40/4 Collection dirigée par Denis Merle
HUGO
Les Châtiments 40 QUESTIONS 40 RÉPONSES � 4 ETUDES
par Hubert DEVYS Agr...
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40/4 Collection dirigée par Denis Merle
HUGO
Les Châtiments 40 QUESTIONS 40 RÉPONSES � 4 ETUDES
par Hubert DEVYS Agrégé de Lettres classiques
Dans la même collection • BALZAC, Le Père Goriot, par J. Broyer, 1996. • CAMUS, La Chute, par D. Merle, 1997. • GIRAUDOUX, Électre, par J. Broyer, 1997. • GOGOL, Nouvel/es de Pétersbourg, par S. Rolet, 1998. • HUGO, Hernani, par G. Tommasino et Ph. Douet, 1996. • HUGO, Ruy Bias, par H. Devys, 1996. • MALRAUX, La Condition humaine, par J. Broyer, 1996. • MALRAUX, L'Espoir, par J. Broyer, 1997. • MOLIÈRE, Le Misanthrope, par M. Lajarrige, 1997. • MOLIÈRE, Les Femmes savantes , par M. Lajarrige, 1998. • MUSSET, On ne badine pas ave c l'amour, par D. Merle, 1996. • RACINE, Phèdre, par Ph. Thénot, 1996. • ROUSSEAU, Les Confessions, Livres 1 à I V, par D. Merle, 1997. • SENGHOR, Éthiopiques, par Ph. Douet, 1997. • VOLTAIRE, Candide, par D. Merle, 1996.
ISBN 2-7298-4852-8 © ellipses / édition marketing S.A., 1998 32 rue Bargue, Paris (ISe). La
loi du 11 mars 1957 n'autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41, d'une part, que les copies Ou reproductions strictement réserlées � l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective )lo, et d'autre part. que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d illustration, ('( toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans Il
le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite l'Articl.
40).
JO,
(Alinéa 1er de
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que Ce soit, sans autorisation de )'écU teur Ou du Centre français d'Exploitation du Droit de Copie (3, rue HautefeuiUe, 750
Paris),
constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code pénal.
• PRÉSENTATION
VICTOR HUGO EN 1853
Victor H ugo naît, l e 2 6 févr ier 1 802, de Léopol d Hugo, futur général d'Emp i re, et de Soph ie Trébuchet. Encore enfant, il compose dans ses Cahiers de vers frança is, des poèmes q u i expri ment u ne sensibi l ité roya l i ste u ltra, confi rmée dans ses premières pub l i cations, comme La Mort du duc de Berry (1 820). En 1 8 1 8, les trois frères H u go fondent Le Conservateur littéraire. L'aven i r s'an nonce très prometteu r : pensionné par le roi , Victor H ugo se marie avec Adèl e Foucher en 1 82 2 ; i l a u ra quatre enfants : Léopoldine ( 1 824), Char les ( 1 826), Victor (1 828), Adèle ( 1 830). " devient le chantre de la royauté et anime le mouvement romantique naissant. À partir de 1 830, sa gloire est incontestée. Le scandale d'Hernani l'a fait recon naître comme chef de fi le du romantisme. En 1 84 1 , i l est é l u à l 'Académie Française. Ayant évo l u é vers u n l i béra l isme modéré, i l se rapproche du roi Lou is-Ph i l ippe ; en 1 845, i l est nommé Pai r de France. Après avo i r tenté en va i n d'appuyer la régence de la duchesse d'Orléans, en 1 848, i l est é l u député de Paris : i l est un des soixante comm issa i res chargés de rétabl ir l'ordre après les émeutes de j u i n. I l soutient l a candidatu re de Lou is-Napoléon Bonaparte, q u i est élu président de la Républ ique, le 1 0 décembre. É l u député conservate, u r à l'assemblée législati.ve, le 1 3 mai 1 849, i l se rapproche de plus en p l u s des positions de l a gauche. I l critique en particu l ier l 'expéd ition de Rome et la loi Fal loux. Le 1 7 j u i l l et 1 85 1 , i l prononce u n d i scours contre la révis ion de la constitution. Après l e cou p d' É tat du 2 décembre 1 85 1 , i l tente d 'organ iser la rés istance ; mais i l doit s ' ex i ler à B ruxel les, p u i s à Jersey. Il p u b l ie Napoléon le Petit en 1 852, et, en novembre 1 853, Châtiments. Victor Hugo rentrera triomphalement à Paris le 5 septembre 1 870, après la chute de l ' Em p i re. É l u député de Par is, i l dém issionnera rapidement, mais sera élu sénateur en 1 876 et 1 882. À sa mort, le 22 j u i n 1 885, on l u i fera des obsèques national es ; deux m i l l ions d e personnes su ivront son cortège j usqu'au Panthéon.
0000000040 QUESTIONS 00000000
Faut- i l d i re Châtiments ou Les Châtiments? 2 Que s ignifient les titres « Nox » et « Lux » ? 3 Qu i était Mandrin ? ( << Nox » , v. 76-78) 4 Par rapport à Napoléon 1er, qu i était Napoléon III? ( << Nox » , v. 89-1 32) 5 Quel l e i m age H u go propose-t- i l des victi mes de la fus i l l ade d u 4 décembre ? ( << Nox » , v. 1 79-228) 6 Comment �ugo a-t- i l chois i les titres des sept l ivres des Châtiments? 7 Qu'évoque, en 1 852, le nom de la vi l le de Tou lon? (1,2) 8 Quel le est l a cible privi légiée de l 'anticlérica l i sme de Hugo ? (1,3) 9 Comment des poèmes i ntitu lés « Chanson » peuvent- i ls trouver p l ace dans un ouvrage polémique de la violence des Châtiments? (1,9 ; 1 , 1 0) 1 0 Qu i était Lazare ? 01,2) 1 1 Quel événement pathétique H ugo rappei le-t-i l dans « Souven i r de l a nuit d u 4 » ? (11,3) 1 2 Com ment Vi ctor H u go peut- i l d i re q u ' i l a i me l'ex i l auquel il a été . condamné ? ( 1 1 ,5) 1 3 Q u i étaient les « soldats de l 'an Il » ? ( 1 1 , 7) 1 4 Qu'est-ce qu'une apothéose ? 0 1 1 , 1 ) 1 5 Dans le poème « Fable ou h istoire » , quel sens faut- i l donner au mot histoire? (1 1 1 ,3) 16 À quoi Hugo compare-t- i l la « joyeuse vie » des profiteurs du rég i me impérial? (1 1 1 ,9) 1 7 Quel est le plus ancien poème des Châtiments ? (IV,2) 1
18 Que sign ifie le titre
«
On loge à l a n u it )) ? (IV,13)
1 9 Qu'est-ce qu'un sacre ? (V,l)
20 Pourquoi Victor Hugo demande-t- i l aux abe i l les de châtier Napoléon
I I I ? (V, 2) 21 Quand Victor H u go a-t- i l écrit le poème « 0 drapeau de Wagram » ? (V, 5) 22 Que sont les « grands corps de l ' Ëtat » .? 23 Qu i était P au l i ne Roland? (V, 1 1 ) 24 Que s'est-i l passé le d ix-hu it brumaire ? (V, 1 3) 25 Quel le caricatu re le desti n barbou i l le-t- i l , dans « Ë blou i ssements » , sur le tombeau de Napoléon 1 e r ? (VI,5) 26 Quel est le poème qui, au centre du l ivre VI, annonce « Stel l a » ? (VI, 7) 27 Quelles vertus Hugo reconnaît- i l aux femmes ? (VI,8) 28 Que sign ifie l a comparaison du peu ple avec l 'océan ? (VI,9) 29 Que désigne l 'expression « le parti du crime » ? (VI,") 30 Qu i était Juvénal ? (VI, 1 3) 31 Que désigne le titre « F lo réal » ? (VI , 1 4) 32 Que représente cette éto i l e que Victor H u go décrit dans « Stel l a » ? (VI, 1 5) 33 Quel est l 'objet de cet « Applaudissement » q u i clôt le l ivre VI ? (VI , 1 7) 34 Comment Josué a-t- i l provoqué la destruction des mura i l les de Jéricho ? (VI I,l ) 35 Pou rquoi Hugo a-t- i l s itué à Rome cet égout dont i l fait l ' i mage du régi me i mpéria l ? (Vi lA) 36 A quel propos H u go évoque-t-i l la progression de la caravane dans le désert ? (VI I,8) 37 Qu i est ce « pertu rbateu r » que critique le scri be E l izab dans le poème « Paroles d'un conservateur à propos d'un perturbateur » ? (VI I , 1 2) 38 Quel le réponse Hugo propose-t- i l au problème de l ' i ndifférence de la nature à la souffrance des hommes ? (VI I , 1 3) 3 9 Que sign ifie le titre « U ltima verba »? (VI I , 1 7) 40 Quel le est cette l u m ière annoncée par le titre « Lux » ?
1
FAUT-IL DIRE CHATIMENTS OU LES CHATIMENTS ? Châtiments
était le titre de l'œuvre publiée en 1 853; une nouvelle édition, en 1870, porta le titre: Les Châtiments.
Le 7 septembre 185 2 , H u go annonce à P.J . Hetzel, son éd iteu r, son projet d'écrire un ouvrage, nommé Les Contemplations, et composé de deux vol umes : Autrefois, poésie pure et « Aujourd'hui, flage l l ation de tous ces drôles et du drôle en chef. » Le 18 novembre, il écrit : « Je fais en ce moment un vol u me de vers q u i sera le pendant natu rel et nécessaire de Napoléon-le-Petit. Ce vol u me sera intitu lé les Vengeresses. » le 23 janvier 1 853, il décide du titre : « D'après l 'avis unan i me, je m'arrête à ce titre : CH ÂTIMENTS [ .. ] Ce titre est menaçant et simple, c'est-à-d ire beau. » L'ouvrage, conçu pendant l e dern ier tri mestre de 185 2 , contient quelques poèmes antérieu rs à l 'ex i l (cf. Q. 17 et 21) et sera l argement ampl ifié en 1853. Alors qu' i l prévoyait 1600 vers en novembre 1852, Hugo fait publ ier à Bruxelles en novembre 1853, un ensemble de 6200 vers. Mais cette éd ition ne connaît pas u n grand succès (moins de 6000 exemplaires vendus en deux mois) : la d iffusion du l ivre est dél icate à cause de l a censure, et l 'opi n ion française, c e « peuple endorm i » dont parle le poète, est encore majoritai rement bonapartiste. En octobre 1 870, après la chute de l 'empire et le retou r de H ugo en F rance, Hetzel réédite cet (C . immortel l ivre » q u i a, d i t-i l , con n u « d ' i n nombrables contrefaçons » , sous le titre Les Châtiments. Cette nouvel le éd ition i ntrod u it quelques corrections de déta i l ; e l l e ajoute su rtout cinq poèmes : « Patria » , déjà composé en 185 3 ; « I l est des jours abjects » et « Sai nt-Arnaud » q u i datent de 1854 ; « Les trois chevaux » (1868) et « Au moment de rentrer en France » , écrit le 31 août 1870. .
2
QUE SIGNIFIENT LES TITRES « NOX Il ET « WX Il ? En latin, nox signifie la nuit et lux la lumière.
Les deux poèmes « Nox » et « Lux » fu rent composés à u n mois de distance: « N ox » d u 1 6 au 22 novembre 1 852 et « Lux » du 1 6 au 20 décembre. Le passage de l ' u n à l ' autre, par l ' i nterméd i a i re de « l 'Expiation I l (rédigé du 25 au 30 novembre) constitue, selon P. Albouy, l a structure même d e s Châtiments: il obéit à l a formu le : Chute, Expiation, Rédemption. Quant à « Nox: Il, ce poème inaugural propose donc une sorte de microcosme des Châtiments, u n résu mé de l 'œuvre à travers le thème de l 'obscu rité i n itiale. La nuit évoque d'abord cette obscurité d u mois de décembre, date du coup d'État de Lou is N apoléon : « cette n u it est g lacée I l (v. 2 ) ; « Vois, décembre épaissit son brou i l l a rd le p l u s n o i r I l (v. 7). M a i s ces considérations météorologiques sont surtout l 'occasion du crime: le pri nce président a profité de l'obscurité pou r commettre son vol : la nu it, « c'est l' heu re de la proie Il (v. 6) ; pou r su rprend re la Répu bl ique endormie, ce « voleu r de n u it Il (v. 1 3 1 ) a même masqué sa lampe (v. 1 3) . Mais l a n u it est aussi le symbole d u mal. Dans l 'obscurité, on ne voit p l u s, paradoxalement, que les « yeux sombres Il (v. 1 5) du Pri nce, q u i bri l lent: le seu l éc lat est cel u i du cri me. Après l'aigle d e N apoléon, son neveu est assim i lé au chat-h uant, la chouette, oiseau noctu rne de mauvais augure. Et la n u it évoque aussi les débauches, l 'orgie q u i constitue dans Les Châtiments u ne image fréquente du second Empire (cf. v. 1 3 3-1 88) . L'obscu rité de l a n u it est également associée à l'horreur. Ce sont ces coins sombres où gisent « des tas de corps saignants Il (v. 58). C'est aussi « l a n u it tombante I l (v. 1 84) dont on profite pou r condu i re au c i metière Montm artre les cadavres des victi mes du 4 décembre (cf. Q. 1 1 ), ou encore cette « mer sombre Il q u i parle au poète « dans l 'ombre Il, q u i « éteint l a flamme I l d u p roscrit et q u i a endorm i Socrate. Mais le poète refuse ce somme i l de la n u it. Tels les morts du c i metière Montmartre q u i , pendant l a n u it, ad ressent à Dieu l eu r témoignage accusateur, i l vei l le, attendant « le moment de l 'expiation I l (v. 3 1 8). Le poème peut donc se c lore su r u ne note opti m i ste: après l e rég i m e ténébreux d u second E m p i re d o i t nécessa i rement su rg i r u n aven i r l u m i neux. L a n u it, absence d e jou r, est aussi annonce d u jour à ven i r. « Nox Il suppose et prépare « Lux Il.
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Les Châtiments
QUI ÉTAIT MANDmN ? (<< Nox », v.76-78) Pour Hugo, Mandrin est l'image même du voleur, du bandit de grand chemin qu'il voit en Napoléon 11/.
En fa it, Louis Mandrin, né en 1 725 près de Romans dans le Dauphi né, fut le chef d'une troupe de contrebandiers q u ' i l sou mit à une disc i p l ine
m i l itai re et mena une véritable guerre contre les col lecteu rs d' i mpôts. Le choix de ses victi mes et l 'audace de ses entreprises l u i assu rèrent une grande popu larité. Il fut fi nalement roué vif à Valence en 1 755. Mais pou r Hugo, Mandrin n'est qu'un voleur, le plus célèbre de tous, d igne par conséquent de représenter le vol que constitue la prise de pouvo i r de Napoléon I I I . On peut a i n s i rel ever daris Les Châtiments quatorze apparitions de son nom, mêlé à ceux d'autres brigands tels Cartouche, Mi ngrat, ou Robert Macaire (cf. Q. 1 9) . Mais si H ugo précise « Pou l ma n n César » ou « Soufflard em pereu r », i l nomme seu lement Mandrin, dont le nom désigne à l'évidence Napoléon III . La prem ière mention de cette identification se rencontre dans l a deuxième section de « N ox » . Au début d e c e poème i n augura l, Hugo évoque les entreprises des escrocs (v. 3) q u i profitent du som mei l de l a Républ ique pour perpétrer leu r vol, malgré les grondements du « dogue L i berté » . Le pouvo i r d e Mandrin symbol ise donc l a corruption de l'ensemble de l' État, de ces magistrats q u i ne seront plus « obl igés d'être i ntègres ». Mais les deux prem ières sections de « N ox » décrivent su rtout avec horreur l a fusi l l ade des bou l evards : p l u s encore q u e voleur, Napoléon III-Mandrin est u n assassin, sou i l l é encore d u sang des . innocents. Il mérite donc un châtiment qui soit à la hauteur de ses crimes. U n tel brigand pourrait su b i r les p i res suppl ices « cou perets, b i l l ots, gi bets, tortures », ou la roue, comme le Mandrin de l ' h istoire. H ugo récuse toutes ces barbaries, dignes de « l'affreux passé des rois » et réclamè « la honte, et non la mort » . L'assistance de la muse Ind ignation doit l u i permettre de dresser « assez de pi loris pou r fai re une épopée » . Ainsi, dans ce poème in itial, la référence à Mandrin permet de poser et de résoudre le problème de la violence et du châti ment q u i parcourra l'ensemble de l'œuvre.
40 réponses
4
PAR RAPPORT À NAPOLÉON 1ER, QUI ÉTAIT NAPOLÉON III ? «Nox
»,
v. 89-1 32
Louis Napoléon Bonaparte était le neveu de Napoléon 1er, mais Hugo oppose systématiquement l'oncle et le neveu: il exalte le premier pour accabler le second.
louis N apoléon Bonaparte était bien officiellement le neveu de Napoléon 1er, le fi ls de son frère Lou is et d'Hortense de Beauharnais, fi l le
de Joséph i ne, el le-même première femme de Napoléon. En fait, écrit H ugo, i l est seu lement « fi ls d'Hortense de Beau harna is, mariée par l 'empereu r à Lou is N apoléon, roi de H o l l ande » ; ce dern ier aurait l u i-même m i s en doute sa patern ité. Le pri nce Lou is- Napoléon serait peut-être le fi ls de l'amiral hollandais Verhuel . H u go fait souvent a l l usion à cette naissance contestée, q u i remet en cause le droit de N apoléon I I I à u n quelconque héritage. Il le désignera ainsi comme « Bonaparte apocryphe, / À coup sÛr Beau harnais, peut-être Verhuel l » (VI,11, v. 2-3) Hugo accuse donc le Prince Président de n'avoir revend iqué l ' héritage de son oncle que par opportu n isme et l u i fait d i re : « Je me sers de son nom, splendide et vai n tapage / Tombé dans mon berceau . » ( ( Nox », v. 1 09-1 1 0) . Plus qu'une usu rpation, cette succession constitue même u ne trahison : si le neveu reconnaît à son oncle « l a fanfare de'gloire » , i l veut obten i r « le sac d'argent » . le rapprochement n'est donc pou r H ugo que l'occasion de flétrir les crimes de louis- Napoléon et de l u i i nterd i re de profiter abusivement de la trad ition bonapartiste. I l m u lt i p l i e donc les antithèses entre le nain et le géant, l'aigle et le chat- h uant, le solei l et l 'obsc u rité, cel u i q u i embrassait l ' E u rope et cel u i q u i veut étrangler la France. ' A i n s i la parole du poète est d éjà ce l l e qui d évoi l e la paro l e mensongère, l a propagande bonapartiste du pouvoir. E l l e procède donc en feignant de s'effacer devant le d i scou rs de l 'adversai re: dans la troisième section de « Nox » , c'est N apoléon I I I l u i-même q u i présente son projet avec u n cyn isme scandaleux. Et l ' a lternance de l ' a l exand r i n et de l'hexasyl labe semble tradu i re par le rythme cette opposition constante entre le héros absolu et son misérable neveu . , I l faudra attendre « L'expiation » (V,13) pour que le crime de Napoléon I I I soit mis en rapport avec la faute de son oncle: le dix-hu it brumaire.
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Les Chatiments
QUELLE IMAGE HUGO PROPOSE-T-IL DES VICTIMES DE LA FUSIllADE DU QUATRE DÉCEMBRE ? Il
Nox
»,
v. 1 79-228.
Dans la cinquième section de Il Ndx », Hugo décrit le spectacle des cadavres que l'on avait ensevelis en leur laissant la tête hors de terre.
la prem ière section de « N ox » évoq uait l a fus i l l ade d u q uatre décembre ; la c i nq u ième section décrit l 'expos ition des cadavres des victimes au ci metière Montmartre. De fait, le pouvo i r avait fait enterrer ces corps en laissant hors de terre leurs visages, de façon à ce que les fam i l les puissent les identifier. Proches et curieux a l l èrent donc assi ster à cette macabre exposition . Et le scu l pteu r David d'Anger rédigea u ne description de cette promenade atroce où l 'on marchait sur les corps qui cédaient parfois sous les pas et communiquaient a lors aux visages un mouvement qui ressemblait à la vie. Hugo ne retient de ce témoignage que l ' i mage des têtes q u i sortent de terre, presque vivantes, même si ce sont cel les de « morts, sabrés, hachés, broyés par le canon » . Mais il s'écarte de la chose vue : au l ieu d'une descri ption originale et précise, i l recou rt aux c l ichés ( << fronts glacés » , « blêmes dans l 'herbe verte » ) , à des adjectifs q u e l 'on retrouve souvent dans son œuvre (<< l ivides, stupéfa its, pensifs », « effarés »). les ind ividus, soigneusement décrits par David d'Anger, q u i repérait en esthète l ' i mage frappante, font p lace à des types : « l'homme du fau bourg », « le riche » et « le pauvre » , « la mère » et « son enfant » , « la bel le jeune fi l le » . les a rt i c l es défi n i s, l a d i spos ition antithét i q ue, le c h o i x d ' é p ithètes conventionnel les n ient toute individual ité. les morts ne sont p l u s qu'une fou le, « spectres du même crime et des mêmes désastres » . I ls n 'ont p l us q u ' u n œ i l u n ique tourné vers le ciel . Hugo passe a lors d u témoignage à la vision: les morts, l a i ssés seuls, parlent à D ieu . Ainsi d isposés, i l s font penser à ces cadavres q u i reprennent vie au dern ier jour, « entendant le c l a i ron du jugement q u i sonne », et « sort[ent) de leur fosse » . l'image du j ugement dern ier est ainsi suggérée : au regard d u poète sur les morts succède cel u i de ces « assassi nés » qu i voient D i eu j u ger à l a fi n des temps 1'« âme horr i b l e et fausse » de Napoléon II I . Au témoignage superficiel du poète témoin des atrocités de son temps se substitue celui des morts eux-mêmes, en une p roso p o pée bou leversante.
40 réponses
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COMMENT HUGO A-T-IL CHOISI LES TITRES DES SEPT LIVRES DES CHATIMENTS ? Ces titres correspondent ironiquement au programme que revendique Napoléon III.
Dans l a sixième section de « N ox » , Napoléon I I I d i sait : « J'ai sauvé l 'ord re ! [ . . . ] J'ai sauvé l a fam i l le et la rel igion! » I l énonçait ainsi les titres de trois des sept l ivres des Châtiments. En effet, à la progression l i néai re déj à étud i ée (cf. Q . 2) s'aj oute une composition par grandes masses, immobi les, prélevées dans la réal ité du second Empire. Le prem ier l ivre porte un titre très général : « la société est sauvée ». I l présente e n fait toutes les manifestations d e l a souffrance et de l'humi l iation de la société française itoutes les classes sont comprom ises (1 0, 1 5), seu l le poète bann i peut prendre l a parole. Le deuxième l ivre, « l'ordre est rétabli » , sou l igne le caractère cri m i nel du pouvo i r: le peup l e souffre pou r permettre les p l a i s i rs des nantis ; l'armée s'est déshonorée (7) i face à cet ordre i nfâme, i l faut réagir. Le troisième l ivre, « la fam i l l e est restaurée » met i ro n i q uement l'accent sur l ' i nd ign ité et l a bâtardise supposée de N apoléon III (1 ,2,3,4,6) ; i l sou l igne aussi l 'avi l i ssement des va leu rs morales (5, 7,8,9, 1 0, 1 3 ) et l a ) destruction d e l a fam i l le ( 1 1 ). Les l ivres IV et V correspondent assez clairement à leu r titre i ron ique : rel igion bafouée par ceux q u i doivent l a défendre, inversion des valeu rs dans l e l ivre I V , « la rel igion est glorifiée » ; et, dans l e l ivre V, « l'autorité est sacrée » , appel à l a révolte contre le pouvoir des brigands. À partir du l ivre VI, « la stabilité est assurée », on voit se mu ltip l ier l es poèmes qu i appe l l ent à l a révolte et annoncent l ' avènement d'un aven i r meilleu r : l e l ivre s e conclut s u r « Appl a u d i ssements » q u i affi rme l a certitude d e la l iberté prochaine. Le l ivre VI I enfi n se fonde sur u n jeu de mots : il annonce par antiphrase l 'échec prochain du second Empire, mais aussi, très clairement cette fois-ci, l a fu ite de N apoléon ' " : « les sauveurs s e sauveront » . I l serait certes abusif d e prétendre que chaque l ivre traite u n aspect bien défi n i du second Empire. Certains thèmes balaient toute l 'œuvre. Mais cette accumulation, à l a fois rigoureuse et désordonnée, progressive et i mmobi le, provoque chez le lecteur cet effet d'accabl .e ment q u i peut le faire réagir.
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Les Chiitiments
QU'ÉVOQUE, EN 1852, LE NOM DE LA VIL DE TOULON? (1, 2)
Toulon, qui fut le siège d'une bataile importante de Napoléon 1er, était en 1852 célèbre pour son bagne.
Ce poème, le deuxième de la prem ière partie, est donc fondé sur
l'antithèse entre la gloire passée et l'abjection présente.
« En ces temps-là » (v. 1 ), Hugo situe d'abord la victoi re ennem ie et les Gombats violents ; p u i s i l évoque l a réaction de l a Répu bl ique frança ise, déjà armée de la serre de l'aigle napoléonienne (v. 7-8) . Alors la violence devient h é r oïsme: l es déta i l s se font p l us p réc i s ( ( frégates » , « pav i l lons ») ; l a l u m i ère des bombes succède à l 'obscu rité des fu mées (v. 1 2 et 1 6) . Les exc lamations, l 'apostrophe à la F rance caractérisent la tonal ité épique de ce passage, que confi rme l'évocation des héros, les jeunes généraux de Napoléon, protégés par l'al légorie de l a gloire. La deuxième partie, en revanche, décrit l'abjection du bagne. Hugo énu mère d'abord tous les coupables q u i y échouent. Puis i l montre leu rs journées, hésitant entre l a p itié et l a condamnation : leu rs cri mes justifient le traitement q u i leur est i nfl igé et q u i fait d'eux un trou peau humain. On retrouvera Jean Valjean à Tou lon dans Les Misérables; ici, on ne rencontre que des « morts vivants » q u i « rampent, recevant le fouet comme des bêtes » . Napoléon III apparaît donc d igne d e ce lieu, pu isqu' i l est l u i-même faussai re, band it, déshonoré et cri m i n e l . La trois ième partie peut donc effectuer en h u it vers la synthèse des deux prem ières : Tou lon, qui a vu les prem ières victoi res de N apoléon 1 er, sera l a dern ière demeu re de son neveu, condamné à son tou r au bagne. L'antithèse est réSu mée par le jeu sur le mot « bou let », à la fois bou let de canon, symbole des victoi res du héros épique, mais aussi bou let rivé à la chaine du bagnard. Cependant, au delà de l'opposition récu rrente des deux Bonaparte, ce poème symbolise aussi l'état de la France. Tou lon, l ieu de cette « i l l ustre page », où naissaient des gloires nouvelles, est devenue « la vi l le où toute honte échoue » . Entre « France, à l ' heu re où tu te p rosternes » et « Approchez-vous. Cec i , c'est le tas des dévots. » , on a le senti ment que l'abjection n'est pas seu lement cel le de quelques malfaiteurs ou même de Napoléon III, mais celle de tout un peuple .
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QUELLE EST LA CIBLE PRIVILÉGIÉE DE L'ANTICLÉRICALISME DE
HUGO ? (1,3) Hugo s'en prend surtout aux journalistes cléricaux, et en particulier au journal de Louis Veuillot, l'Univers.
S i Victor H ugo manifeste hautement sa foi en Dieu et son adm i ration pou r ceux qui l a défendent avec s i n cérité (cf. 1 , 8), il se montre, dès le premier l ivre des Châtiments, violemment anticlérical, c'est-à-d i re hosti le au c lergé compromis dans le second empire (cf. 1,6), aux Jésu ites (cf. 1 , 7) et aux journ a l i stes c léricaux, en particu l ier à L'Univers, le journal de Lou is Veu i l lot (cf. « À des journal istes de robe courte » IV,4). Dans le poème « Approchez-vous. Cec i c'est le tas de dévots. » (1 ,3), Hugo procède d'abord par déva lorisation de ses adversai res. La référence au « tas », l ' i mage du « marais » (v. 1 1 ) , l 'usage du pronom neutre (ceci, cela, d man ifestent un profond mépris. On se croirait devant un groupe d'animaux monstrueux q u ' u n montreu r de foi re nom merait avec u n enthousiasme mêlé d e dégoût aux visiteurs hésitants ( << Approchez-vous. »). Ce c lergé j o u rn a l i ste, « l a i d » , « vieux » , « no i r » (v. 3 ) évoque n atu rel l ement le personnel d e s col lèges de l 'époque dont nombre de l ecte u rs ont conservé l e souven i r cu i sant : ces « pères fouette u rs » procèdent toujours « à coups de garcettes » . Le poète s'en prend a l ors à leurs insuffisances intel lectuel les : citations sans discernement, méfiance à l 'égard de l ' i ntel l igence, sou m ission systématique à l a trad ition (v. 1 2- 1 6) ; contre « notre époque i ncrédule et pensive » (c 'est-à-d i re « q u i réfléch it »), i ls ont recou rs au bûcher de l ' I nqu isition. C'est enfi n l a cupid ité de cette . « bande » d'escrocs q u i est m ise en cause (v. 24) . Mais Hugo uti l ise su rtout l'arme de l'ironie : ces « gred ins orthodoxes » , ces « sai nts » prétendent avo i r sur D ieu u ne autorité que l e poète leur accorde i ron iquement ( << I ls font chez Jéhovah l a p l u ie et le beau temps » v. 25), a l l i ant en un b l asphème une expression triviale au nom bibl ique de D ieu : i l s tra itent Dieu comme l e u r « i ntendant » , p u i s comme l e u r « cocher » . I l ne reste p l us pou r fi n i r que « c e pauvre v i e u x bon D ieu » (v. 44), grotesque, « tremblant » , q u i « ne sait où se fou rrer quand i ls sont mécontents » (v. 46) . Le sacr i l ège constitué par cette acc u m u l ation de termes fam i l iers n'est évidem ment i mputable q u 'aux j o u r n a l istes de l'Univers: n'ont-ils pas osé uti l iser comme pai n à cacheter pou r fermer leur journal l'hostie consacrée de l 'Eucharistie (v. 39-40)?
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Les Chatimerats
COMMENT DES POÈMES INTITULÉS « PEUVENT-ILS TROUVER PLACE DANS UN OUVRAGE POLÉMIQUE DE LA VIOLENCE DES CHÂTIMENTS ? (1, 9; 1, 10) Pour Hugo, la chanson est l'expression artistique du peuple, la forme qu'il emploie naturellement, mais aussi celle qu'il faut maÎtriser pour le faire réagir.
Six poèmes des Châtiments portent le titre de « Chanson ( 1, 1 0, 1 3 ; V,2 ; VI,4 ; VI I,6, 1 4) . Ce titre apparemment léger peut paraître incongru dans un ouvrage d ' u n e tel le âpreté. Cependant « L'art et le peu p l e poème placé i ntentionnel lement juste avant le premier « Chanson (l, 9) permet de comp rendre ce paradoxe : ce poème pourrait être l u i aussi i ntitu lé « Chanson (c'était d'a i l leurs son titre dans le manuscrit) ; mais i l constitue aussi une réflexion sur l 'art et ses rapports avec l e peuple. L'art est assoc i é à la g l o i re : i l gu i de les h o m mes dans l es combats (<< dans l a tempête i l flamboie » (v. 2). Mais i l est aussi « l a joie » : « i l éclaire le ciel bleu » (v. 3 ) . C'est d'abord à cette seconde valeu r de l 'art que renvoie l a référence au chant : « L'art est un chant magn ifique / Qu i p laît au cœur pacifique (v. 7-8). Et le poète précise en conclusion de l a strophe q u e « toutes les voix d e l 'âme / [ l e] Chantent e n chœur à la fois (v. 1 1 - 1 2) : la redondance finale sou l igne le caractère unitaire de ce chant ; i l se transmet de « la cité [ . ] aux bois de « l 'homme [ . . . ] à la femme et permet ainsi au peuple d'éprouver son u n ité. Signe d'un ité dans la joie, l 'art devient alors également arme de l i bération : i l est « l e doux conquérant (v. 1 5) q u i donne au peuple l iberté et grandeur. Ainsi le poète peut inviter l a F rance à chanter sa « chanson paisible repris anaphoriquement c i n q fois est (v. 2 0) : l ' i mpératif « chante particu l ièrement i n s i stant. Mais on passe de la gaieté su perficiel le à l'espérance de l a fratern ité, de la chanson d'amou r au chant de l i bération. Même si l 'on passe par le rire (v. 2 8), on doit chanter les peuples martyrs, et ce chant constitue une menace pour les tyrans : « le peup l e chante / Comme le l ion rugit (v. 3 5-36) . Cependant, le poème datant du 6 novembre 1 85 1 , c e rugissement du peuple semblait encore très théorique. En revanche, après le coup d'Ë tat, l a chanson paisible d e l a bonne France n'est p l us d'actu a l ité : la « chanson q u i suit dénonce avec violence l 'orgie des cri m i nels au pouvoi r ; et l e poème qui la précède prend u n sens prémon itoire. ..
10 QUI ÉTAIT LAZARE ? (1,2)
Lazare est, dans les Évangiles, un habitant de Béthanie que Jésus ressuscita, alors qu'il était déjà enterré depuis plusieurs jours.
L'évangi le de jean (ch . XI) raconte que jésus, arrivé trop tard pour guérir Lazare, se fit ouvri r son tombeau, a lors qu' i l était enterré depu is quatre jours déjà. Alors, après avoir prié, « i l s'écria d ' u ne voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Le mort sortit, les pieds et les mains l iés de bandelettes, et son visage était enveloppé d'un sua i re » (jean, XI, 43-44) . Le poème « Au peuple » commence par l'évocation d'une cérémonie funéraire : « Partout pleurs, sanglots, cris funèbres. ». Le thème du sommei l (v. 2) reprend le mot de jésus : « Notre ami Lazare repose ; mais je vais a l ler le réve i l ler » (jean, XI, 1 1 ) . Quant aux bandelettes du vers 1 0, ce sont évidemment cel l es dont on l iait alors les membres des morts. Mais ici - le titre l ' i n d ique c lairement - c'est du peuple qu' i l s'agit: « La pâle L iberté gît sanglante à [sa] porte » (v. 6) ; le chacal, les rats et les belettes désignent évidemment Napoléon I I I et son entourage. Et l u i dort, comme mort : la répu bl ique semb le u n Gu l l iver vaincu par les L i l l iputiens (v. 1 0- 1 1 ) ; et l ' i m age s'élargit à toute l'Eu rope. Mais cette mort permet d'espérer une résurrection : l'évocation des proscrits i ntrodu it l 'espoir d'un prochain révei l du peuple. Le poète, q u i c l ôt chaque strophe par l ' i nvocation so l e n n e l l e : « Lazare ! Lazare ! Lazare ! / Lève-toi ! » s'identifie donc au Christ. I l est cel u i q u i appe l l e le peuple à l a révolte, cel u i q u i révei l le ce « dormeu r sombre » (v. 62), ce « noir dormeu r au d u r sommei l » (v. 65), comme le Christ a révei l lé Lazare. Il reprend a lors le d i scou rs dLi Christ, dont l e message d'amour u n iversel ne sert p l u s q u e l'appétit d e pouvoir du pape. Et le poète, visionnaire, entend déjà le rés u ltat de son i nvocation : alors que les rois s'endorment sur leur pouvoir (v. 8 1 , 84), le peuple s'évei l le au son d ' u n « vagu e t ocs i n » . Cette son nerie de c l oches s i g n a l e l es catastrophes; elle est aussi le moyen d'ameuter le peuple. Contrai rement à l 'orgue et au clairon, le beffroi qui appelle à l'insurrection traduit donc le message rel igieux et révolutionnaire du Christ (cf. V I I, 12).
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Les Chlltiments
Il QUEL ÉVÉNEMENT PATHÉTIQUE HUGO RAPPELLE-T-IL DANS « SOUVENIR DE LA NUIT DU 4 » ? (1,3) Dans ce poème célèbre, Hugo évoque la mort d'un enfant de sept ans et demi, le petit Boursier, tué le quatre décembre, dans la fusillade de la rue Tiquetonne.
Victor Hugo avait en effet assisté à la vei l lée funèbre de cet enfant, q u ' i l raconte dans Histoire d'un crime. I l n e s'agit donc p l u s d ' u n témoignage indirect qui prête à une vision symbo l ique (cf. Q. 5). Le réel de la chose vue est ici l'essentiel. Hugo note qu ' « On pouvait mettre les doigts dans les trous [des] plaies » (v. 9) de cet enfant q u i « était bon et doux comme u n Jésus » (v. 3 6) : l e poète ne s e p résente-t-i l pas comme u n autre sa i nt Thomas, qui croit pour avoir vu? Quoi de p l u s pathétique que l a mort d ' u n enfant i n n ocent, tué lorsqu ' « il passait dans l a rue » pou r se sauver? Au début du poème, H ugo adopte pourtant le ton du constat objectif : « L'enfant avait reçu deux bal les dans la tête » . Mais cette image tragique marque tout le poème : dans le réc it en prose, la description de la p i èce p récéd ait l og i q uement l a découverte d e l 'enfant ; e l le n 'apparaît i c i q u 'après, sou l i gnant par contraste l'horreur de cette mort. L a description méticu leuse des objets atteste la véracité de ce crime monstrueux : le rameau sur le portra it, l 'armoire en noyer, le drap blanc ont la même présence que ces « coups de fus i l » (v. 1 6-1 7) que l 'on entend tuer d'autres enfants, transformant en meurtre dél ibéré ce qui n'était peut-être qu'un accident. Mais Hugo cherche aussi à faire naître l'émotion du lecteu r. L'enfant semble encore vivant (cf. v. 5-7) ; la toupie de buis évoque l ' i nnocence de ses jeux ; ses p l aies mêmes renvoient aux p l a i s i rs de l 'enfance, saignant comme « la mOre dans les haies » (v. 1 0). Lorsqu 'enfin la grand-mère prend la parole, la simplicité prosaïque, le désordre de sa plainte sont garants de son authenticité. Mais H u go a transformé ces « choses farouches, où Bonaparte était mêlé » en une lamentation q u i ne peut qu 'engendrer la compassion . C'est le poète q u i dégage à la fi n le sens pol itique de l 'événement. Son discours prétend se mettre au n iveau de cette modeste grand-mère. Mais l ' i ronie de son exp l ication fa it u n écho s i n i stre aux p leu rs de la viei l le femme. L'émotion est d'autant p l us forte q u ' e l l e ne peut s'épancher l ibrement.
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12 COMMENT VICTOR HUGO PEUT-IL DIRE QU'IL AIME L'EXIL
AUQUEL IL A ÉTÉ CONPAMNÉ ?
(1,5) Après les horreurs dont le pouvoir impérial s'est rendu coupable, Hugo affirme que l'exil seul permet de conserver une attitude digne.
Les dern iers poèmes du l ivre I l sont marqués par l'horreur qui se dégage de « Souven i r de la nu it du 4 » ( I I , 3 ) . Dans le poème « 6 sole i l , ô face d ivine . . . » ( I I , 4), Hugo i nterpe l le la natu re entière q u ' i l érige en j uge de Napoléon I I I . Le poème su ivant, « Pu isque le juste est dans l'abtme . . . » 01, 5), propose une ·apologie de l'exil. Il débute su r une énu mération des crimes d u pouvoir (v. , -3) et des lâchetés, des faiblesses du peu ple (v. 4-6, 13-18), q u i aboutissent à la prise de pos ition d u poète . Cette su ccess i o n de neuf puisque j u stifie l ' i nsupportable : dans ces cond itions, même l 'ex i l est préférable. Le vers 19, avec sa construction en chiasme i naugure une énu mération para l lèle de neuf « J'aime » dont les com p léments sont autant de souff rances, toutes préférables à la lâcheté. Pu isque l a l i berté est « exi lée » (v. 29), pu isque le « dévoQment » , l 'engagement pol itique, est « proscrit » (v. 3 0), l e poète se doit d e partager l'exil de ces valeurs. I l peut a lors trouver plaisir à la contemplation de l a natu re, q u i le ramène toujours à c e m a l qui a justifié s a fu ite et son refus de pactiser. L'eau noire de la mer fait écho à l 'ombre dans laque l le le poète retrouve l a tristesse, la pauvreté, le deu i l et le mal heu r de son exi l . La « p l a i nte éternel le » des « vagues su r les écuei l s som bres » évoque cel le, lancinante depu is la n u it du 4 décembre, « des mères su r leurs enfants morts » . A i n s i , l o i n de s i gn ifier l ' ou b l i , la valorisati on de l 'ex i l est l'affirmation que le poète proscrit demeure attentif aux horreu rs du pouvoir. La distance géograph ique garantit la fidél ité des senti ments. Mais au m i l ieu de cette com p l aisance dans l a dou leur apparaissent les signes d'une possible sol ution : si l a mer est noire, comme l a « sombre mer » de « Nox » , el le est aussi cou leur de terre, et le « si l lon » de ses flots est parcouru par « le navi re, errante charrue » . Ces i m ages agricoles, peu orig i n a l es, l a i ssent cependant percer l 'espoi r d'une moisson futu re. La mouette q u i sort des vagues « comme l 'âme sort des dou leurs » (v. 42) an nonce déj à « Ste l l a » . Alors l'ex i l apparaît comme u n e épreuve nécessaire et provisoire, que le poète revend ique avec la conviction que sa fidél ité ne peut qu'aboutir à la fin de la souffrance.
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Les Chdtiments
13 QUI ÉTAIENT LES « SOLDATS DE L'AN DEUX Il ? (1, 7) Les soldats de l'an deux étaient les volontaires de l'armée républicaine qui, autour de l'an II (1793-1794), ont multiplié les victoires contre les coalitions étrangères.
La date de l 'an Il fait-el le écho au poème « Tou lon 1) (l, 2) ou permet el le seu lement u n effet sonore? Malgré cette précision, H ugo évoque aussi bien les victo i res de Val my ou de Jemmapes (1 792) que cel le du Helder en 1 795 pou r opposer la valeur des soldats républicains à la soumission et à l'abjection de l'armée du second empire .
Les soldats de l 'an deux se caractérisent par leur jeu nesse et leu r enthousiasme : combattant les rois i ls avaient la conviction de défendre la l i berté. Mais on passe rapidement de l'histoire à l'épopée. On observe en effet un partage très m a n ichéen entre les membres de l a coa l ition, autocrates cruels et corrompus et les jeu nes volontai res mal armés mais joyeux et p u rs. Les hyperboles se mu ltip l ient ; on assiste à des prod iges, comme la prise par la cava lerie de la f l otte hol landaise engagée dans les glaces (v. 20) : le merve i l leux propre à l 'épopée se man ifeste aussi dans les deux a l légories de la Marsei l la ise et de la Révol ution encou rageant les soldats qui, tels les Titans, ces géants de la mythologie grecque, au raient pu monter à l'assaut du ciel . Mais cette épopée est aussitôt su ivie de sa parod i e grotes q u e. Le généra l de Sai nt-Arnaud vena it de défendre officiel lement la théorie de « l 'obéissance passive Il des m i l itai res aux autorités et de dénoncer cel le des « baïonnettes i ntel l igentes ». Hugo feint donc de chanter les hauts faits de cette armée q u i préfère la consigne aux valeu rs mora les. Ces soldats nombreux et bien armés ont tué des v ictimes fai bles et innocentes : des femmes, des viei l lards, et su rtout cet enfant de sept ans dont la mort retentit dans tout le l ivre (cf. Q. 1 1 et 1 2) . Plus que des assassins, ces soldats sont des traitres q u i s'en prennent à I. e ur propre pays ; à l ' indignation i ron ique succède l a dérision : le café Torton i est la seu le cible « étrangère » de ces « soldats de décembre ! » (v. 85) Dans la dern ière partie du poème, Hugo résume tous les termes de cette abjection générale dans un mouvement q u i reprend cel u i du poème Il, 5 (cf. Q. 12). Mais plutôt que d'en rester à cette condamnation de l'armée, i l veut châtier son corrupteur. On voit a lors apparaître l' i mage du poète bel luaire q u i vient dompter la bête fauve à grands coups de fouets. Il est le seul à assumer l'héritage des héros de 1793.
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1 4 QU'EST-CE QU'UNE AP01lOSE ? (111,1) Étymologiquement, l'apothéose était la déification des héros, puis des empereurs romains après leur mort. Le mot désigne aujourd'hui le triomphe que l'on fait à quelqu'un. .
Au début d u l ivre I I I , Hugo a p l acé le poème « Apothéose» qui parti de rien, i l s'est élevé au faîte du pouvoi r ; écrasant les faibles, i l s'est fait « d ieu » ; i l a prétendu égaler les empereu rs romai ns. Le poème com mence par une charge i ron ique. Cette apothéose est u n spectacl e (cf. v. 2 ) , m a i s u n spectacle d e foi re dont le poète s e fait le montreu r (cf. v. 7-1 0) : pour fai re valoir le « saltimbanque » (v. 1 0), i l fei nt la com m i sération, mais l a fam i l iarité du ton sou l igne l'abjection de ce « pauvre d iable de pri nce ». Cependant ce d i scou rs dénonc iateu r du poète bateleur n'est que l 'écho d'un autre d i scou rs de saltimbanque, cel u i q u i accompagne le tou r d e passe-passe du coup d' État : « Rom ieu montre l a trappe et d it : Voyez le gouffre ! Vivat Mascari l lus ! rou lements de tam bours. » (v. 2 2-23) On assiste en effet à la mise en scène aussi grotesque q ue criminelle de cette apothéose. L'empereur organise u ne propagande systématique, volant « de maire en maire » (v. 29) . Comme les empereu rs romains victorieux, « il triomphe » (v. 28), « voituré dans des chars » (v. 3 1 ) ; mais ce triomphe n'est en fait qu'une promenade ; les fou les enthousiastes sont composées de mouchards à la solde du gouvernement. N apoléon I I I joue un spectacle où il parodie indistinctement Napoléon 1er, Alexandre VI et Catheri ne de Méd i c i s . Mais ce triomphe s'appu i e su r la souffran ce d u peu p l e, comparable à cel le des esclaves noirs ou des sujets du tzar (cf. v. 35-3 7). présente N apoléon III comme un usurpateur:
Le poète se hausse alors au n iveau sublime de ces héros antiques immortal isés par la scu l ptu re. Le ton adopté est donc i ron i q uement
adm i ratif à l 'égard de ce « nouveau d ieu (v. 49) . Mais le dern ier vers ramène bruta l ement à la réa l ité, comme à la fi n de chaque partie d u poème : le « fi lou (v. 1 5) avait pu s'élever j usqu'au trône grâce au vol (v. 44) ; lorsq u ' i l tente de s'éga ler aux héros, il apparaît tel q u 'en l u i même : « Robert Maca i re avec ses bottes écu l ées » , u n ban d i t de mélodrame dont l 'apparence trah it les cri mes. Spectac l e de foi re ou propagande, l'empire reste donc confi né dans le grotesque ou le s i n istre. Ses prétentions au subl ime sont condamnées d'avance.
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Les Châtiments
1 5 DANS LE POÈME
« FABLE OU HISTOIRE DONNER AU MOT HISTOIRE ?
»,
QUEL SENS FAUT-IL
(111,3) Dans ce titre, le poète demande si le récit qu'il propose est une fable, une fiction, ou de l'histoire, un récit fondé sur la vérité historique.
le titre de ce poème joue en effet sur la polysémie. Ce poème est une fable au sens où il parod ie les fables des fabu l istes et de La Fontaine en partic u l ier, mais constitue-t- i l u ne fable au sens où on l 'entend encore couramment au Xlxe siècle : u n récit de fiction, fondé su r l ' i maginaire ? I l est u ne h i stoi re dans l a mes u re o ù i l raconte u n réc it, u ne h i stoi re d'an i maux ; mais i l appartient aussi au gen re historique pu isqu' i l dénonce le pouvoir de Napoléon I I I . Ce poème adopte donc l a forme d e l a fable : i ntervention d'an i maux human isés dans un temps très vague ( << un jou r » , v. 1 ) ; thèmes, classiques chez La Fonta i ne, de l a fai m , d u mensonge, du dégu isement que l 'on retrouve dans « L'âne vêtu de la peau du l ion » (Fables, V,21 ) ; précepte impl icite mais courant : ne jamais « juger les gens su r la m i ne » . Mais i l ne s'agit pas ici de dénoncer un viee généra l . En fait la « fable » s'appl ique poi nt par point à Napoléon I I I : pauvreté i n itiale, com p l i cité de l a nu it, cri me, vol , brigandage, fonction de la parole effrayante et mensongère ( << Je su is u n tigre »), peuple terrorisé, ém igration. Cette fable évoque la prise de pouvoir d'un singe très particu l ier, d'un i m itateu r, d'un fa lsificateu r, qui ti re tout son pouvo i r de son dégu isement (v. 4), de N apoléon I I I pa ré des dépou i l les de N apoléon 1. Son contenu est bien réel : il appartient déjà à l'histoire.
Mais, à la fi n du poème i ntervient u n be l l u a i re que n 'effra ient n i l 'animal n i ses rugissements. I l dévoile l a supercherie et, rétab l i ssant l a vérité « dit : t u n'es qu'un si nge ! » C e bel l ua i re est évidemment le poète (cf. Q. 1 3), qui voit la vérité et la dévoi le aux autres. Sa parole l u i confère toute pu issance : i l saisit le singe,tigre dans ses bras et déchire sa peau sans peine. Ce poème en est l ' i l l ustration : caricatu re, dénonciation, ironie sont des armes fortes entre ses mains et garantissent sa victoire. Le titre même sou l igne la conviction de Hugo : si ce poème n'est pas u ne fable, mais de l ' h i sto i re, c'est que Napoléon III a bien usu rpé l e pouvoir et q u e le poète a b i e n « m ils] à n u ce vai nqueur » . On ne peut i magi ner le s i nge continuant à terroriser les an i maux après avo i r été dénoncé ; la chute de Napoléon III apparaît el le aussi comme i néluctable.
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A QUOI HUGO COMPARE-T-IL LA PROFITEURS DU RÉGIME IMPÉRIAL ?
«
JOYEUSE
DES
(111,9) Hugo oppose dans ce poème, en une violente antithèse, la fortune des profiteurs du régime à la misère qu'il a pu constater dans les caves de Lille.
le 20 février 1 851, H ugo visita les caves de lille q u ' i l décrit dans l a deuxième partie du poème. I l prépara u n discours sur la m i sère du peuple qu ' i l devait prononcer devant l'assemblée législative ; le coup d' État ne l u i e n laissa pas le temps. Ces l ieux sord ides où s'entassent des fam i l les dans l a m i sère sont décrits comme un « morne enfer» (v. 2 1 ). Les êtres q u i y vivent semblent des fantômes (v. 22), des larves (nom donné aux spectres à Rome, v. 35), des squelettes. Ce monde i nterd it l a réa l isation de l'être h u m a i n dans sa force ou sa beauté : on est « presque enfant à vingt ans, déj à vie i l lard à trente » (v. 28) ; une jeu ne fi l le de d ix-h u it ans semble « U ne petite fi l le à figu re de viei l le » (v. 53). Les enfants mêmes sont couchés dans des trous qui ressemblent à des tombes (v. 54-60). Cet enfer est aussi un monde où les vertus n'ont plus de sens : toute pudeu r a d isparu (v. 48, 64), les jeunes fi l les se prostituent (v. 3 8-42) . H u go se voit donc comme l 'ém u l e du poète florentin Dante Aligh ieri : i l est cel u i qui a vu (v. 62) ces spectres vivants, et qui peut témoigner de cet enfer. Après la description de cette m i sère monstrueuse, un l ien de causal ité est établ i entre le l uxe des uns et la misère des autres . En u ne image atroce, le peuple est comparé à des raisins que l 'on fou le pou r en extra i re de l 'or. Le développement s i n istre de la métaphore su r u ne vi ngta i ne de vers accompagne le mouvement i nexorable de la vis du pressoir. L'i mage rappe l le donc la fonction norma l e de ces caves ; ma is, à travers ce mouvement paradoxa l du flot q u i ru isse l l e de bas en haut, e l l e sou l igne aussi le caractère scandaleux de cette injustice sociale. Après la dénonciation de ce système implacable, le poète laisse éclater son i n d i gnation. E l le apparaît d 'abord dans le racco u rc i q u i fa it des favorites autant d'ogresses, q u i mangent des enfants vivants (v. 1 07-1 08) . E l le se man ifeste aussi dans les reproches adressés successivement aux riches, p u is au peuple endorm i . Mais devant la van ité de ces remontrances le poète devient l u i-même justicier: transformant la rêverie q u 'on l u i reproche e n réflex ion, en jouant habi l ement s u r les mots (v. 1 43), i l i nvoque l a foudre, qui l 'élève a u niveau divin.
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Les Chiitiment5
1 7 QUEL EST LE PLUS ANCIEN POÈME DES CHÂTIMENTS ? (lV, 2) II s'agit de Ir Ce que le poète se disait en 1848 27 novembre 1848.
»,
daté dans le manuscrit du
C'est en 1 852 que V. H u go entreprend l a composition d ' « u n vol u me de vers q u i sera le pendant n atu rel et nécessai re de Napoléon le Petit» (lettre à Hetzel du 1 8 nov. 52). Mais i l y i nclut des poèmes réd igés avant le coup d'état, et qui témoignent de son évolution pol itique ; le plus ancien de tous est « Ce que le poète se disait en 1 848 » . L e contexte d ans lequel a été écrit ce poème est i mportant : e n 1 848, H ugo, modéré, est inqu iet d evant cette révol ution qui vient de chasser Louis Ph i lippe ; i l méprise l 'assemblée et même la seconde républ ique.
Dans « Ven i, vidi, vixi » ( Contemplations, IV, 1 3), il en arrive à avouer son dés i r de mourir. Le poème i n c l u s dans Les Châtiments man ifeste donc le désarroi du poète. Hugo récuse alors le combat politique. I l condamne les démagogues de gauche, ce « parti témérai re » q u i a ébranlé l'ordre et la paix : c'est à cause d'eux que les citoyens « F i ls de la m ê me F rance et du même Paris / S'égorgent » (v. 8-9). Le poète doit au contra i re offri r sa vie, chercher à convaincre pou r rétabl i r l 'ordre. On sait que, pendant les jou rnées de j u i n, sans armes, Hugo est i ntervenu avec cou rage. La date fictive de j u i l let 1 848, i nd iquée dans l 'édition, rapproche le poème de ces émeutes de j u i n , de « cette guerre i m pie, abom i n ab le, i nfâme » . Refusant de chois i r u n camp, le poète s e veut « a i l leurs » . Les émeutes achevées, i l en défendra toutes les victi mes, les « soldats trop a i sés à tromper » et « le pauvre homme du peuple » , mais aussi « les lois » . O n sait que, lorsque c e poème a été écrit, H ugo venait d e rencontrer le prince Lou is-Napoléon, en q u i il voyait alors l'homme qui pourrait sauver l'ordre. Si le poète refuse les responsabi l ités pol itiques, s'agit- i l d'o uvertures faites par le futur Napoléon I I I ? Ou au contrai re peut- i l s'isoler, rassuré par la présence d'un homme en qui il a confiance ? Après l 'exi l , ces questions . prennent une résonance i ron ique. On peut alors s'i nterroger sur les raisons du maintien de ce poème dans Les Châtiments. Sans doute H ugo a-t-il voulu montrer la continu ité de sa
position :
après « Sacer esto » où i l affi rme q ue, comme Caïn, l 'empereu r cri m i nel « appartient à D ieu » , avant « Les comm i ssions m i xtes » , où i l dénonce les jugements i n i ques, l e poète montre ici qu' i l se veut a u dessus des vengeances mesqui nes.
23 . 1 8 QUE SIGNIAE LE TITRE
«
ON LOGE lA NUIT Il ?
(lY, 13) Cette inscription se lisait sur les auberges où l'on recevait les voyageurs pour une durée indéterminée : il pouvait donc s'agir de repaires de voleurs ou d'aventuriers.
La comparaison du Louvre avec une auberge de voleurs permet d'abord à H ugo de développer, avec un réal isme qui fait penser aux tableaux de Breughel, la description des ripa i l les des vai nqueurs : « on boit, on rit, on mange, et le vin sort des outres » (v. 1 5). Rien n'y manque, morceaux de viande de « bouc;:herie lI, braises des fou rneaux, chem i née monu mentale, marm itons, gâte-sauces. Mais ce décor permet de sou l igner le caractère répugnant de l 'orgie, à travers les thèmes de l 'obscu rité, de la sa leté, de l ' ivresse. Avant d'énu mérer les noms propres à partir du vers 24, H u go évoque u n monde indistinct, « u n fou rm i l lement sombre lI , bestial (v. 1 4), composé d'êtres et non d'hommes, où le sénat entier n'est plus qu'un porc répugnant (v. 30) et le m i n istre Baroche, le ch ien q u i tou rne la broche. Mais à cette caricature grotesque s'ajoute la dénonciation d u crime. I l s'agit bien d ' u n e au berge d e vol e u rs o ù l ' o n fa it ripai l le pou r fêter « quelque bon coup » (v. 1 7) . le meurtre et le vol se mêlent dans les deux exc lamations du vers 1 8. les meurtriers seront ensu ite énumérés d'abord (v. 2 6-34), p u i s les voleu rs, les banqu iers (v. 4 7-52 ) . En effet le p l at principa l de ce festi n est constitué par le bœuf Peuple q u i rôtit à l a broche : ce n'est pas du jus mais du sang q u i en cou le ; l a comparaison, qu i devrait sembie-t- i l atténuer l 'horreur, l a sou l igne au contrai re. Cependant l ' i nd i cation portée sur l 'auberge p résente également un caractère rassu rant. Une tel le au berg� ne peut jamais constituer q u ' u n séjou r provisoire. Hugo l e précise dès le vers 2 : Napoléon I I I est ven u à l'auberge Louvre « pour y passer l a n u it j usqu 'à demai n matin Il n'est que de passage entre deux· incarcérations, venant de Ham et prom is à Tou lon (v. 66). Cet aventu rier est arrivé avec sa rosse Empire, mais i l est poursu ivi par l'aven i r, le gendarme de D ieu hâtant son lourd cheval dont le pas se rapproche. Dans le monde manichéen que brosse ici Hugo, la fu ite . des méchants apparaît comme i névitable.
24
Les Chéltiments
1 9 QU'EST-CE QU'UN SACRE ? (V, l) Le sacre est une cérémonie par laquelle l'Église sanctionne la souveraineté royale.
Au début d u l iv re V, i ntitu lé « L'autorité est sacrée » , H ugo fa it natu rellement figu rer le poème « Le sacre », i nspi ré par des ru meurs selon lesquel les Napoléon I I I songeait à se fai re sacrer par le pape. Ainsi, au l ieu de protéger le caractère sacré de l 'autorité, com me le suggère le titre du l ivre, N apoléon I I I confisq'uerait à son profit la reconnaissance de l' É gl ise. Ce sacre est e n effet dès le départ présenté comme un acte dél ictueux. I l apparaît comme u n écho du dern ier poème d u l ivre précédent : sur l 'enseigne de l 'auberge des voleurs, on déchiffrait en effet « ces quelques lettres : - Sacre ; / Texte obscur et tronqué, reste du mot Massacre » (lV, 1 3, v. 1 1 -1 2). La transition entre les deux l ivres se fait donc autou r de ce mot et de sa connotation défavorable : il s'agit du sacre grotesque d'un brigand. Ainsi, dans « Le sacre », le poète i magine que les brigands sortent de leur tombe, à Clamar(t), le cimetière des condamnés à mort. Tous les noms évoqués sont ceux de grands cri m i nels qu i ont marqué l'op i n ion, et que l 'on retrouve souvent dans Les Châtiments, de Cartouche et Mandrin, q u i sévissaient a u XVI I I e s . , a u x assassins contemporains Souffl ard et Pou lmann. Quelques déta i l s permettent de les caractériser rapidement : Cartouche est « ensanglanté » parce qu' i l a été roué vif ; M i ngrat, ancien cu ré, « monte à sa chaire » . Mais tous ces « chenapans » réclament avec la même violence le titre d'empereu r ou de roi . I ls fi n i ront par se reconnaître en Napoléon I I I , cet empereu r brigand e n q u i le pape les sacre tous. Mais i l faut remarquer que cette i dentification est établ ie par Robert Macai re, le brigand du mélod rame l'Auberge des Adrets, i ntrodu i sant une nuance de dérision. -
C'est le brigand de théâtre q ui s e reconnaît dans l'empereur de pacoti lle . La forme de la chanson populaire semble aussi dédramatiser l ' i mage de
ces revenants i nqu iétants. Mais on note que le refrai n léger « M i ronton, m i ronton, m i rontaine » y est remplacé par l a p l a i nte : « Paris tremble, ô dou leur, ô misère » , q u i devient u n le i tmotiv lancinant. La construction de ce vers est en outre inversée dans l a dern ière strophe : dans le reste du poème, le poète déplorait l a peu r de Paris devant le danger des cri m i nels, l 'absence d'autorité ; à la fi n du poème, Paris ne tremble plus de peur, mais de souffrance devant le pouvoir établ i des cri m i nels.
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2 0 POURQUOI VICTOR HUGO DEMANDE-T-IL AUX ABEILLES DE CHÂTIER NAPOLÉON III ? (\1, 2) Le poète s'adresse aux abeiles qui décorent le manteau impérial, et les invite à poursuivre /'infâme qui les a humiliées en se les appropriant.
Le manteau i m périal était en effet « semé d'abei l l es d'or » (V, 1 3 , L'expiation » , v . 287) . Mais Hugo considère que ces i mages empru ntées au symbol isme du prem ier empire sont scandaleusement déplacées sur le manteau de Napoléon I I I . Les abei lles sont e n effet présentées comme immatériel l es : « fi I les de la l u m ière » (v. 1 1 ), el les ne fréquentent que le ciel et seu lement pendant la saison l u m i neuse (cf. v. 3-4) . E l les n'ai ment que les fleurs pu res ; « dans l'azu r écloses » (v. 1 4), el les sont de « chastes buveuses de rosée » (v. 7), parei l les aux fleu rs mêmes, ou à l a jeune épousée d u « Canti que des cantiques » pou r qui son bien a i mé va « cuei l l i r des lys » (cf. v. 7-1 1 ) . Les abe i l les sont aussi des travailleuses, de « généreuses ouvrières » (v. 1 3), et si el les dérobent le suc des fleu rs, c'est pou r « donner aux hom mes le m iel » (v. 6). En outre, seu le sou rce de sucre dans l 'antiqu ité, le m iel est symbole de douceu r ; aussi la légende prétend-el le que des abe i l les se sont posées sur la bouche de Platon enfant pendant son sommeil, symbol isant l a douceur des paroles qu' i l prononcerait (cf. v . 1 6) Ainsi, pu res, généreuses, sou rce de parole vérid ique, les abei l les ne sau ra ient pactiser avec « ce qui sort de l a fange » (v. 1 7) . Le lyrisme «
paisible et lumineux du début d u poème cède alors la place à la violence de la satire, à laquel le i l donne tout son élan. Les abe i l les sont aussi des guerrières. E l les incarnent le devoi r, mais aussi la « vertu '», a l l iant rigueur
mora le et cou rage. Le poète m u lti p l ie les i mpératifs vengeurs, qu i ne sont que l'aboutissement des apostrophes des pre m i ers vers. Il s'efface même derrière les abe i l les qu i s'adressent à N apoléon I I I en u ne prosopopée vengeresse. Ce sont donc ces i nsectes, rendus p l u s anod ins encore par l'usage d u mot « mouches » (v. 35), qui vont accompl i r ce que les hommes ne parvien nent pas à fa i re par lâcheté. Et la répétition en c h i asme de l'antithèse aux vers 32-34 et 35-36 stigmatise leur faiblesse. Ainsi le lyrisme de la première partie du poème donne vie à de simples ornements ; puis les images de l u m ière et de pureté confèrent au poème u n élan qu i aboutit à la condamnation d u vice et à la violence du châti ment.
26
Les Chiltiments
2 1 QUAND VICTOR HUGO A-T-IL ÉCRIT LE POÈME
DRAPEAU DE WAGRAM Il ?
(V,S) Bien que ce poème soit fictivement daté de « Jersey, Juin 1853 composé en octobre 184 9.
»,
«
0
il a été
Le poème « 0 d rapeau de Wagram» a bien été composé deux ans avant le coup d' État, au moment où V . H ugo se détache de Lou is
Napoléon et passe à l 'opposition qu' i l rejoindra franchement en j anvier 1 850.
Le poète y i nvoque l es valeurs du peu p l e français : l a pensée des l u m ières q u ' i ncarne Vo lta i re, et l 'honneur m i l ita i re, la grandeu r de l a France, symbo l i sés p a r le drapeau d e Wagram . Face à c e passé glorieux, Hugo sou l igne la petitesse de « ces pauvres nains vai nqueu rs » (v. 8) que sont les partisans de Napoléon I I I . On retrouve donc les thèmes majeurs des Châtiments.
On y rencontre aussi l'i mage du peu ple l ion, q u i sera l a rgement développée en particu l ier dans « La caravane en novembre 1 85 2 . J I n'est pas encore « Le roi sauvage et roux des profondeu rs muettes H u go évoque u ne bête qu i somme i l le, dont « l a patte énorme et monstrueuse dort (v. 24) . ; mais « on l'excite assez pou r que la griffe sorte (v. 2 5 ) . Le peuple l ion para1't encore plus redoutable qu'ad m i rable. Loi n d ' i nciter le peuple à la révolte ou même d'espérer une tel le réaction, le poète redoute u ne nouve l l e révol ution que l'attitude du pouvoir rendrait inéluctable. Sans être exactement d u même ton que les autres poèmes des Châtiments, cette pièce appartient donc à la même vei ne. Aussi H ugo a-t- i l p u la dater successivement de novembre 1 852, date du rapport Troplong qui réc l amait le rétabl issement de l 'empi re, puis de j u i n 1 85 3 , date où le gouvernement a procédé à des arrestations q u i émurent l'op i n ion. Ainsi, au l ieu de témoigner de l a seu le évol ution pol itique de V. Hugo, le poème est rattaché à d es événements q u i justifient objectivement une prise de position et permettent d'espérer une réaction du peuple.
Actual isant ce poème ancien, H ugo le p l ace entre deux poèmes datés respectivement de novembre 1 852 et août 1 85 3 : « Tout s'en va où i l déplore l 'ex i l , l a d isparition des valeurs et « O n est Ti bère, on est Judas où i l annonce u ne révol ution i néluctable q u i emp l i ra « l a cité de torches enflammées Ainsi ce poème reste l e premier, dans l'économ ie d u recuei l comme dans l ' h istoire d e sa composition, qu i évoq ue l a révolte contre la tyrannie.
22 QUE SONT LES
«
GRANDS CORPS DE L'ÉTAT
?
(V, 7) 1/ s'agit des administrations, des assemblées sur lesquelles le pouvoir s'appuie pour exercer son autorité.
L'expression « les grands corps de l 'état » est en général uti l isée dans u n sens positif. M a i s H u go emploie cette expression p a r anti p h rase, pou r h u m i l ier les serviteu rs du régime bonapartiste. Les poèmes I I I, 1 6 et IV, l réc lama ient que l'on laisse l a vie sauve à Napo léon I I I ; c e poème-ci demande la même mansuétude, ou p l utôt l e même déd a i n pou r son entourage. L'empereur est ici présenté comme un comédien grotesque, émule de Sou l ouque ancien esc l ave noi r q u i , depu i s 1 848, s'était fait proc l amer empereu r d ' H aïti et avait c réé l es titres surprenants de « duc de Trou Bonbon » ou « duc de Li monade » . Et, avec le racisme sans vergogne de son siècle, H ugo traite ses comparses de « nègres blancs » (v. 1 8) : « noirs par l 'âme et par l a servitude « (v. 1 3), i ls n'ont d'hommes que cette peau qu'ils croient menacée ! I ls ne doivent donc pas subir le châti ment extrême i nfl igé par le roi de Perse Cambyse à u n j uge mal honnête ( i l fut écorché et on garn it de sa peau le fauteu i l de son successeu r). Ceux q u i n 'ont pas de sang su r les mains ne méritent que d'être traités comme ce q u ' i l s sont : des laquais ; i l s encou rent l'opprobre (v. 49), le châti ment h u m i l iant du bâton (v. 5 7) . L'abjection q u i les attend est symbo l i sée par les métiers les p l u s décriés : leur avi l issement moral se manifestera e n bassesse sociale. Mais le poète adopte un langage d'une grande violence . Les comp l ices de l 'empereu r sont traités de « gueux » ; après l ' i ronie des invocations burlesq ues (v. 7-8), i l s ne méritent que la vio lence p tébéienne de l a « trique » . L e prosaïsme d e certains passages (v. 3 4-3 6 ; 5 6-5 7 ; 7 1 -72) semble s'adapter au n iveau de ces « d rôles ». Les i m ages mêmes sont i nsu ltantes, en particu l ier cel le du « ver su r le sable » du premier vers, q u i réapparatt avec cel le des trou s où s e terreront l e s cou pab l es, e t q u i deviendront naturel lement les égouts du récureur Troplong. Ainsi le poète q u i se veut « c lément » (v. 3) remp l ace le châti ment sanglant par une h u m i l iation q u i aura paradoxalement les rés u ltats i nverses de ceux qu' i l visait : q u i se souviendrait encore des noms de Rou her, de Baroche, ou de Troplong, s' i l ne les avait ainsi fustigés dans ses vers en les condamnant à l'oubl i ?
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Les Châtiments
23 QUI ÉTAIT PAUUNE ROLAND
?
(V, l 1) Pauline Roland, militante socialiste déportée en Algérie, incarne l'héroïsme des femmes face à la répression du régime impérial.
Pau l i ne Roland, née en 1 804, était u ne m i l itante soc i a l iste, auteur de nombreux artic les dans des revues engagées. E l le refusa le mari age par conviction, mais eut trois enfants auxquels el le se dévoua effectivement. Arrêtée en février 1 852, el le fut transférée en Algérie, mais non à Lambessa com me l 'écrit Hugo. E l le y tomba malade, fut ramenée en France su r l ' i ntervention d e George Sand i mais, à pei ne rentrée, el le mou rut à Lyon en décembre 1 852, date prétendue du poème. La seconde partie du poème V, l l (v. 34- 1 3 8) raconte donc avec précision la fi n de la vie de Pau l ine Roland. En j u i l let 52, Hugo avait déjà fait le récit de son départ pou r l 'Algérie dans « Les martyres » (VI, 2, v. 1 724) i en mars 5 3 , i l reprit des vers qu ' i l avait a l ors ébauchés, en les corrigeant à l a l u m i ère de divers témoignages. Le poème constitue donc bien un récit ch ronologique, un témoignage précis. Et, si H ugo confond le voyage de l 'a l ler avec l e retour en France, s i à son arrivée en France P. Roland ava it encore tous ses esprits, la simpl ic ité et la l i néarité de ce compte-rendu lui confèrent u ne grande force. Mais c'est aussi un récit hagiographique, q u i transforme la m i l itante pol itique en sainte l aïque, en martyre (v. 87). P. Roland subit avec courage la fai m (v. 40), l ' h u m i l i ation (v. 54-63), l es i ntem péries (v. 68-70), l a sol itude (v. 67), l 'ex i l (v. 76-78), l a malad i e (v. 1 4 1 - 1 42 ) . À toutes ces souffrances elle répond en encou rageant ses compagnes i el le convertit les autres prison n ières (v. 4 1 -42) . E l le est même identifiée au Christ (v. 1 0 7) et trouve bon de sacrifier sa propre vie (v. 1 1 6- 1 1 8) . Cette femme du peuple incarne donc, selon H ugo, c e qu'il y a de plus fai ble et de plus sacré : e l le est femme et mère. Victi me, e l le est aussi
protectrice, rassu rante. Les trente-trois premiers vers élargissent son amou r maternel aux d i mensions du monde : i l s i nvitent à l i re le récit su ivant avec la conviction d'une marche inéluctable vers un aven i r rad ieux : « Le genre humain pou r elle était une fam i l le Comme ses trois enfants étaient l'human ité. El le criait : progrès ! amou r ! fratern ité ! Elle ouvrait aux souffrants des horizons sub l i mes. » (v. 29-32)
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24 QUE S'EST-IL PASSÉ LE DIX-HUIT BRUMAIRE ? (V, 1 3) Le dix-huit brumaire de l'an VIII, Napoléon Bonaparte renversa le Directoire.
Depu i s son enfance, V i ctor H u go . avait méd ité s u r l e dest i n de Napoléon et, jeune roya l iste, i l avait repris u ne interprétation alors très répandue : c'était D ieu q u i , après s'être servi de Napoléon, avait vou l u sa ch ute et son châti ment. Cette réflexion su r un mal heu r extraord i n a i re succédant aux plus grands succès resta longtemps au centre de son œuvre. En 1 852, devenu républ icain, le poète a adapté cette i nterprétation à ses convictions : la Providence a châtié Napoléon, non pou r sa participation à la Révolution, mais pou r l'acte qui a mis fin à la République, le c�up d'É tat du 1 8 brumaire . En effet, le d ix-h u it brumaire de l 'an VI I I (le 9 novembre 1 799), Bonaparte a destitué les membres du d i rectoi re ; i l a fa it ensu ite dissoudre les conseils et i nsta l lé trois consu ls ; nommé Premier Consu l , il se préparait ainsi la route de l'Empire. Lorsque, dans « L'expiation », N apoléon voit son destin bascu ler, i l comprend q u ' u n tel renversement n e peut être qu'un châti ment d i v i n ; i l
pouvait craindre, selon l'idée anti q ue « q ue J éhovah dans les nuées / Fût jaloux de N apoléon » (v. 279-280) . Les trois prem ières parties du poème
montrent donc la fi n de l 'épopée napoléon ienne : la retraite de Russie, Waterloo, Sai nte-Hélène semblent constituer u n châti ment suffisant pou r exp ier l a démesu re de l ' E m pereu r ; à chaque fo is pou rtant u n e voi x répond : non. Les trois parties su ivantes évoquent sur le mode lyrique l a constitution d e l a légende napoléon ienne : l 'empereu r mort croit pouvo i r dorm i r « confiant et tranqu i l le » (v. 294) . La dern ière partie tranche avec les autres : à l 'empereur titan consacré par l a mort a succédé « Bonaparte, écuyer d u c i rque Beau harnais » (v. 3 1 6). U n châti ment aussi terrible que cette parod ie grotesque q u i efface l a gloire de l' Empereur suppose u n crime impardonnable. Seul le dix-huit b r u m a i r e , q u i constitue le meu rtre de la l i berté, c ' est-à-d i re, pou r Bonaparte, de sa propre mère (cf. v. 385), peut justifier l'horreur de cette ca r icatu re abjecte q u'est Napoléon I I I .
Mais c e châtiment q u ' i nvoque H u go l u i permet aussi d e j u stifier a posteriori sa propre attitude bonapartiste et l a faveur qu' i l accorda à Lou is N apoléon (cf. v. 2 1 6-21 7) : i l fal lait que le coup d' Ëtat du deux décembre vienne châtier le crime du dix-hu it bru maire. Comment u n poète au rait- i l p u s'opposer à la volonté d ivine ?
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Les Châtiments
25 QUELLE CARICATURE LE DESTIN BARBOUILLE-T-IL, «
DANS ÉBLOUISSEMENTS », SUR LE TOMBEAU DE NAPOLÉON 1ER ?
(VI,S) Dans une métaphore qui rappelle « L 'expiation », Hugo compare Napoléon III à une caricature tracée par le destin pour faire affront à cr la gloire en lambeaux » de Napoléon 1 er•
Au X I Xème siècle, les forains montra ient aux badauds des a n i maux curieux, mais aussi des monstres h u mai ns, effrayants ou grotesques. Selon Hugo le régime de Napoléon I I I rejoint les p i res monstruosités : on y voit des « phénomènes vivants » (v. 5), et su rtout des monstres q u i ont l'hypocrisie de flétri r les autres pou r se don ner u ne apparence respectable. Plutôt que de s'abandonner à l a souffrance ou d'en appeler au jugement de l'histoi re, H ugo choisit donc ici le rire de la caricature. La caricatu re se fonde su r l'exagération d'un trait qui révèle un aspect ridicu le de la personne à q u i l'on s'en prend. H ugo sou l igne donc d'abord l 'embonpoi nt mal p lacé de cette « époque cal l i pyge » (l ittéralement : aux bel les fesses), visant a i n s i u n rég i me qui j o i nt l'aisance économique à l 'obscén ité mora l e (cf.v. 49-50) . Du thème d u bas-ventre, on passe natu rel lement à cel u i de l 'ordu re (v. 69) , puis à cel u i de l 'arrivisme : ces p u i ssants éta ient i l y a peu m i sérab les ; i l s n 'ont droit à aucu ne respectabi l ité, et n'ont agi que par i ntérêt. Mais Hugo ne désigne encore ses victimes que par des périphrases plus ou moins identifiables. La caricature se fait aussi purement physique: d'Hautpou l n'est qu'un ventre et d'Argout u n nez (v. 1 1 2 ) . Les sénateurs « bran lent leurs vieux gazons sur leu rs viei l les caboches » (v. 142). Le ri re se su bstitue à la dénonciation. La référence animale du vers 1 50 dépasse 'certes l a si mple métaphore : ces monstres ne laissent voi r au spectateu r « pas l'ombre d'un bon insti nct » (v. 1 2 7) : « en eux l ' homme est éteint » (v. 1 28). Mais c'est bien le plaisir de l'i mage q u i l 'emporte. La caricature culmine dans l'.image du bal : bal mondai n ou danse des monstres sur la baraque forai ne ? Ici les noms sont bien cités, mais i ls sont vidés de toute réal ité : i l ne reste p l u s que des sons q u i tradu isent cette valse frénétique ( ( Gambade, ô Dombideau, pour l'onomatopée ! » v. 1 74), non sur le rythme à trois temps qu'on attendrait, mais sur un rythme à deux temps, préc i pité. Ces tueu rs ne sont p l u s que des panti ns grotesques. L ' i mage de l a citrou i l l e, magn ifique à la fois visuel lement et dans ses sonorités, vient c lore en apothéose cette évocation .
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26 QUEL EST LE pOÈME QUI, AU CENTRE DU LIVRE VI , ANNONCE
STEL » ?
«
Luna » (VI,7) annonce et prépare
«
Stella » (VI, 15).
La parenté de leu rs titres, mais aussi leur datation fictive rapprochent ces deux poèmes : i ls sont tou s deux datés de j u i l l et 1 85 3 , a lors que Ste l l a a été écrit en décembre 1 852 et « Luna en mars 1 8 5 3 . En fait « Luna a été détaché du premier poème du l ivre l, composé le trente mars 1852, et mis en forme le lendema i n . Dans le poème « France, à l 'heu re où tu te 'prosternes . . . {l, 1 ), le ban n i , « contemp l ant l 'étoi le et le flot (v. 6), parle dans l 'ombre : on est encore au début du recuei l . E n revanche, le poème « Luna » a été reporté au l ivre VI parce qu' i l montre, sur ce fond de ténèbres, la montée de la lumière : l u m ière de la lune q u i fait h urler les ch iens, ou l u mière d e l'Idée, q u i « i nonde / Les sombres azurs de la n u it. Cette Idée, révél atrice (v. 1 7-20), d i rectri ce (v. 2 1 -24), consolatrice (v. 25-28), est l 'oiseau d'airain qui l i bérera les penseurs de leur prison . Son pouvoi r mervei l leux est déjà visi b le dans l e spectacle de la l u ne. Mais la lune ne peut dissoudre les ténèbres. Sa l u m ière paraît d'abord abondante, pu i sq u 'e l l e « i l l u m i ne )l, « inonde / Les sombres azu rs de l a n u it (v. 1 8-20). Mais cette l u m ière ne se répandra sur le monde qu'avec le jou r : la comparaison entre le présent « a et le futu r « éc l a i rera (v. 3 940) le montre clairement. Au contrai re, dans « Ste l l a le poète assistera au lever de l 'étoile du matin, qu i annonce le jour, l a victoi re de la lum ière sur la nu it. Cette « étince l l e sera « le cai l lou d'or et de feu que Dieu jette / Comme une fronde au front noir de la nu it. (VI, 1 5 , v. 3 0-31 ) Ce triomphe de la l u mière ne se prod u ira q u'à la fin du l ivre VI. "
annoncera la dern ière partie : « les sauveu rs se sauveront Mais, après « L' Exp i ation », le l ivre VI se tou rne déj à vers l 'aven i r : le grotesque et l 'horreur marquent encore les trois premiers poèmes et le cinqu ième, mais ce retou r au passé donne l'élan qui permettra d'ag i r. L' « énorme océan le (VI, 4) annonce la victo i re des esprits ; dans « À ceux q u i dorment poète gou rmande le peu ple. Enfi n « Luna an nonce l e triomphe de l a l u m ière. L'oiseau d ' aira i n qu 'est l ' I dée (v. 1 6) prépare « l'ange Liberté « le géant Lum ière (VI, 1 5 , v. 42)
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Les Chiitiments
27 QUElS VERTUS HUGO RECONNAÎT-IL AUX FEMMES
?
(VI,B) Hugo affirme que les femmes 'ont été les seules à résister avec courage au nouveau pouvoir auquel les hommes se soumettaient sans réagir.
Au l ivre V, H u go avait déj à célébré l ' héroïsme de Pau l i ne Rol and (cf. Q. 23). Au l ivre VI, deux poèmes permettent encore d'apprécier un «fémin isme » inhabituel à l'époque : « Les martyres » (VI, 2) et « Aux femmes » (VI, 8). Dans ce dern ier poème, le second empire naissant est comparé à u ne sal le de bal . Pour se donner une respectabi l ité et cacher leu rs « griffes » , les « drôles » ont revêtu u n costu me chamarré dont Hugo se moque à grand renfort d 'a l l itérations. Mais derrière les « gants » , l es « ganses » , l es « élégances Il , on entend toujou rs à l a rime le mot « brigands Il qu i l es trah it. À ce camoufl age i n uti l e, fondé s u r u n e é l égance en pri n c i pe fém i n i ne, s'oppose l a s i m p l i c ité et l 'effi cac ité des fem mes : leu rs « charmantes épau les Il et leu r « d ivin sourire Il assassi nent ces tueurs. Leur comparaison avec les a lcyons symbol ise le triomphe de la faiblesse sur la force déchaînée et annonce l a victoire futu re du bien. Mais l'évocation du cou rage des femmes est aussi l'occasion de flétrir la lâcheté d u peuple q u i sera encore pris à parti dans l e poème su ivant. U ne longue évocation de l ' héroïsme du peu p l e pendant la révol ution, scandée par l 'anaphore des « ou i Il , aboutit à l 'échec redondant des six verbes des vers 29 et 30. Ensu ite, ce peuple ne sera plus qu'un « on Il , sujet de ph rases brèves q u i man ifestent son effacement, sa fa iblesse devant l a cruauté et l 'orguei l du tyran. A u contraire l e courage des femmes apparaît d'autant plus héroïque. « Le sei n gonflé, les yeux de pleurs baignés » (v. 5 6), el les semblent une a l légorie, plus esthétique que réal iste. Peut-on donc parler vraiment de féminisme de H ugo ? On pourrait au contrai re risquer l'accusation de misogyn ie, pu isque tout le centre de ce poème est un reproche adressé . à des hommes qui ne sont pas même au niveau des femmes. En fait, Hugo est u n homme de son siècle. SeS" héroïnes sont ardentes au « dévouement Il et « à la souffrance 1) . Si Jud ith, Charlotte Corday et Jeanne d'Arc ont agi et tué, les autres ont surtout su se sacrifier. Vierge ou mère, la fem me héroïque q ue dépei nt H u go est adm i rable, mais idéal isée, inaccessible. C'est ainsi qu'el le sera tout natu rel lement identifiée à l 'archange Sai nt-M ichel, dans u ne a l légorie de la L i berté q u i an nonce l 'ange de « Stella Il .
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2 8 QUE SIGNIFIE lA COMPARAISON D U PEUPLE AVEC L'OCÉAN
?
(VI,9) En identifiant le peuple à l'océan, Hugo souligne à la fois sa violence incontrôlable et sa puissance bénéfique i mais la comparaison devient ensuite opposition : le peuple est endormi et son réveil se fait attendre.
Deux poèmes sont i ntitu lés « Au peu ple » . Dans le prem ier (1,2), Hugo reprochait au peuple d'être comme mort (cf. Q.1 0) . Au l i vre VI (VI,9), il le compare à l 'océan avec sa dou b l e thématique : il est « ter r i b l e et pacifi q ue » (v. 1 ) . Et cette antithèse . est systématiquement reprise dans tout le poème. l'océan est sou rce de tous les dangers ; i l abrite des « monstres » . Aussi les tempêtes apparaissent comme un combat épique l ivré contre ceux q u i prétendent le défier : le bru it des vagues évoque des « chocs d'arm u res » (v. 1 3) ; l a polysém ie du mot « l ame » , à l a fois vague et arme, confi rme l ' i mage. L'océan est un monstre q u i rugit (v. 1 6), l e futu r l ion océan de « Ste l l a », poème composé deux mois avant celu i-ci , mais daté comme l u i d e j u i l let 1 853 . L e peu ple apparaît donc d'abord comme dangereux. S' i l peut briser l e despote (v. 1 0), i l est aussi u n « gouffre h u m a i n » (v. 1 5), capable de dévorer ses adversa i res. On sent ici toute l a méfi ance du conservateu r Hugo (cf. Q . 1 7 et 2 1 ) dont le ral l iement au peup l e ne va pas sans réserves. Le cri rau q u e, le monstrueux m u r m u re évoq uent u ne révol ution p l us redoutable encore que sou haitable. Mais l'océan est aussi le « n iveau magn ifique q u i « accepte en son m i ro i r tou s les astres du ciel : gage de stabi l ité, référence absol ue, i l se charge des valeurs du ciel qui se reflète en l u i : i l est « l'azu r u n iversel » . Le chant q u ' i l ad resse à Vénus, l 'éto i l e q u i annonce le jou r, p répare c l a i rement « Ste l l a Ainsi, l e peu p l e doit être guidé par l e fana l d ' u n « esprit » (v. 1 1 ) q u i canal i se s a violence. Cependant le poème se termine sur un ton très amer. En rejet au début q u i fait écho au ' titre, semble du vers 24, l'apostrophe « Ô peu p l e participer à l'élan grandiose du vers 2 3 ; e l l e annonce en fait le reproche des tro is dern iers vers. L'océan vient toujours à l ' heu re p réc ise de l a marée ; le peu ple, l u i , n e répond pas à l 'attente d u proscrit « pensif » . Seule
la date i n d i q uée au bas du poème i n d i q ue une volonté résol u ment optimiste : rapprochant autant que possible ce poème de la date de l a
publ ication des Châtiments, Hugo suggère q u e la marée attendue ne saurait tarder. La déception de février devient alors l 'espoir i mpatient de j u i l l et.
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Les Châtiments
29 QUE DÉSIGNE L'EXPRESON
«
LE PARTI DU CRIME
»
?
(VI, 1 1) Cette expression, d'abord appliquée à Victor Hugo et aux autres proscrits, désigne évidemment, dans Les Châtiments, le pouvoir de Napoléon III.
Le 3 1 octobre 1 852, les proscrits de Jersey, dont H u go l u i-même, ava ient fa it p u b l ier u ne déc l aration appe l ant à l ' i nsu rrection . Lou is Napoléon eut l ' habi leté de la laisser publ ier dans le Moniteur; mais i l y fit joindre u n manifeste du comte de Chambord, le prétendant roya l iste, de façon à effrayer les modérés en rapprochant l es positions de la d roite légiti m i ste et d e l a gauche répu b l icai ne. Au nom des royal istes, H . de Riancey s' i n d igna de voi r la noblesse d u « petit-fi l s de Saint Lou is » comparée aux « ignobles et cou pables œuvres du parti du crime » . La formu le fut aussitôt reprise par les journaux bonapartistes pou r flétri r les proscrits. En épigraphe, H ugo rappe l l e donc i ron iquement cet h i storique, mais tout l e poème, antidaté pou r don ner l ' impression d ' u ne réaction immédiate, applique l'expression au régime de louis-Napoléon . Que ce régi me soit fondé sur le cri me, c'est ce que Les Châtiments répètent depu is « Nox » . Bonaparte est u n meu rtrier q u i « a rougi de sang [ . . ] tous nos fleuves » (v. 22-23) ; i l est comparable aux pi res brigands, pi rates loi nta i n s ou assass i n de l a pègre parisienne (v. 1 1 ) . Mais, p l u s encore que des victi mes humai nes, i l est cou pab le d'avoir assassiné l a démocratie : inversant le crime d e Judas, i l a l ivré « Rome répu b l i ca i ne à Rome cathol ique » ; i l a volé l a g l o i re de l a F rance symbo l isée par Austerl itz (v. 1 4) ; « i l a tué les lois et le gouvernement » (v. 20). Aussi Hugo dénonce-t- i l le discou rs mensonger de ces cri m i ne l s "q u i accusent de crime leu rs propres victi mes. Et pour attester la vérité i l recourt alors au .
seul témoin irréfutable : Dieu lui-même (v.
80-84).
Mais cette i nvocation semble avo i r aussitôt valeur de témoignage. Et le poète reprend avec u ne force nouve l l e ses excl amations indignées q u ' i l oppose au d i scou rs cyn ique du bou rgeois bonapartiste. Son rappel d u
programme politique des proscrits et son appel à l'insurrection prennent alors une valeur sacrée (v. 1 50) : D ieu sera cel u i q u i en don nera le signal
(v. 1 4 1 ) ou même cel u i qui foudroiera ce rég ime cri m i nel à l 'appel des proscrits.
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30 QUI ÉTAIT JUVÉNAL ? (VI, 13) Juvénal est le plus célèbre des poètes satiriques latins.
Juvénal ( Dec i mus J u n i us Juvenal is) est né vers 55 après Jésus-Christ, en Campan ie. Ses seize sati res, q u i constituent toute son œuvre, font de l u i le représentant le plus remarqu a ble de la sati re romaine. I l est mort vers 1 40, peut-être en exi l . À la différence d'Horace, poète plus sou riant, J uvénal a composé des satires pleines d'indignation et de violence. I l a écrit dans la première : « S i natu ra negat, facit indignatio versum » : si la nature refuse le gén ie; c'est l'indignation qui fait le vers. Devant l a pou rritu re de la société, le talent est vai n , selon l u i : l a sati re doit être u n pamph let. Ainsi Juvénal retient trois sujets majeu rs d'ind ignation : l'argent, le sexe et l ' i ntrusion des étrangers à Rome. I l apparaît donc comme u n poète réactionnaire, attaché à ce bon vieux temps myth ique qu'ont exa lté Tite live ou Cicéron. Mais H ugo mécon naît cette analyse. À l a fi n de « Nox », il invoque la Muse I ndignation « q u 'ai mait Juvénal, gonflé de lave ardente » (v. 4 1 5), et se place donc sous son patronage . Dans le poème « À Juvénal » (VI , 1 3), i l voit e n l u i u n « homme d' ivoire et d'or » , aussi noble et aussi précieux que les plus bel les statues antiques consacrées aux d ieux, et le recon naît comme « maître » (v. 97). Dans son essa i William Shakespeare, i l écrit que « Juvénal, c'est l a viei l le âme l i bre des répub l iques mortes. » Pourtant le poème « À Juvénal » renonce à la violence de la satire. Le poète semble s'adresser à u n vieux camarade su r u n ton fam i l ier. En effet les tu rpitudes qu'a dénoncées Juvénal existent toujou rs : ce sont cel l es q u i ind ignent H u go ; m a i s i l faut, d it- i l , renoncer à la sati re et retou rner à l'école ; le temps atténue les crimes, renverse les va leurs ; il faut renoncer à « blâmer l ' i nsti nct et le tempérament » (v. 1 22), admettre les monstruosités de la nature h u mai ne. Mais il ne faudrait pas pour autant voi r dans ce poème la tentation d'un renoncement annonçant cel le de « F l oréa l ». L e poème est tout entier composé sur un ton violem ment iron ique. Le nom même de J u vénal i nterd it dès le début de prend re au sérieux une tel le tentation . Et l a référence finale à l a mort d e Socrate supprime toute ambiguïté : les tyrans trouvent plaisir à persécuter l'esprit ; ce cri me, évoqué à l a fi n d'un poème q u i prétend prêcher la modération, suffit à en prouver la van ité. Contre la violence du crime, seu le peut valoir la violence de la parole.
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Les Châtiments
3 1 QUE DÉSIGNE LE TITRE « FLORÉAL ? (VI, 14) 1/ s'agit du huitième mois du calendrier révolutionnaire, qui s'étendait du 20 avril au 1 9 mai. Le poème « Floréal » fut en effet composé le 28 mai 1 853, mais i l est
seu lement daté de {( mai 1 853 » , de façon à entrer dans les l i m ites d u mois de flpréal, le mois {( fleu ri » . Il célèbre le premier printemps passé par le (v. 1 ) , l a poète s u r l 'île d e J e rsey, l e {( retou r des bea u x métamorphose d e l a n atu re o ù {( l 'eau v i ve a u sole i l se change en pierreries (v. 4), où {( le pom m ier se poud re / Pou r le pri ntemps ainsi qu'un marquis pou r le bal . (v. 8-9). Quelques jours après s'être l ivré à l a réflexion phi losoph ique de {( La force des choses » (cf. Q.38), le poète s'abandonne à l'appel joyeux de la nature : {( L'arbre chante ; j'accours ; ô printemps ! {( (v. 1 5). Le souven i r de la dixième bucol ique de Virgi le ( << Gal l u s entraîne au bois Lycoris q u i se trouble v. 1 6) confi rme l a sensua l ité de cette invitation redondante de l'herbe et du pré (v. 1 9) . Le poète rajeu n i s'abandonne, non sans mièvrerie, à l ' i nsp i ration q u e ressusc itent ces (; émotions (v. 3 1 ) : i l {( pardonne à l a vie retrouvant sa natu re l u m i neuse de poète lyrique. Mais, s' i l est possible d'oubl ier l es grands conquérants, le roi de Suède Charles X I I , le généra l carthagi n o i s ( H ) a n n i ba l , et « leu rs sangl ants tumu ltes (v. 1 0- 1 3), le poète ne peut se détacher de la situation de la F rance . A lors l a jeune ouvrière, la grisette, ou la bergère Lycoris sont oubl iées ; dans ce cadre sensuel n'apparaît plus que la nud ité agressive de Némésis, déesse de la vengeance avec « sa gorge de furie (v. 43). Au lyrisme de Virg i le doit succéder la sati re de J uvénal (v. 37 ; cf. Q.30), qu i s'impose a lors avec violence. Le poète ne peut que reconnaître son devoir et, s' identifiant à Némés i s, les cheveu x d ressés, frémissant, il refu se l 'apaisement de ce printemps (v. 5 6-58) . Le crime du pouvoir est donc aussi de détourner le poète de sa mission céleste. La maléd i ction, qu atre fois répétée, accuse les cri m i nels « d'emp. l i r de h a i ne u n cœu r qui déborde d'amou r (v. 70). Mais l a p lace du poème, entre « À Juvénal et « Ste l l a l u i confère tout son se.ns : le poète doit fustiger les « bourreaux ; mais i l reste tou rné vers l 'amour sans fond qu'i l exprime dans la vision l u m i neuse de l'aven i r que propose « Ste l l a » .
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3 2 QUE REPRÉSENTE CETTE ÉTOILE QUE VICTOR HUGO DÉCRIT
DANS « STEL
?
(VI, 15) II s'agit de l'étoile du matin qui annonce la fin de la nuit, et l'arrivée prochaine de l'ange Liberté. Au départ de « Stella se trouve une « chose vue » : le poète découvre l 'éto i l e après avo i r été t i ré de son som mei l par u n vent fra i s très vraisemblable. Le ciel est éclai ré d ' « une blancheur mol le ; et la présence d'un bateau à la coque noire et à la voi le bl anche permet de mettre en o valeu r cette l u m ière hésitante, qu i n'a pas encore triomphé de la nu it. Les goé lands, l'océan, l 'herbe verte, la fleu r, sans éviter encore u ne certaine afféterie, achèvent de recréer l 'atmosphère particu l ière de ce petit matin de Jersey. Et pourtant le poème, daté de j u i l let 1 853, a été composé en décembre 1 852, saison où, à Jersey, les nu its à la bel le étoile sont fort improbables. En réa l ité l 'éto i l e du matin fait déjà partie de l'imagerie de H ugo : i l l'a décrite dans u n voyage au bord du Rh i n en aoOt 1 840. Et cette apparition présentait aussi un caractère rel igieux, ' confi rmé dans « Ste l l a par ce « sourire divin » (v. 1 2) qui i l l u m ine le c ie l . H ugo passe donc i c i d e la « chose vue » à la « vision : ce poème serait la prem ière manifestation de la mythologie hugol ienne. Peu à peu le paysage s'estompe, et seu l s demeu rent le poète, l ' Océan et l' Ëtoi le. Le poète observe que la clarté de l'éto i le apaise les é léments (v. 9), que l 'Océan l ' ad m i re en retenant sa pu i ssance, en « rugissant tout bas » : l'océan peuple (v. 1 8), le l ion océan (v. 35) est amoureux de l 'étoi le. Tous l es déta i l s d u paysage ne sont plus que des signes de cet « ineffable amou r (v. 2 1 ) : tout est correspondance et harmon ie. À ce thème symbol ique se joignent des références bibliques. L'éto i l e est « le cai l lou d'or et de feu que D ieu jette / Comme avec une fronde au front noir de la n u it (v. 3 0-3 1 ) : H ugo reprend de façon origi nale le combat de David et Gol i ath ; mais c'est ici Dieu l u i-même q u i man ie l a fronde pou r l utter contre les ténèbres. « Cel le qu'on croit dans l a tombe et q u i sort évoque peut-être l a résu rrection de Lazare. Quant aux dern iers vers, i ls font penser aux paroles de Jean-Baptiste an nonçant la venue du Ch rist. L'éto i l e a choisi le poète comme confident. E l le-même est « la poésie ardente ; e l l e est l a voix q u i parla à Moïse sur le Sinaï. E l le est donc bien cette voix divine par laquel le le poète peut sou lever le peu ple, ce « l ion océan préparant l 'avènement de l'ange Liberté.
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Les Châtiments
33 QUEL EST L'OBJET DE CET
«
APPLAUDISSEMENT » QUI CLÔT LE
UVRE VI ? (VI, 17) Le poète applaudit l'avilissement de la France, parce qu'il permet d'espérer une réaction d'autant plus vigoureuse. Le titre de ce poème parait d'abord cruellement i ron ique. Le poète s'adresse d'abord à cette « grande nation » qu 'est la France. Et, après avoir évoqué la souffrance des pauvres, i l décrit longuement le l uxe des nantis. Il s'agit d'un l u xe c l inquant, i n d iscret, d'un l u xe de parvenu . La fête est partout, et les vertueuses rosières ne sont plus que des fi l les à soldats (v. 7). Aussi, passant à un tutoiement méprisant, le poète conclut : « En somme, (Tu t'es prostituée à ce m i sérab le hom me » (v. 1 8) . la même image i nsu ltante reparaît à la fi n de la deux ième strophe ; mais la femme richement entretenue du début n'est plus qu'une « d rôlesse ivre » , battue par son amant (v. 44-45). Cet avi l issement n 'épargne personne. Un « tas d'évêques » brai l le ; l 'empereur, iron iquement désigné comme « César » , se vautre. le pays est un ch ien qu'on bat. Les mots mêmes sou l ignent l 'abjection à travers deux calembours : l ' hymne « Salvu m fac i m peratorem » (Sauve l'empereu r), de règle sous le second empire, laisse apparaître le mot « faq u i n » ; et dans le nom du général Can robert apparaît cel u i du bandit Robert Macaire. Ma is H u go établ it une loi de renversement. « A i n s i va le progrès humain » : le « vi l aujourd'h u i » suppose et annonce un « fier lendemain » . Loin de l e déplorer, l e poète applaudit donc l'avilissement et y incite le peuple, descendant jusqu'à l'abjection la plus extrême (v. 67-69). Il peut
al ors annoncer avec certitude un rétabl issement d'autant ' p l u s l u m i neux : les images se succèdent, passant toujours de l'hu m i l iation à l'exaltation.
L ' « applaud issement » .devient, à la fi n du poème, ce l u i d u monde entier libéré : « Et l 'on battra des mains de l ' u n à l 'autre pôle. » (v. 89) .
Ainsi ce dern ier poème d u l ivre VI résout l 'opposition entre satire et lyrisme. I l n'y a p l u s à choisir. De l a sati re, de la description de « cet emp i re abject, bou rbier, c l oaque, égout » jai l l it naturel lement le l yrisme, l 'annonce de l'envol : « Ton a i l e profonde, 1 En . secouant la fange, éblou ira le monde. » (v. 81 -82).
34 COMMENT JOSUÉ A-T-IL PROVOQUÉ LA DESTRUCTION DES MURAIL DE JÉRICH.O ? (VII, 1) La Bible rapporte que, lorsque l'on sonna de la trompe pour la septième fois et que le peuple poussa le cri de guerre, le rempart de Jéricho s'effondra. Le sixièmè chapitre du /ivre de Josué rapporte la chute de Jéricho.
Dieu avait annoncé à Josué, le chef du peu ple hébreux que la vi l le leu r était l ivrée : pendant six jou rs, l'armée des Hébreux devait fai re une fois le tou r de l a v i l le en s i l ence, s u i vant l'arche d ' a l l i ance p récédée de sept ' p rêtres, tenant sept trom pes en cornes de bél ier ; i l con c l uait : « Le septième jour, vous ferez sept fois le tou r de la vi l le et les prêtres sonneront de la trompe. Lorsque la corne de bél ier retenti ra [ . ], tout le peu p l e poussera u n grand c r i de guerre et le rempart de l a vi l le s'écrou lera sur place. Il H ugo reste donc fidèle au récit biblique, mais i l en é l i m i ne les déta i l s q u i n e concernent pas son propos, p a r exemple la destruction totale d e la v i l le, l'épisode de Rahab, la seu le habitante de Jéricho à être épargnée, mais aussi le cri du peuple, déterm i n ant dans la B i ble, ou la présence des sept prêtres sonnant de la trompette. En revanche le rôle de J osué est magnifié : simple i nterméd i a i re, dans la B ible entre D ieu et son peu ple, i l est chez Hugo, « l e prophète i rrité )l , chargé d e l a colère divi ne, q u i sonne l u i-même de la trompette (v. 4). Et, en l'absence du cri d u peuple, il semble seu l responsable de l a chute de la vil le par sa musique. D'un autre côté, H ugo imagine les railleries du peuple de Jéricho . Cette vi l le symbo l ise le m a l : face à ces trompettes l u m i neuse que sont les clai rons, e l l e d resse des « murs ténébreux Il (v. 1 6) et u ne tou r de gra n it sombre (v. 1 9) . Contrai rement au prophète hébreu sol itaire, élu de D ieu, on y voit toute u ne fou le, enfants, femmes, i nval i des, fou le dériso i re et ricanante ; et le roi l u i-même rit, i nsu ltant les Hébreux par son i ron ie (v. 57, 22-23 ; cf. 1 1 1,2) ; mais, contre ce ri re, le poète n ' i nvoque plus la menace du châtiment i nd ividuel ; i l affi rme la certitude de la victoi re des h u m i l iés. Transformant le récit bibl ique en é popée, Hugo a donc concentré sur u n héros toutes les vertus du peu ple. Mais c'est aussi que le prophète Josué est l'image du poète, q u i doit toujou rs fai re réson ner les « clairons de l a pensée Il. E t c e poème, i n augurant le l ivre V I I des Châ timents, annonce l a chute prochaine du second empire, « à la septième fois )l , sous les coups de boutoir du verbe hugolien . .
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Les Chiitiments
35 POURQUOI HUGO A-T-IL SITUÉ À ROME CET ÉGOUT DONT IL FAIT L'IMAGE DU RÉGIME IMPÉRIAL ? (VII,4) L 'image de l'égout est fréquente chez les moralistes latins, mais cet « égout de Rome » est aussi l'occasion de rappeler à Napoléon III la fin ignominieuse des empereurs romains. Le thème de l'égout est obsédant dans Les Châtiments : c'est le cloaque plein de fange où se vautrent les puissants : « La fange a ses amants et l 'ordure a ses prêtres [ . . . ] / Le parad is d u porc, n 'est-ce pas le c l oaque ? » ( ( À J uvénal » , VI , 1 3 ) . H ugo rejoint a i n s i l ' h i storien l atin Tacite q u i , décrivant les fêtes instituées par Néron, écrivait q u e rien « n'offrit u n tel choix de séductions que ce cloaque » (Anna les, XV, 1 5). Mais l 'égout est aussi une métaphore usuel le de la Rome i mpériale, la vi l le cosmopol ite où se retrouvent les vices du monde entier : « Rome, égout du genre humain » . Aussi l a compara ison d u second emp i re avec u n égout appel l e-t-el l e naturellement l a référence à l a décadence des mœurs à Rome (I I I , 1 3) . I c i le poète s e propose comme gu ide dans cette promenade historique : « Voici l 'échel le. Descendez. » Et i l p lante u n décor « à l 'antique » , avec les matrones, le crieur q u i procl ame le nom des esc l aves fugitifs, pu is l e forum, le p o rt d'Ostie, l 'arc d e triomphe, l e s j u meaux à la louve et le Tibre. Cependant ce décor idéal isé par la tradition scolaire n'est là que pou r faire valoir l'horreur de l'égout q u i s'étend par dessous. La description n'y a plus grand chose à vo i r avec l a Rome antique. On y trouve l 'obsc u r ité, l'humid ité, les odeurs infectes, le grou i l lement des ani maux répugnants. Le cloaque laisse voi r le cri me, le vice, le mensonge que l'on masque à l'air l ibre. Dans une gradation s i n istre, le poète y d isti ngue « tOtlte l ' i mpureté de la création » . Mais le poème s e clôt s u r l ' i mage d ' u n amoncel lement d e charognes, plus atroce encore que tout ce qui précède. Le regard fou i l le « ce tas mons trueux » , sans parven i r à d i sti nguer les « ch iens crevés » et les « césars pou rris » : c'est donc le dern ier vers q u i présente enfi n la fonction de ce poème dans le l ivre VI I . Cette référence à la chute des empereurs et à leurs corps jetés à la voi rie constitue la « preuve h istorique » de la chute fatale de Napoléon I I I . Si H ugo s'y attarde avec une complaisance q u i dépasse sans doute le souc i de l 'efficacité, cette image de l 'égout de Rome constitue Apothéose » d u l ivre une menace prophétique q u i répond d i rectement à III.
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40 réponses
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A QUEL PROPOS HUGO ÉVOQUE-T-IL lA PROGRESSION DE lA CARAVANE DANS LE DÉSERT ? (VII,8) La caravane représente la marche des esprits vers le progrès.
Pou r évo q uer l a marche des hom mes vers l a l i berté, l ' i mage dè l a caravane évoqu e en effet u ne progression incessante, dans u n paysage mystérieux et changeant : « Les horizons aux horizons succèdent, [. . ] . On avance toujou rs, on n'arrive jamais. » (v. 1 0-12) . E l le manifeste aussi la solidarité néces�a i re entre les hom mes : « En route ! i l s s'appe l lent, i l s s'aident. » (v. 9 ) . Mais e l l e sou l igne s u rtout le caractère sacré de cette progression : i l s'agit d ' u n « saint voyage » (v. 7), marche vers la terre prom ise de la L iberté (cf. « l 'arche » , v. 6), pèlerinage vers cette « Mecque du genre h u m a i n » (v. 25). Et, pou r condu i re cette progression, le poète nomme quatre gu ides successifs, q u i symbo l iseront désormais dans son œuvre la l ibération progress ive des esprits : Jean H u ss, précu rseu r de l a Réforme, et Luther, q u i enseigne le doute, p u i s Volta i re, qu i annonce l a Révol ution française, et M i rabeau, q u i la réal ise. Autou r de cette caravane apparaissent alors tous les prédateurs qui la menacent . « Morne oiseau, v i l reptile ou monstre aux bonds énormes, /Chimère », i l s représentent toutes les formes du Ma l . Hugo reste d'abord a l l usif, énu mérant des a n i maux vra isemb lables : « l 'épervier gris, le si nge obscène, le chaca l . . . » (v. 48). Mais ces a n i maux, tou r à tou r féroces comme les oiseaux de proie ou le tigre, ou méprisables comme le si nge ou les rongeu rs, évoquent l'al l iance des généraux et des cléricaux, soutiens du second Empire, en u ne cacophonie menaçante et grotesque (v. 70-73). C'est alors q u 'apparaît le lion dont le « form idable et long rugissement » i m pose le silence. I l s'avance en regardant les étoi les, tel le l ion océan de « Ste l l a » (cf. Q.32). Cette i mage du « roi sauvage et roux des profondeu rs muettes » permettra au poète de passer du comparant au comparé, d u désert à la France de Napoléon 1 1 1 ., et de retrouver ai nsi le ton d e la satire. Mais Hugo s'appesantit sur cette image à la fois redoutable et rassu rante : la voix du l ion monte « vers les cieux étoi lés » , « dans cette ombre / Où les justes tremblants aux méchants sont mêlés. » , rassu rant le voyageur terrifié. Le poète a donc retrouvé confiance dans cette intervention du peuple l ion. Ce n'est p l us à l u i d'i nterven i r pou r le révei l l er. Il attend au contrai re de sa protection le soutien q u i l u i permettra de pou rsu ivre sa m ission de progrès. .
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Les Chatiments
3 7 QUI EST CE PERTURBATEUR » QUE CRITIQUE LE SCRIBE B.IZAB DANS LE POÈME PAROLES D'UN CONSERVATEUR À PROPOS D'UN PERTURBATEUR. » ? (VII, 12) 1/ s'agit de Jésus-Christ qui n'est nommé qu'à la fin du dernier vers. Les termes « conservateur » et « perturbateur référer à la situation contemporaine. Tout au
»
semblent dès le titre se
long du poème, H u go évoque « le parti de l 'ordre » , puis l'ordre et l 'autorité, enfin « la fam i l le, et la rel igion, et l a société ; [ . . . 1 l a morale et la propriété » (v. 48-50) ,soit le programme de Lou is-Napoléon tel q u ' i l est i ron iquement repris dans les titres des l ivres des Châtiments. Même des déta i l s comme l'échafaud (v. 1 0) ou les rentes (v. 22) contri buent à créer u ne cou leur locale très moderne.
Cependant des signes de plus en plus nombreux invitent à reconnaître anarc h i ste » . Les pêcheu rs q u i l ' accom pagnent le Christ dans cet
évoquent aussitôt les premiers d isci ples de Jésus. Le terme de « cénacle » (v. 20), l a guérison des m a lades, l a résurrection des morts (v. 24-27), l ' i nvitation à le su ivre (v. 3 0), l 'expu l sion des marchands d u temple (v. 4046), l a fréquentation des p rostituées (v. 47), l ' idéal de fratern ité et les i nvectives adressées aux p rêtres (v. 5 3 -5 8), tous ces déta i ls suffi sent l argement pou r permettre au lecteur de 1 85 3 , doté d ' u ne sol ide cu lture chrétienne, une identification certa i ne, confi rmée par l a concl usion du discours : « on l'a crucifié » (v. 6 1 ) . Ce poème permet donc de dénoncer tous les dévots hypocrites, à qui, depu is L e mariage d e Figaro, on donne ce nom de Basi le, dont E l izab (v. 64) est le renversement exact. Trahissant l 'esprit de l'enseignement du Christ, ils se montrent dédaigneux, él itistes (v. 1 7-23), conservateurs dans le domaine rel i gieux comme en pol itique, respectueux avant tout de l'argent. I l est donc essentiel que le lecteur ait commencé cette double lecture avant le dern ier vers : i l peut ainsi déchiffrer les termes de la sati re, et i l éprouve au dern ier vers la satisfaction d'avoir précédé la révélation fin a le. Mais l 'équ ivoque i n itiale présente u n autre i ntérêt : H ugo a souvent joué le rôle du pertu rbateur face aux conservateu rs de l ' assemblée ; ne serait-il donc pas le seul héritier véritable du Christ, l u i q u i prêche l e progrès (v. 1 2) et fustige les compromissions du clergé ?
38 QUELLE RÉPONSE HUGO PROPOSE-T-IL AU PROBLÈME DE L'INDIFFÉRENCE DE .LA NATURE À LA SOUFFRANCE DES HOMMES ? (V1/, 13) Hugo affirme avec optimisme que la cr for.ce des choses » imposera le progrès et permettra de faire triompher le bien.
D a n s « F l oré a l » (VI , 1 4), H u go avait éprouvé l a tentat i o n de s'abandonner à la beauté de la natu re. « Force des choses développe u n thème semblable : alors q u e les band its sont au pouvoir et perpètrent leu rs ' cri mes en toute impun ité, alors que l'or et le vice ont tout corrompu, la nature reste indifférente ; elle col labore même avec les meurtriers (v. 1 54). Mais à partir du vers 1 55, le d iscou rs du poète s' inverse avec la tri ple exc lamation : « Erreu r ! erreu r ! erreu r ! L'œuvre de la natu re est u n e c h i mie secrète, cachée d a n s les profondeu rs d e la terre, sacrée ; l a natu re apparaît comme u n e divin ité bénéfique q u i vient même corriger le châtiment que Dieu infl i gea aux hommes après l a faute originel le, (v. 1 68) et q u 'e l l e pu isq u 'e l le peut « c h anger en éden n otre m u rm u re : « race d'Adam q u i souffres [ . . . ] c hacune de mes lois vous dél ivre (v. 1 70- 1 72 ; cf. v. 220-224). En effet ces secrets p rofonds (v. 1 77) sont déchiffrés par le gén ie h u m a i n ; et H u go énu mère les dern ières découvertes de l a tec h n ique contempora i ne : le bateau à vapeu r, l a p i l e électrique, les l ia i sons par câbles sous-mari ns, l'aérostat, techniques q u i permettent toutes d'améliorer les com m u n ications entre les hommes. L'opti m isme de H u go le conduit alors à affirmer que « l'hymen des nations s'accompl it (v. 1 83) : on atteint donc le but u ltime de la marche de la caravane du progrès au l ivre VI ; c'est aussi l 'arrivée dans l a Terre prom i se q u 'évoque l 'exc l amation Chanaan apparaît (v. 1 94). L'homme asservi devient le maître de l a nature. « Le globe esclave cède à l 'esprit souverain. (v. 200) On pou rrait trouver cette vision i ncongrue dans Les Châtiments, ou juger dépl acé l 'enthousiasme du poète. Mais son opti m isme s'étend au domai ne pol itique : pour H ugo, les p rogrès de la science supposent ceux de la l iberté et de la morale ; i l s rendent, concl ut- i l « le monde impossible aux tyrans (v. 2 1 6) Et le poème se clôt sur la vision prométhéenne d'un triomphe à la fois de la avenir où l'esprit h umain, devenu Légion matière et du mal, et réclame à Dieu son dO (v. 235). Le poète, voyant, distingue déjà cet essor des âmes, « la palpitation de ces m i l l ions d'ai les (v. 242).
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Châtiments
39 QUE SIGNIFIE LE TITRE ULTIMA VERBA? (VII, 17) L'expression latine peut se traduire par dernier mot ».
«
dernières paroles » ou
«
c'est mon
Le titre « dern ières paroles » correspond bien à la place du poème dans le recueil : dernier poème du dernier l ivre, il fait écho au poème « France, à l ' heure où tu te prosternes » (J , 1 ) affi rmant le rôl e essentiel du poète proscrit. Mais le titre désigne aussi la réponse du poète, son « dern ier mot » aux ouvertu res de Napoléon I I I : l 'empere u r ava it en effet grac ié des proscrits qui l 'en avaient prié ; le bru it d'une amnistie possible cou rait chez les ex i l és ; H u go affi rme so l e n ne l l ement i c i son refu s de toute compromission .
Le poème com mence par l a repri se des thèmes m ajeu rs des
Châtiments : monstruosité sad ique de Napoléon I I I, comprom ission des juges et des p rêtres (v. 1 - 1 2 ) . Alors commence une longue phrase q u i
s'ouvre sur trois propositions su bordonnées tempore l l es justifiant l'exi l (v. 1 3 -2 1 ) ; vien nent ensu ite, par u n g l i ssement i nfi me (su bstitution de quand même à tant que), sept propositions subordon nées d'opposition q u i énumèrent les arguments susceptibles d e fai re fléc h i r les proscrits ; mais, a u l ieu du cond itionnel attendu, le poète conc l ut par u n péremptoi re « Je ne faiblirai pas » : les ouvertures et les menaces sont mises entre parenthèses, oubl iées aussitôt que proférées. En revanche, à partir du vers 3 7 s'affi rme la place éminente du poète. I l se distingue à l a foi s d u « troupeau » , des « val ets » qu ' i l méprise et des bannis q u i peuvent se laisser fléch i r. S' i l reste « parm i les éprouvés », i l dresse une tente sol ita i re. C'est q u ' i l est l e p rophète, « l a voix q u i d it : malheur ! l a bouche q u i dit : non » (v. 42) ; i l se couvre d u « sac de cendre », signe d'hu m i l iation, mais aussi symbole glorieux de la fonction prophétique. I l est cel u i q u i d it l a vérité, et son i n d i gn ation rej o i nt " l ' irritation de Josué. Hugo d resse donc ici en pleine l u m ière l a statue d u poète proscrit : i l renonce à toute action, ne revend iquant q u e la parole e t l'immobilité : « Je resterai proscrit, vou lant rester debout » (v. 56). Il n'est p l us un homme parm i les autres, qui pou rrait dési rer revoi r la France « tombeau de mes aïeux et n i d de mes amou rs » . I l est cet « Ego Hugo », parole du poète prophète, porteu r d'une voix q u i dépasse l 'homme, mais peut, comme les clairons de Jéricho, ébran ler les mura i l les du pouvoir, voué à u ne glorieuse sol itude : « Et s' i l n'en reste qu'un, je serai cel u i-là ! »
45 40 QUEL EST CETTE LUMIÈRE ANNONCÉE PAR LE TITRE « LUX «
?
lux » décrit l'avenir radieux de l'humanité sauvée par le progrès.
constitue, éc rit P . A l bouy, « l e pre m i e r de ces c h a nts messian iques q u i , après la dénonciation du mal, célèbrent l ' i né l uctable et total triomphe du bien ». Dans ce dern ier poème, en effet, la satire s'est effacée devant la « vision sublime » des « temps futurs » . Pou r tradu i re c e bonheur et l a certitude d'un avenir rad ieux, H u go reprend d'abord le thème de la caravane (v. 3 -4 i cf. Q.36), mais su rtout cel u i du mariage : u n ion de l ' homme avec la terre (v. 5-6) ; hymen des peuples frères (v. 1 4), des « nations nubi les » (v. 22) i robe blanche d'une virgin ité retrouvée après les crimes (v. 2 7) . Le thème d'une correspondance nécessai re entre mal et bien (cf. Q.33) perd son sens : « Les cieux n'ont plus d'enfers, les lois n'ont plus de bagnes (v. 50) ; seu l le bien subsiste, et le souve n i r même du mal a d isparu (v. 5 6-57). Chacu n partic i pe au bien commun : « Rad ieux aven i r ! essor u n iversel ! (v. 75). Cependant cette vision messianique, vision de l 'avènement d'un monde futu r affranc h i du péché, d'un royaume de D ieu sur la Terre, ne j u stifie pas l e mal p résent. Et, de prophètè, l e poète se fait pédagogue dans la troisième section du poème : « assis près du fleuve » (v. 79) comme les Ju ifs captifs du Psau me, i l entend les proscrits déplorer le triomphe du mal et l 'absence de Dieu. Son d i scou rs adopte alors le ton de Job, personnage bibl ique q u i sut garder confiance en D ieu malgré ses épreuves : il évoque longuement l ' i mmensité des pouvoi rs de D ieu, en sou l ignant i ron iquement que n u l ne peut d i re : « J'ai vu D ieu ! (v. 1 04), si non, dans u ne sorte de p rétérition, le poète l u i-même. La seu l e issue est donc la fo i et l a . confiance : « Ne doutons pas ! croyons ! (v. 1 4 1 ) Alors le discours prophétique se déploie et le futu r évoqu é dans l a cinqu ième partie prend toute l 'autorité d e la certitude. L e pouvoir du verbe dépasse les barrières du temps (v. 2 1 3-2 1 8) et de l 'espace (v. 2 1 9-224). La puissance paternel le de Dieu permet d'affi rmer la fratern ité des hommes, fondement même, chez Hugo, de la démocratie. Le martyre des proscrits trouve son sens dans le bonheu r futu r de l'human ité. «
. 4 ÉTUDES
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L'HISTOIRE DANS LES CHÂTIMENTS
Les Châtiments sont profondément engagés dans l ' h i stoi re. H ugo se réc l ame de Tac ite comme de Juvénal . I l a composé son ouvrage pou r condamner u n événement historique et influer sur le cours de l'h istoire. I l s'appu ie donc sur de m u lti p l es a l l usions à l a situation pol itique, que les contempora i n s déch iffraient aussi natu re l lement que nous l isons nos jou rnaux, mais q u i ne parlent p l us mai ntenant qu'aux érud its. On peut donc tenter de retracer l'histoi re de la prise de pouvoir de Lou is-Napoléon Bonaparte, en éc l a i rant l es événements q u i sont évoqués dans Les Châtiments et q u i permettent de comprendre les enjeux de l 'ouvrage.
1
L'AR AU pouvom
A � L'EXIL
F i l s d'Hortense de Beauharnais et de Lou is Bonaparte (cf. Q. 4), Lou is Napoléon Bonaparte est né en 1 808. Ayant q u itté l a France en 1 8 1 5 (cf. 1 1 1 , 1 , v. 5), i l a été élevé en Suisse et a toujours conservé un accent étranger, renforcé par ses ex i l s su ccessifs au B rés i l , aux Ë tats- U n is, p u i s en Angleterre : H ugo le désigne comme «. ce cockney d'Egl i nton et d'Epsom » (VI, 1 1 , v. 3 9). Après l a mort d u d u c de Reichstadt, Lou i s- Napo l éon se considère comme le chef d u c l a n bonapartiste. I l tente a l ors à deux reprises d'organiser des sou lèvements contre Lou is-Ph i l ippe, à Strasbou rg en 1 83 6, pu is à Bou logne en 1 840 : les syl labes i n itiales de ces deux v i l les, joi ntes à cel le de Paris, l ieu du coup d' Ëtat, l u i valent le sobriquet de Boustrapa dont il est affub l é dans « Ë b l ou i ssements » (VI ,5, v. 1 78). Après l 'échec du
4 études
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sou l èvement de Bou l ogne, il est i ncarcéré à Ham pendant cinq ans (lV, 1 3 ,v. 66) ; puis i l s'évade et rejoint l'Angleterre en 1 846. B � VERS LE POUVOIR
Après la chute de Lou is-Ph i l ippe et la proclamation de la Répu bl ique en 1 848, Lou is-Napoléon, toujou rs p roscrit, se fait é l i re à distance. I l rentre alors en France et obtient, avec le soutien de Victor H u go, le droit de se ' présenter aux élections présidentiel les. I I s'appu ie su r l ' i nfl uence de l a légende napoléon ienne, à laque l le H u go a l u i-même largement contribué (cf. « L'expiation » , V, 1 3, v. 2 1 6-2 1 7). Mais il obtient su rtout le soutien du parti de l 'ordre qui cra i nt le « péri l rouge »; après les journées de j u i n 1 848 (cf. IV,2 ; Q. 1 7) . Lou is-Napoléon Bonaparte est donc élu président de l a Républ ique à u n e majorité écrasante, le 1 0 décembre 1 848. C � LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBUQUE
U ne fois au pouvoir, Lou i s- Napoléon laisse habi lement l es membres conservateu rs de l 'assemblée mener une pol itique réactionnaire (cf. 'V, 1 0) . Les troupes françaises i ntervien nent en Ita l ie pou r rétab l i r le pouvo i r tem porel du pape (V, l 0 , v. 3 7-44 ; VI, 1 1 , v. 6) . L'assemblée vote l a loi Fal loux (1 5 mars 1 850), q u i favorise l'enseignement confessionnel (V, l 0, v. 45-68) . Le suffrage u n iversel est supprimé. En revanche, le président se pose en défenseur des l ibertés et soigne ainsi sa popularité. Mais, le mandat présidentiel d u rant quatre ans, le « prince-président » devra it renoncer au pouvoir en mai 1 85 2 . Il demande donc, le 1 7 j u i l let 1 85 1 , u ne révision de l a constitution l 'autorisant à effectuer u n deuxième mandat. Victor H u go s'oppose vivement à ce projet et �oit affronter de m u ltiples i nterru ptions de la d roite décha1née : l e poème IV,6 garde le souven i r de cette séance mémorable. 2
LE COUP D'ÉTAT
A � lA NUIT DU DEUX DÉCEMBRE Le coup d' État, prévu dès l 'été par une équ i pe d'aventu riers, Morny, Maupas, Saint-Arnaud 0,5, v. 20), est organ isé dans la n u it du prem ier au deux décembre 1 85 1 , date ann iversai re du sacre de Napoléon 1 e r (2 déc. 1 804) et de la bata i l le d'Austerl itz (2 d éc. 1 80S ; cf. !, l S ; VI, 1 1 ,v. 1 4) . Hugo souligne la tra1trise du guet-apens au début de « Nox » (v. 1 -1 6) et d e « Cette n u it- l à » 0,5, v. 1 - 1 8). Le Palais-Bou rbon est envahi par l'armée
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Les Châtiments
sous les ordres d'Espinasse ( l , S , v. 33). Deux décrets sont publ iés par voie d'affiche ( 1 , 1 5, v. 46) : i l s proc lament l 'état de siège, la dissol ution de l ' assemblée lég i s l ative (( N ox » , v. 20), le rétabl issement du suffrage u n iversel, le recou rs à un plébiscite (( Nox » , v. 3 1 , 72). B
� LA RÉPRESSION
L'opposition tente a lors de s'organiser, ani mée en particu l ier par Victor Hugo. Mais le peu ple ne se mobi l ise pas pou r souten i r une Assemblée q u i l ' a massacré e n 1 848. Quelques barricades sont rap idement bal ayées par l'armée, le mati n du 4 décembre. Mais l'après-m idi, une fus i l lade éclate sur les bou levards où la fou le est descendue nombreuse ; l'armée s'acharne su r les badauds ( ( Nox » , v. 26-46 ; I l , 7, v. 6 1 - 1 02). Aux yeux de H u go, le cou p de force pol itique et le massacre des i n n ocents constituent deux facettes ind issociables d'un même crime ( ( Nox » , v. 1 79-248). Dans les jours q u i suivent, la répression s'i ntensifie. Vingt-sept m i l le person nes sont arrêtées. Les « comm i ssions m i xtes » (lV,3) m u lti p l i ent les condamnations. I l restera plus de six m i l le prisonn iers au début de 1 853, la p l upart « transportés » en Algérie (V, l l ; VI,2 ; VI,3 . . . ). Les répub l icains sont alors rédu its à l ' i mpu issance 01,2 ; V, 1 2 etc.). C � VERS L'EMPIRE
Le p lébisc ite, aussitôt organ isé obtient 7. 1 4 5 . 000 « ou i » contre 592 .000 « non » . Le 1 er j anvier 1 852, Mgr Sibour célèbre un Te Deum à la gloi re du pri nce-président 0,6) . La constitution de janvier 1 85 2 prépare l'empire : le président est nommé pou r dix ans, avec des pouvoi rs élargis. Pendant l ' a n née 1 85 2 , Lou is-N apo léon m u lti p l ie l es voyages de propagande en provi nce ( 1 1 1 , 1 , v. 3 1 -32). Le 9 octobre, il proc l ame à Bordeaux : « L' E m p i re, c'est l a paix ! » 0 ,4, v. 3 6) . Le 2 1 novembre, u n nouveau plébiscite accepte p a r 7.824.000 « ou i » contre 253.000 « non » le rétabl issement de l ' Empire. « I l règne. Nous avons voté ! Vox popu l i . » ( 1 1 1 ,4, v. 3 1 ) Lou is-Napoléon prend le nom de Napoléon I I I (VI, l ) . 3
LE SECOND EMPIRE
A � LA SITUATION POUTIQUE
Le dem i-frère de Napoléon I I I , le dùc de Morny, dandy célèbre par ses maîtresses 01, 5, v. 29) est la véritable émi nence grise du régi me. Faute d'un pârti bonapartiste orga n i sé, l es m i n istres sont dans l 'ensemb l e des
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bou rgeois orléa n i stes et conservateu rs . L'empereu r peut en revanche s'appuyer s u r une adm i n i str,ation centra l i sée autour des préfets dont les pouvoirs sont considérables dans les départements. I l jou it aussi du soutien sans défa i l l ance de J 'a rmée ( 1 1 , 7) . I l peut enfi n com pter su r l a (cf. 1,6 etc.). C'est dans l a popu lation ru rale qu' i l reconnaissance d u trouve son appu i l e plus sol ide ( 1 1 1,4, v . 3 7 sqq.) B � L'ÉCONOMIE
Appuyé par les conse i l s de sai nt-si mon iens, Napoléon I I I favorise l'essor des banques : , Ia, personne d'Ach i l le Fou ld, m i n istre des fi nances, concentre l a h a i n e de H u go à l ' égard de ces banqu iers cosmopol ites . M a i s globalement l a F rance s'en rich it : « l a Bou rse r i t [ . ] C'est b i e n , nous gagnons gros et nous sommes contents. » (VI , 1 3 , v. 83-85) . Certes, par rapport au fi nancier qui « gagne tous l es jou rs tro i s cents francs à la Bourse » (VI, 1 1 , v. 97), les « trois l ivres dix sous » (VI , 1 1 , v. 99) de l 'ouvrier maçon sont modestes ; mais il profite aussi de l'essor économique : il a « plus d'argent dans l a poche, au cœu r moins de fierté. » (l, 1 0, v. 24). . .
c
� LA SOCIÉTÉ
Cependant la société du second Empire reste très i néga l ita i re. Certains d ign itai res, cumu lant les fonctions, touchent des sommes énormes. La vie de plaisir jette a lors u n éc lat tapageur, sous l ' i mpu lsion des amusements puér i l s de la cou r 0 1 , 1 ; 1 1 1,9 ; 1 1 1 , 1 0) . En revanche, l 'ouvrier n'a q u ' u n salaire très modeste. E t l a m i sère est d'autant plus criante qu'on voit arriver un grand nombre de ru raux dans les grandes agglomérations et les centres i ndustriels ; cette popu l ation s'entasse dans des quartiers ouvriers q u i font a lors leur apparition ( 1 1 1,9). • • •
On peut su ivre a i n s i l a naissance du second E m p i re à travers une l ectu re attentive des Châtiments. Mais il fau d rait encore y ajouter un dern ier chapitre. L'empire s'effondre le 4 septembre 1 870, deux jours après la défaite de Sedan. H ugo rentre en France et la nouve l l e éd ition des Châtiments obtient un succès considérab le. On en fa it des l ectu res pub l i ques. Ce l ivre prophétique ne rencontre vrai ment son public q u ' u ne fois réal isés les événements qu' i l annonçait. Mais l a gloire de Victor H ugo est i mmense. I l est élu député de Paris et rejoint pou r un temps l'histoire.
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Les Chéitiments
Il
QUEL CHÂTIMENT ?
Lorsqu' i l est arrivé dans l 'île de Jersey, le 5 août 1 852, Victor H ugo a d'abord éprouvé l a tentation de renoncer au com bat po l itique et de s'abandon ner à la poésie pure. Mais il a très vite ressenti la nécessité de sa m ission de vengeance. Ce combat a d'abord pris la forme d'une aspiration à la mort du tyran, d'une « fu reur hom icide » q u i , écrit P. Al bouy, est l a sou rce secrète des Châtiments. Pu is, très rapidement, H ugo e n est venu à préférer l ' hu m i l iation d u bagne ou du p i lori et surtout la flage l l ation du verbe vengeur. 1
LA TENTATION DE LA MISE À MORT
A � UN MEURTRE JUSTE « Le bord de l a mer » (1 1 1 , 1 5), composé le 2 5 octobre 1 852, exprime le prem ier état de l 'opin ion du poète lorsqu ' i l commence les Châtiments. Au Vie sièc l e avant J .C , Harmod i us assassi n a H ipparq ue, un des tyrans d'Athènes, avec l'aide de son ami Aristogiton . H u go i magine dans son poème que les éléments de la natu re s'u n issent aux al légories pour rappeler à Harmod ius hésitant l a gravité des cri mes du tyran : la natu re sera le témoin b ienve i l l ant d 'u n crime q u i n 'est que j u stice. Et l a consc ience concl ut : « Tu peux tuer cet homme avec tranqu i l l ité. » . Hugo prend soi n de gom mer le rôle d'Aristogiton et de ne jamais nommer ce tyran qui mér ite l a mort. C'est bien à l a s i tu ation contemporaine et au châti ment de Lou is-Napoléon qu' i l fait a l l usion . Mais l a transpos ition de l a scène en G rèce et l ' i ntervention des a l légories i ntroduisent u ne distance qui sou l igne les hésitations d u poète.
/-
B � LE REFUS DU MEURTRE BARBARE
Composé d ix-hu it jours plus tard, le poème i ntitu lé « Non » ( 1 1 1 , 1 6) a été antidaté pour donner l ' i m pression d'une réponse i m méd iate au précédent. En effet, affi rme Hugo, s i l convenait à l 'antiqu ité (cf. v. 1 ), l 'assassinat du tyran n'est p l u s de m ise au X l xe siècle. Les « l ugu b res visions » que constituent les processions d e l a charrette des condamnés ( ( N o x » , v . 3 233 29) appartiennent au passé. Depu is que, su iva nt « le progrès sa i nt » , la République a abo l i la peine de mort en 1 848 (v. 409-4 1 0), les « fi ls de la '
l iberté » doivent
«
affirm(er) le progrès dans le châtiment même » (v. 392).
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4 études
Quant a u x revo l ution n a i res, i l s avaient l 'excuse d e l a « N écessité ( ( Nox » , v. 3 66) ; n'ayant jé!-mais con nu que l 'effroi, i l s ne pouvaient se I .i bérer de l a loi de mort. Mais l a grandeu r de ce « Titan q uatre-vi ngt treize (v. 3 68) doit rester u n ique. Au contrai re, en mettant à mort ces « rebuts du ru isseau (VI I , 1 0, v. 40), on « d iffamer(ait) l 'échafaud » . C � SACER ESTO
Le titre même de l'ouvrage suppose aussi le refus d'une exécution . H ugo avait d'abord envisagé de l ' i ntitu ler Les Vengeresses. En préférant le terme Châtiments, il abandonne l 'idée dE!V�l'!ge_gJlc.e_ pour celle dajustice. Le prem ier poème cfu nvrë IV rëprend l a « Non du l i vre I I I). M
_
2
L'HUMIUATION
A � LE PILORI ( ( faut cependant ten i r compte des exi gences des victi mes q U i , a l 'éche l l e humaine, demandent satisfaction 0 1 1 ,6, v. 5-8). Le châti ment de l a honte peut alors prendre l a forme visible d u pi lori, le pre m i er suppl ice évoqué après l e refus de l'exécution dans « Non ( 1 1 1 , 1 6, v. 3 5-36). Le p i l ori, un poteau auquel on l iait l e condamné pour le montrer au publ ic, était souvent associé à u ne autre peine : l e marquage au fer rouge d'une fleur de l ys sur l 'épau le. « L'homme a ri ( 1 1 1,2), poème dont le titre rime avec « p i lori » , propose u n condensé de ces suppl i ces : on y retrouve l 'écriteau q u i rappelle le cri me, le poteau, le carcan, le fer rouge, et la fou le q u i observe.
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Les Chiltiments
B � LE BAGNE
Mais le p i l ori appartient alors au passé et n'est plus guère évoqué que métaphoriquement. En revanche on continue à marquer les bagnards au fer rouge. Or le bagne constitue u n châti ment tout à fait approprié à Lou is Napoléon (cf. Q . 7) . La desc r i ption du bagne permet de déta i l ler l'hu m i l iation que le poète réserve à ses adversai res. Ces « morts vivants » « rampent, recevant le fouet comme des bêtes » (1,2, v. 74-75). Si l 'on peut douter de la vraisemblance d'un tel traitement à l 'égard de Lou is-Napoléon, il présente du moins l 'avantage de l u i interd ire l'héroïsation que Napoléon a trouvée dans son mal heu r même (cf. « L'expiation », V, 1 3,v. 1 5 7-280) . C � L'OUBU
C'est qu' i l faut en effet éviter avant tout de fai re du cri m i nel châtié un martyr. Lou is-Napoléon n'est pas d igne de la mort : « Ce sang h u m i l ierait même le v i l couteau » ( 1 1 1 , 1 6, v. 1 4) . Le fouet h u m i l iant l u i i nterd it toute prétention à l a i sser une trace dans l ' h i stoi re. Le poète le l u i rappe l l e bruta lement : « N on , t u n'entreras pas dans l ' h i stoi re, bandit ! [ . . . ] tu resteras dehors et c loué sur la porte. » (VI I , 1 1 ,v. 1 4-1 6) Napoléon I I I est ainsi condamné à l'oubl i . Tous les agents du régi me, e u x aussi, « passeront comme u n ver su r l e sable » (V, 7, v. 1 ) i c'est l e néant q u i les attend (v. 6 1 ), ces trous dans lesquels i l s s'enfoncent (v. 44), ou l 'abjection des fonctions les p l u s humi l iantes (cf. Q.22). Quant à Sai nt-Arnaud, i l est mort dans l 'expéd ition de Cri mée, mais du choléra (VI I , 1 6,v. 262) et Hugo voit dans cette mort humi l iante un châti ment divin répondant aux demandes des poètes. 3
LE VERBE DU pOÈTE
A � LA PAROLE QUI DÉNONCE Le châti ment dépend en effet d u poète q u i dénonce en dévo i l ant l a supercherie. Dans le poème « Fable o u h i stoi re », le bel l u a i re déch i re l a peau d e tigre et dit : « T u n'es q u ' u n singe. )) ( 1 1 1,3, v. 20) Tel le bel lu a ire, le poète est bien celu i qui fait apparaître l a vérit� derrière le masque. Derrière celu i q u i crie : « Je suis Bonaparte » , i l d i stingue « tel enfant du hasard, rebut des échafauds )) ( 1 1 1,4, v. 7). Le poète est aussi cel u i qui appelle à la révolte. Il est « le bann i , debout sur la grève )) dont les paroles « appel leront les âmes comme on appe l le les
4 études
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guerriers » (1,1 ,v. 5 , 2 3-24). Et dans tout le recuei l , il i nvite le peuple à se révei l ler, annonçant la venue d'un monde mei l leur. B � LA PAROLE QUI FRAPE Mais le poète agit aussi d irectem e nt. À l a fi n du poème « À l 'obéissance passive » ( 1 1 , 7) ; le bel luaire arrive ici « le fouet à la main » et il écrase « du p ied l'antre et la bête fauve, l 'empire et l 'empereu r » (v. 3 2 1 -322). I l manie souvent ce fouet qui fait de lui l 'ému le du Christ : i l le fait claquer, fouai l le ses victi mes, provoquant u ne fu ite grotesque ( 1 , 1 1 , v. 3 7-45). Il apparaît même dans les fonctions les plus décriées, gard ien de prison ou bou rreau . Pou r dénoncer les « mensonges sans nombre », il transforme en conciergerie son « l ivre expiatoi re » et, fi lant la métaphore, i l fait de ses strophes des gardien nes, et de Cal l iope, muse de l a poésie épi que, une greffière (cf. 1 , 1 1 , v. 7-1 8). C � LE POlNOIR DES MOTS
Or ces supp l i ces q u ' i l i nfl ige ne sont autre chose que ses vers eux mêmes. « Ma strophe a lors se dresse, et pour c i ngler Baroche / Se tai l le u n fouet sanglant dans Rou her écorché » (VI I, 1 3 , v. 78-79). L a parole du poète serait à e l l e seu l e capable, si l 'on en croit le caractère prophétique du poème i n itial du l ivre VII, de provoquer la ru i ne de l'empire. Il est doté de « l a paro l e qui tue » ( 1 1 1 , 9 , v. 1 3 7) et, toujou rs « dans les n uages » , i l possède l a puissance d u ton nerre. Cependant, dans le poème « L'homme a ri », le condamné, en le rai l l ant, met en cause l e pouvo i r même de l 'écritu re. A lors le poète s'acharne et s'écrie : « Je tiens le fer rouge et vois ta cha,ir fu mer. » ; p l u s qu ' i l n'obéit à des p u lsions sad iques, i l affi rme ainsi l a confiance q u ' i l éprouve dans son œuvre et l a mauvaise foi de son adversaire . • • •
Le titre de l 'ouvrage sign ifie donc à la fois son objet et son contenu. Commencé pou r appeler le peuple à châtier le tyran, i l devient l u i-même le châti ment par excel lence. Le succès que rencontreront Les Châtiments en 1 870, lorsque N apoléon III aura da prendre à son tou r la route de l 'ex i l , sem b l e d o n n e r rai son à c e s affirmations q u i pouva ient paraître excessivement .optimistes en 1 85 3 .
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Les Chdtiments
III
UNE ÉPOPÉE
À la fin de « Nox » , Hugo demande à l a muse I ndignation de l'aider à dresser « sur cet emp i re heureux et rayon nant [ . . . ] assez de p i loris pou r fai re une épopée. » (v. 4 1 8-420) . La formu le est paradoxa le : l 'épopée est un long poème q u i raconte les exploits d'un héros et q u i fait i nterven i r le merve i l leux dans la vie des hommes ; l 'évocation des crimes de Napoléon I I I ne correspond év idem ment pas à cette défi n ition . Le seu l héros proprement épique q u i apparaisse dans Les Châtiments est Napoléon 1 er. O n peut cependant observer que, par comparaison avec l 'épopée napoléon ienne, le coup d ' É tat de Lou is-Napoléon nous est présenté comme une épopée à l 'envers. Mais le véritable héros de cet ouvrage n'est- i l pas le poète l u i-même qui ose affronter l'hyd re de l a tyrannie ? 1
L'ÉPOPÉE RÉVOLUTIONNAIRE ET NAPOLÉONIENNE
A � L'ARMÉE VICfORlEUSE
Au début du poème « L'obéissance passive » (U,7), H u go évoque les exploits d'un héros col lectif : l 'armée révolutionnaire. Malgré les noms des généraux qui suggèrent des ind ividual ités, l'un ité de l'armée est assurée par l 'antithèse q u i réu n it paradoxa lement « vieux so ldats » et « généraux imberbes » (v. 46). E l le réside aussi dans l 'esprit q u i an i me ces soldats « fiers, joyeux » , et prêts à mourir « pour dél ivrer tous les peuples » . Face à eux, dans une opposition très manichéen ne, tous les rois d'Europe forment « u ne hydre vivante » . Cet ennem i i n nombrable (v. 7-1 0) réu n it aussi tous les vices, comme les cités bibliques de Tyr et de Sodome. Mais la vai l lance des troupes révol ution naires balaie sans d ifficu lté des adversaires matériellement très supérieu rs. Ces héros m u lti pl ient en effet les prod i ges, comme la v i cto i re de la cava lerie française sur la flotte hol landaise : Hugo omet soigneusement d'évoquer les glaces q u i perm i rent cet exp loit ; on est entré dans le d o m a i ne du mervei l leux et tous les combats semblent de la même veine (v. 2 1 -24) . Ainsi l ' i ntervention des deux a l légories de la Marse i l l a i se et de la Révo l ution, p u i s de l a Républ ique, paraît al ler de soi .
B �
LE
HÉROS ACCABLÉ
Dans l ' expiation, l e héros n 'est p l u s une armée, mais u n individu, Napoléon 1 er accablé par sa défa ite. L'armée est pou rtant longuement décrite avec ses souffrances ou ses explo its : mais tou s aboutissent à l 'épouvante de l 'empereur présenté comme u n « géant » . À l ' i nverse des poèmes I l , 7 o u 1,2, tout l e poème raconte des échecs successifs. Mais ces échecs même sont héroïqu es. La grande armée n'est pas vaincue par u n adversa i re mais par les éléments (v. 30) ou par des armes i m pitoyables (v. 9 1 , 1 1 3 , 1 1 7-1 20). L'en nem i est lâche, comme le Parthe q u i tire ses flèches en fuyant, ou misérable, tel ce caporal auquel N apoléon est sou m i s à Sainte- Hélène. Et le merve i l leux i ntervient aussi contre l 'empereu r : l'al légorie de la Déroute provoque la fu ite des soldats. A i n s i , même va i n c u , même h u m i l ié, Napoléon reste u n héros, i nfi n iment supérieur à ses vai nqueurs. Il se trouve au niveau de Dieu à q u i i l parle naturel lement et q u i lu i répond. L a comparaison d e son destin avec cel u i de Prométhée le place parm i les héros bienfaiteu rs de l'human ité. 2
L'ÉPOPÉE DE LOUIS-NAPOLÉON
A � UNE ANfI-ÉPOPÉE En revanche Lou is- Napoléon Bonaparte apparaît aux anti podes des va leu rs de l 'épopée. Au l ieu d'attaquer cou rageusement un enne m i supérieur e n nombre, i l attend la n u it pour vai ncre sans risque u n ennem i q u ' i l a déjà cerné ( << N ox » , v. 1 - 1 6). Ses soldats, sans idéal, sont ivres et armés de canons q u i permettent de m itra i l ler sans risque ( << Nox », v. 30). Quant à « l 'ennem i » , il s'agit de victi mes sans défense , et surtout d u peuple même d e Paris ( ( Nox » , v. 3 6-46 ; I l , 7, v. 6 1 -72). Lou is-Napoléon constitue même l 'antithèse absolue du héros épique. N a i n i mmonde et bestial, par rapport à . son oncle q u i égale le héros Ach i l le i l est Thersite, le soldat le p lus lâche et le plus ridicule de l'Iliade (VI, 1 , v. 2, 1 1 ). Au contrai re, l'épopée réapparaît chez ses adversai res. Certes le peuple dort et ne veut pas combattre ; mais l ' a l l égorie de l a Marse i l laise est toujours de son côté, murmurant en va i n « .A ux armes, citoyens ! » (1,5, v. 28). E l le est aussi du côté des quelques héros qui demeurent ; H ugo met a i nsi c l a i rement les fem mes au n iveau des héros de l'épopée : « Les femmes ici-bas et l à-haut l es aïeux, / Voi l à ce qu' i l nous reste ! » (VI , 8, v. 1 5- 1 6) ; leur âme « à la hauteur des héros s'élargit » (v. 63).
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Les Chél.timents
B " UNE ÉPOPÉE GROTESQUE
Mais Lou is-Napoléon apparaît comme le héros d'une épopée à l 'envers, d'une épopée parod ique. Le poète exalte i ron iquement ses soldats : « Ceux ci sont des héros q u i n 'ont pas peu r des fem mes ! ( 1 1 , 7, v. 67) Tel s les soldats de l 'an I l , i ls triomphent de l ' �tra nger, . . . en l 'espèce du café Torton i, sur le bou levard des Ital iens (1 1 ,7, v. 96). Le ton pourrait être cel u i d e l 'épopée, q u e suggère aussi l a comparaison systématique entre passé et présent ; le sens en dénonce le caractère i ron ique et grotesque. Le grotesque fin it par atteindre en lu i-même le n i veau de l'épopée. Ainsi dans l e poèm'e « S p l endeu rs » ( 1 1 1 , 8) les i n vocations fau ssement respectueuses, les approbations i roniques, le mouvement qui emporte tous ces person nages q u i se bouscu lent en u ne immense caricature fin issent par créer une sorte d'épopée du burlesque. 3
L'ÉPOPÉE HUGOUENNE
A " LE PROGRÈS DE L'HUMANITÉ
Si Napoléon I I I se montre i ncapabl e de rep rendre à son compte l 'épopée de son oncle, le peuple dans son ensemble peut rester fidèle à l 'esprit de l 'épopée révo l ution n a i re. H u go a présenté dans « Nox » l e peuple d e la Révol ution comme u n héros épique à p a rt entière. C e « Titan quatre-vingt-treize » est bien ce peu ple qu i « va i n q u i (t) l ' E u rope » en i m posant son idéal de l iberté (cf. « À l 'obéissance passive » ) et qu i a su « faucher en u n seu l jour deux siècles de misère » ( << Nox » , v. 359). Au delà donc des l i m ites étroites de la nation française, c'est du combat de l ' h u man ité entière contre l ' ignorance q u ' i l s'agit. Dans « Force des choses » , H ugo d resse u n tab l eau enthous i aste de cette marche de l ' h u man ité dont les héros sont Fu lton, Galvani ou Volta. Les découvertes scientifiques sont évoquées comme autant de victoi res, présentées comme des « révol utions _» (v. 1 84) q u i « submerge(nt) trône et sceptre, idole et potentat » (v. 1 9 1 ). Le p rogrès apparaît comme une marche vers la terre prom ise : « Chanaan apparaît » . De même, dans « La caravane » (VI I,8), Hugo montre l'h u man ité entière progressant dans u n environnement hosti le, où le désert est substitué aux p l a i nes enneigées de « L'expiation ». L'en nem i guette : c'est « l e Ma l , prenant toutes les formes » , l e Passé. Et, s' i l n ' y a pas d e combats,
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l'apparition d u l ion q u i fa it fu i r les p i l l ards évoque une puissance capable de vaincre l'adversai re. B � LE POÈTE, HÉROS DE L'ÉPOPÉE
Empru ntant encore au domaine b i b l ique, Hugo raconte au début du l ivre VI I , la chute de la vil le de Jéricho. On retrouve dans ce poème tous les éléments de l 'épopée : affrontement guerrier, opposition man ichéenne entre les adversai res, prod iges mervei l leux (cf. Q.34). Mais on voit su rtout se détacher la figu re du prophète Josué q u i incarne le pouvo i r du poète : par le seu l bru it de son c l a i ron, i l triomphe de m u rai l les apparemment i ndestructibles. C'est que Josué est l'élu de Dieu. Mais le vers i n itial du poème pose les penseu rs, et le poète en particu l ier, en héritiers du prophète. Dès le début de l 'ouvrage, la parole du poète a été présentée comme u ne arme redoutable (1,1 ,v. 9-1 2). Et, après avoir constaté la défa i l l ance de l 'armée, le poète a demandé à Dieu sa force pour « écras(er) du p ied l'antre et l a bête fauve, / L'empire et l 'empereu r » ( 1 1 , 7, v. 3 2 1 -322). Ainsi l a lutte du poète contre le pouvoir du tyran s'inscrit dans l 'épopée du progrès de l'human ité. Après les gu ides qu'ont été Jean Has et Luther, Voltai re et M i rabeau (VI I,8, v. 1 4- 1 6), c'est à Victor Hugo qu'il convient de gu ider les hommes vers la l u m ière. • • •
C'est a i ns i peut-être q u' i l faut aussi comprend re le dern ier vers de Nox ». Envisageant de « fa i re u ne épopée » pou r l utt!,!r contre Lou is N a po l éon, H u go p rojette évidem ment la com pos ition d ' u n e œuvre poétique, com me le confi rme l ' i nvocation à l a Muse i mais i l est aussi conscient de prendre les armes contre u n ennem i i n nombrable et de deven i r le héros même de son œuvre. On aurait pourtant tort de sou rire de cette prétention : ce n'est p l u s l 'homme pol itique Hugo q u i l utte contre le prince-président, mais le poète, i n vesti par D ieu d'une m ission q u i le dépasse. En ce sens, Les Châtiments constituent une magn ifique profession de foi dans le pouvoir des mots, arme autrement p l us honorable que toutes cel l es de l 'épopée trad ition n e l le, de l a l ance d'Ach i l le au canon de Napoléon . «
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Les Chlitiments
IV
LA SATIRE
la mythologie gréco-roma i ne reconnaissait depuis Hésiode l 'existence de neuf muses, spéc i a l i sées chacune dans un gen re l ittérai re particu l ier. Pou r la sati re, gen re mal défi n i , H ugo en· i nvoque une dixième à l a fi n de « Nox », la muse Ind ignation. C'est en effet sous son patronage et sous cel u i de Juvénal, le plus célèbre des poètes sati riques latins (cf. Q. 3 0) qu' i l p lace la composition des Châtiments. À u n e époq ue marquée par l e « pol itiquement- correct » anglo-saxon, leur ton peut surprendre, si non choquer. I l peut d o n c être uti l e de dégager i c i les p r i n c i pa l es caractéristiques de l a sati re : variété des formes et des tons, critique indignée des vices, uti l isation de toutes les ressou rces du rire. 1
LA vARIÉTÉ
A .. DES GENRES UITÉRAIR VARIÉS le mot l atin satura ( l a sati re) désignait aussi u n p lat garn i de toutes espèces de fru its ou de légu mes, une sorte de macédoi ne ou de farce. Et en effet, depu is cette époque, la sati re se caractérise par une extrême variété. Hugo mêle ainsi tou s l es gen res dans L es Châ timen ts. On y retrouve l 'épopée, moderne ou bibl ique (cf. Ëtude 1 1 1), mais aussi le réal isme et l a précision du témoignage ( 1 1 , 3 ) . l e ton fam i l ier d e l a conversation ( 1 1 1 , 7) alterne avec les i n j u res et l es i mprécations ( 1 1 1,4 ; IV,4) . On rencontre successivement des chansons (1,1 0 ; 1 , 1 3 ; V,2), des fables 0 1 1,3 ; VI, 1 6), des idyl les OV, 1 0). le poète parod ie parfois le bon i ment d'un aboyeu r su r u ne fête forai ne (1,3 ; 1 1 1 , 1 ) ; parfois i l adopte le ton solennel du prophète visionnaire ( << lux » ) . B " DES FORMES TRÈS DIVERSES
la forme même des poèmes est d ' u n e extraord i n a i re d i versité. l'alexandrin dom ine largement, rassura nt par son classicisme et nécessaire à toute évocation grand iose ; mais s' i l compose parfois d'amples évocations tout d'une pièce, les poèmes sont souvent décou pés avec la plus grande l iberté (cf. « la caravane », VII ,8, v. 75-90) ; u n vers isolé prend parfois un rel ief exceptionnel 0,8, v. 40 ; VI I, 1 , v. 1 et 26). Et la variété des strophes, la d isposition des rimes concourent encore à cet effet.
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C � LA DlSPOSmON DES poÈMES
Malgré l a d ivision en l ivres et l a progression c l a i rement affi rmée de Nox » à « Lux » , cet u n ivers complexe fonctionne comme u n théâtre où chacun prend la parole successivement : le poète le plus souvent - q u i s'adresse aussi b i e n au lecteu r qu'à Bonaparte e t à ses partisans, aux Jésu ites ou à D ieu l u i -même -, mais aussi l 'empereur, un « conservateur » ou les « transportés » ; et souvent pl usieurs voix alternent à l ' i ntérieur d'un même poème. Enfin les poèmes se répondent aussi par leu rs formes ou par leurs thèmes. Le l ecteu r peut ainsi avoi r l ' i m press ion que rien ne peut arrêter ce débat, aussi i nfi n i que les griefs du poète à l'égard du tyran . «
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LES CIBLES DE LA SATIRE
A � LA DÉBAUCHE Dans l a sati re en effet, l 'auteur attaque les vices et les rid icu les de ses contemporai ns, et d ' abord la toute puissance de l ' argent. La vie faci le des puissants èst scandaleusement i njuste par comparaison avec la m isère qui règne dans les caves de Li l le ou les gren iers de Rouen, parm i les proscrits ou les bagnards ( 1 1, 1 ) . Et ce contraste est d'autant plus choquant que c'est l a misère des uns q u i permet les plaisirs des autres ( 1 1 1,9) ; l 'orgie suppose le crime (lV, 1 3 ) . Mais Hugo reprend aussi le thème, trad ition nel dans la satire, de l a condamnation morale des pl ais irs. L'orgie des cou rtisans symbo l ise leur bassesse ; du côté des vertus, Vérité, Probité, gloire et l iberté, on ne mange que du pain sec (1, 1 0) . La gloutonnerie des nantis, de « tous les hom mes req u i ns, tous les hommes pou rceaux » ( 1 1 1 , 1 3 , v. 20), est i nti mement l iée à l 'égout (cf. VI I,4). La sexua l ité envahit aussi toute l a soc iété sous la forme d'une prostitution générale. L'Elysée n 'est plus qu'une maison close (1,5). Le pri nce se l i vre à la chasse aux femmes (1 1 1 , 1 0, v. 4 ; I V, 1 3 , v . 42). Quant aux dames de la cou r, à Sai nt-C loud, el les s'ébattent « bras nus et gorge au vent » 0 1 1,9). La réprobation du poète a d'abord un caractère mora l . B � LE POUVOIR D E L'ARGENT
À l 'origine de tous ces vices, Hugo dénonce le pouvoir de l 'argent. Les prem iers soutiens de Lou is Napoléon sont les hommes d'argent, « bou rsier qui ton(d) le peu ple, usurier qui le trich (e) » ( 1 , 1 0, v. 8), bourgeois « prêtres du d ieu Boutique » ( 1 1 1 , 7, v. 1 ) . L'argent est m a i ntenant érigé en valeur absolue : « Le trois pou r cent est Dieu, Mandrin est son prophète » 0 1 1 ,4,
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Les Châtiments
v. 30) . Et Hugo dénonce su rtout le p i l l age des ressou rces par les hommes au pouvoi r : ce sont ces fal1)eux « m i l l ions ! » du poème « Joyeuse vie » ( 1 1 1 ,9). Or cet argent est aux mains des Grecs ou des J u ifs. Si le mot « Grec » n 'est q u ' u ne i mage, les o r i g i nes j u i ves d u banqu ier Fou l d sont i ncontestables, et Hugo les dénonce avec u ne insistance qui peut paraître odieuse. Plutôt que de chercher à l 'en excuser, i l faut reconnaître dans ces accusations xénophobes et franchement racistes u n thème important de la satire traditionnel le. c
� L'ÉGUSE ·
U ne autre c i ble i mportante de la sati re des Châtiments est l ' Ë g l ise cathol ique. Le pouvoir du pape est cel u i d'un tyran cruel, comparable aux p i res despotes l aïcs ( 1 , 1 2), répl ique ital ienne de N apoléon I I I (V, 2 ) . Mais H u go s'en prend su rtout aux autorités ecc l és i asti q ues fra n ç a i ses compromises avec le régime (1,6), aux Jésu ites qui confisquent à leur profit le système éducatif (V, 1 0) et dont l 'objectif est de garotter l 'âme, d'étouffer l'esprit (1,7) pour acquérir ainsi le pouvoir. Mais toutes ces ci bles se rejoignent en u ne seu le : le régime monstrueux établ i par le cou p d ' Ëtat. Dans ce monde de l ' argent et du vice, chacu n a vendu sa consc ience et s 'est prostitué au nouveau pouvoir. ( ( N ox » , v . 1 61 -1 62) 3
LES ARMES DE LA SATIRE
A � L'INVECTIVE Si, comme l'affirmait J uvénal, « c'est l ' ind ignation q u i fait le vers », on ne s'éton nera pas de voi r su rg i r dans Les Châtiments des invectives q u i reprennent la violence du combat pol itique i nterd it à l 'exi lé. Ainsi lorsque Hugo évoque le coup d' Ëtat, i l i nterrompt soudain son récit par une série d'injures : « 0 ruffians ! bâtards de l a fortu ne obscène,/ Nés du honteux coït de l'intrigue et du sort, / Rien qu'en songeant à vous, mon vers ind igné sort. » (1,5, v . 1 4- 1 6) . La violence s i i mpose avec la spontanéité de l a réaction . Les i nsu ltes appara issent parfois de façon très brève, en une poi nte inattendue ( 1 1 ,4) ; el les peuvent aussi constituer l'essentiel d'un poème (cf. 1 1 1,4). Certai nes ont un caractère généra l . D'autres font a l l usion à un travers ou à un crime particu l ier : a i nsi les cou rtisans qu i se sont vendus au pouvo i r sont i n terpe l l és en u n e gradation ascendante : « routiers,
4 études
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condottieri, vendus, prostituéS » ( << N ox » , v . 2 7) . L a personne même de l'adversaire est m i se en cauSe : l'a l l usion à l a bâtardise supposée de Lou is N apoléon est évidemment offensante ; l ' i nsistance sur l a modestie des origi nes de Veu i l lot constitue également un affront (lV,7, v. 1 ). Le poète sati rique charge en outre son adversa i re de tous les crimes, réu n i ssant sur l a personne de Lou is- N apoléon toute l 'abjection de ses sbi res, mais aussi cel le des autres cri m i nels, tyrans de l 'antiqu ité ( << Tibère, et Caïus, et Néron » VI I , 1 1 , v. 2) ou modernes assass i n s (Pou l m a n n , Souffla rd ; cf. « N o x » , v . 4 8 ) . Arme d u d i scou rs, l ' i nvective est auss i dénonci ation et devient l 'écriteau d u p i lori, aboutissant à u ne véritable violence physique ( 1 1 1,2). B �
lA
CARICATURE
Mais pou r éviter l a lassitude que provoque l'accu m u l ation d ' i nvectives, le poète doit aussi donner à voi r, à i maginer. Hugo use avec insistance de la cou leu r rouge q u i semble envah ir tout le début du recueil : c'est le rouge du sang des victi mes du 4 décembre q u i se mêle au v i n et q u i tache les juges et les prêtres comprom is ( << Nox » ) . Mais l ' i mage la plus forte est sans doute cel le de ce pressoir où sont écrasés les m isérables des caves de L i l le, et d'où sortent les m i l l ions, « monstres joyeux et cou ronnés de roses, / Et teints de sang humain ! » (11 1,9, v. 89-:90) . Sur ce fond sanglant, H ugo m u lti p l ie les caricatu res. Certa i nes sont à peine esq u issées d'un trait : « Ce ventre a nom d ' Hautpou l , ce nez a nom d 'Argout » (VI , S , v. 1 1 2) . D'autres sont plus longuement développées, comme cel le du président Dupin ( 1 1 ,6) ou cel l e de Lou is- Napoléon dans « N ox » (v. 1 29-1 3 2 ) . Mais bien entendu la plus répandue est cel le de Napoléon le petit, qui s'étend à tout son régime : après les géants, la France « contemple l 'embryon » (1 1 1,5, v. 2 1 ) . Le second emp i re naissant apparaît donc comme u ne baraque forai ne où sont exposés les monstres les p l u s atroces ( 1 1 1,8, v. 6-7), sortes d e caricatu res vivantes que le poète sati rique n'a plus qu'à décrire. Les comparaisons jouent à peu près l e même rôle. Lou is N apoléon est systématiquement associé aux ,g rands cri m i nels. Mais, plus encore, i l est désigné par le nom de Mandrin ou plus souvent de Robert Macaire. À force d'être si souvent débaptisé, i l perd peu à peu de son identité. Et le lecteu r ne voit p l u s l 'empereu r mais u n brigand de mélod rame (1 1 1, 1 , v. 62), Sou louque, grotesque i m itateur de N apoléon à H aïti (V,7, v. 7), ou encore un chat-huant ( << Nox »), un loup, une hyène ( 1 1 1 , 6 ; 1 1 1 , 1 0), un singe ( 1 1 1,3), toute u ne ménagerie i nsu ltante et ridicu le.
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Les Chatiments
� LA SAVEUR DES MOTS
Mais, s' i l peut riva l i ser avec le peintre, Hugo est d'abord u n virtuose du verbe. I l sait passer d'un registre à l'autre. Évoquant le monde des bandits et des escrocs, i l parle de « chou ri neur » (VI , 1 1 , v. 1 1 ), de « grinche » (VI,5, v. 92), de « gou i ne » (VI I , 1 3 , v. 3 3 ) ou d ' « esca rpe » (id. , v. 1 05). Ce vocabu l a i re bas, argotique, est aussi p l u s effi cace : i l i nterd it de se com p l a i re dans l ' affad issement de l ' académ isme. Les l i m ites de l a bienséance n'ont p l u s d e sens dans l a l utte contre le cri me. L'usage du terme techn ique rend aussi toute leu r force aux images : « Altesse en ruolz, prince en ch rysoca l e » , Lou is- N apo léon apparaît vrai ment comme u n prince e n toc. H u go joue su r le sens des mots, m a n i a nt l 'a n achro n isme, le changement de registre ( << Aux chevaux du solei l tu fais tirer ton fiacre », VI,l , v. 44), le zeugma (vous « prenez pêle-mêle / La défense d u ciel et la tai l le à Goton » 1 1 1 ,4, v. 58-59), l 'oxymore ( << ce royal croqu ant, ce maraud couronné » 1 1 1,4, v. 1 9 ; « Tom-Pouce Atti la » IV, 1 3, v. 8 1 ). Il joue aussi sur la forme des noms qui permet des rapprochements inattendus : si « Gousset (est) cardinal », c'est que le coffre-fort est Dieu (VI I , 1 3 , v. 32) ; le général Canrobert devient « Canrobert Macaire » (VI , 1 7, v. 3 8), bandit comme son maître. Quant à Lou is-Napoléon « Beau-harna is », i l est tout natu rel lement écuyer de cirque. Au delà du calembou r, les noms pren nent u ne valeu r proprement musicale : i l s n e sont pl us, dans le fameux bal des citrou i l les (VI,5, v. 1 71 -1 82) qu'une association de sons et de rythmes ( << Gambade, ô Dombideau, pou r l'onomatopée ! ») qu i emporte l e lecteu r dans le rythme de la pol ka. • • •
C'est bien là l a force de la sati re. Le poète réagit violemment à u n crime i nsupportable. Ou du moins c'est l ' i mpression que son art cherche à traduire. Alors tous les moyens sont bons, même les moins rel u isants. Et le lecteu r submergé par l 'avalanche des mots, par les i m ages qui s' i mposent, par une succession de poèmes toujou rs d ifférents et assénant toujours les mêmes accusations, perd son esprit critique. Certes l'actua l ité du d iscou rs a disparu, et nous ne sommes plus s i sensibles à l'appropriation d'un discou rs à son objet. Mais, derrière les mu lti p les facettes de l 'œuvre, nous pouvons encore ressentir cette force de la parole dénonciatrice.
• BIBLIOGRAPHIE
1
ÉDITIONS • Œu vres poétiques, B i b l i othèque de l a Pléiade, I l , 1 967, éd ition établ ie et annotée par Pierre Albouy. • Œuvres complètes, éd ition chronologique publ iée sous la d i rection de Jean Mass i n , Le C l u b français d u L i v re, 1 9 68, tome VI I I , présentation d e Bernard Leu i l l iot. • Poésie l, L 'Intégra le, Le Seu i l , 1 9 7 2 , p résentation de Bernard Leu i l l iot. • Les Châtiments, Poésie, Gal l i mard, 1 977, éd ition de René Jou rnet. • Châtiments, GF Flammarion, 1 979, éd ition, Préface, documents de Jacques Seebacher. • Les Châtiments, Le l ivre de poche, 1 985, Préface, commentai re et notes de Guy Rosa et Jean-Marie G leize. • Œuvres complètes, Laffont, col lection « Bouqu ins » , 1 985, notice et notes de Jean Gaudon . • Châtiments, Pocket, 1 997, préface et com menta i res de Gabrie l l e Chamarat. • Les Châtiments, GF F l ammarion, 1 998, chronologie, présentation, notes par Jean-Marc Hovasse.
2
ÉTUDES • Pierre Al bouy, La Création mythologique chez Victor Hugo, J . Corti, 1 963 . • Jean-Bertrand Barrère, La fantaisie de Victor Hugo, J . Corti, 1 949 ; Kl incksieck, 1 972 . • Jean Gaudon, Le Temps de la Contemplation, Flammarion, 1 969 . • Anne U bersfeld, Le Roi et le bouffon, J . Corti, 1 9 74 ; Paroles de Hugo, Messidor, 1 985.
• SOMMAIRE
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PRÉSENTATION.
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Victor Hugo en 1 853 •
40 QUESTIONS
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40 RÉPONSES
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4 ÉTUDES
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1. L'histoire dans Les Châtiments Il. Quel châtiment ? . . I I I . U ne épopée IV. La satire . . . ......
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BIBUOGRAPHIE
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Imprimé en France par MAME Imprimeurs à Tours Dépôt légal Septembre 1 998 (No 98082 1 46)
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