L
a démocratie, c’est une belle plante qu’il faut aimer, soigner, nettoyer. Si on la néglige, elle perd sa vigueur, elle sèche et finit par ressembler aux herbes nuisibles ou empoisonnées. Mais si on se penche sur elle tous les jours et si on lui donne toute l’eau et toute la clarté qu’elle désire, elle pousse bien droite et répand autour d’elle la fierté, la paix, l’harmonie. Cultiver la démocratie, cela s’apprend. Il faut, comme le Petit Prince le faisait sur sa petite planète, protéger dès leur apparition les petites pousses de démocratie. Pour cela, des yeux aussi pénétrants que des « rayons X » sont utiles : ils décèlent très vite les mauvaises herbes qui risquent d’étouffer la démocratie et de faire éclater la planète.
LAURENT LAPLANTE
LAURENT LAPLANTE
Laurent Laplante est un journaliste qui vient de célébrer le cinquantième anniversaire de ses treize ans. Quand il écrit dans les journaux ou parle à la radio, il prend des grands mots pour dire des choses sérieuses aux grandes personnes. Le reste du temps, c’est un grand-père qui raconte beaucoup de blagues pas sérieuses du tout à ses petits-enfants. Quand il a commencé à écrire La Démocratie, j’aime ça !, les circuits se sont croisés dans la tête de Laurent Laplante : il raconte des choses sérieuses, mais il les racontent… aux jeunes. Quand on lui a signalé son erreur, il a éclaté de rire : « Ce n’est pas grave, les jeunes sont capables de comprendre n’importe quoi. »
Artiste, illustrateur et graphiste d’origine britannique, Paul Berryman a choisi de vivre au Québec francophone au début des années 1990. Il compte bien d’ailleurs y initier sa fille, Sarah-Anne, à la démocratie !
ISBN 2-921146-54-1
,!7IC9C1-begfei!
LA DÉMOCRATIE, j’aime ça!
Les filles et les garçons d’aujourd’hui veulent grandir et vivre en démocratie, car chacune et chacun a alors plus de chances de s’épanouir et de répandre le bonheur. Ce petit livre montre comment reconnaître la bonne pousse et l’aider à grandir.
Illustrations de Paul Berryman Postface de Pierre-F. Côté, C.R., ex-directeur général des élections du Québec
LA DÉMOCRATIE j’aime ça!
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page i
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page ii
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page iii
LA DÉMOCRATIE j’aime ça!
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page iv
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page v
LAURENT LAPLANTE Illustrations de Paul Berryman Postface de Pierre-F. Côté, C.R., ex-directeur général des élections du Québec
LA DÉMOCRATIE j’aime ça!
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page vi
Données de catalogage avant publication (Canada) Laplante, Laurent, 1934La démocratie, j’aime ça ! ISBN 2-921146-54-1 1. Démocratie – Ouvrage pour la jeunesse. I. Berryman, Paul. II. Titre. JC423.L36 1997
j321-8
C97-941410-5
Révision linguistique : Geneviève Saladin Correction des épreuves : Ginette Trudel
ISBN 2-921146-54-1 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 1997 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Canada, 1997 Éditions MultiMondes 930, rue Pouliot Sainte-Foy (Québec) G1V 3N9 CANADA Téléphone : (418) 651-3889 ; sans frais depuis l’Amérique du Nord : 1 800 840-3029 Télécopieur : (418) 651 6822 ; sans frais depuis l’Amérique du Nord : 1 888 303-5931 Courrier électronique :
[email protected] Internet : http://www.multim.com
vi
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page vii
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page viii
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 1
Bonjour ! Tu as sûrement déjà entendu ou lu le mot démocratie. Ce mot-là revient souvent dans les bulletins d’information. On dit, par exemple : « Nous vivons dans un pays démocratique. » Ou bien l’annonceur affirme que « 100 millions de Russes vont participer pour la première fois à une élection démocratique ». Tu as peut-être remarqué aussi que les grandes personnes prennent leur air sérieux quand elles prononcent ce mot, comme s’il fallait se raidir les mâchoires pour parler d’un sujet aussi dramatique. De fait, oui, la démocratie est quelque chose d’important. Si nous ne l’avions pas, tu vivrais autrement. Si elle occupait plus de place, notre société irait mieux. Du moins, c’est cela que, toi et moi, nous allons vérifier. Est-ce difficile de comprendre la démocratie ? Non, mais il faut un petit effort et un peu de temps. Si tu veux, nous allons voir ensemble « ce qu’elle mange en hiver… » Et je te parie que tu en sauras tantôt plus long sur la démocratie que la plupart des grandes personnes. Tu pourras même leur poser de belles petites questions embarrassantes. Allons-y !
Comment veux-tu recevoir ton cadeau ? Disons que je t’offre de réaliser un de tes rêves. Par exemple, je t’offre de devenir capitaine de ton équipe de basket, présidente de ta classe ou animateur de la soirée étudiante de fin d’année. Toi, en échange, tu vas me dire comment tu préfères réaliser ton rêve, de qui tu veux recevoir ce cadeau. Je te donne le choix. Ce grand plaisir qui te tente, tu peux, si c’est la méthode que tu préfères, le recevoir directement du directeur ou de la directrice de l’école. Tu peux, d’un autre côté, choisir de recevoir ton poste de capitaine ou de présidente à la suite d’un concours entre les élèves ou après une élection. Que préfères-tu ? Que cet honneur te soit donné
1
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 2
par la direction de l’école ? Préfères-tu que ce soit les garçons et les filles qui te choisissent comme capitaine, comme présidente ou comme animateur ? Tu as ta réponse ? Je gage que je la connais : tu préfères recevoir ton titre des garçons et des filles avec qui tu fréquentes l’école. Cela ne veut pas dire que tu n’aimes pas tes professeurs ni que tu détestes la direction, mais tu préfères être le choix des élèves. Tu n’aimerais pas qu’on te dise : « Oh ! Toi, on le sait bien, tu es le chouchou…» Si ce sont les élèves qui te choisissent, le «cadeau » est encore plus beau. Ta réponse me prouve que tu en sais déjà beaucoup sur la fameuse démocratie dont les grandes personnes parlent tout le temps. Dans ta tête, tu vois déjà la différence entre, d’un côté, l’honneur qu’une personne importante décide de t’accorder et qui a l’air de descendre directement du ciel sur ta tête et, de l’autre côté, le plaisir qu’il y a à être choisi par des gens semblables à toi. D’un coup, tu as mis le doigt sur ce qui fait fonctionner la démocratie : quand elle est là, les décisions sont prises par tout le monde. En démocratie, il n’est pas question de laisser une seule personne, un seul patron, un seul directeur, une seule compagnie, tout décider seul. Bravo !
Nommer, d’après le dictionnaire, c’est une décision prise par une autorité. Cette autorité désigne ou choisit une personne pour remplir une fonction ou une charge. Par exemple, le directeur ou la directrice de ton école te nomme porteparole de ta classe.
2
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 3
Élire, c’est une autre sorte de nomination. Cette fois, ce n’est pas une autorité qui prend la décision, mais un ensemble de personnes qui votent. Par exemple, les garçons et les filles de ta classe votent et t’élisent présidente ou représentant du groupe. Voter, c’est exprimer son opinion dans une réunion organisée pour prendre une décision ou choisir une personne.
3
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 4
As-tu pensé au risque ? Je me trompe peut-être, mais il me semble que tu as hésité une seconde avant de me dire ce que tu préfères. Peut-être que tu n’aimais pas l’idée de demander à tous les élèves s’ils voulaient voter pour toi. Peut-être que tu t’es dit : si le professeur me choisit, il n’y a pas de risque. Je ne peux pas perdre. Je dis oui et c’est réglé ! S’il faut demander aux autres s’ils veulent de moi comme capitaine ou comme porteparole, je peux me faire dire non et ce serait humiliant… Si tu as pensé à ce risque, tu mérites encore des félicitations. Cela veut dire que tu as compris un autre aspect important de la démocratie : avec elle, les décisions sont prises par tout le monde et, en plus, ceux et celles qui les prennent le font librement. Quand je t’ai parlé de confier la décision à tous les élèves de ta classe, tu as compris que chaque élève serait libre de dire oui ou de dire non. Tu as vu le risque : ils peuvent dire oui et cela serait merveilleux, mais ils peuvent aussi dire non et ça, c’est moins drôle. Cette idée du risque, t’a peut-être traversé la tête à toute vitesse. Tu aimerais que les élèves te fassent confiance et qu’ils te manifestent leur soutien. Tu n’aurais pas apprécié qu’on les oblige à voter pour toi. Tu n’aurais pas voulu que le directeur ou la directrice de l’école entre dans ta classe et dise : « Voici le nom de l’élève qui vous représentera au conseil étudiant. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi, levez la main que je prenne vos noms, puis vous passerez à mon bureau… » Tu n’aurais pas aimé ce genre de nomination ! Ou bien les élèves te choisissent librement, ou bien tu préfères renoncer à ton cadeau. Cela est clair. Mais, d’un autre côté, il se peut que tu ne reçoives pas ton cadeau si les élèves votent librement. C’est pour cela que tu as peut-être hésité un instant : tu avais compris que ceux et celles qui choisissent librement peuvent décider… de ne pas te choisir ! Et cela t’inquiétait un peu : tu as le goût de recevoir leur confiance, mais tu n’as pas nécessairement le goût de subir un test de popularité… Nomination ou élection ? Un cadeau qui provient de l’autorité ou celui qui vient de votes libres ? Tu as vu la différence. En démocratie, les gens choisissent librement ceux et celles à qui ils font confiance.
4
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 5
Tu as peut-être envie, en voyant les risques d’une élection, de chercher une autre façon de réaliser ton rêve. Tu te demandes, par exemple, si on ne peut pas inventer un système où la nomination serait aussi libre et agréable que dans la démocratie, mais dans lequel on ne risquerait jamais une défaite humiliante. Imagine cela : devenir chef ou présidente sans avoir à s’inquiéter du résultat de l’élection, est-ce que ce ne serait pas l’idéal ? Je vais te répondre franchement : « Oui, ce serait une belle invention… si c’est possible ! » Mais j’aime mieux te dire que ce ne sera pas facile, car beaucoup d’autres ont essayé avant nous. Avant d’en arriver à la démocratie, les gens ont expérimenté plusieurs systèmes. Regardons quand même trois des méthodes déjà essayées. On ne sait jamais !
PREMIÈRE MÉTHODE :
le plus fort gagne
Au commencement du monde, les humains n’avaient pas la vie facile. Ils n’avaient que de mauvais outils pour cultiver la terre. Ils se défendaient comme ils pouvaient contre le froid ou la chaleur excessive. En plus, ils devaient affronter les grands prédateurs1 presque à mains nues. Si tu as la chance de lire le livre La Guerre du feu ou de voir le film qui porte le même titre, tu comprendras encore mieux ce que les êtres humains devaient alors affronter, surtout quand ils n’avaient pas le feu pour se réchauffer. Bien vite, les gens se rassemblèrent autour de l’homme le plus fort, le plus rusé ou le plus habile. Ce qui était important, c’était d’être fort. L’homme le plus fort choisissait la caverne la mieux protégée contre le froid et les animaux, il imposait sa volonté à toutes les femmes et à tous les hommes du clan ou de la tribu. On se résignait à lui obéir, car on avait besoin de sa protection. Malheureusement, l’homme le plus fort n’est pas toujours le plus juste. En plus, il y a tou1. Un prédateur, c’est un être vivant qui vit des proies qu’il a capturées. L’homme préhistorique était lui-même un prédateur.
5
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 6
jours d’autres hommes qui pensent être aussi forts que le chef et qui lui lancent des défis. Tant que la force a été la seule façon de choisir les chefs, il y a eu de la violence, des tueries, des guerres. Quand les hommes forts s’affrontaient, tout le monde était entraîné dans la guerre, la vie du groupe était bouleversée et les gens mouraient sans raison.
Le combat contre la tigresse Enfin, Naoh se décida. Il toucha l’épaule de ses compagnons, et lorsqu’ils furent debout il murmura : – Nam et Gaw sont-ils prêts à combattre ? Ils répondirent : – Le fils du Saïga suivra Naoh ! – Nam combattra de l’épieu et du harpon. Les jeunes guerriers considérèrent la tigresse. Quoique la bête fût toujours couchée, elle ne dormait point : à quelque distance, le dos tourné aux blocs
6
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 7
basaltiques, elle guettait. Or Naoh, pendant sa veille, avait silencieusement déblayé la sortie. Si l’attention de la tigresse s’éveillait tout de suite, un seul homme, deux au plus auraient le temps de surgir du refuge. S’étant assuré que leurs armes étaient en état, Naoh commença par pousser dehors son harpon et sa massue, puis il se coula avec une prudence infinie. La chance le favorisa : des hurlements de loups, des cris de hulotte couvrirent le bruit léger du corps frôlant la terre. Naoh se trouva sur la prairie, et déjà la tête de Gaw arrivait à l’ouverture. Le jeune guerrier sortit d’un mouvement brusque ; la tigresse se retourna et regarda fixement les Nomades. Surprise, elle n’attaqua pas tout de suite, si bien que Nam put arriver à son tour. Alors seulement la tigresse fit un bond, avec un miaulement d’appel ; puis elle continua de se rapprocher des hommes, sans hâte, sûre qu’ils ne pourraient s’échapper. Eux, cependant, avaient levé leurs sagaies. Nam devait lancer la sienne tout d’abord, puis Gaw et tous deux viseraient aux pattes. Le fils du Peuplier profita d’un mouvement favorable. L’arme siffla ; elle atteignit trop haut, près de l’épaule. Soit que la distance fut excessive, soit que la pointe eut glissé de biais, la tigresse ne parut ressentir aucune douleur ; elle gronda et hâta sa course. Gaw, à son tour, lança le trait. Il manqua la bête, qui avait fait un écart. C’était au tour de Naoh. Plus fort que ses compagnons, il pouvait faire une blessure profonde. Il lança le trait alors que la tigresse n’était qu’à vingt coudées. Il l’atteignit à la nuque… J.H. Rosny aîné, La Guerre du feu, Domino, 1982, p. 53-54.
7
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 8
DEUXIÈME MÉTHODE :
le combat des chefs
Avec le temps, les gens devinrent plus rusés. Dans beaucoup de clans, on finit par dire au chef : « Va te battre avec le chef de l’autre clan. Si tu gagnes, on continuera à t’obéir. Si tu te fais battre, nous obéirons à celui qui t’aura battu. Toi ou un autre, pour nous ça ne change pas grand-chose… ! » Il y eut à partir de ce moment-là beaucoup de « combats de chefs ». Parmi les plus célèbres, il y a l’affrontement que raconte Homère dans l’Iliade et qui opposa le champion des Grecs, Achille, et le champion de la ville de Troie, Hector. Il y a aussi le combat qui opposa il y a 2 000 ans les trois frères Horace, champions de la ville de Rome, aux trois frères Curiace, champions de la ville d’Albe. Quand Rocky se bat au nom des États-Unis contre le champion soviétique, c’est encore une sorte de « combats de chefs ». Disons qu’ils sont un peu en retard sur leur époque.
8
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 9
Une aventure d’Astérix : Le combat des chefs Le centurion Langélus : Ces Gaulois continuent à nous ridiculiser ! L’aide de camp Perclus : Il faut trouver une solution, ô Langélus… sinon, Rome va te sonner les cloches ! Langélus : Et tu en connais une de solution, toi, Perclus, mon aide de camp ? Perclus : Peut-être… Ça fait longtemps que je suis en garnison dans ce pays et je connais les coutumes des Gaulois. Et une coutume qui pourrait nous servir, c’est celle du combat des chefs… Langélus : LE COMBAT DES CHEFS ? Perclus : Oui, en Gaule, quand le chef d’une tribu veut devenir le chef de deux tribus, il défie un autre chef à un combat singulier. Le vaincu doit se soumettre avec sa tribu au vainqueur… Si les chefs sont de force égale, ils ont le droit de se jeter des ballots à la tête. On dit alors qu’ils sont en ballottage…
David contre Goliath Les Philistins mobilisèrent leurs bandes pour la guerre et se réunirent à Socho en Juda. Ils campèrent entre Socho et Azéca, à Éphès-Dommin. Saül et les Israélites mobilisèrent de leur côté et campèrent dans le Val du Térébinthe ; puis ils se rangèrent en bataille contre les Philistins. Ceux-ci se terraient sur une hauteur, et Israël sur la colline vis-à-vis ; la vallée les séparait. Du camp des Philistins sortit un champion, Goliath, de Geth, dont la taille était de six coudées plus une palme. Il portait sur la tête un casque d’airain, sur le corps une cuirasse à écailles, qui pesait cinq mille sicles d’airain. Il avait des cuissards d’airain, et portait entre les épaules un javelot d’airain. Le bois de sa lance ressemblait à une ensouple de tisserand, et le fer en pesait six cents sicles de fer. Un écuyer le précédait. Il se présenta donc et s’adressant aux troupes israélites : « Pourquoi, leur cria-t-il, vous
9
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 10
êtes-vous mis en bataille ? Ne suis-je pas le Philistin et vous les esclaves de Saül ? Choisissez-vous un homme qui descende contre moi. S’il l’emporte en se battant avec moi, et qu’il me tue, nous serons vos sujets ; mais si je l’emporte et si je le tue, c’est vous qui serez nos esclaves et qui nous servirez. Je jette aujourd’hui ce défi, ajouta-t-il, à l’armée d’Israël. Donnez-moi un homme, que nous nous battions ensemble ». Saül et tout Israël entendaient ces paroles du Philistin, qui les mit dans l’effroi et la consternation. I Samuel, ch. 17, versets 1-11
10
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 11
TROISIÈME MÉTHODE :
l’hérédité
Comme tu vois, les gens de tous les pays la cherchent depuis longtemps la meilleure façon de choisir les chefs. Au temps de « la guerre du feu », les êtres humains choisissaient leurs chefs comme le font les loups, les gorilles ou les buffles : on tâtait les muscles et on choisissait les plus gros. Un peu plus tard, tu l’as vu, on a essayé les « combats des chefs ». Cette méthode avait deux grands avantages. D’abord, on diminuait le nombre de morts ou de blessés. Ensuite, les seuls à courir des risques étaient ceux qui voulaient devenir chefs et donner des ordres à tout le monde. Ce n’était quand même pas encore satisfaisant, car les hommes forts physiquement et les chefs gagnants n’étaient pas toujours les plus intelligents ou les plus généreux. Les autres personnes étaient souvent malheureuses et frustrées. Quelqu’un d’astucieux, que je ne connais pas, a eu un jour une autre idée pour choisir les chefs. Il s’est dit : « La bataille a eu lieu et un des deux chefs a gagné. Cela règle notre problème pour un bout de temps. Mais ce gagnant-là va vieillir lui aussi et il faudra organiser encore une fois un combat des chefs. Nous vivrons encore une fois l’incertitude en attendant de savoir si nous changeons de chef encore une fois. Prenons des précautions. Pourquoi ne pas décider tout de suite que les enfants du chef remplaceront le chef ? De cette manière-là, pas de bataille, pas de chicane. » Bien sûr, les chefs ont été tout de suite d’accord avec l’idée, parce que cela gardait le pouvoir dans les familles des chefs. Les gens ordinaires, eux aussi, étaient pas mal d’accord. D’abord, parce qu’ils pouvaient voir grandir le futur chef et s’habituer à lui. Ensuite, parce que, de cette manière, personne ne pouvait s’enfler la tête en se disant : « Je suis très fort, donc je vais essayer de devenir roi… » On venait d’inventer une sorte de « course à relais héréditaire » : papa passe à fiston, qui passe à son fils, qui passe à son fils…
Qu’est-ce que l’hérédité ? L’hérédité, c’est la transmission de quelque chose d’une génération à l’autre. On parle, par exemple, de maladies héréditaires. On parle aussi de droits héréditaires, quand ils passent automatiquement des parents aux enfants. Quand le fils du roi devient roi à son tour, on parle d’une monarchie ou d’une royauté héréditaire.
11
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 12
Les belles familles Louis I Louis II Louis III Louis IV Louis V Louis VI Louis VII Louis VIII Louis IX Louis X dit le Hutin2 Louis XI Louis XII Louis XIII Louis XIV Louis XV Louis XVI Louis XVII Louis XVII Et plus personne, plus rien. Qu’est-ce que c’est que ces gens-là qui ne sont pas foutus de compter jusqu’à vingt ? Poème de Jacques Prévert, dans Paroles
Si tu as déjà lu des contes de fées ou les contes des Mille et Une Nuits, tu sais que cette façon de choisir les chefs a fonctionné pendant longtemps et dans beaucoup de pays. Quand le beau prince a épousé Cendrillon, elle est devenue reine. Blanche-Neige aussi a rencontré un beau prince : « Ils vécurent heureux et eurent de nombreux enfants… » Mais ce n’est pas seulement dans les contes de fées qu’on s’est servi de l’hérédité pour choisir les rois et les reines. Élisabeth II n’est pas devenue reine d’Angleterre parce qu’elle était la plus forte ou parce qu’elle a gagné le combat des chefs. Elle est devenue reine parce qu’elle était la fille du roi George VI. Et George VI a été roi parce qu’il était le fils de George V. Tu comprends le système : c’est simple, clair, tranquille et cela épargne le sang de bien du monde. Dans certains pays comme la France, la Chine ou l’Égypte, le pouvoir est passé de père en fils, de fils en petits-fils, de petits-fils en arrière-petitfils… pendant des siècles. Dans ces cas-là, on appelle la famille une dynastie.
2. Hutin, c’est un vieux mot français qui veut dire « querelleur » ou « tapageur ». Tu vois le genre de roi qu’il a été !
12
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 13
Un réseau de « presque-rois » Il y en avait, évidemment, qui enviaient le roi et qui se disaient : « Pourquoi pas moi ? Ce n’est pas parce que son père était roi qu’il est plus intelligent que moi. Je ferais un meilleur roi que lui. » Dans beaucoup de pays, les rois décidèrent prudemment de donner un certain pouvoir héréditaire à ceux qui risquaient de leur faire concurrence ou dont ils voulaient se faire des alliés. Ils organisèrent un réseau de « presque-rois ». On multiplia alors les beaux titres : le marquis et la marquise, le baron et la baronne, le comte et la comtesse, le duc et la duchesse… Et on permit à tous ces gens de transmettre leur titre à leurs enfants, à leurs petits-enfants, à leurs arrière-petits-enfants de façon héréditaire. Indéfiniment. Si le père était marquis, le fils devenait marquis, sans avoir besoin de montrer sa force ou de remporter le « combat des marquis ». Ceux et celles qui avaient des titres comme ceuxlà étaient appelés des nobles. Cela a si bien marché que, même dans des pays qui n’ont plus de roi et qui ne sont plus censés avoir de noblesse, on rencontre des gens qui continuent à se faire appeler Monsieur le comte ou Madame la marquise. En connais-tu ?
Les titres héréditaires Si, en partant du roi, on prend l’ordre descendant, voici quels sont les titres héréditaires :
duc marquis comte vicomte baron chevalier Dans la « vraie vie », tu n’as pas beaucoup de chances de porter un de ces titres, à moins d’épouser un jeune homme ou une jeune fille qui le porte de façon héréditaire.
13
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 14
Sortons nos feuilles de pointage ! Comme tu vois, malgré notre promenade à travers les siècles et les pays, nous n’avons pas découvert cinquante façons intelligentes de choisir les chefs ou les dirigeantes. La force physique donne des résultats qui ne sont ni stables ni toujours agréables. Les duels et les combats de chefs font un peu mieux, mais ils ne profitent pas à tout le monde. L’hérédité donne d’avance le nom du roi ou de la reine, mais elle ne garantit pas que le prince Charles ou Caroline de Monaco sont meilleurs que les autres personnes. En fait, toutes ces méthodes ont les mêmes défauts : ●
Les chefs ne sont jamais choisis librement par les gens.
●
Les muscles et l’hérédité ont plus d’importance que l’intelligence ou le dévouement.
●
Les gens ordinaires n’ont à peu près aucune chance de diriger leur société, même quand ils le mériteraient.
Alors ? Peut-être que, malgré tout, la meilleure méthode, c’est celle que tu avais en tête au départ : laisser les gens choisir librement ceux et celles à qui ils veulent faire confiance. Jusqu’à maintenant, notre démocratie réussit ses tests mieux que les autres méthodes. Tu te souviens du début de notre conversation ? Tu n’aimerais pas beaucoup une nomination qui te viendrait d’« en haut », d’un professeur ou de la direction de l’école. Tu aimerais devenir capitaine ou présidente ou animateur, mais à condition que les autres élèves veuillent vraiment que tu le sois. Tu aimerais que des gens libres te choisissent librement. Parce qu’ils t’apprécient, parce qu’ils te font confiance, parce qu’ils savent de quoi tu es capable. Cela, c’est clair. Ce qui t’embête peut-être un peu, c’est l’idée de te faire comparer à d’autres et de risquer la défaite. Dans ta tête, tu te dis peut-être ceci : les élèves m’offrent la présidence, je la prends. S’ils veulent me comparer à d’autres et tenir des concours de popularité, j’aime mieux ne pas m’embarquer là-dedans. Je n’y tiens pas à ce point-là… Tu as compris que, dans une élection démocratique, il y a la merveilleuse possibilité que des gens libres te préfèrent librement à d’autres personnes, mais il y a aussi, presque toujours, le risque qu’une autre personne soit élue. En démocratie, tu as une grande joie si les autres te choisissent, mais tu peux encaisser une déception s’ils préfèrent quelqu’un d’autre. Tu as donc raison de penser que la démocratie ressemble parfois à un concours. Je suis d’accord avec toi que cela peut te taper sur les nerfs si tu détestes les comparaisons et la concurrence.
14
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 15
Si ces pensées te sont venues à l’esprit, ne te tracasse surtout pas. Autour de toi, il y a des douzaines d’adultes qui n’ont jamais essayé de se faire élire, jamais, nulle part, tout simplement parce qu’ils détestent se faire comparer à d’autres, parce qu’ils craignent de ne pas gagner, parce que… Ta réaction prouve que tu comprends déjà pas mal le fonctionnement de la démocratie. Tu as compris trois des règles de la démocratie : ●
Premièrement, ce sont les gens qui décident, tous les gens.
●
Deuxièmement, les gens qui décident doivent être libres de décider ce qu’ils veulent.
●
Troisièmement, les gens qui choisissent librement aiment beaucoup choisir parmi des personnes différentes.
Autrement dit, le système démocratique est censé permettre aux gens de choisir entre différents produits ou différentes personnes. En démocratie, les gens ne veulent pas qu’on leur offre seulement Radio-Canada ou seulement TVA. Ils disent: « Laisseznous choisir entre trois, dix ou vingt canaux. » Ils veulent avoir le droit de préférer un programme.
Petite question… à retardement D’après toi, est-ce correct, dans une élection démocratique, de faire des promesses pour gagner plus de votes que les autres ? As-tu le droit de dire avant le vote : si vous votez pour moi, je vous donne des billets pour le prochain spectacle de…? Retiens ta réponse. Nous en parlerons tantôt.
Prendrais-tu la même décision que les grenouilles ? Lis maintenant l’histoire des « grenouilles qui demandent un roi » et demande-toi si tu es d’accord avec les grenouilles ou si, d’après toi, les grenouilles se sont trompées. Quand commence la fable que raconte La Fontaine, les grenouilles ont l’« état démocratique », c’est-à-dire qu’elles peuvent choisir librement la grenouille en chef. Mais elles trouvent la démocratie trop compliquée. Beaucoup des grenouilles n’aiment pas courir le risque d’être comparées aux autres grenouilles et de subir la défaite. Elles ne veulent donc plus rien savoir des élections et elles demandent à Jupin3 de décider à leur place. 3. Jupin, c’est un autre nom de Jupiter qui était considéré comme Dieu dans l’ancien temps.
15
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 16
Les grenouilles qui demandent un roi Les Grenouilles se lassant De l’état démocratique,
Osa bien quitter sa tanière.
Par leurs clameurs firent tant
Elle approcha, mais en tremblant;
Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Une autre la suivit, une autre en fit autant ;
Il leur tomba du ciel un Roi tout pacifique;
Il en vint une fourmilière;
Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Que la gent marécageuse,
Jusqu’à sauter sur l’épaule du Roi.
Gent fort sotte et fort peureuse,
Le bon sire le souffre, et se tient toujours coi.
S’alla cacher sous les eaux,
Jupin en a bientôt la cervelle rompue:
Dans les joncs, dans les roseaux,
« Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue ».
Dans les trous du marécage, Sans oser de longtemps regarder au visage Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau. Or c’était un soliveau, De qui la gravité fit peur à la première
Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue, Qui les croque, qui les tue, qui les gobe à son plaisir; Et Grenouilles de se plaindre, Et Jupin de leur dire: « Eh quoi? votre désir À ses lois croit-il nous astreindre?
Qui, de le voir s’aventurant,
Vous avez dû premièrement Garder votre gouvernement; Mais ne l’ayant pas fait, il vous devoit suffire Que votre premier roi fût débonnaire et doux: De celui-ci contentez-vous, De peur d’en rencontrer un pire ».
Jean de La Fontaine
16
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 17
Et toi, penses-tu toujours que cela vaut la peine de choisir soi-même le président ou la porte-parole de la classe ? Penses-tu plutôt, comme les grenouilles, qu’une élection libre est une perte de temps ? Préfères-tu ne pas essayer de te faire élire ? Seras-tu en colère si les autres élisent une personne que tu n’aimes pas ? Brasse ces questions dans ta tête et trouve tes réponses à toi.
Et quand il n’y a pas de démocratie ? La démocratie est le pire de tous les systèmes… à part de tous les autres. Winston Churchill
Le monsieur Churchill qui a prononcé cette phrase pas mal tordue a été premier ministre de son pays, l’Angleterre. Comme toi peut-être, il jugeait la démocratie compliquée et souvent frustrante. Mais Churchill se consolait en voyant que les autres façons de gouverner sont encore pires.
Winston Churchill surnommé le Bouledogue En 1940, c’était la guerre. Hitler contrôlait à peu près tous les pays d’Europe. Il lui manquait l’Angleterre, mais il la bombardait déjà et se préparait à l’envahir. Les Anglais, passablement découragés, choisirent Churchill comme premier ministre. On savait que lui, têtu comme un bouledogue, ne lâcherait jamais. Dans son premier discours de premier ministre, le 13 mai 1940, Churchill parla brutalement à la population : « Je n’ai rien à vous offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. Vous me demandez quel est notre but ? Je vous réponds en deux mots : la victoire, la victoire à tout prix, la victoire malgré toutes les terreurs, la victoire quelque longue et dure que puisse être la route, car, hors la victoire, il n’est point de survie. » Churchill aurait-il dû promettre autre chose ?
17
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 18
Est-ce vrai que les autres systèmes sont pires que la démocratie ? Allons voir. Pensons, par exemple, à des pays comme la Chine actuelle ou l’Arabie Saoudite. Dans ces pays, et dans bien d’autres, les décisions sont prises par un tout petit nombre de personnes ou même par une seule. En Chine, c’est un petit groupe de personnes qui ont presque toutes plus de 75 ans ; en Arabie Saoudite, c’est la famille royale, une famille où on trouve des dizaines de neveux, de cousins, de beaux-frères…, qui décide tout. Tu pourrais me dire qu’ici aussi tout dépend de quelques dizaines de personnes, et tu aurais raison, car le Québec ou le Canada est gouverné par un premier ministre entouré d’une vingtaine de ministres. Alors ? Alors, la différence, c’est que, en démocratie, ces personnes sont choisies, élues si tu préfères, par la population. Elles ne sont pas plus nombreuses peut-être qu’en Chine ou en Arabie Saoudite, mais ces personnes peuvent au moins se vanter d’avoir été élues. Elles peuvent dire à la population : « Vous nous avez choisies librement. Vous nous avez donné le pouvoir de prendre des décisions. » C’est cela la différence. Tu vois que tu étais déjà « démocrate » quand tu voulais que ce soit les élèves qui te choisissent comme capitaine d’équipe ou comme présidente de classe. Dans les pays où la population élit les dirigeants, on se rapproche de la démocratie. Dans les pays où une personne ou un petit groupe de personnes s’empare du pouvoir sans avoir remporté une véritable élection, il n’y a pas de démocratie. Dans la plupart des pays qui ne sont pas démocratiques, il n’y a pas d’élection et les gens ne peuvent donc pas choisir leurs dirigeants. Mais il y a aussi des pays où il n’y a pas de démocratie, même s’il y a des élections. C’est pour cette raison que j’ai dit que les pays qui ont des élections « se rapprochaient » de la démocratie. Certains de ces pays font semblant d’être démocrates : oui, ils organisent des élections, mais ils trichent tellement que les gens ne sont pas vraiment libres de choisir leurs dirigeants. Des tricheries, tu vas voir tantôt qu’il y en a bien des sortes !
Pourquoi y a-t-il des pays qui vivent sans démocratie ? Aimerais-tu vivre dans un pays où les décisions sont prises par un tout petit groupe et sans que la population soit consultée ? Probablement pas. Mais tu te dis peutêtre ceci : « Ce ne doit pas être si terrible, puisqu’il y a beaucoup de pays qui vivent sans démocratie… » Ou encore tu penses : « Si la démocratie est aussi merveilleuse que le dit le monsieur Bouledogue, dites-moi pourquoi tant de pays n’en veulent pas… » Et tu penses probablement que tu viens de me battre 5 à 0… Attends un peu ! C’est vrai qu’il y a beaucoup de pays qui ont vécu ou qui vivent encore sans élections ni démocratie. Ainsi, en plus de la Chine et de l’Arabie Saoudite dont nous
18
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 19
avons parlé, il y a actuellement, en 1997, des pays comme l’Irak, la Syrie, le Yémen, le Mali, la Mauritanie, la Lybie, le Nigeria et bien d’autres ! Dans ces pays, une seule personne ou un tout petit groupe gouverne sans jamais demander l’opinion des gens. Dans beaucoup de cas, cet homme ou ce petit groupe vient de l’armée. Même dans les cas où ce n’est pas un militaire qui dirige le pays, le chef du pays ou son groupe s’arrange pour être en bons termes avec l’armée. Pourquoi l’armée ? Parce qu’une population qui n’a pas choisi les dirigeants peut avoir le goût de ne pas leur obéir. Pour garder le contrôle, les chefs de ces pays utilisent l’armée. Staline faisait cela quand il gouvernait l’URSS, Hitler faisait cela en Allemagne. Le général Pinochet le faisait au Chili et Saddam Hussein le fait encore en Irak. C’est vrai que beaucoup de pays n’ont ni élections ni démocratie, mais cela ne veut pas dire que les gens n’en veulent pas. C’est plutôt le contraire. Tu seras probablement d’accord avec moi : si les gens avaient le choix, ils choisiraient la démocratie. La plupart diraient probablement la même chose que Churchill : c’est compliqué la démocratie, mais c’est quand même mieux de l’avoir.
Qui a inventé la démocratie ? Je parie que si tu demandes aux adultes qui a inventé la démocratie, tu auras comme réponse : « Je ne le sais pas », ou bien : « Les Grecs ont inventé la démocratie dans la ville d’Athènes ». Si tu reçois une troisième réponse, j’ai perdu ! En voyant que le mot démocratie est construit avec deux mots grecs, bien des gens disent tout de suite : « Ce sont les Grecs qui ont inventé la démocratie ! » Il y a du vrai là-dedans, mais n’exagérons pas. Oui, les Grecs, surtout ceux de la ville d’Athènes, ont inventé une sorte de gouvernement par le peuple. Malheureusement, ils ont décidé que seulement certaines personnes feraient partie du peuple ! Un peu comme si, dans ta classe, sept ou huit élèves se mettaient ensemble pour choisir votre président ou présidente de classe et ne permettaient pas aux autres élèves de voter. Si ce groupe de sept ou huit élèves disait : « Nous avons eu une élection démocratique ! Notre classe est démocratique ! », tu aurais raison de dire : « Votre démocratie est rachitique ; il faudrait laisser voter toute la classe… » C’est cela qui s’est produit à Athènes, il y a plus de 2 000 ans. On décida, ce qui était nouveau, que les décisions seraient prises par les citoyens rassemblés sur l’agora et non pas par un roi ou par un tyran. Mais les Athéniens décidèrent que les femmes ne voteraient pas, les esclaves non plus, les étrangers non plus, les pauvres non plus… Dire qu’Athènes était « gouvernée par le peuple », c’est exagéré, car le peuple qui votait n’était qu’une partie du peuple.
19
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 20
La famille des CRATIES Le mot cratie vient de la langue grecque. Il veut dire gouverner, conduire, pouvoir. Quand on veut dire qui gouverne ou qui décide, on prend le nom de ceux qui décident et on le colle au mot cratie. Regarde ce que ça donne :
aristocratie :
gouvernement par la noblesse. Aristos, en grec, veut dire « le meilleur ». Cela, c’est ce que pensent les nobles dont je t’ai parlé tantôt !
ploutocratie : gouvernement par les riches. Ploutos, en grec, veut dire « richesse ». gérontocratie :
gouvernement par les vieillards. Gérôn, en grec, veut dire « vieillard ».
théocratie : gouvernement par des personnes qui prétendent représenter Dieu. Théos, en grec, veut dire Dieu. Si tu regardes maintenant le mot démocratie et si je te dis que, en grec, le mot demos veut dire « peuple », tu devines tout de suite que démocratie fait partie de la famille des craties et veut dire que c’est le peuple qui gouverne. En démocratie, tout le monde a quelque chose à dire dans les décisions. C’est pour cela qu’il faut des élections. (Si je te demandais maintenant ce qu’est une parentscratie ou une mamancratie ou une papacratie, je suis certain que tu pourrais me répondre… ! Mais si je te demandais si une famille est une démocratie, peut-être que tu me ferais des grimaces…)
20
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 21
Les Jeux olympiques étaient-ils démocratiques ? À l’ouverture des Jeux olympiques à Olympie au temps des anciens Grecs, on demandait ceci à la foule : « Quelqu’un d’entre vous peut-il reprocher à l’un de ces athlètes de n’être pas de naissance pure et de condition libre, d’avoir été puni de fers, d’avoir montré des mœurs indignes ? » Cela éliminait les étrangers, puisqu’ils n’étaient pas de « naissance pure », les esclaves, puisqu’ils n’étaient pas « de condition libre », et tous ceux qui s’étaient mal conduits et qui avaient été enchaînés. D’après toi, les Jeux olympiques des anciens Grecs étaient-ils démocratiques ?
Avec le temps, Athènes aurait peut-être élargi et renforcé sa démocratie. Mais elle fut conquise par les rois de Macédoine, Philippe et son fils Alexandre, qui, eux, n’aimaient pas les élections et qui, en plus, avaient le contrôle de l’armée.
Le peuple ne peut quand même pas gouverner ! Quand j’ai dit qu’en démocratie, c’est le peuple qui gouverne, tu as sûrement sursauté : « Ça n’a pas de bon sens ! Dans quel stade voulez-vous réunir le peuple au complet pour qu’il prenne des décisions… ? » Tu as raison et tu aurais pu ajouter ceci : « Athènes comptait moins de 30 000 personnes et à peine quelques milliers d’hommes participaient aux discussions. Pensez-vous que « le peuple » peut gouverner une ville d’un million ou un pays de 30 millions de personnes ? » De fait, soyons honnêtes : le fameux gouvernement par le peuple fonctionne quand le peuple… est aussi peu nombreux qu’une classe ou une famille. En tout
21
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 22
cas, quand il peut loger dans un auditorium. Et encore ! Si l’on veut mettre de la démocratie dans les grandes villes et à travers des pays entiers, il faut donc trouver une ruse. Cette fois-là, ce sont les anciens Romains et non plus les anciens Grecs qui ont inventé la solution. Cinq cents ans plus tard. En fait, les Romains ont trouvé non pas la solution, mais, comme les Grecs, le commencement de la solution. Voistu, les anciens Romains – avant Jésus-Christ, avant César – ont abouti aux mêmes problèmes que les Grecs : seuls les Romains les plus importants, les riches ou les nobles, avaient le droit de vote, ce qui mettait en furie la grande majorité de la population. Pour calmer les gens, les riches et les nobles finirent par faire une petite concession à la population : « D’accord, envoyez-nous dix représentants. Ils voteront avec nous. » On appelait tribuns ces représentants du monde ordinaire. Les nobles et les riches, bien sûr, étaient plus de dix. Ils en profitaient pour noyer les opinions des tribuns et l’aristocratie continuait à gouverner. (Tu te souviens de la famille des craties ? Tu te rappelles ce qu’est l’aristocratie ?) Leur démocratie trichait, car le système n’était pas juste, mais c’était un début : au moins la population parlait par la bouche de ses représentants et se faisait raconter la réunion par ses tribuns. Le plus drôle, c’est que les riches et les nobles commencèrent à être jaloux des gens qui se faisaient représenter par les dix tribuns. Les pauvres ne passaient pas des heures en discussions, mais ils en savaient presque autant que ceux qui avaient discuté pendant des pleines journées. Tu me vois venir. Au bout de quelque temps, riches et nobles, eux aussi, se choisirent des représentants et… boudèrent les discussions. Comme il y avait moins de monde, les discussions devinrent moins longues et les décisions plus rapides. C’était un peu la formule d’un conseil étudiant dans une école : au lieu de réunir des centaines d’élèves, chaque classe envoie un représentant et on prend les décisions avec quinze, dix-huit ou vingt-deux élèves. Quand ce sont les représentants qui décident et non plus le peuple, est-ce qu’on a encore la démocratie ? est-ce encore le peuple qui gouverne ? Pas tout-à-fait, on a le gouvernement par les représentants du peuple. On appelle cela la démocratie par délégation, puisque ce sont les délégués du peuple qui prennent les décisions. Quand les décisions sont prises par l’ensemble du peuple et non pas par les délégués ou les représentants, le système s’appelle démocratie directe.
La démocratie directe, c’est possible, mais… As-tu l’impression que la démocratie directe est impossible dans les villes ou les pays où il y a des millions de personnes ? Si c’est cela que tu as compris, c’est signe que je n’ai pas été clair. La vérité, c’est que, oui, on peut consulter des millions de personnes et qu’on peut donc avoir la démocratie directe. Par exemple, un réfé-
22
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 23
rendum, c’est de la démocratie directe. Quand on demande à toute la population si elle veut la conscription militaire ou si elle veut que le Québec devienne un pays souverain, ce ne sont pas seulement les représentants du peuple qui décident, mais le peuple lui-même. Le problème, c’est que, si on consulte des millions de personnes chaque fois qu’on veut savoir si on achète de nouvelles automobiles pour la police ou si on change l’horaire des piscines publiques, on n’en finit plus. C’est pour cela que, au Québec et au Canada, on n’a pas organisé beaucoup de référendums. Mais il y a des pays, comme la Suisse, qui en font beaucoup.
En démocratie, tout le monde doit pouvoir voter Des référendums très rares Au Canada, il y a eu un référendum en 1942 sur la conscription. Fallait-il, oui ou non, forcer les gens à s’enrôler pour aller combattre en Europe ? À Terre-Neuve, il y eut deux référendums de suite en 1947 et 1948. On demanda à la population si elle voulait que Terre-Neuve devienne une province canadienne. La première fois, les gens ont dit non ; l’année suivante, le oui l’a emporté, mais « par la peau des dents »… Au Québec, il y eut deux référendums à propos de la souveraineté. Au premier, en 1980, les gens ont dit non dans une proportion d’à peu près 60 % contre 40 % ; au deuxième, en 1995, ils ont encore dit non, mais le résultat fut beaucoup plus serré : à peu près 51 % contre 49 %.
Tu te souviens de notre monsieur Churchill, celui qui disait que la démocratie était « le pire système… à part de tous les autres » ? Eh bien ! Tu vas voir à quel point Churchill avait raison : oui, la démocratie est un moins mauvais système que les autres, mais il faut la surveiller tout le temps. Sinon, la démocratie devient aussi dangereuse que la force physique, les combats de chefs ou l’hérédité. Que faut-il surveiller ? D’abord, le droit de vote. Il ne faudrait pas, 2 500 ans après les Grecs d’Athènes, faire la même chose qu’eux ou pire. Si nous voulons une vraie démocratie, il faut donner le droit de vote à tout le monde, à vraiment tout le monde. Or, ce n’est pas toujours le cas. Les femmes, par exemple, dans presque tous les pays du monde, ont obtenu le droit de vote longtemps après les hommes. Au Québec, des députés ont été élus
23
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 24
à l’Assemblée législative en 1791, mais par les hommes seulement. Les femmes ont voté aux élections fédérales du Canada pour la première fois pendant la guerre de 1914-1918. Aux élections provinciales du Québec, les femmes ont voté pour la première fois en 1944. Cent cinquante-trois ans après le premier vote masculin ! On parlait de démocratie et de « gouvernement par le peuple », mais, comme à Athènes, on avait oublié les femmes…
Le droit de vote est aussi refusé à d’autres Depuis quand les femmes votent-elles ? ●
au Massachusetts (État américain), depuis 1691;
●
en Suède (élections municipales), depuis 1862;
●
en Nouvelle-Zélande, depuis 1893;
●
en Australie, depuis 1894;
●
en Norvège, depuis 1913;
●
au Danemark et en Islande, depuis 1915;
●
en Union soviétique, depuis 1917;
●
au Canada, en Autriche, en Pologne et au Luxembourg, depuis 1918;
●
en Tchécoslovaquie, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède, depuis 1919;
●
en Hongrie et aux États-Unis, depuis 1920;
●
au Québec, depuis 1944;
●
en France, depuis 1945;
●
en Suisse, depuis 1971;
●
mais elles ne votent pas encore dans certains pays comme l’Arabie Saoudite.
24
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 25
Dans certains pays, ce ne sont pas les femmes qui sont privées du droit de vote, mais certains groupes de citoyens. L’Afrique du Sud, par exemple, a eu pendant des années un régime de ségrégation raciale qu’on appelait l’apartheid. On interdisait aux Noirs de voter, même si les Noirs étaient beaucoup plus nombreux. Au Soudan, les provinces du Sud ne votent pas et elles n’ont rien à dire dans les décisions du gouvernement.
Notre démocratie est-elle parfaite ?
Nelson Mandela Nelson Mandela est un Noir d’Afrique du Sud qui devint avocat et qui contesta toute sa vie le régime raciste de l’apartheid. Il fut arrêté, condamné et passa plus de vingt-cinq ans en prison. Il fut finalement libéré en 1990, lorsque l’apartheid fut supprimé. Il y eut en 1994 des élections où les Noirs eurent le droit de voter comme les Blancs… et Nelson Mandela, l’ancien prisonnier, fut élu président de son pays.
Jamais les égaux des Européens « Quand j’aurai le contrôle de l’éducation indigène, je la réformerai pour faire en sorte qu’on fasse comprendre dès l’enfance aux indigènes qu’il n’est pas question pour eux de jamais devenir les égaux des Européens. (…) Des enseignants qui croient en cette égalité ne sont pas à souhaiter pour les indigènes. » Le premier ministre d’Afrique du Sud en 1953
25
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 26
Tu te dis peut-être que la démocratie que nous avons chez nous ne mérite plus de reproches. Les femmes votent comme les hommes depuis plus de cinquante ans, la couleur de la peau ne change rien au droit de vote… Laisse-moi quand même te poser deux questions, mais je te dis d’avance que je ne pourrai pas te donner les réponses, car je ne les ai pas. Première question : À partir de quel âge devrait-on avoir le droit de vote ? Est-ce que l’opinion d’un jeune de 17 ans est plus stupide que l’opinion d’une personne de 50 ans ? Il n’y a pas longtemps, les jeunes ne pouvaient pas voter avant l’âge de 21 ans, mais on pouvait les envoyer à la guerre dès l’âge de 18 ans. Tu vois l’injustice : « Vous êtes assez vieux pour donner votre vie pour la patrie, mais vous n’avez rien à dire quand c’est le temps de choisir le chef de la patrie… ! » Les choses se sont améliorées depuis quelques années, mais peut-être devrait-on donner le droit de vote plus vite. Qu’en penses-tu ? Deuxième question : Est-ce que les immigrants devraient obtenir le droit de vote plus vite que maintenant ? Devraient-ils avoir le droit de voter dès leur arrivée ? Autrefois, on attendait des années avant de permettre aux immigrants de devenir citoyennes et citoyens canadiens. Mais aujourd’hui, avec la rapidité de l’informatique, on est capable de savoir presque instantanément si le monsieur qui arrive d’un pays lointain a laissé là-bas une femme et des enfants, s’il a commis des crimes ailleurs dans le monde et s’il essaie d’échapper à Interpol… Si on demande à un immigrant de payer l’impôt à nos gouvernements, devrait-on lui permettre, à lui aussi, de choisir les gouvernants ? Qu’en penses-tu ?
En démocratie, il faut pouvoir choisir vraiment Tu as compris que dans une vraie démocratie tout le monde doit avoir le droit de vote. Mais, même dans les pays où on accorde le droit de vote à tout le monde, on réussit parfois à tricher. Si, par exemple, je mets un seul nom sur tous les bulletins de vote, je triche : tous vont voter, mais tout le monde va forcément choisir la même personne. La population n’aura pas vraiment choisi son chef. On a connu ce genre de tricherie pendant que Staline était le chef tout-puissant de l’Union soviétique. Les gens votaient, mais ils avaient le choix entre Staline… et le rejet de Staline : ■ Je suis pour Staline. ■ Je ne suis pas pour Staline. Certaines personnes, très rares et très courageuses, ne mettaient pas leur « X » devant le nom de Staline ; elles couraient ainsi le risque d’aboutir pour quelques années
26
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 27
27
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 28
au goulag ou, si tu préfères, dans les pénitenciers de Sibérie. Staline obtenait 98 % ou 99 % des votes, mais était-il élu démocratiquement ? Dans d’autres tricheries, on fait semblant de donner aux gens le choix entre plusieurs partis ou plusieurs candidats, mais on s’arrange pour qu’un seul parti ou un seul candidat puisse se présenter à la télévision, acheter de la publicité dans les journaux et faire une vraie campagne électorale. Encore là, on triche et la démocratie n’est pas vraiment respectée. Le Mexique fonctionne comme cela depuis soixante-quinze ans. On fait semblant d’y tenir de vraies élections, mais le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) gagne toujours. Forcément, car les autres partis politiques n’ont pas d’argent. Ils sont intimidés par l’armée et leurs candidats courent même le risque de se faire tuer.
Attention au découpage ! Pour tromper les gens, on peut aussi tricher dans le découpage des comtés ou, si tu préfères, des circonscriptions électorales. Pour comprendre ce genre de tricherie, pense au conseil étudiant de toute l’école : si une classe de 20 élèves a deux porte-parole au conseil et qu’une classe de 30 élèves en a seulement un, c’est injuste. Dans une élection politique, c’est la même chose : si un comté où il n’y a qu’une faible population a droit à un député et qu’un comté où habitent 100 000 personnes a droit lui aussi à un député, il y a tricherie. Si 20 élèves ont droit à un porte-parole, il faut que 40 élèves en aient deux. Au Québec, ce genre de tricherie n’existe plus, car tous les comtés comptent à présent presque la même population. Mais il y a eu autrefois des élections québécoises où les 5 000 personnes du comté de Bagot avaient un député et où les 100 000 personnes du comté de MontréalJacques-Cartier en avaient aussi… un. Tu l’as compris, il ne suffit pas de faire voter tout le monde. Encore faut-il que tous les votes aient la même importance.
La démocratie, est-ce la même chose que la majorité ? 28
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 29
Après avoir lu tout cela, peut-être as-tu l’impression qu’on peut faire passer des tests de démocratie à tous les pays du monde en utilisant une calculatrice et une balance ! Ce serait facile ! On compterait les personnes et on comparerait avec le nombre de votes, on mesurerait les comtés et on regarderait si tous les comtés ont à peu près le même nombre de votes, on additionnerait tout cela et, vlan !, le résultat apparaîtrait… En fait, non, ce n’est pas si facile. Il y a dans la démocratie des éléments qu’on peut compter ou peser, mais il y en a aussi qui ne pèsent rien et qui sont presque invisibles. Des éléments comme cela, on en voit d’ailleurs un peu partout. Par exemple, chez une patineuse artistique, un joueur de hockey ou un pilote de course, il y a des qualités qui échappent au ruban à mesurer ou au chronomètre : le charme, la volonté, le style… Tu regardes tel joueur de hockey et tu te dis : « Il est bien trop petit pour jouer dans la ligue nationale. Les gros joueurs vont l’écraser tellement creux dans la bande qu’on va pouvoir peinturer par-dessus lui… » Et pourtant il joue et compte sa part de buts. Ou bien c’est une comédienne qui a l’air timide à en mourir et qui, tout à coup, exprime si bien ses sentiments que tes yeux commencent à piquer. Ces choses-là ne se mesurent pas ou se mesurent difficilement. Il faut, pour les sentir et les voir, des yeux qui travaillent un peu comme des rayons X, des yeux qui voient ce qui échappe aux balances et aux chronomètres. Regarde la démocratie avec ce regard « perçant ». Tu vas voir qu’un vote apparemment
29
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 30
démocratique peut cacher quelque chose de pas démocratique du tout. Je te donne un exemple. Imaginons qu’il y a, dans ta classe, un ou une élève d’une autre origine ou d’une autre couleur que les autres. Imagine que quelqu’un dise : « Je ne veux pas de lui ou d’elle avec nous. Prenons un vote pour savoir si, oui ou non, nous l’expulsons. » Disons qu’une majorité de votes est en faveur de l’expulsion. Je te demande alors ceci : « Ce vote est-il démocratique ? » Pour me répondre, il faudra que ton regard « rayons X » pénètre à l’intérieur de ce vote-là. Ce n’est pas facile. Autour de toi, on te dira peut-être que tu cherches pour rien : « Tout le monde a eu le droit de vote, tous les votes ont été comptés correctement, tous les votes ont eu le même poids. L’expulsion a donc été décidée démocratiquement. » Si tu as senti, toi, que cette démocratie-là n’est pas correcte même si les chiffres disent que oui, c’est le signe que tu es en train de pénétrer à l’intérieur même de la démocratie et de comprendre comment son « cœur » fonctionne. Ton regard « rayons X » a vu qu’un vote majoritaire n’est pas toujours un vote démocratique. Bravo !
30
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 31
La majorité veut dire plus que la moitié. S’il y a 30 élèves dans ta classe, la majorité, c’est au moins 16 élèves. Dans cette classe, un vote majoritaire, ce sera le point de vue de 16, de 19, de 25 ou de 29 élèves. Si les 30 élèves pensent la même chose, le vote sera unanime.
Une addition qui oublie un élément… Le problème, c’est que tout le monde ne « sent » pas la différence entre majorité et démocratie. Ceux et celles qui « voient » seulement le nombre et le poids des votes sont prêts à toujours obéir à la majorité. D’après eux, c’est à la majorité de décider si on expulse l’élève différent. Il faudrait aussi, d’après eux, que le gouvernement obéisse à la majorité si elle veut rétablir la peine de mort, si elle veut éliminer les personnes trop âgées ou incurables, si elle veut éliminer l’aide sociale… Nous nous trouvons, toi et moi, devant une question extrêmement difficile. D’un côté, tu « vois » que, dans certains cas, la majorité a tort ; d’un autre côté, tu te demandes si les personnes qui ont été choisies pour nous gouverner ont le droit de désobéir à la majorité. Pas facile ! Heureusement, ton regard «rayons X » est là. Lui, il a « vu » que la démocratie exige quelque chose de plus que la liberté du vote, que le nombre de votes, que le poids égal des votes. Demande à ton regard de préciser son foyer ; essayons de trouver ce quelque chose.
Que manque-t-il à l’addition démocratique ? 1. Que le vote soit libre
+ 2. Que tout le monde puisse voter
+ 3. Que tous les votes aient la même importance
+ ?????????????? ______________________________________
TOTAL : UNE VRAIE DÉMOCRATIE
31
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 32
C’est spécialement important aujourd’hui que nous trouvions ce quelque chose. Pourquoi ? Parce que, aujourd’hui bien plus qu’autrefois, il y a dans les classes, dans la rue, partout, des gens qui ont des coutumes, des vêtements, une religion, une couleur de peau complètement différents de ce que connaît la majorité. Il y a toutes sortes de minorités qui risquent d’être mal traitées si la majorité se prend pour la démocratie et pense qu’elle a le droit d’obliger toutes les minorités à la copier. Avant, à peu près tout le monde allait à l’église et à peu près tout le monde obéissait au clergé. Ce n’est plus vrai. Avant, on ne savait pas grand-chose des autres pays et des autres cultures. Aujourd’hui, on sait ce qui se passe aux États-Unis, en Europe, en Asie et on veut choisir entre des modes et des musiques différentes. Si la démocratie et la majorité sont la même chose, cela veut dire qu’une majorité pourrait décider d’interdire le « rock » ! Tu sens bien que cela n’a pas de bon sens. Toi, tu penses peut-être que, dans le cas de la peine de mort, la majorité a raison, mais tu ne voudrais pas, par exemple, que la majorité blanche des États-Unis enlève le droit de vote à la minorité noire, portoricaine ou hispanophone. Tu vois le problème : il s’agit de savoir dans quels cas le gouvernement doit obéir à la majorité et dans quels cas il a le droit et même le devoir de ne pas suivre la majorité. C’est cela le quelque chose que nous cherchons.
La minorité a le droit de vivre Nous savons quand même déjà quelque chose : en démocratie, ceux et celles qui ne sont pas d’accord avec la majorité ont le droit de vivre. Ceux et celles qui préfèrent le rock ne sont pas expédiés en Sibérie ou devant le peloton d’exécution même si la majorité aime mieux Scriabine (vraiment ?). Ils peuvent avoir d’autres goûts que ceux de la majorité. Dans les pays où règne un dictateur, c’est différent : mieux vaut ne pas contredire le dictateur. Dans un pays démocratique, tu n’as pas besoin de t’engager un garde du corps à la Clint Eastwood si tu vas dire à la télévision que le gouvernement a tort. La démocratie, c’est un régime où la majorité laisse la minorité vivre et s’exprimer. Ce qui ne veut pas dire que la majorité
32
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 33
Déclaration universelle des droits de l’homme Article 18 – Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. Nations Unies, 10 décembre 1948
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen Article 10 – Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. Article 11 – La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. France, 26 août 1789
ne doit rien décider.
La « liberté de pensée » est-ce assez ? La démocratie, tu le vois bien en lisant les textes un peu pompeux des Nations Unies ou des Déclarations des droits de différents pays, te donne le droit de choisir tes gouvernants, ce qui est déjà beaucoup, mais elle reconnaît aussi ton droit de penser ce que tu veux. Si tu penses la même chose que la majorité, tant mieux ; si tu penses autre chose que la majorité, tant mieux encore ! La majorité aura le droit de prendre des décisions, mais elle n’aura pas le droit de te martyriser parce que, toi, tu as des opinions différentes. Si tu fais partie d’une minorité, tu auras le devoir d’accepter les décisions de la majorité, mais tu auras aussi le droit de penser autrement. Tout cela est bien beau, mais la liberté de pensée, ce n’est pas suffisant. Te don33
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 34
ner le droit de penser, cela ne t’avance pas beaucoup, si tu n’as pas aussi le droit de dire ce que tu penses. Que tu sois en Sibérie ou au Québec, tu peux, en effet, penser ce que tu veux. La différence démocratique entre l’Union soviétique de Staline et le Québec, ce sera celle-ci : ici, tu peux dire, exprimer, écrire ce que tu penses, tandis que mieux valait, là-bas, garder tes pensées personnelles dans ta petite tête si tu voulais conserver ta tête. Une belle petite différence, non ? Cela veut dire, par exemple, que les perdants dans une élection qui se passe ici ont le droit, après l’élection, de dire, encore, encore et encore, qu’ils ne sont pas d’accord. Ceux qui ont gagné le référendum ont le droit de se vanter de leur victoire et les perdants ont encore le droit de défendre leurs idées. Encore, encore et encore. Sans risquer leur tête.
La démocratie, il faut la prouver En démocratie, ce droit de défendre tes idées contre la majorité va très loin. Tu as le droit, par exemple, de créer un journal pour mieux répandre tes idées ou encore d’organiser ton propre parti politique pour augmenter tes chances de gagner la
34
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 35
prochaine élection ou le prochain référendum. C’est pour cela qu’un des bons tests à faire subir aux pays qui se prétendent démocratiques, c’est de leur demander : « Combien y a-t-il de partis politiques chez vous ? » Si on te répond : « Un seul, mais tout le monde l’aime… », tire ta conclusion : ce pays-là n’a pas la démocratie. Demande aussi ceci : « Combien avez-vous de journaux ou de médias différents et indé-pendants ? » Encore là, si on te répond qu’il y a une seule chaîne de télévision ou un seul journal quotidien « parce que les gens trouvent que c’est épuisant de choisir », tu peux gager que ce pays-là n’est pas démocratique. On aura beau te dire que « les gens ont la liberté de pensée », ne te laisse pas tromper. La vraie liberté de pensée, tu la trouves là où les gens ont la liberté de s’exprimer, là où les gens peuvent exprimer des idées minoritaires, là où la population peut choisir entre différents partis politiques et entre différents médias. Si, par exemple, les journalistes peuvent se promener partout, s’ils ont la liberté de rapporter tout ce qu’ils voient, si les gens peuvent lire ou écouter tantôt ce que disent les journalistes de leur pays tantôt les reportages des journalistes étrangers, on pourra dire que le pays accorde à sa population la liberté démocratique. Le pluralisme, c’est cela : avoir
Comment mesurer la démocratie Tu as déjà entendu parler à la télévision des Médecins sans frontières ou des Reporters sans frontières ? Ce sont des groupes de médecins et de journalistes qui essaient d’aller dans tous les endroits du monde où la liberté et la démocratie sont menacées. À Sarajevo, ils étaient là. À Beyrouth, ils étaient là. En Somalie, ils étaient là. Ces médecins et ces journalistes sont comme toi. Ils essaient de se donner un regard « rayons X ». Ils veulent voir quels pays sont vraiment démocratiques, lesquels ne le sont pas du tout et lesquels prétendent l’être tout en trichant. Voici les 18 « trucs » ou tests qu’ils ont trouvés pour mesurer la démocratie. S’il y a des mots qui te paraissent compliqués, demande des explications. Sur 18 « trucs », tu en comprends déjà au moins la moitié et peut-être plus. Compte-les, tu verras ! ●
le pluralisme politique;
●
déroulement et portée des élections;
●
le droit de vote des femmes;
35
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 36
●
la presse, la censure et l’État;
●
pluralisme de la presse écrite;
●
pluralisme de l’audiovisuel
●
liberté de circulation des journalistes;
●
circulation des journalistes étrangers;
●
liberté d’enquête sur les atteintes aux droits de l’homme;
●
liberté syndicale et droit de grève;
●
le poids des militaires;
●
les obligations militaires;
●
les coups d’État depuis 1960;
●
foyers de guerres civiles et troubles internes;
●
pressions internationales et ingérences militaires;
●
dépendance économique : les pays fournisseurs;
●
dépendance économique : les pays clients;
●
l’endettement international.
Atlas mondial des libertés, Arléa, 1989
non pas un média unique, mais un « pluriel de médias », non pas un parti unique, mais un « pluriel de partis ».
La loi n’est pas une girouette Faisons un autre pas. Si tu as vu le film La Fête des Rois, tu te souviens sûrement de ce que criait l’adolescent quand le moindre coup de sonnette à la porte d’entrée déclenchait l’agitation dans la maison : « On se calme. » Il avait compris, lui, que l’énervement donne rarement des bons résultats. « On se calme », cela veut dire : « La décision prise calmement est meilleure que la décision influencée par l’énervement ou la colère. » Tu sais bien, toi aussi, que tes résultats d’examens ne sont pas meilleurs, loin de là, quand tu t’énerves. La démocratie a compris la même chose : elle demande aux gens de prendre leur temps, de « se calmer », avant de prendre les décisions les plus importantes. Quand la majorité se fâche parce qu’il y a eu un crime terrible la veille au soir, la démocratie met les freins: « On se calme ! »
36
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 37
« Si vous décidez ce matin de pendre l’assassin, votre vote est précipité. » La démocratie respecte la majorité, mais la démocratie lui demande de se servir de sa tête. « On se calme ! » La démocratie a aussi compris que c’est « payant » d’attendre. Ce que je dis pendant une colère est toujours plus cruel et plus idiot que ce que je dirais deux jours après. Quand je suis calmé, j’admets que j’avais ma part de torts dans la discussion. Avec le temps et le « calme » ce qu’il y a de meilleur en moi prend le dessus. La majorité aussi doit faire monter le meilleur. Car la démocratie a besoin de ce qu’il y a de mieux en nous. Comme elle veut que les gens se respectent et qu’ils tolèrent les défauts et les différences des autres 37
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 38
personnes, elle leur demande de « se calmer ». Quand ils sont « refroidis », leur intelligence et leur bon cœur prennent les décisions, et non plus la colère. Ton regard « rayons X » avait vu juste tantôt quand tu trouvais qu’il était peu démocratique d’expulser l’élève différent des autres : le vote était majoritaire, mais il avait probablement été pris dans un moment de colère ou d’énervement et il n’était pas nécessairement démocratique. Ne te laisse donc pas impressionner si on te dit : « Un sondage montre que 68 % des gens veulent abolir la ceinture de sécurité. » Attends de voir si les gens étaient « calmes » quand ils ont répondu et s’ils avaient pris le temps de réfléchir.
Ne pas jouer au yo-yo Jusque-là, j’espère que nous sommes d’accord. Oui, la démocratie doit tenir compte de la majorité, mais la majorité ne doit pas se conduire comme une girouette. Si, au lendemain d’un accident qui a causé six morts sur l’autoroute, la majorité demandait une loi limitant la vitesse à 60 kilomètres/heure, cette loi ne durerait pas longtemps. Au bout d’une semaine ou deux, on commencerait à oublier les victimes. Les médias demanderaient aux camions de marchandises de livrer plus vite, les gens voudraient se rendre plus vite à leur travail… et on adopterait une nouvelle loi pour hausser la limite de vitesse… jusqu’au prochain accident mortel. À force de jouer au yo-yo avec les limites de vitesse, plus personne ne saurait la vraie limite. Ce serait, pour les citoyens comme pour les policiers, le fouillis total. Mon exemple n’est pas parfait. Il montre quand même que la démocratie ne peut pas, même si la majorité veut du blanc aujourd’hui et du noir demain, changer la loi tous les jours selon la mode ou les caprices. C’est encore plus vrai dans le cas des lois ou de droits très importants comme la liberté de s’exprimer, comme le droit d’avoir un avocat en cas d’arrestation, comme le droit à l’intimité… Dans ces cas-là, beaucoup de pays finissent par écrire et par adopter une loi particulièrement difficile à changer qu’ils appellent constitution ou charte des droits. Ils mettent là-dedans les principes qui méritent une stabilité particulière et ils s’arrangent pour qu’il soit compliqué d’y toucher. C’est une preuve de la prudence et de l’humilité des pays démocratiques : ils admettent qu’ils peuvent se tromper et ils acceptent d’avance de « ralentir dans les virages ». C’est le genre de précautions que les gens prudents et humbles prennent dans leur testament : « Si, dans ma fièvre ou mon délire, je demande de déshériter mes enfants au profit du jardin zoologique, ne tenez pas compte de mon testament à moins que je dise la même chose trois mois de suite. » De cette manière, je me protège contre mes propres dérapages : si j’ai changé mon testament sur un coup de tête ou parce que j’étais déprimé ou parce que j’ai rencontré quelqu’un qui m’a fait pleurer sur le sort des petits pandas, j’ai une chance de retrouver mon bon sens à temps. Un pays démocratique
38
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 39
a cette humilité : « Je veux respecter la majorité, mais je mets certaines lois au-dessus des caprices. Si vous voulez que je les change, donnez-moi la garantie que la société veut vraiment, lorsqu’elle est lucide, lorsqu’elle est calmée, les changer. » Tu peux maintenant ajouter l’élément qui manquait dans notre addition de tantôt : un vote libre + le vote de tout le monde + des votes égaux + … du « calme », jusqu’à ce que le meilleur remonte à la surface.
Parfois, il faut de bonnes lunettes ! Tu as sûrement déjà vu des exemples d’illusion d’optique. Celle-ci est bien connue. Regarde les deux lignes suivantes et dis-moi laquelle est la plus longue. La grande majorité des gens choisissent la deuxième, alors que les deux ont exactement la même longueur. L’explication ? Les petits traits inclinés créent une impression trompeuse. Les architectes, les ingénieurs, les dessinateurs connaissent une foule de trucs de cette nature. Avec un mur en miroir, par exemple, ils créent l’illusion que le restaurant ou le salon est beaucoup plus spacieux qu’il ne l’est en réalité. Dans un dessin ou un plan, cela peut être intéressant, mais si on parvient, par des trucs, à faire croire aux gens qu’ils vivent en démocratie alors que, en fait, ils ne choisissent pas librement leurs représentants ou leur gouvernement, là, les choses deviennent graves. Car il s’agit d’une illusion… de démocratie. Prenons des exemples. Dis-moi si les résultats suivants respectent les règles de la démocratie. 39
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 40
●
Un président américain, nous dit-on, a été élu avec 52 % des votes, mais on « oublie » de dire que seulement 40 % des gens ont voté. Ce président n’a pas été choisi par la majorité des gens de son pays, mais l’illusion est là.
●
Au Québec, en 1966, le Parti libéral de M. Jean Lesage obtient 47 % des votes et l’Union nationale de M. Daniel Johnson obtient 41 %. Pourtant, parce que le parti de M. Johnson a obtenu plus de comtés, il a pris le pouvoir.
●
Au Québec, en 1973, le Parti québécois obtient 30 % des votes, mais seulement 5 des 108 sièges de députés. Le Parti libéral, avec 55 % des votes, obtient 102 sièges.
●
Au Québec, en 1981, l’inverse se produit : le Parti québécois obtient à peine plus de votes que le Parti libéral (49,2 % contre 46,1 %), mais il obtient 65 % des sièges contre 34 % pour son adversaire.
●
Au Québec, en 1987, 67 % des maires et 72 % des conseillers municipaux sont déclarés élus sans le moindre vote : ils n’ont pas eu d’adversaire.
●
Aux Nations Unies, cinq pays (USA, Angleterre, France, Russie, Chine) possèdent le droit de veto : chacun de ces pays peut, par son seul vote, bloquer une décision. Même si le vote est de 160 à 1, l’ONU ne peut agir.
La démocratie – tu te rappelles Churchill ? – est un beau système, mais il faut éviter les illusions de démocratie.
Qui décide : la liberté ou l’argent ? Quand tu vas au cinéma ou quand tu loues un film vidéo, sur quoi te bases-tu pour choisir ? Sur ce que tes copains et tes copines t’ont dit, dans le genre : « Celui-là, c’est super ! » ? Choisis-tu plutôt d’après les acteurs et actrices qu’il y a dans le film, d’après Tom Cruise ou Nicole Kidman, Arnold Schwarzenegger ou Sigourney Weaver ? Vas-tu au cinéma le mardi parce que c’est moins cher ? Te fies-tu au journal ? À la télévision ? Toutes les réponses sont possibles. Aucune méthode ne fait de toi un imbécile ou un génie ; chacun et chacune choisit à sa manière. Mais… Car il y a un mais. Si quelqu’un est capable de t’influencer au point de te faire choisir le film de son choix, d’après moi, tu as un problème sur les bras. Si c’est lui ou elle qui choisit à ta place et qui t’expédie dans telle salle ou à tel film, il y a un morceau de ta liberté qui vient de disparaître. Ta vie est orientée par quelqu’un d’autre que toi. Il se peut que tu me dises : « Ça ne me fait rien ! On a les mêmes goûts et j’aime qu’il choisisse à ma place. » Peut-être. Il se peut que cela te paraisse sans importance : « Bah ! Il s’agit seulement de films ou de vidéos ou de pop-corn ou de sortes de tablettes de chocolat… » Je gage cependant que tu te sentirais humi-
40
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 41
lié et méprisé si tu entendais quelqu’un dire dans ton dos : « J’ai simplement à lui montrer dix fois la même publicité et il va aller voir le film que je veux lui vendre. » Là, tu bondirais. Si l’on parle de décisions graves, je parie que tu n’aimerais pas qu’une autre personne décide à ta place que tu feras plus tard tel métier ou que tu dois accepter tel travail d’été. Je suis donc certain que tu dirais : « ce n’est pas démocratique! », si quelqu’un, parce qu’il a des millions de dollars et des heures de télévision pour vendre son programme aux électeurs et aux électrices, réussissait à faire voter la population selon ses goûts à lui. Tu ne trouverais pas juste qu’un candidat ou un parti ait des millions et que les adversaires n’aient pas un sou pour leur publicité. Cette question, tu t’en souviens, nous l’avons laissée en chemin : que reste-t-il de la démocratie et de ta liberté de choisir quand certaines personnes, certaines compagnies, certains candidats ou certains partis politiques ont les moyens de noyer les gens sous des flots de publicité ? Est-ce que la publicité diminue la liberté démocratique ? Est-ce qu’elle la supprime ? Estce de la tricherie ? Beaucoup de pays – mais pas tous ! – ont une Loi sur les élections qui interdit certains abus. Dans tel pays, on plafonne les dépenses ; dans tel autre, on met des périodes de radio et de télévision gratuites à la disposition des différents partis…
Au Québec, que vaut notre démocratie ? 41
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 42
Un ancien premier ministre du Québec disait souvent : « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console. » Auraitil dit la même chose en regardant le genre de démocratie que nous avons au Québec ? Très probablement. Je t’ai donné tantôt des exemples de démocratie imparfaite ou même hypocrite. Quand un parti a moins de députés qu’il n’en mérite ou, au contraire, deux fois plus qu’il ne devrait, la démocratie est enlaidie. Le Québec a parfois triché avec la démocratie, soit en découpant les comtés de façon injuste, soit en ne donnant pas aux partis d’opposition une proportion correcte des postes de députés, etc. Nous n’avons donc pas un passé immaculé et nous ne pouvons pas donner des leçons de démocratie aux autres pays. Admettons honnêtement que nous aurions pu faire mieux. D’un autre côté, le Québec peut être fier de ceci : sa démocratie a beaucoup progressé au cours des années. Dans certains domaines, nous sommes tout près des meilleures performances mondiales de la démocratie. Par exemple, le Québec découpe maintenant ses comtés de façon exemplaire : tous ont à peu près le même nombre d’électeurs et d’électrices. Les campagnes électorales sont de plus en plus justes; elles sont aussi très surveillées pour garantir que les différents partis ont la possibilité de s’exprimer. On rembourse même une partie des dépenses électorales aux gens qui posent leur candidature et qui obtiennent un pourcentage raisonnable des votes. Tout cela donne le droit d’être fiers. Mais il y a un autre aspect de la démocratie québécoise qui peut nous rendre, disons, presque orgueilleux : ici, ce sont les personnes et les personnes seulement qui financent les campagnes élec-
42
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 43
torales. Tu vas peut-être me dire : « Mais c’est partout comme cela ! » Non, ce n’est pas partout comme cela. Au Québec, une personne, comme toi, comme ton ami André ou Pierre, comme ta copine Annik ou Linda, peut donner de l’argent à un parti politique, mais une compagnie n’a pas le droit. Aux élections fédérales, c’est différent. Une personne comme toi ou moi n’a pas non plus le droit de donner des millions pour que son parti politique puisse faire un bombardement publicitaire. Cela est extrêmement important. Disons qu’il y a une élection dans un pays où le pétrole est abondant. Imagine qu’un des partis politiques dise aux grandes compagnies pétrolières multinationales : « Aidez-moi à me faire élire et je vous permettrai ensuite d’installer vos puits partout sur mon territoire. » Si la loi de ce pays permet aux compagnies de verser autant de millions qu’elles le veulent dans les caisses électorales, tu sais d’avance ce qui va se produire : le parti qui a fait ce genre de promesses aura tout l’argent qu’il veut pour organiser sa campagne électorale, l’élection ne sera pas démocratique, le pays sera exploité, la population sera plus pauvre et moins libre. Cela, le Québec ne le permet pas. D’une part, les compagnies n’ont pas le droit de mettre un sou dans la caisse électorale des partis ; d’autre part, aucune personne n’a le droit, même si elle est multimillionnaire, de verser plus de 3 000 $ à un parti politique. Par conséquent, quand un parti gagne des élections au Québec, tu peux dire : « Le parti gagnant, c’est celui que voulaient les Qué-bécoises et les Québécois. »
43
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 44
La démocratie a besoin Le plus beau métier du monde Travailler à rendre la société plus juste
+ Équilibrer les chances entre les jeunes qui naissent dans les familles riches et ceux qui commencent les mains vides
+ Inventer et faire adopter des programmes sociaux plus équitables
+ Rendre les gens moins dépendants et moins fragiles…
de tout le monde Ouf ! Cela fait pas mal de choses à surveiller si on veut que la démo-cratie soit une vraie démocratie. N’exagérons quand même pas : la démocratie ressemble tout simplement à une belle plante qu’il faut soigner constamment ou au chien qui devient un ami s’il reçoit des tonnes d’affection. Si tu décides que la démocratie sera pour toi un métier ou une profession, garde cela en tête. Si tu choisis comme métier ou comme profession de travailler à renforcer et à embellir la démocratie, tu auras le plus beau métier du monde, mais aussi le plus exigeant. Ceux et celles qui te diraient que « la politique, c’est sale », oublie-les : fais confiance à tes « rayons X » et vois ce qu’ils ne voient pas… Même si tu n’as pas le goût de « faire de la démocratie à plein temps », tu désires quand même vivre 44
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 45
dans une société démocratique. Tu veux faire ta part pour que ta société soit la plus démocratique du monde. Comment faire ? En choisissant bien tes yeux et tes oreilles ! Qu’est-ce que je veux dire ? Ceci : si tu veux vivre dans une société vraiment démocratique et si tu n’as pas le goût de consacrer tout ton temps à la vie politique, tu obtiendras de bons résultats en choisissant prudemment ceux et celles qui vont te représenter. Si tu décides que tu ne veux pas devenir député ou mairesse, ni représentant syndical ni ministre, arrange-toi au moins pour que les meilleures candidates et les meilleurs candidats soient élus. Si tu ne votes pas ou si tu ne prends pas le temps de réfléchir avant de voter, tu n’as plus le droit de te plaindre si la société fonctionne mal. Chaque fois qu’il y a une élection quelque part, tu as la possibilité d’améliorer la démocratie. Dans chaque cas, prends le temps de t’informer. Examine les candidatures, compare les personnes qui veulent être élues, vote pour celles qui méritent ta confiance. Ne te laisse pas téléguider par la publicité. Ne te laisse pas remplir comme une cruche par les belles promesses. Vote selon ta conscience et ne laisse pas les partis politiques t’imposer leurs candidats ou leurs candidates. Choisis librement la personne qui peut mettre plus de justice entre les êtres humains. Tu es encore jeune, mais tu peux déjà commencer ton « entraînement démocratique ». Vote chaque fois que tu en as l’occasion. Choisis toujours bien ceux et celles qui veulent te représenter. Si tu penses avoir les qualités et le tempérament qu’il faut pour te faire élire et être utile, vas-y : plonge dans le plus
45
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 46
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 47
Postface
À toi de continuer ! Quand j’ai pris ma retraite cet été, j’ai fait ce que tu fais toi-même à la fin d’une journée bien remplie. J’ai regardé derrière moi pour voir ce que j’avais réussi, et j’ai regardé en avant pour voir ce qui restait à faire. J’ai été pendant dix-neuf ans Directeur général des élections du Québec et ce serait long d’énumérer tout ce que ces années ont changé dans nos élections. Retiens ceci : nous devons, toi et moi, être fiers de ce que le Québec a réussi. Nos élections sont parmi les plus honnêtes et les plus démocratiques au monde. Je souhaite que ce petit livre te permette de partager ma fierté. Je souhaite que, à ton tour, tu fasses maintenant ta part pour que le Québec demeure un champion de la démocratie.
Pierre-F. Côté, C.R. Ex-directeur général des élections du Québec
47
La Démocratie #1 EP
28/05/07
10:39
Page 48