Guinée 1958-2008 L'indépendance
et ses conséquences
@ L'Harmattan, 2008 5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected] [email protected] ISBN: 978-2-296-07465-1 EAN : 9782296074651
Alpha Omar Sy Savané
Guinée 1958-2008 L'indépendance
et ses conséquences
Préface de Souleymane Kéita
L'Harmattan
Dédicace Ce livre est dédié à :
-
feu Ahmèd Sékou TOURÉ, l'indépendance guinéenne;
père
de
- général Lansana CONTÉ, le soldat qui a su préserver la souveraineté nationale et l'intégrité territoriale; - feu El Hadj Sékou SY SAVANÉ, mon père, qui m'a éduqué dans le sens du partage du saVOIr.
Table des matières Préface
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A vant-p TOpOS........................................................................
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Première partie: La lutte pour l'indépendance, l'indépendance et ses conséquences ...................................
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Chapitre 1 : L'éveil politique de l'Afrique........................
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Chapitre 2 : Les dates glorieuses de 1958......................... 2.1. Le 25 août 1958............................................................. 2.2. Le 28 septembre 1958.................................................... 2.3. Le 2 octobre 1958.......................................................... 2.4. Le 12 décembre 1958.....................................................
19 19 21 23 24
Chapitre 3 : La paire de gifles de Sékou Touré à Charles de Gaulle ............................................................. 3.1. La première gifle ............................................................ 3.2. La seconde gifle ............................................................. 3.3. Le destin des deux hommes ........................................... 3.4. Le tableau des dates d'indépendance des pays africains
27 27 33 37 44
Chapitre 4 : Les conséquences de la proclamation de l'indépendance de la République de Guinée sur le plan international..................................................... 4.1. Les conséquences nuisibles............................................ 4.2. Les conséquences positives............................................ 4.3. La Guinée et les Conventions avec la Communauté économique européenne (CEE) .......... - les conventions d'application et d'association............. - les conventions de Lomé ............................................. Deuxième partie: Les questions d'actualité .................................................... Chapitre 1: La Guinée et les États-Unis d'Afrique......... 1.1. Avant l'indépendance nationale ..................................... 1.2. Après l'indépendance..................................................... 1.3. La nécessité de l'intégration africaine et ses principes politiques .....................................................
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59 63 63 64 67
lA. La place des Etats-Unis d'Afrique unie dans le concert des nations....................................................
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Chapitre 2 : Du cinquantenaire de la République de Guinée, le 2 octobre 2008 71 2.1. Pas de panique, le cinquantenaire n'est contre personne 71 2.2. L'évaluation de la République de Guinée 74 Chapitre 3 : Le Concept de changement en République de Guinée.................................................... 3.1. Défmition et nature ........................................................ 3.2. Les insuffisances de la feuille de route du 27 janvier 2007 ................................................................ 3.3. Relation entre la loi fondamentale et l'Accord de Conakry du 27 janvier 2007 .......................... 304. La solution pour un changement qualitatif.....................
77 77 78 80 83
Chapitre 4 : Le pouvoir aux femmes ................................. 4.1. La démission des Guinéens ............................................ 4.2. Ce dont les Guinéennes sont capables............................ 4.3. Pourquoi le pouvoir aux Guinéennes ............................. 404. Les mesures concrètes à envisager.................................
85 85 87 89 91
Con cIusio n
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Bib Iiogra p hie
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Préface Il m'a été rarement demandé de faire la préface d'un livre qui rassemble en si peu de pages le passé, le présent et l'avenir d'un pays, et plus particulièrement de la République de Guinée. Une orchestration qui relève du génie. Aucune fausse note susceptible de balancer le document dans la politique politicienne, l'affairisme ou dans l'appât du gain individuel. Il ne s'agit que de la Guinée et des Guinéens. Un bel exemple pour les intellectuels que nous sommes. La densité du débat sur l'histoire politique de la Guinée et sur la volonté des Guinéens pour le changement qualitatif, c'est-à-dire en finir avec la pauvreté intentionnelle imposée aux populations par ceux qui profitent des biens de tous, appelle à la rescousse des cadres intègres, humbles et détenteurs d'une somme d'expériences solides et multidisciplinaires. Nous sentons dans ce livre le travail du moraliste, du sociologue, de l'historien, du géographe, de l'intemationaliste, du diplomate, etc. mais aussi et surtout, celui du commun des mortels. La clarté et la précision qui le caractérisent attireront plus d'un lecteur. L'auteur dépassionne le débat sur les thèmes traités dans le livre, et il est important de le citer d'entrée de jeu: « ... pour se mettre à l'abri de la partialité, de l'injustice et de l'intolérance, il serait mieux d'éviter la passion dans le débat, la subjectivité dans le jugement, la haine dans les sanctions et les desseins sordides d'écraser l'autre... ». Il tire entre autre la sonnette d'alarme sur l'incapacité des hommes (des Guinéens) à tirer la Guinée du sousdéveloppement chronique. Par voie de conséquence, il appelle à une meilleure répartition des pouvoirs de décision et de gestion au sein de l'État de Guinée en faisant plus de places aux femmes. Je recommande vivement la lecture de ce livre pour nous souvenir et pour bâtir grand. Conakry, le 25 juin 2008. Souleymane KÉIT A, Professeur, Chef du Département Cinéma et Audio-visuel de l'Institut Supérieur des Arts de Guinée
(IS.A.G. - Dubréka)
Avant-propos Je souhaite vivement, à travers cette publication, la sensibilisation de la jeunesse guinéenne et plus particulièrement des décideurs guinéens à tous les niveaux, au devenir de notre grand pays, la République de Guinée. Pour ce faire, j'estime qu'il faut les informer et les convaincre sur une nouvelle lecture de l 'histoire du pays à travers le prisme africain. Sensibiliser, informer et convaincre constituent le gage d'une motivation certaine pour une participation active de tous au combat pour un lendemain meilleur, un développement durable du pays. Ensemble, nous devons nous souvenir, nous souvenir pour bâtir grand. La place de la Guinée dans l'histoire passée et présente de l'Afrique n'est pas des moindres. La Guinée a été et restera un pion essentiel de l'histoire du continent qui interroge. Nous devons nous souvenir pour ne pas nous laisser abattre par les difficultés quotidiennes inhérentes à la vie de toute société humaine; nous souvenir pour ne pas perdre la place qui est la nôtre sur la scène africaine et internationale. Vous trouverez dans les pages qui suivent quelques pans de l'histoire de la République de Guinée depuis le 25 août 1958. J'ai rassemblé dans la première partie, les pans relatifs aux dates glorieuses de 1958, à la paire de gifles de Sékou Touré au général Charles de Gaulle, et à la ségrégation de la Guinée par l'Occident, et dans la deuxième partie, à la lutte menée par la Guinée pour l'intégration africaine, les questions d'actualité viennent compléter ce paysage historico-politique. Elles sont relatives à la lutte menée par la Guinée pour l'intégration africaine, au cinquantenaire de la République, au concept de changement après les évènements des mois de janvier et février 2007, et au combat associant davantage les femmes au pouvoir face à l'incapacité des hommes de sortir la Guinée du sousdéveloppement chronique. La conclusion que j'ai tirée présente la Guinée telle qu'elle est aujourd'hui malgré son histoire glorieuse, sa géographie bien fournie et sa population endurante. Ce livre est destiné particulièrement aux jeunes qui voudraient savoir la capacité utile de la Guinée pour déterminer sa place dans le concert des nations. Il constitue un support historique et
géostratégique pour la promotion de la République de Guinée dans ses rapports avec les autres nations du monde. Il est le fruit d'une somme d'expériences personnelles: formation, enseignement, missions d'études et de négociations, et recherches. Le déclic m'est venu au moment où on a commencé à parler de cinquantenaire de la République de Guinée. Sachant que plus de 90% des acteurs de cet évènement n'ont pas vécu pleinement les dates glorieuses de 1958, un rappel sommaire s'avère nécessaire pour cette tranche de la population. Je tiens à exprimer ma reconnaissance à ceux et celles qui ont bien voulu m'apporter leur collaboration et tout leur soutien. Parmi eux, El Hadj Djigui CAMARA (ancien Directeur national de la Coopération), Dr Mamadi DIARÉ (Ambassadeur de la République de Guinée en République Populaire de Chine), SE.M Muhammad Hossein MASHAYÉKHl (ancien Ambassadeur d'Iran en Guinée), Lansana Wana FOFANA (Direction nationale de l'Hydraulique), Dr Mohamed Lamine KÉITA (Fondis/NK.SC.), Souleymane KÉITA (Chef département I.SA.G.-Dubréka), Sanou Kerfalla CISSÉ et Mamadi Sékou CONDÉ (respectivement Administrateur général et Directeur de publication du journal "Le Diplomate'~ et feu Toumani SIDIBÉ (Ministère de l'Enseignement pré-universitaire). A mon épouse Aminata FOFANA, ainsi qu'à nos enfants Sékou, Mohammad, Mahammud, Kadé, Fanta Di! et Ousmane ma profonde gratitude pour leur soutien moral. Sans leur compréhension ce livre n'aurait jamais vu le jour. Un peuple qui s'ignore, s'égare et ne saurait se projeter dans l'avenir L'Auteur
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Première partie La lutte pour l'indépendance et l'indépendance et ses conséquences
Chapitre 1 : L'éveil politique de l'Afrique «Même durement éprouvée par la guerre 1914-1918, l'Europe dominait toujours le monde. Avec la guerre 1939-1945, c'est l'ordre international fondé sur la suprématie de l'Europe qui s'écroulait. Alors qu'après 1918 la souveraineté des colonisateurs sur leurs territoires situés outre-mer n'avait été en aucune manière remise en cause, celle-ci fut battue en brèche dès la fin des hostilités [de 1939-1945]. Les Européens en sortaient quasiment anéantis, non seulement du point de vue économique et militaire, mais aussi du point de vue moral. Le combat des démocraties contre le fascisme et le nazisme s'était effectué au nom de la liberté et contre le racisme. Dès lors, les peuples colonisés eux-mêmes physiquement engagés dans les combats contre les puissances de l'Axe, ne pouvaient que demander aux Européens d'être cohérents envers leurs principes. » (Marc Aicardi de Saint-Paul, 1984). Et, « Comme les êtres humains sont des êtres libres et indépendants, et qu'ils inventent eux-mêmes leurs critères moraux, la seule chose qu'on peut leur demander est d'être loyaux envers leurs propres critères et valeurs. » (Jean-Paul Sartre, cf. Dr M. H. Bechehti et Dr J. Bâhoma, 1982). Cette partie est axée sur la prise de conscience des Africains de leur état de dominés dans un monde où l'égalité des races et des hommes est une prescription divine, un droit sacré pour l'équilibre et la stabilité de l'humanité. Cette prise de conscience est, il faut avoir maintenant le courage politique et historique de le
reconnaître, le fruit de l'instauration du nazisme en Europe entre 1939 et 1945. La lutte contre le nazisme allemand en Occident a fouetté la conscience africaine par rapport au sens et à l'importance de la liberté et surtout au prix à payer pour l'acquérir. C'est ainsi qu'est né l'éveil politique des Africains, un éveil considéré comme un mouvement d'ensemble tant au niveau africain qu'au niveau des populations des pays colonisateurs. L'éveil politique de l'Afrique peut être défini comme la prise de conscience des Africains à se gérer euxmêmes. Pour ce faire, ils avaient l'obligation de se battre par tous les moyens (politique, syndical, culturel, religieux, diplomatique et militaire) pour se libérer du joug colonial en accédant à l'indépendance, à la liberté et à la souveraineté. La lutte qui en a résulté a fait couler dans chacun des pays indépendants aujourd'hui, les larmes, la sueur et le sang. Du Cap vert au Cap Guardafui et du Cap Bon au Cap de Bonne-Espérance, nulle part les Blancs ne se sont retirés paisiblement. Les manoeuvres des métropoles pour tuer dans l 'œuf cet éveil politique et la prise de conscience des Africains furent nombreuses. Le Portugal qui fut le premier colonisateur en Afrique considéra ses colonies comme partie intégrante de son territoire national. Les colonies anglaises furent des terres de peuplement où les Anglais s'installèrent en grand nombre en occupant les terres les plus fertiles. Cette colonisation de peuplement pratiquée par les Portugais et les Anglais signifia tout simplement qu'ils étaient chez eux et n'entendraient nullement rentrer au bercail.
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A l'image du Commonwealth créé en 1931 par l'Angleterre pour contrer l'éveil politique dans ses colonies, la France élabora la Constitution de 1946 créant l'Union française. Dans cette Union, les Africains avaient le droit d'élire des représentants aux Assemblées territoriales et aux Grands Conseils de Dakar et de Brazzaville. Ces élus siégeaient aussi comme députés à l'Assemblée française. Devant l'ampleur du mouvement anti-colonialiste, la France fut contrainte d'accorder une large autonomie à ses colonies: ce fut la Loi-cadre présentée par le ministre Gaston Defferre qui dota chaque colonie d'un Conseil de gouvernement présidé par un gouverneur français. En 1958, sous l'égide du général Charles de Gaulle, une nouvelle Constitution, la Constitution de la Vème République, créa la Communauté franco-africaine dans laquelle la France se tailla la part du lion. « Dans la Communauté franco-africaine que nous proposons, les territoires d'Afrique auront la pleine et entière liberté de leurs institutions et de leurs gouvernements à l'intérieur d'eux-mêmes. Avec la métropole, ils mettront en commun, dans un domaine qui appartiendra à tous, la défense, la politique économique, celle des matières premières, la direction de l'enseignement, celle de la justice, celle aussi des communications lointaines à travers notre vaste ensemble. Voilà quelles seront essentiellement les bases de la future communauté avec, bien entendu, des institutions pour les mettre en œuvre: le Président de la Communauté; le Conseil exécutif de la Communauté où se réuniront périodiquement des chefs de 17
gouvernement des territoires avec les ministres chargés du domaine commun; le Sénat de la Communauté qui comprendra des représentants des territoires avec ceux de la Métropole; enfin, une Cour d'arbitrage pour régler, s'il y a lieu, les litiges qui pourraient surgir entre les uns et les autres. » (Charles de Gaulle, 1958)
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Chapitre 2 : Les dates glorieuses de 1958 Les 25 août, 28 septembre, 2 octobre et 12 décembre de l'année 1958 constituent les dates qui ont marqué non seulement 1'histoire de la Guinée, mais aussi et surtout celle des rapports franco-guinéens. A ces dates, la Guinée a dit "non" à la constitution de la Vème République française donc à la domination, a accédé à la souveraineté nationale et a pris la place qui est la sienne dans la Communauté des nations éprises de paix et de liberté, c'est-à-dire les Nations unies. 2.1. Le 25 août 1958 Pour la Guinée, ce n'est pas « la pleine et entière liberté de leurs institutions et de leurs gouvernements à l'intérieur d'eux-mêmes» qu'il faut aux territoires. Ce qu'il faut, Sékou Touré l'a dit le 25 août 1958 dans son discours à l'Assemblée territoriale, à l'occasion de la visite du général Charles de Gaulle à Conakry: « Nous avons, quant à nous, un premier et indispensable besoin,
celui de notre Dignité.
Or, il n y a pas de
dignité sans liberté, car tout assujettissement, toute contrainte imposée et subie dégrade celui sur qui elle pèse, lui retire une part de sa qualité d'Homme et en fait arbitrairement un être inférieur... Ce besoin d'égalité et de justice nous le portons d'autant plus profondément en nous que nous avons été plus durement soumis à l'injustice et à l'inégalité. ». Aussi, ce n'est pas la mise en commun, « dans un domaine qui appartiendra à tous, la défense, la
politique économique, celle des matières premières, de la direction de l'enseignement, etc.» qui pose problème. Dans l'un comme dans l'autre, « Nous ne renonçons pas et ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l'indépendance car, à l'échelon franco-africain, nous entendons exercer souverainement ce droit. », avait déclaré haut et fort Sékou Touré à Charles de Gaulle le 25 août 1958. Enfin, parlant de la Constitution de la VèmeRépublique française, M. Ismaël Touré, directeur de publication du quotidien "La Liberté", mentionnait dans l'édition du mardi 23 septembre 1958 (nol38); « Le reproche capital que nous faisons au texte soumis au référendum, c'est de consacrer définitivement le morcellement de l'Afrique. Pas un mot dans la nouvelle constitution sur les entités A. OF. et A.É.F. dont la structure unitaire a déjà subi une grave atteinte depuis l'institution de gouvernements territoriaux issus de la Loi-cadre. Il est évident que cette volonté, phénomène élémentaire de l'impérialisme, ne disparaîtra qu'avec lui. Comment concevoir autrement la possibilité de dominer des peuples, de les maintenir dans l'infériorité et d'exploiter leurs richesses si on ne prend pas la précaution de les couper les uns des autres. Il faut que cela soit dit nettement une fois de plus, la Loi-cadre, en divisant les Fédérations en territoires administrés séparément, en refusant même l'institution d'un Gouvernement de coordination entre ces territoires, a semé en Afrique le germe de l'éclatement de ces fédérations. Et ce n'est pas par hasard que l'on a accordé à l'A. OF. huit (8) gouvernements autonomes au lieu d'un seul.
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C'est dans le noir dessein de continuer à exercer la supériorité de la métropole sur ces vastes terres peu évoluées, certes, mais riches de promesses. C'est dans le but de perpétuer le colonialisme sous une forme moins apparente mais non moins efficace, c'est en dernière analyse pour continuer l'exploitation des hommes et des richesses d'Afrique rendus vulnérables du fait même de leur morcellement. On a dit cent fois et l'on ne saurait trop répéter que loin de favoriser la libération africaine, la Loi-cadre visait à en retarder l'échéance, sinon à l'arrêter définitivement. A chaque étape, le colonialisme perfectionne ses méthodes sans jamais modifier son objectif » Pour Sékou Touré, « La Loi-Cadre devait avoir pour conséquence directe l'éclatement de la structure fédérale de nos pays et l'isolement progressif des Territoires qu'ils [les tenants du régime colonial] souhaitent voir s'embourber dans les contradictions internes et des oppositions brisant leur front uni. L'éclatement de la Fédération [A.o.F. ou A.E.F.] est l'indication que la France veut diviser les Africains pour pouvoir les opposer les uns les autres et arbitrer souverainement leurs conflits locaux.» (Septembre 1959) 2.2. Le 28 septembre 1958 Le référendum proposé le 28 septembre 1958 a créé la brèche dans l'empire colonial et a éveillé davantage la conscience des Africains. Et malgré les privations, les peines, les traitements inhumains et les assassinats, l'Afrique a continué résolument sa marche pour la 21
victoire finale, l'indépendance. C'est pourquoi aujourd'hui, le continent compte 53 pays indépendants sur les 54 qui le composent. Cette indépendance acquise aux prix des larmes et du sang, dans des conditions courageuses et dignes, a réhabilité les Africains. Elle leur a permis d'occuper les places qui sont les leurs dans la communauté des nations libres et indépendantes. C'est au nom de la liberté, de l'égalité des races, de la justice sociale et du respect des droits individuels des humains que le débat colonial s'est instauré dans le monde et cela tant au niveau des colonisés qu'au niveau des colonisateurs. Face à ce débat et à la lutte qui s'en est suivie, la position de l'Europe coloniale était claire et sans équivoque: l'Afrique ne pouvait et ne devait se définir que par rapport à l'Europe; elle ne pouvait et ne devait se regarder elle-même qu'à travers le prisme européen. Ainsi, l'Europe a-t-elle réprimé avec la dernière énergie toute velléité d'indépendance dans les colonies. Les tentatives d'assimilation n'ont pas manqué. « Dans le but de temporiser le mouvement de libération des peuples qu'elles dominent, les puissances coloniales créent des communautés formelles qui, ressemblant à celle du cavalier et du cheval, favorisent la diversion et la mystification. Le fait de coller une nouvelle étiquette à la vieille marchandise peut-il changer la qualité de celle-ci? » (Sékou Touré, tribune des Nations unies, 1959). Pour Timor Mende: « La préoccupation des anciennes puissances coloniales était la préservation de leurs liens économiques, politiques et culturels établis de longue date. »(Cf. P.-F. Gonidec, 1977).
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Pour le cas du Traité de Rome, il ne faut jamais oublier que l'Association C.É.E.-Pays et Territoires d'outremer a été imposée aux autres États de la Communauté dans la perspective de la Communauté francoafricaine: «Le Traité de Rome et les Conventions d'associations sont venus réaliser ce rêve de communauté eurafricaine. Il est intéressant de rappeler que cette solution fut adoptée sur l'insistance de la France. Mais il est évident que, compte tenu des inégalités de développement, les États européens sont en position de domination, ce qui veut dire que les positions respectives des États européens et des États africains n'ont guère changé par rapport à la période
coloniale. La différence - purement formelle
est que
les liens sont devenus multilatéraux et sont fondés sur une convention internationale d'association. Cela ne modifie en rien l'essence du phénomène. » (cf. P.-F. Gonidec, 1977) 2.3. Le 2 octobre 1958 La République de Guinée fut proclamée le 2 octobre 1958 sur la base de valeurs cardinales que sont l'hymne national (Liberté), le drapeau (le rouge, le jaune et le vert; bandes rectangulaires équivalentes disposées horizontalement dans le sens de la largeur) et la devise (Travail-Justice-Solidarité). Elle est devenue ainsi le dixième pays indépendant d'Afrique. Comme promis dans son discours réponse du 25 août 1958, la France n'a pas manqué de répondre à la malveillance de la Guinée: «Cette communauté, la France la propose; personne n'est tenu d'y adhérer. On a parlé d'indépendance, je dis ici, plus haut encore qu'ailleurs, que l'indépendance est à la disposition de 23
la Guinée. Elle peut la prendre, elle peut la prendre le 28 septembre 1958 en disant "non" à la proposition qui lui est faite et dans ce cas je garantis que la Métropole n y fèra pas obstacle. Elle en tirera, bien sûr, des conséquences... la France, un pays qui répond volontiers à l'amitié et aux sentiments et qui répond, dans un sens opposé, à la malveillance qui pourrait lui être opposée. » Pour le Haut Commissaire de l'A.O.F., « J'étais et je suis encore certain qu'il était nécessaire en 1958 de traiter la Guinée sévèrement. Seule de tous les territoires à avoir voté "non", elle se trouve sous les projecteurs de l'actualité nationale et internationale. Son cas est devenu exemplaire. Nous devons, je dois, montrer à tous les autres qui ont voté pour la Constitution de la Jlme République que les avertissements du général de Gaulle ne sont pas des paroles en l'air. » (Pierre Messmer, 1992) 2.4. Le 12 décembre 1958 La République de Guinée fut admise à l'Organisation des Nations unies (Onu) le 12 décembre 1958 en tant que quatre-vingt-deuxième membre, malgré les démarches contradictoires de la Représentation permanente française. La France ne voulait pas d'une Guinée qui « se trouve sous les projecteurs de l'actualité nationale et internationale... ». A partir de cette date, le bras de fer est engagé entre Sékou Touré et Charles de Gaulle. Ce dernier voulait garder obstinément les colonies dans le giron français, mais c'était sans compter avec la réelle volonté d'indépendance des populations à la base et 24
l'engagement de Sékou Touré, comme annoncé à la tribune des Nations unies en octobre 1959: « Le Gouvernement [de la République de Guinée] entend une fois de plus proclamer que la liberté de l'Afrique est indivisible et qu'en conséquence l'indépendance guinéenne est inséparable de celle des autres peuples d'Afrique... La Guinée est à travers le combat de son peuple, l'expression des aspirations de 200 millions d 'hommes et de femmes relégués en marge de I 'histoire et quotidiennement aux prises avec la faim, la famine et l'ignorance. »
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Chapitre 3 : La paire de gifles de Sékou Touré à Charles de Gaulle L'indépendance de la Guinée et la désintégration de l'empire colonial français ont été le leitmotiv du combat de Sékou Touré contre Charles de Gaulle et la France coloniale. Les trois dates glorieuses de 1958 ont été les dates qui ont marqué le début d'un véritable combat de principe, de dignité et d'honneur entre deux hommes, Sékou Touré et Charles de Gaulle, que 1'histoire a rendu chauvins. La cohabitation étant impossible entre les deux, vu le contexte, chacun voulait la mort politique de l'autre. La défaite cinglante de la France à Diên Biên Phû en mai 1954, le début de la guerre d'Algérie le 1er novembre 1954 et surtout "le coup de tonnerre de Bandoeng" en avril 1955 ont montré que l'éveil politique des colonies était total et la condamnation du colonialisme européen unanime. 3.1. La première gifle La Guinée a été la première colonie française d'Afrique subsaharienne à accéder à l'indépendance, le 2 octobre 1958. Elle avait auparavant opposé un "non" catégorique (qualifié de légendaire), le 28 septembre de la même année, au projet de Constitution de la Vème République française. Le "non" de la Guinée à la Communauté qui était l'Union française rebaptisée a
été considéré par le gouvernement français comme une sécession. Tout avait été mis en œuvre pour ramener la Guinée dans le carcan de la domination. « J'étais et je suis encore certain qu'il était nécessaire en 1958 de traiter la Guinée sévèrement... » (Pierre Messmer, 1992). Le gouvernement français était poussé à adopter "une politique dure" par plusieurs leaders africains qui, eux, avaient voté "Oui". Pour Félix Houphouët Boigny, « Si la France donnait une préférence à ceux qui ont fait sécession contre ceux qui ont choisi la Communauté, alors la sécession ferait tâche d'huile. » Pourtant, le 25 août 1958, malgré la détermination et l'engagement des dirigeants guinéens à ne pas renoncer au droit légitime et naturel d'indépendance «en préférant la liberté dans la pauvreté, à la richesse dans l'esclavage », ils n'ont jamais souhaité la séparation avec la France: « Notre cœur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents, nous ont fait choisir sans hésitation, l'indépendance et la liberté dans cette Union plutôt que de nous définir sans la France et contre la France. » (Sékou Touré, 1958). Pour le général de Gaulle, « Le 29 septembre, la France s'en ira. Nous n'avons plus rien à faire ici.» S'adressant à Sékou Touré, il dira: « La République française à laquelle vous avez affaire n'est plus celle que vous avez connue et qui rusait plutôt que de décider... La France a vécu très longtemps sans la Guinée. Elle vivra longtemps encore si elle en est séparée. » (Août 1958)
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L'incompréhension dont le gouvernement français avait fait preuve à l'égard de la Guinée n'avait d'égale que la barbarie avec laquelle elle l'avait traitée. L'échec de "la mission civilisatrice" de la Métropole l'avait amené au "brigandage d'Etat" et à l'emploi de "l'arme alimentaire" contre la colonie "sécessionniste". En effet, le 25 septembre 1958, donc bien avant le référendum du 28, Pierre Messmer, Commissaire de la République de l'A.O.F. décidait: ({... Sous prétexte d'assurer la sécurité des Français le jour du référendum, j'envoie à Conakry... à bord d'un navire de la marine nationale une compagnie de parachutistes dans laquelle un solide commando a l'ordre écrit et signé de ma main de se faire remettre les milliards [de francs] et de les transporter aussitôt à bord du navire qui les amènera à Dakar... J'ai insisté auprès du gouvernement pour retirer très vite notre administration et j'ai étendu le retrait aux fonctionnaires français des services fédéraux: douanes, police des frontières, sécurité maritime et aérienne, etc. Entre-temps, j'ai détourné et fait affecter à d'autres territoires les fonctionnaires français principalement - dirigés vers Conakry à l'issue de leurs congés, et deux bateaux de riz qui devaient débarquer leur cargaison que personne ne pouvait payer. » (Pierre Messmer, 1992) Pour Sékou Touré, l'indépendance n'est pas un obstacle à la coopération avec la France: ({Nous avons déjà affirmé que la France reste la nation avec laquelle nous entendons lier notre destin, à condition qu'elle réalise qu'une telle option politique n'est le fruit ni de la peur, ni de l'opportunisme, mais l'exacte expression d'une volonté délibérée et éclairée. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas nous associer avec la 29
France, dans la mesure où l'on voudra bien de la Guinée. Si la Guinée était rejetée de l'ensemble français dont elle a fait partie jusqu'ici, elle serait amenée à envisager toutes les solutions compatibles avec sa dignité et conformes avec ses intérêts. » (Juin et septembre 1958) L'admission de la République de Guinée à l'Organisation des Nations unies (Onu) en tant que 82èmemembre, malgré les démarches contradictoires de la représentation permanente française exacerba la tension entre La Guinée et la France. Celle-ci ne voulait pas d'une Guinée qui « se trouve sous les projecteurs de l'actualité nationale et internationale ». A partir donc de cette date, la Guinée devint l'égale de la France sur la scène internationale au regard du droit international et de l'exercice de la souveraineté. Sékou Touré et Charles de Gaulle, assis à la même table, étaient égaux à tous les égards. Cette réalité était insupportable pour le général Charles de Gaulle et pour la République française. Voilà, décrit très brièvement, le contexte dans lequel la République de Guinée devait entamer son rôle d'acteur sur la scène internationale. Dès lors, il n'est pas étonnant que les pays socialistes soient les premiers partenaires au développement de la Guinée dès les premiers mois de son indépendance. Les raisons du choix de la solution citée ci-dessus n'étaient pas le fruit d'une conviction idéologique socialiste des dirigeants d'alors ni celui d'une intention délibérée de profiter de l'existence des deux blocs pour rendre la monnaie à la France, donc à l'Occident colonial. L'histoire et la géographie faisaient de la Guinée un élément de l'ensemble occidental. Mais au-delà de la 30
colonisation et de l'environnement politique immédiat, la République de Guinée se devait de sauvegarder son indépendance, sa dignité et ses intérêts et lutter pour l'indépendance du continent africain. Deux ans après son indépendance, et en pleine coopération avec les pays de l'Europe de l'Est, Sékou Touré déclarait lors d'une visite d'État en République fédérale d'Allemagne (R.F.A.): « Pour nous, il n 'y a de conception ni occidentale ni orientale, ni socialiste ni capitaliste... il n'y a que deux mondes: le monde des hommes évolués de la société libérale à droits égaux, et notre monde de la faim, de la nudité et de l'ignorance.» (Octobre 1960) Plus tard, dans son discours de bienvenue au Président Valéry Giscard d'Estaing lors de la visite d'État que celui-ci a effectuée en Guinée du 20 au 22 décembre 1978, le Président Ahmèd Sékou Touré déclarait: « ... C'est le lieu et le moment de lever toute équivoque sur notre volonté, depuis le 2 octobre 1958, date de la création de l'État guinéen, d'organiser et développer une coopération fraternelle et sincère avec le Peuple français dont nous connaissons l'attachement profond aux idéaux de liberté, d'égalité, de fraternité et dont le rôle éminent, dans l'évolution des Peuples du monde vers la démocratie et le progrès historique, ne fait l'ombre d'aucun doute. Nous savons que des commentaires foncièrement tendancieux ont tenté de présenter l'option guinéenne lors du référendum du 28 septembre 1958, tantôt comme dictée par telle puissance étrangère, tantôt comme le résultat de la manie de quelque dictateur local, tantôt comme l'expression d'une haine incoercible à l'encontre de la France. Nous proclamons solennellement qu 'hier comme aujourd'hui et demain, notre attitude, face au 31
Peuple français et à ses institutions nationales, et également face à ses représentants, n'a été, n'est et ne sera que l'expression d'une volonté positive d'amitié sincère et d'une confiance totale en la France de 1789 avec laquelle notre Peuple désire coopérer dans tous les domaines et dans des conditions compatibles avec les intérêts matériels et moraux de nos deux pays. ». La République de Guinée comprendra à ses dépens que « Si l'infidélité politique est répréhensible, la révolte contre le système économique global est impardonnable. La première peut provoquer des sanctions. La réponse à la seconde ce sont des représailles sans merci ,. cessation de l'aide d'abord et dislocation économique par exclusion des récalcitrants du système lui-même. » (P.F. Gonidec, 1977) Ainsi, tout fut mis en œuvre pour que l'exemple guinéen ne fasse pas tâche d'huile. La Métropole estimait que les colonies n'étaient pas prêtes pour l'indépendance; qu'elles ne pouvaient prendre en main leur propre destinée. Selon elle, il fallait du temps, beaucoup de temps pour structurer les colonies en véritables États. C'est toujours sans compter avec l'engagement pris par Sékou Touré de libérer toute l'Afrique. Pour honorer cet engagement, la Guinée n'a pas lésiné sur les moyens pour apporter son soutien politique et matériel à tous les partisans du "Non" qui ont été éjectés de leur pays et elle a servi de base arrière à la quasi-totalité des mouvements de libération en Afrique.
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3.2. La seconde gifle Moins de deux ans après l'indépendance guinéenne, toutes les colonies françaises en Afrique subsaharienne étaient indépendantes à l'exception des Territoires des Afars et Issas (voir tableau). Le général Charles de Gaulle ne s'en remettra jamais. Et pour sauver l'honneur, Monsieur Afrique du général, Jacques Foccart, a fait le pari de mettre Sékou Touré à genoux. Ce pari, il le perdra malgré mille et un complots fomentés contre la jeune République de Guinée. L'indépendance de la Guinée « a provoqué et accéléré l'accession d'autres pays africains à l'indépendance, faisant ainsi de la Guinée un point d'appui essentiel pour toutes les luttes de libération nationale en Afrique. » (Général Lansana Conté, 2000). Le choix politico-historique de la Guinée a fait d'elle le phare de l'Afrique et le fer de lance de la lutte pour l'indépendance du continent. L'engagement de la Guinée au côté des mouvements de libération nationale en Afrique a été total et sans équivoque. Dans les colonies portugaises, il a été caractérisé par l'envoi de troupes militaires en GuinéeBissau, au Mozambique et en Angola; ensuite, par la nomination de dirigeants de ces pays dans les Ambassades de la Guinée et également à sa représentation permanente aux Nations Unies; par l'octroi de bourses d'études en Guinée et à l'étranger aux jeunes des mouvements de libération. « C'est un fait incontestable que sans l'indépendance de la Guinée dans les conditions de rupture connues de tous, les pages de I 'histoire du P.A.I G.C. seraient écrites autrement. (Ailleurs)... l'option de certains dirigeants est nettement orientée vers le boycottage, voire 33
l'élimination du PA.lG.C. Ils devront se rendre plus tard à l'évidence. »(Mario Andrade, 1980) Pour le secrétaire général de l'A.N.C., Nelson Mandela, l'apport de la Guinée à la libération de l'Afrique du joug colonial et de l'apartheid est sans commune mesure: «Nous avions entrepris une longue tournée dans les différents pays d'Afrique dont l'Ethiopie, le Ghana et la Guinée. À Conakry, le Président Sékou Touré nous a proposé un bref séjour à Foulaya pour un apprentissage rudimentaire de maniement des armes, ne serait-ce qu'à titre d'autodéfense. Bien que j'ai accepté l'offre car il aurait été maladroit de la refuser, j'ai cependant tenu à dire à mon illustre interlocuteur que mon périple avait pour objet de solliciter une aide financière auprès des États africains indépendants au profit de I 'A.N C. Le président a promis que je recevrai sa commission par son garde de corps, une fois dans l'avion. Et quand j'ai ouvert la sacoche que je venais de recevoir des mains du capitaine Mamadou Bah, quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'elle contenait deux cent mille (200 000) dollars U.S., alors que jusque-là, nous ne recevions que cinq ou dix milles dollars US des autres donateurs. ». Se basant sur 1'hymne national de la Guinée, Sékou Touré a donné la priorité à l'Unité africaine. Dans son premier discours à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, en octobre 1959, il proclamait: «Après avoir affirmé le 28 septembre, lors du référendum organisé par la France, que la Guinée préfère la liberté dans la pauvreté à l'opulence dans l'esclavage, nous, nous ferons un autre devoir de déclarer devant les dignes représentants des Nations unies que dans les perspectives d'une évolution 34
démocratique et rapide de l'Afrique, nous dirigeants nationaux de la République de Guinée préférons être les derniers dans une Afrique unie plutôt que les premiers dans une Afrique divisée ... La volonté de la Guinée de voir se réaliser l'Unité dans l'indépendance de l'Afrique, c'est en partie, sur le plan des moyens de développement, la volonté de voir l'Afrique participer elle-même à la mise en valeur de ses propres richesses dans l'intérêt de ses populations... ». Ceci s'est matérialisé comme indiqué plus haut, par son soutien aux mouvements de libération nationale, au non-alignement et à la lutte contre l'impérialisme. Pour contrecarrer le soutien de la Guinée aux colonies dans leur lutte anticolonialiste et asphyxier l'économie du pays, le 22 novembre 1962, « ... On apprend que le gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne a informé les autres membres du Marché commun qu'il refuserait de ratifier l'association de l'Europe des six avec les pays africains qui reconnaîtraient l'Allemagne de l'Est. » (Dorsch H. et... 1964, Les faits et décisions de la C.É.E. 1958-1964, Tl) Le décor que nous venons de planter montre de façon indéniable que le Portugal, la France et la R.F.A. avaient des "raisons" pour mettre à genoux la République de Guinée. Après l'échec de toutes les tentatives de déstabilisation du pays, la France et la RFA commanditèrent une agression perpétrée par l'Armée portugaise, le 22 novembre 1970. La République de Guinée fut attaquée à partir du littoral et des frontières terrestres avec la Guinée-Bissau, le Sénégal et le Libéria.
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La riposte de l'année révolutionnaire et du peuple fut instantanée et foudroyante. Après quelques jours de combat acharné à Conakry et aux frontières du territoire national, les mercenaires au service du néocolonialisme furent mis en déroute et tous boutés hors du pays. La condamnation de l'agression par la Communauté internationale fut sans appel. Elle fut matérialisée par la Résolution (290) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies, le 8 décembre 1970. Cette résolution, adoptée à la lS63èmeséance du Conseil de sécurité par onze (11) voix contre zéro (0), avec quatre (4) abstentions (Espagne, États-Unis, France et RoyaumeUni de Grande-Bretagne), fut la preuve juridique internationale de l'agression de la République de Guinée par les hordes de mercenaires au service des néocolonialistes français, allemands et portugais et de leurs serviteurs locaux (la Sème colonne) qui ont monnayé l'indépendance de leur pays. Tous ces évènements et tant d'autres orchestrés par la France elle-même n'ont pu venir à bout de la Guinée dans sa lutte pour l'indépendance totale du continent africain. Il ne saurait être autrement quand on sait que depuis le début du Xmème siècle, la Guinée était le cœur de l'Afrique occidentale. Elle a été à l'origine des fonnes d'organisations étatiques les plus modernes, des États les plus puissants et les plus étendus: Empire du Mali, Empire du Wassoulou, Empire Toucouleur, etc. Son indépendance acquise dans des conditions courageuses et dignes a réhabilité non seulement les Guinéens, mais aussi tous les peuples africains.
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3.3. Le destin des deux hommes Bien avant la mort du général Charles de Gaulle en 1970, toutes les colonies de l'A.D.F., de l'A.E.F. et l'Algérie étaient indépendantes. Seuls les Territoires des Afars et Issas (Djibouti) restaient sous la domination française. En plein exercice de son pouvoir présidentiel, le général Charles de Gaulle a été contesté par son propre peuple dans les évènements du printemps de mai 1968. Il a été contraint à la mort politique par l'abandon du pouvoir. Humilié par la nation française en mai 1968, le général Charles de Gaulle ne l'avait pourtant pas été à Conakry le 25 août 1958, malgré le discours de divorce prononcé par Sékou Touré. Il le confirme lui-même quand il disait à la fin de son discours-réponse: « Et si je ne venais pas à vous revoir, sachez que le souvenir que je garde de mon séjour dans cette grande, belle, noble ville, laborieuse, ville d'avenir, ce souvenir je ne le perdrai pas. ». La détermination des dirigeants et du peuple guinéens à répondre «non» à la Communauté franco-africaine n'a affecté en rien le sens du bon accueil des Guinéens et l'hospitalité légendaire africaine. Avant même d'être appelé à Dieu, le Très-Haut, en 1984, Ahmed Sékou Touré pouvait savourer sa victoire d'avoir réussi la libération du continent africain. Il avait déjà tout mis en œuvre pour l'indépendance de la Namibie et la fin de l'apartheid en Afrique du Sud. Par la magie du verbe et l'engagement de ses militaires sur les terrains de combat, Sékou Touré a réussi l'indépendance de la Guinée et la désintégration des empires coloniaux français et 37
portugais vengeant ainsi définitivement tous nos héros qui ont été victimes de la pénétration coloniale et de la colonisation. La République de Guinée lui doit cette reconnaissance; et la célébration du cinquantenaire de la proclamation de la République en est une occasion propIce. Plus de vingt ans après sa mort, l'homme qui a eu l'audace de dire "non" à Charles de Gaulle, qui a, pour la première fois, acquis l'indépendance de son pays en se séparant totalement et brusquement de la Métropole, contrairement aux autres colonies francophones, et qui a contribué de façon efficace et efficiente à la libération du continent africain des jougs coloniaux français et portugais, et autres reste un héros pour tous les Africains. Par la haine que lui ont voué les détracteurs de l'indépendance guinéenne et de l'émancipation africaine, et continuent de vouer les représentants de la Sèmecolonne, et souvent présenté à travers le prisme déformant des préjugés idéologiques, Ahmèd Sékou Touré a été rarement vu sous l'angle de l'homme, sa vie, sa personnalité, son combat pour l'Afrique en général, pour la Guinée en particulier. C'est pour combler ce déficit que nous faisons parler des observateurs impartiaux de feu Ahmèd Sékou Touré, le seul Africain à avoir affronté le général Charles de Gaulle sur le champ de bataille, le 25 août 1958, et à l'avoir battu à plate couture après 35 jours de combat, le 28 septembre 1958, avec l'arme du redoutable et légendaire "non" sorti de l'usine de la dynamique populaire.
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William TUBMAN, président du Libéria de 1941 à 1971, lors des cérémonies commémoratives du 1er anniversaire de la proclamation de l'Indépendance de la République de Guinée, le 2 octobre 1959, à Monrovia: « Il y a un an, le monde se réveillant découvrait qu'une nouvelle nation était née. Du creuset du temps est sortie cette nouvelle nation, la République de Guinée... En votant "Non", le Président Sékou Touré et le peuple de Guinée ont donné la preuve de ce rare génie, de cette capacité d'arriver à des décisions justes dont parlait Napoléon Bonaparte, un des plus grands Français qui ait jamais vécu, quand il déclarait: "La capacité la plus rare chez les généraux, c'est le courage de deux heures du matin, ce courage qui, au milieu des évènements les plus imprévus, laisse une entière liberté de jugement et rapidité de décision; rien, rien n'est plus difficile que de décider". En douze mois d'Indépendance, le Président Sékou Touré a développé l'économie de son pays, établi le programme d'une plus large diffusion de l'enseignement et de la formation technique et assuré aux femmes de Guinée l'égalité avec les hommes dans la vie publique. Ces réalisations dénotent une hauteur de vues et des qualités d'hommes d'Etat dont je le félicite ». (Octobre 1959) Aimé CÉSAIRE, Martiniquais, écrivain politique, dans la préface du livre: Expérience guinéenne et Unité africaine, mentionnait: « ... c'est un fait que l'Afrique Noire a eu le bonheur de trouver au moment où elle naissait à I 'histoire moderne des cadres politiques valables, je veux dire des dirigeants qui, comme à la machette, ont su dans la broussaille des évènements, frayer à l'Afrique, sa voie. A cet égard, on ne dira jamais assez que leur mérite essentiel est d'avoir su se 39
dégager de toute allégeance à l'égard des partis européens; de s'être gardés de faire de leur politique un département de la politique métropolitaine,. pour tout dire en un mot, d'avoir éventé à temps le piège de l'assimilationnisme. C'est là le mérite collectif de l'actuelle génération de leaders africains. Mais ce n'est pas diminuer leur
particulier mérite - chacun d'eux étant aux prises avec des difficultés particulières et y réagissant - que de dire, que le Président de la jeune République Guinéenne, Sékou Touré, a été dans cette dernière période ['homme africain décisif. "Nous avons quant à nous, un premier et indispensable besoin, celui de notre Dignité. Or, il n'y a pas de dignité sans liberté... Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l'esclavage." De toute manière, l'homme qui a prononcé cette parole historique, et qui, sans effusion de sang, a conquis pour son pays l'indépendance, est certainement un homme exceptionnel. Ce qui le caractérise, on le voit suffisamment dans les pages qui suivent: la continuité du dessein, la roideur de la volonté non exclusive de souplesse tactique, dans l'instant le coup d 'œil juste, pour le reste, la vue perspective de l 'histoire. Oui, de tout temps il s'est donné un but net, qu'il n'a jamais caché ni à ses partenaires européens, ni à ses partenaires africains: l'indépendance de son pays. C'est le but vers lequel il a été durant toute sa vie tendu, comme il y a tendu tout entier son peuple. Si bien que lorsque se présentera pour lui "l'offre du destin" il était prêt, et la Guinée elle aussi, elle surtout, était prête. C'est sans doute là ce, qui en définitive, le met hors de pair en Afrique: cette liaison quasi charnelle avec la masse dont il parle 40
non seulement la langue, mais ce qui est plus important, le langage. On voit grandement errer à son sujet: certains de ses administrateurs français disent: "c'est un produit de notre culture". D'autres, les réactionnaires,. "Méjiezvous de lui, il a été formé par Prague et par Moscou. " la vérité me paraît tout autre. Il n'est que de regarder son style: abandon à soi et contrôle de soi, véhémence et sagesse, particularisme et humanisme, il a créé en politique le style africain mais c'est l'Afrique, son passé millénaire qui lui ont enseigné tout cela. C'est d'ailleurs là, sa force et le secret de sa réussite. On s'est interrogé sur l'avenir de la Guinée. On s'est demandé dans quelle mesure cette indépendance trouvée dans le fond des urnes, pouvait être solide. Mais il faut se garder de la mystique de la violence. Il n y a pas dans I 'héroÏSme une vertu telle qu'elle seule puisse fonder la cité. On aura pris l'effet pour la cause. Et si la guerre, comme rien d'autre, cimente l'indépendance, ce n'est pas par la vertu du sang répandu mais par la vertu de la mobilisation passionnelle qui a rendu un peuple capable de répandre son sang. Or, si la guerre n'a pas eu lieu, c'est que la mobilisation du peuple de Guinée par Sékou Touré l'a rendue inutile... Ce qui se passe aujourd'hui en Guinée, ce n'est pas seulement le sort de la Guinée qui s y joue, c'est le sort de l'Afrique. Rabindranath Tagore parlait jadis de la nation comme de "l'intérêt égoïste de tout un peuple en ce qu'il a de moins humain et de moins spirituel." Jamais un pays n'a eu, comme la Guinée, le devoir d'infirmer une telle vue,' de prouver que la 41
communauté humaine qui s'appelle nation est méditation vivante à la liberté et à la fraternité. » (septembre 1959) Plus récemment, le vendredi 29 octobre 2004, la République d'Afrique du Sud a décerné, à titre posthume, l'Ordre des Compagnons Suprêmes d'Olivier Tambo, la plus haute distinction du pays, à feu Ahmèd Sékou Touré et à d'autres anciens leaders africains. A cette occasion, le révérend Frank Chicane, chancelier des Ordres nationaux a déclaré; « Parmi ceux que nous honorons, certains sont tout simplement des légendes, symboles de sacrifices et de services rendus, de courage et de dévotion. » Quant à S.E.M. Thabo MBeki, président de la République d'Afrique du Sud, il a déclaré: « Au nom du Peuple, nous accueillons ... nos amis du reste du monde à qui nous décernons les insignes de l'Ordre des Compagnons Suprêmes d'Olivier TAMBD. Ces hommes et femmes sont des citoyens d'autres pays qui, sans discrimination, et au prix d'immenses sacrifices ont contribué de façon exceptionnelle aux efforts du Peuple d'Afrique du Sud dans la lutte pour sa liberté et sa dignité d'homme: Objectif pour lequel Olivier Regina Tambo a dédié sa vie. ». Les autorités sud-africaines ont justifié l'attribution de cet ordre à feu Ahmèd Sékou Touré par « la contribution exceptionnelle de ce grand homme à la libération, la paix et à la prospérité de l'Afrique ». L'insigne de cet Ordre est l'expression de la reconnaissance par le peuple sud-africain des efforts et sacrifices consentis par le vaillant peuple de Guinée
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dans le combat de réhabilitation de la Nation africaine tout entière. Pour Marc K. Stachivi, Belgique, l'histoire de l'Afrique a retenu de feu Ahrnèd Sékou Touré « un homme courageux et rigoureux, un homme d'État qui a été plus enclin à suivre la voie de l'austérité que celle du faste, un leader syndicaliste incomparable ayant évolué dans un contexte international marqué par l'adversité d'abord dans la lutte pour l'indépendance, et ensuite pour la gestion de l'indépendance contre laquelle l'ancienne Métropole n'a cessé d'œuvrer en s'appuyant, comme elle a toujours su le faire, sur des complices extérieurs et intérieurs [La 5èmecolonne] ». (Belgique,2004) Enfin, il est évident qu'une seule personne, quel que soit le niveau de sa conscience sociale et sa capacité de direction, ne peut faire à elle seule l'histoire. Pourtant, il ne fait pas aussi de doute que l'histoire humaine est l'histoire des hommes grandioses et remarquables qui y ont joué un rôle décisif. Sékou Touré a montré que ce n'est pas le niveau des diplômes académiques qui fait la grandeur des hommes. La capacité de former, de guider et d'organiser la pensée des gens et de vaincre les forces de l'opposition est fondamentalement nécessaire. Il faut aussi une conviction ferme, un but déterminé et une force de résistance et de persévérance. C'est pourquoi nous remarquons que 1'histoire a produit un nombre très limité d'individus et de groupes qui ont pu se charger de cette mission sociale. Avec des idées créatives et constructives, la hardiesse, l'ouverture d'esprit et l'aptitude extraordinaire à la direction, feu Ahrnèd Sékou Touré est parvenu à 43
trouver le moyen de changer l'esprit des Guinéens, à travers les actions du Parti démocratique de Guinée (P.D. G.) et d'opérer de grands changements dans l'histoire de son pays, de notre pays, la Guinée et de l'Afrique tout entière. 3.4. Les dates d'indépendance N.o. 1 2
Pays Ethiopie Liberia
3 4 5 6 7 8 9
Afrique du Sud Egypte
II 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
Sénégal Togo Cameroun Madagascar Congo (Rd) Somalie Bénin Niger Burkina Faso Côte d'Ivoire Tchad Centrafrique Congo Brazzaville Gabon Mali Nigeria Mauritanie Sierra Leone Burundi Rwanda Algérie Uganda Kenya Tanzanie Malawi Zambie Gambie Botswana
-<
24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38
-" -,
Date X
Chef d'Etat Haïlé Sélassié
A l'Onu 13-11-45
26-07 -184 7
William Tubman Louis Botha Roi Farouk Roi Idris 1" Ismail al Azhari Roi Mohamed V Habib Bourguiba K warne Nkrumah
02-11-45 07-11-45 24-10-45 14-12-55 12-11-56 12-11-56 12-11-56 08-03-57
Léop_ S.Senghor
31-05-1910 22-02-1922 24-12-1951 01-01-1956 02-03-1956 20-03-1956 06-03-1957
Libye Soudan Maroc Tunisie Ghana JA_
des pays africains
"
04-04-1960 27-04-1960 02-05-1960 20-06-1960 30-06-1960 01-07-1960 01-08-1960 03-08-1960 04-08-1960 07 -08-1960 1l-08-1960 13-08-1960
Nicolas Grunitzki Ahmadou Ahidio Phi. Tsiranana J. Kasavubu A. Abdallah Osman Hubert Maga Hamani Diori Maurice Yaméogo Félix H. Boigny François Tombalbaye David Dacko
28-09-60 20-09-60 20-09-60 20-09-60 20-09-60 20-09-60 20-09-60 20-09-60 20-09-60 20-09-60 20-09-60 20-09-60
15-08-1960 17-08-1960 22-09-1960 01-10-1960 28-11-1960 27-04-1961 01-07-1962 01-07-1962 05-07-1962 09-10-1962 12-12-1963 26-04-1964 06-07-1964 24-10-1964 18-02-1965 30-09-1966
Fulbert Youlou Léon M'Ba Modibo Keita Nnamdi Azikiwé Mouctar Ould Daddah Dr Milton Margai Michel Micombero Grégoire Kayibanda Ahmed Ben Bella Milton Oboté Jomo Kenyatta Julius Nyéréré Dr Hastings Banda Kenneth Kaunda Dawda K. Jawara Sir Seretse Khama
20-09-60 20-09-60 28-09-60 07-10-60 27-10-61 27-09-61 18-09-62 18-09-62 08-10-62 25-10-62 16-12-63 14-12-64 01-12-64 01-12-64 21-09-65 17-10-66
44
39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53
Lesotho Maurice Swaziland GuinéeéQuatoriale Guinée-Bissau Mozambique Comores Cap-Vert S. Tomé et Principe Angola Seychelles Djibouti Zimbabwe Namibie Ervthrée
04-10-1966 12-03-1968 06-09-1968
Roi Moshoéshoé II Sir N. Rangoo1am Roi Subhuza
17 -10-66 24-04-68 24-09-68
12-10-1968 24-09-1973 25-06-1973 06-07-1975 05-07-1975
Macias Nguéma Luis Cabral Samora M. Machel Ahmed Abdallah Aristides Pereira
12-11-68 17-09-74 16-09-75 12-11-75 16-09-75
12-07-1975 11-11-1975 29-06-1976 27-06-1977 18-04-1980 21-03-1990 24-05-1993
Manuel P. da Costa Agostinho Néto Sir James Mancham Hassan Gouled Robert Mugabé Sam Nuioma Issaias Afewerki
16-09-75 01-11-76 21-09-76 20-11-77 25-08-80 23-04-90 28-05-93
X : Jamais colonisée durablement
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Chapitre 4 : Les conséquences de la proclamation de l'indépendance de la République de Guinée sur le plan international Après le vote négatif légendaire à la Constitution de la Vème République française le 28 septembre 1958, la Guinée a accédé à l'indépendance le 2 octobre de la même année. Cette séparation forcée de la métropole qu'était la France n'est pas restée sans conséquence pour la jeune République. Il est utile, dans cette partie, de parler de certains aspects de notre indépendance dont on parle rarement sur les chaînes nationales de radio et de télévision depuis plus de 40 ans. Il est difficile de parler uniquement des conséquences de la proclamation d'indépendance du 2 octobre sans parler de celles du "non" du 28 septembre. Cette difficulté se situe à deux niveaux, d'abord, les conséquences du vote du 28 septembre étaient à l'origine de celles du 2 octobre, et ensuite, celles-ci étaient prévisibles à partir de celles-là. Même si la Guinée avait retardé la proclamation de son indépendance, pour la faire au même moment que les autres colonies de l'Afrique occidentale française (A.a.F.), la France n'allait jamais tolérer "l'affront", "la malveillance" et "la sécession" de la colonie.
4.1. Les conséquences nuisibles Le Haut-commissaire de la République en Afrique occidentale française de 1958 à 1959, Pierre Messmer, notait en 1992 : « J'étais et je suis encore certain qu'il était nécessaire en 1958 de traiter la Guinée sévèrement. Seule parmi tous les territoires français à avoir voté "non ", elle se trouve sous les projecteurs de l'actualité nationale et internationale. Son cas est devenu exemplaire... Le meilleur moyen est d'interrompre immédiatement toute aide et toute coopération... » Le traitement sévère réservé à la jeune République a commencé par le retrait de l'administration coloniale et des fonctionnaires des services fédéraux. La France ne voulant pas d'une Guinée sous les projecteurs de l'actualité nationale et internationale a considéré celle-ci comme une colonie sécessionniste. Par la suite, tous les "vivres" lui seront coupés afin de la mettre à genoux. Une conséquence, sur laquelle il est nécessaire d'insister davantage, est l'exclusion de la Guinée de la Convention d'application signée le 25 mars 1957 entre les Pays et Territoires d'outre-mer et la Communauté économique européenne (C.E.E.) et des Conventions d'association (Yaoundé I et II) signées respectivement les 20 juillet 1963 et 29 juillet 1969 entre les États africains et malgache associés (E.A.M.A.) et la C.E.E. Il faut signaler, à l'origine de la Communauté économique européenne, une volonté de gestion des ressources françaises et allemandes de charbon et d'acier, qui étaient les nerfs de toutes les guerres entre les deux pays, dans une communauté ouverte aux pays 48
européens. Le 25 mars 1957 fut signé le Traité dit Traité de Rome instituant la c.É.E. avec à bord 6 pays (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) ; aujourd'hui elle compte 27 pays. Ce traité a tenu compte des liens unissant plusieurs signataires, plus particulièrement la France, à leurs colonies. C'est dans les perspectives de la Communauté francoafricaine que la France a obtenu de ces partenaires très réticents qu'un pont soit jeté entre l'Europe et les Pays et Territoires d'outre-mer, c'est-à-dire les colonies (une vingtaine). La convention d'application est matérialisée par la Quatrième Partie du Traité de Rome dans ses articles 131 à 136. Cette Partie dans son article 131 dispose: « Les Etats membres conviennent d'associer à la Communauté les pays et territoires non européens entretenant avec la Belgique, le Danemark, la France, l'Italie et les PaysBas, des relations particulières... Le but de l'Association est la promotion du développement économique et social des pays et territoires et l'établissement de relations économiques étroites entre eux et la Communauté dans son ensemble ... L'Association doit en premier lieu permettre de favoriser les intérêts des habitants de ces pays et territoires et leur prospérité, de manière à les conduire au développement économique, social et culturel qu'ils attendent. ». C'est donc une gestion collective des colonies qui venait de commencer. Pour ce faire, l'Europe a institué par l'article 1er de la Quatrième Partie le Fonds européen de développement (Fed), instrument principal de la coopération financière et technique que la C.É.E. mène avec les pays et territoires et ensuite avec les pays en développement. 49
Le même article fixe les modalités de participation des États membres de la Communauté aux mesures propres à promouvoir le développement social et économique des pays et territoires « ... par un effort complémentaire de celui accompli par les autorités responsables de ces pays et territoires. » L'exclusion de la Guinée de la Convention d'application de 1957 est due au fait que l'Association C.É.E.-Pays et territoires est d'obédience française. La Guinée a divorcé d'avec la France dans des conditions courageuses considérées comme outrageantes par celleci. Et nous avons dit plus haut que le gouvernement français, pour laver l'affront de la Guinée, avait décidé de couper tout à celle-ci afin de la mettre à genoux. Donc non seulement la Guinée a été exclue de la convention d'application de 1957, mais aussi des conventions d'association signées plus tard (Conventions de Yaoundé I et II). Cette exclusion a privé notre pays d'importantes ressources qui ont justement permis la réalisation d'importantes infrastructures dans les autres pays associés pour plus de 2 milliards 350 millions d'écus entre 1963 et 1975. Les ressources allouées aux 1er, 2e et 3e Fed ont contourné la Guinée. Pourtant, certains pays du Marché commun, notamment les Pays-Bas, se sont toujours opposés à toute forme de discrimination vis-à-vis des pays en développement quant à leur association avec l'Europe communautaire. Et mieux, suite à la déclaration du gouvernement français publiée le 29 septembre 1958, Sékou Touré répondait: « La Guinée ne peut plus rompre avec la France qu'avec ses partenaires. Nous voulons demeurer dans l'orbite française, donc occidentale dans tous les domaines. » 50
Mais la Guinée apprendra à ses dépens que « Si l'infidélité politique est répréhensible, la révolte contre le système économique global est impardonnable. La première peut provoquer des sanctions. La réponse à la seconde ce sont des représailles sans merci: cessation de l'aide d'abord et dislocation économique par exclusion des récalcitrants du système lui-même. ». Malgré les tentatives de relance de la coopération initiées par le gouvernement guinéen, il ne réussira pas à mettre la France en minorité au sein de la Communauté. Le 22 novembre 1962, « ... On apprend que le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a informé les autres membres du Marché commun qu'il refuserait de ratifier l'association de l'Europe des six avec les pays africains qui reconnaîtraient l'Allemagne de l'Est. » 4.2. Les conséquences
positives
La conséquence de cette politique d'isolement de la Guinée a été bénéfique pour le pays dans la mesure où elle a créé un élan de solidarité internationale en sa faveur de la part des Africains d'autres colonies, des Antillais, Guadeloupéens, des Français et surtout des gouvernements des pays de l'Europe de l'Est, du Viet Nam, de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, de la Chine, etc. Il n'y a donc pas eu que ces conséquences nuisibles, d'autres plus reluisantes et plus importantes ont souri à la Guinée. A partir du 2 octobre 1958, la Guinée était un État au même titre que la France. Elles s'assoyaient d'égale à égale au tour de toutes les tables du monde même si celles-ci étaient au Palais de l'Elysée. Le gouvernement 51
guinéen pouvait non seulement parler au nom des Guinéens, mais aussi et surtout des Africains opprimés. « Cet évènement [l'indépendance de la Guinée] a provoqué et accéléré l'accession d'autres pays à l'indépendance faisant de la Guinée un point d'appui essentiel pour toutes les luttes de libération nationale en Afrique. » (Général Lansana Conté, 2000) Le choix politico-historique de la Guinée a fait d'elle le phare de l'Afrique et le fer de lance de la lutte pour l'indépendance totale et sans condition du continent. « C'est un fait incontestable que sans l'indépendance de la Guinée dans les conditions de rupture connues de tous, les pages de I 'histoire du P.A.I G.C. seraient écrites autrement... » Le secrétaire général de l'A.N.C., Nelson Mandela, a dit plus haut la contribution de la République de Guinée à la lutte de son parti pour la fin de l'apartheid. Poursuivant ses propos, Mandela regrettera l'annulation, in extremis, de la visite d'État qu'il devrait effectuer en Guinée un an plus tôt au mois de février 1996. Partout dans le monde, le Guinéen bénéficiait des mêmes attentions que tout Européen, Américain ou Chinois. La Guinée a pris part à toutes les formes d'opérations de maintien de la paix des Nations Unies et à toutes les opérations d'extinction des conflits en Afrique occidentale, depuis 1960, du Congo démocratique jusqu'au Liberia et à la Sierra Leone, dans les années 80, 90 et 2000, en passant par le Burundi, la GuinéeBissau, etc. Elle s'est battue sur les terrains de combat en Afrique pour la libération du continent du joug colonial. Elle a fourni des cadres aux pays nouvellement indépendants. Elle a initié toutes les organisations panafricaines et les a dirigées pendant plusieurs années. 52
De 1960 à 1984, la Guinée était le passage obligé pour la résolution de tous les problèmes africains; elle était la puissance politique du continent. Cette puissance du pays mérite d'être restaurée par l'élaboration d'une politique étrangère qui tienne compte des facteurs géostratégiques (politique, historique, géographique, humanitaire, militaire, économique, etc.). L'Afrique doit à la Guinée, mais il faut savoir réclamer la dette. A défaut de le savoir, notre pays n'a pas une politique étrangère à la hauteur des sacrifices consentis par le peuple de Guinée pour le continent. En conclusion, il faudra que les décideurs guinéens sachent que toutes les richesses d'une nation ne sont pas que matérielles, et que certaines valeurs politicohistoriques valent leur pesant d'or dans les relations internationales. Tel est le cas du vote du 28 septembre et par ricochet de la proclamation de la République du 2 octobre 1958. Il revient au gouvernement de mettre en valeur les facteurs géostratégiques pour une plus grande attractivité de la Guinée. Le Peuple de Guinée doit donc s'assumer, et c'est pourquoi les Guinéens doivent se souvenir, se souvenir pour construire grand. 4.3. La Guinée et les Conventions avec Communauté économique européenne (CEE)
la
Cette dernière partie relative aux conséquences de la proclamation de l'indépendance du 2 octobre 1958 permettra de comprendre que, malgré le rapprochement de la Guinée du monde occidental en 1975, notamment de la Communauté économique européenne, elle a été lésée dans les Conventions de Lomé I, II et III. C'est dire que les chances étaient minimes pour le pays de 53
s'en sortir tant les contraintes qui pesaient sur lui dépassaient de loin celles imposées aux autres pays A.C.P. Ici seront abordées les conséquences des trois dates glorieuses sur le plan de la coopération multilatérale,
précisément
avec
la
Communauté économique
européenne. Il est déjà signalé qu'il ne fallait pas s'attendre à ce que la Guinée continue de bénéficier du financement du 1er Fed, par le simple fait qu'elle a divorcé d'avec la France. Juridiquement, rien n'empêchait la Guinée de profiter de ces fonds, dans la mesure où la Quatrième partie du Traité de Rome liait la Guinée à la Communauté économique européenne et non à la France seule. En réalité la Guinée n'a été exclue que d'une seule convention, la Convention d'application du 25 mars 1957, qui était financée par le 1erFed. Elle n'a pas eu la possibilité de négocier son adhésion aux Conventions de Yaoundé (I et II) de 1963 et 1969. Ainsi, du 29 septembre 1958 au 27 février 1975, la République de Guinée a été rejetée par l'Europe occidentale malgré ses tentatives de réintégration de la C.É.E. des 27, 28 et 29 février 1959. - Les conventions d'application et d'association Le premier fond européen de développement (1er FecI), support de la Convention d'application, dotait la coopération C.É.E.-colonies de 580 millions d'écus. L'essentiel du fond (plus des deux tiers) était consacré à l'équipement de base des colonies. Le début de la mise en œuvre de ce programme correspondait à la Révolution guinéenne. La Guinée ne pouvait donc pas 54
en bénéficier. C'est dire que de 1957 à 1963, la Guinée n'a bénéficié d'aucun apport financier et technique de la part de l'Occident européen. La première Convention de Yaoundé (Convention de Yaoundé I) dotait le 2èmeFed de 800 millions d'écus. La priorité était toujours accordée aux infrastructures de base pour les États nouvellement indépendants. La France et la RF.A. ne voulaient toujours pas de la Guinée au sein de l'organisation communautaire. Les raisons de la France étaient connues des Guinéens et de la communauté internationale. Celles de la RF.A. ont pour origine la reconnaissance de la République démocratique allemande (D.D.R.) par le gouvernement guinéen. Rappelez-vous la menace de la RF.A. en date 22 novembre 1962 «... le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne... refuserait de ratifier l'association de l'Europe des six avec les pays africains qui reconnaîtraient l'Allemagne de l'Est. » Cette convention avait alloué un montant à la « promotion de la production et à la diversification des cultures commerciales» dans les É.A.M.A. La deuxième Convention de Yaoundé (Convention de Yaoundé II) dotait le 3èmeFed d'un milliard d'écus dont 72% était consacré toujours aux infrastructures de base dans les pays africains et malgache associés. Toujours rien pour la Guinée de la part de la France ou de la C.É.E. Ce Fed s'est intéressé « davantage aux productions vivrières au niveau des populations locales» dans les É.A.M.A.. L'on comprend en conclusion que la Guinée ne pouvait compter que sur ses propres efforts et sur ceux de ses partenaires socialistes qui connaissaient malle pays.
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La haine de la France pour la paire de gifles de Sékou Touré à Charles de Gaulle, la reconnaissance massive de la D.D.R. par les États indépendants d'Afrique suite à celle de la Guinée et le soutien du gouvernement guinéen aux mouvements de lutte de libération nationale dans les colonies portugaises ont constitué les prodromes de l'agression du 22 novembre 1970. - Les conventions de Lomé A partir de 1974, les réconciliations guinéo-allemande et guinéo-française sont négociées sous l'égide des Nations unies à la suite du voyage, en mars 1974, en Guinée, du secrétaire général de l'Onu, Kurt WALDHEIM. Les normalisations se sont opérées avec Bonn, le 22 juillet 1974 et avec Paris, le 14 juillet 1975. Ce rapprochement a permis à la Guinée d'établir des relations avec la C.É.E. dans le cadre de la première convention de Lomé (Lomé I) signée le 28 février 1975. Il s'agira d'analyser trois aspects liés aux 3 premières Conventions de Lomé financées par les 4è, 5è et 6è Fed. En effet, le choix des secteurs d'intervention, le rapport entre le montant des subventions et celui des prêts et capitaux à risques, et la liaison de l'aide surtout pour le Stabex n'ont pas milité en faveur de la Guinée pendant plusieurs années de coopération avec la C.É.E. Les Fed accordèrent au secteur du développement industriel le montant de 76 745 913 écus dont 63 106913 écus, soit 83,23%, furent affectés à deux usines. Pourquoi cette facilité de financement pour rien que 2 usines dans un pays où tout est à faire? Il se trouvait que ces usines devraient être rénovées et reprises par 56
des entreprises des pays membres de la Communauté: Unicot (Groupe textile grec) pour l'Usine textile de Sanoyah et Chovet engineering chargée de la remise en route de Soguiplast. Dans la mesure où plus de 50% des interventions de la C.É.E. en Guinée dans le cadre des conventions de Lomé l et II furent accordées à l'usine textile de Sanoyah et à l'Usine plastique, et vu les résultats auxquels l'on a abouti, la Coopération dans le domaine industriel « a été une catastrophe» a dit M. Gérard Hill, ancien responsable du Dossier Guinée à la D.G. VIII. Un autre aspect des protocoles financiers retient l'attention. Il s'agit du rapport entre le montant des subventions et celui des prêts et capitaux à risques. L'aide assortie de conditions de remboursement était très importante dans la Coopération C.E.E-Guinée: 43,98% pour la Convention de Lomé l et 34,73% pour Lomé II et Lomé III confondus. Les moyennes pour les États ACP étaient de 0% (1er FecI), 6.8% (2è Fed), 10% (3è Fed), 17% (4è Fed), 14% (5è Fed), 14% (6è Fed), etc. Enfin, au titre des transferts Stabex, système de stabilisation des recettes d'exportation de produits de base institué depuis Lomé I, la Guinée était fortement lésée. De 1975-1988, les montants nets reçus au titre de ces transferts étaient pour la Côte d'Ivoire de 333414998 écus, pour le Sénégal de 214 191 139 écus, pour le Cameroun 146 686 915 écus, pour la Sierra Leone de 18 328 403 écus, pour la GuinéeBissau de 17819 176 écus, etc. Pour la Guinée, absolument rien! C'est bien utile de comprendre que même avec l'Europe, la Guinée était étranglée. Dieu merci que nos dirigeants d'alors aient pu nous léguer 57
une Guinée en paix et toujours indépendante avec moins de 3 milliards de dollars US de dette et des ressources naturelles non spoliées et non bradées.
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Deuxième partie Les questions d'actualité
Les questions d'actualité traitent du combat des dirigeants guinéens depuis bien avant l'indépendance du pays pour l'intégration africaine, c'est-à-dire les Etats-Unis d'Afrique. Elles traitent aussi du cinquantenaire de l'indépendance de la République de Guinée pour lequel une minorité qui se donne beaucoup de voix tente d'intoxiquer et de désinformer les populations guinéennes sur la nécessité de cet évènement. Aussi, elles traitent de la volonté de changement du peuple de Guinée dans la gestion des biens et des services de la nation. Enfin, le pouvoir aux femmes sera le dernier élément traité dans le présent livre. Pendant cinquante ans d'exercice de la souveraineté nationale et de l'indépendance, les hommes n'ont pu mener la nation guinéenne à l'idéal de travail, de justice et de solidarité ni à celui de liberté et d'égalité qui sont les valeurs cardinales de la République de Guinée. Changer le fusil d'épaule c'est associer beaucoup plus intimement les femmes au pouvoir de décision, à tous les pouvoirs, et à la gestion des biens et affaires du pays.
Chapitre 1 : La Guinée et les Etats-Unis d'Afrique « Trop longtemps exclue des libres entreprises humaines, trop longtemps maintenue en marge de l'histoire, l'Afrique pleinement consciente des exigences de son avenir, refuse désormais d'être en retard sur l'histoire, elle refuse que soit sacrifiées les générations de ses peuples. » (Ahmèd Sékou Touré à la tribune des Nations unies, 1959) 1.1. Avant l'indépendance nationale Il est important de signaler que la Guinée ne doit pas se laisser voler la paternité de la politique d'intégration africaine par ceux qui viennent de la prendre en vol. Bien avant l'indépendance du pays, les dirigeants de la Guinée avaient fermement condamné le morcellement de l'Afrique occidentale française (A.O.F.) en huit (8) entités gouvernementales autonomes. Pour Sékou Touré, «La Loi-Cadre devait avoir pour conséquence directe l'éclatement de la structure fédérale de nos pays et l'isolement progressif des Territoires qu'ils [les tenants du régime colonial] souhaitent voir s'embourber dans les contradictions internes et des oppositions brisant leur front uni. L'éclatement de la Fédération [A.o.F ou A.É.F] est l'indication que la France veut diviser les Africains pour pouvoir les opposer les uns les autres et arbitrer
souverainement 1959)
leurs conflits locaux.»
(Septembre
En parlant de la Constitution de la Vème République française, M. Ismaël Touré, directeur de publication du quotidien "La Liberté", mentionnait dans l'édition du mardi 23 septembre 1958 (nOB8): « Le reproche capital que nous faisons au texte soumis au référendum, c'est de consacrer définitivement le morcellement de l'Afrique. Pas un mot dans la nouvelle constitution sur les entités A.OF et A.É.F dont la structure unitaire a déjà subi une grave atteinte depuis l'institution de gouvernements territoriaux issus de la Loi-cadre... » Les tenants du régime colonial n'avaient aucun intérêt à voir les deux Fédérations devenir deux pays indépendants. Comment concevoir autrement la possibilité de dominer des peuples, de les maintenir dans l'infériorité et d'exploiter leurs richesses si on ne prend pas la précaution de les couper les uns des autres... « Il faut que cela soit dit nettement une fois de plus, la Loi-cadre en divisant les Fédérations en territoires administrés séparément, en refusant même l'institution d'un Gouvernement de coordination entre ces territoires, a semé en Afrique le germe de l'éclatement de ces fédérations. » 1.2. Après l'indépendance A l'indépendance, le cap de la politique d'intégration a été maintenu. La République de Guinée a continué à faire de l'Unité africaine une action majeure de sa politique gouvernementale. La première Constitution du pays stipule dans son préambule, alinéa 4 : « rL 'État 64
de Guinée] affirme sa volonté de tout mettre en œuvre pour réaliser et consolider l'Unité dans l'indépendance de la Patrie africaine. Pour cefaire, i! combattra toutes tendances et toutes manifestations de chauvinisme qu'i! considère comme de sérieux obstacles dans la réalisation de cet objectif.» Plus loin, l'alinéa 6 stipule: « Il soutient sans réserve toute politique tendant à la création des États-Unis d'Afrique, à la sauvegarde, à la consolidation de la paix dans le monde. » Enfin, l'Hymne national de la République de Guinée proclame: Peuple d'Afrique, le passé historique que chante l 'hymne de la Guinée fière etjeune. Illustres épopées de nos frères morts sur le champ d'honneur en libérant l'Afrique. Le peuple de Guinée prêchant l'unité appelle l'Afrique. Liberté, c'est la voix d'un peuple qui appelle tous ses frères à se retrouver. Liberté, c'est la voix d'un peuple qui appelle tous ses frères pour la grande Afrique. Bâtissons l'unité africaine dans l'indépendance retrouvée. Après l'admission de la République de Guinée à l'Organisation des Nations unies, le 12 décembre 1958, Sékou Touré, dans son premier discours à la tribune de l'Assemblée générale de l'Onu, en octobre 1959, proclamait: « Après avoir affirmé le 28 septembre 1958, lors du référendum organisé par la France, que la Guinée préfère la liberté dans la pauvreté à l'opulence dans l'esclavage, nous nous ftrons un autre devoir de déclarer devant les dignes représentants des 65
Nations unies que dans les perspectives d'une évolution démocratique et rapide de l'Afrique, nous, dirigeants nationaux de la République de Guinée préférons être les derniers dans une Afrique unie plutôt que les premiers dans une Afrique divisée. » Il est donc fort intéressant de remarquer que le choix de la République de Guinée pour les États-Unis d'Afrique est plus vieux qu'elle-même. Il relève du temps colonial. Ce choix n'est pas non plus léger, il est consacré par la Constitution de la Première République et les déclarations solennelles des dirigeants nationaux à toutes les tribunes où la réaffirmation du choix s'imposait. L'acharnement des dirigeants guinéens pour l'intégration immédiate de l'Afrique relève du fait qu'ils étaient conscients que l'éclatement des Fédérations de l'Afrique occidentale française et de l'Afrique équatoriale française en des États lilliputiens n'est pas un fait dû au hasard. C'est dans le noir dessein de continuer à exercer la supériorité de la Métropole sur eux et de les exploiter parce que vulnérables du fait même de leur morcellement. Les Guinéens, hier comme aujourd'hui et encore plus demain, restent convaincus que: « Si on consultait les Peuples sur l'opportunité de l'Unité, si on leur demandait s'ils veulent vivre ensemble, en communauté, ils n'attendraient pas, ils placeraient les gouvernements devant le fait accompli en demandant une véritable unité. Les peuples sont en avance sur leurs dirigeants, ils sont plus généreux et plus enthousiastes que leurs dirigeants. Ce sont les
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dirigeants qui sont égoïstes, hésitants et procéduriers. » (Ahmèd Sékou Touré, 1979) 1.3. La nécessité de l'intégration principes politiques
africaine
et ses
L'importance que revêt l'intégration africaine maintenant est beaucoup plus visible aujourd'hui qu'hier. L'intégration de l'Afrique est la seule voie pour le continent de tirer profit de la mondialisation. Elle rend effective la complémentarité des économies, favorise les échanges d'idées et d'expériences entre les différents peuples, garantit la sécurité et la stabilité et tue dans l' œuf toute velléité de dictature personnelle, de régionalisme ou de tribalisme. L'étendue du marché du continent et sa variété donnent un poids suffisant pour attirer les multinationales de tous les secteurs d'activités socio-économiques. L'Afrique doit tirer parti des complémentarités de ses différentes parties en facilitant les échanges à l'intérieur du continent, en rapprochant par des liaisons routières, ferroviaires, aériennes, maritimes et fluviales les villes des villes, et les villes des campagnes. Pour les principes politiques de l'intégration du continent, l'Afrique doit choisir la liberté et la démocratie, l'action dynamique et populaire, l'emploi de toutes ses ressources, de tous ses moyens, l'appui de tous les systèmes, de tous les peuples, l'engagement de toutes ses filles et de tous ses fils, les enseignements de toutes les expériences, les leçons de toutes les pratiques, en un mot les fruits, tous les fruits du monde auxquels elle entend ajouter ses propres fruits.
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« La lutte pour l'intégration et le développement de l'Afrique... doit normalement guider nos activités car, si la liberté politique est un préalable, il faut que nous sachions que seule la libération économique pourra nous rendre réellement indépendants... Nous avons beau exiger de nouveaux termes d'échange, des tarifs justes, un contrôle effectif des ressources de nos pays, ces exigences connaîtront-elles satisfaction si nos économies restent vulnérables à cause de l'absence d'un minimum d'intégration ou même d'une politique minimale de concertation?» (Ahmèd Sékou Touré, 1980) Cette nouvelle libération du continent qui ne peut se faire réellement et pleinement que dans les États-Unis d'Afrique incombe à chacun de nos États actuels. L'Afrique unie reconquerra la plénitude de ses droits, l'intégralité de ses moyens, de sa personnalité, de sa dignité confisquée et demeurera continuellement responsable de son destin. 1.4. La place de l'Afrique nations
unie dans le concert des
Les États-Unis d'Afrique qui émergeront dans le concert des nations iront à la rencontre du reste du monde, non pas comme un antagonisme, mais au contraire avec une entière volonté de coopération, un souci conscient et constant d'être un apport dont le monde ne saurait se priver sans compromettre ses chances et ses ressources. L'Afrique doit être unie, mais l'Afrique est diverse; nous devons faire de la diversité non pas un élément de division mais un facteur d'unité, et comme l'a dit de 68
façon géniale le regretté Dr Kwarne Nkrumah, « L'Afrique doit être unie et marcher résolument vers les États-Unis d'Afrique ». Nous disons que l'Afrique a une identité commune, incarnons-la. Nous devons toujours faire montre d'esprit de sacrifice, de volonté de dépassement pour accélérer notre marche. L'Intégration africaine se réalisera plus tôt que prévu par le simple fait que la cause de l'homme doit triompher nécessairement et que l'Afrique, à travers ses vicissitudes triomphera aussi des multiples obstacles accumulés sur sa route par l'égoïsme et l'incompréhension, l'orgueil et la sottise... On peut bien considérer que tant que l'humanité n'aura pas incorporé cette immense cohorte des peuples prolétaires de la vie universelle, la famille humaine ne sera qu'incomplète, incertaine d'atteindre son terme de perfection dans l'union, dans le progrès et dans la liberté. De tout ce qui précède, il ressort que les États-Unis d'Afrique constitueront une entité fiable et un partenaire solide pour le reste du monde. Ils constitueront un maillon fort du pari du siècle, « le pari de la sécurité contre la guerre, le pari de la liberté contre l'esclavage, celui de la raison contre la force, de l'équité contre le privilège, enfin... le pari de l'avenir contre le passé... Toute la qualité de la vie des peuples est désormais inscrite dans cet engagement fondamental: vouloir vivre, oser vivre dans le présent pour l'avenir et non plus vivre dans le passé contre l'avenir. » (Ahrnèd Sékou Touré, 1959)
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Chapitre 2 : Du cinquantenaire de la République de Guinée, le 2 octobre 2008 ! Dans la vie des nations, des peuples et des personnes, des moments bien choisis permettent de jeter un regard interrogateur sur le passé pour mieux comprendre le présent afin de bien se projeter dans l'avenir. Le début d'une année, par exemple, est la période choisie pour présenter le bilan des activités d'un gouvernement et ceux des sociétés et des personnes pour l'année précédente. Pour toute une nation, la période-année semble courte pour cerner les impacts des activités, toutes les activités des pouvoirs publics: exécutif, législatif et judiciaire, sur la vie des populations guinéennes dans le présent et pour l'avenir. 2.1. Pas de panique, le cinquantenaire personne.
n'est contre
Un peuple comme celui de Guinée qui a connu six siècles de traite négrière et de colonisation, et qui a arraché son indépendance au prix de la sueur, des larmes et du sang, se doit de s'arrêter pour s'autoévaluer après une période d'au moins cinquante (50) ans d'exercice des attributs de la souveraineté et de l'indépendance. Cette période est à peu de chose près égale au temps de la colonisation effective. Aussi, au moins un autre pays, le Ghana, indépendant en 1957, en a donné un exemple réussi.
Le fait que les avis soient partagés sur le sujet découle d'un manque d'information et de sensibilisation. C'est pourquoi, il faut rassurer chacun et tous sur le thème de cet évènement qui ne saurait être que le cinquantenaire de la République de Guinée, donc du bilan de la République. Pour cet évènement, ce n'est pas seulement le bilan des personnes, ni leurs problèmes particuliers qui intéresseront le Peuple de Guinée. C'est dire qu'il ne s'agira pas uniquement de Sékou Touré,
1er président du pays, ou du général Lansana Conté son
successeur. Ce qui intéresse le Peuple de Guinée, c'est là où il est aujourd'hui par rapport à la mise en œuvre des valeurs cardinales de la République que sont l'hymne national (liberté), le drapeau (le rouge, le jaune et le vert) et la devise (Travail-Justice-Solidarité). Il reste pourtant très clair pour chaque Guinéen, qu'il est impossible de parler de la République de Guinée sans parler de feu Ahmèd Sékou Touré, le père de l'indépendance du pays, «L 'homme africain décisif.. certainement un homme exceptionnel...» (Aimé Césaire, 1959) et « ... Un homme courageux et rigoureux, un homme d'État qui a été plus enclin à suivre la voie de l'austérité que celle du faste, un leader syndicaliste incomparable ayant évolué dans un contexte international marqué par l'adversité d'abord dans la lutte pour l'indépendance, et ensuite pour la gestion de l'indépendance contre laquelle l'ancienne Métropole n'a cessé d'œuvrer en s'appuyant, comme elle a toujours su le faire, sur des complices extérieurs et intérieurs». L'évènement est donc indiqué pour rendre hommage à son oeuvre exceptionnelle pour le passé, le présent et le devenir de la Guinée et de l' Afrique.
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C'est vrai que, dès qu'on parle de bilan, les gens pensent automatiquement à l'aspect quantitatif de la vie de la nation: les infrastructures réalisées, le nombre d'enfants scolarisés, la quantité de marchandises importées ou de produits exportés, le taux d'inflation, la longévité des gouvernements, les montants de l'aide extérieure, etc. Par delà ces valeurs quantifiables, les Guinéens doivent faire un exercice d'auto-méditation et d'auto-critique par rapport à la mise en œuvre et au soutien des valeurs cardinales de la République de Guinée, de la nation guinéenne. Ces valeurs cardinales constituent l'aspect qualitatif de la nation. Elles sont irréductibles et ne doivent souffrir d'aucune entorse dans leur défense et leur mise en œuvre. Il sera question donc de savoir si l'État de Guinée qui a la charge suprême de valoriser et de défendre ces valeurs s'est attelé, depuis le 2 octobre 1958, à hisser et à faire hisser haut le drapeau national; à défendre et à faire défendre la liberté dans toutes ses variantes tant en Guinée que dans la Communauté internationale; à travailler et à faire travailler dans la justice (c'est-à-dire dans la transparence et la bonne gouvernance) pour la solidarité nationale (c'est-à-dire dans l'intérêt supérieur de la nation et de ceux de chacun des citoyens guinéens). Le choix de critères consensuels d'analyse pour le bilan de la République depuis le 2 octobre 1958 éviterait la passion dans le débat, la subjectivité dans le jugement, la haine dans les projets de sanctions et les desseins sordides d'écraser l'autre. Ainsi, l'on se met à l'abri de la partialité, de l'injustice et de l'intolérance. Pour cela on ne peut que se référer aux fonctions de l'État telles qu'elles ont été énoncées par les grands philosophes 73
politiques. Ces fonctions sont plus vieilles que l'État guinéen lui-même. A cet égard, les douze (12) questions qui suivent permettent de faire le bilan de la République de Guinée. 2.2. Évaluation de la République de la Guinée 1- L'État de Guinée a-t-il hissé et fait hisser haut le drapeau guinéen tant en Guinée qu'à travers le monde? 2- L'État de Guinée a-t-il défendu et fait défendre la liberté dans toutes ses variantes tant en Guinée que dans la Communauté internationale? 3- L'État de Guinée a-t-il travaillé et fait travailler dans la justice (c'est-à-dire dans la transparence et la bonne gouvernance) et pour la solidarité nationale (c'est-à-dire dans l'intérêt supérieur de la nation et de ceux de chacun de ses composants) ? 4- L'État de Guinée a-t-il rempli sa/onction régalienne en faisant respecter l'ordre et la discipline, et en protégeant les citoyens et leurs biens à travers la police, l'armée et la justice ? 5- L'État de Guinée a-t-il été l'instituteur du social en renforçant les valeurs de l'éducation, de l'enseignement et de la culture? 6- L'État de Guinée a-t-il œuvré réellement pour l'unité nationale tout en respectant les diversités?
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7- L'État de Guinée a-t-il été l'État-providence ne serait-ce que sur le plan de la solidarité nationale en protégeant les couches de la population les plus fragiles? 8- L'État de Guinée a-t-il été l'État promoteur économique en soutenant l'économie nationale dans la réalisation des services sociaux de base pour l'ensemble de la population et la réalisation des grands travaux (usines, barrages hydroélectriques, routes, chemin de fer, aérodromes, aménagement des plaines, etc.) ? 9- L'État de Guinée a-t-il respecté le principe de la séparation des pouvoirs par rapport aux principes fondamentaux d'un État moderne, tels qu'ils ont été énoncés par les grands philosophes politiques? 10- L'État de Guinée a-t-il été influencé relativisme culturel dans la mesure où il institution sociale qui subit l'influence géographie, de l'histoire et de la sociologie milieu de développement? (La Guinée est-elle à part ?)
par le est une de la de son un pays
11- L'État de Guinée a-t-il joué un rôle important dans les relations internationales (promotion de l'intégration africaine, extinction des conflits africains et internationaux, promotion de l'Afrique, représentations diplomatiques et consulaires dans le monde, etc.) ? 12- Aujourd'hui, dans le cadre de la mondialisation, une des fonctions principales de l'État est son rôle de régulateur social. Il est l'arbitre qui fixe les règles du 75
jeu et veille à leur application, compte tenu des divers intérêts impliqués et, surtout, de l'intérêt national. Envisagé dans ce contexte, le rôle de l'État consiste tout d'abord à définir une stratégie d'ajustement aux problèmes nouveaux, puis à rechercher les moyens d'y remédier, et enfin à fixer le niveau (secteurs public, privé ou même société civile) susceptible d'apporter la réponse la plus adéquate. L'État de Guinée l'a-t-il fait?
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Chapitre 3 : Le Concept de changement en République de Guinée Depuis le 22 janvier 2007, le mot qui se trouve sur les lèvres de chaque Guinéen est "changement". Pour matérialiser ce petit mot dans la conduite de la gestion des biens et des affaires de la nation guinéenne, des vies entières ont été enlevées, certaines mutilées et d'autres traumatisées. Tout ceci, rien que pour faire accepter dans la conduite quotidienne du Guinéen ce mot de dix lettres. 3.1. Définition et nature En consultant le Robert Collège (nous sommes au niveau moyen des Guinéens), deux notions importantes se dégagent quant à la définition du mot changement: 1- l'état de ce qui évolue, se modifie sans changer de nature; et 2- le fait de ne plus être le même. À ces deux définitions correspondent les notions d'évolution et de révolution. Vous comprenez qu'il ne suffit pas de mettre en évidence l'idée de changement, il faut encore s'interroger sur sa nature. La nature du changement fait donc qu'il y a deux sortes de changement: un changement que l'on peut qualifier de quantitatif et un changement que, par opposition, on peut appeler qualitatif. La différence entre le changement quantitatif et le changement qualitatif réside dans le fait que le changement quantitatif introduit un certain nombre de
transformations dans un phénomène donné, sans en changer les caractéristiques essentielles qui font du phénomène ce qu'il est. Par exemple, le fait de chauffer l'eau peut bien augmenter sa température, sans cependant changer sa nature de liquide (là nous sommes en sciences physiques). En politique, nous sommes en train de vivre depuis le 4 janvier une tension à Conakry et à l'intérieur du pays parce que tout simplement le changement calibré par l'Accord du 27 janvier 2007 ne change en rien le paupérisme intentionnel imposé aux populations guinéennes par ceux qui profitent des biens de tous. Quant au changement qualitatif, il se produira à partir du moment où l'eau portée à ébullition se transformera en vapeur. Le changement qualitatif est donc la transformation du liquide en vapeur. Cela signifie en politique que par delà l'évolution ou les évolutions, il faut la révolution qui dissout radicalement les vieilles habitudes et pratiques. La situation actuelle de la Guinée reflète bien la nuance entre évolution et révolution. La feuille de route du Gouvernement de large consensus veut nous faire passer d'une politique de tensions et de conflits à une politique de coopération entre gouvernants et gouvernés sans changer la nature koudèiste du système qui gère le pays. 3.2. Les insuffisances de la feuille de route du 27 janvier 2007 On a fait débarquer le Premier ministre et son Gouvernement (son Gouvernement avec réserve) sur un terrain miné, dans un système préétabli. Il est important de signaler que tout système politique met l'accent sur sa survie et par conséquent sur tout ce qui peut 78
contribuer à maintenir son équilibre. Par contre, tous les évènements qui pourraient mettre en danger son existence et son équilibre sont des phénomènes pathologiques, déviants, auxquels il convient de mettre un terme afin que le système puisse retrouver son équilibre naturel. Pour preuves, le choc des décrets, la somnolence des projets de décrets et le limogeage du premier ministre de large consensus, M. Lansana Kouyaté, qui font perdre du temps dans une politique d'un pas en avant, deux pas en arrière. Il convient également de tenir compte des contingences dans la lutte, c'est-à-dire de l'existence de certains phénomènes qui contribuent à ralentir le cours des évènements. Il en est ainsi par exemple du rôle néfaste ou malheureux joué par certaines personnalités politiques, militaires, de la société civile, etc. éminentes. Le peuple dans sa lutte a d'autant plus à faire qu'il doit se battre sur deux plans. D'abord, contre ceux qui ont été la cause de la grève de 2007 et qui cherchent à contrecarrer le changement quantitatif initié par l'Accord de Conakry; ensuite, contre le Gouvernement de large consensus auquel il doit demander compte sur l'état de la mise en œuvre de la feuille de route. C'est la logique dialectique qui l'enseigne et cela s'est quasiment toujours prouvé. Il convient de remarquer qu'il y a un lien dialectique entre la cause et l'effet, ce qui est tout à fait conforme à la loi de l'unité des phénomènes. Il en résulte que la cause et l'effet sont mutuellement convertibles, l'effet pouvant à son tour devenir cause.
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En d'autres termes, la grève de janvier et février 2007 a été la cause de l'arrivée du Gouvernement de large consensus ayant à sa tête un premier ministre chef de gouvernement. Ce gouvernement doit mettre en œuvre l'Accord de janvier 2007. Le défaut d'application efficace et efficiente des termes de l'Accord de Conakry retournera le Syndicat contre l'effet de sa lutte (le gouvernement de large consensus) qui devient par conséquence la cause de sa lutte ultérieure. Ainsi, l'effet gouvernement devient la cause nouvelle. 3.3. Relation entre loi fondamentale et Accord de Conakry du 27 janvier 2007 Maints observateurs de la scène politique guinéenne supposent une situation conflictuelle entre la Loi fondamentale et l'Accord de Conakry. Pendant la période de préavis de la grève générale et illimitée qui devait débuter le 10 janvier dernier, j'ai suivi toute une tonne de déclarations partisanes de personnalités se disant passeurs du droit. Il me plait ici de signaler qu'aucun droit national (Constitution, Loi fondamentale, pacte national, etc.) ne peut être interprété de manière à opposer les gouvernants aux gouvernés. Nulle part au monde une constitution ne peut s'opposer aux aspirations légitimes du peuple qui la garantit et qui est sa source. La Loi fondamentale est « la maison» qui abrite « le rêve partagé» des populations guinéennes. Cette loi n'est ni parfaite ni immuable. Elle est établie sur la base du passé, du présent et de l'avenir de la nation. Il n'est pas donné à un être humain, donc imparfait, de lire exactement le devenir d'une nation. C'est pourquoi il revient aux législateurs d'adapter régulièrement la loi 80
fondamentale aux nouvelles aspirations du peuple. Si cela n'est pas, un conflit naît. Et justement, l'existence du conflit doit amener le législateur à prendre en compte la volonté populaire pour en faire une loi, car les aspirations de tout un peuple ne sont jamais légères. L'Accord de Conakry du 27 janvier 2007 s'inscrit dans ce cadre. L'Accord de Conakry a valeur de pacte conclu entre le garant de la sécurité, de l'unité, de l'intégrité et de la quiétude de la nation guinéenne, et le peuple de Guinée. Et c'est pourquoi il a force de loi. Il revenait aux législateurs de l'ériger en loi en le faisant entrer dans « la maison loi fondamentale» s'ils ont l'initiative des lois. Dans le cas contraire, ils devraient amener l'exécutif à le proposer comme loi. Dans tous les cas, il est impensable qu'un parlement se contente pendant plus de quinze ans de tout simplement légiférer sur les projets de loi proposés par l'exécutif sous prétexte que la loi fondamentale ne lui reconnaît pas l'initiative des lois. Cette initiative des lois au parlement devrait être le premier amendement de la loi fondamentale. Qui peut être mieux à l'écoute des aspirations des populations que leurs propres élus? La somnolence républicaine et la mise en veilleuse des projets de décrets sont la cause de cette autre grève qui a frappé à nos portes en janvier 2008 avec des conséquences imprévisibles. En résumé, il n'y a aucune situation conflictuelle entre la loi fondamentale et l'Accord de Conakry. La question n'est pas de savoir si l'Accord du 27 janvier 2007 relève du droit ou non, elle est de savoir si cet accord a sauvegardé les intérêts supérieurs de la nation et a apporté la paix sociale et la quiétude pour les populations. 81
La feuille de route n'est pas suffisante pour opérer le changement en Guinée parce qu'elle est le résultat d'une analyse systémique de la situation guinéenne. En dialectique, l'analyse systémique ne prend en compte que ce qui semble, je dis bien ce qui semble être l'élément essentiel, parce que tout simplement visible. La partie cachée de l'iceberg est ignorée. Ainsi, la primauté a été accordée à l'élément économique pour sortir les populations du paupérisme beaucoup plus occasionné par la mauvaise gouvernance politique du pays que par la gestion économique corruptrice généralisée. En effet, celle-ci n'est que le fruit de cellelà. L'aspect politique est ignoré dans la feuille de route ou ramené tout simplement à la mise en place d'une Commission électorale nationale indépendante (CENI). La feuille de route devrait s'axer sur la refonte du visage politique de la Guinée avant toute élection législative ou autre. Nous sommes conscients que s'il y a élection législative maintenant en Guinée, c'est le parti vainqueur qui héritera du pouvoir. Quelque soit ce parti, il est aujourd'hui vrai que ses dirigeants seront des recyclés du pouvoir ou des éternels mécontents rompus aux pratiques ethniques. Après donc la mission du Gouvernement de large consensus, ce sont les mêmes qui reviendront au pouvoir, pourquoi pas avec les mêmes idées? À cet égard, j'estime qu'il faut faire le toilettage du visage politique avant toute élection législative. Il n'y a pas lieu de se précipiter pour revoir les mêmes têtes avec les mêmes incompétences, les mêmes susceptibilités
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ethniques et quasiment toutes amoindries par le poids de l'âge. 3.4. La solution pour un changement qualitatif Pour ce toilettage du visage politique de la Guinée, je propose que l'Accord de Conakry lui-même évolue en ne demandant pas uniquement au Gouvernement mais aussi et surtout à l'Assemblée nationale qui légifère; que la loi cerne de près la représentativité du peuple à l'Assemblée nationale en faisant plus de places pour les jeunes et les femmes. Sur chaque liste de 77 candidats de parti politique, il faudra 60 jeunes (45 ans au plus) dont au moins 30 femmes. L'inscription sur les listes électorales des partis respectera le pourcentage correspondant aux 60 jeunes dont 30 femmes pour chaque tranche de 10 noms. Je souhaite vivement que nos gouvernants et nos hommes politiques aient constamment à l'esprit cet enseignement de feu Ahmèd Sékou Touré, premier président de la République de Guinée: «A chaque génération ses responsabilités particulières. A chaque phase de son évolution, le peuple doit déposer à la gare quelques bagages vermoulus et embarquer de nouvelles valeurs pour amplifier sa confiance en l'avenir, décupler son dynamisme dans l'action. » Ce qui justifie l'importance que j'accorde aux femmes et aux jeunes saute aux yeux de chacun et de tous. Je me fais tout juste le devoir de le rappeler. D'abord les femmes: elles constituent parmi les « les laissés-pourcompte» le groupe le plus important en Guinée. En effet, elles représentent plus de 52% de la population adulte. Elles paient plus que leur part à la Société 83
guinéenne en travaillant dans et en dehors du foyer. Nous savons tous, en citoyens conscients et consciencieux, que tout ceci ne leur permet même pas d'avoir, au même titre que les hommes, leurs mots à dire dans les décisions concernant la nation. Tout le monde ne fait que se servir d'elles pour atteindre leurs objectifs politiques et autres. Ensuite les jeunes: ils doivent être impliqués dans le processus de démocratisation de la République de Guinée en raison de leur qualité de décideurs de demain. Ils sont ouverts aux changements et ils assurent la pérennité du système que nous voulons construire, donc le maintien du « rêve partagé» qu'est la nation guinéenne. Personne ne peut mesurer leurs aspirations mieux qu'eux-mêmes. Et la somme de leurs aspirations fait la Guinée de demain. Pour Ali Ibn Abi Taleb, 4ème Khalife de l'Islam, « Le cœur des jeunes est comme une terre vierge, tout ce qu'on y plante ill 'accepte. »
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Chapitre
4 : Le pouvoir aux femmes
Pour un devenir heureux de la nation guinéenne, il y a lieu de changer l'ordre préétabli des choses en dépoussiérant les us et coutumes et en faisant le toilettage du visage politique. La vie de notre nation depuis l'indépendance jusqu'à maintenant n'a été faite que de peine, de haine, de larme et de sueur. Il n'y a eu aucun espoir de lendemain meilleur, même si, pendant les vingt-six premières années de notre indépendance, nous avions cru trouver notre propre voie. Plus de vingt ans nous séparent des moments où la Guinée représentait tous les espoirs de l'homme noir en général, de l'Africain en particulier. 4.1. La démission des Guinéens Depuis 1990, les Guinéens ont tout essayé pour renaître à la liberté, et pour que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple soit une réalité dans la vie de la nation. Ils ont tout fait pour lutter contre tout ce qui perturbe l'égalité et instaure des avantages absurdes et sans contenu dans la société. Les grèves syndicales des années 2006 et 2007 en sont les preuves criardes. Ces grèves ont entraîné des centaines de pertes en vies humaines et des dégâts matériels incalculables. Les dispositions prises et les institutions mises en place à la suite de celles-ci pour soulager le peuple de Guinée n'ont, jusqu'à maintenant, abouti à rien de tangible. Et mieux, depuis décembre 2007, elles sont de plus en plus bafouées.
Ainsi, le Guinéen, tourmenté et déçu par toutes les politiques politiciennes, est en quête d'un autre "autel". Il faudra de façon ferme être résolu à faire en sorte que les morts ne se soient pas sacrifiés en vain, que l' œuvre entreprise depuis les mois de janvier et février 2007 soit menée à terme avec l'aide de Dieu, et que malgré tout le retard pris, le peuple de Guinée ait des motifs réels d'espoir pour un lendemain meilleur exempt de toute politique d'un pas en avant, deux pas en arrière. Pour ce faire, c'est bien le moment de changer le fusil d'épaule. En effet, pendant cinquante ans d'exercice de la souveraineté nationale et de l'indépendance, les hommes n'ont pu mener la nation guinéenne à l'idéal de travail, de justice et de solidarité ni à celui de liberté et d'égalité. Ces idéaux sont les valeurs cardinales de la République de Guinée. Changer le fusil d'épaule c'est associer beaucoup plus intimement les femmes au pouvoir, à tous les pouvoirs, et à la gestion des biens et affaires du pays. C'est vrai que la République de Guinée est née avec des principes égalitaires entre homme et femme. C'est tout aussi vrai que les femmes ont été d'un apport inestimable à la consécration du vote négatif légendaire contre la Constitution de la Vème République française qui prévoyait la Communauté franco-africaine. Les noms de M'Balia Camara, Loffo Camara, Mafori Bangoura et autres raisonnent encore dans les oreilles. Ils matérialisent l'engagement ferme des femmes pour l'indépendance nationale.
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4.2. Ce dont les Guinéennes sont capables Après ces pionnières, d'autres femmes ont fait leurs preuves dans la gestion de l'indépendance nationale et ont représenté la Guinée dans les plus hautes institutions africaines et internationales. C'est le lieu de penser à Mme Jeanne Martin Cissé qui a été la première femme, et de surcroît noire, a siégé au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations umes. Cette africaine de Guinée a été, il faut le rappeler, la Présidente du Comité spécial de l'Onu contre l'apartheid établi par la résolution 1761 (XVII) de l'Assemblée générale, du 6 novembre 1972. C'est à la tête de ce Comité spécial que celui-ci « ... s'est efforcé de faire tout ce qui est à son pouvoir pour assurer une reconnaissance et un appui plus large au niveau international à la lutte du peuple sud-africain pour sa libération... Insister sur le fait que l'apartheid en Afrique du Sud n'est pas seulement un crime contre la population sud-africaine ou un affront à l'Afrique, mais aussi une grave menace pour la paix à laquelle est attaché l'ensemble de l 'humanité... » (Communiqué de presse des Nations unies GA/AP/52, 21 janvier 1976) Pendant que Mme Jeanne Martin Cissé présidait le Comité spécial contre l'apartheid, l'on peut rappeler certains résultats obtenus au fil des années. « L'apartheid a fini par être universellement condamné comme un crime sans pareil et répugnant. Il a été reconnu que le problème en Afrique du Sud ne tient pas seulement à la violation des droits de l 'homme ou à l'emprisonnement arbitraire de quelques-uns, mais à l'oppression de la grande majorité de la population par 87
un régime raciste. Des résolutions et des déclarations, adoptées à des majorités écrasantes, ont engagé l'Organisation des Nations unies et les États membres à combattre aux côtés du peuple sud-africain... Des fonds ont été établis pour aider le peuple opprimé d'Afrique du Sud et des contributions importantes ont été versées par les États du monde entier.» (Communiqué de presse des Nations Unies GA/AP/523, 21 janvier 1979) Mme Jeanne Martin Cissé, fruit de la Révolution guinéenne déclenchée depuis le rejet de la Communauté franco-africaine, avec son aptitude à la direction, sa conviction ferme et son ouverture d'esprit a prouvé à la face du monde, s'il en était encore besoin, que la femme noire peut s'occuper des grandes affaires du monde aussi délicates qu'elles soient. Mme Cissé a reçu la médaille d'or de l'Onu au même titre que le président feu Houari Boumediene de l'Algérie, pour sa contribution à la lutte contre l'apartheid. Ses consœurs, d'autres guinéennes, ont fait leurs preuves sur les plans national, sous-régional et africain, et d'autres encore, les plus nombreuses excellent dans le fait de payer plus que leur part à la Société guinéenne en travaillant dans et en dehors du foyer. En effet, depuis les réformes imposées à l'État guinéen par la politique d'ajustement structurel du système de la Banque mondiale, les femmes supportent dans la majorité des familles urbaines le poids de la survie de celles-ci. Dans les campagnes, la culture aidant, les femmes sont attelées aux travaux champêtres et
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ménagers toute la journée jusqu'à très tard dans la soirée (pas moins de 14 heures d'occupation sur 24). 4.3. Pourquoi le pouvoir aux Guinéennes De tout ce qui précède, il s'établit qu'autant que les hommes, sinon plus, les femmes peuvent gérer la destinée de la République de Guinée tant sur le plan national qu'international surtout que: « Dans l'ordre islamique, la femme jouit des droits égaux à ceux de l 'homme: le droit à l'étude, le droit au travail, le droit à la propriété, le droit de voter, et le droit d'obtenir des votes. Du [point de vue] des droits humains, il n'existe aucune différence entre homme et femme car tous les deux sont des êtres humains... Nous souhaitons voir la femme dans son rang élevé d'être humain et non pas une poupée... L'Islam ne désire pas voir la femme comme un objet et une poupée entre les mains des hommes... Tout comme l 'homme, la femme est libre de choisir son sort et ses activités. » (Imam Khomeiny, cf. le récit de l'éveil, 1996, page 258) Si la République de Guinée est née avec des droits égalitaires entre homme et femme, l'occasion n'a jamais été donnée pleinement à celle-ci de jouir des avantages absurdes et sans contenu accordés à celui-là. La Guinéenne a toujours cru aux slogans d'égalité pensant que les choses couleraient d'elles-mêmes. Elle s'est donc endormie sur ses lauriers. L'interprétation partisane de l'ordre islamique par les hommes a davantage fait endormir la musulmane. Les expériences d'ailleurs, surtout dans les "grandes démocraties", prouvent que l'émancipation réelle de la femme exige une évolution de l'opinion publique et non l'action 89
d'un parti politique. Les partis politiques se battent pour hisser leurs dirigeants au pouvoir et les y maintenir le plus longtemps possible. Pour cela, ceux-ci n'hésitent pas à tailler les constitutions à leurs mesures. Les hommes se sont relayés à tous les postes de décision et de gestion au niveau de l'État guinéen sans pouvoir sortir la nation guinéenne de l'analphabétisme, de la faim, de la démoncratie, bref du sousdéveloppement chronique. Certains ont été évincés de leurs postes pour incompétence, d'autres pour vols, détournements et fautes lourdes. Tous, sans exception aucune, se sont repositionnés dans les partis politiques en vue des élections législatives et présidentielles prochaines. Forgés dans le clientélisme, l'égoïsme et la démoncratie, ils reviendront avec la même idée charnière: tout pour eux, rien pour le peuple. Non! Le peuple de Guinée ne peut pas faire son deuil de sa volonté de changement qualitatif. Il ne peut plus être question de revoir aux postes de décision et de gestion les mêmes têtes avec les mêmes incompétences, les mêmes susceptibilités ethniques et quasiment toutes affaiblies par le poids de l'âge. Pour cela, je m'accorde la tâche difficile, mais combien noble, d'appeler l'attention de mes soeurs, cousines et filles guinéennes sur l'autre façon de gérer la Guinée: le pouvoir à ceux qui représentent la plus grande proportion de la population, ceux qui, dans l'ensemble, ont des mains non souillées, c'est-à-dire les femmes. Cette tâche à laquelle je m'attelle sera remplie par devoir et par nécessité. Pour cela, je ne veux ni réfléchir, ni parler, ni écrire avec hésitation ou modération... Je suis déterminé - je ne tergiverserai 90
pas - je ne chercherai pas d'excuse - je ne reculerai pas et je me ferai entendre;
comme l'a si bien dit en
son temps William Lloyd Garrison, Ie 1er janvier 1831. Ceci est d'autant plus vrai que la part des femmes dans la lutte pour l'indépendance et la souveraineté nationale est sans commune mesure. C'est aussi d'autant plus vrai qu'elles sont à la base de la consolidation de tous les régimes politiques que la République de Guinée a connus. Maintenant, elles cesseront d'applaudir et on applaudira pour elles; elles cesseront de danser et on dansera pour elles. Le pouvoir, la grande partie du pouvoir et la gestion des biens et des services de l'État guinéen doivent revenir aux femmes. Il est certain que, sans malveillance envers personne, parce que mères de tous; avec fermeté dans la lutte pour le bien-être des Guinéennes et Guinéens, tel que Dieu nous donne de le voir, elles s'efforceront de mener à terme l' œuvre entreprise depuis l'indépendance, de panser les plaies de la nation et de faire tout leur possible pour que le gouvernement de l'État de Guinée soit un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. 4.4. Les mesures concrètes à envisager Pour rendre effectif l'engagement des femmes dans le processus de la bonne gouvernance en Guinée, il est impératif de tenir une Convention des femmes. Cette convention s'attellera à identifier les obstacles à l'application efficace et efficiente du droit égalitaire entre homme et femme. Elle se penchera sur les amendements à apporter à la Loi fondamentale pour un partage équitable des pouvoirs de décision et de gestion au niveau de l'État guinéen. 91
Concrètement, par exemple, la polygamie doit être proscrite; les allocations familiales accordées aux travailleurs doivent revenir à leurs femmes; égalité entre homme et femme dans le foyer; que la loi cerne de près la représentativité des femmes à l'Assemblée nationale en leur faisant plus de places. Sur chaque liste de 77 candidats de parti politique, il faudra 30 femmes; l'inscription sur les listes électorales des partis respectera le pourcentage correspondant aux 30 femmes pour chaque tranche de 10 noms. La Convention évaluera les retombées de l'application du droit égalitaire entre homme et femme pour mieux définir les nouvelles responsabilités de celle-ci dans et en dehors du foyer. Pour la Convention, des commissions et des souscommissions seront constituées, un programme détaillé sera établi pour leurs travaux et la Convention se tiendra en septembre 2008 pour finir le 28 du mois. Elle regroupera les femmes venues de toutes les préfectures, de toutes les sous-préfectures et de toutes les Communautés rurales de développement. Les hommes patriotes et les femmes de toutes les spécialités et de toutes les activités socio-professionnelles y prendront part. Les fonds nécessaires pour la tenue de la Convention viendront des cotisations des femmes, des hommes de bonne volonté, de l'État de Guinée, des ONG nationales et internationales, et des institutions internationales spécialisées dans la promotion des femmes.
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Conclusion Une histoire glorieuse, une géographie fournie, diversifiée et étendue, et une population endurante pour une Guinée amoindrie par une gouvernance boiteuse, une économie qui bat de l'aile, une armée traînée dans la boue, une police bafouée, un patriotisme douteux et un paupérisme qui dément les avantages de I'histoire et de la géographie. Telle est la Guinée, sur les genoux par nos propres fautes, que nous devons léguer à nos propres enfants. En ce début du XXlème siècle, globalement la République de Guinée va mal. La pauvreté absolue ronge plus de 70% de sa population; ceci représente plus de 7 millions de personnes sur les 10 millions d'habitants que compte le pays. Aucune amélioration des conditions de vie de la population n'a pointé à l'horizon depuis 2003. La situation s'est d'ailleurs empirée depuis 2006 avec les interminables contestations de la mauvaise gouvernance imposée à la population par les puissants et les riches qui profitent des biens de tous. Le taux d'analphabétisme dépasse les 50%. Des milliers d'enfants à l'âge de la scolarité ne peuvent aller à l'école par insuffisance d'infrastructures. Le ratio élèves/salles de classe atteint 180 dans certaines Communes de Conakry. Le taux de mortalité infantile est d'environ 100%0 (le plus élevé au monde), le
nombre d'habitants par lit d'hôpital avoisine 2000 et le nombre d'habitants par médecin est d'environ 10300. Le paludisme, la malnutrition, les maladies diarrhéiques et le choléra représentent 30% des causes de décès. Il est courant qu'un malade quitte NZérékoré (plus de 1000 km) ou Kankan (662 km) pour une simple radiographie pulmonaire à Conakry. Les activités agro-pastorales sont quasiment extensives: techniques culturales médiocres, train de culture archaïque, rendement faible, etc. L'élevage est basé sur le principe « Dieu t'a créé, qu'Il te nourrisse). Les feux de brousse issus des pratiques agro-pastorales dégradent l'environnement chaque année. Les devises que procure l'exploitation des ressources minières et halieutiques servent beaucoup plus à entretenir l'appareil étatique qu'à améliorer les conditions de vie des populations. Le téléphone (le cellulaire), l'ordinateur, le net, capter plus d'une chaîne de télévision, la voiture, l'eau du robinet, l'électricité plusieurs jours de suite, etc. sont encore un luxe. Le contraste entre la zone urbaine (32% de la population) et la zone rurale est effarant. La seule ville de Conakry, avec seulement 25% de la population totale guinéenne, compte 50% des médecins, 63 % des techniciens de radiologie, 65% des préparateurs en pharmacie, etc. Dans les zones rurales, les cases (mur circulaire en banco dont le toit est recouvert de paille) constituent I'habitation de 65% de la population. La principale source d'éclairage est la lampe tempête (80%) et le bois représente la principale source de combustible (98%).
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Ainsi, il saute aux yeux de tous que l'accès aux ressources nécessaires pour jouir d'un niveau de vie convenable n'est pas offert à la grande majorité de la population guinéenne. Il apparaît dès lors qu'une nouvelle politique de développement durable et une nouvelle forme de coopération au développement fondées sur l'intérêt des populations soient élaborées. Il n'est un secret pour personne que l'évolution politique de la République de Guinée ces dix dernières années a été marquée par une profonde dissension entre les partis d'opposition et le PUP, parti au pouvoir, l'exacerbation du régionalisme, la dilapidation des deniers publics pour des fins politiques, la corruption généralisée, la passivité des jeunes dans les débats politiques et l'insécurité des citoyens et de leurs biens partout dans le pays. Cette image politique de la République de Guinée contraste avec la place jadis occupée en Afrique occidentale, voire en Afrique tout entière. Peuple rassembleur et panafricaniste des cinq dernières années du XXèmesiècle, le peuple de Guinée subit aujourd'hui sa propre implosion par l'absence de dialogues et de débats politiques francs et constructeurs. La gestion calamiteuse des biens et affaires de l'État de Guinée a fait dire au président général Lansana Conté que: «La course folle à l'enrichissement illicite a conduit nombreux cadres à privilégier leurs intérêts personnels au détriment de l'intérêt supérieur de la nation. Les deniers publics sont pillés et la corruption est devenue un fléau qui ronge le tissu social guinéen. » (Message de nouvel pour 2000) Ce constat du Chef de l'État, l'agitation politique anticonstitutionnelle relative aux élections présidentielles de 2003, la gouvernance corruptrice généralisée et la somnolence des institutions 95
républicaines depuis 2002 ont été les prodromes de l'agitation sociale qui a secoué le pays en 2006, 2007 et 2008. Cette agitation sociale aux conséquences désastreuses sur les plans humain et matériel ne pouvait augurer un développement durable pour la population guinéenne. « Il va de soi qu'aucun pays ne peut se développer s'il ne bénéficie pas d'une situation de paix,. un régime social a beau être progressiste, il ne peut développer l'économie qui correspond à ses choix si la guerre est à ses frontières ou subversion à l'intérieur du pays... » (Ahrnèd Sékou Touré, 1979) Pour parer à l'évolution des phénomènes de pauvreté et de corruption, la bonne gouvemance est une méthode d'approche qui fait en sorte que les populations à la base, elles-mêmes, identifient leurs problèmes, imaginent des solutions et les gèrent. Ainsi, la lutte contre la pauvreté en Guinée passe par le renforcement des communautés, des ménages et de l'individu, afin de leur permettre de rechercher leurs propres solutions et leur bien-être en relançant les opportunités. Les femmes de Guinée constituent dans tous les cas le potentiel le plus important dans ce contexte. L'investissement dans l'éducation des femmes et la promotion de leur accès aux ressources productives devront promouvoir la croissance économique, redresser les déséquilibres causés par une croissance incontrôlée de la population et permettre de réaliser des standards de vie plus élevés pour le pays dans son ensemble.
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Les dispositions juridico-administratives mises en place pourraient davantage s'adapter aux nouvelles donnes internationales centrées sur la mondialisation. Le pays devrait appartenir aux institutions de protection des investissements pour plus de crédibilité aux yeux des investisseurs étrangers. Il devrait aussi gérer d'une manière efficace et transparente les aides bi- et multilatérales. Les personnes en charge des dossiers de Coopération devraient faire preuve de professionnalisme et de patriotisme. Enfin, comme l'a si bien dit l'ancien Directeur national de la Coopération, « Tout doit être mis en œuvre pour que la Guinée prenne des raccourcis technologiques et historiques, et faire ainsi l'économie de temps et de ressources (financière et humaine) pour réussir à relever le défi du sous-développement.» (Djigui Camara, Directeur national de la Coopération (19912000) ; Rapport de mission à Brasilia, 1994) Que Dieu nous guide sur le chemin de l'honneur! Amen!
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