que presque tous les spécialistes s'obstinent à placer près de la mosquée de ~ehzade (fig. 4) 36. Voyons d'abord quels monuments ornaient le Philadelphion. D'après les patriographes, ils étaient les suivants : un pilier en porphyre de forme carrée qui supportait une croix, car c'est là, disait-on, que Constantin avait eu la vision de la croix au ciel; des statues des fils de Constantin qui s'embrassaient l'un l'autre, d'autres statues de ces mêmes fils assis sur des trônes, enfin des statues d'Hélène, mère de Constantin,
33. Voir A.M. Schneider,BNJ 15 (1939), p.184. 34. Janin, CP byz, p. 68, a tort d'affiImer qu'«aucun texte ne dit positivement que l'Amastrianum était un forum». Le Livre du Préfet, XXI, 10, p. 60, en parlant des maquignons, ordonne que "ciVTa elç TOV TO'; 'AjlaUTp14VO'; <popov ii~wvela8w.
35. L'itinéraiIe le plus significatif est celui du lundi de Pâques (Cer.. p. 75), quand l'empereur, qui se rend de Sainte-Sophie aux Saints-Apôtres, ayant dépassé le Tauros et l'église Notre-Dame tôn Diakonissès (peut-étre le complexe d'églises découvert s6us le bâtiment de l'Université), arrive au Philadelphion, puis tourne à droite (ÈKKÀwe, TO 6e~ûlV jlÉpoç) pour poursuivre son chemin vers l'église Saint-Polyeucte. Il est à noter que le Philadelphion se trouvait aussi bien sur le parcours Grand Palais - Xèrolophos (Cer .. p. 56, 100,106,502) que sur celui Grand Palais - Saints-Apôtres (p. 50, 83). 36. Le seul moyen de maintenir la localisation du Philadelphion à ~ehzade est d'adopter la solution de Janin (notre fig. 4) qui, tout en s'accordant dans l'abstrait aux données des itinéraires impériaux, ne tient pas compte du fait que les égoûts de la Mésè passaient sous l'arc théodosien de Beyazit. Nous croyons que les topographes qui se sont occupés de ce problème depuis la fin du XIxe siècle ont été influencés par le réseau routier moderne. Or, la grande rue que suivait autrefois le tramway de la place de Beyazit à ~ehzade (Darulfunun Caddesi, Vezneciler Caddesi) n'est pas ancienne, puisqu'elle n'apparaît pas encore sur la carte turque de 1876 enviIon (cf. supra, Introduction, n.. 7). Seul R. Naumann, Der antike Rundbau beim Myrelaion, IstMitt 16 (1966), p. 209·211, a correctement localisé le Philadelphion.
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de Julien et de sa femme (appelée à tort Anastasie) 37 Le savant italien Paolo Verzone a eu le mérite de reconnaître que les statues qui s'embrassaient étaient les deux groupes des Tétrarques à Venise 38, théorie qui reçut une confirmation éclatante quand le pied manquant d'un des- Tétrarques fut retrouvé lors de la fouille allemande autour de la rotonde byzantine située près de l'église du Myrélaion (l'actuel Bodrum Camü), juste au Sud du tracé probable de la Mésè 39. La découverte du pied, petit objet qui aurait pu se déplacer, ne prouve pas nécessairement que le Philadelphion se trouvait à cet endroit, mais s'ajoute à d'autres raisons, trop longues à exposer ici, qui rendent très probable cette localisation 40. Quant aux statues assises, également en porphyre, elles durèrent jusqu;à la fin du Moyen Âge. Le peuple de Constantinople les appelait b,uww"piTat et les pèlerins russes Pravosudy, c'est-à-dire les Juges équitables, car on racontait que pour résoudre toute dispute concernant le prix d'une marchandise il suffisait de placer une somme d'argent dans la main d'une de ces statues et d'y ajouter des monnaies jusqu'à ce que le prix juste fût atteint, tout supplément étant rejeté 41 • Ces statues, mutilées, disait-on, par les Croisés, se trouvaient, d'après ManuelChrysoloras 42, entre les deux colonnes historiées, celles de Théodose et d'Arcadius,ce qui correspond parfaitement à l'emplacement du Philadelphion, non loin de la rotonde. On peut se demander si la tête en porphyre d'un empereur, qu'on voit encore sur le balcon de Saint-Marc à Venise,n'appartient pas à l'un des Juges équitables 43. La concentrationau Philadelphion d'un nombre important de monuments en marbre de porphyre - matériau dont remploi pour les statues devient de plus en plus rare après l'époque de la Tétrarchie - nous porte à croire, Sans trop nous fonder sur les identifications toujours sujettes à caution des patriographes, qu'il s'agissait bien d'un
37. Parastaseis, p. 58, § 58 (amplifié dans Patria, p. 178, § 50) el p. 66-67, § 70 (=Patria, p.I77, § 48). Le pilier carré en porphyre est vraisemblablement celui qui portait les trois épigrammes de Musellius, praepositus sacri cubiculi en 414, Anthol. Pal. IX, 799-801, qu'on pourrait imaginer disposées sur trois faces du monument, la plus longue ('10 799) sur la face principale et les deux distiques (800·801) sur les faces latérales. Les Patria, p. 178, prétendent qu'il y avait une inscription en latin (-ypo./oi/oiaTa 'Pw/oIai'a Tà goxaTa ot}/oialliOvTa) : elle aurait pu, en effet, avoir été bilingue. La description de Constantin le Rhodien, vv. 163-177, si elle se rapporte bien au même pilier, n'ajoute aucun élément nouveau. Notons en passant que le nom du Philadelphion était d'origine populaire : il n'apparaît ni dans la Notifia, ni dans les textes législatifs ancÎens, ni dans la description de la rentrée de Justinien en 559. sur laquelle voir plus bas, n. 44. 38. (due gruppi in porfido di San Marco cd il Philadelphion di CoMantinopoli, Palladio, n.s. 8 (1958). p. 8 s. 39. Naumann, Der antike Rundbau, p. 209 et pl. 43, 2. La découverte du pied est due à Nezih Fuatlt. 40. La discussion récente sur le Philadelphion dans C.L. Striker, The Myrelaion (Bodrum Camii) in Istanbul, Princeton 1981, p. 7·8, n'a aucune valeur. 41. Les textes relatifs aux Juges équitables (pèlerins russes, pseudo-Dorothéos de Monembasie) ont été réunis par nous dans The Legend of Leo the Wise, Zbornik rad. Vizant. Inst. 6 (1960), p. 75-76. Le pèlerin Zosima se trompe en les plaçant près du monastère de la Péribleptos. 42. PC 156. c. 4SA : Il/olw~ 6è Înrep{Jal\I\o/ol'vwv Oes reliefs des deux colonnes historiées) Kal TWV 6 .à /oI,oou TOVTWV Tijç "OP'PuptTIÔO~ I\{(Jou ".1fOLt}/oI'VWV av6puiuTWV, EV 8PÔVOL~ E1fl TPw60u Ka8t}/oIt!vwv, ole: 6vo/ol0. TL KaTà TOVTOU~ à.'Yopavo/ol{a~ Kal à.pxii~ E1f"ff//oitr.Tat.
43. L'attribution de cette tête à Justinien II. proposée par R. Delbrueck. Carmagnola, RomMitt 29 (1914). p. 71-89, et maintenue par lui dans Antike Porphyrwerke, Berlin-Leipzig 1932. p.119, est aujourd'hui généralement abandonnée en faveur de Justinien 1 : voir, par exemple, R.H.W. Stichel, Die r6mische Kaiserstatue am Ausgang der Antike. Rome 1982. p. 64·65. A noter cependant l'observation de Delbrueck, Antike Porphyrwerke, p. 11, à propos des sculptures en porphyre : «Kaum eine der erhaltenen oder überlieferten Skulpturen - mit einer ganz spaten Ausnahme (la Carmagnola !) - istjünger ais etwa 350».
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ensemble constantinien, Or, nous l'avons dit, c'est au Philadelphion que le cortège impérial, venant du Palais, tournait à droite pour se diriger vers les Saints-Apôtres. Si, donc, nous situons le Philadelphion à peu près à l'emplacement de la mosquée Lâleli, et non à celui de la mosquée 1?ehzade, nous pouvons, à partir de ce point, tracer une ligne droite qui passe par la colonne de Marcien et juste au Sud de l'église des Saints-Apôtres pour aboutir au tracé présumé de la muraille constantinienne. Depuis le Philadelphion jusqu'à la porte terrestre, cette branche de la grande rue aurait eu une longueur d'un mille romain exactement. Avant de quitter le Philadelphion, il convient de signaler un autre monument qui s'y trouvait et auquel on n'a pas prêté l'attention qu'il mérite, je veux parler du Capitole. Le Capitole, qui devint en 425 le siègé de ce qu'on appelle l'Université de Constantinople 44 ,existait certainement au Ive siècle, puisqu'il est signalé qu'en 407 une tempête renversa la croix ou le chrisme qui se dressait sur son toit 4S. Quoique christianisé à cette époque, un Capitole au IVe siècle ne pouvait être qu'un temple de Jupiter Capitolin ou plutôt de la triade Jupiter, Junon et Minerve, symbole essentiel de la romanité dont Constantin voulait investir sa ville. Etant donné que ce sanctuaire était situé en dehors de l'antique Byzance, il ne saurait remonter à une époque antérieure à Constantin. Sa construction ne peut donc être attribuée qu'à Constantin ou à Julien et, pour notre part, nous songerions plutôt au premier 46 , ce qui mettrait à l'actif de l'empereur «très chrétien» un monument de plus, d'une signification religieuse bien ambiguë. Quoi qu'il en soit, la présence du Capitole près du Philadelphion souligne l'importance de cet endroit dans le plan constantinien de la capitale. Il nous reste à déterminer la place d'un dernier monument qui appartenait vraisemblablement au tracé primitif. Nous savons par divers textes que Constantinople possédait un tétrapyle appelé Chalkoun Tétrapylon, c'est-à-dire un arc à
44. Cod. rheod.• XIV, 9, 3 ; XV, l,53 et le commentaire de P. Lemerle, Le premier humanisme byzantin, Paris 1971, p. 63-64,65 n. 58, avec discussion de la théorie de C. Wendel qui nous paraît contestable. L'école du Capitole fonctionnait encore au milieu du Vie siècle (Lydos, De magistr., III, 29), mais il n'en est plus question à une époque postérieure, quoique le nom (qui n'apparaît pas dans les Patria) se conservât comme point de repère topographique: Cer., p. 501-502 (triomphe de Basile 1er ) ; Typicon de la Grande Eglise, éd. J. Mateos, Orient. christ. anal. 165 (1962), p. 366 ; Syn. CP, c. 882, 18. 11 est à noter que le Capitole définissait l'aboutissement à l'Ouest des portiques de la Mésè, qui ne reprenaient, semble-t-j), que sur la septième colline sous le nom de porticus Troadellses. Ceci ressort de la loi de Zénon, Cod. Just., VIII, 10, 12, § 6, 1'1/6evi o~eival lToÀÀo,k o'l'e~;j~ Kiova~ OV Taî~ 61/l'ooial~ oToaiç Tai~
IllTà TOP KaÀovl'évov MIÀiov liXPI TOP KalTeTwÀiov IllTO'l'paTTew.
De même, Justinien, lors de son retour à Constantinople en 559, s'étant arrêté aux Saints-~pôtres, descendit (KaT;jÀ6ev) au Capitole, et c'est là qu'il entra dans la Mésè (.w;jÀ6ev.1c nlV Méo1/v). Et plus loin, Ka! Il''ÀWç. Il,,o TO;; Ka"ITwÀÎov l'éXPl Tii~ XaÀK'ÎÇ TO;; "aÀaTiov "4vTa ."e"ÀTjpwTo : Cer. p. 497-498. Ceci veut dire que la Mésè, à proprement parler, s'étendait du Palais au Capitole. Je ne sais pas s'j) faut attribuer une signification précise aux mots de Corippus, In laud. Justini, III, 124-125 (à propos du .triomphe de Justinien en 534) : «Iustinianus ovans, quarto cum consule princeps/alta triumphali tereret Capitolia pompa». Cette référence n'est pas commentée dans la récente éd. de Corippus par Averil Cameron, Londres 1976. 45. Chron. Pasch., p. 570 : TO Ol')'VOXPtOTOV TO;; Ka"'TwMlV. 46. La seule source qui attribue explicitement le Capitole à Constantin est la Vita Constantini du cod. Angelicus : Hésychios, p. 18 en apparat. D'autre part, le Capitole n'est pas nommé par Zosime, III, 11,3, parmi les constructions de Julien. La plupart des érudits modernes maintiennent l'origine constantinienne du monument sans en comprendre la signification religieuse. Cependant O. Kuhfeldt, De capitoUis imperii romani, Berlin 1883, p. 54-55, affirme avec raison que le Capitole de Constantinople était un temple païen.
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quatre ouvertures revêtu de plaques de bronze. Les tétrapyles étaient très répandus dans les villes de l'Empire romain et marquaient le croisement de deux rues importantes, normalement celui du cardo et du decumanus. Où donc se trouvait le tétrapyle de Constantinople? Tous les topographes l'ont situé, avec le Philadelphion et le Capitole, dans les parages de ~ehzade, où l'on a même essayé de découvrir une rue transversale Nord-Sud, qui expliquerait l'ouverture relativement large de l'un des arcs de l'aqueduc dit de Valens 47. Or, il est facile de démontrer que le tétrapyle se trouvait dans un endroit tout à fait différent. En voici la preuve. Juste avant sa chute, l'empereur Phocas éleva une grande colonne composite (uuvOEroç), c'est-àdire une colonne bâtie avec des blocs de pierre, non monolithe, sur laquelle il avait sans doute l'intention de placer sa propre statue 48. Cette colonne, la dernière en date d'une longue série de colonnes honorifiques, se dressait à l'Est de l'église des Quarante-Martyrs et près du Chalkoun Tétrapylon. Deux ans plus tard, en 612, Héraclius érigeà une croix sur la colonne inachevée 49, et ce monument, qu'on ne tarda pas à attribuer à Constantin, subsista pendant tout le Moyen Âge. Au XIVe siècle Nicéphore Calliste le décrit comme un haut pilier composé de blocs de marbre (ëK Jlapllapwv UVVTEOEI.J1€VI.(.') et cite même un vers de l'inscription qui s'y trouvait, 'Ep-yov OEa.pEurov (3aULÀ€Wç IlE-ya.Àov 'Hpa.KÀEwç 170pOOEV50. Sans doute s'agit-il d'un fragment mal lu (l;original étant probablement en hexamètres) de l'inscription gravée par Héraclius en 612. L'identification du monument ne peut donc faire de doute. Or, d'après Nicéphore Calliste, ce pilier se trouvait dans un endroit dit Artopolion, où les Patria aussi signalent une colonne à croix qui se dressait au milieu d'une cour pavée; 1TÀrtUWV rwv 'Apro1TwÀ€LWV 51. L'Artopolion ou Artopoleia, quartier des Boulangers, nous est bien connu grâce au Livre des Cérémonies et se situait entre le Forum de Constantin et celui de Théodose 52, que 500 in environ séparaient. Juste entre les deux places on reconnaît encore un carrefour important, où le Divanyolu actuel, c'est-à-dire la Mésè, rencontre une vieille rue, l'Uzunçar~1 Caddesi, qui traverse le bazar et descend en ligne droite vers la Corne d'Or. Le Père Janin y avait déjà reconnu l'embolos ou portique de Domninos, souvent mentionné dans nos textes 53. On devra vraisemblablement restituer une continuation de cette rue transversale du côté de la Propontide, en direction du port de Julien dont nous parlerons plus loin.
47. Dalman, Der Valens·Aquiidukt, p. 40-41,45, 54 s. 48. Chron. Pasch., p. 698-699. 49. Ibid., p. 703. 50. VIll, 32,PG 146, c. 121. 51. P. 185, § 64.
. 52. P. 50-51, 56, 75,84,106,502. Le 'l'OIJPVtKOV TWV 'APT01fWÀWV des deux premiers passages désignait sans doute ce qui restait du Tétrapylon. Le déplacement de ce monument entraîne aussi celui de l'église des QuaranteMartyrs qui se trouvait à l'Ouest de la colonne. La discussion des églises des Quarante-Martyrs par Janin, Églises, p. 482 s., est à reprendre en grande partie. En effet, son nO 3 (TeuuapciKovTa ",d.pTIJpeç Tfiç MéuT)ç) est identique au nO 6 (Teuu. ",d.PTIJpeç 1fÀT)ulov TOÛ xaÀKOû TeTpamÎÀolJ). II s'agit de l'église commencée par Tibère, achevée par Maurice et restaurée plus tard par Andronic 1er . Elle était située au Sud de la Mésè puisque son portail Nord regardait KaT' a'l'oPciv : Nicétas Choniate, p. 332, A noter la tradition selon laquelle l'église occupait l'emplacement de l'ancien Prétoire: Théophane, p. 267 ; PatrÛl, p. 234, § 46. Le quartier Tà BL'l'ÀevTlaç, avec ses églises de la Théotokos, Saint·Procope et Saint-Polyeucte, est à placer dans les mêmes parages, 53. "tudes de top'ographie byzantine, EO 36 (1937), p. 129-156 ; CP byz, p. 89-90, 344-345.
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Au terme de cette brève recherche nous sommes arrivés à établir la situation de quelques-unes des principales rues de Constantinople remontant probablement à l'époque du fondateur. Il y en avait certainement beaucoup d'autres, puisque la Notifia signale 50 portiques, qualifiés de magnae, maiores ou perpetuae, pour les douze régions urbaines. Si l'on admet le tracé hypothétique que nous avons proposé pour la rue reliant le Tétrastoon au Stratègion, on obtient deux grandes rues Nord-Sud, strictement perpendiculaires à la Mésè et formant la base d'un quadrillage qui s'étendait probablement sur une grande partie de la ville constantinienne, ville qui fut conçue d'un seul coup, comme Saint-Pétersbourg, au lieu de se développer au hasard. Et si de ce quadrillage il ne reste actuellement presque rien, on devrait se demander dans quelle mesure sa disparition progressive ne commença pas dès l'époque byzantine, Dans notre enquête nous avons laissé de côté un problème difficile: l'emplacement des portes de l'enceinte constantinienne, qui correspondaient certainement aux routes d'accès à la capitale, en particulier à la Via Egnatia, la principale artère de la péninsule balkanique. Aussi surprenant que cela paraisse, nous ne savons pas à quel endroit la Via Egnatia arrivait à Byzance au début du Ive siècle. Il découle de l'Itinéraire d'Antonin que l'Egnatia, après avoir atteint Héraclée sur la Propontide, ne suivait pas la côte, sans doute pour éviter les lagunes de Büyük et Küçük Çekmece, mais se dirigeait plus au Nord, vers une localité appelée Cenofrurio 54, et atteignait ensuite le village de Mélantias, qui était la dernière étape, à une distance de 18 ou 19 milles de Byzance 55. Or, il existait à Constantinople une porte Til<; MeÀavn<Îoo<;, connue par la Passion des Saints Notaires 56, que l'on a attribuée, à tort ou à raison, à la muraille constantinienne, et qui se trouvait certainement au Nord de la Porte Dorée, sans que l'on sache exactement où 57. Nous nous contentons de signaler ce problème, qui n'est pas sans importance et dont dépend la localisation d'une série d'agglomérations appelées Deutéron, Triton et Pempton, 54. Cenofrurio, où fut assassiné l'empereur Aurélien, correspondrait à Kurfah d'après G. Seure, Antiquités thraces de la Propontide, BCH 36 (1912), p. 560-562. 55. Itinerario romana, l, éd. O. Cuntz, Leipzig 1929, Wess. 138,230,323,332. De même la Table de Peutin· ger (Perintus, ad Statuas, Mebutiana, cette dernière localité à 24 milles de Constantinople) : cf. E. Oberhummer, art. Egnatia via, RE, V, c. 1991. Le Ravennas situe Melantias et Cenofrurio parmi les villes de l'intérieur de la Thrace (ad mesogia ipsius Tratie) .' ltin. romana. II, éd. J. Schnetz, Leipzig 1940, p. 48. Mélantias, où il y avait une villa impériale, est généralement identifiée à Yanm Burgaz, au fond de la lagune de Küçük Çekmece, ce qui correspond plus ou moins à la distance de 18/19 milles de Byzance, mais ne s'accorde pas avec Agathias, V, 14, 5, qui, tout en donnant la même distance (140 stades), précise que Mélantias se trouvait au bord du ruisseau Athyras, lequel, ayant dépassé cette localité, se dirigeait vers le Nord-Est pour se déverser dans la Propontide : passage reproduit dans la Souda, s.v. MeÀavTl:!: 12 (1877·1878), p. 39, croit que Yarlm Burgaz correspond à :!:x,râ (Anne Comnène, II, 6, 10), nom qui, en effet, a le même sens (coupé en deux). 56. Qui y furent enterrés: P. Franchi de' Cavalieri, Il martirio dei Santi Notari,AnBol/ 64 (1946), p. 170, 175. Cf. Syn. CP, c. 162, 19 : tJ.euTÉP'(J. La seule autre mention de cette porte est dans Chrono Pasch., p. 590. Sur la légende des saints Notaires voir Dagron, Naissance, p. 433 S. 57. R. Janin, EO 36 (1937), p. 155·156 ; 37 (1938), p. 86, ainsi que A.M. Schneider, BZ 37 (1937), p. 153 ; BN! 15 (1939), p. 181, tout en étant en dé~accord sur maints détails, croient tous les deux que la porte de Mélantias appartenait à la muraille de Constantin; ce que nie Franchi de ' Cavalieri, op. cit., p.153, n. 2. Les données ne nous paraissent pas suffisamment claires pour trancher la question.
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agglomérations qui ne semblent d'ailleurs pas s'être trouvées sur le même alignement S8. Quoiqu'il en soit, la fondation de Constantinople entraîna le déplacement de l'Eghatia vers le littoral (dès 333) S9, ce qui explique la position méridionale de la Portel)orée aussi bien que le développement au cours du Ive siècle du faubourg de l'Hebdomon. On est toutefois surpris d'apprendre que jusqu'à l'époque de Justinien une partie de la route côtière n'était pas encore pavée et que le pont de Rhègion (Küçük Çekmece) était en bois 60. Le coup d'œil que nous venons de jeter sur la ville de Constantin est révélateur à plusieurs égards. Il nous montre d'abord que les centres économiques et administratifs, ainsi que les lieux de loisir, restèrent dans le périmètre de la ville antique: je veux parler du Palais impérial, de l'église épiscopale Sainte-Irène, de l'Hippodrome aussi bien que de l'amphithéâtre, des thermes publiques, qui étaient à cette époque ceux de Zeuxippe et d'Achille. Les deux ports anciens, ceux du Néorion et du Bosphorion, étaient seuls à assurer l'approvisionnement de la ville. C'est à peine si le Forum, avec le Palais du Sénat, était extérieur à l'ancienne enceinte. Bref, la partie ajoutée par Constantin resta périphérique par rapport au centre et ne reçut à l'origine aucun ensemble monumental lié au fonctionnement de la ville. S'il en fut ainsi, c'est probablement parce que l'espace ajouté n'était pas encore habité : les services urbains et étatiques s'établirent par conséquent dans les quartiers à peuplement. Seconde constatation. Constantin n'a pas su profiter du site magnifique de l'Acropole, comme le fit onze siècles plus tard Mehmet le Conquérant en y établissant son Sérail. Fidèle à sa politique religieuse, Constantin ne toucha pas au centre cultuel païen, qui resta debout assez longtemps quoique désaffecté. Au VIe siè'ltle, semble-til, les trois principaux temples étaient toujours là, celui du Soleil transformé en maison de rapport appartenant à Sainte-Sophie, celui d'Artémis en taverne, celui d'Aphrodite en écurie où étaient gardés les chariots du Préfet du Prétoire 61. En
58. La situation de ces quartiers a été longuement débattue, notamment par Janin et Schneider. lace. eitt. Janin a d'ailleurs embrouillé la question en confondant kilomètres et milles. A priori, il paratt probable que toutes ces localités, ainsi que l'Hebdomon, l'Hénaton et le Dékaton, désignent les milliaires. Mais sur quelle route? Quant au Deutéron, Schneider a certainement raison en le restreignant à la région entre l'église des Saints·Apôtres et la porte d'Andrinople. Or, si l'on mesure 2 milles romains (2960 m) à partir des murailles de Byzance, c'est là précisément qu'on arrive. Pempton semble avoir été dans la même direction et rien n'empêche qu'il fût au 5e mille. R. Janin place le Triton en dehors de la Porte Dorée, mais son raisonnement n'est pas concluant; car, s'il est exact que le monastère d'Abramios était, d'après la Vie de sainte Matrone, au Triton (A ASS, Nov., t.III, p. 793E), rien ne nous autorise à croire que cette maison occupait le même emplacement que le monastère des Abramites, établi à la fin du VIlle siècle et qui se trouvait effectivement en dehors de' la Porte Dorée. En supposant que le Triton doive être cherché dans cette dilection et en mesurant cette fois-ci à partir du Milliaire d'Or (la route côtière n'étant pas antérieure à Constantin), le 3e mille se trOuverait dans les parages de Saint-André in Krisei. Il est peut-être significatif que le Typikon de Sainte-Sophie mentionne une église de Saint-André au Triton, comme l'a déjà noté Schneider, BZ 37 (1937), p. 153. 59. Car, dans l'Itinéraire· de Bordeaux on trouve déjà la route côtière (Sa1arnbria, Callum, Atyra, Regio) : Itin. romana, l, Wess. 570. 60. Procope, De.aed., IV, 8, 5 s. 61. Malalas, p. 345.
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d'autres termes, l'Acropole ne connut pas d'extension et ne joua d'ailleurs presque aucun rôle pendant toute l'époque byzantine 62. La colonne honorifique que l'on voit dans le parc du Sérail, commémorant une défaite des Goths, n'est identifiée par aucun texte 63 et l'on ne sait à quelle place ou à quel ensemble elle appartenaiL Si elle est bien de Constantin, comme on l'admet communément aujourd'hui 64, elle fournirait un document de plus sur le climat religieux de son règne, car l'inscription qu'elle porte, rédigée en latin, n'a rien de chrétien: Fortunae reduci ob devictos Gothos. A une faible distance au Nord de la colonne, des restes byzantins assez confus et remontant à différentes époques furent trouvés en 1913 quand le Sultan fit ouvrir au public les jardins du Sérail. Sans faire attention au caractère de ces ruines, on s'empressa d'y voir l'église de Saint-Démétrius, d'après laquelle la pointe du promontoire fut appelée à la fin du Moyen Âge angulus Sancti Demetrii, tandis qu'Ernest Mamboury y reconnut, je ne sais pourquoi, les vestiges de l'amphithéâtre 65. En réalité, il ne s'agit ni d'église, ni d'amphithéâtre, mais d'une suite très irrégulière de pièces pourvues de colonnes de remploi et refaites en partie à l'époque des Comnènes, à en juger par l'appareil des murs. Nous ne croyons pas nous tromper en y voyant une partie de l'Orphelinat de Saint-Paul, énorme complexe de bienfaisance et d'éducation établi par Justin II, mais que développèrent surtout Alexis 1er et Jean II Comnène. C'est là, entre autre, qu'enseigna Théodore Prodrome 66 . Enfrn, nous devons dire un mot des églises construites par ou sous Constantin, problème délicat qui met en cause sa politique religieuse. Certes, il ne s'agit pas de reprendre l'interminable débat sur la conversion de l'empereur, sur Eusèbe et la VUa Constantini, débat qui, depuis les années 1930, n'a pas cessé d'osciller entre une position critique et une posiiiQn, pour ainsi dire, réactionnaire. Ajourd'hui c'est
62. Il parait· que la muraille de l'Acropole subsista, au moins en partie, pendant l'époque byzantine, puisque l'église Saint·Mènas, qili remplaça le temple de Poséidon, se trouvait év T<jJ lIponLxlo,.an 'A"P01l0~EWÇ (Syn. CP, c. 293, 33) ou bien 1rapà, T<jJ niXEl rijç 'A"P01rO~EWÇ (Syrnéon Métaphraste, Martyrium S. Menae, PG 116, c. 416C). Cf. aussi Patria, p. 141, § 52. La mention d'une statue d'Anastase derrière cette église (Parastaseis, p. n, § 86) semble indiquer l'aménagement d'une place, mais l'endroit devint mal famé hEV€olial 1rOpvEÎDv Tàv T01l0V). Quant à la basilique découverte en 1937 dans la deuxième cour du Sérail (pour la bibliographie voir Müller-Wiener, Bildlexikon, p. 74), basilique restaurée au xe siècle à en juger par les plaques de revêtement en céramique lustrée qui y furent trouvées, elle n'est pas identifiée. 63. Nicéphore Grégoras, éd. de Bonn, l, p. 305, parle d'une colonne à l'Acropole et rapporte la tradition selon laquelle celle-ci aurait jadis porté une statue de Byzas.1I n'y a rien à tirer de ce témoignage. 64. Müller-Wiener, Bildlexikon, p. 53 ; époque de Constance (1) d'après F.W. Deichmann, BZ 64 (1971), p.512. 65. S. S(alaville), Fouilles archéologiques à Constantinople, EO 17 (1914), p. n : de même R. Janin, Les églises byzantines des saints militaires, EO 33 (1934), p. 333-334 ; Mamboury, Byz Il (1936), p. 236. 66. Pour les ruines voir Müller-Wiener, Bl1dlexikon, p. 40 et fig. 14. Il est à noter qu'à une faible distance au Nord de ces restes fut découvert en 1871 un chapiteau portant l'inscription t."''''''Tpiov bp",avoTPoopov : Paspatis, Bvravnvai /lE~hcu, p. 102 ; Curtis, Broken Bits, l, nO 3, correctement identifié (<
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la réaction qui domine: Constantin est redevenu un chrétien convaincu 67. Ce qui importe à notre propos est de découvrir dans quelle mesure il imposa à sa ville un caractère chrétien, je veux dire par ses initiatives architecturales, car les monuments que nous avons évoqués jusqu'ici - Forum, Sénat, Hippodrome, Capitole, colonnes, statues - ne sortaient nullement du répertoire traditionnel de l'époque. Pourtant, Eusèbe affirme que Constantin dédia la cité impériale au Dieu des martyrs en y construisant de grands martyria et des églises hors la ville aussi bien que dans la ville 68. L'imprécision de son langage, peut-être voulue, recouvre d'un voile les réalités qui nous intéressent. Quand on prend le problème à l'inverse, c'est-à-dire en partant des témoignages postérieurs, on n'arrive pas non plus à une certitude. Un certain nombre d'églises, très peu d'abord, davantage par la suite, sont attribuées à Constantin par des sources plus ou moins dignes de confiance. Dans tout cela rien de contrôlable. L'analyse en a déjà été faite par G. Dagron 69, qui a éliminé toute la liste à l'exception des Saints-Apôtres, où il voit dès l'origine une église, mais une église en quelque sorte anormale, tandis que pour notre part, comme nous venons de le dire, nous croyons qu'il s'agissait simplement d'un mausolée. A quoi s'en tenir? Nous trouvant ainsi dans l'impasse, nous pourrions chercher ailleurs un point de comparaison. Que fit Constantin à Rome? Il y construisit une basilique épiscopale, celle du Latran, et un petit nombre d'églises martyriales (trois ou quatre) situées hors les murs, aux lieux mêmes de la sépulture des martyrs concernés. N'aurait-il pas procédé de la même manière à Constantinople? L'église épiscopale, celle de Sainte-Irène, appelée ecclesia antiqua dans la Notifia. est attribuée à Constantin par l'historien ecclésiastique Socrate, l'une de nos sources les plus anciennes 70. Pourquoi la lui refuser? Quant aux martyrs, il importe de constater que, contrairement à Rome, Byzance était à cet égard très mal pourvue : elle ne pouvait se réclamer que de deux martyrs locaux, Mokios et Acace 71. Et en effet, nous trouvons une énonne basilique de Saint-Mokios, dont la grandeur n'a cessé d'impressionner les Byzantins, située dans un cimetière en dehors de la ville constantinienne, près de la citerne à ciel ouvert dont nous parlerons par la suite 72 . Nous trouvons aussi une église de Saint-Acace, extérieure à l'antique Byzance, mais comprise dans la ville de Constantin, quelque part du côté de la Come d'Or, église qui existait
67. 68. 69. 70. 71. 72.
Par exemple dans l'ouvrage de T.D. Harnes, cité supra, n. 1. Vita Constantini, III, 48. Naissance, p. 388 et suiv. 1,16. H. Delehaye, Saints de Thrace et de Mésie,AnBoll 31 (1912) p. 225 s. Attestée dès 402 (Sozomène, VIII, 17, 5). Pour ses grandes dimensions cf. Procope, De aed.. l, 4, 27 (OÙ7r'P ral.pa 7rcivra lJ"r<9u €À/ioow) ; Théophane Cont., p. 323 (1J<'Ya r
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certainement en 359 et qui s'écroula au début du ve siècle 73. Voici, à notre avis, toute la liste des églises constantiniennes. Quant à Eusèbe, il n'a pas menti, mais, dans son style rhétorique, il a exagéré en employant le pluriel là où il aurait dû employer le singulier: Constantin ne fit élever qu'un martyrium à l'intérieur de la ville et un autre à l'extérieur. En somme, ce n'était pas beaucoup. Même si elles étaient très grandes - et il n'y a pas lieu de croire que la première Sainte-Irène le fût - ces trois églises ne suffisaient guère à donner à Constantinople l'aspect d'une ville foncièrement chrétienne. Les dieux olympiens, la Fortune, lé Soleil, Cybèle y étaient plus en vue que le Christ et ses martyrs.
73. Socrate, VI, 23 : olKo~ jJ'''(UITO~ appelé Karya parce que dans sa cour il y avait un noyer sur lequel le saint avait été pendu ; à côté de l'arbre une chapel1e(oi"{",,o~ .b"T~PW~). Dagron, Nàissance, p. 394, traduit oiico~ par «ensemble immobilier». Pour notre part nous croyons qu'il désigne l'église (usage banal), dans l'atrium de Iaquel1e il y avait une memoria marquant le lieu du martyre. C'est ainsi, du moins, que Théophane, p. 79-80, l'a compris: à {Ja"(.ÀEù~ (Arcadius) "(EvOjJEl'O~ OV Kaptll" o~ h "a. TOV 1i"(wv jJo.pTVpa 'A"o."wv ÀÉyov", "ae.iv. EUto.jJEvck TE "a.otEM';:w O"TOÛ vaoû. dJlMw~ "jJ'''(IOTO~ oÎKOt 1> OV Tti Kaptll' "aTÉ"EOEv. L'église fut sans doute aussitôt rebâtie, puisqu'elle figure dans la Notitia (Xe Région).
HI DE CONSTANCE II A MARCIEN
Vers l'an 360, c'est-à-dire à la fin du règne de Constance II, on perçoit à Constantinople les signes d'une croissance urbaine considérable que l'on pourrait envisager sous les aspects suivants : augmentation de la capacité portuaire et de stockage des vivres, augmentation analogue de l'approvisionnement d'eau, nouveaux ensemblesl monumentaux, extension du périmètre fortifié de la ville. On a beaucoup parlé de l'approvisionnement de Constantinople et de l'annone civique 1. Dès le règne de Constantin la production de l'Egypte, autrefois destinée à Rome, se trouve détournée vers la nouvelle capitale. Il s'agit d'une très grande quantité de blé, dont le volume exact est cependant difficile à déterminer. L'historien ecclésiastique Socrate parle de 80 000 pains quotidiens sous Constantin 2, tandis qu'une loi de Justinien, deux siècles plus tard, donne le chiffre de 8 000 000 d'une mesure qui n'est pas nommée 3. Les commentateurs sont d'accord sur le fait qu'il s'agit d'artabes, mais ces artabes étaient-elles de 3 modii chacune ou de 4 1/2 ? D'après les papyrologues, la mesure communément employée à cette époque était la giande artabe de 4 1/2 modii 4. En calculant sur la base de 4 1/2 modii, on obtient un total de 36 000000 modii, soit 310 000 000 litres, par an bien entendu.
1. Voir surtout G.I. Brlltianu, Études byzantines d'histoire économique et sociale, Paris 1938, p. 129 et suiv. ; J .L. Teall, The Grain Supply of the Byzantine Empire, DOP 13 (1959), p. 89-139 ; Dagron, Naissance. p. 530-541 ; J.-M. Carrié, Les distributions alimentaires dans les cités de l'Empire romain tardif, MEFR 87/2 (1975), p.l071·1073. 2. Il,13. 3. Ed. XIII, 8. Cf. E. Stein, Histoire du Bas·Empire. Il, Paris· Bruxelles - Amsterdam 1949, p. 842 ; A.H.M. Jones, The Later Roman Empire, Oxford 1964, Il, p.698 et n. 23. 4. R.P. Duncan,Jones. The Choenix, the Artaba and the Modius, Zeitschr. f. Papyr. u. Epigr. 21 (1976), p. 43 et suiv. Cf. G. Rickman, The Corn Supply ofAncient Rome, Oxford 1980, p. 233.
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De leur côté, les spécialistes de Constantinople se sont occupés des ports de la ville. Van Millingen 5, Schneider 6, le Père Janin 7, Rodolphe Guilland 8 ont longuement disserté là-dessus, toujours d'un point de vue topographique. Partant des mêmes textes, ils sont parvenus à des résultats différents pour la simple raison que le nombre des ports reconnaissables sur le terrain est de beaucoup inférieur au nombre de ceux dont on trouve le nom dans les textes byzantins. Cela veut dire que le même port a porté au cours des siècles des noms différents. Mais lesquels? Si l'on s'accorde à reconnaître que le port de Théodose est identique au port du quartier d'Eleuthère, son identification avec le port de Kaisarios est toujours discutée, et l'on n'est pas sûr que le port de Julien - autrement appelé «de Sophie» - ne fasse qu'un avec le Kontoskalion à une époque plus tardive, et qu'il faille distinguer le Kontoskalion du Kontoskélion. Tels sont les problèmes qui ont préoccupé les topographes. Les savants que nous venons de nommer, sauf van Millingen,se sont d'ailleurs peu souciés d'examiner soigneusement les vestiges des murailles maritimes de Constantinople (qui sont, hélas, en train de disparaître) et aucun d'entre eux n'a pris en considération le problème de l'annone. Pourtant cette annone, pour ne pas parler des autres importations et produits du commerce maritime, devait être déchargée et entreposée dans des locaux facilement accessibles aux portefaix qui en étaient chargés. Faisons un petit calcul tout à fait approximatif: les vaisseaux qui transportaient le blé étaient de tonnages différents et pouvaient atteindre une capacité de 50000 modii. Il semble, cependant, qu'à l'époque qui nous concerne ils étaient normalement plus petits, disons de 10 000 modii en moyenne 9. Le volume total de la livraison étant de 36 000 000 modii au Vie siècle, il faut supposer que 3 600 vaisseaux devaient aborder à Constantinople. Ils ne le faisaient certainement pas en même temps, quoiqu'ils naviguassent en convois quittant, en principe, Alexandrie vers le 10 septembre. Supposons que 500 vaisseaux abordaient à la fois et que chacun exigeait un espace de 8 m, largeur moyenne des épaves retrouvées 10 : il nous faut donc une longueur de quais de 4 km. Ce résultat, si approximatif qu'il soit, n'a rien d'exagéré comparé aux dimensions des ports romains qui nous sont connus d'un bout à l'autre de la Méditerranée. A Leptis Magna, une bien petite ville à côté de Constantinople, il y avait 1 200 m de quais et 155 points d'amarrage Il. A Rome, ou plutôt à Portus, le port intérieur
5. Walls, p. 268 et suiv. 6. Mauern und Tore am Goldenen Horn zu Konstantinopel, Nachr. Akad. Gott. 1950, p. 82-84 ; BZ 45 (1952), p. 87. 7. Le port Sophien, REB 1 (1943), p. 117-122. Les ports de Constantinople sur la Propontide, Byz 20 (1950), p. 73-79; CP byz., p. 224-236. 8. Les ports de Byzance sur la Propontide, Byz 23 (1953), p. 181·238 =Études de topographie de Constan· tinople byzantine, Il, Berlin 1969, p. 80-120. 9. Voir 1. Rougé, Recherches sur l'organisation du commerce maritime en Méditerranée sous l'Empire romain, Paris 1966, p. 66 et suiv. ; E. Tengstrôm, Bread for the People, Stockholm 1974, p. 37. 10. Rougé, op. cit., p. 69. 11. R. Bartoccini, Il porto romano di Leptis Magna, Rome 1958, p. 12-13.
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de Trajan avait près de 2 km de quais 12, et il faut supposer que le port Claudien, qui était presque trois fois plus grand que celui de Trajan, en avait au moins le double, ce qui nous donne un total de 6 km pour les deux. A Constantinople, la première mesure pour augmenter la capacité portuaire fut prise par Julien en 362. Avant cette date la ville ne disposait que des deux ports antiques sur la Corne d'Or, dont la largeur combinée ne semble pas avoir dépassé 700 m. Leurs forme et profondeur étant inconnues, il est malaisé de calculer la longueur des quais, qui ne dépassait probablement pas 1 500 m. Cela veut dire que la ville de Constantin avait à peu près les mêmes moyens de débarquement que Leptis Magna, moyens qui s'avérèrent bientôt insuffisants. C'est donc Julien qui décida d'améliorer la situation en construisant le port qui devait porter son nom et qui, plus tard, fut appelé Port Sophien d'après l'épouse de Justin II. C'est le portus novus de la Notitia. Tout le monde admet que le Port de Julien se trouvait sur la Propontide à une faible distance à l'Ouest du Palais impérial et de l'Hippodrome. Aujourd'hui on peut toujours constater que la muraille maritime s'infléchit dans ces parages pour former une petite courbe devant laquelle les vieilles cartes indiquent les'débris d'un môle 13. Juste à côté, en direction de l'Est, se trouve un grand espace plat qui porte encore le nom de Kadlfgalimam, c'est-à-dire «Port des Galères». Sur le panorama de Valvassore (fig. 5) il est représenté entouré de murs avec une porte à grillage regardant vers l'Ouest. Il semble avoir servi de dock, car on y voit un vaisseau, peut~tre en réparation. On s'est demandé si le Kadlrgalimam ou l'inflexion adjacente de la muraille correspondaient au Port Julien. Pour notre part, nous croyons qu'il faut réunir les deux, puisque le Port Julien était très grand, un P.èYWTO<: Àtp.iW au dire de Zosime 14. Les deux parties combinées ont une largeur de 600 m, ce qui aurait pu donner tine longueur de quai de 1000 m ou un peu davat:ttage. Mais ce n'était pas encore assez ; quelques décennies plus tard le dernier grand port de Constantinople, le Port Théodosien, fut aménagé dans la baie au Sud de l'isthme. Son aspect, tel qu'il est marqué sur les cartes - car aujourd'hui il n'en reste pas grand-chose - prête à confusion. On pourrait supposer que le mur intérieur suit la ligne de l'embarcadère théodosien et le mur extérieur celui de la digue. Quant. à la partie Sud-Est, qui est séparée du bassin principal, elle pourrait représenter un remaniement tardif, peut1
12. O. Testaguzza, The Port of Rome, Archaeology 17 (1964), p. 173·179 ; Tengstrom, op. cil., p. 49 ; L. Casson, Ships and Seamanship iri the Ancient World, Princeton 1971, p. 369. 13. Voir la carte de C. Stolpe et ceHe de van Millingen, Walls, face à la p. 269. 14. Zosime, Ill, Il, 3. On y accédait par un portique en forme de sigma qui figure aussi dans la Notitia, reg. Ill, et dont le souvenir persiste dans les Patria. p. 229, § 37 (inrijpxev "1'Ocl I 'lovÀl
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être de l'époque des Paléologues IS, après que la superficie du port eut été réduite à ce petit espace. Avec la construction du Port Théodosien, la capacité totale de tous les ports aurait pu atteindre les 4 km de quais que nous avons postulés. Il est important de noter qu'elle ne fut jamais augmentée par la suite, ce qui veut dire que du point de vue portuaire Constantinople n'ajouta rien aux aménagements effectués vers l'an 400. Sur le problème des entrepôts, étroitement lié à celui des ports, nous sommes, hélas, très mal renseignés. La Notitia laisse supposer qu'ils étaient pour la plupart sur la Come d'Or, près du portus Prosforianus, où sont signalés les Horrea olearia, entrepôt à huile, et trois greniers, les Horrea Troadensia, les Horrea Valentiaca et les Horrea Constantiaca 16, les deux derniers construits respectivement par les v empereurs Yalens et Constance Il. On en conclura que, même après la construction \':. du Port Théodosien, le grand centre de déchargement et de stockage était resté à sa place primitive, dans cette ye Région, «in qua necessaria civitatis aedificia continentur» ; c'est du reste là que l'empereur se rendait au YIe siècle quand il voulait contrôler les réserves de blé 17. Toutefois, la Notifia signale deux autres entrepôts dans la Ixe Région, situés, sauf erreur de notre part, entre le PortThéodosien et le Port Julien : les Horrea Alexandrina, dont le nom indique leur rapport avec le trafic égyptien, et l'Horreum Theodosianum 18. Constantinople avait donc, en tout, cinq greniers, bâtiments immenses, sans doute divisés en compartiments parallèles, dont la forme peut être imaginée d'après plusieurs exemples conservés en différentes parties de l'Empire romain 19, Y compris un bel exemple byzantin à Dara en Mésopotamie 20. Une des dernières mentions explicites des entrepôts de Constantinople en état de fonctionnement se trouve, à notre connaissance, dans les Miracles de saint Artémios du milieu du YlIe siècle, juste après la suspension des fournitures égyptiennes: nous reviendrons sur cette question. Le problème de l'eau est encore plus compliqué que celui du blé. Dans l'état actuel de la recherche on ne peut que le poser, en attendant que les données essentielles nous soient fournies par des spécialistes qui auront pu explorer les zones militaires de la Turquie d'Europe. Nous avons déjà parlé de l'aqueduc d'Hadrien, dont le débit, même s'il était quelque peu supérieur aux 6000 m 3 par jour provenant de la région de Halkah, n'aurait pu suffire aux besoins d'une grande ville. Dès le règne de
l
15. Il s'agit probablement des travaux de Michel VIII Paléologue décrits par Pachymère, l, p. 365. La muraille extérieure du port possédait deux grandes tours à machicoulis, détruites vers la fm du XIxe siècle, qui dataient sOrement de l'époque des Paléologues. Elles sont représentées par Curtis, BToken Bits, 1, nOs 36·39. La muraille intérieure à arcades (ibid.. nO 40) était beaucoup plus ancienne. Van Millingen, qui semble l'avoir vue (Walls, p. 297), l'attribue à Constantin. Le bassin Est ne fut comblé qu'en 1759-1760, lors de la construction de la mosquée Lâleli : Müller-Wiener, Bildlexikon, p. 61. 16. P.233-234. 17. CeT., p. 699·701. 18. P.237. 19. Voir G. Rickman, Roman GTanaries and Store Buildings, Cambridge 1971. Le grenier construit par Justinien sur l'ne de Ténédos mesurait 280 pieds sur 90 et s'élevait à «une hauteur incroyable» selon Procope, Deaed., V, 1,14. 20. Composé de dix compartiments parallèles mesurant chacun 25 x 4 m : G. Bell, The ChuTches and Monasteries of the TUT 'Abdin, éd. M.M. Mango, Londres 1982, p.103-104. Appelé à tort une citerne dans notre Architettura bizantina, Milan 1974, fig. 41.
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Constance, Constantinople mourait de soif, selon l'expression de Thémistios 21 • Un programme immense fut donc entrepris, programme de longue haleine, dont la réalisation complète s'étendit sur une cinquantaine d'années. C'est sans doute Constance qui s'en occupa le premier, car, en 345, il commençait la construction d'un grand bain, les Thermae Constantianae, situées dans la nouvelle ville, non loin du bâtiment de la Municipalité (Belediye) d'Istanbul 22. S'il le fit, c'est parce qu'il prévoyait une nouvelle adduction d'eau. D'ailleurs, les Thermae Constantianae ne furent achevées qu'en 427 23. Le gros des travaux d'adduction dut être accompli sous le règne de Valens, dont le nom resta associé à cette installation, car c'est en 373, d'après les chroniqueurs, que l'eau, si longtemps attendue, entra dans la ville (diu expectata votis aqua inducitur), pour se déverser dans un énorme bassin de distribution 24. Grégoire de Nazianze fait allusion à cette «œuvre incroyable du fleuve à la fbis souterrain et aérien (inrox8ovwc: "ai àépwc: 7Torap.oc:) 2S. II semble, toutefois, que les travaux durèrent encore une vingtaine d'années, jusqu'en 396 26. D'où venait cette eau si longtemps attendue? A l'époque ottomane, avantI'aménagement du barrage de Derkos, Istanbul était alimenté en grande partie par la région de la forêt de Belgrade, sur le haut Bosphore, qui fournissait 12600 m 3 par jour, donc le double de la région de Halkah 27. II est certain que les Byzantins aussi ont utilisé la région de Belgrade 28 , mais toutes les installations qu'on y voit aujourd'hui sont ottomanes. Même si les Byzantins l'exploitèrent au même degré, le rendement total de 18700 m3 pour Belgrade et Halkah était encore bien faible, si l'on se souvient que Lyon à l'époque romaine disposait de près de 75000 m 3 par jour 29 et Rome de quinze fois autant 30. Le problème paraissait insoluble jusqu'à ce qu'on découvre tout un réseau d'aqueducs byzantins à une centaine de kilomètres à l'Ouest d'Istanbul, entre Saray et Vize, réseau qui s'étendait peut-être plus loin encore, vers le massif montagneux près de la frontière bulgare actuelle: conduites voûtées disposées au ras du sol et beaux aqueducs revêtus' de marbre avec croix et inscriptions. Leur existence, signalée pour la première fois par le géologue français A. Viquesnel en 1868 31, et plus tard par un archéologue bulgare qui les vit pendant
21. 22. 23. 24. 151 d·
Or. XIII (de 377), 167d. Chrono Pasch., p. 534. Cf. Thémistios, 0,. IV, 58 b-c. Chron. Pasch., p. 580-581 ; Marcellinus Cornes, p. 76 (sous le nom de Thermae Theodosianae). Jérome. Chron., a. 373, éd. R. Helm, Griech. christ. Schriftst., 47 (1956), p. 247. Thémistios, Or. XI, 152 a, exagère sans doute en disant que Valens acheva l'installation (av oè Kai a7M\ptw ..oô Keopa.Àalou 1'IÎç eùoaljlov.aç aù-rji 1<0., ~ ..eÀe Lwaaç). Le bassin de division était l'bOpefov JjÉ'ywrov (Socrate, IV, 8) ou le nymphaeum maius de la xe Région (fVotititz, p. 238), sur lequel voir aussi Kédrènos, l, p. 543 ; Zonaras, III, p. 80. 25. Or. XXXIII, 6. PG 36, c. 221C et scholie d'Elie de Crète. 26. Cod. Theod., VI, 4, 29-30, où l'aqueduc est appelé Theodosiacus. 27. Dalman, Der Va!ens-AqUlfdukt. p. 22. 28. Nicétas Choniate, p. 329, et peut-être Kinnamos, p. 274-275, qui indiqull une localité appelée Pétra, non loin de Constantinople. Cf. Dalman, op. cit., p. 12, 15. 29. C. Germain de Montauzan, Les aqueducs antiques de Lyon, Paris 1909. p. 345-346. 30. T. Ashby, The Aqueducts ofAncient Rome, Oxford 1935, p. 30 (1150383 m 3 par jour). 31. Voyage dam itz Turquie d'Europe, Paris 1868, Il, p. 291, 302 et Album, pl. 19, ('!g. 2. Viquesnel voyagea en 1847-1848. ' .
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les guerres balkaniques 32, échappa cependant à l'attention des byzantinistes jusqu'à ce que Feridun Dirimtekin, Directeur du Musée de Sainte-Sophie, les retrouve et les publie d'une façon sommaire 33. Ancien officier de cavalerie, Dirimtekin avait la possibilité de circuler dans cette région interdite que personne, après lui, n'a pu explorer. Si méritoires qu'elles soient, les publications de Dirimtekin ne suffisent pas à nous donner une idée précise de ce système d'adduction, de ses sources et de son débit total, qui devait être considérable. Ce qui nous paraît certain, c'est qu'il s'agit bien du système établi dans la seconde moitié du IVe siècle. On s'étonnera de l'énorme ampleur de ces travaux, non sans constater qu'ils étaient très exposés aux entreprises des ennemis. Sous Valens déjà, les Goths atteignirent la Thrace orientale, qui devait rester constamment menacée par les Ostrogoths, les Huns, les Kotrigours et autres tribus barbares. La construction de la Longue Muraille d'Anastase vers l'an 500 34 ne résolut pas entièrement le problème, puisque les sources d'adduction les plus lointaines restaient au-delà de cette muraille. Les Byzantins étaient certainement conscients du danger, et c'est pourquoi ils construisirent d'énormes citernes à l'intérieur de la ville. Aucune autre cité antique, à notre connaissance, ne possède autant de citernes que Constantinople. Les trois citernes à ciel ouvert, sur lesquelles nous reviendrons, avaient à elles seules une capacité de près d'un million de m 3 . Quant aUx citernes couvertes, des plus grandes (comme la citerne Basilique) jusqu'aux plus petites, elles étaient peut-être une centaine. Mesure contre la sécheresse estivale, certes, mais aussi contre les invasions ennemies qui pouvaient interrompre le fonctionnement des aqueducs. Faisons pour le moment le constat suivant. Le système d'adduction d'eau, tout comme le système portuaire, atteignit son développement maximum, en ce qui concerne le captage, vers l'an 400. Il fut par la suite souvent réparé, mais il n'est pas question dans les documents d'une extension ultérieure du réseau. Nous ne parlons pas de la capacité de conservation dans la ville, qu'on a continué d'augmenter, comme nous le verrons plus bas. L'aménagement des ports de Julien et de Théodose, dont nous avons parlé, eut pour conséquence, sinon un déplacement du centre économique vers la ville constantinienne, du moins un certain équilibrage. La nouvelle ville, qui n'existait-qu'à l'état de projet au temps de Constantin, était en train de devenir un site plein d'activité qui devait en même temps trouver son expression monumentale : elle la trouva sous la dynastie théodosienne avec la création d'une série de grandes places, qui sont toutes implantées sur la Mésè.
32. P.N.Ore!kov, Vizantijski starini okolo Carigrad, Spisanie na Bu/g. Akad. na Naukite 10 (1915), p. 71· 118. . 33. Adduction de l'eau à Byzance, CA 10 (1959), p. 217·243 ; Leylekkale, un aqueduc byzantin à 60 km aU Nord-Ouest d'Istanbul, Byz. Forschungen 3 (1968), p. 117-119. L'assertion de Thémistios, Or. XIII, 168 a-b, qui affirme que les conduites d'eau traversaient une distance de plus de mille stades (200 km) ne doit évidemment pas être prise à la lettre. 34. Voir B. Croke, The Date of the «Anastasian Long Walb> in Thrace, GRBS 23 (1982), p. 59·78.
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D'après la Notitia, trois places portèrent le nom de Forum Theodosiacum. L'une était l'antique Stratègion, qui fut sans doute aménagé d'une façon plus magnifique et reçut un obélisque égyptien, semblable à celui de l'Hippodrome, s'il n'en était pas la partie manquante 3S. Les deux autres places étaient nouvelles: le Forum de Théodose ou Forum Tauri, inauguré en 393 36, et le Forum d'Arcadius ou du Xèrolophos, aménagé vers 403 37. Tous deux avaient comme ornement principal une énorme colonne historiée, c'est-à-dire recouverte de reliefs en spirale. Il est évident qu'elles s'inspirèrent de celles de Trajan et de Marc Aurèle à Rome, surtout la première, La comparaison ne peut être faite qu'avec la colonne d'.~ rcadius, dont nous possédons plusieurs dessins fidèles, ce qui n'est pas le cas pour la colonne de Théodose, abattue vers l'an 1500. Examinons donc le piédestal: mêmes aigles aux coins, même guirlande suspendue, même tore aux feuilles de laurier. Passons au sommet : même bande de cannelures, même chapiteau toscan, mêmes oves 38. La ressemblance est si parfaite qu'il ne s'agit pao seulement d'une imitation, mais d'une copie qui n'aurait pu être réalisée qu'à l'aide d'un dessin exécuté à Rome : cas unique, si je ne me trompe, dans toute l'histoire de l'art byzantin. Le motif de cette duplication est évident : Théodose, espagnol d'origine, était censé descendre de Trajan. Tout en exprimant sa légitimité, ses monuments proclamaient en même temps sa romanité. Or, si les colonnes historiées de Constantinople reproduisaient celle de Trajan, en était-il de même pour le Forum de Théodose en son entier 39 ? Le Forum de Trajan à Rome, œuvre d'Apollodore de Damas, aune forme très particulière. L'aire, au milieu de laquelle se dressait une statue équestre de l'empereur, était délimitée par une énorme basilique à exèdres, la Basilica Ulpia, posée transversalement par rapport à l'axe de la place; et c'est derrière la basilique, dans un espace en forme d'hémicycle que se dressait la colonne, entre deux bibliothèques. Au Forum de Théodose nous retrouvons également une statue équestre de l'empereur, placée, d'après les textes, au milieu de la cour: c'est elle qui fut appelée plus tard la statue
, 35. Patria, p. 183, § 60 : To 6È "ovô1l.180v TO IOT(i,,~vov fK~îo~ (au Stratègion) à,7fOKlI.ao"a hv TO'; 17f7fIKOV' ~K~ 6È a7fo A.81jva~7fapà npoKlI.ou 7faTp'Kiou EV Toî~ XPdVOI~ TOV "",po'; e~06ooiou. La mention de Proculus (préfet de Constantinople, 388-392, nommé sur la base de l'obélisque de l'Hippodrome) et de Théodose (même s'il s'agit réellement du premier de ce nom) ne peut pas être fortuite. Elle provient peut-être d'une inscription qui se trouvait au Stratègion. Sur cette place cf. R. Guilland, Les trois places (forum) de Théodose 1er ,JOBG 8 (1959), p. 53-55. 36. Chrono Pasch., p. 565. Erection de la statue de Théodose (celle de la colonne ou la statue équestre ?) en 394 : ibid. La date de 386, donnée par Théophane (p. 70) pour la colonne est sujette à caution. . 37. Théophane, p. 77 (érection de la colonne). La statue au sommet de la colonne fut dédiée en 421 : '., Marcellinus Cornes, p. 75 ; Chrono Pasch., p. 579. Il nous paraît probable que le forum d'Arcadius, ainsi que celui . de Théodose, étaient délimités par deux arcs surmontés de statues. Cf. Cer., p. 106 : "'XP' rij~ 7fPWrll~ Ka"apa~ TOV Z'IPoll.ci
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de Bellérophon ou de Josué, et qui fut fondue par les Croisés en 1204 40. Nous y trouvons également une basilique et une colonne historiée. Les découvertes archéologiques faites au Forum de Théodose ont apporté quelques données utiles, sans toutefois éclaircir l'ordonnance complète de la place. En 1927 furent trouvées les bases d'un arc monumental constituées de deux groupes de quatre colonnes, les colonnes affectant la forme de troncs d'arbre. Malgré les restitutions un peu trop grandioses qu'on a proposées 41, il s'agit d'un seul arc avec passages latéraux plutôt que d'un arc triple 42. Cet arc, placé sur l'axe de la Mésè, marquait probablement la limite occidentale du Forum, puisqu'à partir de cet endroit le terrain commence à descendre en pente vers la vallée d'Aksaray. Nous croyons qu'il y avait un arc semblable du côté Est, ce qui répond aux indications des Patria où il est question de deux arcs soutenus par de quadruples colonnes ; celui de l'Est portait la statue d'Arcadius et celui de l'Ouest (l'arc retrouvé) celle d'Honorius 43. Si la largeur de la place est inconnue, il est établi qu'elle se terminait à une faible distance au Sud de l'axe de la Mésè, où l'on a trouvé des murs de soutènement byzantins 44 ,ce qui veut dire qu'elle s'étendait en longueur du côté Nord. Quant à la Basilique, qui brûla en 465, la seule description qui nous en soit parvenue se trouve chez Kédrènos 4S, compilateur tardif qui semble toutefois avoir eu sous la main une source ancienne et importante concernant les monuments de Constantinople. La Basilique, dit-il, avait une longueur de 240 pieds (soit 80 m) et une largeur de 84 pieds (28 m). Son toit était porté par des colonnades au Nord et au Sud, de douze colonnes de marbre de Troade chacune, et des piliers de maçonnerie à l'Est et à l'Ouest, ce qui veut dire qu'elle était parallèle à la Mésè et transversale au Forum.
40. C'est à cette statue que se rapporte vraisemblablement l'épigramme de l'Anthol. Pal., XVI, 65. Un fragment d'inscription, portant les lettres CAEÇ, vu par A. Dethier près de la place de Beyazit en 1865, fut considéré par ce savant comme faisant partie du même texte : Nouvelles découvertes archéologiques faites à Constantinople, Constantinople 1867, p. 14 s. Nous sommes plutôt enclins à y voir le vers 54 de \'Anthol. Pal., 1, 10 (église Saint-Polyeucte) : apptlToAEEèvTOÇ ù"ooTpd"TWV aji4PlI1'aîç. L'opinion de Schneider, Byzanz, p. 20, selon laquelle la statue équestre était au Nord de la colonne nous paraît erronée. Il suffit de noter pour le moment: 1) qu'elle s'élevait jiÉoov Tijç abÀijç : Patria, p. 176, ou bien KaTà TO lijiopooov : Kédrènos, l, p. 566 (cf. Constantin le Rhodien, v. 221) ; 2) qu'elle était placée sur ·une base rectangulaire de marbre ornée de reliefs: "'" Àt.liivOll ÀElIKOÛ TETpa,1rÀEVPOll (Nicétas Choniate, p. 643) ; cf. Patria, loc. cir., TO oÉ TETpd"ÀElIPoV TOÛ """""Oll ro Àf1}otEOroV
1928, Londres (British Academy) 1929, fig. 47 (par F. Krischen). 42. Müller-Wiener, Bildlexikon, p. 273, légende sous la fig. 298. 43. PatriJI, p. 176. Je ne sais pas si ces deux arcs sont visés par Marcellinus Cornes, p. 92, qui rapporte à propos du tremblement de terre de 480 ,«Statua Theodosii magni in foro Tauri super cochlidem columnam posita cOl1lUit duobus fornicibus eiusdem conlapsis». 44. Müller-Wiener, Bildlexikon, fig. 294 avec les indications à la p. 260. 45. l,p.610.
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Enfrn, OÙ se trouvait la colonne? La présence de plusieurs fragments de ses reliefs dans les soubassements du bain de Beyazit 46 ne signifie pas qu'elle se trouvait précisément à cet endroit, et déjà Pierre Gilles, quelque quarante ans après sa disparition, ne réussit pas à découvrir son emplacement exact 47 • Deux données sont toutefois utilisables. D'après la Notifia, la colonne ainsi qu'une partie du Forum de Théodose appartenait à la VlIe Région, tandis que la Basilique était dans la VIlle, donc au Sud par rapport àla colonne 48. Ensuite, la colonne, encore debout, est représentée sur le panorama de Valvassore (fig. 6), où elle se voit juste à l'intérieur de l'enclos du Vieux Sérail qui, de ce côté-ci, correspondait à peu près aux limites de l'Université d'Istanbul (ancien Ministère de la Guerre). Cette indication, elle aussi, conduit évidemment à placer la colonne au Nord. Par conséquent, il semble bien que le Forum de Théodose avait, en gros, la même ordonnance que celui de Trajan à Rome. Ce dernier, d'ailleurs, fut admiré par l'empereur Constance II en 356. Désespérant de jamais pouvoir réussir rien de semblable, il disait qu'au moins il ferait faire, pour porter sa propre statue, un cheval semblable à celui de la statue de Trajan 49. Théodose fit donc, tant bien que mal, ce que Constance se sentait impuissant à réaliser. Sans donner au Forum de Théodose les dimensions immenses qu'on lui attribue souvent 50 - rappelons-nous que celui de Trajan avait une superficie de 120 m sur 110 m -, il s'agissait sûrement d'un ensemble monumental très imposant qui constituait le centre de tout un programme de développement de la partie méridionale de la ville. La baie naturelle, certainement peu profonde, que nous supposons avoir existé avant Théodose, fut en partie comblée, en 'partie creusée pour devenir un port. Un nouveau quartier, la Kainopolis, quartier gagné sur la mer, se forma juste à l'Est du port, et c'est là, croyons-nous, que furent construits les deux entrepôts mentionnés dans la Notifia. La nouvelle adduction d'eau, achevée à cette époque, constituait la condition nécessaire à la création de cette zone d'activité économique et d'habitation. Il est d'ailleurs certain qu'un aqueduc pénétrait dans la ville à la hauteur de la septième colline, le Xèrolophos, car il est mentionné à cet endroit dans le Livre des Cérémonies SI. Enfin, le Forum d'Arcadius, dont on ignore la forme exacte, aménagé vers 403, continuait la zone monumentale jusqu'à la limite, ou peu s'en faut, de la ville constantinienne. Les places et les monuments que nous venons de décrire se trouvaient tous sur la branche méridionale de la Mésè. Il serait étonnant que l'autre branche, celle qui, du Philadelphion, se dirigeait vers le Nord-Ouest, en passant devant les thermes de Constané'e, n'eût reçu aucun décor monumental. Les textes byzantins, c'est-à-dire les
46. Voir en dernier lieu S. Sande, Sorne New Fragments from the Column of Theodosius,lnst. Rom. Norv., Acta ad archaeol. et artium hist. pertinentia, sér. in-8°, 1 (1981), p.'1-78. 47. De topogr. CP, III, 6, p. 160-161. 48. P. 235-236. Nous suivons R. Janin, Notes SUI les Régions de Constantinople byzantine, REB 3 (1945), p. 30-36 ; CP byz.• p. 52·54, qui, contrairement à l'opinion reçue, situe la Vile Région au Nord de la VlII e . 49. Ammien, XVI, 10, 15. Quant à Théodose, il visita Rome en 389 et a dû voir le forum de son aïeul présumé. 50. Ainsi, Schneider, Byzanz, p. 22, lui donne une superficie de 450 x 360 m et Janin, CP byz., p. 68, 450x 300m. 51. P.55.
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itinéraires du Livre des Cérémonies; ne mentionnent sur ce parcours qu'un groupe statuaire appelé Les Lions (oi 'ÀéOl/Tf<;) 52, mais on y voit toujours la colonne de Marcien qu'on suppose avec raison avoir été érigée au milieu d'une place. L'inscription latine qui se lit sur son piédestal, en lettres de bronze ou de plomb dont il ne reste que les empreintes, est toujours publiée de la façon suivante: Principis hanc statuam Marciani cerne torumque Praefectus vovit quod Tatianus opus 53. Quelle signification peut-on donner à torumque ? Dans la latinité tardive torus signifie surtout «siège» ou «trône». Ainsi, le comte Marcellin, en racontant l'histoire d'un médecin qui fut invité à soigner l'empereur Léon 1er , dit que ce personnage s'assit in sella iuxta torum imperialem posita 54. 11 nous paraît toutefois invraisemblable que l'empereur Marcien pût être représenté au sommet de sa colonne assis sur un trône. Ne serait-il pas plus simple de lire forumque, lecture que la pierre ne contredit pas 55 ? Dans ce cas on obtiendrait au moins un forum placé sur cette branche de la grande rue. Le dernier thème que nous voudrions aborder maintenant concerne l'agrangissement de l'espace fortifié par la construction en 413 de la grande muraille théodosienne, celle qui devait protéger la ville pendant tout le Moyen Âge : limite extrême qui, sauf pour le quartier des Blachernes, ne fut jamais dépassée. On pourrait se demander d'abord quel motif dicta l'exécution de cette immense entreprise. L'explication qu'on en donne d'habitude est que la population croissante s'était déversée en dehors de la muraille de Constantin pour fonner de nouveaux faubourgs qu'il fallait mettre à l'abri de la menace des invasions barbares. L'explication a le mérite de la simplicité et se trouve déjà suggérée, sinon affinnée expressis verbis, par Zosime 56. Pourtant à voir les choses de plus près, des doutes commencent à surgir. On s'est parfois demandé pour quelle raison la Notitia de 425 environ, qui semble déjà connaître l'existence de la muraille théodosienne 57, n'englobe pas la zone intennédiaire, celle située entre les deux murailles, dans les Régions urbaines, qui sont douze en nombre, sans compter les deux régions excentriques, à savoir la XlIle qui était celle de Sycae (Galata), et la XIve, qu'il ne faudrait pas chercher aux Blachernes, comme on le fait depuis Pierre Gilles, mais beaucoup plus haut sur la Corne d'Or, peut~tre à l'embouchure des ruisseaux Barbyssès et Cydaris, appelés autrefois les Eaux Douces d'Europe 58. On pourrait répondre, ou bien q\!e la Notitia 52. P. 49, 82. 53. CIL, III/l, 738. Les éditeurs comprennent torus dans le sens de colonne et renvoient à Vitruve, III, 5, 2, où cependant ce terme désigne les tores, supérieur et inférieur, de la base ionique. 54. P. 88, a. 462. 55. Nous devons cette suggestion à note ami 1. ~evl<;enko. 56. Il, 35. Nous ne tenons pas compte de l'exclamation rhétorique de Thémistios, Or. XVIII (de 384), 222b, qui félicite Théodose d'avoir rempli Constantinople de bâtiments et ajoute que si le zèle de l'empereur à embellir la cité continue, il lui faudra bientôt une enceinte plus grande (Eiç v~wTa 1JjtÎv h~pov Kt!K~OV 6E,jOet). 57. P. 242 : «hoc quoque spatium, quod solum apertum maris circulus derelinquit, duplici mura acies turrium extensa custodit». L'expression, à vrai dire, est ambiguë. S'applique-t-elle à la muraille théodosienne, qui était double, ou bien aux deux murailles, constantinienne et théodosienne 7 Il n'est d'ailleurs pas exclu que la muraille de Constantin ait pu, elle aussi, être double. 58. Nous en parlons dans un article à paraître dans les Mélanges F. W. Deichmann.
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reproduit, sans le mettre à jour entièrement, un document plus ancien, ou bien qu'à l'époque de sa composition la réforme administrative, celle de l'extension du régime régional aux nouveaux quartiers, n'était pas encore accomplie. Mais, dans ce cas, pourquoi ne s'est-elle pas faite plus tard, au courant du ve ou au VIe siècle? En effet, à l'époque de Justinien le nombre des Régions n'avait pas augmenté S9, et même au Ixe siècle on trouve toujours douze Régions 60, la XIIIe, élevée au rang de cité par Justinien, ayant été détachée et la XIVe ayant disparu. Transportons-nous maintenant vers l'an 400 pour voir ce qu'il y avait en dehors de la muraille constantinienne. En sortant de la Porte Dorée, on avait devant soi une colonne monumentale surmontée d'une statue que l'on disait être celle de Constantin. C'était l'Exokionion ou Colonne extérieure 61, dont le nom se déforma en Exakionion et ensuite en Exi Marmara, toponyme qui existe toujours dans sa version turque d'Alh Mermer. Un peu plus loin, au bord de la mer, on rencontrait une série de villas ou domaines suburbains: celui de Saturnin, grand fonctionnaire de la fin du IVe siècle, où fut installé le monastère dit de Dalmatos, le plus ancien de Constantinople ; le domaine d'Aurélien, préfet du Prétoire et comte d'Orient vers l'an 400, qui y construisit une église de Saint-Etienne; le domaine de Victor, général contemporain et ami de Saturnin ; le palais des Hélénianai 62, le domaine de Stoudios, devenu monastère. un demi-siècle plus tard 63 : bref, une bande assez étroite de résidences aristocratiques, établies vers la même époque près de la plage sablonneuse et possédant leurs échelles privées 64. Au Nord de ces villas s'étendait une nécropole qui occupait la plus grande partie de la septième colline, en dehors de la muraille constantinienne, en engloba!lt l'église martyriale de Saint-Mokios, située parmi les tombeaux 6S ,et dépassant la porte de la muraille théodosienne dite aujourd'hui Yeni Mevlevihane kaplsl, qui s'appelait à l'époque byzantine la Porte du Cimetière, TOU rroÀvavôpwv. Arrêtons-nous un moment à cette nécropole. Nous avons déjà mentionné la nécropole antique de Byzance qui fut supprimée par Constantin. Au lieu d'enlever les tombeaux, on les recouvrit d'une couche de terre et on construisit par dessus. Dès que la limite de la ville constantinienne fut tracée, une nouvelle nécropole, cette fois·çj chrétienne, s'établit juste en dehors des murs, car
59. Nov. Just. 43,1. 60. Puisque le Klètorologion de Philothée (éd. N. Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des e IX et xe siècles, Paris 1972, p. 209.22) mentionne douze 'YftTOv,âpxal. 61. Pa1ria, p. 181, § 54. Ce monument semble bien remonter au Ive siècle, puisque les Ariens, chassés de la ville par Théodose 1er en 379, furent appelés Exokionites : Chrono Pasch., p. 561 ; Malalas, p. 325, 342, 372, etc. La colonne, qui avait entre-temps perdu sa statue, est mentionnée en 1411 par Manuel Chrysoloras, PO 156, C. 45D. Il s'agit peut-être de la même colonne dont la partie inférieure est représentée sur le panorama de Valva9sore (notre fig. 6), à gauche de celle d'Arcadius. 62. Sur ces quartiers, voir surtout l'intéressante étude de V. Tiftixoglu, Die Helenianai dans Studien zur Frühgesch. Konstantinopels, éd. H.-G. Beek, Munich 1973, p. 49-120, dont nous ne partageons pas, cependant, toutes les opinions. 63. Il aurait bien pu avoir appartenu à Stoudios, préfet de Constantinople en 404, probablement parent du Stoudios qui fut consul en 454 et fonda le célèbre monastère. Cf. hoUe étude The Date of the Studius Basilica at Istanbul, Byz. and Modem Oreek Studies 4 (1978), p. 121. 64. Le port du domaine de Victor est mentionné par Palladios, Dial. de vita S. Johannis Chrysostomi, éd. P.R. Coleman-Norton,.Càmbridge 1928, p. 23. 65. Patria, p. 198·99, § 91.
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l'interdiction d'enterrer intra muros restait toujours en vigueur 66. L'existence de cette nécropole a été confirmée par une série de trouvailles fortuites, surtout au Nord et à l'Ouest de la citerne de Saint-Mokios, dans les quartiers appelés actuellement Çapa et Ta~kasap. C'est là que furent découverts ces faux sarcophages ou devants de sarcophages en pierre calcaire, publiés par le regretté Nezih Fuath 67, ainsi que plusieurs caveaux, dont quelques-uns à décoration peinte. Le caractère grossier de la sculpture de la plupart de ces monuments incita les historiens de l'art à les dater de la fin du VIe siècle et même au-delà 68, ce qui nous semble une erreur. Pour notre part, nous ne voyons aucune raison dë ne pas retenir le Ive ou le ve siècle, une exécution schématique et grossière étant, en effet, un indice de milieu social plutôt que de date 69. Une série très intéressante de constitutions de Constantin, Anastase et Justinien, dont G. Dagron a fait le commentaire 70, vient s'insérer dans le même contexte. Il s'agit des enterrements gratuits que l'Eglise de Constantinople assurait aux gens de condition pauvre ou moyenne en prélevant sur le revenu de 1 100 boutiques non imposables par l'Etat. Ce service comprenait la participation d'un corps de pleureuses professionnelles, dont huit au moins s'avançaient devant la dépouille et trois la suivaient. Dans le cas, cependant, où les proches du défunt désiraient un cortège plus nombreux, ils devaient payer un supplément ne dépassant pas le tiers d'un solidus, pourvu que l'enterrement se fît en deçà de la nouvelle muraille, c'est-à-dire de la muraille théodosienne, y compris la région desservie par le passage de Galata; mais si la distance à parcourir était plus grande, le supplément se montait à un demi-solidus' 71 • Il en ressort que les gens pauvres avaient avantage à se faire inhumer en deçà de la nouvelle muraille, ce qui explique d'ailleurs le caractère assez médiocre des monuments retrouvés. Mais puisque le Code Justinien maintient toujours l'interdiction d'enterrer intra muros 72, que peut-on en conclure, sinon que le cimetière en question n'était pas considéré comme urbain, et ceci un siècle après la construction de l'enceinte de Théodose II ?
66. Cod. Theod., IX, 17,6 (de 381). 67. Deux nouveaux reliefs funéraires d'Istanbul, C4 II (1960), p. 73-92; Encore une façade de faux sarcophage en calcaire, CA 16 (1966), p. 14. La découverte en 1933 du «sarcophage d'un prince» au Nord·Ouest de la mosquée Fenari ]sa fait difficulté. L'emplacement de la fouille était sans doute assez proche de la muraille de Constantin, à l'intérieur plutôt qu'à l'extérieur de cette dernière. Arif Müfit (Mansel), Istanbulda bulunan bir prens lahti, Ist. Asoriatika Müzeleri neviyatl 10 (1934), indique tantôt une distance de 150 m de la mosquée (texte turc, p. 5), tantôt une distance de 200 m (trad. allemande, p.19). Mamboury,Byz Il (1936), p. 272, qui avait dû lire la version allemande, donne 200 m. Il n'est d'ailleurs pas du tout évident que le sarcophage ait été trouvé in situ, et W. Kleiss, Topographisch-archiiol. Plan, Fundort 22, a tort de désigner le lieu comme nécropole. 68. Par exemple, J. Beckwith, The Art of Constantinople, Londres 1961, p. 26-27. A. Grabar, Sculptures byzantines de Constantinople (1 Ve·Xe siècle), Paris 1963, p. 37 s., a raison de proposer une date plus haute, bien qu'il se trompe en établissant un rerminus ante quem de 430 (sic) à cause, précisément, de la construction de l'enceinte de Théodose". 69. Voir nos remarques dans La civi1tà bizantina dalI V al/X secolo, Bari 1977, p. 307 s. 70. Le christianisme dans la ville byzantine, DOP 31 (1977), p. 13 et suiv. 71. Cod. Just.,], 2, 18 ;Nov. Just. 43 (de 536 ou 537) et surtout 59 (de 537). 72. Cod. Just., III, 44,12 (répétant une loi de Dioclétien de 290).
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C'est seulement vers le sommet de la cinquième colline, dans la région que les Byzantins appelaient Deutéron, c'est-à-dire entre Fatih et la Porte d'Andrinople, qu'une agglomération aurait pu exister. Un quartier habité avec plusieurs églises s'y trouvait certainement au Moyen Âge, mais il est impossible d'affirmer que c'était déjà le cas vers l'an 400. Il y avait peut-être aussi une petite agglomération au bord de la Corne d'Or, aux Blachernes, dont le nom remonte à l'Antiquité 73. Bref, nous ne voyons aucune indication d'un déploiement de faubourgs populeux en dehors de la muraille de Constantin. Mais on ne construit pas un rempart de 6 km de longueur pour protéger quelques villas et un cimetière, à moins que Saturnin, Aurélien, Victor et leurs amis ne se fussent constitués en groupe de pression pour mettre leurs domaines à l'abri. Pourquoi donc avait-on construit cette muraille? En partie, peut-être, parce que le nouveau tracé était stratégiquement supérieur à l'ancien, notamment en atteignant le sommet de la septième colline, mais surtout, croyons-nous, pour abriter les énormes réservoirs d'eau que nous avons déjà mentionnés. Ces citernes furent construites dans le cours du ve siècle; celle d'Aétios, près de la porte d'Andrinople, en 421 74, celle d'Aspar, près de la mosquée Sultan Selim, en 459 75 , celle de SaintMokios par l'empereur Anastase 76. Vers la même époque une citerne presque aussi grande; la mieux conservée aujourd'hui, fut bâtie pour alimenter le faubourg de l'Hebdomon, qui n'était d'ailleurs pas fortifié 77 • Il s'agit donc d'un plan concerté qu'on jugea indispensable au fonctionnement de la ville, surtout en cas de siège, Et puisqu'il était nécessaire de situer ces réservoirs sur une hauteur pour que le contenu pût s'écouler, on préféra sans doute les placer sur un terrain libre en dehors de1a ville constantinienne plutôt que de détruire des quartiers entiers sur les parties les plus élevées de la ville même 78. La construction de l'enceinte théodosienne, qui ne fut terminée en son entier que vers le milieu du ve siècle, donna à Constantinople son caractère définitif et quelque peu particulier. Comme nous l'avons déjà indiqué, la vieille muraille, celle de Constantin, fut conservée. Entre ces deux lignes défensives s'étendait une large zonetampon qui ne comprenait que quelques agglomérations habitées: à Psamathia sur la Propontide, au Deutéron près de la Porte d'Andrinople, aux Blachernes sur la Corne d'Or. Le .reste était occupé par des tombeaux et des jardins potagers. C'est là aussi que surgirent plusieurs monastères. Cette zone ne reçut pas de décor monumental: on n'y trouve, à notre connaissance, ni portiques, ni places publiques 79. Peut-être
73. Denys de Byzance, § 23. 74. Marcellinus Cornes, p. 75. 75. Chron. Pasch., p. 593. 76. Souda, s.v. 'AvQOT40LOÇ ; Patria, p. 245, § 84. L'attribution est à contrôler. 77. T, Ergil, A Byzantine Cistern near Istanbul, Archaeology 27 (1974), p. 42-47. 78. Il convient de noter qu'en 407, donc juste avant la construction de l'enceinte théodosienne, une «cisterna maxima» fut aménagée «iuxta porfyreticam Constantini imperatoris columnam in foro eius sub plateae transitum» (Marcellinus Cornes, p. 69). La difficulté d'une telle opération a probablement convaincu les autorités . qu'il fallait situer les grandes citernes en dehors de la ville. 79. A l'exception du Sigma. Les statues de Justin Il et de sa femme Sophie au Deutéron faisaient partie du complexe du palais que cet empereur y construisit dans son "poaonwv (Théophane, p. 243), complexe qui comprenait un hippodrome et un grand parc planté d'arbres : Jean d'Ephèse, Hist. ecclés., III, 24, trad. R. Payne Smith, Oxford 1860, p. 204-205.
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songea-t-on au moins à continuer la voie triomphale jusqu'à la nouvelle Porte Dorée, laquelle, pour des raisons qui ne sont pas évidentes, rie fut pas placée en face de l'ancienne, mais beaucoup plus bas, près du bord de la mer. Pourtant, quand on consulte les deux seuls textes qui nous éclairent un peu sur l'itinéraire à suivre de la nouvelle Porte Dorée à l'ancienne, nous voulons dire la description dans le Livre des Cérémonies de l'entrée triomphale de Théophile et de celle de Basile 1er 80, on a l'impression qu'il n'y avait pas de voie directe entre les deux portes. En effet, après être entré par la Porte Dorée, celle de Théodose, l'empereur se dirigeait vers une construction appelée Sigma, probablement un portique semi-circulaire 81, puis tournait à gauche, par la rue conduisant à l'église Saint-Mokios, pour atteindre l'Exokionion. Aucune trace d'une voie directe ne s'est conservée non plus sur la carte moderne d'Istanbul. Région urbaine et région suburbaine, pourtant comprise dans les murailles: la distinction entre les deux commence petit à petit à s'estomper. Plus tard, quand Constantinople se trouvera attaquée et assiégée, ses habitants auront à défendre un rempart beaucoup trop long, mais ils auront aussi l'avantage de faire pousser à l'abri des fruits et des légumes, et de faire paître des chevaux et autres anima)Jx domestiques.
80. CeT., p. 501, 506. 81. L'emplacement du Sigma est correctement indiqué sur le plan nO 1 de Janin, CP byz. Il était en effet rrî~ n€pl/1"A.brTOlJ d'après Skylitzès, p. 420. De même, l'église Saint-Etienne, bâtie par Aurélien au Sud du domaine de Saturnin, est décrite à la fois comme étant €l~ Ta I:hlJa ,,"A.T/UIOV (ParTia, p. 280, § 209) et voisine de la Péribleptos : L. Petit, Typikon du monastère de la Kosmosotira, /zvest. Russk. ATkheol. /nst. v Konst. 13 (1908), p. 54.22 du tirage à part. A notre avis. le Sigma pourrait bien avoir appartenu au forum de Théodose Il, in loco qui Heliane dicituT, bâti en 435 (Marcellinus Cornes, p. 79), forum qui n'est pas autrement connu et que l'on confond à tort avec celui d'Arcadius. Justement. les Patria, p. 182, § 57, mentionnent au Sigma une statue de Théodose Il, érigée par l'eunuque Chrysaphios, personnage historique qui fut l'ami et le chambellan de l'empereur dans les années 443-450. /iVWOEV
IV
APOGEE ET DECLIN
Si nous avons consacré la plus grande partie de notre exposé aux antécédents de Constantinople et au premier siècle de son existence, c'est parce qu'on peut y découvrir un programme assez cohérent de développement urbain qui s'achève sous la dynastie théodosienne, disons vers l'an 450. Nous ne savons pas si la population de la ville a atteint elle aussi vers la même époque son chiffre maximum, qu'on pourrait évaluer très approximativement de 300 à 400 000, ou si elle a continué à croître avant de s'effondrer d'une façon abrupte et dramatique par suite de la peste de 542, qui la réduisit d'au moins 50 %. Nous avons constaté que la capacité portuaire, dont dépendait l'approvisionnement des habitants, ne semble pas avoir augmenté après l'an 400 ; de même la quantité d'eau fournie par les aqueducs, quoique la capacité de conservation eût été encore accrue par Anastase (si l'on a raison d'attribuer à cet empereur la citerne de Saint-Mokios), par Justinien (citerne Basilique et citerne dite de Philoxène) et par ses successeurs 1. Le grand incendie de 465 marque, en tout cas, un tournant. Allumé près des entrepôts du Néorion, il détruisit en quatre jours huit régions de la ville sur une longueur de 2,5QO km et une largeur d'} km, ne laissant que des monceaux de débris 2. Plus de la moitié de la ville était à reconstruire. Elle se releva sans doute, mais peut-être avec moins de magnificence qu'avant. Le Palais .du Sénat, endommagé par cet incendie, en portait encore les traces au xe siècle 3 • On entrait en même temps dans une phase d'instabilité civile qui s'exprimait par des émeutes au cirque s'achevant souvent par des incendies; la fréquence de ces derniers est, à cette époque,
1. Ainsi, Phocas construisit une citerne près de l'église des Quarante-Martyrs: Chrono Pasch., p.698-699. Elle était de grandes dimensions (vaste amplltudinls) d'après Buondelmonti, éd. G. Gerola, SBN 3 (1931), p. 276, et ne peut, par conséquent, être identifiée à celle de Çifte Saray, décrite par E. Mamboury, Byz 11 (1936), p. 167-180, qui ne mesure que 24 sur 16,60 m. 2. Evagrius, 11, 13 ; Malalas, p. 372 ; Chron. Pasch., p. 595 et autres sources citées par A.M. Schneider, Brande in Konstantinopel,BZ 41 (1941), p. 383. 3. Constantin le Rhodien, p. 8, v. 105 s.
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digne de remarque: 475, 498, 509, 510, 512, 532, 548, 559, 560, 561, 563, 583, 603 4. Le mieux connu est celui de 532, provoqué par la sédition dite de Nika. Eblouis par la majesté de Sainte-Sophie, nous avons l'habitude de considérer Justinien comme le plus grand bâtisseur de l'histoire byzantine. Nous ne nions pas que Justinien ait beaucoup construit à Constantinople aussi bien que dans les provinces, quoique Procope ait certainement exagéré l'ampleur de son œuvre aux dépens de celle d'Anastase, qui fut lui aussi un grand bâtisseur. Arrétons-nous au texte de Procope qui consacre à la capitale le premier livre de son De aedificiis. Ce qui frappe tout de suite, c'est la disproportion entre églises et bâtiments civils. Certes, Justinien fut obligé de réparer les dégâts causés par l'incendie de 532 en reconstruisant le vestibule de son propre palais, les thennes de Zeuxippe et le Palais du Sénat proche de Sainte-Sophie. Le nombre de constructions civiles qu'il entreprit sans y être, si l'on peut dire, contraint, est plus modeste: il se réduit à la citerne Basilique et à une promenade ornée de statues au quartier des Arcadianai, au Nord du Palais impérial 5 • Il faudrait y ajouter l'achèvement des thermes de Dagisthée dans la région du Tétrapyle, commencés par Anastase 6, qui ne sont pas mentionnés par Procope. La liste de Procope comprend aussi six hospices et quelques palais suburbains. Quant aux églises, elles sont au nombre de trente-trois, Sainte-Sophie et les Saints-Apôtres venant évidenunent en tête. Tout en ne se séparant pas entièrement de la tradition antérieure, l'œuvre de Justinien à Constantinople marque, toutefois, un changement qui annonce le Moyen Âge. Les constructions d'usage civil ou civique, c'est-à-dire salles de réunion, basiliques, portiques, thennes, théâtres, sont en train de baisser en nombre, tandis que celles d'usage religieux et de bienfaisance augmentent. Et pourtant, depuis l'époque de Théodose, Constantinople s'était déjà ornée d'un nombre considérable d'églises, surtout du vivant de la très pieuse impératrice Pulchérie, quand surgirent les deux plus anciennes églises de Constantinople qui soient encore debout, celle de SainteMarie de Chalkoprateia et celle de Saint-Jean de Stoudios. S'il n'yen avait que quatorze au temps de la Notifia, une cinquantaine au moins s'y trouvaient un siècle plus tard. Cette multiplication d'églises, qui n'est nullement limitée à Constantinople, est un phénomène complexe qui demande une enquête approfondie. Il suffit d'observer que la construction d'églises perdit tout lien avec les besoins liturgiques ou pastoraux de la communauté: on les élevait pour abriter une relique, pour rendre grâce d'un vœu exaucé, peut-être pour des raisons. financières, sûrement pour des raisons de prestige, comme dans le cas de la richissime dame Anicia Juliana qui, juste avant l'avènement de Justinien, bâtit sur sa propriété l'étonnante église de Sain t-Polyeucte , la plus baroque et l'une des plus grandes de Constantinople, dont les vestiges furent découverts il y a une vingtaine d'années et nous fournissent, d'ailleurs, une donnée topographique importante 7.
4. Schneider, Brande,loc. cit. 5. De aed., l, 11, 1-15. 6. Malalas, p. 435 ; Chron. Pasch.. p. 618. 7. En attendant la publication définitive des fouilles, voir les rapports de R.M. Harrison et N. FlIath, DOP 19 (1965), p. 230-236 ; 20 (1966), p. 222-238 ; 21 (1967), p. 273-278 ; 22 (1968), p. 195-203.
APOGtE ET DtCLlN
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Les successeurs immédiats de Justinien - Justin II, Tibère, Maurice, memePhocasont aussi bâti à Constantinople. Avec Héraclius, cependant, les constructions s'arrêtent, sauf dans le domaine défensif, pour ne reprendre que vers l'an 800 et, alors, sous une forme bien différente. Le déclin, voire l'effondrement de la vie urbaine que l'on constate dans toutes les villes de province se reflète certainement aussi à Constantinople. Mais dans quelle mesure et à quelle date ? Faute d'une documentation suffisante, il est impossible de fournir une réponse précise. Voici, cependant, quelques renseignements que nous grouperons par catégories. 1. Arrêt de l'annone, disparition des greniers, baisse concomitante de la population En 618, juste avant la prise d'Alexandrie par les Perses, les fournitures égyptiennes s'arrêtent pour toujours 8. Constantinople doit s'approvisionner ailleurs, mais où ? La Thrace, envahie par les Avares, constamment menacée, ne peut pas fournir grandchose. L'Asie Mineure est complètement bouleversée par suite de l'invasion perse. Bien entendu, la situation va s'améliorer vers la fin du règne d'Héraclius pour empirer de nouveau à tel point que Constant II songe à transférer le siège du gouvernement en Sicile. En 715, prévoyant l'attaque arabe, l'empereur Anastase II décrète que seuls peuvent rester en ville ceux qui ont une réserve de comestibles pour trois ans; les autres sont obligés de partir 9. Remarquez que l'Etat ne se charge plus de nourrir les gens, qui le font à leurs propres frais. Combien de familles d'ailleurs étaient suffisamment aisées pour s'acheter de quoi manger pendant trois ans? Nous n'avons pas à dresser l'inventaire de tous les désastres subis par Constantinople jusqu'à la grande peste de 747, qui tua tant de monde que la ville devint pratiquement déserte, au dire du patriarche Nicéphore 10. On importa des colons des îles grecques, qui ne devaient pas être très peuplées à cette époque là 11 • Malgré l'absence totale de chiffres précis, il est essentiel pour notre propos de nous faire une idée de l'évolution démographique de Constantinople pendant les siècles obscurs. L'opinion courante, celle qu'on trouve dans la littérature historique, est que la population baissa de 50 % environ. Ainsi John Teall, auteur de la dernière étude sur l'approvisionnement de Constantinople, partant d'un chiffre d'un demi-million pour la haute époque (ve-Vle siècles), ce qui nous paraît assez exagéré, le réduit à 250000 sOus les Héraclides et les iconoclastes 12. Or, 250000 est une population très considérable, supérieure à celle d'Antioche au temps de Libanius 13. D'une façon ou d'une autre, suppose le même J. Teall, on s'adapta' à l'absence des fournitures égyptiennes en se ravitaillant ailleurs, soit en Thrace-Macédoine, soit en Asie Mineure. J'avoue que cette opinion optimiste me semble tout à fait invraisemblable. L'adaptation dont on nous parle présuppose, en effet, non seulement de très importants surplus agricoles dans des régions qu'on se garde d'identifier, mais aussi la création d'un mécanisme nouveau de collecte et de transport qui n'a laissé aucune trace dans les sources. De temps en temps, il est vrai, nous entendons parler de 8. 9. 10. 805. 11. 12. 13.
Chrono Pasch., p. 711. Théophane, p. 384; Nicéphore, p. 50. P. 64 : MlK'ITOV aXE60v 1\6'1 "YE"YovlItaV
1TlV
"o~w.Cf.
Théodore Stoudite, Laudatio Platonis, PG 99, col.
Théophane, p. 429 ; Nicéphore, p. 64. DOP 13 (1959), p. 100, 105. Qui peut être évaluée à 200 000 enviro~. Voir J.H.W.G. Liebcschuetz, Antioch. Oxford 1972, p. 92 s.
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fournitures destinées à Constantinople. Ainsi, les Miracles de saint Démétrius parlent des Slaves strymoniens qui harcèlent dans la mer Egée et les Détroits les convois se dirigeant vers la capitale 14. Ceci se passe, comme P. Lemerle l'a démontré, entre 676 et 678, donc dans des circonstances exceptionnelles, lorsque Constantinople se trouve, sinon assiégée, du moins menacée par la flotte arabe. En 742, Artabasde, bloqué à Constantinople par son rival Constantin V, envoie des vaisseaux chercher des vivres au-delà d'Abydos IS : situation de nouveau exceptionnelle. Au Ixe siècle une lettre d'Ignace le diacre concerne une cargaison de blé destinée au dèmosios logos (le Trésor), cargaison dont le lieu d'origine n'est malheureusement pas indiqué 16. Ces quelques textes nous apprennent que Constantinople continua à importer du blé, surtout en période de danger, mais ne prouvent nullement qu'ait été vraiment organisé un approvisionnement massif et permanent. Autre fait intéressant: entre le siège de 742 et le terrible hiver de 927-928, on ne trouve pas une seule mention de disette ou de famine à Constantinople. Pourtant, s'il y en avait eu, et surtout sous le régime iconoclaste, les chroniqueurs n'auraient pas manqué d'enregistrer un tel fait pour souligner l'impiété coupable de l'empereur. Au contraire, nous savons que sous Constantin V les habitants de la ville vivaient dans l'abondance 17. Même pendant le siège arabe de 717-718, qui coupa Constantinople de la Thrace, la population ne fut pas privée de vivres : on envoyait de petites embarcations chercher des provisions sur la côte asiatique, ou bien on allait à la pêche, et l'on se nourrissait fôrt bien 18. C'étaient les Arabes qui mouraient de faim. Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ces indications? Tout simplement que la population avait baissé à un tel niveau qu'elle pouvait se passer d'importations venues de loin. La production de la ville et de sa région immédiate, le poisson qu'on pêchait dans le Bosphore et la Propontide suffisaient à nourrir les gens. En chiffres, cela veut dire à notre avis une population ne dépassant pas 40 000. Le silence qui se fait sur les greniers publics nous semble aussi significatif. Nous avons indiqué qu'une des dernières mentions s'en trouve dans les Miracles de saint Artémios, écrits vers le milieu du VIle siècle. En 715 l'empereur Anastase II, qui prévoyait une attaque arabe, déposa, d'après le chroniqueur, d'abondantes provisions dans les greniers impériaux «(jaal~LK.à Opta) 19. S'agit-il cependant des greniers publics ou bien du grenier du palais, celui qui avait été construit par Justinien après la révolte de Nika 20 ? Et comment expliquer le fait que l'ancien /(6Jl1'/~ Tc;.W wpeiw/I ne figure plus dans les Taktika byzantins? Or, parmi les subordonnés du Logothète du Génikon figure dans le Klètorologion de Philothée un mystérieux /(61J.1'/~ Tij~ AalJ.in.~ dont la fonction n'a pas encore été expliquée. N. Oikonomidès, dans son excellente édition, suggère sans beaucoup de conviction qu'il s'agit d'une charge 14. ~d. P. Lemerle, Paris 1979, p. 220, § 277. Cf. Commentaire (t. Il), Paris 1981, p. 125 et suiv. 15. Théophane,p.419. 16. Ep. 21, éd. M.I. Gédéon, NÉaINJÀwOT\KT/ E/(/(M/U<4UTU<WV UlJrtP"'Péwv,I/I, Constantinople 1903, c. 2123. Sur la date de cette lettre (avant 825), voir nos remarques dans Observations on the Correspondence of Ignatius, Metropolitan of Nicaea, Texte und Unterruchungen 125 (1981), p. 407-408. 17. Théophane, p. 443, 18 ; Nicéphore, p. 76. 18. Théophane,p.397. 19. Id., p. 384. 20. Chrono Pasch., p. 629.
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relative aux mines 21 • La clef de ce petit problème nous est fournie par les Miracles de saint Artémios que nous venons de mentionner, où il est question d'un gardien vieux et malade, d'origine alexandrine, préposé à l'opwv 1WV Kawapwv TO €1flÀf-YOlJfVOV AalJiac; 22 . Le port de Kaisarios étant à notre avis identique à celui de Théodose 23, il s'agit probablement de l'horreum Alexandrinum de l!l Notifia ; et, effectivement, les Patria mentionnent dans ces parages un monument appelé Lamia, dont le caractère n'est pas autrement indiqué, ainsi qu'un horeion, décrit en termes très vagues suggérant qu'il n'était plus en fonction 24. Retenons donc le fait que vers l'an 900 l'administration de l'approvisionnement public était assurée par un fonctionnaire ayant titre de I
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fit stationner dans le port pius protégé du Néorion, où il y avait un dock, l'exartysis des textes byzantins 26. Le Néorion fut d'ailleurs dragué en 698 27, probablement pour l'adapter à la réception de la/marine. On en retira tant d'immondices qu'une peste s'ensuivit; c'est au moins ce que racontent les chroniqueurs. Bref, par comparaison avec le ve siècle, la capacité portuaire utilisée pour l'approvisionnement et les transactions commerciales est réduite à un quart environ. 3. Adduction d'eau L'aqueduc principal, celui de Valens, est détruit par les Avares en 626 et n'est réparé qu'en 768 par Constantin V lors d'une sécheresse exceptionnelle 28. Ce renseignement est doublement intéressant. Il prouve d'abord que la ville a pu se passer pendant 150 ans de sa source d'eau la plus importante. Il montre ensuite que Constantinople n'a pu fournir pour les travaux de réparation la main d'œuvre nécessaire que l'empereur fit venir d'ailleurs: 1000 maçons et 200 plâtriers d'Asie et du Pont, 500 potiers de Grèce, 5000 ouvriers et 200. fabricants de briques venus de Thrace. Ces clûffres prouvent qu'il s'agissait d'une opération considérable, dont le caractère précis est, cependant, difficile à détenniner. Constantin V restaura-t-il tout le réseau ancien jusqu'à la frontière bulgare, ou se contenta-t-il, comme il nous paraît plus probable, de sources plus proches, par exemple celles de la forêt de Belgrade ? Seules les recherches sur place pourraient nous donner une réponse à cette question, mais il faut noter que Constantin V n'a pu compter sur la protection de la muraille d'Anastase, abandonnée dès le VIle siècle 29. La diminution massive, aux VIle et VIlle siècles, du volume d'eau disponible, contribua certainement à la disparition des nymphées et des thermes publics dont nous parlerons tout à l'heure. Nous' croyons aussi que les grandes citernes ouvertes restèrent désormais vides 30 . Pour apprendre comment les gens se tiraient d'affaire dans ces conditions, il suffit de consulter la correspondance. de Théodore, métropolite de Cyzique, du milieu du xe siècle. S'adressant à l'empereur Constantin Porphyrogénète, dont il était un ami intime, il s'exprime comme suit : Je suis las, dit-il, d'envoyer mon âne à la fontaine. C'est pourquoi je me suis aménagé un tout petit réservoir dans ma maison, pour mon usage personnel, et je te prie de demander au comte des eaux (T4' "op:rrn TWV ilôaTwv) de m'en fournir une petite quantité pendant l'hiver pour que je 26. La marine utilise le Néorion dès 115 : Théophane, p. 385-386. Sur ce port et son arsenal, voir aussi H. Ahrweiler, Byzance et 10 mer. Paris 1966, p. 430 et suiv. 27. Théophane,p.370. 28. Théophane, p. 440 ; Nicéphore, p. 75-76. A noter que ceci se passe après le repeuplement de la ville. Même avant la peste, les habitants de Constantinople n'avaient pas les moyens de reconstruire les murailles, endommagées par le séisme de 740 : Théophane, p. 412.17 (j,I'Eîç 01", Eb7roPEÎ'rE KT{aal m TEixfI). 29. Nous ne partageons pas l'opinion de B. Croke, GRBS 23 (1982), p. 75, selon laquelle le mur d'Anastase fut réparé par Constantin V. La mention dans Théophane, p. 429, et Nicéphore, p. 66, à propos d'une incursion bu18are, a un caractère purement topographique: le mur n'était plus défendu. Quant aux inscriptions des empereurs Nicéphore (1 ou II ?), Basile II et Constantin VIII, publiées par C. Schuchhardt, Die Anastasius-Mauer bei Constantinopel, JDI 16 (1901), p. 114, et par G. Seure, Archéologie thrace, Rev. archéol. 1912/1, p. 334, nOs 35-36, elles n'ont aucun rapport avec le mur d'Anastase. 30. Au moins ne trouve-t-on aucune indication précisant qu'elles étaient pleines d'eau au Moyen Âge. On a cru que J'endroit dit Xèrokèpion (Jardin sec) correspondait à la citerne voisine de la mosquée Sultan Selim, Cf. Janin, CP byz.• p.438439.
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puisse me désaltérer pendant l'été, Une seconde lettre laisse entendre que le «despote des eaux», comme il l'appelle ironiquement, a mal traité noue pauvre homme en lui accordant très peu d'eau contre un paiement considérable 31. Si, donc, tin prélat distingué vivait de cette manière, il est facile d'imaginer le sort des gens ordiriaires. 4. Insalubrité et ruralisation Dès le VIlle siècle, l'amphithéâtre romain, grande ruine abandonnée, ornée de statues mystérieuses et sinistres, devient place d'exécution 32. On y décapite les criminels, puis on traîne leurs corps par la grande rue pour les jeter dans une fosse commune, située quelque part dans la partie occidentale de la ville, non loin, semblet-il, du Forum du Bœuf. Dans ce charnier, appelé ta Pélagiou, les cadavres, à peine recouverts d'une couche de terre, sont laissés à pourrir 33. C'est le sort des martyrs iconophiles, tel saint André in Krisei, dont le corps est exposé aux chiens et aux oiseaux. Enfrn les fidèles arrivent, ils fouillent dans cet amas de restes humains et reconnaissent la dépouille du saint par l'odeur suave qui s'en dégage 34 . La ville est en même temps envahie par les bestiaux. Les troupeaux de porcs, débarqués sans doute au port de Julien, sont conduits au Forum de Théodose, où les bouchers doivent les acheter 35. Sur la rue montante on les fait fouetter, parce qu'une force magique les empêche de franchir uil certain point 36. C'est aussi au Forum de Théodose qu'on vend les agneaux entre Pâques et la Pentecôte 37. Une place voisine, ornée d'une tour des vents à girouette, belle œuvre du ve siècle qu'on appelle Anémodoulion, devient le marché au foin 38. Les moutons sont vendus au Stratègion, les chevaux et les ânes à la place d'Amastrianos, les esclaves tout près des boulangeries, aux Artopolia 39. Pour protéger la cour impériale de l'odeur fétide qui s'exhale d'un peu partout, on fait stationner à l'entrée du palais les marchands d'épices et de parfums 40 • Citons encore un petit détail qui est bien révélateur du niveau de vie. Les bouchers sont menacés de punition s'ils cachent des porcs dans les maisons des nobles pour les revendre ensuite 41 . Et ceci en pleine ville! 5. Installation des cimetières dans la ville Ce développement ne fait pas de doute, quoique nous le connaissions assez mal. Il est intéressant à ce propos de comparer la description de la grande peste de 542 à celle de 747. Dans le premier cas on commença par remplir les cimetières existants; 31. ed. S. Lampros, NÉoç 'E~Mvo"V1Î"wv 19 (1925), p. 276, 293. 32. Théophane, p. 375. 13,420.16,438.20,442.8; Nicéphore, p. 42: 19,56.23,74.20,75.18 ;Sjm. CP, c. 880.12. 33. Voir P. Franchi de' Cavalieri, 11 martirio dei Santi Notari,AnBo1l64 (1946), p.157 s. 34. AASS. Oct. t. VllI, p. 148, § 16. 35. Livre du Préfet. XVI, 2·3. 36. Patria, p. 175, § 46a. 37. Livre du Préfet, XV,5. 38: Vie deS. André Solos, PG Ill, c. 749A. 39. Livre du Préfet, XV ; XXI, 3 et 9. Marché d'esclaves :Patria, p. 185', § 64. 40. Livre du Préfet, X, 1. 41. Ibid., XVI, 4.
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ensuite on creusa toute la région autour de la ville (Ta àlbPi ri/v 1roÀw XWPw.) ; enfin on entassa les cadavres dans les tours de Galata 42. Il en résulte que malgré le nombre de victimes - peut-être 200000, donc la moitié ou les deux tiers de la population totale - on respecta la loi et la tradition en n'enterrant pas dans la ville. Par contre, en 747, on remplit d'abord les tombeaux dans la ville et dans les faubourgs (Ta T€ èVcWT€ta "ai 1rpOaaT€La p,v1IP,am), les citernes vides et les fosses, on creusa ensuite les vignobles et les jardins à l'intérieur de la vieille muraille, c'est-à-dire celle de Constantin (TOÙc;' €VÔOV TWV 1raÀatWv T€LXWV "1I1rovc;'), et c'est ainsi qu'on arriva à trouver place pour tous les cadavres 43 . Il est, en tout cas, certain que la vieille nécropole dans les parages de l'église SaintMokios continua à être employée pendant tout le Moyen Âge, car c'est là, d'après Antoine de Novgorod (1200), qu'on enterrait «tous les morts» 44. Comment se fait-il, cependant, que les trouvailles funéraires faites dans cette région se limitent à la haute époque? Tout simplement, croyons-nous, parce qu'on cessa d'ériger des stèles inscrites sur les tombes des gens ordinaires. Quant à l'ancienne loi, elle fut enfin abrogée par Léon VI qui sanctionna un développement sans doute toléré depuis longtemps. Fait curieux, l'empereur ne comprend pas le motif de l'interdiction, qu'il qualifie d'absurde et contraire à la nature 45. 6. Abandon des monuments publics
C'est l'aspect le plus évident, quoiqu'il soit difficile de dresser une liste complète. A l'exception de l'Hippodrome, à peu près tous les bâtiments publics qui nous sont connus par la Notitia et les auteurs de la haute époque disparaissent s'ils ne sont pas affectés à d'autres buts, tels les théâtres, le grand complexe de la Basilique avec ses écoles et ses bouquinistes, le Capitole avec son université, les deux palais du Sénat, les nymphées et les grands hôtels des dignitaires du IVe et du ve siècle. Quelques témoignages archéologiques peuvent être cités à ce propos. La salle principale du palais d'Antiochos, tout près de l'Hippodrome, devient l'église de Sainte-Euphémie. Le complexe voisin, qu'on hésite à identifier au palais de Lausos, est transformé en partie, dès le règne de Phocas, en une église de Saint-Jean l'Evangéliste, qui survécut
42. Procope, Bell. pers., Il,23,9. 43. Théophane, p.423. 44. Près de l'église Saint-Luc, elle même voisine de Saint-Mokios : éd. Chr. Loparev, havosl. Palest. Sbornik, 51 (1899), p. 26. De même PatrÏJ1, p. 246, § 85. A noter aussi les prescriptions du Typikon du Christ Sauveur Pantocrator, éd. P. Gautier, Paris 1974, p. 107, à propos des frères qui meurent à l'hôpital et à l'hospice du monastère· : puisqu'il est inconvenant de les transporter soit EV TlÎ KOlvjï à-ytty à"ooni~ty AOVKIÎ /:1"a-yoI'Év",v, soit ev TE TO~ "O~E",Ç KOljl1lTflPU>tç Kai EV Toïç "Épal/Ev (du côté opposé de la Corne d'Or), un cimetière spécial leur est affecté au monastère· de Mèdikarion, qui est aussi pérathen. Un poème de Christophore de Mitylène poe siècle) concerne un incendie au cimetière de Saint-Luc: éd. ·Ed. Kurtz, Leipzig 1903, n" 82. 45. Nov. 53, éd. P. Noailles et A. Dain, Paris 1944, p. 203-205. Cf. aussi Nov. 12, p. 51 sur les enterrements gratuits qui ne sont plus pourvus par la Grande Eglise, cette charge ayant été assumée par des bienfaiteurs privés (EOOEl3ouvT"'v àv6pwv "'1~OTljlt't).
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à la conquête turque pour devenir la ménagerie du sultan 46. La salle à manger à sept exèdres du même palais est changée en citerne, on rte sait pas exactement quand 47. Un autre cas est plus clair: il s'agit de la grande rotonde de 40 m de diamètre que nous avons mentionnée en parlant du Plùladelphion. Ce monument très important, dont on ignore le nom et la destination (était-ce le Muste ?), semble avoir été élevé au ye siècle. Par la suite, il s'effondra ou fut démantelé,et n'en resta que la partie inférieure jusqu'à une hauteur de 5 m, qu'on recouvrit de voûtes posées sur des colonnes de tailles différentes, toutes de remploi. De cette manière fut constituée une plate-forme circulaire sur laquelle on construisit une demeure aristocratique, dont il ne reste actuellement presque rien 48, Cette maison appartenait à Romain Lécapène, le futur empereur, qui la convertit en un couvent appelé Myrélaion, mais il semble qu'elle ait été auparavant la résidence d'un certain Kratéros. C'est ainsi, au moins, que nous comprenons un passage de la Souda dans lequel il s'agit d'un ôreion, c'est-à-dire d'un grenier, qui devait être soit l'horreum Alexandrinum, soit l'horreum Theodosiacum. «En effet, dit le texte, il y avait un ôreion là où se dressent aujourd'hui les colonnes devant la maison de Kratéros». Une glose ajoute : «Il s'agit de la maison qui est maintenant celle de l'empereur Romanos l'ancien» ; et une seconde glose, «c'est·à-dire le Myrélaion» 49. Le nom de Kratéros fut porté par trois dignitaires du Ixe siècle: un stratège des Cibyrréotes sous Michel II, celui qui faillit enlever la Crète aux Arabes; tin patrice sous Théophile, le célèbre Théodore Kratéros qui devint le chef des 42 martyrs d'Amorion ; enfin, un patrice sous Léon YI 50. Il paraît donc que la maison de Kratéros fut bâtie au IX e siècle. Elle était en tout cas très proche du palais d'Eleuthère, construit par l'impératrice Irène, dont il était la demeure préférée 51. Ainsi nous entrevoyons, vers l'an 800, la constitution d'un quartier très élégant parmi les ruines de grands bâtiments anciens. 46. Nous avons naguère réuni les témoignages des voyageurs concernant la ménagerie du Sultan dans REB 8 (1951), p. 158-159, ceci avant la découverte du complexe byzantin comprenant une grande rotonde et une salle à manger à sept absides. L'église, dédiée d'abord à saint Phocas et ensuite à saint Jean, réparée, semble·t·il, par Romain 1er (PatTia, p. 168-170), aurait pu se trouver dans la rotonde convertie, avec accès du côté de la Mésè. Elle est sûrement attestée en 680 : Mansi, XI, p. 596B. Le tremblement de terre de 1509 la renversa: note du cod. E 138 de Lavra dans rp'l'Yopw~ à naMl'â~ 1 (1917), p. 419 : à èhw~ 'lwdvv'I~ à EJEOM'YOÇ, EV huav oi ÀéOVTEÇ "À'I"WV TOV '''''Olip0l'Oll, mais le bâtiment fut réparé, puisqu'il est représenté sur le panorama de Nasûl) al-MatraJ.ei de 1537-1538 (voir Introduction, n. 12) ainsi que dans l'album de Freshfield (1574),où il est marqué; «Pars aedificii S. Sophiae ubi nunc leones servantur (ad) Hippodromi latus septentrionale». Le dessin est reproduit par E.H. Freshfield, BZ 30 (1929-1930), p. 519-522 (identification incorrecte) et pl. II ; du même, A LetteT to the Right Honourable Lord Aldenham upon the Subject ofa Byzantine Evangelion. Londres 1900, pl. suivant la p. 10. 47. R. Naumann,IstMitt 15 (1965), p. 144-145. 48. Id., IstMitt 16 (19~6), p. 199-216. 49. Souda, s.v. Mavarl',reprenantParastaseis, p. 27-28, § 12 ; Anonyme de Treu, p. 9 ;Patrio, p. 202-203, § 97 : ,jv 'Yàp WPEWV, €vt1a WV WTaVTat KWVE~ "po TOV OIKOII TOV ]{paTepov. Le mot OiKOÇ est glosé : olKo~ Oi>TOÇ ;, WV 'Pwjlavov 6e""oToII (mal lu par A. Adler) 'YéPOVTOÇ' TO MIIPéÀawv. 50. Kratéros, stratège des Cibyrréotes : Théophane Cont., p. 79·81 ; Skylitzès, p. 45 ; Zonaras,1II, p. 350351. Théodore Kratéros : Théophane Cont., p. 114-116 ; SkYlitzès, p. 69,75,78; Zonaras, III, p. 369-371. Kratéros patrice: Théophane Cont., p. 355 ; Skylitzès, p. 173 ; Zonaras, 111, p. 441. 51. Ceci découle du passage suivant de la Vie de saint Basile le Jeune, éd. A.N. Veselovskij,Sbornik Otdel. Russk. Jazyka i Slov.lmp. Akad. Nauk 46 (1889), suppL, p. 72 : Év Toi~ "aÀaTWtç.wv 'EÀEII8fPWII /1vwTépw T1Î~ "OpTT)~ TOV /1'Y.oII I;.TeY'dvolI olKo~ ÉGTt "ajll'é-rt"TO~ (le Myrélaion), (Sv eIva• TlVe~ 'Pwl'avov TOV ~a"tÀéw~.
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L'abandon des thermes publiques est relativement bien attesté. Les plus célèbres, ceux de Zeuxippe, fonctionnaient encore ou, peut-être, étaient en état d'être chauffés à titre exceptionnel en 713, quand l'empereur Philippikos s'y baigna 52. Un peu plus tard, une partie fut transformée en caserne et une autre en prison (les Nouméra de sinistre renommée de l'époque postérieure). Les thermes de Constance étaient délabrés au début du VIlle siècle 53 . Ceux de Dagisthée, pt:ès du Tétrapyle, cessèrent de fonctionner car, au commencement du IX e siècle, nous trouvons un moine iconoclaste installé dans son hypocauste 54. Tous les autres thermes mentionnés dans la Notifia ou ailleurs - ceux ii'Achille, les Anastasianai, les Arcadianai, les Karosianai, les Eudoxianai, les Hélénianai, les Honorianai - disparaissent de nos sources. Les causes de ce développement sont évidentes: on manquait d'eau, on manquait de combustible et il n'y avait pas assez de clients pour justifier le maintien d'établissements aussi vastes et coûteux 55. Ainsi disparurent non seulement de grands et beaux monuments ornés de statues et de mosaïques, mais aussi un genre de vie caractéristique des cités de l'Empire romain. Bien entendu, les Byzantins ne cessèrent pas de se laver de temps en temps. On allait dans des bains plus modestes (puisqu'il n'yen avait pas dans les maisons privées, même dans celles des grands dignitaires) 56, sans doute comme les Turcs se rendaient et se rendent encore au hamam du quartier. 7. Une nouvelle mentalité Il importe enfin de souligner un phénomène d'ordre mental plutôt que physique. Dès le début du VIlle siècle, les Byzantins ne comprennent plus la signification des monuments les plus banals de la civilisation urbaine de l'Antiquité: une statue, un relief, un arc, une inscription, - tout cela est considéré comme chargé d'une puissance magique et demande à être interprété par des «philosophes». Les vieux monuments inspirent la crainte; ils inspirent aussi l'étonnement puisqu'on n'arrive pas à concevoir comment ils furent érigés sans recours aux forces occultes. On n'admet plus que Justinien ait pu fabriquer de grandes colonnes de marbre, c'est-à-dire les faire extraire d'une carrière: il est plus naturel de dire qu'HIes a enlevées d'un monument antérieur, du temple de Diane à Ephèse ou ailleurs, comme le faisaient effectivement les empereurs byzantins du Moyen Âge. Toute la littérature patriographique, qui n'est pas à proprement parler une littérature populaire, est pénétrée de telles attitudes qui présupposent un changement radical d'habitudes de vie· 57
* * * 52. Théophane, p. 383. 53. Parastaseis, p. 67, §73. 54. Epist. ad Theoph{{um, PG 95, c. 369 A. 55. Nous en avons parlé dans Daily Life in Byzantium, JOB 31 (1981), p. 339·341. 56. Par exemple, celle du père de Théophanô, première épouse de Léon VI, laquelle dans sa jeunesse, était obligée de se rendre au bain public: Vita Theophanous, éd. E. KÙItz, Zwei griech{sche Texte über die hl. Theo· phano. Mém. de l'Acad. Imp. de St·Pétersbourg, Vm e sér.,m/2 (1898), p. 3. 57. Il en résulte qu'il ne faut jamais 5e fier aux patriographes quand ils affirment qu'un monument (statue, colonne, etc.) fut apporté d'ailleurs, en ajoutant une provenance imaginaire (Athènes, Rome, Phrygie, etc.). .
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Vers l'an 800, comme nous venons de l'indiquer, on recommence petit à petit à construire à Constantinople. Etant donné que l'activité architecturale constituait l'un des domaines traditionnellement abordés dans l'éloge impérial, nous avons la chance de posséder des descriptions assez détaillées de bâtiments érigés ou réparés par Théophile, Basile 1er et Constantin Porphyrogénète S8. Ces documents nous permettent de faire les constatations suivantes: I. Les traditions d'art monumental et de bâtiments publics à usage séculier disparaissent entièrement. Cette disparition mérite d'être soulignée, car elle contredit d'une certaine façon l'esprit de la «renaissance», la renovatio imperii Romani, que l'on ressent dans les domaines idéologique et artistique déjà sous Irène, et plus clairement sous Michel III et les empereurs macédoniens. Les dirigeants byzantins désiraient certes revenir aux apparences de leur Empire de jadis, mais ils ne se préoccupèrent pas - ou furent incapables - de faire revivre la manifestation monumentale de cet Empire. La seule exception qui nous soit connue est fournie par l'obélisque en maçonnerie de l'Hippodrome, autrefois recouvert de plaques de bronze; mais il s'agit d'une réparation de ce monument par Constantin Porphyrogénète, non d'une œuvre nouvelle. Une autre réparation, très médiocre d'ailleurs, est celle de la colonne de Constantin, dont la statue et le chapiteau tombèrent en 1106. 2. L'activité de Basile 1er dans la ville et dans ses faubourgs se limite à la réfection d'églises, dont 31 sont nommées, y compris quelques-unes des plus importantes. Le texte souligne à plusieurs reprises que les sanctuaires en question s'étaient en partie écroulés ou étaient en très mauvais état, ce qui fait ressortir encore une fois le délabrement dans lequel Constantinople se trouvait. 3. Les constructions nouvelles - églises, chapelles, salles d'apparat - se concentrent toutes dans le Palais impérial ou bien dans d'autres palais. Il s'agit probablement de bâtiments assez petits mais, à en croire les textes, d'une richesse exceptionnelle, ce qui témoigne d'un effort de thésaurisation des matériaux précieux dans le Palais. 4. A une ou deux exceptions près, la fondation de monastères n'entre pas dans le programme impérial avant la fin du xe siècle. Il faudrait faire une autre recherche pour décrire le développement de la Constantinople médiévale sous les empereurs macédoniens, les Comnènes et les Paléologues. Encore la tâche ne serait-elle pas facile car, malgré l'abondance des témoignages écrits, on a de la peine à reconnaître les grandes lignes d'une évolution. On constate, certes, qu'à partir du Ixe siècle la ville est en train de se repeupler, ce gonflement progressif étant indiqué tant par les cas de disette qui commencent à être enregistrés que par la hausse des prix. L'activité artisanale devient plus intense. Le système d'adduction d'eau est réparé au XIe siècle par Basile II et Romain III et accru au XIIe par Manuel et Andronic Comnène qui vont capter de nouvelles sources dans la région de la forêt de Belgrade S9. Quand les Croisés arrivent, Constantinople offre
58. Théophane Cont~ p. 139 et suiv., 321 et suiv., 447 et suiv. 59. Skylitzès, p. 366, 389 ; Kinnamos, p. 274-275 ; Nicétas Choniate, p. 329.
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LE DtVELOPPEMENT URBAIN DE CONSTANTINOPLE
l'aspect d'une très grande ville. Après l'incendie de 1203 et soixante ans d'occupation étrangère, elle redevient ce qu'elle avait été sous les iconoclastes, à savoir une série d'agglomérations dispersées, où il y avait plus de vides que de pleins 60. Bien d'autres thèmes demanderaient à être explorés: ainsi la multiplication, surtout à partir du XIe siècle, de grands ensembles monastiques en pleine ville, qui comprennent parfois des activités de bienfaisance et d'éducation, comme, par exemple, le complexe des Manganes ou l'Orphelinat de Saint-Paul, que nous avons eu l'occasion de mentionner et qui contenait à la fois un hospice pour les enfants et les malades, une école et un couvent de nonnes géorgiennes ; ensuite, l'installation le long de la Corne d'Or de colonies commerciales étrangères qui, sous les Comnènes, constituaient, peut-être, le quart de la population totale de la ville; ou encore le transfert de la résidence impériale aux Blachernes, où elle prend l'aspect d'un château médiéval, dominant les murailles, plutôt que d'un palais à la romaine; enfin, la cession de Galata aux Génois, où une ville rivale se développe. Cette Constantinople médiévale conservait sans doute bien des vestiges de la Constantinople paléo-chrétienne, celle de Constantin, Théodose et Justinien. On circulait toujours par la grande rue, la Mésè, et il restait au moins une artère transversale, celle des portiques de Domninos et de Maurianos, devenue, paraît-il, le «portique des Russes», qui y vendaient des esclaves 61. Les grandes places converties en marchés, l'Hippodrome, les vieilles églises étaient toujours là. Pour le reste, il serait peut-être plus exact de concevoir la ville médiévale comme superposée à l'ancienne. Une accumulation de 3 m ou davantage sépare le sol actuel d'Istanbul du niveau du Ive siècle. D'après nos propres observations et en attendant la publication des dernières fouilles stratigraphiques, nous dirions que la moitié de cette accumulation est byzantine. En d'autres termes, ce qui arriva à Constantinople par l'action des incendies, des tremblements de terre et des fluctuations démographiques très fortes n'était pas totalement différent de ce qui arriva à Athènes ou à Corinthe, où une ville byzantine à ruelles tortueuses et à petites églises de quartier, sans aucun caractère monumental, s'éleva sur des ruines de l'époque du Bas-Empire.
60. Le Voyage d'outremer de Bertrandon de /0 Broquière, éd. Ch. Schefer, Paris 1902. p. 153 ; Pero Tafur, trad. anglaise de M. Letts,.Travels and Adventures, Londres 1926, p. 146. 61. Antoine de Novgorod, éd. Loparev, p. 3D, indique en effet que l'église des Quarante-Martyrs se trouvait à la fin de l'emb%s russe. Cf. le commentaire de Loparev, p. LVIIl, pour le marché d'esclaves.
ABREVIATIONS
AASS AnBoll BCH BNJ BSL Byz BZ CA Cer. Curtis, Bro ken Bits Dagron, Naissance
DOP EO GRBS 1stMitt Janin, CP byz. Janin, Eglises
JD!
JOB(G)
Acta Sanctorum Bollandiana Analecta Bollandiana Bulletin de correspondance hellénique Byzantinischc·neugriechische Jahrbücher Byzantinoslavica Byzantion Byzantinische Zeitschrift Cahiers archéologiques Constantin Porphyrogénète, De cerimoniis, éd. J.J. Reiske, t. l, Bonn 1829 C.G. Curtis et M.A. Walker, Broken Bits of Byzantium, 2 Case. lithographiés, s.d. (vers 1891) G. Dagron, Naissance d'une capitale: Constantinople et ses institutions de 330 à 451, Paris 1974 Dumbarton Oales Papers Echos d'Orient Greek, Roman and Byzantine Studies Istanbuler Mitteilungen R. Janin, Constantinople byzantine, 2e éd., Paris 1964 La géographie ecclésiastique de l'Empire byzantin, 1/3, R. Janin, Les Eglises et les monastères (de Constantinople), 2e éd., Paris 1969 Jahrbuch des Deutschen Archiiologischen Instituts Jahrbuch der Osterreichischen Byzantinistik (ou d. Osterr. Byzant. Gesellschaft)
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ABREVIATIONS
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KWV/1rOÀ€L
'EÀÀ1W",àc;
cl>LÀoÀo'Y",àc;
~vno'Yoc;
MEFR Millingen, Walls
Müller-Wiener, Bildlexikon PG RE (R)EB R6mMitt SBN Syn. CP
TM
Mélanges d'archéologie et d'histoire publiés par l'Ecole Française de Rome A. van Millingen, Byzantine Constantinople The Walls of the City and the Adjoining Historical Sites, Londres 1899 W. Müller-Wiener, Bildlexikon zur Topographie Istanbuls. Tübingen 1977 Patrologia graeca. éd. J.-P. Migne Pauly - Wissowa, Realencyclopà'die der classischen Altertumswissenschaft Revue des études byzantines (ou Etudes byzantines) R6mische Mitteilungen Studi bizantini e neoellenici Synaxari~m ecclesiae Consantinopolitanae. éd. H. Delehaye, Propylaeum ad AASS Nov.. Bruxelles 1902 Centre de Recherches d'Histoire et Civilisation de Byzance, Travaux et Mémoires Au teurs Anciens
Auteurs et textes cités par page: Constantin le Rhodien, Description des œuvres d'art et de l'Eglise des Saints-Apôtres de Constantinople, éd. E. Legrand, Paris 1896. Denys de Byzance, éd. R. Güngerich, Berlin 1927. Le Livre du Préfet, éd. J. Nicole, Genève 1893. Marcellinus Cornes, Chronicon. éd: Th. Mommsen, MGH, Auctt. antt.. t. XI, 1894. Nicéphore, éd. C. de Boor, Nicephori archiepiscopi CP opuscula historica, Leipzig 1880. Notifia urbis CP, éd. O. Seeck, Notitia dignitatum. Berlin 1876,p. 229-243. Patriographes (Hésychios, Parastaseis. Patria) , éd. Th. Preger, Scriptores originum Constantinopolitanarum. 2 t., Leipzig 1901-1907. Théophane, Chronographie, éd. C. de Boor, t. l, Leipzig 1883. Kédrènos, la Chronique Pascale, Kinnamos, Malalas, Théophane Continué et Zonaras sont cités d'après le Corpus de Bonn; Nicétas Choniate, Histoire (et De signis) et Skylitzès d'après le Corpus fontium historiae byzantinae.
INDEX
Acropole, 13 S., 18 S., 33 s. Adduction d'eau, 19 S., 40 sS., 45,56 S., 61. Aksaray, 17,27,44. Alexis 1er Comnène, 34. Alti Mermer, quartier, 47. Amphithéâtre: voir Kynègion. Anastase 1er , 18,49,52. Anastase Il, 53. André in Krisei, saint, 57. Andronic 1er Comnène, 61. Anémodoulion, 57. Anicia Juliana, 52. Annone civique, 37 S., 53 s. Antiocbe, 24, 27, 53. Antoine de Novgorod, 58. Aparnée, 27 .. Aqueduc d'Hadrien, 20, 40 ;, «de Valens», 20,31,56; dit Mazlum Kerner, ?On.4l. Arc théodosien, 27, 28 n. 36,44 ; d'Urbicius, 19 n. 32. Arcadianai, quartier, 52. Arcadius, empereur (voir aussi Colonnes, Forum, statues), 36 n. 73. Artabasde, empereur, 54. Artémios, saint, Miracles de, 40, 54 s. Artopolia, quartier, 31, 55, 57. Artotyrianos oikos, 18 n. 27. Athyras (Büyük Çekmece), 32 n. 55. Augoustéon, place, 8,19. Aurélien, domaine de, 47. Bains: voir thermes. Basile 1er , 50,61. Basile Il, 61. Basilique" 26,58 ; du Forum de Théodose, 44. Belgrade, forêt de, 20, 42, 56,61. Bellini, Gentile, 9. '
Beyazit, place, 27, 28 n. 36, 44 n. 40, 45. Blachernes, 46, 49. Buondelmonti, Cristoforo, 9, 25. Büyük Çekmece, 32. Byzas, fondateur mythique de Byzance, 14. Byzance antique, 13 ss. ; muraille de, 13 s., 19n.32. Çapa, quartier, 48. Capitole, 30, 35, 58. Carus, personnage légendaire, 18 n. 28. Çemberlitllll : voir colonne de Constantin. Cenofrurio,32. Cerrahpal\a Caddesi, rue, 27 s. Chalkoun Tétrapylon : voir Tétrapyle. Choiseul-Gouffier, comte de, 9. Chonai, église Saint-Michel, 35 n. 72. Chronique Pascale, 23. Chrysaphios, ennuque, 50 n. 81. Chrysoloras, Manuel, 29. Cimetières: voir nécropoles. Citernes, 42 ; d'Aétios et d'Aspar, 49 ; Basilique, 20,42, 51 s. ; de Saint-Mokios, 35, 48 s., 51 ; de Philoxène, 51 ; des Quarante-Martyrs, 51 n. 1. Colonne d'Arcadius, 27, 29, 43 ; de Constantin (Çemberlitav, 15, 25, 61 ; des Goths, 34 ; de Marcien, 30, 46 ; de Phocas, 31 ; de Théodose, 29, 43, 45. Constance II, 27, 37,41,45. Constant Il, 53. Constantin 1er , 18 sS., 23 sS., 30,37 ; mauso· lée de, 27, 35; Vie de, 16. Constantin V, 54, 56. Constantin VII, 56, 61. Come d'Or, 16 s., 46, 49, 62.
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INDEX
Dagron, G., 19,24,35,48. Dara, 40. Dékaton, 33 n. 58. Démétrius, saint, Miracles de, 54. Denys de Byzance, 7, 14, 16 s. Derkos, lac de, 41. Deutéron, 32 s., 49. Dion Cassius, 14 s. Dirimtekin, F., 42. Divanyolu, rue, 31. Églises (voir aussi monastères) : Saint-Acace, 35, 36 n., 73 ; Saint-André in Krisei, 28, 33 n. 58 ; Saints-Apôtres, 27 s., 30, 35, 52 ; Sainte-Barbe, 18 n. 27 ; Saint-Démétrius, 34 ; Saint-Étienne, 47, 50 n. 81 ; Sainte-Irène, 33, 35 s. ; SaintJean l'Évangéliste, 58 s. ; Saint-Luc, 58 n. 44 ; Sainte-Marie de Chalkoprateia, 52 ; Sainte-Marie tôn Diakonissès, 28 n. 35 ; Sainte-Marie ta Viglentias, 31 n. 52 ; Saint-Ménas, 18, 34 n. 62 ; Saint-Mokios, 35, 47, 50, 58 ; Néa Ekklèsia, 9 n. 9 ; Saint-Polyeucte, 28 n. 35,44 n. 40, 52 ; Saint-Polyeucte ta Viglentias, 31 n. 52 ; Saint-Procope, 31 n. 52 ; Quarante-Martyrs, 31,62 n. 61 ; Sainte-Sophie, 19,24,28 n. 35, 52. Entrepôts: voir greniers et horrea. Étienne, saint, reliques de, 17. Eusèbe de Césarée, 23, 27, 34 ss. ExokiolÛon,47,50. Fatih, mosquée de, 27. Fenari Isa Carnii (monastère de Lips), 48 n. 67. Flfath, N., 48. Forum d'Amastrianos, 28, 57 ; d'Arcadius, 28, 43, 45, 50 n. 81 ; du Bœuf, 28, 57 ; de Constantin, 8,15,25 sS., 31, 33, 35, 49 n. 78 ; de Théodose (Forum Tauri), 18, 28, 31 ,43 sS., 57. Freshfield, album de, 59 n. 46. Galata: voir Sycae. Gilles, Pierre, 7 s., 10,23,45 s. Grégoire de Nazianze, 41. Greniers (voir aussi horrea), 40, 45, 54 s. Guilland, R., 38. Güngorrnez kilisesi, 9 n. 9. Gymnase, 18.
Hadrien, empereur, 20. Halkall, lieu-dit, 20,40 s. Hebdomon, 8, 33 ; citerne, 49. Hénaton, 33 n. 58. Héraclée sur la Propontide, 24, 32. Héraclius, empereur, 31,53,55 n. 23. Hérodien, 14 s. Hésyclùos de Milet, 14,23. Hippodrome, 9, 15, 26 s., 33, 35, 43, 58, 61 s. Horrea Alexandrina, Constantiaca, etc., 40,59. Hünernarne du Palais de Topkapl, 10. Ignace le diacre, 54. Incendies, 51 s., 62. Irène, impératrice, 59. Isthme de Byzance, 16 s. Itinéraire d'Antonin, 32. Isakapl mescidi, 25, 28. Janin, R., 11, 17,38. Jean II Comnène, 34. Julien, empereur, 23, 25 n. 12,26,30,39. Justin II,34,39,53. Justinien 1er , 20, 30 n. 44, 33, 37, 40 n. 19, 47,52,54 ;Code,47s. Kadlfgalimam, quartier, 39. Kainopolis, 18,45. Kédrènos, 44. Klètorologion de Philothée, 54. Kratéros, maison de, 59. Küçük çekmece : voir Rhègion. Kumkapl, quartier, 18 n. 26. Kurfah, village, 32 n. 54. Kynègion (amphithéâtre), 19, 33 s., 57. Lâleli, mosquée, 30, 40 n. 15. Lamia, monument, 54 s. Lemerle, P., 54. Léon 1er, 46. Léon VI, 58. Leptis Magna, 38 s. Licinius, empereur, 23. Livre des Cérémonies, 28, 31, 45 s., 50. Lorck, Melchior, panorama de, 9. Lykos, ruisseau, 19. Lyon, 41. Malalas, 23.
INDEX
Marnboury, E., 10, 15,27,34. Manuel 1er Comnène, 61. Marcellin, comte, 46. Marcien, empereur, 46. Maurice, empereur, 53. Mélantias, 32. Mésè, 19, 27 sS., 30 n. 44, 31 S., 42, 44 S., 62. Michel VIII Paléologue, 40 n. 15. Milan, 24. Milion, 27, 33 n. 58. Millingen, A. van, 8,14,38. Monastères : d'Abrarnios et des Abramites, 33 n. 58 ; de Dalmatos, 47 ; des Manganes, 62 ; Sainte-Marie Péribleptos, 29 n. 41,50 n. 81 ; Mèdikanon, 58 n. 44 ; Myrélaion, 29, 59 ; de Stoudios, 47,52. Mosaïque de la rue Çatalçe~e, 13. Müller·Wiener, W., 14. Muraille d'Anastase, 42, 56 ; de Constantin, 24 s., 32, 47, 49,58 ; maritime, 25 ; de Théodose Il, 46 ss. Musée archéologique d'Istanbul, 26. Musellius, préposite, 29 n. 37. Nasüh al-Matraki, dessin de, 10, 59 n. 46. Nécropole abtique, 13, 15, 47 ; chrétienne, 47 s., 57 s. Nicée, 20. Nicéphore, patriarche, 53. Nicéphore Calliste, 31. Nicomédie, 20, 24. Nika, sédition de, 52, 54. Notaires, saints, Passion de, 32. Notitia urbis CP, 7, 10, 23, 28, 32, 35, 39 s., 43,45 s., 52, 55, 58. Nouméra, prison, 60. Nymphaeum maius, 41 n. 24. Oikonomidès, N., 54. Orphelinat de Saint-Paul, 34,62. Palais d'Antiochos, 27, 58 ; des Blachernes, 62 ; d'Eleuthère, 59 ; des Hélénianes, 47 ; impérial (Grand Palais), 15, 20, 27, 30, 33,52,61 ; de Lausos, 58 s. ; de Saint-Mamas,8. Panvinio, Onufrio, gravure de, 9. Papaz Burgaz, lieu.:dit, 32 n. 55.
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Pargoire, J., 8. Paschoud, F., 17. Paspatis, A.G., 10,25. Patria, patriographes, 7 et n. 1, 11,14,18,20, 29,31,44,55,60. Pélagiou, ta, 57. Pempton, 32 s. Peste de 542, 51, 57 s. ; de 747, 53, 57 s. Pétra, lieu·dit, 41 n. 28. Philadelphion, 18 n. 28, 28 ss., 45. Philostorge,16. Phocas, empereur, 31, 51 n. 1,53,55 n. 23, 58. Population de Byzance, 19 s. ; de Constan· tinople, 51, 53 s. Porte d'Andrinople, 49 ; Porte Dorée de Constantin (porte de Satourninos), 24s., 27 s., 32 s., 47 ; Porte Dorée de Théo· dose, 33 n. 58, 50 ; d'Eugène, 25 n. 12; de Mélantias, 25 ; de Polyandrion, 47 ; du Précurseur, 25. Portiques de Domnios, 31, 62 ; de Maurianos, 62 ; de Troade, 28, 30 n. 44. Ports, 14 s., 38 s., 55 s. ; Bosphorion ou Prosphorion, 15, 33, 40 ; d'Hormisdas, 55 n. 23 ; de Julien (ou de Sophie), 31, 38 sS., 42, 55 ; Kontoskalion ou Kontoskélion, 38 ; Néorion, 15, 18 n. 30,33,39 n. 14,51,55 s. ; de Théodose (de Kaisarios ou d'Eleuthère), 38 SS., 42,55. Portus, port de Rome, 38 s. Prétoire, 31 n. 52. Procope de Césarée, 52. Proculus, préfet de CP, 43 n. 35. Proteichisma, 18. Psamathia, 49, 55 n. 23. Pulchérie, impératrice, 52. Régions urbaines, 45 sS., 51. Rhègion, 32 s. Robert, L., 20. Romain 1er Lécapène, 59. Romain III, 61. Rome, aqueducs, 41 ; colonnes de Marc Aurèle et de Trajan, 43, 45. Rotonde du Myrélaion, 29, 5'9. Saray, ville de Thrace, 41. Saturnin, domaine de, 47,50 n. 81.
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INDEX
Schiza, lieu·dit, 32 n. 55. Schneider, A.M., 38. ~ehzade, mosquée, 28, 30 s. Sénat, palais du, 26, 33, 35, 51 s., 58. Sérail de Topkapl, 9 n. 9, 19 s., 33 s. ; Vieux Sérail, 45. Sévère, Septime, 14 s., 19,26 ; portiques de, 25. Siège de 626, 56 ; de 717·718 et de 742, 54. Sigma, 50. Sirkeci, quartier, 19. Sirmium, 24. Socrate, historien ecclésiastique, 35, 37. Souda, lexique, 59. Spalato,24. Sphendonè de l'Hippodrome, 26. Statue d'Anastase 1er , 34 n. 62 ; d'Arcadius, 44 ; de Byzas, 34 n. 63 ; de Constantin à la Porte Dorée, 47 ; des fils de Constantin, 28 ; de la Fortune, 19 n. 32,25 n. 16 ; d'Hélène, 28 ; d'Honorius, 44 ; des Juges équitables, 29 ; de Julien, 29 ; de Justin II et de Sophie, 49 n. 79 ; des Lions, 46 ; de Théodose 1er, 43 s. ; de Théodose II, 50 n. 81 ; de Zeus et de Kronos, 18 n. 29. Stoudios, domaine de, 47. Strabon, 16. Stratègion, 14, 18 n. 30, 19 s., 32,43, 57. Sublime Porte, 19. Süleymaniye, mosquée, 15. Sycae (Galata), 46, 48,58,62. Tlilikasap, quartier, 48. Tatien, préfet de CP, 46. Teal1, J., 53. Temples païens de Byzance, 18, 19 n. 36, 33,34 n. 62. Ténédos, 40 n. 19. Tétrapyle, 30 s., 52. Tétrastoon, 19,26 s., 32. Thérnistios, 23,41. Théodore, métropolite de Cyzique, 56. Théodore Prodrome, 34.
Théodose 1er , 18,43,45. Théodose II, 25 n. 12. Théophanô, épouse de Léon VI, 60 n. 56. Théophile, empereur, 25 n. 12, 50, 61. Thermes d'Achille, 14, 18, 20, 33, 60 ; Arcadianae, 60 ; Constantianae, 41,45, 60 ; de Dagisthée, 52,60 ; Eudocianae, 18 n. 30, 60 ; Helenianae, 60 ; Honorianae, 18 n. 30, 60 ; Karosianae, 60 ; de Zeuxippe, 19,26,33,52. Thessalonique, mausolée de Galère, 27. Tibère II,53. Tour d'Eugène, 14. Trajan, empereur, 43. Trèves, 24. Tribunal du Palais impérial, 26. Triton, 32 s. Université d'Istanbul, 15,28 n. 35. Unkapan, quartier, 17. Uzunçar~l Ca'ddesi, rue, 31. Valens, empereur, 20, 40, 41 s. Valvassore, panorama de, 9, 39,45,47 n. 61. Venise, Carmagnola et statues des Tétraques, 29. Via Egnatia, 32 s. Victor, domaine de, 47. Viquesnel, A.,41. Vize, ville de Thrace, 41. Xénophon, 15. Xèrokèpion, endroit, 56 n. 30. Xèrolophos, 28, 43, 45. Yanm Burgaz, lieu-dit, 32 n. 55. Yeni kapl, porte maritime, 25 n. 12. Yeni Mevlevi kaplSJ, porte terrestre, 25 n. 12,47. Zeugma, quartier, 17 s. Zeugma, ville de l'Euphratésie, 18. Zosime, 16 sS., 23 s., 39, 46.
TABLE DES ILLUSTRATIONS ET PLANS
Fig. 1. Plan Kauffer-Lechevalier, 1786. Fig. 2 : Panorama de Valvassore, d'après E. Oberhummer. Fig. 3. Byzance antique, d'après R. Janin. Fig.4. Forum Tauri et région environnante. Reconstitution proposée par R. Janin. Fig. 5. Panorama de Valvassore, détail: le Port Julien et ses environs. Fig. 6. Panorama de Valvassore, détail: Forum de Théodose et Vieux Sérail. Plan I. Byzance antique et ville de Constantin. Plan II. La ville théodosienne.
TABLE DES MATIÈRES
Préface. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
5
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
7
I.
L'antique Byzance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 13
II. La ville de Constantin
23
III. De Constance II à Marcien
37
IV. Apogée et déclin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ~ . . . . . . . . . . . . . . .. 51 Abréviations utilisées. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 63 Index
65
Table des illustrations et plans. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 69