HISTOIRE
DES CONCILES ÅCUMÃNIQUES
2
Publiée sous la direction de
GERVAIS DUMEIGE, S. J.
P.-TH. CAMELOT, O.P.
Profisseur aux Facultis Dominicaines
du Saulchoir
ÃPHÃSE
ET
CHALCÃDOINE
PARIS
ÃDITIONS DE L'ORANTE
v. v
Nthtl obstat
Paris, 29 avril 1961
Fr. Ch. V. Héris, 0. P.
Maître en Théologie
Fr. I. Mennessier, 0. P.
Lecteur en Théologie
Imprtmi potest Imprimatur
Paris, 29 avril 1961 Paris, 2 mai 1961
Fr. J. Kopf, O. P. J. Hottot,
Provincial vie. gén.
- 1962 bg Editions de VOrante, Paris
.:
INTRODUCTION
LES CONCILES DU Ve SIÃCLE
ET LE PROBLÃME CHRISTOLOGIQUE
Dans l'histoire du développement du dogme chrétien, le
iV siècle apparaît comme l'ère des grandes controverses trini-
taires. A l'erreur d'Arius qui, selon une vue familière à la pensée
hellénistique, faisait du Verbe (Logos) la première créature de
Dieu, intermédiaire entre le Père et le monde créé, l'Ãglise
répond en affirmant au concile de Nicée (325) que le Verbe
est consubstantiel au Père, éternel comme lui, égal à lui en
toutes choses. Plus tard, le même problème se posant au sujet
du Saint-Esprit, le concile de Constantinople (381) condamne
les macédoniens ou « pneumatomaques » (= adversaires de
l'Esprit). Les grandes lignes du dogme trinitaire sont désormais
fixées de façon immuable. En même temps l'institution conci-
liaire, depuis longtemps traditionnelle dans l'Ãglise, prend un
relief nouveau : à Nicée pour la première fois, se rassemblent,
sur l'ordre de l'empereur, les évêques de « toute la terre habi-
tée » ; c'est le premier concile Åcuménique. Pour l'histoire, les
institutions, la théologie même de l'Ãglise, il devait avoir une
importance décisive.
Le V siècle verra se développer aussi une longue controverse
au sujet d'un autre mystère, le mystère du Christ, Verbe fait
chair, Dieu et homme. De l'un à l'autre de ces deux mystères,
et des problèmes qu'ils posent à la conscience chrétienne, il y a
un enchaînement qui n'est pas accidentel. Le Verbe éternel,
immuable, impassible, s'est fait homme dans le temps, soumis
à toute la condition humaine, à la souffrance et à la mort. C'est
! 398
8 INTRODUCTION
là une des affirmations fondamentales de la foi chrétienne,
nettement formulée déjà à Nicée : « Un seul Seigneur, Jésus-
Christ, le Fils de Dieu... qui, pour nous les hommes et pour
notre salut, est descendu et s'est incarné, et s'est fait homme,
a souffert et est ressuscité...» (FC 2). De même que tout Ã
l'heure il fallait tenir à la fois la distinction entre le Père et le
Fils, et leur égalité dans l'unique nature divine, de même main-
tenant faut-il tenir l'unité du Christ en ses deux natures, affir-
mer qu'il est à la fois Fils de Dieu et Fils de Marie, et pourtant
qu'il n'y a qu'un seul Fils, confesser qu'il est un, et qu'il est
vrai Dieu et vrai homme. A ce double mystère répondront deux
erreurs, celle de Nestorius, qui compromet dangereusement
l'unité du Christ, puis, en sens inverse, celle d'Eutychès, qui
risque d'absorber l'humanité dans la divinité. Successivement,
le concile d'Ãphèse (431) condamne Nestorius en enseignant
qu'il n'y a qu'une personne du Christ, et celui de Chalcédoine
(451) condamne Eutychès et définit que le Christ est un en deux
natures, Dieu parfait et homme parfait.
Cette présentation est évidemment très schématique : en fait,
les choses ont été beaucoup moins simples. Il a fallu de longs
efforts pour clarifier et unifier le vocabulaire théologique, les
mots et les concepts mêmes de nature et de personne, que les
parties en présence n'entendaient pas toujours dans le même
sens. Et de plus, â on serait tenté de dire : et surtout, â ce
labeur théologique ne s'est pas accompli dans le calme et le
silence du cabinet, mais dans l'agitation et les remous de vio-
lentes polémiques, dans un contexte historique très humain :
ambitions et rivalités personnelles, oppositions entre les grandes
métropoles ecclésiastiques, intervention de l'empereur, qui pèse
lourdement sur le concile ; séances conciliaires qui dégénèrent
en de scandaleuses bagarres, dépositions d'évêques, emprison-
nements, exils ; discussions qui tournent bientôt en schismes
menaçant l'unité de l'empire et l'unité de la foi...
Nous sommes très bien renseignés sur toute cette histoire,
beaucoup mieux que sur celle du concile de Nicée. Nous ne
INTRODUCTION 9
disposons pas seulement des récits des historiens anciens,
Socrate, Théodoret, Evagre le Scholastique, mais nous avons
conservé les Actes des conciles d'Ãphèse et de Chalcédoine,
procès-verbaux des séances, qui nous donnent une image très
vivante de ces assemblées, des interventions, des discussions,
des cris même et des injures qu'échangent ces vénérables
évêques ... Ajoutons que nous possédons aussi une masse impo-
sante de lettres, de discours, de traités théologiques ou polé-
miques qui donnent à toute cette histoire si agitée son arrière-
plan et comme sa profondeur doctrinale et spirituelle. Car si
l'historien ne peut pas fermer les yeux sur les passions ou les
intérêts qui mènent les hommes, ni sur les incidents à travers
lesquels se poursuit le pèlerinage terrestre de l'Ãglise, il doit
savoir ne pas se laisser hypnotiser par ces petits côtés de l'his-
toire, et regarder de plus haut, sous peine de n'avoir du dérou-
lement des événements qu'une vue trop étroite et partielle, pour
ne pas dire partiale. Fabrice del Dongo n'est peut-être pas le
meilleur juge de l'importance de la bataille de Waterloo.
Ainsi faudra-t-il, au cours de cette histoire, montrer les dif-
férents courants doctrinaux qui s'affrontent, marquer les étapes
successives du progrès dogmatique, et rappeler en même temps
la signification religieuse des questions soulevées, qui engagent
tout le mystère de notre salut. Il faudra indiquer les incidences
des conciles sur la vie de l'Ãglise, le développement de l'insti-
tution conciliaire elle-même, le rôle joué par l'évêque de Rome,
et l'autorité grandissante du Siège Apostolique. Il faudra mettre
en bonne lumière les grandes figures de saint Cyrille et de
saint Léon... Il faudra enfin, et surtout, ne pas oublier la
présence invisible du Christ et de son Esprit au sein de ces
assemblées d'évêques : « Spiritus sancti testatur praesentiam
congregatio sacerdotum », écrit le pape Célestin au concile
d'Ãphèse. Derrière les hommes qui s'agitent, il faut voir, comme
en filigrane, le Christ présent dans son Ãglise jusqu'à la fin des
temps, et ne cessant, au cours de l'histoire, de la conduire et de
l'animer.
NOTES
Les notes explicatives et les références aux auteurs modernes sont en
bas de pages, appelées dans le texte par un ou plusieurs astérisques. Les
appels numériques renvoient uniquement aux sources anciennes : ces réfé-
rences ont été reportées pages 183-188.
SIGLES ET ABRÃVIATIONS
AAS Acta Apostolicae Sedis (Rome, 1909 sv.)
ACO Acta Concillorum Oecumenicorum (éd. E. Schwartz, Berlin,
1914 sv.).
Dans nos références à cette édition, le chiffre romain en grandes
capitales indique le Tome (I pour Ãphèse, II pour Chalcédoine) ;
le chiffre romain en petites capitales (n, m) le volume ; le chiffre
arabe en italique, éventuellement, le fascicule ; le chiffre arabe
ordinaire la page : I, n, 3, 15 = Tome I, vol. II, fasc. 3, p. 15.
DTC Dictionnaire de Théologie Catholique (Paris, 1903 sv.)
DZ Enchtrtdion Symbolorum ... (de H. Denzinger).
FC La Foi Catholique ... (de G. Dumeige, Paris, 1961)
MANSI J. D. Mansi, Sacrorum Concillorum nova et ampltsstma collectto
(Florentiae, 1759 sv.)
PG Patrologla Graeca (éd. J. P. Migne, Paris, 1857-66)
PL Patrologla Latina (éd. J. P. Migne, Paris, 1878-90)
SC Sources chrétiennes (Paris, 1942 sv.)
Chalkedon Das Konzil von Chalkedon (Wurzburg, 1952-54)
ÃPHÃSE
CHAPITRE PREMIER
LES ANTÃCÃDENTS DOCTRINAUX ET
SPIRITUELS DU CONCILE
La Theotokos : Marie, Mère de Dieu
Vers la fin de l'année 428, l'Ãglise de Constantinople, dont
Nestorius avait été le 10 avril élu patriarche, fut agitée par une
querelle dont nul ne pouvait prévoir qu'elle aurait de si lourdes
conséquences. Le nouveau patriarche, qui déployait contre les
hérétiques un zèle bruyant, s'en prit en effet aussi aux chrétiens
dont la piété aimait à vénérer Marie, la mère de Jésus, sous le
titre de Theotokos, Mère de Dieu. Il laisse prêcher et se met Ã
prêcher lui-même contre ce vocable : car enfin, « Dieu a-t-il une
mère ? » 1. Dans la capitale, on commence à s'émouvoir. Mais
Nestorius insiste, en se défendant assez lourdement : il accepte-
rait qu'on appelât Marie Theodokos, * celle qui a reçu Dieu »,
mais non Theotokos, « celle qui a engendré Dieu » : seul en effet
Dieu le Père a engendré Dieu 2. Ne serait-il question que d'un
mot, voire d'une seule lettre ?
Ce vocable, Theotokos, était pourtant de longue date tradi-
tionnel dans le langage chrétien. Sans parler d'un papyrus qui
nous a conservé « l'antienne mariale grecque la plus ancienne »,
où l'on entend déjà notre Sub Tuum et l'invocation à la Theo-
tokos, sancta Dei genitrix *, le mot se lit chez Origène, Ale-
* P. F. Mercenier, L'antienne mariale grecque la plus ancienne, dans
Le Muséon, 52 (1939), 229-253. Voici ce texte : « Sous la protection de ta
miséricorde nous nous réfugions, ô Mère de Dieu : ne repousse pas nos
prières dans le besoin, mais du danger délivre-nous, toi, la seule pure
et la bénie ». Le papyrus pourrait remonter au IIP siècle.
14 ÃPHÃSE
xandre d'Alexandrie, saint Athanase, Eusèbe de Césarée, saint
Cyrille de Jérusalem, saint Ãpiphane, Didyme d'Alexandrie...
Déjà Julien l'Apostat remarquait que « les chrétiens ne cessent
pas d'appeler Marie Theotokos » 3, et saint Grégoire de Nazianze
résumait une tradition déjà longue quand il écrivait : « Si quel-
qu'un pense que sainte Marie n'est pas mère de Dieu, il est
en dehors de la divinité... » 4. Comme on le voit par les noms
que nous venons de citer, le terme semble d'origine alexandrine ;
mais il s'était répandu en dehors de l'Ãgypte, jusqu'à Constan-
tinople et même en Syrie : Jean, patriarche d'Antioche et ami
de Nestorius, lui écrira bientôt que ce mot a été « composé,
écrit, prononcé par de nombreux pères » B.
C'est donc à la piété et à la foi traditionnelles que s'opposait
Nestorius. Il ne s'agit pas seulement d'une question de mots
ni d'une querelle d'évêques. Comme le révèle la lecture des dis-
cours et des écrits de Nestorius, c'est toute une théologie de
l'incarnation qui est ici engagée.
Le problème avait d'ailleurs de lointains antécédents et il
importe de les rappeler brièvement pour qu'apparaisse l'impor-
tance du débat qui s'ouvre.
Le mystère de Tunité du Christ.
Jésus-Christ est Dieu et homme ; il est le fils de Marie, « issu
de la lignée de David selon la chair » ; mais aussi il a été « établi
Fils de Dieu avec puissance selon l'Esprit de sainteté » (Rm 1,
3-4) ; le Verbe s'est fait chair (Jn 1, 14) ; « étant de condition
divine ..., il a pris condition d'esclave, il est devenu semblable
aux hommes » (Phil 2, 6-7). On pourrait multiplier les textes
du Nouveau Testament, des évangiles comme des écrits apos-
toliques, qui montrent à l'envi que l'unique Fils de Dieu est
aussi, le même, homme en tout semblable à ses frères (Héb 2,
17) : le Jésus de la crèche et de la croix est le Verbe qui était
au commencement près de Dieu, le fils unique du Père, Dieu
lui-même béni éternellement (Rm 9, 5).
Tel est le donné primordial de la foi, auquel fait écho dès
ANTECEDENTS DOCTRINAUX ET SPIRITUELS 15
les premiers jours l'enseignement des Pères *, qui le défendent
contre toute interprétation maladroite par où serait compro-
mise la divinité du Christ. Au début du me siècle, l'auteur incon-
nu qui écrit contre Artémon, un des premiers représentants de
l'adoptianisme, rappelle les écrits de Justin, de Miltiade, de
Tatien, de Clément et de beaucoup d'autres, dans lesquels on
dit que le Christ est Dieu. Et il continue : « Quant aux livres
d'Irénée, de Méliton et des autres, qui donc les ignore ? Et
tant de psaumes et de cantiques, écrits par les frères dans la
foi depuis les premiers temps, et qui chantent le Verbe de Dieu,
le Christ, en disant qu'il est Dieu ! » e.
Aussi, après trois siècles de vie chrétienne, trois siècles de
réflexions et de controverses, le concile de Nicée (325) pouvait-
il confesser la foi « en un seul Dieu, le Père tout-puissant..., et
en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils de Dieu ..., qui pour
nous, les hommes, et pour notre salut, est descendu et s'est
fait chair, s'est fait homme, a souffert et est ressuscité le troi-
sième jour, est monté aux cieux ...»**.
C'est le même Jésus-Christ, qui est Fils unique du Père, et
qui, s'étant incarné et fait homme, est né de la Vierge Marie,
a souffert, est mort et ressuscité. Un seul Jésus-Christ, Dieu et
homme, voilà l'essentiel de la foi chrétienne, formulée désormais
en un document solennel, écho de la profession de foi baptis-
male, auquel par la suite on ne manquera jamais de se référer
comme à la règle authentique de la foi : la « Foi de Nicée »
est la foi de l'Ãglise ***.
* « Il n'y a qu'un seul médecin, charnel et spirituel, engendré et in-
engendré, venu en chair, Dieu, dans la mort vie véritable, (né) de Marie
et (né) de Dieu, d'abord passible et maintenant impassible, Jésus-Christ
notre Seigneur » (Ignace d'Antioche, Ãph. 7, 2 ; SC 10, 74-76).
** Nous citons le Credo de Nicée tel qu'il a été promulgué au Concile
(DZ 54, FC 2) : notre texte liturgique, appelé traditionnellement « Symbole
de Nicée-Constantinople », en est un remaniement ultérieur, dont l'origine
précise est encore controversée.
*** Voir notre article Symboles et Magistère, dans Divinitas, 5 (1961),
607-622.
16 ÃPHÃSE
Mystère et problèmes.
Mais il est naturel que la pensée chrétienne réagisse devant
ce mystère, cherche à en « rendre raison » (cf. I P 3, 15), et
à l'exprimer intelligiblement en des formules qui le cernent du
plus près possible. Il serait intéressant de suivre en tous leurs
méandres les progrès et les développements du dogme de lin-
carnation ; nous n'en retiendrons ici que ce qui est nécessaire
pour comprendre les antécédents du concile d'Ãphèse, et les
péripéties du concile lui-même.
Qui ne voit que ce mystère peut être abordé en deux sens
opposés ? Le Verbe s'est fait chair, le même Jésus-Christ est
homme et Dieu. On peut contempler d'abord l'unité du Verbe
fait chair, pour regarder ensuite la chair qu'il a assumée. On
peut aussi, dans le Christ, considérer séparément le fils de
Marie et le fils de Dieu, et se demander ensuite comment ces
deux ne font qu'un seul Christ. Christologie unitaire, christologie
dualiste ; l'une part d'en haut, comme le Prologue de saint
Jean, du Verbe qui était en Dieu et qui s'est fait chair : l'autre,
si l'on ose dire, part d'en bas, du réalisme humain de l'Ãvan-
gile. Toutes les deux trouvent dans le donné évangélique un
point d'appui et une justification. Toutes les deux sont légi-
times.
A une condition cependant : si elles s'expriment en formules
unilatérales, en systèmes qui excluent l'autre face du mystère,
ces théologies, légitimes au point de départ, deviennent des
erreurs. On peut ainsi distinguer en Jésus l'homme et le Dieu,
au point de les séparer, et de « diviser le Christ ». On peut
aussi, considérant avant tout l'unité du Verbe Incarné, risquer,
sinon de revenir au docétisme des premiers siècles qui ne
reconnaissait au Christ que l'apparence d'un corps humain, du
moins de méconnaître en quelque façon l'intégrité de la chair
qu'il a revêtue pour notre salut. Entre la vérité et l'erreur, la
frontière est souvent bien ténue...
ANTECEDENTS DOCTRINAUX ET SPIRITUELS 17
Christologie unitaire.
La christologie unitaire est, sans doute, celle de la plus an-
cienne tradition de l'Ãglise. Ainsi saint Ignace d'Antioche parle-
t-il du « sang de Dieu », de la souffrance de Dieu », de « Dieu
qui a été porté dans le sein de Marie » 7. Ainsi saint Irénée,
en qui on entend la tradition des églises d'Asie, et, à travers
saint Polycarpe, l'écho de l'enseignement de saint Jean. Il se
réfère aux Ãvangiles : « Jean, dit-il, ne connaît qu'un seul et
même Verbe de Dieu, et ce Verbe est le Fils unique, et il
s'est incarné pour notre salut... Matthieu aussi ne connaît
qu'un seul et même Jésus-Christ ». Puis s'adressant aux gnos-
tiques : « Ainsi sont-ils tous en dehors de l'économie du salut,
ceux qui, sous prétexte de gnose, mettent d'un côté Jésus, et de
l'autre le Christ, et, distinct encore de celui-ci, le Verbe... Ils
divisent et mettent en pièces le Fils de Dieu ... ». Et ailleurs :
« Jean prêche un seul Dieu tout-puissant, et un seul Fils unique,
Jésus-Christ... lui qui s'est fait chair et habita parmi nous » 8.
Cette théologie unitaire deviendra cependant comme la théo-
logie propre de l'église d'Alexandrie. Sans parler d'Origène, dont
les formules, sinon la pensée elle-même, s'orientent ici en deux
sens différents, c'est la théologie de saint Athanase. La pensée
de 1 evêque d'Alexandrie est centrée sur le Verbe (Logos), pré-
sent dans son corps auquel il donne la vie. Dès son premier
ouvrage, Athanase exprime en termes vigoureux l'unité du
Christ : celui qui naît de la Vierge, qui mange et boit, qui
souffre et meurt, n'est pas un homme, mais le Dieu Verbe. Par
ses miracles, par sa mort et sa résurrection, « le Christ se fait
connaître comme Dieu et Fils de Dieu » 9. Pour Athanase, le
Christ c'est « Dieu qui porte une chair » (6eo{ aapxotpdpo;),
et non pas un « homme porteur de Dieu » (à vOpwxo; Ssocpdpoç) 10.
Unitaire encore sera la théologie de saint Cyrille : il nous
faudra y revenir.
On ne saurait trop souligner la valeur et la profondeur reli-
gieuse d'une telle théologie qui met en si vif relief l'unité du
Verbe Incarné ; car, s'agissant du cÅur même du mystère du
18 EPHÃSE
Christ, il s'agit du tout de notre foi et de notre salut. On l'a
dit jadis en termes très heureux : « Il n'est pas peut-être de
dogme dont la valeur religieuse soit plus évidente que celui
de l'unité de la personne du Christ. Que le même soit à la fois
mon frère et mon Dieu, n'est-ce pas ce qui fait toute la joie et
toute la profondeur du christianisme ? Que le corps né de la
Vierge et pendu à la croix soit vraiment le corps de Dieu, n'est-
ce pas ce qui me prouve que je suis aimé d'un amour vraiment
infini ? Au contraire, s'il n'est pas Dieu, celui qui est né et
mort pour moi, « tout le divin secret disparaît » n, disait avec
raison saint Cyrille » *.
Le problème de Tâme du Christ.
Mais cette théologie unitaire se trouva affrontée à un pro-
blème délicat, qui devait être l'occasion de toute la querelle.
Saint Jean nous a enseigné que le Verbe s'est fait chair. Sans
doute, au sens biblique du mot, la « chair » c'est toute la nature
humaine, comme l'écrira saint Cyrille : « Ce que nous disons
de la chair, nous le disons de l'homme » 12. La chair, c'est
l'homme tout entier, corps et âme : là n'est pas la vraie diffi-
culté. Elle commence quand, partant de ce schéma : Verbe-
chair, on cherche à expliquer comment le Logos peut être uni Ã
une « chair ». Une explication pouvait se présenter spontané-
ment à l'esprit : le Verbe est uni à la chair comme l'âme l'est
au corps. Comme l'âme est pour le corps principe de vie, de
mouvement, d'action, ainsi le Verbe est pour la chair principe
de vie et d'opération. De même, dira saint Athanase, que le
Logos est dans le monde et donne la vie à tous les êtres, de
même le Verbe est dans le corps du Christ et le vivifie13. Au
point de départ de cette conception, il y a une anthropologie
d'inspiration stoïcienne : il est normal que la théologie recoure
* P. Rousselot, dans Christus, Paris, 1912, 1070. Pour notre part, nous
préférerions traduire mystère plutôt que secret.
ANTECEDENTS DOCTRINAUX ET SPIRITUELS 19
aux bons offices de la philosophie ; mais qu'adviendra-t-il si
cette philosophie n'est pas de tout point sûre et équilibrée ?
En effet, si le Verbe est dans le Christ seul principe de vie
et d'action, il tient la place de l'âme (de la psyché, âme végé-
tative, comme du nous, âme raisonnable) ; aussi pourra-t-on être
tenté de nier l'existence de l'âme humaine de Jésus. Assurément,
saint Athanase n'ira pas jusque-là : « ce n'est pas, dira-t-il au
synode d'Alexandrie de 362, un corps sans âme, sans sentiment,
sans intelligence, qu'a eu le Sauveur. Car il n'était pas possible
que le Sauveur s'étant fait homme pour nous, son corps soit
sans intelligence, et ce n'est pas le corps seul, mais l'âme aussi
qui a été sauvée dans le Verbe... Le Verbe ne s'est pas
seulement fait chair, il s'est fait homme » 14. S'il est donc vrai
que saint Athanase, dans sa construction théologique, ne fait
guère de place à l'âme humaine de Jésus, il est loin cependant
d'en nier l'existence.
Mais certains devaient en arriver là . Pour les ariens, le Logos
est inférieur au Père, il a été tiré du néant, créé dans le temps
pour être l'instrument de Dieu dans la création du monde. Il
se fait homme en prenant une chair, dont, selon la psychologie
que nous avons rappelée, il est le principe de mouvement et
d'activité : point n'est besoin dès lors de supposer au Christ
une âme humaine. C'est le Verbe lui-même qui en assume toutes
les fonctions, c'est lui aussi qui en éprouve toutes les passions,
qui naît, qui souffre et qui meurt ; il n'est ni immuable, ni
impassible * : il ne saurait donc être égal et consubstantiel Ã
Dieu. Ne concevant l'union du Logos à la « chair » que selon
le type de l'union de l'âme avec le corps, on ne peut admettre
que le Logos, qui ne fait avec la chair qu'une seule nature, soit
vraiment Dieu. A considérer ainsi les choses, l'arianisme serait
une erreur christologique tout autant que trinitaire **. Précisons
qu'une telle christologie n'est pas le fait d'Arius lui-même, mais
d'ariens comme Astérius d'Amasée ou Eunomius.
* Cf. l'anathématisme qui fait suite à la définition de foi de Nicée
(DZ 54, FC 3).
** Cf. A. Grillmeier, dans Chalkedon, I, 74-77.
20 ÃPHÃSE
Et voici qu'un adversaire d'Arius, ami de saint Athanase et
défenseur convaincu de l'orthodoxie nicéenne, Apollinaire,
évêque de Laodicée en Syrie (361), va reprendre à son tour la
christologie arienne. Pour celle-ci, on vient de le voir, le Verbe
n'est pas Dieu, puisque dans le Christ il est sujet aux « passions »
humaines. Pour Apollinaire, Jésus de Nazareth est Dieu, puis-
qu'en lui c'est le Verbe lui-même qui naît, souffre, meurt. Le
Christ est vraiment Dieu, et non pas seulement « un homme
habité par Dieu » (à vôpwiroç i'vfko;). Aussi peut-il nous sau-
ver : « Ce n'est pas la mort d'un homme qui peut détruire la
mort ; il est donc évident que c'est Dieu lui-même qui est
mort » 15. Formules heureuses, et parfaitement orthodoxes. Mais
si Apollinaire retourne ainsi la thèse arienne, il en reprend les
présupposés et l'erreur intime.
Quelles sont les implications philosophiques de cette théo-
logie ? Apollinaire, comme les ariens, cherche l'unité du Christ,
Verbe fait chair, non pas au plan de la personne, de la subsis-
tance, mais au plan de la nature, principe de vie et d'activité.
Dans l'homme, composé d'un corps et d'une âme qui ne font
qu'une nature, il n'y a qu'un seul principe d'activité, l'âme, qui
se meut elle-même et meut le corps. De même, dans le Christ,
il n'y a qu'un seul principe d'activité, le Logos. Le Logos ne
pourrait être dans le Christ l'unique principe d'activité et de
vie, s'il y avait dans le Christ une âme raisonnable. Il faut donc
que le Verbe lui-même soit l'âme de la chair, pour s'unir à elle
en un seul être concret, une seule nature *. On peut donc parler
d'une seule nature, mia physis, du Verbe de Dieu incarné.
La théologie d'Apollinaire avait le grave inconvénient de
mutiler la nature humaine de Jésus. Nous l'avons rappelé, si
l'Ãcriture parle de chair, c'est pour désigner l'homme tout
entier, corps et âme. Donner au terme une précision et une
rigueur théologiques que ne comporte pas le langage biblique,
c'est être infidèle à l'Ãcriture elle-même ; et dans le cas présent,
* Cf. P.-Th. Camelot, dans Chalkedon, I, 240-241.
ANTECEDENTS DOCTRINAUX ET SPIRITUELS 21
c'est méconnaître tout le réalisme concret de l'Ãvangile, oublier
tout ce qu'il nous révèle de l'âme sainte, et du cÅur humain
de Jésus.
Contre cette théologie, les Pères se sont plu à développer un
argument auquel nous ne sommes peut-être plus très sensibles
aujourd'hui. Il s'agit, ici encore, du tout de notre salut. En
prenant sur lui notre humanité, le Verbe déjà la sauve et la
divinise ; mais il faut qu'il prenne l'humanité tout entière, corps
et âme : car, comme dit saint Grégoire de Nazianze, « cela
seul est sauvé qui est assumé » 16. Il faut que le Verbe ait pris
un corps doué dame, de sensibilité, d'intelligence, car, nous a
dit saint Athanase, « ce n'est pas le corps seul, mais l'âme aussi
qui a été sauvée dans le Verbe ». Nier l'âme humaine de Jésus,
c'est compromettre tout le réalisme de notre salut.
Les Pères du rv* siècle réagirent vigoureusement contre
l'erreur d'Apollinaire : des lettres de saint Basile, de saint
Grégoire de Nazianze, un important traité de saint Grégoire
de Nysse, le frère cadet de saint Basile, mettent en bonne
lumière l'erreur fondamentale de l'évêque de Laodicée. Saint
Ãpiphane de Salamine lui fait place dans le catalogue d'hérésies
(le Panarion) qu'il compile vers 374-377. D'autre part, on a vu
le synode d'Alexandrie de 362 prendre position sur le problème
christologique, sans toutefois viser personnellement Apollinaire,
auquel saint Athanase restait lié. Des synodes romains tenus sous
saint Damase (377, 382) condamnèrent à plusieurs reprises « ceux
qui disent que le Verbe de Dieu a été dans la chair à la place de
l'âme raisonnable et intelligente de l'homme » (DZ 65 ; FC 292).
A son tour, le concile de Constantinople de 381 condamnera, et
cette fois expressément, « les Apollinaristes » (DZ 85).
Apollinaire et ses disciples n'en continuèrent pas moins Ã
propager leur doctrine en s'abritant sous des noms illustres :
des écrits apollinaristes furent ainsi mis en circulation sous les
noms de Grégoire le Thaumaturge, Athanase, le pape Jules.
Le procédé peut nous paraître malhonnête ; mais les anciens
étaient moins scrupuleux que nous en matière de pseudépigra-
phie ! La fraude ne sera décelée qu'au vr3 siècle, et saint Cyrille
22 ÃPHÃSE
répétera comme venant de saint Athanase, la formule d'Apolli-
naire : « l'unique nature incarnée du Verbe de Dieu ». Nous y
reviendrons.
Christologie dualiste.
La théologie d'Apollinaire était strictement unitaire. Parmi
les plus vigoureux de ses adversaires, certains tenaient au con-
traire une théologie dualiste. Nous parlons ici des théologiens
d'Antioche, Diodore de Tarse et Théodore de Mopsueste.
Il est facile et banal d'opposer l'école d'Antioche et l'école
d'Alexandrie, le rationalisme et le mysticisme, l'exégèse litté-
rale et l'exégèse spirituelle, la christologie des deux natures
(dyophysite) et le monophysisme... Ces schèmes simples et
commodes risquent d'être parfois simplistes, et il conviendrait
sans doute de les nuancer. Quoi qu'il en soit, les deux évêques
que nous venons de citer, Diodore et Théodore, sont des exé-
gètes de grande valeur, érudits et pénétrants, soucieux du sens
littéral des textes et de leur portée théologique. Pour l'église
syrienne, Théodore de Mopsueste est « l'interprète » par excel-
lence. On n'oubliera pas non plus que le plus grand des Antio-
chiens, saint Jean Chrysostome, fut le disciple de Diodore de
Tarse, et l'auteur du meilleur commentaire de saint Paul qui
ait sans doute jamais été fait.
Attentive aux réalités évangéliques, la christologie antio-
chienne prend exactement le contrepied de celle d'Alexandrie.
On pourrait, très schématiquement, exprimer cette opposition
en disant qu'Alexandrie considère d'abord le Verbe fait chair,
et Antioche l'homme-Dieu. Aussi ces théologiens réagissent-ils
vigoureusement contre Apollinaire et sa négation de l'âme du
Christ : « Ce n'est donc pas un corps seulement que le Christ
devait assumer, dit Théodore de Mopsueste, mais aussi une
âme... Nécessairement donc Notre-Seigneur prit une âme pour
que celle-ci d'abord fût sauvée du péché... C'est donc une
grande démence que celle de ne reconnaître pas que le Christ
ANTECEDENTS DOCTRINAUX ET SPIRITUELS 23
prit une âme...» Et d'analyser de très près la nature humaine
de Jésus, toute la richesse psychologique de son âme sainte,
habitée et mue par le Saint Esprit, ornée de grâce, de vertus,
de dons. « Il est un homme parfait, celui qui fut assumé et en
qui demeure Dieu le Verbe, â lui qui fut parfait en tout selon
la nature humaine » 17. Ainsi distingue-t-il nettement les natures,
la nature divine et la nature humaine ; et c'est là assurément un
mérite de sa théologie, qui préparait ainsi les voies à la défi-
nition de Chalcédoine.
Mais à si bien distinguer, on risque de diviser et de séparer.
A souligner la consistance de la nature humaine de Jésus, on
tend à la considérer comme une personne (prosôpon) autonome.
Et le risque était d'autant plus grand que les concepts de
nature et de personne n'avaient pas encore été élaborés avec
une précision suffisante. A vrai dire, si Diodore en venait Ã
parler de « deux fils », le Fils de Dieu et le fils de Marie, Théo-
dore refuse des formules de ce genre, et affirme expressément
l'unité du Christ : « L'unité de la personne ne nuit pas à la diffé-
rence des natures ». « Ainsi, il n'y a ni confusion des natures, ni
perverse division des personnes. Tenons donc sans les confondre
les caractères des natures, et sachons que la personne n'est pas
divisée ». c Vous connaîtrez quelle conjonction a pu exister en
lui (le Christ), nonobstant la différence des natures ». « Il nous
faut conserver la connaissance de cette conjonction qui jamais
ne se divise... ce n'est pas, en effet, la distinction des natures
qui anéantit la conjonction parfaite, ni cette conjonction parfaite
qui détruit la distinction des natures » 18. Cependant, et le mot
même de « conjonction » le laisse entendre, cette unité du Christ
paraît bien être le résultat de l'union des deux natures. Et c'est
ici peut-être qu'apparaît au mieux l'opposition des deux chris-
tologies : Alexandrie voit d'abord l'unique personne du Verbe
qui se fait homme, assumant une nature qui n'a pas par elle-
même de subsistance propre (Verbe-chair) ; Théodore part de
deux natures complètes (homme-Dieu), voire de deux prosôpa,
dont l'union aboutira à un prosôpon commun, celui du Christ.
Ainsi lisons-nous dans les Homélies catéchétiques : « Unique
24 ÃPHÃSE
est le Fils, à cause de la conjonction exacte des natures opérée
par la volonté divine... Les livres saints parlent différemment
des natures, enseignant une seule personne (prosôpon), à cause
de la conjonction exacte qui eut lieu » 19. L'unique prosôpon du
Christ semble netre que le résultat de l'union des deux natures
si soigneusement distinguées, plutôt qu'il n'est, identiquement,
l'unique Fils de Dieu, le Verbe incarné.
Il serait inexact de faire de Théodore un hérétique, puisqu'il
est mort, en 428, dans la paix de l'Ãglise, avant que n'éclate la
crise nestorienne : le concile d'Ãphèse ne fera mention ni de
lui ni de Diodore ; mais on ne saurait méconnaître les lacunes
graves et les dangers d'une théologie qui n'a pas été capable de
donner toute sa place à l'unique personne du Verbe incarné.
Tout le nestorianisme est ici en germe, et bien qu'il faille se
défier de ces formules trop faciles, il ne serait pas exagéré de
dire que Théodore a été nestorien avant Nestorius !
Une conséquence de cette christologie est qu'elle refuse de
dire que Marie est Mère de Dieu, Theotokos. Diodore est ici
catégorique : l'homme né de Marie est devenu le Temple du
Verbe de Dieu ; donc on ne peut dire que le Verbe de Dieu
est fils de Marie. Théodore est peut-être plus nuancé, mais il
est tout aussi net dans le fond. « Quand on nous demande si
Marie est mère d'un homme (anthrôpotokos) ou mère de Dieu
(theotokos), disons que pour nous elle est l'une et l'autre, l'une
par la nature des choses, l'autre par relation. Mère d'un homme,
elle l'est par nature, puisque c'est un homme qui était dans le
sein de Marie et qui en est sorti ; mère de Dieu (elle l'est)
puisque Dieu était dans l'homme qu'elle a enfanté ... 20. « C'est
une folie de dire que Dieu est né d'une vierge... ce qui est né
de Marie, c'est l'homme » 21.
Nestorius ne parlera pas autrement ; et nous voici ramenés au
point de départ de la querelle. Le problème était grave, et essen-
tielles les valeurs religieuses qui y étaient engagées.
CHAPITRE H
NESTORIUS ET SAINT CYRILLE
Nestorius, patriarche de Constantinople.
Après la mort de Sisinnius, second successeur de saint Jean
Chrysostome sur le siège de Constantinople, l'empereur Théo-
dose II, écartant deux candidats rivaux, fit monter sur le trône
patriarcal un prêtre d'Antioche, Nestorius. Une trentaine d'an-
nées plus tôt déjà , à la mort de Nectaire (397), Chrysostome lui-
même avait été appelé de la même façon à l'évêché de la capi-
tale. On sait assez peu de choses sur les antécédents de
Nestorius. Originaire de Germanicie en Syrie Euphratésienne, il
était venu à Antioche*, où il se fit moine et fut ordonné
prêtre. « Comme il avait une belle voix et parlait bien, on le
jugea capable d'interpréter les Ãcritures ».
Ces mots sont de l'historien Socrate, qui écrit après 439.
Cherchant visiblement à se renseigner aux bonnes sources et
à être objectif, il est sévère pour Nestorius : léger, passionné,
vaniteux, tel est, Ã l'entendre, le nouveau patriarche. Et il conti-
nue : « Ãtant naturellement beau parleur, il passait pour savant ;
en vérité, il n'avait aucune formation, et il dédaignait d'étudier
les livres des anciens interprètes. Aveuglé par sa faconde, il
ne s'appliquait pas exactement à la lecture des anciens, mais
se croyait supérieur à tous ... » 22.
* S'il est vrai que Nestorius est né après 381, il est difficile qu'il ait
été disciple de Théodore de Mopsueste, qui fut èvêque de cette ville
en 392.
26 ÃPHÃSE
Harnack, qui n'est pas suspect de parti-pris contre un héré-
tique condamné par l'Ãglise, n'est pas moins sévère : Nestorius
était « un prédicateur assez content de soi, un grand parleur,
ennemi des hérétiques, fonçant tête baissée imprudemment, et
pourtant ce n'était pas un homme vulgaire ...»*. Bref, un
honnête homme, bon orateur et beau parleur, â un certain
nombre de discours de Nestorius n'ont pas été jugés indignes de
figurer parmi les sermons attribués à saint Jean Chrysostome ! â
mais gâté par la vanité maladroite, l'impulsivité, la légèreté im-
prudente. Socrate ajoute que « ses bavardages n'ont pas laissé
d'agiter et de troubler le monde entier » 23.
Les déficiences d'une théologie.
On l'a dit, c'est le theotokos qui fut à l'origine de toute la
querelle. Non sans humour, Socrate écrit que Nestorius « crai-
gnait ce seul mot comme un épouvantail ». Et pourtant, il
s'agissait de tout autre chose que d'une question de mots, de
bien davantage que de la seule défiance du patriarche à l'égard
d'une piété qu'il jugeait mal éclairée. Marius Mercator, qui
traduisit en latin les sermons de Nestorius, remarque à propos
du premier : « Voici son premier sermon d'impiété, adressé
au peuple dans l'église ; il y tomba dans une malheureuse erreur
au sujet de l'incarnation du Seigneur » 24. C'est bien de l'incarna-
tion qu'il s'agit en fait, et de la christologie antiochienne pous-
sée à l'extrême. La vraie piété envers Marie suppose en effet
une théologie de l'incarnation.
Il n'est peut-être pas facile de parler sans parti-pris de la
théologie de Nestorius. Après la vigoureuse campagne que mena
contre lui saint Cyrille et la victoire de celui-ci à Ãphèse, le
patriarche déposé fait aux yeux de certains figure de victime,
et l'on est toujours tenté de prendre parti pour la victime, de
chercher à la réhabiliter. Sans vouloir non plus noircir l'héré-
Lehrbuch der Dogmengeschichte, II, 2e éd., Tubingen, 1920, 355.
NESTORIUS ET SAINT CYRILLE 27
tique, ni parler, comme ses adversaires du V siècle, de ses
« impiétés » et de ses « blasphèmes », nous essaierons d'exposer
la christologie de Nestorius telle qu'elle nous paraît objective-
ment s'exprimer dans ses sermons et ses écrits ; et tout particu-
lièrement dans ceux qui déclenchèrent la crise, puisque, pour
expliquer les origines historiques et doctrinales du concile
d'Ãphèse, c'est sur ces textes-là qu'il convient de s'appuyer de
préférence. Vers la fin de sa vie, à l'approche du concile de
Chalcédoine, Nestorius, exilé, écrivit une longue apologie, Le
Livre d'Héraclide de Damas* : il y justifie sa doctrine, qu'il
croit retrouver dans celle de saint Léon. Peut-être l'ouvrage
témoigne-t-il d'une certaine évolution de la pensée, ou tout au
moins du vocabulaire, mais les tendances profondes restent les
mêmes : ainsi il y conteste encore que theotokos ait jamais été
employé par les Pères ! En tout cas, ce n'est pas ce livre qui
a été condamné vingt ans plus tôt à Ãphèse.
Quand Eusèbe de Dorylée (cf. p. 31) ou Marius Mercator
font de Nestorius un disciple de Paul de Samosate, lequel ne
voyait dans le Christ qu'un homme, punis homo, adopté par
Dieu, ou élevé par ses mérites à la dignité de Fils de Dieu, on
peut craindre qu'ils ne cèdent à la tentation de ranger une
doctrine nouvelle parmi les hérésies anciennes, dûment cata-
loguées et étiquetées. Des modernes ont aussi parfois cédé Ã
cette tentation ! En fait, Nestorius ne dit pas que le Christ
est un parus homo ; il rappelle que saint Paul nomme le Christ
« Dieu » (cf. Rm 9, 5), et qu' « il faut prêcher aux chrétiens que
le Christ est le Dieu immuable » 25. Mais, encore avec l'Ãcri-
ture, Nestorius veut distinguer soigneusement les deux natures :
« Partout où la divine Ãcriture fait mention de l'économie du
Seigneur **, elle attribue la naissance et la mort, non à la divi-
nité, mais à l'humanité du Christ. Aussi, pour parler en toute
* Retrouvé en 1910 par le P. Bedjan dans une traduction syriaque ;
trad. fr. par F. Nau (Paris, 1910) ; angl. par G. R. Driver et L. Hodgson,
(Oxford, 1925).
** Quand les Pères grecs parlent de l'économie, ils l'entendent, comme
saint Paul, du mystère de l'incarnation.
28 EPHÃSE
rigueur de termes, il faut appeler la Vierge Christotokos, mère
du Christ, et non Theotokos, mère de Dieu...» Et après une
longue suite de citations de l'Ãvangile, il ajoute : « Des milliers
d'autres expressions attestent à tout le genre humain que ce
n'est pas la divinité qui est née récemment, ou qui est capable
de pâtir des souffrances corporelles, mais bien la chair jointe
à la nature de la divinité » 26. « Dieu a été uni à la chair cruci-
fiée, mais il n'a pas souffert avec elle » 2T.
Aussi Marie n'a-t-elle pas engendré la divinité ; on ne peut pas
dire que la divinité a été portée neuf mois dans le sein d'une
femme, que le Verbe de Dieu a été enveloppé de langes, ni
qu'il a souffert, qu'il est mort, qu'il a été enseveli. « Je ne peux
adorer un Dieu mort et enseveli » 28. « Marie a engendré un
homme, instrument de la divinité » 29.
En distinguant aussi nettement la divinité impassible et im-
muable, et l'humanité sujette à la souffrance et à la mort, en
refusant de les confondre ou de les mélanger, Nestorius n'entend
pas pour autant les séparer. Il ne veut pas parler de « deux
fils », ni « diviser le Christ » et voir en lui « un autre et un
autre ». « Autre n'était pas le Dieu Verbe, et autre l'homme en
qui il est né » 30. Mais comment se représente-t-il l'unité du
Christ, ou plutôt, â car telle est sa perspective, â l'union des
deux natures ?
Dans le premier sermon qu'il prononça contre le theotokos,
Nestorius disait : « A cause de celui qui le porte, je vénère celui
qui est porté, à cause de celui qui est caché, j'adore celui qui
est visible. Le Dieu invisible est inséparable de celui qui est
visible, c'est pourquoi je ne sépare pas l'honneur et la dignité
de celui qui n'est pas séparé. Je sépare les natures, mais j'unis
l'adoration ... Confessons qu'il est double, et adorons-le comme
un. Il est double quant aux natures, mais un à cause de
l'unité » 31.
Ou encore : « Nous appelons Dieu le Christ selon la chair, Ã
cause de la conjonction qu'il a avec le Dieu Verbe, mais nous
savons que ce qui apparaît est un homme... Ãcoute Paul qui
prêche les deux : Des Juifs vient le Christ selon la chair, qui
NESTORIUS ET SAINT CYRILLE 29
est Dieu au-dessus de tout (Rm 9, 5). Il confesse d'abord
l'homme, ensuite il appelle Dieu ce qui apparaît, à cause de sa
conjonction avec Dieu, pour qu'on n'aille pas croire que le
christianisme adore un homme. Gardons donc sans les confondre
la conjonction des deux natures, confessons Dieu dans l'homme,
vénérons l'homme adoré avec le Dieu tout puissant à cause de
la divine conjonction » 82.
A lire ces textes, et beaucoup d'autres, on ne peut échapper
à l'impression que pour Nestorius l'unité du Christ reste tout
extrinsèque : unité du temple avec la divinité qui l'habite, du
vêtement avec le personnage qui le porte, de l'instrument avec
celui qui s'en sert. Jésus est appelé Dieu parce qu'il est uni
au Verbe en dignité, en autorité. Un des critiques les moins
défavorables à Nestorius parlait d'une union purement psycho-
logique *.
Si, au-delà des formules trop abruptes auxquelles l'entraînait
peut-être un zèle intempérant, on essaie de retrouver l'inspira-
tion interne de sa théologie et de la ramener à ses lignes essen-
tielles, on verra sans peine que Nestorius aborde le problème
du Christ non du côté de l'unité, mais de celui de la dualité,
et qu'il distingue fortement les natures. Par contre il n'est pas
capable de distinguer aussi nettement nature et personne; et
entendant dire que Marie est mère de Dieu, ou que Dieu a
souffert, il comprend que Marie est mère de la divinité, ou que
la nature divine a subi mort et passion, ce qu'il ne peut évidem-
ment pas admettre. Et, autre conséquence de la même confusion,
parlant de deux natures dans le Christ, il est porté à les entendre
de deux sujets autonomes, de deux personnes. La faiblesse de la
christologie antiochienne, tout comme de celle d'Apollinaire, est
de partir de la nature considérée comme un tout indépendant,
et, puisqu'il y a deux natures, d'entendre qu'il y a aussi deux
personnes.
Au vrai, le terme de prosôpon (personne) que Nestorius em-
E. Amann, dans DTC 11, 1, 151.
30 EPHÃSE
ploie volontiers, doit se comprendre moins dans le sens méta-
physique de personne subsistante, ou hypostase, que dans celui
de « personnalité », au sens où le langage moderne parle de
personnalité psychologique ou morale. Mais quand Nestorius
affirme « la distinction des natures quant à l'humanité et à la
divinité, et leur conjonction en un seul prosôpon » (seconde lettre
à saint Cyrille), on est en droit de se demander ce qu'est au
vrai ce prosôpon auquel aboutit la conjonction des deux natures.
L'unité du Christ ne serait-elle que le terme et le résultat de
la conjonction et de l'union de deux natures existant d'abord
séparément ? Un théologien anglican a caractérisé assez heureu-
sement le point faible, ou mieux le vice radical de la christo-
logie nestorienne : « Nestorius est incapable de ramener à une
unique personnalité clairement conçue les deux natures du
Christ qu'il distinguait avec un si admirable réalisme » *.
Nestorius ne voit pas que les actions et les souffrances de la
nature humaine, ou, si l'on veut, de « l'homme Jésus » doivent
être rapportées à l'unique personne du Verbe. Sa théologie dua-
liste aboutit en fait, et, quoi qu'il en ait, à mettre en péril
l'unité du Christ. E. Amann, que nous avons déjà cité, la
juge « insuffisante » et « dangereuse », il estime qu'elle diffère
« profondément de la doctrine ecclésiastique telle qu'elle s'est
fixée dans les siècles suivants, telle que déjà Cyrille en posait
les bases, telle que Chalcédoine en a fourni la première et claire
formule ». Et il ajoute : « Trop souvent on a l'impression en
lisant Nestorius (dans les fragments surtout) de marcher sur la
corde raide. Or il ne convient pas de contraindre la foi des
simples, ni même celle des théologiens, à de trop fréquents, Ã
de trop violents exercices d'équilibre » **. Que Nestorius ait
été vraiment nestorien, certains ont voulu le nier : c'était aller
contre l'évidence des textes.
Cette théologie heurtait vivement le sentiment chrétien, qui
sans s'embarrasser de distinctions trop subtiles pour lui, aime
* G. L. Prestige, Fathers and Heretics, London, 1940, 143.
** DTC 11, 1, 154.
NESTORIUS ET SAINT CYRILLE 31
à vénérer Marie comme la Mère de Dieu, et ne peut souffrir
de séparer dans le Christ l'homme et le Dieu : pour lui comme
pour l'apôtre saint Thomas, Jésus est « mon Seigneur et mon
Dieu », tout simplement. Plus encore, cette théologie compro-
met tout le mystère de notre salut. Si la chair de Jésus n'est pas
la chair de Dieu, comment peut-elle nous donner la vie éter-
nelle ? Si la mort sur la croix n'est pas la mort d'un Dieu, com-
ment peut-elle nous sauver de la mort ? Dans la controverse
qui va s'ouvrir, Mgr Duchesne, avec trop de légèreté, ne voyait
que des « exercices métaphysiques » *. Il s'agissait du tout de
notre salut.
Remous à Constantinople, à Rome et en Egypte.
Le sentiment du peuple chrétien ne s'y trompa pas. On a
déjà dit l'étonnement, voire le scandale que provoquaient Ã
Constantinople les prédications de Nestorius contre le theotokos.
Bientôt ce furent le trouble et l'agitation : fidèles et moines
s'opposent au patriarche, qui les repousse brutalement. Les inci-
dents se multiplient. Un jour, on peut lire, affiché sur les portes
de Sainte-Sophie, un factum (contestatio) qui met en parallèle
les affirmations de Nestorius et les thèses de Paul de Samosate ;
il accuse ouvertement le patriarche d'hérésie, et jette l'anathème
à celui qui oserait dire : « Autre est le Fils unique engendré du
Père avant les siècles, et autre celui qui a été enfanté par la
Vierge Marie, et non pas le même et unique Seigneur Jésus-
Christ » 33. Socrate remarquait déjà que ce rapprochement était
injuste 34, mais il était commode, et traduisait bien l'impression
que pouvaient faire sur les esprits les affirmations malencon-
treuses du patriarche. On disait que l'auteur de cette affiche
était un laïc, un avocat (scholasticus), Eusèbe, qui devait devenir
évêque de Dorylée.
Un peu plus tard, un jour où Nestorius prêchait sur son
thème favori, le même Eusèbe l'interrompt en pleine église :
* Histoire ancienne de l'Ãglise, III, 324.
32 EPHÃSE
« le Verbe éternel est né dans la chair et d'une femme » ; grand
tumulte dans l'assistance, les uns approuvent bruyamment l'in-
terrupteur, les autres l'injurient ; le patriarche lui répond en
termes acérés, et s'en prend même « aux saints Pères qui nous
ont donné la définition de la vraie foi » 35.
Nestorius cependant ne se relâchait en rien de son zèle intem-
pérant contre le theotokos. Un autre jour, Proclus, évêque de
Cyzique, qui, n'ayant pu prendre possession de son siège, rési-
dait à Constantinople, prêche « dans la grande église », en
présence du patriarche lui-même. C'était à l'occasion d'une fête
(panégyrie) de la Vierge, peut-être l'Annonciation, si l'on en
croit les allusions du sermon *. En un langage éloquent, où l'on
pouvait entendre un écho des accents de Jean Chrysostome,
l'orateur avait rappelé le mystère de l'incarnation, et exalté les
grandeurs de Marie, « la sainte Mère de Dieu » : « Dieu a
habité le sein de la Vierge », « Dieu est né d'une femme » 3e.
Et plus loin Proclus ajoutait : « Le Christ n'est pas devenu
Dieu au terme d'un progrès, mais il s'est fait homme, par misé-
ricorde, comme nous le croyons. Nous ne prêchons pas un
homme divinisé, mais un Dieu fait chair ». On ne pouvait oppo-
ser avec plus de précision les deux théologies en présence.
On comprend que ces déclarations aient déplu au patriarche,
qui prit la parole à son tour, comme c'était l'usage, et répondant
directement à Proclus, mit ses auditeurs en garde contre un
excès de dévotion qui pourrait faire injure à la dignité du
Verbe de Dieu. Dire que Dieu est né de Marie, c'est prêter
le flanc à la calomnie des païens et à l'erreur des ariens : « Je
ne peux adorer un Dieu qui est né, qui est mort et a été ense-
veli » 3T.
Quand on se rappelle ce qui s'était passé à Constantinople
du temps de saint Grégoire de Nazianze ou de saint Jean
* Et s'il était assuré que cette fête ait été instituée avant le VIe siècle.
Au reste, cet incident est difficile à dater avec certitude. Schwartz
le fixe au 25 mars 430 (ACO I, i, 6, 7) ; M. Richard le repousse jus-
qu'en 431 (Mélanges de Sciences religieuses, 2 (1945), 255-258) ; G. Jouas-
sard conteste cette dernière date (dans Maria, I, 132, n. 4).
NESTORIUS ET SAINT CYRILLE 33
Chrysostome, on devine à quel ton pouvait monter la querelle
dans cette ville toujours prompte à s'agiter, dans ce milieu de
clercs, de moines, de dévotes et de laïques, toujours prêts Ã
prendre bruyamment parti pour ou contre leur patriarche. Les
moines en particulier, tard venus dans la capitale, s'y étaient
bientôt trouvés très nombreux. On en voyait beaucoup se
montrer par les rues et les places plus qu'il n'aurait convenu
à des solitaires, et leur science théologique n'était pas toujours
au niveau de leur ascèse ostentatoire et de leur zèle tapageur !
Mais l'agitation ne devait pas rester limitée à Constantinople.
Nestorius était en relations avec Célestin, évêque de Rome
depuis le 10 septembre 422, il avait correspondu avec lui au
sujet des pélagiens Julien et Célestius ; il met le pape au
courant de la querelle qui s'est élevée à propos du theotokos.
Il stigmatise cette nouvelle erreur, « apparentée à la pourriture
d'Arius et d'Apollinaire », et expose très clairement sa propre
théologie de la Christotokos38. De son côté, Eusèbe envoie Ã
Rome les quatre sermons de Nestorius d'où il avait extrait les
propositions affichées dans sa contestatio. Le diacre Léon (le
futur pape) envoie ces textes et la lettre de Nestorius à son ami
Cassien, pour qu'il les examine et les réfute. L'abbé de Saint-
Victor à Marseille, qui savait le grec et avait vécu à Constan-
tinople du temps de saint Jean Chrysostome, était parfaitement
qualifié pour cette tâche 39.
Du point de vue de l'histoire générale de l'Ãglise, il n'est
pas sans intérêt de remarquer ces allées et venues de courriers
entre Constantinople et Rome, entre Nestorius et Célestin : les
relations entre les deux capitales, entre le patriarche et le pape,
sont, et seront encore longtemps, fréquentes et étroites. Mais on
remarquera aussi, et la chose est significative, que Célestin
fait attendre sa réponse à la lettre de Nestorius ; il lui faut
d'abord la faire traduire en latin. Et Nestorius se plaint vive-
ment de ne pas recevoir de réponse 40. L'ignorance de la langue
est, parmi beaucoup d'autres, une des raisons du divorce qui
va séparer l'Orient et l'Occident.
34 EPHÃSE
Il n'est pas inutile d'observer enfin que Célestin est alerté*
par Nestorius lui-même, avant que saint Cyrille n'entre en scène.
Ce n'est pas celui-ci qui a ouvert les hostilités !
L'Ãgypte en effet allait à son tour être atteinte par les remous
de la querelle. Entre Alexandrie et Constantinople, les relations
étaient fréquentes aussi, mais pas toujours bienveillantes.
L'évêque d'Alexandrie, qui se voyait peu à peu supplanté par
celui de la « nouvelle Rome », auquel le concile de Constanti-
nople de 381 avait accordé une primauté d'honneur, cherchait,
on le comprend trop bien, à intervenir dans les affaires ecclésias-
tiques de la capitale. Sans remonter jusqu'Ã Pierre d'Alexandrie
qui soutint l'usurpateur Maxime contre saint Grégoire de Na-
zianze (379), on se rappelle le rôle odieux joué par Théophile
dans la déposition de saint Jean Chrysostome (concile du
Chêne, 403). Cyrille, neveu de Théophile et son successeur (412),
avait ses envoyés (apocrisiaires) auprès de la cour impériale,
qui l'informaient de tout ce qui se passait dans la capitale.
Par eux, le bruit que font les prédications de Nestorius parvient
jusqu'en Egypte : les évêques s'inquiètent, et les moines du
désert eux-mêmes sont troublés.
Vers la fin de 428, Cyrille, comme chaque année, écrit aux
évêques pour leur fixer les dates du carême et de Pâques de
l'année 429 ; il écrit aussi aux moines, exposant aux uns et aux
autres avec grande fermeté, sans nommer d'ailleurs Nestorius,
sa propre doctrine de l'incarnation et du theotokos a. Quelques
mois plus tard, vers la fin de l'été 429, il écrit à Nestorius lui-
même pour l'avertir des bruits fâcheux qui courent en Ãgypte
et jusqu'Ã Rome sur son enseignement, et lui demander des
explications *2 ; il ne reçoit qu'une réponse assez hautaine, l'ex-
hortant à la modération chrétienne 43. Le duel était engagé.
* Sur ce point, voir G. Jouassahd, Sur les décisions des conciles
généraux des IV et Ve siècles dans leur rapport avec la primauté romaine,
dans Istina, 1957, 485-496 ; ici 492, n. 13.
NESTORIUS ET SAINT CYRILLE 35
Cyrille, patriarche d'Alexandrie.
On connait déjà l'un des adversaires, Nestorius. Il n'est peut-
être pas très facile non plus de parler de saint Cyrille. Ceux qui
sont tentés de prendre parti pour la victime et de la réhabiliter,
seront portés aussi à juger sans indulgence celui en qui ils
croient voir un persécuteur. Dans ce qu'on appelle la « tragédie
de Nestorius » *, on ne donne pas le beau rôle à saint Cyrille.
Déjà Nestorius se plaignait vivement des agissements du pa-
triarche d'Alexandrie à son égard. Et il faut bien reconnaître
que certains traits du caractère de saint Cyrille peuvent donner
quelque apparence de raison à Nestorius et à ses partisans,
anciens et modernes. On ne peut nier qu'il n'ait parfois manqué
de cette « modération » que lui prêchait son adversaire. L'ini-
tiative qu'il prend d'intervenir dans les affaires de Constanti-
nople, la hâte et la précipitation dont il a fait preuve à Ãphèse
peuvent nous étonner, certaines intrigues même nous scanda-
liser. On répéterait volontiers le jugement du vieux Tillemont ** :
« Saint Cyrille est saint, mais on ne peut pas dire que toutes
ses actions soient saintes ».
Une chose du moins paraît certaine. Quels qu'aient pu être les
défauts de son caractère, saint Cyrille n'a été mû que par le
souci de la vérité et le zèle de la foi. Rien dans les textes ne
semble justifier le reproche d'autoritarisme, rien ne paraît ins-
piré par la volonté de faire prévaloir Alexandrie sur Constanti-
nople, de dominer et d'écraser son adversaire. Si à Ãphèse il
a montré trop de hâte, il a su ensuite faire preuve de persé-
vérance et de fermeté, et il a été emprisonné pour la foi. S'il
fut dur pour Nestorius, il est visible par contre que dans les
tractations de 433, que nous aurons à rappeler, il saura agir
* C'est le titre d'une apologie pour Nestorius, compilée par son ami le
comte Irénée. Mgr Duchesne a repris ce titre, Hist. Ane. de l'Ãgl. III,
ch. 10. â Les historiens non-catholiques réservent toute leur indulgence
pour Nestorius et sont généralement très sévères pour saint Cyrille, pour
sa théologie comme pour son caractère.
** Mémoires pour servir à l'Histoire Ecclésiastique..., XIV, Paris,
1709, 541.
36 ÃPHÃSE
avec modération, renoncer pour le bien de la paix à des formules
qui lui étaient chères, mais qui pouvaient prêter à contestation,
en accepter d'autres qui lui répugnaient, et se réconcilier avec
celui qui à Ãphèse avait été le principal de ses adversaires.
C'est en toute sincérité qu'il pourra se réjouir de la paix conclue.
Au demeurant, comme prédicateur et pasteur, comme exé-
gète, comme théologien, il se révèle d'une tout autre classe que
Nestorius.
Une théologie du Verbe Incarné.
Non seulement le vocabulaire où s'exprime la théologie de
saint Cyrille est différent de celui de Nestorius, mais, si l'on
peut dire, son climat spirituel et l'atmosphère qu'elle respire
sont tout autres. Cyrille ne considère pas d'abord les deux na-
tures, mais l'unique personne du Verbe, qui existe de toute éter-
nité et à la fin des temps s'est incarnée. Son point de départ,
c'est le premier chapitre de saint Jean : « Le Verbe s'est fait
chair ». Entendons bien, pour ne pas y revenir, que Cyrille
écarte fermement tout apollinarisme : cette chair, c'est une huma-
nité complète, douée d'une âme raisonnable. « De même que
le Verbe de Dieu le Père est parfait quant à la divinité, ainsi
est-il parfait quant à l'humanité : il n'a pas pris un corps sans
âme, mais bien un corps animé d'une âme raisonnable » 44. Cette
incarnation n'implique dans le Verbe aucun changement ni
transformation : il est resté ce qu'il était, immuable et impas-
sible ; elle n'est pas non plus changement d'une nature en
l'autre : la nature humaine n'est pas absorbée dans la divinité,
elle subsiste entière après cette union qui ne comporte ni mé-
lange ni confusion45 : saint Cyrille a toujours refusé de con-
fondre les natures, il n'est pas monophysite !
Comment tenter d'expliquer cette union « ineffable et inex-
primable » ?46 Ces mots reviennent souvent chez Cyrille, qui,
plus que Nestorius assurément, a le sens et le respect du mys-
tère. Il a aussi le sens de la tradition, et se réfère au concile de
Nicée, qui lui donne le fait infrangible de l'unité du Christ :
NESTORIUS ET SAINT CYRILLE 37
c'est le Verbe de Dieu qui s'est fait homme, qui est né, qui a
souffert.
Cyrille refuse donc toute explication qui lui semble compro-
mettre en quelque façon cette unité ; il ne veut pas parler d une
simple habitation, ou conjonction, ou relation 4T, ni de Y « as-
somption d'un homme » : « Le Verbe s'est fait chair, il n'a pas
assumé un homme, comme pense Nestorius » 48. C'est peut-être
ici qu'on voit le mieux la différence et l'opposition des deux
christologies. De son côté Théodoret écrira : « Le Verbe de
Dieu ne s'est pas fait chair, mais il a pris une chair et il a
habité parmi nous » 49 ! Ces formules, courantes à Antioche,
paraissent à Cyrille donner à l'humanité du Christ une subsis-
tance propre, comme si elle existait à part de l'unique personne
du Verbe.
Pour Cyrille, au contraire, l'union se fait « selon l'hypostase »
(Ka8' ÃTOÃaTaaiv), ou « selon la nature» (KarÃ
union physique. Ces formules ont été à l'origine de bien des
querelles, qui ne sont pas encore tout à fait apaisées, â voire
d'un schisme, qui n'est pas encore résorbé. Essayons de les
comprendre, dans le sens où les entendait Cyrille, et dans la
mesure nécessaire à l'intelligence du présent débat.
Nature et kypostase.
Ces mots avaient depuis longtemps droit de cité en théo-
logie. En ce qui regarde le mystère de la Trinité, l'effort des
Pères cappadociens avait abouti à une nette distinction entre
nature et hypostase-, une nature, trois hypostases : telle était
la formule, désormais classique, qui exprimait le mystère du
Dieu Un et Trine. Saint Athanase l'admettait déjà en 362, saint
Cyrille l'emploie couramment. Or, chose étrange, cette distinc-
tion précise, admise par tous pour parler de la Trinité, nul ne
songeait à l'appliquer au mystère du Christ, qui est aussi un
et deux. Il aurait suffi de retourner la formule et de dire, comme
nous faisons maintenant : une hypostase ou personne, deux na-
tures. Au contraire, on considérait ici physis et hypostasis comme
38 ÃPHÃSE
équivalents. Pour un alexandrin comme Cyrille, ils désignent
l'individu concret, existant à part soi, la personne indépendante
et subsistante. Pour Cyrille, il n'y a dans le Verbe incarné
qu'une hypostase, donc aussi une physis, « l'unique physis incar-
née du Dieu Verbe ». Les antiochiens, eux non plus, ne distin-
guaient pas physis et hypostasis ; mais ils les identifiaient dans
le sens de substance concrète et existante. Il y a dans le Christ
deux natures, donc deux hypostases, mais en un seul prosôpon.
Ces imprécisions de vocabulaire et cette insuffisance de méta-
physique sont au fond de tout le débat.
Dans cette perspective, on comprendra peut-être la théo-
logie et les formules de saint Cyrille. En Jésus, Verbe incarné,
il n'y a qu'un seul Christ, un seul Seigneur, un seul être sub-
sistant, une seule hypostase : c'est le Verbe, qui reste inchangé,
après comme avant l'incarnation. Jésus-Christ, le fils de Marie,
est identiquement la même personne (hypostase) que le Verbe,
fils de Dieu. L'humanité de Jésus, au contraire, n'est pas telle,
elle n'existe et ne subsiste pas à part, par elle-même; elle ne
subsiste que dans et par le Verbe, Ã l'hypostase, ou physis, du-
quel elle a été unie dans le sein de Marie. De même que dans le
composé humain il y a deux réalités différentes, qui n'existent
pas indépendamment l'une de l'autre, et il n'y a qu'un seul
homme ; de même il n'y a dans le Christ qu'une seule nature-
hypostase, celle du Verbe qui s'est fait chair. Il n'y a en Jésus
qu'une seule physis, la physis du Verbe, qui s'est incarné :
MCa tpOsiç toO 0eou A<5you aEoapxajjiévrç.
Cyrille répète ces mots, qu'il croit venir d'Athanase ; en fait,
nous l'avons dit, ils sont d'Apollinaire. 1I ne faut pas se hâter
de voir en cette formule du « monophysisme » ; il ne faut pas
non plus, comme certains apologistes de saint Cyrille, la mini-
miser, et la réduire, comme l'union « physique », au sens d'une
union réelle. Il faut la comprendre, comme nous avons essayé de
le faire trop brièvement, au sens où l'entend Cyrille : l'huma-
nité du Christ, qui est bien réelle, n'existe et ne subsiste que
dans l'unique hypostase ou physis du Verbe. L'humanité de
Jésus est l'humanité du Verbe. Cette théologie s'oriente déjÃ
NESTORIUS ET SAINT CYRILLE 39
vers une théologie de l'union hypostatique, mais il faut recon-
naître que ses formules pouvaient prêter à confusion.
C'est cette unique physis incarnée du Verbe qui soutient
l'humanité du Christ et la fait agir. C'est à l'unique personne du
Verbe incarné qu'il faut rapporter toutes les opérations humaines
de Jésus 50. Cyrille ne dit jamais : « la chair du Christ a souf-
fert », mais bien « le Verbe a souffert dans sa chair » 81. Dans
les récits évangéliques, il refuse de considérer à part ce qui se
rapporte à l'homme et ce qui se rapporte au Verbe de Dieu52.
Et cela aussi pouvait être source de bien des confusions, qui
ne seront pleinement liquidées qu'au vne siècle.
D'autre part, si la « chair » de Jésus est la chair du Verbe,
elle est divine, vivifiante et divinisante : il y a un lien étroit
entre la théologie de l'incarnation et celle de l'eucharistie53.
Enfin et surtout, si Jésus est le même, en hypostase, que le
Verbe de Dieu, Marie, mère de Jésus, est mère du Verbe et
mère de Dieu, Theotokos6*. Dès le début de la controverse,
Cyrille est le champion du theotokos, et la tradition n'a pas tort,
qui fait de lui le défenseur invincible, assertorem invictum, de
la maternité divine de Marie58.
Malgré ses lacunes, dues surtout à l'imprécision de sa termi-
nologie, on ne peut que rendre hommage à la valeur métaphy-
sique de la théologie de saint Cyrille, et au grand souffle reli-
gieux qui la traverse et l'anime. Plus que la théologie des antio-
chiens, qui risque de compromettre gravement l'unité du Verbe
incarné, elle garde le sens et le respect du mystère du Christ,
le sens du mystère de notre salut. En fait, après les définitions
de Chalcédoine qui lui apportèrent, sinon un correctif, du
moins un contrepoids, c'est la théologie de saint Cyrille qui
sera la théologie de l'Ãglise.
Cyrille, Nestorius et le pape Célestin.
Inquiet aussi bien des nouvelles qu'il recevait de Constanti-
nople que du trouble des esprits en Ãgypte, Cyrille avait donc
40 ÃPHÃSE
pris sur lui de demander à Nestorius des explications sur son
enseignement. Nestorius, nous l'avons dit, n'avait répondu que
par une fin de non-recevoir. L'affaire n'allait pas en rester là .
Au début de l'année suivante (janvier-février 430), Cyrille
écrit de nouveau à Nestorius 56. Après avoir écarté les rumeurs
qui courent sur son propre compte à Constantinople, il expose
largement la doctrine catholique sur l'incarnation et sur le theo-
tokos. Cette lettre est un document dogmatique de première
importance, qui sera canonisé par le concile d'Ãphèse. Nestorius
répond au bout de quelques mois 57 : sa lettre est un exposé
assez modéré de sa théologie, plus significatif encore par ce
qu'il omet ou nie que par ce qu'il affirme. Il insiste sur la dis-
tinction des deux natures, et sur leur conjonction en un seul
prosôpon, qui paraît bien être le terme de l'union des deux
natures, plutôt que le principe de leur unité. En revanche
Nestorius attaque Cyrille et l'accuse d'apollinarisme, comme s'il
avait voulu dire que la nature divine elle-même est passible et
sujette au changement, qu'elle est née et qu'elle est morte. Il
ne faut donc pas appeler Marie theotokos, mais bien christo-
tokos.
Entre temps Cyrille se multiplie, il écrit de tous côtés pour
chercher des appuis contre son adversaire ; il s'adresse à Acace
de Bérée, le doyen de l'épiscopat oriental, â il avait alors près
de cent dix ans !B8 â et encore à Juvénal de Jérusalem59, Ã
l'empereur, à l'impératrice Eudocie et à Pulchérie, sÅur de
Théodose, aux princesses Arcadie et Marine : ces libelles, qui
ne vont pas sans se répéter quelque peu, sont autant de petits
traités sur l'incarnation. Pour appuyer sa thèse, il rassemble un
dossier de textes patristiques et des extraits des sermons de
Nestorius. Il rédige cinq livres Contre les blasphèmes de Nes-
torius 60. Et surtout, au cours de l'été 430, il écrit à l'évêque de
Rome, Célestin. Il lui présente en détail toute l'affaire (on se
rappelle que le pape avait été déjà informé par Nestorius lui-
même le premier) ; il lui envoie le dossier patristique qu'il a
constitué et un exposé (Commonitorium) de la doctrine de
Nestorius n.
NESTORIUS ET SAINT CYRILLE 41
Au reçu de cette lettre, Célestin, comme c'est l'usage en pa-
reille circonstance, réunit un synode en août 430 : ces synodes
romains sont en effet l'organe et l'expression de l'autorité du
Siège Apostolique *. Le synode condamne Nestorius et le somme
de se rétracter dans les dix jours sous peine d'excommunication.
Célestin en écrit à Cyrille, à Nestorius, au clergé et au peuple
de Constantinople, à divers évêques d'Orient (11 août 430) 62.
S'adressant au clergé de Constantinople, il résume en ces termes
l'enseignement de Nestorius : « Il sépare dans notre Christ la
nature divine et la nature humaine, tantôt il en fait un homme
seulement (solum hominem), tantôt, quand il le veut bien, il
lui accorde la communion (societatem) avec Dieu ». Mais le ton
de la lettre à Nestorius est particulièrement grave ; le pape
reproche à l'évêque de Constantinople de « vouloir enseigner
sur le Dieu Verbe autre chose que ce que tient la foi com-
mune », et il conclut : « Sache clairement que telle est notre
sentence : si tu ne prêches pas au sujet du Christ ce que tien-
nent les Ãglises de Rome et d'Alexandrie et toute l'Ãglise
catholique, comme l'a tenu aussi bien avant toi la sacro-sainte
Ãglise de Constantinople, et si dans les dix jours après que tu
auras eu connaissance de notre assemblée, tu ne condamnes
pas ouvertement et par écrit la perfide nouveauté qui tente de
séparer ce qu'unit la vénérable Ãcriture, sache que tu es rejeté
de la communion de toute l'Ãglise catholique ». Célestin commet
à Cyrille le soin de faire exécuter cette sentence, en son nom,
et avec l'autorité du Siège Apostolique.
C'est seulement en novembre que Cyrille, à son tour, réunit
à Alexandrie un synode qui renouvelle la condamnation déjÃ
portée à Rome contre Nestorius. Cyrille adresse à ce dernier
une troisième lettre 63. Après avoir rappelé la décision romaine,
il expose longuement la vraie foi sur l'incarnation, et la résume
en douze anathématismes (Kephalaia, capitula), qu'il avait mis
* Cf. H. Marot, Les conciles romains des IV et V siècles et le déve-
loppement de la primauté, dans Istina, 1957, 435-462.
42 ÃPHÃSE
en circulation depuis quelque temps déjà , et auxquels Nesto-
rius devra souscrire. Ici, Cyrille semble dépasser les instructions
du pape, qui n'avait parlé que d'une rétractation ; et il a l'im-
prudence d'imposer à Nestorius les formules de la théologie
alexandrine (« union selon lliypostase », « union physique »), de
nature à heurter violemment les tenants de la tendance antio-
chienne. Nestorius, qui communique aussitôt ce texte à ses
amis, Jean d'Antioche, Théodoret, André de Samosate, aura beau
jeu pour accuser Cyrille d'apollinarisme : ainsi fait-il dans ses
prédications des 12 et 13 décembre. Mais déjà Théodose avait
annoncé son intention de convoquer un concile*.
Empereur depuis 408, Théodose, fils du médiocre Arcadius **,
n'avait pas le caractère de son grand-père Théodose le Grand.
Les historiens s'accordent à le trouver pieux et zélé pour la foi,
très cultivé, â il organisa l'enseignement supérieur à Constan-
tinople (425) et fit compiler le Code qui porte son nom (438),
â mais ils le disent aussi médiocre politique, faible et indécis.
Empereur à l'âge de sept ans, il subit longtemps l'influence de
sa sÅur aînée Pulchérie, qui exerça la régence de 414 à 416, puis
celle de sa femme Eudocie, qu'il avait épousée en 421 ; les
époux devaient se brouiller plus tard, et Eudocie, accusée d'in-
fidélité, se retira à Jérusalem. Alors déjà l'eunuque Chrysaphe,
que l'on verra reparaître plus tard dans cette histoire, était tout-
puissant sur le faible Basileus. C'est au milieu de ces intrigues
de palais et de ces rivalités de femmes que devaient se dérouler
les querelles théologiques !
Au dehors, l'empereur était aux prises avec de graves diffi-
cultés : les Perses menaçaient la frontière ; une guerre victo-
* Dans une lettre à Cyrille, extrêmement sévère pour celui-ci (ACO I,
i, 1, 73-74). Autre allusion au concile dans une lettre de Nestorius Ã
Célestin (ACO I, v, 182) laquelle daterait déjà de 1 été 430 (Loofs). Nesto-
rius s'y déclarait prêt à accepter le theotokos.
** « L'empereur Arcadius mourut le 1" mai 408, sans avoir jamais réel-
lement vécu» (G. Bardy, dans Histoire de l'Ãglise (Fliche et Martin),
IV, 150). « Pâles fleurs de gynécée », écrit Duchesne à propos d'Arcadius
et de son frère Honorius (Hist. anc. de l'Ãgl. III, 1).
NESTORIUS ET SAINT CYRILLE 43
rieuse (421-422) aboutit à un traité qui allait pour cent ans assu-
rer la paix à cette extrémité de l'Empire. Sur le Danube, les
Huns poussaient leurs incursions ; les armées byzantines les
arrêtaient en 441, et Constantinople réussit, à prix d'argent, Ã
les tenir éloignés de ses frontières. L'Orient jouit d'une paix que
pouvait lui envier l'Occident.
CHAPITRE III
LE CONCILE D'ÃPHÃSE
La convocation du concile.
Par une lettre du 19 novembre 430, Théodose II avertit Cyrille
qu'il a décidé de réunir un concile de tous les évêques, afin
d'assurer la paix et la tranquillité de l'Ãglise en réglant les
difficultés présentes. Il a déjà écrit à tous les métropolitains, les
convoquant à Ãphèse pour la Pentecôte de l'année suivante
(7 juin 431) : ils devront être accompagnés de quelques évêques
de leur province. « La chose nous tenant fort à cÅur, nous ne
tolérerons pas que personne s'abstienne sans autorisation. Ni
devant Dieu, ni devant moi-même, les absents ne trouveront
d'excuse » M.
Théodose expliquera lui-même aux évêques assemblés pour-
quoi il a choisi Ãphèse pour y réunir le concile : la ville est
d'accès facile par terre et par mer, et fournit en abondance, soit
en produits du sol, soit en produits importés, tout ce qui est
nécessaire à ceux qui y séjournent ; ainsi les évêques pourront
facilement atteindre le but que se propose l'empereur par ce
concile 65 *.
En convoquant ainsi les évêques, le Basileus ne fait que suivre
* Tillemont ajoute : « Et il se rencontroit heureusement que, s'agissant
de l'honneur de la Mère de Dieu, comme de celui de son Fils, c'estoit Ã
Ephèse qu'on l'honoroit plus qu'en aucun autre lieu. Car la grande église
de la ville où le concile se tint, portoit son nom, et ce semble mesme avec
l'addition de la qualité de Mère de Dieu » (Mémoires... XIV, 364).
LE CONCILE D'ÃPHÃSE 45
l'exemple de ses prédécesseurs * : Constantin, de sa propre auto-
rité, avait convoqué les conciles d'Arles, de Nicée, de Tyr ;
Constance celui de Sardique, Constant celui de Séleucie-Rimini,
Théodose Ier celui de Constantinople en 381. Comme avaient fait
alors Ossius ou Athanase, Acace, Ursace et Valens, Nestorius
avait pu, semble-t-il, suggérer l'idée d'un concile. Mais c'est
l'empereur qui prend l'initiative et décide de convoquer cette
assemblée d'évêques. Il a conscience de remplir un devoir de
sa charge : prince chrétien, il lui incombe de veiller à la paix et
à l'unité de l'Ãglise. La lettre que nous venons de citer exprime
cette conviction en termes élevés et d'une haute signification :
« Le bien de notre empire dépend de la religion : une étroite
connexion rapproche ces deux choses. Elles se compénètrent et
chacune d'elles tire avantage des accroissements de l'autre.
Ainsi, la vraie religion est redevable à la justice, et l'Ãtat est
redevable tout à la fois à la religion et à la justice. Ãtabli par
Dieu pour régner, étant le lien naturel entre la religion de nos
peuples et leur bonheur temporel, nous gardons et maintenons
inviolable l'harmonie des deux ordres, exerçant envers Dieu et
les hommes l'office de médiateur. Nous servons la divine Pro-
vidence en veillant aux intérêts de l'Ãtat, et toujours, prenant
souci et peine pour que nos peuples vivent dans la piété, nous
étendons notre sollicitude sur un double domaine, ne pouvant
songer à l'un sans songer en même temps à l'autre. Par-dessus
tout nous recherchons le respect des affaires de l'Ãglise autant
que Dieu l'exige ; souhaitant que la concorde et la paix y
règnent sans aucun trouble, que la religion soit sans tache, que
la conduite et les Åuvres soient irréprochables dans les rangs
du clergé. Aussi, persuadé que ces biens sont réalisés et affer-
mis par l'amour divin et la charité mutuelle, nous nous sommes
dit à maintes reprises que les conjonctures actuelles exigeaient
une réunion du corps épiscopal... » 68. De ces affirmations
de Théodose, on pourra rapprocher ce que lui écrivait Célestin
* Sur la convocation des conciles par l'empereur, voir Le Concile et
les Conciles, 49-52
46 EPHÃSE
le 8 mai 431 : « La cause de la foi doit vous être plus chère
que celle de l'empire : Votre Clémence doit avoir souci de
la paix des Ãglises plus que de la sécurité de la terre entière.
Tout vous réussira heureusement, si d'abord est conservé ce qui
est plus cher à Dieu » 67.
Célestin a été invité, lui aussi. Depuis l'époque du concile
d'Arles (314), les papes n'ont pas l'habitude de quitter Rome pour
prendre part à un concile, mais Célestin enverra au synode des
légats qui le représenteront : « Nous ne serons pas absents de
cette assemblée. Nous ne pouvons faire défaut à ceux qui,
répandus partout, sont cependant unis avec nous par une même
foi... nous ferons spirituellement ce que nous semblons ne pas
faire corporellement... » 68. Avait été invité aussi saint Augus-
tin : on désirait tout spécialement sa présence ; mais il était
mort près de quatre mois auparavant (28 août 430). Au demeu-
rant, les lettres impériales ne parvinrent en Afrique qu'Ã
Pâques 431 (19 avril) ; c'est Capréolus de Carthage qui en prit
connaissance : l'occupation vandale empêchait la réunion d'un
concile des évêques africains, il était trop tard pour se mettre
en route pour arriver à Ãphèse au jour dit. Capréolus, qui
s'en explique dans une lettre d'excuses adressée au concile, s'y
fera représenter par son diacre Bassula 69.
L'incident méritait d'être relevé. Il atteste l'autorité exception-
nelle dont jouissait Augustin, jusque dans le lointain Orient.
Il témoigne aussi des difficultés matérielles que pouvaient ren-
contrer ces rassemblements d'évêques et, chose plus grave, de
l'ignorance où pouvaient être, l'une par rapport à l'autre, les
deux parties de la chrétienté. En fait, l'Occident ne sera repré-
senté à Ãphèse, outre les légats romains, que par le diacre
carthaginois et un évêque d'Illyrie.
L'arrivée à Ãphèse.
Après Pâques, les évêques se mettent en route, par mer ou
par terre. A Rome, Célestin désigne ses légats, les évêques
LE CONCILE D'EPHÃSE 47
Arcadius et Projectus, et le prêtre Philippe. Ils ont mandat
d'assister à tous les débats, de faire exécuter ce que le pape
a déjà décidé, et de faire respecter l'autorité du Siège Aposto-
lique. D'autre part, ils doivent agir de concert avec Cyrille, et
faire tout ce que celui-ci décidera. S'il y a des discussions, ils
doivent juger des avis qui seront exprimés, sans se laisser en-
traîner dans le débat70. Leur mission et leur autorité sont ainsi
clairement et fermement précisées.
Le même jour, le pape adresse au concile qui va s'ouvrir une
lettre d'exhortation à la concorde, à l'unité, à la prière : SU
oratîo communis ad Dominum ; il écrit encore à Théodose pour
lui demander de ne pas laisser troubler la paix de l'Ãglise. La
veille il avait écrit à Cyrille pour lui donner aussi des conseils
de modération. T1.
De son côté, Théodose envoie à Ãphèse le comte Candidien,
comes domesticorum, commandant de la Garde, avec mission
d'assurer la police des réunions, et en particulier d'en écarter
les laïcs et les moines, dont les cris pourraient provoquer des
troublesT2.
D'Alexandrie, Cyrille s'était embarqué avec plus de quarante
évêques égyptiens : c'était sans doute un peu plus que ne pré-
voyait la Sacra de Théodose ! II emmenait aussi avec lui une
nombreuse escorte de clercs et de moines. De Rhodes il écrit
à ses diocésains pour leur donner des nouvelles de son voyage :
« Par la grâce et la philanthropie du Christ, notre Sauveur Ã
tous, nous avons traversé cette grande et vaste mer avec des
vents doux et paisibles, de sorte qu'ayant achevé la traversée
sans peine ni danger aucun, nous sommes arrivés à Rhodes en
rendant gloire à Dieu et en disant avec le Psalmiste : Tu maî-
trises la puissance de la mer, et tu apaises l'agitation de ses
flots 73 ». Il leur écrit encore une fois arrivé à Ãphèse, quelques
jours avant la Pentecôte74. Nestorius était déjà là . L'évêque du
lieu, Memnon, et avec lui de nombreux évêques d'Asie, Fla-
vien de Philippes avec les évêques de Macédoine. Le 12 juin
seulement, cinq jours après la date fixée pour l'ouverture du
concile, arrive Juvénal de Jérusalem avec une quinzaine
48 ÃPHÃSE
d'évêques palestiniens. Au total, cela faisait quelque cent cin-
quante ou cent soixante évêques présents.
Mais il y avait des retardataires. Les légats romains étaient
encore en route, et on attendait aussi le patriarche d'Antioche,
Jean, et les évêques de Syrie, qui arrivaient par terre, par des
chemins pénibles. Jean écrit à Cyrille pour expliquer son retard :
il y a trente jours qu'ils sont en route, des évêques sont tombés
malades, des bêtes de somme ont péri... ils ont encore cinq
ou six étapes à fournir, ils ont hâte d'arriver 75.
L'ouverture du concile.
Durant ces jours d'attente, la situation devenait pénible Ã
Ãphèse : il faisait chaud, certains évêques étaient malades, cer-
tains même mouraientT6. On s'impatientait, on s'agitait, on par-
lait. Partisans et adversaires du theotokos tenaient des propos
qui ne pouvaient que durcir encore les oppositions : ceux de
Nestorius, dont Acace de Mélitène et Théodote d'Ancyre se
feront l'écho au concile, étaient particulièrement scandaleux...
Brusquement, le 21 juin, Cyrille décide d'ouvrir le concile, et
convoque ses collègues pour le lendemain.
On lui a beaucoup reproché d'avoir pris cette initiative, et
d'avoir ainsi entamé la procédure sans attendre l'arrivée des
légats romains, ni surtout celle des antiochiens, qui évidemment
auraient pris le parti de Nestorius. Cyrille s'assurait ainsi à bon
compte une majorité complaisante ! I1 est facile de parler ici
d'initiative indiscrète et inconsidérée, d'abus de pouvoir, voire
RUINES DE LA BASILIQUE SAINTE MARIE A EPHESE âº
Cette basilique fut construite avant 350 dans les restes d'un
édifice profane, le Mouseion, dont la destination précise reste
inconnue. C'était une église à trois nefs, avec une abside,
précédée d'un vaste atrium. Le concile se tint dans l'église
elle-même, dont les ruines sont visibles dans la partie supé-
rieure de la photographie. (Cliché L. von UattJ.
LE CONCILE D'EPHÃSE 49
de violence. Sans citer les historiens modernes, on peut rappe-
ler les plaintes amères qu'exhalera plus tard Nestorius vieil-
lissant dans l'exil : « Il constituait tout le tribunal, car tout ce
qu'il disait, tous le disaient en même temps, et, sans aucun doute,
sa personne tenait heu de tribunal... Il a réuni ceux qui lui
plaisaient, les éloignés et les proches, et il s'est constitué tri-
bunal. Je fus convoqué par Cyrille qui a réuni le concile, par
Cyrille qui en était le chef. Qui était juge ? Cyrille. Quel était
l'accusateur ? Cyrille. Qui était l'évêque de Rome ? Cyrille.
Cyrille était tout... » ".
Il faut cependant observer que, Nestorius mis à part, l'évêque
d'Alexandrie était, de par l'importance de son siège et son au-
torité personnelle, le personnage le plus considérable et le plus
qualifié pour assumer la présidence de l'assemblée : nous avons
vu que c'est à lui que Jean d'Antioche s'adressait pour excuser
son retard. D'autre part il pouvait se prévaloir du mandat qu'il
avait l'année précédente reçu de Célestin. Dira-t-on que ce
mandat ne concernait que l'exécution de la sentence obligeant
Nestorius à se rétracter ? Il est vrai ; mais il est vrai que le 7 mai
encore, écrivant à Cyrille, le pape lui parle comme à celui qui
le représente au concile. Et les légats de Célestin n'avaient-ils
pas reçu mandat d'agir de concert avec Cyrille, et de s'en re-
mettre à tout ce qu'il déciderait78 ? En fait, dans le procès
verbal de la première session, le nom de Cyrille figure en tête
de la liste des évêques comme « tenant la place de Célestin, le
très saint et vénérable évêque de l'Ãglise des Romains ». On
peut penser que saint Cyrille a agi avec précipitation, voire
â 4 LA VIERGE DE L'ANNONCIATION
L'arc triomphal de Sainte-Marie-Majeure à Rome, édifiée par
Sixte III (432-440) après le concile d'Ephèse, magnifie le dogme
de l'Incarnation et la Vierge Marie en une série de mosaïques
Inspirées soit des évangiles canoniques, soit des apocryphes.
Nous reproduisons ici la Vierge de l'Annonciation : Marie est
assise sur un trône, entre deux anges, vêtue à la manière des
princesses byzantines, tenant en mains l'écheveau de pourpre
qui, selon l'apocryphe, lui échut dans le temple et la fit nom-
mer reine par ses compagnes. Chose étrange : parmi ces
mosaïques (Cliché Anderson) consacrées à l'Incarnation, man-
que la scène de la Nativité.
50 ÃPHÃSE
avec imprudence, il ne semble vraiment pas qu'on puisse parler
d'abus de pouvoir*.
Cependant, l'initiative pouvait étonner : soixante-huit évêques
de diverses provinces, â la plupart d'Asie mineure, â adres-
sent à Cyrille une protestation très ferme, que les Actes grecs
ont passée sous silence : « Que votre Révérence sache que tout
ce que des audacieux auront perpétré avec précipitation, sera
retourné par le Christ Seigneur et les divins canons contre leur
audace et leur présomption » 70.
De son côté, le comte Candidien intervient, et, en vertu des
instructions de l'empereur, demande avec insistance qu'on
attende l'arrivée de Jean et des orientaux, pour que le synode
ne prenne pas l'allure d'un conciliabule privé 80. Candidien n'est
pas écouté.
Première session : déposition de Nestorius.
Malgré ces protestations, le lendemain, lundi 21 juin, quelque
cent cinquante évêques se réunissent autour de Cyrille, Juvénal
de Jérusalem et Memnon d'Ãphèse, « dans la grande église
appelée Marie»**. Candidien est accouru et proteste de nouveau.
On lui demande de communiquer la lettre de Théodose convo-
quant le concile. Candidien s'exécute et donne lecture de la
Sacra. La lecture de ce document étant regardée comme l'acte
* Il est difficile de faire état d'une explication fournie plus tard par
Cyrille : quelques métropolites syriens, devançant leurs compagnons,
seraient arrivés à Ephèse et auraient demandé, de la part de Jean, que,
sans plus attendre, le concile commence aussitôt ses travaux (Cyrille,
Apol. ad Theod. 18 ; PG 76, 412 ; ACO I, i, 3, 83). Les dates données ici
par Cyrille font en effet difficulté, comme l'a relevé Duchesne (Hist.
anc. de FÃgl. III, 353, n. 4). Mais plutôt que de suspecter la loyauté de
saint Cyrille, ne pourrait-on supposer une imprécision ou une confusion
dans ses souvenirs ?
** Cette formule, « église appelée Marie », peut paraître étrange : il
semble cependant ne pas faire de doute qu'il s'agisse d'une église dédiée
à la Vierge, la basilique dont les ruines subsistent encore aujourd'hui. â
On remarquera que l'Evangile était placé sur un trône au milieu de
l'assemblée, signifiant que le Christ lui-même était présent au concile
(Relation des évêques au pape Célestin, ACO I, i, 3, 4).
LE CONCILE D'EPHÃSE 51
officiel d'ouverture du concile, l'assemblée pouvait désormais
se considérer comme siégeant régulièrement, et par conséquent
commencer ses travaux sans plus attendre. Le comte n'a plus
qu'à se retirer. Il se plaindra d'avoir été mis à la porte « impe-
riose et violenter». Le jour même il adresse au concile une
protestation vigoureuse, dont il envoie copie à l'empereur *.
Nestorius n'était pas là : avec six ou sept évêques il avait
refusé de se rendre à la convocation qui lui avait été faite la
veille. Il fait maintenant figure d'accusé et il faut qu'il compa-
raisse pour se justifier des propos hérétiques qu'on lui prête.
A deux reprises on dépêche une délégation d'évêques à la
maison où il était descendu ; ils la trouvent entourée de soldats,
qui leur ferment la porte. Nestorius ne paraît pas, et leur fait
dire qu'il ne viendra que quand tous les évêques seront ras-
semblés.
Acte pris de ce refus, le débat dogmatique va s'engager. Juvé-
nal de Jérusalem, qui en tout ceci tient le devant de la scène,
demande que, selon les saints canons, on donne lecture de « la
foi de Nicée », qui est la règle selon laquelle il faut juger les
doctrines en cause. Lecture faite du Credo des trois cent dix
huit Pères, le prêtre Pierre d'Alexandrie, primicier des notaires,
qui fait fonction de secrétaire du concile, propose qu'on lise la
lettre de Cyrille à Nestorius 81.
Cette lecture faite, Cyrille, intervenant alors pour la pre-
mière fois, demande à l'assemblée de déclarer si elle estime
cette lettre orthodoxe et conforme au saint concile. Tous les
évêques à tour de rôle, Juvénal le premier, déclarent la lettre
de Cyrille conforme à la foi de Nicée: telle est aussi leur foi82**.
* Les Actes grecs passent aussi sous silence cet incident, grave pour-
tant. A les lire, on croirait que la lecture de la lettre impériale a été
faite régulièrement par le secrétaire du concile (ACO I, i, 2, 8). Il faut
les compléter par ce que rappelle la lettre de Candidien, conservée par
le Synodicum de Rusticus.
** Il s'agit d'un vote nominal et public. Une telle procédure, empruntée
au protocole du sénat romain, est déjà attestée par exemple pour le concile
de Carthage de 256, dont nous ont été conservés les votes de quatre-
vingt-sept évêques. Voir P. Batiffol, Ãtudes de liturgie et d'archéologie
chrétienne, Paris, 1919, 84.
52 ÃPHÃSE
Ainsi la lettre de saint Cyrille est solennellement approuvée par
le concile qui y voit l'expression de sa foi.
Puis, à la demande de Palladius d'Amasée, l'assemblée pro-
cède de même à l'égard de la réponse de Nestorius à Cyrille 83 :
lecture du document, et vote des évêques. Tour à tour, et par-
fois en termes violents, tous déclarent la doctrine de Nestorius
blasphématoire et contraire à la foi de Nicée, pour enfin anathé-
matiser bruyamment Nestorius l'impie, Nestorius l'hérétique :
Palladius d'Amasée, après avoir entendu les « blasphèmes »
contenus dans cette lettre, ne peut pas s'empêcher de se bou-
cher les oreilles : il a été pétrifié de stupeur, au point de ne
pouvoir prononcer une parole ! 84.
Tout n'est pas fini cependant. Après que, sur la demande de
Juvénal, le concile eut entendu la lecture de la lettre de Célestin
à Nestorius, Pierre rappelle qu'il a aussi entre les mains une
autre lettre de Cyrille à Nestorius : il s'agit de la troisième
lettre, celle à laquelle étaient joints les anathématismes85 :
Flavien de Philippes demande qu'on lise aussi ces derniers. Cette
fois Cyrille n'intervient pas. La lettre n'est pas l'objet d'un vote,
mais elle est insérée aux Actes du concile (hypomnestica), avec
la lettre de Célestin. Les évêques qui avaient été chargés de
la porter à Constantinople et de la faire tenir à Nestorius, ra-
content comment ils se sont acquittés de leur mandat (30 no-
vembre 430), et comment le patriarche, après les avoir renvoyés
au lendemain, leur a fermé sa porte.
On demande encore à Acace de Mélitène et à Théodote
d'Ancyre de rappeler les propos qu'ils ont entendu tenir Ã
Nestorius dans les conversations qu'ils ont eues avec lui depuis
leur arrivée à Ãphèse. Faisant passer le souci de la vraie foi
avant leur amitié pour le patriarche, les deux évêques racontent
qu'en effet Nestorius a proféré de grands blasphèmes : il ne
faut pas, disait-il, dire que Dieu a été enfanté et allaité par la
Vierge, ni parler d'un Dieu âgé de deux ou trois mois ; autre
est le fils qui a souffert la passion, et autre le Dieu Verbe 86.
Le secrétaire avait encore dans ses dossiers le florilège des
textes patristiques et le recueil d'extraits de Nestorius compo-
LE CONCILE D'ÃPHÃSE 53
ses par Cyrille : il en donne lecture, et Flavien demande qu'ils
soient versés aux Actes. Il en va de même de la lettre d'excuses
de Capréolus de Carthage87.
On porte enfin la sentence : « Notre Seigneur Jésus-Christ,
qu'il a blasphémé, décrète par le Saint Synode ici présent, que
Nestorius est exclu de la dignité épiscopale et de toute assem-
blée sacerdotale ».
Cette sentence, qui porte la signature de cent quatre-vingt-
dix-sept évêques, dont un certain nombre n'ont dû signer
qu'après coup, est notifiée à l'intéressé par une lettre extrême-
ment dure : « Le Saint Synode, réuni dans la métropole d'Ãphèse
par la grâce de Dieu et sur l'ordre de notre très pieux et très
saint empereur, Ã Nestorius, nouveau Judas. Sache que, en rai-
son de tes prédications impies et de ta désobéissance envers les
canons, tu as été déposé par le Saint Synode, le 22 de ce mois
de juin, et que tu n'as plus aucun rang dans l'Ãglise » 88.
L'assemblée pouvait enfin se séparer, après une séance qui
avait duré toute une longue journée d'été. Cyrille exprimait les
sentiments de tous en une lettre qu'il adressait au clergé et au
peuple d'Alexandrie89 :
« Cyrille aux prêtres et aux diacres et au peuple d'Alexandrie,
bien aimés et très désirés, salut dans le Seigneur.
« Il faudrait donner à Votre Piété un récit plus long des
événements, mais les courriers nous pressent, et je vous écris
brièvement. Sachez donc que le 18 du mois de Pauni (22 juin)
le Saint Synode s'est tenu à Ãphèse dans la grande église appe-
lée Marie Theotokos, et qu'après avoir siégé toute la journée
nous avons enfin frappé de déposition et expulsé de l'épiscopat
le malheureux Nestorius, qui avait été condamné et n'avait
même pas osé se présenter devant le Saint Synode.
« Nous étions réunis plus de deux cents évêques. Tout le
peuple de la ville resta là du matin au soir, attendant le juge-
ment du Saint Synode. Quand on apprit que le malheureux avait
été déposé, tous d'une seule voix se mirent à féliciter le Saint
Synode et à rendre gloire à Dieu pour la chute de l'ennemi de
54 ÃPHÃSE
la foi. A notre sortie de l'église, on nous reconduisit avec des
flambeaux jusqu'à nos demeures : c'était le soir ; la joie était
générale et toute la ville illumina ; des femmes marchaient
devant nous avec des encensoirs. A ceux qui blasphèment son
nom, le Seigneur a montré sa toute-puissance.
« Quand nous aurons achevé de rédiger les documents con-
cernant sa déposition, nous nous hâterons de revenir à vous,
avec la grâce de Dieu.
« Soyez tous en joie et santé par la grâce de notre Sauveur.
Je vous souhaite bonne santé dans le Seigneur, bien-aimés et
très désirés » *.
En fait cependant, la situation n'était pas si claire, et les
difficultés allaient commencer : Nestorius et ses partisans adres-
sent à l'empereur une protestation véhémente contre cette
« assemblée barbare » dont ils rendent avant tout responsable
Memnon90. D'autre part, Candidien porte un édit protestant
contre ce qui s'est passé, et affirmant que les décisions prises
ne sont ni légitimes ni valides ; il fait lui aussi son rapport Ã
Théodose 91.
L'arrivée de Jean d'Antioche et le synode des Orientaux.
Les choses se gâtèrent quand, le 26 juin, arriva enfin Jean
d'Antioche avec les évêques de Syrie. Ils sont à peine descendus
de monture, et encore tout couverts de la poussière de la route,
que des envoyés de Cyrille surviennent qui les avertissent de
ce qui s'est passé : Jean refuse de les entendre, et sur le champ,
dans l'hôtel où il est descendu, il tient à son tour un concile qui
dépose Cyrille et Memnon, et excommunie les autres évêques
jusqu'à ce qu'ils viennent à résipiscence. La sentence de dépo-
sition porte une cinquantaine de signatures 92. Jean, lui aussi,
envoie son rapport à l'empereur, aux impératrices, au clergé,
au sénat et au peuple de Constantinople.
* On observera que cette lettre, souvent citée, ne fait aucune allusion
à la Vierge Marie.
LE CONCILE D'EPHÃSE 55
En cette fin du mois de juin 431, Ãphèse présente donc le
pénible spectacle de deux conciles rivaux qui s'excommunient
réciproquement. Des rixes et des bagarres éclatent. Les orien-
taux racontent qu'ayant voulu aller prier dans l'église de Saint-
Jean, ils trouvèrent la porte fermée, et furent chassés à coups
de bâtons et de pierres par les serviteurs de l'évêque ; il y eut
même des blessés 93.
Le 29 juin, un rescrit de Théodose, en réponse au rapport
de Candidien, annule tout ce qui s'est fait le 22, interdit aux
évêques de quitter Ãphèse, et annonce l'arrivée d'un haut fonc-
tionnaire chargé d'enquêter sur les événements et d'empêcher
tout nouveau désordre94.
L'arrivée des légats romains et la reprise du concile.
Dans les premiers jours de juillet arrivent à leur tour les repré-
sentants du pape Célestin. Le 10, le concile se réunit à nouveau
en leur présence dans la demeure épiscopale de Memnon. Les
romains font lire, d'abord en latin, puis en traduction grecque,
« parce qu'il y a beaucoup de saints évêques, nos frères, qui
ne savent pas le latin », la lettre de Célestin au concile.
On acclame Célestin, « le gardien de la foi », et Cyrille :
Célestin pense comme le concile, comme Cyrille ; une est la foi
du concile, une la foi de l'oikouménè 95 *. Le prêtre Philippe
remercie les évêques de cette unanimité dans la foi et dans
l'accord avec « notre saint et bienheureux Pape » : « car Votre
Béatitude n'ignore pas que le bienheureux apôtre Pierre est la
tête de toute la foi comme il l'est des apôtres » 96. Les légats
demandent à être informés de ce qui s'est passé ; on leur remet
les procès-verbaux de la séance du 22 juin.
Le lendemain 11 juillet, les légats qui ont pris connaissance
* Sur le sens et la portée de ces acclamations, qu'on entendra de
nouveau à Chalcédoine, voir Le Concile et les Conciles, 66, n. 8. Elles
apparaissent comme le signe de la présence et de l'action du Saint-Esprit
dans l'assemblée.
58 ÃPHÃSE
des documents, se font lire la sentence de déposition de Nes-
torius. Ils l'approuvent expressément et prononcent solennelle-
ment la déposition de Nestorius ; ils apposeront leur signature
au bas de la sentence 97. Projectus « décrète, avec autorité, que
Nestorius a été condamné ». C'est à ce moment que le prêtre
Philippe prononce les paroles qui ont été reprises par le concile
du Vatican * : « Personne ne doute, bien plus il est connu de
tous les siècles, que le saint et bienheureux apôtre Pierre,
prince et chef des apôtres, colonne de la foi, fondement de
l'Ãglise catholique, a reçu de Notre Seigneur Jésus Christ, sau-
veur et rédempteur du genre humain, les clefs du royaume, et
le pouvoir de lier et de délier les péchés. C'est lui qui jusqu'Ã
maintenant et toujours vit et juge dans ses successeurs ». C'est
la confirmation explicite par le Siège Apostolique de la sentence
portée le 22 juin : Cyrille le reconnaît en termes exprès : « Ils
(les légats romains) ont été établis pour tenir la place du Siège
Apostolique, et du synode des très pieux et saints évêques de
l'Occident, aussi ils ont confirmé de la part du très saint et
pieux évêque Célestin ce qui avait déjà été décidé ». Ces mots
sont très importants pour la théologie et l'ecclésiologie du
concile : les délégués du pape représentent tout l'épiscopat
d'Occident, leur présence atteste donc l'union de l'Orient et de
l'Occident, et suffit à réaliser l'Åcuménicité du concile. Pour
reprendre les termes de Capréolus de Carthage, Nestorius a été
condamné « par l'autorité du Siège Apostolique et la sentence
unanime des évêques » 98.
Le 16, nouvelle séance, « dans l'église appelée Marie ». A
la demande de Cyrille et de Memnon, le concile va s'occuper
de Jean d'Antioche. On suit une procédure identique à celle dont
on a usé pour Nestorius : par deux fois, des délégués lui sont
envoyés, qui reviennent sans avoir été reçus par lui. Le 17,
troisième députation, qui est repoussée encore une fois. Alors
le concile excommunie Jean et une trentaine d'évêques, parmi
IV Session, ch. 2 (DZ 1824, FC 469).
LE CONCILE D'ÃPHÃSE 57
lesquels on relève le nom de Théodoret de Cyr. Les clercs
déposés par Nestorius sont réintégrés dans leur office 94.
On condamne en même temps, en une série de six canons,
tous ceux qui d'une façon ou d'une autre partagent les erreurs
de Nestorius et celle du pélagien Célestius. Une lettre Ã
l'empereur lui rend compte de la sentence portée contre Jean
et les Orientaux 100. Une lettre à Célestin le met au courant de
tout ce qui s'est passé au concile 101.
Il y aura encore une séance le 22 juillet : on y règle une
affaire en soi secondaire, mais qui n'est pas sans rapport avec
le cas de Nestorius : à Philadelphie *, on imposait aux héré-
tiques qui revenaient à l'Ãglise, l'adhésion à un symbole de foi,
venu de Constantinople, et à saveur nestorienne. Ce symbole
avait été déféré au concile par le prêtre Charisius, économe de
l'église de Philadelphie, qui le présente comme venant de Théo-
dore de Mopsueste102. Le concile condamne ce symbole, et en
même temps interdit de composer une autre formule de foi que
celle de Nicée ** ; enfin, il renouvelle solennellement la condam-
nation portée contre ceux qui adhèrent aux doctrines impies de
Nestorius 103. Cette sentence est de nouveau signée par tous
les évêques, Cyrille en tête ; après vient Arcadius, puis Juvénal,
Projectus et Philippe : les légats romains signent en latin.
L'arrivée du comte Jean et Tarrestation de Cyrille, Memnon
et Nestorius.
On pourrait croire que tout était fini, que les choses allaient
en rester là , et les évêques se séparer. Il n'en était rien, hélas !
Le « concile » des Orientaux était toujours réuni, se considérant
* En Lydie (cf. Ap 1, 11) ; aujourd'hui Alaschir, en Turquie d'Asie.
** On verra plus loin comment cette décision sera exploitée à Chalcé-
doine par les adversaires de la définition dogmatique. En fait, l'interdic-
tion dÃphèse doit être comprise dans son contexte historique, et ne
prétend pas interdire tout développement dogmatique. Voir M. Jugie, Le
décret du Concile sur la formule de foi et la polémique anticatholique
en Orient, dans Echos d'Orient, 34 (1931), 257-270.
58 ÃPHÃSE
comme seul légitime ; il avait excommunié Cyrille et son con-
cile ; il en avait appelé à l'empereur, qui avait annoncé l'ou-
verture d'une enquête.
Au début d'août, arrive à Ãphèse le comte Jean, cornes sacra-
rum largitionum (quelque chose comme le ministre des finances),
porteur d'une lettre impériale adressée aux évêques des deux
conciles, â le premier nommé est Célestin ; cette lettre déposait
Nestorius, Cyrille et Memnon, et invitait les évêques à rentrer
dans leur patrie, « en paix et en concorde » 104. Le lendemain,
après de vains pourparlers et de vives protestations des Cyril-
liens, Jean fait mettre en état d'arrestation Nestorius, Cyrille
et Memnon, qui devront rester sous bonne garde dans leurs
demeures respectives : Memnon est ainsi prisonnier dans son
palais épiscopal105. On admirera cette mesure policière, qui,
pour arbitrer une querelle, commence par faire arrêter les anta-
gonistes, sans chercher à savoir qui d'entre eux a tort ou a
raison !
Dernières tractations théologiques et dissolution du conçue.
Alors commence une histoire bien enchevêtrée, â que nous
ne raconterons pas en détail, car elle n'intéresse plus directement
le concile, â de protestations et de lettres, de délégations et
de démarches à Constantinople, d'intrigues auprès de la cour :
Cyrille intervient et fait intervenir auprès des princesses, au-
près des hauts dignitaires de la cour, auxquels il fait envoyer
des présents et de l'or. Une lettre d'Ãpiphane, archidiacre et
syncelle de Cyrille, à Maximien, le nouvel évêque de Constan-
tinople, lui signale les personnages auprès desquels il faut agir,
et indique les cadeaux (« eulogies ») qui ont été envoyés aux
uns et aux autres : tissus et tapis précieux, meubles d'ivoire,
des autruches, et de l'or en quantités énormes106 *. En
* Ce trait est assurément un de ceux qui font le moins honneur Ã
la mémoire de saint Cyrille. C'est à ce propos que Tillemont fait la
réflexion que nous avons rapportée plus haut, 35 * *.
LE CONCILE D'ÃPHÃSE 59
même temps se tiennent à Chalcédoine des conférences
théologiques.
Nous retiendrons cependant qu'à Ãphèse les Orientaux sou-
mirent au représentant de l'empereur une profession de foi
dans laquelle ils déclarent « confesser Notre Seigneur Jésus-
Christ, fils unique de Dieu, Dieu parfait et homme parfait (com-
posé) d'une âme raisonnable et d'un corps, engendré du Père
avant les siècles selon la divinité, et aux derniers jours de la
Vierge Marie selon l'humanité, consubstantiel au Père selon la
divinité, consubstantiel à nous selon l'humanité. Des deux na-
tures l'union s'est faite ; c'est pourquoi nous confessons un seul
Christ, un seul Fils, un seul Seigneur. En raison de cette notion
d'union sans confusion, nous confessons que la Sainte Vierge est
Mère de Dieu, Theotokos, puisque le Verbe de Dieu s'est incarné
et s'est fait homme, et que, dès sa conception, il s'est uni le
temple qu'il a pris d'elle » 107 *. Concession importante sur le
fond du problème ; mais les difficultés proprement théologiques
n'étaient pas aplanies : les Orientaux réclament la condamnation
des capitula de Cyrille. Ils n'auront pas gain de cause.
Enfin, en septembre, Théodose prononce la dissolution du
concile, et invite les évêques à rentrer chacun chez soi : seuls
sont exceptés Cyrille et Memnon, considérés comme déchus de
l'épiscopat108. Un autre édit leur permettra bientôt de partir109 :
Cyrille d'ailleurs, sans attendre, avait réussi à s'échapper n° ; il
était à Alexandrie le 30 octobre, reçu en triomphateur par toute
la ville ! Nestorius, qui avait été reconduit à son monastère
* Il n'est pas impossible que, comme le pensent beaucoup d'auteurs,
Théodoret ait collaboré à la rédaction de ce texte, qu'on appelle quelque-
fois le symbole d'Ephèse. En tout cas, l'évêque de Cyr a, quelques mois
plus tard, repris littéralement une partie importante de ce texte dans une
lettre aux moines d'Orient (Ep. 151, PG 83, 1420). On notera toutefois
que dans cette lettre il omet de reproduire les dernières lignes du passage
cité, sur le theotokos (cf. H. Diepen, Les Trois Chapitres au Concile de
Chalcédoine, 35-36. Il nous semble que Dom Diepen est trop absolu
quand il nie purement et simplement que ce texte ait pu être rédigé
par Théodoret).
60 ÃPHÃSE
d'Antioche, fut remplacé sur le siège de Constantinople par
Maximien. Plus tard, comme il continuait à s'agiter à Antioche,
on l'exila à Pétra en Idumée, puis, quelques années après, dans
la Grande Oasis, au désert de Libye. Il y vivait encore aux
approches de 451.
CHAPITRE IV
LE DOGME D'ÃPHÃSE
Le vrai concile dCÃphèse ?
Il n'est pas facile d'apprécier équitablement le concile
d'Ãphèse : si on lit les historiens modernes, on ne peut manquer
d'être frappé de la diversité de leurs jugements. Les uns n'y
voient qu'une assez triste affaire, dont ils étalent avec complai-
sance les petits ou les vilains côtés ; certains ne parlent-ils pas
du «brigandage d'Ãphèse», qui ne vaudrait pas mieux que
celui de 449 ? D'autres au contraire voient dans le concile de
431 la victoire éclatante de la pure vérité sur une abominable
hérésie, l'exaltation glorieuse de la Theotokos, et la définition
triomphale de la maternité divine de Marie.
La réalité est sans doute plus complexe que ces dénigrements
systématiques et que ces apologies faciles. L'historien se de-
mande si, d'un côté comme de l'autre, il n'est pas en face de
simplifications quelque peu arbitraires.
Nous avons raconté les faits, en nous tenant au ras des textes
et en essayant de ne pas en réduire ou en exagérer la portée.
Il eût été facile de noircir le tableau *, de souligner en toute
* Un Duchesne, par exemple, a cédé non sans complaisance à cette
tentation (Hist. anc. de VEgl., III, ch. x). Il n'y dissimule pas son anti-
pathie pour Cyrille, et sa sympathie pour Nestorius, victime de la « tragé-
die » montée par le « Pharaon » d'Alexandrie !
62 ÃPHÃSE
cette histoire l'aspect « humain, trop humain » de l'Ãglise, les
jeux de la politique ecclésiastique, ou ceux de la politique im-
périale, qui fut parfois bien maladroite, les querelles doctri-
nales, qui ne furent après tout que de mauvaises querelles, â
puisque la grande majorité des Orientaux ne faisait aucune diffi-
culté à accepter le theotokos, et que Nestorius lui-même avait
fini par y consentir, â les ambitions ou les rivalités personnelles,
l'autocratisme et les violences de Cyrille... et le spectacle
affligeant de ces deux conciles rivaux. Quel fut donc le vrai
concile d'Ãphèse ? Et quel fut le résultat positif, l'apport dans
le développement du dogme chrétien, de ces débats en appa-
rence stériles ? Les évêques se sont excommuniés réciproque-
ment ; on a déposé et exilé Nestorius ; mais on n'a rien voulu
définir. Qu'a-t-on défini en fait ?
Il faut d'abord répondre à la première question : quel est
le vrai concile d'Ãphèse ? celui que Cyrille a tenu le 22 juin,
dans les conditions que nous avons dites : ouverture précipitée,
avant que tous les évêques ne fussent arrivés, lecture de la
lettre impériale extorquée au malheureux Candidien, sentence
obtenue sans peine d'une majorité faussée ? â ou le concile de
Jean d'Antioche et des Orientaux, qui pouvait au moins se pré-
senter comme une revendication de la justice et de la vérité,
se prévaloir de l'appui de Candidien et de l'empereur, et qui
aussi, lors de l'intervention du comte Jean, fit preuve de plus de
souplesse et d'esprit de conciliation que le synode de Cyrille ?
Que les procédés de Cyrille aient été discutables, et cho-
quants pour un esprit moderne, nul ne peut en disconvenir.
Mais quant à la validité des délibérations de son assemblée,
deux choses sont à considérer. D'abord, Cyrille agissait comme
mandaté par Célestin. De plus, et surtout, c'est à Cyrille immé-
diatement que, dès leur arrivée à Ãphèse, se joignent les en-
voyés de Célestin, à lui qu'ils remettent les lettres du pape :
la présence des légats romains suffit à assurer au concile de
Cyrille l'Åcuménicité que n'aura pas le synode des Orientaux.
LE DOGME D'EPHÃSE 63
C'est le concile de Cyrille et non pas celui de Jean, qui corres-
pond avec le pape1U. C'est lui enfin qui sera approuvé solen-
nellement, non par Célestin, mort le 27 juillet 432, mais par
son successeur Xyste III m.
On ajoutera encore ceci : s'il faut tenir compte du « sens de
l'histoire », et de l'histoire de l ' Ãglise, c'est dans le concile de
Cyrille que l'Ãglise s'est toujours reconnue, et qu'elle a reconnu
l'expression de sa foi. Pour nous en tenir aux seuls documents
de l'antiquité, il nous suffira de faire allusion à tels mots de
saint Léon ou du concile de Chalcédoine : « Que demeure ce
qui a été statué contre Nestorius par le premier concile
d*Ãphèse, auquel a présidé l'évêque Cyrille, de sainte mé-
moire » 113. « Nous gardons les ordonnances et toutes les for-
mules de foi du saint synode qui s'est tenu jadis à Ãphèse
sur l'autorité de Célestin de Rome et de Cyrille d'Alexandrie,
tous deux de sainte mémoire...» m. Cette réflexion devrait,
nous semble-t-il, suffire à dirimer le débat.
La condamnation de Nestorius.
Mais le concile a-t-il défini une doctrine ? Le seul document
formel qui émane du concile n'est-il pas la déposition de Nes-
torius, et, ultérieurement, la condamnation de Jean d'Antioche
et de ses partisans ? Il est vrai que si l'on fait le bilan de
ces longs débats, on pourrait les réduire aux quelques lignes
de la sentence de déposition de Nestorius. Le résultat positif
du concile ne serait-il donc qu'une décision purement discipli-
naire, et, pour ainsi dire, de simple politique ecclésiastique ?
On pourrait être tenté de le croire.
Observons toutefois que le patriarche de Constantinople était
un homme parfaitement honorable, qui ne faisait scandale ni
dans sa vie privée ni dans son administration épiscopale, Ã
qui ne pouvaient être reprochés que des écarts de langage, et
un zèle peut-être excessif à pourchasser les hérétiques. Tout cela
était en somme moins grave encore que ce que les ennemis de
64 ÃPHÃSE
saint Jean Chrysostome avaient jadis reproché à celui-ci. Pour-
quoi donc a-t-on déposé Nestorius ? Ãtait-ce vraiment la peine
de rassembler ainsi les prélats de tout l'empire, et les repré-
sentants de l'évêque de Rome, et d'appeler jusqu'à Augustin de
sa lointaine Afrique ? N'était-ce que pour faire le jeu des ambi-
tions du neveu de Théophile, jaloux lui aussi d'abaisser un
rival ?
Mais, comme on l'a remarqué, c'est à l'instigation de Nesto-
rius lui-même que Théodose a convoqué ce concile qui devait
se retourner contre le patriarche, et il s'agissait tout autant de
faire condamner les anathématismes que de faire acclamer le
theotokos. De plus, nous l'avons aussi souligné, on ne voit rien,
ni dans les textes, ni dans les faits, qui fasse penser à une riva-
lité d'ambitions ou d'influences entre Alexandrie et Constanti-
nople, ou à une machination de politique ecclésiastique comme
vingt-cinq ans plus tôt, du temps de Théophile et de Jean.
La sentence de déposition de Nestorius, à laquelle en effet
peut se réduire toute cette affaire, nous apportera peut-être la
réponse. Nestorius est déposé « à cause de ses sentiments et
de ses prédications impies », pour avoir « blasphémé le Christ ».
A la séance du 11 juillet, après avoir pris connaissance de ce
qui s'était passé le 22 juin, le prêtre romain Philippe remarque
que le concile a été réuni « pour que la foi catholique, qui a
été gardée depuis les siècles et jusqu'à présent, demeure Ã
jamais inébranlée ». Et l'évêque Projectus déclare que Nestorius,
« l'ennemi de la foi et le corrupteur de la vérité », a été con-
damné « pour ses audaces contraires à l'enseignement évangé-
lique et apostolique » 115. C'est donc bien pour des raisons
doctrinales que Nestorius a été condamné.
L'EMPEREUR THEODOSE II âº
Détail d'une monnaie d'or (B. N. Paris), agrandie 2500 fois. Le
prince porte le casque, la cuirasse, le paludamentum, le bou-
clier et la lance. (Cliché Orante-Bablin).
Or*""
LE DOGME D'ÃPHÃSE 65
Une définition dogmatique ?
Raisons doctrinales, mais encore ?
Le concile a déposé Nestorius pour avoir « blasphémé le
Christ » : cela reste bien sommaire, et purement négatif. On
en pourrait dire tout autant des « canons » promulgués lors de
la session du 17 juillet. Est-il possible de chercher plus loin et
de se demander quelles furent ces raisons doctrinales, et quel
est l'apport positif du concile au développement du dogme chré-
tien ?
En fait, le concile n'a pas voulu proposer ou rédiger une
autre « foi » que celle qui a été définie par les saints Pères
réunis, avec le Saint Esprit, à Nicée : la « foi de Nicée » doit suf-
fire à écarter et à réprimer toutes les erreurs qui pourront jamais
surgir. De même, quand, au cours des tractations qui suivent
le concile, les Orientaux confessent leur foi en une formule que
nous avons citée, ils se défendent de rien ajouter et de rien
changer à la foi de Nicée. Ainsi encore saint Cyrille explique-t-il
à Acace de Bérée : c Nous avons tenu des synodes pour la seule
vraie foi, confirmant ce qui avait été défini à son sujet par les
saints Pères de Nicée, couronnant unanimement ce grand et
saint concile comme ayant promulgué une définition exacte et
bien tournée de la foi irréprochable » 116. Le fait est révélateur
de l'autorité singulière que l'Ãglise ancienne a toujours reconnue
au premier concile Åcuménique.
Le concile n'a donc promulgué ni symbole ni canons doc-
trinaux. Il est facile cependant de trouver l'expression positive
et authentique de sa pensée dans la lettre de saint Cyrille qui
a été lue et solennellement approuvée. On en pourra lire plus
4 LETTRE DE SAINT CYRILLE A NESTORIUS
Deuxième lettre de saint Cyrille à Nestorius, dite
KaTatpXuapoOai, tirée du manuscrit Vaticanus Graecus 504,
fol. 149, col. 1, datant du iv s. : écriture très régulière, avec
beaucoup d'abréviations. (Cf. ACO I, i, 7, p. VIII). (Cliché
Bibl. Vattcane).
66 ÃPHÃSE
loin le texte complet. Nous en rappelons ici les affirmations
essentielles m :
La nature (physis) du Verbe n'a subi aucun changement pour
devenir chair. Le Verbe s'est uni selon Thypostase une chair
animée d'une âme raisonnable. Il s'est appelé fils de l'homme,
non par volonté ou complaisance, ou par l'assomption d'un
prosôpon. Les natures différentes se sont rencontrées en une
unité véritable, et des deux (il s'est fait) un seul Christ et un
seul Fils. La différence des natures n'est pas supprimée par
l'union, mais la rencontre ineffable de la divinité et de l'huma-
nité réalise pour nous un seul Christ. Le Verbe lui-même est
né de la Vierge, puisqu'il s'est approprié la nature de sa propre
chair. Ce n'est pas la nature du Verbe qui a souffert, mais
puisque son propre corps a souffert, on peut dire qu'il a souf-
fert et est mort pour nous. Nous disons un seul Christ et Sei-
gneur, non pas que nous adorions un homme avec le Verbe,
mais nous adorons un seul et même Christ. Refuser l'union
selon Thypostase, cela revient à dire deux fils. L'Ãcriture ne
dit pas que le Logos s'est uni le prosôpon d'un homme, mais
qu'il s'est fait chair. Aussi les Pères appellent-ils Marie Mère
de Dieu, Theotokos.
Ce sont toutes ces grandes thèses de la théologie cyrillienne
que le concile reprend à son compte. Sans doute, l'évêque
d'Alexandrie les avait-il formulées expressément contre les affir-
mations de Nestorius. Sans doute encore ne saurait-on dire que
chacune des phrases, chacun des mots de ce long texte ont été
formellement approuvés par le concile, comme il en sera des
définitions de Trente et du Vatican qui n'ont été approuvées
qu'après de patientes et minutieuses discussions. Mais, dépassant
le cas particulier de Nestorius et les détails du texte, dont cer-
taines formules en effet auront encore besoin d'être expliquées et
précisées, on peut dire que la lettre de Cyrille, prise dans son
ensemble, représente l'expression authentique de la foi du con-
cile; après Ãphèse, toute la tradition catholique l'assumera Ã
son tour. Nous verrons même la définition de Chalcédoine re-
LE DOGME D'EPHÃSE 67
prendre quelques-unes des formules les plus caractéristiques de
la lettre de Cyrille.
Le concile entendit aussi la lecture de la seconde (3e) lettre
à Nestorius, celle à laquelle étaient joints les anathématismes.
L'a-t-il aussi approuvée ? a-t-il approuvé et canonisé les ana-
thématismes ?
A s'en tenir simplement aux textes, et sans entrer dans un
débat qu'on a peut-être trop passionné, deux choses sont claires.
Après la lecture de la première lettre, Cyrille avait expressément
demandé l'avis du concile, et celui-ci s'était déclaré de la façon
solennelle que nous avons rapportée ; ici Cyrille ne dit rien,
le concile ne semble pas réagir, aucun vote n'intervient. Le
procès-verbal de la séance dit seulement qu'après lecture de
cette lettre, elle fut, comme l'avait demandé Flavien de Philippes,
insérée dans les Actes118. Cyrille a-t-il voulu ici, comme le
pensent certains *, esquiver la discussion d'un texte, les ana-
thématismes, dont les formules pouvaient heurter certains
évêques ? C'est possible : nous l'avons vu en effet, ce sont les
anathématismes, beaucoup plus que le theotokos ou la déposi-
tion de Nestorius, qui provoqueront, et longtemps encore, l'op-
position tenace des Orientaux. Quoi qu'il en soit des intentions
de Cyrille et de cette interprétation de son silence, on ne peut
pas dire que les anathématismes aient été approuvés par le
concile d'Ãphèse, comme l'avait été la lettre précédente.
Cependant, le concile ne les a pas non plus repoussés ! II
ne faut peut-être pas trop arguer du fait que la lettre et les
capitula ont été portés aux Actes, et voir là comme une sorte
d'approbation : les extraits de Nestorius ont été aussi insérés
dans les Actes ! et la lettre pourrait ne l'avoir été qu'à titre
purement documentaire. Toutefois, en tenant compte de l'en-
semble des faits, du contexte, et, si l'on peut dire, de l'atmos-
phère et du climat de l'assemblée, il est permis de penser que
pris en bloc, et au delà des formules propres à Cyrille qui
* Par exemple, G. Jouassard, dans Maria, I, 129, n. 34.
68 ÃPHÃSE
auront encore besoin d'être précisées, les anathématismes repré-
sentent la pensée du concile. Nous dirons un mot plus tard de
la question, bien controversée également, de l'acceptation des
capitula par le concile de Chalcédoine. Quoi qu'il en soit de ce
dernier problème, il est certain que le 2e concile de Constan-
tinople les a retenus comme venant du concile d'Ãphèse 119, et
que toute la tradition les a considérés comme l'expression de la
foi catholique telle qu'elle avait été définie à Ãphèse *.
Il nous semble que ce serait être infidèle au « sens de l'his-
toire » comme au sens de la tradition, que de ne pas être sen-
sible à ce fait, la tradition vivante de l'Ãglise faisant sien un
document dont la critique peut discuter l'origine et la valeur
native, mais où elle, l'Ãglise, reconnaît, décantée d'éléments
peut-être discutables en effet, l'expression de sa foi.
Marie, « Mère de Dieu ».
Le concile d'Ãphèse a-t-il défini le theotokos?
Une critique exigeante, qui veut s'en tenir aux documents et
aux textes, et craint toujours d'en majorer la portée, n'accepte-
rait pas de le dire sans nuances. A lire les comptes rendus des
débats du concile, on n'y trouve aucune définition dogmatique,
au sens formel, de la maternité divine **. Cependant, ici encore,
* Dans son dernier ouvrage, le regretté Dom H. Diepen fait remarquer
justement que les anathématismes ne sont pas la définition dogmatique
du concile d'Ãphèse (Douze Dialogues de Christologie ancienne,
234). Mais il nous paraît tirer des textes plus qu'ils ne contiennent
lorsqu'il ajoute : « Ils sont le formulaire que Nestorius aurait dû signer,
et le concile a déposé l'hérésiarque pour avoir refusé de se rendre à cette
exigence » (ib., et cf. 82-94). Nulle part on ne voit une allusion à « ce
formulaire que Nestorius aurait dû signer ».
** Les lettres par lesquelles le Pape Pie XI annonçait son intention
de célébrer le quinzième centenaire du concile d'Ephèse mentionnaient
à plusieurs reprises la définition solennelle (solemniter decretum) par le
concile de la maternité divine de Marie (AAS 23, 1931, 10-12). Au
contraire, l'encyclique Lux veritatis (25 décembre 1931) rappelle que le
dogme de la maternité divine est une conséquence nécessaire du dogme
de l'union hypostatique tel qu'il a été défini à Ephèse, mais ne
fait plus allusion à une « définition » par le concile de cette maternité
(ib., 511 et suiv.).
LE DOGME D'ÃPHÃSE 69
il faut tenir compte du contexte et de l'atmosphère. Saint Cyrille
le dira en termes très heureux : « Toute cette dispute sur la
foi n'a été engagée que parce que nous étions fermement con-
vaincus que la Sainte Vierge est Mère de Dieu » 120. Sans doute,
au moment où se tenait le concile, Nestorius s'était-il, depuis
plusieurs mois déjà , relâché de son intransigeance à l'égard du
theotokos, et il se montrait prêt à l'accepter, moyennant quel-
ques explications : « Pour moi, écrivait-il à Célestin, je ne
m'oppose pas à ceux qui veulent employer ce mot de theotokos,
si on ne lui fait pas signifier la confusion des natures, selon
la folie d'Apollinaire et d'Arius » 121. Mais il reste vrai que c'est
son refus qui avait déclenché toute la querelle, et que, malgré
ses concessions quant au mot, sa christologie ne pouvait com-
prendre le sens profond de la maternité divine, et c'est cette
christologie qui fut condamnée.
D'autre part, la lettre de saint Cyrille, qui peut être prise
pour l'expression de la foi du concile, enseigne que le Verbe est
né selon la chair du sein maternel, et rappelle que « les saints
Pères n'ont pas craint d'appeler la Sainte Vierge Theotokos»,
« parce que d'elle est né le saint corps auquel le Verbe s'est
uni selon l'hypostase, et qu'on peut dire que le Verbe est né
d'elle selon la chair » 122. Si ce n'est pas là une définition for-
melle au sens précis du mot, â telle qu'aurait pu être par
exemple l'approbation authentique du premier anathématisme,
â on ne peut nier que ce soit un enseignement explicite de la
maternité divine de Marie, en sa liaison avec le mystère de
l'union hypostatique. Cette dernière précision nous paraît spé-
cialement importante, du point de vue de l'histoire du dogme :
le Concile n'a pas seulement repris à son compte et approuvé la
dévotion chrétienne à la Theotokos, il en a montré le fondement
dogmatique, le mystère du Verbe incarné.
Nous faisons entièrement nôtre ici la conclusion de Mgr
Jouassard : « De fait, elle (la maternité divine) n'y fut (à Ãphèse)
aucunement proclamée, si l'on veut entendre proclamation en
70 EPHESE
règle, définition ut sic. Il n'y eut aucune définition de cette
sorte à Ãphèse. On se refusa systématiquement à ajouter quoi
que ce soit au symbole de Nicée. L'opinion toutefois ne s'égara
guère en tenant les décisions du concile pour l'équivalent d'une
définition. La condamnation de Nestorius en particulier donne
l'impression d'un triomphe remporté par la Sainte Vierge sur
celui qui avait voulu attenter à sa gloire. C'est bien pourquoi
depuis ce temps-là le titre de Theotokos n'a jamais plus été
contesté à Marie dans l'Ãglise » *.
Quand le successeur de Célestin, Xyste III (432-440), recons-
truisit la basilique libérienne, il la dédia à Sainte Marie**,
comme l'était déjà la « grande église » d'Ãphèse où s'était tenu
le concile. La mosaïque de l'arc triomphal magnifie le dogme
de l'incarnation et la Vierge Mère : visiblement le pape qui
avait confirmé le concile voulait par le jeu des images, de la
couleur et de la lumière, traduire aux yeux du peuple chrétien
le dogme d'Ãphèse ***.
L'union de 433 : la foi commune de FÃglise.
Ces résultats positifs, dont on ne saurait méconnaître l'im-
portance, nous sont apparus à la lumière de la tradition de
l'Ãglise, dont le développement éclaire les origines. Mais ces
résultats n'étaient pas aussi visibles en cet automne 431, au
moment où Théodose déclarait le concile dissous, et où les
* Dans Maria, I, 135 : La phrase soulignée l'est par nous. L'auteur
ajoute en note : « On ne saurait donc du point de vue strictement cano-
nique parler de proclamation qui serait intervenue à Ephèse du dogme
de la maternité divine.
« Pratiquement, il y a eu quelque chose de ce genre (d'une définition),
Ãmisque le Theotokos est expressément proposé comire la doctrine catho-
ique par la lettre KaTaçXuapoûm et que cette lettre a été solennelle-
ment approuvée par l'assemblée ».
** « VIRGO MARIA TIBI SIXTUS NOVA TEMPLA DICAVI » (de
Rossi, Inscr. christ. II, 1, 71). â G. Wilpert, La procîamazione efesina
e i mosaici delia basilica di S. Maria Maggiore, dans Analecta Sacra
Tarraconensia, 7 (1931), 197-213.
*** Cf. Pie XI, Encycl. Lux Veritatis, loc. cit., 515.
LE DOGME D'EPHÃSE 71
évêques rentraient chez eux. La situation restait confuse : sans
doute, Cyrille recevait à Alexandrie un accueil enthousiaste ;
sans doute aussi Nestorius était déposé et remplacé sur le
siège de Constantinople ; mais Jean d'Antioche et les Orientaux
restaient sur leurs positions : eux aussi pouvaient se croire vain-
queurs ; et surtout l'opposition des deux théologies en présence,
â Antioche et Alexandrie, â restait irréductible.
Sans entrer dans les détails d'une histoire qui n'intéresse plus
immédiatement le concile d'Ãphèse, nous ne ferons ici qu'évo-
quer les efforts sincères de tous : les instances de Jean d'An-
tioche, les interventions du vénérable Acace de Bérée et de
saint Siméon le Stylite, la mission à Alexandrie de Paul d'Emèse,
la bonne volonté de Cyrille et l'esprit de conciliation qu'il
montre désormais, aboutissent en avril 433 à un accord.
Jean écrit à Cyrille * pour lui exprimer son désir d'entente et
d'union, et lui propose une déclaration qui exprime la foi
unanime des Orientaux. Ce texte est repris de la lettre des
Orientaux à Théodose (août 431), à laquelle il a déjà été fait
allusion : « Des deux natures l'union s'est faite ..., et à cause
de cette union sans confusion, nous confessons que la Sainte
Vierge est Theotokos, parce que le Verbe de Dieu s'est fait
chair et s'est fait homme » 123.
A cette formule qui, nous l'avons dit, vient peut-être de
Théodoret, et qui affirme tout simplement la foi à l'incarnation
et à la maternité divine de Marie **, Jean ajoute une précision
significative : il faut distinguer les natures, â « distinguer les
affirmations évangéliques selon les natures », et ceci va directe-
ment contre le quatrième anathématisme de saint Cyrille ; â
mais les unir en les rapportant à une seule personne (prosôpon),
et ceci est une importante concession des antiochiens ***.
* Cf. Texte VI, p. 209.
** On remarquera que Jean dit theotokos (Mère de Dieu) sans y
ajouter le contrepoids nestorien d'anthropotokos (mère de l'homme).
*** Duchesne minimise injustement la portée de cette addition, « ajou-
tée pour la circonstance » (Hist. anc. de i£gl., III, 377).
72 ÃPHÃSE
Enfin les Orientaux anathématisent Nestorius et acceptent sa
déposition 124. Le seul Théodoret refusera, jusqu'à Chalcédoine,
d'abandonner Nestorius et de le condamner.
Saint Cyrille adhéra avec enthousiasme à la proposition de
Jean : « Que les cieux se réjouissent et que la terre exulte... ».
Il reprend à son compte la formule des Orientaux et y ajoute un
long commentaire fait de textes bibliques. Il n'emploie plus les
expressions contestées : « l'unique nature... », « l'union phy-
sique », « selon l'hypostase » ; il ne fait plus allusion aux ana-
thématismes que trois ans auparavant il voulait faire souscrire
à Nestorius *125.
Le pape Xyste adresse à Cyrille et à Jean de chaleureuses
lettres de félicitations : Sans faire allusion à la profession de
foi, il parle seulement de Nestorius, « qui prêchait le Christ né
seulement comme un homme, et supprimait le mystère de l'in-
carnation »128. Ces félicitations sont une approbation, au
moins implicite, de la formule sur laquelle s'était faite l'union m.
Dix-huit ans plus tard, le concile de Chalcédoine cano-
nisera solennellement la lettre de Cyrille, lui conférant par lÃ
toute l'autorité d'un document dogmatique. Mais même si elle
n'avait pas été ainsi canonisée par un concile oecuménique,
cette lettre de saint Cyrille est aussi importante que les défi-
nitions portées à Ãphèse ; car elle exprime, en dégageant des
controverses d'école, la foi commune de l'Ãglise au Verbe in-
carné et à la Theotokos.
Ne dissimulons pas les problèmes que pose le concile
d'Ãphèse au théologien aussi bien qu'à l'historien et la diffi-
culté d'apprécier équitablement cette « tragédie lamentable et
compliquée ». Ces mots, que nous empruntons à Mgr Duchesne,
traduisent bien l'impression que laisse à beaucoup l'histoire du
concile.
Bossuet cependant était d'un tout autre avis : « Bien que le
concile d'Ãphèse soit un de ceux dont la procédure est la plus
Cf. Texte VII, p. 211.
LE DOGME D'ÃPHÃSE 73
régulière et la conduite la plus sage, en sorte que la majesté
de l'Ãglise catholique n'éclate nulle part davantage et qu'un
si heureux succès de cette sainte assemblée soit dû principa-
lement à la modération et à la capacité de saint Cyrille, nous
avons déjà remarqué que les hérétiques anciens et modernes
n'ont rien oublié pour décrier le concile et saint Cyrille son
conducteur » *.
Il est vrai que, de nos jours encore, bien des esprits, et même
de bons esprits, qui ne sont pas tous des hérétiques, loin de là !
sont portés à juger sévèrement, voire à « décrier » la conduite
de saint Cyrille en toute cette affaire, et par là le concile lui-
même.
Mais Bossuet de son côté n'est-il pas trop optimiste ? Parler
comme il le fait, de « la procédure la plus régulière », de c la
conduite la plus sage », ou de « la modération » de saint Cyrille,
n'est-ce pas fermer les yeux à l'évidence des faits, tels qu'ils
nous sont apparus au long du récit que nous avons essayé d'en
faire ? N'est-il pas plus conforme à la vérité de ne pas taire
tant de maladresses ou d'erreurs, voire de fautes, et de dire que
si les protagonistes de cette « tragédie » avaient montré plus de
« capacité » et agi avec plus de « modération », nombre de
pénibles complications et de conséquences désastreuses auraient
pu être évitées ?
Cependant on aurait tort de s'en tenir à cette vue trop exté-
rieure des choses. L'histoire de l'Ãglise ne peut s'apprécier en
toute sa vérité qu'au regard de la foi, qui seule peut en juger
de l'intérieur. Alors se dévoile comme une nouvelle dimension
des événements, et sous leur apparente incohérence se révèle
en profondeur la continuité de la vie de l'Ãglise et « la majesté
de l'Ãglise catholique ». Faisant allusion aux influences poli-
tiques qui trop souvent ont joué dans les conciles, l'historien du
concile de Trente, H. Jedin, remarque que « seule une concep-
tion superficielle de l'histoire » verrait dans ces incidences poli-
* Remarques sur l'Histoire des Conciles de M. Dupin, ch. IL
74 ÃPHÃSE
tiques l'essentiel de l'histoire des conciles. Et il ajoute : « Il
ne serait pas moins superficiel de négliger, dans la succession
ininterrompue des faits historiques, ce qui demeure, ce qui en
est l'élément permanent. Ce qui persiste, c'est la collaboration
de la tête et des membres du Corps mystique du Christ dans
l'affirmation d'une foi commune et dans l'accomplissement des
tâches que le Christ a imposées à ses apôtres et à leurs succes-
seurs » *. Et l'historien rappelle les paroles de Jésus aux
apôtres : « Allez, enseignez..., je suis avec vous tous les jours
jusqu'à la consommation des siècles » 128.
Car à Ãphèse ou à Nicée, comme à Trente ou au Vatican,
c'est bien de l'exercice du magistère de l'Ãglise infaillible qu'il
s'agit, même quand c'est un Théodose II qui convoque le con-
cile à l'instigation de Nestorius, ou quand Cyrille, outrepassant
peut-être le mandat qu'il avait reçu, ouvre les débats sans
attendre l'arrivée des Orientaux ni même celle des légats de
Célestin, et fait condamner Nestorius sans l'entendre.
Se référant aux débats passionnés des conciles de Trente
et du Vatican, H. Jedin reprend : « Que dans un concile on
se comporte souvent d'une manière très humaine, n'est pas une
objection valable contre son autorité, mais une confirmation de
la liberté qui y règne » 129. Nous ajouterions : et un signe du
mystère de l'Ãglise.
Si l'on peut se permettre ce rapprochement, il y aurait une
conception inconsciemment monophysite de l'histoire de l'Ãglise,
qui refuserait d'en avouer l'aspect humain, voire les faiblesses
trop humaines, â il y aurait aussi une conception nestorienne,
qui ne verrait de cette histoire que l'aspect « humain, trop
humain », oubliant ainsi que c'est l'histoire de l'Ãglise de Jésus-
Christ, Ãglise que ne cesse d'habiter et d'animer l'Esprit pro-
mis par Jésus.
A Ãphèse, cette histoire humaine et divine à la fois aboutit
à une définition dogmatique à laquelle étaient liées les plus
* H. Jedin, Brève histoire des conciles, trad. fr., Paris, 1950, 200.
LE DOGME D'ÃPHÃSE 75
hautes valeurs religieuses et tout le réalisme de notre salut.
On pourra bien dire que c'est la théologie de saint Cyrille qui a
triomphé, mais c'est qu'elle exprimait au mieux le mystère du
Verbe incarné *.
* Duchesne, mieux inspiré cette fois, a su trouver d'heureuses for-
mules pour opposer au rationalisme et au moralisme de Nestorius « le
souffle qui anime la théologie de saint Cyrille ». « Sa passion pour l'unité
du Christ tenait aux fibres les plus intimes de la mystique orientale »
(Ãglises séparées, Paris, 1896, 38-40) ; disons mieux : de la foi et de la
piété chrétiennes.
CHALCÃDOINE
CHAPITBE PREMIER
D'ÃPHÃSE A ÃPHÃSE : EUTYCHÃS
Opposition des Orientaux à saint Cyrille.
Les lettres échangées en avril 433 entre Jean d'Antioche et
saint Cyrille129 ne faisaient pas qu'exprimer un accord réalisé
par un désir sincère d'apaisement et une vraie bonne volonté
réciproque : elles marquaient un réel progrès dans l'élaboration
d'une théologie commune de l'incarnation. Contre Nestorius on
affirme l'unité du Christ, et contre Apollinaire la réalité de
ses deux natures. « Des deux natures l'union s'est faite », union
sans confusion : il n'y a qu'un seul Christ, un seul Fils, un seul
Seigneur, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel
à nous selon l'humanité. Si l'on doit à saint Cyrille l'affirmation
vigoureuse de l'unité du Christ qui ne sera plus remise en
question, il faut sans doute accorder aux Orientaux le mérite de
distinguer nettement les deux natures et leurs opérations.
Tout cependant n'est pas fini ; tout péril de confusion n'a
pas encore été éliminé du vocabulaire théologique : en parti-
culier la formule cyrillienne de l'unique nature (mia physis)
risque de provoquer des malentendus graves, voire une crise
dangereuse. Et la paix est loin d'être réalisée dans les esprits,
dont beaucoup restent intransigeants dans leurs positions et
leurs oppositions !
C'est ainsi que les Orientaux persistent dans leur opposition
à Cyrille et à ses capitula. Tel Alexandre de Hiérapolis
(Mabboug), qui écrit son étonnement à Acace de Bérée :
80 CHALCÃDOINE
« Cyrille est hérétique, en enseignant une seule nature du
Christ, Ã laquelle il attribue toutes les passions, et la mort elle-
même ... Qu'il confesse que le Christ, qui est né de la Sainte
Vierge (car le Dieu-homme est un seul Fils, un seul Christ, un
seul Seigneur), a souffert selon son humanité, a été crucifié
selon son humanité, et a été ressuscité des morts par la divinité
du Verbe, qui a dit : Détruisez ce temple, et en trois jours je
le ressusciterai...
« Tout en disant que le Verbe de Dieu demeure immuable, et
inaccessible à toute passion selon sa propre nature, Cyrille réin-
troduit frauduleusement la passion, quand il dit que le Dieu
Verbe s'est fait chair, et non pas a assumé un homme. C'est ce
qu'il dit dans presque tous ses capitula, disant partout que le
Dieu Verbe s'est fait homme, comme si avant 1' « économie »
(l'incarnation) il était impassible, et qu'après l'économie il fût
passible : en lui-même, dit-il, il était impassible, mais s'étant
fait homme, il a souffert comme un homme la passion 130 ».
Opposition bien significative d'une théologie de « l'homme
assumé » à la théologie du « Verbe fait chair » !
Un peu plus tard, l'agitation en Syrie devint telle que la
cour procéda à des mesures de rigueur : quelques évêques
furent exilés pour leur fidélité à la personne et aux idées de
Nestorius : ainsi Alexandre de Hiérapolis fut relégué en
Ãgypte.
Inquiétude des Cyrilliens.
De leur côté, les amis de saint Cyrille, Acace de Mélitène par
exemple, un cyrillien de la première heure, que l'on a vu Ã
Ãphèse ardent à accuser Nestorius, s'étonnent de l'entendre
affirmer l'union des deux natures. Parler de « deux natures après
l'union », agissant l'une et l'autre par une opération qui lui
est propre, dire que l'une a souffert et que l'autre est restée
impassible, n'est-ce pas être infidèle à la doctrine de la mia
physis, et n'est-ce pas en dernière analyse, « diviser le
Christ? isi
D'ÃPHÃSE A ÃPHÃSE : EUTYCHÃS 81
On a ici en germe tout l'eutychianisme : la fidélité in-
transigeante aux formules de saint Cyrille, et particulièrement Ã
la mia physis, qu'Acace s'étonne de voir passées sous silence, la
crainte de revenir à l'erreur de Nestorius et de diviser le
Christ en marquant bien la différence des propriétés de chaque
nature, le refus d'admettre que chaque nature agisse d'une opé-
ration qui lui soit propre. On voit comment une fidélité trop
étroite aux formules de saint Cyrille va provoquer une nou-
velle erreur.
Saint Cyrille s'en explique longuement dans les réponses
qu'il adresse aux questions d'Acace ou à celles de Succensus de
Diocésarée. « Nous affirmons l'union des deux natures, mais
nous confessons ouvertement un seul Christ, un seul Fils, un
seul Seigneur. Car le Verbe s'est fait chair, selon les Ãcritures,
et nous affirmons qu'il s'est fait une rencontre « économique » et
ineffable de deux réalités dissemblables, pour aboutir à une
union inséparable... Lorsque nous considérons dans l'enten-
dement les (réalités) dont est formé l'unique et seul Fils et
Seigneur Jésus-Christ, nous disons deux natures unies, mais
après l'union, comme si la séparation des deux (natures) était
désormais supprimée, nous croyons que la nature du Fils est
une, comme étant d'un seul, mais fait homme et incarné...
Il faut entendre la diversité des natures ou hypostases en ce
sens que la divinité et l'humanité ne sont pas la même chose en
qualité naturelle... Si l'on recherche donc le mode de l'incar-
nation, l'esprit humain voit deux (réalités) rapprochées l'une de
l'autre dans une union ineffable et sans confusion, mais les
croyant unies, il ne les sépare nullement, mais il croit et il
admet fermement que des deux (ex duobus), il n'y a qu'un seul
Dieu, un seul Fils, un seul Christ et Seigneur...» 132.
On trouve des formules analogues dans la première lettre Ã
Succensus :
« Il n'y a qu'un seul Christ, un seul Fils, un seul Seigneur,
le même engendré éternellement de Dieu le Père, et à la fin
des temps né selon la chair de la Vierge Marie... Le Verbe
82 CHALCEDOINE
de Dieu le Père, d'une façon incompréhensible et ineffable,
s'est uni un corps animé d'une âme raisonnable, et est apparu
homme né de la femme... Tantôt il parle comme homme
selon l'économie de l'humanité, tantôt en Dieu avec puis-
sance ... Deux natures se sont rencontrées dans une union insé-
parable, sans confusion ni changement... Cette rencontre dans
l'unité s'est produite de (ex) deux natures ... Après l'union nous
ne séparons pas les natures l'une de l'autre..., mais nous disons
un seul Fils, et, comme l'ont dit les Pères, une seule nature in-
carnée du Dieu Verbe... Il s'est fait homme, et non pas a
assumé un homme, comme le croit Nestorius ...» 13S.
Cyrille maintient la distinction sans séparation des deux
natures et leur union sans confusion, qu'il a professée dans sa
réponse à Jean d'Antioche : le Christ parle et agit tantôt en
Dieu, tantôt en homme. Et la formule des « Pères », « une seule
nature incarnée du Dieu Verbe », peut se comprendre en un
sens correct : « la nature du Fils est une, comme étant d'un
seul, mais fait homme et incarné ». Mais certaines expressions
de saint Cyrille restent équivoques, et pour qui les entendrait de
façon trop absolue, elles peuvent contenir en germe de dan-
gereuses erreurs. « De deux (ex duobus) l'union s'est faite »,
« une seule nature après l'union » : faut-il comprendre qu'avant
l'union il y avait deux natures, existant de façon purement
idéale, « dans l'entendement », et qu'à partir de ces deux natures
s'est faite l'union dans laquelle ne subsiste plus qu'une seule
nature, « comme si la séparation des deux était supprimée » ?
Quand Eutychès répétera obstinément ces formules encore trop
peu précises, c'est une nouvelle querelle qui va s'engager.
Le « Tome » de Proclus.
Quand en 434 meurt Maximien, qui avait été nommé évêque
de Constantinople à la place de Nestorius, lui succède Proclus,
qui ainsi parvient enfin après trois candidatures malheureuses
à monter sur le siège de la capitale 1S*. Nous l'avions déjà vu
s'opposer à Nestorius sur la question du theotokos. Peu après
D'EPHÃSE A ÃPHÃSE : EUTYCHÃS 83
son élection, il est amené à s'occuper à nouveau de questions
christologiques.
A ce moment-là en effet (435) les évêques d'Arménie étaient
inquiets au sujet des écrits de Théodore de Mopsueste qui cir-
culaient alors dans cette province, limitrophe de la Syrie. Deux
évêques syriens, Acace de Mélitène et Rabboula d'Edesse,
fidèles tenants des doctrines cyrilliennes, avaient mis les armé-
niens en garde contre cette littérature. Désireux de s'éclairer,
ceux-ci s'adressent à Proclus, qui envoie alors « aux évêques,
prêtres et archimandrites de toute l'Arménie » une longue mise
au point, le « Tome aux Arméniens » 135. Nous n'en citerons que
quelques passages particulièrement caractéristiques :
« Nous croyons que le Dieu Verbe s'est fait chair sans passion,
et nous le croyons avec piété, car c'est le fondement de notre
salut... En prenant pour nous la forme d'esclave, il n'a souffert
aucun changement de sa nature, et n'a rien ajouté à la Tri-
nité ... L'évangéliste ne dit pas qu'il est entré dans un homme
parfait, mais qu'il s'est fait chair. Ainsi le Dieu Verbe est devenu
homme parfait... Le Christ n'était pas un autre, ni un autre
le Dieu Verbe (il n'y a pas deux fils)... Nous confessons que
le Dieu Verbe, un de la Trinité, s'est fait chair ... Je ne connais
qu'un seul Fils, et je confesse une seule hypostase du Verbe
incarné..., qui a enduré les souffrances et accompli les
miracles...
« En raison de la divinité, la Trinité est consubstantielle et
au-dessus de la souffrance ; en disant que le Verbe a souffert,
nous ne prétendons pas qu'il a souffert sous le rapport de la
divinité, la nature divine étant inaccessible à toute souffrance,
mais en confessant que le Dieu Verbe, un de la Trinité, s'est
fait chair, nous expliquons à ceux qui cherchent et gardent la
foi, pourquoi il s'est fait chair ...»
On ne peut méconnaître l'importance du Tome de Proclus
dans le développement du dogme d'Ãphèse et dans la prépa-
ration de celui de Chalcédoine. Il affirme vigoureusement
l'unité du Christ, mais il abandonne le terme de physis, qui pou-
vait s'entendre au sens abstrait de nature, réalité complète, mais
84 CHALCEDOINE
sans existence propre, â ou, comme le faisait Cyrille, au sens
de l'existence concrète et individuelle d'un sujet singulier. Au
lieu de physis, Proclus dit hypostase, qui désigne une personne
subsistante et passe sous silence la formule cyrillienne de
1' « unique nature » : « nous confessons une seule hypostase du
Verbe incarné ». C'est le Verbe qui s'est incarné et qui a souf-
fert : par là Proclus fait droit aux requêtes de saint Cyrille et
à la définition d'Ãphèse ; mais il précise que c'est l'hypostase
(personne) qui s'est incarnée et a souffert dans sa chair, et non
pas la nature divine, qui est impassible et au-dessus de tout
changement. Distinctions précieuses, et qui restent désormais
acquises ; si elle l'avaient été plus tôt, bien des troubles eussent
peut-être été évités ! â Au reste, Cyrille et Jean d'Antioche
souscrivent au Tome de Proclus.
Ibas dEdesse.
Vers la même époque (8 août 435), était mort Rabboula
d'Edesse, le fougueux partisan de saint Cyrille, dont on a parlé
plus haut. Son successeur, Ibas, est au contraire un antiochien
convaincu, admirateur de Diodore et de Théodore dont il avait
traduit les Åuvres en syriaque. Il décrit à un certain Maris,
évêque en Perse *, une lettre qui devait avoir un grand reten-
tissement. Il y racontait, du point de vue antiochien, la querelle
entre Nestorius et Cyrille, les deux conciles d'Ãphèse, celui de
Cyrille et celui de Jean, la réconciliation survenue entre les deux
adversaires. Il expliquait comment Cyrille était tombé dans
l'erreur d'Apollinaire, enseignant qu'il n'y a qu'une seule nature
de la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais qu'enfin il
avait anathématisé « ceux qui disent que la divinité a souffert,
que la divinité et l'humanité sont une seule nature » 13G. Sans
* L'identité de Maris n'est pas connue avec certitude. Ce mot voulant
dire Seigneur en syriaque, ce n'est peut-être qu'un nom commun, qui
pourrait désigner l'évêque de Séleucie, Dadiso (cf. J. Labourt, Le christia-
nisme dans l'empire perse sous la dynastie sassanide, Paris, 1904, 133,
n. 6).
D'ÃPHÃSE A ÃPHÃSE : EUTYCHÃS 85
partager l'erreur nestorienne, Ibas demeurait fermement opposé
à saint Cyrille : mais l'avait-il bien compris ?
Plus tard (448), Ibas sera accusé par quatre prêtres de son
clergé de griefs divers, simonie, malversations, détournement des
biens de l'Ãglise, et même hérésie : il aurait été ouvertement
nestorien. L'affaire fut d'abord jugée à Antioche par Domnus
(vers Pâques 448), puis à Béryte (Beyrouth) par Eustathe, évêque
de cette ville, Photius de Tyr et Uranius d'Himéria (janvier ou
février 449). Les évêques n'avaient pas retenu les griefs formulés
contre Ibas et avaient obtenu une réconciliation entre lui et ses
clercs. L'affaire avait cependant rebondi, et en avril 449 une
nouvelle enquête impériale à Edesse avait aboutit à l'arresta-
tion d'Ibas, qui sera transféré à Antioche 137. Quand le 27 juin
449, Théodose convoquera le second concile d'Ãphèse, il don-
nera ordre aux évêques de déposer Ibas et de lui trouver un
successeur.
Le rappel de ces événements permet d'évoquer l'atmosphère
troublée de ces années, et fait comprendre ce qui se passera
plus tard à Chalcédoine, quand le concile aura à s'occuper en-
core une fois d'Ibas.
Théodoret de Cyr.
Les protagonistes de la querelle nestorienne disparaissent les
uns après les autres. Jean d'Antioche meurt en 442, il sera
remplacé par Domnus ; saint Cyrille meurt le 27 juin 444, il
aura pour successeur Dioscore, « une des personnalités les plus
discutées de l'Ãglise d'Orient », qui est loin de le valoir en
science, en sagesse et en sainteté ; Proclus meurt en 446, il est
remplacé sur le siège de Constantinople par Flavien. Nestorius
est oublié dans son lointain exil. Seul reste en scène le plus
grand théologien de l'école d'Antioche, Théodoret, évêque de
Cyr, petite ville à l'est d'Antioche.
Quelles qu'aient été les lacunes de sa théologie, dont on
dira un mot plus loin, il ne faut pas méconnaître que Théodoret
est une des plus grandes figures de ce temps. Duchesne va
86 CHALCÃDOINE
jusqu'à dire, non sans quelque exagération : « C'était, pour
l'Orient, une sorte d'Augustin » *. Son activité littéraire, qui
fut considérable, ne doit pas faire oublier qu'il avait été moine
et garda toujours beaucoup d'estime pour la vie monastique, et
que devenu évêque il fut un pasteur plein de zèle pour son
troupeau.
Il est peu vraisemblable qu'il ait été le disciple de Théodore
de Mopsueste, mais sa théologie est celle qu'on pouvait attendre
d'un antiochien. Théodoret affirme sans doute l'unité du
Christ, mais sans la définir franchement ni l'approfondir. Préoc-
cupé de distinguer les natures, il n'a pas saisi ce qu'est la
personne, dans son unité concrète et vivante. Il n'a pas vu,
comme l'avait fait saint Cyrille, que le centre de l'être du
Christ est l'unique hypostase du Verbe. Aussi repousse-t-il le
principe de la « communication des idiomes » (c'est-à -dire des
propriétés), et longtemps encore il n'acceptera le theotokos
qu'avec des distinctions et des réserves 138.
Ainsi dans ces lignes conservées par saint Cyrille : « Nous
appelons la sainte Vierge Theotokos... nous n'appelons pas la
Vierge anthropotokos, (mère d'un homme), mais theotokos...
Le petit enfant est appelé Emmanuel à cause du Dieu qui l'a
assumé, et la Vierge Theotokos, à cause de l'union de la « forme
de Dieu » avec la « forme d'esclave » qu'elle a portée en son
sein ». Formules caractéristiques, encore une fois, de la chris-
tologie antiochienne ; l'unité du Christ, qui permet d'appeler
la Vierge Mère de Dieu, est le résultat de l'union des deux
natures ; ce n'est pas le Verbe qui s'est fait chair, mais un
homme qui a été assumé. On ne s'étonnera pas dès lors que
Théodoret s'oppose vivement aux Anathématismes de saint
Cyrille, dont il publie une réfutation. Au reste, la profondeur
des sentiments religieux de Théodoret pouvait corriger cette
théologie un peu courte, qui connut d'ailleurs une appréciable
évolution. Il est juste de noter d'ailleurs que si Théodoret resta
fidèle en son amitié pour la personne de Nestorius, il n'épousa
* Hist. anc. de VÃgl. III, 394.
D'ÃPHÃSE A ÃPHÃSE : EUTYCHÃS 87
jamais complètement sa pensée et finit par la réprouver formel-
lement (451).
Il ne faut donc pas s'étonner que les enseignements et la
personne même de Théodoret fussent suspects aux disciples de
saint Cyrille. En 447, Dioscore d'Alexandrie se plaint à Domnus
d'Antioche de ce que Théodoret, prêchant en cette dernière
ville, aurait * divisé le Christ », enseigné « deux fils ». Théo-
doret est obligé de se défendre ; il affirme la distinction des
natures, mais confesse un seul Fils, le Dieu Verbe qui s'est fait
homme. Plus tard, Domnus doit envoyer à Constantinople une
délégation d'évêques chargés de réfuter les calomnies qui ne
cessent de courir contre Théodoret et sa doctrine. Le bref
rappel de cette situation permet de comprendre le climat dans
lequel va éclater l'affaire d'Eutychès.
La théologie de Théodoret : V « Eranistes ».
En 447, Théodoret avait publié un ouvrage en trois livres
sous forme de dialogue, qu'il intitulait Eranistes139. On peut
traduire « le mendiant » ; l'hérétique qu'il met en scène vient,
après tant d'autres, Simon, Marcion, Valentin, Apollinaire, Arius,
Eunomius, mendier et tromper la crédulité du public. Son
erreur « multiforme » (Polymorphos, c'est l'autre titre du livre)
n'est qu'un « ramassis » des hérésies anciennes (c'est peut-être
aussi le sens du mot eranistes).
Dans son dialogue avec l'Orthodoxe, le Mendiant expose sa
pensée : l'humanité et la divinité du Christ ne font qu'une seule
nature ; le Christ n'a fait que passer à travers le sein de la
Vierge ; c'est à la divinité du Christ qu'il faut attribuer les
souffrances de la passion. Après l'union, la nature divine de-
meure ce qu'elle était et absorbe l'humanité, comme l'eau de
la mer dissout et absorbe une goutte d'eau qui y serait tombée ;
la nature qui a été assumée n'est pas détruite, mais elle est
transformée en la substance de la divinité. Le corps du Christ
n'est pas de la même substance que le nôtre. Si le Christ est
88 CHALCEDOINE
« de (ex) deux natures », après l'union il n'y a qu'une seule
nature.
Contre ces erreurs grossières, l'Orthodoxe (c'est Théodoret
lui-même) établit vigoureusement que la nature divine est im-
muable (à xpETTTOî), que l'union des deux natures se fait sans
confusion (à oûy^uToç), que la nature divine est impassible
(à :râ9ri<;). Ces trois adjectifs sont les titres respectifs de chacun
des trois livres. Tout l'ouvrage est une solide démonstration
de la distinction entre la nature divine et la nature humaine
dans l'unique personne du Christ. Et, on le notera avec intérêt,
l'auteur appuie sa démonstration sur une abondante documen-
tation patristique, il cite 238 textes, empruntés à 88 ouvrages
différents !
Dire que le corps du Christ ne nous est pas consubstantiel,
c'est peut-être renouveler sans le savoir l'erreur d'Apollinaire ;
c'est surtout, sous prétexte de piété, ruiner tout le mystère de
notre salut. Théodoret le dit avec force :
« C'est en prenant une chair et une âme raisonnable que le
Verbe s'est incarné. Si le Verbe divin n'a rien pris de notre
nature, les promesses faites avec serment aux patriarches par
le Dieu de l'univers, ne sont plus vraies... Inutile la Vierge
elle-même, puisqu'elle n'a rien donné de notre nature au Verbe
incarné ; .... et donc notre prédication est vaine, vaine notre
foi, vaine aussi l'espérance de la résurrection...» 140.
Le moine Eutychès.
Théodoret n'avait pas désigné par son nom le « Mendiant »
qu'il mettait en scène dans son livre. Les idées qu'il lui prê-
tait étaient celles de certains milieux cyrilliens, et en parti-
culier d'un personnage en grande réputation de sainteté à Cons-
tantinople, le moine Eutychès.
Eutychès, qui avait alors près de soixante-dix ans, s'était dès
sa jeunesse voué à la vie monastique ; âgé seulement de trente
ans, il avait été ordonné prêtre et nommé archimandrite d'une
importante communauté qui ne comptait pas moins de trois
D'ÃPHÃSE A ÃPHÃSE : EUTYCHÃS 89
cents moines. Formé à la vie monastique par l'abbé Maxime,
qui pourrait être le même que cet antinestorien acharné auquel
saint Cyrille lui-même dut conseiller la modération U1, Eutychès
était depuis longtemps en relations avec Alexandrie et Cyrille.
Il ne fut pas présent à Ãphèse, mais Cyrille lui envoya un
exemplaire des actes du concile 142, et il fut de ceux auxquels
Cyrille demanda d'intervenir en sa faveur contre les partisans
de Nestorius 14S.
L'influence du pieux moine devint toute-puissante quand
l'eunuque Chrysaphe, son filleul, ayant réussi en 441 à faire
exiler l'impératrice Eudocie et à écarter Pulchérie, la sÅur de
l'empereur, domina complètement le faible Théodose, et dirigea
en maître les affaires de l'Ãtat. Nestorius s'est plaint vivement
de l'autorité dont jouissait alors rarchimandrite : « Comme il
n'était pas évêque, il se donnait un autre rôle, grâce au pouvoir
impérial : celui d'évêque des évêques. C'est lui qui dirigeait
les affaires de l'Ãglise, et il se servait de Flavien (l'évêque de
Constantinople) pour exécuter les ordres de la cour... Il chas-
sait de l'Ãglise comme hérétiques ceux qui ne partageaient pas
son opinion ; quant à ceux qui l'aidaient, il les élevait et leur
portait secours » 144.
Dioscore trouvait en lui un allié dans sa lutte contre les
Orientaux. C'est sans doute d'Eutychès que venaient les propos
calomnieux qui circulaient à Alexandrie contre Domnus et
Théodoret, comme c'est à son influence qu'il faut attribuer les
mesures sévères prises par la cour contre les partisans de Nes-
torius (448). Eutychès alla même jusqu'à écrire à saint Léon
pour le mettre en garde contre le péril du nestorianisme renais-
sant, et lui dénoncer Domnus et Théodoret. Le pape, encore mal
informé, ne répondit qu'en termes assez vagues 145.
Mais Eutychès lui-même avait-il une doctrine ? Les contem-
porains, saint Léon en particulier, ont jugé sévèrement ce
vieillard ignorant et borné, multum imprudens et nimis impe-
ritus, imperitus senex, imprudentissimus senex, qui ne connais-
sait pas l'Ãcriture et ignorait même les premiers mots du
Symbole148 ! I1 semble que l'archimandrite n'ait eu pour toute
90 CHALCEDOINE
doctrine qu'une crainte farouche du nestorianisme et une fidé-
lité obstinée et aveugle aux formules de saint Cyrille : une seule
nature du Verbe incarné. Il ne sait que répéter : après l'union
il n'y a qu'une seule nature...
Le synode de Constantinople et la condamnation cCEutychès.
Le patriarche de Constantinople, Flavien, n'avait pas
jusqu'alors voulu intervenir contre le tout-puissant moine. Mais
le 8 novembre 448, le « synode permanent » (endémousa) est
saisi d'une dénonciation en règle contre Eutychès. La présence
à la cour impériale d'un certain nombre d'évêques permettait
en effet au patriarche de les rassembler en synode quand
se présentait quelque affaire à traiter. Ici la plainte émanait
d'Eusèbe, maintenant évêque de Dorylée, celui-là même qui
jadis avait dénoncé Nestorius ! « Dans son zèle pour la foi, le
feu même lui paraissait trop froid ! » 147. Flavien, après avoir
essayé d'user de bienveillance envers Eutychès, finit par le
convoquer devant le synode.
« Ce fut toute une affaire que d'obtenir la présence du saint
homme. Il se retrancha derrière son vÅu de réclusion, allégua
son état de maladie, multiplia les difficultés... Il finit par
se présenter, le 22 novembre 448, escorté d'une multitude de
moines et de fonctionnaires ; par ceux-ci apparaissait à tous les
yeux la protection du chambellan Chrysaphe » *.
Devant le synode, l'archimandrite ne sait que répéter, avec
une obstination de vieillard entêté, quelques formules toujours
les mêmes 148. Il ne veut connaître d'autre fois que la foi de
Nicée et d'Ãphèse, celle d' « Athanase » et de Cyrille, de Cyrille
surtout; mieux encore, il ne veut connaître que les Ãcritures,
plus sûres que les explications des Pères. Après l'incarnation
du Dieu Verbe, il n'adore qu'une seule nature, celle du Dieu
incarné et fait homme. Il n'a jamais dit que la chair du Verbe
venait du ciel : celui qui est né de la Vierge Marie est Dieu
* L. Duchesne, Hist. anc. de l'Egl. III, 402-403.
D'EPHÃSE A EPHÃSE : EUTYCHÃS 91
parfait et homme parfait, mais sa chair n'est pas consubstantielle
à la nôtre. La Sainte Vierge nous est consubstantielle, mais le
corps de Notre-Seigneur ne nous est pas consubstantiel.
Et surtout ceci, qu'il répète inlassablement : « Je confesse
qu'avant l'union Notre-Seigneur était de deux natures, mais
après l'union, une seule nature ». Une seule nature après l'union,
voilà toute la christologie d'Eutychès. Pour l'archimandrite,
parler de deux natures, c'est nier le dogme de l'unité du Christ,
c'est être nestorien ; il est incapable de comprendre que ces
mots ont un sens parfaitement orthodoxe, et que la réalité des
deux natures est aussi le fondement de notre foi et de notre
salut. Nous avons entendu tout à l'heure Théodoret nous rap-
peler fortement les valeurs religieuses engagées et compromises
en cette théologie.
Après avoir entendu lire les deux lettres de saint Cyrille, Ã
Nestorius et à Jean d'Antioche *, et Flavien dire que le Christ
est de deux natures, en une seule hypostase et une seule per-
sonne, le synode condamne, dépose, excommunie Eutychès. La
sentence est signée par une trentaine d'évêques et vingt-trois
abbés.
Les protestations d'Eutychès.
Eutychès, condamné, en appelle au pape Léon, à Pierre
Chrysologue, évêque de Ravenne, à Dioscore d'Alexandrie, aux
évêques de Jérusalem et de Thessalonique **. Il se réfugie
auprès des « défenseurs de la religion », et les supplie de faire
en sorte que les intrigues menées contre lui ne lui causent
* Il s'agit de la première lettre à Nestorius, et de la lettre écrite Ã
Jean d'Antioche lors de l'union de 433. Elles commencent dès lors Ã
faire figure de documents canoniques. Peut-être est-ce ici qu'il faut faire
remonter le titre de lettres « synodiques » qu'on leur donnera plus tard.
ACO II, rv, 143-144. â Le fait qu'Eutychès s'adresse, en même
temps qu'à saint Léon, aux évêques d'autres sièges importants, invite Ã
ne pas majorer la portée de cet « appel à Rome ». Il faut cependant
92 CHALCEDOINE
aucun préjudice, de porter en matière de foi la sentence qui
leur plaira, et de ne pas permettre à l'avenir qu'on calomnie,
qu'on dépose et qu'on exclue du nombre des orthodoxes un
homme qui a passé soixante-dix ans de sa vie dans la continence
et la chasteté. Il ajoute qu'il n'a pas voulu s'écarter de la foi
de Nicée confirmée à Ãphèse, ni de l'autorité des saints Pères
qui tous refusent de parler de deux natures 149. A sa lettre, il
joint le mémoire soumis au synode par Eusèbe de Dorylée, la
profession de foi qu'il a de son côté présentée au synode, et
un recueil de textes des Pères condamnant les deux natures :
c'est tout le matériel apollinariste sur lequel s'appuie le pauvre
archimandrite, croyant y trouver la plus sûre orthodoxie !
De son côté, Flavien écrit à Léon pour le mettre au courant
de ce qui s'est passé, et lui rapporter les propos qu'a tenus
Eutychès devant le synode : « Il a persisté à nier que Nôtre-
Seigneur Jésus-Christ après l'incarnation est de (ex) deux na-
tures, Ã dire que la chair du Seigneur ne nous est pas con-
substantielle comme ayant été prise d'entre nous et unie au
Verbe de Dieu selon l'hypostase ; il affirmait que la Vierge qui
l'a enfanté selon la chair est consubstantielle à nous, mais que
le Seigneur n'a pas pris d'elle une chair consubstantielle à nous,
et que le corps du Seigneur n'est pas un corps d'homme, mais
que le corps né de la Vierge est un corps humain...» 150.
On ne sait pourquoi Flavien avait tardé à avertir le pape m.
Avant d'avoir reçu cette lettre, Léon, alerté par Eutychès,
avait écrit au patriarche et à l'empereur, pour marquer son
mécontentement de ce silence et demander des explications
plus précises sur l'erreur qu'on reprochait à Eutychès 15Z. Mieux
observer qu'en répondant à Eutychès, Pierre Chrysologue l'invite à « s'en
remettre avec obéissance à ce qui a été écrit par le Bienheureux Pape
de l'Eglise de Rome, parce que le Bienheureux Pierre, qui vit et préside
sur son propre siège, apporte à ceux qui la cherchent la vérité de la foi ».
Pierre Chrysologue refuse de connaître des causes de foi en dehors du
consentement de l'évêque de Rome (Ep. 25, 2, parmi les lettres de
saint Léon, PL 54, 743).
D'ÃPHÃSE A EPHÃSE : EUTYCHÃS 93
renseigné par une nouvelle lettre de Flavien, le pape le félicite
de son zèle pour la foi et l'encourage à résister à * cette erreur
perverse et folle » ; il lui annonce de plus amples instructions 15S.
La convocation du second concile dÃphèse.
Mais déjà Théodose avait décidé de convoquer un concile.
L'empereur était tout acquis à Eutychès ; il avait exigé une
nouvelle réunion du synode permanent, pour remettre en ques-
tion la sentence portée quatre mois plus tôt. En deux séances
(8-13 avril, Flavien avait été exclu de la première !), le synode
ne put que constater l'authenticité et l'intégrité des procès-
verbaux de la session de novembre, mais n'osa pas condamner
à nouveau Eutychès. Celui-ci, par l'intermédiaire du tout-puis-
sant Chrysaphe, n'était pas étranger à ces manÅuvres. Pas
davantage Dioscore, Ã qui, on s'en souvient, l'archimandrite
en avait appelé de la condamnation portée contre lui, et qui
trouvait là l'occasion d'intervenir dans les affaires de Constan-
tinople. C'est donc Eutychès qui, â comme autrefois Nestorius,
â a suggéré à l'empereur l'idée d'un concile, et Dioscore s'y
employa aussi activement154. Vers le mois de mars 449, Flavien
écrit au pape Léon pour lui demander d'approuver et d'appuyer
de son autorité la déposition d'Eutychès. L'intervention du
pape pourra mettre fin à l'affaire et empêcher le concile dont
on parle déjà , évitant ainsi « que ne soient troublées toutes les
saintes Ãglises » 155. Flavien ne croyait pas si bien dire ! Théo-
dose en effet, poussé par Chrysaphe, Eutychès et Dioscore,
n'hésite pas à mettre en mouvement « la lourde et coûteuse
machinerie d'un concile d'Empire » (H. Bacht), qui devait
réhabiliter Eutychès, condamner Flavien, et régler définitive-
ment leurs comptes aux Orientaux : ainsi Nestorius avait-il
compté sur un concile pour faire condamner saint Cyrille !
La lettre de convocation est datée du 30 mars 449. Nous
avons conservé l'exemplaire adressé à Dioscore. Théodose se
réfère à son devoir de faire respecter la vraie foi, gardienne
et soutien de l'unité de son empire. La paix des esprits ayant
94 CHALCÃDOINE
été récemment troublée par des divergences d'opinion sur le
dogme, il lui a paru bon de convoquer un concile pour confir-
mer la foi orthodoxe. Ce concile se réunira à Ãphèse le 1er août.
Dioscore amènera avec lui dix métropolitains et dix évêques
d'Ãgypte, recommandables par leur vertu, la pureté de leur
foi et l'orthodoxie de leur enseignement. Il sera interdit Ã
Théodoret d'y paraître à moins que le concile n'en juge
autrement156.
Plus tard, le 14 mai, une autre lettre impériale invite au
concile un moine syrien, Bar Sauma, connu à la fois pour son
austérité et par le zèle fanatique qu'il déploie contre les « nesto-
riens » (entendons ceux qui ne partagent pas les idées
d'Eutychès) : il représentera au concile les moines et les archi-
mandrites 157. Il est assez significatif que ce personnage, qui
n'est pas évêque, soit ainsi convoqué au concile ; on comptait
sans doute sur son autorité, et peut-être aussi sur les moines
turbulents qu'il ne manquerait pas d'amener avec lui : ils pour-
raient peser utilement sur les délibérations de l'assemblée !
L'évêque de Rome, Léon, avait aussi été invité 158.
CHAPITRE II
SAINT LÃON ET LE «TOME» A FLAVIEN
LE BRIGANDAGE D'ÃPHÃSE
Le Pape et Veneur d'Eutychès.
Saint Léon était pape depuis 440. A la mort de Xyste III
(19 août 440), il était archidiacre de l'Ãglise de Rome, et se
trouvait en Gaule, chargé par la cour de Ravenne d'une impor-
tante mission politique : il s'agissait de réconcilier le patrice
Albinus et le préfet du prétoire Aétius. Quoique absent, Léon
fut élu pour succéder au pape défunt ; il fut consacré à son
retour à Rome, le 29 septembre 440.
Peu de pontifes de l'antiquité ont eu autant que lui le sens
de la dignitas, de l'auctoritas, de la potestas du Siège Aposto-
lique. Le sermon qu'il prononça le jour même de sa consécra-
tion, et ceux qu'il donnait chaque année au jour anniversaire
(natale) de cette ordination, en portent d'éloquents témoigna-
ges *. L'Ãglise a été fondée par Jésus-Christ sur la foi de Pierre ;
la solidité de cette foi est indéfectible ; Pierre continue à tenir
en mains le gouvernail de l'Ãglise ; sa potestas et son auctoritas
se perpétuent en celui qui tient sa place. Le pape n'est pas
seulement l'évêque du siège de Rome, il est le primat de tous
les évêques (Serm. 3, 4). « Nombreux sont les évêques (sacer-
dotes), nombreux les pasteurs, tous cependant sont régis propre-
* Il s'agit des Sermons 1-5. Cf. P. Batiffol, Le Siège Apostolique,
418-432, Ã qui nous empruntons un certain nombre de citations. Voir aussi
notre article, Saint Léon le Grand, successeur de saint Pierre, dans La Vie
Spirituelle, nov. 1961, 521-529.
96 CHALCÃDOINE
ment par Pierre, en même temps qu'ils sont d'abord régis
par le Christ » (Serm. 4, 2). Si chaque évêque a la solli-
citude du troupeau dont il est le pasteur, si chaque évêque
aura à rendre compte des brebis à lui confiées, levêque de Rome
partage le souci de tous, l'administration de chacun d'eux est
une part de la sienne, on attend du pape cet amour de l'Ãglise
universelle dont le Seigneur a fait un devoir à l'Apôtre
(Serm. 5, 2).
Il est hors de notre propos de montrer comment saint Léon
exerça cette cura et cette soUicitudo à l'égard des églises d'Italie
et de celles d'Occident, et tout autant à l'égard des églises
d'Orient *. Mais on peut rappeler les bons rapports qu'il entre-
tenait avec saint Cyrille, et, après la mort de celui-ci (444), avec
son successeur, Dioscore. Quand le nouveau patriarche lui fait
part de son élection, Léon lui répond en l'assurant de son
estime et de son affection, et en souhaitant que persiste l'en-
tente entre Rome et Alexandrie : « Il nous faut penser et agir
d'accord » 159.
Léon était déjà bien au fait des controverses christologiques :
alors qu'il n'était encore que diacre, il avait demandé, et même
commandé, à Jean Cassien de le renseigner sur l'erreur de
Nestorius. Cassien lui répondit par les sept livres Sur Vincar-
nation du Seigneur contre Nestorius, exposé sérieux et bien
documenté. La théologie de saint Léon, telle que nous la ver-
rons se dégager de sa correspondance et de sa prédication,
révèle une connaissance solide de toute la tradition occidentale,
de Tertullien à saint Augustin. Le pape a pu utiliser la docu-
mentation et même la plume de Prosper d'Aquitaine, ce disciple
d'Augustin qui résidait à Rome où il était au service de la
chancellerie pontificale. Ainsi la grande lettre dogmatique Ã
Flavien a pu être préparée par Prosper, à partir des sermons
du Pape aussi bien que de la tradition latine ; mais Léon lui-
même a revu et retouché cette ébauche, pour en faire un texte
* P. Batiffol, op. cit., 435-589. â Voir, du même, Cathedra Petri,
Paris, 1938, passim.
SAINT LÃON LE GRAND 97
personnel, « pleinement sien par le fond et la forme, et dont il
prend toute la responsabilité » (Gaidioz) : les sermons et les
lettres de saint Léon révèlent une pensée aussi ferme que la
langue dans laquelle elle s'exprime.
L'affaire d'Eutychès ne prenait donc pas le pape au dépourvu.
Alerté par le libellus de l'archimandrite, il ne voulut pas se
prononcer avant d'être plus amplement informé (Ep. 23 et 24 ;
cf. p. 92) ; mais une fois qu'il eut entre les mains les comptes
rendus du synode de Constantinople, il comprit que cette nou-
velle erreur non seulement s'opposait au symbole des apôtres et
à la foi des Pères, mais menaçait « notre unique espérance »
et « le mystère singulier du salut des hommes ». Dès le début,
Léon a eu la nette conscience des valeurs religieuses profondes
engagées ici.
La lettre de Théodose du 30 mars 449, convoquant le concile,
ne parvint à Rome que le 16 mai. Le 13 juin, le pape expédie
vers l'Orient tout un courrier. A Théodose, il écrit pour le
féliciter de sa sollicitude à l'égard de l'Ãglise catholique : il
enverra au concile, pour le représenter, ad vicem praesentiae
meae, Jules, évêque de Pouzzoles, le prêtre Renatus, du titre
de saint Clément, qui devait mourir en cours de route, et le
diacre Hilaire, futur successeur de saint Léon. Ils auront envers
l'accusé des sentiments de justice et de bonté ; si Eutychès vient
à résipiscence, les évêques devront lui montrer de la bienveil-
lance. Un mot semble regretter qu'on n'ait pas remis la cause
au jugement de l'évêque de Rome, nostra sententia. Le pape
termine en annonçant qu'il envoie à Flavien l'exposé complet
de ce que croit et enseigne universellement l'Ãglise catholique
sur le sacramentum de l'incarnation du Seigneur160.
Une longue lettre à Pulchérie, la sÅur de l'empereur, consti-
tue déjà un bel exposé sur l'incarnation. En même temps, Léon
se plaint que le délai imparti par Théodose soit bien court pour
que les évêques puissent se rendre à temps au concile. Peut-
être l'empereur croit-il nécessaire la présence du pape : mais
dans les circonstances présentes si incertaines, il ne peut aban-
98 CHALCÃDOINE
donner sa patrie et le Siège Apostolique W1. Il ne s'agit de rien
moins que de l'invasion des Huns, qui dès lors menaçaient
l'Occident.
Léon écrit dans le même sens à Julien de Kios, son repré-
sentant à Constantinople et plus tard son légat à Chalcédoine,
ainsi qu'Ã Faustus, Ã Martinus et aux archimandrites qui avaient
pris part au synode de Constantinople où avait été condamné
Eutychès 162. Il rédige encore une lettre destinée au concile,
et surtout adresse à Flavien de Constantinople la longue épître
dogmatique qui est l'exposé complet de la foi de l'Ãglise
catholique sur le mystère de l'incarnation16S.
Le « Tome » à Flavien.
La lettre se divise assez naturellement en quatre parties *.
1. Une brève introduction rappelle l'imprudence et l'igno-
rance d'Eutychès qui, sans recourir aux paroles des prophètes,
aux lettres des apôtres, aux autorités de l'Ãvangile, a voulu
résoudre par lui-même les obscurités qui l'empêchaient de re-
connaître la vérité. Ne s'étant pas fait disciple de la vérité, il
est devenu maître d'erreur ! Eutychès aurait dû se référer Ã
la foi commune de l'universalité des fidèles, qui s'exprime dans
le symbole baptismal, « cette source très pure de la foi chré-
tienne » : il y aurait appris que le Fils coéternel du Père est
« né » dans le temps « de l'Esprit Saint et de la Vierge Marie ».
L'Ãcriture, du reste, enseigne que le Christ, né de la Vierge,
a un corps véritable, de même nature que celui de sa mère : la
naissance virginale par l'opération du Saint Esprit n'enlève
rien à la nature propre de celui qui est engendré. Le Verbe
s'est fait chair dans une chair qu'il a prise parmi nous, et qu'il
a animée d'un souffle de vie doué de raison.
2. Les deux natures, dont les propriétés respectives sont
sauvegardées, s'unissent en une seule personne (salva igitur
* Cf. Texte VIII, p. 216.
SAINT LEON LE GRAND 99
proprietate utriusque naturae et in unam coeunte personam). Le
Dieu véritable est né avec la nature complète et parfaite d'un
homme véritable, parfait dans sa nature propre, parfait dans la
nôtre (totus in suis, totus in nostris). Chaque nature conserve
sans défaillance ce qui lui est propre : la forme de Dieu ne
supprime pas la forme d'esclave, et la forme d'esclave ne sup-
prime pas la forme de Dieu (cf. Phil 2, 6-7), mais celui qui étant
Dieu a fait l'homme, celui-là même s'est fait homme, en prenant
la forme de l'esclave. ... Et cela, ajoute saint Léon, était exigé
par le réalisme de notre salut : nous ne pouvions l'emporter sur
l'auteur du péché et de la mort, si celui que le péché ne pouvait
souiller ni la mort retenir captif n'avait pris notre nature et ne
l'avait faite sienne. Il fallait, pour nous guérir, que le même et
unique médiateur de Dieu et des hommes, l'homme Jésus-Christ,
pût mourir d'une part et de l'autre ne pût pas mourir.
3. Léon continue en reprenant sous une forme plus ample
ce qu'il vient de dire. Le Fils de Dieu est engendré de la
Vierge, par une nouvelle naissance. Dieu impassible et immor-
tel, il est passible et soumis à la loi de la mort. Celui qui est
vrai Dieu est aussi, le même, vrai homme. « Chaque nature
fait ce qui lui est propre, en communion avec l'autre » (agit
utraque forma cum alterius communione quod proprium est) ;
le Verbe opère ce qui est du Verbe, et la chair exécute ce qui
est de la chair. Mais c'est un seul et le même qui est vraiment
Fils de Dieu et fils de l'homme. Et le Pape énumère les épisodes
évangéliques qu'il faut rapporter respectivement, soit à la nature
humaine, soit à la nature divine. Dans le Christ, unique est
donc la personne de Dieu et de l'homme, mais différents les
principes des opérations qui sont pourtant communes à Dieu
et à l'homme.
4. En raison donc de cette unité de personne qu'il faut re-
connaître dans les deux natures, on peut donc dire que le Fils
de l'homme est descendu du ciel, et que le Fils de Dieu a été
crucifié et enseveli, ainsi nous confessons tous dans le symbole
que le Fils unique de Dieu a été crucifié et enseveli. Pierre a
100 CHALCÃDOINE
confessé (Mt 16, 16) que le même est le Fils de Dieu et le
Christ, car il y aurait même péril à croire Jésus-Christ unique-
ment Dieu et non homme, ou à le croire seulement homme, et
non Dieu. D'après les faits que rapporte l'Ãvangile, il faut
reconnaître que les propriétés de la nature divine et de la nature
humaine demeurent inséparablement unies, â et sans identifier
le Verbe et la chair, confesser qu'un seul et même Fils de Dieu
est Verbe et chair. Cest « diviser le Christ » (cf. I Jn 4, 3), que
séparer de lui la nature humaine, et réduire à rien le mystère
(sacramentum) par lequel seul nous sommes sauvés. L'Ãglise
catholique vit et grandit dans cette foi : dans le Christ Jésus on
ne doit croire ni l'humanité sans la vraie divinité, ni la divinité
sans la vraie humanité.
Le pape termine en condamnant Eutychès et ses doctrines
« absurdes, perverses, insensées * ; c il est tout aussi impie de
dire que le Fils unique de Dieu était de deux natures avant
l'incarnation, que de prétendre qu'après que le Verbe s'est fait
chair il n'y a plus qu'une seule nature ». Si l'hérétique recon-
naît son erreur et la condamne, il faudra user à son égard de
la miséricorde du Bon Pasteur, qui est venu sauver les hommes,
et non les perdre !
La théologie de saint Léon.
Telle est cette lettre, dont tous admirent la netteté et la
vigueur, « la forme lucide, ample et noble, caractéristique de
saint Léon » (Batiffol), écrite en un latin qui retrouve la majesté
et la plénitude de la langue impériale.
Le pape n'entend pas trancher entre les deux théologies ri-
vales d'Antioche et d'Alexandrie, ni non plus prendre une
position moyenne de conciliation. Encore moins prétend-il éla-
borer une construction théologique originale : contre l'erreur
d'Eutychès il expose avec fermeté et précision la foi commune,
en se référant au symbole baptismal et à l'Ãcriture. En d'autres
lettres, on le verra se réclamer des « Pères », et même de Cyrille,
SAINT LEON LE GRAND 101
« de sainte mémoire » 164. Ici, point de telles références ; mais
en fait, c'est à toute la tradition de la théologie latine que se
rattache Léon, depuis Tertullien (Adversus Praxeam) jusqu'Ã
saint Augustin, saint Augustin surtout, dont on retrouve souvent
les formules, presque mot pour mot. Le pape ne s'était-il pas
fait rassembler des collections de textes patristiques, aussi
bien grecs que latins ?
D'Eutychès, Léon sait que devant le synode de Constanti-
nople il persistait à dire : « Je confesse que Notre-Seigneur était
de deux natures avant l'union, mais après l'union je confesse une
seule nature ». Mais de la doctrine professée par l'archiman-
drite, il semble surtout retenir que c'est une espèce de docé-
tisme, selon lequel le corps du Christ ne serait pas de la même
nature que le nôtre. A cette erreur, le pape oppose l'argument
qui pour tous les Pères est l'argument central, aussi bien contre
Arius que contre Apollinaire ou Nestorius : le réalisme de notre
salut exige la pleine consubstantialité du Christ avec les hom-
mes, tout comme sa parfaite égalité avec le Père. Si sa mort
doit nous sauver, il faut qu'il puisse mourir d'une vraie mort
d'homme. Comme celle de saint Athanase ou celle de saint
Cyrille, la théologie de saint Léon se fonde sur le mystère
du salut.
Saint Léon entend donc sauvegarder la « vérité de la chair »,
veritas carnis, contre Eutychès, comme il l'avait fait contre les
manichéens. Il faut maintenir la réalité des deux natures, et
ne pas arguer de la conception virginale de Jésus pour rien
enlever à la vérité de sa nature humaine. Et Léon multiplie les
formules qui affirment la distinction des deux natures, com-
plètes et intègres, avec toutes leurs propriétés et leurs opéra-
tions propres : Salva igitur proprietate utriusque naturae, â in
integra veri hominis perfectaque natura, â tenet enim sine
defectu proprietatem suam utraque natura, â proprietas divinae
humanaeque naturae individua permanere ... De ces formules,
la première est empruntée presque littéralement à Tertullien 165.
Chacune de ces natures produit les Åuvres qui lui sont
propres : agit utraque forma quod proprium est... L'Ãvangile
102 CHALCÃDOINE
en effet nous montre des faits de la vie du Christ qu'il faut
attribuer à l'une ou à l'autre de ces deux natures, qui sont
ainsi, dirait-on en termes scolastiques, principes prochains
d'opération. Ainsi dans la passion et la résurrection, par
exemple, c'est la nature humaine qui souffre les outrages, la
nature divine qui est la cause de la gloire : « Aliud est unde ...
est contumelia, aliud unde... est gloria*. Il n'est pas sans
intérêt de rappeler ici comment, en 433, saint Cyrille, faisant
le silence sur son quatrième anathématisme, avait accepté de
« partager entre les deux natures » les affirmations de l'Ãvan-
gile qui se rapportent soit à l'humanité du Christ, soit à sa
divinité. La théologie occidentale atteint d'emblée sur ce point
une précision à laquelle les Grecs n'étaient arrivés qu'au prix de
beaucoup d'efforts et de controverses !
Mais cette séparation sans confusion ne fait nullement obs-
tacle à l'unité : dans la même phrase que nous venons de citer,
saint Léon avait dit : « In Domino Jesu Christo Dei et hominis
una persona ». Et ailleurs : « Les deux natures se réunissent en
une seule personne », et c'est le même, unus idemque, qui est
vrai fils de Dieu et vrai fils de l'homme. Il faut donc confesser
l'unité de personne dans les deux natures. C'est pourquoi, si
chaque nature produit son Åuvre propre, elle le fait cum com-
munione alterius, en union avec l'autre. Sans doute, u'avons-
nous pas encore ici une théologie de la « communication des
idiomes » pleinement élaborée. Mais le fait est affirmé : on
peut dire que le Fils unique de Dieu a été crucifié et est mort,
que le Fils de l'homme est descendu du ciel. Si la gloire est Ã
attribuer à la nature divine et l'opprobre à la nature humaine,
la gloire et l'opprobre sont également communs à l'une et Ã
l'autre.
De cette « communion », le principe est tout aussi fortement
exprimé : c'est l'unique personne du Christ. Le Symbole en effet
enseigne que Jésus-Christ, Fils unique du Père, est né de la
Vierge Marie. C'est le même qui est sujet d'une nativité divine
éternelle, et d'une nativité humaine dans le temps ; il y a iden-
tité entre celui qui s'incarne, le Verbe qui se fait chair, et celui
SAINT LEON LE GRAND 103
qui naît dans la chair : l'enfant qui est né, c'est le Verbe de
Dieu. C'est le même qui est Dieu et qui est homme. Saint Léon
rejoint ici saint Cyrille, ou mieux l'authentique pensée chré-
tienne en ses affirmations les plus traditionnelles et les plus
assurées. Il n'est que de rappeler les sermons de Noël du pape
Léon, pour saisir la place que l'incarnation tient dans sa pensée,
il la voit au cÅur même du mystère chrétien 166.
Cependant, à qui regarde de près les formules de saint Léon,
il est manifeste que si la foi est identique, la théologie qui l'ex-
prime en ces formules n'est pas la même que celle de saint Cy-
rille. Celui-ci, on se le rappelle, ne distinguait pas avec pré-
cision, au moins dans son vocabulaire, l'hypostase (personne)
de la physis (nature) ; il considérait avant tout l'unique hy-
postase du Verbe incarné, il ne distinguait pas nettement non
plus ce qui est propre à la nature divine de ce qui relève
de la nature humaine. Attentif avant tout à l'unique sujet des
actions et des passions du Christ, le Verbe, il l'est moins aux
natures en lesquelles et par lesquelles ce sujet agit et pâtit.
Saint Léon, par contre, a l'avantage de posséder un vocabulaire
qui, moins souple peut-être que le vocabulaire grec, distingue
nettement la nature (substance, ou essence) de la personne. Par
conséquent, il y a pour lui union de deux natures en une per-
sonne, commune à l'une et à l'autre, personne unique qui
n'est autre que la personne du Verbe, mais qu'il distingue
des deux natures divine et humaine, qui lui appartiennent per-
sonnellement. Pour tout dire en deux mots, et de façon peut-être
trop schématique : pour Cyrille il y a deux termes, le Verbe
(hypostase-physis), et la « chair » ; pour Léon, il y en a trois :
le Verbe (personne divine) et les deux natures, la divine et
l'humaine.
Alors que la théologie de saint Cyrille part de la considération
de l'unique Personne du Christ, la théologie de saint Léon, et
généralement la théologie latine, regarderait d'abord plutôt les
deux natures. Par là , elle se rapprocherait de la théologie
d'Antioche ; elle s'en distingue néanmoins en ceci que la persona
latine a plus de consistance que le prosôpon des grecs : l'union
104 CHALCEDOINE
des deux natures n'est pas une union de grâce ou de volonté,
c'est une union dans la personne même. Saint Léon, qui con-
damne Eutychès, n'est pas moins ferme pour condamner
Nestorius, « qui sépare la divinité du Verbe de la substance de
l'homme assumé », et prétend de Notre Seigneur Jésus-Christ
que « c'est l'homme seul qui est né de la Vierge Mère » m.
Saint Léon, qui prépare Chalcédoine, maintient fortement la
doctrine catholique affirmée à Ãphèse.
Saint Léon reprendra maintes et maintes fois dans sa cor-
respondance et sa prédication la doctrine qu'il avait exposée
avec tant d'ampleur et de netteté dans le Tome à Flavien. Tel
sermon de Noël en reprend littéralement les termes ; ainsi le
Sermon 21, qu'on lit encore aux matines de Noël du Bréviaire
Romain : « Les propriétés de chaque nature restent entières et,
dans l'unité d'une seule personne, la majesté prend sur elle
l'humilité, la force la faiblesse, l'éternité la mortalité...» 168.
On a remarqué que la lettre de saint Léon n'a pas la vigueur
et l'originalité, « le souffle théologique » des écrits de saint Cy-
rille, que la spéculation proprement dite ny occupe aucune
place, qu'elle ne marque pas un progrès théologique et dogma-
tique relativement à l'union hypostatique, et en un mot, qu'elle
n'apporte rien de neuf*. Il est vrai; mais le Pontife et le
Docteur qu'est saint Léon n'a pas à spéculer et à innover. Il
définit la foi. A l'erreur d'Eutychès comme à celle de Nestorius,
il se contente d'opposer la foi de l'Ãglise catholique. Il l'avait
dit à Théodose : « Ce que croit et enseigne universellement
l'Ãglise catholique sur le mystère de l'incarnation du Seigneur,
se trouve pleinement contenu dans la lettre que j'ai écrite à mon
frère et collègue Flavien » 169. Quand saint Léon enverra son
Tome en Orient et en Occident, les évêques de Gaule, réunis
en concile à Arles, lui écriront : « Ce qu'a écrit votre autorité
apostolique, quiconque ne néglige pas les mystères de notre
rédemption, l'inscrit sur les tablettes de son cÅur et le garde
* J. Tixeront, Hist. des Dogmes, III, 86 ; P. Batiffol, Le Siège Aposto-
lique, 507-508 ; id., DTC 9,1,250 ; A. Harnack, Dogmengesch. 1,4' éd., 772.
SAINT LÃON LE GRAND 105
fidèlement dans sa mémoire, comme si c'était le symbole de
la foi...» "°.
Dans des circonstances analogues, un concile de Milan (août
ou septembre 451) écrira à Léon que sa lettre « brille par la
plénitude et la simplicité de la foi, qu'elle rayonne de l'éclat de
la lumière et de la splendeur de la vérité, par les affirmations
des prophètes, les autorités des évangiles, les témoignages de
l'enseignement des apôtres ». On ne saurait mieux dire les
qualités de cette lettre et le caractère traditionnel de la doctrine
qu'elle prêche. â Les milanais ajoutent : « Elle est entièrement
d'accord avec les sentiments que le bienheureux Ambroise,
poussé par l'Esprit-Saint, a exprimés dans son livre sur le
mystère de l'incarnation du Seigneur » m !
Une dernière remarque : cet exposé de la foi catholique sur
le mystère de l'incarnation, destiné aux évêques qui vont se
réunir à Ãphèse le 1er août 449, ne se présente pas comme une
définition dogmatique ex cathedra; pour parler le langage
moderne, il s'agirait d'un acte du «magistère ordinaire».
L'approbation solennelle du concile de Chalcédoine lui confé-
rera le caractère d'une telle définition *. Mais auparavant, il se
passera encore bien des pénibles événements : le concile
d'Ãphèse allait refuser d'écouter la lecture de la lettre de
saint Léon !
Un concile de brigands : Ãphèse, août 449.
Le concile convoqué à Ãphèse pour le 1⢠août 449 s'ouvrit
le 8 **. Plus que jamais le synode est dirigé par l'empereur,
manÅuvré, on n'en saurait douter, par Chrysaphe et par Eu-
tychès ; celui-ci va prendre sa revanche de la condamnation
* P. Batiffol dans DTC 9, 1, 250-251.
** Le compte rendu de la séance du 8 août nous a été conservé dans
les Actes du concile de Chalcédoine, où il en fut donné lecture : lecture
souvent interrompue par les commentaires, explications, protestations de
ceux qui avaient été les acteurs, ou les victimes, de ce « brigandage »
(ACO III, i, 1, 68-95). Il n'est pas toujours facile d'isoler des Actes de
Chalcédoine le récit des événements d'Ephèse.
108 CHALCEDOINE
de 448. Plusieurs lettres expriment clairement les intentions de
Théodose. Il confie à Dioscore la présidence du concile, qui
devra ne rien ajouter ni retrancher à ce qui a été défini Ã
Nicée et à Ãphèse. Les mêmes instructions sont envoyées Ã
Juvénal de Jérusalem. La police des réunions sera assurée par
Elpidius, comte du Sacré Consistoire, et par Eulogius, tribun
et notaire ; les évêques qui ont condamné Eutychès assisteront
aux séances, mais ne pourront pas prendre part aux votes ; il
faudra examiner à nouveau la sentence portée à Constantinople
contre l'archimandrite. Enfin une lettre destinée au concile
met manifestement Flavien en posture d'accusé : il est visible
qu'on veut réhabiliter Eutychès, condamner Flavien et tous
ceux qui passent pour être partisans de Nestorius 172.
L'assemblée qui se réunit dans la même église « appelée
Marie », où s'était déjà tenu le concile de 431, comptait presque
cent trente évêques. Dioscore avait amené avec lui une vingtaine
d'égyptiens, Juvénal de Jérusalem une quinzaine de palesti-
niens. De Syrie, il n'y avait guère que des adversaires du
patriarche d'Antioche, Domnus ; mais Bar Sauma était présent,
bien qu'il ne fût pas évêque. Flavien de Constantinople, les
membres du synode permanent de 448, d'autres encore, qua-
rante-deux en tout, étaient réduits au silence. Saint Léon pourra
dire : « Nous avons appris que certains ont été écartés, et
d'autres admis » 173. On ne pouvait mieux faire pour préparer
à l'avance une majorité à qui on ferait voter tout ce qu'on
voudrait ! Ajoutons qu'autour du concile s'agitaient des bandes
de clercs, de moines (on dira à Chalcédoine que Bar Sauma
avait amené mille moines !), de soldats, de matelots d'Alexan-
drie, dont la présence, les cris, voire les coups, devaient inti-
mider les hésitants et forcer les opposants... De plus les
représentants du pouvoir impérial allaient ici jouer un rôle
beaucoup plus actif et déterminant que ne l'avait fait Candidien
au premier concile d'Ãphèse. Quant à la délégation romaine,
elle était, du fait de la mort du prêtre Renatus, réduite à trois
membres, l'évêque de Pouzzoles, Jules, le diacre Hilaire, et le
notaire Dulcitius : ignorant le grec, ne pouvant s'exprimer que
SAINT LEON LE GRAND 107
par interprète, ils seront impuissants à faire entendre la voix
du pape Léon !
Dioscore prit donc la présidence de rassemblée, comme
l'avait fait autrefois saint Cyrille. Après lui siégeaient Jules,
« tenant la place du très saint et vénérable évêque de Rome,
Léon », puis Juvénal de Jérusalem, Domnus d'Antioche, Flavien
de Constantinople, et tous les autres évêques. Le diacre Hilaire
était à la dernière place, avec le notaire Dulcitius : les délégués
romains étaient ainsi loin de l'autre, ce qui affaiblissait leur
position en les empêchant de se concerter au cours du débat.
Après la lecture des lettres impériales qui ouvre la séance,
Jules et Hilaire, s'exprimant par interprète, demandent qu'on
lise la lettre du pape Léon. Hilaire précise que l'évêque du
Siège Apostolique a été invité au concile par Théodose, mais
qu'il n'y a pas d'exemple que le pape soit venu à un concile,
et qu'il les a envoyés pour le représenter, sachant bien qu'ils
feront tout ce qui convient à la sincérité de la foi catholique et
à l'honneur du très saint apôtre Pierre174. On élude la demande
des romains, et le comte Elpidius fait introduire Eutychès,
qui présente son appel au concile de la sentence portée contre
lui à Constantinople. Elpidius alors propose qu'on examine les
actes du synode qui a jugé et condamné l'archimandrite. Jules
et Hilaire insistent à nouveau pour obtenir qu'on fasse lire la
lettre de saint Léon, mais Eutychès récuse comme suspects les
délégués romains, qui dès leur arrivée à Ãphèse se sont mis en
relations avec Flavien 175, on passe donc à la longue lecture des
Actes de Constantinople, qui provoque de vives réactions dans
l'auditoire. Ainsi, au rappel de l'intervention d'Eusèbe de Do-
rylée, adjurant Eutychès de confesser les deux natures, les
évêques s'écrient : « A mort ! Eusèbe au feu ! Qu'on le brûle
vivant I Qu'on le coupe en deux, celui qui divise le Christ ! »
A ces clameurs, on peut mesurer le degré d'excitation des
esprits, et la violence des partis-pris qui les divisent.
Dioscore reprend, s'adressant à l'assemblée : « Vous ne voulez
pas qu'on dise deux natures après l'incarnation ? » Les évêques
108 CHALCEDOINE
répondent : « Anathème à qui le dit ! » â Et Dioscore : « J'ai
besoin de vos voix et de vos mains : si quelqu'un ne peut pas
crier, qu'il lève la main ». Et tous de reprendre : « Si quelqu'un
dit deux natures, qu'il soit anathème » 176. Au reste Dioscore ne
manquait pas de moyens de pression et d'intimidation pour
forcer l'adhésion des hésitants. Tillemont pourra écrire :
« Dioscore règne partout » ; saint Léon lui-même l'avait com-
paré à un « nouveau Pharaon » 177. Quand on passe au vote,
tous déclarent reconnaître l'orthodoxie d'Eutychès, et deman-
dent sa réhabilitation. Juvénal vote le premier, après lui Domnus
d'Antioche qui a la faiblesse de rétracter l'adhésion qu'il avait
apportée à la condamnation de l'archimandrite178.
Les légats romains ne disent rien. « (Ils) auraient dû protester
et se retirer, dès qu'il était constant que le concile, non seule-
ment refusait d'entendre la lettre du pape, mais se déclarait
si violemment contre la doctrine des deux natures, qui était la
doctrine de Léon comme celle de Flavien, et réhabilitait Eu-
tychès. Les malheureux, faute de savoir le grec, étaient quasi
sourds et muets ! » *. Grecs et latins ne se comprennent pas :
il faut souligner, non sans tristesse, ce fait inquiétant ; il montre
comment déjà se creuse un fossé qui va s'élargir entre les deux
moitiés de la chrétienté !
Après ce vote, Dioscore, très innocemment, fait relire les
décrets d'Ãphèse qui interdisaient de rien ajouter ni changer
à la foi de Nicée. Puis il reprend : « Vous avez entendu que
le premier concile d'Ãphèse menace ceux qui ont une doctrine
différente de celle de Nicée, ou qui changent quelque chose Ã
cette doctrine, ou enfin qui introduisent de nouvelles ques-
tions ... Chacun donc doit déclarer par écrit s'il faut punir
ceux qui dans leur recherche théologique, ont dépassé la foi
de Nicée...» Tous approuvent, y compris les légats romains,
qui expriment « l'accord du Siège Apostolique », mais réclament
une fois de plus qu'on lise la lettre du pape179.
Alors Dioscore : « Flavien et Eusèbe de Dorylée, par le
* P. Batiffol, Le Siège Apostolique, 512.
SAINT LÃON LE GRAND 109
trouble et le scandale qu'ils ont provoqués dans le peuple
chrétien, se sont mis ouvertement en opposition avec le décret
d'Ãphèse. Je les déclare donc exclus du sacerdoce et de la
dignité épiscopale. Que chacun des évêques ici présents exprime
son avis sur ce point. »
Flavien alors s'écrie : « Je te récuse !» Et le diacre Hilaire,
en latin : Contradicitur ! « Pas d'accord ! » 180.
Ce fut alors un grand tapage. Des évêques, comprenant qu'ils
ont été joués, s'approchent de Dioscore, se jettent à ses pieds,
saisissent ses genoux, le conjurent de ne rien faire d'irrégulier.
Se voyant ainsi entouré, le patriarche appelle les comtes, qui
font ouvrir les portes de l'église : les soldats, l'épée nue, les
moines, la foule, envahissent la basilique. Flavien, qui en
appelle « au siège du Prince des Apôtres », est entouré par les
soldats. Il essaie de se réfugier près de l'autel, on l'en empêche,
et l'on cherche à le tirer hors de l'église. Il réussit cependant Ã
se dégager, et à se cacher dans une dépendance de l'église, où
il est gardé à vue *. A Chalcédoine, on racontera que Dioscore
a assassiné Flavien, que Bar Sauma l'a égorgé 1S1 !
Le diacre Hilaire de son côté s'est enfui pour échapper à la
violence de ceux qui voulaient le contraindre à signer182. On
ne sait pas ce qu'il est advenu de Jules de Pouzzoles. Quant
à Flavien, envoyé en exil, il devait mourir en cours de route, Ã
Hypaipè en Lydie, à la suite des mauvais traitements qu'il
avait subis **.
* Tel est le récit que Flavien lui-même a fait des événements dans
un mémoire adressé à saint Léon (ACO II, u, 78). De bons historiens
comme Duchesne (Hist. anc. de rEglise, III, 417) ou Bardy, dans Hist.
de l'Ãglise (Fliche et Martin), IV, 222-223, n'ont pas résisté à la tentation
de forcer les traits et de dramatiser encore le récit : Flavien est « violem-
ment arraché » de l'autel où il essaie de « se cramponner » ; il est « ren-
versé, piétiné par Dioscore et par les moines de Barsauma, ... conduit
en prison » !
" La version que nous avons rapportée ci-dessus des événements
d'août 449 est celle qu'admettent traditionnellement les historiens. En fait
les circonstances précises et la date exacte de la mort de Flavien restent
110 CHALCÃDOINE
Cependant la séance du concile n'était pas terminée. Le
calme rétabli, Dioscore s'occupa de recueillir les signatures.
Les évêques souscrivent donc à la sentence de déposition de
Flavien et d'Eusèbe. Mais à Chalcédoine, ils se plaindront
d'avoir été contraints de céder à la violence. Ãcrivant à Théo-
dose le 13 octobre 449, saint Léon, instruit par Hilaire, consta-
tera avec tristesse qu'ils avaient « prêté leurs mains captives
pour des signatures impies » 183.
Dans la même lettre, le pape observait que Dioscore n'avait
pas gardé la sacerdotalis moderatio, la modération qui convient
à un évêque. C'est le moins qu'on puisse dire ! Plus tard,
saint Léon dira que ce concile, « où Dioscore avait montré sa
méchanceté et Juvénal sa sottise », ne fut pas un jugement
encore obscures. Les récits contemporains (Livre d'Héracl., 316, les Gesta
de notnine Acacii, dans Collectio Avellana, 99, la Chronique de Prosper
d'Aquitaine), le font mourir sur la route de l'exil. Mais quand est-il mort ?
D'après Nestorius, ce serait quatre jours après son départ d'Ãphèse, qui,
toujours selon Nestorius, semble avoir eu lieu immédiatement après les
événements du 8 août. Il faut observer cependant, comme le faisait déjÃ
Duchesne, que l'évêque de Constantinople eut le temps, avant de partir,
de rédiger un Libellus appellationis à Léon, que ce document ne donne
pas l'impression d'avoir été écrit par un homme qui vient d'être lynché,
et qu'il ne fait aucune allusion à des coups ou à des blessures qu'il aurait
reçus. De plus, Hilaire, qui était encore à Ãphèse le 20 août, ignore Ã
cette date la mort de Flavien (Lettre à Pulchérie, dans S. Léon, Ep. 46 ;
PL 54, 837 ; ACO II, iv, 27). Le 13 octobre, saint Léon croit Flavien
vivant (Ep. 44, 48, 50). On peut ajouter aussi qu'entre la déposition de
Flavien le 8 août, et son départ pour l'exil, il a dû s'écouler le délai
nécessaire pour l'aller et le retour d'un courrier portant à Constantinople
la relation de Dioscore et en rapportant la sentence impériale d'exil.
Enfin, comme l'a rappelé H. Chadwick, le Synaxaire de Constantinople
commémore Flavien le 17 (ou 18) février ; faut-il penser, comme le
proposait déjà Schwartz, que cette date (février 450) serait celle de la
mort du patriarche ? Quoi qu'il en soit, il n'est pas du tout nécessaire
de supposer, comme est enclin à le faire Chadwick, que le décès de
Flavien aurait été provoqué par Pulchérie, afin d'assurer la légitimité
de l'accession d'Anatole au siège de Constantinople, devenu vacant par
la mort du malheureux Flavien. La mort de Flavien a pu servir en effet
les desseins de Pulchérie et d'Anatole, sans qu'on doive pour autant
l'attribuer à une criminelle machination. Sur toute cette question, voir en
dernier lieu l'article de H. Chadwick, The exile and death of Flavian of
Constantinople, dans The Journal of Theological Studies, N.S. 6 (1955),
16-34.
SAINT LÃON LE GRAND 111
(judicium), mais un brigandage (latrocinium)184. C'est le nom
que devait garder dans l'histoire cette honteuse journée, où
sous couleur de défendre l'orthodoxie (l'unique nature !) se
déchaînèrent les pires rancunes et les plus violentes passions.
Le synode devait tenir une autre séance, à laquelle les
légats romains, qui étaient encore à Ãphèse, n'assistèrent pas.
Quand, le 20 août, les envoyés de Dioscore se présentèrent Ã
leur logement, le notaire Dulcitius leur répondit que Jules était
quelque part hors de la ville, et qu'Hilaire était allé prier sur
le tombeau (martyrium) de l'apôtre saint Jean. Le 22 août, on
déposa des évêques suspects de nestorianisme, Ibas d'Ãdesse,
Théodoret, d'autres encore, et même Domnus d'Antioche, à qui
sa lâcheté ne servit de rien. Et on se sépara après avoir accepté
solennellement les anathématismes de saint Cyrille. « L'éton-
nant est, remarque Mgr Batiffol, qu'on n'ait pas excommunié
saint Léon » *.
L'appel à Rome.
Trompant la surveillance de Dioscore qui voulait l'empêcher
de se rendre à Constantinople ou à Rome, le diacre Hilaire,
abandonnant tous ses bagages, réussit à s'échapper « par des
pays inconnus et sans routes », et à gagner Rome 185. Il attribua
sa délivrance à l'intervention de saint Jean l'Ãvangéliste ; devenu
pape, il lui dédia une chapelle dans le baptistère du Latran, où
on peut lire l'expression de sa reconnaissance : liberatori suo
BEATO IOHANNI / EVANGELISTAE HTLABJUS EPISCOPUS / FAMULUS
CHRISTI 186.
Hilaire dut arriver à Rome avant le 29 septembre, il y appor-
tait à Léon l'appel de Flavien. L'évêque rappelait au pape l'ini-
mitié implacable de Dioscore envers lui, racontait les circons-
tances inouïes dans lesquelles s'était déroulé le synode, l'injus-
* Le Siège Apostolique, 513. â Cependant à Chalcédoine, on condam-
nera Dioscore pour avoir excommunié le pape (cf. p. 129).
112 CHALCÃDOINE
tice et la violence dont il avait été victime. Il supplie Léon
d'écrire à l'empereur, au clergé et au peuple de Constantinople,
aux évêques qui, cédant à la pression exercée par Dioscore,
l'ont condamné, lui, Flavien ; il lui suggère aussi la réunion d'un
synode en Occident aussi bien qu'en Orient, pour prêcher par-
tout une foi identique, maintenir les décisions des Pères, infir-
mer les sentences dérisoires portées à Ãphèse 187.
De son côté, Eusèbe de Dorylée, qui lui aussi avait réussi
à s'échapper, adresse une lettre analogue à Léon, « le seul
secours qui lui reste après le Seigneur » 188.
Théodoret enfin, qui était resté relégué dans son diocèse de
Cyr, écrit aussi à saint Léon pour en appeler à l'autorité du
Siège Apostolique, dont il attend la sentence189. Cette lettre,
dont la rhétorique n'est pas absente, met en relief particulier
l'autorité de l'Ãglise romaine, qui fut le siège des apôtres Pierre
et Paul, et qui garde encore aujourd'hui leurs tombeaux *.
La réaction de saint Léon.
Le 29 septembre, un certain nombre d'évêques étaient réunis
à Rome autour de saint Léon pour célébrer le natale du pape
(l'anniversaire de sa consécration). Cette assemblée était d'ordi-
naire l'occasion d'un synode, qui cette année-là prit une impor-
tance plus considérable en raison des graves événements dont
Léon venait d'être informé par Hilaire. Le pape, « avec tout
le concile d'Occident, réprouve tout ce qui a été fait à Ãphèse
par Dioscore contre les canons, dans le tumulte et pour des
haines séculières » 190. Le 13 octobre, tout un courrier part pour
l'Orient : des lettres de Léon « avec tout le concile », à Théo-
* Sur ces appels à Rome, voir P. Batiffol, Le Siège Apostolique,
513-519. On remarquera que si saint Jean Chrysostome s'était adressé Ã
Innocent Ier, à Chromatius d'Aquilée et à Vénérius de Milan, Eutychès Ã
saint Léon et à saint Pierre Chrysologue, Flavien, Théodoret et Eusèbe
recourent au seul évêque de Rome. Et c'est de la sentence d'un concile
« Åcuménique » qu'on en appelle ainsi au Siège Apostolique ! Cf.
E. Caspar, Geschichte des Papsttums, Tûbingen, 1930, I, 491.
SAINT LEON LE GRAND 113
dose, à Pulchérie, au clergé de Constantinople, aux moines de
Constantinople qui n'étaient pas du parti d'Eutychès 191. Léon
écrit encore à Anastase de Thessalonique, à Julien de Kios, ainsi
qu'à Flavien, qu'il croit encore vivant, et à qui il adresse un
court billet d'encouragement192.
A Théodose, le pape se plaint vivement de ce qui s'est passé
à Ãphèse, et en particulier de ce qu'on ait refusé d'y lire sa
lettre dogmatique. Il lui demande de restituer toutes choses dans
l'état où elles étaient avant le jugement d'Ãphèse, en attendant
que se réunisse un plus grand nombre d'évêques « ex toto orbe
terrarum ». Léon demande en effet à Théodose de convoquer
en Italie un « synode général » auquel viendront les évêques
d'Orient, et qui pourra rétablir l'unité de la foi et de la charité.
Léon voit trop bien maintenant les inconvénients d'un concile
en Orient, loin du Siège Apostolique, où les pressions du pouvoir
peuvent s'exercer sans aucun contrepoids !
A Pulchérie, le pape redit les mêmes choses, la pressant, au
nom de la piété et de la foi dont elle a toujours fait preuve au
service de l'Ãglise, d'agir dans le même sens auprès de l'em-
pereur son frère.
Ces lettres restèrent sans réponse. Léon écrivit de nouveau
à Théodose le 24 décembre, en vain encore une fois 193. En
février 450, l'empereur d'Occident, Valentinien III, accompagné
de sa mère Galla Placidia et de sa femme Licinia Eudoxia, sÅur
de Théodose, vient de Ravenne à Rome pour la fête de la
Cathedra Petri (22 février). Il se rend à la basilique de l'Apôtre
Pierre et là , « après les vénérables vigiles de l'Apôtre », saint
Léon et les évêques qui l'entourent, venus de diverses provinces,
obtiennent de lui qu'il écrive à Théodose pour lui demander
la convocation en Italie d'un concile des évêques du monde
entier194. Galla Placidia écrit dans le même sens à son neveu195.
En avril, Théodose répond à Valentinien, en justifiant pleine-
ment le synode d'Ãphèse et la condamnation de Flavien : tout
s'est passé de la façon la plus régulière. L'empereur s'en tient
donc à ce qui a été décidé à Ãphèse, et écarte toute intervention
du « patriarche » de Rome dans les affaires de l'Orient196.
114 CHALCEDOINE
Saint Léon ne répond pas. Plus tard seulement, le 16 juillet,
il écrivit de nouveau à Théodose, à propos d'Anatole, qui lui
a notifié son élection au siège de Constantinople. Si le pape
a tardé à répondre au successeur de Flavien, ce n'est pas qu'il
lui refuse son amitié, mais c'est qu'il attend de lui « une mani-
festation de la vérité catholique » : qu'Anatole lise ce qu'ont
écrit les Pères sur l'incarnation, la lettre de saint Cyrille Ã
Nestorius, les Actes du concile d'Ãphèse, et les témoignages pa-
tristiques qui y sont insérés ; « qu'il ne dédaigne pas non plus
de lire ma lettre (la lettre à Flavien), il la trouvera conforme
en tout à la foi des Pères ». Anatole devra professer sa foi
conformément « aux sentences des catholiques », signer cette
profession de foi en présence de son clergé et de son peuple,
et en faire part au Siège Apostolique, à tous les évêques et Ã
toute l'Ãglise.
Léon envoie à Constantinople deux évêques et deux prêtres,
avec la mission de s'assurer de l'orthodoxie d'Anatole. Si celui-
ci s'écarte de la pureté de la foi, l'empereur devra convoquer
un concile général en Italie, comme le pape et le concile romain
n'ont cessé de le réclamer197.
Ainsi, saint Léon reste inébranlable sur sa position d'arbitre
de la foi : son « Tome » à Flavien est la règle de l'orthodoxie,
tout autant que la lettre de saint Cyrille et les décrets du con-
cile d'Ãphèse ; le pape prend soin de faire connaître sa lettre Ã
tout l'Occident138. La situation demeure donc très tendue entre
le pape et l'empereur. Mais la lettre du 16 juillet ne devait pas
atteindre son destinataire : le 28 juillet, Théodose meurt d'une
chute de cheval.
CHAPITRE m
LE CONCILE DE CHALCÃDOINE
Vers un nouveau concile.
Comme quatre-vingts ans plus tôt celle de Valens> la mort de
Théodose II changea le cours des choses. Il mourait sans laisser
de fils. L'impératrice Eudocie vivait à Jérusalem, où elle s'était
retirée après sa disgrâce. Le pouvoir revenait donc à la sÅur
de Théodose, Pulchérie, femme intelligente et énergique, qui
avait été supplantée auprès de l'empereur par l'influent et tout
puissant Chrysaphe. Elle commença par se débarrasser de celui-
ci en le faisant exécuter. Puis, pour donner à l'empire un empe-
reur, elle épousa, tout en réservant sa virginité, le sénateur
Marcien, et le fit acclamer empereur par le sénat et par l'armée
le 24 août 450.
Cette révolution de palais provoqua un changement de la
politique ecclésiastique. La disgrâce de Chrysaphe, c'était la
défaite du parti de Dioscore et d'Eutychès. Celui-ci se voit
éloigné de son monastère et interné près de Constantinople. En
même temps, sous l'influence de Pulchérie, Marcien se tourne
vers Rome. Dès la fin d'août ou le début de septembre, il
annonce à saint Léon son élévation au pouvoir, et lui demande
de prier pour que Dieu l'aide à « procurer la paix entre tous les
évêques de la foi catholique, par le synode qui doit se réunir
sur l'initiative du pape » 199. Ainsi, dès les premiers jours de son
règne, Marcien pense à un concile, sous la haute autorité du
pape.
Un peu plus tard, le 22 septembre, une nouvelle lettre pro-
116 CHALCÃDOINE
pose au pape de venir lui-même en Orient pour tenir le con-
cile. Si le pape ne peut se déplacer, l'empereur convoquera
les évêques de Thrace, d'Orient et d'Illyrie à un concile qui
établira ce qui est utile à la foi catholique,* comme Sa Sain-
teté l'a défini selon les canons de l'Ãglise » 200. Pulcliérie, de
son côté, faisait savoir à saint Léon qu'Anatole avait renoncé
à l'erreur et adhéré à la vraie foi ; les évêques exilés par Théo-
dose avaient été rappelés. Ainsi Anatole abandonnait son pro-
tecteur Dioscore, qui l'avait élevé au siège de Constantinople !
Pulchérie demandait au pape de vouloir bien répondre aux pro-
positions de Marcien 201. Nous savons aussi que Théodoret et
Eusèbe de Dorylée intervinrent l'un auprès de l'empereur,
l'autre auprès du pape, pour pousser à la convocation d'un con-
cile 202.
Cependant, ce n'est que le 13 avril 451 que Léon répond Ã
ces lettres venues de Constantinople : il écrit à Marcien, à Pul-
chérie, à Anatole, à Julien de Kios 203 ; il se félicite des bonnes
dispositions de tous, de leur zèle et de leurs efforts pour la
concorde et la paix, du triomphe de la vérité catholique ; il
précise les mesures à prendre pour la réconciliation des évêques
qui avaient failli à Ãphèse ; mais il ne dit pas un mot du
concile.
Quelques jours plus tard, le 23 avril, Léon répond à une nou-
velle invitation de l'empereur 204 : il n'est pas nécessaire de ris-
quer de troubler la paix revenue en soulevant à nouveau des
questions doctrinales qui sont maintenant apaisées. Il ne reste
plus qu'à prendre des mesures de clémence envers les égarés
qui demandent leur pardon. Quant au concile que Marcien
désire convoquer, une ambassade de Rome expliquera à l'em-
pereur, « plenius atque opportunius », ce qu'en pense le pape.
L'ambassade annoncée ne partit qu'au début de juin ; elle
emportait, à l'adresse des mêmes destinataires, tout un courrier
daté du 9 205. Léon ne faisait guère qu'y répéter ce qu'il avait
écrit le 13 avril. A Marcien cependant, il exprimait très habile-
ment sa pensée au sujet du nouveau concile projeté :
LE CONCILE DE CHALCÃDOINE 117
« Comme Votre Clémence s'en souvient, nous avons, nous
aussi, demandé la réunion d'un concile. Mais les circonstances
difficiles du moment ne permettent absolument pas de ras-
sembler les évêques de toutes les provinces ; car les provinces
d'où précisément il faudrait les convoquer sont troublées par la
guerre, et ne souffrent pas qu'ils s'absentent de leurs églises.
Ainsi, que Votre Clémence ordonne que le concile soit reporté
à un moment plus opportun, quand le Seigneur permettra
qu'une sécurité plus assurée nous soit rendue ».
Le pape le rappelle à Marcien, il avait avec insistance
demandé à Théodose la convocation d'un concile en Italie ;
mais maintenant que l'avènement de Marcien, les bonnes dis-
positions d'Anatole, l'éloignement d'Eutychès ont ramené la
paix, il ne veut pas d'une assemblée qui, â on l'a trop vu Ã
Ãphèse, â risquerait de tout compromettre à nouveau. Qu'on
le laisse agir, par lui-même et par ses légats à Constantinople.
En face de la politique impériale, saint Léon entend maintenir
la liberté d'action du Siège Apostolique, appuyé sur les évêques
d'Occident, ceux-là surtout qu'il faudrait convoquer à un con-
cile éventuel. Mais cela, Léon ne le dit pas : l'invasion des
Huns qui menace l'Occident, et interdit aux évêques de quitter
leurs églises, est un motif suffisant pour suggérer à l'empereur
de repousser le concile jusqu'Ã des temps meilleurs.
Mais alors que Léon écrivait ainsi à Marcien, le concile était
déjà convoqué.
La convocation du concile à Nicée.
Le 23 mai en effet, Marcien avait écrit à Anatole pour lui
annoncer sa décision de réunir un concile à Nicée en Bithynie.
« Comme le montre la lettre de Léon, l'évêque très aimé de
Dieu de la glorieuse ville de Rome », des doutes se sont élevés
au sujet de la foi orthodoxe. Un concile tranchera ces discus-
sions, et fera connaître plus clairement et pour toujours la vraie
foi, afin qu'à l'avenir il n'y ait plus ni doute ni différend. Les
évêques devront se trouver à Nicée pour le 1er septembre.
118 CHALCEDOINE
L'empereur y sera aussi en personne, à moins que les nécessités
de l'Ãtat ne l'obligent à une expédition militaire. Des lettres
analogues durent être envoyées aussi à saint Léon et aux
autres métropolitains 206.
Marcien, comme naguère Théodose II ou autrefois Constan-
tin, entend donc rester fidèle à son devoir de Basileus, chargé
de maintenir la paix de l'empire en assurant la paix et l'unité
de l'Ãglise, et en s'attirant par là la protection de Dieu. A ce
titre il prend sur lui de convoquer un concile, d'en fixer le
lieu et la date, d'obliger les évêques à s'y rendre. Personne
ne s'en étonne ni ne conteste ce droit du prince.
Ainsi saint Léon, dans les deux lettres successives qu'il adresse
à Marcien les 24 et 26 juin 207. Mais le pape ne cache pas son
déplaisir de la décision prise ; il répète encore et encore qu'il
aurait voulu que le concile se tînt en Italie et plus tard, quand
les temps seraient redevenus plus calmes. A Anatole, Ã qui il
écrit aussi le 26, il se plaint du délai trop court qui est laissé
pour écrire aux évêques des provinces éloignées, et réunir vrai-
ment « un concile universel ». Cependant, il ne s'oppose pas
à la décision de l'empereur : non renitor. Mais, chose signi-
ficative, Léon entend bien qu'on ne remette pas en question
(retractari) la foi catholique qu'avec l'aide de l'Esprit de Dieu
nous enseignons pour l'avoir apprise des apôtres par l'inter-
médiaire « des saints Pères » *. Cette foi, comme Léon le pré-
cise le même jour à Paschasinus qu'il choisit comme légat, c'est
celle que lui-même a définie dans sa lettre à Flavien, lettre
« que reçoit l'Ãglise universelle », et qui est la norme à laquelle
il faudra se référer. Le concile ne devra donc s'occuper que
de maintenir la foi qui a jadis été définie à Nicée, et de régler
la situation personnelle des évêques qui se sont compromis Ã
Ãphèse.
Le pape ne pourra se rendre en personne au concile, mais
pour bien montrer qu'il ne veut pas en être absent, il envoie
* On pourra retenir cette formule comme une intéressante définition
des rapports entre la tradition et la magistère.
LE CONCILE DE CHALCEDOINE lig
des légats qui tiendront sa place et en son nom présideront le
concile. Léon parle ici en termes plus précis et plus fermes que
ne l'avait fait avant lui Célestin : aux légats qu'il envoyait Ã
Ãphèse, celui-ci demandait seulement d'être présents à tout ce
qui se ferait, et de faire exécuter ce que le pape avait déjÃ
décidé.
Léon délègue ainsi Paschasinus, évêque de Lilybée (Marsala)
en Sicile, une province encore en sécurité, Lucensius, évêque
d'Ascoli, le prêtre Boniface, et un notaire. A eux se joindra
Julien de Kios, qui connaît bien les affaires d'Orient, et qui
devra en tout se concerter avec eux, et agir comme eux avec
l'autorité de Léon lui-même208.
Le 26 juin encore, le pape écrit au concile qui doit se réunir
à Nicée : l'empereur a voulu tenir un « plénum concilium »
pour réduire à rien les embûches du diable et restaurer la paix
de l'Ãglise, et voulant respecter le droit et l'honneur du bien-
heureux apôtre Pierre, il a invité le pape à y venir en personne.
Mais comme ni les difficultés de l'heure, ni l'usage ne lui per-
mettent de se déplacer, Léon présidera lui-même le concile
en la personne de ses légats. Il a déjà « plenissime et lucidis-
sime » défini la foi à l'incarnation dans sa lettre à Flavien :
il n'y a pas à s'en écarter, non plus que de ce qui a été défini
à Ãphèse sous la présidence de Cyrille ; les partisans de Nes-
torius ne doivent pas se prévaloir de la condamnation d'Euty-
chès. Le concile devra rétablir sur leurs sièges les évêques qui
en ont été expulsés pour la foi209. Le 20 juillet, Léon écrira Ã
Pulchérie qu'il a voulu par cette lettre indiquer aux évêques
l'ordre (formam) qu'ils auront à suivre dans ce jugement, pour
éviter qu'aucune témérité ne vienne s'opposer à la règle de la
foi, aux statuts des canons, ou aux remèdes de la miséricorde 210.
Léon entend bien empêcher que ne se reproduisent les scan-
dales de 449.
La position du pape est claire. Il ne tient pas à un concile,
qui lui paraît maintenant inutile, et risque de troubler à nou-
veau les esprits. En tout cas, il voudrait que ce concile se tînt
plus tard, quand la sécurité sera rétablie, â et en Italie : alors
120 CHALCÃDOINE
les évêques d'Occident pourront y venir en grand nombre, et
le concile sera vraiment un « concile universel » ; après les
événements de 449, le pape se défie de la prépondérance des
Orientaux ! â Cependant, puisque l'empereur a pris sur lui
de convoquer un concile, le pape ne s'y oppose pas ; mais il
entend bien en assumer la présidence et la direction effective
par ses légats. Ces lettres de l'été 451 manifestent clairement la
haute conscience qu'a saint Léon de l'autorité du Siège Apos-
tolique, et du rôle qu'il lui revient de tenir au concile. Ce ne
sera plus Dioscore, ni même saint Cyrille qui présidera, mais
bien, par ses représentants, le successeur du bienheureux
Apôtre Pierre.
Le transfert du concile de Nicée à Chalcédoine.
Le 1er septembre, les évêques étaient arrivés à Nicée en
grand nombre. Une tradition, qui remonte au temps même du
concile, veut qu'ils aient été 600 ou 630 : deux fois plus qu'au
premier concile de Nicée ! Même s'il faut en rabattre de ce
chiffre, et le ramener à 350 ou 360, le nombre des Pères reste
plus élevé qu'en aucun autre des conciles de l'antiquité, et
on comprend que les contemporains en aient été impressionnés.
Mais, dans cette foule d'évêques, c'était, comme déjà à Nicée
et à Ãphèse, l'épiscopat de langue grecque qui était en grande
majorité : Syrie, Asie, Pont, Thrace, Ãgypte, Palestine, Illy-
rie. L'Occident ne sera représenté que par les trois légats ro-
mains, et par deux évêques africains : encore ceux-ci n'étaient-
ils là que par hasard, ayant fui jusqu'en Orient leur province
envahie par les Vandales.
Bientôt arriva une lettre de Marcien : voulant assister au con-
cile, mais retenu par les affaires de l'Ãtat, l'empereur demandait
aux évêques de l'attendre et de prendre patience211. Les prélats
cependant durent s'impatienter ; certains étaient malades ; on
écrivit à l'empereur. D'autre part, les légats romains ne voulaient
pas paraître au concile en l'absence de l'empereur. Marcien
décide donc de transporter le concile à Chalcédoine, sur la
LE CONCILE DE CHALCÃDOINE 121
rive du Bosphore en face de Constantinople (aujourd'hui Kadi-
Keuy) ; ainsi, même si les affaires publiques le retiennent dans
la capitale, il pourra facilement être présent aux séances. Des
mesures seront prises pour que les partisans d'Eutychès ou
d'autres agitateurs ne fomentent pas de troubles 212.
Première session : réhabilitation de Flavien.
Le 8 octobre 451, les évêques se réunissent donc à Chalcé-
doine, dans la basilique de la sainte martyre Euphémie*. Assem-
blée imposante, comme l'Ãglise n'en avait encore jamais vue !
On peut facilement s'en représenter l'image. Trop nombreux
pour pouvoir tenir séance dans le secretarium, les évêques
avaient pris place dans la basilique elle-même. Au centre, devant
les cancels du presbyterium, siégeaient les commissaires impé-
riaux, qui n'étaient pas moins de dix-neuf, pris parmi les plus
hauts fonctionnaires de la cour. A leur gauche, dans la nef,
étaient assis les trois délégués romains, après eux Anatole de
Constantinople, les évêques d'Antioche, de Césarée de Cappa-
doce, d'Ãphèse, puis les évêques d'Orient, du Pont, d'Asie, de
Thrace. En face d'eux, Ã droite du bureau, Dioscore d'Alexan-
drie, Juvénal de Jérusalem, les évêques d'Ãgypte, d'Illyrie, de
Palestine. C'étaient en fait deux partis qui siégeaient face Ã
face, d'un côté : Rome, Constantinople, les adversaires de Dios-
core ; de l'autre : les partisans de Dioscore et d'Eutychès. â
Au milieu de l'assemblée, comme à Ãphèse, avait été placé le
livre des Ãvangiles.
Dès l'ouverture de la séance, le représentant de 6aint Léon,
* L'historien Evagre a décrit cette basilique, située à deux stades
environ de la ville, face à Constantinople, dans un site agréable d'où la
vue s'étend sur la campagne et sur la mer. Précédée d'un atrium entouré
d'une colonnade, la basilique elle-même, un peu plus longue que l'atrium,
est flanquée sur le côté nord-est d'un édifice circulaire à deux étages, qui
abrite le sarcophage de la martyre (Hist. Eccl. II, 3 ; PG 86, 2492-2493). â
On se rappellera que quelque trente-cinq ans plus tôt, Ethérie avait fait
halte à Chalcédoine, « à cause du très célèbre martyrium de sainte
Euphémie» (Itiner. 23).
122 CHALCÃDOINE
Paschasinus, se lève ; debout au milieu de l'assemblée, il dé-
clare :
« Nous avons des instructions du bienheureux et apostolique
évêque de Rome, qui est le chef de toutes les Ãglises, pres-
crivant que Dioscore ne doit pas siéger au concile ; s'il tente
de le faire, qu'il soit expulsé. Il nous faut respecter ces ins-
tructions. S'il plaît à Votre Grandeur, qu'il s'en aille, ou c'est
nous qui nous en irons » 213.
Il faut essayer d'imaginer quel dut être sur l'assemblée, et
sur Dioscore lui-même, l'effet de cette mise en demeure péremp-
toire. C'est le légat du Siège Apostolique qui parle et agit,
conscient de l'autorité qu'il représente. Et Dioscore, qui deux ans
auparavant à Ãphèse avait été tout puissant, n'ouvre même pas
la bouche !
Cependant les commissaires demandent ce qu'on reproche
à l'évêque d'Alexandrie. Le second légat, Lucensius, s'en ex-
plique : « Il a osé tenir un concile sans en avoir reçu mandat du
Siège Apostolique : ce qui ne s'est jamais fait, et ne doit pas
se faire » *.
Alors Dioscore, passant du rôle de juge à celui d'accusé, quitte
sa place et vient au milieu de l'assemblée. Le concile, convoqué
par l'empereur pour traiter la question doctrinale soulevée par
l'affaire d'Eutychès, sera en fait le procès de Dioscore. On y
parlera fort peu du pauvre archimandrite ! Saint Léon de son
côté jugeait la question de foi suffisamment réglée par sa lettre
à Flavien, et estimait qu'il n'y avait plus qu'à liquider les ques-
tions de personnes : c'est son point de vue qui commence par
l'emporter.
Le procès de Dioscore s'engage donc : Eusèbe de Dorylée
reparaît une fois de plus et présente la requête qu'il adresse
aux empereurs contre Dioscore et ses agissements à Ãphèse.
* Ceci n'est pas tout à fait exact, puisque Célestin avait accepté le
concile et s'y était fait représenter ; cf. P. Batiffol, Le Siège Apostolique,
538, n. 1.
LE CONCILE DE CHALCEDOINE 123
A son tour, Dioscore, pour se justifier, demande qu'on fasse
lecture des Actes d'Ãphèse. Eusèbe s'associe à cette demande.
Toute la journée va être remplie par la lecture interminable
de ces documents, dans lesquels s'insèrent les procès-verbaux
du synode permanent de 448, qui a condamné Eutychès. Cette
lecture provoquera bien des incidents, des interruptions, des
cris, des remous violents. Ainsi, tout au début, on lit la lettre de
Théodose qui interdisait à Théodoret de paraître au concile
d'Ãphèse ; mais comme l'évêque de Cyr a été rétabli sur son
siège par saint Léon, les commissaires lui donnent place dans
l'assemblée. Quand il entre dans la basilique, grand tapage des
Ãgyptiens, des Palestiniens, des Illyriens, contre l'hérétique, le
maître de Nestorius, celui qui a anathématisé saint Cyrille. Les
Orientaux leur répondent en criant : « A la porte Dioscore l'as-
sassin ! » Les commissaires rétablissent le silence en faisant
observer que ces cris « plébéiens » ne conviennent pas à des
évêques et ne rendent pas service aux parties en cause 214.
Le rappel des scènes du brigandage d'Ãphèse est pour les
évêques l'occasion de s'expliquer sur leur conduite d'alors.
Dioscore cherche à se justifier en rappelant que tout le concile
avait approuvé, de vive voix et par écrit, tout ce qu'il avait
décidé, lui Dioscore, et avec lui Juvénal et Thalassius. Les
Orientaux protestent bruyamment : ils n'ont pas consenti, on
les a intimidés, on leur a fait violence, ils ont signé un papier
en blanc sous la menace des bâtons et des épées ...c Vous avez
signé les premiers », leur crient les égyptiens. Et comme des
clercs protestent, ils continuent : c Pourquoi ces cris des clercs ?
le concile est l'affaire des évêques, et non des clercs : dehors les
étrangers ! » *
Les pauvres évêques plaident coupable, et supplient qu'on
leur pardonne. Dioscore d'autre part se défend assez vigoureu-
* Conciliorum episcoporum esse, non clericorum. Sur l'histoire ulté-
rieure de cette formule, qui, par un curieux hasard, devait devenir comme
un axiome théologique, voir la note de P. R. Cren, Conciliorum episcoporum
esse. Note sur Vhistoire d'une citation des Actes du Concile de Chalcè-
doine, dans Reo. Se. Phil. et Théol. 46 (1962), 45-62.
124 CHALCÃDOINE
sèment, et on assiste à de belles passes d'armes ! Quand les
évêques qui ont condamné Flavien s'en excusent en rappelant
qu'on leur a fait violence, les Ãgyptiens leur crient : « Un chré-
tien n'a peur de rien ! un orthodoxe n'a peur de rien !... S'ils
avaient eu peur des hommes, il n'y aurait pas eu de martyrs ! »
Plus intéressant est peut-être l'affrontement des doctrines. Si
Basile de Séleucie s'explique très nettement sur le Christ qui
est « en deux natures », et non « de deux natures », Dioscore par
contre répétera jusqu'à la fin : « J'accepte de dire qu'il est
« de deux natures », mais je n'accepte pas de dire : « deux
natures » ; il y va pour moi de mon âme ! ». Il y a malgré tout
quelque chose d'émouvant dans cette pitoyable obstination ! A
un autre moment, entendant lire dans les comptes rendus de
Constantinople que « le Fils de Dieu a assumé un homme par-
fait », Eustathe de Béryte s'écrie : « Il n'a pas assumé un
homme, mais il s'est fait homme ; il a assumé une chair » !
Auparavant d'ailleurs, le même Eustathe s'était expliqué clai-
rement sur les deux natures : « Celui qui dit une nature pour
nier que la chair du Christ est consubstantielle à la nôtre, qu'il
soit anathème; et celui qui dit deux natures pour diviser le
Fils de Dieu, qu'il soit anathème...» Et quand on lui demande
pourquoi il a condamné Flavien, il répond assez piteusement :
« Je me suis trompé ...»
Dans les Actes se trouvaient insérées deux lettres de saint
Cyrille, la seconde lettre à Nestorius 215 et la lettre de 433 Ã
Jean d'Antioche 216 ; leur lecture provoque des cris d'approba-
tion, approbation assez mêlée d'ailleurs ; les Ãgyptiens et les
Illyriens acclament la mémoire de saint Cyrille qui a condamné
Nestorius ; les Orientaux rappellent que Flavien aussi croyait
ainsi et que Léon croit ainsi217. L'unanimité profonde est loin
d'être faite !
Quand enfin les commissaires impériaux posent la question
décisive : oui ou non, Flavien était-il orthodoxe ?, Paschasinus
LE CONCILE DE CHALCÃDOINE 125
répond que Flavien, de bienheureuse mémoire, a professé une
foi pure et entière, conforme à la lettre du bienheureux et apos-
tolique évêque de Rome. Anatole est du même avis, et Lucen-
tius déclare que le concile doit donc réhabiliter Flavien. Les
Orientaux approuvent ; Dioscore proteste parce que Flavien a
parlé de deux natures. Mais Juvénal de Jérusalem estime l'ensei-
gnement de Flavien conforme à celui de Cyrille, et pour mar-
quer son accord, il quitte sa place et passe de l'autre côté de
l'assemblée. Les Palestiniens le suivent, et même quatre égyp-
tiens, qui abandonnent leur patriarche. Flavien est réhabilité,
et Dioscore a subi un cuisant échec 218.
La nuit était venue, et la lecture des Actes se prolongeait
encore, à la lumière des cierges 219. Mais les commissaires dé-
cident de remettre au lendemain l'examen attentif des questions
de foi. Puisqu'il est apparu que Flavien et Eusèbe ont été injus-
tement déposés, il semble équitable, si cela plaît à l'empereur,
d'infliger la même peine à Dioscore, à Juvénal de Jérusalem, et
aux autres acteurs du synode d'Ãphèse. Les Orientaux et ceux
qui ont pris parti pour eux répondent par des acclamations Ã
l'adresse du concile et de l'empereur, et par le chant du Tri-
sagion : « Hagios o Theos, Hagios Ischyros, Hagios Aihanatos,
eleison imas » *.
Et avant qu'on ne se sépare, les commissaires demandent de
chacun des évêques une profession de foi écrite, conforme aux
credo de Nicée et de Constantinople, aux lettres et aux exposés
des Pères, aux deux lettres « canoniques » de saint Cyrille, qui
ont été confirmées et publiées au premier concile d'Ãphèse, et
à la lettre de Léon à Flavien 220. L'empereur tient à décider de
la question doctrinale et à le faire par un document écrit.
* Duchesne fait remarquer que « c'est la première fois qu'il est question
de cette acclamation célèbre » (Hist. anc. de l'Eglise, III, 433, n. 1). Elle
a été conservée dans la liturgie romaine du vendredi-saint (Impropères).
126 CHALCÃDOINÃ
Deuxième session : vers une formule de foi.
La séance du 10 octobre, â au moins d'après ce que nous en
ont conservé les Actes, â fut beaucoup plus brève que la pre-
mière221. Dès le début, les commissaires expriment le désir,
qui est certainement celui de l'empereur, de voir le concile
présenter un exposé (ecthésis) de la foi. Très nettement, les
évêques se refusent à donner de leur foi une formule autre que
celle des Pères de Nicée, des lettres de Cyrille et de Léon. Et
ils demandent qu'on fasse lire de nouveau ces documents. On
entend ainsi le credo de Nicée, puis celui des cent cinquante
Pères de Constantinople *, puis les deux lettres de saint Cyrille,
et ia lettre de saint Léon à Flavien.
A cette lecture répondent des acclamations enthousiastes :
« Voilà la foi des pères, voilà la foi des apôtres ! Tous nous
croyons ainsi ! Anathème à qui ne croit pas ainsi ! Pierre a
parlé ainsi par Léon ! Les apôtres ont enseigné ainsi ! Léon a
enseigné selon la piété et la vérité ! Cyrille a enseigné ainsi !
Ãternelle mémoire de Cyrille ! Léon et Cyrille ont enseigné
de même !...». On se plaît ainsi à souligner expressément
l'accord de saint Léon et de saint Cyrille, leur accord avec la
foi de Nicée, la foi des « pères » et des apôtres. Et de nouveau
on reproche à Dioscore d'avoir à Ãphèse refusé de faire lire la
lettre de saint Léon.
Cependant quelques formules de celui-ci sur les deux natures
étonnent les Illyriens et les Palestiniens, qui demandent des
explications. On les rassure en alléguant des textes de saint
Cyrille qui peuvent s'entendre dans le même sens. Ainsi le
concile n'a pas eu à choisir entre Cyrille et Léon, au contraire,
* La question du texte du Credo de Nicée tel qu'il fut lu à Chalcé-
doine, et tel que l'a publié Schwartz, a jadis fait couler beaucoup d'encre,
et peut-être inutilement. Nous pouvons la considérer comme résolue, et
tenir pour authentique le texte traditionnel du « Symbole de Nicée ».
Quant au « Symbole de Constantinople », on pourra observer ici que c'est
à Chalcédoine que ce texte est pour la première fois attribué au « Concile
des cent-cinquante Pères » (Voir J. N. D. Kelly, Early Christian Creeds
London, 1950, 298-301).
LE CONCILE DE CHALCÃDOINE 127
il a tenu à les accueillir tous les deux, et, fût-ce au prix de
rapprochements un peu forcés, à marquer leur accord.
C'est alors qu'Atticus de Nicopolis demande qu'on laisse quel-
ques jours au concile pour que les pères puissent tranquillement
décider « ce qui plaît à Dieu » ; il demande en outre qu'on leur
communique la lettre de saint Cyrille à Nestorius « dans laquelle
il l'invite à souscrire aux douze capitula». Les évêques aussi
demandent que les pères puissent examiner ce document, et les
commissaires invitent Anatole à réunir chez lui, dans les cinq
jours, quelques évêques qui pourront étudier les moyens de
réduire les dernières hésitations *. Mais on voit bien que le
concile ne veut pas d'une nouvelle formule de foi.
Troisième session : déposition de Dioscore.
Trois jours après, les évêques s'assemblent à nouveau dans le
martyrium de sainte Euphémie ** 222. Cette fois, les hauts digni-
taires de la cour n'y sont pas ; des laïcs ne doivent pas prendre
part à un jugement où on va déposer un évêque. C'est Pascha-
sinus qui préside ; il rappelle qu'il le fait au nom du « bienheu-
reux et apostolique pape Léon », qui, invité au concile n'y est
pas venu en vertu d'un usage très ancien, comme en raison des
nécessités de la situation générale. Paschasinus fait donc lire
le réquisitoire d'Eusèbe de Dorylée contre Dioscore. Puis on
convoque l'évêque d'Alexandrie. La même scène se reproduit
qu'on avait déjà vue à Ãphèse lors de la condamnation de
* Ainsi, il paraît bien que les anathématismes n'ont été ni lus ni
approuvés à Chalcédoine. La démonstration du Père P. Galtier semble
ici décisive, et les raisons que lui a opposées le Père A. Deneffe ne sont
pas absolument convaincantes. Mais, on le voit aussi, il est inexact de
dire, comme on le répète à la suite de Duchesne (Hist. anc. de l'Eglise,
III, 435), que le concile a éludé ou même refusé la lecture de la lettre
et des anathématismes. Voir en dernier lieu Dom H. Diepen, Douze
dialogues de christologie ancienne, 116-125.
** A. M. Schneider a montré (Chalkedon, I, 291) qu'il n'y a pas lieu
de distinguer ici entre église et martyrium proprement dit. Une assemblée
aussi nombreuse n'aurait pas pu se réunir dans la rotonde élevée sur le
tombeau de la martyre.
128 CHALCÃDOINE
Nestorius : trois fois une délégation est envoyée à Dioscore, qui
trois fois refuse de se présenter, alléguant qu'il est gardé à vue
et ne peut sortir librement, qu'il est malade, qu'il ne se défen-
dra qu'en présence des représentants de l'empereur. Dans l'in-
tervalle de ces allées et venues, l'assemblée a entendu la lecture
de libelles adressés « au très bienheureux archevêque et pa-
triarche Åcuménique de la grande Rome, et au saint et Åcumé-
nique concile » : trois clercs et un laïc d'Alexandrie se plaignent
des injustices et des violences de Dioscore à leur égard223 *.
Le concile d'ailleurs ne devait pas instruire ce procès.
Mais Paschasinus reprend la parole. Dioscore, convoqué trois
fois pour répondre des accusations portées contre lui, a refusé
de comparaître ; quelle sanction mérite-t-il ? â On répond
unanimement : « Ce qui est conforme aux canons ». Et Julien
d'Hypaipè ajoute : « Nous demandons aux représentants du
très saint archevêque Léon de prononcer eux-mêmes contre
Dioscore les peines canoniques convenables ». Le concile s'en
remet aux légats. Quand Paschasinus demande : « Encore une
fois, que décide Votre Béatitude ? », Maxime d'Antioche ré-
pond : « Ce qui plaira à Votre Sainteté ; et nous serons du
même avis »
224
* Saint Grégoire le Grand y fera allusion dans sa polémique avec
Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople, qui revendiquait le titre
de « patriarche Åcuménique » (Ep., v, 18. 20. 43 ; vm, 30 ; PL 77, 740,
747, 771, 933).
LE TOME A FLAVIEN âº
Lettre de saint Léon à Flavien de Constantinople, tirée du
manuscrit Parisinus Latinus 12097, fol. 102, datant du vi" s.,
écrit dans le sud-est de la Gaule, passé à l'abbaye de Corbie,
puis à saint Germain des Prés (cf. ACO, II, iv, p. XIII). A la
ligne 14-15 ont peut lire : « Salva igitur proprietate utriusque
substantlae... ». (Cliché B. N. Parla).
LE CONCILE DE CHALCEDOINE 129
Paschasinus donc, avec ses collègues romains, prononce solen-
nellement la sentence. Il rappelle les griefs que l'on a for-
mulés contre Dioscore : il a de son propre chef et avant la
réunion du concile à Ãphèse admis à la communion Eutychès,
qui avait été canoniquement excommunié par son évêque Fla-
vien ; il a persisté dans son attitude au lieu de s'en repentir
comme l'ont fait les autres évêques compromis à Ãphèse; il
a refusé de laisser lire la lettre de Léon à Flavien ; il a eu l'au-
dace de prononcer l'excommunication contre le pape ; il a par
trois fois refusé de se présenter devant le concile. « Aussi, le
très saint et bienheureux archevêque de la grande et ancienne
Rome, Léon, par nous et par le très saint synode ici présent, avec
le trois fois bienheureux et trois fois glorieux Apôtre Pierre, qui
est la pierre et la base de l'Ãglise catholique, le fondement de
la foi orthodoxe, l'a dépouillé de l'épiscopat et exclu de toute
fonction sacerdotale. Que le très saint et grand concile pro-
nonce donc sur le dit Dioscore ce qui est conforme aux canons ».
On ne saurait manquer de souligner en passant la solennelle
fermeté de cette sentence : c'est Léon lui-même qui par ses
légats, et par le concile, décide souverainement de la déchéance
du patriarche d'Alexandrie *.
* Saint Léon transmettra aux évêques de Gaule le texte latin de cette
sentence (Ep. 103 ; PL 54, 989-992 ; ACO II, iv, 155-156). On remarquera
dans ce texte une variante assez curieuse : « Léo, per nos vicarios suos,
sancta synodo consentiente, etc. »
â 4 SAINT LEON LE GRAND
Sur la fresque de la paroi gauche de Santa Maria Antiqua au
Forum romain (vn* s.), on volt à droite du Christ les papes
Clément, Sylvestre, Léon et Alexandre. Dans l'abside de la
même église, une autre fresque, beaucoup moins lisible, re-
présente l'Annonciation : autour de la scène, on voit les grands
docteurs, Basile, Chrysostome, Grégoire de Nazianze, Léon.
Celui-ci porte un rouleau sur lequel on peut déchiffrer quel-
ques lignes du Tome à Flavien. (Cliché Soprint. Foro Romano).
130 CHALCEDOINE
Anatole de Constantinople se déclare d'accord avec le Siège
Apostolique pour condamner et déposer Dioscore, « jadis évêque
d'Alexandrie ». Après lui cent-quatre-vingt-douze évêques ex-
priment leur avis en termes analogues 225, la sentence de dépo-
sition sera revêtue de trois cent huit signatures *.
On signifie la sentence à Dioscore ; on en avertit également
les clercs alexandrins présents à Chalcédoine, qui auront à élire
un nouvel évêque; et on rend compte à l'empereur de tout ce
qui vient de se passer226. Dioscore sera immédiatement envoyé
en exil à Gangres, en Paphlagonie.
Quatrième session : questions de personnes.
Le 17 octobre, trois cent cinq évêques se réunissent de nou-
veau, â et parmi eux Théodoret. Cette fois les fonctionnaires
impériaux sont présents. Ils font relire, dans les procès-verbaux
des séances précédentes, les points laissés en suspens, c'est-à -
dire la décision à prendre envers Juvénal de Jérusalem et les
autres protagonistes du brigandage d'Ãphèse, et surtout la ques-
tion d'une nouvelle formule de foi : « Après avoir pris connais-
sance de ce qui a déjà été décidé, que le très religieux Concile
nous enseigne ce qu'il pense au sujet de la vraie foi ».
Paschasinus prend alors la parole : le Concile garde et main-
tient la règle de la vraie foi exposée par les trois-cent dix-huit
pères de Nicée, confirmée par les cent cinquante évêques du
concile de Constantinople, il reçoit l'exposition qu'en a faite
saint Cyrille au concile d'Ãphèse. Enfin la lettre de saint Léon
condamnant Nestorius et Eutychès montre clairement quelle est
la vraie foi. Le saint concile garde cette foi et ne supporte
pas qu'on y ajoute ou qu'on en retranche rien.
Les évêques s'écrient tous : « Ainsi croyons-nous tous ; ainsi
nous avons été baptisés, ainsi nous baptisons...» On vote
encore une fois par sententiae ; chaque évêque déclare sous-
* Les Actes grecs ne portent que deux-cent-cinquante-deux signatures :
cette différence s'explique sans doute par le fait que la traduction latine
a pu conserver des signatures recueillies après coup.
LE CONCILE DE CHALCÃDOINE 131
crire à l'enseignement de Léon, qui est identique à la foi de
Nicée, d'Ãphèse, de Cyrille227. Malgré le désir de l'empereur,
le concile reste fermement opposé à toute nouvelle formulation
dogmatique.
Marcien avait été consulté sur le sort qu'il fallait réserver
à Juvénal de Jérusalem et aux autres évêques responsables de
ce qui s'était passé à Ãphèse. On attendit plusieurs heures la
réponse impériale : Marcien s'en remettait au concile. Avec
Anatole, tout le concile demande que les évêques soient réin-
tégrés dans l'assemblée : on les fait donc entrer et ils reprennent
leur place parmi leurs collègues.
Il y avait aussi le cas de treize évêques égyptiens qui deman-
daient qu'il leur fût permis de s'en tenir à la foi de leurs pères ;
c'était refuser de confesser les deux natures en souscrivant Ã
la lettre de saint Léon et à la condamnation d'Eutychès. On
veut les y contraindre. Ils s'y refusent absolument, prétextant
qu'il ne leur est permis de prendre aucune décision aussi long-
temps qu'il n'y aura pas d'évêque à Alexandrie. Ils supplient
qu'on ait pitié de leurs cheveux blancs ; ils préfèrent mourir
sur place plutôt que d'être massacrés à leur retour en Egypte 228.
« C'est une comédie ! » remarque Batiffol. Le concile se rend
à l'avis de Paschasinus et des commissaires : les égyptiens
attendront à Constantinople qu'il y ait un évêque à Alexandrie.
Une scène analogue se produit ensuite au sujet d'un certain
nombre d'archimandrites et de moines de Constantinople, intro-
duits par Dorothée et Carosus. La présence parmi eux de Bar
Sauma provoque des remous d'indignation : « A la porte l'assas-
sin ! » â Ces moines refusent absolument de condamner Euty-
chès et de professer une autre foi que celle de leur baptême
et du concile de Nicée.
Sans que le cas ait été réglé, les commissaires lèvent la
séance en annonçant qu'une formule de foi (typos) sera donnée
par le concile 229.
La même affaire occupe une autre séance, le 20 octobre : si
132 CHALCEDOINE
dans les trente jours les moines en question ne se soumettent
pas aux décisions du concile, ils seront déposés et excommu-
niés.
Le 20 octobre encore, on règle un différend qui s'était élevé
entre Photius de Tyr et Eustathe de Béryte : celui-ci s'était fait
accorder par Théodose II le titre de métropolite, et Anatole
avec le synode endémousa lui avait reconnu juridiction sur des
églises ressortissant à Tyr. Tous les évêques protestent contre
cette immixtion de l'empereur dans les affaires ecclésiastiques,
â il faut dire qu'il s'agit d'un empereur défunt et du prédéces-
seur de Marcien ! â Le concile réprouve donc cette « pragma-
tique » de Théodose, contraire aux canons 230.
Cinquième session : la définition dogmatique.
On a déjà remarqué les divergences doctrinales qui parta-
geaient l'assemblée : fallait-il dire « de deux natures », ou «en
deux natures ? » On a vu aussi le désir de l'empereur de faire
rédiger une formule de foi se heurter à la résistance des évêques.
On a vu l'opposition larvée des Palestiniens et des Illyriens Ã
la théologie de la Lettre de saint Léon. Une crise était latente :
elle éclate enfin le 22 octobre. Dès l'ouverture de la séance,
le patrice Anatolios qui présidait, fait lire une formule de foi,
qui avait sans doute été élaborée par la commission prévue
lors de la séance du 10 (ci-dessus, 127). Le concile n'a malheu-
reusement pas jugé bon de faire insérer dans les Actes le texte
de ce formulaire. Nous ignorons quelle en était la teneur ; mais
il est permis de supposer qu'il cherchait à concilier par une
équivoque les partisans et les adversaires des « deux na-
tures » 2S1.
A la question posée par Anatole de Constantinople, qui
semble avoir ici joué double jeu, tous les évêques, « sauf les
romains et quelques orientaux », répondent en adhérant bruyam-
ment à cette formule. Mais Paschasinus intervient immédiate-
ment :
« S'ils n'acceptent pas la lettre du bienheureux et apostolique
LE CONCILE DE CHALCEDOINE 133
archevêque Léon, faites-nous donner copie de ce texte, pour
que nous nous en allions, et le concile se tiendra là -bas (en
Occident) ». Paschasinus lève l'équivoque ; il faut clairement se
prononcer sur les deux natures, telles qu'elles ont été définies
par la lettre du pape ; c'est celle-ci qui doit trancher le débat ;
il faut choisir entre Dioscore et saint Léon ; c'est l'autorité du
Siège Apostolique qui est en cause.
L'instant est dramatique : on voudrait être certain que tous
ces évêques en aient eu le sentiment ! Pour éviter la rupture
qui menace, les représentants de l'empereur proposent la cons-
titution d'une commission, composée de six évêques d'Orient,
de trois d'Asie, de trois du Pont, de trois d'IUyrie, de trois de
Thrace, et des légats romains, qui se réuniront dans l'oratoire
de sainte Euphémie pour mettre au point la définition. Les
évêques protestent : « A la porte les Nestoriens ! La formule
nous plaît à tous ! faites-la signer sur les Ãvangiles ! Sainte
Marie est Theotokos ! Le Christ est Dieu !... »
Les commissaires reprennent : « Dioscore a dit qu'on a
condamné Flavien pour avoir dit qu'il y a deux natures ; la
formule porte : de deux natures ». C'était acculer les évêques Ã
se contredire eux-mêmes. En effet, ces mots « de (ex) deux
natures » pouvaient s'accorder avec la formule d'Eutychès et de
Dioscore : une seule nature après l'union. S'en tenir à ces mots,
comme le voulaient les évêques, c'était renier la condamnation
de Dioscore à laquelle ils avaient souscrit.
Mais Anatole, refusant de s'en tenir à la question doctrinale,
et prenant ouvertement le parti de Dioscore, réplique : « Ce
n'est pas pour la foi que Dioscore a été déposé, mais parce
qu'il a excommunié le Seigneur Léon l'archevêque, et parce que,
convoqué trois fois, il n'est pas venu ».
â « Vous acceptez la lettre de Léon ?» â « Nous l'avons
acceptée et souscrite ». â « Alors que son contenu soit inséré
dans la définition ». â « Non, pas d'autre formule ! La défi-
nition confirme la lettre. Nous croyons comme croit l'arche-
vêque Léon ! Qu'on fasse signer la définition ! Elle contient
tout, elle contient la foi. Léon a parlé comme Cyrille, Célestin
134 CHALCEDOINE
a confirmé ce qu'a dit Cyrille, Xyste a confirmé ce qu'a dit
Cyrille. Un seul baptême, un seul Seigneur, une seule foi ! Pas
de fraude dans la définition ! »
On reste dans l'équivoque ; et on ne veut pas admettre dans
une formule de foi les termes de saint Léon qui parlent de deux
natures. Tout le problème est là . Comment faire entendre rai-
son à cette assemblée passionnée et versatile, plus sensible aux
questions de personnes ou même de mots qu'aux réalités pro-
fondes en cause, et qu'un rien suffit à faire changer d'avis ?
Les légats romains gardent le silence et restent sur leur menace
de départ. Comment sortir de cette impasse et éviter la rup-
ture ?
Les commissaires décident d'en référer à l'empereur. Le secré-
taire du bureau, Beronicianus, est envoyé « au divin palais >.
Il en revient bientôt, porteur d'un message de l'empereur. Mar-
tien ordonne la réunion de la commission dont il a été parlé,
qui mettra au point, sans équivoque possible, la formule de
foi. Si les évêques n'acceptent pas cette formule, le concile se
tiendra en Occident232.
Malgré les acclamations d'usage à l'adresse de l'empereur, la
décision de Martien n'est pas acceptée sans réticence ; on
demande d'entendre à nouveau la lecture de la formule pré-
sentée au début de la séance, à laquelle on veut s'en tenir.
Ceux qui n'en veulent pas sont des nestoriens : qu'ils s'en aillent
à Rome ! Ainsi parlent les Illyriens.
Alors les commissaires mettent les évêques en face d'une
alternative qui engage le fond du problème et coupe court Ã
toute équivoque :
« Dioscore a dit : j'accepte de dire : de deux natures, mais
je n'accepte pas deux natures. Le très saint archevêque Léon
a dit qu'il y a dans le Christ deux natures unies sans confusion
ni changement ni division, en un seul Fils unique, notre Sau-
veur. â Lequel voulez-vous suivre ? Le très saint Léon, ou
Dioscore ? »
LE CONCILE DE CHALCÃDOINE 135
Les évêques s'écrient tous : « Nous croyons comme Léon !
Ses adversaires sont des eutychiens ! L'exposé de Léon est ortho-
doxe !» â « Alors, disent les commissaires, ajoutez donc à la
formule de foi, selon la sentence de notre très saint père Léon,
qu'il y a dans le Christ deux natures unies sans changement
ni séparation ni confusion ».
Et selon l'invitation de l'empereur, les évêques désignés pour
faire partie de la commission se retirent dans l'oratoire de sainte
Euphémie pour y mettre au point la rédaction définitive de
la formule de foi. Quand ils rentrent dans la basilique, les
évêques assis écoutent en silence la solennelle définition si péni-
blement élaborée : « Le saint et grand Concile Åcuménique,
réuni par la grâce de Dieu et l'ordre des très pieux et très
chrétiens empereurs Valentinien et Marcien Augustes, à Chal-
cédoine, métropole de l'éparchie de Bithynie, dans le martyrium
de la sainte et victorieuse martyre Euphémie, a défini...» 23S.
Avec Mgr Batiffol on observera ici que « les légats pouvaient
être satisfaits de cette solution qui écartait toute équivoque cal-
culée ou non, qui rendait hommage à la netteté de Rome, quitte
à ne pas témoigner de l'esprit de suite des évêques à Chalcé-
doine » *.
C'est en effet certainement à la fermeté de la pensée et des
formules de saint Léon, à la décision et à l'autorité de son
légat Paschasinus, et aussi à l'habileté des commissaires impé-
riaux, que le concile de Chalcédoine a dû de ne pas tourner
court comme le brigandage d'Ãphèse, et a pu donner à l'Ãglise
la formule définitive de sa foi au mystère du Verbe Incarné.
Les évêques acclament dans la définition qui leur est pré-
sentée la foi des Pères, la foi des Apôtres : tous sont d'accord,
tous pensent ainsi. Ils demandent qu'on passe immédiatement
à la signature. Mais ce qui a été formulé par les Pères et
approuvé par tous doit encore être soumis à l'empereur 2S4. Ce
sera l'affaire de la session suivante.
Le Siège Apostolique, 551-552.
136 CHALCÃDOINE
Sixième session : l'approbation impériale.
La séance du 25 octobre se déroula en présence de l'empe-
reur et de l'impératrice235.
Marcien prend la parole et s'adresse au concile, d'abord en
latin, qui reste la langue officielle de l'empire, puis en grec.
Dès le début de son règne, il n'a pas eu d'autre souci que de
maintenir parmi ses peuples la concorde et l'unité de la foi.
Cette unité a récemment été troublée par des doctrines con-
traires à la foi des saints Pères. C'est pour remédier à ces erreurs
que Marcien a réuni ce concile. Personne ne doit penser au
sujet de l'incarnation de Notre-Seigneur autre chose que ce
qui a été prêché par les apôtres, enseigné unanimement par les
trois-cent-dix-huit Pères de Nicée, et par « Léon, le très saint
archevêque de la ville impériale, qui gouverne le Siège Apos-
tolique », dans sa lettre à Flavien. Marcien confirme tout
ce qui a été décidé par le concile ; s'il est venu y assister en
personne, ce n'est pas pour faire étalage de sa puissance, mais,
suivant l'exemple de Constantin, pour couper court à toute
confusion ou erreur. Fasse la divine Providence que ce que nous
désirons faire dans un pieux dessein, soit fermement observé Ã
jamais 236.
On relit alors la formule de foi, que tous viennent signer
tour à tour, Paschasinus, Lucentius et Boniface les premiers. Les
Actes ont conservé quatre cent-cinquante-deux signatures *237.
Alors ce sont des acclamations sans fin, Ã Marcien, nouveau
Constantin, nouveau David, Ã l'Augusta, aux gardiens de la
foi et de l'orthodoxie, aux flambeaux de la paix, aux flambeaux
de l'Oikouménè ! Marcien est un nouveau Constantin, Pulchérie
une nouvelle Hélène. Hélène a trouvé la croix du Christ, Pul-
chérie l'a défendue et l'a sauvée. La foi du souverain est la
gloire des églises.
On se congratule encore longuement ; l'empereur félicite et
remercie les évêques et rend grâces à Dieu. Il annonce les
Ici encore, des signatures ont pu être recueillies après coup.
LE CONCILE DE CHALCEDOINE 137
mesures qui seront prises contre ceux qui n'accepteraient pas
la définition de foi : les simples particuliers seraient expulsés de
la ville impériale, les militaires et les clercs seraient dégradés,
sans préjudice d'autres peines. En outre, Marcien fait encore
approuver par le concile trois canons concernant la discipline
ecclésiastique : les moines doivent être soumis à la juridiction
de l'évêque ; clercs et moines ne doivent pas se charger de
l'administration des biens temporels ; les clercs doivent rester
fixés dans la ville où ils ont été assignés au ministère sacré.
Enfin, l'empereur lève la séance en invitant les évêques Ã
demeurer à Chalcédoine trois ou quatre jours encore, pour
traiter des affaires particulières qui peuvent encore se pré-
senter. Que personne ne quitte le saint synode avant que tout
ne soit réglé définitivement238. Tout n'était pas fini en effet !
CHAPITRE IV
LA DÃFINITION DE CHALCÃDOINE.
Analyse et sources de la formule de foi.
On vient de voir dans quelles circonstances et au prix de
quelles interminables discussions fut composée et acceptée la
formule qui exprime la foi des Pères réunis à Chalcédoine,
comment fut évitée une rupture, peut-être un schisme, et de
quelle manière un texte fut accepté à l'unanimité, avec un
enthousiasme qui surprendrait si l'on ne connaissait la versa-
tilité de ces assemblées devêques !
Il nous faut maintenant faire l'analyse littéraire de ce texte,
avant d'en étudier le contenu doctrinal.
Le document se divise assez naturellement en trois parties.
Un long préambule, dans le style diffus et compliqué de la
chancellerie byzantine, rappelle que le zèle des empereurs très
pieux a convoqué les évêques pour faire triompher la vérité
contre les entreprises du Malin. Pour repousser l'erreur, il faut
maintenir la foi qui a été définie par les conciles de Nicée et de
Constantinople, dont les symboles sont cités in extenso.
Vient en second lieu, toujours dans le même style, un exposé
des deux erreurs opposées, celle qui divise le Christ et refuse
à la Vierge le titre de Theotokos (il s'agit de Nestorius), celle qui
confond les natures et prétend que la nature divine du Christ
a souffert (c'est l'erreur d'Eutychès). Contre la première, le con-
cile reçoit les lettres « synodiques » de saint Cyrille ; contre
la seconde, la lettre du pape Léon à Flavien.
LA DEFINITION DE CHALCEDOINE 139
Enfin, en une seule longue phrase, au style ferme et net
cette fois-ci, vient la formule dogmatique proprement dite ; se
référant à la tradition des « saints Pères », le concile proclame
sa foi en un seul et même Fils, Jésus-Christ. Puis la définition
se développe en deux parties, dont la première est de beaucoup
la plus longue : cet unique Christ est à la fois vrai Dieu et vrai
homme. L'affirmation en est répétée sous quatre formes diffé-
rentes. En un mot : « un seul Christ en deux natures ».
La seconde partie de la phrase enseigne que ces deux natures
ne sont qu'une seule personne, et rappelle à nouveau l'unité
du Christ, qui n'est ni partagé ni divisé. Et l'on renvoie encore
une fois à l'Ãcriture et aux Pères.
La définition se clôt par l'anathème dont on menace ceux qui
enseigneraient autre chose que ce qui vient d'être défini.
Le texte que nous venons d'analyser paraît à première lecture
se dérouler d'une seule venue ; mais son caractère disparate a
été signalé depuis longtemps, et il est facile d'identifier les
éléments qui le composent. On peut ainsi dresser le tableau
parallèle du texte et de ses sources :
CHALCEDOINE SOURCES
Lettre de Jean d'Antioche Ã
Cyrille 239 :
Nous confessons un seul et même Nous confessons donc Notre-Sei-
Fils gneur
Notre-Seigneur Jésus-Christ Jésus-Christ, Fils unique de Dieu
le même parfait en divinité, Dieu parfait
parfait en humanité, et homme parfait.
« Tome » de Léon à Flavien 24o :
le même, Dieu vraiment Celui qui est vrai Dieu est aussi,
le même,
et homme vraiment vrai homme
140
CHALCÃDOINE
(fait) d'une âme raisonnable
et d'un corps,
consubstantiel au Père
en sa divinité
consubstantiel à nous
en son humanité,
semblable à nous en tout hors
le péché
engendré du Père avant
les siècles
en sa divinité
mais aux derniers jours,
pour nous et pour notre salut,
(engendré) de Marie, la Vierge,
la Theotokos, en son humanité,
en deux natures,
sans confusion ni changement,
sans division ni séparation,
la différence des natures n'est
nullement supprimée par l'union,
(fait) d'une âme raisonnable
et d'un corps,
engendré du Père avant les
siècles
en sa divinité
et le même, aux derniers jours,
(engendré) de la Vierge Marie,
en son humanité,
pour nous et pour notre salut,
C'est le même, qui est consubs-
tantiel
au Père en sa divinité,
et consubstantiel à nous
en son humanité,
en l'une et l'autre nature
Lettres de Cyrille à Nestorius Ul
et de Flavien à Léon ui :
la différence des natures n'est
pas supprimée par l'union,
« Tome » de Léon à Flavien :
mais au contraire les propriétés les propriétés de l'une et l'autre
de chaque nature restent sauves nature étant sauvegardées
et se rencontrent en une seule et se rencontrant en une seule
personne personne
ou hypostase
Lettre de Flavien à Léonta
en une seule hypostase
LA DEFINITION DE CHALCEDOINE 141
Lettre de Théodoretiu :
non pas (un Fils) partagé et ne divisant pas en deux per-
divisé en deux personnes sonnes
mais un seul Fils unique ..., celui qui est unique.
Ainsi, la première partie de la définition, sauf l'interversion
de deux membres de phrases, une incise empruntée à saint
Léon, et une addition prise de l'Ãcriture, est tout entière reprise
de la lettre de Jean d'Antioche à saint Cyrille (le « symbole
d'union » de 433), que Cyrille lui-même avait reproduite dans
sa réponse à Jean 245. Cette lettre avait été lue et approuvée
au concile, et c'est ainsi qu'elle est passée dans le document
définitif. Par contre, la seconde partie est moins homogène, et
rassemble des fragments de saint Cyrille et de saint Léon, de
Flavien et de Théodoret.
Après ces emprunts ad litteram, il serait facile d'identifier
encore nombre de réminiscences ou d'allusions, de noter par
exemple que les mots « un seul et même ... », qui reviennent au
commencement et à la fin du décret, sont une des formules
caractéristiques de saint Cyrille, que les quatre adverbes (« sans
confusion ni changement, sans division ni séparation ») sont
familiers à saint Cyrille encore aussi bien qu'à Théodoret, les
titres que ce dernier avait donnés aux deux premiers dialogues
de l'Eranistes en témoignent (cf. p. 88) ; on pourrait aussi rap-
peler que bien des formules reprennent des expressions ana-
logues de saint Léon.
On ferait ainsi ressortir l'habileté des rédacteurs (ou du rédac-
teur : ne serait-ce pas Anatole ?) qui ont su heureusement fondre
des éléments d'origine si diverse : * La différence des natures
n'est nullement supprimée par l'union, mais au contraire, les
propriétés de chacune des deux natures restent sauves ». De
cette phrase, â qui s'en douterait ? â la première partie vient
de Flavien ou de saint Cyrille, la seconde est traduite direc-
tement de la lettre de saint Léon. N'avons-nous pas affaire ici
à un adroit travail de marqueterie, et plus exactement, à un
compromis assez artificiel entre des théologies diverses, et même
contradictoires ?
142 CHALCEDOINE
La théologie de Chalcédoine.
Plutôt qu'un compromis, ou un dosage habile d'opinions
contradictoires, il apparaît que la définition de Chalcédoine
est comme un sommet, où convergent diverses traditions théo-
logiques que nous avons déjà vu, au long de cette histoire, se
rencontrer, voire se heurter violemment, aussi bien à Ãphèse
qu'à Chalcédoine.
La tradition alexandrine, celle de saint Athanase et de saint
Cyrille, était représentée à Chalcédoine par Dioscore et les
Ãgyptiens, et par tous ceux qui entendaient rester fidèles Ã
la mémoire et au vocabulaire de saint Cyrille, et tenaient à la
formule de l'unique nature incarnée du Verbe. Au-delà des
mots, n'était-ce pas toute la haute pensée religieuse de saint
Cyrille qui était en jeu ? l'insistance à parler des deux natures
ne compromettait-elle pas l'unité du Verbe incarné ? Au-delà de
la malencontreuse formule de l'unique nature, Ã laquelle Euty-
chès, et Dioscore avec lui, s'attardent avec plus d'entêtement
que de science théologique, il s'agit d'affirmer avec intransi-
geance l'unique Verbe incarné devenu « physiquement » un avec
l'humanité. Toute l'économie du salut, le mystère de la « divi-
nisation » du chrétien, tout l'héritage doctrinal et spirituel des
Alexandrins et des Cappadociens sont ici en cause et pouvaient
être dangereusement compromis. Si l'inquiétude des Illyriens
et des Palestiniens devant certaines formules de saint Léon
était excessive, on la comprend cependant : « I1 ne faut pas
séparer de la divinité la chair de notre Seigneur... » 246
De leur côté les Orientaux tiennent aussi fermement à l'unité
du Christ, â il y a longtemps qu'on ne parle plus de « deux
fils », â mais leur explication de cette unité reste métaphysique-
ment insuffisante, et surtout, ils ont peur qu'en parlant de la
chair du Christ, et plus encore de l'unique nature, on ne retire
quelque chose à la réalité de la nature humaine, de l'homme
assumé par le Verbe. D'où leur insistance à dire que le « Dieu
Verbe a assumé une chair vivante et douée de raison », qu'il
LA DEFINITION DE CHALCÃDOINE 143
a « assumé un homme », et leur étrange refus de dire que * le
Verbe s'est fait chair ». Ici aussi, malgré la maladresse des
formules, est engagé le réalisme de notre salut : le Verbe ne
sauve que ce qu'il assume, et s'il n'assume pas une nature
humaine parfaite, complète et agissante, comment cette nature,
notre nature, serait-elle sauvée ? C'est une théologie insuffi-
sante, mais tout autant la crainte de l'apollinarisme, qui explique
la résistance des Orientaux à la pensée de saint Cyrille, même
quand elle fut devenue le dogme d'Ãphèse !
Il y a ici bien autre chose qu'une question de mots, ou qu'une
de ces querelles qu'on qualifie trop légèrement de « byzan-
tines » ! Ne pas donner à la « chair » du Christ une consistance
qui compromettrait l'unité du Verbe incarné ; â éviter tout
changement dans le Verbe et toute confusion des natures.
Comment concilier ces deux exigences également indispensables,
et, en apparence du moins, incompatibles ?
Mais à côté de ces deux théologies grecques, celle de saint
Cyrille et celle de Théodoret, qui toutes deux peuvent se
réclamer d'une tradition vénérable et authentiquement chré-
tienne, il y a aussi la théologie latine, représentée par les légats
romains, et exprimée dans la lettre à Flavien, où saint Léon a
« déclaré avec force et très clairement, selon l'autorité de
l'Ãvangile, les paroles des prophètes et la doctrine des apôtres,
ce qu'il faut croire avec piété et sincérité, touchant le mystère
de l'incarnation de notre Seigneur Jésus-Christ » 247.
La théologie de Léon, dont on pouvait trouver les premiers
linéaments chez Tertullien, et qui s'inspirait de très près des
formules de saint Augustin, se rapprochait de la théologie des
Orientaux plus que de celle de Dioscore. Maintenant fortement
l'unité de personne dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme,
elle écartait l ' « unique nature », et affirmait que chaque nature,
dont les propriétés sont intégralement maintenues, est le prin-
cipe immédiat de son activité propre : « chaque nature fait ce
qui lui est propre ». Le Tome à Flavien distinguait dans les
récits évangéliques ce qui est propre au Verbe et ce qui appar-
144 CHALCÃDOINE
tient à l'homme. Cette doctrine, Cyrille l'avait souscrite en 433,
mais elle devait heurter les cyrilliens intransigeants qui, fidèles
à la lettre des anathématismes et à la formule de l'unique
nature, avaient refusé d'accepter le symbole d'union.
Le Dieu Verbe, devenu « physiquement » un avec l'huma-
nité ; â le Christ, vrai Dieu et vrai homme, doué d'une huma-
nité concrète et agissante ; â une personne en deux natures
qui ne font qu'un. Voilà , présentées d'une façon peut-être un
peu schématique, les trois théologies qui se rencontraient Ã
Chalcédoine, et il faut avouer qu'en 451, impliquées qu'elles
étaient dans un lourd contexte d'oppositions, voire de rancunes
personnelles, elles semblaient difficilement conciliables.
En apparence seulement. En fait, elles ne l'étaient pas autant
qu'il pouvait paraître. On vient de faire allusion à l'accord de
433 : alors Jean d'Antioche avait su oublier les souvenirs amers
qu'il pouvait conserver du concile d'Ãphèse, et saint Cyrille
avait eu la sagesse de renoncer à telle de ces formules aux-
quelles il tenait tant ; et l'un et l'autre s'étaient trouvés d'ac-
cord sur l'essentiel d'une foi qui leur était commune. Mais cet
accord fut bientôt compromis par ceux des partisans de Cyrille
qui n'avaient pas la même sagesse que lui et ne renonçaient
pas à « l'unique nature », et aussi sans doute par l'agitation
indiscrète de certains amis de Nestorius. A Chalcédoine donc
se pose à nouveau le problème d'accorder deux théologies, dont
chacune exprime un élément essentiel qui ne doit pas être
sacrifié. Toutes deux sont vraies en ce qu'elles affirment, fausses
ou plutôt incomplètes en ce qu'elles ne disent pas assez expres-
LA DEFINITION DE CHALCEDOINE âº
La Définition de Chalcédoine d'après le manuscrit Vaticanus
Graecus 831, fol. 169 v., qui date du xv* siècle (cf. ACO, II, 1,
2, p. V ; 3, p. V-VI). C'est à la fin de la ligne 8 que commence
la définition proprement dite : « Suivant donc les saints
Pères... ». A la ligne 16, on peut lire, en abrégé, le mot
theotokos ; aux lignes 17-18, les quatre adverbes : « sans
confusion, etc....»). (Cliché Bibl. Vaticane).
Ct-f i^V^ùi C CL <St<0 C QL^e C/ <;-«£ C^yoJ â¬U £vu^0 K ' OU «A^tU» ^T*. C
{Xvo>$ri*0(irtï^TO" nr&.'0Ã>T*v - >\>ù Ou/Je. ti/nj^fo"u2, tCjfii içfc'wOU
s?
LA DEFINITION DE CHALCÃDOINE 145
sèment. Le Verbe fait chair est un, mais il a aussi deux natures ;
le Christ est Dieu parfait et homme parfait, mais ces deux
natures sont unies en une seule personne. La foi chrétienne ne
saurait être entière, ni la réalité du salut assurée, si on ne tient
fermement à la fois ces deux aspects du mystère. Or la théologie
de saint Léon était capable de faire cette unité. Elle maintenait
absolument l'intégrité de la nature humaine de Jésus, â la
théologie latine n'était pas tentée par l'apollinarisme, â mais
elle tenait aussi fortement l'unité du Christ, Dieu et homme :
« nature de Dieu et nature d'esclave s'unissant en une seule
personne » 248 ; « vrai en sa divinité, vrai en la chair, et la
propriété des deux natures étant sauve, deux ne faisant
qu'un » 249 ; « dans l'une et l'autre nature, un seul Christ » 250.
On trouverait sans peine des dizaines de formules analogues,
soit dans la correspondance de saint Léon, soit dans sa
prédication.
Cest cette théologie qui a triomphé à Chalcédoine. Sans
doute, Marcien voulait-il en finir, car il n'était favorable ni Ã
Eutychès ni à Dioscore ; peut-être faut-il aussi compter avec
l'influence de Pulchérie, à qui le pape avait écrit plusieurs fois
en la pressant d'agir. Mais l'attitude des représentants de
saint Léon fut avant tout déterminante : en menaçant de quitter
le concile si la doctrine romaine n'était pas assumée dans la
définition qu'on réclamait, ils obligèrent le bureau à poser le
dilemme décisif : Léon ou Dioscore ? Assurément, les légats
tiennent à ce que soit respectée l'autorité du Siège Apostolique.
Il s'agit pourtant de plus que cela ; il fallait que l'intégrité de
la foi fût maintenue entre deux erreurs opposées ; et l'on devait
4 L'EMPEREUR MARCIEN
Détail d'une monnaie d'or (Paris, B. N.) agrandie 2500 fois.
L'empereur vu de face, porte les mêmes attributs guerriers
que Théodose. (Cliché Orante-BablinJ.
146 CHALCEDOINE
en même temps faire droit, au delà des théologies particulières,
aux requêtes légitimes des deux courants qui s'affrontaient. A
travers les remous de cette assemblée souvent trop humaine,
c'est une Åuvre de sagesse qui s'accomplissait.
Le dogme de Chalcédoine.
Cela dit, et après avoir montré comment la définition de
Chalcédoine a réussi à faire l'unité entre les divers courants
de la pensée chrétienne concernant le mystère du Christ, il
faut se demander quel fut l'apport positif du concile et quelle
étape il marque dans le développement du dogme chrétien.
Les évêques réunis à Chalcédoine entendent bien ne rien
innover, mais seulement « renouveler la foi indéfectible des
Pères » ; « suivant les saints Pères », ils veulent rester fidèles Ã
la tradition, que représentaient Cyrille et Célestin, dont la lettre
de saint Léon se fait l'écho, et qui s'est exprimée solennellement
aux conciles de Nicée, de Constantinople et d'Ãphèse. Le
concile de Nicée en particulier apparaît comme un témoin
privilégié de la tradition, et jouit d'une autorité singulière.
Que comporte donc, au fond, cette tradition ? C'est d'abord
la foi à l'unique Jésus-Christ, Fils de Dieu et Seigneur : ainsi
parlent les symboles de Nicée et de Constantinople, ainsi l'a
défini le concile d'Ãphèse. « Il n'y a qu'an seul et même
Jésus-Christ, engendré du Père avant tous les siècles quant Ã
la divinité, né de Marie dans le temps quant à l'humanité ». Le
concile affirme par là la foi traditionnelle à l'unité de personne,
faisant droit aux requêtes du sens chrétien le plus authentique,
si vigoureusement défendu par saint Cyrille : il n'y a qu'un
seul Christ, fils de Dieu et fils de Marie, on ne saurait le
diviser, et Marie est Theotokos.
Le décret rappelle en effet l'erreur de Nestorius sur le theo-
tokos, et rappelle aussi que Cyrille l'a victorieusement réfutée.
Des quatre mots-clés de la définition, « sans confusion ni chan-
gement, sans division ni séparation », les deux derniers visent
LA DEFINITION DE CHALCÃDOINE 147
expressément Nestorius ; et, on le verra bientôt, Théodoret,
pour être définitivement réhabilité, devra se séparer du pa-
triarche déposé.
Ainsi, loin d'abandonner ce qui a été acquis à Ãphèse, le
concile l'affirme à nouveau et le consacre solennellement.
D'Ãphèse à Chalcédoine, il y a une continuité voulue et
proclamée.
Mais après Ãphèse, il restait encore quelque chose à faire :
l'erreur obstinée d'Eutychès avait révélé que les formules de
saint Cyrille pouvaient prêter à de dangereux malentendus.
Aussi, après avoir défini l'unité de personne, le concile affirme-
t-il non moins fortement la dualité des natures ; c'est précisé-
ment ici que se réalise une nouvelle étape dans le progrès du
dogme. Le Christ est Dieu parfait et homme parfait ; il y a
donc en lui deux natures complètes et parfaites, qui demeurent
telles, « sans changement ni confusion » ; les deux premiers
mots de la formule visent Eutychès, et par dessus lui, toute
théologie qui tendrait à diminuer de quelque façon l'humanité
du Christ, ou à l'absorber dans la divinité. Ces deux natures,
unies mais distinctes, demeurent intactes avec toutes leurs
propriétés.
Elles subsistent telles après Vunion. On a vu quelle ténacité
et aussi quelle perspicacité il a fallu aux légats romains pour
faire écarter la formule : de deux natures (ex), qui laissait la
place à une interprétation eutychienne : deux natures avant
l'union, mais une seule après ! â Il n'y a qu'un seul Christ, en
deux natures, cette formule permet de maintenir à la fois
l'unité et la dualité : les deux natures demeurent distinctes,
dans l'union et après l'union.
Affirmant les deux natures, le concile consacre encore une
donnée de la foi traditionnelle et le mystère de notre salut :
le Christ, consubstantiel au Père, est aussi consubstantiel aux
hommes, « semblable à nous en tout, hors le péché ». « Si le
Christ n'avait pas été vrai Dieu, il n'aurait pas apporté le
remède ; s'il n'avait pas été vrai homme, il ne nous aurait pas
148 CHALCEDOINE
servi de modèle. ... Il est devenu un homme de notre race, pour
que nous puissions participer à sa nature divine. Notre Seigneur
Jésus-Christ, en naissant vraiment homme sans cesser jamais
d'être vraiment Dieu, a réalisé en lui les prémices d'une nouvelle
création, et a donné au genre humain un principe spirituel à la
ressemblance de sa propre naissance » 251. On ne peut donc
plus, à moins d'être délibérément « monophysite », parler de
l'unique nature.
La formulation dogmatique a progressé et gagné en pré-
cision : une expression qui, chez saint Cyrille, pouvait, au prix
de bien des explications, s'entendre en un sens orthodoxe, est
définitivement écartée à cause du sens indubitablement erroné
que lui avaient donné Eutychès ou Dioscore.
De ces deux natures, distinctes mais non séparées, l'union
ne se fait donc pas par confusion ou mélange : l'union n'aboutit
pas à une unique physis : on ne parlera donc pas, comme saint
Cyrille, d'union physique (3e anathématisme). Mais elle ne se
fait pas non plus par l'union ou la « conjonction » de deux
natures subsistant à part, et réunies en une seule personne
morale (prosôpon). Elle se fait en une seule personne ou
hypostase subsistante.
Le concile fixe ainsi le vocabulaire christologique, comme
le vocabulaire trinitaire avait été fixé vers 360 : une essence,
trois hypostases. La personne subsistante (hypostase) est distin-
guée de la nature concrète (physis). D'autre part prosôpon est
identifié à hypostase, et il désigne non plus la personnalité
psychologique ou morale, mais une personne subsistante : ici
sans doute l'apport du vocabulaire théologique latin a été
décisif.
En schématisant beaucoup, on pourrait dire que la théologie
alexandrine, posant une seule hypostase, concluait à une seule
nature (physis), et que la théologie nestorienne, affirmant deux
natures, concluait aussi à deux personnes (prosôpa). Dépassant
ces deux théologies et dégageant de toute équivoque le vocabu-
laire dont elles usaient, le dogme de Chalcédoine affirme une
personne ou hypostase en deux natures : le Fils de Dieu est,
LA DEFINITION DE CHALCÃDOINE 149
le même, Fils de Marie ; le Verbe incarné est à la fois Dieu
et homme.
Comment cette unique hypostase subsiste-t-elle en deux
natures, c'est un problème auquel les théologiens se trouveront
affrontés dès le vr3 siècle, à propos des controverses mono-
physites. Mais en 451, l'essentiel du dogme cbristologique est
définitivement acquis.
A relire les appréciations, parfois si sévères, qui ont été
portées sur le concile de Chalcédoine, même par des historiens
catholiques, on hésiterait à porter un jugement sur l'Åuvre
accomplie en 451. Certains y ont vu une revanche de la théo-
logie antiochienne et romaine sur la théologie de saint Cyrille,
qui a été « sacrifié à Léon » ; un triomphe de Constantinople
et de Rome sur Alexandrie, dont les aspirations religieuses pro-
fondes, ainsi violentées, étaient prêtes au schisme ; une brutale
opération de police théologique, incapable de faire l'union des
cÅurs. Au mieux, on y verrait une politique de bascule, un
« compromis » entre saint Cyrille et saint Léon, un accord
purement verbal renvoyant les deux parties dos à dos *.
Mais ne serait-ce pas limiter sa perspective à des aspects trop
extérieurs, et obéir à des a priori qui feraient perdre de vue les
réalités profondes ? Même d'un point de vue strictement histo-
rique, il faut savoir, à travers les événements, percevoir le sens,
â la signification et la direction, â qu'ils comportent. Ainsi,
il apparaît qu'à travers tant d'agitations et de remous, le concile
témoigne du même souci qui animait saint Léon : ne pas in-
nover, maintenir les affirmations de la foi traditionnelle en
termes qui sont déjà classiques et capables d'écarter toute équi-
voque en étant également acceptés par tous. Ces évêques, pas-
sionnés et versatiles, voire parfois assez obtus, sont au fond,
dans leurs violences mêmes, animés du souci de la vérité. Et
la définition à laquelle ils s'arrêtent, traduit le même souci
* L. Duchesne, Hist. anc. de TÃgl, III, 457 ; Eglises séparées, 40 ;
G. Bardt, dans Histoire de VEglise (Fliche et Maktin), IV, 240.
150 CHALCÃDOINE
d'exprimer la doctrine de la foi au delà des controverses d'école.
Plutôt qu'un compromis accepté de guerre lasse parce que
l'empereur le voulait et qu'il fallait en finir, ne faut-il pas plutôt
y voir l'Åuvre de la sagesse de l'Ãglise, et précisément « une
Åuvre de la sagesse romaine » * ?
Ainsi, l'Åuvre du concile fut loin d'être négative. En fermant
définitivement la route au nestorianisme et à l'eutychianisme,
le décret de Chalcédoine assumait les éléments positifs et
valables des théologies en présence, et faisait faire au dogme
de l'union hypostatique un pas décisif. Il ne faut pas se laisser
tromper, comme certains, par la forme négative des quatre
adverbes qui sont peut-être les mots-clés de la définition de
Chalcédoine : « sans confusion ni changement, sans division ni
séparation ». Ces négations, en respectant le mystère, cherchent
à le cerner de plus près ; elles affirment que Jésus-Christ est
en deux natures une seule personne, le Verbe de Dieu.
Ajoutons enfin que si les partisans de saint Cyrille purent
se sentir « froissés et vaincus » **, ce fut sans doute moins dans
leurs convictions spirituelles profondes que dans leur entête-
ment théologique et leur fidélité obstinée à des formules aux-
quelles Cyrille lui-même avait renoncé, â et aussi, sans qu'ils
en eussent peut-être conscience, dans le sentiment de leur
indépendance nationale brimée par l'Empire. Quand bientôt
l'Ãgypte et la Syrie elle-même feront schisme, elles ne s'oppose-
ront pas à Rome, ni même en fait à Chalcédoine, mais Ã
Byzance.
E. Amann, L'Ãglise des premiers siècles, 165.
* L. Duchés ne, Eglises séparées. 57.
CHAPITRE V
LES DERNIÃRES SESSIONS DU CONCILE
LES CANONS DE CHALCÃDOINE
LE PAPE ET LE CONCILE
Juridictions rivales. Les débuts du patriarcat de Jérusalem.
A la fin de la séance du 25 octobre, Marcien avait donc
demandé aux évêques de ne pas quitter Chalcédoine avant que
toutes les affaires particulières n'eussent reçu une solution. En
effet, une fois définie la doctrine, réglée la situation d'Eutychès,
de Dioscore et des fauteurs du brigandage d'Ãphèse, restaient
à liquider des questions de personnes : questions urgentes, quoi
qu'il puisse nous en sembler après quinze siècles ; il s'agissait
en effet d'évêques qui avaient été plus ou moins engagés ou
compromis dans les querelles dogmatiques des dernières an-
nées, et dont le cas devait être aussi réglé. Il s'agissait encore
de problèmes d'organisation, d'administration et de discipline,
que posait la vie quotidienne de l'Ãglise : il appartenait aux
évêques assemblés d'en décider souverainement. Ils allaient s'y
employer durant les séances des jours suivants (26-31 octobre).
Il y avait notamment conflit entre Juvénal de Jérusalem et
Maxime d'Antioche sur les limites de leur juridiction respective.
Le concile de Nicée, dans son 7e canon, tout en maintenant les
droits de métropolitain de l'évêque de Césarée de Palestine,
avait reconnu à l'évêque de Jérusalem l ' « honneur » que lui
accordaient l'usage et l'antique tradition. Juvénal, ambitieux et
intrigant, avait cherché à étendre son pouvoir au détriment du
patriarche d'Antioche ; il se permettait d'ordonner des évêques
dans les provinces de Phénicie et d'Arabie, qui relevaient d'An-
152 CHALCEDOINE
tioche ; à Ãphèse (431), il avait présenté en faveur des prétendus
droits de son Ãglise des documents apocryphes. Ces prétentions,
alors et un peu plus tard, rencontrèrent l'opposition de saint
Cyrille252. A Chalcédoine, Juvénal exprima à nouveau ses
exigences, et des pourparlers avec Maxime d'Antioche abou-
tirent à un compromis qui fut ratifié par le concile : le patriarche
d'Antioche conserve les deux Phénicies et l'Arabie, 1 evêque de
Jérusalem les trois Palestines. Le 26 octobre, le concile entérina
cet accord253. « C'était, en somme, un nouveau patriarcat que
l'on créait aux dépens de celui d'Antioche » *.
La réhabilitation de Théodoret.
D'autres questions de personnes étaient sans doute plus im-
portantes, car elles étaient liées à des questions de doctrine.
Théodoret, l'ami fidèle de Nestorius et l'adversaire de saint
Cyrille et de ses anathématismes, avait été déposé par Dioscore
et son synode. Cette sentence, comme les autres décisions prises
à Ãphèse en 449, avait été rejetée par saint Léon et le synode
romain254, et Théodoret, réhabilité par le pape, avait été admis
à siéger au concile de Chalcédoine ; mais, on l'a vu, cela n'avait
pas été sans soulever de vives protestations de la part des parti-
sans de saint Cyrille255. Il fallait donc que son cas fût réglé
définitivement. C'est à quoi le concile s'occupa le 26 octobre
encore, sans doute dans une seconde séance.
Dès l'ouverture, les évêques demandèrent à grands cris que
Théodoret prononce l'anathème contre Nestorius. L'évêque de
Cyr rappelle la supplique qu'il a présentée à l'empereur et le
libelle qu'il a remis aux représentants du pape : qu'on en donne
lecture, et on verra quelle est sa pensée. « Qu'on ne lise rien du
tout, crient les évêques : anathématise immédiatement Nesto-
rius ». â « Par la grâce de Dieu, j'ai été élevé par des parents
orthodoxes, j'ai été instruit de la foi orthodoxe, j'ai enseigné la
foi orthodoxe, et je repousse et considère comme étrangers non
G. Bahdt, dans Histoire de l'Eglise (Fliche et Martin), IV, 237.
LES CANONS DE CHALCÃDOINE 153
seulement Nestorius et Eutychès, mais tout homme qui ne pense
pas de façon orthodoxe. » â « Dis clairement : Anathème Ã
Nestorius et à ses doctrines ! Anathème à Nestorius et à ses
amis ! » Mais Théodoret ne peut se résoudre à maudire celui
dont il condamne l'erreur, mais à la personne de qui il veut
rester fidèle ; il se débat contre toute l'assemblée : « En vérité,
je ne veux rien dire que ce que je sais plaire à Dieu. Avant
tout, je vous assure que je ne pense pas à un évêché, que
je ne cherche pas les honneurs, et que ce n'est pas pour cela
que je suis venu ; mais comme j'ai été calomnié, je suis venu
pour certifier que je suis orthodoxe, et que j'anathématise
Nestorius et Eutychès, et quiconque dit deux fils ». L'anathème
à Nestorius et à Eutychès est assez significatif : Théodoret
n'entend pas condamner Nestorius seul, ni paraître oublier
qu'Eutychès aussi est hérétique ; peut-être pense-t-il aussi aux
cyrilliens. Les évêques ne s'y trompent pas et pendant qu'il parle
ils l'interrompent de leurs cris : « Dis clairement : anathème Ã
Nestorius et à ceux qui pensent comme lui ». â « Je ne le dirai
que quand j'aurai exposé ma foi. Je crois...» â « C'est
un hérétique ! C'est un nestorien ! A la porte l'hérétique ! »
On ne peut manquer d'être ému par ce débat : si la foi de
Théodoret est intacte, l'homme ne peut se résoudre à anathé-
matiser un ami malheureux ; il a été calomnié et injustement
déposé par ces mêmes évêques qui sont loin d'avoir tous la
même grandeur de caractère. Certains n'avaient guère mis
d'empressement à souscrire à la foi de Léon, et voici qu'ils
exigent maintenant de Théodoret l'anathème pur et simple
contre Nestorius ! S'il refuse, l'évêque de Cyr lui-même sera
de nouveau condamné. Théodoret s'exécute enfin : « Anathème
à Nestorius et à celui qui ne dit pas que la sainte Vierge Marie
est Theotokos, et à celui qui divise en deux fils le Fils unique.
Moi aussi j'ai souscrit à la définition de foi et à la lettre du
très saint archevêque Léon, et je pense ainsi. Et après tout cela,
salut ! »
Les commissaires impériaux prennent acte de cette décla-
ration : rien ne permet désormais de douter de l'orthodoxie de
154 CHALCÃDOINE
Théodoret. Il ne reste plus qu'à voter pour que lui soit rendu
son évêché, comme en a jugé Léon. Alors, aux cris enthousiastes
de l'assemblée, les légats romains rappellent que Léon en effet
a déjà depuis longtemps reçu Théodoret dans sa communion ;
et puisque l'évêque de Cyr a anathématisé Nestorius et
Eutychès devant toute l'assemblée, eux-mêmes, les légats, dé-
cident de lui rendre son Ãglise. Anatole de Constantinople et
tous les évêques s'associent à cette décision.
Trois autres évêques étaient sans doute suspects de com-
plaisance envers Nestorius : Sophronius de Constantina en
Osrhoène, Jean de Germanicie en Syrie, et Amphiloque de Sidè
en Pamphylie ; on exige d'eux aussi qu'ils disent anathème Ã
l'hérétique 2M.
L'affaire cFlbas.
A son tour, Ibas d'Ãdesse, déposé comme Théodoret par le
synode d'Ãphèse, se présente devant le concile pour demander
sa réhabilitation. Son cas était plus compliqué, et deux séances
lui furent consacrées.
Le 26, on fait lire le procès-verbal du jugement de Tyr :
Photius de Tyr et Eustathe de Béryte maintiennent leur sen-
tence qui mettait Ibas hors de cause. Le 27, on lit les procès-
verbaux de Béryte, avec les accusations portées contre Ibas par
ses prêtres, la lettre d'Ibas à Maris, ainsi qu'un mémoire en
faveur de l'évêque adressé par le clergé d'Ãdesse aux évêques
de Tyr et de Béryte.
Les commissaires impériaux ayant demandé qu'on lise les
décisions prises à Ãphèse contre Ibas, Paschasinus proteste :
il ne faut plus parler du synode d'Ãphèse, puisque tout ce qui
s'y est passé a été cassé par l'évêque de Rome. Il faut même
demander à l'empereur qu'il interdise par une loi de prononcer
le nom de ce synode ! Tous approuvent.
On ne lit donc pas à nouveau les actes du synode de 449, et,
à la demande des commissaires, Paschasinus, parlant au nom
LES CANONS DE CHALCÃDOINE 155
de ses collègues romains, déclare qu'après la lecture des docu-
ments, il prononce l'innocence d'Ibas, qu'après lecture de sa
lettre, il reconnaît son orthodoxie. Il décide donc de le rétablir
sur son siège. Il faudra seulement régler la situation de Nonnus
à qui avait été donné le siège d'Ãdesse. Accord unanime ici
encore, mais on exige d'Ibas qu'il dise une fois de plus ana-
thème à Nestorius et à Eutychès.
Ainsi semble se terminer avec la réhabilitation d'Ibas, une
affaire qui pourtant rebondira cent ans plus tard *.
Les canons de Chalcédoine.
Il n'y a pas heu de s'arrêter aux sessions des 29, 30, 31 octobre,
où il ne s'agit guère que de questions de personnes : différend
entre les deux évêques d'Ãphèse, Bassianus et Ãtienne, entre
Eunomius de Nicomédie et Anastase de Nicée257, â mais il
convient au contraire de s'attarder sur l'Åuvre canonique du
concile de Chalcédoine. Comme celle de Nicée en effet, l'as-
semblée de 451 n'eut pas seulement à trancher des questions
de foi, elle eut aussi à prendre des mesures disciplinaires impor-
tantes, qui complèteront les ordonnances que Marcien avait
fait approuver par le concile à la fin de l'Actio sexta du
25 octobre.
A la suite du procès-verbal de cette Actio sexta, les manuscrits
grecs des Actes du concile ont conservé, au titre de l'Actio
* Cette réhabilitation d'Ibas, et surtout la reconnaissance par les légats
romains de l'orthodoxie de la lettre à Maris, ne vont pas sans poser un
problème, et cela d'autant plus que cette même lettre sera condamnée
en 553 par le II* concile de Constantinople (can. 14, DZ 227 ; FC 330). â
Sans doute peut-on dire que ces dernières sessions du concile n'avaient
plus trait directement à la causa fidei pour laquelle le concile avait été
convoqué, et que par suite ni saint Léon ni ses successeurs n'ont voulu
y engager l'autorité de la Sedes Apostolica (cf. Léon, Ep. 115, 1 ; 119, 5 ;
PL 54, 1033, 1045 ; ACO II, iv, 67, 74). Mais cette considération ne suffit
pas à atténuer la portée de la déclaration de Paschasinus, comme cherche
à le faire par exemple Dom H. Diepen (Les Trois Chapitres au Concile
de Chalcédoine, 101-106), qui parle ici de « l'imprudence des légats de
saint Léon ».
156 CHALCÃDOINE
septima, une série de 27 « Canons ecclésiastiques prononcés
par le saint et Åcuménique synode rassemblé à Chalcédoine ».
On lira plus loin le texte complet de ces canons258. Nous
nous contenterons ici d'en regrouper les dispositions et d'en
dégager l'esprit.
Se référant aux canons décrétés par les Saints Pères dans tous
les conciles, et qui doivent garder force de loi (can. 1), les
décrets de Chalcédoine veulent avant tout assurer la discipline
et la moralité du clergé et des moines, et le bon ordre de
l'administration ecclésiastique.
Ainsi condamne-t-on les évêques qui feraient des ordinations
à prix d'argent, « mettant en vente la grâce qui ne doit pas
être vendue », ou qui donnent pour de l'argent une charge quel-
conque de l'Ãglise ; ils seront déposés (can. 2). Les clercs ne
doivent pas se charger d'affaires temporelles ni s'occuper de
questions d'argent (can. 3, qui reprend la seconde ordonnance
de Marcien). De même clercs et moines ne doivent pas accepter
de charges civiles, ni exercer la strateia (militia) : ce mot peut
signifier une charge à la cour aussi bien que le service militaire
proprement dit (can. 7). Lecteurs et chantres à qui l'on aurait
permis de se marier ne peuvent épouser une hérétique ; ils ne
doivent pas faire baptiser leurs enfants par des hérétiques
(can. 14). Si des clercs ont des procès entre eux, même pour
des affaires civiles, ils ne doivent pas recourir aux tribunaux
séculiers, mais à leur évêque (can. 9). De même, clercs ou
laïques ne peuvent porter plainte contre des évêques ou des
clercs (can. 21). Ceux qui voyagent doivent être munis de lettres
de communion ou de recommandation (can. 11). Il est interdit
aux clercs et aux moines de séjourner sans permission de leur
évêque à Constantinople, où ils causent troubles et désordres
(can. 23). Ils ne peuvent former de conjurations contre leur
évêque (can. 18).
Viennent encore s'ajouter à ces prescriptions de discipline
générale celle qui punit le rapt (can. 27), â ou, dans un ordre
tout différent, celle qui interdit d'ordonner les diaconesses avant
LES CANONS DE CHALCÃDOINE 157
l'âge de quarante ans (can. 15 : le terme employé ici est celui
qui désigne proprement l'ordination par imposition des mains).
Certains canons regardent plus directement l'organisation et
l'administration ecclésiastiques. Deux canons, le 5e et le 20%
reprennent la troisième des prescriptions de Marcien, et, se
référant aux anciens canons (il s'agit surtout du canon 15 de
Nicée), interdisent le passage d'un clerc d'une ville à une autre.
De même un clerc ne peut être attaché à deux églises diffé-
rentes (can. 10). On veut par là éviter des désordres possibles,
sans que cette prescription canonique soit rattachée à quelque
principe théologique ou spirituel. Un clerc ne peut non plus
exercer des fonctions dans une ville étrangère sans recomman-
dation de son propre évêque (can. 13). Les clercs attachés aux
hospices (« maisons de pauvres »), aux couvents, aux chapelles
de martyrs, doivent, selon la tradition des Saints Pères, être
soumis à l'autorité de l'évêque de la ville (can. 8). Et, en général,
on n'admet pas d'ordination « absolue », c'est-à -dire sans assi-
gnation à un poste déterminé, église ou chapelle (can. 6).
Après la mort de l'évêque, les clercs n'ont pas le droit de
s'emparer de ses biens (can. 22) ; les revenus des sièges vacants
doivent être gardés par l'économe de l'Ãglise (can. 25) ; cette
charge, qui existait déjà en certaines Ãglises, est rendue obliga-
toire par le concile, pour assurer le contrôle de l'administration
par l'évêque des biens de l'Ãglise (can. 26).
D'autres canons règlent des questions de juridiction qui pou-
vaient être l'occasion de conflits entre évêques : les paroisses
de campagne doivent rester aux évêques qui en ont la pos-
session, surtout s'ils les ont administrées sans conteste depuis
trente ans (can. 17). Un évêque n'a pas le droit de faire attribuer
par un acte impérial le titre de métropole à sa ville épiscopale
(can. 12). Les métropolitains ne doivent pas négliger de consa-
crer les évêques de leur ressort dans les trois mois qui suivent
la vacance du siège (can. 25). Ils doivent aussi, « conformément
aux canons des Saints Pères » (ainsi par exemple le canon 5 de
Nicée), tenir deux fois par an un concile provincial pour régler
158 CHALCÃDOINE
les affaires courantes et procéder aux réformes nécessaires
(can. 19).
Enfin, trois canons regardent la vie monastique : le 16a inter-
dit le mariage aux vierges consacrées et aux moines sous peine
d'excommunication ; toutefois 1 evêque du lieu peut adoucir
cette peine. Le 4e reprend littéralement le premier des trois
canons proposé par Marcien : il réprime la turbulence des
moines et les soumet à l'autorité de l'évêque qui seul peut leur
permettre de s'établir dans une ville et d'y bâtir des monastères.
Mais ces monastères, une fois consacrés d'après la volonté de
l'évêque, ne doivent pas devenir des habitations séculières ;
leurs biens doivent leur être conservés (can. 24).
Esprit de la législation de Chalcédoine.
Il n'est pas très difficile de dégager le sens et l'esprit de cette
législation. Elle se comprend à la lumière d'incidents récents,
tels que les événements d'Ãdesse, où quelques clercs avaient
intrigué contre leur évêque Ibas, lui-même accusé de malver-
sations dans l'administration des biens de l'Ãglise, â tels encore
que les conflits qui s'étaient élevés à Ãphèse entre les évêques
Bassianus et Ãtienne, ou que les contestations de juridiction Ã
Nicée ou à Béryte, â tels enfin que les manifestations violentes
de Bar Sauma et de ses moines à Ãphèse en 449. Devant ces
abus et ces désordres, on entend renforcer l'autorité de l'évêque
sur ses clercs : ceux-ci doivent en particulier être attachés à une
Ãglise et soumis à l'autorité de l'évêque, même s'ils sont affectés
au service d'un monastère ou d'un sanctuaire quelconque, et
c'est là comme une première indication de ce qui sera le titre
d'ordination. L'interdiction aux clercs de passer d'une Ãglise
à une autre, de venir sans autorisation dans la capitale, laisse
deviner aussi bien des abus, auxquels le concile essaie de porter
remède. Ces prescriptions, reprises dans les collections cano-
niques, passeront dans la législation. Une étape importante est
ainsi franchie dans le développement de l'organisation ecclé-
LES CANONS DE CHALCÃDOINE 159
siastique, marquée par une plus étroite subordination des clercs
à l'évêque.
Non moins importantes sont les mesures prises à l'endroit des
moines. Sans vouloir exagérer et durcir l'opposition entre Esprit
et institution, on ne saurait nier que le monachisme est essentiel-
lement un phénomène «pneumatique» et «charismatique», une
manifestation de l'Esprit dans l'Ãglise, agissant librement dans
les âmes, en dehors de toute institution. Le moine fuit au
désert pour y vivre seul avec Dieu. Cependant, le problème
des rapports entre le moine et la hiérarchie se posa bientôt,
surtout lorsque les moines se rapprochèrent des villes, ou s'y
installèrent, et que s'organisèrent de grands monastères, comme
ceux de saint Pakhôme, â ou bien lorsque les évêques eux-
mêmes, tel saint Basile, se firent les législateurs de la vie
monastique. Sans remonter à saint Antoine et à son amitié pour
saint Athanase, nous savons que saint Pakhôme entretenait de
bons rapports avec l'archevêque d'Alexandrie, qu'il appelait son
père. Mais nous connaissons aussi les incidents pénibles, voire
les conflits qui s'élevèrent tant en Ãgypte, entre Théophile et
les moines suspects d'origénisme, qu'à Jérusalem, entre saint
Jérôme et l'évêque Jean, et à Constantinople, entre Hypatius
et Nestorius.
D'autre part, les nécessités du service liturgique des mo-
nastères obligèrent les moines à recourir parfois à l'évêque
pour lui demander des prêtres, et en retour les évêques se
trouvèrent amenés à employer des moines pour des tâches que
nous appellerions pastorales ou missionnaires : ainsi, en 398,
un décret de l'empereur Arcadius autorise les évêques à ordon-
ner des moines pour suppléer au manque de prêtres (Cod.
Theod. XVI, 2, 32), et Jean Chrysostome envoie des moines de
Constantinople jusqu'en Phénicie pour y réduire les derniers
bastions de l'idolâtrie. Les rapports étaient donc fréquents
entre évêques et moines ; mais si le moine, qui est un laïc, est
comme tout chrétien soumis à l'autorité de l'évêque, celui-ci
par contre n'a pas à connaître le monastère comme tel, ni Ã
intervenir dans sa vie, son organisation, sa discipline.
160 CHALCÃDOINE
Cependant, la multiplication presque invraisemblable du
nombre des moines amène peu à peu un relâchement de la
discipline : le pneumatisme tourne à l'anarchie, sarabaïtes * et
gyrovagues quittent le désert pour errer dans les villes où ils ne
manquent pas de causer des désordres. Anachorètes et cénobites
se mêlent aux querelles théologiques, le prestige que leur vaut
leur ascèse fait bientôt d'eux des chefs de parti, parfois en
révolte ouverte contre les évêques : on se souvient de l'agitation
créée autour d'Eutychès, et des troubles provoqués par Bar
Sauma qui, non content d'intervenir au synode de 449, avait
soulevé toute la Syrie259.
Le rappel de ce contexte était nécessaire pour comprendre
la législation de Chalcédoine concernant la vie monastique.
Celle-ci doit être estimée et honorée comme il convient, Ã
condition qu'elle soit authentique. Les moines doivent garder
l'hésychia â le terme est classique dans la langue monastique â
c'est-à -dire le calme et la paix de l'âme, auxquels préparent la
solitude et l'ascèse, et qui disposent à la contemplation. Les
moines doivent demeurer dans le lieu où ils ont renoncé au
monde, et ne s'y livrer qu'au jeûne et à la prière ; ils n'ont pas
à se charger de responsabilités séculières, ni à errer dans les
villes pour y troubler les affaires de l'Ãglise et de l'Ãtat. En
chaque cité ou province ils sont soumis à l'évêque. Celui-ci
pourra en cas de nécessité leur confier quelque charge. Et c'est
à l'évêque aussi qu'il appartiendra d'autoriser dans sa ville la
fondation et la construction de nouveaux monastères, comme
d'exercer sur tous la surveillance (pronoia) nécessaire.
Ces monastères fondés avec l'avis de l'évêque et leurs biens
sont protégés contre toute tentative de sécularisation ; et il faut
en conclure que cette protection, comme le laisse entendre le
contexte, doit être assurée par l'évêque ; celui-ci de son côté
doit respecter les monastères et leurs biens.
* Ce nom, d'origine incertaine, désigne ces moines qui vivaient par
deux ou trois, indépendants de toute règle et n'obéissant qu'à leur seule
fantaisie (Cassien, Conférences, xvm, 4-8 ; S. Benoît, Règle, 1).
LES CANONS DE CHALCÃDOINE 161
En un mot, ce ne sont plus les moines pris individuellement
qui sont, comme tous les fidèles, soumis à l'évêque, c'est le
monastère comme tel qui a désormais une existence juridique ;
il devient « une institution officiellement reconnue dans le cadre
de l'organisation ecclésiastique ». Et du point de vue de l'histoire
des institutions monastiques, tel est sans doute l'apport le plus
important de cette législation.
Il convient aussi de remarquer que, pour la première fois en
Orient, le célibat des moines, et la chasteté des vierges consa-
crées, sont sanctionnés par la législation canonique (can. 16),
qui laisse cependant à levêque la possibilité d'adoucir par misé-
ricorde la peine d'excommunication prévue contre ceux qui
failliraient.
En fait, les mesures prises à Chalcédoine ne réussirent pas Ã
empêcher les abus et les désordres qu'elles voulaient prévenir :
au lendemain du concile, les moines de Jérusalem vont soulever
toute la ville contre l'évêque Juvénal, coupable d'avoir aban-
donné Dioscore et trahi la vraie foi !
Le recours à Yévêque de Constantinople et le « 28' canon »
de Chalcédoine.
Le canon 9 prévoyait les règles à suivre en cas de conflit
entre un clerc et son évêque ; le canon 17 réglait les conflits de
juridiction entre évêques. Dans les deux cas l'instance suprême
qui doit dirimer le différend est l ' « exarque du diocèse >, c'est-
à -dire l'évêque du chef-lieu du diocèse civil *. Mais le canon
prévoit que ce peut être aussi l'évêque de Constantinople :
* On rappellera que le diocèse est d'abord une circonscription
administrative civile. Dans l'organisation de l'Empire telle qu'elle avait
été réglée par Dioclétien, les quatre préfectures d'Orient, de Gaule,
d'Italie, d'Illyrie, étaient subdivisées en douze (plus tard quinze) diocèses.
Ainsi la préfecture d'Orient comprenait les diocèses d'Egypte (capitale
Alexandrie), d'Orient (Antioche), du Pont (Césarée), de Thrace (Philippo-
poli), d'Asie (Ãphèse).
162 CHALCEDOINE
c'était reconnaître à celui-ci une compétence concurrente à celle
de l'exarque du diocèse. Ce privilège exceptionnel reconnu Ã
l'évêque de la ville impériale ne faisait que consacrer une
situation de fait, et ne souleva aucune opposition de la part de
l'épiscopat grec.
Dans le même esprit le concile prit une autre décision qui
allait, elle, provoquer de graves incidents. Le 29 octobre, au
cours d'une séance à laquelle n'assistaient ni les commissaires
impériaux ni les représentants de saint Léon *, les évêques
votèrent un texte ainsi conçu ** :
« Suivant en tout les décrets des Saints Pères, et reconnais-
sant le canon des cent cinquante évêques ... qui vient d'être lu,
nous prenons et votons les mêmes décisions au sujet des privi-
lèges de la très sainte Ãglise de Constantinople, la nouvelle
Rome. Les Pères en effet ont accordé justement au siège de
l'ancienne Rome ses privilèges, parce que cette ville est la ville
impériale. Pour le même motif, les cent cinquante très pieux
évêques ont accordé des privilèges égaux au très saint siège
de la nouvelle Rome, jugeant avec raison que la ville qui est
honorée de la présence de l'empereur et du sénat, et qui jouit
des mêmes privilèges que l'ancienne ville impériale Rome, est
comme celle-ci grande dans les affaires ecclésiastiques, étant la
seconde après elle; en sorte que les seuls métropolitains des
diocèses du Pont, de l'Asie et de la Thrace, et les évêques des
parties de ces diocèses situées dans les régions barbares, seront
ordonnés par le très saint siège de la très sainte Ãglise de
Constantinople, alors que, bien entendu, chaque métropolitain
* S'il faut en croire les explications données le lendemain par Aétius,
archidiacre de Constantinople, les légats romains, invités à cette séance,
se seraient récusés, alléguant qu'ils n'avaient pas d'instructions à ce sujet.
** On l'appelle « 28° canon » et, pour faire court, nous nous en tien-
drons à cette dénomination traditionnelle. En fait, ce canon, qui n'a pas
été approuvé par le pape, ne se trouve pas à la suite des 27 autres dans
les manuscrits des Actes de Chalcédoine. Ce n'est que beaucoup plus tard
qu'il sera considéré par les canonistes orientaux comme le 28* canon
de Chalcédoine.
LES CANONS DE CHALCEDOINE 163
des diocèses susdits ordonne, avec les évêques de l'éparchie, les
évêques de cette éparchie, comme il est prescrit par les divins
canons ; mais, comme on l'a dit, les métropolitains des diocèses
susdits sont ordonnés par l'archevêque de Constantinople, après
élection concordante faite selon la coutume, et notifiée à ce
dernier ».
Ce texte fut approuvé et signé par Anatole de Constantinople,
Maxime d'Ãphèse, Juvénal de Jérusalem, et cent-quatre-vingt-
deux évêques 260.
Pour en apprécier la portée, il faut d'abord rappeler le canon
du concile de Constantinople (381) auquel il se réfère expres-
sément. Après avoir (can. 2) confirmé les droits et privilèges
des évêques d'Alexandrie et d'Antioche, et de ceux des diocèses
d'Asie, du Pont et de Thrace, le concile ajoutait (can. 3) :
« Cependant l'évêque de Constantinople a la primauté d'hon-
neur après l'évêque de Rome, parce que cette ville est la
nouvelle Rome ». Dans l'organisation de qu'on appellera plus
tard les patriarcats, â calquée sur la distribution des « dio-
cèses » civils, â les cent cinquante Pères accordaient une
« primauté d'honneur » (littéralement, un privilège d'honneur)
à l'évêque de Constantinople, « la nouvelle Rome » : c'était
consacrer la situation exceptionnelle qui était celle de Constan-
tinople, depuis que la petite ville de Byzance, dont l'évêque
était suffragant de l'exarque d'Héraclée en Thrace, avait pris
la place de Rome et était devenue capitale impériale. Cependant
si en 381 on a reconnu une certaine primauté d'honneur Ã
l'évêque de la nouvelle Rome, aucune atteinte n'est portée aux
droits des autres métropolitains, et la préséance de Rome n'est
pas contestée : l'évêque de Constantinople demeurait au second
rang, « après l'évêque de Rome ». Mais, â et ceci est grave
de conséquences , â il est visible que cette primauté était
reconnue à l'Ãglise de Constantinople en raison de sa situation
politique de ville impériale, et que si la préséance de Rome
n'était pas contestée, c'était par égard à « sa dignité politique
de cité maîtresse du monde ». L'autorité des sièges épiscopaux
164 CHALCÃDOINE
repose donc sur des situations politiques particulières. C'était
une conception toute nouvelle dans l'Ãglise*.
Le concile de Chalcédoine va plus loin. Il reconnaît les
privilèges du siège de Rome, et accorde les mêmes privilèges
à celui de la nouvelle Rome, qui est la seconde cité après
l'ancienne ville impériale, honorée de la présence de l'empereur
et du sénat. Mais il souligne, plus clairement encore qu'on ne
l'avait fait en 381, que les privilèges de Rome ou de Constanti-
nople sont fondés sur la prééminence politique des deux cités
impériales.
De plus, et ceci crée en Orient une situation sans précédent,
il accorde à l'évêque de Constantinople le droit de consacrer
les métropolitains du Pont, d'Asie et de Thrace : il ne s'agit
donc plus seulement d'une primauté d'honneur, mais d'une
autorité de juridiction conférée à Constantinople sur toute une
large partie de l'Orient. Constantinople est désormais l'égale
d'Antioche et d'Alexandrie, et déjà presque la rivale de Rome.
Ce n'était pas pour autant nier ni méconnaître la prééminence
du Siège Apostolique, â ni les légats de saint Léon, ni le pape
lui-même, ne le comprendront ainsi, mais c'était la fonder sur
le prestige de la ville impériale, et non sur l'autorité donnée
par Jésus au Prince des apôtres. Au principe « pétrinien »
affirmé par les évêques de Rome, s'oppose le principe purement
politique de la « nouvelle Rome » **.
* P. Batiffol, Le Siège Apostologique, 134-136, à qui nous empruntons
la phrase citée ci-dessus.
** G. Jouassard a bien montré les conséquences qui allaient découler
de cette décision : « L'évêque de Rome n'aurait plus d'autres droits
désormais dans l'Eglise que ceux qui sont attribués à l'évêque de Constan-
tinople, il les aurait pour le même motif que celui-ci, c'est-à -dire en vertu
d'une prééminence politique de sa ville épiscopale, il garde toutefois une
certaine préséance par rapport à son collègue, mais préséance plutôt
accidentelle dans le fond ; s il arrivait, de fait, que Constantinople devînt
la seule et unique capitale, Rome, en vertu du principe énoncé, ne serait
sans doute plus rien, la préséance passerait de droit à la capitale en titre
de l'Empire constitué sur de nouvelles bases ...» (Sur les décisions des
conciles généraux des TV' et V siècles dans leur rapport avec la primauté
romaine, dans Istina, 1957, 485-496, ici 495-496).
LES CANONS DE CHALCEDOINE 165
La protestation des légats.
Le lendemain 30 octobre, séance plénière : les légats romains
sont là cette fois, et les commissaires impériaux. Dès le début,
Paschasinus prend la parole : il a appris que la veille, après
le départ des commissaires et des légats, le concile a pris cer-
taines décisions qui lui paraissent en opposition avec les canons
et la discipline ecclésiastique. Il demande qu'on en fasse lecture.
Avant cette lecture, Aétius, archidiacre de Constantinople, fait
observer qu'il est d'usage dans les conciles, après qu'on a réglé
les matières capitales, de traiter encore des questions néces-
saires. L'Ãglise de Constantinople ayant en effet des questions
de ce genre à poser, on avait demandé aux légats d'assister Ã
cette délibération : ils s'en étaient excusés, disant qu'ils n'avaient
pas d'instructions à ce sujet. Mais sur l'invitation des commis-
saires, les évêques avaient traité cette question : rien donc ne
s'était fait en cachette ni subrepticement, tout était régulier et
conforme aux canons.
Alors Beronicianus lut le canon dont le texte a été cité plus
haut, avec les signatures de cent-quatre-vingt-cinq évêques.
Lucentius insinuant que ces signatures avaient pu être extor-
quées, les évêques se récrièrent : personne n'avait été forcé.
Lucentius reprit en s'étonnant qu'on ait passé outre à la consti-
tution de Nicée pour se référer à un texte qui n'est pas dans les
canons des conciles et qui n'a été décrété que depuis quatre-
vingt ans ! â A une question d'Aétius, Boniface répond qu'il a
sur ce point des instructions du pape Léon : « Vous ne per-
mettrez pas, leur a enjoint le pape, que soient violées témé-
rairement les constitutions des Saints Pères ; vous protégerez
de toutes façons en vos personnes notre dignité ; si quelques-uns,
se confiant en l'éclat de leurs villes, tentaient d'usurper quelque
droit, vous vous y opposerez avec toute la fermeté voulue ».
Les commissaires demandèrent que chaque partie lût les canons
sur lesquels elle s'appuyait. Paschasinus lut le canon 6 de Nicée,
dans sa rédaction romaine : « Ecclesia Romana semper habuit
primatum ... ». Constantin, secrétaire du Divin Consistoire, lut,
186 CHALCÃDOINE
sur l'ordre d'Aétius, les canons de Constantinople. Enfin, à la
demande des commissaires, les évêques d'Asie et du Pont, que
ce 28° canon soumettait à Constantinople, déclarèrent qu'ils
avaient voté en toute liberté ce décret qui ne faisait que sanc-
tionner une situation déjà existante : depuis longtemps déjÃ
en effet les évêques de Constantinople procédaient à des ordi-
nations dans leurs provinces. Eusèbe de Dorylée ajouta que, se
trouvant à Rome pour en appeler auprès de saint Léon du
brigandage d'Ãphèse, il avait lu devant le pape, en présence
de quelques clercs de Constantinople, le canon de 381, et que
le pape l'avait accepté *. Deux évêques qui n'avaient pas voulu
signer donnèrent de leur refus des explications qui ne touchaient
pas au fond de la question, et sur lesquelles il n'y a pas lieu
d'insister.
Alors les commissaires reprirent : « Après ce qui s'est passé
et ce qui a été dit de part et d'autre, nous reconnaissons avant
tout que sont sauvegardés selon les canons la primauté
(Ta irpoTEta) et les privilèges exceptionnels de l'archevêque de
l'ancienne Rome ; mais aussi qu'il faut que l'archevêque de
la ville impériale, Constantinople, la nouvelle Rome, jouisse des
mêmes privilèges d'honneur, et qu'il ait l'autorité et le pouvoir
d'ordonner les métropolitains dans les diocèses d'Asie, du Pont
et de Thrace...» L'élection faite selon les formes serait sou-
mise à l'archevêque de Constantinople, qui pourrait à son gré
appeler l'élu à Constantinople et l'y ordonner, ou le faire ordon-
ner par les évêques de 1 eparchie. Quant aux évêques de chaque
ville, ils seront ordonnés par les évêques de l'éparchie, avec
l'autorisation du métropolitain, comme le veulent les canons des
Pères, sans que l'archevêque de Constantinople prenne part Ã
cette ordination.
Les évêques acclamèrent unanimement cette conclusion, et
demandèrent la dissolution de l'assemblée. Mais Lucentius in-
* On voit mal comment ce récit s'accorde avec l'affirmation réitérée
de saint Léon, que les canons de Constantinople n'auraient jamais été
portés à la connaissance du Siège Apostolique.
LES CANONS DE CHALCEDOINE 167
tervint encore : « Le Siège Apostolique ne doit pas être humilié
en notre présence ; c'est pourquoi tout ce qui a été fait hier en
notre absence et au préjudice des canons, nous demandons
à Votre Grandeur de l'annuler ; sinon, que notre protestation
soit jointe aux Actes, pour que nous sachions ce que nous
devons référer à l'évêque apostolique, le pape de l'Ãglise univer-
selle, pour qu'il puisse juger de l'injure faite à son siège, et de
la violation des canons ».
L'évêque de Sébaste répliqua, s'adressant aux commissaires :
« Nous sommes tous d'accord avec vous ». Et ils répondirent :
« Ce que nous avons décidé, le concile l'a approuvé » 261.
Ainsi se terminait, après trois semaines de débats, le concile
de Chalcédoine.
La lettre du concile au Pape.
Les évêques cependant, avant de se séparer, avaient adressé
à Léon une longue lettre262. « Notre bouche s'est remplie de
joie, et notre langue de jubilation » (Ps 125, 2). La vraie foi
a été confirmée, cette foi que Léon, l'interprète de la voix de
Pierre, a reçue du Seigneur comme par une chaîne d'or, et qu'il
a conservée pour la faire parvenir jusqu'à nous. Conduits par
toi, nous avons montré aux fils de l'Ãglise l'héritage de la vérité.
Nous étions comme à un festin royal, faisant nos délices de ce
repas spirituel qu'avait été ta lettre, et il nous semblait que
l'Ãpoux céleste était au milieu de nous. « Par tes représentants
tu nous conduisais comme la tête conduit les membres ...» La
lettre rappelle ensuite longuement l'erreur d'Eutychès et l'im-
piété de Dioscore, et comment celui-ci a été justement puni par
le concile, « C'est Dieu qui agissait parmi nous, et la glorieuse
Euphémie, qui couronnait l'assemblée réunie dans sa chambre
nuptiale (le martyrium !), et qui, ayant reçu de nous comme
une chose qui était sienne notre profession de foi, la présente
à son Ãpoux par la main du très pieux empereur et de l'impéra-
trice amie du Christ...»
168 CHALCEDOINE
« Voilà ce que nous avons fait avec toi, présent en esprit parmi
nous par la sagesse de tes vicaires ... Nous t'apprenons en outre
que nous avons pris aussi quelques autres décrets en vue du
bon ordre et pour la confirmation des statuts ecclésiastiques,
persuadés que quand Ta Sainteté en sera informée, elle les
recevra et les approuvera. Nous avons par un vote du concile
confirmé la coutume en vigueur depuis longtemps selon laquelle
l'Ãglise de Constantinople ordonne les métropolitains des dio-
cèses d'Asie, du Pont et de Thrace, et cela non pas tant pour
accorder quelque chose au siège de Constantinople que pour
assurer le bon ordre des Ãglises métropolitaines : il arrive sou-
vent qu'à la mort de l'évêque des désordres éclatent, quand les
clercs et le peuple sont sans chef et qu'ils troublent l'ordre de
l'Ãglise. Votre Sainteté ne l'ignore pas, et cela surtout à propos
des éphésiens, qui vous ont souvent importuné. Nous avons
aussi confirmé le canon des cent-cinquante Pères, qui assure
les privilèges (presbeia) du Siège de Constantinople, qui tient
le second rang après votre saint Siège Apostolique ...
« Puisses-tu accueillir ce décret comme le tien propre, Très
Saint Père. Les représentants de Votre Sainteté ... ont tenté de
s'opposer vivement à ce décret : ils pensaient sans doute que
comme la définition de foi, ce décret disciplinaire devait t'être
soumis. Quant à nous, nous étions d'avis qu'il convenait à un
concile Åcuménique de confirmer, comme l'empereur le désirait,
ces privilèges de Constantinople, sachant que tout le bien que
font les fils est un honneur pour les pères. Nous t'en prions
donc, honore nos décrets de ton approbation... Cela plaira
aux empereurs, qui ont sanctionné comme loi ton jugement sur
la foi, et le siège de Constantinople recevra une récompense
méritée pour le zèle dont il a fait preuve en s'unissant à toi
dans l'intérêt de la piété. Pour que tu saches que nous n'avons
pas agi par partialité en faveur de quelqu'un, ni par opposition
contre qui que ce soit, nous te faisons connaître tout ce que
nous avons fait, afin que tu le confirmes et y donnes ton
assentiment ».
Cette lettre était très habile : elle prodigue au pape les for-
LES CANONS DE CHALCÃDOINE 169
mules de révérence et de dévotion ; elle vénère en lui « l'inter-
prète de la voix du Bienheureux Pierre », la tête de toute
l'assemblée des évêques ; elle va jusqu'à solliciter de lui la
confirmation des décrets du concile. Le siège de Rome est le
Siège Apostolique, et si Constantinople vient au second rang,
ce n'est nullement en vertu de la situation politique de la
« nouvelle Rome », mais en raison de son zèle pour la foi et
l'unité. Ceci dit, rien n'est retranché des exigences formulées
par le 28e canon, qui n'a été voté que pour assurer le bon ordre
des Ãglises, et dont on attend la confirmation par le pape.
Les légats romains emportèrent ce document à Rome avec
les actes du concile. Quelques semaines plus tard, l'empereur
Marcien et l'évêque de Constantinople Anatole, écrivaient Ã
leur tour au pape. Marcien se félicite du triomphe de la vraie
foi, que les évêques ont assuré en conformité avec la lettre de
Léon ; il prie le pape de confirmer le 28e canon263. Anatole,
dans une lettre beaucoup plus longue, annonce qu'il envoie Ã
Rome l'évêque Lucien et le diacre Basile, qui remettront Ã
Léon un complément d'information sur les décisions particu-
lières du concile. Il rappelle comment Dioscore fut condamné
et la foi définie en conformité avec la lettre du pape. Il ajoute
que le concile eut aussi à régler d'autres affaires, et que sur le
désir du souverain, on confirma les décisions du concile de
Constantinople en accordant quelques honneurs au très saint
siège de la ville impériale. Le concile ne doutait pas que l'évê-
que de Rome ne regardât l'honneur du siège de Constantinople
comme le sien propre. Aussi confirma-t-il le décret des cent
cinquante Pères statuant que l'évêque de Constantinople aurait
le privilège et l'honneur du second rang après l'évêque de Rome,
puisque Constantinople est la nouvelle Rome. On a donc décrété
que l'évêque de Constantinople ordonnerait les métropolitains
des diocèses du Pont, d'Asie et de Thrace, et que ceux-ci ordon-
neraient les évêques de leurs diocèses, « par quoi on enlevait
à l'évêque de Constantinople l'ordination de plusieurs évêques,
ordination qu'il avait l'habitude de faire depuis soixante et
soixante-dix ans ».
170 CHALCEDOINE
Anatole se plaint ensuite de l'opposition des légats : ils avaient
pourtant été bien informés par lui ; mais ils ignoraient les dispo-
sitions du pape à l'égard de l'Ãglise de Constantinople. Ils ont
mis le trouble dans le synode, fait injure aussi bien à l'évêque
qu'à la très sainte Ãglise de Constantinople, alors qu'Anatole
avait tout fait pour l'honneur de Léon lui-même et de ses légats.
Par respect pour le pape, le concile et Anatole lui avaient
communiqué ce décret, voté à la suggestion de l'empereur et
approuvé par ses commissaires. Ils ne doutaient pas que Léon
lui-même ne daignât l'approuver et le confirmer, puisque le
siège de Constantinople a pour père le Siège Apostolique264.
Saint Léon et le concile.
Saint Léon tarda longtemps à répondre à ces lettres. Ce n'est
qu'après six mois, le 22 mai 452, qu'il se décida à écrire Ã
Marcien, à Pulchérie, à Anatole265. Le contenu et le ton de ces
trois missives sont identiques, avec toutefois une sévérité plus
marquée à l'endroit de l'évêque de Constantinople. Le pape se
félicite de l'heureuse issue du concile qui a unanimement con-
damné l'erreur. Mais il s'inquiète de l'ambition d'Anatole, qui,
non content d'avoir reçu de la faveur de l'empereur et de la
bienveillance du pape le siège de Constantinople, veut main-
tenant s'élever au-dessus de ceux qui sont avant lui dans la
hiérarchie. C'est une prétention exorbitante de vouloir ordon-
ner les métropolitains, après avoir eu l'audace d'ordonner
l'évêque d'Antioche au mépris des canons *. Ne suffit-il donc
pas à son ambition d'être l'évêque de Constantinople ? La
magnificence et la gloire d'une si grande ville ne le contentent-
elles pas ? Qu'il lui suffise donc d'être l'évêque de la ville
impériale, sans prétendre en faire un siège apostolique. Par ces
mots, Léon fait allusion aux privilèges des évêchés fondés par
* Quand Domnus d'Antioche eut été déposé lors du Brigandage
d'Ephèse, on lui donna comme successeur Maxime ; c'est Anatole, lui-
même récemment élevé sur le siège de Constantinople, qui le consacra,
usurpant un pouvoir que ne lui reconnaissaient pas les canons de Nicée.
LES CANONS DE CHALCÃDOINE 171
des apôtres, et spécialement par saint Pierre : Antioche, Alexan-
drie (fondée par saint Marc, disciple de saint Pierre), Rome,
privilèges qui ont été reconnus et confirmés par le concile de
Nicée. Les canons de Nicée doivent demeurer jusqu'à la fin
du monde, et ce n'est pas un concile de quelques évêques (le
concile de Constantinople de 381 !), dont les décrets n'ont jamais
été portés à la connaissance du Siège Apostolique, qui peut
les infirmer. Le concile de Chalcédoine n'a été convoqué par
l'empereur très chrétien que pour éteindre l'hérésie et confir-
mer la foi catholique : c'est une audace inouïe d'en profiter
pour priver les Ãglises d'Antioche et d'Alexandrie de leur place
dans la hiérarchie (la deuxième et la troisième après Rome), et
pour frustrer les métropolitains de l'honneur qui leur est dû.
En tout ceci, Léon n'a d'autre souci que l'intérêt commun de
l'Ãglise universelle. Il ne pense pas à la primauté du Siège
Apostolique, qui pourrait être compromise par les prétentions
de l'évêque de Constantinople. Une phrase seulement de la
lettre à Marcien peut paraître une allusion à un conflit pos-
sible : « Que Constantinople ait la gloire qui lui appartient, et
que grâce à la protection de la droite de Dieu, elle jouisse long-
temps du gouvernement de Ta Clémence ; mais autre est la
condition des affaires politiques, autre celle des choses de Dieu
(alia ratio est rerum saecularium, alia divinarum). Il n'y a pas
de construction solide en dehors de la pierre que le Seigneur a
posée comme fondement ». Mais, visiblement, le principal grief
de Léon à l'égard d'Anatole et du concile est d'avoir, par ambi-
tion, méconnu l'autorité des canons de Nicée et les privilèges
antiques, qui doivent demeurer inviolés.
Aussi, conclut la lettre à Pulchérie, « quant aux décrets ren-
dus par les évêques au mépris des règles établies par les saints
canons de Nicée, en union avec la piété de votre foi, nous les
annulons, et, par l'autorité du Bienheureux Apôtre Pierre, nous
les cassons définitivement (in irritum mittimus et per auctorita-
tem beati Petri apostoli, generali prorsus definitione cassamus) ».
Le concile n'était donc pas confirmé et la situation restait
tendue. Le même jour en effet, Léon écrivait à Julien de Kios,
172 CHALCÃDOINE
qui restait son apocrisiaire à Constantinople : il s'étonne vive-
ment que 1 evêque ait cru pouvoir lui suggérer de transiger et
de consentir de quelque façon aux ambitions d'Anatole. Ce
serait fouler aux pieds les constitutions des Pères et compro-
mettre la situation de l'Ãglise universelle266.
Confirmation du concile par le Pape.
Quinze mois après la clôture du concile, Léon n'avait pas
encore répondu à la lettre que lui avaient adressée les évêques.
Le 15 février 453, Marcien lui en écrit son étonnement267. Les
partisans d'Eutychès profitent de ce silence, et insinuent que
le pape n'a pas confirmé les décrets du concile. Que Léon écrive
donc une lettre qui fasse connaître aux Ãglises et à tous les
peuples que le pape confirme tout ce qui s'est fait à Chalcé-
doine, et qui déclare que le concile a été fidèle à la foi catho-
lique. D'autre part, le pape a bien fait, comme il convenait Ã
l'évêque du Siège Apostolique, de ne rien laisser innover contre
les canons, et contre les usages anciens, inviolablement observés
jusqu'ici. Marcien a donc la sagesse de séparer la définition de
foi du canon litigieux.
C'est dans ce même sens que, le 21 mars de la même année
453, le pape se décide enfin à répondre à la lettre du concile z68.
Comme dans les lettres précédentes, il donne son total accord
aux décisions du concile, mais seulement en matière de foi,
in sola fidei causa. Les partisans impénitents de Nestorius, ou
d'Eutychès et de Dioscore demeurent excommuniés : on ne
peut participer au corps du Christ si on nie la vérité de ce corps,
nec habeat ejus corporis participationem, cujus abnegat veri-
tatem ... Comme jadis saint Ignace d'Antioche, saint Léon voit
un lien indissoluble entre la participation à l'eucharistie et la
foi à la vérité du corps du Christ.
Dans cette lettre cependant, et dans d'autres adressées le
même jour à Marcien et à Pulchérie, le pape se plaint des
réticences d'Anatole, qui a tardé à faire connaître aux évêques
la lettre qu'il avait reçue de lui, et qui semble montrer de la
LES CANONS DE CHALCÃDOINE 173
mauvaise humeur de ce que Léon ait blâmé ses ambitions et
les entreprises coupables du concile 269. Ãcrivant encore à Julien
de Kios, il lui annonce son intention de ne plus écrire à Anatole,
qui persiste dans son attitude de présomption téméraire 270.
A la fin de l'année 453, Marcien s'entremit auprès du pape
en faveur d'Anatole. Léon répondit qu'il était prêt à rendre
son amitié à l'évêque si celui-ci se soumettait aux canons et
promettait par écrit de respecter humblement les privilèges
(gratiam) de tous les évêques : il n'y a de vraie paix et de cha-
rité ferme que si le pape et l'empereur s'emploient à conserver
la foi catholique et les canons de Nicée 271. Sur l'intervention de
Marcien, Anatole se décida enfin à écrire au pape : il pro-
teste humblement de son désir d'union et de paix. Quant aux
décrets qui ont été pris à Chalcédoine en faveur de l'Ãglise
de Constantinople, Anatole affirme qu'il n'y est pour rien, en
homme depuis toujours ami de la tranquillité et de l'humilité.
C'est le clergé de Constantinople qui a désiré ces mesures, les
évêques d'Orient y ont consenti ; mais la confirmation de ces
décrets a été réservée à l'autorité du pape : gestorum vis omnis
et confirmatio auctoritati Vestrae Beatitudinis fuerit reser-
vata 272.
Léon se tint pour content de ces explications, et en écrivit
sa satisfaction à Anatole, en l'exhortant toutefois à ne pas
dépasser les bornes posées par les Pères, et à respecter les an-
ciens privilèges des évêques : qu'il garde les décrets de Nicée,
qui maintiennent la paix de l'Ãglise universelle. La charité
demeurera inviolable entre les prêtres du Seigneur, s'ils ob-
servent d'un même zèle ce qui a été établi par les Saints
Pères. 2"
L'affaire devait en rester là . L'unité était rétablie entre Rome
et Constantinople. Mais pour combien de temps ?
CONCLUSION
DOGME ET VIE DANS L'ÃGLISE
ROME ET CONSTANTINOPLE
Peut-on, au terme de cette étude, dresser le bilan des vingt
années qui s'écoulèrent entre le concile d'Ãphèse (431) et celui
de Chalcédoine (451) ? Années agitées, remplies d'événements
divers, â en 451 Attila envahit la Gaule et à l'automne de 452
saint Léon se porta à sa rencontre près de Mantoue, â mais
années fécondes en résultats durables pour le développement du
dogme chrétien comme aussi des institutions ecclésiastiques.
Au début du v8 siècle le dogme christologique était arrivé au
terme d'une longue maturation : la poussée interne de la foi
chrétienne, l'effort des théologiens qui tentaient de rendre raison
de cette foi et de l'exprimer avec des concepts ou des vocables
encore mal épurés, en des formules dont certaines étaient parfois
insuffisantes, maladroites, voire dangereuses, tout cela avait pré-
paré la crise de 429-431, et celle qui devait comme par contre-
coup lui faire suite en 449-451. Dans ce progrès a compté pour
beaucoup l'influence des grands docteurs, un Athanase, un
Cyrille d'Alexandrie, â et en Occident, de façon plus diffuse
peut-être, un Augustin : on se réfère à eux moins comme à des
maîtres particuliers, â ne fut-ce pas l'erreur d'Eutychès que de
se réclamer obstinément de Cyrille et de son « unique nature ? »
â que comme à des témoins de la foi et de la tradition. A ce
titre, significative est l'autorité que l'on reconnaît aux conciles,
et avant tout à celui des « trois-cent dix-huit Pères réunis Ã
Nicée avec le Saint-Esprit ».
176 CONCLUSION
Nous sommes pour notre part plus sensibles à ces facteurs
d'ordre théologique et ecclésiastique, qu'à d'autres influences
qui, sans aucun doute, contribuèrent aussi à ce développement :
ambitions et rivalités personnelles, incidences politiques, inter-
ventions des empereurs, dont le rôle fut à certains moments déci-
sif, et, pourquoi ne pas le dire ?, providentiel ; on a vu le rôle
déterminant des fonctionnaires impériaux, et de Marcien lui-
même, dans l'élaboration et le vote par le concile de la défini-
tion dogmatique de Chalcédoine.
Quant au progrès du dogme christologique, il ne se réduit
pas au jeu d'une politique, voire d'une « police » (Duchesne)
ecclésiastique ou impériale, condamnant d'abord Nestorius sous
l'influence de Cyrille et de la théologie alexandrine, puis, par
une sorte de réaction, condamnant Eutychès et Dioscore sous
les influences conjuguées d'Antioche, de Constantinople et de
Rome, â avant d'aboutir à un compromis gros de querelles
nouvelles et de schismes qui durent encore. Nous y voyons
plutôt comme la pression de la foi cherchant l'équilibre entre
les deux pôles du mystère du Christ, vrai Dieu et vrai homme,
Verbe fait chair, un en deux natures. En vingt ans, au milieu
de tous les remous qui agitent cette histoire, la foi de l'Ãglise
a réussi à s'exprimer en des formules décisives, où se rencontrent
et s'unissent les différents courants dont nous avons suivi le
mouvement, et qui seront désormais la norme de toute réflexion
chrétienne sur le mystère de l'incarnation. En 451, l'essentiel est
acquis, définitivement.
Toutefois, si les Pères de Chalcédoine ont eu l'espoir de
mettre un terme à toute discussion et à toute querelle, si saint
Léon a pu penser que l'unité et la paix étaient désormais réta-
blies, l'événement n'a pas répondu à leurs vÅux. Le concile de
Chalcédoine fut au contraire le point de départ d'une longue
et pénible période de dissensions et de troubles. Il restait Ã
faire comprendre et accepter des milieux cyrilliens les formules
de Chalcédoine, à réprimer les résurgences du monophysisme
qui se manifesteront jusqu'à la fin du vn6 siècle : ce fut l'Åuvre
de théologiens comme Léonce de Byzance ou saint Maxime le
CONCLUSION 177
Confesseur, et des conciles des VIe et vrr3 siècles dont d'autres
volumes de cette collection raconteront l'histoire. En même
temps devaient se dessiner, à travers les discussions théologi-
ques, les jeux de la politique impériale, et la réaction des Ãglises
orientales, égyptienne, syrienne, perse, à l'autorité grandissante
de Constantinople et à l'unité de l'empire. Ces troubles, qui
seront d'abord l'occasion de nouvelles et importantes définitions
dogmatiques venant confirmer et préciser l'Åuvre d'Ãphèse et
de Chalcédoine, aboutirent finalement à la rupture de l'unité
religieuse de l'Orient, Ã la ruine de l'Ãglise perse, au schisme des
Ãglises de Syrie et d'Ãgypte. Tout dans cette histoire n'est
pas également lumineux.
Si l'on voulait maintenant s'interroger sur l'apport de nos
conciles au développement des institutions ecclésiastiques et
de la vie interne de l'Ãglise, il y aurait sans doute beaucoup Ã
dire sur les canons de Chalcédoine, et sur leur importance dans
l'histoire de la législation canonique, non seulement en Orient,
mais aussi en Occident, puisque un certain nombre de ses
dispositions passèrent dans les collections canoniques latines
et dans le Décret de Gratien. Bornons-nous à quelques réflexions
sur l'institution conciliaire elle-même, sur la place qu'elle tient
dans la vie de l'Ãglise et dans sa théologie, sans traiter pour eux-
mêmes certains aspects de cette institution que nous avons
déjà rencontrés : ainsi l'initiative impériale qui convoque le
concile de sa propre autorité, la composition des assemblées et
leur universalité réelle ou « morale », la présidence des conciles
et la place qu'y tiennent respectivement les représentants de
l'empereur et ceux de l'évêque de Rome, le protocole des
séances, l'intervention du pouvoir séculier jusque dans le vote
des définitions dogmatiques *.
Rassemblés de tous les points de l'oikouménè par l'empereur,
qui a conscience de tenir son rôle de prince chrétien, respon-
* Voir Le Concile et les Conciles, ch. III, 45-73, où l'on trouvera
textes et références.
178 CONCLUSION
sable de la paix et de l'unité de l'Ãglise comme de l'Empire, les
évêques entendent bien représenter la catholicité de l'Ãglise.
En fait, ce sont à peu près uniquement des Orientaux qui se
rencontrent à Ãphèse et à Chalcédoine, mais il est significatif
que la présence des vicaires de Célestin et de Léon, représentant
l'évêque de Rome et le concile qu'il a tenu lui-même en Occi-
dent, suffise à elle seule à témoigner de l'Åcuménicité du con-
cile, et de l'union de l'Orient et de l'Occident.
Ainsi, sous la présidence lointaine mais effective du Siège
Apostolique, qui les conduit « comme la tête conduit les mem-
bres », les évêques ont conscience de représenter toute l'Ãglise,
rassemblée dans l'Esprit-Saint, â Spiritus Sancti testatur prae-
sentiam congregatio sacerdotum », écrit saint Célestin, â au-
tour du Christ présent au milieu d'eux : le livre des Ãvangiles,
posé sur un trône au milieu de la basilique, en est le signe
manifeste. Ils représentent l'Ãglise, sa foi et sa tradition : dans
les controverses qui se déroulent autour du mystère du Christ,
on se réfère toujours, comme à un point fixe, non seulement Ã
l'Ãcriture, aux enseignements des Ãvangiles et des Apôtres, mais
aussi à la tradition et à la foi définie à Nicée. Les conciles
entendent bien ne rien innover, même en matière purement dis-
ciplinaire, mais affirmer tout simplement la foi de l'Ãglise,
conformément à l'Ãcriture et à l'enseignement unanime des
Pères, et avec l'assistance, voire sous l'inspiration du Saint-
Esprit : « Tous les évêques du Seigneur, instruits par l'Esprit-
Saint, Sancto Spiritu docente, se sont trouvés d'accord pour
émettre un avis unanime ...» 274.
Un autre point, central dans la vie de l'Ãglise, que les deux
conciles Åcuméniques du v* siècle ont contribué à mettre en
pleine lumière, c'est celui de l'autorité de l'évêque de Rome,
l'évêque de la Sedes Apostolica. Dès que se pose un problème
dogmatique important, les parties intéressées en réfèrent Ã
Rome : Nestorius puis Cyrille s'adressent à Célestin, non seule-
ment pour l'informer, mais pour lui demander d'arbitrer avec
autorité le débat qui les oppose ; ainsi feront encore Eutychès,
CONCLUSION 179
puis Flavien. Les victimes du brigandage d'Ãphèse, Flavien,
Théodoret, Eusèbe de Dorylée, en appellent également à saint
Léon *. â De leur côté les papes, une fois les conciles convo-
qués, tiennent à y envoyer des légats qui y représenteront leur
personne ; munis des pouvoirs les plus étendus, ils agiront avec
toute l'autorité du successeur de saint Pierre. Et si on met Ã
part les scandaleux incidents d'Ãphèse en 449, on remarquera
l'empressement avec lequel les évêques accueillent les légats
romains, et tiennent à exprimer, même bruyamment, leur accord
avec eux et avec le pape lui-même : « Célestin d'accord avec
le concile !... Léon parle comme Cyrille ! Pierre a parlé par
Léon ! »
Les légats à leur tour parlent et décident avec une pleine
autorité, qui est celle « du bienheureux et apostolique évêque
de Rome, qui est le chef de toute l'Ãglise », qui est celle de
Pierre lui-même, le chef des apôtres : les déclarations du prêtre
Philippe à Ãphèse, de Paschasinus à Chalcédoine, ne laissent
aucun doute sur la pleine conscience qu'ont les légats de l'auto-
rité du pontife qui les a envoyés. Ces déclarations d'autre part
ne soulèvent aucune protestation de la part des évêques, même
si en d'autres moments, par exemple à la « 17e session » de
Chalcédoine, ils refusent plus ou moins ouvertement de se ran-
ger à l'avis des romains. Et, chose significative, ils se justifient
auprès de Léon de cette résistance en lui expliquant que cer-
tainement ses légats n'avaient pas compris ses instructions !
Enfin c'est aussi avec une pleine autorité que les papes
approuvent les décrets conciliaires, ou que saint Léon casse le
« 28e canon » de Chalcédoine, parce qu'il l'estime contraire aux
canons de Nicée qui doivent rester inviolables. Significative est
la lettre par laquelle saint Léon annonçait aux évêques de
Gaule la condamnation de Nestorius et d'Eutychès par le con-
cile : « Le saint synode, exprimant avec une religieuse unani-
mité son accord avec les lettres de mon humble personne, con-
* Nous avons dit, pp. 91-92 et 112, qu'il ne faut pas majorer indûment
la portée de ces appels.
180 CONCLUSION
firmées par l'autorité et le mérite de mon Seigneur le Bien-
heureux Apôtre Pierre, a rejeté avec horreur les monstrueuses
inventions de l'esprit diabolique et écarté de l'Ãglise de Dieu cet
opprobre...» 27S.
Le concile de Chalcédoine fut vraiment une étape importante
dans le développement de la primauté romaine, aussi bien dans
les idées que dans les faits. Un historien comme E. Caspar,
jugeant des choses du seul point de vue historique, a montré
comment l'autorité de 1 evêque de Rome s'affirme progressive-
ment durant cette première moitié du v* siècle, d'Innocent Ier
à saint Léon. Celui-ci intervient et tranche, dans les débats dog-
matiques comme en matière disciplinaire, avec plus de décision
et de fermeté que Célestin. Et Marcien aussi bien que Flavien
reconnaissent cette autorité. Compte tenu des circonstances, et
du besoin que le patriarche comme l'empereur pouvaient avoir
de l'appui du pape, les expressions dont ils se servent sont signi-
ficatives. Marcien par exemple, annonce son avènement à « Ta
Sainteté, qui possède la primauté (principatum) dans l'épiscopat
de la divine foi » 278. C'était des mêmes mots que s'étaient ser-
vis quelques mois auparavant Valentinien et Galla Placidia écri-
vant à Théodose : principatum sacerdotii, principatum episco-
patus277. En face de la conception d'une « Ãglise d'Empire »,
qui était déjà celle de Constantin, et qui sera celle de l'Ãglise
Byzantine, s'affirme la doctrine de la primauté du Siège de
Pierre *. Mais ce serait ne regarder l'histoire de l'Ãglise que par
ses aspects les plus extérieurs que de vouloir expliquer ce déve-
loppement par les seules circonstances politiques, ou par la
seule personnalité de saint Léon, qui sut allier à l'autorité la
plus ferme la souplesse et la sacerdotalis moderatio : la crois-
sance de l'Ãglise est celle d'un germe vivant, présent dès les
origines, et grandissant sous la poussée interne de l'Esprit de vie
qui l'anime. C'est d'ailleurs à bien d'autres titres encore que le
* E. Caspar, Geschichte des Papsttums, I, 522.
CONCLUSION 181
pontificat de saint Léon a pu être considérée comme « l'époque
la plus éclatante de la primauté romaine » *.
Plus de quatre siècles après Chalcédoine, en un moment
grave de l'histoire de l'Ãglise, le pape Nicolas Ier, dans une
lettre à l'empereur Michel III concernant l'affaire de Photius,
rappelait une suite impressionnante de faits qui témoignaient de
l'autorité du Siège Apostolique. Il ne pouvait manquer d'évoquer
les conciles du V siècle ni son prédécesseur Léon et, appliquant
à celui-ci le mot de l'Apocalypse (5, 5), il écrivait : Vicit Leo de
tribu Juda**.
Un dernier problème est encore à mentionner, celui des rap-
ports entre l'Orient et l'Occident, entre Constantinople et Rome.
Les deux conciles Åcuméniques du Ve siècle témoignent, plus
que d'un désir sincère d'union, d'une véritable unité des deux
parties de la Catholica : unité dans la foi, concorde dans l'au-
torité reconnue du Siège Apostolique.
Nous avons noté cependant de dangereux symptômes de
F « état d'ignorance réciproque » ***, qui va creuser entre
l'Orient et l'Occident un fossé de plus en plus profond : l'éloigne-
ment et la difficulté des communications, aggravée par les
invasions barbares, l'ignorance des langues, la différence des
mentalités et des théologies, la divergence dans la conception
même de l'Ãglise et de la primauté de Rome. La prétention de
l'évêque de Constantinople à justifier son autorité en arguant de
sa qualité d'évêque de la ville impériale, n'est pas le moins grave
de ces facteurs de division. Jusqu'à présent, Anatole n'invoque ce
titre que pour revendiquer une certaine suprématie sur l'Orient
**
Y. Congar, Neuf cents ans après, Chevetogne, 1954, 67.
E. Caspar a donné cette épigraphe au second des deux chapitres
qu'il consacre à saint Léon dans sa Gesch. des Papsttums, I, xn, 462-564.
*** Le mot est du P. Jugie, Le schisme byzantin, 188, cité par le
P. Congar, op. cit., 7. Le P. Congar aime à employer le mot anglais
d' « estrangement », ib., 8. Voir, sur ces questions, P. Batiffol, Cathedra
Pétri, 75-78.
182 CONCLUSION
aux dépens d'Antioche. Mais, rivale heureuse d'Antioche et
d'Alexandrie, Constantinople le sera bientôt de Rome... Et
bientôt aussi l'empereur mettra en question l'autorité du concile
de Chalcédoine lui-même. Au lendemain de ces jours qui furent
glorieux, c'est une douloureuse histoire qui va commencer.
REFERENCES
1. ACO I, v, 1, 29. loofs, Nesto-
riana, 253.
2. Ib. 31. Nestoriana, 278.
3. Dans cyr. d'alex., Adv. lui. 1,
8 ; PG 76, 901.
4. Ep. 101 ; PG 37, 177.
5. PG 77, 1456 ; ACO I, i, 1, 95.
6. Dans eusèbe, H. E. V, 28, 4-5
(SC, 41, 75).
7. Eph. 1, 1 ; Rom. 6, 3 ; Eph. 18,
2, (SC 10, 66, 134, 86).
8. Adv. Haer, III, xvi, 2, 3, 5, 8 ;
xvii, 4 (SC 34, 278, 282, 294-
296, 308) ; I, ix, 2 (PG 7, 540).
9. De Incarn. 18-19 (SC 18, 239-
243).
10. Cf. De Incarn. et c. Arian. 8 ;
PG 26, 996 c.
11. Cf. s. Cyrille, Quod unus sit
Christus, PG, 75, 1265.
12. Ep. 46 ; PG 77, 240 ; ACO I,
i, 6, 158.
13. De Incarn. 17 (SC 18, 237-238).
14. Tome aux Antiochiens, 7 ; P.G.
26, 804-805.
15. Fragm. 14 et 95, dans lietz-
mann, Apollinaris von Laodicea,
208, 229.
16. Ep. 107 ; PG 37, 181.
17. théod. de mops., Homélies caté-
chétiques, v, 11, 14, 15, 17 ;
éd. R. Tonneau, 117, 114, 121,
123.
18. De incarn. vin ; v ; PG 66, 981 ;
970. éd. Swete, 299; 292. â
Comm. sur S. lean, xra, 14 ; éd.
J. Vosté, 193-194. â Hom. Cat.
vin, 13 ; éd. R. Tonneau, 205.
19. Hom. Cat. in, 10 ; vi, 3 ; éd.
R. Tonneau, 67, 135.
20. De Incarn. xv ; PG 66, 992 ; éd.
Swete, 310.
21. C. Apollin. ; PG 66, 993-994 ;
éd. Swete, 313-314.
22. socrate, H. E. VIII, 29, 32 ;
PG 67, 804, 809.
23. Ib. 812.
24. ACO i, v, 1, 29.
25. Ib. 32 ; Nestoriana, 254.
26. 2e lettre à S. Cyrille (été 430),
PG 77, 53 ; ACO, I, i, 1, 30-31 ;
Nestoriana, 177-178.
27. ACO, ib. 58 ; Nestoriana, 262.
28. ACO, ib. 38 ; Nestoriana, 337-
338.
29. ACO, ib. 30 ; Nestoriana, 252.
30. Nestoriana, 224.
31. ACO, ib. 35, 37 ; Nestoriana,
262, 276.
32. Dans S. Cyrille, C. Nest. II, 14 ;
PG 76, 109 ; ACO I, i, 6, 52.
33. ACO I, i, 1, 101-102.
34. H. E. VII, 32 ; PG 57, 809.
35. D'après Cyrille, C. Nest. I, 5 ;
PG 76, 109 ; ACO I, i, 6, 52.
26 ; evagre, H. E. I, 9 ; PG 86,
2, 2445.
36. PG 65, 680 ; ACO I, i, 1, 103.
37. ACO I, v, 1, 37 ; Nestoriana,
184
REFERENCES 39-82
39. Cf. cassien, De Incarn. pré-
face ; PL 50, 9.
40. Célestin, Ep. 7 et 13, 2 ; PL 50,
442, 471 ; ACO I, h, 7 et 14.
41. Ep. 1 (aux moines) ; PG 77, 9-
40 ; ACO I, i, 1, 10-23. Ep. pas-
cale 17; PG 77, 768-769.
42. Ep. 3 ; PG 77, 40-44 ; ACO,
ib., 23-25.
43. Dans S. Cyrille, Ep. 3 ; PG 77,
44 ; ACO, ib., 25.
44. Ad Reginas, 13 ; PG 76, 1221 ;
ACO I, i, 5, 70.
45. Ep. 46, 2 ; PG 77, 241 ; ACO I,
i, 6, 159-160. Quod unus sit
Christus, PG 75, 1289. Ep. 45,
PG 77, 232 ; ACO, ib., 153.
46. Ep. 4 ; PG 77, 45 ; ACO I, l,
1, 26. Ep. 46; PG 77, 241;
ACO I, i, 6, 160.
47. Ep. 17 ; PG 77, 112 ; ACO, ib.,
36.
48. Ep. 48 ; PG 77, 236 ; ACO I,
i, 6, 155.
49. Dans Cyrille, Apol. c. Theod.
1 ; PG 76, 392 ; ACO I, i, 6,
109.
50. Ep. 17 ; PG 77, 115 b, et anaih.
4 ; ACO I, i, 1, 38, 41 ; DZ 116,
FC 298.
51. Ep. 4 ; PG 77, 45-48 ; ACO, ib.
26-28 ; DZ 111 a fin, FC 294.
Cf. Ep. 17, PG 77, 113, et
anath. 12 ; ACO, ib. 37 ; DZ
124 ; FC 306.
52. Ep. 17 ; PG 77, 116, et anath.
4 ; ACO, ib. 38 ; DZ 116 ; FC
298.
53. Ep. 17 ; PG 77, 113, et anath.
11; ACO, ib., 37; DZ 123;
FC 305.
54. Ep. 1 (aux moines d'Egypte) ;
PG 77, 13-16 ; ACO, ib., 11-12.
Lettre pascale 17 ; PG 77, 775.
â Ep. 17; PG 77, 119-120;
ACO, ib., 40 ; DZ 113 ; FC 295.
55. Hom. div. 17 ; PG 77, 1093 ;
cf. o. jouassard, dans Maria, I,
132 et n. 47.
56.
57.
58.
59.
60.
61.
62.
63.
64.
65.
66.
67.
68.
69.
70.
71.
72.
73.
74.
REFERENCES 83-142
185
83. PG 77, 49-57 ; ACO I, i, 1,
29-32.
84. ACO ib., 31-36.
85. PG 77, 105-112 ; ACO I, i, 1,
35-42.
86. ACO ib., 36-38.
87. Ib., 39-54.
88. Ib. 54-64.
89. cyrille, Ep. 24 ; PG 77, 237 ;
ACO ib. 117-118.
90. ACO I, i, 5, 13-15.
91. ACO I, iv, 33.
92. 43 dans les Actes grecs, 53
dans la traduction latine de
Rusticus. ACO I, i, 5, 119-124.
93. Ib., 124-127.
94. ACO I, i, 3, 9-10.
95. Ib., 53-57.
96. Ib., 58.
97. Ib., 60-63.
98. ACO I, n, 64.
99. ACO I, i, 3, 24-25.
100. ACO I, i, 1, 27-30.
101. Ib., I, i, 3, 5-9.
102. ACO I, i, 7, 95-100. Cf. Cy-
rille, Ep. 72, Ã Proclus ; PG
77, 345; ACO I, v, 315.
103. ACO, I, i, 5, 107-106.
104. ACO I, i, 3, 31-32.
105. ACO I, iv, 53-54.
106. ACO I, iv, 222-225.
107. ACO I, i, 7, 70.
108. ACO I, iv, 68-69.
109 ACO I, i, 7, 81.
110. Ib., 85.
111. ACO I, i, 3, 5-9.
112. PL 50, 583-589 ; ACO I, i, 7,
143-145.
113. s. léon, Ep. 93 ; PL 54, 939 ;
ACO II, iv, 52.
114. Définition de Chalcédoine,
ACO II, i, 2, 127.
115. ACO I, i, 3, 61-62.
116. ACO I, i, 7, 142.
117. PG 77, 44-49 ; ACO I, i, 1,
25-28.
118. ACO I, i, 2, 36.
119. Mansi, ix, 327.
120. Ep. 39, Ã Jean d'Antioche (de
433) ; PG 77, 177 ; ACO I, i,
4, 18.
121. ACO I, il, 13 ; I, v, 182.
122. cf. PG 77, 44-49 ; ACO I, i, 1,
25-28.
123. ACO I, i, 7, 70.
124. Ep. 38 dans la correspondance
de S. Cyrille, PG 77, 172-173 ;
ACO I, i, 4, 7-9 ; DZ 5002.
125. Ep. 39 ; PG 77, 173-181 ; ACO
ib., 15-20.
126. Ep. 51-52, dans la correspon-
dance de S. Cyrille, PG 77,
277-286; ACO I, n, 107-110.
127. 5 et 6 ; PL 50, 602-610 ; ACO.
I, il, 107-108, 108-110.
128. Mt 28, 19-20.
129. PG 77, 172-181 ; ACO I, i, 1,
7-9, 15-20.
186
RÃFERENCES 143-183
143.
144.
149.
150.
Synodicon 203 (293) ; PG 84,
828 ; ACO I, iv, 223.
Le livre d'Héraclide, trad. F.
nau, 294-295.
145. s. léon, Ep. 20 (1" juin 448) ;
PL 54, 713; ACO II, IV, 3.
La lettre d'Eutychès ne nous
a pas été conservée.
146. s. léon, Epp. 28, 29, 35 ; PL
54, 755-757, 781-783, 805;
ACO II, iv, 6-8, 9-10.
147. Ainsi parlait Flavien lui-même,
ACO II, i, I, 131.
148. Les Actes du Synode de 448
se trouvent insérés dans les
Actes du concile de Chalcé-
doine, ACO II, i, 1, 124-144.
Parmi les lettres de s. léon,
Ep. 21 ; PL 54, 714-717 ; ACO
II, iv, 143-144.
Parmi les lettres de s. léon,
Ep. 22 ; PL 54, 724-728 ; ACO
ib., 36-37. â La lettre de Fla-
vien coïncide pour le fond
avec celle d'Eutychès, qui
exprime le point de vue de
l'accusé.
151. ACO II, i, J, 35.
152. Epp. 23 et 24, du 18 février
449; PL 54, 731-736; ACO
II, iv, 3-5.
153. Ep. 27, du 21 mai 449 ; PL
54, 751 ; ACO ib., 9.
154. Cf. liberatus de Carthage,
Breviarium causae nestoriano-
rum et eutychinianorum, 12,
ACO II, v, 117, et l'allusion
d'Eutychès lui-même dans le
mémoire qu'il adresse au sy-
node de 449, ACO II, i, 1,
16 : il a prié l'empereur de
faire les évêques juges de la
condamnation portée contre
lui.
155. Parmi les lettres de s. léon,
Ep. 54, 747 ; ACO II, i, 1, 40.
156. ACO ib., 68-69.
157. Ib., 71.
158. Cf. s. léon, Ep. 29, PL 54,
781-783 ; ACO II, iv, 9.
159. Ep. 9 ; PL 54, 624.
160. Ep. 29 ; PL 54, 781-783 ; ACO
II, iv, 9-10.
161. Ep. 31 ; PL 54, 789-795 ; ACO
ib. 12-15.
162. Epp. 32, 33, 34 ; PL 54, 795-
802 ; ACO ib. 11-12, 15-17.
163. Ep. 28 ; PL 54, 755-779 ; ACO
II, il, 24-33.
164. P. ex. Epp. 23, 69 ; PL 54, 733,
891 ; ACO II, iv, 5, 31, etc.
165. Ado. Prax. 27 : « Salva est
utriusque proprietas substan-
tiae ».
REFERENCES 184-240
187
184. Ep. 95 à Pulchérie ; PL 54,
943 ; ACO ib., 51. Cf. Ep. 86,
1.
185. Dans S. Léon, Ep. 46 ; PL 54,
837 ; ACO ib., 27.
186. e. diehl, Inscriptiones chris-
tianae veteres, 980.
187. ACO II, n, 77-79.
188. Ib., 79-81.
189. théodoret, Ep. 113 ; PG 83,
1312-1317; ACO II, m, 358.
190. Hilaire à Pulchérie, dans S.
Léon, Ep. 46; PL 54, 837-
839 ; ACO II, iv, 28.
191. Epp. 44, 45, 50, 51 ; PL 54,
827-835; ACO ib., 19-23, 29,
25.
192. Epp. 47, 48, 49 ; PL 54, 839-
842 ; ACO ib., 22-23.
193. Ep. 54, PL. 54, 855-856 ; ACO
ib., 11.
194. Dans les lettres de s. léon,
Ep. 55; PL 54, 857-859.
195. Ib., Ep. 56 ; PL 54, 859-861.
196. Ib., Ep. 62 ; PL 54, 875.
197. Ep. 69 ; PL 54, 890-892 ; ACO
ib., 30.
198. V. p. ex. la lettre de Léon Ã
Ravennius d'Arles, Ep. 67 ;
PL 54, 886-887.
199. Dans s. léon, Ep. 73 ; PL 54,
899 ; ACO II, i, 1, 10 (la trad.
lat. ib. III, 1, 27).
200. Dans s. léon, Ep. 76 ; PL 54,
903-904; ACO ib. n, 1, 8.
Marcien fait allusion au Tome
à Flavien.
201. Ib., Ep. 77 ; PL 54, 905-908 ;
ACO ib., 9.
202. théodoret, Ep. 138, 139, 140 ;
PG 83, 1360-1365 ; evagre,
Hist. Eccl. II, 2 ; PG 86, 2489-
2492.
203. Epp'. 78, 79, 80, 81 ; PL 54,
907-916, ACO ib., 37-41.
204. Ep. 82 ; PL 54, 917-918 ; ACO
ib., 37-41.
205. Epp. 83, 84, 85, 86 ; PL 54,
919-925; ACO ib., 42-45.
206. ACO ib., 27.
207. Epp. 89 et 90 ; PL 54, 930-
934 ; ACO II, iv, 47, 49. Cf.
encore Ep. 94 Ã Marcien, du
20 juillet ; PL 54, 941 ; ACO
ib., 49.
208. Ep. 92 ; PL 54, 936, ACO ib.,
49.
209. Ep. 93 ; PL 54, 937-940 ; ACO
ib., 51-52.
210. Ep. 95 ; PL 54, 943 ; ACO ib.,
51.
211. ACO II, m, 1, 19.
212. Ib., i, 1, 29-30 (22 sept.).
213. Ib., i, 1, 65.
214. Ib., 66-70.
215. PG 77, 44-49 ; ACO I, i, 1,
25-28.
216. PG 77, 159-173 ; ACO I, i,
188
REFERENCES 241-277
241.
242.
243.
244.
245.
246.
247.
248.
249.
250.
251.
252.
253.
254.
255.
256.
257.
258.
259.
260.
261.
PG 77, 45 ; ACO I, i, 1, 27.
PL 54, 745 ; ACO II, i, 1, 39.
Ib., 725 ; Ib., 37.
Ep. 51 ; PG 83, 1124.
Ep. 39 ; PG 77 ; ACO I, i, 4,
17.
ACO II, i, 2, 81-82.
Ep. 93, 2; PL 54, 937-939;
ACO II, iv, 52.
Ep. 31 (à Pulchérie, 13 juin
449), 2 ; PL 54, 792 ; ACO ib.,
15.
Ep. 33 (au concile, 13 juin
449), 1 ; PL 54, 797 ; ACO ib.,
15.
Serai. 96, 2 ; PL 54, 469.
s. léon, Serm. 21, 2, 25, 5 ;
27, 2 ; PL 54, 192, 211, 217 ;
SC 22, 72, 120, 138-140.
cm Ep. 56 ; PC 77, 320.
ACO II, n, 3, 5-7.
Cf. s. léon, Epp. 44, 45 ; PL
54, 827-835 ; ACO II, iv, 23-
25.
ACO II, i, 69.
Sur toute cette séance, ACO
II, i, 3, 7-11.
ACO II, i, 3, 88-94; III, 3,
102-108.
ACO, II, i, 2, 158-163.
ACO II, i, 2, 116.
ACO II, i, 3, 89-94.
Ib., 87-88, 95-99 ; in, 3, 108-
110.
Ib., 116-118. Le texte latin
Ep. 100; PL 54, 972-974;
ACO II, iv, 167-168. Le texte
grec ib., i, 2, 55-56.
264. Pas de date. Dans s. léon,
Ep. 101 ; ib., 976-984. Le texte
grec ib., 52-54.
265. Epp. 104, 105, 106 ; PL 54,
991-1009; ACO II, iv, 55-62.
266. Ep. 107 ; PL 54, 1009-1010 ;
ACO ib., 62.
267. Dans S. Léon, Ep. 110 ; PL 54,
1017-1019 ; ACO II, i, 2, 61.
TEXTE
SECONDE LETTRE DE SAINT CYRILLE
A NESTORIUS *
(janvier â février 430).
Cyrille au Très Révérend et Très Religieux
Nestorius, son Collègue, salut dans le
Seigneur.
J'apprends que certains calomnient les sentiments que j'ai Ã
l'égard de Ta Piété ; ils le font fréquemment, surtout à l'occasion
d'assemblées de hauts personnages. Peut-être pensent-ils par lÃ
flatter tes oreilles. Ils lancent des rumeurs sans fondement. On ne
leur a pas fait tort, mais ils ont été condamnés à juste titre : celui-ci
pour avoir fait tort à des aveugles et à des pauvres, celui-là pour
avoir tiré l'épée contre sa mère, un autre pour avoir, avec l'aide
d'une servante, volé l'or d'autrui, et pour avoir eu toujours une
réputation que personne ne souhaiterait à son pire ennemi. Mais
ce que disent ces gens-là n'a pas beaucoup d'importance pour
moi, et je ne veux pas dépasser la mesure de ma petitesse auprès
de celui qui est mon Seigneur et mon Maître, ni auprès de mes
Pères. Car quelle que soit la vie qu'on mène, on ne peut échapper
aux attaques des méchants ; mais eux, dont la bouche est pleine
de malice et d'amertume [cf. Rm 3, 14], auront à répondre devant
le juge de tous. Pour moi, je retournerai à ce qui me convient
davantage, et je te rappellerai, comme à un frère dans le Christ,
qu'il faut présenter aux peuples les paroles de l'enseignement et
les pensées sur la foi avec une entière sécurité ; il faut considérer
que scandaliser un seul de ces petits qui croient dans le Christ
[cf. Mt 18, 6] provoque l'indignation intolérable (de Dieu). Et si
* Le texte dans PG 77, 44-49; ACO I, i, 1, 25-28. Une traduction
française partielle dans E. Amann, Le dogme catholique dans les Pères de
l'Ãglise, Paris, 1922, 335-338. Nous nous inspirons ici de cette tra-
duction, en la rectifiant ou la complétant ici ou là . Un fragment dans
FC 294.
192 TEXTES
le nombre de ceux qui ont été troublés est si grand, comment ne
nous faut-il pas user de beaucoup d'habileté, pour écarter avec
prudence les scandales, et pour présenter à ceux qui cherchent la
vérité, la saine parole de la foi ? Et cela se fera très bien si nous
lisons les écrits des Saints Pères et nous efforçons d'en faire grand
cas, et si, comme il est écrit, nous nous examinons pour voir si nous
sommes dans la foi [II Cor 13, 5] et conformons nos pensées Ã
leurs opinions droites et irréprochables.
Le grand et saint concile [de Nicée] a donc dit que c'est le
même Fils unique, engendré de Dieu le Père selon la nature, vrai
Dieu de vrai Dieu, lumière de lumière, par qui le Père a tout fait,
qui est descendu, s'est fait chair, s'est fait homme, a souffert, est
ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux. C'est à ces paroles
et à ces enseignements qu'il faut nous attacher, considérant ce que
veut dire : le Verbe de Dieu s'est incarné et s'est fait homme.
Nous ne disons pas que la nature du Verbe s'est transformée pour
devenir chair, ni non plus qu'elle s'est transformée en un homme
complet [composé] d'âme et de corps, mais plutôt ceci : le Verbe
s'unissant selon l'hypostase une chair animée d'une âme raison-
nable, est devenu homme d'une façon indicible et incompréhensible,
et s'est appelé Fils de l'homme, non pas seulement par volonté ni
par complaisance, ni non plus en en prenant seulement le person-
nage (prosôpon). Différentes sont les natures qui se sont rencontrées
dans une unité véritable, mais des deux [résulte] un seul Christ et
Fils : la différence des natures n'est pas supprimée par l'union, mais
au contraire la divinité et l'humanité forment pour nous un seul
Seigneur et Fils et Christ, par leur rencontre indicible et ineffable
en l'unité.
Ainsi, bien qu'il subsiste avant les siècles et qu'il ait été engendré
par le Père, il est dit aussi avoir été engendré selon la chair par
une femme, non point que sa nature divine ait commencé à être
en la sainte Vierge, ni qu'elle ait eu nécessairement besoin d'une
seconde naissance par elle après celle qu'il avait reçue du Père, â
car c'est légèreté et ignorance de dire que celui qui existe avant les
siècles et est coéternel au Père a besoin d'une seconde génération
pour exister, â mais puisque c'est pour nous et pour notre salut
qu'il s'est uni selon l'hypostase l'humanité (to anthrôpinon), et qu'il
est né de la femme, on dit qu'il a été engendré d'elle selon la
chair. Car ce n'est pas un homme ordinaire qui a été d'abord
engendré de la sainte Vierge, et sur lequel ensuite serait venu se
reposer le Verbe, mais le Verbe s'étant uni [à l'humanité] dès le
CYRILLE A NESTORIUS 193
sein de Marie, est dit avoir accepté une naissance charnelle, ayant
revendiqué pour lui la naissance de sa propre chair.
C'est ainsi que nous disons qu'il a souffert et qu'il est ressuscité,
non pas que le Dieu Verbe ait souffert en sa propre nature les
coups, les trous des clous et las autres blessures (car la divinité est
impassible, puisqu'elle est incorporelle) ; mais puisque le corps qui
est devenu le sien propre, a souffert tout cela, on dit encore une
fois que c'est lui (le Verbe) qui a souttert pour nous : l'Impassible
était dans le corps qui souffrait. Et c'est d& la même façon que nous
pensons au sujet de sa mort. Car le \ srbe de Dieu est par nature
immortel, incorruptible, vie et vivifiant. Mais encore une fois puis-
que son propre corps a, par la grâce de Dieu, goûté la mort pour
tout homme, comme dit Paul [Héb 2, 9], on dit qu'il a souffert
la mort pour nous : non qu'il ait fait l'expérience de la mort en ce
qui regarde sa propre nature (ce serait folie de dire cela ou de
le penser), mais parce que, comme je l'ai dit à l'instant, sa chair
a goûté la mort. Ainsi, sa chair étant ressuscitée, on parle de la
résurrection du Verbe, non point que le Verbe soit tombé dans la
corruption, non certes, mais encore une fois parce que son corps
est ressuscité.
Ainsi nous confesserons un seul Christ et un seul Seigneur, non
pas en adorant un homme avec le Verbe, pour ne pas introduire
l'imagination d'une division en disant avec ; mais nous adorons un
seul et même (Christ), car le corps du Verbe ne lui est pas étranger,
c'est avec lui qu'il siège maintenant avec son Père : ce ne sont pas
deux Fils qui siègent avec le Père, mais un seul, à cause de l'union,
avec sa propre chair. Mais si nous écartons comme incompréhen-
sible ou indécente l'union selon l'hypostase, nous en arrivons Ã
parler de deux Fils : car de toute nécessité il faut séparer et dire Ã
part l'homme qui a été honoré de l'appellation de Fils, et à part
encore le Verbe de Dieu qui possède naturellement le nom et la
réalité de la filiation. Il ne faut donc pas séparer en deux fils
l'unique Seigneur Jésus-Christ. Cela ne servirait en rien à la foi
orthodoxe d'en arriver là , même si certains parlaient d'union des
prosôpa. Car l'Ãcriture ne dit pas que le Verbe s'est uni le prosôpon
d'un homme, mais qu'il s'est fait chair.
Et dire que le Verbe s'est fait chair, cela ne veut pas dire autre
chose que ceci : il a participé comme nous à la chair et au sang
[Héb 2, 14] ; il a fait sien notre corps et il a été mis au monde
comme un homme né de la femme ; il n'a pas rejeté son être divin
ni sa génération de Dieu le Père, mais en prenant une chair il est
resté ce qu'il était.
194 TEXTES
Voilà ce qu'enseigne partout la foi orthodoxe ; voilà ce que nous
trouverons dans l'enseignement des Saints Pères. C'est pourquoi ils
ont osé appeler theotokos la Sainte Vierge, non pas que la nature
du Verbe ou sa divinité ait pris de la sainte Vierge le principe de
son existence, mais puisqu'est né d'elle ce saint corps animé d'une
âme raisonnable auquel le Verbe s'est uni selon l'hypostase, on dit
que le Verbe a été engendré selon la chair.
Voilà ce que la charité du Christ me pousse à t'écrire ; je t'exhorte
comme un frère et je te conjure en face du Christ et des anges élus
de penser et d'enseigner cela avec nous, afin que la paix des Ãglises
soit sauvée, et que le lien de la concorde et de la charité demeure
infrangible entre les prêtres de Dieu.
Salue les frères qui sont près de toi. Ceux qui sont avec nous te
saluent dans le Christ.
II
LETTRE DE NESTORIUS A SAINT CYRILLE *
(15 juin 430)
A notre Très Religieux et Très Pieux
collègue Cyrille, Nestorius, salut dans le
Seigneur.
Je passe sur les injures envers nous de ton étonnante lettre : elles
réclament la patience d'un médecin, et les faits eux-mêmes leur
répondront en temps voulu. Mais ce qu'on ne saurait taire sans un
grand péril, je tâcherai de le dire brièvement, autant que je le puis,
et sans m'étendre dans des longueurs, pour ne pas te donner la
nausée d'un long discours obscur et indigeste. Je commencerai donc
par citer en propres termes les paroles très sages de Ta Charité.
Quelle est donc la teneur de la doctrine admirable de ta lettre ?
« Le saint et grand concile dit que c'est le même Fils unique,
engendré de Dieu le Père selon la nature, vrai Dieu de vrai Dieu,
lumière de lumière, par qui le Père a tout fait, qui est descendu,
s'est fait chair, s'est fait homme, a souffert, est ressuscité...»
Voilà les paroles de Ta Piété ; tu reconnais peut-être ton bien.
* Ep. 5 dans la correspondance de saint Cyrille ; PG 77, 49-57 ; ACO
I, i, 1, 29-30. Cf. ci-dessus p. 40.
NESTORIUS A CYRILLE 195
Ãcoute aussi les nôtres ; c'est une exhortation fraternelle sur la vraie
religion, celle dont le grand Paul adjurait son cher Timothée :
« Applique-toi à la lecture, à l'exhortation, à l'enseignement. En
faisant cela, tu te sauveras toi-même et tes auditeurs » [I Tim 4, 13].
Que veut dire : Applique-toi ? Ceci : ayant lu superficiellement la
tradition des saints, tu es tombé dans une ignorance pardonnable :
tu as cru qu'ils disaient que le Verbe coéternel au Père est passible.
S'il te plaît, penche-toi avec plus d'exactitude sur leurs paroles, et
tu trouveras que le divin chÅur des Pères n'a pas dit que la divinité
consubstantielle est passible, ni que (cette divinité) coéternelle au
Père est née récemment, ni que celle qui a ressuscité son Temple
détruit a été ressuscitée. Si tu prêtes l'oreille aux conseils d'un
médecin fraternel, je t'apporterai les paroles des Saints Pères, et
grâce à elles, je te débarrasserai de toutes les erreurs mensongères
que tu profères contre elles-mêmes et contre les divines Ãcritures.
Je crois donc, disent-ils, en un seul Seigneur, Jésus-Christ, son
Fils unique. â Remarque comment les Pères posent d'abord comme
un fondement ces mots : Jésus, Christ, unique engendré, Fils, noms
qui sont communs à la divinité et à l'humanité, et comment ils
élèvent ensuite l'édifice de la tradition concernant l'incarnation, la
passion et la résurrection, pour que, ayant d'abord posé les noms
qui signifient les (propriétés) communes à l'une et à l'autre nature,
on ne sépare pas ceux qui appartiennent à la nature du Fils et du
Seigneur, et qu'on ne risque pas non plus de faire disparaître les
propriétés des natures en les absorbant dans l'unique filiation. C'est
ce que Paul leur avait appris : rappelant la divine incarnation, et
devant ajouter la passion, il a d'abord posé le mot Christ, terme
commun aux deux natures, comme je l'ai dit un peu plus haut, et
il continue par des mots qui conviennent aux deux natures. Que
dit-il donc ? « Ayez en vous les sentiments qui étaient dans le Christ
Jésus, qui étant en forme de Dieu, ne retint pas jalousement son
égalité avec Dieu, mais (pour ne pas citer chaque mot du texte) il
s'est fait obéissant jusqu'à la mort, la mort de la croix » [Phil 2, 5-6].
Voulant faire mention de la mort, et pour ne pas laisser supposer
que le Dieu Verbe est passible, il pose le mot Christ, comme une
appellation qui signifie en un unique prosôpon la substance (ousia)
impassible et la substance passible, afin que l'on puisse sans danger
appeler le Christ impassible et passible, impassible en sa divinité,
passible dans la nature de son corps.
Je pourrais dire beaucoup de choses sur ce sujet, et d'abord que
les Saints Pères ne parlent pas, à propos de l'économie, de nais-
sance, mais d'incarnation ; mais je sens que la brièveté que j'ai
198 TEXTES
promise en mon exorde réfrène mon discours, et m'amène au second
chapitre de Ta Charité. J'y louais la séparation des natures en raison
de l'humanité et de la divinité, et leur conjonction (sunaphéia) en
un seul prosôpon, et aussi ce que tu dis, que le Verbe n'a pas
eu besoin d'une seconde naissance de la femme, et que tu confesses
que la divinité est impassible. Vraiment tout cela est orthodoxe et
contraire aux opinions fausses des hérésies sur les deux natures
du Seigneur.
Si ce qui suit enseigne une sagesse cachée incompréhensible aux
oreilles du lecteur, à ton habileté de le savoir ; à moi, cela m'a paru
contredire ce qui précède. Car celui qui d'abord avait été proclamé
impassible et incapable d'une seconde naissance, tu dis ensuite, je
ne sais comment, qu'il est passible et créé récemment, comme si les
propriétés qui conviennent par nature au Dieu Verbe avaient été
détruites par leur conjonction avec le Temple, ou que ce fût peu
de chose aux yeux des hommes que ce Temple sans péché et insépa-
rable de la nature divine, ait subi pour les pécheurs la naissance
et la mort, ou qu'il ne fallût pas croire à la voix du Seigneur qui
crie aux Juifs : « Détruisez ce Temple, et je le relèverai en trois
jours » [Jn 2, 19], et non point : « Détruisez ma divinité, et elle se
relèvera en trois jours ».
Je voudrais encore m'étendre sur ce point, mais je suis retenu
par le souvenir de ma promesse ; il faut cependant parler, mais
avec brièveté. Partout où les divines Ãcritures font mention de
l'économie du Seigneur, elles attribuent la naissance et la souffrance
non à la divinité, mais à l'humanité du Christ, de sorte que, à parler
très exactement, il faut appeler la sainte Vierge mère du Christ
(christotokos) et non mère de Dieu (theotokos). Ãcoute l'Ãvangile
qui crie : « Livre de la génération de Jésus Christ, fils de David, fils
d'Abraham » [Mt 1, 1]. Il est évident que le Dieu Verbe n'était pas
fils de David. Ãcoute encore, si tu le veux, un autre témoignage :
« Jacob engendra Joseph, époux de Marie, de qui est né Jésus qu'on
appelle Christ» [ib. 1, 6]. Fais attention encore à une autre voix
qui nous atteste : « Voici la génération de Jésus Christ. Comme
Marie sa mère était fiancée à Joseph, elle se trouva enceinte du fait
du Saint-Esprit » [ib. 1, 18]. Qui supposerait que la divinité du Fils
unique est une créature du Saint-Esprit ? Et que veut dire ceci :
« La mère de Jésus était là » [Jn 2, 1] ? et encore « avec Marie la
mère de Jésus » [Act 1, 14] ? et : « Ce qui est né en elle est du
Saint-Esprit» [Mt 1, 20], et : «Prends l'enfant et sa mère et fuis
en Egypte » [ib. 2, 13] ? Et : « Au sujet de son fils qui est né de
la race de David selon la chair » [Pan 1, 3], et au sujet de sa
NESTORIUS A CYRILLE 197
passion encore : « Dieu envoya son Fils dans la ressemblance d'une
chair de péché, et à cause du péché il a condamné le péché dans
sa chair» [ib. 8. 3], et encore : «Le Christ est mort pour nos
péchés » [I Cor 15, 3], et « Le Christ a souffert en sa chair »
[I P 4, 1], et « ceci est mon corps, rompu pour vous » [I Cor 11, 24].
Et mille autres paroles qui témoignent au genre humain qu'il ne
faut pas penser que la divinité du Fils est née récemment, ou qu'elle
est capable de souffrances corporelles, mais bien la chair unie à la
nature de la divinité (c'est pourquoi le Christ se nomme lui-même
Seigneur de David et son fils : « Que vous semble-t-il du Christ,
dit-il ? de qui est-il le Fils ? Ils lui disent : De David. Jésus leur
répondit : Comment donc David parlant dans l'Esprit l'appelle-t-il
Seigneur, en disant : le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-toi
à ma droite ? » [Mt 22, 42-44]. C'est qu'il est Fils de David selon
la chair et son Seigneur selon la divinité). Il est bon et conforme Ã
la tradition évangélique de confesser que le corps est le temple de
la divinité du Fils, temple qui lui est uni par une suprême et divine
conjonction, au point que la nature de la divinité s'approprie ce
qui appartient à ce temple. Mais sous prétexte de cette appropria-
tion, attribuer (au Verbe) les propriétés de la chair qui lui est unie,
je veux dire la naissance, la souffrance et la mort, c'est, mon frère,
le fait d'un esprit égaré par les erreurs des Grecs, ou malade de
la folie d'Apollinaire, d'Arius ou d'autres hérésies, ou de quelque
maladie plus grave encore. Car de toute nécessité ceux qui se
laissent attirer par ce mot d'appropriation, devront dire que le Dieu
Verbe a, par appropriation, été allaité, qu'il a grandi un peu à la
fois, et qu'au moment de la passion il a eu peur et qu'il a eu
besoin du secours d'un ange. Et je passe sous silence la circoncision,
le sacrifice, la sueur, la faim ; tout ce qu'il a subi pour nous dans
la chair qui lui est unie est adorable, mais l'attribuer à la divinité
est un mensonge et nous ferait justement accuser de calomnie.
Telles sont les traditions des Saints Pères, tels sont les enseigne-
ments des divines Ãcritures ; c'est ainsi que la théologie parle de
la philanthropie de Dieu et de son autorité : « Médite cela, sois-y-
tout entier, pour que tes progrès soient manifestes à tous », dit Paul
[I Tim 4, 15]. Quant à ceux qui ont été scandalisés, tu fais bien
d'en avoir le souci, et je rends grâce à ton âme qui prend soin
des choses de Dieu et a souci de nos intérêts. Sache cependant que
tu t'es laissé tromper par des gens qui ont été condamnés ici par
le saint Synode comme manichéens , ou par des clercs qui par-
* Allusion à un certain Philippe, prêtre de Constantinople, accusé de
manichéisme par le pélagien Célestius, et condamné par un synode de
198 TEXTES
tagent tes opinions. Car les choses de l'Ãglise s'accroissent de jour
en jour, et par la grâce du Christ les peuples progressent tellement
que ceux qui voient leur multitude s'écrient avec le prophète : « La
terre est remplie par la connaissance du Seigneur comme la mer
est recouverte par les grandes eaux» [Is 11, 9]. Les empereurs se
réjouissent d'une joie extrême en voyant l'éclat que reçoivent les
dogmes. Et pour tout dire en un mot, on trouvera que s'est accompli
chez nous, à propos de toutes les hérésies ennemies de Dieu, ce
mot de l'Ãcriture : « La maison de Saûl allait s'affaiblissant, et la
maison de David allait se fortifiant» [II R 3, 1].
Voilà les conseils d'un frère à son frère. Si quelqu'un veut discu-
ter, Paul lui criera par notre bouche : « Nous n'avons pas cette
habitude, ni les Ãglises de Dieu» [I Cor 11, 16]. Avec tous ceux
qui sont avec moi je salue vivement toute la fraternité qui est avec
toi dans le Christ. Porte-toi bien et veuille prier pour nous, Seigneur
très honoré et très pieux.
III
TROISIÃME LETTRE DE SAINT CYRILLE
A NESTORIUS*
(novembre 430)
A notre Collègue Très Religieux et très aimé
de Dieu, Nestorius, Cyrille et le synode du
diocèse d'Egypte rassemblé à Alexandrie,
salut dans le Seigneur.
Comme notre Sauveur dit clairement : « Celui qui aime son père
ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, et celui qui aime
son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi » [Mt 10, 37],
qu'en sera-t-il de nous à qui Ta Piété demande que nous l'aimions
plus que notre Sauveur à tous le Christ ? Qui pourra nous aider
au jour du jugement ? quelle défense trouverons-nous, après avoir
si longtemps gardé le silence sur tes blasphèmes contre lui ? Si
Constantinople. Cf. le commonitorium adressé par Cyrille à Célestin,
n. 5 (PG 77, 88-89 ; ACO I, i, 7, 171-172).
* PG 77, 105-112; ACO I, i, 1, 33-42; FC 295-306; cf. ci-dessus,
p. 41. â Dans notre traduction, nous avons donné, aux endroits voulus,
la référence aux anathématismes dont la lettre développe la doctrine.
CYRILLE A NESTORIUS 199
par ces sentiments et ces doctrines tu ne faisais tort qu'à toi-même,
notre souci serait moins grand. Mais puisque tu as scandalisé toute
l'Ãglise, et que tu as semé parmi les peuples le ferment d'une
hérésie inouïe et étrange, â et cela non seulement là -bas (à Constan-
tinople), mais partout, car les livres où tu expliques ta pensée
circulent par le monde, â quelle raison trouver encore à notre
silence, et comment ne pas nécessairement nous souvenir du Christ
qui dit : « Ne pensez pas que je suis venu apporter la paix, mais
le glaive. Je suis venu séparer l'homme contre son père et la fille
contre sa mère » [Mt 10, 34-35] ? Quand la foi est lésée, que s'en
aille le respect des parents, vain et dangereux, que soit abandon-
née la loi d'affection pour les enfants et les frères, et pour les vrais
croyants, la mort est préférable à la vie, « pour qu'ils obtiennent une
meilleure résurrection» comme le dit l'Ãcriture [Heb 11, 35].
Voici donc qu'avec le saint synode qui s'est rassemblé dans la
grande Rome sous la présidence de notre très saint et très religieux
collègue l'évêque Célestin, nous t'adjurons par cette troisième lettre,
et te conseillons de renoncer aux doctrines si perverses et aberrantes
que tu professes et enseignes, et d'embrasser au contraire la vraie
foi, qui a été dès le commencement transmise aux Ãglises par les
saints apôtres et évangélistes, qui ont été témoins oculaires et
serviteurs de la Parole [Le 1, 2]. Et si Ta Révérence ne le fait pas
dans le délai fixé dans les lettres du très saint et très religieux
évêque susnommé, notre collègue de Rome Célestin, sache que tu
n'as plus aucune part avec nous, ni aucun lieu ni rang parmi les
prêtres de Dieu et les évêques. Car nous ne pouvons pas voir avec
indifférence les Ãglises ainsi troublées, les peuples scandalisés, la
vraie foi réduite à rien, les troupeaux dispersés par toi qui aurais
dû les sauver, si tu avais été comme nous un amant de l'orthodoxie,
marchant sur les traces de la foi des Saints Pères. Nous sommes en
communion avec tous ceux, prêtres ou laïcs, que Ta Révérence a
excommuniés ou déposés pour la foi. Car il n'est pas juste que
ceux qui ont décidé de rester orthodoxes soient lésés par tes sen-
tences, parce qu'ils ont bien fait en s'opposant à toi. Tu as fait
allusion à ceci dans la lettre que tu as écrite à notre très saint
collègue Célestin, l'évêque de la grande Rome *.
Il ne suffira pas à Ta Révérence de confesser avec nous le symbole
de foi exposé en son temps sous l'inspiration du Saint-Esprit par le
grand et saint synode réuni alors à Nicée, car tu ne le comprends
ni ne l'interprètes droitement, mais plutôt de travers, même si tu
en confesses de voix le texte. Mais il convient que par écrit et sous
* ACO I, ii, 12-14.
200 TEXTES
la foi du serment tu confesses que tu anathématises tes doctrines
criminelles et profanes, et que tu penses et enseignes ce que tous
nous pensons et enseignons, nous les évêques, docteurs et chefs des
peuples, en Occident et en Orient. De plus le saint synode de
Rome et nous tous avons donné notre accord, comme à des textes
orthodoxes et irréprochables, aux lettres qui ont été écrites à Ta
Révérence par l'Eglise d'Alexandrie. Et dans la lettre présente
nous ajoutons ce qu'il convient que tu penses et enseignes et ce
dont il faut t'abstenir. Voici donc la foi de l'Ãglise catholique et
apostolique, que professent unanimement tous les évêques ortho-
doxes, en Occident et en Orient :
Nous croyons en un seul Dieu, le Père tout-puissant, le créateur
de toutes choses, visibles et invisibles, et en un seul Seigneur, Jésus-
Christ le Fils de Dieu, unique engendré du Père, c'est-à -dire de la
substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de Dieu, vrai Dieu de
vrai Dieu ; engendré, non point fait, consubstantiel au Père, par qui
tout a été fait, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre, qui pour
nous et pour notre salut est descendu, s'est fait chair et s'est fait
homme, qui a souffert et est ressuscité le troisième jour, est monté
aux cieux, viendra juger les vivants et les morts. Et au Saint-Esprit.
Quant à ceux qui disent : il fut un temps où il n'était pas ; et :
avant d'être engendré il n'était pas ; et : il a été fait du néant ; ou qui
disent que le Fils de Dieu est d'une autre hypostase ou substance
(ousia), ou qu'il est changeant ou muable, ceux-là l'Ãglise catholique
et apostolique leur dit anathème.
Nous attachant donc en tout à la confession des Saints Pères,
qu'ils ont formulée avec le Saint-Esprit qui parlait en eux, suivant
le sens de leur pensée, et marchant comme sur une voie royale,
nous affirmons ceci :
C'est le même, le Verbe Fils unique de Dieu, engendré de la
substance du Père, vrai Dieu de vrai Dieu, lumière de lumière, par
qui tout a été fait au ciel et sur la terre, c'est le même qui pour
notre salut, est descendu, s'est abaissé jusqu'à l'anéantissement, s'est
incarné et s'est fait homme, c'est-à -dire que prenant une chair de la
sainte Vierge, et la faisant sienne, il a été comme nous engendré du
sein maternel, et il est apparu homme né de la femme, sans rejeter ce
qu'il était, bien qu'il soit né en assumant la chair et le sang, et
restant ce qu'il était, c'est-à -dire par nature et en vérité. Nous
ne disons pas que la chair s'est changée en la nature de la divinité,
ni que la nature ineffable du Dieu Verbe s'est transformée dans la
nature de la chair, car il est immuable et inaltérable, et demeure
absolument toujours le même, selon les Ãcritures [Mal 3, 6]. Mais
CYRILLE A NESTORIUS 201
quand on le voyait comme un nourrisson dans les langes, et même
quand il était encore dans le sein de la vierge mère, il remplissait
tout la création, comme Dieu, et trônait en égal avec le Père qui l'a
engendré : car la divinité est sans qualités ni dimensions et ne
connaît pas de limites.
En confessant donc le Verbe uni à la chair selon l'hypostase
(anath. 2), nous adorons un seul Fils et Seigneur Jésus-Christ
(anath. 5), sans mettre à part ni séparer l'homme et le Dieu, comme
s'ils étaient attachés l'un à l'autre par une unité de dignité ou d'au-
torité : cela ne serait qu'une parole vide (anath. 3) ; et nous n'appe-
lons pas Christ séparément le Verbe de Dieu, ni séparément aussi
un autre Christ né de la femme, mais nous ne connaissons qu'un
seul Christ, le Verbe du Dieu Père avec sa propre chair. Alors comme
nous, il a été oint (fait Christ), bien qu'à ceux qui sont dignes de le
recevoir, il donne lui-même l'Esprit, et non pas avec mesure, comme
dit le bienheureux évangéliste Jean [Jn 3, 34]. Mais nous ne disons
pas non plus que le Verbe de Dieu a habité comme en un homme
ordinaire en celui qui est né de la sainte Vierge (anath. 11), pour
qu'on n'aille pas croire que le Christ est un homme théophore
(porteur de Dieu) (anath. 15). Mais si le Verbe a habité parmi nous
[Jn 1, 14], et si l'on dit que dans le Christ habite eorporellement
toute la plénitude de la divinité [Col 2, 9], considérons donc que
s'il s'est fait chair, ce n'est pas de la même manière qu'on dit qu'il
a habité dans les saints (anath. 11), et distinguons de la même
façon l'habitation qui s'est faite en lui : uni selon la nature (anath. 3),
non pas changé en chair, il a réalisé l'habitation telle que pourrait
être celle de l'âme humaine en son propre corps.
Il n'y a donc qu'un seul Christ et Fils et Seigneur, mais ce n'est
pas un homme qui aurait avec Dieu une conjonction simplement
dans l'unité de dignité ou d'autorité (anath. 3) ; car l'égalité d'hon-
neur (isotimia) n'unit pas les natures. Car Pierre et Jean sont égaux
en honneur comme les autres apôtres ou disciples, mais pourtant les
deux ne sont pas un. Ainsi nous ne pensons pas à un mode de
conjonction par juxtaposition (cela en effet ne suffit pas à l'union
physique), ni à une participation par relation, comme nous-mêmes,
quand nous adhérons au Seigneur, nous ne faisons avec lui, comme
il est écrit, qu'un seul Esprit [I Cor 6, 17], â et nous écartons le
mot de conjonction (sunaphéia), comme insuffisant pour signifier
l'union. Mais nous n'appelons pas non plus le Verbe de Dieu Père,
Dieu ou Maître du Christ, pour ne pas encore une fois manifeste-
ment couper en deux l'unique Christ et Fils et Seigneur, et nous
202 TEXTES
exposer au reproche de blasphème, en le faisant Dieu et maître de
lui-même (anath. 6). En effet, le Verbe de Dieu, uni à la chair,
comme nous l'avons dit, selon l'hypostase, est le Dieu de tous les
êtres, le Maître de toutes choses, mais il n'est pas lui-même ni
l'esclave ni le maître de lui-même. Ce serait sottise, ou plutôt impiété,
de penser cela ou de le dire. Il a dit en effet que son Père était
son Dieu [Jn 20, 17], bien qu'il soit Dieu lui-même par nature et
de la substance de Dieu ; mais nous n'ignorons pas qu'étant Dieu
il s'est fait homme, soumis à Dieu selon le mode qui convient Ã
la nature de l'humanité. Mais lui-même comment pourrait-il être
Dieu et maître de lui-même ? C'est donc comme homme, et en ce
qui convient aux limites de son « anéantissement », qu'il se dit,
comme nous, soumis à Dieu. C'est de la même façon qu'il a été
sous la loi [Gai 4, 4], bien que lui-même, comme Dieu, disait la
loi et était législateur.
Nous refusons donc de dire à propos du Christ ; « A cause de
celui qui porte j'adore celui qui est porté ; à cause de l'invisible
j'adore celui qui est visible » *. Il serait effroyable de dire encore
ceci : « Celui qui est assumé est appelé Dieu avec celui qui l'as-
sume » (anath. 8). Parler ainsi, c'est encore une fois diviser le Christ
en deux Christs, et mettre à part d'un côté l'homme et de l'autre
le Dieu. C'est, en confessant l'unité, la nier, cette unité en vertu
de laquelle le Christ n'est pas adoré ou appelé Dieu comme un
autre avec un autre (anath. 8), mais il est compris comme un seul
Christ Jésus, Fils unique, adoré, avec sa propre chair, d'une seule
adoration. Nous confessons aussi que le même Fils de Dieu, Fils
unique, engendré du Père, bien que selon sa nature propre il fût
impassible, a souffert pour nous dans sa chair, selon les Ãcritures
[I P 4, 1], et qu'il était dans le corps crucifié, s'appropriant sans
souffrir les souffrances de sa propre chair (anath. 12). Car par la
grâce de Dieu et pour tout homme, il a goûté la mort [Héb 2, 9],
livrant à la mort son propre corps, bien que par nature il fût lui-
même la vie et la résurrection [Jn 11, 25]. Il devait, par une puis-
sance ineffable, fouler aux pieds la mort, et être d'abord dans sa
propre chair le premier-né des morts, et les prémices de ceux qui
se sont endormis [Col 1, 18 ; I Cor 15, 20], et par là ouvrir à la
nature de l'homme le chemin du retour vers l'incorruptibilité. C'est
pourquoi par la grâce de Dieu, comme nous venons de le dire, il a
goûté la mort, et est ressuscité le troisième jour en dépouillant
l'Enfer. Aussi, bien qu'on dise que c'est par un homme qu'est venue
* Sur ces formules de Nestorius, cf. page 28.
CYRILLE A NESTORIUS 203
la résurrection des morts [I Cor 15, 21], cependant nous compre-
nons que le Verbe de Dieu s'est fait homme et que par lui a été
détruite la puissance de la mort. Et il viendra au temps marqué
comme seul Fils et Seigneur dans la gloire du Père, pour juger la
terre entière dans la justice, comme il est écrit [Act 17, 31].
Il est nécessaire d'ajouter encore ceci. Quand nous annonçons la
mort selon la chair du Fils unique de Dieu, c'est-à -dire Jésus-Christ,
et que nous confessons sa résurrection des morts et sa montée au
ciel, nous célébrons dans l'Ãglise le culte non sanglant, et nous
approchons ainsi des eulogies mystiques *, et nous nous sanctifions
en participant à la chair sainte et au sang précieux de notre Sauveur
à tous Jésus-Christ (anath. 11), en la recevant, non comme une chair
commune (ce qu'Ã Dieu ne plaise !), ni comme celle d'un homme
sanctifié et uni au Verbe par une unité de dignité, ou ayant reçu
l'habitation divine, mais comme une chair vraiment vivifiante, et
comme la chair propre du Verbe lui-même. Car étant vie par
nature en tant que Dieu, puisqu'il est devenu un avec sa propre
chair, il a rendu cette chair vivifiante ; en sorte que quand il nous
dit : « Je vous le dis en vérité, si vous ne mangez la chair du
Fils de l'Homme et si vous ne buvez son sang...» [Jn 6, 53], nous
devons la comprendre non pas comme la chair d'un homme comme
nous (comment la chair d'un homme pourrait-elle être vivifiante
en sa nature propre ?), mais comme étant vraiment la propre chair
de celui qui pour nous s'est fait et s'est fait appeler Fils de l'homme.
Quant aux paroles de notre Sauveur dans l'Ãvangile, nous ne les
partageons pas en deux hypostases ou prosôpa (anath. 4). Car le
seul et unique Christ n'est pas double, même si l'on comprend que
de deux réalités différentes il a été rassemblé en une unité insépa-
rable, exactement comme l'homme l'est d'une âme et d'un corps, et
pourtant n'est pas double, mais un (fait) de deux. Mais nous pen-
sons avec justesse que les expressions divines et aussi les humaines
sont dites par un seul et même. Quand le Christ, parlant en Dieu,
dit de lui-même : « Celui qui m'a vu a vu mon Père », et « le Père
et moi nous sommes un » [Jn 14, 19 ; 10, 30], nous comprenons sa
nature divine et ineffable, selon laquelle il est un avec son Père Ã
cause de l'identité de substance, image, empreinte et rayonnement
de sa gloire [Heb 1, 3]. Mais quand, sans juger indignes de lui
les limites de l'humanité, il dit aux Juifs : « Maintenant vous cher-
chez à me tuer, moi qui vous ai dit la vérité» [Jn 8, 40],
Expression familière à Cyrille pour désigner le pain eucharistique.
204 TEXTES
nous reconnaissons néanmoins dans les limites de son humanité le
Dieu Verbe le même en égalité et ressemblance avec son Père. Car
s'il est nécessaire de croire qu'étant Dieu par nature, il s'est fait
chair, ou plus précisément homme animé d'une âme raisonnable,
quelle raison aurait-on de rougir de ses paroles si elles conviennent
à l'homme ? Celui qui s'est abaissé pour nous jusqu'à un anéantis-
sement volontaire, pourquoi refuserait-il les paroles qui conviennent
à cet anéantissement ? Il faut donc attribuer toutes les expressions
de l'Ãvangile à un seul prosôpon, à l'unique hypostase incarnée du
Dieu Verbe. Car selon les Ãcritures, il n'y a qu'un seul Seigneur,
Jésus-Christ [I Cor 8, 6].
Et si on l'appelle apôtre et grand-prêtre de notre confession
[Héb 3, 1], en tant qu'il présente à Dieu le Père la confession de
notre foi qui est offerte pour nous à lui et par lui à Dieu le Père,
et aussi au Saint-Esprit, nous disons cependant qu'il est le Fils
seul engendré de Dieu selon la nature, et nous n'attribuons pas Ã
un homme autre que lui le nom et la réalité même du sacerdoce.
Car il s'est fait le médiateur entre Dieu et les hommes, et leur
réconciliateur pour la paix, s'offrant lui-même à Dieu le Père en
parfum de bonne odeur. C'est pourquoi il a dit : « Tu n'as pas
voulu de sacrifice ni d'offrande, mais tu m'as préparé un corps.
Les holocaustes et les sacrifices pour le péché ne t'ont pas été
agréables. Alors j'ai dit : me voici ; il est écrit de moi en tête du
livre : pour faire, ô Dieu, ta volonté» [Héb 10, 5-7]. Il a offert son
propre corps en parfum de bonne odeur pour nous, et non pas plutôt
pour lui-même. De quelle offrande, de quel sacrifice aurait-il eu
besoin pour lui-même, étant, comme Dieu, au-dessus de tout péché ?
Car si tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu [Rm 3, 23],
â puisque nous sommes tous disposés au péché, et que la nature
humaine a renforcé le péché, â pour lui il n'en était pas ainsi
et nous avons été pour cela privés de sa gloire, comment pourrait-on
encore douter que l'agneau véritable a été immolé à cause de nous
et pour nous ? et dire qu'il s'est offert et pour lui-même et pour
nous, serait s'exposer au reproche d'impiété. Il n'a commis aucune
faute et n'a pas fait de péché : comment aurait-il besoin de présenter
une offrande, puisqu'il n'y a pas de péché pour lequel il aurait Ã
l'offrir (anath. 10)?
Et quand il dit du Saint-Esprit : « Lui me glorifiera » [Jn 16, 14],
si nous pensons juste, nous ne disons pas que l'unique Christ et
Fils, ayant besoin de la gloire qui vient d'un autre, reçoit du
Saint-Esprit la gloire, car son Esprit n'est pas supérieur à lui-même
CYRILLE A NESTORIUS 205
ni au dessus de lui (anath. 9). Mais puisque, pour manifester sa
divinité, il se servait de son propre Esprit pour opérer de grandes
choses, il dit qu'il a été glorifié par lui, comme l'un de nous pour-
rait dire de la force qui est en lui, ou de sa science en quelque
domaine : elles me glorifient. Car si l'Esprit existe en une hypostase
séparée, nous le considérons en lui-même, en tant qu'il est Esprit
et non Fils, mais il n'est pas pourtant étranger au Père. Il est appelé
Esprit de vérité [Jn 16, 13], et le Christ est la Vérité
[Jn 14, 6], et l'Esprit s'écoule de lui, tout comme de Dieu
le Père. Donc, après que Notre-Seigneur Jésus-Christ fut re-
monté au ciel, l'Esprit, opérant des prodiges par la main des saints
Apôtres, le glorifie. On fut persuadé que le Christ est Dieu par
nature, puisqu'il agit encore par son propre Esprit. C'est pourquoi
il a dit aussi : « Il prendra de ce qui est à moi et vous l'annoncera »
[Jn 16, 14]. Et nous ne disons pas que l'Esprit est sage et puissant
par participation, car il est parfait et n'est privé d'aucun bien. Et
puisqu'il est l'Esprit de la puissance et de la sagesse du Père, c'est-à -
dire du Fils [cf. I Cor 1, 24], par le fait même il est sagesse et
puissance.
Et puisque la Sainte Vierge a engendré dans la chair Dieu uni
à la chair selon l'hypostase, pour cette raison nous disons qu'elle
est theotokos (anath. 1) : nous ne voulons pas dire que la nature
du Verbe tient de la chair le principe de son existence, car il était
au commencement, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était auprès
de Dieu [Jn 1, 1], et c'est lui qui est le créateur des siècles, co-
éternel au Père et démiurge de l'univers ; mais, comme nous l'avons
déjà dit, puisqu'il s'est uni selon l'hypostase l'humanité, et qu'il a
subi une génération charnelle du sein de sa mère, non qu'il ait
besoin nécessairement et à cause de sa nature propre d'une naissance
dans le temps aux derniers moments du siècle, mais c'était pour
bénir le principe même de notre existence, et s'étant uni à la chair
et ayant été ainsi enfanté par une femme, il ferait cesser désormais
la malédiction portée contre tout le genre humain, qui envoyait Ã
la mort nos corps nés de la terre ; il rendait vaine cette parole :
«Tu enfanteras des enfants dans la souffrance» [Gn 3, 16], et
manifesterait la vérité de ces mots du prophète : « La mort l'a
englouti après l'avoir emporté sur lui » [Os 13, 14] et « Dieu a
essuyé toute larme sur tout visage » [Is 25, 8]. C'est pour la même
raison que nous disons que par son économie il a aussi béni le
mariage et qu'il est allé à Cana en Galilée où il avait été invité avec
ses saints apôtres.
206 TEXTES
Voilà ce que nous avons appris auprès des saints Apôtres et
Ãvangélistes, et de toute l'Ãcriture inspirée de Dieu et de la confes-
sion véritable des saints Pères ; il faut que Ta Piété soit d'accord
avec eux tous, et exprime cet accord sans feinte. Et ce que Ta Piété
doit nécessairement anathématiser, a été ajouté ci-dessous à notre
lettre.
LES DOUZE ANATHÃMATISMES.
1. Si quelqu'un ne confesse pas que l'Emmanuel est Dieu en
vérité, et qu'à cause de cela la Sainte Vierge est mère de Dieu
(theotokos), car elle a engendré dans la chair le Verbe de Dieu fait
chair, qu'il soit anathème.
2. Si quelqu'un ne confesse pas que le Verbe de Dieu le Père
s'est uni à la chair selon l'hypostase, et qu'il est un seul Christ avec
sa propre chair, à savoir le même qui est à la fois Dieu et homme,
qu'il soit anathème.
3. Si quelqu'un divise les deux hypostases dans le Christ après
l'union, les associant par une simple association de dignité, c'est-à -
dire d'autorité ou de puissance, et non pas plutôt par un rapproche-
ment selon l'union physique, qu'il soit anathème.
4. Si quelqu'un distribue entre deux personnes ou hypostases les
expressions des écrits évangéliques ou apostoliques, ou celles qui
ont été dites du Christ par les saints, ou par le Christ lui-même de
lui-même, et qu'il attribue les unes à l'homme considéré à part du
Verbe de Dieu, les autres comme dignes de Dieu au seul Verbe de
Dieu le Père, qu'il soit anathème.
5. Si quelqu'un ose dire que le Christ est un homme théophore,
et non plutôt un Dieu en vérité, comme étant Fils un et par nature,
â en tant que le Verbe s'est fait chair et qu'il a participé de la
même façon que nous au sang et à la chair, qu'il soit anathème.
6. Si quelqu'un ose dire que le Verbe de Dieu le Père est Dieu
ou Seigneur du Christ, et ne confesse pas plutôt que le même est
en même temps Dieu et homme, le Verbe s'étant fait chair selon
l'Ãcriture, qu'il soit anathème.
7. Si quelqu'un dit que Jésus est mû comme un homme par le
LES DOUZE ANATHÃMATISMES 207
Dieu Verbe, et que la gloire du Fils unique lui a été appliquée
comme à un autre distinct de lui, qu'il soit anathème.
8. Si quelqu'un ose dire que l'homme assumé doit être coadoré
avec le Dieu Verbe, et conglorifié et connommé Dieu, comme un
autre avec un autre (car la particule sun, avec, ainsi toujours ajoutée
oblige à penser ainsi), â et n'honore pas plutôt l'Emmanuel d'une
seule adoration, et ne lui adresse pas une seule glorification, en tant
que le Verbe s'est fait chair, qu'il soit anathème.
9. Si quelqu'un dit que l'unique Seigneur Jésus-Christ a été
glorifié par l'Esprit, qu'il se sert comme d'une puissance étrangère
à lui de celle qui lui vient (de l'Esprit), et qu'il a reçu de celui-ci
de pouvoir agir sur les esprits impurs et d'opérer en faveur des
hommes les signes divins, â et ne dit pas plutôt que l'Esprit par
lequel il a opéré ces signes divins est le sien propre, qu'il soit
anathème.
10. La divine Ãcriture dit que le Christ est devenu le pontife
et l'apôtre de notre confession [Héb 3, 1], et qu'il s'est offert pour
nous en parfum de bonne odeur à Dieu et au Père [Eph 5, 2]. Si
donc quelqu'un dit que notre pontife et notre apôtre ce n'est
pas le Verbe de Dieu lui-même quand il s'est fait chair et homme
semblable à nous, â mais (considéré) comme un autre à part distinct
de lui, homme né de la femme, â ou si quelqu'un dit qu'il a offert
un sacrifice pour lui aussi, et non plutôt pour nous seuls (car il
n'aurait pas besoin de sacrifice celui qui ne connaît pas le péché),
qu'il soit anathème.
11. Si quelqu'un ne confesse pas que la chair du Seigneur est
vivifiante et (qu'elle est) la chair propre du Verbe de Dieu le Père
lui-même, mais (prétend) qu'elle est celle de quelqu'un d'autre
distinct de lui, uni à lui par la dignité, c'est-à -dire comme ayant
reçu seulement l'habitation divine, â et qu'il ne dit pas plutôt
qu'elle est vivifiante, parce qu'elle est devenue la chair propre du
Verbe capable de tout vivifier, qu'il soit anathème.
12. Si quelqu'un ne confesse pas que le Verbe de Dieu a souf-
fert en sa chair et qu'il a été crucifié en sa chair, et qu'il a goûté
la mort en sa chair, et qu'il est devenu le premier-né d'entre les
morts, en tant que, comme Dieu, il est vie et vivifiant, qu'il soit
anathème.
208 TEXTES
IV
SENTENCE DE DÃPOSITION DE NESTORIUS *
(22 juin 431)
Puisque le Très Révérend Nestorius n'a pas voulu se rendre Ã
notre convocation, et qu'il n'a pas reçu les très saints et très pieux
évêques que nous lui avions envoyés, nous avons été forcés d'en
venir à examiner ses impiétés. D'après ses lettres et ses écrits qui
nous ont été lus, et d'après les paroles qu'il a prononcées récemment
dans cette métropole et dont nous avons eu le témoignage, nous
avons constaté qu'il pense et enseigne des impiétés. Forcés par les
canons et selon la lettre de notre Très Saint Père et Collègue
Célestin, évêque de l'Ãglise de Rome, et avec beaucoup de larmes,
nous en sommes venus à porter contre lui cette sentence sévère :
« Notre Seigneur Jésus-Christ, qu'il a blasphémé, décrète par le
Saint Synode ici présent, que Nestorius est exclu de la dignité
épiscopale et de toute assemblée épiscopale ».
DÃCRETS DU CONCILE D'ÃPHÃSE**
(22 juillet 431)
Après lecture de ces documents, le Saint Synode a décrété qu'il
n'est permis à personne de proposer, de rédiger ou de composer
une autre foi que celle qui a été définie par les Saints Pères réunis
à Nicée avec le Saint-Esprit ; quant à ceux qui oseraient composer
une autre foi, ou la présenter, ou la proposer à ceux qui veulent
se convertir à la connaissance de la vérité, en venant de l'hellénisme,
du judaïsme ou d'une hérésie quelconque, ceux-là , s'ils sont évêques
ou clercs, ils sont écartés, les évêques de l'épiscopat, les clercs du
clergé ; s'ils sont laïques, ils sont anathèmes.
De la même façon, ceux qui, évêques, clercs ou laïques, seraient
pris à penser ou à enseigner sur l'incarnation du Fils unique de
Dieu les doctrines contenues dans l'exposé qui nous a été présenté
* ACO I, i, 2, 54 ; ci-dessus, 53.
** ACO I, i, 7, 105-106 ; ci-dessus, 57.
JEAN D'ANTIOCHE A CYRILLE 209
par le prêtre Charisius, ou les dogmes impies et pervers de Nestorius
qui nous ont été soumis, ceux-là sont frappés par la sentence de ce
saint Synode Åcuménique, c'est-à -dire qu'un évêque serait écarté
de l'épiscopat et déposé ; un clerc serait pareillement déposé du
clergé ; si c'est un laïque, qu'il soit anathème, comme il a été dit
ci-dessus.
VI
LETTRE DE JEAN D'ANTIOCHE A SAINT CYRILLE *
(début de 433)
A Monseigneur, mon Très Pieux et Très
Saint Collègue, Cyrille, Jean, salut dans le
Seigneur.
Récemment un édit de nos très religieux empereurs a ordonné
que se réunisse dans la métropole d'Ãphèse un concile de très pieux
évêques, pour les affaires de l'Ãglise et pour la vraie foi. Nous
nous sommes rendus dans cette ville et nous en sommes repartis
sans avoir pu nous rencontrer (il est inutile en ces temps de paix
de rappeler les causes de ce dissentiment). Mais cela produisit dans
les Ãglises de graves dissentions, aussi tous devaient s'employer
avant tout à écarter toute discorde et à se réconcilier. Les très
religieux et christophiles empereurs décidèrent qu'il devait en être
ainsi, pour que s'unissent les Ãglises du Christ. Et c'est pourquoi ils
envoyèrent Monseigneur le très illustre et très honorable tribun
et notaire Aristolaûs, porteur d'une pieuse lettre nous exhortant Ã
nous mettre d'accord désormais, à écarter les scandales, et à apaiser
tout trouble et toute offense.
Obéissant à cette pieuse lettre, nous avons aussitôt et immédiate-
ment envoyé Monseigneur le très pieux et très saint évêque Paul ** ;
cela plut à notre très saint et très vénérable Père l'évêque Acace
et aux très pieux évêques qui sont avec nous : nous avons agi ainsi
* Dans la correspondance de Cyrille, Ep. 78 ; PG 77, 169-173 ; ACO
I, i, 4, 7-9 ; ci-dessus, 71.
** Paul d'Emèse, envoyé par Jean à Alexandrie ; ci-dessus, 71.
210 TEXTES
pour plus de rapidité, puisqu'il n'était pas possible de nous réunir
pour exécuter face à face les ordres de nos très religieux empereurs.
Nous lui avons donc commandé (à Paul) d'agir à notre place, pour
nous et en notre nom, et de décider tout ce qu'il fallait pour la
paix, ce qui est notre premier objet ; â et aussi de remettre Ã
Votre Religion l'exposé que nous avons fait d'un commun accord
sur l'incarnation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous l'avons en-
voyé à Votre Religion par cet homme très pieux susdit. Le voici :
Ce que nous pensons et disons au sujet de la Vierge Mère de
Dieu (Theotokos) et du mode de l'incarnation du Fils unique de
Dieu, nous le dirons brièvement et autant qu'il est nécessaire, non
pour ajouter quelque chose, mais pour vous en assurer pleinement,
comme nous le tenons depuis le commencement, pour l'avoir reçu
des divines Ãcritures et de la tradition des Saints Pères, sans rien
ajouter à la foi qui a été exposée par les Saints Pères de Nicée.
Comme nous l'avons déjà dit, elle suffit à la connaissance de la
vraie foi et à la réfutation de toute erreur hérétique. Nous parle-
rons donc sans avoir l'audace d'aborder ce qui est inaccessible, mais,
en confessant notre propre faiblesse, nous fermerons la bouche Ã
ceux qui veulent nous attaquer parce que nous scrutons ce qui est
au-dessus de l'homme.
Nous confessons donc Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils unique
de Dieu, Dieu parfait et homme parfait, (fait) d'une âme raisonnable
et d'un corps, engendré du Père avant les siècles en sa divinité,
et à la fin des jours le même pour nous et pour notre salut, (né)
de la Vierge Marie en son humanité ; le même consubstantiel au
Père en sa divinité et consubstantiel à nous en son humanité. Car
des deux natures l'union s'est faite ; c'est pourquoi nous confessons
un seul Christ, un seul Fils, un seul Seigneur. Et à cause de cette
notion d'une union sans mélange, nous confessons que la Sainte
Vierge est mère de Dieu (Theotokos), parce que le Verbe de Dieu
s'est fait chair et s'est fait homme, et que dès la conception il
s'est uni le Temple qu'il a pris d'elle. Quant aux expressions des
évangiles et des apôtres au sujet du Seigneur, nous savons que les
théologiens appliquent les unes indifféremment (aux deux natures)
parce qu'elles visent l'unique personne, mais qu'ils distinguent les
autres parce qu'elles visent les deux natures, et qu'ils attribuent Ã
la divinité du Christ celles qui conviennent à Dieu, et à son huma-
nité celles qui marquent son abaissement.
Ayant accepté cette profession de foi, il nous a plu, pour mettre
CYRILLE A JEAN D'ANTIOCHE 211
fin à toute querelle, affermir la paix générale des saintes Ãglises
de Dieu, écarter tous les scandales qui s'étaient élevés, de tenir
pour déposé Nestorius qui avait été évêque de Constantinople, et
nous anathématisons ses doctrines vaines et impies, parce que nos
Ãglises tiennent la foi droite et saine, la gardent et la transmettent
aux peuples, comme le fait aussi Votre Sainteté. Nous approuvons
aussi l'ordination du très saint et religieux Maxime, évêque de la
très sainte Ãglise de Dieu de Constantinople, et nous sommes en
communion avec tous les religieux évêques de toute l'oikouménè,
qui tiennent et gardent la foi droite et irréprochable.
Porte-toi bien et prie pour nous, Seigneur très religieux et très
saint, et mon très véritable frère.
VII
LETTRE DE SAINT CYRILLE A JEAN D'ANTIOCHE *
(printemps 433)
A Monseigneur, mon frère très cher et mon
collègue, Jean, Cyrille, salut dans le Sei-
gneur.
« Que les deux se réjouissent et que la terre exulte » [Ps 95, 11] :
la barrière de séparation est détruite, ce qui nous attristait a cessé,
toute forme de dissentiment a été écartée ; notre Sauveur à tous
le Christ a accordé la paix à son Ãglise ; les très pieux et très
religieux empereurs nous y invitaient ; excellents imitateurs de la
piété de leurs ancêtres, ils gardent en leurs âmes la vraie foi sûre
et inébranlée, et ils dépensent un zèle singulier pour les saintes
Ãglises, pour qu'elles aient une gloire très illustre pour l'éternité,
et qu'elles fassent connaître leur empire très glorieux, eux à qui le
Seigneur des Puissances distribue les richesses de sa main, leur
donne de l'emporter sur leurs adversaires, et leur accorde la victoire.
* Ep. 39 ; PG 77, 173-181 ; ACO I, i, 4, 15-20.
212 TEXTES
Il ne ment pas en disant : « Je suis vivant, dit le Seigneur, et je
glorifie ceux qui me glorifient » [I R 2, 30].
Quand arriva à Alexandrie Monseigneur très religieux, mon frère
et collègue Paul, nous avons été remplis de joie, et à très juste
titre, de voir qu'un homme de cette valeur venait en médiateur,
qu'il acceptait de rencontrer des difficultés très lourdes, pour vaincre
la jalousie du diable, rapprocher ce qui était séparé, écarter les
pierres d'achoppement qui avaient été semées parmi nous, et donner
à nos Ãglises et aux vôtres la couronne de la concorde et la paix.
Comment elles avaient été séparées, inutile de le dire ; je crois qu'il
faut plutôt penser et dire ce qui convient à ces jours de paix. Nous
nous sommes donc réjouis de la rencontre de cet homme très pieux
que j'ai nommé, qui sans doute se doutait qu'il aurait à livrer de
lourds combats pour nous persuader de réunir dans la paix nos
Ãglises, de mettre un terme aux moqueries des hérétiques, et en
outre d'émousser l'aiguillon de la méchanceté du diable. Mais il
nous trouva si bien disposés à cela qu'il n'eut à supporter absolument
aucune peine. Nous nous sommes souvenus en effet du Seigneur
qui disait : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix »
[Jn 14, 27] ; nous avons aussi appris à dire dans nos prières :
« Seigneur notre Dieu, donne-nous la paix, puisque tu nous as tout
donné » [Is 26, 12]. Aussi celui qui a part à la paix donnée par
Dieu ne manquera d'aucun bien. Que ce dissentiment entre les
Ãglises ait été absolument vain et sans aucune raison, nous en som-
mes convaincus, maintenant surtout que Monseigneur le très reli-
gieux évêque Paul nous a apporté une lettre contenant une profession
de foi irréprochable, en nous assurant qu'elle avait été composée
par Votre Sainteté et par les très religieux évêques de là -bas. En
voici la teneur ; nous l'insérons en termes propres dans cette lettre :
« Ce que nous pensons et disons au sujet de la Vierge Theotokos
et du mode de l'incarnation du Fils unique de Dieu, nous le dirons
brièvement et autant qu'il est nécessaire, non pour ajouter quel-
que chose, mais pour vous en assurer pleinement, comme nous le
tenons dès le commencement, pour l'avoir reçu des divines Ãcri-
tures et de la tradition des saints Pères, sans rien ajouter à la foi
qui a été exposée par les Saints Pères de Nicée. Comme nous
l'avons déjà dit, elle suffit à la connaissance de la vraie foi et Ã
la réfutation de toute erreur hérétique. Nous parlerons donc sans
avoir l'audace d'aborder ce qui est inaccessible, mais en confes-
sant notre propre faiblesse, nous fermerons la bouche à ceux qui
veulent nous attaquer parce que nous scrutons ce qui est au-dessus
de l'homme.
CYRILLE A JEAN D'ANTIOCHE 213
« Nous confessons donc Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils unique
de Dieu, Dieu parfait et homme parfait, (fait) d'une âme raison-
nable et d'un corps, engendré du Père avant les siècles en sa divi-
nité, et à la fin des jours, le même, pour nous et pour notre salut,
(né) de la Vierge Marie en son humanité ; le même consubstantiel
au Père en sa divinité et consubstantiel à nous en son humanité.
Car des deux natures l'union s'est faite ; c'est pourquoi nous
confessons un seul Christ, un seul Fils, un seul Seigneur. Et Ã
cause de cette notion d'une union sans mélange, nous confessons
que la Sainte Vierge est mère de Dieu (theotokos), parce que le
Verbe de Dieu s'est fait chair et s'est fait homme, et que dès la
conception il s'est uni le Temple qu'il a pris d'elle. Quant aux
expressions des évangiles et des apôtres au sujet du Seigneur, nous
savons que les théologiens appliquent les unes indifféremment
(aux deux natures) parce qu'elles visent l'unique personne, mais
qu'ils distinguent les autres parce qu'elles visent les deux natures,
et qu'ils attribuent à la divinité du Christ celles qui conviennent
à Dieu, et à son humanité celles qui marquent son abaissement »
Ayant donc lu ces saintes paroles, et trouvant que nous-mêmes
nous pensons ainsi, car il n'y a qu'un seul Seigneur, une seule foi,
un seul baptême [Ãph 4, 5], nous avons glorifié le Dieu Sauveur
de tous, nous félicitant mutuellement de ce que nos Ãglises et les
vôtres ont une foi conforme aux Saintes Ãcritures et à la tradition
des Saints Pères. Ayant appris en effet que des gens habitués Ã
critiquer bourdonnaient comme des guêpes et vomissaient contre
moi des paroles méchantes, comme si je disais que le saint corps
du Christ avait été apporté du ciel et n'était pas né de la Sainte
Vierge, j'ai cru devoir leur en dire quelque chose. O gens insensés
et ne sachant que calomnier, comment en êtes-vous venus à penser
cela, et comment êtes-vous malades d'une telle folie ? Il fallait, oui,
il fallait évidemment considérer que tout ce combat pour la foi
s'est élevé contre nous presque uniquement parce que nous affir-
mions que la Sainte Vierge est theotokos. Mais si nous disons que
le saint corps de notre Sauveur à tous le Christ est descendu du
ciel et n'a pas été engendré par elle, comment pourrait-on encore
penser qu'elle est theotokos P Qui donc en un mot a-t-elle mis au
monde, s'il n'est pas vrai qu'elle a engendré la chair de l'Emmanuel ?
Ils font rire d'eux ceux qui disent contre moi de telles sottises.
Le bienheureux prophète Isaïe ne ment pas quand il dit : « Voici
que la vierge concevra en son sein, et elle enfantera un fils, et
214 TEXTES
elle l'appellera Emmanuel, ce qui veut dire Dieu avec nous »
[Is 7, 11 ; Mt 1, 23]. Et saint Gabriel dit absolument la vérité quand
il dit à la bienheureuse vierge : « Ne crains pas, Marie, tu as trouvé
grâce auprès de Dieu ; voici que tu concevras en ton sein, et tu
enfanteras un fils, et tu l'appelleras Jésus : car c'est lui qui sauvera
son peuple de leurs péchés » [Luc 1, 30-31 ; Mt 1, 21]. Quand nous
disons que Notre-Seigneur Jésus-Christ (vient) du ciel et d'en haut,
nous ne disons pas cela comme si sa chair sainte avait été apportée
d'en haut et du ciel, mais nous suivons plutôt l'admirable Paul qui
crie : « Le premier homme est de la terre et terrestre, le second
homme, le Seigneur, est du ciel» [I Cor 15, 47]. Nous nous sou-
venons aussi du Seigneur lui-même disant : « Personne n'est monté
au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de
l'Homme » [Jn 3, 13], bien qu'il ait été engendré selon la chair,
comme je viens de le dire, de la Sainte Vierge. Mais puisque le Dieu
Verbe descendant d'en haut et du ciel s'est anéanti « prenant la
forme d'esclave » [Phil 2, 7] et s'est appelé fils de l'homme tout en
restant ce qu'il était, c'est-à -dire Dieu (car il est par nature immobile
et immuable), considéré déjà comme un seul être avec sa propre
chair, on dit qu'il est descendu du ciel. On l'appelle aussi « homme
venu du ciel », étant parfait en divinité et le même parfait en huma-
nité, et considéré comme en un seul prosôpon. Car il n'y a qu'un seul
Seigneur Jésus-Christ, même si on ne méconnaît pas la différence
des natures, dont nous disons que s'est faite l'union indicible. Quant
à ceux qui disent que s'est fait un mélange, une confusion, une
mixture du Dieu Verbe avec la chair, que Ta Sainteté daigne leur
fermer la bouche. Peut-être en effet certains diront-ils de moi que
j'ai dit ou pensé cela. Mais je suis si éloigné de penser chose pareille,
que j'estime insensés ceux qui pensent qu'il a pu y avoir l'ombre
d'un changement dans la nature divine du Verbe. Elle reste ce
qu'elle est, toujours elle est immuable, jamais elle ne pourrait varier,
et elle n'est pas susceptible de transformation. En outre nous confes-
sons tous que le Verbe de Dieu est impassible, même si dispensant
le mystère en toute sagesse, il fait voir qu'il s'attribue les souf-
frances survenues à sa propre chair. C'est pour cela que le très sage
Pierre dit : « le Christ ayant souffert pour nous dans sa chair »
[I P 4, 1], et non dans la nature de sa divinité indicible. Et pour
qu'on croie qu'il est le Sauveur de tous, il s'attribue à lui-même,
comme je l'ai dit, par une appropriation économique, les souffrances
de sa propre chair : c'est ce qui avait été prédit par la voix du
prophète, parlant en son nom : « J'ai livré mon dos aux coups, mes
joues aux soufflets, et je n'ai pas détourné mon visage de l'outrage
des crachats » [Is 50, 6].
CYRILLE A JEAN D'ANTIOCHE 215
Que Ta Sainteté en soit bien persuadée, et que personne d'autre
n'en doute, nous suivons en tout les sentiments des saints Pères,
et surtout de notre bienheureux et très célèbre Père Athanase, et
nous refusons de nous en écarter en quoi que ce soit. J'en aurais
apporté ici beaucoup de témoignages, pour donner par là crédit Ã
mes paroles, si je n'avais craint de t'ennuyer par la longueur de
cette lettre. Nous ne supportons absolument pas que personne
n'ébranle la foi qui a été définie ni le symbole de foi de nos saints
Pères réunis à Nicée en leur temps ; nous ne nous permettons Ã
nous-mêmes ni à personne d'en changer un mot ni d'en transgresser
une syllabe, nous souvenant de ce qui est dit : « Ne déplace pas
les bornes éternelles qu'ont posées tes pères» [Prov 22, 28]. Car
ce n'étaient pas eux qui parlaient, mais l'Esprit de Dieu et du Père,
qui procède de lui, mais qui n'est pas étranger au Fils sous le rapport
de l'essence. Et de cela aussi nous assurent les paroles des saints
mystagogues. Il est écrit en effet dans les Actes des Apôtres :
« Venant en Mysie ils tentaient de passer en Bithynie, et l'Esprit
de Jésus ne le leur permit pas » [Act 16, 7]. Et le divin Paul écrit :
« Ceux qui sont dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu ; mais
vous vous n'êtes pas dans la chair, mais dans l'Esprit, puisque
l'Esprit de Dieu habite en vous ; si quelqu'un n'a pas l'Esprit du
Christ, il n'est pas à lui» [Rom 8, 8].
Si quelques-uns de ceux qui ont l'habitude de tordre ce qui
est droit, détournent à leur gré mes paroles, que Ta Sainteté ne s'en
étonne pas, sachant que les tenants de n'importe quelle hérésie
trouvent dans l'Ãcriture divinement inspirée le prétexte de leur
erreur, et corromptent par leur méchanceté la rectitude de ce qui a
été dit par le Saint-Esprit ; ainsi ils accumulent sur leur tête une
flamme inextinguible.
Et puisque nous avons appris que certains ont édité un texte
corrompu de la lettre très orthodoxe de notre très célèbre Père
Athanase au bienheureux Ãpictète, au point que beaucoup en ont
souffert, nous avons pensé que ce serait utile et nécessaire pour
les frères d'envoyer à Ta Sainteté une copie prise sur l'exemplaire
ancien et correct que nous en avons.
216 TEXTES
VIII
LETTRE DE SAINT LEON
A FLAVIEN DE CONSTANTINOPLE *
(13 juin 449)
Léon, évêque, à son très cher Flavien,
évêque de Constantinople.
1. Après avoir lu la lettre de Ta Dilection, en nous étonnant
qu'elle ait tant tardé, et passé en revue la suite des actes épisco-
paux, nous avons enfin compris le scandale qui s'est produit chez
vous contre l'intégrité de la foi. Ce qui auparavant semblait caché
s'est maintenant révélé et manifesté à nous. Eutychès, que son
titre de prêtre semblait recommander, nous apparaît très imprudent
et très incapable, en sorte qu'on peut lui appliquer la parole du
prophète : « Il n'a pas voulu comprendre pour faire le bien, il a
médité l'iniquité sur sa couche » [Ps 35, 5]. Quoi de plus inique
en effet que de penser des impiétés, et ne pas céder à plus sage
et plus savant que soi ? C'est dans cette folie que tombent ceux
qui, empêchés par quelque obscurité de reconnaître la vérité, ne
recourent ni aux paroles des prophètes, ni aux lettres des apôtres,
ni aux autorités de l'Ãvangile, mais à eux-mêmes. Ils sont ainsi
maîtres d'erreur, pour n'avoir pas été disciples de la vérité. Quelle
connaissance peut-il avoir des pages sacrées du Nouveau et de
l'Ancien Testament, celui qui ne comprend même pas le commence-
ment du Symbole ? Ce que dans le monde entier proclame la voix
des candidats à la régénération (du baptême) n'est pas encore
compris par le cÅur de ce vieillard.
2. Puisqu'il ne savait pas ce qu'il devait penser de l'incarnation
du Verbe de Dieu, et qu'il ne voulait pas pour mériter la lumière
de l'intelligence travailler dans le vaste champ des Saintes Ãcritures,
il aurait pu au moins écouter d'une oreille attentive la confession
* Le texte dans PL 54, 755-781 ; ACO II., n, 1, 24-33 ; C. Silva-
Tarouca, S. Leonis Magni Tomus ad Flavianum... Romae, 1932. Tra-
duction française de E. Amann, Le dogme catholique dans les Pères de
l'Ãglise, 344-355 ; ou du P. B. Lavaud, dans Rev. Thomiste, 51 (1951),
612-624. Nous nous inspirons de l'une et de l'autre. Fragments dans
FC 308-312,
LEON A FLAVIEN 217
commune et unanime de l'universalité des fidèles, qui professe sa
foi « en Dieu le Père tout-puissant, et en le Christ Jésus son Fils
unique notre Seigneur, qui est né de l'Esprit-Saint et de la Vierge
Marie ». Ces trois propositions détruisent les échafaudages de pres-
que tous les hérétiques. En effet quand on croit en Dieu le Père tout-
puissant, on voit par là que son Fils lui est coéternel, ne différant
en rien du Père, puisqu'il est Dieu de Dieu, tout-puissant de tout-
puissant, né coéternel de l'éternel ; il n'est ni postérieur dans le
temps, ni inférieur en puissance, ni dissemblable en gloire, ni séparé
quant à l'essence. Et ce même Fils unique éternel du Père éternel,
est né de l'Esprit-Saint et de la Vierge Marie. Cette naissance tem-
porelle n'a rien retranché ni rien ajouté à cette naissance divine et
éternelle, mais se dépense toute à réparer l'homme égaré : il devait
par sa puissance vaincre la mort et détruire le diable qui avait
l'empire de la mort. Nous ne pourrions pas en effet triompher de
l'auteur du péché et de la mort, si celui que le péché ne pouvait
souiller ni la mort retenir ne prenait notre nature et ne la faisait
sienne. Car il a été conçu du Saint-Esprit dans le sein de la vierge
mère, qui l'enfanta sans perdre sa virginité, comme elle l'avait conçu
sans perdre sa virginité.
Mais si Eutychès ne pouvait pas puiser à cette source très pure
de la foi chrétienne l'intelligence exacte de la vérité, puisque son
propre aveuglement avait enténébré pour lui la splendeur de la
claire vérité, il aurait dû se soumettre à la doctrine de l'Ãvangile.
Matthieu dit : « Livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David,
fils d'Abraham » [Mt 1, 1]. Il aurait dû demander aussi à la prédi-
cation de l'Apôtre de l'instruire, et il aurait lu dans l'épître aux
Romains : « Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat, mis
à part pour l'Ãvangile de Dieu, qu'il avait promis autrefois par ses
prophètes dans les saintes Ãcritures, touchant son Fils, qui lui est
né selon la chair de la race de David » [Rm 1, 1-4]. Il aurait tourné
sa pieuse sollicitude vers les pages des prophètes, et il aurait trouvé
la promesse de Dieu disant à Abraham : « Dans ta race seront bénies
toutes les nations » [Gn 12, 3]. Et pour ne pas douter du caractère
propre de cette race, il aurait suivi l'Apôtre qui dit : « Les promesses
ont été faites à Abraham et à sa race. Il ne dit pas : et à ses descen-
dants, comme s'il y en avait plusieurs, mais comme à un seul :
et à ta race, c'est le Christ» [Gai 3, 16-17]. Il aurait aussi compris
par l'oreille du cÅur la prophétie d'Isaïe qui dit : « Voici qu'une
vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera Emmanuel, ce
qui se comprend : Dieu avec nous » [Is 7, 14]. Et il aurait lu avec
foi les paroles du même prophète : « Un enfant nous est né et un
fils nous a été donné ; la puissance est sur ses épaules, et on
218 TEXTES
l'appellera Ange du grand conseil, Dieu fort, Père de la paix, Père
du siècle futur» [Is 9, 6]. Et il n'aurait pas parlé à la légère en
disant que le Verbe s'est fait chair en ce sens que le Verbe né du
sein de la vierge aurait la forme d'un homme, et non la vérité du
corps de sa mère. Peut-être a-t-il pensé que Notre-Seigneur Jésus-
Christ n'est pas de la même nature que nous parce que l'ange
envoyé à la bienheureuse Marie lui dit : « L'Esprit-Saint viendra sur
toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre ; c'est pour-
quoi le saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu » [Le 1, 35].
Comme si, puisque la conception virginale était l'Åuvre de Dieu,
la chair de l'enfant conçu n'était pas prise de la nature de celle
qui le concevait. Mais il ne faut pas entendre cette génération
singulièrement admirable et admirablement singulière comme si la
nouveauté de cette création avait supprimé le caractère propre de
la race (humaine). Car le Saint-Esprit a donné la fécondité à la
vierge, mais la vérité du corps a été prise du corps, et, « la Sagesse
se bâtissant une maison » [Prov 9, 1], « le Verbe s'est fait chair et
a habité parmi nous » [Jn 1, 14], c'est-à -dire dans cette chair qu'il
a prise de l'homme et qu'a animée un souffle de vie raisonnable.
3. Les propriétés de chacune des deux natures étant donc sauves,
et se réunissant en une seule personne, la majesté a assumé l'humi-
lité, la force la faiblesse, l'éternité la mortalité, et pour payer la
dette de notre condition, la nature inviolable s'est unie à la nature
passible, afin que, comme il convenait pour nous guérir, le même et
unique médiateur de Dieu et des hommes, l'homme Jésus-Christ,
d'une part pût mourir, et de l'autre part ne pût pas mourir. C'est
donc dans une nature parfaite et intègre d'homme véritable qu'est
né le vrai Dieu, tout entier dans ce qui est sien, tout entier dans
ce qui est nôtre. Nous disons nôtre ce que le Créateur a mis en
nous dès le commencement, et qu'il a assumé pour le restaurer.
Car ce que le Séducteur a mis en nous et que l'homme séduit a reçu,
n'a laissé aucune trace dans le Sauveur, et ce n'est pas parce qu'il
a souffert la communion des faiblesses humaines, qu'il a participé
à nos fautes. Il a assumé la forme de l'esclave sans la souillure du
péché, enrichissant l'humanité, sans diminuer la divinité. Car l'anéan-
tissement par lequel l'invisible s'est fait visible et par lequel le
Créateur et Seigneur de toutes choses voulut être un des mortels,
fut condescendance de la miséricorde, et non pas éclipse de sa
puissance.
Ainsi celui qui existant en forme de Dieu a fait l'homme, s'est
fait homme en forme d'esclave. Chaque nature en effet tient sans
défaut ce qui lui est propre, et comme la forme de Dieu ne supprime
LEON A FLAVIEN 219
pas la forme d'esclave, la forme d'esclave ne diminue pas la forme
de Dieu. Le diable se glorifiait de ce que l'homme, trompé par
sa fraude, fût privé des biens divins, et, dépouillé du don d'immor-
talité, fût soumis à la dure sentence de la mort, et de ce que lui-
même en ses maux, eût trouvé quelque consolation en un compagnon
de prévarication, et de ce que Dieu, comme l'exigeait la justice,
eût changé sa propre sentence envers l'homme qu'il avait créé dans
une si grande dignité. Il fallait donc l'économie du dessein secret de
Dieu : que le Dieu immuable, dont la volonté ne peut être privée
de sa bonté, achevât par un mystère plus caché la première dispo-
sition de sa miséricorde, et que l'homme, poussé à la faute par la
ruse de l'iniquité du diable, ne pérît pas contre le dessein de Dieu.
4. Le Fils de Dieu entre donc dans ce bas monde, descendant
de son trône céleste sans abandonner la gloire de son Père, engendré
dans un nouvel ordre, par une nouvelle naissance. Nouvel ordre,
parce qu'invisible en ce qui lui est propre, il s'est fait visible en
ce qui est nôtre ; incompréhensible, il a voulu être compris ; subsis-
tant avant les temps, il a commencé d'être dans le temps ; Seigneur
de l'univers, il a pris la forme d'esclave, voilant d'ombre l'immen-
sité de sa majesté. Dieu impassible, il n'a pas dédaigné d'être homme
passible, et, immortel, de se soumettre aux lois de la mort. Mais
aussi, engendré par une nouvelle naissance, parce que la virginité
inviolée, ignorant le désir, a fourni la matière de sa chair ; de
la mère du Seigneur, il a assumé la nature, et non pas la faute ; et
dans le Seigneur Jésus-Christ, né du sein de la vierge, la merveille
de la naissance ne fait pas une dissemblance de nature. Celui qui
est vrai Dieu est aussi, le même, vrai homme, et il n'y a aucun
mensonge en cette unité, où se réunissent l'humilité de l'homme et
la sublimité de la divinité. De même que Dieu n'est pas changé du
fait de sa miséricorde, l'homme n'est pas consumé par la dignité
divine. Chaque nature fait en communion avec l'autre ce qui lui est
propre, le Verbe opérant ce qui est du Verbe, et la chair exécutant
ce qui est de la chair. L'un brille par l'éclat de ses miracles, l'autre
succombe aux injures. Et de même que le Verbe ne s'éloigne pas de
l'égalité avec la gloire de son Père, la chair non plus n'abandonne
pas la nature de notre race. C'est en effet un seul et le même qui
est vraiment Fils de Dieu et vraiment fils de l'homme : Dieu, parce
qu' « au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de
Dieu et le Verbe était Dieu » [Jn 1, 1] ; homme, parce que « le
Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous » [ib., 14]. Dieu, parce
que « tout a été fait par lui et sans lui rien n'a été fait » [ib., 3] ;
homme, parce que « il a été fait de la femme, fait sous la loi »
220 TEXTES
[Gai 4, 4]. La naissance de la chair est la manifestation de la nature
humaine, l'enfantement virginal est l'indice de la puissance divine.
L'enfance du tout petit se montre dans l'humilité du berceau, la
grandeur du Très-Haut est proclamée par la voix des anges. Il
ressemble aux commencements des hommes, celui qu'Hérode avec
impiété médite de tuer, mais c'est le Seigneur de toutes choses,
celui que les mages se réjouissent d'adorer en suppliants. Déjà quand
il vint se faire baptiser par Jean son précurseur, pour ne pas laisser
cachée la divinité que couvrait le voile de la chair, la voix du
Père, retentissant du haut du ciel, disait : « Celui-ci est mon Fils
bien-aimé, en qui je me suis complu» [Mt 3, 17]. Ainsi celui que
l'astuce du diable tente comme homme, les anges lui apportent leurs
services comme à un Dieu. Avoir faim, avoir soif, être fatigué et
dormir, est évidemment de l'homme ; mais avec cinq pains nourrir
cinq mille hommes, donner à la Samaritaine l'eau vive qui permet
à celui qui en boit de n'avoir plus jamais soif, marcher sur le dos
de la mer sans que les pieds ne s'enfoncent, réprimander la tempête
et rabattre l'orgueil de la mer, sans aucun doute, cela est de Dieu.
Passons encore beaucoup de choses ; mais de même qu'il n'appartient
pas à la même nature de pleurer par un sentiment de compassion
un ami mort, et, une fois écartée la pierre qui ferme depuis quatre
jours son tombeau, de réveiller au commandement de la voix cet ami
rendu à la vie ; de pendre au bois, et de changer la lumière en nuit
et faire trembler tous les éléments ; d'être percé de clous et d'ouvrir
à la foi du larron les portes du paradis ; de même aussi il n'appar-
tient pas à la même nature de dire : « Le Père et moi nous sommes
un » [Jn 10, 30], et : « Le Père est plus grand que moi » [ib. 14, 28].
En effet, quoique dans le Seigneur Jésus il n'y ait qu'une
seule personne de Dieu et de l'homme, autre pourtant est le principe
par où il subit l'outrage commun à Dieu et à l'homme, autre le
principe de la gloire commune à Dieu et à l'homme. De nous en
effet il tient l'humanité, inférieure au Père ; du Père la divinité,
égale au Père.
5. En raison donc de cette unité de personne qu'il faut com-
prendre dans les deux natures, on lit que le Fils de l'homme est
descendu du ciel, alors que le Fils de Dieu a assumé une chair de
la vierge dont il est né ; et d'autre part on dit que le Fils de Dieu
a été crucifié et a été enseveli, alors qu'il a souffert cela non
dans la divinité selon laquelle il est le Fils unique coétemel et
consubstantiel au Père, mais dans l'infirmité de la nature humaine.
C'est pourquoi nous confessons tous dans le Symbole que le Fils de
Dieu a été crucifié et enseveli, selon le mot de l'Apôtre : « S'ils
LÃON A FLAVIEN 221
avaient su, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire »
[I Cor 2, 8]. Et lorsque notre Seigneur et Sauveur lui-même
instruisait la foi de ses disciples en les interrogeant : « Qui les
hommes disent-ils que je suis, moi le fils de l'homme ? », ils lui
rapportèrent les diverses opinions des autres. « Mais vous, dit-il,
qui dites-vous que je suis ? », moi, qui suis le fils de l'homme et
que vous voyez en forme d'esclave et dans la vérité de la chair, qui
dites-vous que je suis ? alors le bienheureux Pierre, divinement
inspiré, et pour être utile à toutes les nations par sa confession, lui
dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » [Mt 16, 12-16]. Et
ce n'est pas sans raison qu'il fut proclamé bienheureux par le
Seigneur, et que de la Pierre principale il tira la solidité de son
pouvoir et de son nom, lui qui, par révélation du Père, a confessé
que le même est Fils de Dieu et Christ. Car recevoir l'un des deux
sans l'autre ne pouvait servir à notre salut, et il y avait un égal
péril à croire que le Seigneur Jésus-Christ était seulement Dieu sans
être homme, ou seulement homme sans être Dieu.
De plus, après la résurrection du Seigneur, â qui fut certes
celle d'un corps véritable, car le ressuscité n'est pas autre que celui
qui avait été crucifié et enseveli, â que fit-il d'autre pendant ce
délai de quarante jours, que de purifier de toute obscurité l'intégrité
de notre foi ? Parlant en effet avec ses disciples, habitant et man-
geant avec eux, se laissant palper et toucher par la curiosité appli-
quée de ceux que le doute étreignait, il entrait, portes closes, auprès
de ses disciples, et en soufflant sur eux, il leur donnait l'Esprit-Saint ;
leur donnant la lumière de l'intelligence, il leur ouvrait les secrets
des saintes Ãcritures. Et de nouveau, lui encore, il leur montrait la
blessure de son côté, les trous des clous et toutes les marques de
sa passion toute récente, en leur disant : « Voyez mes mains et mes
pieds, c'est moi, touchez et voyez : un esprit n'a pas une chair et
des os comme vous voyez que j'en ai» [Le 24, 39], pour que l'on
reconnût que les propriétés de la nature divine et de la nature
humaine demeuraient indivises en lui, et que nous comprenions que
le Verbe n'est pas ce qu'est la chair, tout en confessant que l'unique
Fils de Dieu est Verbe et chair.
De ce mystère de la foi Eutychès, il faut le croire, est resté
complètement éloigné : dans le Fils unique de Dieu il n'a pas
reconnu notre nature, ni dans l'humilité de la mortalité ni dans la
gloire de la résurrection ; il n'a pas craint la sentence du bienheureux
apôtre et évangéliste Jean qui dit : « Tout esprit qui confesse que
Jésus-Christ est venu dans la chair est Dieu ; et tout esprit qui divise
Jésus n'est pas de Dieu, et c'est lui l'antichrist » [I Jn 4, 2-3]. Or
222 TEXTES
qu'est-ce que diviser Jésus, sinon séparer de lui la nature humaine,
et évacuer par de très impudentes fictions le mystère par lequel
seul nous sommes sauvés ? Quant à celui qui s'aveugle sur la nature
du corps du Christ, il doit nécessairement déraisonner avec le même
aveuglement au sujet de sa passion. S'il ne pense pas que la croix
du Seigneur est fausse, et s'il ne doute pas que le supplice qu'il a
enduré pour le salut du monde soit vrai, qu'il reconnaisse aussi la
chair de celui dont il croit la mort, et qu'il ne refuse pas de croire
que c'était un homme avec un corps comme le nôtre, celui qu'il
reconnaît avoir été passible, puisque nier qu'il ait eu une chair
véritable c'est nier aussi qu'il ait souffert en son corps.
Si donc il accepte la foi chrétienne et ne détourne pas son oreille
de la prédication de l'Ãvangile, qu'il voie quelle est la nature qui
a été percée de clous et pendue au bois de la croix, et, quand le
côté du Crucifié a été ouvert par la lance du soldat, qu'il comprenne
d'où ont coulé le sang et l'eau qui devaient arroser l'Ãglise par le
bain (du baptême) et par la boisson (de l'eucharistie). Qu'il écoute
le bienheureux apôtre Pierre prêchant que la sanctification de l'esprit
se fait par l'aspersion du sang du Christ, et qu'il ne lise pas en
passant les paroles du même apôtre : « Sachez que ce n'est par des
biens périssables, de l'argent ou de l'or, que vous avez été rachetés
de la vaine manière de vivre reçue de vos pères, mais par le sang
précieux de l'agneau sans défaut et sans tache, Jésus-Christ »
[I P 1, 19]. Qu'il ne résiste pas non plus au témoignage du bien-
heureux apôtre Jean : « Le sang de Jésus, Fils de Dieu, nous purifie
de tout péché » [I Jn 1, 7]. Et encore : « La victoire qui a vaincu
le monde, c'est notre foi. Qui est vainqueur du monde, sinon celui
qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? C'est lui qui est venu par
l'eau et le sang, Jésus-Christ, non par l'eau seulement, mais par
l'eau et le sang, et c'est l'Esprit qui témoigne, car l'Esprit est vérité.
Car ils sont trois qui rendent témoignage, l'esprit, l'eau et le sang,
et ces trois ne sont qu'un » [ib. 5, 4-8] : c'est-à -dire l'esprit de
sanctification, le sang de la rédemption et l'eau du baptême, car
ces trois sont un et demeurent indivisés, et nul n'est séparé des
autres. Car l'Ãglise catholique vit de cette foi, grandit en elle, que
dans le Christ Jésus il n'y a pas d'humanité sans vraie divinité, ni
de divinité sans vraie humanité.
6. Examiné et interrogé par vous, Eutychès a répondu : « Je
confesse que Notre-Seigneur a été de deux natures avant l'union,
mais après l'union je confesse une seule nature ». Je m'étonne qu'au-
cun des juges n'ait repris ni blâmé une profession aussi absurde et
aussi perverse, et qu'on ait laissé passer un discours aussi insensé,
LEON A FLAVIEN 223
comme si on n'avait entendu rien de choquant, alors qu'il est aussi
impie de dire que le Fils unique de Dieu est de deux natures avant
l'incarnation qu'il est néfaste d'affirmer en lui une nature unique
après que le Verbe s'est fait chair.
Afin qu'Eutychès ne croie pas avoir dit là une chose correcte ou
tolérable, puisqu'elle n'a été réfutée par aucune condamnation de
votre part, nous avertissons Votre Dilection diligente, frère très cher,
afin que si par l'inspiration de la miséricorde de Dieu, il en vient Ã
donner satisfaction, vous guérissiez cet homme imprudent et in-
capable de la peste de cette pensée. Comme le montrent les actes
synodaux, il a lui-même commencé à renoncer à ses sentiments,
lorsque pressé par votre condamnation il a affirmé qu'il disait ce
qu'il n'avait pas dit auparavant, et qu'il acquiesçait à la foi à laquelle
d'abord il était étranger. Mais quand il refusa de consentir Ã
anathématiser son dogme impie, votre fraternité a compris qu'il
persistait dans son erreur contre la foi, et qu'il méritait un jugement
de condamnation. S'il en éprouve une douleur sincère et bienfaisante,
et s'il reconnaît même tardivement combien l'autorité épiscopale a
eu raison de s'émouvoir, s'il condamne ses erreurs de vive voix et
en signant la présente lettre, la miséricorde ne sera pas répréhen-
sible, si grande soit-elle, envers un homme qui s'est amendé : car
Notre-Seigneur, le vrai et bon pasteur, qui a donné sa vie pour ses
brebis, et qui est venu sauver les âmes des hommes et non les
perdre, veut que nous soyons les imitateurs de sa bonté : que la
justice réprime les pécheurs, mais que la miséricorde ne repousse
pas ceux qui se sont convertis. C'est alors précisément que la vraie
foi est défendue de la façon la plus fructueuse, quand une opinion
fausse est condamnée par ceux-là mêmes qui la soutenaient.
Pour suivre pieusement et fidèlement toute l'affaire, nous avons
envoyé à notre place nos frères l'évêque Jules et le prêtre René, et
mon fils le diacre Hilaire, auxquels nous avons joint notre notaire
Dulcitius, dont la fidélité est éprouvée. Nous avons confiance dans
l'aide du secours divin, pour que celui qui avait erré condamne la
malice de ses pensées et soit sauvé.
Que Dieu te garde en bonne santé, frère très cher.
Donné les ides de juin, sous le consulat des clarissimes Asturius
et Protogène.
224 TEXTES
IX
DÃFINITION DOGMATIQUE DE CHALCÃDOINE
Le saint et grand concile Åcuménique, réuni par la grâce de
Dieu et l'ordre des très pieux et très chrétiens empereurs Valentinien
et Marcien Augustes, à Chalcédoine, métropole de l'éparchie de
Bithynie, dans le martyrium de la sainte et victorieuse martyre
Euphémie, a défini ce qui suit :
Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, affermissant en ses dis-
ciples la connaissance de la foi, leur a dit : « Je vous donne ma
paix, je vous laisse ma paix» [Jn 14, 27], pour que nul ne diffère
de son prochain dans les dogmes de la piété, mais que soit mani-
festement identique la prédication de la vérité. Mais puisque le
Malin ne cesse de faire croître l'ivraie parmi les semences de la
piété, et qu'il trouve toujours quelque nouveauté contraire à la
vérité, le Maître, dans sa prévoyance pour le genre humain, a
suscité le zèle de cet empereur pieux et très croyant, et de partout
a appelé à lui les chefs du sacerdoce, pour qu'avec l'aide de la
grâce du Christ ils écartent des brebis du Christ la peste des men-
songes, et les nourrissent des plantes de la vérité.
C'est ce que nous avons fait, en repoussant d'un vote unanime
les dogmes de l'erreur, et en renouvelant la foi infaillible des Pères,
en prêchant à tous le symbole des trois-cent-dix-huit Pères,
et en accueillant comme nôtres les Pères qui ont reçu ce symbole
de la foi, c'est-à -dire les cent cinquante qui s'étaient réunis dans la
grande Constantinople, et qui avaient souscrit à la même foi. Nous
gardons donc nous aussi l'ordonnance et toutes les formules de foi
du saint synode qui s'est tenu jadis à Ãphèse, sous l'autorité de
Célestin de Rome et de Cyrille d'Alexandrie, tous deux de sainte
mémoire, et nous décidons de faire briller l'exposé de la foi ortho-
doxe et irréprochable des trois-cent-dix-huit saints et bienheureux
Pères réunis à Nicée sous l'empereur Constantin de pieuse mémoire,
et de maintenir ce qui a été défini à Constantinople par les cent
cinquante saints Pères, pour supprimer les erreurs qui s'étaient
élevées alors, et pour affermir la même foi catholique et apostolique
qui est la nôtre.
ACO II, i, 2, 126-130, la fin du texte dans FC 313.
DEFINITION DE CHALCEDOINE 225
LE SYMBOLE DES TROIS CENT DIX-HUIT PERES DE NICÃE
Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de
toutes choses, visibles et invisibles ; et en un seul Seigneur Jésus-
Christ, le Fils de Dieu, unique engendré du Père, c'est-à -dire de
l'essence du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière *, vrai Dieu
de vrai Dieu, engendré, non point fait, consubstantiel au Père, par
qui tout a été fait, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre,
qui pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu et s'est
incarné et s'est fait homme, a souffert et est ressuscité le troisième
jour, est monté aux cieux et viendra juger les vivants et les morts.
Et au Saint-Esprit.
Quant à ceux qui disent : « Il fut un temps où il n'était pas, et
avant d'être engendré il n'était pas », et « il a été tiré du néant »,
ou qui prétendent que le Fils de Dieu est d'une autre hypostase ou
essence, ou qu'il est créé, ou changeant, ou variable, ceux-lÃ
l'Ãglise catholique et apostolique les frappe d'anathème.
ET LE MÃME DES CENT CINQUANTE PERES
RÃUNIS A CONSTANTINOPLE
Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur du
ciel et de la terre, de toutes choses, visibles et invisibles ; et en
un seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, engendré du
Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai
Dieu, engendré, non point fait, consubstantiel au Père, par qui tout
a été fait, qui pour nous les hommes et pour notre salut est descendu
des cieux, et s'est incamé de l'Esprit-Saint et de la Vierge Marie
et s'est fait homme, a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate et
a été enseveli, et est ressuscité le troisième jour selon les Ãcritures
et est monté aux cieux et est assis à la droite du Père, et viendra
dans la gloire juger les vivants et les morts ; son royaume n'aura
pas de fin.
* Au lieu des mots « engendré ... lumière de lumière », les deux ma-
nuscrits qu'a suivis Ed. Schwartz portent seulement « engendré du Père
avant tous les siècles » (ACO VI, i, 3, 127). Nous reproduisons ici le
texte donné par les autres manuscrits et les versions anciennes, qui pa-
raît bien être le texte original de la foi de Nicée. Sur cette question,
voir en dernier lieu I. Ortiz de Urbina, Il Simbolo Niceno, Madrid 1947.
226 TEXTES
Et à l'Esprit Saint, Seigneur et vivifiant, qui procède du Père,
qui est adoré et glorifié avec le Père et le Fils, qui a parlé par les
prophètes. Et en une Ãglise sainte, catholique et apostolique. Nous
confessons un seul baptême pour la rémission des péchés. Nous
attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. Amen.
Ce sage et salutaire symbole suffisait par la grâce de Dieu Ã
faire connaître parfaitement et à affermir la vraie foi : il donne en
effet un enseignement parfait sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit,
et à ceux qui le reçoivent avec foi il présente l'incarnation du
Seigneur. Mais puisque ceux qui entreprennent de ruiner l'enseigne-
ment de la vérité ont, par leurs hérésies particulières, mis au jour
des doctrines vaines, les uns osant défigurer le mystère de l'incar-
nation (économie) du Seigneur pour nous, et refusant à la Vierge
le nom de Theotokos, â les autres introduisant mélange et confu-
sion, imaginant follement que la chair et la divinité ne sont qu'une
seule nature, et supposant monstrueusement qu'à cause de ce mé-
lange, la nature divine du Fils unique est capable de souffrir, â
pour cela, voulant fermer la porte à toutes leurs machinations contre
la vérité, le saint et grand Concile Åcuménique ici présent, en-
seignant la doctrine inébranlable prêchée depuis le commencement,
a décidé avant tout que la foi des trois-cent-dix-huit Pères doit rester
en dehors de toute atteinte. Et il confirme aussi l'enseignement
donné plus tard sur l'essence de l'Esprit par les cent cinquante
Pères réunis dans la ville impériale à cause des Pneumotomaques :
ils faisaient connaître à tous qu'ils ne voulaient rien ajouter à l'en-
seignement de leurs prédécesseurs, comme s'il y manquait quelque
chose, mais ils exposaient clairement leur pensée sur l'Esprit-Saint,
par les témoignages de rEcriture, contre ceux qui tentaient de
rejeter sa Seigneurie.
Mais à cause de ceux qui entreprennent de défigurer le mystère
de l'économie, et qui ont la sottise impudente de prétendre que
celui qui est né de la Vierge Marie n'est qu'un homme, le concile
a reçu les lettres synodiques à Nestorius et aux Orientaux du bien-
heureux Cyrille, qui fut pasteur de l'Ãglise d'Alexandrie, comme
étant propres à réfuter les insanités de Nestorius et à expliquer le
sens du symbole salutaire à ceux dont le zèle pieux désire le con-
naître. II y a joint aussi la lettre du très bienheureux et très saint
archevêque Léon, prélat de la très grande et ancienne Rome,
adressée à l'archevêque Flavien de sainte mémoire, pour réfuter
l'erreur d'Eutychès ; elle est en effet conforme à l'enseignement
du grand Pierre, et elle est une colonne contre les hétérodoxes,
DEFINITION DE CHALCÃDOINE 227
et elle est parfaitement adaptée à la confirmation des dogmes
orthodoxes.
Le concile s'oppose à ceux qui entreprennent de diviser le mystère
de l'économie en une dualité de fils, il exclut de l'assemblée des
prêtres ceux qui osent dire passible la divinité du Fils unique, il
résiste à ceux qui imaginent une confusion ou un mélange des deux
natures du Christ, il repousse ceux qui ont la folie de penser que
la forme d'esclave que le Christ nous a empruntée est de nature
céleste ou de quelque substance autre que la nôtre, il anathématise
ceux qui forgent ce mythe de deux natures avant l'union et d'une
seule nature après l'union.
Suivant donc les Saints Pères, nous enseignons tous d'une seule
voix un seul et même Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, le même
parfait en divinité, le même parfait en humanité, le même Dieu
vraiment et homme vraiment, (fait) d'une âme raisonnable et d'un
corps, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel Ã
nous selon l'humanité, semblable à nous en tout hors le péché,
engendré du Père avant les siècles quant à sa divinité, mais aux
derniers jours, pour nous et pour notre salut, (engendré) de Marie
la Vierge la Theotokos quant à son humanité, un seul et même
Christ, Fils, Seigneur, Fils unique, que nous reconnaissons être en
deux natures *, sans confusion ni changement, sans division ni sépa-
ration ; la différence des natures n'est nullement supprimée par
l'union, mais au contraire les propriétés de chacune des deux natures
restent sauves, et se rencontrent en une seule personne (prosôpon)
ou hypostase ; (nous confessons) non pas (un fils) partagé ou divisé
en deux personnes, mais un seul et même Fils, Fils unique, Dieu,
Verbe, Seigneur, Jésus-Christ, comme autrefois les prophètes l'ont
dit de lui, comme le Seigneur Jésus-Christ lui-même nous en a
instruits, et comme le Symbole des Pères nous l'a transmis.
Tout ceci ayant été fixé et formulé par nous avec toutes les
* Les anciennes éditions des Conciles (Labbe-Cossart, Hardouin, Mansi)
portaient ek duo phuseôn, « de deux natures ». Cette leçon n'est attestée
que par deux manuscrits grecs. L'autre leçon, en duo phusesin, « en deux
natures », retenue par Schwartz, est celle du meilleur manuscrit grec (M),
suivi par une dizaine d'autres, et de l'ancienne version latine (in duabus
naturis). Elle est appuyée par les témoignages anciens, Euthyme de Pales-
tine, Sévère d'Antioche, Evagre le Scholastique, l'auteur du De Sertis,
etc. Son authenticité ne fait pas de doute. Elle est d'ailleurs confirmée
par tout le contexte des discussions de Chalcédoine (ci-dessus, 133) : « de
deux natures » pouvait s'entendre dans un sens eutychien ; au contraire,
« en deux natures » fait écho à la doctrine de S. Léon, et exclut toute
équivoque. Voir I. Obtiz de Urbina, Chalkedon, I, 391, n. 4.
228 TEXTES
précisions et l'attention possible, le saint et oecuménique Synode
a décidé qu'il n'est permis à personne de professer, de rédiger, de
composer une autre formule de foi, ou de l'enseigner à d'autres.
Quant à ceux qui oseraient composer une autre foi, ou proposer,
enseigner ou transmettre un autre symbole à ceux qui désirent se
convertir de l'hellénisme, du judaïsme ou d'une hérésie quelconque
à la connaissance de la vérité, ceux-là , s'ils sont évêques ou clercs,
ils sont exclus, les évêques de l'épiscopat, les clercs de la clérica-
ture ; s'ils sont moines ou laïcs, ils sont anathèmes.
X
CANONS DE CHALCÃDOINE *
1. Nous avons décidé que les canons décrétés jusqu'à présent
par les Saints Pères dans chaque synode, doivent garder force de
loi.
2. Si un évêque fait une ordination pour de l'argent, s'il vend
la grâce qui ne doit pas être vendue, et s'il ordonne un évêque ou
un chorévêque ou un prêtre ou un diacre ou un clerc quelconque,
ou si par un bas sentiment d'avarice il installe pour de l'argent
un économe, un avoué, un mansionaire, ou un serviteur quelconque
de l'Ãglise, il s'expose, si la chose est prouvée, à perdre sa propre
place ; quant à celui qui a été ordonné de cette manière, l'ordi-
nation ou la place qu'il a achetée ne lui servira de rien, car il
perdra la dignité ou la situation acquise ainsi à prix d'argent. Si
quelqu'un s'est entremis pour ce commerce honteux et illicite, il
devra, s'il est clerc, perdre sa place, s'il est laïque ou moine, il sera
frappé d'anathème.
3. Il est venu à la connaissance du saint concile que quelques
membres du clergé, par un bas sentiment d'avarice, louent des biens
étrangers, et se chargent d'affaires temporelles, et méprisant le
* Le texte dans ACO II, i, 2, 158-163. â Traduction d'après H. Le-
clercq, dans Hefele-Leclercq, Histoire des Conciles, II B, 770-818. â
Nous ne donnons pas le texte du « 28e Canon », qui n'a pas été retenu
dans les anciennes collections conciliaires ; on a pu le lire ci-dessus, 162.
CANONS DE CHALCÃDOINE 229
service de Dieu, fréquentent les maisons des séculiers, et par amour
de l'argent, se chargent de la gestion de biens. Aussi le saint et
grand concile a-t-il décidé qu'à l'avenir aucun évêque ou clerc ou
moine ne devait louer des biens ou se mêler d'affaires ou entre-
prendre l'administration de biens séculiers ; excepté le cas où on
se trouve obligé par la loi d'accepter la tutelle de mineurs, ou
bien lorsque l'évêque de la ville, pour l'amour de Dieu, charge
quelqu'un du soin des affaires des orphelins ou des veuves sans
défense, ou des personnes qui ont plus particulièrement besoin des
secours de l'Ãglise. Si à l'avenir quelqu'un transgresse cette ordon-
nance, il doit être soumis aux peines ecclésiastiques.
4. Ceux qui mènent vraiment et sincèrement la vie monastique
doivent être estimés comme il convient. Mais comme certains pren-
nent prétexte de leur état monastique pour troubler les affaires de
l'Ãglise et de l'Ãtat, circulent indiscrètement dans les villes, et
prétendent même se bâtir pour eux seuls des monastères, le concile
a décidé que personne ne pourrait nulle part construire ou installer
un monastère ou une maison de prière sans l'assentiment de l'évêque
de la ville ; en outre que les moines de chaque ville et de chaque
pays soient soumis à l'évêque, qu'ils aiment le recueillement, ne
s'appliquent qu'au jeûne et à la prière, et demeurent dans les lieux
qui leur ont été fixés ; qu'ils ne s'embarrassent ni ne s'occupent
d'affaires ecclésiastiques ou séculières, en quittant leur monastère,
sauf quand l'évêque de la ville les en charge pour une affaire de
nécessité. Que dans les monastères on n'accepte aucun esclave pour
devenir moine sans l'assentiment de son maître. Quiconque trans-
gressera notre ordonnance, nous décidons qu'il sera excommunié,
afin que le nom de Dieu ne soit pas blasphémé. Et que l'évêque
exerce la surveillance convenable sur les monastères.
5. Au sujet des évêques et des clercs qui passent d'une ville
à une autre, on a décidé que les canons qui ont été portés à leur
sujet par les saints Pères doivent garder force de loi.
6. Nul ne doit être ordonné de façon absolue ni évêque, ni
diacre, ni en général pour aucune fonction ecclésiastique, s'il n'est
assigné en particulier à une église de ville ou de village, à une
chapelle de martyr, ou à un monastère. Le saint concile a décidé
que pour ceux qui seraient ordonnés de façon absolue, cette ordi-
nation serait sans effet, et que pour la honte de celui qui les aurait
ordonnés, ils ne pourraient exercer nulle part (leurs fonctions).
7. Ceux qui ont été une fois admis dans le clergé ou qui se sont
faits moines, ne doivent pas prendre le service militaire ni aucune
230 TEXTES
dignité civile ; ceux qui ont osé le faire et qui ne s'en repentent
pas, et qui ont ainsi abandonné l'état qu'ils avaient choisi pour
Dieu, doivent être anathématisés.
8. Les clercs des maisons de pauvres, des monastères et des cha-
pelles de martyrs, doivent rester sous l'autorité de l'évêque de
chaque ville, conformément à la tradition des Saints Pères, et ne
pas avoir l'arrogance de résister à leur évêque. Ceux qui oseraient
d'une manière quelconque enfreindre la présente ordonnance et
ne pas se soumettre à leur évêque, seront, s'ils sont clercs, punis
des peines canoniques, et s'ils sont moines ou laïques, ils seront
excommuniés.
9. Lorsqu'un clerc a une affaire contre un clerc, il ne doit pas
abandonner son propre évêque pour recourir aux tribunaux sécu-
liers ; mais il doit d'abord soumettre l'affaire à son propre évêque,
ou bien, avec l'assentiment de celui-ci, à ceux à qui les deux parties
veulent s'en remettre. Si quelqu'un agit contre cette prescription,
qu'il soit soumis aux peines canoniques. Si un clerc a un procès
contre son propre évêque ou avec un autre (évêque), il doit être
jugé par le concile de l'éparchie. Si un évêque ou un clerc a un
procès contre le métropolitain de son éparchie, il doit en saisir
ou l'exarque du diocèse, ou le siège de la ville impériale, Constan-
tinople, et être jugé là .
10. Il n'est pas permis à un clerc d'être inscrit à la fois dans
deux villes, c'est-à -dire dans celle pour laquelle il a été ordonné
au principe, et dans celle où il s'est ensuite rendu par esprit
d'orgueil et parce qu'elle était plus grande. Ceux qui agissent ainsi
doivent être ramenés dans l'église pour laquelle ils ont été ordonnés
au principe, et c'est là seulement qu'ils doivent exercer leurs fonc-
tions. Mais si quelqu'un a déjà été transféré d'une église dans une
autre, il ne doit plus s'occuper en rien des affaires de la première
église, ni des chapelles de martyrs ni des maisons de pauvres ou des
hospices qui dépendent de cette église. Quiconque, après le décret
de ce grand et saint concile, osera faire quelque chose de ce qui y est
défendu, le concile a décidé qu'il perdrait sa place.
11. Tous les pauvres et ceux qui ont besoin d'être secourus,
doivent, après enquête, être munis pour voyager de lettres ecclésias-
tiques ou de lettres de paix, mais non de lettres de recommandation
seulement, parce que ces dernières ne doivent être accordées qu'aux
personnes de bonne réputation.
12. Il est venu à notre connaissance que quelques uns, contraire-
CANONS DE CHALCEDOINE 231
ment aux lois de l'Ãglise, recourent aux souverains, pour faire
diviser en deux, par des pragmatiques impériales, une éparchie,
pour que dès lors il y ait deux métropolitains dans la même éparchie.
Le saint concile a donc décidé qu'à l'avenir nul évêque n'ose agir
ainsi, et celui qui entreprendrait de le faire sera démis de sa
charge. Quant aux villes qui ont déjà été honorées du titre de
métropole par des lettres impériales, elles doivent se contenter
d'un titre honorifique, comme l'évêque qui les administre, les droits
proprement dits étant réservés à la véritable métropole.
13. Les clercs et lecteurs étrangers ne doivent absolument pas
exercer leurs fonctions dans une autre ville (que la leur) sans lettres
de recommandation de leur propre évêque.
14. Comme dans quelques éparchies on a permis aux lecteurs
et aux chantres de se marier, le saint concile a décidé qu'il n'était
permis à aucun d'eux de prendre une femme hérétique ; ceux qui
ont déjà eu des enfants d'un pareil mariage, s'ils ont déjà fait
baptiser ces enfants par les hérétiques, doivent les faire admettre
à la communion de l'Ãglise catholique. Si ces enfants ne sont pas
baptisés, ils ne doivent pas les faire baptiser chez les hérétiques ;
ils ne doivent pas non plus les donner en mariage à un hérétique, Ã
un juif ou à un grec (païen), à moins que la personne qui s'unit
à la partie orthodoxe ne promette de passer à la foi catholique. Si
quelqu'un transgresse cette ordonnance du saint concile, il sera
frappé des peines canoniques.
15. On ne doit pas ordonner une diaconesse avant quarante ans,
et cela après une enquête soigneuse. Si après avoir reçu l'ordination
et avoir exercé ses fonctions durant quelque temps, elle méprise la
grâce de Dieu et se marie, qu'elle soit anathème, elle et celui qui
s'est uni à elle.
16. Une vierge qui s'est consacrée au Seigneur Dieu, et de même
un moine, il ne leur est pas permis de se marier. S'ils le font, qu'ils
soient excommuniés. Mais nous décidons que l'évêque du lieu a
pouvoir pour exercer la miséricorde à leur égard.
17. Les paroisses de campagne ou de village appartenant à une
Ãglise doivent rester sans discussion aux évêques qui les possèdent,
surtout s'ils les ont administrées sans contexte depuis trente ans.
Si pendant ces trente ans il s'est élevé ou s'il s'élève un différend,
ceux qui se disent lésés peuvent porter l'affaire devant le concile
de l'éparchie. Si quelqu'un a été lésé par son propre métropolitain,
qu'il recoure à l'éparque du diocèse, ou au siège de Constantinople,
comme il a été dit plus haut. Si une ville a été fondée ou est fondée
232 TEXTES
par autorité impériale, la distribution des paroisses ecclésiastiques
doit suivre les divisions politiques et publiques.
18. Les conjurations ou phratries sont interdites par la loi civile ;
à plus forte raison il convient de les interdire dans l'Ãglise de Dieu.
Si donc il est prouvé que des clercs ou des moines se sont unis par
serment dans des associations de ce genre, ou ont machiné des
intrigues contre leurs évêques ou contre leurs collègues dans le
clergé, ils doivent être démis de leur charge.
19. Il est venu à nos oreilles que dans les éparchies les synodes
des évêques prévus par les canons ne se réunissent pas, et que pour
cela beaucoup d'affaires ecclésiastiques qui ont besoin de réformes
sont négligées. Aussi le saint concile a-t-il décidé que, selon les
canons des saints Pères, les évêques de chaque éparchie se réuniront
deux fois par an, là où l'évêque de la métropole le trouvera bon,
et réformeront toutes les affaires qui le demandent. Les évêques qui
ne s'y rendront pas, quoique se trouvant dans leur ville et étant en
bonne santé, et libres de tout empêchement urgent et nécessaire,
seront repris fraternellement.
20. Ainsi que nous l'avons décidé plus haut, les clercs qui rem-
plissent une fonction dans une Ãglise ne doivent pas être transférés
dans l'Ãglise d'une autre ville, mais doivent rester attachés à celle
au service de laquelle ils ont été affectés au commencement, Ã
l'exception de ceux qui ayant quitté leur patrie, ont dû par néces-
sité passer dans une autre Ãglise. Si après cette décision un évêque
reçoit un clerc attaché à un autre évêque, celui qui reçoit et celui
qui est reçu doivent être excommuniés, jusqu'à ce que le clerc ainsi
déplacé soit retourné à sa propre Ãglise.
21. Les clercs ou les laïques qui portent plainte contre des
évêques ou des clercs ne doivent pas être admis purement et simple-
ment et sans enquête à porter cette plainte ; on doit auparavant
examiner leur réputation.
22. Il n'est pas permis aux clercs, après la mort de leur évêque,
de s'emparer des biens qui lui appartenaient personnellement, comme
cela a déjà été défendu par les anciens canons. Ceux qui agissent
ainsi risquent de perdre leur place.
23. Il est venu aux oreilles du saint concile que quelques clercs
ou moines, sans mission de leur évêque, parfois même excommuniés
par lui, se rendent à la ville impériale de Constantinople pour y faire
un long séjour, provoquant des troubles, mettant le désordre dans
les affaires de l'Eglise, et bouleversant les maisons de quelques uns.
CANONS DE CHALCÃDOINE 233
Aussi le saint concile a-t-il décidé que ces gens-là devaient d'abord
être avertis par le syndic de la très sainte Eglise de Constantinople
d'avoir à quitter la ville impériale ; s'ils n'ont pas honte d'y rester
dans les mêmes conditions, le syndic devra les expulser, même
malgré eux, et leur faire regagner leur pays.
24. Les monastères une fois consacrés avec l'autorisation de
l'évêque doivent rester toujours monastères, et les biens qui leur
appartiennent doivent être gardés au monastère ; ils ne peuvent
plus devenir des habitations séculières. Quiconque permettrait qu'ils
le deviennent, serait soumis aux peines canoniques.
25. Puisque certains métropolitains, comme nous l'avons appris,
négligent le troupeau qui leur a été confié, et diffèrent les ordi-
nations d'évêques, le saint concile a décidé que les ordinations
d'évêques doivent se faire dans les trois mois, à moins qu'une
nécessité absolue n'oblige à prolonger ce délai. Si le métropolitain
n'agit pas ainsi, qu'il soit soumis aux peines ecclésiastiques. Les
revenus de l'Ãglise veuve (de son pasteur) doivent être conservés
intégralement par l'économe de cette Ãglise.
26. Puisque dans certaines Ãglises, comme nous l'avons appris,
les évêques administrent sans aucun économe les biens ecclésias-
tiques, nous décidons que toute Ãglise qui a un évêque doit avoir
aussi un économe pris dans son clergé, pour administrer les biens
de l'Ãglise selon l'avis de son propre évêque. Ainsi l'administration
de l'Ãglise ne sera pas sans contrôle, les biens de l'Ãglise ne seront
pas dissipés, et le sacerdoce sera à l'abri de tout reproche. Si l'évêque
n'agit pas ainsi, il sera soumis aux divins canons.
27. Ceux qui ravissent des femmes, même sous prétexte de ma-
riage, ceux qui aident ou approuvent ces ravisseurs, le saint synode
a décidé que, s'ils sont clercs, ils perdront leur place ; s'ils sont laïcs,
ils seront anathématisés.
234 TEXTES
XI
LETTRE DE SAINT LÃON AU CONCILE
DE CHALCÃDOINE *
(21 mars 453)
Léon, évêque, au Saint Synode qui s'est
tenu à Chalcédoine.
Je ne doute pas que Votre Sainteté sait que j'ai accueilli de
tout cÅur les décisions du saint Synode qui s'est tenu à Chalcé-
doine pour confirmer la foi ; après m'être attristé de voir l'unité de
la foi catholique troublée par les hérétiques, aucune raison ne
m'empêchait de me réjouir vivement de la voir rétablie. Vous auriez
pu l'apprendre non seulement par le fait même de l'adhésion de
mes légats, mais aussi par la lettre qu'après le retour de ceux-ci
j'ai adressée à l'évêque de Constantinople, si celui-ci avait bien
voulu vous faire connaître la réponse du Siège Apostolique.
Mais puisqu'une interprétation malveillante met en doute que
j'approuve ce que vous avez unanimement décidé en matière de foi
au synode de Chalcédoine, j'adresse à tous mes frères et collègues
dans l'épiscopat qui ont assisté au susdit concile la lettre présente,
que, sur ma demande, le très glorieux et très clément Empereur
daignera, pour l'amour de la foi catholique, faire porter à votre
connaissance. Aussi toute Votre Fraternité et les cÅurs de tous les
fidèles apprendront que j'ai uni ma sentence à la vôtre, non seule-
ment par les frères qui ont tenu ma place, mais aussi par mon
approbation des actes synodaux. Mais cela, â il faut le redire
souvent, â seulement en matière de foi, pour laquelle le concile
général a été réuni sur l'ordre des princes chrétiens, et avec le
consentement du Siège Apostolique, afin qu'une fois condamnés
les hérétiques qui refusaient de se corriger, il ne subsistât aucun
doute sur la vérité de l'incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Par conséquent, frères très chers, si quelqu'un ose jamais sou-
tenir la perfidie de Nestorius ou défend le dogme impie d'Eutychès,
qu'il soit retranché de la communion catholique, et qu'il n'ait aucune
participation au corps dont il nie la vérité.
* Ep. 114, ci-dessus 172. PL 54, 1027-1031 ; ACO II, iv, 70-71 ; texte
grec ib. II, i, 2, 61-62.
LEON AUX PÃRES DE CHALCÃDOINE 235
Mais il faut aussi garder les statuts des saints Pères, qui ont
été fixés à Nicée par des décrets inviolables ; je rappelle donc Ã
l'attention de Votre Sainteté que les droits des Ãglises doivent
demeurer tels qu'ils ont été réglés par les trois-cent-dix-huit Pères
inspirés de Dieu. Qu'une ambition coupable ne désire pas ce qui
ne lui appartient pas, et ne cherche pas à s'accroître en diminuant
les autres. L'orgueil et la vanité peuvent s'appuyer sur des votes
extorqués, et prétendre assurer leurs appétits du nom d'un concile ;
nul et sans effet sera tout ce qui s'écarte des canons des Pères
susdits. En lisant la lettre par laquelle j'ai repoussé les prétentions
de l'évêque de Constantinople, Votre Sainteté pourra apprendre de
quel respect le Siège Apostolique entoure ces canons, et qu'avec
le secours de Dieu je suis le gardien de la foi catholique et des
constitutions de nos Pères.
Donné le douze des calendes d'avril, sous le consulat du claris-
sime Opilion.
CHRONOLOGIE *
107
li sept.
408
410
25 août
412
419 ou
420
422
10 sept.
423
425
428
10 avril
fin
429
mai
fin de l'été
430
janv. ou fév,
15 Juin
11 août
28 août
début nov.
19 nov.
Mort de saint Jean Chrysostome.
Théodose II, empereur d'Orient.
Prise de Rome par Alaric.
Cyrille, patriarche d'Alexandrie.
Mort de saint Jérôme.
Célestln, pape.
Mort d'Honorius, empereur d'Occident.
Usurpation de Jean, primicier des no-
taires.
Valentlnien III, empereur d'Occident.
Mort de Théodore de Mopsueste.
Nestorius, patriarche de Constantinople.
Prédications de Nestorius contre le théotokos. Lettre
pascale (17) de Cyrille d'Alexandrie et lettre aux
moines d'Egypte contre Nestorius.
Genséric et les Vandales débarquent en
Afrique.
Lettre de Cyrille à Nestorius (Ep. 2) et réponse de
celui-ci (Inter Cgr. Ep. 3).
Seconde lettre de Cyrille à Nestorius (Ep. 4).
Réponse de Nestorius à Cyrille (Inter Cyr. Ep. 5).
Apparition des Huns sur le Rhin.
Siège d'Hippone par les Vandales.
Un synode romain exige de Nestorius qu'il se rétracte
dans les dix jours (Célestln, Epp. 11-14).
Mort de saint Augustin.
Synode d'Alexandrie. Une délégation porte à Cons-
tantinople la lettre 17 de Cyrille avec les douze
anathéniatismes.
Théodose II convoque un concile à Ãphèse pour le
7 juin 431.
* Ce tableau chronologique s'inspire étroitement de celui, très complet, qu'a
dressé le P. A. Schonmetzer dans Chalkedon II, 946-967. On trouvera là toutes
les justifications nécessaires que nous omettons ici.
CHRONOLOGIE
237
431 février
7-15 mal
22 juin
26 juin
10 juillet
16-17 juillet
22 juillet
début août
S sept.
432
15 mars
SI juillet
fin
433
23 avril
431
435
436
Janv.-août ?
438
439
410
19 août
441
29 sept.
441 ou
442
444
27 juin
446
12 juillet
417
Capitulation d'Hlppone.
Célestin envole ses représentants au concile (Epp.
16-19)
Cyrille, arrivé à Ãphèse avant le 7, ouvre le concile
malgré les protestations des Orientaux. lr* session :
Condamnation de Nestorius.
Cyrille et Memnon
« Concile » des Orientaux
d'Ãphèse sont déposés.
Arrivée des légats romains. 2« et 3* sessions : Lecture
et approbation de la lettre de Célestin.
4* et 5* sessions : Annulation de la condamnation
de Cyrille et Memnon. Jean d'Antioche, cité à com-
paraître, refuse de venir. Lettres à l'empereur et au
pape.
6" session : Lecture du symbole de Nicée, approuvé
à l'exclusion de tout autre.
Théodose II dissout le concile.
Nestorius relégué dans un monastère à Antioche.
Mort de Paulin de Noie.
Patrick en Irlande.
Mort de Célestin.
Xyste III, pape.
Négociations entre les Orientaux et Cyrille.
Mort de Jean Cassien.
Lettre de Cyrille à Jean d'Antioche (Ep. 39).
Avènement d'Attila. Razzias des Huns
dans les Balkans : Constantinople est
menacée.
Activité des partisans de Nestorius en Arménie.
« Tome » de Proclus aux Arméniens.
Nestorius est exilé à Pétra (Arabie) puis plus tard en
Egypte (Grande Oasis).
Code théodosien.
Prise de Carthage par Genséric.
Mort de Xyste III.
238
CHRONOLOGIE
448 débat
avril
1" Juin
octobre
8-22 nov.
fin nov.
449 Janv.-fiv.
18 fév.
30 mars
13 mat
13 Juin
6 août
8-22 août
août-sept.
29 sept.-13 oct.
449-450
450 28 Juillet
24-25 août
22 novembre
451
Eutychès écrit à Léon contre l'activité des partisans
de Nestorius.
Mesures prises contre Théodoret de Cyr.
Réponse de Léon à Eutychès (Ep. 20)
Procès d'Ibas d'Edesse, à Béryte.
A Constantlnople, le synode endémousa juge et con-
damne Eutychès.
Euychès déposé en appelle à Léon, à Pierre Chry-
sologue et a plusieurs Ãglises. (Inter Léon. Ep. 21).
Flavien écrit à Léon (Inter Léon. Ep. 22).
Léon écrit à Eutychès et à Théodose (Epp. 23-24).
Théodose II convoque un concile à Ãphèse pour le
1" août 449.
Théodose invite Léon au concile.
Lettre dogmatique de Léon à Flavien (Ep. 28)
Théodose confie à Dioscore la présidence du concile.
Synode (« Brigandage ») d'Ãphèse : rejet de la doc-
trine des deux natures. Eutychès réhabilité. Flavien
déposé et banni.
Flavien, Théodoret et Eusèbe de Dorylée en appellent
à Léon.
Synode de Rome, qui annule les décisions d'Ãphèse
et réclame la convocation d'un concile général en
Italie.
Lettres de Léon réclamant un concile en Italie (Epp.
54, 55-58, 69-71).
Mort de Théodose II. Pulchérie prend le pouvoir.
Eutychès interné a Constantlnople.
Pulchérie épouse Marcien et l'associe à l'empire. Pour
la première fois un empereur d'Orient est sacré par
l'Ãglise.
Marcien et Pulchérie invitent Léon à un nouveau
concile (Inter Léon. Epp. 76-77).
Attila envahit les Gaules.
23 mai
2k Juin
22 sept.
Marcien convoque un concile à Nicée pour le 1" sep-
tembre.
Léon charge Paschasinus de Lilybée de présider le
concile à sa place (Epp. 88 sq.).
Attila battu par Aetius aux Champs
Catalauniques.
Le concile, prévu à Nicée, se tiendra à Chalcédoine.
CHRONOLOGIE
8 octobre
10 octobre
13 octobre
17 octobre
22 octobre
25 octobre
26-30 octobre
30-31 octobre
début nov.
18 décembre
451 ?
452 27 janvier
printemps
22 mai
Juillet
453 15 février
21 mars
Ouverture du concile de Chalcédolne. 1⢠session :
Lecture des Actes du synode d'Ãphèse. Flavlen réha-
bilité.
2e session (actio 3 a) : Lecture du symbole « de Nicée-
Constantinople », des lettres de Cyrille et Léon.
3* session (actio 2 a) : Déposition de Dioscore.
4* session : Approbation de la lettre de Léon. Admis-
sion au concile des évêques déposés par Dioscore.
5* session : Discussion sur le projet de formule dog-
matique ; une nouvelle formule est adoptée.
6* session : Confirmation solennelle de la formule
dogmatique, en présence de Marcien et de Pulchérie.
7* session : promulgation de vingt cinq canons.
8'-15* sessions : Discussion et règlement des cas de
Théodoret, Ibas, Domnus d'Antloche . .. Discussions
sur le « 28* canon ».
16* et 17* sessions : Suite de la discussion sur le
« 28* canon » ; lecture de la lettre de Léon au concile
(Ep. 93).
Lettre synodale à Léon (Inter Léon. Ep. 98).
Lettres de Marcien et d'Anatolius de Constantinople
à Léon (Inter Léon. Epp. 99, 100). Elles informent
le pape des décisions prises par le concile et se
plaignent de la résistance des légats au < 28* canon ».
Mort de Nestorius.
Lettre de Léon aux évéques de Gaule sur le concile
de Chalcédolne (Ep. 110).
Attila envahit l'Italie.
Lettres de Léon à Marcien, Pulchérie, Anatolius, Ju-
lien de Kios contre le « 28* canon » (Epp. 104-107).
Léon I" traite, près de Mantoue, avec
Attila. Celui-ci promet d'évacuer l'Italie.
Marcien demande à Léon la confirmation du concile
de Chalcédolne (Inter Léon. Ep. 110).
Léon écrit aux évéques qui ont siégé à Chalcédolne,
à Marcien, à Julien de Kios, pour confirmer le concile
k l'exception du « 28* canon »
Mort de Pulchérie,
457
Mort de Marcien.
461
10 novembre
Mort de Léon I".
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
EPHÃSE
SOURCES ANCIENNES ET ÃDITIONS.
Il n'y a pas eu de publication officielle des Actes du Concile d'Ephèse,
mais des collections de documents divers, rassemblés à titre privé, soit
à Alexandrie, dans l'entourage de saint Cyrille, soit dans les milieux
favorables à Nestorius (voir un exposé d'ensemble dans B. Altaner,
Patrologie, § 50, 17, ou dans G. Bardy, Histoire de FÃglise [Fliche et
Martin] IV, 163-164).
Des compilations alexandrines, nous avons conservé trois témoins grecs,
la Vaticana, la Segueriana, l'Atheniensis, dont le contenu se recoupe en
partie.
Ces documents ont été traduits en latin à plusieurs reprises au cours
du vi* siècle. Le diacre romain Rusticus fit, en 564-565, une traduction
conservée dans la Collectio Casinensis et connue sous le nom de Synodicon
adversus tragoediam Irenaei : sa source principale est en effet la Tragédie
du comte Irénée, un ami de Nestorius, qui avait conservé nombre de
documents originaux. La Collectio Veronensis fut sans doute compilée
à Rome ; elle conserve beaucoup de lettres du pape Célestin. La Collectio
Palatina, qui utilisa les écrits de Marius Mercator ainsi que de nombreux
documents originaux, a peut-être été rassemblée à Constantinople ou en
Thrace par un moine scythe.
Les anciennes collections conciliaires (par exemple Labbe-Cossart, III,
Hardouin, I, Mansi, IV-V) reproduisent la Vaticana, en y insérant à leur
place chronologique les documents qu'elle ne contient pas. Le Synodicon
de Rusticus a été réimprimé, d'après l'édition de Mansi, à la suite des
Åuvres de Théodoret, dans la Patrologie Grecque, 84.
Ces anciennes éditions sont maintenant remplacées par l'entreprise
monumentale d'ED. Schwartz, qui a édité séparément chaque collection,
en donnant toutes les indications désirables sur l'origine, le contenu, le
texte, les tendances de chacune. C'est donc aux Acta Conciliorum Oecume-
nicorum, deux tomes en onze volumes (Berlin 1921-1938), qu'il faut désor-
242 ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
mais recourir, bien que le maniement de ces volumes soit assez difficile :
les différentes collections ayant été éditées séparément en des fascicules
distincts, il faut sans cesse se reporter de l'un à l'autre ; il n'y a pas
toujours de pagination uniforme, les index, qui ne sont pas non plus faits
de façon uniforme, ne sont pas aisés à consulter... mais on est payé
de sa peine !
Le Tome II, en cinq volumes, contient les Actes d'Ephèse (1921-1929) :
Vol. I, fasc. 1-6, Coll. Vaticana ; 7, Coll. Segueriana, Atheniensis, etc. â
Vol. II, Coll. Veronensis (trad. Lat.) â Vol. III-IV, Coll. Casinensis
(Synodicon de Rusticus). â Vol. V, Coll. Palatina, etc.
Aux documents conciliaires on ajoutera, comme sources anciennes, les
historiens comme Socrate, Histoire Ecclésiastique, VII, 29-34 ; Evagre,
Histoire Ecclésiastique, I, 2-7 ; Liberatus, Breviarium causae Nestoria-
norum et Eutychianorum, composé vers 560 contre la politique religieuse
de Justinien (PL 68, 969-1052 ; ACO II, v).
OUVRAGES GÃNÃRAUX.
L'Histoire des Conciles de Hefele (1855 et suiv.), traduite en français
et complétée par Dom H. Leclercq (Paris, 1907 et suiv.), reste un recueil
utile, bien qu'assez unilatéral, et dépassé en bien des points particuliers
(T. II pour le concile d'Ephèse).
On se reportera aux histoires générales de l'Eglise, p. ex. à celle de
Mgr L. Duchesne, Histoire ancienne de TÃglise, t. III, Paris, 1911, remar-
quable par la maîtrise d'une matière vaste et complexe comme par l'aisance
et la vivacité du récit, mais malheureusement gâtée par un parti pris anti-
cyrillien, et une regrettable désinvolture à l'égard des problèmes doctri-
naux. On ne peut l'utiliser qu'avec précaution (à l'Index).
On verra aussi dans l'Histoire de VÃglise (A. Fliche et V. Martin),
t. IV (Paris, 1935), les chapitres de G. Bardt, qui suit d'assez près le récit
de Duchesne, sans partager pourtant tous ses jugements.
Outre les ouvrages généraux d'histoire des dogmes (J. Tixeront, t. III,
G. L. Prestige, Fathers and Heretics, London, 1940, ch. VI et VII,
J. N. D. Kelly, Early Christian Doctrines, London, 1958), on lira dans
le recueil Dos Konzil von Chalkedon (voir p. 245) l'étude considérable
du P. A. Grillmeier sur le développement de la doctrine christologique
jusqu'au v* siècle : Die theologische und sprachliche Vorbereitung der
christologischen Formel von Chalkedon, I, 5-202.
Le volume de Mgr P. Batiffol, Le Siège Apostolique, Paris, 1924,
consacre trois importants chapitres (ch. VI, VII, VIII) à la période que
nous étudions, considérée du point de vue de l'histoire de la primauté
romaine et de ses rapports avec l'Orient. D'un point de vue analogue,
mais d'un esprit différent, le grand ouvrage d'E. Caspar, Geschichte des
Papsttums, t. I, Berlin, 1930.
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES 243
On trouvera enfin quelques indications sur l'histoire et la théologie
des conciles de l'antiquité dans notre contribution à l'ouvrage collectif,
Le Concile et les Conciles, Chevetogne-Paris, 1960, ch. III, Les
conciles Åcuméniques des iv* et v* siècles, 45-74.
ÃTUDES PARTICULIÃRES.
Les fragments de Nestorius ont été rassemblés par F. Loofs, Nestoriana,
Halle, 1905. Sur la doctrine de Nestorius, on pourra lire, de deux points
de vue tout différents, M. Jugie, Nestorius et la controverse nestorienne,
Paris, 1912, et F. Loofs, Nestorius and his place in the history of Christian
doctrine, Cambridge, 1914. L'art. d'E. Amann, Nestorius, dans le DTC
11, 1, 76-157, bien informé, nous paraît très équilibré, sans partialité ni
pour ni contre Nestorius. â Voir aussi P.-Th. Camelot, De Nestorius
à Eutychès : l'opposition de deux christologies, dans Chalkedon, I, 213-242.
Ce volume était achevé quand nous avons pris connaissance d'un im-
portant article du P. A. Grillmeier, Dos Scandalutn oecumenicum des
Nestorius in kirchlich-dogmatischer und theologiegeschichtlicher Sicht,
dans Scholastik 36 (1961), 321-336. Tout en accordant que Nestorius, dans
son effort pour écarter l'arianisme et l'apollinarisme, n'a pas su rester
fidèle à la tradition, le P. Grillmeier, s'appuyant surtout sur Le livre
iï'Héraclide, reconnaît au patriarche de Constantinople, plus qu'on ne le
fait d'ordinaire, une véritable valeur spéculative, où il décèle l'influence
des Cappadociens. Il faudra sans doute nuancer désormais l'appréciation
que l'on portera sur la théologie de Nestorius. Toutefois, comme Le livre
d'Héraclide est postérieur de vingt ans aux événements qui font l'objet
de ce volume, nous n'avons pas cru devoir modifier essentiellement ce
que nous y écrivons de Nestorius.
Voir encore L. I. Scipioni, Ricerche sulla Cristologia del « Libro di
Eraclide » di Nestorio. La formulazione e il suo contesta jilosojico,
Fribourg, Suisse, 1956.
Sur la théologie de Saint Cyrille, voir, outre les ouvrages généraux et
les articles de dictionnaires : H. du Manoir, Dogme et Spiritualité chez
saint Cyrille d'Alexandrie, Paris, 1944, exposé complet, qui fait le point
de tous les travaux antérieurs. Voir encore J. Liébaert, La doctrine christo-
logique de saint Cyrille d'Alexandrie avant la querelle nestorienne, Lille,
1951 et H. Diepen, Aux origines de Vanthropologie de saint Cyrille
d'Alexandrie, Bruges, 1957.
Le centenaire du Concile d'Ephèse (1931), solennellement commémoré
par une encyclique du Pape Pie XI, Lux veritatis (25 décembre 1931, dans
AAS 23 (1931), 493-517), a provoqué de nombreux travaux, dont nous
ne pouvons citer ici que quelques-uns :
R. Devreesse, Les Actes du Concile d'Ephèse, dans Rev. des Se. Phil.
et Théol. 18 (1929), 223-242, 408-431 ; P. Galtier, Le centenaire d'Ãphèse.
244 ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Rome et le Concile, dans Rech. de Se. Rel. 21 (1931), 169-199, 269-298 ;
J. Lebon, Autour de la définition de la foi au Concile d'Ãphèse, dans
Ephem. Theol. Lov. 8 (1931), 393-492.
Le livre du P. Ad. d'Alês, Le dogme d'Ãphèse, Paris, 1931, est un
« ouvrage de vulgarisation écrit par un théologien des plus avertis »
(G. Bardy).
Plus récemment, Mgr G. Jouassard a donné dans Maria, I (Paris, 1949),
122-136, un récit extrêmement précis et exact de la suite des événements.
D'un point de vue opposé, les articles d'E. Amann, L'affaire Nestorius
vue de Rome, dans Rev. des Se. Rel. 23 (1949), 5-37, 207-244 ; 24 (1950),
28-52, 235-265.
Sur les rapports entre le concile et le pape, outre le livre de P. Batiffol
et l'article du P. Galtier, cités ci-dessus, voir encore V. Grumel, Le
Concile d'Ãphèse. Le pape et le Concile, dans Ãchos d'Orient, 34 (1931),
293-313 ; M. Jugie, Le Décret du Concile sur la formule de foi et la
polémique en Orient, ib., 257-270.
CHALCÃDOINE.
SOURCES ANCIENNES ET ÃDITIONS.
Du concile de Chalcédoine nous avons conservé en grec les procès-
verbaux, extrêmement détaillés, des dix-sept sessions, publiés, avec des
documents annexes, peu après le concile ; â nous avons aussi trois
collections de lettres (de saint Léon, des empereurs, d'évêques, etc.).
On notera que, concernant l'ordre des séances, les manuscrits inter-
vertissent la 3e (13 oct.) et la 2" session (10 oct.). De plus les manuscrits
donnent aux sessions le titre de Praxis (dans les trad. lat. Actio : Actio
prima, secundo) : il est bon de faire remarquer que ces dénominations
ne correspondent pas toujours à la suite chronologique des séances, de
même que certaines de celles-ci ne sont pas rangées sous la rubrique
d'Actio.
Plusieurs collections latines ont conservé soit la traduction des Actes
grecs, soit les originaux des lettres de saint Léon : Collectio Novariensis
de re Eutychis, documents rassemblés dès 450 peut-être sur l'ordre de
saint Léon ; â Collectio Vaticana, qui en son état actuel date du premier
quart du vi" siècle ; â la traduction des Actes du concile faite par
Rusticus (cf. page 241) ; plusieurs collections de lettres de saint Léon.
Comme pour les Actes d'Ephèse on trouve ces documents rassemblés
dans les anciennes éditions des conciles (Labbe-Cossart, IV ; Hardouin,
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES 245
II ; Mansi, VI), mais surtout dans Ed. Schwartz, Acta Conciliorum
Oecumenicorum, tome II en six volumes (Berlin 1932-1938). (Vol. i, lettres
et Actes grecs ; Vol. n, 1, Coll. Novariensis ; 2, Vaticana ; Vol. ni, trad.
lat. des Actes grecs (Rusticus) ; vol. iv, Lettres de S. Léon). Pour la suite
des séances, les ACO gardent l'ordre, fautif, des manuscrits.
Comme autres sources anciennes, on citera, avec Evagre et Liberatus,
déjà cités, les Geste de nomine Acacii vel breviculum historiae Eutychia-
nistarum, rédigés vers 486 par le futur pape Gélase (PL 59, 928-934.
CSEL, 35, 440-453), et surtout les Lettres de saint Léon, qui sont un
document capital pour cette histoire (PL 54, d'après l'édition des Ballerini).
Les lettres relatives à l'affaire d'Eutychès et au concile de Chalcédoine
ont été éditées par le P. C. Silva-Tarouca, S. Leonis Magni epistulae
contra Eutychis haeresim (Textus et Documenta, 15 et 20), Rome, 1934-
1935, et par Ed. Schwartz, ACO II, rv (ci-dessus).
OUVRAGES GÃNÃRAUX.
Ils ont été indiqués à propos d'Ephèse (voir page 242). Chalcédoine
est traité dans Hefele-Leclercq au tome II B.
ÃTUDES PARTICULIÃRES.
Sur théodoret, voir les art. de M. Richard, L'activité littéraire de
Théodoret avant le concile d'Ephèse, dans Rev. des Se. Phil. et Théol.
24 (1935), 83-106 ; Notes sur révolution doctrinale de Théodoret, ib.,
25 (1936), 459-481. J. Montalverne, Theodoreti Cyrensis doctrina antiquior
de Verbo « inhumanato », Rome, 1948. H. Diepen, Théodoret et le dogme
d'Ephèse, dans Rech. de Se. Rel. 44 (1956), 243-248.
Sur saint léon, outre les chapitres que lui consacrent P. Batiffol,
E. Caspar, H. Rahner dans les volumes ou recueils déjà cités, on lira, de
P. Batiffol encore, l'art. Saint Léon dans le DTC 9, 1 (1926), 218-301.
T. Jalland, The Times and Life on St. Leo the Creat, London, 1941.
A. Lauras, Saint Léon le Grand et la Tradition, dans Rech. de Se. Rel.
48 (1960), 166-184. Sur les sources du Tome à Flavien, voir J. Gaidioz,
Saint Prosper d'Aquitaine et le Tome à Flavien, dans Rech. de Se. Rel.,
23 (1949), 270-301. â Enfin, le quinzième centenaire de la mort de
S. Léon a été l'occasion d'une encyclique de S. S. Jean XXIII, Aeterna
Dei Sapientia (11 nov. 1961), AAS 53 (1961), 785-803.
Le centenaire du concile de Chalcédoine (1951) a aussi été l'occasion
d'importantes publications, et d'abord d'une encyclique du pape Pie XII,
Sempiternus Rex (8 sept. 1951), dans AAS 33 (1951), 625-644.
Les PP. A. Grili.meier et H. Bacht ont dirigé la publication d'un re-
246 ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
cueil considérable en trois volumes, Dos Konzil von Chalkedon, Wurzburg,
1952-1954 : le premier volume est consacré aux préliminaires historiques
et théologiques du concile, et à ses résultats doctrinaux ; le second aux
controverses autour de Chalcédoine et aux résultats du concile pour la
vie de l'Eglise et l'histoire de la théologie ; le troisième à ses répercussions
dans la théologie moderne et dans le dialogue Åcuménique. Le vol. 2
comporte une table chronologique détaillée (A. Schônmetzer), et le 3*
une bibliographie très complète (id.).
Dans le l" volume nous relèverons les chapitres suivants, qui intéres-
sent plus directement notre sujet, et qui nous ont été plus particulièrement
utiles :
A. Grillmeier, Die theologische und sprachliche Vorbereitung der
christologischen Formel von Chalkedon (la formule de Chalcédoine au
terme du développement du dogme christologique), 5-202.
P.-Th. Camelot, De Nestorius à Eutychès : Vopposition de deux christo-
logies, 213-242.
M. Goemans, Chalkedon als « Allgemeines Konzil » (un concile « uni-
versel»), 251-289.
A. M. Schneider, Sankt Euphemia und dos Konzil von Chalkedon
(Sainte Euphémie, son culte, son sanctuaire ; la basilique du concile),
291-302.
P. Goubert, Le rôle de Sainte Pulchérie et de l'eunuque Chrysaphios,
303-321.
H. Rahner, Leo der Grosse, der Papst des Konzils (portrait de S. Léon,
sa sacerdotalis moderatio), 323-339.
P. Gautier, Saint Cyrille d'Alexandrie et saint Léon le Grand à Chal-
cédoine (diversité de points de vue et de langage, accord dans la foi),
345-387.
I. Ortiz de Urbina, Dos Glaubenssymbol von Chalkedon â sein Text,
sein Werden, seine dogmatische Bedeutung (l'élaboration de la formule
de Chalcédoine, sa portée dogmatique), 389-418.
On peut citer aussi le livre juste et équilibré de R. V. Sellers, The
Council of Chalcedon, London, 1953.
Parmi les innombrables articles traitant de la question doctrinale
et publiés autour de 1951, nous retiendrons surtout celui du P. M.-J.
Nicolas, La doctrine christologique de S. Léon le Grand, dans Rev. Thom.
51 (1951), 609-662 ; et ceux du P. H. du Manoir, Le quinzième centenaire
du Concile de Chalcédoine, dans Nouvelle Revue Théologique, 73
(1951), 785-803 ; Saint Léon et la définition dogmatique de Chalcédoine,
dans L'Année Théologique, 1951, 291-304. â Pour l'histoire des théologies
en présence, on pourra lire P.-Th. Camelot, Théologies grecques et
théologie latine à Chalcédoine, dans Rev. des Se. Phil. et Théol. 35
(1951), 401-412.
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES 247
Les Douze Dialogues de Christologie ancienne de Dom H. Diepen,
Rome, 1960, reprennent divers articles dont plusieurs touchent au concile
de Chalcédoine. Du même, Les Trois Chapitres au Concile de Chalcé-
doine. Une étude de la Christologie de FAnatolie ancienne, Oosterhout,
1953.
INDEX '
Acace de Bérée, 40, 71, 79.
Acace de Mélitène, 48, 52, 80.
Alexandre de Hiérapolis (Mab-
boug), 79.
Alexandrie : théologie, 17-19.
Anathématismes (v. Cyrille), 41-
42, 52, 67-68, 72 ; au brigandage
d'Ãphèse, 111 ; à Chalcédoine,
127 ; texte, 206-207.
Anatole de Constantinople, 114,
116-117, 121, 127, 130-133, 169
173.
Antioche : théologie, 22, 24 ; pa-
triarcat, 151-152.
Apollinaire de Laodicée, 20-22.
Arcadius, empereur, 42.
Arcadius, légat de Célestin, 47, 57.
Arius, 7, 19.
Athanase d'Alexandrie, 17, 37.
Arncus de Nicopolis, 127.
Augustin, 46, 99, 143.
Bar Sauma, 92, 104, 131, 158, 160.
Basile de Séleucie, 124.
Boniface, prêtre, 119, 136.
Candidien, comte, 50, 54.
Capréolus de Carthage, 46, 56.
Cassien, 33, 96.
Célestin, pape, 10, 33, 40-41, 46,
47, 63, 146.
Chalcédoine, 121 ; la basilique,
121, 127.
Charisius, 57.
Chrysaphe, 89, 90, 105, 113.
Constantinople : symbole, 126, 138,
225; patriarcat, 161-167.
Cyrille d'Alexandrie, son carac-
tère, 35-36 ; sa théologie, 17, 18,
36-39, 80-82, 103 ; anathéma-
tismes, 41-42, 57, 67-68, 72. C.
à Ephèse, 47-54, 57, 58, 59, 62 ;
C. et Jean d'Antioche, 71-72 ;
mort, 85 ; C. à Chalcédoine, 124-
127, 140, 142-144; lettres Ã
Nestorius, 191-194, 198-207 ;
lettre à Jean d'Antioche, 211-215.
Diodore de Tarse, 22-24.
Dioscore d'Alexandrie, 87, 89, 91 ;
au brigandage d'Ãphèse, 106-
111; 115; à Chalcédoine, 126,
142-144.
Domnus d'Antioche, 85, 87, 89,
106, 111.
Dulcitius, 106, 107, 111.
Elpidius, comte, 106, 107.
Ãphèse, 44 ; la basilique, 50.
Eranistes, 87-88.
Eudocie, 40, 42, 89, 115.
Eulogius, tribun, 106.
Eusèbe de Dorylée, 27, 31, 90, 107,
122, 166.
Eustathe de Béryte, 85, 124, 154.
* Sans prétendre être complet, cet index relève les noms de tous les
personnages de quelque importance, ainsi que les « mots-clés », historiques
ou doctrinaux.
252
INDEX
Eutyches, 8, 88-93, 104-108, 115,
138, 175-176, 178, 179.
Ãvagre le Scholastique, 9.
Flavien de Constantinople, 90, 92,
93, 106-110, 124-125.
Calla Placidia, 113.
Grégoire de Nazianze, 14, 21.
Hilaire, diacre, 97, 106, 107, 109-
112.
Hypostase, 30, 37-38, 66, 81, 83,
84, 103, 148 (v. personne).
Ibas d'Ãdesse, 84-85, 111, 154-155,
158.
Ignace d'Antioche, 15, 17, 172.
Jean d'Antioche, 14, 48, 54 ; ex-
communié à Ephèse, 56 ; 62 ;
lettre à Cyrille, 71, 209 ; 85, 139.
Jean Chrysostome, 22, 25.
Jean, comte, 58.
Jérusalem : patriarcat, 151-152.
Jules de Pouzzoles, 97, 106, 107.
Julien d'Hypaïpè, 128.
Julien de Kios, 98, 113, 119.
Juvenal de Jérusalem, 40, 47, 50,
51, 57, 107-108, 121, 123. 130,
151-152.
Léon Ier, pape, 33, 89, 91, 92, 95-
97 ; lettre à Flavien, 98-100, 216-
223 ; sa théologie, 100-105 ; 110,
112-114, 116-120, 126, 129, 170-
173 ; lettre aux Pères de Chal-
cédoine, 234-235.
Lucentius d'Ascoli, 119, 122, 136,
165, 166.
Marcien, empereur, 115-118, 120,
134, 136-137, 151, 169, 172-173.
Maris, 84.
Marius Mercator, 26, 27.
Maxime d'Antioche, 128, 151-152.
Maximien de Constantinople, 60,
82.
Memnon d'Ephèse, 47, 50, 56, 58.
Mia physis, 20, 22, 38, 79-81, 142.
Nature, 23-24, 99, 102, 147-150
(v. Physis).
Nestorius, 8, 13 ; son caractère,
25-26 ; sa théologie, 26-31 ; Ã
Ephèse, 48 ; condamnation, 53,
58 ; exil, 63, 64 ; 138, 146 ; lettre
à Cyrille, 194-196 ; sentence de
déposition, 208.
Nicée : concile, 7, 15, 65, 126, 138,
151, 175, 225.
Origène, 13.
Palladius d'Amasée, 52.
Paschasinus de Lilybée, 119, 122,
127-129, 130, 132-136, 154-155,
165.
Paul d'Emèse, 71.
Personne, 102, 148 (v. hypostase,
prosôpon).
Philippe, prêtre romain, 47, 56, 57,
64.
Photius de Tyr, 132, 154.
Physis, 37-39, 66, 80-81, 103, 148
(v. nature).
Pierre Chrysologue, 91.
Proclus de Constantinople, 32, 82-
INDEX
253
Théodoret de Cyr, 9, 37 ; excom-
munié à Ephèse, 57, 59 ; 71, 85-
88, 94, 111, 130, 141, 147 ; réha-
bilité, 152-154.
Théodose II, empereur, 25, 40, 42,
44-45, 55, 93, 97, 112-114.
Théodote d'Ancyre, 48, 52.
Théotokos, 13-14, 24, 28, 39, 59,
61 ; définition à Ephèse, 66-70 ;
71, 72, 86, 138, 146.
Tome à Flavien, 96, 98-100, 104,
139, 140, 143; texte, 216-223.
Tome aux Arméniens, 83-84.
Valentinien III, empereur, 113.
Xyste III, pape, 63, 70, 72, 95.
TABLE
Introduction. Les Conciles du Ve siècle et le problème
christologique 7
ÃPHESE
Chapitre premier. Les antécédents doctrinaux et spirituels
du concile 13
La Theotokos : Marie, Mère de Dieu, 13. Le mystère de l'unité
du Christ, 14. Mystère et problèmes, 16. Christologie unitaire,
17. Le problème de l'âme du Christ, 18. Christologie dualiste, 22.
Chapitre II. Nestorius et saint Cyrille 25
Nestorius, patriarche de Constantinople, 25. Les déficiences
d'une théologie, 26. Remous à Constantinople, à Rome et en
Egypte, 31. Cyrille, patriarche d'Alexandrie, 35. Une théologie
du Verbe Incarné, 36. Nature et hypostase, 37. Cyrille, Nestorius
et le pape Célestin, 39.
Chapitre III. Le concile d'Ãphèse 44
La convocation du concile, 44. L'arrivée à Ãphèse, 46. L'ouver-
ture du concile, 48. Première session : déposition de Nestorius,
50. L'arrivée de Jean d'Antioche et le synode des Orientaux, 54.
L'arrivée des légats romains et la reprise du concile, 55. L'ar-
rivée du comte Jean et l'arrestation de Cyrille, Memnon et
Nestorius, 57. Dernières tractations théologiques et dissolution
du concile, 58.
Chapitre IV. Le dogme d'Ãphèse « 61
Le vrai concile d'Ãphèse ? 61. La condamnation de Nestorius,
63. Une définition dogmatique ? 65. Marie, « Mère de Dieu »,
68. L'union de 433 : la foi commune de l'Ãglise, 70.
256 TABLE
CHALCEDOINE
Chapitre premier. D'Ãphèse à Ãphèse : Eutychès 79
Opposition des Orientaux à saint Cyrille, 79. Inquiétude des
Cyrilliens, 80. Le < Tome » de Proclus, 82. Ibas d'Edesse, 84.
Théodoret de Cyr, 85. La théologie de Théodoret : l'Eranistes,
87. Le moine Eutychès, 88. Le synode de Constantinople et la
condamnation d'Eutychès, 90. Les protestations d'Eutychès, 91.
La convocation du second concile d'Ãphèse, 93.
Chapitre II. Saint Léon et le « Tome » à Flavien. Le bri-
gandage d'Ãphèse 95
Le pape et l'erreur d'Eutychès, 95. Le « Tome » à Flavien, 98.
La théologie de saint Léon, 100. Un concile de brigands : Ãphèse,
août 449, 105. L'appel à Rome, 111. La réaction de saint Léon,
112.
Chapitre III. Le concile de Chalcédoine 115
Vers un nouveau concile, 115. La convocation du concile à Nicée,
117. Le transfert du concile de Nicée à Chalcédoine, 120. Première
session : Réhabilitation de Flavien, 121. Deuxième session :
Vers une formule de foi, 126. Troisième session : Déposition de
Dloscore, 127. Quatrième session : Questions de personnes, 130.
Cinquième session : La définition dogmatique, 132. Sixième
session : L'approbation impériale, 136.
Chapitre IV. La définition de Chalcédoine 138
Analyse et sources de la formule de fol, 138. La théologie de
Chalcédoine, 142. Le dogme de Chalcédoine, 146.
Chapitre V. Les dernières sessions du concile. Les canons
de Chalcédoine. Le pape et le concile 151
Juridictions rivales. Les débuts du patriarcat de Jérusalem, 151.
La réhabilitation de Théodoret, 152. L'affaire d'Ibas, 154. Les
canons de Chalcédoine, 155. Esprit de la législation de Chalcé-
doine, 158. Le recours à l'évèque de Constantinople et le « 28*
canon » de Chalcédoine, 161. La protestation des légats, 165. La
lettre du concile au pape, 167. Saint Léon et le concile, 170.
Confirmation du concile par le pape, 172.
Conclusion. Dogme et vie dans l'Ãglise. Rome et Constan-
tinople 175
Références 183
TABLE 257
TEXTES
I. Seconde lettre de saint Cyrille à Nestorius 191
II. Lettre de Nestorius à saint Cyrille 194
III. Troisième lettre de saint Cyrille à Nestorius .... 198
IV. Sentence de déposition de Nestorius 208
V. Décrets du concile d'Ãphèse 208
VI. Lettre de Jean d'Antioche à saint Cyrille 209
VII. Lettre de saint Cyrille à Jean d'Antioche 211
VIII. Lettre de saint Léon à Flavien de Constantinople 216
IX. Définition dogmatique de Chalcédoine 224
X. Canons de Chalcédoine 228
XI. Lettre de saint Léon au concile de Chalcédoine 234
Chronologie 236
Orientations bibliographiques 241
Carte 248
Index 251
Ce volume a été achevé d'imprimer
le 15 novembre 1962 sur les presses
de l'Imprimerie Savernoise et relié
dans ses ateliers.
Dépôt légal 4* trimestre 1962.