FRANÇOIS MAR TIN, docteur ès lettres, travai presse et de la co lle dans le mon mmunication de de de la puis 1996. LUDOVIC HIR TZMANN est un journaliste québécois. Il es indépendant fr t correspondan ancot et collaborate internationales, ur de publicat parmi lesquelle ions s Le Figaro, Le So Presse de Montr ir de Bruxelles, éal, Le Progrès de La Lyon, La Dépêch Luxembourg. e du Midi, La Vo ix du
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Catalogage avant publication de la Bibliothèque nationale du Canada Hirtzmann, Ludovic, 1966Le défi des quotidiens gratuits Comprend des réf. bibliogr. ISBN 2-89544-057-3 1. Presse gratuite. 2. Journaux – Aspect économique. 3. Journaux – Aspect social. 4. Presse – Objectivité. 5. Presse gratuite – Québec (Province). 6. Presse gratuite – France. I. Martin, François, 1955. II. Titre. PN4784.F74H57 2004
338.4’70704
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Révision linguistique: Robert Paré Illustration de la couverture: Guy Badeaux (Bado) Impression: AGMV Marquis © Éditions MultiMondes 2004 ISBN 2-89544-057-3 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 2004 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Canada, 2004 ÉDITIONS MULTIMONDES 930, rue Pouliot Sainte-Foy (Québec) G1V 3N9 CANADA Téléphone: (418) 651-3885 Téléphone sans frais depuis l’Amérique du Nord: 1 800 840-3029 Télécopie: (418) 651-6822 Télécopie sans frais depuis l’Amérique du Nord: 1 888 303-5931
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Les Éditions MultiMondes reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour leurs activités d’édition. Elles remercient la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour son aide à l’édition et à la promotion. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – gestion SODEC.
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Table des matières INTRODUCTION .......................................................................... 1 CHAPITRE 1 – LA PRESSE D’INFORMATION GRATUITE InfoMatin, le pionnier des gratuits ........................................... 5 Triste à lire .......................................................................... 5 Des débuts prometteurs...................................................... 6 Un autre concept ................................................................. 7 Mauvais climat .................................................................... 7 Chute et fin ......................................................................... 8 Métro et 20 Minutes................................................................... 9 Des capitaux venus du froid ............................................. 12 Kinnevik, la maison mère de Métro ................................... 12 Schibsted, du payant au gratuit ........................................ 13 La rapide expansion des quotidiens gratuits.......................... 14 Les implantations de Métro ............................................... 14 Les implantations de 20 Minutes....................................... 16 Les échecs ......................................................................... 16 CHAPITRE 2 – UN CONCEPT FORT Des journaux de type nouveau ............................................... 17 La question de la gratuité ....................................................... 20 La question de l’information................................................... 22 La place de l’actualité internationale ................................ 23 Un problème de quantité................................................... 25 Un problème de qualité..................................................... 26 Un problème de crédibilité ............................................... 28
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Les atouts : un journal alternatif ............................................. 30 Un circuit de distribution court et alternatif .................... 30 De faibles coûts de production ......................................... 33 D’autres atouts........................................................................ 35 Une forte notoriété............................................................ 35 Un vrai « rubriquage » ........................................................ 35 Une charte de déontologie ................................................ 36 De puissants appuis financiers ......................................... 37 Le média du siècle ?................................................................. 39 CHAPITRE 3 – LE QUÉBEC ET LA FRANCE, DEUX CONTEXTES PARTICULIERS
Les limites de l’étude .............................................................. 43 La fantaisie des chiffres .................................................... 43 Des législations différentes............................................... 45 Québec : une culture de presse gratuite.................................. 48 Des gratuits culturels ........................................................ 49 Une culture de gratuits ..................................................... 49 Une presse d’imprimeurs ........................................................ 51 Quebecor et Transcontinental, deux géants...................... 51 France : les gratuits au bout du rang....................................... 56 Un duopole ........................................................................ 57 Le syndrome de Paris Boum Boum .................................... 59 Le cas d’A Nous Paris ......................................................... 59 CHAPITRE 4 – L’IRRUPTION DES GRATUITS Au Canada : le précédent de Toronto ...................................... 61 La situation montréalaise ....................................................... 63 Métro contre Montréal Métropolitain ................................. 64 24 heures........................................................................... 71 La situation en France ............................................................. 72 La guerre des journaux gratuits ........................................ 72
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Marseille et Lyon ............................................................... 73 La bataille de France.......................................................... 75 Trois années de Métro à Montréal ........................................... 76 Un élan brisé ..................................................................... 78 Les publicités nationales................................................... 80 Où en est-on trois ans après le lancement ? ...................... 82 La profitabilité................................................................... 85 CHAPITRE 5 – QUELLES DIFFÉRENCES ENTRE UN PAYANT ET UN GRATUIT ? Information ou analyse ? ......................................................... 89 En quoi Métro est-il différent des journaux payants ? ............ 90 Le nombre de pages .......................................................... 91 Le nombre d’articles.......................................................... 91 Le nombre d’articles par page ........................................... 92 La surface moyenne d’une information ............................ 92 La nature des informations ............................................... 93 Le ratio brèves/articles ..................................................... 94 La part de la publicité ....................................................... 94 CHAPITRE 6 – DE VRAIES QUESTIONS OU DES LIEUX COMMUNS ? Des journaux pour non-lecteurs ............................................. 97 L’argument de la création d’un nouveau lectorat .............. 97 L’augmentation du nombre de lecteurs par la conversion de non-lecteurs................................... 102 Lire en 20 minutes ? .............................................................. 105 Le temps uniformisé ....................................................... 105 Lire un accordéon............................................................ 106 Pas de danger pour les journaux payants............................. 108 Le contexte : la baisse de lectorat.................................... 110 Publicité : une conjoncture défavorable .......................... 111 Une nouvelle donne ........................................................ 112
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Une bataille de chiffres, le grand flou............................. 113 Une situation de concurrence ......................................... 115 Concurrence déloyale ?.................................................... 117 Imaginons un monde idéal.............................................. 118 Les premiers éléments .................................................... 120 Les journaux populaires sont les plus menacés ................... 121 Des journaux en difficulté .............................................. 122 Des aiguillons.................................................................. 124 Un glissement de publicité.............................................. 125 L’information jetable ............................................................. 129 CHAPITRE 7 – DE VRAIES QUESTIONS, DE VRAIS PROBLÈMES S’agit-il de quotidiens ? ......................................................... 131 L’aspect ............................................................................ 131 La périodicité .................................................................. 132 Information ou publicité ? ............................................... 133 L’information n’est pas aux commandes ......................... 134 Une constante valorisation de l’espace journal .............. 136 Métro, une utopie ? ................................................................ 137 À village mondial, publicité mondiale ? .......................... 137 Un journal sans journalistes ? ............................................... 139 L’aura du scribe ............................................................... 141 L’homme tronc................................................................. 143 Le stylo doré.................................................................... 144 Journal sans journalistes ................................................ 145 Les dangers pour la profession ....................................... 147 Une formidable réussite........................................................ 151 Un pari réussi .................................................................. 153 Un outil formidable ......................................................... 155 JS3M (Jan Stenbeck, Moi, Maître du Monde ?) .................. 155
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CHAPITRE 8 – COSI FAN TUTTE : LE FAUX DÉBAT PAYANTS–GRATUITS Une fausse concurrence ? ...................................................... 157 La propagande ...................................................................... 158 La guerre ............................................................................... 160 Une drôle de guerre .............................................................. 163 Que cent feuilles s’épanouissent, que cent gratuits rivalisent................................................... 168 Petite musique avant la nuit ? ............................................... 169 CONCLUSION Une place dans les paysages quotidiens............................... 171 Quelle place pour les journalistes ? ...................................... 173 POUR EN SAVOIR PLUS Bibliographie......................................................................... 177 Sites Internet......................................................................... 178 ANNEXE Les réactions de la presse québécoise à la venue des gratuits.......................................................... 183 Les réactions de la presse française à la venue des gratuits.... 185
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libustiers, McDonald’s de la presse, journaux jetables»: les journalistes des quotidiens gratuits ont essuyé des salves de gros calibre de la part de leurs collègues de la presse quotidienne payante lors de leur apparition en 2001 au Québec et en 2002 en France. Depuis, les clameurs se sont tues, les esprits se sont apaisés. « Apocalypse presse » n’a pas eu lieu. Fi, les corsaires ! Le secteur semble avoir intégré les nouveaux venus dans le paysage de la presse quotidienne, mais les digère toujours mal. Les coups de gueule de la presse quotidienne payante révèlent pourtant des inquiétudes légitimes. L’étude de ces nouveaux journaux gratuits et de leurs effets sur la presse en général est passionnante. Les gratuits étonnent en ce sens qu’ils ne sont pas si différents des payants. Ils apportent un petit air de révolution. En France, pendant longtemps, la presse écrite payante a endossé les mêmes robes que la noblesse sous l’Ancien régime. La presse gratuite, cantonnée aux petites annonces, ne comportait jusqu’ici quasiment aucune partie rédactionnelle. Puis vinrent les gratuits. La révolution de papier n’a pas été si violente qu’annoncé, mais les comptes ne sont pas terminés. Les Métro et autres 20 Minutes agissent comme des rouleaux compresseurs, et ces « Attila du papier » soulèvent beaucoup d’inquiétudes. Si la presse quotidienne gratuite s’est d’abord attaquée aux annonceurs traditionnels de la presse quotidienne payante, elle s’attaque désormais à leur chasse gardée. En Suède, Métro a investi le secteur des annonces immobilières. Lorsqu’on connaît l’importance de ce secteur pour la presse quotidienne, on peut se demander ce qu’il adviendra lorsque la presse gratuite investira le marché des annonces d’emplois.
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La presse française est en pleine effervescence. Il n’est pas de mois sans lancement d’un nouveau gratuit1. En réaction, les éditeurs font appel à des gourous du marketing et du design pour les sortir du ravin et les aider à reprendre une initiative qu’ils ont perdue. Jamais les quotidiens payants n’ont autant modifié leurs maquettes2 que durant l’année 2003, et le mouvement se poursuit en 2004. Au Québec, depuis le début de l’année 2003 et malgré le lancement de sa nouvelle maquette à l’automne, La Presse, « le quotidien de la rue Saint-Jacques», ne sait plus à quel saint patron se vouer : le quotidien montréalais s’abandonne tantôt au jeunisme, tantôt à l’enquête de bureau. En France, Libération, qui comptait tant sur sa nouvelle maquette pour se relancer mais craignait en se montrant trop hardi de perdre encore des lecteurs, a livré une nouvelle formule quasi identique à la précédente. Les quotidiens payants sont sur la défensive. Les journaux à 1,2 € ou à 0,65$ intéressent de moins en moins de lecteurs. Les quotidiens d’information gratuits ne relèvent pas d’un mauvais roman de science-fiction. Ils sont réels, ils sont nouveaux, ils sont riches. Ils appliquent à outrance les règles du libéralisme. Ils savent être quotidiens les jours rentables, disparaître des mémoires les jours de repos. Les Métro, les 20 Minutes et leurs petits frères gratuits, par leur flexibilité, leur diffusion intelligente ont attisé les jalousies. Les journalistes de la grande presse ont décoché des flèches empoisonnées, enduites d’un mépris d’autant plus surprenant que les gratuits sont des journaux dont la rigueur n’a rien à envier aux payants. La politique des gratuits est cohérente, et certains ont une charte éthique que ne possède pas toujours la presse dite de qualité. Au-delà de ces considérations, les gratuits ont révélé la vanité des journalistes et leur attachement à un certain ordre établi. Les journalistes des gratuits cassent l’image traditionnelle du scribe.
1. En janvier 2004, Métro a lancé deux nouvelles éditions à Toulouse et à Lille. De son côté, Le Progrès peaufinerait un projet de quotidien gratuit à Lyon. 2. Cyril Lemieux, « Graphisme et maquette : attirer jusqu’à perdre son âme », tribune parue dans Le Monde du 4 décembre 2003.
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D’ailleurs, pour l’instant, peu de vedettes3 (à l’exception du directeur de la rédaction de 20 Minutes en France) ont fait le pas vers la presse gratuite. Les mauvais jours, les journalistes de la presse de qualité se demandent si le déluge de gratuits ne se transformera pas en iceberg et quel quotidien payant sera le Titanic. « Le journal est la prière laïque du matin de l’homme moderne», écrivait Hegel en 1820. Les gratuits ont remis au goût du jour cette citation. Chaque matin, des millions de personnes lisent désormais leur quotidien gratuit. Les quotidiens gratuits scandinaves ont redonné à des millions de personnes le goût de la lecture, ce que les quotidiens payants n’ont pas réussi à faire depuis des lustres. Les gratuits ne réinventent pas le journalisme. Ils préfigurent un autre journalisme, dangereusement épuré, pour un autre public de lecteurs. Mais est-ce bien un autre public? Les journaux gratuits ne vont-ils pas dévorer peu à peu les payants? Même s’ils sont partis d’un rêve scandinave, il ne s’agit pas de contes d’Andersen. Après avoir entamé la bagarre avec les Vikings, les patrons de plusieurs groupes de presse payante ne rechignent plus à écouter ces sirènes nordiques. Car Métro et 20 Minutes ont su trouver leur espace et conquérir une place sur le marché des publicités. Aujourd’hui, les bébés venus du froid sont une vingtaine à informer 12 millions de lecteurs, de Santiago à Hong Kong en passant par Montréal et Paris. Du jamais vu, d’autant que nous n’en sommes qu’au début. Cette avalanche de gratuits bénéficie parfois de la faiblesse de certains quotidiens payants qui, avec les faibles moyens financiers et l’équilibre précaire des comptes, ont du mal à résister à cette déferlante de liquidités venues du froid. Cette faiblesse n’est pas seulement financière, elle est parfois « conceptuelle ». Les quotidiens gratuits ont su créer des liens avec leurs lecteurs et ont compris qu’il fallait aller vers eux, en
3. En France, Métro s’est adjoint la contribution de « plumes » connues, comme Christine Ockrent ou Philippe Alexandre, qui jouent surtout un rôle de caution. Comme éditorialistes, ils ne semblent pas avoir une participation importante dans l’élaboration du journal.
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leur mettant parfois le journal dans la main. Ils ont su « surfer » sur les habitudes de gratuité acquises par les jeunes lecteurs au contact d’Internet et offrir à ce public l’information brève et brute à laquelle il s’est accoutumé. Les quotidiens payants ont mal compris ce phénomène. La critique des gratuits par la « presse de qualité » révèle bien cette faiblesse. Personne n’a pris le temps d’étudier les journaux gratuits. Reprises régulièrement à droite et à gauche, les invectives reposent sur des lieux communs. Bref, un triste travail de journaliste du XXIe siècle…
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Chapitre 1
La presse d’information gratuite InfoMatin, le pionnier des gratuits
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om de code : Expresso. Tout un symbole ! InfoMatin, né le 10 janvier 1994, est mort deux ans plus tard. Dans les vingt dernières années, la presse française a vu défiler beaucoup de quotidiens dont la durée de vie a été très brève. Pourtant, InfoMatin n’était pas comme les autres, et beaucoup de lecteurs se souviennent encore de ce petit journal coloré, au prix attrayant et aux informations concises. Un journal fait pour être lu en 20 minutes en quelque sorte ! Tout dans ce journal au format demiberlinois de 24 pages préfigure les gratuits: InfoMatin visait une clientèle de jeunes urbains de 18 à 35 ans, jusqu’ici non lecteurs de quotidiens; les articles étaient courts et abondaient en couleurs et en illustrations. De plus, comme Métro et 20 Minutes, InfoMatin était publié cinq jours sur sept. Lorsqu’il apparut dans les kiosques au tout début de l’année 1994, ce petit quotidien, dont le format rappelle celui du Journal de Montréal, se vendait 3F. Ce prix très bas, près de la moitié du tarif des autres quotidiens nationaux, se voulait une incitation à l’achat.
Triste à lire Dans Les Échos4, Marc Jézégabel, rédacteur en chef d’InfoMatin, déclarait : « Nous ne donnerons pas moins d’informations que les autres, mais nous en développerons un peu moins.» La remarque vaudra pour les gratuits près d’une décennie plus tard. La presse 4. Les Échos du 31 décembre 1993.
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de qualité se déchaînera cette fois contre ces vrais-faux journaux qui n’analysent pas. Rien de tel n’est dit alors pour InfoMatin. Alain Carlier, président de Sodepresse, la société éditrice d’InfoMatin, justifiait le lancement du nouveau journal en déclarant la presse quotidienne « triste et longue à lire ». Là encore, la similitude avec les gratuits est forte. Trois jours avant le premier numéro d’InfoMatin, Le Parisien baissait son prix de 4,50F à 3,50F et lançait une édition nationale nommée Aujourd’hui. « La presse quotidienne française est beaucoup trop chère. Nous pensons qu’il y a un créneau pour un quotidien national de 36 pages à 3,50 F », déclarait alors le directeur général du groupe Amaury, Jean-Pierre Courcol. De son côté, le directeur général du Parisien, Fabrice Nora, estimait qu’InfoMatin l’avait poussé « à réagir plus vite qu’il le pensait », mais son journal avait «décidé d’occuper durablement ce créneau face aux divers projets de groupes étrangers ».
Des débuts prometteurs Les débuts d’InfoMatin furent plutôt prometteurs. «Ventes record pour InfoMatin », titrait Les Échos5, qui ajoutait que le nouveau quotidien «s’est vendu, pour son premier jour de parution lundi, à environ 345 000 exemplaires en France ». De son côté, Louis Bernard Robitaille, correspondant de La Presse à Paris, dans un article intitulé « Débuts triomphants d’un journal qui veut rester petit », notait « un succès si net qu’un vent de panique a commencé à souffler sur les journaux concurrents – à commencer par Libération, qui a vu ses ventes reculer de 8 p. cent – et va accélérer la mise en place d’une toute nouvelle formule rédactionnelle. Même le très populaire Parisien libéré a été obligé de contre-attaquer immédiatement, avec une édition nationale abrégée et bon marché. » Le Québécois parisien y voyait aussi « un journal quasiment “de poche” destiné, on s’en doute, au métro parisien et autres transports en commun6 ».
5. Les Échos du 12 janvier 1994. 6. La Presse du 30 janvier 1994.
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Un autre concept Si certains, à l’époque, voyaient dans InfoMatin une copie hexagonale de USA Today, nombreux furent ceux qui décelèrent une rupture avec la presse traditionnelle. Le journal n’employait pas de journalistes vedettes, les stars médiatiques ou politiques ne venaient pas y faire une pige comme au Monde ou dans Libération. Sans éditorial, InfoMatin se voulait neutre, respectant ainsi sa cible privilégiée, une jeunesse urbaine désenchantée par la classe politique. Le tiers de la pagination relevait du guide et de l’article magazine. Au mois de février 1994, l’un des fondateurs d’InfoMatin distribuait une note à ses collaborateurs, montrant les soucis qui attendaient le quotidien : « Nous abordons une période délicate, celle des vacances de février. Notre cœur de cible est très urbain. Il va partir aux sports d’hiver et les ventes vont forcément fléchir. Pour limiter les dégâts, nous faisons un effort sur la diffusion dans les stations de ski. » Tout cela ressemble étrangement à Métro et à 20 Minutes qui, durant les vacances de Noël 2002, ont suspendu leur parution.
Mauvais climat Au mois de mars 1994, InfoMatin nota un léger tassement de ses ventes, qui se situaient alors autour des 100 000 exemplaires de son objectif initial. En avril, changement de cap. Le journal, dont l’actionnariat était composé du Monde et du groupe suédois Marieberg, est racheté par André Rousselet, PDG des taxis G7 et ancien patron de la chaîne de télévision Canal +. En juin, les ventes avaient encore chuté, pour se stabiliser autour de 60 00070000 exemplaires. La rédaction n’acceptait pas André Rousselet, qui le lui rendait bien. Le climat se détériorait sans que le petit quotidien ne parvienne à mettre au point une véritable formule de relance. En janvier 1995, InfoMatin fit une entorse à son tarif bon marché et passa à 3,80 F.
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Les ventes baissèrent encore. Avec une soixantaine de milliers d’exemplaires par jour, le quotidien était bien loin de la rentabilité. Dans une entrevue aux Échos7, André Rousselet rappela son souhait de voir InfoMatin franchir de nouveau la barre des 100 000 exemplaires : « Libération est certainement le journal le plus proche. Mais il n’y a pas de compatibilité, car chacun a ses particularités, ses propres modes de pensée ou de diffusion. Le Monde, avec lequel nous sommes déjà liés par notre contrat d’imprimerie, serait le plus compatible, parce que le moins concurrent. » Le PDG d’InfoMatin ajoutait : « Même s’il y a incontestablement une zone de superposition entre les deux titres, je souhaite que les deux journaux subsistent. Lorsqu’un journal disparaît, c’est autant de lecteurs en moins pour la presse quotidienne. Quand Le Matin de Paris ou Le Quotidien se sont arrêtés, on n’a pas retrouvé ailleurs des traces importantes de leur lectorat. Il s’est volatilisé. » Propos prémonitoires.
Chute et fin Début janvier 1996, InfoMatin ne vendait plus que 55 000 exemplaires, très loin de son point d’équilibre. Le 8 janvier, le quotidien publia son dernier numéro. Le 6 janvier, La Tribune titrait : « Aujourd’hui part à la chasse aux lecteurs d’InfoMatin ». Le directeur général du Parisien, Fabrice Nora, pensait « pouvoir raisonnablement récupérer 3 000 à 5 000 lecteurs laissés orphelins par la disparition d’InfoMatin. Nul doute que Libération, qui en a bien besoin, mise aussi sur un certain report. Mais l’expérience a montré que les lecteurs perdus l’étaient souvent pour tout le monde », écrit La Tribune. « Sur les 60 000 à 70 000 exemplaires d’InfoMatin, aucun journal n’a récupéré de lecteurs de manière significative, hormis peut-être un millier de lecteurs pour Libération et un autre millier pour Le Parisien. InfoMatin n’a pris sur personne lorsqu’il s’est créé, et son arrêt n’a rapporté à personne8 », remarque la direction du groupe Amaury. Cette disparition du lectorat d’InfoMatin montre que le journal avait
7. Les Échos du 15 septembre 1995. 8. Les Échos du 16 février 1996.
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une unicité, qu’il y a une place pour ce type de média et que son lectorat ne se reconnaît pas forcément dans Libération ou Le Parisien. Le rédacteur en chef d’InfoMatin, Marc Jézégabel explique la fin du quotidien : « Un dépôt de bilan sanctionne un échec. InfoMatin en est-il un ? Le journal est déficitaire. Mais jamais un quotidien généraliste n’a gagné d’argent en deux ans9.» Selon Philippe Robinet et Serge Guérin, « la disparition d’InfoMatin a contribué à une chute du lectorat global de la presse quotidienne en entraînant la disparition de 660 000 lecteurs… InfoMatin avait tenté de s’adresser à un public jeune, féminin et urbain, non lecteur de journaux jusque-là. Il se partageait entre l’actualité et la vie pratique. Son petit format illustré et en couleurs était assez attirant. Malgré son échec, il a su révéler un lectorat potentiel (563 000 lecteurs en moyenne au numéro en 1995, plus de 350 000 acheteurs de premiers numéros). Un lecteur sur deux était âgé de moins de 35 ans, et un sur quatre, de moins de 25 ans10. » Pour d’autres observateurs, InfoMatin aurait fait un énorme succès s’il avait été gratuit.
Métro et 20 Minutes C’est en 1992, soit à peu près en même temps qu’InfoMatin, que trois Suédois, Monica Lindstedt, Pelle Andersson et Robert Braunerhielm, commencèrent à définir un projet similaire. Monica Lindstedt avait déjà dirigé un petit quotidien de province et une maison d’édition, enseigné, créé une agence conseil. Les deux autres s’étaient rencontrés à la fin des années 1970, alors qu’ils collaboraient à la publication maoïste Gnistan (L’Étincelle), organe de l’Union communiste marxiste léniniste (Kommunistiska Förbundet Marxist-Leninisterna – KFML), parti fondé en 1967 qui n’atteignit jamais plus de 20 000 voix aux élections. Après avoir touché un peu à tout dans le domaine de l’édition (journalisme, graphisme, écriture, édition…), ils s’intéressèrent à l’idée d’un quotidien gratuit avec l’objectif de « donner aux Stockholmois,
9. Le Monde du 9 janvier 1996. 10. Philippe Robinet et Serge Guérin, La presse quotidienne, Paris, Flammarion, 1998.
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en quinze minutes, les informations dont ils ont besoin, dans un vrai journal » et la publicité comme unique source de financement. Dans le contexte de l’époque, l’idée n’était pas si saugrenue. Elle a été à la base de nombreuses tentatives, d’importantes spéculations et d’énormes illusions sur Internet. En manque d’argent, le trio se met en quête d’éventuels partenaires. Des groupes de presse, des banques, des hommes d’affaires sont pressentis, mais l’idée ne retient pas leur attention. Jusqu’au jour où les trois amis frappent à la porte de Kinnevik, le groupe de Jan Stenbeck, pionnier de la télévision commerciale en Suède. En 1992, ce fils d’industriel prospère et frère d’une ancienne ministre conservatrice des Affaires étrangères est respecté dans le monde des communications. Il a profité de la déréglementation du marché des télécommunications pour créer le réseau de téléphonie Tele2. Pelle Andersson, qui a travaillé un temps sur un projet de magazine haut de gamme du Modern Times Group (MTG), la filiale de Kinnevik regroupant toutes les activités médias, connaît Jan Stenbeck. Le contact est établi grâce à Joergen Widsell, vicePDG et lui aussi ancien de Gnistan. Celui-ci comprend vite l’intérêt du projet, d’autant que Jan Stenbeck réfléchit depuis quelques années au lancement d’un quotidien. Baptisé dans un premier temps Stockholms Notisen (Les Notices de Stockholm), Métro, tabloïd en quadrichromie, fait son apparition le 13 février 1995 dans les stations du métro de Stockholm. Gratuit, composé d’articles courts sur l’actualité internationale, suédoise et locale, il séduit et devient vite familier aux centaines de milliers d’usagers du métro. La saga peut commencer. Dès le départ, les Suédois ont compris qu’une des clés de leur réussite sera de disposer d’un réseau de distribution fort. Ils passent donc sous les fourches caudines de Storstockholms Lokaltrafik, la société de transports publics de la ville. D’après les termes du contrat conclu en septembre 1994, celle-ci touche une somme importante en échange de l’exclusivité, dispose d’un espace à l’intérieur du journal et obtient le remboursement de toutes les dépenses relatives à l’enlèvement des journaux usagés 10
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dans les rames et les stations. Le nouveau titre – et nous avons déjà là un raccourci de notre étude – utilise les rotatives de deux journaux payants de la capitale. Monica Lindstedt, Pelle Andersson et Robert Braunerhielm sont avant tout des créateurs. La première abandonne très vite le projet, et les deux autres, actionnaires des deux nouvelles sociétés fondées par Kinnevik pour lancer le gratuit, revendront leurs parts à l’automne 1995, laissant seul à la barre de l’entreprise, Jan Stenbeck. Ce dernier cherchera rapidement à exporter son concept. Il a de grandes ambitions : après Stockholm, Métro s’attaque à Göteborg, la deuxième ville de Suède, puis à Prague et à Budapest. Suivront Malmö, Varsovie, Athènes, Zurich, Rome, Milan, Barcelone, Madrid, Helsinki et Copenhague. Jan Stenbeck décide aussi de tenter l’aventure américaine : Métro est lancé à Philadelphie, Toronto, Montréal, Santiago du Chili et Buenos Aires. Dans certains petits pays (Pays-Bas, Hongrie et depuis peu Danemark), il devient un journal à couverture nationale. Toutes éditions confondues, le gratuit revendique aujourd’hui plus de 12 millions de lecteurs, ce qui fait de lui le troisième journal au monde à ce chapitre, devant l’allemand Bild, mais derrière quelques titres japonais11. Pour en arriver là, Jan Stenbeck a créé la société Métro International, installée à Londres et cotée à Stockholm et au Nasdaq à New York. Assez secret, le groupe, qui publie régulièrement ses résultats sur son site Internet, se réfugie fréquemment derrière ses obligations boursières pour ne rien dévoiler de ses projets. Métro International lance ses opérations comme des commandos. Il affirme par exemple qu’il n’a fallu que neuf jours pour lancer l’édition de Toronto, dans le plus grand secret, depuis une suite louée dans un hôtel. À Montréal, on a pu observer la même discrétion. La même méthode a également été utilisée en France, où rien n’a filtré avant le lancement sur l’emplacement de ses bureaux.
11. Les quotidiens les plus lus au monde sont Yomiuri Shimbun (14,2 millions d’exemplaires), Asahi Shimbun (12,3), Mainichi Shimbun (5,6), Nihon Keizai Shimbun (4,7), Chunichi Shimbun (4,5) et Bild Zeitung (4,2).
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Cette grande discrétion est due en partie à la concurrence qui règne dans ce segment d’édition. La plus forte vient de Schibsted, principal groupe de journaux en Norvège. Après avoir acheté plusieurs quotidiens en Suède et en Estonie, Schibsted s’est lancé, avec des fortunes diverses, à la poursuite de Métro, sur le marché des gratuits hors Scandinavie : en décembre 1999, 20 Minutes est lancé à Zurich, puis à Cologne, Madrid et Barcelone, et enfin à Paris, au printemps 2002.
Des capitaux venus du froid Ces entreprises, qu’il s’agisse de Kinnevik (propriétaire de Métro International) ou de Schibsted (éditeur de 20 Minutes), ne sont pas de petits joueurs.
Kinnevik, la maison mère de Métro Kinnevik est un groupe suédois créé en 1936 par une bande d’amis dont les petits-enfants sont aujourd’hui les dirigeants de l’entreprise. Groupe financier, Kinnevik a investi au départ dans l’industrie lourde, la métallurgie, l’agriculture et les forêts. Sorti du secteur métallurgique lors de la restructuration de l’industrie suédoise vers la fin des années 1970 (il a vendu sa dernière participation en 1991), le groupe s’est développé dans les secteurs des services, des nouvelles technologies et de la communication. Kinnevik, déjà présent dans les secteurs de la téléphonie mobile, de la diffusion satellitaire, de la télévision, de l’édition, du téléachat et de la radio, investit dans Métro en 1995. Le groupe, dont Jan Stenbeck assurait la présidence, possède 100% de Korsnäs Holding AB (forêts, pâtes et papiers), de Mellersta Sverige Lantbruck AB (agriculture et élevage en Suède et en Pologne), de Worldwide Loyalty BV (société conseil) et de Credit International Service (conseils économiques et financiers), 55% de Air Time AB (publicité audiovisuelle), 33,5 % de Millcom International Cellular S.A. (services de téléphonie mobile – basée au Luxembourg), 28,7% de Cherryföretagen (jeux, casinos), 23,9% de Viking Telecom AB (produits pour télécommunications), 15,9% de Tele 2 AB (télécommunications), 14,5% de Métro International S.A. 12
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(journaux) et 8,4 % de Modern Time Group AB (MTG) (médias : Viasat, TV3, Rix FM…) que Kinnevik présente sur son site Internet12 comme «un instrument pour briser les monopoles et les oligopoles dans le secteur des médias»). Kinnevik affichait en 2001 un chiffre d’affaires de 6120 millions de couronnes suédoises (654 millions d’euros).
Schibsted, du payant au gratuit Autant Kinnevik a de nombreux traits communs avec les capitaines d’industrie de la communication (AOL-Time-Warner, Vivendi Universal, Quebecor…) entraînés dans le tourbillon fou de la convergence13, autant Schibsted semble austère. Contrairement à son rival suédois, le groupe norvégien est un professionnel de la presse, où il exerce depuis 1839. Pour le Tinius Trust14, « noyau dur» de son actionnariat, la politique de Schibsted doit être «basée sur les valeurs chrétiennes, la culture norvégienne et les principes démocratiques». Jusqu’à ses dernières années, Schibsted possédait les deux plus importants quotidiens de Norvège: Aftenposten depuis 1860 et Verdens Gaang depuis 1966. Au tournant des années 1990, il investit dans Aftonbladt, le plus important quotidien suédois (dont il possède la moitié des parts depuis 1996) et dans Postimees, le plus gros quotidien estonien. Le groupe est peu sorti de son domaine de compétence, si ce n’est pour se développer depuis 1991 dans la télévision. 12. http://www.kinnevik.se/ 13. Reprenant à leur compte ce qu’exprime Hervé Fischer dans Mythanalyse du futur (cyberlivre): «Et il ne faut plus considérer les technologies du téléphone, de la télévision, de l’informatique et de l’Internet comme des marchés verticaux et distincts.» 14. Depuis 1996, l’actionnariat de Schibsted a une forme tout à fait particulière. À l’occasion de l’assemblée générale des actionnaires, Tinius NagellErichsen, le propriétaire de la société a décidé de placer après sa mort toutes les actions votantes (A-share) dans une fiducie, le Tinius Trust, afin de « garantir la liberté et l’indépendance des journaux Schibsted. Cette fiducie a pour obligation de maintenir le groupe Schibsted comme groupe de presse et de poursuivre la politique éditoriale et commerciale du groupe, […] de préserver la liberté éditoriale d’Aftenposten et de Verdens Gaang, […] d’appliquer ces principes de liberté éditoriale, de crédibilité et de qualité dans les autres médias du groupe […] ».
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N’ayant plus d’expansion possible sur le petit marché scandinave, Schibsted s’est lancé dans l’aventure d’Internet et dans les quotidiens gratuits, misant sur une rapide croissance externe. 20 Minutes fait donc partie de cette stratégie. Dans son rapport annuel de 2001, le groupe, frappé de plein fouet par les événements du 11 septembre, faisait cependant état de 152,7 millions de couronnes norvégiennes (20,1 millions d’euros) de perte (contre 134,1 en 2000). La perspective d’une rapide croissance externe était bien éloignée. Depuis l’automne 2001, Schibsted a réduit ses ambitions et n’a conservé que ses projets déjà bien avancés, dont le projet français. Il faut dire que les comptes du groupe, déjà largement grevés par ses investissements sur Internet, s’alourdissaient en 2001 des pertes de 113 millions de couronnes norvégiennes (14,5 millions d’euros) dans le 20 Minuten Holding AG.
La rapide expansion des quotidiens gratuits Depuis 1995, la formule a été déclinée (été 2002) par Métro en 30 éditions et 13 langues dans 15 pays et par 20 Minutes en 4 éditions et 3 langues. L’expansion a été rapide.
Les implantations de Métro 1997 (1)
(États-Unis), Newcastle
Juin : Prague
(Grande-Bretagne – vendu en
(République tchèque)
décembre 2000)
1998 (3)
Mars : Zurich (Suisse – fermé
Février : Göteborg (Suède)
au printemps 2002)
Septembre : Budapest (Hongrie)
Juin : Toronto (Canada)
1999 (4)
et Rome (Italie)
Juin : Amsterdam et Rotterdam
Octobre : Milan (Italie)
(Pays-Bas)
Octobre: Buenos Aires
Septembre : Malmö (Suède)
(Argentine – fermé en mars 2002
et Helsinki (Finlande)
pour cause de crise économique)
2000 (9)
Novembre : Athènes (Grèce)
Janvier : Philadelphie
et Varsovie (Pologne)
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2001 (5 seulement)
Mars : Lyon (France)
Les lancements prévus pour
Avril : Hong Kong (Chine)
l’automne ont été reportés
Mai : Séoul (Corée)
en raison des inquiétudes
2003 (4)
suscitées par les événements
Septembre : Pusan (Corée),
du 11 septembre.
Séville et Saragosse (Espagne)
Mars : Montréal (Canada)
Novembre: La Corogne
et Barcelone (Espagne)
(Espagne)
Mai : Boston (États-Unis)
2004 (4)
Août : Copenhague (Danemark)
Toulouse et Lille (France),
et Madrid (Espagne)
Valence et Alicante (Espagne),
2002 (4)
Mai : Bordeaux (France) et
Février : Paris et Marseille
New York (États-Unis)
(France)
Cette expansion très rapide a coûté cher. Le tirage cumulé place les publications au troisième rang mondial. Même si les revenus annoncés pour l’année 2000 étaient de 407 millions de dollars (contre 178 millions en 1999), Métro International annonçait des pertes de 68 millions de dollars américains (contre 15 millions en 1999). En 2002, Métro a continué sa course en avant, lançant cinq nouvelles éditions au printemps : Paris et Marseille (18 février), Lyon (15 mars), Hong Kong (15 avril) et Séoul (mai) quelque temps avant le début de la Coupe du monde de football. Depuis 2003, Métro, complètement absorbé dans sa lutte contre 20 Minutes en Espagne et en France, semble être en phase de consolidation. Répétant le schéma déjà observé en Suisse, il a multiplié les éditions régionales dans ces deux pays : Séville et Saragosse (septembre 2003), la Corogne (novembre 2003), Toulouse (janvier 2004), Lille, Valence et Alicante (février 2004). Ses tirages placent le journal au premier rang en Espagne (700 000 exemplaires) et au second en France (500000 exemplaires)15. 15. Assez bizarrement, Métro revendique 1,4 million de lecteurs en Espagne et 1,6 en France (communiqués du 2 février 2004).
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Les implantations de 20 Minutes 1999
2001
Décembre: Cologne (Allemagne – Juillet : Madrid et Barcelone fermé en janvier 2000)
(Espagne)
Décembre : Zurich (Suisse)
2002 Mars : Paris (France)
20 Minutes connaît un développement bien moins rapide. Le journal n’a actuellement que trois éditions. La première est sortie en 1999 à Zurich (Suisse) avant de s’étendre à Bâle et à Berne. Lancé la même année à Cologne (Allemagne), le journal a dû se replier moins de deux ans plus tard devant la forte réaction des journaux locaux. Il s’est ensuite implanté à Madrid et Barcelone (Espagne) et enfin à Paris (France). Son développement est d’autant plus difficile que le journal est plus sophistiqué que Métro et se trouve à chaque fois en concurrence avec son rival suédois qui fait preuve d’une singulière conception de la «lutte contre le monopole».
Les échecs Les gratuits ne voguent pas tout le temps sur une vague de réussites. La formule a connu quelques échecs (quatre pour Métro et un pour 20 Minutes) : Everyday, une tentative un peu prématurée de quotidien du soir à Stockholm (Suède); Morning News, revendu à un concurrent au bout d’un an à Newcastle (Grande-Bretagne) ; Métro, à Buenos Aires (Argentine), fermé en grande partie à cause de la crise économique que traverse ce pays ; Metropol, l’édition de Zurich (Suisse) qui, malgré des conditions de départ avantageuses16, a perdu sa lutte contre 20 Minuten et a cessé de paraître en avril 2002. 20 Minutes, pour sa part, a connu un échec cuisant à Cologne, en Allemagne, d’où il s’est retiré deux ans après son introduction en 1999, étouffé par le groupe Springer. Ces échecs montrent que la recette n’est pas magique. 16. Métro avait – à la différence de son concurrent – conclu une entente avec la Société des chemins de fer suisses.
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ite consommés, les « McDonald’s du monde des journaux » doivent permettre aux lecteurs de survoler l’actualité pendant le trajet vers leur lieu de travail. Mais, attention ! ce n’est pas forcément de la « malbouffe » : le concept est fort. La preuve en est que peu de concurrents « improvisés » ont réussi à tenir tête aux nouveaux venus de la presse gratuite.
Des journaux de type nouveau Le modèle est simple : en surface, cela ressemble à « une foule de dépêches d’agences de presse plus ou moins réécrites, quelques articles “maison”, des chroniques de personnalités et des informations pratiques accompagnés de photos couleur et de graphiques17 ». En profondeur, c’est plus complexe. Métro est un produit sophistiqué : règles claires, textes courts (le journal doit être lu en 15-20 minutes), ordonnés en nouvelles locales, nationales et internationales, présentation rigoureuse correspondant à une charte d’édition bien établie. Tout est fait pour la lisibilité, les sections et les types d’informations sont clairement indiqués, la couleur astucieusement utilisée ; le contenu doit être apolitique, « asexuel » et neutre du point de vue religieux. Ce n’est pas une clause de style, ni une clause morale. Cette interdiction est fondatrice du journal : les gratuits sont des journaux apportant une information factuelle et ne laissent que peu ou pas de place aux opinions. Montréal Métropolitain, le concurrent local de Métro, ne l’a pas compris: il pense qu’en accordant une tribune au maire, puis au chef de l’opposition, il contente tout le monde.
17. Antoine Jacob, «La saga des gratuits nordiques», Le Monde du 21 février 2001.
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Métro se borne à ne mécontenter personne18. Le journal ne demande pas une adhésion, juste une consultation. Parmi les diverses réactions observées à Montréal, il faut retenir une analyse parue dans Le 30, la revue de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Pour RolandYves Carignan, «les lecteurs de Métro sont rois et ils ont toujours le dernier mot. Pas de commentaires de la part des journalistes, pas de ligne éditoriale, pas même un petit NDLR à la suite d’une lettre de lectrice outrée pour la mauvaise raison – rien. Les lecteurs, et surtout les lectrices, ont toujours, toujours, le dernier mot19. » Le rédacteur en chef du Métro de Montréal, Marc-André Dumont, renchérit, décrivant même la ligne du journal comme une improbable neutralité autogérée: «Ce qui est intéressant dans le concept Métro, c’est que le service de la rédaction n’a aucune opinion… Quand un lecteur nous dit, par exemple, que nous devrions installer des bacs pour récupérer des journaux, on publie la lettre mais on n’y répond pas. D’autres lecteurs le font le lendemain, en mentionnant qu’ils apportent leur journal au bureau ou qu’ils le remettent dans un présentoir en quittant la station… Les gens se donnent des solutions eux-mêmes!» Par ailleurs – à la différence de certains de ses concurrents – le journal s’interdit les «trois S»: il ne doit comporter ni sang, ni sexe, ni sensationnalisme20 ; l’accent est mis aussi sur la qualité de 18. C’est une des raisons qui ont peut-être amené la suppression des tribunes dans le journal à Montréal. Pensant, lors de son lancement, attirer un lectorat jeune, urbain, sensibilisé, Métro a fait appel à de nombreux chroniqueurs engagés, se donnant ainsi une identité qui pouvait rebuter certains lecteurs et certains annonceurs. L’abandon total des tribunes n’a pas nui à son expansion. 19. Roland-Yves Carignan, «Métro: la goutte d’eau qui dérange», Le 30 (mensuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec), avril 2001. 20. Et ce n’est pas un vain mot: le 25 novembre dernier, lors de la condamnation du tireur de la région de Washington, alors que 24 heures et La Presse jouaient en Une « Le “sniper” condamné à mort », Métro titrait sobrement « John Allen Muhammad condamné à la peine de mort ». (Le Journal de Montréal donnait la nouvelle en page 30 sous le titre « Le sniper John Allen Muhammad condamné à la peine de mort», alors que Le Devoir préférait «La peine de mort pour le sniper John Muhammad. Le Monde, quant à lui, était loin de se qualifier : la nouvelle a fait l’objet d’une brève – bien entendu non sourcée – «Le sniper de Washington condamné à mort».) Ne pensez pas qu’il soit paradoxal que Métro ait le titre le plus correct (au niveau de la langue comme de la retenue) : c’est dans son cahier des charges.
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l’impression (Métro utilise judicieusement le produit marketing du «test de la robe blanche21 »). Sur le site du journal, le concept – présenté comme une lettre du président et du Conseil d’administration de Métro International – tient en 19 lignes22 (dont nous ne reproduisons que l’essentiel): –
Métro International S.A. publie 23 éditions de quotidiens gratuits sur 15 marchés en Europe, en Amériques du Nord et du Sud et en Asie. Les journaux sont publiés les jours de la semaine le matin, avec des éditions de fin de semaine à Stockholm et Hong Kong, et sont distribués le matin dans des zones de fort trafic ou dans les réseaux de transports en commun…
–
Toutes les éditions comportent des nouvelles locales, nationales et internationales dans un format standardisé et accessible. Tout cela pour qu’un lecteur puisse lire le journal durant un trajet type d’une durée approximative de 16,7 minutes. Le contenu du journal est politiquement et religieusement neutre…
–
Les journaux sont distribués dans des présentoirs libreservice ou à la main par des diffuseurs situés dans l’enceinte, ou aux alentours, des réseaux de transports en commun (métros, trains, bus, trams), des immeubles de bureaux, des commerces de détail, à des points de distribution clés sur des rues passantes ou dans toutes autres zones à haute densité comme les campus universitaires…
–
Les revenus proviennent uniquement de la vente d’espaces publicitaires ou d’annonces classées.
–
Les principes de distribution de Métro lui permettent de toucher une grande proportion de jeunes, d’actifs et de femmes. Ces groupes démographiques sont les plus attractifs pour les annonceurs pour le niveau de pouvoir d’achat…
21. L’impression doit être de qualité : le journal ne doit pas laisser de traces d’encre sur une robe blanche. 22. The Metro Concept : Letter from the President & CEO of Metro International, sur www.metro.lu
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Le journal 20 Minutes est encore plus ambitieux : il se veut quotidien, gratuit, de qualité. Il proclame être «un quotidien qui a choisi la diffusion gratuite pour rencontrer son audience et non pas un produit marketing gratuit qui se trouve être un journal. Il est un quotidien à part entière avec des fonctions précises: donner l’information essentielle; rendre service au lecteur; le distraire. La lecture de 20 Minutes doit être associée à la notion de plaisir23.» Le quotidien se veut « rigoureux, crédible et indépendant de tout groupe de pression ou courant de pensée, compact et complet». Par-delà ces aspects, dont ceux d’exhaustivité et de rapidité de lecture, les deux quotidiens gratuits ont le même public cible. Métro le définit comme un « lectorat de jeunes professionnels attractif pour les annonceurs : 28 % de moins de 38 ans et 58 % de femmes24 », 20 Minutes comme un lectorat «âgé de 15 ans et plus, composé en majorité des 15-49 ans (67 %), d’actifs (59 %) et de femmes (58 %) aujourd’hui non lecteurs de la presse quotidienne ». Le journal se fixe comme objectif à Paris « d’avoir au moins un lecteur sur deux de moins de 35 ans ». Cette volonté, nous le verrons plus tard, ne peut qu’inquiéter la presse payante, car le créneau 15-49 ans est justement le plus recherché par les publicitaires.
La question de la gratuité Le premier facteur de la réussite de Métro et de 20 Minutes est bien évidemment la gratuité. Des centaines de milliers d’exemplaires sont pris chaque jour avant tout parce que le journal est gratuit. Les chiffres de diffusion seraient sûrement largement inférieurs si les lecteurs devaient débourser une somme, si légère soit-elle. L’expérience d’InfoMatin en France a montré les limites de la demi-mesure.
23. Présentation du journal sur Internet (www.20min.fr). 24. The Metro Concept : Letter from the President & CEO of Metro International (en anglais).
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La gratuité ne touche pas que le domaine de la presse écrite. Elle est largement répandue et c’est un phénomène en croissance. On trouve maintenant l’affiche, vecteur traditionnel de la publicité, partout : dans le métro, sur les autobus, dans les enceintes sportives et même dans les toilettes. La publicité ne se contente plus de l’affiche: elle a envahi l’ensemble des médias (journaux, magazines, radios, télévisions, Internet) et, comme elle s’avère bien souvent une pollution aux yeux du consommateur, il devient de plus en plus difficile d’en rendre l’accès payant. Ce qui explique le recours croissant à la gratuité. La gratuité est de plus en plus présente dans le domaine de la culture, surtout dans les manifestations rassemblant de larges foules. De nombreux spectacles, de nombreux festivals accordent une place importante aux événements gratuits. Combien de concerts sur la « grande scène General Motors », combien de spectateurs au Mondial SAQ de feux d’artifice ? Les nombreux exemples de ce type montrent à quel point les commanditaires se sont infiltrés dans l’espace de la culture et des loisirs. Il faut tout de même remarquer que la publicité n’est pas l’unique promoteur de la gratuité. Depuis décembre 2001, l’accès aux collections permanentes des musées de la Ville de Paris est gratuit afin d’en permettre « l’accès à tous, sans distinction et toute l’année25 ». Le succès a été immédiat : la fréquentation a augmenté de 78 %. Dans le domaine des médias, la gratuité n’est pas un phénomène nouveau. Le grand média de masse qu’est la radio est gratuit depuis toujours, la télévision l’est en grande partie, et Internet, sur lequel on devait bâtir une nouvelle révolution industrielle, devait l’être totalement. Pourquoi, dans ces conditions, jeter la pierre aux seuls quotidiens d’information générale ? Le coût de l’information est un élément utilisé de manière récurrente: l’information a un coût parce que le journalisme est un métier, mais aussi parce que la presse payante serait la seule capable d’analyser, de vérifier l’actualité de la nation et du monde, 25. Selon les termes du site de la Ville de Paris.
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d’être «un guide intelligent dans un monde aux repères fuyants ou inconnus26 ». Le problème est sans aucun doute plus complexe, car qui dit information dit exercice de la citoyenneté et aussi pouvoir. Quels arguments peuvent justifier la non-gratuité de l’information? La rétention de l’information et l’absence de libre accès sont parmi les caractéristiques des pays non démocratiques27. Pourquoi l’accès à l’information ne devrait-il pas être entièrement libre et gratuit dans les pays démocratiques? Pourquoi les citoyens devraient-ils payer pour y avoir accès ? Dans une récente audition devant une commission d’enquête du Sénat canadien, Patrick Watson, ancien président de Radio-Canada, a défendu l’idée de la création d’un quotidien indépendant financé par une fondation d’État28 qui «donnerait aux citoyens un journalisme de qualité ». Est-il si saugrenu que cela de vouloir une information gratuite?
La question de l’information Le principal argument des quotidiens payants est que l’information de qualité a un coût et que les gratuits, conçus à moindre coût, sont donc de « mauvaise qualité » : se reposant sur les dépêches de presse, ils ne sont qu’une « presse de dépêches ». Joli sophisme ! Ce constat est pour le moins subjectif: existerait-il une grande presse et une petite presse ? Comment la définir ? En quoi Le Journal de Montréal est-il moins bon que La Presse ou Le Devoir, ou Le Figaro, meilleur que Le Monde ? Lors de l’apparition de Métro à Montréal, Paul Cauchon écrivait : « On remarque tout de même à quel point ce type de quotidien s’inscrit dans une tendance générale de l’information jetable, sans véritable conséquence (comme ces petites nouvelles 26. Éditorial de Serge July, Libération du 29 octobre 2001. 27. N’oublions pas que l’Irak de Saddam Hussein interdisait les paraboles et ainsi l’accès à CNN, à El Jazira… 28. Jean-Claude Leclerc, « Contre la concentration, un quotidien lancé par le Parlement ? », Le 30 (mensuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec), juin 2003.
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diffusées sur des écrans électroniques dans le métro de Montréal ou comme ces capsules rapides diffusées par exemple sur Inforadio). Et qu’en est-il de la relation personnelle du citoyen avec son journal ou son magazine préféré, où il comprend qu’il faut acheter ou s’abonner à la publication pour lui garantir des revenus afin de maintenir et rehausser la qualité journalistique29 ?» Ces arguments ont leur poids. Mais, vu la part croissante de la publicité dans le chiffre d’affaires des journaux, que reste-t-il de cette relation privilégiée entre le lecteur et son journal ? Depuis quelques années, la vente d’espace pour la publicité et les petites annonces est le premier poste de recettes des journaux français. Le seuil est franchi depuis bien longtemps en Amérique du Nord. Le lectorat ne constitue plus une communauté autour de son journal ; il est de plus en plus le justificatif des tarifs de publicité. On peut aussi se demander si les payants n’ont aucune pratique pouvant les rapprocher des journaux gratuits? Certaines campagnes d’abonnement, où le cadeau vaut presque autant que le journal, ou certains accords conclus avec des compagnies aériennes ou d’autres institutions y ressemblent fortement. De plus, les agences de presse n’ont pas été créées pour les journaux gratuits, mais par et pour les journaux payants, qui en sont souvent sociétaires propriétaires et qui les utilisent souvent de manière assez importante.
La place de l’actualité internationale En ce qui concerne les gratuits, la question de l’actualité internationale est tributaire de la cible choisie par le journal. On pense que la population jeune, urbaine, éduquée et «branchée» est très sensible aux voyages et aux nouvelles du monde. De plus, pour jouer dans la « cour des grands », les gratuits doivent « jouer la nouvelle internationale ». Il est à peu près accepté de tous que l’information internationale est un indice de qualité d’un journal.
29. Le Devoir du 3 mars 2001.
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À cet égard, Le Monde, « journal pour les élites », ou Le Figaro placent leurs pages internationales en début de journal (pages 2, 3, 4). À ses débuts, Métro Montréal jouait dans la même catégorie: –
L’ordre des rubriques était: Canada, international (trois pages), Québec, Montréal, économie, mosaïque, sports, arts et culture, services (agenda, courrier des lecteurs, programmes TV) (Métro no 1-9 du 13 mars 2001);
–
Dès la rentrée de septembre 2001, la maquette s’est transformée: Québec, Montréal, national, international (toujours trois pages), économie, mosaïque, sports, arts et culture, services (Métro no 1-131 du 5 septembre 2001) ;
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Un an plus tard, la maquette était la même, mais la rubrique internationale était réduite à deux pages (Métro no 2-130 du 5 septembre 2002)30.
À quoi correspond cet effacement progressif de la section internationale ? Même s’il ne traite pas du secteur de la presse écrite, mais d’Internet, Pascal Lapointe apporte quelques éléments de réponse dans son Utopie.net31. Il fait état d’une enquête menée en 1999 auprès des internautes américains qui établit que 72 % des usagers habituels des sites Internet de 120 journaux américains privilégient l’information locale ou régionale. Selon le responsable du portail www.SFGate.com, émanation des quotidiens San Francisco Chronicle et San Francisco Examiner, «il est bien difficile [pour les nouvelles nationales et internationales] de compétitionner contre les CNN de ce monde: nous puisons tous aux mêmes nouvelles». Le problème est bien là: la majorité des nouvelles internationales proviennent des trois agences de 30. Métro Paris a jusqu’à présent conservé sa répartition initiale. Ses rubriques sont : France, monde, Paris, économie, mosaïque, sports, culture et une impressionnante partie services avec pas moins de trois pages d’agenda. En outre, le reportage fait toujours deux pages, et la tribune, occupée par Mme Christine Ockrent ou M. Philippe Tesson, a des allures d’éditorial. 20 Minutes a choisi la seconde voie. L’ordre des rubriques est : Grand Paris, France, monde (souvent une seule page), économie, football, sports et les services (pause, people, guide, net-guide, high-tech, coulisses tv, réagissez…). 31. Pascal Lapointe, Utopie.net: la réalité Internet après le rêve, Québec, Éditions MultiMondes, 2002.
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presse, Agence France Presse (AFP – France), Associated Press (AP – États-Unis) et Reuters (Royaume-Uni).
Un problème de quantité Comme elle a au moins trois sources, l’actualité internationale ne relève pas à proprement parler de la pensée unique. Il s’agit d’une clause de style car on s’en rapproche beaucoup. Ces trois agences, à l’origine de la plupart des informations internationales, sont toutes occidentales et disposent d’un réseau et de moyens humains et matériels largement supérieurs à ceux de leurs concurrentes. Les temps ont bien changé depuis qu’en 1851 Paul Julius Reuter a ouvert un bureau dans la City de Londres pour transmettre les cotations des marchés d’actions entre Londres et Paris via le câble Douvres-Calais. L’entreprise qu’il a fondée compte maintenant 230 bureaux dans le monde et emploie 2 259 journalistes, photographes et cameramen32. Le réseau mondial de l’Agence France-Presse (AFP) couvre 165 pays (110 bureaux et plus de 50 correspondants locaux), dont 9 bureaux en Amérique du Nord, 22 en Amérique latine, 25 en Asie-Pacifique, 36 en Europe, 16 en Afrique et 9 au MoyenOrient. Elle emploie plus de 2 000 salariés de 81 nationalités différentes, dont 900 travaillent hors de France33. L’américaine Associated Press (AP) compte 242 bureaux. En plus des 1550 journaux et 5000 radios et télévisions américaines, 8500 journaux, radios et télévisions de 112 pays du monde sont abonnés à ses services. Pour résumer, AP affirme sur son site produire « 20 millions de mots et 1 000 photos chaque jour34 ». Reuters est une société publique cotée en bourse, AFP – qui fut à l’origine un établissement public – et AP ont des statuts de coopératives (AP appartient aux 1500 quotidiens américains membres de la coopérative).
32. Source : www.reuters.fr 33. Source : www.afp.com 34. Source : www.ap.org
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Un problème de qualité Ces agences disposent de moyens en apparence importants. Mais 900 salariés hors de France (pour l’AFP) ou 2 259 journalistes, photographes et cameramen dans le monde (pour Reuters), ce n’est pas énorme. Cela ne représente en moyenne qu’une dizaine de personnes par pays. Et il faut compter avec les repos, les récupérations et les vacances… En examinant la couverture du Canada par l’AFP, on s’aperçoit qu’elle est assurée par une poignée de journalistes, en majorité basés à Montréal, qui produisent quotidiennement une vingtaine de dépêches – ce qui représente entre quatre et 10 dépêches par journaliste et par jour. Cette charge de travail est bien importante pour réaliser des enquêtes fouillées. Cette couverture mondiale, relativement faible, est de plus très inégale. La couverture efficace se limite à l’hémisphère Nord. Si certains pays bénéficient d’équipes importantes, l’information aura alors tendance à être sectorialisée (politique, économie, sports…). De nombreux pays sont peu ou pas couverts. Il arrive même parfois qu’un correspondant nommé dans un pays soit aussi chargé des pays voisins35. Que peut-on en attendre ? Au mieux une information aseptisée, au pire une information fausse ou orientée. Ceci peut sans doute expliquer la tentative maladroite – et ô combien non dénuée d’arrière-pensées – menée auprès de l’UNESCO à la fin des années 1980 visant à confier l’information sur un pays à son agence nationale (qui est bien souvent une officine gouvernementale). Il est certain qu’il vaut mieux une information libre qu’une information contrôlée. Ceci étant, tout le monde cherche à contrôler l’information, au moins celle révélée sur son compte: c’est la tâche de tous les relationnistes, de tous les services de presse de ce monde… et ils sont nombreux! 35. Dans le documentaire Décryptage, Frédéric Encel fait remarquer que «lors de la première Intifida, en 1987-88, sur un territoire grand comme un département français, on trouvait davantage d’envoyés spéciaux – plus de 800 – que sur l’ensemble du continent africain qui regroupe 56 États souverains et où se déroulaient au même moment une guerre d’extermination, une vague de famine, l’extension du sida, les ravages de l’apartheid ».
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Les journaux ont bien conscience de ce problème. Ils préfèrent alors avoir recours à leurs propres correspondants ou, comme cela revient cher, à des envoyés spéciaux. Il est possible de s’interroger sur la qualité des reportages d’un journaliste arrivant pour la première fois dans un pays étranger, surtout quand on sait que des chercheurs ou des universitaires peuvent consacrer leur vie entière à étudier ce pays. Une récente enquête menée par La Croix s’inquiète du phénomène paradoxal de la « diminution du nombre des correspondants à l’étranger dans les médias audiovisuels au moment où la mondialisation s’impose comme le phénomène majeur de l’avenir et relève d’immenses zones d’ombre qui couvrent des régions stratégiques, voire des continents entiers36 ». Cette situation concerne aussi bien les chaînes de télévision (TF1, la chaîne la plus regardée en France, ne dispose que de cinq bureaux à l’étranger37) que les radios38 et même les journaux qui, s’ils s’appuient parfois beaucoup sur des pigistes, ont relativement peu de correspondants salariés à plein temps39. Ce n’est pas mieux au Québec où la presse quotidienne n’a qu’une poignée de correspondants à l’étranger40.
36. Jean-Claude Raspiengeas (avec Bruno Bouvet et Cyril Douillet), « Les zones d’ombre de la planète médiatique », La Croix du jeudi 30 janvier 2003. 37. Deux chaînes françaises ont des bureaux à l’étranger : TF1 dispose de cinq bureaux (Londres, Moscou, Rome, Washington et Jérusalem) et France 2 avec seulement le double (les mêmes plus Bruxelles, Berlin, New York, Pékin et Abidjan). 38. Mis à part RFI et sa centaine de correspondants, les autres radios ont peu de correspondants à l’étranger : Radio France en a dix, RTL neuf, Europe 1 sept et RMC cinq. 39. Le Monde en annonce une cinquantaine, dont seulement 17 salariés à temps plein, Les Échos, 24, Le Figaro, 14, Libération, 8, La Tribune, 7, Le Progrès, 3, La Croix, un seul. 40. La Presse en a trois (Paris, Londres et New York), Le Devoir, un (Paris), Le Journal de Montréal et les autres journaux, aucun. La situation est encore pire pour les médias électroniques puisque seule Radio-Canada compte un réseau de cinq bureaux à l’étranger (Paris, Dakar, Londres, Washington et Pékin).
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Un problème de crédibilité Cette situation pose un réel problème de crédibilité des médias. On semble pourtant ne pas progresser : le romancier et journaliste anglais Evelyn Waugh l’avait déjà évoqué en 1935 lors de la guerre italo-éthiopienne et l’a largement utilisé pour son roman Scoop41, paru en 1938. Bien que caricaturale, certains pans de son expérience restent d’actualité : « Quiconque avait effectivement passé quelques semaines en Abyssinie et avait lu la douzaine d’ouvrages qui constituaient l’intégralité de la bibliographie anglaise sur ce sujet pouvait se bombarder expert. Ce fut sous ces oripeaux que je parvins à m’assurer, en qualité de correspondant de guerre, un emploi auprès de l’unique journal londonien qui semblât envisager la situation d’un œil réaliste. » (Waugh en Abyssinie, Paris, Arléa, 1989.) Depuis quelques années, les critiques sont encore plus vives. De récents événements comme la révolution roumaine, la guerre du Golfe de 1990, l’intervention en Afghanistan ou le conflit en Irak ont jeté une lumière crue (et cruelle) sur l’information. La « Révolution » roumaine a été le révélateur. Pour certains, elle a été un « mensonge gros comme le siècle42 », pour d’autres un «mensonge triomphant43 » ou encore le «plus beau bluff, plus beau mirage collectif de l’Histoire contemporaine44 ». Les médias, surtout la télévision, ont utilisé une fausse interprétation de l’image de cadavres à l’hôpital de Timisoara, pour illustrer les crimes de Ceausescu, les présentant comme un charnier. D’autres voyaient partout de prétendus terroristes arabes qui volaient à la défense du régime. Ils entendaient aussi la police secrète (la Securitate) tirer sur la foule… Paradoxalement, dans ce contexte où les informations fusaient dans tous les sens et étaient souvent 41. Evelyn Waugh, Scoop : un roman sur les journalistes, Paris, Julliard, 1980. 42. Michel Castex, Un mensonge gros comme le siècle. Roumanie, histoire d’une manipulation, Paris, Albin Michel, 1990. Michel Castex dirigeait l’équipe de l’AFP qui couvrait les événements. 43. Radu Portocala, Autopsie du coup d’état roumain : au pays du mensonge triomphant, Paris, Calmann-Lévy, 1990. 44. Jean Baudrillard, La guerre du Golfe n’a pas eu lieu, Paris, Galilée, 1991.
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reprises et diffusées sans aucune vérification, une des rares victimes de cette agitation multiforme a été – en plus de la crédulité occidentale – un journaliste de télévision, écrasé par un char qui faisait une manœuvre. Durant la guerre du Golfe de 1991, les journalistes ont travaillé sans image ou sinon avec celles tournées (ou autorisées) par les services cinématographiques des armées. Le « quatrième pouvoir » s’était de fait placé sous la tutelle d’un autre : l’étatmajor des coalisés. De plus, la connivence et souvent la complaisance dont ont fait preuve certains journalistes ne laissaient qu’une fragile démarcation entre l’information et la propagande. Comme les chaînes de télévision ont travaillé sans images, la période a été celle du commentaire et de l’interprétation. On se rappellera le désormais célèbre commentaire en direct du correspondant de la chaîne de télévision américaine CNN, le 16 janvier 1991, à 0 h 47 de Bagdad, sur fond d’image d’archives : « La guerre a commencé. Je ne vois pas les avions. Je ne peux même pas les entendre. Mais il y a des tirs de DCA irakienne. J’ouvre la fenêtre. Je pense que vous pouvez les entendre. » Dans un tel contexte, les erreurs, les fausses informations ont été nombreuses. Roland Mevel45 recense un grand nombre d’informations inexactes, d’interprétations tendancieuses, de rumeurs amplifiées et de commentaires hasardeux de la part des journalistes lors de ce conflit. On peut citer quelques exemples : « Reddition de cinquante chars irakiens avant toute offensive », « 300 000 Irakiens tués et un tiers de Bagdad détruit », « Vingt habitants de Tel-Aviv victimes d’une attaque chimique », « Disparition de Saddam Hussein », « Des milliers de parachutistes sautent sur Koweit-City ». On se souviendra aussi de quelques excès, comme ces journalistes intervenant de Tel-Aviv avec des masques à gaz à portée de main, sinon sur le nez. La perspicacité des journalistes a encore été mise à rude épreuve lors des événements en Afghanistan. Ce dernier exemple, plus proche et encore frais dans les mémoires, est 45. Roland Mevel, « Information, désinformation, censure », Les Médias et la guerre du Golfe (ouvrage cité).
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révélateur: le public n’a rien vu à part les faubourgs de Peshawar ou les manœuvres et les poses des soldats de l’Alliance du Nord. Le pire est qu’on pourrait faire aujourd’hui encore les mêmes photos et les mêmes reportages sur presque tous les sujets parus durant l’automne 2001, qu’il s’agisse des femmes emprisonnées sous la burqa, des gens vivant dans des ruines ou de l’état de délabrement du pays et de ses institutions. À cet égard, le sentiment d’un envoyé spécial d’un journal de Québec, qui avait passé trois semaines au Pakistan au début du conflit, est un excellent révélateur. Tirant le bilan de son expérience, il a déclaré lors d’une table ronde que la chose la plus importante pour un journaliste était de « résister au syndrome de Stockholm ». Cela laisse rêveur ! L’explication la plus charitable que l’on puisse apporter est qu’il ne sait peut-être pas très bien ce qu’est ce fameux syndrome. Bref, déjà lointaine, l’information internationale est uniformisée, rare, fragmentaire, sinon caricaturale, inexacte et folklorique. Elle manque très souvent de moyens humains ou matériels et paraît de ce fait bien souvent peu crédible. Les citoyens ont raison d’avoir quelques réticences. Comme on ne bâtit pas un château sur du sable, bâtir un journal sur l’information internationale, dans ces conditions, est au moins aussi risqué.
Les atouts : un journal alternatif Un circuit de distribution court et alternatif La distribution est, après l’impression, le second poste de dépense d’un journal. Un circuit de diffusion court, engendrant de faibles coûts, est une des clés de la réussite et de la viabilité de ces journaux de type nouveau. Selon Stéphane Gagné46, l’éditeur de Métro Montréal, la distribution obéit aux critères suivants: «Pour la distribution de Métro, nous prenons en compte plusieurs critères : le public doit être jeune, nanti, actif et scolarisé. Il doit être matinal. Enfin, le lieu de distribution doit être un endroit où le lecteur passe souvent. » 46. Entretien avec Stéphane Gagné.
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À Montréal, Métro bénéficie d’un accord d’exclusivité, négocié pour trois ans, avec la Société des transports de la communauté urbaine de Montréal (STCUM/STM)47. Distribué les premiers mois avec l’aide de camelots, le journal est maintenant disponible dans des présentoirs situés aux diverses entrées des 65 stations de métro. Six camionnettes suffisent pour mettre en place, chaque matin à compter de 6 h, les 100 000 exemplaires de Métro dans les différents présentoirs destinés aux 250 000 personnes qui utilisent quotidiennement le métro. Quelle réduction d’échelle comparativement aux centaines de points de vente (maison de la presse, dépanneurs…) que le diffuseur doit fournir et aux milliers de boîtes aux lettres que les camelots doivent alimenter avant 6 h 30 le matin, du lundi au vendredi, et 8 h, les fins de semaine. Aire de distribution réduite, mise en place économique, gestion légère, les gratuits acquièrent ainsi une grande force de frappe. Depuis février 2003, avec seulement 6 000 exemplaires supplémentaires, le quotidien a étendu sa diffusion à la quarantaine de restaurants de la chaîne McDonald’s de la région de Montréal. Ce réseau, complémentaire de celui du métro, lui permet d’accroître sa pénétration en touchant un lectorat qui n’utilise pas toujours les transports en commun. L’accord entre le « McDonald’s des journaux » et la célèbre chaîne est, à l’américaine, un accord qui se veut « gagnant/gagnant » : il permet à la chaîne de restauration rapide de se montrer plus dynamique dans le créneau des petits-déjeuners et, pour le même prix, le « gastronome » devient aussi « lecteur48 ». À Paris, la situation est un peu plus compliquée : l’accord d’exclusivité entre la Régie autonome des transports parisiens (RATP) et A Nous Paris interdit cette solution et hypothèque grandement la viabilité des quotidiens concurrents. Grâce au Monde49, 20 Minutes a obtenu l’autorisation de mettre en place 47. La STCUM est devenue, après la fusion des municipalités en 2002, la Société de transports de Montréal (STM). 48. Et, comme il n’y a pas de petits profits, le restaurant achète moins de journaux à mettre à la disposition de ses clients. 49. À en croire Pierre Péan et Philippe Cohen, auteurs de La Face cachée du Monde: du contre-pouvoir à l’abus de pouvoir, qui dénoncent dans le chapitre « Docteur Jean-Marie et Mister Colombani » (page 499 et suivantes).
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400 présentoirs dans les gares du Réseau express régional (RER, connecté avec le métro) et de la Société nationale des chemins de fer (SNCF). Cette autorisation avait précédemment été refusée à Hachette, qui gère les relais de presse du réseau. À la suite d’analyses «geomarketing» poussées (analyse des flux entrants et sortants, heure de pointe, critères sociodémographiques…), 20 Minutes a mis en place une distribution maximisant les lieux et moments de rencontre avec les lecteurs (20-40 ans, urbains, mobiles). Le journal a sélectionné pour sa distribution en région parisienne 250 points sur les 800 possibles (dont 107 gares SNCF et RER) et a conclu un accord d’exclusivité de cinq ans avec la SNCF, qui transporte quotidiennement 2,3 millions de voyageurs sur son réseau Île-de-France. Il est présent aussi aux abords de plus de 90 stations de métro et RER (dont plus de 60 dans Paris intra-muros), à l’intérieur (ou près) des universités, des grandes écoles et des aires de stationnement. La diffusion est assurée par plus de 300 présentoirs en libre-service et, au moins durant la phase de lancement, par une centaine de colporteurs. Ce mode de distribution sur un périmètre limité et urbain est nettement moins coûteux et beaucoup plus souple que le circuit emprunté par un journal traditionnel diffusé dans les 31 500 points de vente desservis par les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP). Le journal est néanmoins en mesure de concurrencer le réseau des 315 kiosques établis à Paris. Ce plan de diffusion, d’une rigueur quasiment militaire, est soigneusement mis à jour. Le dispositif et le tirage ont été réduits du 15 juillet au 22 août, période durant laquelle Paris est désertée par ses habitants. Métro n’a pas eu cette chance : il n’est bienvenu ni sur le réseau de la SNCF ni sur celui de la RATP et, comme Montréal Métropolitain, doit se contenter des abords des zones investies par ses concurrents. Le journal essaie bien de compenser ce handicap par une présence dans les établissements scolaires et universitaires, mais la force de frappe constituée par un réseau de transport en commun lui fait grandement défaut. Distribué par de nombreux camelots lors de son lancement, il se contente de plus en plus de présentoirs installés devant les sorties 32
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principales. Comme en Suisse, Métro essaie de contourner cette difficulté en s’imposant comme un quotidien national avec ses éditions de Marseille et de Lyon, où les conditions de diffusion sont un peu plus favorables. Ce dispositif donne aux journaux gratuits une grande souplesse dans leur fonctionnement et leur distribution: ils peuvent être imprimés plus tard, mais surtout l’autonomie de leurs systèmes de distribution leur autorise une plus grande liberté dans les ajustements nécessaires.
De faibles coûts de production À ces faibles coûts de distribution s’ajoutent des coûts de rédaction visiblement moins élevés que dans les quotidiens payants. Contrairement à l’idée communément admise, ce n’est pas un aspect essentiel de la presse gratuite. La presse n’est pas une industrie de matière grise : le coût de la rédaction représente entre 15 % et 20 % des dépenses d’une entreprise de presse50. Dans « Le tour du monde en 80 journaux51 », Henri Pigeat et Patrick Eveno avancent des chiffres légèrement différents et répartissent ainsi le coût d’un quotidien : 0,45 € (30 %) de frais de fabrication, 0,40 € (27 %) pour la diffusion, 0,35 € (23 %) pour les frais rédactionnels et 0,30 € (20 %) de frais généraux. Métro a bouleversé ces chiffres. Selon le rapport d’octobre 200352, la fabrication compte pour 34% des coûts, la distribution, 17%, la rédaction, 11% et les frais généraux (moins incompressibles et forcément assez élevés, vu l’aire géographique concernée), 38%, dont 22% pour le secteur des ventes et du marketing. C’est toutefois un aspect important, partagé par l’ensemble des journaux gratuits : les équipes de journalistes y sont bien souvent très réduites. Alors que Le Monde comptait, en 2002,
50. Pierre Albert, La presse, Paris, PUF, 2002 (Que sais-je ? no 414), page 34. 51. « Le tour du monde en 80 journaux », supplément au Monde du 5 décembre 2003. 52. Métro International S.A., « Financial Results for Nine Months and Quarter Ended 30 September 2003 », Luxembourg, 21 octobre 2003, page 6.
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370 titulaires de la carte de presse, Metropol a licencié lors de sa fermeture 58 collaborateurs à Zurich. À Paris, 20 Minutes n’emploie, pour la réalisation de ses 32 pages quotidiennes, ses équipes techniques et sa régie publicitaire, que 55 collaborateurs. L’exemple de Montréal est encore plus frappant. Métro Montréal a longtemps fonctionné avec une équipe rédactionnelle de neuf personnes (un rédacteur en chef, deux chefs de pupitre, cinq pupitreurs, une traductrice-correctrice) auxquelles s’adjoignent dans la même salle trois infographistes. En mars 2001, l’équipe s’est séparée de ses trois reporters et ne fait presque plus appel à des collaborateurs extérieurs depuis la suppression des tribunes libres et la réduction de la taille du dossier central, pour lequel il est de plus en plus fait appel à des produits de Metro World News53. Le journal, qui a étoffé son équipe récemment (12 personnes à la rédaction), essaie de développer les synergies avec le groupe Transcontinental et fait régulièrement appel à l’hebdomadaire Les Affaires pour la tenue d’une chronique économique. L’équipe chargée du placement publicitaire et la structure administrative – installées dans une salle voisine – comptent une trentaine de personnes. On peut certes ironiser sur cette organisation – ce serait un des rares cas où la quantité induit la qualité –, mais la lecture des gratuits et d’autres quotidiens révèle souvent peu de différences dans le traitement des grands points de l’actualité. Qui a lu Métro ou consulté quelque portail Internet a souvent lu une grande partie d’un quotidien. Les lecteurs ne s’y trompent pas : « Il faut être inconscient, arrogant ou faux-cul pour mépriser ça. Les gens ne lisent plus la presse parce que c’est trop cher. Là, on trouve le même contenu, mais gratuit. Et les gens le dévorent. Ça fait réfléchir, non ?54 » 53. Metro World News est l’agence de presse interne de Métro qui fonctionne par mutualisation : les différentes rédactions du groupe versent régulièrement des textes (en anglais) qui peuvent être repris par les autres éditions. Selon Stéphane Gagné, éditeur de Métro Montréal, « Metro World News est un fil de presse additionnel ». Lors des Jeux olympiques d’Athènes, la rédaction de l’édition grecque servira de plate-forme à Metro World News. 54. Arnaud de Vaubicourt, « Pourquoi les lecteurs en redemandent », Le Nouvel Observateur (supplément Paris–Île de France), mai 2002.
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D’autres atouts Une forte notoriété Les gratuits ont bénéficié très rapidement d’une forte notoriété. Dès mai 2002, une enquête de l’Institut Sofrès affirmait que, « d’après l’étude réalisée pour le quotidien gratuit, Métro bénéficie d’une notoriété globale de 82 % sur l’Île de France et de 88 % sur Marseille. Autre enseignement de l’étude réalisée auprès des personnes de plus de 13 ans : la durée moyenne de lecture du quotidien s’établit à 12 minutes pour la version marseillaise, et 14 minutes pour sa version parisienne55. » Au Québec, une étude comparable a été menée par NADbank sur les six derniers mois de 2002. Elle aurait établi que, « sur une période de cinq jours, Métro rejoint 16,3 % des personnes interrogées, comparativement à 24,1 % pour La Presse et 38,7 % pour Le Journal de Montréal. Sur une base quotidienne, Métro rejoint 7,1 % des personnes interrogées, comparativement à 15,4 % pour La Presse et 22,8 % pour Le Journal de Montréal56. » Métro compterait un lectorat de 454 000 personnes, dont une plus forte concentration de lecteurs chez les 18-35 ans (41 %, soit une part plus importante que Le Journal de Montréal, 33 %, et La Presse, 29 %) et chez les allophones (39 %, par rapport à 20 % et moins pour les quotidiens payants francophones). En revanche, la situation est peu brillante pour Montréal Métropolitain, le petit dernier de Quebecor, qui est lu, sur cinq jours, par 6 % des personnes interrogées (166000 lecteurs) et par 1,9% (54000 lecteurs) sur une base quotidienne.
Un vrai « rubriquage » L’expression « McDo des journaux » n’est pas forcément un handicap : la force de McDonald’s est de proposer les mêmes formules à Karachi, Paris ou Montréal. Le consommateur américain ou québécois ne sera pas perdu et trouvera toujours son Big Mac sur le menu 1, son hamburger sur le menu 2 et ses croquettes 55. http://www.sofres.com/etudes/medias/070502_metro.htm). 56. Les Affaires (Groupe Transcontinental) du 26 octobre 2002.
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Mac chimiques sur le tableau numéro 6. C’est ce « rubriquage », si l’on peut appliquer le terme à McDo, qui a fait la grande réussite de la chaîne (même si depuis 2002 le géant de la restauration rapide connaît quelques soucis financiers). Avec les gratuits, le lecteur retrouvera chaque jour à la même place les informations nationales, internationales, sportives… Ce « rubriquage » fidélise le lecteur dans ses habitudes et oblige le journal à une certaine rigueur. Métro et, en France, 20 Minutes y sont parvenus. Beaucoup de quotidiens québécois n’y parviennent plus. Il suffit de parcourir chaque jour les trois quotidiens francophones de Montréal (La Presse, Le Devoir et Le Journal de Montréal) pour voir un « rubriquage » approximatif, laissé aux bons soins d’on ne sait trop qui. D’aucuns diront que c’est la faute de la publicité, dont la dure loi met à mal tous les schémas rédactionnels. Pourtant, Métro, qui ne vit que grâce à la publicité, respecte la règle du «rubriquage».
Une charte de déontologie La déontologie des journalistes ne se mesure pas au prix payé par le lecteur pour l’indépendance du journal vis-à-vis de la publicité. Qu’ils soient payants ou gratuits, tous les quotidiens font appel à la publicité. La part des revenus publicitaires est croissante dans la presse quotidienne payante : elle représente plus de la moitié des recettes des quotidiens nationaux français depuis 1998 et sûrement plus de 60% des recettes des quotidiens québécois. De plus, les journaux dépendent souvent de cahiers spéciaux où la frontière entre le journalisme et la publicité – alors qu’on les qualifie pudiquement de publi-reportages – est bien mince. Enfin, si les quotas de publicité en Amérique du Nord sont souvent plus importants que dans les journaux français, nul n’a jamais mis en cause le professionnalisme et la déontologie des journalistes du Wall Street Journal ou, jusqu’à très récemment, du New York Times. Les gratuits ont souvent fait appel à de «vrais» journalistes. 20 Minutes a embauché comme rédacteur en chef William Assayag,
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un ancien de France Soir et du Parisien57, et comme directeur de la rédaction Frédéric Filloux, un ancien de Libération. Combien de journalistes salariés de quotidiens français et québécois travaillent pour une autre publication, parfois durant leurs heures de travail? Chez 20 Minutes, on précise que «les journalistes sont des professionnels, tous titulaires de la carte de presse, issus de la presse quotidienne ou périodique. Les permanents comme les pigistes ont signé une charte déontologique parmi les plus sévères de la profession. Les journalistes de 20 Minutes n’écriront pas pour leurs pairs, leurs sources ou le microcosme parisien.» Dans un milieu où les piges des salariés pour des journaux extérieurs sont le lot commun, que ce soit en France ou au Québec, la charte de 20 Minutes apparaît comme une bouffée d’oxygène. En imposant une charte qui interdit les piges à l’extérieur du journal, 20 Minutes a le mérite de poser des règles déontologiques claires58, qui devraient d’ailleurs s’imposer à tous.
De puissants appuis financiers Ni Schibsted, l’éditeur de 20 Minutes, ni Kinnevik, la maison mère de Métro, ne sont des associations de joyeux souscripteurs désireux de s’amuser avec des journaux. Transcontinental et Torstar, les associés canadiens de Métro, comptent parmi les plus grosses entreprises de presse et d’édition du Canada. Ces entreprises n’investissent pas au hasard : les différentes éditions doivent atteindre le seuil de rentabilité en trois ans59. La formule n’est pas magique. Métro International a éprouvé de grandes difficultés après les événements du 11 septembre. De nombreux lancements ont été reportés, car le lancement d’une nouvelle édition coûte très cher. Ainsi, en 2000, le lancement de Métro Philadelphia a entraîné une perte de 6,886 millions de dollars pour les neuf premiers mois d’exploitation; le lancement du titre en France (avec les éditions de Paris, Lyon et Marseille) a 57. Le Temps, 21 juin 2002. 58. http://www.20min.fr/20minutes/infos/ours/charte.jsp 59. C’est d’ailleurs la durée de l’entente entre Métro et la Société des transports de la Communauté urbaine de Montréal (STCUM) – devenue, depuis la création de la ville fusionnée, la Société de transports de Montréal (STM).
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coûté près du double, le groupe annonçant une perte de 15,7 millions d’euros en 200260. Les pertes de 20 Minutes se sont élevées à 15,2 millions d’euros sur les neuf mois d’existence du titre en 200261. Au niveau du groupe, les pertes d’exploitation ont été de plus de 20 millions de dollars en 1999, supérieures à 71 millions en 200062, proches de 86 millions en 200163 et encore de plus de 80 millions64 en 2002, soit plus de 250 millions de dollars en trois ans et demi. De telles entreprises doivent avoir les reins solides et un banquier confiant. Cependant, ces pertes sont prévues: chaque édition de Métro doit atteindre la rentabilité en trois ans. Les ventes ont progressé, passant de 62 millions de dollars en 1999 à 110 millions en 2001, à 142 millions en 2002 et à 139 millions pour les trois premiers trimestres de 2003. Les pertes d’exploitation sont en baisse… La question est de savoir combien de temps les éditeurs devront attendre pour atteindre l’équilibre. Schibsted a renoué avec les bénéfices en 2002, passant d’une perte de 54 millions d’euros en 2001 à un bénéfice de 25 millions65. Métro International a restructuré une partie de sa dette en la convertissant en actions66. Cependant, la lutte engagée en France, où Métro enregistre ses plus fortes pertes67, laissera au moins un des adversaires en mauvais état68. 60. Financial Results for the Fourth Quarter and Twelve Months Ended 31 December 2002, 11 février 2003. Dans le même communiqué, la société annonce des rentrées publicitaires en France de 3,8 millions d’euros. 61. Pour un chiffre d’affaires de 4,55 millions, le lancement est revenu à la modique somme de 20 millions d’euros. 62. Respectivement de 20,392 et 71,203 millions de dollars, in Preliminary Results for the Twelve Months Ended 31 December 2000, Luxembourg, le 21 février 2001. 63. Pour être exact de 85,943 millions de dollars, in Financial Results for the Fourth Quarter and Full Year 2001, Luxembourg, 19 février 2002. 64. 80,518 millions de dollars, in Financial Results for the Fourth Quarter and Twelve Months Ended 31 December 2002. 65. Les Échos du 14 février 2003. 66. «Metro issues new shares and converts debt», communiqué du 10 juin 2003. 67. Les Échos du 24 avril 2003. 68. Métro y met les moyens; les résultats français occupent une ligne spécifique dans les comptes. Les sommes perdues en France en 2002 (14,7 millions US$) représenteraient près de 70% des pertes du groupe (Rapport annuel 2002). Les pertes d’exploitation étaient encore de 3,5 millions d’euros au premier trimestre 2003.
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Il n’y a pas de place pour deux gratuits sur un même marché. Il semble que 20 Minutes ait de sérieux avantages sur son concurrent : il est appuyé par un solide partenariat financier, avec la Spir, propriété du puissant groupe de presse régionale OuestFrance ; il utilise pour une grande partie de son impression des imprimeries de labeur (ce qui lui permet d’échapper aux conventions collectives de la presse parisienne) ; et surtout, contrairement à son concurrent, la diffusion du titre est adossée au réseau de transport des trains de banlieue. Ceci étant, Métro n’a pas dit son dernier mot : la société a pris des « mesures urgentes pour améliorer la performance », elle compte de nouvelles éditions en 2004 et elle s’est associée avec le puissant groupe de télévision TF1. Ce facteur financier est essentiel : il déterminera l’issue de la compétition bien plus sûrement que les qualités intrinsèques des journaux.
Le média du siècle ? La caractéristique commune aux journaux gratuits est la diffusion dans les transports en commun. Les promoteurs des quotidiens d’informations générales gratuits ont eu le génie de ne pas proposer une nouvelle publication bon marché dans les kiosques mais un nouveau produit s’adaptant aux habitudes, aux horaires et aux parcours de leurs lecteurs potentiels. Ils ne vont pas à la recherche de leurs lecteurs, ils n’essaient pas de les attirer par un artifice ou un autre (cadeau, « Une » accrocheuse, gadget ou concours). La stratégie est simplement d’aller au-devant des lecteurs : ceux-ci cueillent le journal du matin sans avoir à changer de parcours, sans avoir à mettre la main dans la poche ou le porte-monnaie, sans avoir à fouiller dans les rayons ou sur des présentoirs. Le journal est proposé le long du trajet ; il devient, comme le prétend 20 Minutes, «un produit-réflexe – on s’en saisit comme on prend son café – et rend agréable un moment-clé de la vie urbaine : le temps passé dans les transports publics ». Pour utiliser une métaphore halieutique, ils ne vont pas à la pêche au gros en jetant de nombreux petits poissons dans l’espoir d’en
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ramener un au bout de leur ligne69 ; ils jettent carrément le filet sur le banc de poisson. Il importe de trouver le banc. Les règles sont simples: les lieux de distribution doivent être fréquentés, de préférence le matin, par la clientèle cible (jeune, urbaine, scolarisée, prospère) de manière récurante. Cela amène tout naturellement les gratuits à exploiter le plus grand réseau des zones urbaines: les transports en commun et tout ce qui s’y rattache (métro, trains, gares, autobus…). Le mode de distribution est d’une importance primordiale dans la réussite du journal. Dans l’exposé de son concept, Métro accorde une place importante à cette « distribution souple par l’intermédiaire d’un réseau de transports local, la distribution à la criée ou dans des présentoirs dans les centres-villes et par Internet». Le quotidien gratuit d’informations générales est un journal à part. Intimement lié aux transports en commun, on peut se demander s’il ne sera pas l’enfant du XXIe siècle et de la conception de la ville découlant de la Charte d’Athènes70. Élaborée en 1933 pour répondre au défi soulevé par le développement chaotique des espaces urbains, cette charte s’était donné la tâche « d’urbaniser la grande ville contemporaine ». Elle a défini l’urbanisme moderne en répartissant l’espace urbain entre quatre fonctions: habiter, travailler, se récréer (dans les heures libres) et circuler – principes fondamentaux énoncés dans les articles 77, 78 et 79. Cette différenciation a entraîné la fin de l’unité de lieu entre l’espace d’habitation et l’espace de travail. Le Corbusier partait du principe qu’il était nécessaire de fournir aux travailleurs de meilleures conditions de vie, loin des nuisances des usines et des ateliers. Sa conception imposait des déplacements à l’intérieur de la ville elle-même ou encore entre la ville et sa banlieue afin de rejoindre alternativement son domicile et son lieu de travail. 69. En France, en 2000, la presse quotidienne nationale connaissait un pourcentage moyen d’invendus de 26,6 %, soit plus d’un exemplaire imprimé sur quatre (source : Tableaux statistiques de la presse – édition 2002). Le chiffre est encore plus élevé pour Le Monde du 16 décembre 2003, qui parle de « 41,2 % d’invendus pour la presse quotidienne ». 70. Le Corbusier, La Charte d’Athènes, Paris, Éditions de Minuit, 1957.
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Au XXe siècle, ces déplacements se sont accompagnés du développement de l’automobile et de ses corollaires actuels, comme l’engorgement des villes et la pollution – et ce, malgré le parti pris géométrique de Le Corbusier soutenant que « la circulation exige la droite71 ». Un autre des corollaires – impliquant les médias – a été le développement de la radio, qui s’est imposée, depuis l’invention de l’autoradio, comme le média accompagnateur de tous ces déplacements. La radio réalise ses plus forts taux d’écoute le matin, lors du départ au travail, et en fin d’aprèsmidi, lors du retour à la maison. Les quotidiens gratuits ont choisi le créneau idéal du matin, celui du départ au travail, quand les transports en commun deviennent des lieux aussi conviviaux que des ascenseurs. La situation tend à changer. Les transports en commun sont en pleine expansion et dépassent parfois les attentes de leurs concepteurs72. Même en Amérique du Nord, les autorités et les citoyens s’aperçoivent de plus en plus du coût social et environnemental de l’automobile, comme en témoignent les diverses initiatives prises récemment à Montréal: prolongement du métro, réflexions sur l’aménagement de voies protégées pour les autobus et le retour du tramway, possible instauration d’une taxe sur les stationnements urbains… Les politiques d’urbanisme et de protection de l’environnement par la réduction des émissions de gaz à effet de serre imposeront probablement la poursuite de politiques en faveur du développement des transports en commun dans les zones à forte densité urbaine, entraînant le déclin de l’automobile et de la radio. Ce basculement des habitudes de déplacements dans l’espace urbain profitera nécessairement aux gratuits. Ce sentiment est déjà sous-jacent, à en croire la réaction de certains lecteurs de gratuits: «C’est le France Info de la presse, en moins bien73. » 71. Le Corbusier estimait la courbe « ruineuse, difficile et dangereuse », ce qu’il résumait dans cette belle formule: «La rue courbe est le chemin des ânes, la rue droite le chemin des hommes. » 72. Ainsi à Rennes en France où le métro, qui tablait sur 60 000 utilisateurs par jour, en accueille près de 90 000. 73. Le Nouvel Observateur (supplément Paris–Île de France), mai 2002.
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I
l n’est pas facile de s’y retrouver, dans les chiffres de vente, de diffusion et de tirage ; chaque éditeur les protège jalousement. Le Québec, qui ne dispose pas d’organisme indépendant de certification de la diffusion et des ventes, doit s’en remettre à des instituts comme NADBank74 ou l’Audit Bureau of Circulations75. Les chiffres diffèrent : parfois l’un voit une augmentation du lectorat où l’autre discerne une baisse. La France possède, avec l’Office de justification de la diffusion76 (OJD), un outil apparemment plus objectif et plus fiable.
Les limites de l’étude La fantaisie des chiffres Les quotidiens gratuits n’ont pas toujours été admis dans ces associations77 et ont dû faire appel à des instituts de sondages 74. Basé à Toronto, l’organisme privé (et donc payant) NADbank est le principal centre d’étude de la presse canadienne. Il mène des études d’impact pour le placement de publicité. Il compte parmi ses adhérents des journaux, des annonceurs et des publicitaires (à Montréal, seul Le Devoir n’est pas client de NADbank). 75. Fondé en 1914, l’Audit Bureau of Circulations est une association américaine sans but lucratif. Elle se donne pour mission de se livrer à une étude objective des médias. 76. Créé en 1922, sous le nom d’Office de Justification des Tirages, l’OJD est une association des éditeurs de presse, des annonceurs et des publicitaires destinée à la vérification des tirages de la presse en France. 77. En France, l’OJD a créé une section pour les gratuits, mais en même temps, en Espagne, l’organisme de diffusion de la presse espagnole (OJD) décidait d’exclure temporairement les trois principaux quotidiens locaux gratuits de ses audits, après avoir découvert que ceux-ci avaient falsifié les chiffres de
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(Gallup, Sofrès…). Les organismes indépendants ne sont pas forcément prisés par les éditeurs ou les diffuseurs. Un responsable de NBC n’a pas eu peur de déclarer, à propos de l’institut de calcul d’audience Nielsen dont il apprécie peu les résultats : « Je ne connais aucune autre industrie dont les revenus dépendent exclusivement d’une tierce partie et sur laquelle les diffuseurs n’exercent aucun contrôle de qualité78. » Il est donc quasiment impossible d’y voir clair dans ce domaine. Les éditeurs jonglent allègrement avec les chiffres de tirage, de diffusion, de distribution, de ventes, de lectorat, etc., entourant toutes les données d’un flou néfaste à l’étude. Cela ressemble souvent à de la manipulation: Nous donnons les bons chiffres, pas les autres. Il est fort difficile de connaître les chiffres réels de ventes: des exemplaires sont souvent distribués gratuitement ou à des coûts largement inférieurs à leur valeur nominale (distributions gratuites, abonnements promotionnels, distribution dans les avions et divers établissements…). Cette « forme de mensonge par omission et par sélection79 » n’est pas nouvelle ; les planificateurs soviétiques comme bien d’autres l’ont longtemps pratiquée. Elle est irritante. Elle va toujours dans le sens des intérêts des éditeurs puisque les tarifs de publicité sont calculés en fonction des caractéristiques de leurs lectorats présumés.
leur tirage, de leur diffusion et de leur distribution, « avec l’intention manifeste de perturber ou tromper le marché publicitaire ». 20 Minutes Madrid, 20 Minutes Barcelone et Metro Direct Barcelone sont accusés par le conseil d’administration de l’OJD d’avoir gravement fauté. La sanction prévue pour ce genre de manquement est une suspension forcée de l’OJD pour un délai de un à trois ans (source : CB News, 12 octobre 2002). Cette décision a été contestée en justice par Métro et 20 Minutos, qui arguent que « les journaux payants ont les mêmes pratiques ». 78. Emily Nelson, « Controverse autour des cotes d’écoute Nielsen » (article du Wall Street Journal repris par Le Journal de Montréal du 15 décembre 2003). 79. Pour reprendre les termes d’Alain Blum et de Martine Mespoulet dans L’Anarchie bureaucratique, statistiques et pouvoir sous Staline, Paris, La Découverte, 2003.
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Nous n’avons pas eu accès aux chiffres des éditeurs mais seulement à ceux fournis par les divers organismes de vérification de diffusion qui, par ailleurs, ont chacun des procédures propres. Nous les avons donc traités avec précaution et méfiance, n’avons comparé que ce qui était comparable et avons pris soin, à chaque occasion, de citer nos sources.
Des législations différentes Les législations en vigueur au Québec et en France sont fort différentes.
Au Canada Au Québec, tout le monde est traité sur le même plan : les entreprises de presse sont considérées comme toutes les autres entreprises, et les journalistes ne disposent d’aucune niche fiscale. Il n’existe au Canada qu’un seul type d’aide à la presse, réservée aux magazines, instituée lors de l’ouverture du marché publicitaire canadien aux magazines américains. La seule contrainte concerne la propriété des journaux. Si la propriété des journaux par des intérêts étrangers n’est pas interdite, elle est rendue quasiment impossible par un alinéa du Code des impôts. Le gouvernement canadien ne s’en cache pas80 : il a adopté en 1965 une politique en matière d’investissement étranger dans le secteur des médias qui impose de fait une propriété canadienne. L’instrument de cette politique est l’article 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), qui limite le montant que les annonceurs canadiens peuvent déduire de l’impôt. Les principaux critères sont les suivants : –
L’édition canadienne du journal doit être révisée et publiée au Canada et sa composition et/ou son impression doivent être faites entièrement ou en partie au Canada ou aux États-Unis;
80. Direction générale du commerce et de l’investissement, Politiques et pratiques en matière d’investissement étranger dans le secteur culturel canadien, octobre 2001.
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–
Le journal canadien doit appartenir à des intérêts canadiens dans une proportion d’au moins 75%, et le président du conseil d’administration et au moins 75% des administrateurs doivent être des citoyens canadiens.
Métro International ne possède donc pas en pleine propriété ses éditions canadiennes. À Montréal, son partenaire principal est le groupe Transcontinental, second imprimeur au Canada, implanté aussi dans le secteur des hebdomadaires, des magazines et, depuis peu, des quotidiens anglophones. Le capital de Métro Montréal est réparti entre trois actionnaires : 25 % pour Métro International (limite imposée par la loi canadienne), Transcontinental et le groupe GESCA (groupe de presse traditionnelle contrôlant sept des neuf quotidiens québécois). La participation de GESCA, dont le chiffre n’a pas été révélé, peut être estimée à 10 % du capital. Il se peut cependant que, par un discret mécanisme d’actions A (votantes) et B (participatives), le rôle de Métro International soit plus important car le groupe annonce sur son site Internet une participation de 50 %81. Comme la loi canadienne ne fait aucune distinction entre journaux gratuits et journaux payants, elle autorise une concurrence réelle entre les publications.
81. « […] the two joint venture operations in Toronto and Montreal in which Metro has 50 % interests in : Métro International S.A. », Financial Results for the Three Months Ended 31 March 2002, (Luxembourg, 25 avril 2002, p. 4). Cette affaire est étrange car le rapport poursuit, page 5 : « Metro’s joint ventures in Toronto and Montreal are treated as affiliate companies, with the consolidation of 25% of the earning of each operation in the first quarter of 2002, in line with the equity participation. However, 100 % of the Toronto operation were consolidated to Group net sales and income in the first quarter of 2001, because the merger with the local partner was not approved until 5 July 2001. » Est-ce à dire que Metro Toronto était de propriété étrangère jusqu’en juillet 2001 ? La maladresse semble réparée depuis car, dans son rapport du 23 avril 2003, tout en indiquant que « Metro’s two Canadian joint ventures, in Toronto and Montreal, in which the Group has a 50 % economic interest, are treated as associate companies », Métro précise que « Metro owns 25 % of the publishing entities in Toronto and Montreal and therefore accounts for 25 % of the results in these entities. »
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En France En France, la presse jouit d’un statut tout différent car elle porte le poids de son histoire. Les journaux ne sont (n’étaient) pas considérés comme des entreprises mais comme les supports d’opinions. De nombreux indices en témoignent: des titres comme Libération, Combat, La République, le nombre de «libre» ou «libéré» (Le Midi libre, Le Dauphiné libéré…), etc. Dans Les illusions perdues, Lucien de Rubempré ne cherchait pas la fortune, en se lançant dans le journalisme, mais la gloire, la célébrité et un commanditaire assez généreux pour soutenir ses idées. La liberté n’a pas de prix, les journaux sont considérés comme un outil de la vie démocratique, et l’État, garant de celle-ci, doit assurer leur existence. Les aides sont nombreuses. L’inscription à la Commission paritaire de la presse et des agences de presse (CCPAP) permet à la publication de bénéficier d’un taux de taxe de vente (TVA) réduit à 2,1 % (au lieu de 19,6 %). Les gratuits n’y ont pas accès car les bénéficiaires doivent «faire l’objet d’une vente effective au public, au numéro ou par abonnement, à un prix marqué ayant un lien réel avec les coûts82 ». Cela impose aux gratuits des frais (imprimerie, abonnements aux agences de presse, etc.) plus élevés. Les gratuits ne bénéficient pas non plus de l’aide au portage83, ni de l’aide à la distribution de la presse nationale84 – dont le montant est calculé au « prorata des exemplaires vendus au numéro » –, ni, le cas échéant, du Fonds d’aide aux quotidiens nationaux d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires85 – réservé aux journaux dont les recettes publicitaires n’excèdent pas 25% des recettes totales (ce qui ne saurait être la vocation des journaux gratuits).
82. Décret no 97-37 du 17 janvier 1997 relatif aux journaux et aux périodiques (Article 1-4). 83. Décret no 98-1006 du 6 novembre 1998. 84. Décret no 2002-629 du 25 avril 2002. 85. Décret no 86-616 du 12 mars 1986, modifié.
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Ils pourraient ne pas bénéficier, à la limite, de l’aide indirecte qui diminue singulièrement la masse salariale des entreprises de presse liée à la fiscalité des journalistes. Bien que le Code des impôts ait réduit les avantages fiscaux des journalistes86, il leur offre tout de même un statut plus favorable que celui du contribuable moyen. Pour couronner le tout, à partir de 2005, les journaux gratuits (et dans le lot les quotidiens87) seront taxés au titre de l’écotaxe88, prévue dans le cadre de l’élimination des déchets. Un amendement prévoit soit une contribution en nature (espace publicitaire), soit une taxe de 0,15€ par kilo. 20 Minutes a calculé que cela lui coûterait 1 million d’euros ou 30 pleines pages de publicité par an. Les dés ne sont pas pipés, mais les conditions89 sont largement différentes.
Québec : une culture de presse gratuite À la différence des Français, les Québécois sont habitués aux médias gratuits et les apprécient. La presse gratuite n’est pas perçue comme une presse de mauvaise qualité. La majorité des hebdomadaires sont devenus gratuits – qu’il s’agisse des hebdomadaires locaux dans les régions et les quartiers ou des hebdomadaires culturels dans les grandes villes comme Montréal, Québec, TroisRivières ou Gatineau. 86. Il ne faut pas oublier qu’en France le statut de journaliste est d’abord un statut fiscal. La Commission de la carte l’accorde sans problème aux journalistes remplissant les conditions qui travaillent dans une publication « en commission ». En ce qui concerne la collaboration à un journal gratuit, rien n’est automatique et « les tribunaux ont rendu des jugements contradictoires», indique-t-on prudemment sur le site de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP). 87. Ce qui a valu une vigoureuse tribune « Taxer les gratuits ? » de Philippe Zagdoun, membre du comité de direction du groupe Hachette Filipacchi Média, dans Le Monde du 9 janvier 2004. 88. Prévue dans le Code de l’environnement. Un amendement au code a été voté en décembre 2003 et présenté comme le moyen de lutter contre les COUNA (courrier non adressé). 89. On peut trouver une présentation assez fidèle dans le rapport de commission des Affaires culturelles du Sénat, présenté par Louis de Broissia, le 20 novembre 2003 (http://www.senat.fr/rap/a03-074-12/a03-074-126.html).
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Des gratuits culturels Depuis la création en 1986 de l’hebdomadaire culturel Voir, la presse culturelle est largement dominée par les journaux gratuits. Montréal se paie le luxe d’en compter quatre : Voir, Ici (son concurrent appartenant au groupe Quebecor), ainsi que leurs versions anglophones Hour et Mirror. Ces journaux connaissent un vrai succès. À tel point que Voir, à ses débuts revue de la contreculture montréalaise, constitue aujourd’hui un groupe de presse influent, avec des éditions à Québec, en Outaouais et, depuis peu, à Trois-Rivières. Le groupe, qui tire à plus de 120000 exemplaires, revendique quelque 400 000 lecteurs90. « Voir est devenu incontournable. Un passage quasi obligé pour tout comédien, musicien, cinéaste, metteur en scène, écrivain ou danseur espérant se faire un nom au Québec», écrit Marc Cassivi91, un des responsables des pages culturelles de La Presse. Il déplore que cette presse gratuite se soit institutionnalisée et ait beaucoup perdu du caractère qui a fait son succès ces dernières années : « [Voir] est devenu la première chaîne d’hebdos culturels de centre-droite à traiter des mêmes sujets que la presse quotidienne.» Ces journaux sont parfois de véritables success stories. Voir est aussi devenu incontournable dans le domaine des petites annonces immobilières (surtout les annonces de location). Le journal faisait face à une telle demande à la sortie de chaque numéro et à un tel achalandage sur son site Internet, la veille au soir, dès la mise en ligne du numéro, qu’il a décidé de rendre l’accès de cette partie de son site… payant ! Ce paradoxe montre bien l’importance des gratuits au Québec.
Une culture de gratuits Loin de se limiter à quelques grands centres urbains, le phénomène est quasiment général. Il s’étend à presque tous les journaux hebdomadaires disponibles dans les quartiers et les régions: sur les 189 titres recensés en 2001, 167 (soit 88 % des titres) 90. D. Chrétien, « Voir, la PME branchée », dans PME du 2 février 2001. 91. Marc Cassivi, « DéceVoir », dans La Presse du 18 janvier 2003.
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étaient gratuits. On ne compte plus que 21 hebdomadaires vendus au Québec92 ! D’après le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval, le processus est en légère progression, puisque le taux n’était que de 85% en 1992. Le phénomène s’étend. Il touche même le secteur des magazines, en particulier celui de la presse engagée. Des revues comme Recto-Verso (ex-Vie ouvrière) ou l’Aut’Journal, qui connaissaient de nombreuses difficultés et dont les chiffres de diffusion (assurée essentiellement par abonnements et par ventes militantes) chutaient, sont passées à la gratuité au cours des dernières années. Désormais disposés dans des présentoirs à la sortie des librairies, dans les universités et les centres communautaires, ils ont remonté leurs tirages et agrandi leurs aires de diffusion. Recto-Verso, dont le tirage n’excédait pas 5 000 exemplaires – et qui vendait environ 300 exemplaires en kiosque –, diffuse maintenant à 85000 exemplaires. Le gratuit peut aussi, dans certains cas, devenir une arme pour les journaux payants. Ainsi, le vénérable Canada français, un des derniers hebdomadaires payants, édité depuis 1860 à Saint-Jean-sur-Richelieu, a dû s’entourer d’un véritable cordon sanitaire de gratuits pour préserver son territoire93. À la différence des journaux culturels qui ont dû gagner leur lectorat après leur création, la majorité des hebdomadaires gratuits sont les héritiers de journaux existants qui, à la suite de changement de propriétaire ou de choix de marketing, ont opté pour cette formule de distribution. Solidement implantés dans leur marché, la transition s’est effectuée sans trop de heurts puisqu’ils ont en règle générale conservé un format familier à leur lectorat. Souvent regardés de haut par certains journalistes 92. Nous avons exclu de la liste du Centre d’études sur les médias Le Progrèsdimanche, édition dominicale du Quotidien de Saguenay, et la Gazette West Island Edition, celle du quotidien montréalais The Gazette. 93. Pour protéger les ventes de ces 14000 exemplaires, Le Canada français était entouré, en 2002, de gratuits comme Richelieu Dimanche (Saint-Jean-surRichelieu, 36000 exemplaires), du bilingue Le Guide/The Guide (Cowansville, 17 400), de L’Avenir Brôme-Missisquoi (Farnham, 8 600), du Coup d’œil (Napierville, 12 800) et du Journal des Rivières (Bedford, 7 300).
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de journaux plus importants94, ces journaux dédiés aux nouvelles de la région, de la ville ou du quartier connaissent un taux de pénétration très élevé. Dans une étude publiée le 30 mars 1999, le Centre d’études sur les médias notait: «En 1960, 77% des hebdos québécois étaient vendus. En 1997, la situation s’est complètement renversée: 94,7% sont distribués gratuitement. Au fil des ans, la tradition d’une presse vendue s’est effritée au Québec, mais presque uniquement du côté francophone.» Les données de 200295 sont encore plus inquiétantes : la barrière a aussi été franchie du côté anglophone. Le Québec n’a plus que 21 hebdomadaires régionaux payants – et cinq d’entre eux, le Quebec Chronicle Telegraph (Québec), le West-Quebec Post (Buckingham), Contact (Témiscamingue), Le Courrier de Malartic (Malartic) et The First Informer (Îles-de-la-Madeleine) affichent les plus faibles ventes hebdomadaires (de 1 645 à 477 exemplaires).
Une presse d’imprimeurs Si la plupart des quotidiens français disposent de leurs propres rotatives et n’ont pas vocation d’imprimeurs, il n’en va pas de même pour la presse québécoise.
Quebecor et Transcontinental, deux géants Le milieu des médias québécois est dominé par deux géants, Quebecor96 et Transcontinental97, qui contrôlent une foule de 94. Dans un article intitulé «Le mélange des genres» (La Presse du 12 mai 2003), le journaliste Yves Boisvert parlait de journaux qui «présentent un catalogue de choses minuscules et sans conséquence qui anesthésient l’âme. Des choses comme les maisons à vendre, la retraite du chef de police, des petites annonces, l’animal de la semaine : Rex, un joli mélange édenté de berger allemand et de cinq ou six autres chiens du voisinage… Ce genre de journalisme ne vous fait guère d’ennemis, cela n’embête pas les annonceurs, surtout pas la municipalité.» Ce papier lui a valu une volée de… bois vert de la part de certains de ses confrères. 95. Source: Centre d’études sur les médias; collaboration: ministère de la Culture et des Communications, 2002. 96. www.quebecor.com 97. www.transcontinental-gtc.com
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titres qui n’auraient peut-être pas leur raison d’être si leurs éditeurs n’étaient pas aussi des imprimeurs.
Quebecor Le groupe a commencé modestement, en 1950, quand Pierre Péladeau a racheté un hebdomadaire de quartier, le Journal de Rosemont98, puis un second et, en 1954, une imprimerie. Son véritable décollage date du lancement, en 1955, de l’hebdomadaire « artistique » (aujourd’hui disparu) Nouvelles et potins, véritable phénomène de rupture dans la société québécoise puritaine de l’époque de la Grande noirceur. Quebecor (dont le nom a été déposé en 1965) doit cependant sa notoriété à son quotidien phare, Le Journal de Montréal, créé en 1964 pendant la grève de La Presse. Au cours des années 1970, Quebecor a renforcé ses assises québécoises et canadiennes. Dans les années 1980, l’empire Quebecor s’est étendu aux magazines, et l’entreprise a fêté son premier milliard de dollars de chiffre d’affaires en 1988. En 1995, elle a consolidé son réseau d’imprimeries pour devenir le premier imprimeur européen. Aujourd’hui, la société compte environ 40000 employés à l’œuvre dans plus de 160 imprimeries et ateliers de services dans le monde. Parallèlement, Quebecor est devenu la plus importante société de médias imprimés commerciaux du monde et un chef de file dans les principaux domaines liés: magazines, encarts publicitaires, livres, catalogues, imprimés spéciaux et publipostages, annuaires, services prémédias numériques, logistique, technologies de listes d’adresses et autres services à valeur ajoutée. Après le décès, en 1997, de Pierre Péladeau, son fils, Pierre Karl, a poursuivi l’expansion de la société, acquérant World Press Color pour créer Quebecor World et devenir le plus gros imprimeur de la planète, avant de se retourner sur le Québec en rachetant le câblo-distributeur Vidéotron. En 2003, les résultats sont inquiétants: l’endettement de la compagnie est colossal, la valeur de ses acquisitions, achetées en plein boom de l’Internet et de la téléphonie, fortement dévaluée. 98. Cette légende est forte puisque la page couverture de la biographie officielle de Jean Côté montre Pierre Péladeau en photo avec Le Journal de Rosemont.
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Le groupe est à la tête de deux grands réseaux de quotidiens populaires, ceux du Journal de Montréal et du Journal de Québec dans le domaine francophone, et de la chaîne des Sun99 au Canada anglophone ; de plus de 180 hebdomadaires (dont 52 en majorité gratuits au Québec) ; d’un important groupe de magazines ; du premier réseau de télévision du Québec ; du premier câblo-distributeur du Québec ; d’un important groupe d’édition (plus de 800 titres par an) ; et des librairies Archambault, un des plus gros diffuseurs québécois.
Transcontinental Autant Quebecor aime le feu des projecteurs, autant Transcontinental est une société discrète. Son origine remonte à seulement un quart de siècle. C’est une histoire comme l’Amérique les aime. Jeune homme, Rémi Marcoux travaillait le jour comme technicien en électronique pour financer ses études à l’École des hautes études commerciales, qu’il poursuivait le soir. Il obtient un diplôme de comptable agréé puis commence à travailler chez Quebecor. En 1976, à 35 ans, Rémi Marcoux rachète Transcontinental, une petite imprimerie de SaintLaurent. L’entreprise était alors composée de 30 employés – elle en compte aujourd’hui 12000. Dès ses débuts, Transcontinental se spécialise dans le marché des circulaires, peu développé jusqu’alors. Aujourd’hui, plus de 5 millions de foyers québécois sont pollués chaque fin de semaine par les Publisacs™ de Transcontinental. En 1979, Rémi Marcoux fait une première incursion dans la presse magazine en rachetant l’hebdomadaire économique Les Affaires, puis agrandit ce secteur par le rachat ou la création d’une cinquantaine de magazines économiques et généralistes.
99. Cette chaîne assure au groupe, avec The Ottawa Sun, The Toronto Sun, The London Free Press, The Winnipeg Sun, The Edmonton Sun et The Calgary Sun, une présence sur six grands marchés urbains du Canada. Quebecor possède aussi sept petits quotidiens régionaux au Canada: The Brockville Record and Times (Ontario), The Stratford Beacon Herald (Ontario), St. Thomas TimesJournal (Ontario), Kenora Daily Miner and News (Ontario), The Portage la Prairie Daily Graphic (Manitoba), Grande Prairie Daily Herald Tribune (Alberta) et Fort McMurray Today (Alberta).
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En 2001, le groupe s’allie avec Métro pour lancer le quotidien gratuit à Montréal et acquiert 12 quotidiens anglophones de CanWest en 2002. Parallèlement, Transcontinental développe ses parts de marché dans le domaine de l’imprimerie, pour devenir le 10e imprimeur en Amérique du Nord. Le groupe cultive un certain secret. Dans un des rares articles parus sur la famille Marcoux, René Vézina présente ainsi son patron : « À ceux qui le trouvent trop frileux, Rémi Marcoux répond qu’il ne veut pas risquer la bonne santé financière du groupe: “J’ai déjà vécu des récessions, je sais combien une bonne base financière compte dans notre industrie…” Malgré sa taille, Transcontinental reste une entreprise de type familial, reflétant ainsi la principale valeur de son fondateur100. » Un portrait du Centre d’études des médias le dépeint ainsi : «Le Groupe Transcontinental est actif dans trois grands secteurs: l’impression, l’édition et le marketing interactif. L’entreprise est l’un des dix plus importants imprimeurs commerciaux en Amérique du Nord. Elle est le deuxième éditeur de magazines après Rogers Média et le plus important éditeur de journaux hebdomadaires au Québec, le second au Canada. » Outre une cinquantaine de magazines comme Les Affaires, Affaires Plus, Commerce, Elle Québec, Coup de pouce, Le Bel âge, le groupe publie plus de 70 hebdomadaires. Le Centre d’études des médias rappelle que ces publications «représentent 30% des titres et 42% du tirage des journaux hebdomadaires dans la province». Dans le domaine des hebdomadaires régionaux, Transcontinental publie 44 titres gratuits touchant, avec un tirage de 1 600 000 exemplaires, près de 2 millions de lecteurs chaque semaine101. « Pour alimenter ses imprimeries et parce que la télévision passionne de plus en plus les Québécois, l’entrepreneur va créer et acheter une foule de journaux artistiques, qui contribueront
100. Revue Commerce du 1er décembre 1998. 101. Plus exactement 1 986 154 selon Saine Marketing (enquête de 1999).
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fortement à financer les activités de l’entreprise durant ces dix années102. » Dans l’historique du groupe présenté sur Internet, Quebecor admet bien volontiers que les préoccupations industrielles l’ont emporté sur les soucis éditoriaux.
La presse hebdomadaire en 2002 Nombre d’hebdomadaires
Tirage
188
4 327 193
Québec Gratuits
4 238 933
98 %
21
129 772
2%
Anglophones
15
224 744
5,2 %
Bilingues
15
261 295
6%
Ensemble
30
486 039
11,1 %
423 635
97 %
1 772 221
41 %
1 524 638
86 %
973 922
22,5 %
958 594
98 %
1 008 236
23,3 %
1 001 075
99 %
571 418
13,2 %
505 866
88 %
Vendus
dont les gratuits Hebdos Transcontinental dont les gratuits Quebecor103 dont les gratuits Autres groupes
167
88 %
16 %
19 59
31 %
47 52
28 %
44 50
26 %
dont les gratuits Indépendants dont les gratuits
27 16
15 %
Ces deux groupes sont propriétaires d’une centaine d’hebdomadaires locaux gratuits (ce qui représente plus de 63 % du tirage) dont il est difficile de connaître le bilan financier. Les rédactions sont parfois mutualisées, la publicité en régie, et, si le titre perd de l’argent, le propriétaire-imprimeur a sûrement une autre idée en réserve. Ces bilans sont plus du domaine des fiscalistes que des comptables. La croissance de la part des
102. Site Internet du groupe Quebecor. 103. Avec les journaux du groupe Auclair, implanté sur la Rive-Sud, avec qui il est associé à 50 %.
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gratuits laisse toutefois penser que les bénéfices sont importants, et ce, même si depuis plusieurs années les revenus des petites annonces, en partie attirées par Internet, sont en baisse. Il faut aussi compter avec la concurrence du canal Téléannonces, avancée technologique qui permet de diffuser un diaporama permanent à la télévision. On reste cependant un brin perplexe : comme pour l’œuf et la poule, on se demande lequel, du journal ou de l’imprimerie, est l’objectif premier de ces entreprises.
France : les gratuits au bout du rang Jusqu’à très récemment, la presse gratuite française aurait fait le bonheur de tout dadaïste, surréaliste, pataphysicien ou retraité du télégraphe. Un bonheur absolu car il n’était possible nulle part ailleurs de rencontrer des journaux où la langue française, et surtout sa syntaxe, soit si maltraitée. Phrases nominales, abandon généralisé des pronoms et des articles, quasi-absence de verbes conjugués, utilisation massive d’abréviations… Bref, une langue totalement déstructurée et pour une raison fort simple: ces journaux étaient presque uniquement consacrés aux petites annonces. Olivier Berbineau, président du Syndicat de la presse gratuite, justifiait cette vocation en expliquant que «cela coûte beaucoup trop cher, en termes de papier et de journalistes. D’ailleurs, la vocation d’un gratuit n’est pas d’apporter à ses lecteurs les informations rédactionnelles qu’ils trouvent dans la presse généraliste. Un gratuit est avant tout un journal d’informations commerciales.» Au début des années 1970, le territoire s’est couvert de journaux gratuits, distribués dans les boîtes aux lettres comme de vulgaires circulaires, sortes de Publisac™ sans sac. Cette presse gratuite, limitée aux petites annonces, s’est montrée très active dans les domaines de l’automobile, de l’immobilier et des réclames des grandes surfaces de distribution. Lors de son apparition, tout le monde doutait de sa viabilité et elle a longtemps souffert d’un déficit d’image. « Si la presse gratuite est très mal connue du marché publicitaire national, c’est en grande partie
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parce qu’elle est peu présente dans la capitale. Motifs généralement évoqués: l’absence de grandes surfaces intra-muros et un accès aux boîtes aux lettres difficile à Paris. Pourtant, elle constitue bel et bien un média de masse. Si l’on en croit certaines études, elle touche en effet 50 % de la population des grandes villes et peut atteindre jusqu’à 80% de pénétration dans les villes moyennes, dans lesquelles les journaux sont bien distribués104.» Les progrès ont été lents, l’évolution médiocre. Certains experts notent qu’au « fil des années, les gratuits ont amélioré leur impression, leurs maquettes, proposant la couleur. Leur contenu a pu s’enrichir des programmes de télévision, d’horoscopes, d’articles pratiques105. »
Un duopole En 1994, le chiffre d’affaires de ces journaux de petites annonces était de 4,214 millions de francs, alors que la presse quotidienne régionale réalisait pour sa part un chiffre d’affaires de 4,114 milliards de francs. Peu à peu, ces supports ont capté une part croissante du marché des annonces de particuliers106, si bien qu’en 2002 les titres de la presse gratuite d’annonces ont généré 886 millions d’euros (soit 18% des recettes de la presse)107, ce qui la place devant la presse quotidienne d’informations nationales. Les tirages sont colossaux: 500 titres diffusent 40 millions d’exemplaires chaque semaine (Diffusion contrôle comptabilise 421 millions d’exemplaires pour le premier trimestre 2002). Deux géants, la Comareg et Spir Communications, se partagent ce gigantesque marché fort de 420 hebdomadaires.
104. Stratégies du 26 janvier 1996. 105. Jean-Marie Charon, La Presse quotidienne, Paris, La Découverte, 1996 (collection « Repères »). 106. Le Syndicat de la presse gratuite (SPG) prétend que 72 % des Français à avoir passé une annonce au cours des 12 derniers mois ont utilisé la presse gratuite (sondage Ipsos/SPG de mars 1999). 107. Contre 531 millions d’euros pour la presse quotidienne nationale, 1000 millions pour la PQR, 1 654 millions pour la presse magazine et 700 millions pour la presse spécialisée (source : Irap).
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Le plus important est la Comareg, ancienne filiale de Vivendi Universal Publishing, propriété depuis peu de la Socpresse, la maison mère du quotidien Le Figaro. Elle édite chaque semaine, le plus souvent sous le titre Bonjour, 150 publications, diffusées à 14 millions d’exemplaires dans toute la France. La Comareg est récemment entrée dans le capital d’A Nous Paris, l’hebdomadaire culturel gratuit du métro parisien dont nous reparlerons un peu plus loin. Spir ressemble beaucoup à Transcontinental. Le groupe s’appuie sur 414 centres de profits: 166 hebdos gratuits, 180 centres de distribution, 48 magazines immobiliers en France et 20 sites imprimerie/prépresse. Propriété du groupe Ouest-France, qui édite le quotidien éponyme, Spir possède 166 journaux hebdomadaires gratuits en France. Selon les données de leur site Internet, cette presse « est distribuée en boîtes aux lettres sur l’ensemble des foyers d’une agglomération avec un tirage pouvant varier selon l’édition de 25000 à 440000 exemplaires. Leur recette est constituée pour 15% par les petites annonces et pour 85% par la publicité.» Toujours selon Spir, 94% de la population française reçoit des journaux gratuits et 85% les consulte. Plus de 13,6 millions d’exemplaires sont produits chaque semaine par ce groupe qui emploie 3 417 collaborateurs. Spir est associé, à hauteur de 20%, au capital de 20 Minutes. Il a cependant fallu attendre novembre 2001 (peu de temps avant l’apparition de Métro et de 20 Minutes) pour que l’Office de justification de la diffusion (OJD) se penche sur l’activité de ce secteur108. Il a fusionné, lors de son assemblée générale, avec le Bureau de contrôle de la presse gratuite pour se réorganiser en quatre bureaux : supports spécialisés, OJD, Internet (afin de certifier la fréquentation des sites) et presse gratuite. Ce dernier bureau est scindé en une structure gérant la presse gratuite d’annonces, et une autre, la presse gratuite d’information. Les temps ont changé. 108. Le Syndicat de la presse gratuite (SPG), fondé en 1973, a adhéré en 1981 au Bureau de vérification de la publicité. Le CDPG (organisme de constat de la distribution des périodiques gratuits créé en 1982) est devenu la section « Presse gratuite » de Diffusion Contrôle en 1992.
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Le syndrome de Paris Boum Boum Mais il y avait pire : aux yeux de l’observateur parisien, gratuit signifiait Paris Boum Boum. Fondé en 1980, cet hebdomadaire gratuit de petites annonces, distribué à près de 300 000 exemplaires à Paris, offrait un condensé de l’image d’une revue de mauvaise qualité. Une grande partie des petites annonces était consacrée aux Minitel roses, aux rencontres et aux escortes. Maquette médiocre, programme télé et courageuse rubrique culturelle perdue dans une présentation de mauvais goût, il n’y avait pas pire affiche pour le genre. L’équipe, jouissant au gré des repreneurs d’une relative indépendance, tentait bien d’améliorer cette image. Elle avait « réussi à intégrer quelques pages d’informations, essentiellement culturelles, et des programmes de télévision au milieu des petites annonces et de la publicité109 ». Mais, à son arrivée, le puissant groupe Spir a appliqué les mêmes méthodes qu’avec ses autres hebdomadaires gratuits, réduisant la partie rédactionnelle, relançant les annonces de téléphone rose et d’escortes, et changeant le mode de distribution.
Le cas d’A Nous Paris Distribué depuis 1999 dans le métro à plus de 400 000 exemplaires et bénéficiant jusqu’en 2006 d’un contrat d’exclusivité avec la Régie autonome des transports parisiens (RATP)110, A Nous Paris a connu un succès inattendu. Alors qu’il s’était fixé cinq ans pour parvenir à équilibrer ses comptes, l’hebdomadaire y est parvenu dès 2000. L’affaire est donc saine, même si depuis mi-2002 A Nous Paris semble avoir, lui aussi, quelques difficultés à attirer de la publicité. Son patron, Michel Lallement, a prudemment rappelé plusieurs fois qu’il n’y avait pas de marché publicitaire suffisant pour d’autres gratuits. Dans un entretien à Libération, il confiait craindre que « ces journaux [les gratuits] soient obligés de faire n’importe quoi pour survivre. Même en dehors de la crise actuelle, il n’y a pas de marché publicitaire 109. Le Monde du 11 février 1999. 110. La RATP gère les transports en commun de Paris et de la proche banlieue (métro, autobus et tramway).
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suffisant pour un quotidien gratuit à Paris… Nous avons beaucoup de publicité de marques. En ce sens, nous ressemblons davantage à un magazine qu’à un journal. Notre chance à nous, c’est d’être distribué dans le métro. Nous savons donc précisément qui nous lit, et nos annonceurs aussi111. » Lors de son lancement en 1999, beaucoup d’observateurs étaient dubitatifs. Le Monde écrivait que «la nécessité d’avoir une forte diffusion pour couvrir l’immense réseau de la RATP a rapidement dissuadé ses concepteurs d’opter pour une formule de quotidien112 ». « On ne voyait pas comment la rentabiliser », explique Gérard Unger, président de Métrobus, régie publicitaire de la RATP, à l’origine du projet. Quatre ans plus tard, l’hebdomadaire gratuit parisien affiche une santé insolente dans un marché publicitaire déprimé. Fin 2002, une étude accordait 1 185 000 lecteurs réguliers à l’hebdomadaire, soit une audience en progression de 12 % par rapport à 2000. La publication toucherait 26,6% de la population parisienne (ayant lu A Nous Paris dans le mois écoulé), dont la moitié aurait moins de 35 ans. Le city magazine, comme l’appellent nos collègues français, s’est payé le luxe de sortir pendant les vacances de Noël 2002, alors que les quotidiens gratuits faisaient relâche pendant 15 jours, allant même jusqu’à publier un hors-série « Spécial réveillon ». De plus, pour fidéliser son « cœur de cible » jeune et branchée, l’hebdomadaire a ouvert un site Internet113. Hebdomadaire de qualité, A Nous Paris a bouleversé la perception des gratuits en France, surtout aux yeux des Parisiens, pour qui, grâce à cette expérience, «gratuit ne rime plus avec pourri».
111. Libération du 5 septembre 2001. 112. Le Monde du 4 mai 1999. 113. www.urbanattitude.net
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e serait mentir que d’écrire que les gratuits sont apparus dans un contexte de franche cordialité et de camaraderie. La première impression a été celle de la surprise. En effet, un investissement dans la presse quotidienne était assez inattendu car le secteur n’est plus vraiment en expansion. On assiste depuis des décennies à plus de disparitions de titres que de lancements réussis114. Le secteur est soumis à une vigoureuse concurrence des médias électroniques (l’apparition de chaînes d’information continue aussi bien dans le domaine de la radio que de la télévision) et des médias Internet. Nous étudierons trois exemples de lancement: Toronto (2000), Montréal (mars 2001) et Paris (2002).
Au Canada : le précédent de Toronto Comme aimait à le dire Jan Stenbeck, le lancement de Métro à Toronto a été une véritable opération commando. La légende veut que tout se soit décidé en huit jours dans une chambre d’hôtel. Après une première période de surprise, deux des quotidiens de la ville, le grand Toronto Star et le tabloïd Toronto Sun, ont lancé chacun un quotidien concurrent. Et comme, de leur côté, le 114. En France, le seul quotidien qui ait réussi son lancement depuis 30 ans est Libération (1973), alors que de nombreux titres ont disparu, comme Combat (+1974), L’Aurore, La Nation (+1974), Le Quotidien de Paris (1974-1978), L’imprévu (1975), Rouge (1976-1979), J’informe (1977), Le Matin de Paris (1977-1987), L’Humanité rouge, Forum international (1979-1980), Combat socialiste (1981), Paris ce soir (1984), Le Sport (1987-1988), La truffe (1991), Le Jour (1993), InfoMatin (1994-1995), Le Quotidien de la République (1998) ont disparu ou ont brièvement paru durant la même période. Au Canada, le seul lancement réussi a été celui du National Post en 1998, alors que, dans le même temps, le Québec voyait la disparition du Nouveau Journal (1961), de Métro-Express (1964-1966), de Montréal Matin (1978), du Montreal Star (1979), du Jour (1974-1976), du Montreal Daily News (1988-1989), du Matin (1987) et du Fleuve (1996).
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Opinion d’Yvan-Noé Girouard, Directeur de l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ) Les journaux gratuits permettent aux gens qui ne liraient pas les journaux de connaître au moins les grands titres. Je considère qu’il n’y a pas vraiment de concurrence. Il s’agit d’entreprises privées qui se concurrencent entre elles. Métro fait concurrence au Journal de Montréal. Je n’ai jamais compris ce que Quebecor faisait dans cette galère, si ce n’est de couper l’herbe sous le pied du groupe Métro. Le seul atout de la presse gratuite du métro est qu’elle est gratuite. Il est vrai que c’est du fast news. Il ne s’agit principalement que de repiquage de dépêches d’agence de presse. C’est comme écouter les nouvelles à la radio. Je ne crois pas qu’on peut parler de journalisme dans le cas des quotidiens du métro. Je ne les consulte qu’à l’occasion. Je lis Le Devoir chaque matin et j’écoute le téléjournal le soir et cela me suffit. Je comprends que pour des personnes qui n’ont pas l’habitude de suivre l’information de façon régulière, c’est au moins ça de pris. On pourrait parler d’information populaire comme on parle d’éducation populaire. Sauf que j’ai des doutes à propos des entreprises qui éditent ce genre de publications. Après tout, il y a des gens qui ne vont que chez McDonald’s. National Post et The Globe & Mail ont continué – autre forme de cannibalisme – à se battre à coups de milliers d’exemplaires de complaisance, la ville a été jonchée de papier journal pendant quelques mois. Dans Le 30, mensuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Jean-Claude Leclerc tirait un bilan de la bataille de Toronto115 : les trois journaux gratuits alors en concurrence captaient un public total de quelque 459 600 lecteurs, alors que les grands titres en perdaient ensemble 377500. À première vue, le lectorat avait augmenté, mais cette progression a été largement endogène, les journaux gratuits arrachant de nombreux lecteurs aux quotidiens déjà en place. NADBank notait une baisse de 16 % du Globe & Mail dans le pays et un recul de 21% à Toronto. Dans la même période, son concurrent principal, 115. Jean-Claude Leclerc, « Les cannibales auront gâté la sauce », Le 30 (mensuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec), octobre 2001.
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le National Post chutait de 14 % au Canada, mais de 18 % dans le même marché torontois. Les pertes étaient manifestement plus prononcées dans le marché de Toronto, où les tabloïds gratuits participaient à la « guerre des quotidiens ». Où sont-ils allés ces lecteurs perdus? Vraisemblablement pas au Toronto Star, le plus gros quotidien canadien en termes de tirage, qui accusait également une baisse de l’ordre de 13 %. Quant au tabloïd populaire Sun, son recul n’était que de 4%, alors qu’on s’attendait à le voir plonger sérieusement avec l’arrivée des titres gratuits. En tentant de « couper la route aux Suédois », le Toronto Star et le Sun ont engagé des ressources qu’ils auraient dû plutôt investir dans leurs propres rédactions. Leur stratégie de défense a été assez suicidaire : tout le monde a perdu de l’argent et des lecteurs. Le Toronto Star a essuyé plusieurs millions de dollars de perte avec Today, le gratuit lancé pour concurrencer Métro. En fin de compte, il a dû se résoudre à faire alliance avec Métro. Quant au Sun, propriété de Quebecor, qui a épousé la même stratégie en lançant lui aussi son gratuit FYI, il a sans doute subi des pertes moindres.
La situation montréalaise Tout a commencé le 1er mars 2001 dès l’apparition de Métro dans les stations de métro de Montréal. Quebecor ne pouvait pas laisser son rival Transcontinental faire cavalier seul dans le milieu des journaux quotidiens gratuits. Comme si la leçon torontoise n’avait pas suffi, Quebecor lançait dès le 12 mars Montréal Métropolitain, un gratuit destiné à concurrencer Métro116. Le journal, préparé dans la précipitation, n’employait que trois journalistes, dont Anne-Marie Cadieux, l’ancienne rédactrice en chef de l’hebdomadaire gratuit Ici. L’objectif était clair : il ne s’agissait pas de créer un journal gratuit – l’initiative aurait été prise bien avant si tel avait été le cas – mais de nuire à l’implantation de Métro en captant une part, 116. On trouve la même situation en France, à Marseille, où Marseille Plus, émanation de La Provence et du groupe Hachette, lutte avec l’édition locale de Métro.
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même infime, du lectorat et du marché publicitaire afin de provoquer un déséquilibre suffisant pour empêcher son implantation. A priori, cette technique était séduisante car les journaux payants disposent de l’avantage de la connaissance du terrain. Le problème est que, sur le terrain, la lutte s’est révélée fort inégale. Les « gratuits payants » ont été largement improvisés. Douze jours seulement après la sortie de Métro, les camelots de lancement de Montréal Métropolitain envahissaient les stations de métro et se heurtaient non seulement aux camelots de leur concurrent mais aussi aux vigiles de la STCUM. « Quebecor déclare la guerre à Transcontinental », titrait La Presse117. Quebecor n’était pas le seul à s’inquiéter de la présence de Métro. L’agence Presse canadienne remarquait que « les propriétaires de 44 commerces de stations de métro de Montréal ont intenté une poursuite, la semaine dernière, à l’endroit de la STCUM pour lui réclamer une réduction de loyer de 30 % pour baisse d’achalandage en raison de la distribution gratuite du journal de Transcontinental sur les lieux mêmes où ils font commerce118 ». Les critiques continuent : dans un mémoire universitaire119, Érik Bélanger soutient que les revenus publicitaires (dont celui de Métro) ne représentent que 2,7 % du total des revenus générés par la vente de titre de transport, que les journaux gratuits apportent un certain nombre de nuisances (papier jeté, arrêt des rames120, etc.) et qu’un métro sans publicité ne coûterait pas beaucoup plus cher.
Métro contre Montréal Métropolitain À son lancement, Montréal Métropolitain possédait de nombreux avantages sur Métro : issu d’un groupe fortement implanté dans la presse quotidienne, il pouvait bénéficier de l’expertise et des 117. La Presse du 13 mars 2001. 118. La Presse canadienne du 8 mai 2001. 119. Érik Bélanger, Publicité dans les Transports en Commun : à quel prix ?, Montréal : École polytechnique, avril 2003. 120. Pas moins de 48 incidents et interruptions de service ont été causés par des débris de journaux, dans le métro de Montréal, du 1er mars au 31 décembre 2001.
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connaissances des journalistes du groupe (toute l’équipe de Métro était constituée de débutants) et de celles d’un groupe de publicitaires bien mieux implantés que ceux de Transcontinental. Adossé à un puissant groupe multimédia, il aurait pu bénéficier des effets de la convergence et des synergies à l’intérieur du groupe et s’inspirer des enseignements de la (malheureuse) expérience de FYI à Toronto. Enfin, contrairement à Métro, il avait accès aux services de l’agence Presse canadienne121. Deux ans plus tard, l’enquête NADbank accordait à Montréal Métropolitain 148600 lecteurs, soit près de trois fois moins que Métro (crédité de 432400 lecteurs dans la même enquête). Même à l’aune de cet institut, l’échec est patent: Métro a trois fois plus de lecteurs avec un tirage simplement deux fois supérieur. Quelles sont les raisons de cet échec alors que Quebecor faisait au moins jeu égal avec Transcontinental au point de vue industriel et que son savoir-faire en matière de journaux quotidiens était supérieur à celui de son concurrent?
Une distribution erratique L’exclusion de Quebecor du réseau des transports urbains imposait d’emblée un retard sur son concurrent. L’exemple de Zurich – où 20 Minutes a pu remonter ce handicap – montre pourtant que ce désavantage n’est pas rédhibitoire. Le tirage (inférieur de moitié à celui de Métro) indique que Montréal Métropolitain ne s’est pas donné les moyens de concurrencer son rival de façon crédible : diffusé de manière nonchalante par quelques camelots à l’entrée des plus importantes stations de métro et en présentoir dans quelques commerces, le journal a une diffusion trop restreinte. Deux ans après son lancement, Montréal Métropolitain était encore une publication confidentielle.
121. Le groupe a pourtant l’expérience de création d’un journal concurrent. En 1964, Quebecor a lancé Le Journal de Montréal durant une longue grève du quotidien La Presse et le groupe a encore en mémoire tous les artifices qu’il a dû alors employer, dont – comme le rapporte Jean Côté dans Le vrai visage de Pierre Péladeau – le piratage des dépêches de la Presse canadienne.
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Un journal mal fait Montréal Métropolitain a toutes les apparences d’un journal. Sa maquette, surtout dans les premières pages, est d’une rigidité à toute épreuve. Il donne chaque jour l’impression d’avoir une photocopie de l’exemplaire de la veille. Il dispose de chroniqueurs réguliers et prestigieux, comme l’archevêque de Montréal122 (le lundi), le chef de l’opposition municipale (le mercredi), le maire de la ville (le jeudi) et le hockeyeur Georges Laraque (le vendredi). Montréal Métropolitain a de nombreux atouts. Pourtant, il ne réussit pas à attirer et à retenir un lectorat suffisant. Son aspect était un peu déroutant. Son format de 29 cm sur 31,5 cm lui donnait une forme carrée assez inhabituelle. Le graphisme, surtout le logo du journal (un gros M, style McDonald’s, lourd et disgracieux) complétait le malaise. L’absence de brochage et l’utilisation de la quadrichromie sur la moitié des pages seulement laissaient une sensation d’inachevé. En définitive, Montréal Métropolitain ne répondait à aucun concept: c’était un gratuit, mais en même temps sa ressemblance avec les quotidiens payants – surtout Le Journal de Montréal – était trop marquée. Montréal Métropolitain avait adopté le même principe de Une (une grande photo renvoyant aux pages intérieures) et n’avait pas rompu avec la logique des journaux traditionnels. Composé d’articles courts et de brèves, il adoptait le même schéma (nouvelles locales, puis internationales ; rubrique sportive rejetée à la fin) et le même ton impersonnel que son « grand frère ».
Une absence de volonté politique Le message de Montréal Métropolitain était très confus. On ne savait pas si ses promoteurs avaient décidé de faire un journal
122. Cette tribune est en fait une reprise de celle que Mgr Turcotte publie le dimanche dans Le Journal de Montréal. On y trouve des idées délicieuses, comme «Les professionnels de l’information sont par vocation, appelés à être agents de vérité, de justice, de liberté et d’amour» (Le Journal de Montréal, 1er juin, et Montréal Métropolitain, 2 juin 2003).
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ou un pot-pourri des réalisations du groupe. Quebecor faisait jouer les synergies: on trouvait des articles du magazine culturel Ici, des critiques de sorties vidéo signées Videoclub Vidéotron, des chroniques vélo provenant du magazine Vélo mag (propriété de Quebecor), une chronique auto confectionnée par le site spécialisé autonet.qc.ca (dépendant de Quebecor) et surtout les publicités presque pour moitié placées par des entreprises du groupe. On avait parfois l’impression que Montréal Métropolitain avait pour but d’inciter à lire Le Journal de Montréal en journée et de regarder TVA en soirée. La synergie a montré ses limites : la mayonnaise n’a pas pris. La distribution, assurée par les Messageries dynamiques (propriété du groupe), manquait de tonus ; l’équipe de rédaction était encore plus réduite que celle de Métro (le lancement s’est fait avec une équipe de trois journalistes), alors qu’elle aurait dû être plus importante ; l’aspect du journal laissait à désirer… Tout donnait l’impression d’un sous-produit. Tout cela dénotait une absence de volonté politique123 : Quebecor ne voulait pas faire un quotidien gratuit. Montréal Métropolitain donnait le sentiment que sa seule raison d’être était de nuire à son concurrent.
Un échec Et, même dans cette tâche, Montréal Métropolitain a échoué. Plus de deux ans après son lancement, le journal attirait une part de publicité insignifiante, même pas équivalente à celle de Métro lors de son lancement. Quebecor tentait maladroitement de cacher cet échec en faisant acheter quasiment la moitié de la publicité par des sociétés du groupe (Le Journal de Montréal insérait quotidiennement quatre publicités, TVA au moins deux, 123. Montréal Métropolitain semble avoir été largement improvisé: «La naissance de Montréal métropolitain s’est faite en l’espace de quelques heures… On m’a appelé en entrevue le mardi. J’ai eu à peine une heure de réflexion pour décider d’embarquer dans le projet, puis le jeudi, on commençait à planifier la première édition du lundi. » Alexandre Gagné, « Montréal Métropolitain contre Métro : la vie chez les gratuits », Le 30 (mensuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec), mai 2001.
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le reste étant pris alternativement par Vidéotron, Jobboom ou le site Internet Canoë, autre propriété du groupe). Les annonceurs réels ne s’y sont pas trompés : selon notre étude sur les journaux de la semaine du 13 au 16 mai 2003, à peine 16% de l’espace était occupé par des publicités réellement payantes. Nombre Nombre Nombre de de pages d’articles publicités Métro MM Métro MM Métro MM Mardi
Surface pub payée
Dont Métro MM Quebecor
16
16
57
67
33
18
9
43 %
18 %
Mercredi 20
16
56
51
42
18
8
56 %
14 %
Jeudi
20
16
63
66
38
20
7
48 %
16 %
Vendredi 20
16
80
59
33
22
9
35 %
17 %
Moyenne 19
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64
60
37
20
9
46 %
16 %
Le 13 juin, journée précédant la fête des Pères et le Grand Prix du Canada de Formule 1 – jour extrêmement important à Montréal –, Métro comptait 32 pages, soit le double de Montréal Métropolitain, et avait attiré 55 publicités (58 % de la surface du journal), dont celles de nombreux constructeurs d’automobiles et de motos (Toyota, Ford, Kia, Volkswagen, Mazda, Nissan, Mitsubishi, Yamaha, Kawasaki). Montréal Métropolitain n’en avait attiré que 23 (dont 7 émanant d’une entreprise Quebecor et aucune d’un constructeur automobile).
Gagner sur tapis vert ? Dès le 9 mars 2001, Quebecor a engagé une procédure pour contester l’accord d’exclusivité conclu entre Métro et la société de transports. Valable pour trois années, cet accord peut être étendu à 10 ans. C’est le début d’un long feuilleton judiciaire. Le Devoir124 décrit ainsi le conflit: «L’entreprise (Quebecor) soutient que la clientèle qui emprunte le transport en commun est la
124. Le Devoir du 10 mars 2001.
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clientèle cible du Journal de Montréal et que les quotidiens gratuits du métro auront un impact négatif sur le tirage et le marché publicitaire de son journal. Si la STCUM décide de permettre à une entreprise de presse de distribuer un tel quotidien dans le métro de Montréal, elle doit donner un accès égal à toute autre entreprise qui lui en fait la demande, plaide-t-elle dans sa requête. Quebecor rappelle qu’en juin 2000, ses dirigeants ont contacté la direction de la STCUM pour lui faire part de leur intérêt pour la publication d’un quotidien gratuit dans le métro.» Quebecor reproche à la STCUM de ne pas lui avoir répondu et d’avoir passé une entente discrète avec Transcontinental. Le procès opposant Quebecor à la STCUM débutera réellement au début de l’année 2002. Le principal argument repose sur la sécurité, et une grande partie des débats est consacrée aux problèmes de propreté, de roues bloquées par les journaux, de statistiques d’accidents125, etc. Le 5 juin 2002, La Presse canadienne rapporte que « Maître Forest, représentant de la Société de transport, a plaidé le fait que Sun Média n’avait jamais soumis de proposition précise, de document, de projet précis, et ce, seulement après qu’elle eut appris qu’une autre entreprise de presse s’intéressait à publier un tel quotidien dans le métro de Montréal ». Le jugement est resté en délibéré jusqu’au 8 août 2003. AnneMarie Cadieux, rédactrice en chef de Montréal Métropolitain, confiait le 27 février 2003: «Nous attendons toujours la décision du juge, promise d’abord en septembre 2002, puis avant la période des Fêtes. Un juge pas pressé!» Et, comme de juste, Quebecor, le perdant en première instance, a fait appel du jugement126.
125. Lors de son témoignage en Cour supérieure, Carl Desrosiers, chef de l’exploitation du réseau du métro, a signalé au tribunal que, du 1er mars au 31 décembre 2001, les débris de journaux ont causé 48 interruptions de service du métro, contre 15 durant la même période l’année précédente. 126. Avec des entendus qui peuvent surprendre de sa part, Quebecor déclare que le jugement de la Cour supérieure « cautionne une situation antidémocratique et crée un précédent dangereux en ce qui concerne la liberté d’expression et la liberté de presse ».
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Entretien avec Anne-Marie Cadieux, rédactrice en chef de Montréal Métropolitain Selon vous, peut-on parler d’une concurrence presse gratuite/ presse payante ? Je ne crois pas que nous pouvons parler de compétition entre la presse gratuite et payante. À mon avis, la presse gratuite n’a pas les ressources (financières et humaines) pour s’attaquer aux journaux vendus. Je vois cependant les journaux gratuits comme un complément d’information. Je nous définis souvent comme le « horsd’œuvre », ce qu’on appelle dans la langue de Shakespeare : les appetizers! En fait, notre rôle est d’ouvrir l’appétit des lecteurs; de leur fournir une partie de l’information qu’ils pourront compléter par les informations télévisuelles ou écrites des grands quotidiens. Quels seraient à terme les quotidiens montréalais susceptibles de pâtir le plus de la présence de Métro et de Montréal Métropolitain ? La Presse et Le Journal de Montréal. Je ne crois pas que Le Devoir, de par son contenu et sa clientèle, soit touché par les journaux gratuits. Par contre, les deux autres peuvent se sentir menacés, ce qui expliquerait d’ailleurs (en partie) leur implication dans la publication des deux journaux gratuits. Quels sont selon vous les atouts et les limites de la presse gratuite ? Son plus gros atout est son taux de pénétration. La presse gratuite rejoint beaucoup de gens, beaucoup plus que les journaux vendus. Le nombre limité de pages et la longueur des textes (brefs) sont aussi des atouts auprès des gens qui lisent peu et qui seraient autrement intimidés par les textes plus longs et les analyses des journaux vendus. Ses limites sont financières. Les coûts élevés d’impression sont certainement la plus grosse limite d’un journal gratuit, pour qui chaque exemplaire est une dépense, contrairement aux journaux vendus, pour qui chaque exemplaire est un revenu.
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Où en est le Montréal Métropolitain dans la poursuite judiciaire engagée contre le monopole de Métro dans le métro ? Nous attendons toujours la décision du juge, promise d’abord en septembre, puis avant la période des Fêtes de fin d’année 2002. Un juge pas pressé ! Certaines mauvaises langues ont dit que Montréal Métropolitain n’était là que pour contrer Métro et lui éviter de prendre des parts de publicité. Qu’en est-il ? Évidemment, une grande entreprise comme Quebecor n’aime pas laisser la place vide pour qu’un concurrent l’occupe! Mais Quebecor s’intéresse depuis déjà plusieurs années au phénomène de la presse gratuite. Notre président avait d’ailleurs participé à un congrès sur la presse gratuite en Europe avant de lancer le Montréal Métropolitain. Et il est encore aujourd’hui convaincu de la rentabilité à moyen terme d’une telle entreprise. Quebecor n’est pas reconnu comme une entreprise qui investit à perte ! À propos des gratuits, un journaliste du Monde a parlé de McDonald’s de l’information. Qu’en pensez-vous? Le même Monde qui est en passe de devenir le Enron de la presse écrite française ? Le snobisme des employés des journaux vendus me fait un peu suer. McDonald’s fait de la mauvaise bouffe, je ne trouve pas que nous faisons de la mauvaise information. Elle est succincte, mais elle n’est pas mauvaise.
24 heures Quebecor semble avoir tiré les leçons de cet échec. Le 24 octobre, le groupe a remplacé Montréal Métropolitain par 24 heures, « nouveau quotidien au look revampé, imprimé sur papier glacé en couleurs, imprimé à 120 000 exemplaires, soit presque le double de Montréal Métropolitain127 ». Le fait que Quebecor soit l’imprimeur de 20 Minutes en France n’est pas pour rien dans ce tournant. La maquette de 24 heures ressemble beaucoup au
127. Le Journal de Montréal du 24 octobre 2003.
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quotidien norvégien. Le format est à peu près identique, la charte graphique (couleurs, répartition des colonnes) est très proche. On retrouve également le même type de reliure par collage. Quebecor a fait des efforts en augmentant le nombre de camelots et en doublant les effectifs de la rédaction qui sont passés à six journalistes. La présentation est bien plus agréable, la diffusion beaucoup plus sérieuse et l’accueil des lecteurs bien meilleur. Mais, plus de six mois après le lancement, la publicité semble avoir bien du mal à suivre. 24 heures a près de trois ans de retard à rattraper !
La situation en France La guerre des journaux gratuits Dès l’apparition des gratuits, les confrères de la grande presse ont déterré la hache de guerre. D’abord modérés – « Les futurs gratuits d’information en France suscitent l’inquiétude128 » – les titres sont devenus plus incisifs – « Les gratuits attaquent129 », « Méfiez-vous des contrefaçons – vrais faux journaux130 », « Journaux gratuits: ceux qui nous ont trahis131 »… La sortie du journal a provoqué de violents incidents. Faute d’un accord, le Syndicat du livre CGT – qui se considérait en état de « légitime défense » – exigeait que les gratuits respectent les règles de la presse payante132. Métro, plutôt que de ne pas sortir du tout, a dû être imprimé au Luxembourg puis acheminé à Paris en camion. Cela 128. Le Monde du 2 février 2002. 129. Le Nouvel Observateur du 14 février 2002. 130. Libération du 19 février 2002. 131. Le Monde du 19 février 2002. 132. Le Syndicat du livre était en accord avec le Syndicat de la presse parisienne (SPP) – qui réunit les éditeurs de presse. Le SPP demandait que «soit engagée une réflexion avec tous les acteurs publics et privés concernés sur la gratuité de l’information, sa généralisation et ses conséquences» et, mettant l’accent sur la fragilité structurelle du marché publicitaire de la presse quotidienne nationale et le risque de déstabilisation de ce marché, compte tenu de la situation économique actuelle, souhaitait que «les conditions d’impression et de fabrication de la presse quotidienne gratuite soient similaires à celles de la presse quotidienne payante, coûts de structure inclus et portés par les éditeurs de gratuits» (communiqué du SPP, 9 février 2002).
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a donné lieu à de nombreuses scènes de rodéo: camions interceptés, distributions entravées, exemplaires jetés sur la chaussée. Même les camelots – bien souvent des étudiants recrutés par petites annonces et visiblement peu informés – ont été intimidés, voire molestés. Un an après l’arrivée des gratuits en France, la guerre entre ces derniers et la presse quotidienne payante semble se calmer. Dès le 25 avril 2002, Le Monde rassurait : « L’arrivée des gratuits d’information n’a pas d’impact vraiment tangible sur les quotidiens payants133. » Il est vrai qu’entre-temps Le Monde avait trouvé un accord avec 20 Minutes.
Marseille et Lyon L’implantation de Métro à Marseille et à Lyon constitue une des surprises du lancement des quotidiens gratuits en France. Une des explications possibles est que, fort de l’exemple suisse134, Métro a voulu prendre une longueur d’avance sur son concurrent en accroissant sa diffusion et en se donnant, par cette couverture, une attractivité supplémentaire aux yeux des annonceurs. Fin décembre 2001, une délibération du conseil municipal de Marseille a donné à Métro l’autorisation d’installer 300 présentoirs sur la voie publique et 100 dans le métro et les bus. Marseille est une des rares villes de France à avoir plusieurs titres de presse quotidienne régionale (en jargon, la PQR). Dans un premier temps, la direction de La Provence, le quotidien le plus important, avec une diffusion de 57000 exemplaires sur Marseille (pour un tirage total de 170 000 exemplaires), assurait ne pas s’inquiéter de l’arrivée d’un quotidien gratuit à grande diffusion. L’autre quotidien, La Marseillaise, proche du Parti communiste français (PCF), qui revendique 30000 exemplaires sur la ville (sur une diffusion totale de près de 80 000 exemplaires), a accueilli cette nouvelle avec «beaucoup d’interrogations et sans le sourire 133. Le Monde du 25 avril 2002. 134. En Suisse, Métro s’était tout d’abord implanté à Zurich puis, se voyant débordé par 20 Minuten, s’est lancé dans une diffusion sur la Suisse allémanique (Bâle et Berne), mais cela n’a pas suffi, et le titre a dû fermer.
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aux lèvres». Tous deux s’interrogeaient sur l’avenir «avec un concurrent supplémentaire un marché publicitaire qui s’est rétréci ces derniers mois ». La mairie s’est montrée fort conciliante, déclarant que « les analyses présentées par Métro montraient que les journaux traditionnels payants n’avaient pas eu à souffrir de ce nouveau média et que La Provence est capable de réagir, de s’adapter, d’être réactive ». Le quotidien abondait dans le même sens, disant que le gratuit aurait un contenu rédactionnel différent et ferait appel à un autre marché publicitaire que le sien. Le calme avant la tempête. Dans le sud de la France, on a peu de goût pour les arguties judiciaires. La riposte s’est déroulée en deux temps : tout d’abord, La Provence a sorti Marseille Plus, un quotidien gratuit destiné à contrer Métro, puis le Syndicat du livre CGT a bloqué la diffusion de Métro pendant plusieurs jours, obligeant les forces de l’ordre à protéger l’imprimerie, située à près de 100 km de Marseille, et à escorter les camions qui acheminaient les 100000 exemplaires du journal vers la ville. Les raisons de ce « combat syndical » sont restées obscures : les manifestants ne semblaient pas contre le principe des journaux gratuits puisque, pendant ce temps, les 57 000 exemplaires de Marseille Plus étaient diffusés en toute quiétude. À Lyon, le lancement s’est passé dans le calme. Selon les estimations de journalistes du Progrès, le quotidien de la capitale des Gaules aurait perdu environ 3 % de lecteurs depuis l’arrivée de Métro. Cependant, cette baisse s’inscrit dans une tendance de longue durée, et les nombreuses restructurations que subit le journal depuis cinq ans n’arrangent pas les choses. À Marseille comme à Lyon, Métro n’est qu’une version édulcorée de son confrère parisien. Une page est consacrée à l’actualité locale, on couvre le club de foot local et le reste provient de l’édition parisienne. L’arrivée d’un journal qui ne crée pas d’emplois localement, dans un contexte de presse plutôt déprimée, est assez mal vécue. La presse régionale est bien implantée. Elle se montrera peut-être moins sensible aux gratuits
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que la presse nationale: elle assure sa propre distribution, le taux de portage est important (en moyenne 36%) et surtout la publicité ne représente que 42 % des recettes (dont le tiers en provenance des petites annonces)135.
La bataille de France La bataille de France s’annonce déterminante. Elle compte pour une bonne part du déficit de Métro International depuis 2002, ce qui l’a forcé à chercher des alliés nationaux. France Soir a longtemps été évoqué, jusqu’à ce que le groupe de télévision TF1 s’invite à hauteur de 34,3% dans le capital du journal. Depuis ce moment, les concurrents fonctionnent en mode panique. Fort de sa victoire suisse et de l’avantage découlant de ses accords avec Ouest-France et la SNCF, 20 Minutes, qui attendait sagement que Métro abandonne, multiplie les prospections. Les groupes de presse payants s’agitent. Les sommes en jeu sont importantes136. La bataille entre dans sa seconde phase et prend de l’ampleur. Métro songe au lancement d’éditions dans plusieurs grandes villes de province137. Pour le contrer, 20 Minutes, allié à la chaîne de télévision M6, recherche des partenaires, et les trois principaux groupes de presse régionale (Socpresse, Amaury et Hachette) étudient une implantation de quotidiens gratuits à Paris et dans une dizaine de grandes villes. Le bilan actuel du développement des quotidiens gratuits d’information ne permet pas d’établir la viabilité à terme de deux titres sur un même marché publicitaire. La bataille de France sera déterminante pour l’avenir d’au moins un groupe de presse gratuite. 135. Source : Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR). 136. Les plans de lancement des quotidiens gratuits s’appuient sur un objectif d’équilibre à trois ans, c’est-à-dire fin 2004, pour un budget oscillant entre 20 et 25 millions d’euros. En 2002, 20 Minutes a affiché une perte de 10 millions d’euros (avec 4,2 millions d’euros de recettes publicitaires). Dans le même temps, Métro a affiché pour ses trois éditions une perte de 15,7 millions d’euros en 2002 (pour des recettes publicitaires de 3,8 millions d’euros – dont 2,9 millions d’euros pour le seul dernier trimestre). 137. Métro a lancé une édition à Toulouse le 19 janvier 2004.
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Trois années de Métro à Montréal La conquête d’un marché publicitaire suffisant est la condition sine qua non de la pérennisation du journal gratuit. Une visite des locaux du journal est édifiante : le service de recherche de publicité est au moins aussi gros que la salle de rédaction. Sans entrer dans les secrets de l’éditeur, nous avons mené une étude de l’évolution du journal en analysant neuf séries hebdomadaires. Le travail, statistique et un brin universitaire, peut paraître fastidieux, mais c’est un mal nécessaire pour comprendre les conditions de démarrage des journaux gratuits. Nous avons ainsi sélectionné les semaines du : – 12 au 16 mars 2001 (nos 1-8 à 1-12) ; – 28 mai au 1er juin 2001 (nos 1-61 à 1-65) ; – 3 au 7 septembre 2001 (nos 1-130 à 1-135) ; – 17 au 21 septembre 2001 (nos 1-141 à 1-145) ; – 10 au 15 décembre 2001 (nos 1-200 à 1-205) ; – 11 au 15 mars 2002 (nos 2-7 à 2-11) ; – 27 au 30 mai 2002 (nos 2-60 à 2-65) ; – 3 au 6 septembre (nos 2-128 à 2-131) ; – 9 au 13 décembre (nos 2-195 à 2-199) ; – 10 au 15 mars 2003 (nos 3-5 à 3-9) ; – 10 novembre au 12 décembre 2003 (nos 3-172 à 3-196). Dans cet échantillon, nous avons à chaque fois dénombré, mesuré, classé les publicités, compté le nombre de textes et d’illustrations porteuses de sens (nous n’avons pas retenu les photos insérées en tête de rubrique ou dans les publicités), examiné la place accordée aux rubriques régulières (programme TV, météo, agenda culturel, courrier des lecteurs, résultats de la loterie…).
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Opinion de Jacinthe Tremblay, journaliste indépendante (La Presse, Radio-Canada), ancienne présidente de l’AJIQ Mes réponses sont plus des intuitions que des certitudes. Je lis très, très rarement ces journaux. Par contre, ce qui me frappe, c’est que mes enfants (âgés de 18 ans et 20 ans) connaissent les grandes nouvelles internationales, entre autres parce qu’ils lisent Métro. Pour eux, Métro semble jouer le même rôle qu’un bulletin de radio pour moi. J’ai le sentiment que c’est le cas pour plusieurs usagers du transport en commun. En revanche, je ne suis pas du tout convaincue que les gens lisent les dossiers ou gardent des exemplaires pour les lire pendant la soirée. En ce sens, s’il y a une concurrence entre Métro et les quotidiens, cela me semble être moins par le contenu que par le partage de la même assiette publicitaire. Métro doit certainement promouvoir la grande taille de son lectorat – et sa quasi-captivité – auprès des annonceurs. Une autre donnée à vérifier: Métro vend-il des publicités croisées avec d’autres publications de Transco, comme les hebdos de quartier? Si mon hypothèse de l’assiette publicitaire est vraie, ce serait logiquement Le Devoir qui aurait le plus à perdre car il a de moins en moins de lecteurs à offrir aux annonceurs. Moins de revenus, moins de contenu original (beaucoup de dépêches d’agences) et du contenu de plus en plus bref, donc de plus en plus proche de celui de Métro. C’est un scénario pessimiste mais peut-être pas irréaliste. Les atouts de la presse gratuite? D’une certaine manière, lorsqu’elle est rentable parce qu’elle attire beaucoup d’annonceurs – et qu’elle paie peu ses pigistes… –, son contenu journalistique peut être plus abondant. Je ne veux pas dire meilleur. Je veux juste dire qu’elle dispose de plus d’espace pour les textes. Exemple : si ce n’était de l’édition du samedi, il y aurait plus de contenu culturel dans Voir que dans Le Devoir. J’ai moi-même travaillé plusieurs années pour des hebdos régionaux gratuits, lorsque ce phénomène a débuté dans les années 1980. Ces journaux étaient généralement d’anciennes publications vendues passées aux mains des premiers groupes de presse comme Unimédia, les Bellavance dans l’est du Québec. Il est arrivé bien souvent que ces journaux gratuits ont été, du moins au début,
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meilleurs que les payants. Leur tirage étant plus élevé, les annonceurs sont revenus, ils ont embauché des journalistes à temps plein, etc. Avec le temps, le contenu rédactionnel a diminué, tout comme sa qualité. L’étude de l’évolution des hebdos dans la région du Bas-du-Fleuve serait assez éloquente. Ils sont maintenant devenus de véritables circulaires, semblables aux hebdos de quartier montréalais. Les atouts de la presse gratuite sont donc annulés par la cupidité des propriétaires de médias et leur intérêt plus marqué pour les revenus publicitaires que pour le journalisme. Dans la plupart des cas, ils sont aussi propriété d’imprimeurs intéressés par le volume et qui utilisent le journal à la manière d’un porte-circulaire.
Un élan brisé Métro a frôlé la catastrophe. Après un démarrage rapide – la légère baisse observable entre mars et mai 2001 était attribuable à la réduction de volume de la publicité interne dans laquelle Métro faisait sa propre promotion ou celle de produits appartenant à son actionnaire principal Transcontinental –, les ventes de publicité ont brutalement chuté après le 11 septembre 2001. 60
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Publicité Nombre de pages
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0 Mars 01 Mai 01 Juil. 01 Sept. 01 Déc. 01 Mars 02 Mai 02 Sept. 02 Déc. 02 Mars 03 Mai 03
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Dans un premier temps, la progression de la publicité a été très rapide: elle est passée en effet de 27% de la surface du journal en mars 2001 (17 % de publicité réellement payée) et de 25 % en mai (23% de publicité payée) à 42% au début de septembre, dont 39% de publicité payée. Une semaine après les événements de septembre 2001, le volume de publicité était retombé à 24% de la surface du journal. Métro a dû faire feu de tout bois pour recueillir le maximum de publicité, allant, faute de publicité de Microsoft, jusqu’à prendre des annonces de marabouts africains! Métro a mis beaucoup de temps à retrouver le niveau antérieur: il n’y est parvenu qu’entre mars (40%) et mai 2002 (43%). Depuis le dernier trimestre 2002, la publicité occupe environ 50 % de la surface du journal (51 % en septembre 2002, 52 % en décembre 2002, 47% en mars 2003 et 46% en mai 2003). Ces gains ont été réalisés grâce à une constante adaptation du journal, visible à plusieurs niveaux. Comme beaucoup de ses confrères, Métro a ajusté sa taille à la publicité récoltée (voir courbe plus haut). Alors qu’elle semblait privilégier, lors de son lancement, des annonces grand format (pleine page, 1 ⁄ 2 page, 1 ⁄ 3 page), l’équipe publicitaire s’est rabattue sur de plus petits formats, allant jusqu’à accepter des annonces 4,5 cm 2,5 cm. L’évolution de la taille moyenne des encarts montre bien l’âpreté de ce travail. 2001 Date
2002
Mars Mai Sept. Sept. Déc. Mars Mai Sept. Déc. Mars Mai Nov.
Taille (cm) 431 235 186 171 174 Nbre pub
2003
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23 32
Un quart de page mesure 217 cm2.
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211 214 180 208 164 195 230 34 30
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Les publicités nationales138 La stratégie de Métro International n’était pas de s’implanter uniquement dans un milieu local, mais aussi de profiter de la masse de lecteurs pour capter des «publicités de marque» nationales voire « globales ». Tel devait en tout cas être le plan initial. À Montréal, l’équipe de Métro avait démarché, avant le lancement, une série d’annonceurs importants, comme la radio Cité Rock détente et le Casino de Montréal.
Publicités de marque 2001 Date
Mars
Nombre 15 %
41 %
Mai
17
2002
Sept. Sept.
29
16
18 % 19 % 15 %
Sept.139 Déc.
Déc.
Mars
Mai
13
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33
34
40
9%
21 %
20 %
15 %
15 %
Après le résultat trompeur des premiers moments (le taux de cette sorte de publicité était élevé car les annonceurs locaux n’avaient pas encore été suffisamment démarchés), le taux de publicités nationales s’établit autour du cinquième de la publicité totale du journal. Dès mai 2001, Métro affiche un bandeau en bas de première page pour le Microsoft Office XP, et quelques annonceurs s’affichent dans les pages intérieures, comme la radio montréalaise CKOI, l’éditeur de guides de voyage Ulysse, le distributeur Sears, l’opérateur en téléphonie Rogers ATT, etc. Des institutions scolaires et la police de Montréal utilisent aussi Métro comme support. Début septembre 2001, la liste s’était étoffée avec, par exemple, la chaîne de grands magasins La Baie, le transporteur Air Canada, l’éditeur Librio et, en cette période de rentrée des classes, de nombreux établissements scolaires.
138. Nous avons séparé les annonceurs entre commerces locaux (établissements proposant des biens ou des services), collectivités locales (intégrant les établissements scolaires) et publicités régionales ou nationales. La différence formelle de cette dernière catégorie par rapport aux précédentes est l’absence d’indication d’adresse ou de numéro de téléphone local. 139. Sur quatre jours (le lundi 2 septembre ayant été celui de la fête du Travail).
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Tout cet édifice a été sévèrement bousculé après le 11 septembre. Les numéros de la fin du mois publiaient encore des campagnes promotionnelles engagées en début de mois (c’était visiblement le cas de La Baie), mais la disette s’est installée pour l’automne. En décembre, le nombre de ces annonceurs était au plus bas, et Métro a dû accepter des contrats avec les firmes Naturella (produits naturels) et Lasik (verres de contact) qui ne bénéficient pas d’une énorme notoriété. Des progrès ont été observés dès la fin de l’année avec le passage d’annonces de l’opérateur Bell Canada qui, par suite d’un différend, venait de retirer ses publicités au groupe Quebecor. Depuis, la situation s’améliore. Métro a obtenu des contrats avec la radio et la télévision de Radio-Canada, la chaîne de télévision TQS, Air Canada, le téléphoniste Fido et divers programmes des gouvernements canadien (à propos des impôts) et québécois (recyclage et prévention). Cette progression a mieux ancré Métro, qui pratique de moins en moins l’autopublicité. Alors qu’il s’annonçait parfois en pleine page dans les premiers mois, on observe dans la dernière période une forme nouvelle de publi-reportage et la mise en place d’instances de fidélisation des lecteurs au sein de Club Métro. En septembre 2002, suivant l’exemple de son sister ship de Toronto, le journal s’est lancé dans un encan qui proposait aux lecteurs d’enchérir sur une Honda Civic 1999 (valeur 15000$), un ordinateur de bureau (valeur 1399$), une conception de site Internet (valeur 2000$), une imprimante (valeur 200$), une correction de la vue au laser (valeur 2 400 $), un abonnement au théâtre (valeur 320$) et toute une liste d’épicerie à la Prévert. Cette pratique relativement nouvelle lui a permis de lever rapidement des fonds (la valeur totale de l’encan atteindra presque le million de dollars) et d’établir des accords de troc avec les fournisseurs – qui étaient ou sont devenus des annonceurs. Depuis le printemps 2003, Métro attire les gros annonceurs que sont les banques, les entreprises de téléphones, les compagnies aériennes et surtout les constructeurs automobiles140. 140. Avec près de 200 millions de dollars par an, les constructeurs automobiles sont parmi les plus importants annonceurs au Québec.
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Après les établissements Gabriel, important concessionnaire de marques asiatiques, le journal a attiré dans un premier temps les réseaux Kia et Hyundai et, depuis peu, Toyota et le puissant groupe General Motors. Mais il devra, dans ce domaine, faire ses preuves ou s’adapter car le milieu des utilisateurs des transports en commun n’est pas le bassin naturel des acheteurs d’automobiles. Même si Métro Montréal progresse assez bien, on peut toutefois s’interroger sur la pertinence du concept de Métro International car, dans les faits, le journal attire beaucoup d’annonceurs locaux. Métro a mis deux ans pour avoir de gros annonceurs traditionnels comme les constructeurs automobiles et n’a pas encore réussi à obtenir les événements sportifs et culturels. Il y a bien eu des tentatives d’opérations raisonnées, comme la création de pages santé ou maison, mais les résultats semblent mitigés. Dans les numéros étudiés, il n’y a qu’un seul exemple (en mai 2001) de publicité de type planétaire. Métro est passé un peu à côté des buts initiaux. Le réseau mondial de journaux n’a pas été créé pour capter la publicité locale, annoncer les tireurs de cartes et les mages africains locaux.
Où en est-on trois ans après le lancement ? La publicité Une étude sur cinq semaines de parution141 donne des résultats remarquables. Pendant cette période, Métro a compté au moins une page quotidienne de petites annonces142. À deux reprises (12 novembre et 12 décembre), les éditions de Montréal et Toronto se sont entendues pour faire un wrap143 pour deux annonceurs importants : le constructeur automobile General Motors (édition du 12 novembre) et le fabricant d’ordinateurs Dell (édition du 12 décembre). 141. L’échantillon étudié porte sur cinq semaines de parution, du no 3-173 du 10 novembre 2003 au no 3-196 du 12 décembre 2003. 142. C’est dans ce cadre que Métro accueille encore les publicités des marabouts africains. 143. Selon l’image utilisée par Infopresse (édition Internet quotidienne du lundi 15 décembre 2003) ; il s’agit simplement d’une publicité de quatre pages achetée par le même annonceur qui occupe les faces de la première double page.
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Le journal est passé maître dans la technique d’adaptation de sa pagination au volume de publicité vendue: le nombre de pages varie de 20 à 36, pour s’établir en moyenne à un peu plus de 28 pages par numéro. Ce chiffre, supérieur à celui de son format de base de 24 pages, est le signe que la publicité entre : 49,6 % de l’espace du journal est vendu144. Mais elle entre de manière encore inégale, selon les jours : Jour
Nombre de pages
Pourcentage d’espace vendu
Pourcentage rapporté à 24 pages
Lundi
24,8
44,6
48,1
Mardi
25,6
43,8
48,7
Mercredi
30
46,4
45,4
Jeudi
29,6
46,9
60,3
Vendredi
32
53,9
75,1
Moyenne
28,3
49,6
58,9
La publicité de marque Près de trois ans plus tard, la tendance se maintient : fin 2003, le pourcentage de publicités de marque reste très proche de celui observé un an auparavant. Sur un échantillon de deux semaines de parution145, ce type de publicité ne représente encore que 18% des annonces (104 publicités sur un total de 553 sur la période). La répartition est la suivante : –
43,2 % pour les produits de téléphonie (26,9 % pour les téléphones cellulaires et 16,3 % pour les cartes prépayées) ;
–
26,9 % pour des biens de consommations (meubles, vêtements…) ;
144. Publicité et petites annonces. 145. Fréquence mesurée sur les numéros 3-186 du 28 novembre 2003 au 3-196 du 12 décembre 2003.
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–
18,3 % pour des produits pharmaceutiques ou de parapharmacie ;
–
8,7 % pour des automobiles (GM, Toyota, Kia) ;
–
2,9% pour des produits divers (produits financiers entre autres).
Contrairement à la tendance observable en France, il y a encore assez peu de produits culturels (trois films seulement dans l’échantillon de référence) et aucune annonce de grande surface (mais cela tient à la structure commerciale du Québec où la grande distribution est peu présente). À Paris, la publicité de marque (ou celle des grandes surfaces146) occupe une place plus importante, de l’ordre du tiers du nombre et de la moitié de la surface des annonces. Entretien avec Pierre Vennat, journaliste de La Presse, membre du CA du Conseil de presse du Québec et du Centre de ressources en éducation des médias (CREM) de l’Université du Québec à Montréal Pensez-vous qu’il y a un concept Métro ? Les journaux gratuits font vraiment partie d’un concept. Celui du « fast food rédactionnel ». Donc, ceux qui disent « McDonald’s de l’information» ont raison. Sauf que c’est un peu du snobisme. En un mot, moi, je ne mange pas au McDonald’s, mais quand je conduis sur des autoroutes, ils sont souvent les seuls ouverts, je peux y prendre un café. Les journaux gratuits du métro font la même chose. Ils sont généralement lus par des gens qui ne liraient pas autre chose. Selon vous, peut-on parler d’une concurrence presse gratuite/ presse payante ? Ces journaux gratuits ne nuisent donc pas aux « journaux sérieux » (The Gazette, La Presse et Le Devoir) qui, eux, sont lus par des consommateurs d’informations, prêts à payer pour les lire. Les gratuits ne nuisent pas, sauf peut-être au Journal de Montréal, qui, lui aussi, est lu par des gens désireux de regarder les gros titres, les photos, etc., rapidement.
146. Carrefour annonce régulièrement dans 20 Minutes.
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La presse gratuite n’intéressera donc jamais celui qui veut vraiment savoir le pourquoi des choses. Elle ne rejoindra que les gens qui veulent savoir le quoi (ce qui se passe et non pourquoi ça se passe ou ne se passe pas). Dans ce sens-là, l’avenir de la presse écrite (qui selon moi ne disparaîtra pas) est dans les abonnés, et non au kiosque. Le vrai consommateur de journal se fait livrer La Presse, Le Devoir, The Gazette chez lui (ou au bureau, en plus du National Post, du Globe and Mail, etc.). Quels seraient à terme les quotidiens montréalais susceptibles de pâtir le plus de la présence de Métro et de Montréal Métropolitain ? Le journal gratuit s’adresse à l’usager du transport en commun, l’usager du métro. Il ne rejoint donc pas, règle générale, le décideur qui voyage le plus souvent en auto. Quels sont, selon vous, les atouts et les limites de la presse gratuite? La presse gratuite rejoint les gens à revenus modestes. Elle n’intéressera jamais les annonceurs qui recherchent des clients à l’aise, ou les intellectuels, ou les décideurs. Comme le fast food de McDonald’s n’intéresse pas celui qui fréquente les restaurants de la rue Saint-Paul à Montréal ou aux alentours de la Grande-Allée et de la rue Saint-Jean dans le Vieux Québec. À propos de Métro, un journaliste du Monde a parlé de McDonald’s de l’information. Qu’en pensez-vous ? Je ne regarde donc pas ces journaux gratuits, mais je reconnais qu’ils informent un peu grand nombre de personnes qui, sans eux, ne seraient pas informés du tout. C’est du bas de gamme, mais le bas de gamme est mieux que rien.
La profitabilité « L’association, à Toronto, avec Torstar Corporation a dégagé un profit au cours des quatre derniers trimestres et a, par conséquent, atteint la rentabilité sur l’année. Les ventes nettes ont progressé de 53 % par an. L’association plus récente, à Montréal, avec le groupe Transcontinental enregistre une progression
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annuelle de 60 % des ventes au troisième trimestre et une diminution de moitié de la part de Métro dans les pertes avant impôt dans cette opération. Sur la période de neuf mois finissant fin septembre, Montréal affiche une croissance annuelle de 47 % des ventes nettes, permettant une diminution de 44 % de la part de déficit de Métro147. » Près de 50 % (49,6 %) de l’espace est vendu sous forme de publicité ou de petites annonces, mais Métro Montréal n’équilibre pas encore ses comptes ! Pourtant, rendu au format normal de 24 pages, la publicité représente 58,9 % de l’espace du journal. Ce résultat est assez surprenant. Interrogé à ce sujet, alors que nous émettions l’idée que Métro Montréal était sûrement bénéficiaire pour son actionnaire majoritaire, son éditeur, M. Gagné, nous a confié que le journal avait dégagé ses premiers bénéfices d’exploitation en novembre 2003, quelques mois avant l’échéance prévue en mars 2004. Pourtant, Métro Montréal n’annonce toujours pas de bénéfices dans les rapports trimestriels du groupe. Le 21 avril 2004, Métro International se félicite cependant d’une hausse de 45 % des ventes publicitaires en un an.
147. The joint venture in Toronto with Torstar Corporation has now been profitable for the last four quarters and consequently reached annual profitability. Net sales for the year to date were up 53 % year on year. The younger joint venture in Montreal with Transcontinental Group reported 60 % year on year net sales growth in the third quarter and a halving of Metro’s share of attributable pre-tax losses for the operation. In the nine months to the end of September, Montreal reported a 47 % year on year increase in net sales, enabling a 44 % reduction in Metro’s share of losse’s (source: Metro International, Financial Results for the Third Quarter and Nine Months Ended 30 September 2003, Luxembourg, 21 octobre 2003).
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Les quotidiens gratuits – Québec
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Les quotidiens gratuits – Europe
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Chapitre 5
Quelles différences entre un payant et un gratuit ?
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omme il est de bon ton d’opposer les « journaux de qualité » aux « journaux populaires »148, l’observation du monde des journaux quotidiens fait sans aucun doute le désespoir de tous ceux qui doutent de la réalité de la vision marxiste du monde – en tout cas de l’existence des classes sociales.
Information ou analyse ? De manière conventionnelle – et cela est vrai pour la vision française –, on distingue les médias d’analyse et les journaux populaires, que Jean-Marie Colombani, le directeur du Monde, qualifie, avec grande condescendance, de « journaux d’information… adaptés à un consommateur-zappeur149 ». Au Québec, on distinguera ainsi Le Journal de Montréal, tabloïd populaire, La Presse, journal de bonne tenue mais au public plus diversifié, et Le Devoir, journal des intellectuels et des universitaires. On retrouve d’une part le sensationnel, le sang, le sexe et le sport, qui remplace de plus en plus la religion comme opium du peuple, d’autre part les analyses et les points de vue. Dans l’entretien avec La Lettre de l’ORM150, faisant référence à InfoMatin, M. Colombani oppose «la distance à l’immédiateté, la hiérarchisation rigoureuse de l’information à sa spectacularisation, la raison à l’émotion », bref tout ce qui sépare un torchon, 148. Pierre Albert utilise cette litote dans son «Que sais-je?» consacré à la presse. 149. « S’appeler Le Monde, cela se mérite », La Lettre de l’ORM, no 2, Université catholique de Louvain, 1994. 150. Cet entretien est une des rares analyses disponibles sur InfoMatin.
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un champion de la brièveté au tout simple journal « des élites, non de l’argent, mais de l’intelligence »151 qu’est le journal qu’il a le mérite de diriger. En France, il faut ajouter un autre niveau, avec la presse quotidienne régionale (en jargon, la PQR), qui enferme ses lecteurs dans leur espace géographique quotidien, les cantonnent dans leur environnement, leurs peurs et leurs angoisses. À l’inverse, les médias « nationaux », les journaux de l’ouverture au monde, comme Le Monde, Le Figaro ou, à la limite, Libération, consacrent une large part à l’actualité internationale. D’un côté, l’utilisation massive de la quadrichromie, de l’autre, la présentation austère et ordonnée, le «rubriquage» classique et conventionnel. Souvent le format varie: le peuple semble voué au tabloïd. Manque-t-il de place sur sa table de cuisine? Ne peut-il lire que debout dans les transports en commun? Ne sait-il pas plier un journal? La différence entre information et analyse existe, bien sûr, mais elle n’est pas toujours si radicale. Est-il plus « analyse » d’indiquer une nouvelle attaque de la guérilla en Colombie que le dernier carambolage sur l’autoroute ? Est-il plus « analyse » de consacrer quatre pages à la rubrique littéraire plutôt qu’aux programmes de télévision ? Est-il plus « analyse » de laisser aux quotidiens populaires le soin de rapporter les « chiens écrasés », les accidents de la route, les vols, les crimes sexuels, les courses de chevaux et les résultats sportifs ? On a la tentation – héritage de Paris Boum Boum ? – de classer les journaux gratuits encore une catégorie au-dessous. Quelle est la réalité de cette classification? Quels sont les éléments qui nous permettent de distinguer Métro des journaux payants ?
En quoi Métro est-il différent des journaux payants ? Nous avons essayé, à partir d’un échantillon comprenant La Presse, Le Devoir, Le Journal de Montréal, Le Monde et Métro Montréal de la première semaine de septembre 2002152, de 151. Ibid. 152. Cet échantillon ne recouvre que les numéros de semaine du lundi au vendredi.
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Quelles différences entre un payant et un gratuit?
trouver un critère pertinent permettant de distinguer les quotidiens gratuits des payants. Nous avons compté les pages, les articles, les photos, les publicités, calculé leurs parts respectives en pourcentage, en surface, etc. Les critères ont été uniquement formels : la richesse, la complexité ou la valeur des informations n’ont pas été prises en compte, et de manière arbitraire nous avons considéré chaque segment d’information (articles, brèves et photos) comme un seul élément.
Le nombre de pages Les journaux gratuits ont la réputation d’être des journaux « légers », de comporter beaucoup moins de pages mais, à cette aune, c’est Le Journal de Montréal qui passerait pour le plus sérieux, et Le Devoir, pour le plus «léger». Journal
Nombre de pages
Le Devoir
17
Métro
20
Le Monde
41
La Presse
64
Le Journal de Montréal
116
Le nombre d’articles Un autre critère de légèreté est la densité d’articles. Nous avons donc calculé le nombre moyen d’articles du lundi au vendredi. L’article (articles, brèves, dépêches…) a été envisagé de manière formelle (un élément par article), sans tenir compte de la complexité ou de la longueur. Journal
Total
Le Devoir
62
Métro
66
La Presse
122
Le Journal de Montréal
136
Le Monde
159
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Encore une fois, cela ne marche pas. On peut toutefois apprécier la densité du Monde qui, avec 65 pages de moins que le Journal de Montréal, compte 23 articles de plus. Cependant, le voisinage de Métro avec Le Devoir laisse penser que le critère n’est pas des plus pertinents.
Le nombre d’articles par page Ce critère permet d’apprécier le statut de l’article, de voir s’il est surtout décoratif et accompagne les publicités ou si le journal a un réel souci d’information. On pourrait supposer qu’il ne sert que de prétexte dans un journal gratuit. Journal
Nombre d’articles par page
Le Journal de Montréal
1 (1,2)
La Presse
2 (1,9)
Métro
3 (3,1)
Le Devoir
4 (3,6)
Le Monde
4 (3,8)
Encore un critère qui ne fonctionne pas: Métro se retrouve juste au milieu du groupe – plutôt plus près du Monde que du Journal de Montréal!
La surface moyenne d’une information Journal
Surface moyenne d’une information (en cm2)
Format
61
Tabloïd
Le Journal de Montréal
166
Tabloïd
Le Monde
197
Berlinois
Le Devoir
249
Grand format
La Presse
380
Grand format
Métro
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Ce critère de la surface de chaque information permet enfin de faire apparaître une différence entre Métro et les journaux classiques. Les informations de Métro occupent une surface deux fois et demie à six fois moins importante que celle des journaux classiques153. Il est discutable car cet ordre correspond à celui de la taille (physique) des journaux. La surface de La Presse est presque deux fois et demie celle de Métro. Il fait la part belle aux grands formats et, selon cette logique, on serait presque deux fois mieux informé par La Presse que par Le Monde.
La nature des informations Journal
Nombre Nombre de Nombre Total d’articles dépêches de brèves
Le Devoir
Nombre de photos
24
21
17
62
1154
65
66
17
La Presse
51
33
38
122
57
Le Journal de Montréal
62
33
38
136
98
77
82155
159
31
Métro
Le Monde
17
Ce critère serait pratique car, comme Métro ne compte quasiment aucun article signé par son rédacteur, il donne des résultats bien ordonnés. Là encore, l’argument a ses faiblesses: la comparaison du nombre d’articles et de photos place Métro au même niveau que Le Devoir. Il fait aussi apparaître que la presse quotidienne payante fait fortement appel aux agences et aux échanges d’articles permis par des accords de partenariat avec d’autres 153. Ceci serait moins vrai pour 20 Minutes, qui est composé d’articles relativement longs. 154. C’est le fameux dossier, qui occupait la double centrale, la première année (et justifiait l’emploi de reporters et de collaborateurs), mais qui est maintenant réduit à une seule page (et un seul article), émanant souvent de Metro World News. 155. Le Monde a tendance, comme de nombreux journaux français, à considérer les dépêches d’agences comme des produits prépresse dont ils ont acheté les droits. Les dépêches ou les articles tirés de dépêches sont fréquemment non sourcés, voire signés par le journaliste, qui les retouche ou les compile. À cette époque, quasiment aucune dépêche n’était signalée dans le journal.
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journaux (Le Devoir a des accords avec Le Monde et Libération; La Presse, qui a longtemps joui d’un accord avec Le Figaro et USA Today, en a négocié un autre en 2002 avec le New York Times qu’elle utilise abondamment ; Le Journal de Montréal a bâti son supplément «Affaires» grâce à un accord avec le Wall Street Journal qu’il utilise chaque jour pour une page de la section «Économie»). Si la tentation est forte de céder aux sirènes de journaux prestigieux, le quotidien local, lui, y perd un peu de son identité. On peut cependant distinguer Métro par une utilisation quasi exclusive des brèves et des dépêches d’agences156.
Le ratio brèves/articles Journal
Ratio de brèves et dépêches
Métro
98 %
Le Devoir
61 %
La Presse
58 %
Le Journal de Montréal
54 %
Le Monde
52 %
Cela confirme l’observation précédente… mais cela montre aussi que les journaux classiques utilisent les brèves et les dépêches d’agence de manière importante : tous ces journaux – même Le Monde – sont des demi-Métro !
La part de la publicité Un journal exclusivement financé par la publicité se devrait d’avoir un fort pourcentage de sa surface occupée par la publicité.
156. Ce qui n’est pas le cas pour 20 Minutes.
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Journal
Part de publicité
Métro
53 %
Le Journal de Montréal
45 %
La Presse
36 %
Le Monde
21 %
Le Devoir
17 %
Bien naturellement, à Montréal, Métro se retrouve en tête157 – ce qui est heureux mais lui vaudrait en France de ne pas être admis à la Commission des publications. Il faut tout de même remarquer que la différence avec des journaux comme Le Journal de Montréal et, dans une moindre mesure, La Presse n’est pas énorme. Il est donc difficile de trouver des différences structurales entre un journal gratuit et les journaux classiques. La plus pertinente – mais c’est une tautologie – est que les journaux gratuits se caractérisent par l’utilisation d’articles courts, donc en moyenne nombreux sur une même page, et par l’insertion de nombreuses publicités.
157. Ce qui n’est pas le cas pour Métro Paris : dans les quelques numéros que nous avons étudiés, la part de la publicité n’excède pas 30 % de la surface totale du journal. Il est vrai que celui-ci en est à sa phase de lancement et que la concurrence est rude.
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e qui surprend, dans la critique des journaux gratuits, est la fréquence d’utilisation des mêmes arguments. Une pensée si unique interroge. Il n’est peut-être pas inutile d’aller voir de plus près ces arguments si facilement acceptés par tout le monde.
Des journaux pour non-lecteurs L’argument de la création d’un nouveau lectorat Les quotidiens gratuits usent et abusent de l’argument fondateur d’InfoMatin, selon lequel, journaux de type nouveau, ils visent – cible centrale et paradoxale – le lectorat des non-lecteurs et, de ce fait, « loin d’affaiblir la presse traditionnelle, en visant les jeunes lecteurs, elle crée l’audience de demain158 ». Cet argument revient dans un article (mal traduit) de Metro World News, « Un journal en ascension et pour le monde159 », où la rédactrice verse dans un lyrisme époustouflant : « Plusieurs études effectuées par des spécialistes des médias suggèrent que les jeunes lecteurs qui ne touchaient auparavant jamais à un journal se sont soudainement mis à lire et qu’ils semblent aimer ça… J’ai consacré toute ma vie à la promotion de la lecture et, le jour où j’ai découvert Métro et que j’ai vu tous ces gens le lire dans le métro, je n’ai pas réussi à me contenir. J’ai pleuré, pleuré et pleuré tout au long du trajet… J’étais très heureuse. » Bref, plus qu’un argument magique, une révélation ! Pour un peu, il faudrait attribuer à ces journaux le grand prix de la lutte contre l’illettrisme. Alors, qu’en est-il ? Vérité ? Semi-vérité ? Propagande ? 158. 20 Minutes, un nouveau concept, sur www.20min.fr 159. Paru en double centrale dans le Métro du 28 avril 2003.
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Il est bien évident – nous l’avons vu plus haut – que les quotidiens gratuits touchent des personnes qui ne lisent habituellement pas la presse quotidienne (c’est ce que signifie le terme «non-lecteurs»). Dans quelle proportion? Les journaux reprennent cet argument sans vérifier les données : « C’est un très grand succès, s’enthousiasme Luciano Bosio160, de Carat. En Île-deFrance, il y a un an, à peine 40 % des plus de 15 ans lisaient un quotidien, le taux le plus bas des grandes villes d’Europe. Grâce aux gratuits, on est repassé au-dessus de 50 % pour la première fois depuis 1982161.» À Montréal, le même flou est de rigueur. Le groupe Transcontinental annonce sur son site Internet que «51% des lecteurs de Métro ne lisent aucun autre quotidien162 », tout en affirmant entre-temps, dans un communiqué163, que «Métro a 105000 exemplaires distribués chaque jour sur l’île de Montréal (source: CCAB 2001) et 319000 lecteurs dont 100000 exclusifs à Métro (source: sondage Gallup 2001)». Ainsi, de l’aveu même de son principal actionnaire, le «lectorat de non-lecteurs» (soit les lecteurs exclusifs) fluctue entre moins du tiers (31 % pour être plus précis) et un peu plus de la moitié du lectorat total. L’argument du journal pour non-lecteurs, s’il n’est pas faux, est quand même assez éloigné de la réalité. Un autre fait troublant est le choix des lieux d’implantation des journaux gratuits. Le graphique164 qui suit indique le nombre de lecteurs pour 1 000 habitants dans divers pays du monde. Il est incomplet, un peu grossier car il rend compte de la situation globale de ces pays et ignore la réalité de certains bassins (les attitudes de lecture diffèrent aussi sûrement entre Paris et le Berry qu’entre Montréal et l’Abitibi). On peut tout de même estimer que ces chiffres sont justes dans les grandes lignes et que les Norvégiens sont de bien plus grands lecteurs que les Espagnols. 160. Sur M. Bosio, voir note 255. 161. Les Échos du 14 février 2003. 162. « Les Montréalais ont vite adopté Métro », dans Métro du 28 avril 2003. 163. «Métro fête son premier anniversaire : 1 an et déjà 319 000 lecteurs ! », Métro du 1er mars 2002. 164. Source : World Association of Newspapers (WAN), 2000.
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Norvège Japon Finlande Suède Suisse Grande-Bretagne Allemagne Autriche Singapour Luxembourg Danemark Pays-Bas Pérou États-Unis Hong Kong Thaïlande Islande Estonie Nouvelle-Zélande Slovénie Canada Bulgarie Russie République tchèque Australie Hongrie Irlande France Espagne 0
100
200
300
400
500
600
700
800
Ni Métro, ni 20 Minutes ne sont des amateurs. Du fait de l’importance de l’enjeu et des sommes engagées, il est impensable qu’ils n’aient pas de stratégie d’implantation165. Dans la logique du journal pour non-lecteurs, la plus évidente serait de choisir les pays à plus grands «viviers» de non-lecteurs, comme l’Espagne, la France166 et la Hongrie. Ce n’est pourtant pas ce qui se passe. Les implantations des journaux gratuits se dispersent entre des pays à fort taux (Suisse), à taux médians (Pays-Bas, Danemark, États-Unis et Hong Kong) et à taux bas (France, Espagne, Hongrie). Ce n’est donc pas le taux de non-lecteurs qui explique le choix par Métro et 20 Minutes de la Suisse, marché hyperconcurrentiel! 165. L’histoire de la décision d’implantation en neuf jours de Métro à Toronto est une vaste plaisanterie à mettre au crédit de la légende de l’entreprise. La décision a dû être longuement mûrie et longuement étudiée. 166. 20 Minutes révèle sur son site Internet (www.20min.fr) les grandes lignes de l’étude que le journal a menée: «L’audience des médias en France montre que la radio, la télévision et la presse magazine sont consultées de façon régulière par plus de 8 Français sur 10. Ils ne sont que 47% à lire régulièrement un quotidien. Cette pénétration chute à 36% sur les moins de 35 ans en Région parisienne.»
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Les indices de rentabilité (les premiers Métro rentables ont été ceux de Suède, de la République tchèque et de Hongrie) n’apportent pas non plus de réponses satisfaisantes car ils n’établissent pas de corrélation entre profitabilité et importance du taux de non-lecteurs. Il serait stupide de croire que les lancements se font sans études préalables, au petit bonheur la chance, ou que ces entreprises sont expérimentales. La raison en est assez simple : le taux de non-lecteurs est un élément très accessoire de la prise de décision. Ce qui prévaut est l’importance et les potentialités du marché publicitaire. L’argument du gisement de non-lecteurs sert à donner bonne conscience ; l’important est d’attirer les publicitaires vers ce média « puissant, compétitif, efficace, ciblé, crédible et valorisant167 ». Pour s’en convaincre, il est bien plus intéressant d’examiner la richesse de ces pays. Les chiffres de la Banque mondiale (chiffres de 2000) donnent une bonne idée de la hiérarchie et jettent un nouvel éclairage. Les pays constituant le corpus précédent se répartissent dans l’ordre suivant en termes de PNB par habitant : Suisse, Japon, Norvège, Danemark, Allemagne168, États-Unis, Autriche, Singapour, France, Pays-Bas, Suède, Hong Kong, Finlande, Canada, Italie, Australie, Grande-Bretagne169, Irlande, Nouvelle-Zélande, Espagne, Grèce, Slovénie, Argentine, Chili, Hongrie, République tchèque, Estonie, Pologne, Thaïlande, Russie, Pérou, Bulgarie.
167. Comme le dit 20 Minutes sur son site Internet. 168. 20 Minutes s’est aventuré sur le marché de Cologne, où les groupes de presse Springer (qui édite Bild) et DuMont Schauberg ont opposé une résistance acharnée. Ils ont non seulement lancé leurs propres gratuits pour couper l’herbe sous le pied du nouveau venu, mais l’ont poursuivi en justice pour l’empêcher de sortir. À l’été 2001, 20 Minutes a dû mettre la clé sous la porte. La mauvaise conjoncture économique a également contraint le groupe norvégien à reporter sine die ses implantations dans le reste de l’Allemagne, ainsi qu’en Italie et en Autriche. 169. Londres compte un journal gratuit, indépendant de Métro International comme de 20 Minutes, et Métro a mené une tentative infructueuse à Newcastle.
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Pays
PNB par habitant (2000)
Lectorat (rang)
Suisse
40 630
5
Japon
39 604
2
Norvège
31 250
1
Danemark
29 890
11
Allemagne
27 510
7
États-Unis
26 980
14
Autriche
26 890
8
Singapour
26 730
9
France
24 990
28
Pays-Bas
24 000
12
Suède
23 750
4
Hong Kong
22 990
15
Finlande
20 580
3
Canada
19 380
21
Italie
19 020
ND
Australie
18 720
25
Grande-Bretagne
18 700
6
Irlande
14 710
27
Nouvelle-Zélande
14 340
19
Espagne
13 580
29
Grèce
8 210
ND
Slovénie
8 200
20
Argentine
8 030
ND
Chili
4 160
ND
Hongrie
4 120
26
République tchèque
3 870
24
Estonie
2 860
18
Pologne
2 790
ND
Thaïlande
2 740
16
Russie
2 440
23
Pérou
2 310
13
Bulgarie
1 330
22
Source : Banque mondiale
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Cet ordre colle presque exactement à la carte des implantations (seuls les marchés trop exigus, trop concurrentiels ou protégés – pensons au Japon, à l’Allemagne du puissant Bild Zeitung ou à l’Australie dominée par M. Murdoch – ne sont pas, pour l’instant, investis par les gratuits). Les pays de l’Est, pourtant en queue de peloton, ont dû être ciblés en fonction des perspectives de développement de ces pays après leur admission dans l’Union européenne, ainsi que des possibilités offertes par une presse nationale complètement bouleversée depuis une vingtaine d’années. Ainsi les choses sont plus claires : les journaux gratuits n’accordent qu’un intérêt limité au lectorat potentiel des nonlecteurs. Leur stratégie d’implantation tient surtout compte de la richesse et du potentiel économique des pays. Ils n’ont qu’une cible : le marché publicitaire170, le reste étant littérature et arguments à bon marché.
L’augmentation du nombre de lecteurs par la conversion de non-lecteurs La presse gratuite avance un autre argument altruiste : elle rendrait service à la presse en général en convertissant de gros bataillons de non-lecteurs à la lecture des journaux, quotidiens. Ces non-lecteurs rendus lecteurs ne manqueraient pas, devenus avides de lecture, de se tourner à terme (ou en vieillissant, ce qui est pareil) vers la lecture des journaux payants. Il faut être bien naïf pour accepter un pareil argument et croire à un discours si dévalorisant de la part des journaux gratuits. Cela suppose l’acceptation du schéma de hiérarchisation des journaux et l’adoption d’un schéma encore plus sophistiqué, substituant au couple populaire–analyse, le « combo » gratuit– populaire–analyse. On intériorise un cheminement, une graduation, un tirage vers le haut qui amènerait tout le lectorat (mais 170. Ce que reconnaît bien volontiers Métro International dans son rapport 2002: « Metro’s three editions in France provide access to the 4th largest newspaper market in Europe, which attracts US $ 1.4 billion of annual newspaper advertising spend » (source : Zenith Optimedia, 2002).
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une partie en particulier) vers le nirvana du lecteur du journal d’analyse. Cette vision est, bien entendu, très forte en France, pays à stratification sociale dure. Il faudrait aussi s’interroger plus avant sur les motivations des lecteurs de journaux. Il y a bien sûr la recherche d’information, la volonté de se mettre au courant de la vie de la cité, du quartier, du monde ou d’un domaine pour lequel on manifeste un intérêt particulier. Il en existe d’autres, comme la lutte contre l’ennui (quand on feuillette quelque chose dans un lieu public) et l’image que l’on veut donner de soi: un universitaire s’affichera plus volontiers avec Le Devoir ou Le Monde qu’avec Le Journal de Montréal, qui est plutôt l’apanage des gens « épais ». Il existe surtout un facteur que tous les publicitaires et tous les communicants du monde ont le plus grand mal à combattre : l’habitude. Il y a des exemples de fidélité surprenants. LyonMatin, clone du Progrès, continue pourtant d’attirer 10 000 lecteurs chaque jour. À Marseille, La Provence, fusion du Provençal et du Méridional, quotidiens aux trois quarts identiques, est incapable, depuis son lancement, de récupérer le lectorat des deux journaux précédents171. Gageons qu’à Montréal, si La Presse et Le Journal de Montréal présentaient le même contenu, le Journal continuerait à avoir plus de lecteurs. Regardons aussi le luxe de précautions dont s’entourent les journaux lors d’un changement de maquette : il y a certes des réussites, mais combien d’échecs ! Une des clés d’une transition réussie est très souvent un changement progressif qui peut parfois s’étaler sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Le choix d’un journal est très personnel ; il est lié à un faisceau de raisons rationnelles ou impulsives. Cristallisé dans une habitude, ce choix fait partie de l’identité.
171. C’est l’illustration des natures totalement opposées des gratuits et des payants : les payants ont besoin d’une identité, d’une adhésion pour déclencher le geste ou l’habitude de l’achat.
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Dans une étude sur le lectorat de la presse d’informations générales en France172, Sylvie Dumartin et Céline Maillard font apparaître une réalité beaucoup plus complexe. Elles distinguent cinq catégories de lecteurs : 1. Les personnes qui ne lisent jamais la presse d’informations générales (8 millions de personnes de plus de 15 ans, soit 16,8 % de l’échantillon). Ce groupe est composé en majorité de personnes peu diplômées, de femmes (59 %) ; il est relativement nombreux en région parisienne (26 %) ; 2. Les lecteurs occasionnels de la presse régionale mais aussi de magazines (7,8 millions de personnes de plus de 15 ans, soit 16,5 % de l’échantillon). Ce groupe est jeune (53 %), féminin (55 %), ouvrier (30 %) et provincial ; 3. Les lecteurs exclusifs de magazines d’informations générales (4,8 millions de personnes de plus de 15 ans, soit 10,1 % de l’échantillon), majoritairement des femmes (61 %), jeunes (31 %), de catégories favorisées (35 %) ; 4. Les lecteurs de la presse quotidienne régionale (13,6 millions de personnes de plus de 15 ans, soit 28,7 % de l’échantillon) qui vivent à 98 % en province. Un peu moins de la moitié de cette population lit aussi des magazines ; 5. Les lecteurs, réguliers ou pas, de la presse quotidienne nationale (13 millions de personnes de plus de 15 ans, soit 27,5% de l’échantillon), majoritairement des hommes (55 %), diplômés (36 %), vivant en région parisienne (34 %) – c’est-à-dire quasiment l’inverse de la première catégorie. Mis à part ce déterminisme géographique qui fait lire à un Francilien les journaux de Paris173, la lecture des quotidiens nationaux est fortement liée au diplôme. Sylvie Dumartin et Céline Maillard relèvent que « le niveau d’étude est le facteur le plus lié à la lecture de la presse nationale, qu’elle soit quotidienne 172. Sylvie Dumartin, Céline Maillard, « Le lectorat de la presse d’information générale », INSEE Première, no 753, décembre 2000. 173. On peut remarquer, au passage, que les Parisiens confondent toujours aussi allègrement Paris et la nation.
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ou hebdomadaire. Près d’un tiers des diplômés du supérieur (diplôme supérieur à bac + 2) lisent au moins deux fois par semaine des quotidiens nationaux, alors qu’ils ne sont que 5 % parmi les sans-diplôme. » L’habitude de lire des quotidiens nationaux serait donc liée au niveau d’éducation. Les journaux gratuits et les journaux payants s’adressent bien à des publics différents: les publics 1. et 2. pour les gratuits, le public 5. pour les journaux payants. Métro affirme cependant (mais ce message est sans nul doute à destination des annonceurs) que «74% de son lectorat a entre 18 et 49 ans (âge moyen 39 ans) et que 71% de son lectorat possède le niveau secondaire ou supérieur174 ». On peut s’interroger sur les capacités d’évolution de ces publics, croire que l’offre de lecture n’est pas déterminante et penser que l’augmentation du lectorat est tributaire d’une hausse du taux moyen du niveau d’éducation.
Lire en 20 minutes ? Le temps uniformisé Le concept de Métro veut que «toutes les éditions comportent des nouvelles locales, nationales et internationales dans un format standardisé et accessible. Tout cela pour qu’un lecteur puisse lire le journal durant un trajet type d’une durée approximative de 16,7 minutes.» L’approximation au dixième de minute près est admirable, à croire que la taille des villes et les durées de transport sont normalisées de Paris à Stockholm, de Buenos Aires à Newcastle. Pour commencer, il est bien évident qu’il ne s’agit pas, comme le croit tout un chacun, d’un journal qui se lit en 20 minutes. Il serait en effet stupide de définir un lecteur unique; les habitudes culturelles, les compétences, les intérêts et les vitesses de lecture varient d’une personne à l’autre. Chacun lit différemment et cherche différents types d’informations : on peut lire Métro ou 20 Minutes en un clin d’œil comme en plusieurs heures, selon qu’on lit lentement, qu’on épluche les petites annonces, qu’on étudie le programme télé ou qu’on est cruciverbiste. 174. Métro du 28 avril 2003.
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Les concepteurs de quotidiens gratuits se basent sur un temps de transport moyen estimé à une vingtaine de minutes dans toutes les grandes villes du monde. Ce qui est d’autant plus stupide que Métro semble vouloir, dans certains pays, se présenter comme un journal national: les temps de transports seraient-ils équivalents dans une ville moyenne et dans une métropole? Il ne s’agit encore que d’un coup de génie de marketing, accepté sans ciller par les «observateurs».
Lire un accordéon Il serait d’ailleurs bien difficile à un lecteur régulier de lire chaque jour de la même manière car le journal lui-même n’a pas un format régulier : le nombre de pages et la quantité d’informations sont très variables175. Sur la période étudiée, le nombre d’informations contenues dans Métro Montréal a énormément fluctué. Le tableau suivant montre le nombre d’articles et de photos servant à illustrer un article ou qui, avec leur légende, constituent une information176. Nombre d’articles
Nombre de pages
Nombre d’articles par page
Mars 2001
180
23
7,8
Mai 2001
155
21
7,5
Septembre 2001
83
19
4,3
Septembre 2001
124
20
6,2
Décembre 2001
100
19
5,2
Mars 2002
100
21
4,2
Mai 2002
91
18
5
Septembre 2002
82
22
3,7
Décembre 2002
98
24
4,1
Mars 2003
77
18
4,2
175. Selon les jours, 20 Minutes compte 16, 24, voire 32 pages. À Montréal, Métro oscille entre 16 et 40 pages. 176. Nous avons exclu du décompte les photos illustrant une publicité, comportant le portrait du chroniqueur ou servant à annoncer en «une» un article situé dans les pages intérieures.
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Les résultats sont surprenants: le nombre de pages comme le nombre d’informations contenues dans le journal varient énormément, non seulement d’un jour à l’autre, mais aussi selon les périodes étudiées. Le nombre d’informations a même baissé de plus de 50 % entre mars et septembre 2001 ! Le concept semble opportuniste. Métro a procédé à de nombreux ajustements depuis sa création. Le nombre d’articles semble, après la première année, s’être stabilisé un peu au-dessous d’une centaine par jour. Pourcentage de texte
Surface de texte (cm2)
Surface moyenne (cm2)
Mars 2001
50
9 970
55
Mai 2001
50
8 930
57
Septembre 2001
31
5 106
61
Septembre 2001
46
7 976
64
Décembre 2001
22
3 624
36
Mars 2002
41
7 322
73
Mai 2002
39
6 086
67
Septembre 2002
31
5 912
72
Décembre 2002
31
6 396
65
Mars 2003
33
5 207
67
Le produit a énormément varié. La maquette de Métro a été légèrement modifiée après la première année afin d’éviter la réduction de la taille des articles. Selon le rédacteur en chef de Métro, « depuis mars 2002, les articles sont plus courts et les photos plus nombreuses afin de garantir un certain contenu informatif au journal ». Pourtant, nos observations indiquent juste le contraire: si la densité d’articles (le nombre d’articles par page) décroît, la surface moyenne des textes semble augmenter.
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Nbre d’articles par page
Surface moyenne (cm2)
Mars 2001
7,8
55
Mai 2001
7,5
57
Septembre 2001
4,3
61
Septembre 2001
6,2
64
Décembre 2001
5,2
36
Mars 2002
4,2
73
Mai 2002
5
67
Septembre 2002
3,7
72
Décembre 2002
4,1
65
Mars 2003
4,2
67
Comme d’habitude, les modifications ont été cosmétiques: la fonte utilisée est devenue plus large et les interlignes ont été réduits, ce qui donne l’impression d’une maquette plus serrée. Il est indéniable, cependant, que la taille moyenne des articles est faible. En comparaison, les autres journaux proposent des articles 3 à 6 fois plus grands.
Pas de danger pour les journaux payants Dans Communication CB News177, la société d’étude des médias Carat-Expert expliquait «qu’à Zurich, la presse quotidienne payante a perdu 3,6% d’exemplaires entre 1999 et 2001, alors qu’elle n’avait enregistré aucune perte en 2000. À Londres, elle a perdu 3,4 % d’exemplaires de 1998 à 2000. L’année 1998 correspond à l’arrivée de Métro sur le marché anglais. Au cours des deux années précédentes, le taux de perte était de 3,2%. Enfin, à Stockholm, la presse quotidienne payante a perdu 10,1% d’exemplaires de 1994 à 2000. Elle en avait perdu 5,8 % de 1992 à 1994. Au vu de ces chiffres, il apparaît que la presse gratuite s’inscrit dans une tendance naturelle, qu’elle peut éventuellement accentuer. » La démonstration est loin d’être claire.
177. Communication CB News du 14 octobre 2002.
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Entretien avec Fabien Deglise, directeur du 30, le magazine du journalisme et des médias au Québec Pensez-vous qu’il y a un concept Métro ? Concept il y a et il se résume facilement selon moi: C’est un journal qui fait dans la brève. Sans plus. Une accumulation d’extraits de dépêches d’agences ou de résumés d’articles de journaux. L’information y est simple, factuelle, sans effet de style ni grande profondeur. La formule est efficace puisqu’elle permet d’informer sur les nouvelles du jour, le tout entre trois ou quatre stations de métro. Un tour du monde en six minutes, en somme. Selon vous, peut-on parler d’une concurrence presse gratuite/ presse payante ? Je ne crois pas que Métro entre en concurrence avec les médias payants. Pour les raisons mentionnées plus haut. Parce que ce type de médias n’arrivera jamais à atteindre la profondeur et la diversité des quotidiens payants. Mieux, je crois que c’est un outil complémentaire dans la mesure où il peut être vu comme une porte d’entrée pour les gens qui ne sont pas habitués à consommer des journaux payants. Métro serait donc une façon de former les lecteurs. Avec des choses simples et faciles à digérer pour commencer. Après quoi, j’imagine qu’on a envie d’aller plus loin. Et ce plus loin s’achète dans les dépanneurs. Quels seraient à terme les quotidiens montréalais susceptibles de pâtir le plus de la présence de Métro et de Montréal Métropolitain ? Aucun, selon moi, et pas même Le Journal de Montréal. Le Journal a un style proche, mais en beaucoup plus complet, puisqu’il a l’avantage d’offrir de grosses photos, parfois des enquêtes, des sections économiques ou artistiques touffues, des petites annonces… Les hebdos gratuits ne seront pas touchés, eux non plus, car ils ont une identité qui les distingue. En fait, Métro et Montréal Métropolitain se concurrencent entre eux. C’est de ce côté-là et uniquement là qu’il faut regarder pour voir lequel va tomber le premier.
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Quels sont, selon vous, les atouts et les limites de la presse gratuite? Quels sont les atouts de la presse gratuite ? La diffusion, bien sûr. Ces journaux permettent de rejoindre des gens qui, d’ordinaire, n’osent pas payer pour s’informer ou le font seulement avec la télévision. Ce n’est déjà pas mal et puis ça occupe dans l’autobus. Même si une personne déjà bien informée n’apprend rien de nouveau dans ces canards-là. Les limites ? Le manque de moyens des équipes de rédaction, qui parfois pourraient être tentées de tourner les coins un peu rond. À propos de Métro, un journaliste du Monde a parlé de McDonald’s de l’information. Qu’en pensez-vous ? McDonald’s de l’information? Il y a un petit parfum d’élitisme dans la question. L’information ne doit pas, dans nos sociétés, se résumer aux pavés du Monde ou aux éditoriaux du Devoir. Il faut de tout. De la chronique, de la manchette, des enquêtes et puis des brèves simples et factuelles. On ne peut pas demander aux gens d’aimer tous la même chose. En information, il faut prendre les gens où ils sont. Là où ça devient plutôt gênant, c’est quand ces journaux manquent de rigueur – ce qui arrive parfois, même sur 1 ⁄ 3 de feuillet –, parce que ça pourrait porter préjudice à l’ensemble de la profession de journaliste. Mais ça, c’est une autre histoire.
Le contexte : la baisse de lectorat Au Québec et partout dans le monde, la situation des journaux s’est bien dégradée depuis les années soixante. Comme la majorité des quotidiens, les journaux québécois connaissent une érosion de leurs ventes et de leurs lectorats. La situation est encore plus aiguë en France où, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), si en 1967 59,7 % des Français de plus de 14 ans lisaient un quotidien, ils n’étaient plus que 41,2 % en 1988 et 36,5 % en 2000 : trois Français sur quatre ne lisent jamais la presse nationale178. D’après Diffusion contrôle, les résultats des dernières années varient considérablement selon les journaux : Le Monde ou Le Parisien peuvent se 178. Sylvie Dumartin, Céline Maillard, « Le lectorat de la presse d’information générale », INSEE, décembre 2000.
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prévaloir d’une insolente bonne santé (augmentation respective de 8,5% et 9,4%), mais il n’en va pas de même pour France Soir et L’Humanité, qui sont en crise depuis quelques années, les ventes de France Soir diminuant de 43 % et celles de L’Humanité, de 17 % au cours de la même période.
Publicité : une conjoncture défavorable En 2001, la publicité, première source de financement des quotidiens français, a connu une baisse de 4,5 % par rapport à l’année précédente. Un rapport parlementaire179 attribue trois causes principales à cette baisse : –
Les déconvenues boursières des entreprises de la nouvelle économie, qui avaient beaucoup investi dans la communication en 1999 et 2000 ;
–
Les incertitudes consécutives aux événements du 11 septembre 2001, qui ont amené certains secteurs (tourisme, transports…) à revoir de façon draconienne à la baisse leurs dépenses publicitaires ;
–
La baisse des recettes d’annonces d’offres d’emplois, consécutive au ralentissement conjoncturel.
Ce fort recul a affecté la presse nationale quotidienne, dont le chiffre d’affaires a baissé de 8,9%. La hausse des ventes, pourtant significative (+ 2,1 %), n’a pas suffi à compenser l’effondrement de la publicité commerciale (– 16 %) et surtout des petites annonces (– 21 %), alors que dans le même temps la presse gratuite d’annonces progressait de 3,9 %. La situation a continué à se détériorer en 2002 : la presse quotidienne a dû subir à la fois la poursuite de la baisse tendancielle de ses ventes (– 2,5 % depuis le début de l’année 2002) et la diminution de ses recettes commerciales (– 2,3 % de chiffre d’affaires pour le premier semestre 2002, en raison de la 179. M. Patrice Martin-Lalande, Communication : Annexe au rapport fait au nom de la Commission des Finances, de l’Économie générale et du Plan sur le projet de loi de finances pour 2003 (no 230), Paris, Assemblée nationale, 7 novembre 2002.
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forte baisse des petites annonces). Les chiffres étaient franchement médiocres en fin d’année : la presse quotidienne nationale avait enregistré, fin 2002, une baisse de 6 % de publicité commerciale et de 37 % sur les petites annonces.
Une nouvelle donne Dans ce contexte, il paraît évident que la venue de nouveaux journaux ne va pas améliorer la situation. L’expérience montréalaise montre qu’il ne faut rien attendre de spectaculaire durant les premières années d’existence des gratuits. Les raisons sont multiples : fragilité des gratuits, pénétration marginale puis relativement médiocre dans le marché publicitaire, résistance et souvent regain d’énergie des journaux en place. Métro revendique le plus gros tirage sur Montréal180. À Paris, avec respectivement 1,2 et 1 million de lecteurs, 20 Minutes et Métro occupent les deuxième et troisième places en matière de lectorat. En 2002, ces deux journaux ont annoncé des recettes publicitaires en France de 7,8 millions d’euros (respectivement 3,8 et 4 millions d’euros)181. 20 Minutes table sur 15 millions de recettes en 2003. Ce qui laisse entrevoir des recettes d’environ 30 millions d’euros (près de 5 % du marché) pour les deux titres. La situation risque dès lors d’être beaucoup plus tendue. Elle le sera d’autant plus que ces supports semblent avoir un bon taux de réponse. Sur le plan mécanique, il apparaît qu’une publicité a bien plus de visibilité insérée dans un support de 20 pages qu’on lit en 20 minutes (1 minute par page) que dans un journal de 120 pages comme Le Journal de Montréal, sur lequel, selon les indications (invraisemblables) de NADbank, les lecteurs passeraient 46 minutes (soit en moyenne 23 secondes par page). En vérité, des études montrent que les lecteurs passent 180. D’après des enquêtes ABC et CCAB de mars 2003, Métro diffuse 92000 exemplaires dans la ville de Montréal, contre 82 000 pour Le Journal de Montréal (sur un tirage total de 263 000) et 74 000 pour La Presse (sur un total de 190 000). 181. Ceci est marginal, la publicité commerciale ayant rapporté 515 millions d’euros à la presse quotidienne nationale en 2000 (source : Tableaux statistiques de la presse, édition 2002). Les gratuits ont capté moins de 2 % du marché de la publicité commerciale.
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en moyenne 22 secondes sur une publicité de Métro et 4 sur une publicité du Journal de Montréal. La visibilité de l’annonce est très forte dans les gratuits et, comme le tirage – donc le lectorat – est important, le rendement de Métro est assez bon. Si le phénomène est difficile à mesurer pour les publicités de marque pour lesquelles le retour est assez long et difficilement quantifiable, il en va autrement pour la publicité locale (avec indication de l’adresse ou du numéro de téléphone): le retour est quasiment immédiat. Les annonceurs ne s’y trompent pas : ils reviennent souvent annoncer dans Métro. Des exemples comme les publicités de marabouts africains – dont Métro n’arrive pas à se défaire malgré tous ses efforts (hausse du tarif, placement dans les petites annonces…) – montrent l’intérêt du support. Il ne serait pas étonnant que la part des gratuits dans le marché de la publicité augmente et que quelques titres se trouvent en difficulté, voire en grande difficulté.
Une bataille de chiffres, le grand flou Qu’ils émanent d’un organisme indépendant ou d’une officine privée, les chiffres de diffusion des journaux laissent planer une grande suspicion. Ces chiffres sont très importants pour les journaux, car le volume du lectorat (la portée, la circulation – les termes varient énormément selon les études et les instituts) détermine les tarifs de publicité. Il est donc bien évident que l’intérêt des éditeurs va plutôt du côté de l’inflation que de la vérité. NADbank182 – que chacun présente comme la référence – donne des chiffres tout bonnement hallucinants. En ce qui 182. L’enquête 2002 de NADbank définissait la portée de chaque journal de l’étude. Ses différents critères étaient : – Lu hier (l-v) (portée moyenne en semaine) : la moyenne de lecteurs adultes chaque jour en semaine (du lundi au vendredi) ; – Cumul 5 jours (portée totale en semaine) : le nombre d’adultes ayant lu au moins un quotidien en semaine (du lundi au vendredi) ; – Lu samedi/dimanche : le nombre d’adultes ayant lu une édition d’un quotidien samedi/dimanche dernier ; – Cumul 6/7 jours (portée hebdomadaire) : le nombre d’adultes ayant lu au moins une édition d’un quotidien sur une période d’une semaine (du lundi au dimanche).
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concerne Métro Montréal, l’institut annonce 432400 lecteurs dans Montréal, dont 294 400 dans le Montréal francophone (ce qui signifierait que 138 000 lecteurs de Métro – soit le tiers de son lectorat – ne sont pas francophones !). En règle générale, cet institut mène ses travaux avec des lunettes roses: il annonce, par exemple, que « les lecteurs adultes recensés ont consacré en moyenne 46 minutes à lire les quotidiens chaque jour en semaine. Le temps consacré à la lecture des éditions de fin de semaine est de 87 minutes, et la portée moyenne des quotidiens auprès des adultes de Montréal est de 53 % chaque jour en semaine, de 72 % entre le lundi et le vendredi et de 80 % sur sept jours183. » Ainsi, La Presse aurait 873 000 lecteurs par semaine, Le Journal de Montréal, 1 231 600, Métro, 432 400, Montréal Métropolitain, 148 600, The Gazette, 632 000, The Globe & Mail, 145 700 et The National Post, 133 600 – ce qui représente un total de 3 596 900 lecteurs dans une ville de 1 812 723 habitants (et de 3 426 350 pour la région métropolitaine)184 ! Tout le monde lit au moins un quotidien dans la grande région de Montréal, du berceau à la maison de retraite ! Les chiffres français ne valent guère mieux. Pierre Péan et Philippe Cohen185 décrivent les artifices utilisés par Le Monde et les autres journaux français pour contourner les critères de l’OJD. Ils gonflent leurs chiffres de diffusion par le biais de l’augmentation des abonnements (très souvent à bas prix) et des ventes au numéro « payées par tiers en nombre », principalement les ventes aux compagnies aériennes. Air France achète ainsi chaque année, à très bas prix, 11 millions d’exemplaires du Monde et 7,5 millions du Figaro (soit en moyenne 35 000 et 24 000 exemplaires chaque jour). Comme l’OJD ne comptabilise dans les ventes effectives que les exemplaires vendus au moins la moitié du prix indiqué, les journaux émettent une facture, honorée par
183. Lancement de l’étude NADbank 2002, Communiqué de presse du 28 mars 2003 (page 3). 184. Recensement de 2001, Institut de la statistique du Québec. 185. La face cachée du Monde : du contre-pouvoir aux abus de pouvoir, op. cit., p. 594 et suivantes.
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la compagnie aérienne, à 50 % du prix public et, en parallèle, ces compagnies font parvenir aux journaux des contre-factures de «frais de mise à bord186 » réduisant les exemplaires à 20% ou 25% de leur valeur réelle. De tels artifices bonifient grandement les chiffres vitaux pour la profession : depuis 1998, les recettes publicitaires (publicité commerciale et petites annonces) des quotidiens nationaux français187 sont supérieures aux recettes des ventes188. Ces réserves faites, retournons dans le monde merveilleux des chiffres de la profession et regardons la difficulté de raisonner juste à partir de chiffres faux.
Une situation de concurrence À Montréal, l’hebdomadaire économique Les Affaires estimait que « les journaux gratuits distribués dans le métro commencent à effriter le lectorat des quotidiens vendus de la région de Montréal, selon l’étude de NADbank. La Presse affiche la plus forte baisse en semaine, avec 82 100 lecteurs de moins que l’an dernier (– 16,3 %). En 2000, La Presse comptait 500 800 lecteurs en semaine. The Gazette a perdu 26 400 lecteurs sur 364 600 l’an dernier (– 7,2 %) et Le Journal de Montréal a perdu 35 700 lecteurs (– 4,9 %)189. » D’un autre côté, une étude publiée par Le Monde190, sur la base des estimations fournies par les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) pour Paris et les villes voisines, montrait que les ventes journalières avaient peu évolué entre janvier et début avril 2002. D’autres échos montreraient
186. Ceci ressemble assez aux «remises arrière» pratiquées par certaines grandes surfaces. 187. Ce n’est pas le cas pour la presse quotidienne régionale, dont les ventes représentaient en 2000 plus de 56 % des recettes. 188. Selon les Tableaux statistiques de la presse (édition 2002), les recettes publicitaires étaient de 503 millions d’euros contre 471 pour les ventes en 1998, de 574 contre 477 en 1999 et de 664 contre 480 en 2000. 189. Les Affaires du 22 septembre 2001. 190. « L’arrivée des gratuits d’information n’a pas d’impact vraiment tangible sur les quotidiens payants », Le Monde du 25 avril 2002.
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une baisse des ventes de 5 % à 10 % selon les journaux. De telles indications contradictoires ne permettaient de tirer aucune conclusion, mais le bon sens laisse penser qu’il doit se passer quelque chose, qu’on ne lance pas des centaines de milliers d’exemplaires de journaux sur le marché sans que cela entraîne quelques problèmes. Les gratuits sont arrivés dans un marché fragile où tout nouveau venu ne peut être que malvenu. Depuis le lancement des gratuits, Libération ne cesse de s’inquiéter et de dénigrer ces derniers. Serge July, son directeur, a déclaré au Journal du dimanche191 que « Libération était laminé par les gratuits». Même si, pour mieux solliciter l’aide de l’État, il est parfois judicieux de se montrer alarmiste, la crainte des quotidiens déjà établis de voir une partie des annonceurs se déplacer vers les petits nouveaux est réelle. Selon François d’Orcival192, président du Syndicat de la presse professionnelle, les gratuits arrivent à un bien mauvais moment, alors que « les ventes au numéro ne cessent de régresser. Selon les chiffres de l’année 2001, la diffusion chez les marchands de journaux a baissé de 1,4 % pour les quotidiens nationaux… Arrivent les gratuits d’information. Ils s’affichent comme une nouvelle forme de presse, laquelle créerait donc un marché nouveau, différent de celui des autres journaux et magazines. On sait ce que valent ces affirmations. Dans un marché en régression, toutes les recettes diminuent et pour tout le monde. Chaque part de marché s’arrache avec plus de difficulté. Les gratuits s’avancent en proposant des contrats longs, de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, avec naturellement l’ambition de s’installer durablement sur le marché. Et sans cacher qu’ils ne cherchent pas à atteindre l’équilibre de leur gestion avant trois ans au mieux. Ce qui signifie qu’ils n’hésitent pas à casser les prix. » À Marseille, on affiche un optimisme de façade. Les dirigeants de La Provence – qui diffuse son propre gratuit – admettaient une perte de 1 % de leurs ventes totales, dont une perte de 3 % (soit 2 000 acheteurs) sur la ville de Marseille. Le correspondant de 191. Le Journal du dimanche du 12 janvier 2003. 192. Le Figaro du 29 avril 2002.
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L’Humanité193 parlait de baisse de diffusion oscillant entre 3 % et 5 % et de mécontentement de la part des détaillants et des kiosquiers. Les chiffres de La Marseillaise sont plus difficiles à connaître. Le journal indique cependant une diffusion de 78900 exemplaires en 2003, soit une perte d’un millier d’exemplaires par rapport à 2002. À Lyon, Le Progrès a déjà résisté aux nombreuses tentatives d’implantation d’une édition ou d’un supplément local de la part de quotidiens parisiens (Le Monde, Libération, Le Figaro, La Tribune). Fin 2002, les premières estimations indiquaient que le quotidien de la capitale des Gaules avait perdu environ 3 % de lecteurs depuis l’arrivée de Métro. Cette baisse s’inscrit dans une tendance de longue durée et les nombreuses restructurations que subit le journal n’arrangent pas les choses. Jean-Louis Prévost, P.D.G. de La Voix du Nord et président du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR), exprimait cette inquiétude dans une entrevue publiée par La Croix194 : « en Allemagne195, en Italie ou en Scandinavie, l’expérience laisse à penser que cette presse gratuite n’a pas empiété sur la presse payante… Le marché de la presse est beaucoup plus étroit dans notre pays. Trois Français sur dix lisent régulièrement un quotidien contre huit en Scandinavie. »
Concurrence déloyale ? Pour de nombreux observateurs, les quotidiens gratuits exercent une concurrence déloyale envers les payants. Un des points les plus importants de cette stratégie est le mode de distribution. Au Québec, le journal est diffusé, comme de nombreux autres titres, par une entreprise de messagerie privée, mais il évite tout le système de rémunération des détaillants. Le phénomène est encore plus criant en France, où les gratuits évitent les NMPP, entreprise de diffusion détenue par Hachette, qui fonctionne sur 193. « Marseille défend son pluralisme », L’Humanité du 12 décembre 2002. 194. La Croix du 19 février 2002. 195. Où Métro n’a pas essayé de s’implanter et où 20 Minutes a échoué.
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le mode coopératif et pratique une péréquation entre les divers titres distribués. François d’Orcival explique : « Ou bien ils bénéficient d’un réseau de distribution exclusif, mais au nom de quoi pourraient-ils profiter d’une mise à la disposition du public plus favorable que ceux qui vendent leurs journaux ? On comprend que le concessionnaire de la vente des journaux dans les kiosques de gares s’oppose à la distribution gratuite dans le réseau de la SNCF, service public, des titres en question. Ce conflit-là ne fait qu’en préfigurer d’autres. « Ou bien ils obtiennent de payer des rémunérations forfaitaires afin d’être distribués par les messageries et les diffuseurs de presse, mais il s’agit alors d’un bouleversement de la tarification des coopératives, et cela installerait au cœur du réseau la concurrence des gratuits à côté des payants196. » Face à toutes ces inquiétudes, Pelle Törnberg, président et chef de la direction de Métro International, se veut rassurant. Il déclarait lors du lancement de Métro Montréal : « Un nouveau journal est toujours une bonne nouvelle pour la communauté. Métro sera une source supplémentaire d’information de qualité pour les Montréalais adeptes du transport en commun et contribuera à la pluralité de l’information. Nos enquêtes démontrent que dans chaque marché où Métro est introduit, le lectorat des autres journaux augmente. Donc, toute l’industrie devrait en profiter!» Toujours est-il qu’en France ce débarquement n’est pas sans rappeler le fâcheux précédent du lancement, dans les années 1970, de journaux gratuits de petites annonces. À cette époque, la profession était divisée et certains avaient considéré, avec une certaine nonchalance, que cette presse était vouée à un sort précaire. Or, le marché des annonces des particuliers s’est enfui vers les gratuits, et les publicités commerciales ont suivi.
Imaginons un monde idéal Imaginons un monde idéal où le maintien (voire la croissance) du marché publicitaire permettrait la pérennisation des journaux 196. Le Figaro du 29 avril 2002.
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gratuits et le maintien de la presse payante. Le système serait-il stable ? Quelle pourrait être l’évolution du paysage médiatique ? Il ne faut pas oublier que la cible des journaux gratuits est le jeune urbain actif. 20 Minutes cherche son lectorat dans « les nouvelles générations qui attendent un journal qui correspond enfin à leurs besoins : l’essentiel de l’information dans un format synthétique, un contenu utile-pratique, une dimension loisir et ludique en phase avec leurs centres d’intérêts197 ». Métro, de son côté, prétend atteindre une clientèle que la presse quotidienne habituelle n’atteint pas ou peu : les femmes (50 % du lectorat en moyenne, 57 % à Toronto) et les jeunes (41 % des lecteurs sont âgés de 13 à 29 ans). Que se passera-t-il lorsqu’ils vieilliront ? Les optimistes pensent qu’ils n’iront plus au bureau en métro mais en auto et qu’en conséquence… C’est un point de vue discutable, car tout le monde ne deviendra pas directeur. Une autre inconnue est l’évolution du lectorat féminin : le comportement des lectrices de presse quotidienne est tout à fait nouveau. L’évolution de ce lectorat particulier est sans doute une des clés du futur que nul, pour l’instant, ne peut prédire. Enfin, il serait dangereux de croire que les gratuits se cantonneront dans leur niche actuelle, de croire qu’ils ne sont pas dotés de capacités d’évolution. Tout indique au contraire qu’une fois bien installés dans les transports en commun ils essaieront, ne serait-ce que sous la pression des annonceurs, d’élargir leur champ de diffusion. Ils possèdent deux outils : l’expansion et la multiplication.
L’expansion La recherche d’annonceurs – les constructeurs d’automobiles de luxe par exemple – va les inciter à aller au-devant des consommateurs cibles, ce qui signifie sortir du métro et des réseaux de transports en commun pour ouvrir de nouveaux champs d’expansion. Le processus a déjà commencé à Montréal, avec l’extension
197. Sur le site www.20min.fr
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de la diffusion aux restaurants McDonald’s et dans certains hôpitaux. Il s’est produit en Suisse, il a commencé au Danemark et en Hongrie (et en France) où Métro étend sa distribution nationale.
La multiplication L’autre possibilité est la multiplication. Pourquoi ne pas utiliser le savoir-faire et le réseau de distribution des gratuits pour d’autres produits ? Les quotidiens gratuits vont les utiliser pour diffuser, dans un premier temps, des dossiers spéciaux ou des éditions thématiques (mais rien n’interdit d’autres éléments, par exemple des échantillons gratuits). Le processus a déjà commencé : 20 Minutes a diffusé un numéro « Spécial emploi » cet automne à Paris; Métro vient de mettre sur le marché un hebdomadaire d’annonces immobilières à Stockholm. Et alors, l’éditeur ne fait pas dans la dentelle: Metro Hus & Hem, avec 875000 exemplaires, s’est imposé d’emblée comme le plus important magazine suédois dans ce créneau198.
Les premiers éléments Les chiffres sont têtus. Les études de Diffusion contrôle pour 2002 sont venues apporter les réponses à ces questions : la diffusion payée de la presse grand public a reculé de 1,4 % en France et la facture est encore plus salée pour les quotidiens nationaux, qui accusent une baisse globale de 4,6%. La situation déjà très précaire de France Soir s’aggrave puisque le journal affiche une baisse de diffusion de 22,9%199. Les chiffres pour la presse quotidienne régionale sont un peu moins inquiétants, la baisse n’est que de 2,7 %, mais les journaux en première ligne contre les gratuits, le quotidien lyonnais Le Progrès et le quotidien
198. Source : www.metro.lu 199. Selon Diffusion contrôle, les chiffres de diffusion payée pour 2002 sont : Le Monde (361 254 exemplaires, + 0,63 %), Le Figaro (345 080, – 2,1 %), L’Équipe (321153, –10,6%), Aujourd’hui (147143, +2,3%), Libération (156377, –4,3%), Les Échos (117 498, – 5,5 %), La Croix (91 499, + 5,7 %), Paris Turf (87 113, –8,2%), La Tribune (80706, –6,2%), France Soir (77413, –22,9%) et L’Humanité (45 949, – 1,9 %).
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marseillais La Provence200 perdent respectivement 10700 numéros (–4%) et 7000 numéros (–4,1%)201. Dans Marianne202, François Darras y voit «un effondrement de la presse écrite d’actualité» et demande ni plus ni moins que «l’interdiction des gratuits».
Les journaux populaires sont les plus menacés Affirmer cela, c’est déjà répondre à la question précédente : oui, les gratuits sont une menace pour certains journaux payants. « Qui va souffrir ? Le Parisien, d’abord… France Soir, dont la moitié des lecteurs environ habitent à Paris ou dans la région parisienne, est lui aussi menacé203.» On entend très souvent cette opinion que les quotidiens gratuits sont les adversaires directs des journaux populaires. Métro serait l’adversaire du Journal de Montréal au Québec et du Parisien en France. Cette idée dérive bien sûr de la hiérarchisation des journaux, de la distinction entre journaux d’analyse et journaux d’information que nous avons examinée précédemment et de la proximité d’apparence entre ces journaux (formats proches, articles courts, utilisation importante de photos, quadrichromie). Selon ce raisonnement, les gratuits, journaux hypo-informatifs, sont donc les adversaires déclarés des journaux placés juste avant eux dans cette classification, à savoir les tabloïds populaires. Belle analyse qui a toutefois l’inconvénient d’être démentie par les faits : au Québec, la diffusion du Journal de Montréal est stable ; en France, Le Parisien a gagné près de 6 000 lecteurs en 2002 (alors que dans le même temps France Soir en a perdu plus de 13 000) et Libération – organe central des très peu populaires bourgeois-bohèmes – se déclare « laminé ». Il faudrait rompre – ou du moins largement moduler – avec cette vision élitiste et hiérarchique des médias. Le fait qu’en France Libération se trouve en première ligne des sinistrés montre que les journaux gratuits ne sont pas les adversaires ultimes des journaux populaires. 200. La Marseillaise, l’autre quotidien provençal, n’adhère pas à Diffusion contrôle. 201. La diffusion payée est passée de 264 702 à 253 961 pour Le Progrès et de 169 263 à 162 260 pour La Provence. 202. François Darras, « Sur la crise de la presse », Marianne du 8 juin 2003. 203. Olivier Costemalle et Catherine Mallaval, Libération du 10 janvier 2002.
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Entretien avec Florian Sauvageau, directeur du Centre d’étude des médias, Université Laval Selon vous, peut-on parler d’une concurrence presse gratuite/ presse payante ? Je ne pense pas. Dans le cas de Montréal en tout cas, les tirages de la presse payante sont plutôt stables et ne semblent pas souffrir de cette concurrence. À Toronto, le Sun n’a pas la vie facile, mais cela peut s’expliquer tout autant par la guerre des journaux, Globe, National Post, etc. Quels seraient à terme les quotidiens montréalais susceptibles de pâtir le plus de la présence de Métro et de Montréal Métropolitain ? On pouvait penser que Le Journal de Montréal souffrirait le plus. Ce qui explique que Quebecor ait réagi en créant son gratuit. Mais, encore une fois, les tirages récents montrent que les choses sont stables. Quels sont selon vous les atouts et les limites de la presse gratuite ? Il est possible que les gratuits soient consultés par des non-lecteurs d’autres journaux, ce qui serait tout à fait positif au plan social s’ils ne lisaient pas avant, ou alors par des lecteurs qui n’ont pas abandonné leur autre quotidien pour autant. La presse gratuite, bien faite, peut offrir plus d’infos qu’un bulletin-télé. En la lisant, on pourrait donc s’informer davantage qu’à la télé, ce qui est le lot de plusieurs de nos contemporains ! À propos de Métro, un journaliste du Monde a parlé de McDonald’s de l’information. Qu’en pensez-vous ? Peut-être. Et alors ? On le disait aussi du USA Today à ses débuts. C’est pourtant un journal fort respectable. Je n’aime pas ces étiquettes. Il n’y a pas non plus que Le Monde dans la vie.
Des journaux en difficulté La publicité commerciale est devenue indispensable aux journaux. Elle représente une part croissante de leurs revenus (en
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moyenne près de 43 % pour les quotidiens en France204, plus de 60 % au Québec). Au Québec, Le Devoir est le seul quotidien à enregistrer régulièrement des pertes. En France, le mécanisme du Fonds d’aide aux journaux nationaux à faibles ressources publicitaires205 ne reconnaît que deux journaux en difficulté : La Croix et L’Humanité. Cependant, le législateur, vu la diminution de ses recettes publicitaires, semble envisager la possibilité que France Soir puisse être admis dans ce programme en 2003, « par redéploiement au sein du chapitre 41-10 ».
Dotations du fonds d’aide aux quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires (en millions d’euros) Exercices budgétaires La Croix L’Humanité Play Bac
Presse206
Total
1995
1999
2000
2001
1,06
1,73
2,13
2,21
0,75
1,27
2,25
2,34
–
0,03
0,03
0,03
1,91
3,05
4,42
4,57
Source : DDM
204. La publicité commerciale représente 28,6 % des recettes de la presse régionale et 45 % de celles de la presse quotidienne nationale, alors que les petites annonces contribuent respectivement pour 13,3 % et 13 % (source : Tableaux statistiques de la presse, 2002). 205. L’admission à ce programme est relativement complexe. Les conditions d’éligibilité sont les suivantes: être un quotidien de langue française d’information politique et générale à diffusion nationale, paraissant cinq jours au moins par semaine, imprimé sur papier journal et dont le prix de vente est compris dans une fourchette de –10% à +30% du prix de vente moyen des quotidiens nationaux d’information politique et générale. La diffusion et le tirage ne doivent pas excéder, respectivement, 150000 et 250000 exemplaires. Enfin, les recettes publicitaires ne peuvent excéder 25% des recettes totales. 206. Play Bac Presse est un petit groupe spécialisé dans la presse pour enfants. Il édite quatre quotidiens : Mon Quotidien (pour les 10-14 ans, depuis 1995), 1998, L’Actu (pour 14 ans et plus), Le petit quotidien (pour les 7-10 ans, depuis 1998) et Quoti (pour les 5-7 ans, depuis 2002).
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À part les deux titres admissibles au programme de soutien, pour tous les autres la publicité représente plus de 25 % des recettes.
Des aiguillons Aujourd’hui, la situation n’est pas encore menaçante pour les journaux payants. Les gratuits n’ont encore attiré qu’une part modeste de publicité et leur irruption a amené leurs concurrents à revoir quelques pratiques, à se montrer plus dynamiques pour conserver, voire parfois même pour accroître, leurs lectorats. À Montréal, le puissant quotidien La Presse a intensifié ses campagnes d’abonnement et Le Journal de Montréal se montre très vigilant quant aux fluctuations de ses ventes. Pour essayer de conjurer le sort, ce dernier annonce régulièrement être « le journal le plus lu » et affiche désormais en première page le bandeau « deux millions de lecteurs »207. Il essaie aussi de diversifier son lectorat en lançant, en collaboration avec le Wall Street Journal, un supplément économique hybride, Votre argent, encarté dans son édition du samedi et proposé gratuitement en semaine dans des bacs dispersés en plusieurs lieux de la ville. En région parisienne, les deux quotidiens gratuits ont dépassé, dès la première mesure d’audience208, le seuil des 700 000 lecteurs – 967 000 pour 20 Minutes209 et 793 000 pour Métro210. 20 Minutes se classe troisième quotidien d’Île-de-France211, juste derrière Le Parisien et Le Monde. Les études font apparaître pour 20 Minutes un taux de pénétration de 17 % chez les moins de 35 ans. Les résultats de ces enquêtes, commandées par les journaux eux-mêmes, sont peut-être un peu idéalisés. N’empêche que la menace est là. 207. Le Québec comptait en 2002 une population totale de 7 455 208 personnes (source : Institut de statistiques du Québec). 208. Ces chiffres sont à prendre avec les précautions d’usage. Le domaine des gratuits – et la presse en général – est rarement constant en ce qui concerne les chiffres. 209. Étude IPSOS menée du 4 au 29 juin 2002. 210. Étude Taylor Nelson Sofrès menée en mai 2002. 211. « 20 Minutes-Métro : la guerre de l’audience est ouverte », dans Marketing magazine du 1er septembre 2002.
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À Marseille, le directeur général de La Provence considère que la presse gratuite a été «un aiguillon» et «un apport intéressant» qui a permis de « travailler sur l’évolution de La Provence – qu’il s’agisse de forme, d’usage de l’infographie212 ». Par ailleurs, comme nous l’avons vu, l’évolution du marché publicitaire et la capacité de chacun de se tailler une niche seront déterminantes quant à l’issue de la bataille. Nul n’est capable à l’heure actuelle de faire des prédictions fiables à ce sujet : un nouveau 11 septembre, une nouvelle affaire de type Enron, une récession et une baisse de la consommation entraînant une contraction du marché publicitaire213 pourraient annihiler les efforts déployés depuis plusieurs années par les journaux gratuits. Comme pour une baïonnette, souvenons-nous qu’il est difficile de s’asseoir sur un aiguillon.
Un glissement de publicité Le marché n’est pas extensible. L’irruption des journaux gratuits a un premier effet de captation de publicité, en grande partie au détriment des journaux en place. Relativement marginale et indolore au début, cette captation devient sensible, au fil du temps. Elle se fait d’autant plus sentir qu’elle se double d’un effet pervers de baisse du coût des insertions publicitaires. Ce phénomène est surtout observable en France où, pour se constituer un «panel» d’annonceurs, les journaux gratuits ont parfois accordé des rabais importants. Selon Denis Cosnard214, «les quotidiens gratuits ont dû accepter des remises de 70 à 80% par rapport au tarif officiel et pour amorcer la pompe. Métro comme 20 Minutes ont même publié des encarts gratuitement.»
212. Le Monde du 24 février 2003. 213. Paradoxe intéressant s’il en est : la tâche de la publicité est justement de faire vendre ! 214. Denis Cosnard, «Un an après l’arrivée de Métro et 20 Minutes: les quotidiens gratuits à la peine », Les Échos du 14 février 2003.
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Tout le problème réside dans l’équilibre : comment réagiront les quotidiens déjà confrontés depuis de nombreuses années à une baisse tendancielle du nombre de leurs lecteurs et obligés par conséquent d’augmenter leurs revenus publicitaires ? Le mécanisme est fragile, la corde est raide, la moindre baisse des entrées publicitaires, le moindre départ d’annonceur brise ce fragile équilibre et pousse le titre vers l’abîme. La réussite d’un journal, la fidélité de son lectorat tiennent à de multiples facteurs, dont la distribution, l’image et l’habitude215. La réussite des journaux gratuits vient en partie du fait qu’ils ne nécessitent pas de nouvelles habitudes, de nouvelles pratiques, de nouveaux coûts ou de nouveaux itinéraires: ils accompagnent et se greffent sur d’autres habitudes. Les gouvernements ont opté pour le laisser-faire, refusant de réglementer le domaine de la presse (en France, les Décrets de 1944 sont peu à peu vidés de leur contenu, et rien – ou si peu – n’est fait pour entraver la formidable concentration des médias au Canada). Le marché se chargera donc de réguler le domaine de la presse. Et, comme le marché a horreur des faibles, les victimes seront les quotidiens les plus fragiles216. En France, les plus exposés sont France Soir – malade depuis longtemps – et Libération (ainsi que, dans une moindre mesure, L’Humanité et La Croix). La diffusion de France Soir, quotidien du matin depuis de nombreuses années, serait tombée sous la barre
215. L’habitude est un aspect très fort de la fidélité à un média : dans le domaine de la télévision, par exemple, les chiffres d’audience ont peu évolué depuis des années pour TF1 en France et TVA au Québec – et ce, quelle que soit leur programmation ou celle de leurs concurrents. 216. L’expérience hors Francophonie le confirme. À Milan, ni le Corriere della Serra, ni La Repubblica n’ont souffert, tandis qu’Il Giorno, déjà en grande difficulté, aurait perdu 20 % de ses ventes. En Suède, une des principales victimes a été le quotidien « sérieux » Dagens Nyheter, qui a vu son tirage passer de 301 000 exemplaires à 267 000 (– 11 %) en l’espace de deux ans, alors qu’on a assisté du côté des tabloïds à la poursuite de la chute d’Expressen et à un gain de lecteurs pour Aftonbladet. À Malmoë, comme s’il lui avait donné le coup de grâce, le lancement de Métro a correspondu à la fermeture du quotidien social-démocrate Arbelet (source : Le Monde, 21 février 2001). L’apparition de Métro a des effets multiformes, les journaux populaires n’en sont pas forcément les victimes.
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des 70 000 exemplaires et il est à craindre que sa nouvelle formule axée sur la télévision ne soit pas la bouée de sauvetage espérée. Libération, pour sa part, a vu sa diffusion baisser à Paris, mais a mieux résisté en province. Le manque à gagner publicitaire serait deux fois plus important que prévu. Le journal doit s’attendre à de nouvelles difficultés depuis que Le Monde et Le Figaro ont lancé une politique de couplage pour les annonces institutionnelles217. Des mesures d’économie, comme le gel des embauches et la réduction du volume des piges, devraient compléter le dispositif de lancement d’une nouvelle formule218. Cela risque de se révéler insuffisant pour enrayer la perte d’audience : il y a belle lurette que ni la qualité, ni l’originalité d’un journal ne sont des garanties de succès commercial219. Au Québec, la situation n’est pas encore décantée et l’affirmation des Échos selon laquelle « à Montréal, les quotidiens ont dans l’ensemble gagné des parts de marché, évoquant la création d’un nouveau segment de lecteurs et non pas une lutte pour le même lectorat220 » relève plutôt de la vision angélique que les Français ont du Québec. Les journaux – surtout en Amérique du Nord – sont avant toute considération sociale, politique et culturelle des entreprises: n’y réussissent que les forts. En outre, il est difficile de croire que, même si c’était le cas, Le Journal de Montréal ou La Presse, navires amiraux de leurs empires respectifs, puissent être durablement mis en péril par la concurrence. Leurs propriétaires seraient prêts alors à utiliser de nombreux artifices pour les remettre à flot. Ce qui n’est pas le cas pour Le Devoir, quotidien indépendant adossé surtout au vide. Partant de ce raisonnement – même s’il est brutal et mécanique –, le journal le plus faible à Montréal, Le Devoir, est 217. « Libération privé de pub », dans Marianne du 24 juillet 2003. 218. La réaction a été assez lente puisque Libération a lancé sa nouvelle formule le 13 octobre 2003. 219. Cette mesure n’est que cosmétique car, dans le même souffle, le journal réduit sa masse salariale et va couper un certain nombre de postes, comme les correspondants à l’étranger, ce qui ne manquera pas, en termes de contenus, de nuire à la qualité du journal. 220. Les Échos du 14 février 2003.
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le journal le plus menacé. Le quotidien a d’ailleurs fait grise mine en 2001 lorsque ses ventes en semaine ont chuté de quelques centaines d’exemplaires, alors que le numéro de fin de semaine connaissait une légère augmentation, comme si un certain nombre de personnes préféraient prendre Métro en semaine et réserver leur achat du Devoir pour le samedi. De nombreux observateurs ont craint un moment que le quotidien se transforme en « magazine culturel doté d’un bulletin quotidien ». La situation s’est améliorée, les ventes ont augmenté, mais le quotidien accuse en 2003 la perte la plus importante des 10 dernières années. Combien de temps cela durera-t-il ? Le scénario le plus probable est celui d’un glissement de la publicité : les gratuits vont bien évidemment mordre sur le marché publicitaire des « journaux populaires », mais ceux-ci – et Le Journal de Montréal a déjà commencé avec son supplément économique Votre argent – vont entrer dans des créneaux jusqu’alors laissés aux concurrents221. On peut ainsi supposer que ces derniers vont eux aussi aller chercher des annonceurs dans d’autres domaines. Il est fort possible d’imaginer que La Presse cherchera à compenser les pertes essuyées dans le domaine des affaires en développant son secteur culturel – et singulièrement les livres, jusqu’à présent domaine d’excellence du Devoir, lequel… Depuis le lancement de la « nouvelle » Presse, le processus semble bien enclenché. Les journaux populaires ne sont pas les plus menacés… dans la mesure où ils sont en bonne santé. Dans l’univers impitoyable qu’est celui de la presse, les plus menacés sont les plus fragiles, ceux qui souffriront du moindre glissement en volume et en revenus publicitaires.
221. C’est ce qu’annonce Pierre Francœur, président de Sun Média et éditeur du Journal de Montréal : « Le samedi, notre quotidien augmente de 2 369 exemplaires, alors que l’autre quotidien [La Presse] perd 2 719 exemplaires. Il est donc évident que le nouveau journal Votre Argent, encarté le samedi dans Le Journal, a ravi les lecteurs et conquis plusieurs Québécois avides d’informations financières. » Dans : « Le Journal de Montréal atteint de nouveaux sommets », Le Journal de Montréal du 10 mai 2003.
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L’information jetable Il s’agit de la critique la plus stupide à propos des journaux gratuits. Il est atterrant de voir que c’est une des critiques les plus fréquemment reprises. Cette affirmation frise le pléonasme : l’information est par nature périssable (et par extension jetable). Sa durée de vie est limitée, elle se périme vite. À brève échéance, dire que «L’homme est allé sur la Lune » ou que « Saddam Hussein a rejeté le plan américain », ce n’est plus des informations. Ces informations doivent être retraitées, disséquées, associées à d’autres éléments (donc, ne plus être considérées comme des « nouvelles ») pour devenir éléments de réflexion, faits historiques ou savoirs. Le fait de jeter est consubstantiel au journal. Le critère de nonconservation est déterminant pour établir la différence entre le journal et le livre. On peut certes conserver quelques articles dans le but de les archiver, mais cela demande de découper le journal – ce qui est un acte de destruction et donc s’apparente au fait de le jeter. Par ailleurs, la nature même d’un quotidien, la qualité du papier utilisé, celle de l’encre et sa composition (non broché et absence de tranche) ne permettent pas une conservation. Opinion de Francis Hervieux, journaliste indépendant Je suis un habitant de la banlieue de Montréal (Repentigny, pour être précis). Cette presse disponible dans les environs du métro ne m’a jamais touché personnellement, même si je suis un usager régulier du métro. Lorsque je prends le transport en commun, il ne reste tout simplement plus de ces journaux dans les stands. Ceci pour dire que ces journaux n’ont pas nécessairement un impact notable sur les usagers du métro, parce que tout le monde n’y a pas accès. Depuis leur parution, je n’ai pas eu plus de deux exemplaires entre les mains. Elles ne m’ont surtout pas impressionné par leur qualité. C’est encore pire que le Voir/Ici couplé à un journal local. Il n’y a aucun contenu.
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On ne trouve uniquement que des dépêches d’agences débordées de publicité. Le fait qu’il n’y ait plus de journalistes qui travaillent dans ces journaux est déjà un mauvais signe… Étant abonné au Journal de Montréal et à La Presse depuis plusieurs années, je n’ai jamais ressenti la crainte d’une concurrence malsaine entre les journaux gratuits et payants. Tout simplement parce que, selon moi, ils ne visent pas les mêmes personnes. Ceux qui lisent déjà les journaux payants sont habitués à un certain standard de qualité (enfin, j’ose espérer) ou de production. C’est impossible à retrouver dans les journaux gratuits. En aucun cas, ces journaux n’ont été pensés dans le but de servir le public. Ils ne servent réellement qu’à salir encore plus le métro et à vendre de la publicité. Les quotidiens payants et gratuits partagent tout naturellement le même destin – le bac de recyclage ou la poubelle – en fin de trajet, de lecture, de journée. Il suffit de voir, le long des autoroutes, une publicité de Recycle Québec en faveur du tri sélectif où, en dessous d’un journal quotidien, s’étale l’avis «Je ne suis pas une ordure ». La légèreté de l’argument est révélatrice de la superficialité de la réflexion. Il s’agit aussi d’un fait inquiétant car on se demande si les spécialistes et les professionnels de la presse nous prennent pour des imbéciles ou s’ils le sont eux-mêmes.
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our Serge July, « les gratuits ont l’apparence de quotidiens d’information, l’odeur et l’allure du papier journal mais la ressemblance avec les quotidiens d’information s’arrête là222 ». Nous ne pouvons pas lui donner tort.
S’agit-il de quotidiens ? L’aspect De prime abord, le format intrigue: les journaux gratuits sont tout petits. Métro a adopté le format d’un petit tabloïd et 20 Minutes est encore plus petit (24 cm sur 30 cm), à peine plus grand qu’une feuille d’imprimante. Mais c’est surtout le brochage, largement étranger au monde des quotidiens conventionnels, qui choque. Même des périodiques imprimés sur papier journal, comme l’hebdomadaire économique Les Affaires ou le mensuel Le Monde diplomatique, s’en dispensent. Ce brochage, une obligation qui figure dans le cahier des charges223, a pour but de réduire les nuisances que ces journaux peuvent causer dans les transports en commun. Cet aspect rapproche les gratuits des magazines.
222. Libération du 19 février 2002. 223. Il est bien évident qu’ils s’en dispenseraient puisque cela occasionne des frais supplémentaires. Métro Montréal avait des difficultés techniques à respecter le cahier des charges: la machine ne permettait pas de brocher les numéros excédant 28 pages.
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La périodicité Le second problème est celui de la périodicité. Par nature, sans avoir pour autant recours à l’étymologie, un quotidien doit paraître tous les jours. Bien souvent cependant, que ce soit au Québec ou en France, la loi les a empêchés de paraître le dimanche – de nombreux journaux québécois et français224 paraissent six fois par semaine. Mais il faut convenir qu’un numéro du vendredi baptisé « édition du week-end » et une parution cinq jours par semaine détonnent. Les caractéristiques des transports en commun et la logique économique président aux destinées des gratuits, qui vont à l’encontre de la tradition culturelle nord-américaine, laquelle accorde une grande importance à l’édition du samedi. Triste constat: Métro et 20 Minutes ne se lisent pas dans un fauteuil au coin du feu mais sur la banquette d’un wagon de métro. La tendance observée en France à ne pas paraître durant les périodes de vacances est encore plus gênante. Depuis les «kalendrier» des bergers publiés une fois par année de 1490 à 1700, les journaux respectent leur périodicité. Il ne semble pas que ce soit le cas pour Métro et 20 Minutes, qui ont suspendu leurs parutions à Paris, du 23 décembre 2002 au 6 janvier 2003 pour le premier, du 25 décembre au 2 janvier pour le second. Lorsque les travailleurs ne sont pas là, les lecteurs disparaissent et les annonceurs aussi. «Entre Noël et le Premier de l’an, le métro ne trimballe que des illettrés», ironisait Le Canard enchaîné225, qui rappelait que ces quotidiens, accrochés au marché de la publicité, se donnent le droit de disparaître quand bon leur semble, affichant le plus grand mépris pour le lecteur, qui passe au second plan. Enfin, les gratuits ont un problème de disponibilité. Il n’est pas rare, à Montréal ou à Paris, de ne plus trouver d’exemplaires du journal, passé 10 heures du matin. Plutôt qu’un journal, le gratuit serait-il un « matinnal » ? 224. Si, au Québec, la parution sept jours sur sept est largement répandue, à Paris, seuls Le Parisien et depuis peu L’Équipe paraissent tous les jours de la semaine. En province, les quotidiens régionaux utilisent depuis de longues années un artifice pour paraître tous les jours : l’édition dominicale est publiée par une société distincte. (Le Quotidien de Saguenay, dont l’édition dominicale s’appelle Le Progrès, utilise le même artifice.) 225. Le Canard enchaîné du 31 décembre 2002.
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Information ou publicité ? Dès 1631, lorsqu’il reçut le privilège royal de «faire imprimer et de vendre les nouvelles et récits de tout ce qui s’est passé et se passe tant en dedans qu’au dehors du Royaume », Théophraste Renaudot inventa pour La Gazette l’éditorial, la publicité, le numéro spécial et les suppléments. Préférant les faits aux commentaires, datant et précisant la source de chaque information, le journal eut beaucoup de succès : le tirage atteignit 1 200 exemplaires en 1638. Le succès fut contagieux : le premier quotidien français, Le Journal de Paris, parut en 1777 ; le Daily Advertiser, en 1833 à Montréal. Au début du XIXe siècle, les journaux se sont orientés vers les débats d’idées et la politique. À la même époque apparaît, dans la presse anglo-saxonne, la règle des cinq w. Tout article doit répondre aux cinq questions : Who ? What ? Where ? When ? Why? Cette règle a longtemps défini le journalisme d’information, qu’on oppose au journalisme d’opinion. Cette distinction existe toujours, mais l’idée de message ou d’information demeure l’essence d’un journal. C’est ce qui le fonde, ce qui le crée chaque jour. Il ne remplit sa tâche de média, son rôle de ciment social qu’en privilégiant le message, en mettant l’information sous toutes ses formes aux commandes. Cette question est essentielle : les quotidiens gratuits obéissentils à la même logique ? Quel est le statut de l’information dans ces journaux ? Est-elle le domaine privilégié ou seulement une garniture autour de la publicité ? Sans prétendre répondre à tous les critères scientifiques, nous nous sommes penchés sur cette question et avons étudié la place occupée par la publicité, ses rapports avec l’espace alloué aux éléments informatifs (articles, photographies) – en excluant les informations magazines, comme la météo, les dossiers et tribunes, l’agenda…
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L’information n’est pas aux commandes Le graphique ci-dessous, avec sa symétrie quasi parfaite entre les deux courbes, est éloquent. Comme dans de nombreux autres journaux, l’information est le complément de la publicité. Elle sert de garniture, elle remplit l’espace non consacré à la publicité. Sa place est inversement proportionnelle à celle allouée aux annonces publicitaires. La situation tendait à s’équilibrer, en mars 2002, lors de l’adoption de la nouvelle formule de Métro Montréal, en grande partie au détriment des éléments d’opinion. Le volume d’information s’est accru grâce à la suppression des tribunes libres et à la réduction du dossier central de deux pages à une seule. Mais, rançon du succès (?), le décrochage s’est amplifié depuis le mois de septembre, où l’espace payant occupe plus de la moitié du journal, et l’information, plus qu’un petit tiers (31 %). Les 18 % restants sont consacrés à la partie magazine (agenda, météo, jeux, résultats du loto, courrier des lecteurs…).
Métro Montréal 60 Publicité 50
40 Information 30
20
10
0 Mars 01
Mai 01
Juillet 01
Sept. 01
Déc. 01
Mars 02
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Mai 02
Sept. 02
Déc. 02
Mars 03
Mai 03
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Au cours de la première semaine de décembre 2002, la taille du journal a beaucoup fluctué, passant de 20 pages en début de semaine à 32 pages le jeudi, pour revenir à 28 le vendredi. Qu’est-ce qui motivait une telle évolution ? La réponse est claire : le nombre de pages n’a pas augmenté en raison de l’abondance de l’information (ces journées ont été assez banales), mais à cause de l’augmentation du volume (du moins la surface) publicitaire.
Évolution de la surface publicitaire de Métro Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Moyenne Nombre de pages
20
20
20
32
28
24,8
Nombre de publicités
45
45
59
56
54
52
7 183
7 913
10 814
14 795
12 573
10 782
391
396
451
462
449
435
72
70
75
108
78
80,6
Surface pub (cm2) Surface pub/ page (cm2) Nombre d’articles
Malheureusement, il y a eu un petit loupé. L’équipe n’était pas encore vraiment au point et la décision de passer à 32 pages le jeudi a dû être un crève-cœur ! Le 12 décembre, journée sans actualité particulière, le journal a utilisé 102 articles (alors que la moyenne durant les autres jours de la semaine se situait entre 75 et 80). Cette abondance était uniquement liée au passage à 32 pages. Par-delà les éléments techniques, comme l’aspect et la périodicité, le ratio information/publicité est bien plus inquiétant. Métro semble avoir abandonné la raison d’être d’un journal : il n’est plus en premier lieu un porteur de nouvelles, un vecteur d’information ou de divertissement, mais un support publicitaire. L’information n’est pas aux commandes. Elle n’est qu’un enrobage, elle joue le rôle de faire-valoir et de bouche-trou. Son importance ne fluctue pas en fonction de l’abondance ou de l’importance des informations, mais en fonction du volume de publicité recueillie.
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Ce caractère n’est pas déterminant, dans la mesure où il est largement partagé par des payants comme La Presse, dont la pagination est elle aussi largement fluctuante. Ces derniers ont aussi largement recours aux cahiers spéciaux, importants supports de publicité, en grande partie rédigés par des journalistes n’appartenant pas à la rédaction du journal.
Une constante valorisation de l’espace journal Un indice intéressant à étudier est celui de la surface de publicité par page. Si au départ, dans les premiers numéros de Métro, la publicité occupait un peu plus de 200 cm2 par page, depuis septembre 2002, elle en occupe plus du double pendant que le nombre moyen de pages est resté à peu près constant, passant de 20-23 à un peu plus de 18.
La surface publicitaire chez Métro de mars 2001 à mars 2003 Surface publicité (cm2)
par page
Nombre
Rapport
de pages
(%)
Mars 2001
220
23
0,25
Mai 2001
221
20
0,25
Septembre 2001
205
20
0,24
Décembre 2001
286
19
0,33
Mars 2002
338
20
0,39
Mai 2002
381
18
0,44
Septembre 2002
445
22
0,51
Décembre 2002
453
24
0,52
Mars 2003
407
18
0,47
On peut exprimer cette idée d’une manière un peu plus imagée : si, lors du lancement, la publicité occupait en moyenne un quart de page, elle en utilise maintenant près de la moitié.
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Métro, une utopie ? À village mondial, publicité mondiale ? La rapidité de transfert de l’information, la multiplication des voyages, la fréquence des rencontres à New York, Monaco, Davos et ailleurs ont donné aux riches le sentiment que les pauvres n’avaient pas le monopole du village226 (du quartier, de la banlieue, de la galère), qu’ils avaient eux aussi un village peuplé de boutiques, de plages, de lieux branchés… Mais un village d’une autre dimension, tout simplement, celle du monde. Ce village mondial est le leur, avec ses modes, ses codes et Internet comme vecteur de communication privilégié. La communication passant à haut débit, rien ne pouvait leur échapper de ce qui se passait dans le village. Ils ont cru que le monde était un village qui communiquait sur la Toile. C’est encore plus stupide que de croire que tous les Québécois sont des bûcherons portant des chemises à carreaux ou que tous les Français sont des Parisiens. Mais, on le sait depuis longtemps, chacun imagine le monde à son image. La Terre imaginée comme un village, il ne restait plus qu’à inventer le journal du village, un journal avec le même titre, la même maquette, la même charte graphique, le même fonctionnement aux quatre coins de la planète… Et Jan Stenbeck a imaginé Métro. Le journal ne manque jamais de rappeler que « Métro est le troisième journal au monde pour le lectorat, avec 12,3 millions de lecteurs quotidiens de 25 éditions dans 16 pays en 14 langues et un lectorat de 2,8 lecteurs par exemplaire. Le journal peut être lu en 16,7 minutes et touche un lectorat à 50 % féminin227. » 226. Ce concept de village est un concept hyper-citadin. Le riche citadin aime bien fréquenter le Village à New York, le Quartier latin ou le Marais à Paris, le Plateau Mont-Royal à Montréal. 227. “Metro is the world’s largest newspaper outside Japan by readership, with 12.3 million daily readers of 25 editions in 16 countries in 14 languages, with a high number of readers per copy, at 2.8. The newspaper can be read in a 16.7 minute commute, and is typically read by a 48% female readership. 48% of people under 35 years of age in distribution areas read Metro at least once a week.” (Source : site metro.lu)
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À support moderne, financement moderne : comme Internet, ce journal devait être financé par la « publicité locale, régionale, nationale ou globale ». Cette publicité «globale» devait être la marque de fabrique de Métro. La publicité mondiale était l’objectif ultime de ce journal de type nouveau. Son slogan (un peu long) est clair: «10 millions de personnes, 20 minutes par jour, sur 23 marchés, dans 15 pays, en 13 langues = un seul support publicitaire ». Mais ce projet semble connaître quelques difficultés. Selon un récent article, «si Métro entre dans un marché urbain unique, priorité est alors donnée au marché publicitaire local et aux ventes catégorielles. Le support de Métro augmente souvent de manière substantielle suite à l’extension de la distribution à un niveau national (comme en Hongrie) ou à l’ouverture de journaux dans d’autres villes (c’est le cas en Suède, en Italie, en Espagne ou au Danemark). Dans ces cas, Métro a accès à la publicité nationale228.» Ainsi, dans un seul souffle, Métro confesse que le journal n’a accès nulle part à la publicité mondiale. Car le monde n’est pas un village. Nous ne roulons pas tous avec le même véhicule dans la grand-rue, nous ne mangeons pas tous la même chose achetée dans la même chaîne de supermarchés, nous ne regardons pas tous les mêmes films et n’écoutons pas forcément la même musique… Même McDonald’s adapte ses plats ! À part la plus récente création d’Adidas – encore que les fabricants de chaussures de sport travaillent de plus en plus dans des niches et avec des séries limitées –, la dernière version de Windows et le beaujolais nouveau, il existe très peu de produits mondiaux capables de se permettre un lancement planétaire. Les goûts, les habitudes, les choix diffèrent d’un village à l’autre. Chaque producteur, constructeur, vendeur, publicitaire… essaie de se fondre dans le monde qui l’environne. Il n’existe pas d’édition universelle du journal Métro diffusée dans une quinzaine de pays différents, mais 23 éditions distinctes d’un
228. « Un journal en ascension et pour le monde », Métro du 28 avril 2003.
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journal à travers le monde, qui portent le même nom, utilisent la même maquette et la même charte graphique229. Cette idée de créer un Internet de papier et d’attirer une publicité mondiale a certainement été importante lors de l’élaboration du concept Métro. C’est un échec. Un des rares. Et il confirme que Métro revêt une part d’utopie.
Un journal sans journalistes ? Le journalisme est l’un des derniers métiers merveilleux. Le journaliste est, avec le pilote de ligne, le dernier aventurier des temps modernes. Depuis Stanley, il y a eu beaucoup d’avatars, imaginaires comme Tintin, Spirou et Phileas Phog, et réels, d’Albert Londres à Michel Jean230 ou Patrick Lagacé231. Il reste peu de professions jouissant d’une telle aura. Le fait que certains directeurs de journaux aient commencé leur carrière comme camelot, commis ou, comme Edwy Plenel, sans diplôme universitaire, contribue à la légende. Même si de plus en plus de journalistes sortent d’une école, le journalisme conserve un statut d’exception. Au Québec, la profession bénéficie d’un prestige encore plus important qu’en France puisqu’il peut mener à la présidence de l’Assemblée nationale, à la direction de la Caisse de dépôt et placement ou même, comme René Lévesque, à la fonction de premier ministre. Dans ce contexte, même si la réalité est un peu différente, toute remise en question, même partielle, de cette image est ressentie comme un danger par la profession.
229. Ce n’est pas entièrement vrai : le journal s’appelle Métro à Stockholm, Göteborg, Malmö, Helsinki, Prague, Rome, Philadelphie, Milan, Varsovie, Montréal, Boston, Paris, Marseille et Lyon ainsi qu’en Hongrie et aux PaysBas. À Athènes, le journal s’appelle Metrorama ; Metro Today à Toronto ; Métro Directe à Barcelone ; Metro Directo à Madrid ; MTG à Santiago ; MetroXpressin à Copenhague ; et Metropolis Daily à Hong Kong. 230. Journaliste à la télévision de Radio-Canada qui a notamment couvert le Sommet des Amériques et la dernière guerre en Irak. 231. Journaliste du Journal de Montréal, récipiendaire d’un prix pour une investigation sur les ordures de la ville.
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Entretien avec Rémi Maillard, journaliste indépendant Pensez-vous qu’il y a un concept Métro ? Il y a certainement un «concept» Métro. Il me semble qu’il s’agissait au départ de permettre aux usagers des transports en commun d’être au courant des grandes lignes de l’information en 20 minutes, soit le temps moyen supposé de leur trajet. Selon vous, peut-on parler d’une concurrence presse gratuite/ presse payante ? Oui et non. Oui, dans la mesure où un certain nombre de lecteurs potentiels ou occasionnels de journaux payants se contentent désormais des gratuits. Non, en ce qui concerne les lecteurs qui veulent « en savoir plus » ; ceux-là ne peuvent pas se contenter de lire des extraits de dépêches de l’AFP ou de la Presse canadienne. En plus, il y a souvent des fautes et on voit que certaines dépêches ont été mal coupées, car le texte n’a pas de sens ! En matière de contenu journalistique, il n’y a évidemment pas photo entre un quotidien qui possède sa propre rédaction et une capacité à créer de l’info, à débusquer des « lièvres », et une feuille produite par quelques personnes à partir d’informations prédigérées. Quels seraient à terme les quotidiens montréalais susceptibles de pâtir le plus de la présence de Métro et de Montréal Métropolitain ? D’abord Le Journal de Montréal, éventuellement La Presse. L’affichage électronique dans les rames de métro (Télécité) fait lui aussi déjà les frais, dans une certaine mesure, des gratuits. Quels sont selon vous les atouts et les limites de la presse gratuite ? J’imagine que les gratuits représentent, pour les grands groupes qui les possèdent, une belle manne publicitaire, même si leurs promoteurs affirment haut et fort que ce produit n’est pas rentable avant plusieurs années. Les limites de la presse gratuite sont inscrites dans le concept même de gratuité : pour être rentable, le gratuit doit rogner sur tout et se contenter de reproduire de l’info de seconde main, filtrée et facilement accessible au plus grand nombre. Donc, pas de sujets « sensibles », pas d’enquêtes de fond, de scoops. C’est du main stream et du politically correct, puisqu’on s’adresse à monsieur et madame Tout-le-monde.
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À propos de Métro, un journaliste du Monde a parlé de McDonald’s de l’information. Qu’en pensez-vous ? Il ne faut pas 20 minutes pour bouffer un hamburger… Cela dit, j’ai moi aussi souvent associé les gratuits à du fast-food : c’est rapide, propre et ça se digère bien. Mais ça n’a aucune saveur. Au moins, le McDo, ça nourrit son homme, tandis qu’avec Métro, moi, je reste sur ma faim.
L’aura du scribe Dans une tribune, Michel Diard, secrétaire général du syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT), s’enflamme à propos des gratuits : « Dans leurs colonnes, on ne trouvera ni mise en perspective ni enquêtes. Il s’agit d’une conception simpliste de l’information, proche du niveau zéro… La conscience professionnelle des journalistes dans des rédactions réduites à leur plus simple expression (et à un rôle de mise en page) n’y trouvera pas son compte232. » Comme on peut le deviner, ce ne sont pas les gratuits qui inquiètent, mais plutôt l’image du journaliste qu’ils projettent. Toujours dans Le Monde, une chronique de Pierre Georges traduit l’inquiétude quant à la perte de prestige du scribe: «Le journalisme écrit est un métier dont le métier précisément consiste à faire des journaux… Sauf que cette considération d’une admirable évidence, à fracasser les portes ouvertes, permet de faire toute la différence entre un journal gratuit et un journal payant. Le premier, sorte d’avatar et d’avorton de presse, peut réduire sa rédaction à sa plus simple expression numérique… Il n’est pas bien difficile d’élaborer un journal fast-food. C’est même à la portée du premier vrai-faux journaliste venu233. » Finalement, dans sa chronique, Pierre Georges met sans le dire le doigt sur un élément important : le journaliste aime être lu, être entendu, être reconnu. Avec les gratuits, le journaliste n’est plus qu’un scribe anonyme qui ne signe généralement pas 232. Le Monde du 19 février 2002. 233. Le Monde du 20 février 2002.
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ses articles, un scribe jetable jugeront certains. Lorsque le lecteur achète son journal, chaque journaliste a l’impression qu’il le fait pour lui, pour la plus-value qu’il apporte à l’information ou encore pour la photo qui accompagne son nom en haut de la chronique. Avec les gratuits, le journaliste perd son côté vedette et tombe dans l’anonymat234. Les scribes ont peur d’être associés à des rédacteurs de Paris Boum-Boum. Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, tranche : « Nous sommes des gens qui croyons [sic] que les journalistes apportent un professionnalisme qui justifie auprès des lecteurs qu’ils achètent leur journal. Il n’y a pas pour nous de presse de qualité sans journalistes, nombreux et de qualité. »
Conformisme de rigueur Malheureusement, à en croire certains critiques de la profession, cette image, cette aura du scribe auprès du grand public est loin de refléter la réalité. Que ce soit en France ou au Québec, l’informatisation du travail rédactionnel est largement engagée. Elle a conduit, par l’introduction de normes quantitatives plus strictes (nombre de signes, taille…) à une uniformisation des formes d’écriture. Selon Guy Lochard235, le développement du modèle anglo-saxon de césure entre articles factuels et articles d’opinion et les nouvelles méthodes de gestion ont «accentué le phénomène de sédentarisation des journalistes de presse écrite, condamnés pour la plupart à des pratiques de “rewriting” d’informations émanant de sources extérieures au journal. Il faut compter aussi avec une accentuation de la pression sociale. Pour être accepté par ses confrères et écrire, le journaliste doit s’inscrire dans ce moule. Et gare à ceux qui dérogent!»
234. Cet aspect choque beaucoup de journalistes. Ainsi, Jean-Claude Grenier, journaliste à Montréal Métropolitain, habitué pendant 20 ans à voir son nom et sa photo dans Le Courrier de Laval, déclare à Alexandre Gagné : « Ne pas signer nos textes, j’admets que ça me chicotte. On aime bien savoir qui écrit dans un journal » (Le 30, juin 2001). 235. Guy Lochard, «Genres rédactionnels et appréhension de l’événement médiatique », Réseaux, no 76, 1996.
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Dans Les journalistes, stars, scribes et scribouillards, JeanFrançois Lacan, ancien journaliste du défunt quotidien La Truffe, expose son désenchantement après la disparition de ce dernier : « Un ancien responsable de Libération, alors au poste de commande d’un magazine, m’invita immédiatement à déjeuner. Je m’y rendis, ému par ce témoignage spontané de solidarité. En deux heures, j’appris que j’étais un fossoyeur de la presse française, que La Truffe avait gravement compromis l’image des journalistes dans l’opinion et ouvert la porte à une rapide dégénérescence de la déontologie… Le magazine que dirigeait mon interlocuteur avait, lui aussi en son temps, suscité la réprobation du Tout-Paris médiatique en consacrant ses couvertures aux “traîtres”, aux “cons” ou autres “salauds”236. » François Ruffin va plus loin et explique, dans Les petits soldats du journalisme237, que la formation des journalistes français s’articule autour de trois principes : « Produire, abrutir, obéir ». «Comment définir le bon journaliste? C’est un technicien routinier qui bouche des colonnes avec ses articles, recopie les dépêches de l’AFP, enchaîne les micros-trottoirs, critique les livres sans les lire, conseille les films sans les voir, remplit de vide, mais vite et sur commande238.» Et d’ajouter: «Nous ne recherchons plus des infos, nous les recevons passivement. Nous attendons qu’elles tombent d’un film ou du ciel, prédigérées ou prérédigées239.»
L’homme tronc Au Québec comme en France, les journalistes sont devenus des ouvriers spécialisés du feuillet, des hommes (et des femmes) troncs vissés derrière leur micro. Non sans justesse, JeanFrançois Lacan décrit un problème courant dans le milieu : « J’ai 45 ans et 20 ans de journalisme… Si l’on excepte quelques
236. Jean-François Lacan, Michael Palmer, Denis Rullan, Les journalistes, stars, scribes et scribouillards, Paris, Éditions Syros, 1994. 237. François Ruffin, Les petits soldats du journalisme, Paris, Les Arènes, 2003. 238. Ibid., p. 23. 239. Ibid., p. 33.
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poèmes d’adolescent, j’ai toujours écrit sur commande. Douze feuillets pour la fin de la semaine, un tiers de colonne pour 9h30 ou le manuscrit complet pour le mois de septembre. Je n’aurais jamais imaginé rédiger quelque chose qui ne soit pas attendu dans une maquette… Quelque chose de gratuit qui ne vienne que de moi. » À part certains ténors qui savent se donner quelque liberté, les autres sont des ouvriers courbés sur leur clavier ou à tout le moins qui en donnent l’illusion. Ce que le public sait moins, c’est que la grande majorité des journalistes se passent d’écrire. En France ou au Québec, les rédactions des grands quotidiens comptent souvent au moins 250 journalistes. Combien de signatures retrouve-t-on dans les pages de ces quotidiens ? Moins d’une cinquantaine. Il y a certes les congés, les maladies, les maternités, mais où diable sont les 200 autres journalistes ? En France, le journaliste fait de la présence et ne quitte pas son clavier avant 19 heures pour se donner la bonne conscience d’un travail qu’il n’a pas fait. Au Québec, au moins, cette hypocrisie n’existe pas. Le système encourage des salles de rédaction importantes où les journalistes sont bien rémunérés. Plus le syndicat compte de membres qui touchent des salaires confortables, plus il perçoit de cotisations, plus il est riche et plus il a de pouvoir de négociation avec la partie patronale… Cette paix sociale est achetée pour les salariés syndiqués. Même si les salaires sont élevés dans les grands quotidiens, la masse salariale représente un pourcentage très faible, de 15 % à 20 %, des coûts… ce qui laisse à réfléchir.
Le stylo doré Dans son ouvrage Les médias québécois, Marc Raboy affirme à propos des journalistes que « si leur rang social est aujourd’hui relativement élevé, leur rôle de promoteur d’idéaux démocratiques s’est, par contre, passablement affaibli240 ». Comment un journaliste-pupitreur commençant sa carrière à 50 000 $ par an 240. Marc Raboy, Les médias québécois, Montréal, Gaëtan Morin, 2000.
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peut-il garder un lien avec la réalité sociale qui l’entoure ? Peutil encore avoir une certaine éthique ? La Fédération des journalistes du Québec (FPJQ), principal regroupement d’éditeurs et de journalistes, s’est donné un Code de déontologie pour la première fois en… 1996! Un code pour le moins non contraignant si l’on considère les différentes professions qui composent le Bottin de la FPJQ. Ignacio Ramonnet, qui n’est certainement pas parmi les plus mal lotis, remarque: «Les journalistes vivent dans un univers qui fait que quand ils vont dans certaines banlieues, c’est plus exotique que quand ils vont à Bagdad241.» Lorsqu’il atteint 40 ans en France et 25 ans au Québec (où les prêts immobiliers, automobiles ligotent la population plus jeune), le journaliste devient le grand reporter des palmarès de l’immobilier ou des dossiers chocs («Pourquoi les garçons réussissent-ils moins bien?»). Bref, le scribe, par lassitude ou par paresse, devient vite un esclave de son stylo doré. « Comment expliquer cette servitude volontaire ? Par la crainte, certes, de quitter une voie royale et stable pour les sables mouvants de la précarité242 », conclut François Ruffin. Le journalisme est devenu dans les faits un métier comme un autre qui tend à montrer à l’extérieur ce qu’il n’est pas. Florian Sauvageau et David Pritchard243 font part d’une révélation pour le moins surprenante : « Au Québec, la vaste majorité des journalistes lisent La Presse (86%). Près de la moitié (47%) parcourent les pages du Devoir, tandis que 43 % consultent Le Journal de Montréal ou Le Journal de Québec ».
Journal sans journalistes L’irruption des journaux gratuits donne un rude coût à la profession. Plus que la perte de l’aura – mais, comme nous l’avons vu, la profession dispose de bien des consolations –, ils s’attaquent directement au statut social des journalistes. Le 29 avril 2002, le 241. Les cahiers du journalisme, no 4, 1998, cité dans Les petits soldats du journalisme, p. 149. 242. Les petits soldats du journalisme, p. 184. 243. David Pritchard et Florian Sauvageau, Les journalistes canadiens, Québec, Presses de l’Université Laval, 1999.
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Syndicat canadien de la fonction publique déposait une demande d’accréditation syndicale pour les employés de Métro. Le 15 mai, Métro licenciait ses journalistes. La nouvelle a apporté de l’eau au moulin des détracteurs de la presse gratuite. Jean Mongeau, alors éditeur de Métro, déclarait à l’agence Presse canadienne : « Depuis l’arrivée du fil de NTR (de la Presse canadienne), en mars dernier, le comité de direction a évalué différents scénarios et a conclu qu’on pouvait opérer ce journal sans journalistes. La réalité montréalaise qui était couverte par nos journalistes sera couverte par la Presse canadienne. Nous allons travailler avec nos cinq pupitreurs-rédacteurs, nos deux chefs de pupitre et une traductrice pour le matériel de notre fil interne Metro World News, en provenance de Londres, et de l’agence Reuters. Notre modèle d’affaires est différent des quotidiens traditionnels. Notre objectif est d’opérer un journal au moindre coût possible tout en nous assurant de fournir l’information que les gens recherchent en qualité et en quantité.» Cette décision n’a pas déchaîné de vagues de protestation. Éditer un journal sans journalistes est passé comme une lettre à la poste et n’a pas soulevé le moindre problème d’éthique parmi les journalistes. Armande St-Jean, rapporteur du Comité conseil sur la qualité et la diversité de l’information244, reprend en préambule d’Éthique de l’information cette définition présentant cette dernière comme un compromis entre la morale et l’intérêt245. Michel Diard n’est pas de cet avis et s’enflamme dans Le Monde: «Ces gratuits qui alignent les dépêches d’agence peuvent être faits sans journalistes. Ils portent en eux-mêmes la mort du journalisme. » Pourtant, la presse française n’est pas plus vertueuse que la presse québécoise. Comme nous l’avons brièvement rappelé plus haut, les agences sont en train de prendre le 244. Comité conseil sur la qualité et la diversité de l’information – Analyses et recommandations, tome 1, et Les effets de la concentration des médias au Québec: problématique, recherche et consultations, tome 2 (consultables sur www.mcc.gouv.qc.ca/publications/). 245. Citation tirée de La valse des éthiques d’Alain Etchegoyen.
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pas sur le travail des journalistes. « L’AFP rend des services à la presse. Mais elle la pousse aussi à un suicide à feu doux. Elle uniformise246 », déplore François Ruffin. Les agences, Reuters, AP ou AFP, ne sont pas les seules à porter les germes de l’uniformisation. Les communiqués des banques, des entreprises, à peine relus, parfois réécrits constituent une prose recherchée dans les rédactions. Le journaliste, les chefs de services oublient souvent de vérifier les sources, et les résultats sont parfois surprenants, à en juger par le récent scandale Blair qui a touché le New Tork Times, journal jusqu’alors présenté comme un modèle à la presse mondiale. Des éditeurs exploitent sans vergogne les intellos précaires247 que sont les pigistes. En février 1999, L’Express publiait un horssérie de 80 pages sur le Québec dont il ne possédait pas les droits d’auteurs, dont il n’a jamais vérifié le contenu et qui avait fait l’objet d’une première publication six mois plus tôt chez un éditeur tout aussi indélicat, Français à l’étranger. En août 1999, le Guide du Routard trouvant les textes à son goût en reprenait une dizaine de pages, toujours sans vérification aucune248. De telles pratiques, malheureusement trop courantes, ne sont pas sans danger pour la crédibilité de la profession et montrent que tout n’est pas si rose dans le monde du journalisme. Un des torts des gratuits est de mettre ces pratiques à nu aux yeux du grand public.
Les dangers pour la profession Quelle est réellement la place des journalistes? Les vieux journalistes l’ont prédit depuis deux bonnes décennies, l’ordinateur va tuer le métier. L’ennemi hante désormais toutes les rédactions. 246. Les petits soldats du journalisme, op. cit., p. 260. 247. Beau concept développé par Anne et Marine Rambach dans leur livre Les intellos précaires, Paris, Fayard, 2001. 248. Isabelle Burgun, « Le guide du plagiaire », article paru dans Le 30, octobre 2001. La mésaventure est arrivée à l’un des auteurs de ce livre, Ludovic Hirtzmann, qui se verra répondre par le rédacteur en chef de l’Express Réussir, François Xavier Belus : « Je ne connais pas grand-chose aux droits d’auteurs » et par Philippe Gloaguen, directeur du Guide du Routard : « Contactez-moi avec un avocat. Des avocats, on en bouffe tous les jours. »
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Dans quelques années, des logiciels de rédaction automatisée vont pousser des wagons entiers de scribes à la ferraille, aussi facilement que ces derniers avaient jeté leurs vieilles machines à écrire. Et c’est sans compter les robots chargés de remplacer les journalistes sur le terrain. Le projet est loin d’être une utopie. Ces logiciels existent déjà et répondent depuis plusieurs années à une demande réelle. L’histoire se déroule à Kumanovo, à la frontière du Kosovo, en mai 1999. «Dis aux hommes de bouger avec un air un peu Rambo. Les journalistes aiment ça», ordonne un officier français à l’un de ses subordonnés. Surpris d’avoir été entendu par un des dits journalistes, l’officier demande : « Est-ce que je n’ai pas raison ? N’est-ce pas ce que vous voulez pour vos articles?» Le soldat est on ne peut plus au fait du reportage moderne. Désormais, dans les conflits, les médias se contentent de l’information que veulent bien leur jeter les militaires. L’époque du Vietnam, où le journaliste errait là où bon lui semblait est bien lointaine. Lors de la guerre du Kossovo, les envoyés des grands médias couvraient les hostilités depuis les corridors de l’hôtel Intercontinental de Skopje, la capitale macédonienne, située à quelques dizaines de kilomètres de la ligne de front. Bientôt, les grands reporters pourront même faire appel à un robot, l’Afghan Explorer, pour les aider à enrichir leurs colonnes.
Opinion d’Emmanuelle Tassé, journaliste indépendante Oui, bien sûr, toujours plus court, toujours plus simple, mais en bout de ligne, c’est toujours plus compliqué pour le lecteur moyen, qui à force d’omissions n’arrive plus à raccrocher les wagons. Il n’y a jamais aucun sens critique, par ailleurs, jamais. L’abolition de la chronique dans Métro me laisse croire que c’est bel et bien réfléchi. L’info brute ne permet pas, selon moi, de mettre les choses en perspective. Les plus fauchés d’entre nous n’achètent pas de journaux. Ils sont bien contents de trouver un journal gratuit et c’est très bien en ce sens-là. Mais les plus pressés doivent effectivement se contenter du Métro pour ne pas s’arrêter au kiosque et lire de longs articles
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plus fournis. Cela dit, la couverture de Métro est mauvaise, très incomplète, souvent en décalage avec celle des autres quotidiens. Bien des lecteurs ne doivent pas s’en contenter exclusivement très longtemps. Bref, pour être réellement dans la course, il faudra que Métro se dépêche et investisse, ne serait-ce que dans une équipe de journalistes.
De l’Afghan Explorer… «Depuis la guerre du Golfe, les reporters américains n’ont plus le droit de couvrir librement les événements. L’Afghan Explorer est une technologie pour aider à la compréhension de l’actualité internationale», explique sur son site Internet Chris Csikszentmihalyi. Fort de ce constat, ce professeur du Massachusetts Institute of Technology a fabriqué l’Afghan Explorer, un robot qui se rend dans les zones de conflits à la place des journalistes. Cet androïde tout-terrain, muni de quatre roues motrices, de batteries solaires et d’une caméra, intervient dans un « environnement physiquement ou politiquement trop dangereux pour que des reporters puissent faire leur travail ». Avec ses enregistreurs, ses caméras vidéo, ainsi qu’un système d’intercom qui permet d’effectuer des entrevues à distance, le robot est parfaitement autonome. Les informations recueillies sont transmises par satellite à la rédaction, qui n’a plus qu’à écrire l’article. Deux journalistes aux conceptions opposées du journalisme, l’un virtuel, l’autre de terrain, débattent. Pascal Lapointe, directeur de l’Agence Science Presse, estime que de tels automates «pourraient éviter à des journalistes d’aller se faire tuer sous une pluie d’obus ou de se faire tirer dessus par un sniper. Donc, de ce côté, c’est un progrès. Mais même en zone de guerre, des vrais journalistes qui auront des témoignages (de civils, en particulier) à recueillir, préféreront toujours y aller eux-mêmes. » De son côté, Alain Gerbier, président de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), est opposé à l’emploi de telles machines : « Le robot éliminera la peur, l’horreur, les émotions, le récit par un gars (ou une fille) marqué à jamais par ce qu’il a vu et vécu. Bref l’insupportable deviendra banal, une sorte 149
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de film hollywoodien. » M. Gerbier, enseignant en journalisme à l’UQAM, déplore en outre «qu’on ne se déplace plus, on n’éprouve plus la vérité sur le terrain et on entretient une promiscuité incestueuse avec des sources en nombre de plus en plus limité».
… au Columbia Newsblaster Mais l’Afghan Explorer n’est pas le seul à vouloir changer le visage du journalisme. Kathy McKeown, professeur en sciences informatiques à l’université Columbia de New York, a conçu un redoutable logiciel capable de produire des résumés d’actualité sur le modèle des dépêches d’agences de presse. Le programme se nomme Columbia Newsblaster et puise dans une dizaine de sources accessibles en ligne pour effectuer ses résumés. Parmi celles-ci, on retrouve Yahoo !, ABC News, CNN, CBC, Virtual New York, Washington Post, Wired, Fox News, NY Post, USA Today, Science Magazine, BBC News, Nature Magazine, MSNBC et Lycos. Le Columbia Newsblaster hiérarchise, synthétise l’information et fabrique une dépêche. Il est déjà possible de voir le programme à l’œuvre sur le site Columbia Newsblaster. Chaque jour, ce rédacteur virtuel propose de nouvelles dépêches. D’aucuns estiment que la plupart des articles comportent beaucoup trop de variables et reposent sur beaucoup trop d’éléments imprévus pour qu’un logiciel puisse tout prévoir… Il faudrait s’assurer que les textes que recrachent de tels logiciels sont vraiment lisibles, qu’ils ne comportent pas d’erreurs monumentales ! En effet, le Columbia Newsblaster est incapable d’analyser une situation et se contente pour l’instant de synthèses. Le journaliste et auteur Pierre Sormany rappelle que «l’acte professionnel du journaliste repose d’abord et avant tout sur l’exercice du “jugement”… Les seules personnes qui pensent qu’on peut remplacer le jugement journalistique par une procédure (aussi “intelligence artificielle” soit-elle) ignorent ce qu’est le journalisme ou en méprisent la valeur.» Non sans humour, Alain Gerbier estime pour sa part que «ces logiciels sont à la profession ce que la malbouffe est à la gastronomie… Un logiciel ne peut être que réducteur… L’information 150
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manque déjà de profondeur et de rigueur. » Le professeur de journalisme conclut : « Tout cela a été imaginé par des gens qui ignorent tout ou presque du journalisme. Personnellement je n’ai pas encore vu un logiciel qui doute. » Dans certains cas, comme la guerre américano-afghane, on peut en effet se demander si la couverture médiatique par un ordinateur n’aurait pas été préférable. Quoi qu’il en soit, Albert Londres est bel et bien mort.
Une formidable réussite Quelle que soit l’issue de l’aventure, Métro International a déjà réussi un formidable pari : celui d’implanter une vingtaine de quotidiens alors que ce secteur est en récession depuis des décennies. Le tirage a bondi de manière spectaculaire, passant de 180 000 exemplaires au départ, à Stockholm, à plus de 4 millions sept ans plus tard. La hausse la plus spectaculaire a eu lieu entre janvier 2000 et août 2001, période durant laquelle Métro International a ouvert 15 titres et accru son tirage de près de 2,5 millions d’exemplaires. Après les événements de septembre 2001, l’expansion du groupe s’est effectuée à un rythme plus lent. Quatre nouveaux titres seulement ont été lancés (et deux ont fermé) depuis l’automne 2001. Il faut dire que les journaux coûtent très cher : Métro admet – hors le lancement des trois numéros français – une perte d’un million de dollars en mars 2002. Limité dans la croissance du marché publicitaire, le groupe a procédé à des réductions d’échelle dont les grandes lignes sont la centralisation de l’achat de papier, une rationalisation de la distribution, la réduction des frais du siège et la mutualisation des textes par la création de l’agence de Metro World News. Fréquemment repris dans la page « Dossier » de Métro Montréal, les textes de cette agence ont permis de se débarrasser des trois seuls journalistes attachés à la rédaction. Même si l’expansion se fait à un rythme moins soutenu, les volumes sont tout de même impressionnants.
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Tirages et lectorat estimé des éditions de Métro (novembre 2002)249 Pays
Tirage
Lectorat
Lecteurs/ Exemplaire
Suède
462 000
1 057 000
2,3
Pays-Bas
322 000
1 157 000
3,6
Helsinki
114 000
272 000
2,4
Copenhague
220 000
489 000
2,2
France*
426 000
1 340 000
3,1
Espagne*
393 000
1 302 000
3,3
Italie
390 000
1 192 000
3,1
88 000
244 000
2,8
Hongrie
303 000
1 232 000
4,1
Varsovie
180 000
277 000
1,5
Prague
173 000
301 000
1,7
286 000
831 000
2,9
États-Unis (Boston et Philadelphie) 286 000
1 077 000
3,8
84 000
386 000
4,6
Hong Kong
290 000
478 000
1,6
Séoul
400 000
628 000
1,6
4 417 000
12 263 000
2,8
Europe du Nord
Europe méridionale
Athènes Europe orientale
Amériques Canada (Toronto et Montréal)
Santiago Asie
Totaux
* Concurrence avec 20 Minutes. 249. Source : Metro International : Fact Sheet. Ces chiffres varient de manière surprenante par rapport à ceux fournis en août 2002: les États-Unis passent de 2,2 lecteurs par exemplaire à 3,8, la Hongrie de 2,8 à 4,1 et ainsi de suite. Avec le même nombre d’éditions, le tirage gagne 500 000 exemplaires et le lectorat, près de 2 millions de personnes.
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Ces chiffres, fournis par Métro International, sont le plus souvent le fruit de sondages commandés par la société ellemême. Ils ne proviennent donc pas d’un tiers, ni d’un observateur impartial. Ils peuvent sembler fantaisistes (le nombre de lecteurs par exemplaire, par exemple, ne correspond ni à l’ancienneté du journal, ni au pourcentage de non-lecteurs parmi la population du pays, ni à une variable culturelle).
Un pari réussi Métro a amusé dans sa période de lancement : les patrons de presse connaissent la difficulté de maintenir les journaux à flot, la complexité de leurs marchés et, trop ancrés dans la certitude de la chute d’éventuels concurrents, ont peut-être pris le problème à la légère. Ils devraient y regarder à deux fois: le bilan de Métro n’est pas pour l’heure si négatif que cela et correspond en gros au plan de match annoncé. Il faut, bien entendu, prendre ces annonces avec prudence, car elles ne semblent pas avoir été vérifiées de sources indépendantes, mais, si les annonces de Métro International sont justes et sincères, le succès de la formule ne serait pas loin. Édition
Date de création
Profitabilité
Stockholm
Février 1995
Annuelle
Prague
Juin 1997
Trimestrelle
Göteborg
Février 1998
Annuelle
Budapest
Septembre 1998
Annuelle
Amsterdam et Rotterdam
Juin 1999
Annuelle
Malmö
Septembre 1999
Annuelle
Helsinki
Septembre 1999
Mensuelle
Philadelphie
Janvier 2000
Mensuelle
Santiago (Chili)
Janvier 2000
Annuelle
Newcastle
Janvier 2000
Vendu en décembre 2000
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Édition
Date de création
Profitabilité
Zurich
Mars 2000
Fermé au printemps 2002
Toronto
Juin 2000
Annuelle
Rome
Juin 2000
Mensuelle
Stockholm (quotidien du soir Everyday)
Août 2000
Fermé en mars 2001
Milan
Octobre 2000
Mensuelle
Buenos Aires
Octobre 2000
Fermé en 2002
Athènes
Novembre 2000
Trimestrielle
Varsovie
Novembre 2000
Montréal
Mars 2001
Barcelone
Mars 2001
Annuelle
Boston
Mai 2001
Mensuelle
Copenhague
Août 2001
Mensuelle
Madrid
Août 2001
Trimestrielle
Paris
Février 2002
Marseille
Février 2002
Lyon
Mars 2002
Mensuelle
Hong Kong
Avril 2002
Trimestrielle
Séoul
Mai 2002
Source : Métro International, Financial Results for Nine Months and Quarter Ended 30 September 2003, Luxembourg, 21 octobre 2003.
Toutes les éditions lancées depuis plus de trois ans (sauf à Varsovie) seraient bénéficiaires. Les éditions de Barcelone, Athènes, Madrid, Hong Kong et, dans une moindre mesure, Boston, Copenhague et Lyon seraient en avance d’un an ou plus sur leur plan de développement. Celle de Hong Kong était bénéficiaire un peu plus d’un an après son lancement… Montréal ferait d’ores et déjà 95 % de ses frais. La tendance se maintient : le quotidien est passé de cinq éditions bénéficiaires sur 23 (21 %) en 2001 et 10 sur 24 (41 %) en 2002 à 19 sur 24 (80 %) en 2003.
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De vraies questions, de vrais problèmes
Un outil formidable Le circuit de distribution court et alternatif s’avère un des outils essentiels, trop souvent négligé, de la réussite du quotidien. Comme Bic et Gillette, Métro doit être valorisé pour son réseau de distribution. Comme nous l’avons déjà évoqué, il serait vain de croire qu’à l’avenir il s’en contentera pour la distribution de son journal matinal : beaucoup de choses peuvent utiliser ce canal. Peu à peu, à coups de numéros spéciaux ou autres initiatives (distributions publicitaires par exemple), les journaux gratuits vont faire passer d’autres produits par ce « tuyau ». Le renforcement de ce réseau, court, rapide, économique, est un élément important de la réussite des quotidiens gratuits.
JS3M (Jan Stenbeck, Moi, Maître du Monde ?) Il est possible, malgré tout, de s’interroger sur les raisons de la boulimie de Jan Stenbeck, pourfendeur comme nous l’avons vu précédemment, des monopoles et des oligarchies dans le secteur des médias. La réponse paraît claire: à l’heure de la mondialisation, il lutte pour se faire reconnaître comme un acteur global dans le secteur des médias et pour, comme on le laisse entendre dans la plaquette de présentation250, « implanter des journaux dans des marchés existants ou sur de nouveaux marchés pour proposer des achats de publicité locale, régionale, nationale ou globale ». Son but ultime est de devenir incontournable et, grâce au fantastique réseau de Métro International, capter une part importante de la publicité mondiale – qui, comme chacun sait, devait être le moteur de feu la nouvelle économie. Bref, JS3M combat les monopoles pour imposer le sien. Tâche bien difficile. En plus des problèmes de rentabilité – et, dans l’immédiat, des problèmes de règlement de la dette –, un retournement de conjoncture et les pertes essuyées sur les divers marchés risquent de ne pas inciter les banques à encore plus d’aventurisme. Il est à craindre que la publicité globale ait 250. Metro International S.A. … a global message in local language.
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été engloutie avec le village mondial. Le monde de JS3M est aujourd’hui une vieille chimère : il était virtuel, il a disparu. Il serait sot pour autant de lancer la pierre au Suédois. D’autres se sont brûlé les ailes : qu’il s’agisse de Bronfman, l’ancien propriétaire de Seagrams qui a vendu ses alcools pour écrire des chansons à Céline Dion, de Jean-Marie Messier (qui, à ses beaux jours, réagissait avec gourmandise au surnom de J6M251), débarqué de l’aventure Vivendi alors qu’il voulait vendre ses eaux pour payer des cocktails à Hollywood, de Pierre K. Péladeau, propriétaire de Quebecor, toujours embarqué dans une folle tentative de convergence, et bien d’autres… Le projet de Jan Stenbeck n’est pas le plus fou, ni le plus flou. Il est même le plus pensé, le plus achevé et le plus réaliste. Pour cela, son projet demeure viable, même s’il est fragilisé par sa sensibilité à la conjoncture et l’importance de la dette accumulée depuis 1995. Schibsted, le promoteur de 20 Minutes, semble avoir absorbé le coût de son aventure : il a renoué avec les bénéfices au quatrième trimestre 2002 et annonce un bénéfice de 198 millions de couronnes (25,2 millions d’euros) en 2002, contre une perte de 423 millions en 2001. Cependant, même si la vision du monde qui a présidé à son hypothèse de départ semble démentie par les faits, Stenbeck est arrivé à s’implanter sur plusieurs marchés en faisant au besoin alliance avec un partenaire local. La réussite du golden boy nordique était impressionnante ; ses fonds semblaient inépuisables, ses défis, de plus en plus nombreux252. La question de savoir s’il deviendra le maître du monde des médias ou s’il sera emporté dans son krach restera à jamais sans réponse : Jan Stenbeck est mort le 19 août 2002 à l’hôpital américain de Neuilly.
251. Rien de moins que « Jean-Marie Messier, moi-même, maître du monde ». 252. Il était à l’origine du défi suédois de la Coupe de l’América.
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usqu’ici notre étude a traité des différences entre la presse gratuite et la presse traditionnelle, payante. Est-ce le bon paradigme ? La lutte est-elle entre, d’un côté, un « axe du mal » dirigé par Métro International et Schibsted et, de l’autre, les « bons » journaux traditionnels ?
Une fausse concurrence ? La réalité semble un peu plus compliquée car les deux secteurs sont largement imbriqués. Le principal exemple est bien sûr Schibsted, éditeur de presse payante en Norvège, en Suède et en Estonie et principal opérateur de 20 Minutes. Mais il n’est pas seul : au Canada, comme nous l’avons vu, le groupe Gesca (principal éditeur de quotidiens traditionnels au Québec) et Torstar (propriétaire du Toronto Star, principal quotidien de Toronto) sont partenaires de Métro International. En France, comme le rappelle Libération avec une pointe de jalousie, « c’est la grande partie de “chacun cherche son gratuit” à laquelle jouent de plus en plus d’éditeurs de presse payante253 ». Le Figaro (La ComaregHersant pour être plus précis) et Le Parisien sont devenus coactionnaires du journal A Nous Paris. France Soir imprime Métro et aurait engagé des négociations au sujet d’une éventuelle fusion avec ce titre. Le Monde fait rouler sur ses rotatives une partie de 20 Minutes, dans lequel Ouest France détient une importante
253. Libération du 11 décembre 2002.
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participation par le biais de ses filiales Spir et Sofiouest. L’implication de Quebecor, quant à elle, est transatlantique ; le groupe est fortement engagé non seulement dans les gratuits au Québec (hebdomadaires et Montréal Métropolitain/24 heures), mais aussi en France, où il est le principal imprimeur de 20 Minutes. Voilà de multiples indices qui laisseraient croire que les journaux gratuits et les journaux payants ne jouent pas dans deux catégories différentes, que leurs natures ne divergent pas de manière définitive, que leurs positions ne sont pas inconciliables, que cet «axe du mal» a trouvé des terrains d’entente avec celui du «bien». L’évolution des débats et des polémiques illustre assez bien le phénomène.
La propagande Dans Le Nouvel Observateur254, Frédéric Filloux, directeur de la rédaction de 20 Minutes, voyait à terme, chez les jeunes nonlecteurs devenus des lecteurs de 20 Minutes et de Métro, une clientèle potentielle pour la presse quotidienne payante : « Une part du public s’habituera à lire un quotidien tous les jours et s’orientera, un jour, vers la presse payante. » Il juge (sur quelles bases ?) que cette situation se produit avec 20 Minutes à Zurich. Les dirigeants de gratuits se défendent donc d’être des concurrents des quotidiens payants.
254. Le Nouvel Observateur du 13 juin 2002.
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Luciano Bosio255, vice-président de Carat Expert256, abonde dans ce sens et juge que «les quotidiens gratuits ne seront jamais en mesure de satisfaire les lecteurs des catégories socioprofessionnelles supérieures. Il n’y a pas d’offre de quotidien populaire. » Un postulat que réfute le directeur de la rédaction de 20 Minutes. Selon Frédéric Filloux, « la presse gratuite n’est pas uniquement lue par les couches populaires. Un titre comme 20 Minutes est lu par plus de cadres supérieurs que Le Figaro et Libération. » Approche partagée par Anne Chaussebourg, du Monde, qui voit dans 20 Minutes un tremplin pour son lectorat: «Nous avons l’espoir de redonner l’habitude à de jeunes lecteurs de lire un quotidien payant tous les jours. Et nous entendons remédier à l’échec d’InfoMatin [dans lequel Le Monde avait pris une participation] qui demeure, à nos yeux, une expérience intéressante. De fait, surnommé “Le petit Monde”, ce quotidien incitait les lecteurs à acheter Le Monde l’après-midi afin d’avoir un complément d’information sur les sujets d’actualité. Nous étions entièrement opposés à l’apparition de quotidiens comme Métro ou 20 Minutes 255. M. Bosio est arrivé à passer pour une référence incontournable dans l’étude de la presse gratuite. Il est consulté aussi bien par le journaliste de CB News, que par ceux du Monde, du Nouvel Observateur ou des Échos. Seul, celui des Échos indique qu’il est à la fois juge et partie, puisque Carat est propriétaire de la société qui diffuse 20 Minutes. M. Bosio appartient au microcosme du Paris branché. Voici comment le décrit Le Nouvel Observateur : « Luciano Bosio, il a l’oreille des managers de la presse. Cet ancien journaliste radio de Turin, débarqué à Paris en 1981 à l’âge de 33 ans, est un francophile de toujours : “Turin, c’est la Savoie, la Savoie, c’est la France !” Bosio s’occupait alors des médias au sein de l’institut Ipsos. Aujourd’hui directeur général adjoint de Carat Expert, il conseille les éditeurs de presse. Si son bureau est à Courbevoie (« en province ! »), il habite dans le Marais : “Dès 1984, je me suis débarqué là-bas et aujourd’hui c’est le meilleur endroit pour vivre: c’est le quartier numéro 1 au niveau des tendances !” Toujours à l’avant-garde, c’est son job. » 256. Sur son site Internet (www.carat.fr), la société se présente comme «le groupe de communication leader français du Conseil Média et de l’achat d’espaces, et le partenaire de près de 500 annonceurs. Notre métier : imaginer et déployer des stratégies d’investissement des moyens de communication au bénéfice du développement des marques et du business de nos clients » et pas du tout une simple société d’étude des médias, comme l’indique Le Nouvel Observateur.
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dans la mesure où ces derniers ne se situent pas dans la logique et les contraintes de la presse quotidienne nationale payante sur le marché parisien. » En matière publicitaire, il semblait même possible que les gratuits empiètent sur le marché des circulaires et pas forcément sur celui du marché publicitaire des autres quotidiens. L’ambiance semblait idyllique et Frédéric Filloux se disait prêt à rémunérer les kiosquiers: «Le principal obstacle vient des syndicats et de la direction du Livre. Les kiosquiers n’auraient pourtant rien à perdre à distribuer nos gratuits: ils recevraient directement une pile de journaux le matin et n’auraient pas à craindre les invendus ou les indonnés, en l’occurrence257.»
La guerre Malgré tout, les gratuits ont été accueillis par leurs confrères de la presse payante avec un mélange de morgue, de dédain, d’anathème et d’inquiétude. Les réactions ont été de deux natures : un accueil idéologique où les étiquettes de « macdonalisation », de produits jetables, etc. ont fusé ; un second accueil, sur le terrain, qui a lancé une confrontation sous forme d’actions syndicales violentes (en France) ou d’actions en justice (à Montréal). Enfin, phénomène plus classique, on a assisté à l’émergence à de nombreuses reprises (Newcastle, Cologne, Toronto, Montréal, Marseille…) d’un gratuit concurrent afin de couper l’herbe sous le pied rapidement à l’intrus. C’est ce qui s’est produit lors du lancement de 14 éditions de Métro. Cette dernière stratégie a donné des résultats contrastés : réussite totale à Newcastle et Cologne, où Métro et 20 Minutes ont dû fermer leurs éditions; résultat mitigé à Toronto, où l’issue ne satisfait pas tous les acteurs de la presse payante; attente (doublée d’une guérilla juridique) à Montréal et Marseille, où l’issue du processus n’est pas encore connue. L’issue est plus incertaine dans le cas d’une concurrence entre Métro et 20 Minutes. Ce dernier a gagné à Zurich, mais «la lutte continue» en Espagne et à Paris. 257. Communication CB News du 14 juin 2002.
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Quoi qu’il en soit, la première réaction des journaux payants a été franchement hostile. Serge July, comme Le Monde, sont rapidement montés au créneau : « Les gratuits se conduisent en flibustiers… Ils créent une inégalité économique fondamentale entre les vrais quotidiens et le papier journal. Le respect des lois s’impose à tous. Il est dans les attributions des pouvoirs publics de les faire respecter, jusqu’à ce qu’on juge nécessaire de les changer258… » « Au-delà des arguments économiques, une question de principe est posée : n’est-ce pas dévaloriser l’information que de la rendre gratuite? N’est-ce pas induire que le journalisme n’apporte aucune plus-value ? Depuis le XIXe siècle, les journaux dépendent principalement de deux sources de revenus : la contribution des lecteurs et l’apport de la publicité. Renoncer à la première, c’est préparer le terrain d’une uniformité mortelle pour l’information259. » Cet éditorial a été suivi, quelques jours après, par un article – « La concurrence des gratuits fragilise les quotidiens populaires en Europe » – où, citant Luciano Bosio, Le Monde écrit que «l’effet sur la presse payante n’est pas généralisé, il est souvent immédiat en année 1 et se concentre sur les quotidiens en difficulté et les journaux populaires260 ». Au Québec, les réactions ont été comparables. Jean-Claude Leclerc écrit dans Le 30 : « Alors que les spéculations vont bon train à Toronto sur le sort incertain du National Post, une enquête de tirage confirme que les quotidiens gratuits de la Ville reine auront finalement sapé les positions des journaux en place. À Montréal, région qui compte également quatre quotidiens ainsi que deux titres gratuits, reste à voir si ce genre de concurrence improvisée aura un effet analogue261. »
258. Libération du février 2002. 259. Éditorial « Le prix de la gratuité », Le Monde du 18 février 2002. 260. «La concurrence des gratuits fragilise les quotidiens populaires en Europe», Le Monde du 21 février 2002. 261. Jean-Claude Leclerc, « Les cannibales auront gâté la sauce », Le 30 (mensuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec), octobre 2001.
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Entretien avec Olivier Schmouker, journaliste à Infopresse Pensez-vous qu’il y a un concept Métro ? Oui, il est clair que le format, la maquette et le contenu se distinguent des quotidiens payants. Le mandat d’être un quotidien lu en 20 minutes me paraît rempli. Ça permet un survol de l’actualité. Selon vous, peut-on parler d’une concurrence presse gratuite/ presse payante ? Quels seraient à terme les quotidiens montréalais susceptibles de pâtir le plus de la présence de Métro et de Montréal Métropolitain ? Oui, la concurrence est directe. D’ailleurs, NADbank a sorti les premiers chiffres qui montrent une baisse du lectorat des payants à cause de l’arrivée des gratuits. Quels sont, selon vous, les atouts et les limites de la presse gratuite? Je ne vois que des atouts au fait qu’il y ait le choix entre plein de quotidiens. Le mandat des gratuits est limité : survol de l’actualité en 20 minutes, assorti d’infos pratiques (grille télé, …). Les gratuits remplissent bien leur rôle (pour le Métro, en tout cas). Les payants, spécialement au Québec, tirent quant à eux leur force des chroniqueurs, pas de l’information brute que l’on retrouve partout ailleurs gratuitement (télé, radio, Web, quotidiens gratuits, etc.). Par exemple, quand on demande aux gens pourquoi ils lisent La Presse, ceux-ci répondent automatiquement que c’est parce qu’ils adorent Foglia ou Cousineau. Il n’est donc pas question de limites ou d’atouts des gratuits. Il est juste question de mandats qui sont différents et, par conséquent, qui ne se comparent pas vraiment.
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À propos de Métro, un journaliste du Monde a parlé de « McDonald’s de l’information ». Qu’en pensez-vous ? Concernant les remarques acerbes, qui tiennent plus du coup de gueule que de l’analyse, elles n’offrent aucun intérêt. L’évolution de ces commentaires est intéressante. Le Monde considère actuellement que les gratuits sont très intéressants, depuis qu’il est devenu partenaire de l’un d’eux… Enfin, il n’est pas inutile de relire le livre de Pierre Péan La face cachée du Monde, dont de larges passages traitent justement du comportement pour le moins particulier de Jean-Marie Colombani à l’égard des gratuits. C’est très révélateur de la rivalité entre quotidiens payants et quotidiens gratuits…
Une drôle de guerre Les patrons de presse (les éditeurs) laissent entendre une autre musique. Ils ne s’y sont pas trompés : les quotidiens gratuits représentent un secteur où ils auraient tort de ne pas être présents. Comme l’écrit avec candeur Bertrand d’Armagnac dans Le Monde262, « après une phase d’opposition résolue, au moment du lancement de 20 Minutes et de Métro, les quotidiens payants réagissent, soit par des accords commerciaux, soit par l’évolution de leur formule ». C’est le cas au Canada. Pas moins de trois gratuits se sont combattus en 2001 à Toronto. Cette bataille s’est soldée par la perte de 377 500 exemplaires en semaine pour les principaux quotidiens payants. Une situation de perdant-perdant par excellence ! Métro et le Toronto Star ont déposé les armes et ont négocié la fusion de leurs titres dans Metro Today. Depuis, l’entreprise est florissante et, d’après Métro International263, est devenue rentable en moins d’un an.
262. Bertrand d’Armagnac, « Les quotidiens gratuits n’ont pas encore trouvé leur rentabilité », Le Monde du 24 février 2003. 263. Metro International, Financial Results for the Fourth Quarter and Full Year 2002, 11 février 2003.
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Au Québec, la situation est comparable. Elle se double aussi d’un lourd contentieux entre Transcontinental et Quebecor. Actionnaire de Métro Montréal, Transcontinental a été rejoint dans cette entreprise par le groupe Gesca, principal concurrent de Quebecor dans la presse quotidienne francophone264. Guy Crevier, P.D.G. de Gesca, déclarait : « Je ne peux pas être absent de ce marché-là… Métro est un produit “de très haute qualité” qui peut contribuer à l’augmentation du taux de lecture des quotidiens vendus. La participation minoritaire acquise par Gesca lui donnera “un droit de regard” sur l’évolution de l’entreprise. » Par ailleurs, la gratuité n’est pas totalement étrangère aux médias traditionnels. C’est souvent le cas pour leurs sites Internet. André Provencher, vice-président de Gesca, se félicitait il y a peu de la position de référence du site Cyberpresse pour « quiconque recherche une information brève, de qualité et continuellement actualisée265 ». Information brève, de qualité… c’est la petite musique des gratuits. Il semble que les journaux traditionnels ne veulent pas manquer ce train où certains de leurs confrères, comme Le Figaro, Ouest France, Quebecor et Transcontinental, sont déjà largement installés. En France, pour avoir négligé ce vecteur, les journaux ont assisté à l’hémorragie des petites annonces vers ce support. 20 Minutes comptait dès l’origine le puissant quotidien régional Ouest France parmi ses actionnaires. Après de nombreux atermoiements266, il a conclu un accord avec Le Monde, épisode qui a enclenché une crise dont les répercussions n’ont pas encore fini de se faire sentir. Le signal en a été donné par un article du
264. Gesca contrôle, à travers ses sept quotidiens, 45 % du tirage de la presse francophone au Québec, alors que Quebecor, propriétaire du Journal de Montréal et du Journal de Québec, ne détient que 42 % du marché. 265. « Cyberpresse et La PresseAffaires.com obtiennent des résultats enviables », La Presse du 26 avril 2003. 266. L’observatoire des médias Acrimed (http://acrimed.samizdat.net) suit de près ce dossier et s’interroge sur ce qu’il appelle Le double jeu du Monde.
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Monde affirmant que «l’arrivée des gratuits d’information n’a pas d’impact tangible sur les quotidiens payants267 », qui a surpris d’autant qu’il tranchait énormément avec les précédents articles. Dans cet article, Le Monde assurait notamment que France Soir, « en grande difficulté depuis des années, ne serait pas non plus touché jusqu’à présent par ces rivaux d’un nouveau genre, à en croire le directeur de publication ». Le Monde rapportait qu’une étude d’une association mondiale d’éditeurs et d’imprimeurs indiquait que « l’apparition de ces journaux nuit essentiellement aux titres payants les moins bien implantés, en particulier à ceux qui ne peuvent affirmer un positionnement clair ». Cette volte-face a largement intrigué ses confrères. L’Expansion268 avait déjà expliqué que le quotidien avait eu de longues tractations avec Schibsted, fait un intense lobbying pour 20 Minutes avant le lancement du quotidien gratuit et « réclamait 875 000 euros au quotidien gratuit pour le temps passé à étudier cette prise de participation ». De son côté, L’Express269 expliquait que cette somme « constituait le coût de la caution morale qu’aurait représenté l’entrée du Monde dans le tour de table de 20 Minutes ». Libération270 avait repris ces informations et écrit que « le quotidien de l’après-midi avait dénoncé avec force, dans un éditorial, l’arrivée en France des deux quotidiens gratuits Métro et 20 Minutes. Il a pourtant envisagé d’entrer dans le capital du second ». Cela a, bien sûr, été rapidement démenti par M. Colombani, qui affirmait que « cette histoire de négociations avec 20 Minutes est une plaisanterie. Nous avons discuté comme d’autres. Si ces journaux étaient imprimés dans les conditions de la presse parisienne, ce serait une distorsion de moins. Quant à imprimer 20 Minutes, c’est une question qui n’a aucun sens271. »
267. « L’arrivée des gratuits d’information n’a pas d’impact tangible sur les quotidiens payants », Le Monde du 25 avril 2002. 268. « Le Monde présente la facture à 20 Minutes », dans L’Expansion no 662, avril 2002. 269. L’Express du 21 mars 2002. 270. « Le Monde accusé de double jeu », dans Libération du 22 mars 2002. 271. Correspondance de la presse du 4 avril 2002.
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Il semble au contraire que cela ait pris quelque sens puisque, depuis novembre 2002, les rotatives du Monde impriment une partie du quotidien gratuit272. Il ne s’agissait pas d’une folle rumeur. Dans La face cachée du Monde273, Pierre Péan et Philippe Cohen affirment que «Le Monde d’entrée de jeu se dit séduit par le projet et s’engage à mettre en œuvre tous les moyens intellectuels dont il dispose pour faciliter la réussite de ce projet274 » et a, contre la promesse de cession de 2,5 % des parts, lancé une importante action de lobbying, notamment auprès du gouvernement et de France Rail. 272. Voici la réaction du site acrimed dans Accord conclu : « Le Monde vend sa vertu à 20 Minutes » : «La discrétion du Monde à commercer avec un quotidien gratuit n’a d’égale que la véhémence avec laquelle il dénonçait cette presse en février 2002. Le 6 novembre 2002, la lettre quotidienne par e-mail de CB News a révélé qu’à partir du lundi 18 novembre Le Monde Imprimerie imprimera la moitié des 450 000 exemplaires du quotidien gratuit 20 Minutes datés du lundi et du mardi. “Cet accord signé fin juillet a clos le conflit avec Le Livre CGT”, précise CB News. La stigmatisation des gratuits a mobilisé plusieurs articles et un éditorial du quotidien du soir, ce contrat avec le diable n’y a pas mérité la moindre brève. Le Monde n’avait par contre pas manqué d’informer ses lecteurs des discussions puis de l’accord entre France Soir et Métro, le premier imprimant le second.» Dans le chat où il réagissait pour la première fois après la parution du livre de Péan et Cohen, M. Colombani jouait la dialectique main droite-main gauche : « Il n’y a pas de lien entre la liberté des journalistes qui peuvent s’inquiéter, à bon droit, du développement de la presse gratuite et une politique d’entreprise – en l’espèce, celle de notre filiale d’impression.» Alain Minc a réitéré la même astuce dans un entretien avec Le Figaro (du 1er juillet 2003) : « L’imprimeur que nous sommes souhaite que la presse gratuite perdure et se développe. Quant à l’éditeur que nous sommes également, il ne peut pas apprécier la presse gratuite. Mais ça, c’est le propre de la vie économique, souvent schizophrène.» 273. Pierre Péan et Philippe Cohen, La face cachée du Monde : du contre-pouvoir aux abus de pouvoir, Paris, Éditions Mille et une nuits, février 2003. 274. Les auteurs vont même plus loin et affirment que Le Monde et Schibsted avaient signé un protocole d’accord, réservant 7,5 % du capital à prix de souscription et avec crédit de paiement au premier, qui s’engageait à : – Faciliter les contacts dans le cadre de la recherche de partenaires financiers et industriels; – Mettre en œuvre son influence pour contribuer à établir une image de marque positive pour 20 Minutes France, tant auprès de l’opinion publique que dans le monde de la presse et de la publicité ; – Mettre en œuvre toutes autres interventions par lesquelles Le Monde apporte son soutien bienveillant à 20 Minutes, notamment auprès d’acteurs, d’institutions ou de sociétés ayant une quelconque influence sur la réussite du projet…
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Ouest France et Le Monde ne sont pas seuls. France Soir, d’une part, Le Parisien et Le Figaro, d’autre part, ont sauté le pas et ont conclu des partenariats avec respectivement Métro et A Nous Paris. Avant même que la moitié du tirage de 20 Minutes (225000 exemplaires) soit fabriquée par Le Monde Imprimerie275, 30 000 exemplaires de Métro utilisaient les rotatives de France Soir. En s’alliant à Métro, France Soir se donne une bouffée d’air (visiblement saturé de CO2) en faisant fonctionner ses rotatives. L’histoire n’est d’ailleurs pas finie: en recherche de partenariat et d’argent frais, Métro est, d’après la Lettre de l’Expansion, prêt à toutes les alliances. Il aurait pressenti le groupe Amaury, propriétaire du Parisien, le groupe Hersant, éditeur du Figaro, et même envisagé une fusion avec France Soir276, pour finir par s’allier avec le puissant groupe privé TF1 (télévision), qui est entré en septembre 2003 dans le capital de Métro à hauteur de 34,3%. Le Parisien quant à lui s’est allié avec la Comareg, deuxième groupe de presse français de journaux d’annonces gratuites (derrière Spir), pour faire l’acquisition de 50 % d’A nous Paris. Comme le dit Libération277, «de plus en plus d’éditeurs de presse payante jouent à “chacun cherche son gratuit”278 ». En bon analyste, Frédéric Filloux explique que « tendanciellement, [les groupes de presse] passent d’une posture défensive – tuer l’intrus – à une posture offensive – investir le marché des gratuits pour canaliser et créer de futurs lecteurs vers leurs titres-phares. Cette évolution est perceptible partout dans le monde, où, dans de nombreux cas, les gratuits ont agi comme un stimulus pour l’innovation éditoriale279.» Beaucoup d’entreprises de presse adhèrent à ce raisonnement. Plusieurs d’entre elles ont
275. Avec un surcoût de 50 % selon Pierre Péan et Philippe Cohen. 276. Le Figaro du 5 juin 2003 et Libération du 7 juin 2003. 277. Libération du 11 décembre 2002. 278. La situation est désormais encore plus limpide: Métro a annoncé son alliance avec la puissante chaîne de télévision TF1, qui vient de prendre 34,3 % de participation dans le capital de Publications Métro France, la filiale de Métro International qui gère les éditions françaises du quotidien. 279. Le Monde du 23 février 2002.
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examiné avec soin le dossier 20 Minutes, voyant la possibilité de participer à la création d’un gisement de futurs lecteurs dont ils auraient été, au final, les premiers bénéficiaires. Seul le groupe Sofiouest/Spir Communication a poussé la logique à son terme en s’associant avec le norvégien Schibsted dans 20 Minutes France…
Que cent feuilles s’épanouissent, que cent gratuits rivalisent Ces initiatives ont crédibilisé le phénomène de la presse gratuite. D’après Pascale Santi, «il n’y a pas un éditeur de presse payante qui ne s’intéresse de près au dossier des gratuits. 20 Minutes et Métro, désireux de s’implanter en province ont approché les groupes de presse quotidienne régionale pour étudier des projets communs280.» 20 Minutes a déjà quatre éditions, Métro a lancé, le 5 mai 2004, sa sixième édition française à Bordeaux. Parrainé par le champion de judo David Douillet, le magazine Sport281 sera diffusé à Paris, en Île-de-France, à Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Rennes, Strasbourg et Toulouse, avec pour objectif avoué de concurrencer L’Équipe Magazine, hebdomadaire distribué avec le quotidien du groupe Amaury. M. Patrick Le Lay, P.D.G. de TF1, a laissé entendre, dans un entretien avec Le Monde, que son groupe « pourrait imaginer un développement dans la presse de sport gratuite282 ». Après une guerre violente, les groupes de presse payante ont compris qu’il valait mieux composer et s’allier avec les journaux gratuits plutôt que de les affronter. Selon La Tribune283 et Libération284, les groupes de presse Amaury (Le Parisien, L’Équipe…), Hachette Filipacchi Médias (La Provence, Nice-Matin, 280. « Les titres gratuits attisent la convoitise de la presse payante », Le Monde du 18 novembre 2003. 281. Pour être distribué dans les gares SNCF et dans les clubs de sport, Sport a conclu des accords avec France Rail publicité et avec Club Med Gym. 282. Le Monde du 7 octobre 2003. 283. La Tribune du 16 décembre 2003. 284. « Gratuits : la riposte en chantier », Libération du 19 décembre 2003.
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Var Matin, ainsi que des intérêts dans le groupe Amaury, dans La Dépêche du midi et dans Le Midi libre…) et la Socpresse (Le Figaro, Le Progrès, Le Courrier de l’Ouest, La Voix du Nord, Le Maine libre, Presse-Océan, Nord éclair, Le Dauphiné libéré, Le Bien public…) travaillent à rien de moins qu’un projet de quotidien national gratuit reprenant la formule du Marseille Plus. Sur l’exemple de Métro, qui décline des versions parisienne, lyonnaise et marseillaise, ce quotidien aurait tout d’un journal national sans en être vraiment un. Ce serait un journal de type nouveau, le regroupement sous un titre commun d’une dizaine de quotidiens gratuits élaborés en liaison avec le quotidien régional local, couvrant une large part du territoire et vendus aux annonceurs (par une régie publicitaire commune) comme un national. Le groupe Amaury lancerait un troisième gratuit parisien, tandis que Hachette, déjà éditeur de Marseille + lancerait un gratuit à Nice (avec l’aide de Nice Matin), voire Montpellier, Toulouse et Bordeaux. La Socpresse quant à elle se chargerait d’un gratuit à Lyon, en s’appuyant sur Le Progrès, ainsi qu’à Lille, où elle détient La Voix du Nord, et à Strasbourg. Le lancement de ce titre permettrait de concurrencer 20 Minutes et Métro et de récupérer une part de la publicité nationale.
Petite musique avant la nuit ? Cette stratégie n’est pas sans danger. Lancer un gratuit dans sa zone d’influence revient, pour un quotidien régional, à «se tirer une balle dans le pied». À qui prendra-t-il de la publicité si ce n’est, pour une grande partie, à lui-même? Lorsque Métro fait 100$ de publicité sur un marché, il engrange 100$. Lorsqu’un gratuit qui est l’émanation d’un payant fait de même, il faut soustraire de cette somme le transfert de publicité du payant au gratuit285. Les choses ne sont donc pas si tranchées. Il est en partie faux de vouloir opposer la presse payante et la presse gratuite. Avant d’être les garants de la démocratie et les meilleurs amis des
285. L’association entre Métro et le Star, à Toronto, n’est pas vraiment un contreexemple : il existe quatre quotidiens payants sur le marché torontois.
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citoyens, les entreprises de presse sont avant tout des sociétés qui ne se soucient de la diversité d’opinion ou du monopole que lorsque cela sert leurs intérêts. On peut par contre tout craindre de l’aspect girouette des entreprises de presse qui n’ont pas peur d’adorer ce qu’elles rejetaient encore il y a peu – y compris en imaginant des fonctionnements tout à fait inédits. On peut tout craindre de ce soudain intérêt pour la presse gratuite. Cet engouement ressemble dangereusement à celui qu’on a montré pour Internet il y a quelques lunes. N’oublions pas que la bulle a éclaté !
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ors du lancement des quotidiens gratuits, la « presse de qualité » était persuadée, ou du moins faisait semblant de croire, que la presse gratuite ne survivrait pas aux rigueurs d’un marché déjà saturé. Erreur. Qu’on l’aime ou pas, la presse quotidienne gratuite semble là pour durer; Métro et 20 Minutes ne sont pas des feux-follets. Appuyés par des groupes financiers puissants, ils se posent peu à peu en acteurs de la presse quotidienne. Sur son site Internet, 20 Minutes note que «les quotidiens gratuits d’information de qualité sont des médias de conquête qui élargissent partout en Europe le marché originel des journaux payants… 20 Minutes est distribué au cœur de la ville auprès d’une population de 20-40 ans urbaine et mobile, peu lectrice de presse quotidienne, mais consommatrice de médias et d’informations proches de ses centres d’intérêts286. »
Une place dans les paysages quotidiens Les gratuits ne sont pas sans faiblesses. Leur dépendance absolue à l’égard du marché publicitaire pourrait leur coûter très cher en cas de retournement de conjoncture économique. Il reste que les réussites des gratuits culturels ou des hebdomadaires de petites annonces montrent qu’une telle presse est viable. La presse gratuite entraînera un bouleversement beaucoup plus important qu’il n’y paraît. Les victimes ne seront peut-être pas celles qu’on attend. Au Québec, Le Devoir peine à maintenir son tirage ; en France, Libération semble prendre le choc de plein
286. Dès l’automne 2002, 20 Minutes annonçait 967000 lecteurs de 15 ans et plus en Île-de-France, dont 57 % entre 15 et 34 ans, le véritable cœur de cible.
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fouet287. De nombreux lecteurs sont attirés par les brèves, les informations concises. Les quotidiens d’analyse ont une part de responsabilité : certains oublient leur vocation première qui est d’informer et d’expliquer, d’aider à donner du sens aux événements. Le recours massif aux dépêches d’agences de presse et aux accords de partenariats avec d’autres journaux uniformise et appauvrit l’information. Abreuvés aux mêmes sources, les quotidiens gratuits livrent souvent les mêmes informations que leurs confrères payants. De plus en plus de lecteurs se poseront la question : pourquoi payer pour une information qu’on peut obtenir gratuitement ? Les transports en commun seront les transports de ce siècle. Les journaux gratuits l’ont compris et, utilisant les ressources des réseaux, ont conçu une nouvelle presse étroitement associée avec ce moyen de déplacement. Cette association remplacera à terme le couple radio-automobile. On a parfois évoqué l’aspect France Info (ou LCN) de la presse écrite. La métaphore pourrait être féconde. Les promoteurs des quotidiens d’informations générales gratuits ont eu le génie de ne pas proposer une nouvelle publication bon marché dans les kiosques, mais de s’adapter aux horaires, aux habitudes et aux parcours de leurs lecteurs potentiels. La presse gratuite est en train de révolutionner le secteur. Les gratuits tirent leur force de tout ce que la presse quotidienne payante a de préhistorique: réseaux de distribution lourds et coûteux, maquettes peu adaptées au monde moderne, impression parfois de mauvaise qualité… Par leur rapprochement (en termes de vacuité ou de légèreté de contenu) avec les médias prétendument modernes que sont la télévision et Internet, les quotidiens gratuits d’informations générales sont des journaux de type nouveau, dans le fond très
287. Libération ne compterait plus que 887000 lecteurs et aurait chuté de 11,5% durant le second semestre 2002 et le premier semestre 2003 (source EuroPQN). En novembre 2003, selon l’Observatoire de l’écrit, la situation s’était encore aggravée: Le Monde avait enregistré une baisse de plus de 12% de ses ventes en kiosque en mai et juin, Libération, une baisse de 10 % et Le Figaro, une baisse de 7%.
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différents des journaux traditionnels, mais capables, en jouant sur la proximité des formes, de les menacer durablement. Il faut se garder d’opposer de façon trop frontale la presse gratuite et les journaux traditionnels. La presse est déjà largement une industrie où la notion de profits prime sur le rôle d’information des citoyens. Les passerelles sont jetées. La « course au gratuit » qui s’amorce donne furieusement l’impression qu’on s’élance contre un mur ou, au choix, dans le vide. Comme la presse n’est pas le seul domaine où s’exerce une telle fascination, on peut en donner pour illustration la situation des musées en France288. Depuis la fin de l’année 2001, la ville de Paris a instauré la gratuité d’accès à ses collections permanentes. Contrairement aux musées nationaux, qui ont maintenu leur politique tarifaire et enregistré une baisse de ventes de billets de 7 % entre 2002 et 2003, l’effet ne s’est pas fait attendre pour les institutions gérées par la ville de Paris : 78 % de hausse de fréquentation, captation d’un nouveau public («jeunes», de «proximité» et familles). Mais, comme toute médaille, cette réussite a son revers : le manque à gagner. Les 424000€ de recettes aux entrées en 2001 ont disparu et la politique d’acquisitions est passée de 3,8 millions d’euros et 3,9 millions d’euros en 2002 et 2003 à 1,1 million en 2004. Bref, en devenant gratuits, les musées s’appauvrissent ! Le même sort pourrait menacer l’information.
Quelle place pour les journalistes ? Pendant longtemps chiens de garde de la démocratie, les journalistes ont « remué le couteau dans la plaie » et ont joué un rôle politique et social important. Leur engagement et la crainte qu’ils inspirent aux dirigeants politiques et économiques ont largement contribué à la valorisation de cette image et de leur statut social. Aujourd’hui, ces dirigeants tiennent une chance de revanche : quelle sera l’autonomie des salles de rédaction entièrement dépendantes des annonceurs? Comme Hubert Beuve-Merry, pour qui il était « dangereux que la vie du journal soit assurée dans
288. « La gratuité fait recette dans les musées de Paris », Le Monde, janvier 2004.
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une proportion trop large par la publicité, car cela le met à la merci d’un chantage », nous pensons que cela ne peut que fragiliser les journaux et les journalistes, qui doivent respecter de plus en plus les « vaches sacrées » que sont la banque et l’immobilier en France ou les placements financiers et l’automobile en Amérique du Nord. La pression des annonceurs est partout de plus en plus forte. « Mettre la publicité au poste de commande » risque fort d’être dommageable à la liberté de conscience. Certains peuvent penser que l’image des journalistes est survalorisée. Le fait est qu’elle se dégrade. Leur trop grande proximité des cercles de pouvoir (politique, économique, du divertissement), le mélange des genres animateur et journaliste ont écorné leur cote de confiance auprès des populations. Leur image d’aventuriers, d’incorruptibles ou de «Robin des bois» s’estompe. Désormais, dans leur grande majorité, ils sont devenus des hommes troncs que l’on ne distingue plus très bien des dépêches diffusées sur l’écran de leur ordinateur. Le mode de fonctionnement des gratuits livre un éclairage cru sur ce phénomène. Devenus fonctionnaires du clavier, les journalistes risquent fort de se transformer en simples pupitreurs. D’autant plus que le modèle économique des gratuits, basé sur une salle de rédaction réduite, risque d’amener de cruelles compressions dans la profession et de fortes pressions sur les salaires. Cette mutation entraînera une augmentation du rôle des agences de presse, un renforcement de la centralisation des informations par quelques agences mondiales et l’unicité de pensée que cela suppose. La presse écrite quotidienne sera aussi variée que la télévision. On retrouvera le même pouvoir des annonceurs, les mêmes informations, se distinguant seulement par l’ordre et la place dans lesquels elles seront présentées.
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Ce phénomène pose le problème de la pérennité du «quatrième pouvoir», dont la réalité est flatteusement hypertrophiée depuis l’affaire de Watergate. De nombreux exemples289 et critiques290 le mettent en doute. L’asservissement aux annonceurs, déjà largement amorcé, ne pourra que croître et l’autonomie des salles de rédaction face aux pressions des annonceurs ne pourra que se réduire. Que restera-t-il de l’indépendance des journalistes face au pouvoir de l’argent et à celui des politiques, indispensable à l’exercice de la démocratie? Que restera-t-il du «quatrième pouvoir»? L’entrée en force des annonceurs dans les salles de rédaction, et les pressions et la dévalorisation du statut des journalistes qui s’ensuivront ne peuvent que le rogner en attendant de le faire disparaître.
289. Voir les contributions regroupées par Kristina Borjesson dans Black List : quinze grands journalistes américains brisent la loi du silence, Paris, Les arènes, 2003. Voir aussi les récents essais parus en France à propos du quotidien Le Monde. 290. Ignacio Ramonet, La Tyrannie de la communication, Paris, Galilée, 1999.
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Pour en savoir plus Bibliographie ALBERT, Pierre, La Presse, Paris, PUF, 2002, collection «Que sais-je?». BONVILLE, Jean de, Les quotidiens montréalais de 1945 à 1985, Montréal, IGRC, 1995. BORJESSON, Kristina (coordonnatrice), Black List : quinze grands journalistes américains brisent la loi du silence, Paris, Les Arènes, 2003. BROISSIA, Louis de, Projet de loi de finances pour 2004, tome XII – Presse écrite, Paris, Imprimerie du Sénat, 2003. CÔTÉ, Jean, Le vrai visage de Pierre Péladeau, Montréal, Stanké, 2003. Direction du développement des médias (Premier ministre), Tableaux statistiques de la presse, Paris, La Documentation française, 2002. HALIMI, Serge, Les nouveaux chiens de garde, Paris, Liber, «Raisons d’agir », 1997. LACAN, Jean-François, Michael PALMER, Denis RULLAN, Les Journalistes, stars, scribes et scribouillards, Paris, Syros, 1994. LACROIX, Jean-Marie, Anatomie de la presse ethnique au Canada, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1988. LOCHARD, Guy, «Genres rédactionnels et appréhension de l’événement médiatique », Réseaux, no 76, 1996. Le Monde, « Le tour du monde en 80 journaux », supplément au Monde du 5 décembre 2003.
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PÉAN, Pierre, et Philippe COHEN, La face cachée du Monde : du contre-pouvoir aux abus de pouvoir, Paris, Éditions Mille et une nuits, 2003. PRITCHARD, David, et Florian SAUVAGEAU, Les journalistes canadiens, Québec, Presses de l’Université Laval, 1999. RABOY, Marc, Les médias québécois, Montréal, Gaëtan Morin, 2000. RAMBACH, Anne et Marine, Les intellos précaires, Paris, Fayard, 2001. RAMONET, Ignacio, La Tyrannie de la communication, Paris, Éditions Galilée, 1999. ROBINET, Philippe, et Serge GUÉRIN, La presse quotidienne, Paris, Flammarion, collection « Dominos », 1998. RUFFIN, François, Les petits soldats du journalisme, Paris, Les Arènes, 2003. SAINT-JEAN, Armande, Éthique de l’information, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2002.
Sites Internet Journaux gratuits : 20 Minutes : www.20minutes.fr Schibsted (propriétaire de 20 Minutes) : www.schibsted.no Métro International : www.metro.lu Kinnevik (propriétaire de Métro International) : www.kinnevik.se Transcontinental : www.transcontinental-gtc.com
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Pour en savoir plus
Hebdos Transcontinental : www.leshebdos.com Quebecor : www.quebecor.com Hebdos Quebecor : www.hebdosquebecor.com Comareg/Bonjour : www.bonjour.fr Spir Communications : www.spir.fr
Informations sur les journaux Association mondiale des journaux (WAN) : www.wan-press.org Association de la presse suisse romande : www.presseromande.ch Association pour le contrôle de la diffusion des médias (Diffusion Contrôle) : www.ojd.com Audit Bureau Circulation : www.accessabc.com Direction du développement des médias (ex – Service juridique et technique de l’information et de la communication – SJTI): www.ddm.gouv.fr Fédération nationale de la presse française (FNPF) : www.portail-presse.com
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NADbank : www.nadbank.com Syndicat de la presse gratuite : www.presse-gratuite.fr Syndicat de la presse parisienne (SPP) : www.pqn-spp.org Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) : www.spqr.fr
Critiques, informations, analyses Acrimed : acrimed.samizdat.net Association des journalistes indépendants du Québec : www.ajiq.qc.ca CB News : www.toutsurlacom.com Centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information (CLEMI): www.clemi.org Centre d’étude sur les médias (Université Laval, Québec) : www.cem.ulaval.ca Columbia Newsblaster : www.cs.columbia.edu/nlp/newsblaster/frame_top.html Fédération professionnelle des journalistes du Québec : www.fpjq.org Infopresse : www.infopresse.com
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Pour en savoir plus
Massachusetts Institute of Technology : web.mit.edu/ Tocsin : www.tocsin.net
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Annexe Les réactions de la presse québécoise à la venue des gratuits « C’est l’information jetable, l’information comme pur produit de consommation », Le Devoir du 3 mars 2001. «Le journal Métro prend le taxi», Canada NewsWire, 19 mars 2004. « Les gratuits ne sont pas touchés par la grève », Infopresse.com, 19 novembre 2003. « Un journal en couleurs dans le métro », Le Journal de Montréal, 23 octobre 2003. « La noirceur au bout du tunnel », Le 30, septembre 2003. «Sun Media en appelle du jugement sur les quotidiens du métro», La Presse canadienne, 4 septembre 2003. « La Cour supérieure confirme le contrat d’exclusivité du journal gratuit Métro », La Presse canadienne, 8 août 2003. « Captifs… de la pub », Le Devoir, 5 mai 2003. « Un journal gratuit avec ça ? », La Presse, 5 février 2003. « Les quotidiens gratuits gagnent en crédibilité », Les Affaires, 26 octobre 2002. « Le lectorat des quotidiens se maintient », Les Affaires, 21 septembre 2002. « L’éditeur du quotidien claque la porte », Le Devoir, 9 août 2002. « L’éditeur de Métro quitte en raison d’un différend stratégique », La Presse canadienne, 8 août 2002. « Journaux du métro : la liberté d’expression mise en cause », La Presse, 5 juin 2002.
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«La STM et Publications métropolitaines critiquent les intentions de Sun Media », La Presse canadienne, 5 juin 2002. « Métro, un journal sans reporters », La Presse, 16 mai 2002. « Le quotidien gratuit Métro procède au licenciement de son équipe de reportage », La Presse canadienne, 15 mai 2002. « Métro fête son premier anniversaire : un an déjà et 319 000 lecteurs ! », CCN Matthews, 1er mars 2002. « Guerre des quotidiens du métro », La Presse, 25 janvier 2002. « Gesca s’associe à GTC dans le quotidien du métro », La Presse, 8 novembre 2001. « Les cannibales auront gâté la sauce », Le 30, octobre 2001. « Les journaux du métro effritent le lectorat des quotidiens », Les Affaires, 22 septembre 2001. « The Toronto Star est le quotidien préféré des Torontois », Infopresse.com, 11 septembre 2001. « Moins de lecteurs pour Le Journal de Montréal, La Presse et The Gazette », Infopresse.com, 7 septembre 2001. « Guerre d’usure dans le métro », La Presse, 11 juillet 2001. «Guerre des journaux gratuits du métro», Le Devoir, 28 juin 2001. « La bataille de Toronto tire à sa fin », Le 30, juin 2001. « Métro dans le métro », Le Soleil, 8 mai 2001. « Montréal métropolitain contre Métro : la vie chez les gratuits », Le 30, mai 2001. « Métro, la goutte d’eau qui dérange », Le 30, avril 2001. « La bagarre des quotidiens gratuits à Toronto perd un combattant », La Presse, 14 mars 2001. « Alliance entre Torstar et Métro International », Infopresse.com, 13 mars 2001. « La bataille du métro », La Presse, 13 mars 2001.
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«Quebecor lance Montréal Métropolitain», Infopresse.com, 12 mars 2001. « La guerre du métro aboutit devant les tribunaux », Le Devoir, 10 mars 2001. «Quebecor conteste l’exclusivité pour le quotidien dans le métro», Le Droit, 8 mars 2001. « Le temps d’un trajet en métro », Le Devoir, 3 mars 2001. « Le format vingt minutes », La Presse, 2 mars 2001. « Le métro de Montréal a son quotidien », Le Soleil, 1er mars 2001. « Torstar et Sun Media lancent leurs quotidiens gratuits », Infopresse.com, 27 juin 2000.
Les réactions de la presse française à la venue des gratuits « C’est une des dernières exceptions françaises. Alors que des quotidiens gratuits ont vu le jour un peu partout en Europe, la France reste curieusement épargnée par cette épidémie », Libération du 10 janvier 2001. « Métro à New York », La Croix, 7 mai 2004. « M6 bénéfice d’une embellie publicitaire et ne renonce pas à la presse gratuite », Les Échos, 29 avril 2004. «Le quotidien gratuit 20 Minutes espère être à l’équilibre en 2006», Les Échos, 26 avril 2004. « La presse gratuite s’attaque au sport », Le Figaro, 12 avril 2004. « Le Progrès crée un gratuit pour sortir de la crise », Le Monde, 10 mars 2004. « 20 Minutes accélère son développement pour son deuxième anniversaire », Les Échos, 9 mars 2004. « Presse gratuite : Lyon Plus sort le 15 mars », Le Progrès de Lyon, 5 mars 2004.
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« Schibsted seul maître à bord de 20 Minutes », Libération, 4 mars 2004. « Presse gratuite : la folle surenchère », L’Expansion, mars 2004 (L’Expansion est une revue mensuelle). «Le quotidien gratuit 20 Minutes lance son édition locale à Lyon», Le Monde, 27 février 2004. « 20 Minutes débarque à Lille », Libération, 25 février 2004. « Presse gratuite : le nouvel Eldorado », Delphes, 23 janvier 2004. « Métro à Toulouse : mise en garde de la CGT sur le statut des salariés », Les Échos, 20 janvier 2004. «Métro sur les terres de la Dépêche», La Tribune, 19 janvier 2004. « Métro et TF1 réfléchissent à un hebdo gratuit sur le sport », Les Échos,14 janvier 2004. « Encore un nouveau patron pour le gratuit 20 Minutes », Libération, 13 janvier 2004. « Taxer les gratuits ? », Le Monde, 9 janvier 2004. «Lancement du premier journal gratuit consacré au livre, Lecture pour tous », Les Échos, 6 janvier 2004. « En Suède, le journal gratuit Métro prend pied sur le marché des annonces immobilières », Le Monde, 25 décembre 2003. «Gratuits: la riposte en chantier», Libération, 19 décembre 2003. « Trois éditeurs de presse s’allient dans les gratuits », La Tribune, 16 décembre 2003. « L’AFP perd Métro », Le Figaro, 13 décembre 2003. «Le poids des chiffres, le choc des gratuits», Le Monde, supplément «Le tour du monde en 80 journaux», 5 décembre 2003. « Sale temps pour les quotidiens », Le Point, 28 novembre 2003. « Les titres gratuits attisent la convoitise de la presse payante », Le Monde, 18 novembre 2003.
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«Urbain, culturel ou sportif, le concept fait déjà recette», Le Monde, 18 novembre 2003. « La culture du gratuit », Le Monde, 25 octobre 2003. «Le gratuit sur le terrain de sport», L’Humanité, 10 octobre 2003. «Le sport devient le terrain de jeu de la presse gratuite», Le Monde, 7 octobre 2003. « La presse gratuite à la conquête du sport », L’Expansion, 7 octobre 2003. «Avec Métro, TF1 prend le train de la presse gratuite», Libération, 10 septembre 2003. « 20 Minutes : pertes limitées à 2 à 3 M euros pour Spir Communications en 2003 », AFP, 4 septembre 2003. « Les quotidiens gratuits Métro et 20 Minutes prennent des vacances », AFP, 28 juillet 2003. « Métro vise l’équilibre en 2004 », Libération, 25 juillet 2003. « Le quotidien gratuit 20 Minutes va lancer un service de portage à domicile », Les Échos, 8 juillet 2003. « Remède de choc pour Métro », La Tribune, 11 juin 2003. « Christina Stenbeck, reine du géant suédois », Libération, 7 juin 2003. « Métro en quête d’argent frais », Libération, 7 juin 2003. « Les quotidiens gratuits ont besoin d’argent frais », Le Figaro, 5 juin 2003. « Métro France en perte d’exploitation », Les Échos, 24 avril 2003. « Les quotidiens nationaux, premières victimes », La Tribune, 23 avril 2003. « La Ville de Paris n’assignera finalement pas Métro France et 20 Minutes en référé », Les Échos, 27 mars 2003. « Le Monde rompt le silence pour répondre à ses détracteurs », La Tribune, 7 mars 2003. 187
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« Le Monde commente ses rapports avec 20 Minutes », La Tribune, 5 mars 2003. « Les Norvégiens prennent leur revanche sur le grand frère suédois », La Tribune, 26 février 2003. « L’expansion en régions paraît encore incertaine », Le Monde, 25 février 2003. «Journaux gratuits parisiens: des lecteurs, peu d’argent», Le Temps, Suisse, 19 février 2003. « La presse gratuite confrontée à la durée », La Croix, 18 février 2003. « Libération plus durement touché que Le Parisien », Les Échos, 14 février 2003. «Schibsted renoue avec les bénéfices», Les Échos, 14 février 2003. « Libération se dit laminé par les gratuits », Le Monde, 14 janvier 2003. « La version suisse de 20 Minutes bénéficiaire en novembre », AFP Économique, 16 décembre 2002. « À Stockholm, un nouveau gratuit défie le quotidien Métro », Le Monde, 8 novembre 2002. «Menaces sur la distribution de la presse», Le Monde diplomatique, novembre 2002. «Les quotidiens gratuits font leur nid», Libération, 22 octobre 2002. «La folie des gratuits», Le Nouvel Observateur, 7-13 novembre 2002. « La presse gratuite prend-elle des parts de marché à la presse payante ? », Communication – CB News, 14 octobre 2002. « Le patron de Métro est mort », Libération, 21 août 2002. « Le jeune actif, morceau de choix des gratuits », Libération, 11 juillet 2002. «Je suis convaincu qu’on peut faire un journal gratuit de qualité» – Frédéric Filloux, Le Temps, 21 juin 2002.
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« Presse gratuite francilienne – Pourquoi les lecteurs en redemandent », Le Nouvel Observateur, 13 juin 2002. « Les journaux gratuits arrivent au pire moment », Le Figaro, 29 avril 2002. « L’arrivée des gratuits d’information n’a pas d’impact vraiment tangible sur les quotidiens payants», Le Monde, 25 avril 2002. « Les journaux gratuits orientent leurs lecteurs vers Internet », Les Échos, 15 avril 2002. « La guerre des gratuits », Le Nouvel Observateur, 11 avril 2002. « Presse. Le prix de la gratuité », L’Express, 21 mars 2002. « Métro et la CGT signent un cessez-le-feu », Libération, 12 mars 2002. « Zizanie autour de Métro », Télérama, 6 mars 2002. «Les journalistes protestent contre la fermeture du journal Métro à Zurich – Cela constitue une violation des droits fondamentaux», International Federation of Journalists, 4 mars 2002. « Le Livre CGT somme Métro de stopper », Libération, 26 février 2002. «Des ouvriers du Livre envahissent le QG de 20 Minutes», Le Monde, 28 mars 2002. « La longue marche des gratuits », L’Expansion, mars 2002. « Haro sur la presse gratuite ? », Le Monde, 28 février 2002. « Des colporteurs parisiens du journal gratuit Métro agressés et hospitalisés », Le Monde, 23 février 2002. « La concurrence des gratuits fragilise les quotidiens populaires en Europe », Le Monde, 21 février 2002. « Métro joue un rôle civique », Libération, 21 février 2002. « La bataille pour les journaux gratuits fait rage », Le Figaro Économie, 20 février 2002.
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Le défi des quotidiens gratuits
« Le quotidien d’information gratuit Métro a été lancé dans la confusion », Le Monde, 20 février 2002. «Journaux gratuits: ceux qui ont trahi!», Le Monde, 19 février 2002. «Méfiez-vous des contrefaçons – Vrais-faux journaux», Libération, 19 février 2002. «Les gratuits attaquent», Le Nouvel Observateur, 14 février 2002. « Le quotidien gratuit Metropol cesse brutalement de paraître à Zurich », Le Temps, Suisse, 14 février 2002. «Les futurs gratuits d’information en France suscitent l’inquiétude», Le Monde, 2 février 2002. « Le patron de A nous Paris promet peu d’avenir aux projets concurrents », Libération, 5 septembre 2001. «La bataille des quotidiens gratuits est lancée à Paris», Le Monde, 11 avril 2001. Antoine Jacob, « La saga des gratuits nordiques », Le Monde du 21 février 2001. « Paris, nouvel eldorado de la presse quotidienne », Libération, 10 janvier 2001. « À Paris, la presse tremble devant les gratuits », Libération, 30 novembre 2000. « Guerre des gratuits en Allemagne », Libération, 24 février 2000. « Les quotidiens gratuits du métro font recette », Le Monde, 9 février 2000. « Des gratuits parlent aux branchés », Libération, 7 juin 1999. « Un quotidien gratuit à la conquête des métros d’Europe », Libération, 26 novembre 1998. « La presse gratuite revendique une double fonction informative et civique », Le Monde, 30 avril 1997.
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