Jacques GARELLO Georges LANE
FUTUR DES RETRAITES &
RETRAITES DU FUTUR II. Les retraites du futur: la capitalisation
IREF CONTRIBUABLES ASSOCIES Éditeurs
L'IREF, Institut de Recherches Economiques et Fiscales, a été fondé en 2002 par des universitaires et des personnalités du monde des affaires pour observer et analyser les politiques économiques actuelles, en particulier dans une Europe confrontée aux défis de la mondialisation. L'IREF veut être l'un des acteurs d'un débat rigoureux et non partisan autour des réformes mises en œuvre dans l'espace européen. Au cœur de ces réformes, celles qui concernent la fiscalité sont déterminantes, car elles impliquent de véritables choix de société. Dans certains pays, dont la France, ces choix sont difficiles ou différés. L'IREF se propose de les éclairer. L'IREF a tenu des colloques dans l'Europe entière: Rome, 20 janvier 2004 : Fiscal federalism in the European Union. Paris, 24 avril 2004 : Le.futur des impôts en Europe. Aix-en-Provence, 30 août 2004: La fiscalité et l'esprit d'entreprise. Bruxelles, 28 septembre 2005: Public Debt today, Unemployement tomorrow. Genève, 6 décembre 2005 : Dette publique aujourd'hui, chômage demain. Prague, 23 avril 2006 : Taxation and Justice. Paris, 10 mai 2006: La flat tax: faire de l'Europe un paradis fiscal. Lyon, 1er juin 2006 : Finances locales et décentralisation. Aix-en-Provence, 29 août 2006: Concurrence ou harmonisation fiscale en Europe? Turin, 13 mars 2007 : La loi Director: qui bénéficie des transferts sociaux de l'État ? Berlin, 9 novembre 2007 : La concurrence fiscale pour un État responsable. Prague, 18 avril 2008 : European Tax: Bad or Good ? Zurich, 25 novelnbre 2008 : Steuerwettbewerb heute und morgen (La concurrence.fiscale aujourd'hui et demain).
PRÉFACE Il ne suffit pas de dire : en France nos retraites sont menacées. Il faut aussi savoir pourquoi il en est ainsi, et quelles solutions adopter. Pourquoi en est-il ainsi? Dans un premier volume (Le futur de la répartition) nous avons expliqué que tout le mal du système français vient de ce qu'il est bâti autour du principe de la répartition. Consistant à donner aux retraités l'argent des cotisations payées par les actifs, la répartition est un piège auquel n'échappe aucun pays comme le nôtre, où il y a de moins en moins de cotisants et de plus en plus de pensionnés. Cela a été dit et redit par tous les rapports officiels, émanant de nos gouvernants, de nos experts, de nos statisticiens, des études nationales et internationales. Il y a profusion d'arguments et de chiffres qui annoncent la catastrophe. Nous nous sommes contentés de les rendre accessibles et compréhensibles, mais aussi de nous étonner du silence et de l'inconscience de ceux qui, les ayant connus, continuent de vanter les mérites de la répartition et compromettent ainsi l'avenir des retraites. Quelles solutions adopter? En apparence tout a été tenté en France dans le cadre des quelque cinquante réformes du système depuis 1945. Mais ces « solutions» n'ont été que variations autour du même thème : donnez un peu plus, et recevez un peu moins. En fait, personne à ce jour n'a voulu envisager sérieusement ni même évoquer publiquement la seule solution qui s'impose : sortir du piège de la répartition. Nous avons expliqué cet entêtement par l'intérêt des acteurs et gestionnaires du système actuel, par le privilège de certaines catégories, mais aussi par l'ignorance, la désinformation et l'idéologie qui ont balayé d'un revers de main les solutions à base de capitalisation. Pourtant, ces solutions ont été accueillies et pratiquées dans un grand nombre de pays, et bien que diverses elles tournent toujours autour de la même idée: introduire ou développer des éléments de capitalisation, et réduire ou supprimer les éléments de répartition..
Mais qui, en France, se soucie de ce qui se fait à l'étranger? Le discours officiel est à la gloire de l'exception française, dans ce domaine comme dans d'autres. Il apparaît hélas que notre système est loin d'être le meilleur, il est peut-être le pire. L'opinion publique commence à s'inquiéter; les sondages révèlent que deux Français sur trois ont perdu confiance dans le systèlTIe de retraites, et seraient prêts à en changer. Nous estimons qu'il faut répondre avec précision à cette attente, pour l'instant diffuse et inquiète. L'objet de ce nouveau volume est d'analyser ce qui a été fait ou qui est en train de se faire dans plusieurs pays étrangers. Certes le problème des retraites se pose en termes spécifiques en France: les promesses y ont été plus généreuses qu'ailleurs - ce qui fait qu'on a plus de mal à les tenir, les moyens financiers ont été amoindris pour de lTIultiples raisons particulières l, et les réticences aux vraies réformes y sont plus fortes. Certes les pays étrangers connaissent eux-mêmes des situations fort diverses. Il n'y a donc pas un « lTIodèle » applicable n'importe où du jour au lendemain. Mais il y a des idées, des techniques, des institutions et des comportements dont les réformes françaises pourraient s'inspirer, alors que l'on CalTIpe aujourd'hui dans un immobilisme angoissé et angoissant. Passer en revue quelques-uns des systèmes de retraites pratiqués dans le monde entier, en tirer des enseignements: cette tâche n'est ni originale, ni satisfaisante. Elle n'est pas originale puisque depuis vingt ans au moins des organisations internationales ont présenté le « panorama» des retraites: la Banque mondiale, l'Union européenne, l'OCDE ont proposé des données statistiques et des analyses qui permettent une certaine « comparabilité ». Il n'est pas question d'ignorer ce travail de grande qualité, qui n'a malheureusement jamais été présenté au grand public et n'a circulé que dans les cercles d'initiés. Faute de vulgarisation, la tâche accomplie n'est pas satisfaisante. Mais elle ne l'est pas non plus pour une deuxième raison: il
1. Par exetTIple la durée de la vie active est une des tTIoins longues, le chôtTIage a été plus élevé et le temps de travail plus réduit.: autant de réductions du nombre des cotisants et de la base des cotisations. D'autre part le produit des privatisations a été gaspillé, il a servi d'argent de poche à l'Etat.
s'agit d'études purement descriptives qUI ne permettent pas d'aborder deux questions de fond : - le nécessaire abandon à terme du principe de répartition; - la politique de nature à accélérer et faciliter la transition de la répartition à la capitalisation 2 • Nous n'avons pas les mêmes pudeurs, et nous nous faisons un devoir, comme dans notre précédent volume, de dire toute la vérité aux Français. Il faut aller au bout de l'observation des expériences étrangères, et ne pas hésiter à juger les systèmes et leurs réformes. Pour cela, nous avons bénéficié des études et des opinions du réseau des économistes européens regroupés au sein de l'IREF, mais aussi de certains des acteurs des réformes les plus célèbres, comme José Piflera au Chili, ou l'équipe de Cato Institute à Washington. Nous réserverons à un troisième et dernier volume le soin d'explorer les conditions, les étapes et les résultats prévisibles de la transition de la répartition à la capitalisation. À l'étranger, toutes les réformes réussies à ce jour convergent vers la capitalisation: pourquoi ne pas y passer le plus vite possible en France? Jacques GARELLO et Georges LANE 4 novembre 2008
2. Seuls deux ITIodèles, ceux de Holzman et MacKinnon ont réellement poussé la recherche sur ce point, ITIais bien que souvent cités ils n'ont pas été exploités par les rapports internationaux consécutifs. « On economic benefits and fiscal requireITIents of Inoving froln unfunded to funded pensions », European Economy Reports and Studies, avril 1997. « Il faut libéraliser progressivement », Le Figaro, 25 janvier 1991.
AVERTISSEMENT AUX LECTEURS Ce volume est le deuxième d'une trilogie consacrée aux retraites. Certains d'entre vous auront parcouru ou étudié le premier volume, consacré essentiellement au système actuel des retraites en France. Celui-ci, soumis maintenant à votre attention, devrait jouir des qualités que nous avions voulues pour le précédent: simplicité, qui n'exclut pas la rigueur, clarté, qui n'exclut pas la précision. La tâche était pourtant plus difficile. Pour vous en convaincre, voyez les grands rapports internationaux qui proposent un panorama des retraites dans les pays de l'Union Européenne, ou de l'OCDE: des experts s'adressent à des experts. Il est impossible, pour les lecteurs non experts mais simplement cultivés et intéressés que vous êtes, de déchiffrer des partitions aussi compliquées, et de dégager la substantifique moelle de ces informations. Nous avons voulu un autre style: des économistes parlent à des assurés et des contribuables. Ce langage parlé vous épargnera les affres d'un vocabulaire technique, les perplexités devant les chiffres et les tableaux. Le premier chapitre, paradoxalement, est une synthèse des conclusions de notre étude: c'est le moyen d'embrasser le sujet dans toute sa dimension pour vous mieux préparer à ce qui suit. Ce qui suit, c'est une exploration approfondie des réformes en cours dans trente trois pays, avec un fil d'Ariane pour vous reconnaître dans le labyrinthe de systèmes de retraites si divers. Le troisième chapitre, le plus long, contient une série de dix articles que vous parcourrez à votre guise, ils viennent illustrer les conclusions du chapitre précédent. Enfin et non le moindre, nous nous sommes proposés d'adjoindre un quatrième et dernier chapitre pour faire quelques rappels fondamentaux sur ce qu'est la capitalisation, sur ce que sont les marchés financiers. Au prétexte de crise financière, les adversaires de la capitalisation chantent victoire aujourd'hui. Ils le font en maquillant la réalité, faisant passer les promesses de la capitalisation pour une mystification. Il est temps, ici comlne ailleurs, de rétablir la vérité.
Nos efforts de présentation et de simplification ne doivent cependant pas priver ceux d'entre vous qui le désirent des informations et des argumentations scientifiquement établies qui soustendent le texte. Vous les trouverez en notes, en annexes, et dans tous les renvois à des rapports, articles et ouvrages qui seront regroupés dans le site de l'IREF, www.irefeurope.org. Si ce deuxième volume a l'heur de vous convaincre que les retraites du futur, telles qu'elles se mettent en place dès aujourd'hui dans plusieurs pays, sont bâties sur le socle de la capitalisation, vous attendrez avec impatience le troisièlne volume de la trilogie, à paraître au printemps prochain. Il détaillera comment organiser en France la transition de la répartition à la capitalisation; ce travail est inédit, à notre connaissance.
Chapitre 1
QUELLES LEÇONS DE L'ÉTRANGER? Oublions un instant la France pour regarder autour de nous. En dépit de l'extrême diversité des situations et des politiques, quelques impressions générales se dégagent de ce qui s'est passé dans la plupart des pays depuis quelque trente ans 3 . 10·Le constat de l'échec inéluctable de la répartition est bien établi partout, et en général il conduit à des réformes ou des projets de réforme. 2° Les réformes sont introduites avec plus ou moins de rapidité et d'intensité suivant le contexte politique 3° Faute de pouvoir sauver la répartition, pilier chancelant du système de retraites, les réformes durables introduisent des doses croissantes de capitalisation dans le « deuxième pilier» constitué par les régimes complémentaires. 4° Le financement de la nouvelle capitalisation est assuré par les cotisants, salariés ou employeurs, libres d'y affecter tout ou partie de leurs cotisations. 5° Sous forme de garantie d'un minimulTI de ressources aux retraités, l'Etat s'engage à combler par l'impôt les défaillances de la répartition. 6° Une place croissante est donnée à un « troisième pilier », né d'une épargne ·-librement constituée, qui est assurément en capitalisation, et dont la gestion est le plus-souvent entre les mains d'opérateurs privés. 7° Une loi d'évolution des systèmes de retraite peut ainsi s'observer: - de la répartition à la capitalisation, - de l'obligatoire vers le volontaire, - du monopole vers la concurrence, - du public vers le privé, - du budgétaire vers le financier (des finances publiques vers le marché financier).
3. La première « révolution» en Inatière de retraites date de 1980 au Chili.
14
1. LES VIEILLARDS MENDIANTS: FIN DES ILLUSIONS SUR lLA RÉ?ARTITION La France n'est pas le seul pays où le système des retraites par répartition est inéluctablement promis à l'explosion, mais c'est un des rares pays, pour ne pas dire le seul, où les dirigeants cultivent encore l'espoir de le sauver. Le vieillisselnent de la population est un phénomène mondial. En 2040, sur notre planète il y aura selon toute vraisemblance 2 milliards de personnes de plus de 60 ans, représentant 30 % de l'ensemble, alors qu'il y en avait 800 millions en 1960, soit 18 %. La situation est encore plus tranchée en ce qui concerne les pays hautement développés, membres de l'Union Européenne et/ou de l'OCDE. Le vieillissement est la résultante de l'allongement de la durée de vie, qui doit être salué comme un grand progrès social, et de la dénatalité, qui au-delà d'un certain niveau devient alarmante. Parallèlement la durée de la vie active, pendant laquelle on peut gagner de l'argent, se réduit, résultat de l'allongement de la période de formation (source de qualité des hommes, de leur productivité et de leur épanouissement personnel) et de l'anticipation de la retraite: une bonne chose quand on peut cOlnpter sur des pensions substantielles. Mais les pensions n'ont aucune chance d'être substantielles quand elles sont organisées suivant le principe de la répartition, dont l'équilibre dépend précisément de la proportion entre générations jeunes et âgées. Ainsi les personnes âgées seront-elles condamnées au mieux à une lourde perte de leur pouvoir d'achat, et au pire à la pauvreté - il faudra vivoter de la charité publique. Cette situation sera incompréhensible et révoltante pour des gens qui auront cotisé toute leur vie. Pour autant les générations suivantes n'en seront pas mieux loties: non seulement on leur demandera d'éponger une dette sociale astronomique, mais on ne pourra rien leur garantir pour leurs vieux jours. Cette logique implacable a été comprise dans tous les pays étrangers, et qu'il s'agisse d'études nationales ou de rapports internationaux, la faillite de la répartition ne fait aucun doute nulle part. Mais, plus Îlnportant encore, cette prise de conscience entraîne dans tous les pays deux réactions: - d'une part un large consensus national se crée autour de cette prospective, l'échec de la répartition est reconnu par tous les
15
intéressés, mais aussi par toutes les formations politiques; on n'entend aucun des discours émollients sur le «sauvetage de la répartition », - d'autre part l'impérieuse nécessité d'engager des réformes et l'amorce d'un processus réformateur apparaissent très vite, même si la mise en œuvre est ensuite plus laborieuse. Ainsi l'opinion publique allemande est-elle alertée en 2003 par la Commission Rürup, qui établit qu'en 2040 il Y aura en Allemagne seulement 58 % de la population en âge de travailler, tandis que 31 % des Allemands auront 65 ans ou plus. Et le gouvernement Schroder, pourtant responsable de mesures ayant quelques mois auparavant ignoré les données démographiques, se fera un devoir d'orienter les réformes du régime de retraites dans une toute nouvelle direction. On introduit alors l'idée d'un système de retraites « durable» 4.
2. LA RÉFORME: UN CHOIX POLITIQUE L'exemple allemand souligne l'importance du contexte politique dans le lancement des réformes. Si tous les pays sont désormais conscients de l'échec d'un système bâti sur la seule répartition, et si la population et les dirigeants ressentent l'importance et l'urgence de réformes, il faut souvent plusieurs années pour que les réformes mûrissent et s'affirment. La Roumanie, par exemple, offre un bon exemple de tergiversations dues au calendrier électoral et à la fragilité des coalitions de partis. Elu en 1996, le gouvernement de centre droit met quatre ans pour proposer un texte qui sera promulgué par ordonnance deux jours avant les élections de 2000. La coalition de centre gauche qui succède s'empressera de l'abroger . Mais une nouvelle majorité en place en 2004 reprendra un texte voisin de celui de 2000; il faudra cependant attendre 2006 pour avoir un vote sur une loi programmée depuis 1996, encore n' entre-t-elle réellement en vigueur qu'en 2008, dernière année du cycle électoral. Par contraste, au Chili en 1980, il faudra moins d'une année à Jose Piffera, Ministre du travail, pour présenter un projet et le 4. On parle aussi, de façon peu élégante, de la « viabilité» d'un systèlne (Sustainability) A tout prendre il vaudrait lnieux dire « longévité ».
16
faire accepter par la classe politique, les partenaires sociaux et l'opinion publique. Présenté le 1er tuai, intégré dans le referendum constitutionnel du Il août, présenté à la télévision le 1er novembre, le texte prévoyant le passage à la capitalisation sera opérationnel avant la fin de l'année 1980, et dès le premier mois un quart des travailleurs avaient déjà fait les démarches nécessaires pour en bénéficier. Auteur de la réforme des régimes de santé en Nouvelle Zélande en 1994, sir Roger Douglas, premier ministre travailliste, déclarait au cours de son dernier passage à Paris: «La seule condition pour lancer et réussir une réforme, c'est le courage politique ». Cette vertu est assez mal partagée dans les divers pays, et cela explique pourquoi des réformes s'embourbent et, finalement déçoivent. Dans ce domaine comme dans bien d'autres, le choix entre gradualisme et thérapie de choc est déterminant. Revoir de fond en comble un système de retraites: cette tâche a une dimension institutionnelle, qui va bien au-delà des aménagements techniques. Dans les pays où l'environnement institutionnel a gardé une certaine souplesse et où une certaine harmonie sociale existe, les réformes peuvent être rapidement décidées et mises en œuvre. L'affaire est bien plus cOlupliquée dans les pays où les institutions sont rigides et les clivages sociaux prononcés. De ce point de vue, la Suisse est une bonne référence. Les réformes introduites dans le système des retraites ont été sagement débattues, soumises à vote précis, et respectueuses des principes constitutionnels de la Confédération. On ne «bricole» pas les textes - comme on l'a fait en Roumanie où la loi sur les retraites de 2000 a subi plus de 50 modifications au 26 juin 2008. C'est peut-être l'ampleur des révisions institutionnelles à entreprendre qui effraie un certain nombre de réformateurs, notamment en France. En effet, il faudrait souvent un courage peu commun pour se battre sur tant de fronts à la fois. Il est difficile d'être sim\lltanément présent sur le front des institutions et sur celui des élections: le calendrier électoral invite à privilégier le court terme au détriment des changements indispensables dans le long terme.
17
3. LA CAPITALISATION TRANSFORME LE« DEUXIÈME PILIER» Plus ou moins bien pensées, plus ou moins bien reçues, les réformes pratiquées à ce jour dans les pays étrangers sont, à notre connaissance, en sens unique: vers la capitalisation. Sans doute dans de nombreux pays a-t-on cherché aussi à modifier les régimes par répartition pour en limiter les dégâts. De ce point de vue, le recul de l'âge de la retraite, l'allongement de la période de cotisations, les nouvelles modalités de calcul des pensions et des prélèvements sociaux, l'encouragement au travail des seniors, la fiscalisation du financement, sont les recettes les plus souvent utilisées. Elles tiennent encore la vedette dans les débats et les mesures prises par les gouvernements; elles tiennent même un rôle exclusif en France. Mais, comme nous l'avons déjà démontré, ce sont des emplâtres sur des jambes de bois. Les déficits sont provisoirement réduits et les échéances pour un temps retardées, mais le principe de la répartition, facteur d'explosion imminente (à l'échelle d'une génération), n'en est pas pour autant remis en cause. Ces réformes sont donc purement dilatoires. Et en rester là constitue une erreur fatale. C'est ce qui a été compris par de nombreux réformateurs qui, au-delà des artifices dilatoires, vont faire de la capitalisation le complément ou le substitut partiel de la répartition (en préparant souvent son abandon total).
Le deuxième pilier: les retraites complémentaires Constituant un « deuxième pilier» du système, les retraites « complémentaires» existaient depuis longtemps : c'est dire que le «premier pilier », obligatoire et en répartition, a très tôt appelé quelque soutien. En France, si le premier pilier est celui du régime général, le deuxième est celui de l'ARRCO pour les salariés non cadres et de l'AGIRC pour les cadres 5 . Mais ce pilier est toujours 5. ARRCO: Association des Régitnes de Retraites COmplémentaires, AGIRC : Association Générale et Interprofessionnelle des Retraites des Cadres. Depuis 1995 les deux sont regroupées dans l'AGRR (Association Générale des Régimes de Retraites). Le mot « association» est sympathique, il recèle en réalité le désir d'opérer des transfusions incessantes. Le principe des « vases communicants », décrit dans notre volume l, est une pritne à la mauvaise gestion: les régimes excédentaires compensent les déficitaires.
18 en répartition, bien que certains y voient une grande originalité par rapport au régime général, puisque ces retraites complémentaires sont « par points ». Répétons-Ie 6 : la seule différence actuellement chez nous entre premier et deuxième piliers est que les cotisations dans le premier donnent un montant de « droits acquis» fonction de la période de cotisation et qu'elles ne sont pas laissées à la guise du cotisant, tandis que dans le deuxième elles permettent d'avoir des «points », suivant une valeur de points fixée par les gestionnaires, le cotisant étant libre d'accroître son nombre de « points» par des cotisations supérieures. Dans un cas une cotisation de juste 100 euros donne un droit à retraite de 100 euros environ 7 , dans l'autre elle attribue 20 points si la valeur du point est de 5 euros. Mais, que ce soit dans un cas ou dans l'autre, les 100 euros ne sont pas placés en capital et ne seront donc pas fructifiés, ils sont sur-le-champ utilisés à payer les pensions des retraités du moment. Le fait que le cotisant puisse «accumuler» des points de retraites complémentaires donne l'illusion de la capitalisation, puisqu'il sera à la tête d'un « capital de points» plus important, mais cela ne constitue pas pour autant une capitalisation, c'est simplement une addition. C'est cette illusion que l'on a dissipée dans plusieurs pays, où le deuxième pilier est devenu, au moins en partie, un système de retraites par capitalisation. Deux changements y sont donc intervenus: 10 Certains pays, comme la Suisse, avaient déjà un deuxième pilier entièrement en capitalisation. Ici la réforme a consisté à renforcer ce pilier, et à inciter les assurés à cotiser davantage, notamment par des mesures d'exonération fiscale. Du même coup, le poids du premier pilier en répartition diminue. On peut aussi transformer un deuxième pilier jusque là obligatoire en facultatif suivant une proportion fixée par la loi ou laissée à l'appréciation de l'assuré (ou obtenue par un mélange des deux). La logique de cette dernière mesure est de donner plus de liberté aux assurés pour 6. Pour l'explication cOlnplète, cf. Volume 1 pp. 104-107 7. « Environ» est un adverbe qui se justifie ici pour le système français, où le «taux d'appel» peut être supérieur au taux de cotisation obligatoire. Pour 100 euros de droits acquis, les caisses peuvent «appeler» par exemple 110 euros de cotisations. Cette anolnalïe arbitraire a été dénoncée maintes fois. Cf. par exemple Babeau, La.fin des Retraites, Hachette (1985) : De 1983 à 1986, le taux d'appel a été fixé à 115 % (p.305).
19
organiser leur retraite. Elle ouvre la voie au «troisième pilier », constitué par l'épargne volontaire et la pleine autonomie de la gestion patrimoniale: les retraites deviennent de plus en plus l'affaire des assurés, de moins en moins celle de l'Etat ou des caisses publiques. 2° Dans d'autres pays, plus nombreux, le deuxièlue pilier était complètement en répartition, comme en France. Mais, à la différence de la France, la réforme a introduit des éléments de capitalisation de plus en plus importants, le deuxième pilier est ainsi devenu mixte. Cette mixité a souvent été mise en place en prenant en compte la distinction entre cotisations des employeurs et cotisations des salariés. Bien que cette distinction n'ait aucune signification économique ou sociale réelle - puisque dans les deux cas c'est sur la valeur du travail du salarié que les prélèvements sont opérés 8 - elle est assez commode pour la pratique des réformes. En effet on va pouvoir envisager - soit de laisser au salarié la liberté de placer en capitalisation la « part salariale» des cotisations - le salarié peut aussi choisir de rester dans son système actuel - soit de demander à l'employeur d'accroître sa cotisation pour alimenter un compte de retraites capitalisé au bénéfice de l'employé; cet abondement peut être obligatoire ou volontaire (avec ou sans incitation publique).
La part salariale en capitalisation La première méthode est actuellement en œuvre en Allemagne et dans plusieurs pays d'Europe Centrale et de l'Est. En Allemagne, la «part salariale» représente la moitié du total des cotisations sociales. Non seulement les salariés allemands sont autorisés à cotiser en capitalisation dans le cadre d'un deuxième pilier, mais l'Etat grossit ces cotisations de subventions financées par le budget national. Ce sont les « pensions Riester » ; mises en place en 1997 et peu pratiquées durant les premières années de leur lancement elles concernent aujourd'hui Il millions d'assurés. Les assurés ont totale liberté de choix de leurs placements, pourvu qu'ils soient confiés à des sociétés d'investissements certifiées par l'Etat. On notera au passage la conformité de cette réforme aux 8. Cf. le Volume 1 pp 72-74. où l'on fait référence au concept de « salaire complet ».
20
directives européennes de 1992 ouvrant à la concurrence le marché de l'assurance 9 . La part salariale des cotisations est plus lTIodeste dans des pays comme la Pologne, la Lituanie ou la Roumanie - entre autres. Elle représente autour de 5 % du salaire brut. Ici la réforme a consisté à augmenter progressivement la proportion de leurs cotisations dont les assurés pouvaient disposer librelTIent (et placer en capitalisation). Quand il n'existait pas, comme en ROUlTIanie, un deuxième pilier a été mis en place, mais en capitalisation seulement. Au 1er Juillet 2006 la Roumanie a libéré 2 % de cotisations obligatoires des salariés (sur 9,5 %) pour qu'ils puissent constituer un compte de capitalisation auprès d'un fonds de pension de leur libre choix. Le pourcentage sera augmenté au rythme de 0,5 % par an jusqu'à atteindre 6 % (en 2016). Ces placements sont exonérés d'impôts. Fin 2007, plus d'un Roumain sur trois ayant obligation de cotiser au deuxième pilier a choisi le placement. Pour sa part la Lituanie s'est donnée en 2003 un nouveau système, avec la possibilité de distraire une partie des cotisations obligatoires versées jusque là à l' organiSlTIe public de sécurité sociale (Sobra) pour l'affecter à un fonds de pension privé de leur choix. Ces cotisations en capitalisation ont représenté au départ (1er Janvier 2004) 2,5 % du salaire, elles ont atteint 5,5 % en 2007, et un tiers des assurés ont souscrit au nouveau système.
La capitalisation financée par les employeurs S'agissant maintenant de la contribution des employeurs (dénommée en France «part patronale»), une partie croissante peut en être affectée à un compte de capitalisation, pour compenser les pertes que les salariés subiront avec la répartition. Bien avant l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher les gouvernements anglais ont donné aux salariés la possibilité de « renoncer» au système public pour s'engager dans des régimes professionnels en capitalisation, des incitations fiscales les y ont poussés. Aux Etats-Unis, les entreprises ont assuré ce financement, d'autant plus qu'il n'y a pas de cotisation salariale obligatoire:
9. Des directives que la France a systélnatiquelnent refusé d'appliquer, au prétexte fallacieux que la «Sécurité Sociale» n'était pas une société d' assurance (mais pourquoi lui conserver le n10nopole de l'assurance vieillesse ?).
21
aucune retenue sur salaires pour les retraites. La plupart des entreprises ont accepté cette charge sociale sans hésitation, et elles ont plutôt considéré cette capitalisation en faveur de leurs salariés comme un supplément de salaire et un avantage social de nature à fidéliser la main d' œuvre de qualité. La question demeure cependant ouverte du choix des fonds de pension: est-il à la discrétion totale des salariés, ou des entreprises? L'affaire Enron a montré les dangers de la méthode consistant à laisser une entreprise (malhonnête il est vrai) gérer totalement et sans contrôle les retraites de ses salariés. Les apports en capitalisation des entreprises à leurs salariés devraient plutôt être considérés comme un droit acquis par les salariés, susceptible d'être utilisé (et par exemple d'être transmis ou hypothéqué) par les salariés, personnellement. C'est vers cette pratique que l'on s'oriente actuellement aux Etats-Unis (sous réserve de refonte complète de la protection sociale par le nouveau président).
4. lLES GARANTIES D'UNE RETRAITE MINIMALE L'introduction de la capitalisation dans un deuxième pilier, quelles qu'en soient les modalités, revient à substituer une logique de l'assurance à un principe de solidarité. Certes, et nous y insisterons beaucoup, l'assurance n'exclut pas la solidarité. Mais la distinction entre assurance et solidarité est à la mode dans les discours officiels, et elle a un contenu réel si on veut entendre par là que des personnes non assurées (voire même mal assurées) ne peuvent être laissées sans ressources une fois la retraite venue. Il appal1ient alors de faire jouer la solidarité: solidarité volontaire et privée quand la famille, ou les amis, ou les associations charitables prennent en charge les personnes âgées, solidarité obligatoire et publique quand le minimulTI social sera apporté par la communauté nationale des contribuables. Un des arguments majeurs habituellement utilisés en France pour rejeter la capitalisation consiste à dire que certains de nos compatriotes, touchant de bas salaires, seraient dans l'incapacité financière de payer des primes suffisantes pour assurer leurs vieux jours, tandis que d'autres n'auraient pas la sagesse de mettre de l'argent de côté. Il faudrait donc protéger les impécunieux et les insouciants, et seule la répartition y pourvoirait, puisque tout le monde paie pour tout le monde.
22 Cet argument, inspiré par de bons sentiments, n'en demeure pas moins spécieux. D'abord il n'est pas question, s'agissant du deuxième pilier, d'ajouter des primes d'assurance à des cotisations obligatoires, mais bien de faire glisser celles-ci vers celles-là. Ensuite, les prÎlnes d'assurance en capitalisation ont un taux de rendement très supérieur à celui des cotisations en répartition, et avec des sommes inférieures de 60 % elles garantissent la même couverture. Enfin, pour calmer les craintes et tendre un «filet social» rien n'empêche de maintenir quelques éléments de solidarité dans un système principalement assuranciel. Une solution consiste ici à garder un premier pilier en répartition, financé par des cotisations très faibles, et destiné à garantir une retraite minimale. C'est le cas du Royaume Uni, où le système public assure réellement une couverture minimale avec deux régimes, l'un (BPS) conduisant à une pension minimale forfaitaire, l'autre à une pension calculée sur les gains (SERPS)10. En Suisse, le premier pilier a été institué en 1948 pour couvrir les « besoins vitaux» des retraités. Ce premier pilier représente 40 % du total des pensions versées, il est financé pour 80 % par les cotisations (8,4 % des salaires) et 20 % par les subventions du budget confédéral - suivant le principe de solidarité. Mais à peine 3 % des retraités ont ce premier pilier pour seule ressource. Les « exclus de la capitalisation» sont donc peu nombreux.
Lefilet socialfinancé par l'impôt Cependant, la solution la plus fréquente est recherchée aujourd'hui du côté de la fiscalité. Des retraites financées par l'impôt paraissent indispensables pour combler les défaillances du système par répartition. La situation des gens à bas salaires attire la sollicitude des pouvoirs publics, et les impôts volent ainsi au secours des retraites par répartition. Cette situation fait clairement apparaître que la répartition n'offre pas de garantie certaine et suffisante, et qu'elle ne satisfait pas aux exigences de la «justice sociale », qui a pourtant établi sa légitimité à l'origine. C'est donc au contribuable que l'on fait appel pour assurer une retraite minimale, ou un minimum vieillesse. Il est vrai que la pression fiscale étant impopulaire certains pays ont renoncé à demander un
1O. BSP : Basic State Pension, SERPS : Second Earning Related Pension State system, cf. infra ch. 3 p. 81.
23
effort supplémentaire, et que l'on n'hésite pas alors à diminuer le niveau des pensions les plus faibles: les minima sont minimisés. Un tableau proposé par l'OCDE résume l'évolution enregistrée dans ses Etats membres entre 1990 et 2003. La tendance dominante est à augmenter les dépenses publiques destinées à financer les pensions. Dans la moitié des pays, la volonté de maintenir un haut niveau de pensions conduit à un engagement plus lourd des ressources publiques, c'est-à-dire à un effort supplémentaire exigé des contribuables.
Évolution des dépenses publiques consacrées aux retraites de 1990 à 2003 En % du produit intérieur brut
Mexique
0,60
1,20
hausse
Niveau des retraites bas
Corée
0,80
1,40
hausse
bas
Irlande
4,20
3,70
baisse
bas
Australie
3,70
4,10
hausse
bas
Islande
3,50
4,20
hausse
bas
Canada
4,30
4,40
hausse
bas
Nouvelle Zélande
7,40
4,50
baisse
bas
Pays Bas
7,00
5,80
baisse
bas
Royaume Uni
5,30
6,10
hausse
bas
1990
2003
tendance
Etats-Unis
6,10
6,30
hausse
bas
Finlande
8,10
6,40
baisse
bas
Luxembourg
9,60
6,50
baisse
bas
Slovaquie
6,60
6,50
baisse
moyen
Danemark
7,40
7,20
baisse
moyen
Suisse
5,80
7,20
hausse
moyen
Norvège
7,60
7,40
baisse
moyen
République Tchèque
6,10
8,00
hausse
moyen
Espagne Hongrie
8,10 8,00
8,40 8,70
hausse hausse
moyen moyen
Belgique
9,10
9,30
hausse
élevé
Japon
5,00
9,30
hausse
élevé
5,40
10,50
hausse
élevé
10,20
11,70
hausse
élevé
Portugal Allemagne
24 France
10,90
Grèce
12,30
hausse
élevé
11,10
12,40
hausse
élevé
Pologne
5,30
12,40
hausse
élevé
Autriche
11,90
13,20
hausse
élevé
Italie
10,20
13,90
hausse
élevé
6,70
7,70
hausse
moyen
OECO (moyenne)
Source: OECD, Pensions at a Glanee: Public Polieies Aeross OECD Countries - 2007 edition, p. 64
S'accrocher à la répartition, au prétexte qu'elle sauvegarde les retraites des gens les plus démunis, est donc un contresens, puisque c'est précisément la répartition qui conduit à la pauvreté des plus pauvres, et que la réaction, dans tous les pays (y compris la France) consiste à recourir de plus en plus à la fiscalité. Ce recours à la fiscalité appelle deux remarques: - d'une part les retraités eux-mêmes en pâtissent, puisqu'ils payent des impôts, notamment sous forme de TVA - sans compter les impôts sur les retraites quand ils existent (CSG et CRDS en France) - d'autre part la croissance des dépenses publiques devient intolérable au-delà d'un certain niveau, car elle engendre déficits et croissance de la dette publique - source de déséquilibres et de faillites encore plus graves à terme. C'est sans doute la raison pour laquelle le premier pilier de la répartition garde encore un certain intérêt, bien qu'il s'agisse d'un gaspillage des cotisations. L'alibi de la solidarité semble justifier ce gaspillage, alors qu'il vaudrait mieux rechercher la garantie d'une retraite minimale du côté de la solidarité. En termes d'assurance, la répartition est un non sens, en termes de solidarité, la répartition est inefficace. Telle est la conclusion qu'inspire l'évolution des régimes dans les divers pays sur ce point précis du « filet social ».
5. L'EXPANSION DU TROISIÈME PILIER Allons à l'autre bout de la distribution, et observons ce qui s'est passé du côté des plus fortunés, qui peuvent se couvrir du risque de faillite ou d'insuffisance des deux piliers précédents en
25
constituant une épargne personnelle qui, placée entièrelnent en capitalisation, va leur assurer des vieux jours tranquilles - ou moins angoissés. Nous avons relevé dans notre première étude ce que ce troisième pilier pouvait avoir de choquant à première vue. Il crée en effet une inégalité entre ceux qui peuvent se l'offrir et ceux qui ne le peuvent pas. Ce sont les personnes les plus modestes qui se retrouvent prisonnières de la répartition, tandis que d'autres ont les moyens de se libérer d'une grande partie de leurs soucis pour l'avenir au prix d'un sacrifice comparativement léger. De plus, il est assez incongru, pour ne pas dire révoltant, qu'en France un assuré qui a déjà payé des cotisations obligatoires en répartition soit encore amené à payer des primes en capitalisation pour se prémunir contre la faillite de la répartition.
Le troisième pilier accessible à tous Ce que l'on observe dans les pays étrangers est cependant plus rassurant. On y a admis l'insuffisance des deux premiers piliers, et tout en réformant le deuxième, on a ouvert largement les portes du troisième pilier à un public de plus en plus élargi. Le troisième pilier n'est plus le privilège d'une minorité de riches. Cet élargissement a été possible grâce à plusieurs réformes: 10 Les unes ont allégé les cotisations des deux premiers piliers, parfois en abaissant les taux, tantôt en modifiant leurs bases de calcul, tantôt en les rendant totalement ou partiellement facultatives. Une épargne potentielle a été ainsi libérée, pouvant alimenter le troisième pilier. 2 0 Les autres ont rendu plus attractive et plus rentable l'épargne volontaire, grâce à des exonérations fiscales substantielles. 3 0 Les conditions de gestion par les fonds de penSIon et autres «institutions de transition» Il ont été assouplies, la concurrence a été introduite. 4 0 Enfin et surtout le marché financier a été rendu plus dynamique par une déréglementation prudente mais efficace, car les innovations qui permettent d'obtenir des taux de rendement et des taux de remplacement élevés naissent toujours sur le marché financier.
Il. Sur le concept d' « institutions de transition» cf. infra pp.27 ss.
26 Plus d'argent disponible pour la capitalisation, une capitalisation plus attractive et plus efficace : telles sont donc les voies de l'avenir, dans lesquelles se sont engagés nombre de pays étrangers.
Chacun gère sa retraite Il est certain que de ce point de vue, le Royaume Uni a donné beaucoup d'idées à d'autres pays. Contrairement à ce que l'on croit, la réforme des retraites n'a pas été initiée par Margaret Thatcher, mais bien par un gouvernement travailliste entre 1975 et 1978. Les assurés étaient jusque là assujettis à un système avec un premier pilier fait d'un premier élément BSP (Basic State Pension) en répartition, avec des cotisations forfaitaires et égales pour tous, et d'un second, SERPSS (Second Eaming-Related Pensions State system) en répartition toujours, mais avec des cotisations variant avec le niveau de salaires. En 1975, les travaillistes donnent aux assurés la possibilité de « renoncer» au système obligatoire public (<< contracting out») pour placer leur épargne dans des fonds professionnels privés OPS (Occupational Pension Schemes). Ceux qui utilisent cette possibilité voient leurs cotisations obligatoires publiques diminuer, mais pas de beaucoup, de sorte que les Anglais n'ont pas été incités à quitter les deux piliers publics traditionnels. Les OPS vont devenir plus attractifs après une mesure prise en 1980 par Margaret Thatcher, tendant à relever les taux de cotisations du système public en les indexant sur l'indice général des prix à la consommation, de manière à rétablir l'équilibre du système par répartition et à réduire la dette sociale contractée du temps des travaillistes. En conséquence, près de la moitié des salariés anglais décideront de quitter le système (<< opting out»), et les OPS accumuleront un capital représentant 80 % du PIB anglais en 2000. L'évolution vers la capitalisation se poursuivra, et résistera à la faillite frauduleuse du fonds de pension du groupe Maxwell, au point que Gordon Brown, alors ministre de l'économie de Tony Blair, instaurera une lourde fiscalité sur les résultats des fonds de pension, confisquant ainsi une part de ce que les retraités auraient pu récupérer! Parallèlement aux fonds de pension, Margaret Thatcher avait encouragé les plans épargne actions par de larges exonérations fiscales. Traditionnellement adossés à un système bancaire et financier rôdé et efficace, les Suisses ont évidemment développé autant que possible le troisième pilier en capitalisation. Aujourd 'hui le troisième pilier représente 30 % de l'ensemble des
27
ressources des retraités ajoutés aux 20 % du deuxième plier (cela fait que la capitalisation représente la moitié des retraites, contre 40 % seulement pour la répartition 12). Les plans d'épargne individuelle sont exonérés d'impôts jusqu'à un plafond de 4 000 euros, voire même 20 000 euros pour ceux qui n'ont pas de deuxième pilier. Depuis le 1er janvier 2008 les retraités bénéficient d'une période de cinq ans après l'âge de la retraite pour continuer à cotiser en exonération d'impôts.
À travers les deux exemples du Royaume Uni et de la Suisse, on peut conclure que la capitalisation n'est pas l'apanage des capitalistes, ou plus précisément que nous pouvons tous devenir capitalistes pourvu qu'on nous en laisse la liberté. Etre capitaliste, c'est avant tout pouvoir organiser sa vie pour une période de temps la plus longue possible. C'est la meilleure formule quand on est projeté, comme nous le sommes, dans des vies de retraités elles aussi de plus en plus longues. En revanche, le système par répartition nous enferme dans le court terme, il nous oblige à vivre au jour le jour, en espérant que le ciel ne nous tombera pas sur la tête.
6. LES RETRAITES DU FUTUR L'expansion du troisième pilier préfigure les retraites du futur, telles qu'elles se dessinent aujourd'hui dans la plupart des pays étrangers.
De la répartition à la capitalisation La répartition est appelée à jouer un rôle déclinant dans le système de retraites, à cause des coûts, des gaspillages et des dangers qu'elle représente. À la limite, elle peut, comme en Suisse, ne garder qu'une fonction de « filet social» et ne concerner qu'une minorité de retraités, socialement assistés au nom de la solidarité. Mais même sous cette forme elle demeure coûteuse et incertaine. À faire jouer la solidarité nationale, il vaut mieux à tout prendre la concevoir entre contribuables et retraités (c'est-à-dire financer un minimum vieillesse par l'impôt) qu'entre jeunes et vieux - puisque celle-ci s'évanouit avec le temps. On peut donc concevoir, comme 12. Les 10 % restants représentent les revenus d'activité des retraités.
28 l'ont fait les Chiliens, d'éliminer totalement la répartition et de tout organiser autour de la capitalisation, quitte à garder en réserve et de façon tout à fait subsidiaire (par rapport à la solidarité volontaire et privée) un financement public et fiscal de solidarité pour les cas sociaux exceptionnels - incluant sans doute les handicaps lourds.
De l'obligatoire au volontaire Le problème, avec la répartition, est qu'il est difficile de s'en évader, et qu'elle a presque nécessairement un caractère obligatoire. En effet, toute fuite des cotisants vers la capitalisation diminue le fonds nécessaire à payer les retraites en cours. Il faut alors soit diminuer les pensions soit augmenter les cotisations de ceux qui restent dans le système. Pourtant, on a vu les pays introduisant ou développant la capitalisation offrir un choix aux assurés, et ce choix va toujours dans le même sens: les cotisants ont préféré mettre leur argent en capitalisation plutôt qu'en répartition. D'autre part, il y a quelque incongruité à vouloir sauver la répartition en lui conservant tous ses cotisants et à accepter en même temps la fatalité de sa faillite: cette attitude ressemble à celle de certaines banques qui soutiennent une entreprise au bord de la ruine pour éviter de perdre l'argent qu'elles lui ont prêté. Alors, COlTIlTIent résoudre le dilemme? On peut se référer ici à ce que les Anglais ont réalisé. Ils ont laissé les assurés libres de sortir de la répartition (travaillistes, 1975), mais ils ont ensuite (Thatcher 1980) fait apparaître le vrai coût de la répartition, en relevant les cotisations jusqu'à ce qu'elles atteignent un «juste niveau» : un niveau suffisant à la fois pour éliminer les déficits courants et cesser de boucher les trous à grands coups d'impôts et de transferts et pour compenser les déficits futurs liés aux départs vers la capitalisation, sachant bien que le système serait de plus en plus déséquilibré et que les retraités seraient de toutes façons amputés d'une partie des droits qu'ils croyaient avoir acquis en répartition - et qui n'étaient que de faux droits. Certes la formule anglaise a été praticable parce que le niveau des cotisations obligatoires et des retraites par répartition était relativement faible. Certes le financement de la transition est demeuré toujours aléatoire et le gouvernement anglais a recouru à la fiscalisation, imposant même les dividendes des fonds de pension (Gordon Brown). Il n'en demeure pas moins que la transition peut être gérée en maintenant une dose de cotisations obligatoires pour effacer une partie de l'ardoise des droits acquis en répartition, et en laissant
29 pour le reste les salariés et les employeurs libres de cotiser en capitalisation. Le passage de l'obligatoire au volontaire est d'ailleurs inéluctable, il accompagne nécessairement le passage de la répartition à la capitalisation. Les réformes qui réussissent sont celles où la gestion des retraites est sous le contrôle direct des assurés, au lieu d'être soumise aux décisions arbitraires et contraignantes d'une bureaucratie irresponsable.
Du monopole à la concurrence Encore faut-il que les assurés aient aussi la liberté dans tous leurs choix de gestion, et en particulier des institutions auxquelles ils vont confier le soin de capitaliser et fructifier leur cotisation. Dans la plupart des réformes observées, le passage à la capitalisation s'est accompagné de l'émergence de nouvelles entités. Les fonds de pension ont fait leur apparition dans les années 1980. Ils ont utilisé des techniques plus innovantes que celles des traditionnelles compagnies d'assurances et banques, et pouvaient ainsi garantir une rentabilité supérieure, minimisant le poids des primes et lnaximisant celui des pensions. Cependant banques et assurances ont accompagné l'évolution, assez souvent en créant à leur tour des fonds de pension. Sortant des sentiers battus, Jose Pifiera au Chili a créé des AFP (Administradoras de Fondes de Pensiones), organismes privés et concurrents, dont la nouveauté paraissait être une garantie d'indépendance aux yeux des syndicats par comparaison avec les institutions financières classiques. Très vite ces AFP ont été amenées à se séparer des fonds d'investissements qu'ils utilisaient pour rentabiliser leur capital. D'ailleurs, il est souvent jugé nécessaire de séparer les fonds chargés des placements financiers d'une part et les caisses, passant les contrats avec les assurés, tenant la comptabilité de leurs droits, et responsables des résultats d'autre part. Dans la plupart des cas, les assurés ont donc devant eux un large éventail d'institutions, appelées parfois «institutions de transition» pour marquer que le passage de la répartition à la capitalisation exige des méthodes de contrôle et de gouvernance spécifiques. La liberté de choix des assurés exige encore qu'ils puissent à tout moment changer d'institution: la sélection concurrentielle les orientera progressivement vers les partenaires les plus sûrs et les plus avantageux. Une certification de ces organismes par les pouvoirs publics est-elle nécessaire? Elle est en
30
œuvre dans certains pays (Allemagne), malS jugée inutile et superfétatoire dans d'autres (Suisse). De toutes façons, il est exceptionnel que les réformes des retraites ne se soient pas accompagnées d'une sérieuse remise en cause, voire d'une totale disparition, des organismes publics dotés d'un monopole gérant la répartition. La Sécurité Sociale française, regroupant de multiples branches et régimes en un monopole géant, est une exception tout à fait remarquable. En dépit d'une pluralité d'organismes, c'est un budget unique global (objet d'un vote du Parlement sur la loi d'orientation du financement de la sécurité sociale) qui concerne l'ensemble et les décisions majeures sont centralisées autour du gouvernement et des « partenaires sociaux ». Les assurés sont prisonniers d'une administration géante, et à juste titre on parle à leur sujet des « assujettis à la Sécurité Sociale ».
Du public vers le privé Le monopole est toujours une affaire publique, la concurrence est en général la loi du privé. Cependant on peut imaginer une concurrence entre institutions publiques, à l'image de l'Allemagne où les caisses de retraite au niveau des Lander ou des communes sont diverses, et où les assurés peuvent en changer à leur guise. En France, on remarque d'ailleurs que les caisses d'Alsace et Lorraine, calquées sur le système allemand, ignorent la plupart des difficultés des autres caisses françaises, simplement parce qu'elles sont concurrentes. La concurrence entre institutions publiques conduirait-elle finalement à des méthodes de gestion proches de celles du privé? Deux écueils demeurent cependant: - d'une part la« gouvernance» y est nécessairement moins efficace; dans une administration publique, quelle qu'elle soit, la pérennité est assurée et en cas d'un échec il est recouru à des prélèvements obligatoires pour l'assumer. Les finances publiques sont toujours là pour voler au secours; les contribuables payent les ardoises. - d'autre part l'administration publique des retraites va en général de pair avec la répartition, ce qui est à contresens de l'évolution générale. Le public, l'obligatoire, la répartition forment un bloc qu'il est difficile d'éclater. Le passage au privé substitue la logique du marché à celle de l'administration.
31
La logique du marché, c'est d'abord la rentabilité, l'impératif de résultats positifs. Un fonds de pension ou un assureur ne peut se permettre de promettre plus qu'il ne peut tenir. Il révise sans cesse les contrats en fonction des nouvelles informations qu'il reçoit, il gère le risque et l'incertitude. De son côté, le client peut également réviser ses contrats, guidé par la concurrence. Toute inadéquation entre les choix des retraités futurs et les propositions du gestionnaire des retraites se traduit pour celui-ci par la perte de parts de marché, voire la disparition. Ici comme ailleurs, mais peutêtre plus qu'ailleurs, la confiance durable est facteur de réussite et condition de survie. La logique du marché est aussi celle de l'innovation, de la découverte de nouveaux produits, de nouvelles techniques. A la recherche de leur rentabilité, les entreprises apprennent à mieux répondre aux besoins des clients, et de nouvelles voies sont explorées dont certaines pourront à l'épreuve des faits se révéler profitables pour tous. Par contraste, l'administration manque et de motivation et d'innovation. Les responsabilités y sont diffuses, nul n'a un intérêt direct et personnel au changement et à l'adaptation. La marge de manœuvre est limitée par les règles de la comptabilité publique, par un foisonnement de textes impersonnels. Contrairement à ce que l'on dit parfois, ce ne sont pas les hommes qui sont en cause - les fonctionnaires souffrent eux-mêmes du carcan administratif, mais ce sont les règles de fonctionnement. Elles sont conçues pour des activités immuables, pour la production de « biens publics 13 » que l'initiative privée et le marché ne sauraient offrir; elles n'ont aucune vocation ni aptitude à traiter d'affaires qui exigent adaptation et créativité.
13. L'analyse économique définit un bien public comme un bien que nul ne peut s'approprier (non-excluabilité) et dont tous peuvent bénéficier (nonrivalité). Impossible dans ces conditions de passer un marché sur des biens dont on ne peut repérer ni le propriétaire ni le client. Exemple classique: le feu d'artifice, que personne ne peut réserver à sa propre vue, et qui peut être vu par les uns sans gêner la vue des autres. Liste classique des biens publics: défense collective, police, justice, monnaie - constituant le traditionnel «domaine régalien». Mais la liste se rétrécit objectivement, même si elle s'allonge au gré des opinions politiques (éducation, culture, sport, art, environnement, etc.). Les biens publics sont en général difficiles à gérer, faute de responsable désigné: res ullius, res nullius.
32
On a cru pendant longtemps que les retraites étaient hors de portée du secteur privé et que leur gestion était de même nature qu'un « bien public ». C'était une double erreur - et la plupart des pays étrangers en sont conscients : - d'une part avant d'être « nationalisé» le système de retraites existait bien, notamment en France, il fonctionnait en capitalisation, et donnait toute satisfaction; justifier l'apparition de la répartition publique par l'échec de la capitalisation privée est contraire à la vérité historique 14 ; - d'autre part le système de retraites par répartition a été scellé dans le marbre dans les années 1940, et a pris son essor à la période du baby-boom, son « administration» était pensable dans un contexte démographique stable et un contexte économique favorable, il s'est révélé totalement décalé au bout de quelques années seulement, et aurait dû appeler dès lors un comportement innovateur au lieu d'un acharnement conservateur. On redécouvre aujourd'hui les qualités des entreprises de retraites.
Du budgétaire vers le financier Ces entreprises de retraites opèrent essentiellement sur le marché financier. Si bien des gens sont ignorants du mode de fonctionnement des marchés en général, le marché financier est encore plus méconnu et suscite des allergies profondes 15 : temple de la spéculation, jeu d'argent improductif mais honteusement profitable, monopole d'une minorité de banquiers et hommes d'affaires tenus au secret sur des affaires suspectes, la finance a une image négative dans l'opinion publique française. Comme dans beaucoup de pays latins les préventions religieuses et morales sont héritées de la lointaine période de la condamnation de l'usure et du taux d'intérêt. Par contraste, même délabrées, les finances publiques ont plutôt bonne presse. On n'hésite pas à voir dans le budget de l'Etat une arme efficace pour stimuler la croissance, éliminer le chômage. On ignore pourtant la plupart des règles concernant le vote des budgets. S'agissant des retraites, on ne sait pas que le Parlement français, chargé depuis 1995 de voter annuellement la LOFSS (Loi 14. Sur ce point, cf. le Volume 1 Le.futur de la répartition pp.50-51 15. La présentation et l'explication des grandes lignes des marchés financiers sont l'objet du chapitre IV de ce volume (infra pp. 115 ss )
33
d'Orientation des Finances de la Sécurité Sociale) n'a aucune information sur les comptes qui lui sont présentés, et que son vote est purement indicatif, relevant de la seule politique spectacle. On ne sait pas non plus que la Cour des Comptes, investie de la mission de certifier les chiffres soumis au Parlement, déplore manquer des éléments indispensables pour juger, et refuse de donner son aval 16 • Comment pourrait-elle percer le mur opaque des systèmes de retraites? On ne sait pas davantage que les résultats ne sont connus avec précision que plusieurs mois après la clôture des exercices, ce qui permet aux dirigeants d'annoncer avec éclat le retour à l'équilibre ou la réduction des déficits, alors que les déficits réels et croissants sont publiés avec discrétion un semestre plus tard ... Certains s'obstinent à voir dans les finances publiques la clé des réformes du système de retraite. Naguère, on a imaginé de résorber la dette sociale avec un nouvel impôt (Contribution à la Réduction de la Dette Sociale, CRDS) qui est paradoxalement payé par les retraités, et on a vu dans le vote du Parlement le moyen imparable d'équilibrer les comptes. Aujourd'hui les uns proposent la TVA sociale, les autres un impôt sur les bénéfices des grandes sociétés, ou des assurances et mutuelles 1?, etc. En France, dette publique et dette sociale dépassent chacune 2 000 milliards d'euros, ce qui représente pour chacune d'entre elles 20 000 euros par Français: cadeau aux jeunes générations. Demander à l'Etat, aussi mal en point que la Sécurité Sociale, de concourir aux retraites du futur, est pure démagogie. Il est vrai que certains pays étrangers ont délibérément placé leur système de retraites entre les mains de l'Etat. C'est le cas bien 16. En 2008, s'agissant des comptes établis en vue de la LOFSS (loi d'orientation des finances de la Sécurité Sociale) la Cour des Comptes n'a certifié les chiffres présentés par l'ACOSS (Agence de Comptabilité de la Sécurité Sociale) qu'en les assortissant de « réserves» : paradoxalement elle a certifié les chiffres des dépenses mais a refusé de certifier ceux des recettes! Cf. COlTIlTIUniqué de presse de la Cour des Conlptes du 30 juin 2008 http://www.ccolTIptes.fr/CC/doculTIents/ComlTIuniques/CP certif secu .pdf 17. Annoncée en juillet de cette année 2008, cette initiative est assez rocambolesque. Mutuelles et assurances permettent en partie aux assurés de se prélnunir contre les risques de faillite du régime général. Si elles renlplissent leur office elles sont taxées et l'argent prélevé bénéficie au régime général! Le régitne général des retraites est un pneu crevé. On est obligé de monter la roue de secours, Inais on lui donne un bon coup de couteau dès qu'elle est Inontée. L'air qui s'échappe va-t-il regonfler le pneu crevé?
34
connu du Danemark, où il n'existe pas de cotisation sociale, tout étant financé par l'impôt. De même, comme en Suisse, l'Etat peut venir grossir de ses subventions l'épargne volontaire des assurés. Ou encore, comme dans un grand nombre de pays, l'Etat encourage la capitalisation par des exonérations fiscales. Toutefois, il ne faut pas confondre deux situations: - celles où l'on fait des retraites une affaire d'Etat, conduisant à une fiscalisation totale ou partielle, le budget national étant la base de financement du système de retraites, ou un de ses piliers essentiels, - celles où le recours à l'Etat n'est que subsidiaire, le système des retraites relevant principalement de l'initiative privée et de la gestion financière. A la lumière des expériences étrangères, il nous semble que l'évolution conduit le plus souvent à confier le sort des retraites à des institutions et fonds privés opérant sur le marché financier. Il en est ainsi non seulement à cause des défaillances des finances publiques, mais aussi au vu des progrès réalisés dans les trente dernières années par le marché financier 18 • Ces progrès consistent d'abord à diversifier les portefeuilles pour se rapprocher de la «frontière de rentabilité». Ensuite la réassurance et les contrats à primes préservent les placements contre les accidents les plus graves. Enfin et surtout le travail des actuaires s'est affiné, les tables d'actualisation en fonction des taux d'intérêt et des espérances de vie sont bien plus précises. Mais surtout les marchés financiers eux-mêmes ne sont plus seulement les grandes bourses dont les dirigeants se contentent d'enregistrer des cotations et sont rémunérés par un impôt de bourse ou des cotisations indépendants des évolutions des cours, mais de véritables entreprises facilitant les transactions, améliorant l'information, et intéressées aux résultats de leurs clients. Bien sûr les gestionnaires de la capitalisation ne sont pas à l'abri d'erreurs, ni de malveillances, qu'une certaine presse s'empresse de monter en épingle. Mais les dérapages les plus spectaculaires (Maxwell, Enron, etc.) ont été dus à des interventions ou des complicités suspectes de la part des autorités 18. Pour l'énunlération et l'analyse des progrès du lnarché financière on peut se reporter au chapitre IV, annexe B : Willialn Poole Les innovations financières et leurs conséquences (pp.150-151)
35 publiques. Dans l'affaire des subpritnes, les responsabilités des banques centrales et de la réglementation financière ont été écrasantes, mais on a préféré mettre tout au débit de la spéculation boursière - qui en la circonstance n'a fait qu'éclairer d'une lumière un peu plus crue les imprudences et les fautes commises. De façon plus générale, les manipulations incessantes des taux d'intérêt par des banques centrales soumises aux pressions des gouvernements et des financiers et boursiers mal en point sont une gêne perlnanente pour les gestionnaires de l'épargne. Malgré toutes ces difficultés, le marché financier a toujours permis la stabilisation à long terme, et la garantie d'une haute rentabilité 19. C'est ce qui est important dans un système de retraites. Voilà pourquoi dans toutes les réformes réalisées, on relève la création de fonds et caisses de compensation chargées de veiller au long terme, et de maîtriser les mouvements erratiques de court terme 20 . On finit par réaliser que les risques sont bien plus grands du côté des budgets publics que des marchés financiers. A la logique du prélèvement obligatoire succède aujourd'hui celle de la gestion responsable. Voilà où les pays étrangers cherchent aujourd'hui les solutions pour les retraites du futur.
19. La cOluparaison entre le rendeluent de la répartition et de la capitalisation a été déjà faite dans le cadre du volume 1 chapitre IV (voir notaluluent l'annexe A (pp.148-149). 20. Sur la signification profonde du luarché financier on se reportera au chapitre IV de ce volulue infra pp 115 ss.
Chapitre II
LA CAPITALISATION À L'ŒUVRE: PANORAMA Que font les autres, que nous ne saurions faire en France? On peut chercher la réponse dans plusieurs grands rapports officiels; «Panorama» est le titre de l'un d'eux, rédigé en 2006 par Edward WHITEHOUSE à la demande de la Banque Mondiale. Il passe en revue les systèmes de Sécurité Sociale de 53 pays. Ce document, ou quelque autre de son genre, est-il suffisant pour nous éclairer sur la marche à suivre en France? Les grands rapports officiels ont. certes leur intérêt, ils fournissent les données statistiques les • plus récentes et les plus complètes possibles. La plupart d'entre eux s'enrichissent de projections sur le futur des retraites, à partir de modèles en général assez affûtés. Ils permettent des comparaisons entre pays, bien que les définitions statistiques varient dans l'espace et dans le temps: c'est le « puzzle des retraites» dit l'OCDE. Ils rencontrent une double limite: 10 ils n'arrivent pas à maîtriser l'extrême diversité des systèmes, des solutions; en dépit des efforts de leurs auteurs, ils proposent un catalogue plutôt qu'une synthèse; 2 0 ils ne portent que très rarement un jugement sur les politiques suivies, et sont donc plus descriptifs que normatifs. Ce n'est pas dans leurs pages que l'on peut trouver un exposé de ce qu'il faudrait faire. Ces rapports sont bien « officiels» et ménagent les susceptibilités nationales. Nous vous invitons à les parcourir, en vous dispensant de leur lecture longue et difficile, et en vous suggérant de lire entre les lignes chaque fois qu'il est possible. L'exercice est instructif. Ce panorama aura au moins le mérite de faire apparaître les questions fondamentales qui se posent à tous les pays quand ils veulent se libérer du piège de la répartition et explorer les ressources et les promesses de la capitalisation. En effet, la quasi-totalité des réformes engagées dans les pays passés en revue dans ces grands rapports internationaux va dans le sens d'un recours croissant à la capitalisation. Certes, assez souvent la répartition delneure le « premier pilier» des régimes de retraite, mais il faut intervenir sans cesse pour conforter le pilier et éviter qu'il ne s'effondre - ce dont tout le Inonde selnble convaincu
38
à l'étranger, à la différence de ce qui se pense et ce qui se dit en France. C'est au niveau du «deuxième pilier », celui des régimes complémentaires, que la capitalisation est introduite et se développe avec une intensité croissante. Enfin, le «troisième pilier », celui de l'épargne volontaire (sous forme d'assurance-vie par exemple) est entièrement en capitalisation et beaucoup de pays encouragent son extension, surtout à travers des exonérations fiscales. Ce panorama de la marche à la capitalisation nous semble bien plus instructif que celui des vains efforts déployés pour sauver la répartition. Ce que font les autres, et ce que nous ne faisons pas (ou pas encore) c'est de miser sur la capitalisation.
39
1. PREMIER DÉBROUSSAILLAGE Pour se frayer un chemin dans la jungle des études et rapports officiels, nous vous proposons d'abord d'évacuer certains aspects des systèmes de retraites qui ne concernent que certaines catégories de cotisants ou de retraités. Sont donc exclus de notre lecture: - les personnes soumises à un régime spécial : les fonctionnaires et salariés du secteur public, ainsi que les paysans, qui reçoivent souvent un traitement particulier; - les handicapés et invalides qui bénéficient à juste titre de dispositions spécifiques ; - les conjoints qui perçoivent une pension de réversion. En revanche, nous ne nous retenons pas seulement ce qui concerne les salariés, mais aussi les personnes actives travaillant pour leur compte. Un autre tourment pour le lecteur vient de ce que dans certains pays les retraites ne sont pas séparées des autres branches de la protection sociale. Se mêlent ainsi retraites, assurance maladie, allocations familiales, assurance chômage, accidents du travail, assistance sociale, aide au logement, etc. C'est d'ailleurs la situation que connaissait la France jusqu'en 1962, la «Sécurité Sociale» couvrant tous ces « risques sociaux ». Cette confusion a été souvent légitimée par la référence commune à la « solidarité nationale », mais elle rend toute gestion impossible, puisqu'il n'y a aucune transparence des comptes. Ce grave défaut survit partiellement aujourd'hui dans les pays (comme le nôtre) où il existe de fréquentes et massives « compensations» entre branches et régimes 21 • C'est dire que les études qui portent sur ces pays ajoutent à la confusion; nous essaierons de vous les éviter. Enfin, il n'est pas possible de s'aventurer dans la jungle des régimes de retraite sans s'habituer à un vocabulaire d'une haute technicité. Savez vous faire la différence entre un système «à 21. On peut illustrer le défaut par la récente décision du gouvernelnent de financer les déficits de l'assurance maladie par la taxation des bénéfices réalisés par les mutuelles et compagnies d'assurance qui proposent de l'assurance-vie. Sur l'opacité du système français, on se reportera au vol. 1 chapitre II, pp. 61-63.
40 cotisations définies» et un système «à pensions définies », sans parler des systèmes «notionnels» ? Cette différence est pourtant déterminante. Ajoutez à ces problèmes sémantiques les pièges des traductions, puisque très souvent les rapports ne sont disponibles qu'en anglais 22 . Comme nous l'avons fait dans notre étude sur le régime français, nous nous efforcerons de réduire les expressions techniques à leur minimum, mais il faut bien reconnaître que les rapports internationaux, s'adressant par priorité à des spécialistes de la question, sont truffés d'expressions et de sigles abscons.
2. OUBLIONS LES MODÈLES Une fois le premier débroussaillage effectué, la voie est-elle pour autant dégagée de tout obstacle? Demeure une difficulté majeure: dans la plupart des rapports et études relatifs aux retraites les auteurs recourent à des modèles de prévision qui leur permettent de scruter l'avenir des régimes à l'horizon 2040 ou 2050. Nous avons nous-mêlnes évoqué pour la France les prévisions issues des modèles utilisés par l'INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques), le COR (Conseil d'Orientation des Retraites) ou la CNAV (Caisse Nationale d' Assurance Vieillesse). Or, les prévisions de ces trois organismes sont divergentes, les modèles étant bâtis différemment. De même, au niveau international, circulent plusieurs types de modèles. Dans beaucoup de pays, les rapporteurs se réfèrent tantôt au modèle Maltese 23 (qui n'a rien à voir avec Corto) ou au modèle Prost24 (qui ne vient pas de l'écurie Renault). Mais il existe bien d'autres modèles originaux, chaque pays s'évertuant à 22. Comlnent traduire « accru al of pensions» ? Le terme « accrual» a déjà plusieurs sens dans le langage anglais courant, et utilisé en science financière il peut acquérir également plusieurs significations. Pour lui rendre en français la signification qu'il a dans les études visées, il faudrait dire « paielTIents nécessaires pour satisfaire aux obligations ouvrant droit à des pensions de retraite» ou encore « accumulation nécessaire pour bénéficier d'une retraite». Certains, plus concis mais lTIoins précis, se contentent de dire « paielnents à charge ». 23. Model for Analysis of Long-Term Evolution of Social Expenditure. 24. PROST est le lTIodèle conçu et recolTImandé par la Banque Mondiale.
41
construire son futur à sa façon : en général de façon rassurante pour celui à qui est destiné le document. Un bon exemple est fourni par le rapport sur les systèmes de pension dans les pays de l'Union Européenne, le plus récent des grands textes publiés (en octobre 2007). Sur les instances d'Ecofin, structure de l'Union qui unit les ministres des finances des 27 pays membres, le groupe de travail sur le vieillissement en Europe (AWG, Ageing working group) a donc detnandé à tous les Etats membres de l'Union de faire un rapport détaillé sur leurs systèmes de retraites respectifs, mais aussi de prévoir l'évolution de ces systèmes compte tenu du vieillissement de la population évidemment dramatique pour les systèmes par répartition. L'ambition des promoteurs était d'arriver à une certaine « comparabilité» des performances des divers systèmes. Pour ce faire il a été recommandé de se référer à des méthodes de prévision elles aussi comparables, en utilisant des modèles d'un même type. Mais cette ambition a été doublement démentie, de l'aveu des inspirateurs du projet: - d'une part chaque pays a pris des libertés avec le modèle suggéré, - d'autre part les prévisions tirées de ces modèles ont été presque toujours lénifiantes, puisqu'il s'agissait de rassurer les autorités bruxelloises. Nous nous dispenserons donc d'entrer dans la querelle des modèles 25 . Qu'il soit simplement noté que les modèles appartiennent à trois familles, dont chacune a ses tares: les modèles macro-économiques reposent sur des hypothèses de croissance économique, de productivité, de taux d'intérêt, tout à fait arbitraires, les modèles «semi agrégés» ont le mérite d'introduire une dynamique dans les prévisions de cotisations et de retraites d'une classe d'âge ou d'un groupe statistique (cohortes) mais masquent évidemment les évolutions globales, les modèles micro-économiques ne concernent qu'un type très particulier d'individus. Ils ne nous apprennent pas grand-chose que nous ne sachions déjà: - le vieillissement de la population déséquilibre les systèmes de retraites; 25 . Nous pouvons renvoyer le lecteur friand de détails à l'Annexe A, infra p.75.
42 - dans la perspective des systèmes par répartition il faut donc s'attendre à des modifications importantes du niveau des cotisations et des pensions ; - le recours aux finances publiques sera donc inéluctable, et le contribuable sera sollicité; Les outils statistiques et mathématiques donnent toutes les apparences d'une approche scientifique, mais cela ne compense pas une incertitude radicale sur l'avenir des régimes de retraites. Nous entendons par là qu'il y a dans ce domaine, comme dans la plupart des phénomènes économiques, une impossibilité d'imaginer tout ce qui peut se passer au cours des quarante prochaines années 26 . S'il y a des enseignements à retirer des rapports internationaux les plus récents, c'est dans leur description des problèmes rencontrés dans les divers pays, et des réformes qu'ils ont appelées.
30 lLE REPLÂTRAGE DU PREMIER PILIER Dans la quasi-totalité des pays qui ont fait l'objet de rapports internationaux, le système des retraites repose sur un socle: un régiIne public par répartition. On l'appelle « premier pilier ». Ce pilier est en fait chancelant, et les travaux de restauration entrepris à ce jour sont d'une solidité douteuse, au point qu'ils ressemblent davantage à un replâtrage qu'à un étayage. Les régimes publics dits « de base» ont des caractéristiques majeures, qui varient d'un pays à l'autre. Il n'est pas facile ni utile de dresser une carte générale de ces régimes. Il est en revanche intéressant d'énumérer sommairement les choix qui ont présidé à leur organisation.
Savoir ce que ['on recevra ou ce que ['on payera? Le premier choix est entre les régimes à pensions définies (DB pour Defined Benefits), à cotisations définies (DC pour
26. On est donc bien au-delà d'un calcul dans l'incertitude que l'on pourrait conduire à partir d'une distribution de probabilités. On ne peut attribuer de probabilité à un évènelnent dont on ignore aujourd'hui l'existence même. Le concept d'incertitude radicale a été particulièrelnent analysé par Shackle. Hayek et l'école autrichienne ont toujours nié la possibilité de modéliser les phénomènes sociaux et économiques.
43
Defined Contributions), ou à pensions et cotisations variables (régimes «notionnels»). La plupart des pays sont à pensions définies : le but poursuivi est de parvenir à un certain niveau de pension quand l'âge de la retraite aura sonné. Dans quelques pays, la cible est modeste: on ne promet qu'une retraite minimum. Pour ces régimes DB, on peut mettre tous les retraités sur un 27 pied d'égalité: ils auront tous la même pension . Mais cette pratique est rare : en général les droits à pension dépendent aussi des revenus perçus soit en moyenne calculée sur toute la période de cotisation, soit au cours des meilleures années pendant cette période, soit au moment du départ en retraite. Le «taux de remplacement» permet de mesurer ce que représentent les pensions par rapport aux revenus perçus pendant la période d'activité. Le taux de remplacement devient ainsi une assez bonne approximation de l'efficacité du système de retraites. Un taux de 100 % signifie qu'un retraité touche autant d'argent que ce qu'il avait quand il était en activité. C'est une situation exceptionnelle, seul le Luxembourg atteint ce haut niveau de performance. Nous donnons en annexe B les taux de remplacement, dont le spectre est très large, depuis des pays où ces retraites sont très maigres (par exemple Angleterre, Etats Unis ou Japon), jusqu'à des pays « généreux» comme le Luxembourg, la Turquie ou le Portugal. Nous disons aussi toutes les réserves à faire sur ces fameux taux, et les commentaires abusifs qu'ils suscitent. La plupart du temps, pour atteindre l'objectif visé et donner au retraité les revenus qui lui sont promis et dus, il faudra réviser le montant des cotisations. On adapte les recettes (cotisations) aux dépenses (pensions). Cette révision est devenue obligatoire compte tenu des déficits croissants de la répartition. C'est bien ce qui fait la différence entre le régime DB et le régime DC: le montant des cotisations peut varier sans cesse. Comment faire varier les cotisations? Simplement en relevant les taux, ou plus subtilement en allongeant la période de cotisation.
27. Sont dans ce cas: le Royaulne Uni, la Belgique, la Suisse, etc. En généraI, ces pensions « à taux constant» (fiat rate) ne constituent qu'un filet social, un genre de minimum vieillesse, et le premier pilier dans ce cas est Inoins itnportant que les deux autres.
44 Le régime De a évidemment les avantages et inconvénients symétriques: on sait ce que l'on paye pendant que l'on est actif, mais on ne sait pas ce qui revient à l'âge de la retraite. On adapte les dépenses (pensions) aux cotisations (recettes). Naturellement, les retraites par capitalisation fonctionnent de cette manière, car on ignore quelle aura été la valorisation des sommes versées entre la période de leur versement et celle de la retraite - cela dépendra de la qualité de la gestion des fonds de pension. Mais les retraites par répartition, qui ne sont pas valorisées, peuvent être aussi à cotisations données: si les conditions démo-économiques se sont aggravées ou alTIéliorées le retraité touchera moins ou plus. Dans des pays vieillissants à faible croissance économique, les conditions se dégradent. Des formules plus subtiles ont été adoptées dans quelques pays (l'Italie, la Suède et la Pologne par exemple). Elles consistent à faire payer des cotisations qui ouvrent un droit potentiel à une retraite d'un certain niveau, puis à «liquider» les pensions le moment venu en tenant compte de ce que la caisse de retraite peut verser au retraité. Dans certains pays (Allemagne par exemple) le droit potentiel est concrétisé par l'attribution de points, mais la valeur du point ne sera connue qu'au moment de la retraite. Dans d'autres pays les lTIOntants capitalisés sont consignés sur un livret personnel. Ces régiInes « notionnels» ne lèvent aucune incertitude, ni sur le lnontant des cotisations, ni sur celui des pensions. De façon générale, en dépit des garanties que prétendent offrir les régimes publics, l'incertitude est totale: on ne sait ni ce que l'on recevra ni ce que l'on payera. Comment en serait-il autrement dans des régimes par répartition, sur lesquels pèsent les hypothèques de la démographie et de la croissance? On ne peut se prémunir contre les risques du vieillissement ou de la conjoncture puisque la répartition néglige ces risques, en refusant de prendre en compte le telnps.
Pendant combien de temps? Un autre choix décisif pour les régimes par répartition se rapporte au telnps : pendant quelle période cotiser pour avoir une retraite à taux plein? Ce choix a pris souvent en compte une discrimination positive en faveur des felTIlTIeS, mais avec l'accroissement de leur espérance de vie et de leur taux d'activité la distinction a tendance à s'effacer et bientôt tout le monde sera logé à la même enseigne.
45 L'avenir d'un régime par répartition reposant essentiellement sur le ratio de dépendance (rapport des actifs aux retraités), il va de soi que l'allongement de la période d'activité et le raccourcissement de la période de retraite contribuent à rééquilibrer le système. Une meilleure santé, une moindre pénibilité physique du travail, une vie plus longue, plaident en faveur de ces changements. Mettre tout le monde au travail, et travailler plus longtemps deviennent donc des initiatives salutaires pour la répartition. Ainsi l'âge de la retraite a-t-il été fixé autour de 65 ans pour la plupart des pays (21 sur 34), alors que la France fait exception en un sens (60 ans, comme la Corée ou la Turquie), et les Etats-Unis dans l'autre (67 ans, comme la Norvège et l'Islande)28. L'âge auquel il est possible de prendre une retraite anticipée s'étale suivant les pays de 55 à 63 ans, et la pénalisation en termes de réduction des pensions varie elle aussi d'un pays à l'autre. Cette pénalisation est en lien avec la période de cotisation exigée pour avoir droit à une pleine retraite. Cette période varie entre 25 et 40 ans.
Le travail des seniors A la retraite anticipée fait pendant la retraite différée. Alors que l'on était resté très longtelnps dans des systèmes rigides, où les assurés étaient obligés de prendre la retraite à un âge fixé par la loi, sans possibilité d'avoir une activité significative après le départ en retraite, on voit apparaître un peu partout une grande flexibilité. Elle peut aller de la suppression de l'âge légal de la retraite à la liberté de mener une activité au moins pendant plusieurs années, en passant par l'octroi d'avantages - sous forme par exemple de déductibilité fiscale des cotisations quand on continue à les payer, ou d'exemptions de cotisations pour les employeurs ou les salariés, ou d'augmentation substantielle des droits à pension en fonction des années d'activité prolongée. Quel que soit l'intérêt pour les seniors de retarder l'âge de leur retraite définitive, et tout en approuvant cette avancée vers le libre choix des individus, il n'en demeure pas moins que deux injustices majeures sont ici comlnises. La première est de pénaliser ceux qui pour des raisons diverses ne peuvent ou ne veulent 28. La liste cOlnplète des âges de la retraite est donnée dans le tableau en fin de ce chapitre, infra pp. 65-67.
46
prolonger leur activité. La deuxième est de violer les termes du contrat (au demeurant obligatoire) qui liait les assurés et les assureurs. Les droits acquis par une vie de cotisations ne sont pas honorés; les retraités doivent payer une deuxième fois pour obtenir ce qu'ils attendaient. Immense découverte: si les gens travaillent et cotisent jusqu'à leur décès, le paiement des retraites n'est plus un problème!
Cotisations ou impôts? Une des ambiguïtés de la répartition provient du mélange de deux logiques: celle de l'assistance et celle de l'assurance. D'une part la répartition se veut acte de solidarité entre les membres de la communauté nationale et redistribution des revenus entre riches et pauvres. Dans ce cas, il est logique que le financement des retraites se fasse par la voie fiscale: tout citoyen retraité à faibles revenus bénéficie du soutien d'autres citoyens qui ont des revenus suffisants pour payer un impôt. C'est ce que l'on appelle encore un « filet social», sous forine d'un revenu «minimum vieillesse» dont le montant n'a qu'un rapport lointain ou pas de rapport du tout avec les revenus que ledit retraité avait perçus pendant sa période d'activité. La redistribution s'organise alors au niveau de l'Etat ou éventuellement des régions 29 • Mais d'autre part la répartition se présente aussi comme l'achat d'un droit à percevoir une retraite. Cet achat est obligatoire, et se fait à un prix que le futur retraité ne peut discuter. Par son caractère de prélèvement obligatoire, la cotisation pour la retraite ressemble à un impôt. Mais -au lieu d'être versée à l'administration fiscale elle est perçue par une administration sociale, couramment appelée « Sécurité Sociale ». Surtout la grande différence vient de ce que la cotisation est en général fonction des revenus d'activité au lieu d'être calculée, comIne l'est un impôt, sur la dépense (TVA), ou les revenus du patrimoine, ou le patrimoine lui-même, ou l' entreprise (taxe professionnelle). Il est vrai que certains pays, à l'image du Danemark, ont choisi de faire payer un impôt plutôt qu'une cotisation sociale pour financer les retraites. Ici assistance et assurance sont 29. C'est le cas en Suisse (cantons) ou en Espagne, et dans une certaine Inesure en Allelnagne, quand les Lander de l'Est n'avaient pas le Inême régime que ceux de l'Ouest.
47
nécessairement confondues, l'impôt ouvre le chemin non seulement à un filet social qui bénéficiera à quelque personne que l'on ne connaît pas mais aussi à un droit à retraite en faveur du contribuable concerné. La plupart du temps les cotisations sont calculées sur le montant du revenu d'activité brut (par exemple salaire brut, ou revenu brut d'exploitation pour un entrepreneur, artisan ou commerçant). Assez souvent il existe un plafond de cotisation: le revenu au-dessus d'un certain niveau ne supporte pas le poids d'une cotisation sociale. Symétriquement peut exister un plancher, un Ininimum de cotisation à payer. La plupart du temps les cotisations des salariés sont apparemment réparties entre l'employeur (part «patronale» des cotisations) et le salarié (part « salariale»), mais cette distinction, on l'a vu dans notre précédent volume, est purement administrative et artificielle: en réalité le prélèvement s'opère sur le «salaire complet », il est bien à la charge du salarié pour la totalité 30 .
Des pensions de moins en moins « généreuses» Dans un des rapports officiels, le fonctionnaire de service a cru bon de préciser que les réformes du systèlne de répartition envisagées dans son pays seraient désormais lTIoins « généreuses» 31. Nous ne croyons réellement pas que les systèlTIeS publics et obligatoires de répartition fassent réellelnent des cadeaux aux futurs retraités, bien au contraire ceux-ci sont spoliés d'une partie de leur épargne forcée et touchent bien moins que ce qu'ils pourraient récupérer en capitalisation 32 • Ordinairement on mesure la « générosité» d'un système de retraite par le fameux «taux de remplacement », c'est-à-dire le rapport entre ce que le retraité gagnait du temps où il était en activité et le montant de sa retraite. Le tableau des taux de remplacement dans les pays de l'OCDE reproduit en annexe B montre que le taux brut de remplacement moyen (pour un assuré qui a un revenu moyen) a sa plus haute valeur en Grèce, au 30. Cf. Vol 1 chapitre II pp.54-6ü et notamment l'annexe B sur le salaire complet (pp.72-74). 31. C'est l'adjectif couratTItuent usité dans cette littérature, il setuble déplacé (est-il généreux de lue rendre mon dû ?). 32. La comparaison entre ce que rapporte théoriquement la répartition et la capitalisation à un stTIicard français a été faite dans le volume 1 chapitre V pp. 168-169.
48 Luxembourg, et sa plus faible en Angleterre, en Irlande et au Japon. La France (51,2 %) est en-dessous de la moyenne OCDE (58,8 %). Le régime français est plus avantageux pour les assurés ayant un revenu moitié du revenu moyen (taux de remplacement brut de 63,8 %, moyenne OCDE 71,3) et plus sévère pour les hauts revenus (taux de 44,7 % contre 49,6 moyenne OCDE). Ces mesures sont en fait très approximatives, et la comparaison entre les taux n'est pas vraiment significative, au moins pour trois raisons : - la première est que dans certains pays les statisticiens calculent un taux brut, d'après le revenu brut d'activité, dans d'autres un taux net (revenu disponible après prélèvements obligatoires impôts tantôt compris, tantôt exclus). La seule mesure acceptable à nos yeux serait celle d'un taux calculé sur le salaire complet33 . Faute d'une harmonisation des définitions les comparaisons sont sujettes à caution. - la deuxième est que le taux de remplacement de la retraite par répartition doit être apprécié en fonction des autres éléments de retraite que l'on peut recevoir d'autre part (deuxième et troisième piliers) Dans certains pays (Angleterre, Japon, Suisse) la répartition a été volontairement réduite au minimum, de sorte que le taux de remplacement est évidemment faible. - La troisième est que le taux moyen de remplacement (qu'il soit brut ou net) est lui-même peu significatif dans les pays où le régime des retraites est très progressif, conçu comme un instrument de redistribution entre « riches» et « pauvres ». Le Danemark est assez remarquable de ce point de vue. La France a aussi un régime progressif. Toujours est-il qu'en général le montant des pensions, dans un système à pensions définies (DB pour les initiés) ne dépendra pas des cotisations versées (ce qui est plutôt dans la logique d'un système à cotisations définies (DC). Il sera lié au montant des revenus d'activité perçus par le salarié - qui, il est vrai, auront été pris en compte pour le calcul des cotisations, de sorte qu'il existe bien un lien indirect entre pensions et cotisations.
33. COlnlne annoncé, l'étude des taux de relnplacelnent est menée dans le cadre de l'annexe B.
49
Quels revenus? Ici, c'est réellement la mosaïque: certains pays calculent sur une moyenne des revenus sur toute la période d'activité du retraité: formule la moins avantageuse car le poids des années à faibles revenus diminue le droit à pension. D'autres ne prennent en compte que la dernière année d'activité (ce qui est évidelnment le plus avantageux, puisque c'est en général en fin de carrière que l'on gagne le plus d'argent); d'autres encore retiennent une moyenne établie sur les x dernières années, ou sur les y meilleures années de l'ensemble de la période d'activité ou des x dernières années 34 . Devant le déséquilibre croissant des systèmes par répartition, la pratique s'est répandue dans plusieurs pays d'augmenter le nombre x d'années prises en compte, les droits à la retraite sont donc diminués d'autant 35 . Un taux d'accumulation des droits (accrual rate) permet de suivre l'évolution de l'acquisition des droits à la retraite tout au long de la période de cotisation. Il peut être plat (un taux annuel de 2 % permet d'avoir sa pleine retraite au bout de 50 ans) ou progressif - dans ce cas on calcule après coup un taux moyen. Comme le taux de remplacement, il permet de se faire une idée sur la «générosité» du système, en indiquant si le retraité en a réellement pour son argent.
Dernier ajustement des retraites Les modalités de calcul que nous avons globalement évoquées conduisent à un certain montant de pension, que le retraité est en droit d'attendre, puisqu'il a payé pour cela. C'est le principe même du système de répartition «à pensions définies» (DB). 34. Il existe même des modes de calcul encore plus sophistiqués, par exemple (en Allemagne) celui qui consiste à calculer un revenu moyen sur l'ensemble de la période d'activité, puis à rapporter chaque année le revenu de l'année à cette moyenne. S'il y a une mauvaise année (inférieure à la lTIoyenne) le rapport est inférieur à un (par exelTIple 0,6) et c'est ensuite la lTIoyenne des rapports qui servira de coefficient multiplicateur. On procède de même pour les bonnes années. C'est en fait une lTIoyenne calculée sur les écarts à la moyenne (sur la variabilité des revenus). Très simple. Mais il paraît que les Allelnands s'y retrouvent! 35. Le record à notre connaissance est détenu par l'Autriche, qui est passée de 15 à 40 ans en 2002. En France, la réforme Balladur de 1994-1995 a lTIarqué un passage de 10 à 25, la valeur des pensions sera alTIputée de près de 10 % pour certains retraités.
50
Cependant ce montant de penSIon peut être modifié pour plusieurs raisons: 1° Il peut se trouver inférieur à un minimum fixé par la loi; dans ce cas l'ajustement consiste à le hisser à ce niveau minimum, la différence étant payée en général par l'Etat (qui apporte ainsi une garantie) ou par le système lui-même. 2° La loi ou le système peut aussi fixer un maximum, auquel cas le montant de la retraite sera ramené à ce maximum. 3° Le montant de la pension peut être modulé suivant les caractéristiques personnelles du retraité : sa situation de famille (le montant est révisé à la hausse si l'un des deux conjoints n'a pas eu d'activité professionnelle), son état de santé (il y a souvent des interférences entre régimes de retraites et assurance-maladie ou assurance-invalidité) ou son métier. Dans ce dernier cas on entre dans le labyrinthe des régimes «spéciaux », dans lequel nous n'avons pas voulu nous aventurer, mais qui rend toute réforme significative impossible car il s'agit en général de privilèges acquis, qu'il ne fait pas bon remettre en question. 4° Le régime fiscal auquel le retraité est soumis va naturellement influencer le pouvoir d'achat réel de la pension. Certains pays exonèrent les pensions d'impôts sur le revenu - ce ne sont pas les plus nombreux. D'autres prévoient une pleine fiscalité ou une fiscalité allégée. Une originalité consiste à faire payer aux retraités un impôt pour renflouer les caisses de retraites; par politesse cet impôt est appelé « contribution »36. La charge fiscale dépend bien entendu de la structure des impôts du pays considéré. Les impôts indirects sont payés par tous, retraités ou pas. Les impôts directs peuvent être progressifs et amputer ainsi les retraites les plus élevées. 5° Enfin, les techniques de bonus/malus peuvent faire varier considérablement le montant réel des pensions. Les retraites anticipées diminuent le montant dans une proportion variable suivant les pays. Dans l'autre sens, la tendance générale est à introduire des bonus de plus en plus substantiels pour ceux qui
36. C'est le cas en France avec la CRDS : Contribution au Remboursement de la Dette Sociale, qui est payée par tous les contribuables retraités ou non. On rappellera aussi l'existence de la CSG (Contribution Sociale Généralisée) qui est également payée par tous, afin de limiter le déficit de l'assurancemaladie. Le mot « contribution» laisse entendre que le contribuable met volontiers (sinon volontairement) la main à la poche!
51
acceptent de retarder leur départ en retraite. Une prime pouvant aller jusqu'à 5 % de pension par année de travail supplémentaire est accordée dans certains pays. C'est une des formes les plus efficaces d'incitation au travail des seniors.
La répartition est obligatoire, donc publique Comme nous l'avons rappelé dans le chapitre précédent 3? le système par répartition ne peut fonctionner que si toutes les personnes y sont assujetties. Par contagion, pourrait-on dire, la gestion du système est le plus souvent confiée à une organisation nantie d'une certaine délégation de la puissance publique, en mesure d'utiliser la contrainte légale pour ordonner cotisations et pensions. Dans ce cadre, la formule qui s'impose en général est celle d'une administration centralisée, disposant d'un monopole sur le territoire national. Cependant, l'organisation de la protection sociale peut se calquer sur l'organisation politique, et devenir fédérale ou décentralisée. Aux yeux de ses gestionnaires la centralisation a un immense avantage: elle donne l'occasion de transferts d'une branche de la protection sociale à une autre. Ainsi, dans plusieurs pays, la branche vieillesse est-elle étroitement liée à la branche maladie, ou invalidité, ou accidents du travail, ou famille. Ce lien se retrouve aussi au niveau des cotisations, puisqu'une même cotisation peut couvrir toutes les branches de la protection sociale. Ces pratiques sont évidemment des facteurs de mauvaise gestion, car l'opacité des opérations est totale. Comblant les déficits structurels des uns avec les excédents conjoncturels des autres, on persuade les assurés que le système est en équilibre. Certains pays ont voulu rompre avec ces mauvaises pratiques, et soit en installant un nouveau système (c'est le cas de pays d'Europe centrale et de l'Est, rompant avec les mœurs imposées par les régimes communistes), soit en modifiant le système existant, ils ont choisi de confier la gestion des retraites à des administrations privées, voire des entreprises. La chose va de soi quand le premier pilier n'est pas en répartition, mais en capitalisation, ce qui concerne quelque dix pays actuellement. Ici, les fonds, même s'ils proviennent d'une obligation légale, et même s'ils sont perçus par un organisme public, seront confiés à un 37. cf. supra p. 28.
52
gestionnaire (en général un fonds de pension) ayant la charge de les faire fructifier au mieux des intérêts des futurs retraités; on n'est plus dans la logique de pensions définies, lnais de cotisations définies (DC). Mais la délégation de gestion au secteur privé peut aussi se concevoir dans un régime à pensions définies 38 . Il est possible alors d'instaurer entre gestionnaires des éléments de concurrence véritable, mêlne si elle existe et fonctionne sous le contrôle de l'administration publique. Un élément important est le libre choix par l'assuré de son organisme gestionnaire. Cependant, quels que soient les efforts de gestion d'un premier pilier obligatoire et par répartition, aucun pays ne parvient à effacer la tâche originelle du système : dans des pays à population vieillissante aucun rééquilibrage durable n'est à envisager. Il faut donc chercher ailleurs le futur des retraites: celui-ci est inexorablement comprolnis, en dépit de tous ces replâtrages, inventifs mais éphémères.
4. QUEL DEUXIÈME PiLIER? Complélnentaire, supplémentaire, professionnel: le nom est variable pour ce deuxième pilier, appelé encore deuxième étage 39 . En France, nous parlons de «retraites complémentaires », elles sont confiées à deux associations: l' ARRCO (pour les salariés) et l'AGIRC (pour les cadres). Elles sont obligatoires, en répartition et par points, leur montant sera fonction des points accumulés tout au long de la carrière. Mais les choix qui ont été faits chez nous ne sont pas les plus fréquents ailleurs, ni à coup sûr les meilleurs. Quelles sont les diverses possibilités?
38. C'est le cas en Finlande, Slovaquie et aux Pays Bas. Cf. le tableau de synthèse en fin de chapitre pp. 65-67. 39. Nous préférons «pilier» à « étage », pour deux raisons: il ne peut y avoir de deuxièlne étage s'il n'y a pas un premier - ce qui revient à dire que l'on devrait nécessairelnent avoir un régime de base en répartition, et en cas d'effondrement du prelnier étage le deuxièlne s'effondre aussi - alors qu'un deuxième pilier peut maintenir l'édifice Inêlne si le premier pilier est détruit à condition bien sûr que le deuxième pilier ait été suffisamment renforcé à temps.
53
Le passage à la capitalisation En France, et bien que l'existence de «points» accumulés puisse faire illusion, les complémentaires sont en répartition: les actifs du mOinent paient pour les retraités du moment. Dans un très grand nombre de pays, le « deuxième pilier» a été dès le début ou devient maintenant un régime par capitalisation, ce qui signifie au sens strict que les cotisations versées par les assurés ne sont pas employées à payer les retraites des autres, mais destinées aux cotisants eux-mêmes. Confiées à un gestionnaire financier, elles porteront des intérêts, et le cumul au fil des ans des intérêts cOinposés et du capital constitué permettra d'avoir un niveau de retraite substantiel 4o • Le montant de ce niveau est cependant inconnu jusqu'à l'âge de la retraite. Ce que l'on connaît ce sont les cotisations que l'on paye, mais on ignore en revanche ce qu'elles rapporteront: nous sommes dans le systèlne « à contributions définies» (DC). C'est cette part d'incertitude qui fait penser à certains qu'une retraite par points est un régime en capitalisation. En effet, comme c'est le cas avec l' ARRCO ou l' AGIRC, le cotisant obtient chaque année un certain nombre de points (en général proportionnel à l'importance de sa cotisation), donc de droits à retraite, mais la valeur du point est variable chaque année, et peut être valorisée au cours de la période de cotisation. Mais là s'arrête la similitude avec la capitalisation, car les sommes versées ne sont ni placées ni fructifiées : elles ressortent immédiatement pour payer les pensions des retraités actuels. Une autre ressemblance trompeuse est la possibilité pour le cotisant de « racheter des points de retraite », ce qui signifie qu'il y a une comptabilité propre à chaque assuré, alors que dans un pur système par répartition la possibilité d'acquérir des droits à retraite par une contribution volontaire est limitée, voire inexistante (elle tend cependant à prendre une certaine extension à travers les bonus pour retraites retardées). Ainsi, quand on parle d'un deuxième pilier en capitalisation, c'est bien de capitalisation de l'argent versé, et non de la « capitalisation» de points qu'il s'agit. Il serait plus rigoureux de parler d'accumulation de points.
40. Le principe, les modalités et le chiffrage de la capitalisation sont l'objet du chapitre IV Cf. infra pp.195-199.
54 L'affaire se complique néanmoins par l'existence de systèmes dits « notionnels », dont la particularité est triple: - la valeur des pensions ne sera connue qu'au moment du départ en retraite, - elle dépend pour l'essentiel de la capitalisation des cotisations versées, - elle peut être révisée si le montant calculé n'atteint pas un certain niveau. Le système notionnel, déjà utilisé pour le premier pilier, se généralise maintenant pour le deuxième pilier et les plus récentes réformes vont dans ce sens. De toutes façons la tendance des deuxièmes piliers est bien le passage à la capitalisation.
L'importance des choix individuels Puisque l'on peut concevoir le deuxième pilier en répartition ou en capitalisation, on débouche sur deux situations fort différentes : tantôt le choix est laissé aux assurés, tantôt il n'existe pas ou se réduit à peu de choses. La répartition, redisons-le encore, s'assortit d'une obligation. Les deuxièmes piliers en répartition sont imposés par la loi. Le seul choix laissé aux individus est d'accroître leurs droits à retraite complémentaire en versant des cotisations supplémentaires (et en «achetant des «points» quand ils existent). D'ailleurs, le législateur pousse maintenant à ce choix: ce supplément sera peutêtre exempté d'impôts, totalement ou jusqu'à un certain pourcentage du revenu d'activité 41 • Un grand changement intervient quand le deuxième pilier devient en capitalisation, et volontaire. Dans les pays (très nombreux) où le deuxième pilier n'était pas encore en place, ou était jusque là en répartition, le premier choix qui s'est offert à l'assuré a été celui d'accepter le nouveau régime ou de rester dans le premier pilier en répartition. Le verdict
41. Dans beaucoup de pays c'est le cas pour les personnes non salariées (loi Madelin en France pour les artisans, commerçants et entrepreneurs individuels). Certains pays ont même prévu un «droit à exemption fiscale» sur plusieurs années successives (un commerçant qui a un revenu faible pendant l'année n et perd ainsi le bénéfice de l'exonération, peut récupérer ce bénéfice sur l'année n+x si elle se révélait profitable).
55 a été clair: la préférence est allée à l'entrée dans le nouveau système. Un deuxième choix s'offre encore: dans certains pays le deuxième pilier est totalement facultatif. Ici le traitement fiscal réservé aux cotisations et à l'épargne est décisif. Si l'impôt sur l'épargne ou le patrimoine est léger, l'assuré aura peut-être intérêt à faire l'impasse sur le deuxième pilier pour aller directement au troisième. Si les cotisations sont déductibles et les revenus du troisième pilier imposables, le choix se fera en sens inverse. Un troisième choix concerne le montant des cotisations que l'assuré va payer. Le choix est limité quand la loi prévoit ce montant. Il est en général calculé sur les revenus d'activité. S'agissant des revenus salariés, la loi autorise presque toujours l'assuré à verser à un fonds de pension 42 tout ou partie de la « part salariale» de ses cotisations sociales. La «part patronale» continue à alimenter le premier pilier (en répartition). Mais on observe que dans beaucoup de pays un certain pourcentage de la « part patronale» peut être versée pour le second pilier, porté au crédit du salarié. Enfin un quatrième choix peut s'ouvrir: celui de payer des cotisations au-delà de ce qui est imposé ou autorisé par la loi. Cette précaution supplémentaire va sans doute être encouragée par des traitements fiscaux favorables. Dans tous ces choix qui se juxtaposent et souvent s'articulent entre eux, il faut voir la caractéristique majeure d'un deuxième pilier en capitalisation : l'assuré constitue sa propre retraite, il est au moins en partie responsable de ce qu'il touchera quand il sera retraité. Cela peut se matérialiser d'ailleurs par l'existence d'un livret de retraites, un précieux instrument de personnalisation des droits à la retraite.
De la retraite publique à la retraite contractuelle Plusieurs pays ont opté pour un second pilier en capitalisation organisé autour des entreprises. Cela ne concerne en principe que les travailleurs salariés, bien que l'on puisse trouver quelques dispositions concernant des personnes non salariées exerçant une activité professionnelle.
42. Ou à un organisme collecteur qui lui-même confiera les cotisations à un fonds de pension (cf. infra pp. 57-58).
56
L'initiative est revenue parfois aux entreprises elles-mêmes: elles ont décidé de verser une partie ou un supplément de salaire sous forIne de versement à un fonds de pension. Cela rend le contrat de travail plus attractif, et fidélise le salarié. Cependant l'exigence de mobilité devient telle que les entreprises doivent prévoir des dispositions spéciales: - le droit à retraite complémentaire doit être individualisé, et suivre le salarié quittant une entreprise pour une autre; cela suppose par exemple que le fonds qui reçoit les cotisations délivre un livret de retraite au salarié; - par voie de conséquence la liberté de choix du fonds de pension doit être ouverte au salarié aussi bien qu'à l'entreprise; - l'organisation du second pilier peut se concevoir au niveau du métier, de la profession, de la branche d'activité, en supposant que la mobilité du salarié se réduise à ces espaces. De tels aménagements ont été introduits dans le deuxième pilier quand la loi l'a mis en place ou l'a réfornlé. Mais en intervenant le législateur a ouvert d'autres perspectives aussi bien que de nouvelles contraintes: - il a donné aux partenaires sociaux la responsabilité de régler eux-mêmes les modalités des retraites complémentaires; dans les pays à forte représentativité des syndicats, ceux-ci ont été amenés à jouer un rôle central dans les négociations sur les cotisations et les pensions, dans la gestion des fonds ; - il a accordé des exemptions de cotisations ou d'impôts sur les cotisations, ou d'impôts sur les pensions; - il a en général exigé que les employeurs, individuellement ou collectivement, laissent aux travailleurs le choix des fonds de pension qui capitalisent leurs cotisations, avec même le droit de changer; - il a autorisé et sélectionné les fonds de pension éligibles. Ces interventions et réglementations se comprennent si l'on considère que la puissance publique s'étant arrogée pendant de longues années le monopole des retraites en délègue maintenant la responsabilité au secteur privé. On est en fait ici au confluent de plusieurs traditions: - celle de la protection étatique et de l'Etat Providence, qui se veut assureur et garant ; - celle de la mutualité, qui désire organiser une solidarité professionnelle;
57
- celle de l'assurance, qui scelle un contrat entre un individu cotisant et un gestionnaire. Toutefois, c'est bien le passage à la capitalisation qui demeure le changement décisif, et nul doute que progressivement les cotisations ressemblent davantage à des primes d'assurance qu'à des cotisations sociales.
Gestion des primes en capitalisation Dans un deuxième pilier en répartition, peu importe le gestionnaire des cotisations. Il suffit d'ouvrir et fermer le tiroir caisse. La plupart du temps, il ne reste que des fonds de tiroir. Les responsables du système de répartition ont essayé de constituer des réserves, un genre de matelas qui éviterait d'avoir un tiroir totalement vide. Ils ont eu ici le choix entre un appel au contribuable, ou un recours à l'emprunt, qui vient encore grossir la dette sociale. Mais l'importance de la dette déjà accumulée en répartition (premier pilier) est telle qu'il y a vite disproportion entre les réserves constituées et les besoins de liquidité. Tôt ou tard il faudra bien trouver des liquidités ailleurs. Qui sera le « prêteur en dernier ressort» ? C'est dire qu'un deuxième pilier en répartition n'est pas une manière de régler le déséquilibre du premier pilier en répartition, tout au contraire la situation va sûrement empirer. Par contraste, le gestionnaire d'un deuxième pilier en capitalisation a un rôle déterminant à jouer. Il est choisi, comme on l'a vu, soit par l'assuré (individuellement et souverainement), soit par l'instance professionnelle qui organise le deuxième pilier contractuel, soit par l'Etat, soit par une ou plusieurs combinaisons des trois. La plupart du temps le choix se porte sur des fonds de pension au sens strict, ou sur des compagnies d'assurances, ou sur des banques. Mais, comme au Chili, il peut y avoir séparation du gestionnaire et du financier 43 . Plus important encore: la capitalisation peut s'assortir de deux types de gestion: mutuelle ou individuelle. Dans le premier cas, la prime versée par un individu vient se fondre dans un creuset de compensation des risques: l'assuré adhère à un contrat collectif, et le gestionnaire va devoir prendre en considération la 43. Cf infra Chapitre III p. 108-109.
58 composition de la population pour le compte de laquelle il intervient. Dans le deuxième cas, le contrat est individuel, et c'est au gestionnaire à composer une population de nature à répartir les risques dans l'espace et dans le temps44. Concrètement, cela signifie qu'un deuxième pilier en capitalisation peut s'accompagner tantôt d'un droit acquis identique pour tous les adhérents, tantôt d'un compte spécial ouvert au nom de chaque assuré: un livret de retraite renseigné régulièrement par le gestionnaire. Il est pensable qu'un assuré soit en possession de plusieurs livrets s'il a plusieurs gestionnaires partenaires. Restent enfin les choix financiers décisifs: comment les gestionnaires vont-ils composer le portefeuille des actifs qu'ils auront achetés avec les primes des assurés? Plusieurs formules sont utilisées, suivant les pays : - une composition légale et obligatoire d'un portefeuille de valeurs mobilières mêlant valeurs à revenus fixes (obligations) et à revenus variables (actions) - ou des actifs immobiliers pour une partie donnée des actifs totaux, - ou une totale liberté de gestion des actifs. Comme tout choix financier, celui-ci prend en compte la sécurité et la rentabilité - la liquidité n'étant pas un élément déterminant puisqu'il s'agit d'actifs à long terme. Il faut bien reconnaître, s'agissant des fonds de pension organisés sous le contrôle de l'Etat ou des institutions professionnelles, que les emplois prudents l'emportent en général sur les emplois risqués 45 . C'est qu'en fin de compte le second pilier en capitalisation, tout en offrant de larges choix aux assurés, est encore limité dans 44. Certes cette répartition est aussi une mutualisation, puisque chaque client de l'assureur dépend des évènements et des comportements concernant tous les autres clients. Mais au lieu de lier entre elles des personnes appartenant à une même communauté, et entre lesquelles le sentiment mutualiste peut exister, la gestion désignée ici par « individuelle» concerne des personnes qui ne se connaissent pas, et qui s'en remettent totalement au financier pour organiser la « mutualisation des risques». 45. Cette question, en effet décisive, sera reprise dans le cadre du Chapitre IV infra pp 205-207. On se posera aussi la question: la capitalisation peut-elle survivre à un séisme financier du type de celui qui est connu actuellement?
59
ses performances, et que la liberté contractuelle n'y est pas totale. Il demeure à ce jour encore très encadré par la réglementation publique, et ne porte pas tous les fruits possibles, bien que le rejet de la répartition puisse représenter un progrès spectaculaire, ne serait-ce qu'en familiarisant les assurés avec les techniques de la capitalisation et en les amenant à prendre des responsabilités individuelles plus étendues.
5. UN TROISIÈME PILIER RESPONSABLE Les deux premiers piliers sont fortement encadrés par la législation. Même si le deuxième pilier n'est pas obligatoire, même s'il est géré en capitalisation par des financiers privés, ses modalités sont le plus souvent réglementées dans le détail. Les conditions d' éligibilité, le calcul des cotisations et des pensions, le traitement fiscal, les garanties offertes sont prévus avec une grande précision. Sans doute, dans le deuxième pilier, une certaine liberté d'initiative et de choix est-elle laissée à l'assuré, ou aux partenaires professionnels (à commencer par les entreprises quand elles sont impliquées dans le système). On n'en demeure pas moins dans une logique réglementaire plutôt que contractuelle. Par contraste, le principe du troisième pilier est de permettre aux assurés de prendre leurs responsabilités et de gérer leurs propres retraites. On doit donc s'attendre, dans le futur, à une libéralisation croissante, facteur d'expansion du troisième pilier.
La liberté du troisième pilier La nature du troisième pilier est en effet contractuelle. Le système est toujours volontaire, et en capitalisation. Moyennant le versement d'une prime dont le montant est librement fixé, un financier se propose de valoriser le capital accumulé et de servir à l'âge de la retraite ou bien une rente pour toute la vie du retraité, ou bien un capital dont le nouveau retraité fera ce qu'il voudra. Un contrat suppose la liberté des clauses, et de fait la variété en est très grande. En permanence apparaissent sur le marché des produits nouveaux, proposés par les financiers. Assez souvent l'innovation consiste à faire des « paquets », l'assuré étant couvert non seulement pour le « risque vieillesse» mais aussi pour d'autres risques: maladie, invalidité, hospitalisation, décès, etc. Une autre préoccupation est celle d'accroître la sécurité: garanties d'un taux minimum, ou d'un montant minimal de capital ou de rente. Une
60 publicité peut aussi être faite sur la durée de versement des primes, certains acceptant que des personnes entrent dans le système à un âge avancé, voire même alors qu'elles sont déjà à la retraite. Les contrats peuvent aussi se combiner avec des crédits hypothécaires, ou des viagers. Il est inutile d'allonger la liste: comme sur tout marché libre, c'est la loi de la concurrence et de l'innovation qui fait avancer les choses.
Un vrai droit négociable Ainsi conclus, les contrats font partie intégrante du patrimoine de l'assuré. C'est une véritable créance sur le financier. Cette créance a l'avantage de pouvoir à son tour se transmettre, ce qui ouvre entre autres deux possibilités intéressantes : - la première est de pouvoir emprunter dès aujourd'hui sur une pension qui sera perçue dans plusieurs années; cette pratique est courante dans certains pays comme l'Angleterre ou la Suisse, elle est utilisée en particulier pour acquérir des biens immobiliers, qui économiseront des loyers, ou rapporteront des loyers s'ils sont offerts à des locataires. Le montant des loyers perçus (ou épargnés) vient donc grossir les revenus du futur retraité; - la deuxième est de pouvoir transmettre son droit à un conjoint, ou à un enfant, ou à un héritier désigné; la formule est très supérieure à celle d'une « pension de réversion» que les premiers et deuxièmes piliers accordent chichement au conjoint survivant qui n'aurait pas cotisé. Dans beaucoup de pays, la mutation de ces droits du vivant du titulaire du contrat, ou à son décès, ne supporte en général qu'une fiscalité allégée, elle peut même être exemptée d'impôt. La souplesse du contrat permet encore de réviser les clauses en cours d'exécution, parce que la situation de l'assuré aura changé, ou parce que l'environnement et la technique de la finance auront changé. Elément du patrimoine, le droit à retraite se prête ainsi à une gestion vigilante et responsable.
Contrat individuel ou collectif C'est peut-être le poids de la responsabilité individuelle qui explique le succès des contrats de groupe. Ils sont courants au niveau des entreprises, des branches professionnelles et des métiers. On parle à leur sujet de « mutualisation », et il est vrai que
61
le financier est assez souvent appelé « mutuelle ». La confusion est cependant facile avec des mutuelles qui ne travaillent pas en capitalisation, mais en répartition, et qui sont obligatoires et non volontaires. En sens inverse, tout mécanisme assuranciel suppose une mutualité. Le vrai point important ici est que l'initiative du contrat appartient à celui qui constitue le groupe, et que son bénéfice se limite aux membres du groupe. C'est le cas des entreprises qui cotisent pour le compte de leurs salariés dans le cadre d'un contrat passé avec un assureur ou un fonds de pension. Le système a été lancé aux Etats-Unis dans des périodes de vive concurrence sur le marché du travail, pour fidéliser le personnel. Les considérations fiscales jouent également: les primes versées par l'entreprise peuvent être soumises à un impôt inférieur à celui qui frapperait les salaires (un argument important pour les hauts salaires, quand l'impôt sur les revenus est progressif). La difficulté que nous avions évoquée à propos du deuxième pilier46 se retrouve ici: la mobilité du salarié ne doit pas l'amputer de ses droits acquis. Ces droits peuvent se consigner dans un certificat délivré par l'assureur, ou d'un livret individuel qui suivra le salarié tout au long de sa carrière. Passer d'un fonds à un autre peut représenter des pertes ou des gains, aussi la plupart du temps le libre choix du fonds est- il laissé à l'assuré.
Les interventions publiques Alors que les retraites du troisième pilier constituent un élément du patrimoine individuel, et expriment la liberté contractuelle (même si le contrat est collectif) les interventions publiques continuent à peser dans la balance. Sur quel plateau? Certaines de ces interventions peuvent inciter les particuliers à épargner et à contracter. Les primes peuvent être déductibles des revenus imposés, ou exonérées d'impôt sur le revenu. Les retraites perçues peuvent bénéficier également d'une fiscalité allégée. Les opérations réalisées à partir des droits à retraite sont plus ou moins fiscalisées. Mais, dans les pays où le contrat de capitalisation est mal compris, ou mal reçu, les interventions peuvent au contraire limiter le choix, la concurrence et l'innovation.
46. Cf. supra p. 20.
62 L'intervention la plus lourde consiste à substituer une logique réglementaire à la logique contractuelle. Le troisième pilier devient alors obligatoire, et non plus volontaire. Les cotisations et les droits ne dépendent plus des contractants mais des règles de calcul posées par la législation. Ils peuvent s'éloigner du montant des salaires pour suivre la courbe des profits de l'entreprise (la France s'est ainsi donnée un système de « participation obligatoire aux résultats de l'entreprise») ; on transforme de la sorte un droit contractuel en un «droit social ». L'Etat peut aussi limiter ou au contraire grossir les fonds de retraites par des plafonds ou des subventions. Il précisera les conditions dans lesquelles se liquideront les retraites le jour venu. Partout entreprises et retraités à la recherche d'un accord se heurteront au mur de textes de plus en plus nombreux et de plus en plus incompréhensibles. Dans le panorama actuel, les pays se classent donc finalement en deux catégories majeures: d'une part ceux qui considèrent le troisième pilier comme une fuite coupable des régimes où domine la puissance publique, d'autre part ceux qui voient dans le troisième pilier la seule chance pour les retraites du futur. Le clivage est à peu près celui qui existe entre inconditionnels de la répartition et partisans de la capitalisation.
L'épargne libre Nous avons jusqu'ici évoqué des contrats qui mettent nécessairement en scène des intermédiaires financiers. Les gens y sont portés à cause de la publicité et des démarches qu'ils reçoivent, rendant le contrat alléchant, mais aussi à cause de leurs craintes de la gestion patrimoniale. Ils ne se sentent pas bien armés pour conserver et valoriser leur épargne et leurs biens. Le succès d'un troisième pilier « institutionnalisé» ne doit pas faire oublier les mérites d'un troisième pilier « individualisé ». Nous entendons par là que l'une des façons d'assurer le futur de ses revenus, une fois l'âge de la retraite venu, est de constituer une épargne, de la placer, et de compter sur les revenus de ce capital pour avoir un meilleur niveau de vie plus tard. La capitalisation n'est pas l'apanage des financiers, elle est une démarche tout aussi bien personnelle. Une démarche d'ailleurs naturelle jadis, quand l'intermédiation financière était balbutiante: acheter des « biens» susceptibles d'un bon « rapport» était une pratique courante chez les gens qui avaient quelque fortune, «boursicoter» était une habitude dans la classe moyenne. L'instabilité monétaire qui s'est
63 invitée à partir de la première guerre mondiale a cependant ruiné l'épargne de précaution. Les emprunts russes et autres mésaventures encourues par les obligations d'Etat ont détourné les épargnants des placements à revenu fixe, et les crises boursières continuent à faire peur à ceux qui investissent en actions. Cependant, cette désaffection pour l'épargne et la gestion patrimoniale a souvent pour origine la rigueur fiscale à laquelle elles sont soumises. Il est rare que la part du revenu épargnée soit exonérée d'impôts. Donc l'épargne est taxée une première fois au niveau du revenu dont elle est issue (et qui plus est sur la tranche la plus élevée). Puis les revenus de l'épargne sont eux-mêmes taxés: les produits financiers peuvent être plus durement touchés que les autres revenus. Le patrimoine immobilier constitué est à son tour frappé, dans son capital comme dans ses revenus (impôt foncier qui frappe l'immobilier locatif par exemple). S'agissant du patrimoine mobilier, les impôts de bourse, les impôts sur les dividendes, et surtout les impôts sur les plus-values mobilières pénalisent l'investisseur. Enfin, quand le patrimoine a la mauvaise idée de devenir « grande fortune », un impôt supplémentaire l'atteindra. Ces considérations sont banales, mais elles devraient conduire à une conclusion bien nette: il n 'y aura pas de vraie réforme à base de troisième pilier dans les pays où l'impôt continuera à confisquer l'épargne et le patrimoine. L'idéologie qui consiste à opposer capital et travail et à supposer que « les masses laborieuses» ne savent que dépenser alors que les «nantis» ne savent qu'épargner rend encore plus difficile la mise en place des retraites du futur, qui passent nécessairement par la capitalisation.
6. TRENTE-TROIS PAYS À L'HEURE DES RÉFORMES Nous vous avons présenté dans les pages précédentes la plupart des options théoriques qui s'offrent à ceux qui conçoivent ou qui réforment les régimes de retraites. Comment les choix se sont-ils faits en pratique? Nous vous proposons maintenant un tableau récapitulatif des solutions aujourd'hui en place dans trente trois pays que nous croyons représentatifs, et pour lesquels les informations sont à la fois disponibles et à peu près fiables. La fiabilité n'est pas absolue, nous l'avons constaté en comparant plusieurs études et rapports internationaux récents.
64 Ces trente trois pays sont d'abord les 27 membres de l'Union Européenne, nos partenaires privilégiés. Nous leur avons adjoint 6 pays membres de l'OCDE dont les solutions en matière de retraites sont intéressantes à plus d'un titre: Australie, Canada, Chili, Etats-Unis, Japon, Suisse 47 . Voici les sources du tableau récapitulatif qui vous est proposé dans les pages suivantes:
Pensions Panorama - Retirement Income system in 53 countries, Edward Whitehouse, World Bank, 2007 Pensions Schemes and Projection Model in EU-25 member States, European Economy, Occasional Papers, Economic Policy Committee, European Commission, 2007
Les pensions dans les pays de l'OCDE, Panorama des politiques publiques, OCDE, 2007 Le Puzzle des Retraites, Synthèses de l'OCDE, Monika Queisser, 2005 Les régimes de sécurité Sociale dans le monde Centre des Liaisons européennes et internationales de Sécurité Sociale (CLEISS) www.cleiss.fr Observatoire des Retraites www.observatoire-retraites.org Ressources humaines et développement social Canada www.rhdsc.gc.ca
47. Les détails de certains points du tableau sont donnés en annexe C pages 82-84 ss.
65 AUS
ALL Capitalisation Pensions définies DB Cotisations définies OC Notionnels
~
tI
"
tI
SUL CAN
CHILI
CHY
DAN
ESP
tJ
tI
tJ
tJ
tI
~
~
~
~
~
~
~
~
tI
pension maximale
«)
':'.. :
......
65
65
(
65
63
..; . ii>
/i
..
:
..
tI
tI
GESTION privée publique monopole concurrence obligatoire volontaire légal contractuel payas you go capitalisation
" 45"ans
tI
"
45 ans
45 ans
tI
~
tI
~
tI
~
~
~
tI
~
~
~
"
~
~
~
~
~
tI
tI
tI
....
gains
an
15 der
tI
tJ
" "
" "
"
tJ
"
tJ
tI
tJ
~ ~
~
~
~
"
tJ
tJ
tJ
~
~
tI
tJ
.,
"
~
~
~
~
~
....
~
~ ~
"
tJ
tI
tI
" "
"
~
~
tI
~
CALCUl.. DES GOTISAT10NS obligatoires payg obligatoires capitalisée volontaires
~
•
tI
:
~
tJ
"':"i\
.....:
~
~
..:..:..•...
~
"
"
" tI
tI
~
?
~
tI
~
~
tI
~
tI
~
tI
v
~
"
" "
~
1;
~
?
v
" "
~
tI
" ~
~
"
~
? ~
~
~
tI
tJ
?
tJ
"
tJ
" "
tJ
: ~
" ~
? tI
? ?
~
\.
\1
tI
"
"
tJ ~
~
"?
tJ
.-.,
? ?
~
'·C:.,•
tI
tJ
.:::
tJ
~
..
tI
:
~
"
tJ
\.
~
~
" "
tI
?
~
~
tJ
?
~
:/
.......
tJ
.:.:
tJ
~
tI
65 y
~
•>
pension minimale Calcul lié aux gains quels gains Calcul lié à situation personnelle
65
65
" "
·.··········ii/
,
~
"
~
...... .......
65
65 ~
~
~
····.i··.
......•...•.•.
65
.;<
~
1ncitations fiscales comptes sur livret individuel comptes sur livret mutualisé gestion privée
BEL
~
TAUX plat variable AGE DEI..ARETRAITE légal CALCOUDESCOTISATIQNS fiscalisé lié aux gains
payg payg points capitalisation DB capitalisation OC pensions imposables GESTION privée publique concurrence
AUT
~
.....
? ? ? ? ? ? ?
tJ
tI
tJ
tI
" tJ
<)
66
EST Capitalisation Pensions définies DB Cotisations définies DC Notionnels
.,
FIN 1 FRA
1 GRE
1
HOl
HON
IRl
tI
tI
tI
ITA
1
JAPON
1
lET
tI
.,
tI
~
~
tI tI
TAUX
.,
plat variable
.,
tI
63
62
.,
~
60
65
., .,
~
tI
tI
.,
~
tI
66
65
65
62
.,
~
.,
~
tI
~
tI
tI
AGE.DEil.ARETRAtTE légal ~AlrHII""t;::~
.'tJ. . ~ ........... ""._ _ ...... """" .....
,'tJ
1"",1't~
.,
fiscalisé lié aux gains
., .,
pension maximale pension minimale Calcul lié aux gains quels gains Calcul lié à situation personnelle GESTION privée publique monopole concurrence
.,
~
., .,
tI
~
tI
~
tI
~
45 ans
gains
25 best
5 der
., ., ., ., ., ., ., .,
tI
., ., .,
.,
.,
tI
.,
.,
.,
tI
?
.,
tI
., .,
tI
sai base tI
tI
~
.,
.,
.,
tI
tI
~
., tI
., tI
~
tI
tI
62
tI
., .,
?
obligatoire volontaire légal contractuel payas you go capitalisation CALCULDESCOTISATIONS obligatoires payg obligatoires capitalisée volontaires ("Üïl
.,
.,
65
~
.,
., ., gains ., ., .,
.,
., ., .,
., .,
,','.'
~
tI
tI
.,
tI
tI
., ~
.,
tI
~
~
tI
.,
.,
tI
tI
.,
.,
crn"'...." I..I,y,VNti
payg payg points capitalisation DB capitalisation DC pensions imposables GESTION privée publique concurrence
.,
., ?
,,:<; Incitations fiscales comptes sur livret individuel comptes sur livret mutualisé gestion privée
., ., ., ., .,
tI
.,
.,
tI
.,
., ., .,
.. : : . /
,;é:
., tI
tI
.,
., .,
. ;i':;, .,..
? ? ? ?
.,
., .,
.,
tI
?
tI
tI
.,
.,
.,
tI
·.'.i.:.··;
ré,
~
~
;,
....
>;> ? ? ? ?
.,
., ~
?
.,
., ~
tI '.:
tI
.,
.,
tI
tI
.,
., .,
i
'Y tI
., ., .,
., tI tI
.,
67 LIT
Capitalisation Pensions définies DB Cotisations définies OC Notionnels !TAUX plat variable ~GE DE tA RETRAITE légal CALCUL DES COTISATIONS fiscalisé lié aux gains
62,5
LUX MAL POL paR ROU
65
65 ~
.
65
61,5
63
RU
65
SLK SLV
62
65
SUE
SUI
61
65
TeH USA
65
1.
...
.
.
,
.: . .
.
pension maximale pension minimale Calcul lié aux gains ~uels
gains
?
gains gains
3/10/ der
10/ best/ 40
gains 18 rev an moy/ 40 ans b t éligivie es ble
Calcul lié à situation personnelle K3ESTION privée publique monopole ~oncurrence
DEflklêMe1êlt41s pbligatoire ~olontaire
légal contractuel payas you go apitalisation ~ALCUL DES COTISATIONS obligatoires payg pbligatoires capitalisée
:
..
~olontaires ....
payg points apitalisation DB apitalisation OC pensions imposables GESTION privée publique oncurrence ~g~I_J~M_;t~ÎJ!Î_ Incitations fiscales comptes sur livret individuel comptes sur livret mutualisé lQestion privée
67 ./
?
30 best
35 best
68
Les caractéristiques dominantes du premier pilier: filet social et régime de base Dans la quasi-totalité des pays, le premier pilier est en répartition (payas you go, encore dénommé payg). Finlande et Pologne sont les seuls à se doter d'un régime par capitalisation. Dans la quasi-totalité des pays, le premier pilier payg est en DB. Font exception Suède Danemark et Lettonie, partiellement ou totalement en DC, et les pays à régimes partiellement ou totalement notionnels: Suède Pologne, Italie, Allemagne. La plupart du temps, ce premier pilier implique un «filet social », financé dans quelques pays (10) par le budget de l'Etat. Le montant de la pension ainsi garantie est dans certains pays (17) identique pour tous les retraités (taux «plat »), et dans d'autres (13) variables avec les ressources. S'ajoutent à ce filet social (dans 22 pays) des pensions liées aux revenus des assurés. Ce régime « de base» est obligatoire, et sa gestion est publique (avec l'exception de la Finlande, de la Slovaquie et des Pays Bas). Les cotisations qui financent ces pensions sont en principe fonction du revenu moyen, et pour les salariés on distingue une part patronale et une part salariale des cotisations, bien que cette distinction n'ait aucune justification économique. Elle aura cependant une importance dans les réformes introduites ces dernières années, car les législateurs seront disposés à basculer en capitalisation une partie des cotisations tantôt salariales (cas le plus fréquent), tantôt patronales. Le montant des pensions retirées de ce régime est lui aussi fonction des revenus, mais ici interviennent plusieurs facteurs : - quelle période est-elle prise en compte pour le calcul des revenus? Toute la vie active, certaines années? Lesquelles? La dernière? - retient-on le revenu brut, net de cotisations, net de cotisations et d'impôts directs? - s'agit-il du revenu du retraité considéré, ou du revenu moyen de tous les cotisants? - les revenus sont-ils indexés: sur l'indice des prix? sur le salaire moyen ? Enfin, les pensions peuvent aussi prendre en considération la situation personnelle de l'assuré: marié ou non, conjoint ayant été actif ou non, nombre d'enfants, résidence ou nationalité, etc.
69 La tendance générale aura été de rendre les bases du calcul de moins en moins avantageuses: les pensions payg sont « moins généreuses ». La gestion du premier pilier est toujours celle de l'Etat ou d'un organiSlTIe public disposant d'un monopole. Font exception la Finlande, la Slovaquie et les Pays Bas, qui confient la gestion à des sociétés privées, et l'Espagne où les organismes publics sont régionaux.
Le second pilier capitalisé, dans le cadre légal et/ou professionnel, avec des gestions privées Le deuxième pilier est obligatoire (20 Pays) ou volontaire (13). Dans certains pays (7) le régime obligatoire peut être renforcé par des cotisations volontaires des assurés: Australie, Chili, Estonie, France, Royaume Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède Les règles de fonctionnement du régime sont établies de façon très diverses. Dans huit pays (Autriche, Belgique, Danemark, Etats-Unis, Finlande, Irlande, Japon, Pays Bas et Suède) ces règles sont uniquement issues de négociations collectives entre employeurs et syndicats, voire des contrats de travail par entreprise (Etats-Unis). Au Royaume Uni la loi ne fournit qu'un cadre pour les négociations. Ai lIeurs (16 pays) le régime est entièrement légal. La caractéristique majeure (26 pays) des deuxièmes piliers est d'être en capitalisation.. Les seuls pays qui ont des régimes (obligatoires) en payg sont la Belgique, le Canada, le Japon et la France. Dans les régimes payg, les cotisations sont calculées sur les revenus, suivant des lTIodalités proches de celles des cotisations qui alimentent le premier pilier. Les régimes par capitalisation sont à cotisations définies. Ces cotisations peuvent être prélevées à la source sur les revenus, avec une part patronale et/ou une part salariale. Dans la plupart des réformes introduisant un second pilier obligatoire, la transition se retrouve au niveau des cotisations : les cotisants au premier pilier (en général les salariés) doivent ou peuvent réaffecter une partie croissante de leurs versements au deuxièlTIe pilier. Le calcul des pensions est différent suivant le régime par répartition ou par capitalisation. En répartition, il s'agit de pensions définies en fonction des revenus perçus par l'assuré, mais elles peuvent varier quand on introduit des systèmes par points (France).
70
Les systèmes par capitalisation sont à cotisations définies sauf pour Chypre et les Pays Bas. où il y a une composante de pensions définies. La gestion est confiée à un monopole public pour les rares pays (6 dont la France et le Japon) ayant un régime par répartition. Ailleurs elle est l'affaire de fonds de pension ou de compagnies d'assurances privées. Le choix des gestionnaires privés est laissé aux assurés et/ou aux entreprises qui cotisent; dans ce dernier cas la réglementation prévoit souvent qu'il ne saurait y avoir de lien entre les entreprises et les gestionnaires.
Un troisième pilier au libre choix Il est prévu par la législation dans 22 des 33 pays concernés. Il repose pourtant sur des cotisations volontaires, mais le législateur est amené à s'y intéresser soit pour protéger l'assuré, soit pour des raisons de fiscalité: tantôt (cas le plus fréquent) il encourage l'épargne retraite par des déductibilités ou des exemptions sur le montant des cotisations, tantôt il veut réintroduire cette épargne dans le revenu imposable. Seules la Belgique, la Finlande et la Lituanie ne prévoient pas de traitement fiscal spécifique pour l'épargne engagée dans le troisième pilier. Le troisième pilier est naturellement en capitalisation, et c'est l'assuré qui choisit les fonds de pension ou assureurs (souvent soumis à autorisation publique) qui assureront la gestion de l'épargne. Quand le troisième pilier est abondé par des employeurs, le choix de l'assureur doit être avalisé par l'assuré. Les assurés bénéficient dans la plupart des pays (21 pays) d'un livret individuel qui consigne leurs droits à pension au fur et à mesure de leurs versements. Ainsi, quand le troisième pilier est abondé par l'employeur, les droits peuvent suivre l'assuré qui change d'employeur. L'assuré peut avoir plusieurs livrets confiés à plusieurs gestionnaires. Dans quelques pays (Belgique, Etats Unis, France, Lettonie, Pologne, République Tchèque) la gestion inclut des éléments de mutualisation au niveau de l'entreprise, de la branche ou de la profession (ceci concerne surtout les assurés non salariés).
Existe-t-il un quatrième pilier? Comme il a été indiqué, il est coutumier dans certains pays de parler d'un quatrième pilier pour qualifier la gestion patrimoniale personnelle et familiale qui permettra aux retraités de
71
jouir de revenus ou de disposer librement d'un capital. Dans les pays où la fiscalité et les droits de mutation et de succession sont réduits ce quatrième pilier est important et fait passer au second plan les trois précédents (c'est le cas de la Suisse par exemple). Puisque notre propos essentiel est de repérer et d'éclairer les choix nécessaires pour réformer les systèmes de retraite, et notamment le système français, nous laissons de côté l'étude pourtant fort instructive à d'autres égards - de ce quatrième pilier48 . Après tout, il a fonctionné pendant des siècles!
Droit de propriété ou droit social? Ces dernières considérations sur la gestion patrimoniale nous situent au cœur du problème des réformes, au cœur des choix des systèmes de retraites. Dans certains pays - dont la France - l'Etat, ses clients et ses partisans, prétendent encore aujourd 'hui se charger de capitaliser pour tous. Ils n'aiment pas la capitalisation individuelle, car elle rend à chacun son indépendance. Le droit de propriété individuel ne ferait-il plus partie des droits de l'homme? Les retraites constituent-elles un droit social ou procèdent-elles d'un libre choix personnel ? C'est à ces questions qu'il faut répondre quand on s'interroge sur les retraites du futur. La tendance générale qui se dégage d'une étude assez large des systèmes en cours et des réformes qu'ils ont connues ces dernières années va dans le sens du libre choix responsable. Cette tendance peut être maintenant illustrée par une série de monographies, qui présentent la situation et les débats sur les retraites dans quelques pays de la communauté européenne et mondiale.
48. Il en sera longuelnent question dans le cadre de notre troisièlne et dernier volun1e, consacré à La transition (à paraître au printelnps 2009).
LISTE DES ANNEXES DU CHAPITRE JIX
A. Aperçu sur les modèles prévisionn.els des systèmes de retraites B.
Les taux de remplacement
C. Détail sur le tableau des systèmes de retraites dans trentetrois pays
Consultez le site wwwollrefellllfopeoorg Véritable portail vers la connaissance des retraites, ce site rassemble tous les éléments statistiques et analytiques qui sous-tendent le chapitre Il. Nous vous en donnons la liste Les taux de remplacement des régimes obligatoires dans les pays de l'OCDE: taux bruts et taux net, capital accumulé, avec indication des éventuelles différences entre hommes et felnmes. Le tableau est en langues anglaise et française OCDE Sélections d'indicateurs pour les réfonnes des retraites: comment se positionne votre pays, OEDC Selection of Pension reforms at a glance indicators : how does your country compare? Les taux de remplacement et les mesures en faveur des bas salaires: une comparaison avant et après réformes OCDE: Le puzzle des retraites, Synthèses, (Monika Queisser), mars 2005 Le Panorama des pensions de retraite dans 53 pays: le rapport « Whitehouse » est la plus large des études publiées à ce jour (en langue française seulement) Pensions Panorama, Edward Whitehouse, World Bank, 2007 www.worldbank.org Bien que mis à jour dans son édition de 2007, le rapport sur les systèmes de retraite dans l'Union Européenne ne concerne en fait que 24 pays Bulgarie, Roumanie et Slovénie n'y figurent pas) Les pensions dans les pays de l'OCDE, Panorama des politiques publiques, OCDE, 2007 Pensions Schemes and Projection Model in EU-25 member States, European Econolny, Occasional Papers, Economie Policy Committee, European COlnmission, 2007 www.oecd.org/bookshop Version en français en lecture seulelnent, téléchargeable en anglais
74 Les régimes de Sécurité Sociale dans le monde Centre des Liaisons européennes et internationales de Sécurité Sociale (CLEISS) www.cleiss.fr Observatoire des Retraites www.observatoire-retraites.org Ressources humaines et développement social Canada www.rhdsc.gc.ca Les comptes individuels de retraites dans les seconds piliers: COlnment ils sont organisés dans plusieurs pays passés en revue par la Banque Mondiale "Pension Refonn Primer" de la Banque Mondiale. Ce doculnent fait partie du «Pension Refonn Pritner », octobre 2002. Toute la matière du «Pension Reform Primer » est disponible sur Internet à www. worldbank.org/pensio
Accrual Measures o.f Pension-Related Compensation and Wealth of V.S. Ho useh 0 Ids David G.Lenze U.S. Department of Commerce Bureau of Economic Analysis Washington, D.C. Paper Prepared for the 30th General Conference of the InternationalAssociation for Research in Income and Wealth August 25,2008 Portoroz, Slovenia
75
ANNEXE A APERÇU SUR LES MODÈLES PRÉVISIONNELS DES SYSTÈMES DE RETRAITES Les études concernant le futur des systèmes de retraites utilisent de nombreux modèles de simulation. En général ces modèles s'efforcent de faire des projections sur l'évolution des équilibres cotisations / pensions, ou encore le montant probable des droits acquis par les futurs retraités, et les charges correspondantes pour les gestionnaires ou pour le budget de l'Etat. Ces modèles testent aussi la sensibilité des prévisions aux variations de certains paramètres, par exemple: espérance de vie, âge de la retraite, période d'activité, taux d'activité, taux de chômage, taux d'intérêt, productivité du travail. Cependant, en toute rigueur, les rapports internationaux relèvent le caractère hétérogène et inégal des modèles utilisés. De leur point de vue, des progrès sont encore à réaliser.
En ce qui concerne la présentation des modèles de retraites, un travail reste à faire pour rendre les exercices de modélisation transparents et compréhensibles [ ...] Pour rendre les projections plus transparentes, il serait nécessaire d'indiquer avec plus de précision les hypothèses retenues et les estimations de l'impact des réformes qui ont été introduites dans la modélisation. Ce travail pourrait alors améliorer la qualité des projections et leur comparaison d'un pays à l'autre. (European Economy, Direction Générale des Affaires Economiques et Financières, Pensions Schen1es and Projection Models in EU-25 member states, 2007 p.17)
Nos préventions à l'égard des modèles et de leurs projections vont même plus loin. Une raison tient au «finalisme» de ces modèles: de façon plus ou moins avouée, ils veulent prouver quelque chose. De ce point de vue il est symptomatique que les projections réalisées ne concernent que les systèmes par répartition, et mettent les réformateurs sur la voie des changements paramétriques, et non pas systémiques. Ainsi certains modèles ontils été utilisés dans un but bien précis: délTIontrer que la répartition, sous certaines conditions, est «viable» (principe de sustainability) et, par là même, rassurer tout le monde, y compris
76
les autorités nationales ou européennes à qui sont destinés ces rapports (pour l'Europe il s'agit de savoir quelle sera dans quelques années l'importance de la dette sociale, et sa compatibilité avec les objectifs de Lisbonne). Une autre raison tient au réalisme de ces modèles, qui fait lourdement défaut. Revenons en effet aux trois types usuels de modèles : macroéconomiques, semi agrégés et micro-économiques.
Grandeurs et servitudes de la Inacro-économie Les modèles macro-économiques sont ceux qui a prIorI offrent la plus grande séduction. D'une part la macro-économie, héritage du keynésianisme et de la comptabilité nationale, est toujours à la mode, bien que les économistes aient pris leurs distances à son égard. Statisticiens et prévisionnistes partent de données globales, et débouchent sur des prévisions globales: ils chiffrent les excédents ou déficits prévisibles en pourcentage du Produit Intérieur Brut, ils fixent les paramètres qui assoient leurs prévisions: taux de croissance du PIB, taux de croissance de la population, de la population active, de la productivité nationale, du taux d'intérêt, etc. La formalisation mathématique et le traitelnent statistique sont d'un usage normal dans ces modèles macroéconomiques. Le modèle «Destiny» élaboré par l'INSEE en France est de ce point de vue un chef d'œuvre de finesse. D'autre part, les modèles macro-éconolniques coïncident parfaitement avec les objectifs de ceux auxquels les prévisions sont destinées: les gouvernements et les autorités européennes ne s'intéressent qu'aux « grands équilibres économiques et sociaux ». Enfin, les modèles macro-économiques s'intéressent par la force des choses aux seuls déséquilibres démo-économiques, c'est-à-dire s'interrogent uniquement sur le sort des systèmes par répartition, qui constitue encore le «premier pilier» de tous les systèmes de retraite en Europe. Cette dernière considération est à nos yeux déterminante. En effet, il est inutile de chercher dans les modèles macroéconomiques les perspectives d'un système par capitalisation. Au mieux, les modèles lnacro-économiques peuvent donner une idée du sort futur de la répartition, en général ils concluent d'ailleurs au
77
déséquilibre, pour ne pas dire à la faillite 49 . Mais ils ne peuvent intégrer les changements résultant de l'introduction de doses croissantes de capitalisation dans le système. Or, c'est précisément ce qui nous intéresse. Au demeurant, les tenants des modèles macro-éconolTIiques avouent leur scepticisme à l'égard de leurs propres prévisions. En effet, ils manquent le plus souvent des données de qualité nécessaires pour estimer les paramètres qu'ils retiennent. Si ce qui concerne les données démographiques est assez crédible (aux flux d'immigration près), si les données macro-économiques se laissent approcher (mais la prévision des taux de croissance ou des taux d'intérêt est réellement très approximatives), les données relatives au montant des cotisations et des retraites demeurent incertaines, quand ce n'est pas inconnues. Dans un article récent, une experte des modèles explique qu'en France il n'est pas possible de construire un modèle fiable faute des informations nécessaires, soulignant en particulier les disparités qui existent entre les. trois sources statistiques existantes (INSEE, COR et CNA V)so.
Les cohortes de retraités La méthode utilisée ici est assez différente, elle s'intéresse moins au sort futur de l'économie et des déséquilibres globaux qu'à celui des retraités. On essaie de dérouler le film de ce que sera la situation d'une génération donnée de personnes, qui COmlTIencent à payer des cotisations en une période où un certain environnement existe (le nombre de personnes en activité, le nombre de retraités, le taux de croissance, le taux d'intérêt), qui vont ensuite cotiser durant toute leur carrière (avec des changements permanents dans l'environnement mais aussi dans les gains reçus), puis qui prendront une retraite, plus ou lTIoins longue suivant l'espérance de vie, et dans des environnements qui ont encore le temps de changer). On suit ainsi toute une série de « cohortes» statistiques, on retrace la vie d'un assuré social entré dans le système en une année donnée.
49. En ce qui nous concerne le Inot ne nous fait pas peur. Le prelnier chapitre de notre premier volume était d'ailleurs intitulé «La faillite» Cf. vol. 1 pp. 11-36. 50. Claire Lefebvre, Projection à long tenne des systèmes de retraite: quelques expériences étrangères, Rapport au COR, avril 2007 .
78
La ressemblance avec les modèles macro-économiques vient d'abord de ce que l'on retient à peu près les mêmes paramètres, constitutifs de l'environnement démo-économique et institutionnel, ensuite de la constitution de populations très vastes: d'où le nom de «semi-agrégés». Cependant on n'agrège pas toutes les populations de toutes les générations, et on ne débouche pas sur des prévisions en termes de grandeurs globales et nationales (<< agrégats»). La différence essentielle est que l'on essaie d'imaginer le système des retraites en dynamique, au lieu de se contenter d'extrapoler les données actuelles à la longue période. Cependant, cet effort de dynamique demeure limité, car si l'on sait à peu près mesurer l'impact de changements démoéconomiques, les modifications de l'environnement institutionnel ne peuvent être sérieusement prises en compte. Par exemple, l'effet de réformes tendant à réduire la répartition pour développer la capitalisation ne peut être sérieusement pris en compte. Or, c'est précisément ce que l'on attend d'un exercice de prospective.
Les retraités au microscope Est-ce dû aux difficultés inhérentes aux modèles des deux types précédents? Est-ce le souci d'être plus concret, plus près des personnes? Toujours est-il que les rapports internationaux relèvent que plusieurs pays ont une préférence pour des « Inicro-modèles ». Ici on ne suit pas une cohorte statistique constituée par âge, mais une catégorie particulière de personnes, appartenant à une même profession ou ayant un même statut. En renonçant à une approche globale, on se propose d'illustrer l'avenir des cotisants et retraités d'un certain type pour rendre plus pédagogique la prévision. Quel sera le sort d'un salarié de la métallurgie entré dans la profession en l'an 2000 ? Que doit-il se préparer à payer? Que touchera-t-il dans 40 ou 50 ans? La réponse à ces questions exigera des hypothèses sur sa carrière, son emploi, mais aussi sur le contexte démo-éconolnique. L'avantage d'une telle approche est de rompre avec le monolithisme des modèles habituels, et de rendre compte de la diversité des situations et des régimes. Il est possible de mener de front plusieurs analyses micro-économiques, faisant apparaître des disparités importantes entre assurés. Le pouvoir démonstratif de ces études est-il suffisant? Il l'est peut-être pour l'opinion publique, notamment pour les gens
79
qui se retrouveront dans une situation proche. Mais il ne l'est pas pour les décideurs et les réformateurs, parce que manquent les prévisions globales. On définit des tendances, on apprécie mal les ordres de grandeur.
Conclusion Finalement, notre long commerce avec les rapports internationaux nous suggère que les modèles utilisés et les prévisions qui en découlent peuvent être oubliés. Faut-il s'en désoler? Certainement pas si l'on suit les principes méthodologiques de l'école autrichienne. Pour les disciples de Ludwig von Mises et Friedrich von Hayek, il est impossible de modéliser les phénomènes sociaux et économiques, à la différence des phénomènes mécaniques. Sciences de la nature et sciences de l'homme n'ont pas la même méthodologie, et leur prédictibilité n'a pas le même contenu. On ne peut attribuer de probabilité à un évènement dont on ignore aujourd'hui l'existence même. Les actions humaines se déroulent dans un cadre d'« incertitude radicale» qu'aucun calcul de probabilité ne saurait maîtriser.
80
ANNEXE B LES TAUX DE REMPLACEMENT Les taux de remplacement sont généralement considérés comme l'indice le plus fiable de l'efficacité d'un système de retraites. Cependant, le taux de remplacement publié par les rapports internationaux n'a à nos yeux qu'une valeur très approximative. D'une part, à quelques mois d'intervalle et sans modification réelle du système le chiffre de ce taux diverge fortement. D'autre part [ceci pourrait expliquer cela] les revenus pris en compte pour le calcul du taux couvrent des données statistiques différentes. S'agissant de salaires faut-il prendre en considération des salaires bruts (salaire avant prélèvement de la cotisation du salarié), ou des salaires nets (après prélèvement), ou des salaires disponibles (nets de cotisations et d'impôts directs) ? Pour notre part, nous souhaiterions voir les taux de remplacement calculés à partir des salaires complets, puisque les cotisations dites « patronales» sont purement et simplement oubliées dans le calcul des salaires bruts. Naturellement le taux de remplacetTIent diminue au fur et à mesure que l'on s'approche de ce qui est réel: à savoir les droits que le salarié a acquis par son travail. Ainsi les gestionnaires ou statisticiens qui ont intérêt à démontrer l'efficacité de leur système national sont-ils tentés d'etTIbellir la mariée et de retenir des taux de plus en plus « nets », de plus en plus théoriques. La différence est facile à comprendre. Supposons qu'un retraité touche mensuellement 1 000 euros, alors que son salaire complet était 3 000 euros, sur lequel son employeur retenait 1 200 euros de charges «patronales », et 450 euros de charges « salariales ». Le taux de remplacement réel est à nos yeux 33 %. Mais si l'on calcule sur le salaire « brut» il est de 55 %, et sur le salaire net de 74 %. Si l'on tient compte de l'impôt sur les revenus du salarié, le taux de remplacement est évidemment encore plus élevé. C'est sous ces réserves très importantes que nous comtTIuniquons un tableau des taux de remplacement - parmi les plus récents et les plus étendus qui soient. Il se rapporte au taux brut de remplacement, et donne le détail des taux suivant l'importance des gains perçus par le retraité tout au long de sa
81
carrière : celui qui a gagné un revenu moyen, ou sa moitié, ou son double. Le tableau est extrait d'une étude de l'OCDE
On peut avoir un tableau encore plus complet en consultant le site www.irefeurope.org ou directement l'étude de l'OCDE www.oecd.org/elslsociallvieillissementiPA G Par rapport à notre échantillon-type de 33 pays neuf d'entre eux manquent: Bulgarie, Chili, Chypre, Estonie, Lettonie, Lituanie, Malte, Roumanie, Slovénie PAYS
Australia Austria Belgium Canada Czech Rep. Denmark Finland France Germany Greece Hungary Ireland Italy Japan Luxembourg Netherlands Poland Portugal Siovak Rep. Spain Sweden Switzerland United Kingdom United States
-
Taux bruts de remplacement par niveau de revenu, programmes de pensions de retraite obligatoires, hommes Droits individuels à pension, en pourcentage des revenus bruts individuels avant la retraite Gains individuels, en multiples de la moyenne 1 2 0,5 43,1 29,2 70,7 80,1 80,1 58,8 40,4 23,5 57,3 43,9 22,2 75,4 49,1 78,8 28,9 119,6 75,8 57,1 63,4 71,3 63,4
63,8
51,2
44,7
39,9 95,7 76,9 65,0 67,9 47,8 99,8 80,6 61,2 70,4 56,7 81,2 79,1 62,5 53,4 55,2
39,9 95,7 76,9 32,5 67,9 34,4 88,3 81,9 61,2 54,1 56,7 81,2 62,1 58,4 30,8 41,2
30,0 95,7 76,9 16,2 67,9 27,2 82,5 82,6 61,2 52,7 56,7 67,1 66,3 30,5 17,0 32,1 Y).,;,:i,
....... \
Source: OCDE, Les pensions dans les pays de l'OCDE, Panorarna des Politiques publiques, 2007
82 ANNEXE C DÉTAIL SUR LE TABLEAU DES SYSTÈMES DE RETRAITES DANS TRENTE-TROIS PAYS
Liste des pays par ordre alphabétique ALLemagne AUStralie BULgarie CANada DANemark ESTonie FRAnce GREce IRLande ITAlie LITuanie LUXembourg PORtugal ROUmanie SLV Slovénie SLK Slovaquie TeH République Tchèque
AUTriche BELgique CHIli CHYpre ESPagne FINlande HOLlande HONgrie JAPon LETtonie MALte POLogne RU Royaume Uni SUEde SUIsse USA Etats-Unis
Explications complémentaires La lecture du tableau en question (pages 65 à 67) peut être difficile, en dépit des efforts que nous avons faits pour vous la rendre la plus claire possible. Des explications complémentaires peuvent donc aider ceux qui s'interrogent sur certains détails avant de le verser comme pièce à conviction dans le débat sur les réformes. Voici, pour les pays et les points sur lesquels il peut y avoir hésitation ou ambiguïté, les informations nécessaires. AUSTRALIE - Le deuxième pilier est obligatoire, mais les assurés peuvent verser des cotisations volontaires supplémentaires pour accroître leurs droits. Le troisième pilier est constitué par une épargne retraite facultative (livret professionnel ou individuel) fiscalement encouragée. AUTRICHE - Le deuxième pilier est volontaire contractuel: par capitalisation DB pour les contrats souscrits par les entreprises ou par les assurances directes, et De pour les contrats avec des caisses de retraites. CHILI - Le deuxième pilier est obligatoire, mais les assurés peuvent verser des cotisations volontaires supplémentaires pour accroître leurs droits. DANEMARK - Le Filet social du premier pilier est financé par l'impôt. Le premier pilier comprend aussi une composante calculée sur les gains.
83
ESPAGNE - Le premier pilier a deux composantes: des prestations non contributives prises en charge par l'état et des pensions DB contributives en fonction des gains. La gestion du premier pilier est partagée entre l'Etat et les provinces, ce qui instaure une certaine concurrence. Les deuxième et troisième piliers sont confondus, ils sont financés par l'épargne privée volontaire, et gérés par les entreprise, les assurances et les fonds de pension. FINLANDE - Le système en pension définie correspond à la pension nationale, alors que la capitalisation est liée aux gains et vient en déduction de la pension nationale au-delà d'un certain montant. HOLLANDE - La pension de base (AOW) est administrée par la banque SVB indépendante du gouvernement. La particularité du deuxième pilier est que la grande majorité des pensions est à pensions définies (DB) MALTE - Des deuxième et troisième piliers par capitalisation sont prévus d'ici 2010, POLOGNE - Les assurés sont soumis à un regnne par capitalisation, ou notionnel, ou à pensions définies (DB) selon leur âge. Les plus anciens restent en DB (caisse publique ZUS), les plus jeunes sont à la fois en notionnel (caisse publique ZUS) et en capitalisation (gérée par fonds privés) ROUMANIE - La participation à la capitalisation est volontaire pour les assurés entre 35 et 45 ans. Le deuxième pilier est obligatoire, mais les assurés peuvent verser des cotisations volontaires supplémentaires pour accroître leurs droits ROYAUME UNI - Le taux plat est celui du filet social BSP (Basic State Pension) et le taux variable celui du SERPSS (State Eaming Related Pension of Social Security) à pensions définies (DB) SUEDE - Les assurés les plus âgés (nés entre 1938 et 1953) sont soumis à l'ancien régime à pensions définies (DB), les autres au nouveau régime notionnel
SLOVAQUIE - Le deuxième pilier est obligatoire, mais les assurés peuvent verser des cotisations volontaires supplémentaires pour accroître leurs droits SLOVENIE - Le deuxième pilier est obligatoire, mais les assurés peuvent verser des cotisations volontaires supplémentaires pour accroître leurs droits.
84
SUISSE - L'État prend en charge un mInImum vieillesse. La couverture des besoins vitaux est financée pour 20 % par des subventions gouvernementales et 80 % par des prélèvements sur salaires. Le deuxième pilier est obligatoire, mais les assurés peuvent verser des cotisations volontaires supplémentaires pour accroître leurs droits. REPUBLIQUE TCHEQUE - Les deuxième et troisième piliers sont confondus, financés par l'épargne privée volontaire.
USA - Le financement des retraites de base est assuré en partie par le Fonds en Fiducie de la Sécurité Sociale.
Chapitre III
DÉBATS EN COURS, EXPÉRIENCES VÉCUES Après les tendances théoriques générales, voici l'étude plus concrète, qui nous conduit dans un certain nombre de pays. Ici la parole est laissée à des économistes et juristes d'une dizaine de pays, dont certains appartiennent à l'Union Européenne, les autres non (Suisse, Etats Unis, Chili). Le choix de ces pays n'est pas laissé au hasard: d'une part nous avons retenu les études de personnes ayant une compétence affirmée sur le sujet, d'autre part ces pays représentent un éventail très ouvert, depuis ceux dont la situation est assez comparable à celle de la France (Belgique par exemple) à ceux dont le système est à l'extrême opposé (Chili). Ces divers pays n'en sont pas au même stade de l'évolution de leur système de retraites: pour certains les réformes sont déjà anciennes et bouclées (le Chili a certainement été pionnier en la matière), d'autres sont encore en plein débat. Ces débats en cours et ces expériences vécues sont sources de réflexion et donnent à des réformateurs français des idées qu'il serait grand temps de mettre en œuvre. Nous laissons donc la parole à notre réseau de chercheurs, d'experts et de décideurs. Tous nous ouvrent des perspectives intéressantes. Allemagne Belgique Chili Etats-Unis
Grande Bretagne Italie Lituanie
Roumanie Suisse Rép. Tchèque
D'autres études peuvent être consultées sur le site www. irefeurope. org For sorne of the papers in this chapter, an English version is available on our web site www.irefeurope.org
86
L'ÉTAT DU SYSTEME DE RETRAITES EN ALLEMAGNE: UN BREF PANORAMA Jan SCHNELLENBACH*51
1. Un brefsurvol du système allemand Le pilier majeur du système de retraite allemand est un régime public, opérant suivant le principe de répartition, et obligatoire pour la plus grande partie de la population active en âge de travailler. Des exceptions subsistent: les fonctionnaires titulaires perçoivent leur pension de retraite directement de l'Etat, et n'adhèrent pas au régime de retraite public par défaut. Les travailleurs indépendants sont dispensés de l'adhésion obligatoire, mais peuvent adhérer sur une base volontaire. Les autres employés doivent en général adhérer au régime de retraite public. Le taux de cotisation s'élève actuellement (en 2008) à 19,9 % du revenu brut alors qu'en 1960, il n'était que de 14 %. En principe, l'employeur et l'employé s'acquittent chacun de la moitié de la somme due, mais il est évident qu'avec une offre de travail en général relativement inélastique par rapport au prix, l'incidence économique est susceptible de varier considérablement. Pour des revenus très faibles - inférieurs à 400 euros mensuels -, l'employeur s'acquitte seul d'une cotisation s'élevant à 15 % du revenu brut. Al' autre extrémité de la distribution des revenus, les cotisations au régime de retraite sont plafonnées. En 2008, seuls les revenus bruts inférieurs à 5 300 euros par mois (4 500 euros pour les anciens territoires de l'Allemagne de l'Est) sont sujets à cotisation, tout revenu supérieur en étant exempté. Les deux plafonds sont revus à la hausse annuellement afin de tenir compte de l'inflation. L'application stricte du principe de répartition pousse à croire que l'afflux des cotisations présentes finance la totalité des retraites des anciennes générations actuelles. Tel n'est cependant pas le cas en Allemagne, et le différentiel négatif entre les cotisations et les dépenses du système obéit à une tendance croissante de long terme. En 2006, des subventions du
* Université d'Heidelberg, IREF Research Fellow 5]. Cet article est traduit de l'anglais, sa version originale est sur le site www. irefeurope.org
87 gouvernement fédéral d'un montant total de 54,9 milliards d'euros ont été accordées au système public de retraite, et ces subventions fédérales ont permis le financement d'environ 236 milliards d'euros de dépenses d'ensemble. Il y a une raison profonde qui explique en partie cet état de fait: en plus de sa mission essentielle de financement des pensions de retraite, le système public de retraite assure aussi les individus, par exemple contre l'incapacité permanente de travail, sans pour autant faire payer une prime d'assurance additionnelle. Une partie des subventions fédérales est affectée au financement de ces prestations additionnelles du système de retraite. Cependant, la plus grande partie est nécessaire pour éviter que le taux de cotisation atteigne des niveaux excessivement élevés. Il existe une croyance largement répandue parmi les décideurs politiques en Allemagne selon laquelle il est préférable d'élargir les assiettes fiscales afin de financer les retraites publiques plutôt que de procéder à de fortes augmentations du taux de cotisation qui perturberaient le marché du travail dans une plus grande mesure encore. Cependant, la capacité (ou la volonté) à accorder des subventions au système de retraite sur le budget général est plus ou moins épuisée avec les niveaux actuels de subventions. Un cotisant au système public de retraite peut en général faire valoir ses droits à une retraite complète à l'âge de 65 ans, mais là encore, il y a des exceptions. Par exemple, les personnes âgées au chômage peuvent déjà percevoir leur retraite complète à l'âge de 60 ans si un certain nombre de conditions minutieuses est rempli. De la même manière, les individus qui souffrent d'une incapacité permanente de travail peuvent, sous des conditions supplémentaires, faire valoir leur droit à la retraite complète à partir de 60 ans, ou à une retraite réduite s'ils sont plus jeunes. Au 31 décembre 2006, le système public de retraite allemand avait versé des retraites à 17,8 millions de personnes. 1,6 million d'entre elles étaient perçues au titre d'une incapacité de travail; 2,3 millions de retraites avaient été versées à des personnes âgées de moins de 65 ans au chômage. La retraite moyenne perçue à cette date s'élevait à 716 euros, avec une grande différence suivant le sexe. Les femmes qui ont en moyenne une période de travail actif plus courte que les hommes percevaient en moyenne 478 euros (à
88 l'Ouest) et 666 euros (à l'Est); les hommes pour leur part percevaient en moyenne 950 et 1 001 euros respectivement. 52 Pour avoir une idée approximative de la manière dont est calculé le montant lTIensuel d'une retraite individuelle, on peut analyser la fOrlTIule de calcul de retraite (comlTIunément appelée Rentenforlnel) qui déduit le lTIOntant du versement de la manière suivante: p == p - z - r - R, où les trois prelTIiers paramètres dépendent de caractéristiques individuelles, alors que le quatrième est fixé au niveau politique. La valeur de p mesure à la fois la durée des cotisations individuelles au régime public de retraite et le niveau relatif de revenu qu'avait le retraité durant sa période de travail actif. La valeur du p d'un individu augmente d'une unité pour chaque année au cours de laquelle il a versé exactement le montant moyen des cotisations ; s'il a payé moins (plus), l'augmentation est alors inférieure (supérieure). L'augmentation annuelle maximale pour les individus qui paient la cotisation la plus élevée possible est de 2 unités. La valeur de z est un indicateur de l'âge de départ à la retraite de l'individu. Il vaut 1 si cet âge est de 65 ans ou si l'individu a droit à un départ anticipé à la retraite avec une retraite complète, et il diminue de 0,03 par mois d'anticipation. La valeur de r indique le type de retraite; il vaut 1 pour une pension de retraite traditionnelle, et seulement 0,5 pour une pension de retraite versée pour cause d'incapacité de travail. En dernier lieu, R mesure la valeur actuelle de la retraite. Il attribue un montant en euros à chaque p pondéré par les deux autres facteurs introduits ci-dessus. Ainsi, la valeur de la retraite est-il le levier le plus important dont disposent les décideurs politiques pour agir sur l'évolution des pensions de retraite à court terme. Il ressort aussi très clairement de cette formule de calcul que les retraites effectivement versées aux ménages présentent des variations considérables suivant leur niveau relatif de revenu durant leurs années d'activité et aussi la durée de leurs cotisations. En plus du régime de retraite par répartition, un second pilier de prestations de vieillesse, la fameuse pension Riester,53 a été 52. Ces données sont tirées de DRV (2007). 53. Du nOln de Walter Riester, le membre du cabinet responsable de l'introduction de ce second pilier.
89
introduit dans le cadre de la réforme à grande échelle qui est entrée en vigueur en 2002. Ce second pilier est en général ouvert à ceux qui sont obligés de contribuer au régime public de retraite, avec quelques petites exceptions. Son objectif consiste à fournir des incitations pour accroître l'épargne privée, ce qu'il accomplit au travers d'une subvention publique directe aux épargnants privés. Cependant, seuls les individus qui orientent leur épargne vers des investissements certifiés ont droit à cette subvention. Après des débuts poussifs, cet instrument a acquis une popularité considérable: en février 2008, le Ministre des affaires sociales a annoncé que 10,8 millions de plans Riester avaient été souscrits.
2. La pauvreté chez les personnes âgées en Allemagne Un des aspects le plus débattu et le plus préoccupant du système public de retraite en Allemagne ces dernières années a été le problème de la pauvreté chez les personnes âgées. Comme nous l'avons vu ci-dessus, le montant des retraites perçues peut varier considérablement entre individus, et dans certains cas, la retraite peut ne pas suffire pour garantir le minimum vital. Au 31 décembre 2006, 14,2 % de toutes les femmes retraitées et 2,7 % de tous les hommes retraités avaient perçu des retraites publiques mensuelles de 450 euros ou moins. Cependant, la question de la pauvreté chez les personnes âgées ne se pose pas dans tous ces cas. Beaucoup de femmes retraitées sont mariées et bénéficient des retraites plus élevées de leur époux et, en général, beaucoup d'individus percevant des retraites publiques faibles ont une seconde source de revenus vieillesse, en particulier l'épargne privée. Pour les ménages dont les revenus de vieillesse ne suffisent pas à assurer un minimum vital tenant compte du contexte socioculturel, un système de minima sociaux a été introduit et il existe sous sa forme actuelle depuis 2005. Il ne fait pas partie du système de pension de retraite en soi, il vient plutôt en complément de ce dernier. Les prestations sociales versées au titre de minima sociaux sont financés à partir de la fiscalité générale, et le montant versé est supérieur de 15 % aux aides sociales perçues par les individus dans le besoin au cours de leurs années d'activité. Comme Grabka et al. (2003) l'écrivent, les retraités allemands vivant dans des ménages à deux ont une bien moindre probabilité de se retrouver en dessous du seuil de pauvreté en comparaison avec les familles qui ont des enfants. La situation est plus difficile pour les retraités vivant seuls; la probabilité qu'ils se
90 retrouvent en dessous du seuil de pauvreté, sans minima sociaux, est supérieure de deux points en comparaison avec la probabilité pour l'ensemble de la population adulte. L'OCDE (2007) a récemment indiqué que le problème de la pauvreté chez les personnes âgées - sans prendre en considération les minima sociaux - va probablement s'amplifier dans le futur en Allemagne à cause de nombreux problèmes inhérents au régime public de retraite allemand. Des parcours d'emploi instables avec de longues périodes de chômage ou de travail à faibles revenus ont une incidence directe et négative sur la valeur de p dans la formule de calcul de retraite. De manière plus importante, les décisions politiques qui ont un impact négatif sur la valeur de R ont des conséquences linéaires sur les retraites perçues par tous les individus. Sous le système actuel, il n'est pas possible de répartir le fardeau d'une baisse progressive de la valeur de la retraite ni d'épargner les petites retraites complètement. Mais, comme nous le verrons ci-dessous, une réduction de la valeur de la retraite est précisément la mesure qui a été adoptée afin de faire face aux problèmes démographiques à venir.
3. La démographie et les retraites en Allemagne En dépit des incertitudes entourant les projections détaillées des évolutions démographiques dans un futur plus lointain, les grandes lignes sont claires et peu contestées. Comme celles de la plupart des autres pays de l'Europe occidentale, la population allemande vieillit rapidement. La Commission Rürup54 qui a émis un ensemble de propositions pour la réforme des retraites en Allemagne en 2003 prévoit qu'en 2040, l'espérance de vie restante moyenne d'un homme de 65 ans sera de 18,96 ans (contre 15,79 en 2003), et même de 23,17 pour une femme de 65 ans (contre 19,51 en 2003). Durant l'année 2000, environ 68 % de la population allemande étaient en âge de travailler (défini au sens large), c' est-àdire avaient entre 15 et 64 ans, tandis que 16 % avaient 65 ans ou plus. La Commission prévoit qu'en 2040, 58 % de la population sera en âge de travailler tandis que 34 % seront âgés de 65 ans et plus. De toute évidence, seule une partie de ceux qui appartiennent à ce groupe en âge de travailler, compris au sens large, sera en réalité sur le marché du travail. Par exemple, une grande partie des 54. Du nom de son président, Bert Rürup.
91
individus composant ce groupe sera encore en train d'étudier. La Commission s'attend à ce qu'en 2040, seuls 36 millions d'individus seront employés ou travailleront à leur propre compte, et seulement 30 millions d'entre eux (sous les réglementations actuellement en vigueur) cotiseront au système public de retraite. Sous le régime de répartition, ces 30 millions d'individus auront à financer environ 23 millions de retraités. Même si le système public de retraite connaît actuellement un répit passager dû à la baisse du chômage - l'Office fédéral des statistiques allemand annonce 27,4 millions d'employés cotisant au régime public de retraite au troisième trimestre de 2007, contre 25,9 millions au premier trimestre de 2006 - les défis démographiques de long terme sont plutôt impérieux. Même si nous tablons sur des gains de productivité considérables durant les décennies à venir, un scénario avec 1,3 retraités qui dépendent d'un seul cotisant rend urgente une réforme des retraites. Ehrentraut et Heidler (2007) ont procédé à l'estimation du montant du solde primaire pour le secteur public dans son ensemble (le gouvernement et le système de sécurité sociale) et pour un éventail de scénarios d'évolution démographique. Leurs résultats sont résumés dans la Figure 1. Il est évident que même sous le scénario démographique le plus optimiste, le secteur public va encourir des déficits primaires par tête colossaux si on persiste dans le statu quo institutionnel. Pour prendre conscience de la signification de ces estimations, il est utile de se rappeler que l'Allemagne avait en 2007 une dette publique globale de 1 502 milliards d'euros, c'est-à-dire, un peu plus de 18 300 euros par tête d'habitant.
92
Figure 1 : Projection des déficits primaires pour l'Allemagne sous un statu quo institutionnel. 600
/
·2.000
2010
2016
2020 Jahr
Source: Ehrentraut et Heidler (2007), p. 25.
En 2003, la Commission Rürup a aussi établi un scénario pour l'évolution à long terme des taux de cotisation et des montants de retraites. Un scénario plausible qui en découlait était qu'en supposant que les conditions qui prévalaient en 2003 persistent dans le futur, le taux de cotisation passerait de 19,9 % à 24,2 % en 2030 tandis que le montant brut des retraites baisserait de 48 % à 41,9 % du revenu brut en 2030. Ce dernier indicateur est calculé pour un retraité idéal qui a exactement gagné le revenu moyen durant 45 ans et a payé les cotisations correspondantes.
4. La réforme des retraites en Allemagne: qu'est-ce qui a été accompli récemment? Durant des décennies, les réformes du système de retraite en Allemagne avaient pour objectif d'étendre les prestations et d'abaisser les obstacles à la perception d'une retraite. Une première réponse politique aux problèmes soulevés par la menace démographique a été apportée en 1992 seulelnent. Avant 1992, le paramètre de référence sous-jacent pour la valeur de la retraite R était les revenus bruts: R était défini de telle sorte que la retraite mensuelle d'un retraité idéal ayant perçu le revenu moyen et cotisé
93 pendant 45 ans s'élève à une proportion prédéterminée et fixe du salaire brut moyen actuel. Avec la réforme de 1992, le salaire net moyen est devenu le nouveau paramètre de référence. Mais, à cause de la hausse des cotisations de Sécurité Sociale, les salaires nets ont depuis augmenté considérablement moins vite que les salaires bruts - la réforme de 1992 a ainsi en réalité entraîné une augmentation moins rapide de la valeur des retraites. De plus, comme le notent Borsch-Supan et al. (2007), cette mesure a aussi introduit un partage intergénérationnel des risques. Le fardeau d'une hausse des contributions de Sécurité Sociale à cause des changements démographiques, par exemple, est aussi transféré aux anciennes générations dont les retraites augmentent moins rapidement. En 1997, vers la fin du mandat du Chancelier Helmut Kohl, le gouvernement conservateur-libéral avait introduit le fameux facteur démographique dans le calcul de la valeur des retraites. L'objectif de cette réforme était de ralentir la croissance de la valeur de la retraite en réponse aux évolutions démographiques défavorables, la stabilisation des taux de cotisation étant l'objectif ultime. Cependant, le gouvernement Kohl fut désavoué avant que le facteur démographique puisse entrer en vigueur, et la coalition de gauche qui prit sa succession annula immédiatement la réforme de la formule du calcul des retraites. Elle ne faisait là que tenir une promesse faite durant la campagne qui avait reçu un écho favorable auprès des électeurs. Le gouvernement Schroder nouvellement élu n'annula cependant pas d'autres mesures, secondaires, contenues dans la réforme des retraites de 1997. Celles-ci avaient pour objet d'augmenter l'âge moyen effectif de départ à la retraite. Avec des périodes transitoires très généreuses, la possibilité d'une retraite anticipée pour les personnes âgées au chômage tout comme celle de la retraite anticipée partielle furent abolies. Cependant, avec la baisse de l'activité économique et avec l'augmentation brutale du chômage, la situation financière du système public de retraite s'est détériorée rapidement, ce qui a poussé le gouvernement Schroder à y aller de sa propre réforme des retraites. Nous avons déjà mentionné un des résultats de cette réforme, la pension Riester, c'est-à-dire, l'introduction d'un second pilier de prestations vieillesse subventionné par l'Etat afin d'encourager l'épargne privée. Cette épargne est nécessaire afin de compenser la baisse de la valeur de la retraite, le deuxième objectif recherché par la réforme des retraites en 2001. Le montant des retraites est graduellement abaissé de 70 % du salaire net moyen à
94 67 % en 2003. En réalité, il va même baisser jusqu'à 63,5 % car les salaires nets en tant que paramètre de référence sont aussi réduits par une contribution typique hypothétique au régime Riester (Borsch-Supan et al. 2007). De plus, cette réforme a introduit des dispositions légales explicites qui stipulent que les taux de cotisation ne doivent pas dépasser 22 % des salaires bruts avant 2030 (20 % avant 2020). La réforme des retraites de 2001 a représenté une tentative très importante de rendre le système public de retraites public avec les tendances démographiques de long terme. Néanmoins, les mesures adoptées n'ont pas été suffisantes pour stabiliser les taux de cotisation aux valeurs souhaitées à long terme. Peu après l'adoption de la réforme, des discussions autour de la viabilité du système de retraite ont été initiées. En 2003, la Commission Rürup que nous avons déjà mentionnée avait émis certaines propositions pour des réformes supplémentaires du système de retraite. En fait, le même gouvernement Schroder qui avait annulé le facteur démographique quelques années en arrière devait promulguer une loi portant sur un facteur de viabilité 55 en 2004. La valeur de ce facteur est déterminée par le rapport entre le nombre de retraités et le nombre de cotisants au système public de retraite. Même si la valeur de la retraite doit en général encore augmenter avec la hausse des salaires nets, cette augmentation peut être compensée par une variation défavorable du facteur de viabilité. L'incidence du facteur de viabilité a été amortie par une clause protectrice qui empêche le lTIOntant des retraites de diminuer dans la réalité à cause de raisons démographiques. En d'autres termes, le facteur de viabilité peut seulement réduire les taux de croissance positifs des montants de retraite, mais il ne peut engendrer leur baisse. La croissance simultanée des salaires nets et de la valeur des retraites n'est cependant plus garantie. En 2007, la grande coalition des sociaux-démocrates et des conservateurs a aussi fait passer une loi portant l'âge de départ à la retraite de 65 ans à 67 ans à long terme. Cette mesure sera introduite graduellement: les individus nés en 1947 auront à travailler jusqu'à l'âge de 65 ans et 1 mois, les individus nés en 1948 jusqu'à l'âge de 65 ans et 2 mois, et ainsi de suite. La cohorte de 1964 sera la première qui devra travailler jusqu'à l'âge de 67 55. sustainability.factor, que l'on peut traduire par facteur de durabilité, ou de longévité [NdT].
95
ans révolus. Il y aura aussi des exceptions. La plus importante concerne les individus qui ont cotisé au régime public pendant 45 ans: ils pourront partir à la retraite sans considération de limite d'âge. Comme l'indiquent Borsch-Supan et al. (2007), les réformes de retraite en Allemagne depuis 2001 ont été caractérisées par un changement de paradigme. Avant 2001, ce qui guidait les politiques de retraite était le niveau de prestations souhaité. Les discussions publiques tournaient autour de la question de savoir quelles prestations devaient être incluses dans le système public de retraites et, souvent, des demandes ont été adressées qui étaient étrangères à la question des pensions de retraite au sens strict. Les départs anticipés à la retraite pour les personnes âgées au chômage en constituent un exemple; ils devraient être financés par l'assurance-chômage plutôt que le régime public de retraite. Récemment cependant, les contraintes de financement du système public de retraite ont attiré davantage l'attention. Il semble qu'il y a une limite supérieure aux alentours d'un taux de cotisation de 24 % où la volonté de cotiser pour les retraites publiques s'épuise, et les prestations sont redéfinies afin qu'on n'ait pas besoin de franchir cette limite. 5. L'impact des réformes de retraites en Allemagne Borsch-Supan et al. (2005) prévoient que quatre cinquièmes de la population active allemande vont éventuellement investir dans des régimes de prestations vieillesse en dehors du système public de retraite et, qu'en général, cela sera suffisant pour compenser les pertes dues à la diminution de la valeur des retraites publiques. Cependant, tel ne sera pas le cas pour tous les niveaux de revenus. En particulier, les ménages à faible revenu en général ne constituent pas d'épargne, bien qu'ils soient lésés par la baisse de la valeur de la retraite. On doit donc s'attendre à ce qu'une plus grande partie de ménages à faibles revenus durant leurs années actives reçoivent des prestations sociales provenant des régimes de minima sociaux de nature à leur éviter la pauvreté des personnes âgées. Ehrentraut et Heidler (2008) ont estimé les effets des deux plus récentes réformes des retraites (le facteur de viabilité et l'augmentation de l'âge de la retraite) dans une simulation à long terme qui court jusqu'en 2050. Ils trouvent ainsi qu'en 2030, le taux de cotisation, en tenant compte du facteur de viabilité, sera de 23,3 % et qu'il s'élèvera à environ 24,4 % en 2050. Ces deux
96 valeurs font contraste avec les valeurs obtenues dans un scénario sans facteur de viabilité, à savoir 25,5 % et 27,7 % respectivement. Ceci a cependant un prix. Le lTIOntant des retraites nettes (correspondant à un salaire net moyen) va diminuer de 18 % entre 2006 et 2030. D'autre part, l'effet attendu de l'augmentation de l'âge de le retraite est relativement faible dans un futur proche et augmentera plus tard. En 2050, elle va abaisser le taux de cotisation de 24,4 % à 23,7 %. Le grand nombre d'exceptions accordées concernant le départ à la retraite à l'âge de 67 ans est responsable du faible impact de cette mesure. Ehrentraut et Heidler montrent aussi que le taux de cotisation peut encore diminuer pour une période transitoire s'étalant de 2015 à environ 2035 si les individus ajustent leur comportement en fonction des changements de politique économique, et s'ils élargissent leur période de travail actif. Enfin, ils montrent qu'une augmentation supplémentaire de l'âge de départ à la retraite à 69 ans après 2030 pourrait stabiliser le taux de cotisation autour de 23 % dans un futur plus lointain. Il semble donc que sur le long terme, l'âge de départ à la retraite sera le paramètre clé pour une politique dont l'objectif serait d'éviter de nouvelles hausses du taux de cotisation. 6. Que faire maintenant?
Suite aux réformes récentes du système de retraite, les décideurs politiques ainsi que le public au sens large semblent s'être lassés de la question de la réforme des retraites. Cette question a été au coeur des discussions politiques en Allemagne pendant plus de dix ans. A la lumière de l'évaluation des réformes récentes contenue dans des études de simulation, on peut être raisonnablement optimiste quant à la capacité du système public de retraite dans sa forme actuelle à faire face aux défis démographiques à venir - du moins, si les individus sont prêts à accepter des taux de cotisation de 23 à 25 % des revenus de salaire bruts dans le long terme. Etant donnée la baisse projetée de la valeur des retraites, le second pilier de l'épargne privée va aussi gagner en importance. Les développements en dehors du système de retraite vont aussi renforcer cette nécessité. En particulier, une proportion croissante des retraites versée sera sujette à l'impôt individuel sur le revenu dans le futur: actuellement, 50 % des retraites sont assujettis à l'impôt sur le revenu, ce qui situe de nombreux retraités en dessous du seuil d'exonération fiscale, et les rend exempts d'impôt. Cependant, à partir de 2040, l'intégralité de la retraite perçue sera
97
considérée comme revenu imposable. En prenant tous ces éléments en compte, cela veut dire que les individus devront renoncer à beaucoup plus qu'un quart de leur revenu brut pour leur prestation vieillesse. Le système public de retraite a aussi des conséquences sur d'autres questions de politique économique. Par exemple, les syndicats soutiennent qu'afin de prémunir les personnes âgées contre la pauvreté, des salaires Ininima sont nécessaires. Bien que plausible à première vue - après tout, le montant de la retraite individuelle dépend des cotisations assises sur le salaire, et sur le salaire moyen actuel - un tel argument ne tient évidemment pas compte des conditions d'équilibre sur le marché du travail et des effets néfastes du chômage involontaire. Mais cet exemple illustre comment le système public de retraite imprègne les discussions de politique économique même s'il n'est pas actuellement au centre des attentions. Références Borsch-Supan, A.H., L. Essig, Ch.S. Wilke (2005). Rentenliicken und Lebenserwartung. Wie sich die Deutsehen aufden Anstieg vorbereiten. KaIn: DIA. Barsch-Supan, A.H., A. Reil-HeId, Ch.S. Wilke (2007). How an Unfunded Pension System Looks Like Defined Contributions: The German Pension Reform, Discussion Paper 126-2007, Mannheim: MEA. DRV - Deutsche Rentenversicherung Bund (2007). Jahresbericht 2006, Berlin: DRV. Ehrentraut, O., M. Heidler (2007). Demografisehes Risiko fiir die Staatsfinanzen? Koordinierte Bevolkerungsvorausberechnungen im Vergleich, Discussion Paper 20-2007, Freiburg: Forschungszentrum Generationenvertrage. Ehrentraut, O., M. Heidler (2008). Zur nachhaltigen Finanzierung der GRV: Der Beitrag der Altersgrenzenanhebung im Reformprozess, Perspektiven der Wirtschaftspolitik, forthcoming. Grabka, M.M., J.R. Frick., V. Meinhardt, J. Schupp (2003). Âltere Menschen in Deutschland: Einkommenssituation und ihr maglicher Beitrag zur Finanzierung der gesetzlichen Rentenversicherung, DIW Wochenbericht 12/2003: 190-195. OECD (2007). Pensions at a Glanee: Public Polieies Aeross the OECD Countries, Paris: OECD. Rürup-Kommission (2003). Nachhaltigkeit in der Finanzierung der sozialen Sieherungssysteme, Berlin: BundesministeriulTI für Gesundheit und soziaie Sicherung.
98
BELGIQUE: LE SYSTEME À 4 PILIERS Thierry AFSCHRIFT*56 Le système de retraite belge repose essentiellement sur trois piliers majeurs, auxquels s'ajoute un quatrième pilier qui est graduellement reconnu en tant que tel.
Le premier pilier: la pension de retraite légale (système de financement par répartition) Les pensions de retraite légales versées aux retraités sont constituées de prestations de sécurité sociale. Ces pensions sont conçues sous la forme d'un régime d'assurance obligatoire au niveau de l'Etat fédéral (pour les salariés: le Ministère des affaires sociales, de la santé publique et de l'environnement; l'Office national de sécurité sociale se charge de la perception des cotisations, l'Office national des pensions assure le versement des prestations aux retraités) ; c'est un régime par répartition, ce qui veut dire qu'une partie des contributions de sécurité sociale durant une année donnée est immédiatement redistribuée sous forme de pensions de retraite légales durant la même année. Le système est organisé et géré par des organislnes publics. De plus, il concerne trois catégories principales de travailleurs: les salariés, les travailleurs indépendants, et les employés du secteur public (les fonctionnaires), qui sont assujettis à des régimes de pension différents. A l'intérieur des pensions de retraite légales, il importe de faire la distinction entre - les pensions de retraite à proprement parler: la pension due à partir du moment du départ à la retraite (à un taux « isolé» ou à un taux « ménage ») - la pension de survie: la pension octroyée au conjoint survivant (sous les conditions suivantes: qu'il soit âgé d'au moins 45 ans et marié depuis au moins 1 an au moment du décès) suivant le décès du chef des prestations; - la prépension : retraite anticipée que certains considèrent comme une forme particulière d'allocation de chômage plutôt qu'une pension.
* Avocat au barreau de Bruxelles, Université de Bruxelles, administrateur de l'IREF.
99 Enfin, il itnporte de mentionner l'existence de deux institutions particulières: - le G RAP A (Garantie de revenus aux personnes âgées) : c'est une aide versée aux personnes âgées qui ne disposent pas de ressources suffisantes (le montant de l'aide est de 7 087 euros au taux « isolé» et de 10 630 euros au taux « ménage»). - le Fonds de vieillissement qui constitue les réserves nécessaires permettant de financer les dépenses supplémentaires des différents régimes légaux de pension durant la période comprise entre 2010 et 2030. Toutes ces mesures visent à conforter l'impact redistributif des programmes de pension de retraite légale. Pour les trois catégories de travailleurs mentionnées cidessus, l'âge de retraite obligatoire est de 65 ans pour les hommes et 64 ans pour les femmes (à partir de 2009, l'âge de retraite sera de 65 ans et pour les hommes et pour les femmes) ; de plus, il existe des régimes spéciaux pour certaines catégories de travailleurs (les mineurs, les marins, le personnel navigant de l' aviation civile). Le montant de la pension de retraite légale pour les salariés du secteur privé est fonction de trois éléments: la durée de leur carrière professionnelle, l'importance de leur salaire, et leur statut familial. Une carrière complète comporte 45 années de service, et est constituée de périodes effectives et de périodes assimilées (les congés annuels, les vacances, les périodes de chômage, etc.). Le traitement annuel brut est pris en considération (le salaire réel, ou dans certains cas, le salaire forfaitaire ou fictif). Cependant, il importe d'apporter deux précisions concernant ce point: - il Y a un plafond de rémunération au-dessus duquel le salarié contribue sans recevoir de droits à pension en contrepartie et ce, au nom de la solidarité sociale (le montant de ce plafond s'établit à 44 984,88 euros pour l'année 2007), - il existe de surcroît une rémunération minimale qui est prise en considération, et il y a, donc, un droit minitnum garanti par année de carrière ; par conséquent, il y a une pension minimale sous réserve que le travailleur ait à son actif au minimum deux tiers du nombre d'années que dure une carrière cOlnplète. Les pensions sont assujetties à l'impôt sur le revenu. Un impôt prélevé à la source sur les pensions légales et extra-légales est payé par les organismes qui procèdent au versement des
100 pensions (tels que l'Office national de pensions pour les employés ou le Service central des coûts fixes pour les fonctionnaires). Les contributions de sécurité sociale sont aussi retenues à la source. En ce qui concerne les contributions, elles comprennent: - La contribution d'assurance maladie: afin de financer le régime d'assurance-maladie; elle s'élève à 3,55 % du montant mensuel brut des pensions des bénéficiaires, dans la mesure où cette déduction ne réduit pas le montant brut en dessous de certains seuils fixés par la loi (à 1 206,66 euros par mois pour un taux « isolé» et 1 430,07 euros par mois pour un taux « ménage»). - la contribution de solidarité: retenue afin de financer les pensions les plus modestes. Cette contribution s'applique seulement aux retraités qui perçoivent plus de 1 257,23 euros mensuels (pour un taux « isolé») et 1 571,92 euros mensuels (pour un taux « ménage ») et peut aller jusqu'à 2 %. La loi-programme du 8 juin 2008 prévoit que le Roi peut réduire ou abolir la contribution de solidarité depuis le 1er juillet 2008 57 . Ces dispositions applicables aux travailleurs du secteur privé sont en général moins avantageuses que celles qui concernent les fonctionnaires statutaires (mais plus avantageuses que celles qui concernent les travailleurs indépendants)58. Le système de pension de retraite légale souffre d'un déséquilibre financier structurel résultant d'une confluence de facteurs tels que la présence de plus en plus importante de femmes sur le marché du travail, la politique de départ anticipée à la retraite, et le vieillissement de la population. De plus, les pensions sont très modestes. Face aux limites de ses interventions, l'Etat encourage ainsi, notamment à travers des incitations fiscales, les travailleurs à avoir recours à des systèmes secondaires comme ceux décrits dans le 2 ème et le 3 ème pilier ci-dessous afin d'augmenter leur revenu de retraite.
57. Il existe aussi La contribution aux dépenses funéraires de 0,5 % : elle concerne seulement les pensions des elnployés du secteur public. Quand le bénéficiaire décède, un montant équivalent à un mois de pension est payé à la personne pouvant justifier de la dépense funéraire (d'un montant maximal de 2 193,74 euros). 58. Sur ces ponts on se réfèrera à la version complète de l'article sur le site www .irefeurope.org
101
Le deuxième pilier: la pension extra légale (régime par capitalisation) En accord avec les recommandations de l'OCDE et de la Banque mondiale, l'Etat a essayé de compenser les effets des économies devant être réalisées dans le cadre du premier pilier en promouvant le 2 ème et le 3 ème piliers. Environ 35 % des retraités bénéficient du 2 ème pilier et certains spécialistes pensent que ce pourcentage va atteindre entre 50 et 70 % dans le futur. Le 2 ème pilier se distingue du 3ème par la relation de travail, ce qui signifie que les systèmes du 2 ème pilier sont organisés à l'intérieur d'une entreprise ou d'une branche d'activité donnée et sont à la discrétion de l'employeur. Ce 2ème pilier, privé et volontaire, inclut des régimes gérés cette fois-ci par des institutions privées. Pour les salariés, on peut mentionner l'Assurance-groupe, la Pension libre complémentaire, les Fonds d'épargne-pension. Examinons brièvement les régimes les plus connus. - La promesse d'une pension (complémentaire) faite par l'employeur à un employé donné; c'est une situation que l'on rencontre assez rarement. - L'Assurance-groupe: l'employeur conclut un contrat et institue un système de pension collective dont bénéficient les travailleurs sans distinction, sauf si l'employeur décide de réserver cet avantage à une catégorie précise de travailleurs, étant donné que le critère retenu ne peut être discriminatoire. Dans ce cadre, l'employeur prend à sa charge le paiement d'une partie des contributions, l'autre partie étant assumée par les travailleurs qui trouvent là une manière d'accroître le montant de leur retraite dans le futur. - Les fonds épargne-pension (<< institution de retraite professionnelle ») : ce sont des fonds d'investissement (constitués d'actions et d'obligations) gérés par une banque ou une compagnie boursière. Le dépôt n'est pas garanti mais à la fin, le placement se révèle généralement être plus intéressant que le bénéfice tiré d'une assurance épargne-pension. Ce système est organisé au niveau de l'entreprise ou, et c'est là une innovation de la loi du 25 avril 2003, au niveau de secteurs (des plans de pension sectoriels), dans le cadre d'une Convention collective du travail (CeT) conclue avec une commission paritaire. D'un point de vue purement économique, on peut noter que ce sont les bénéficiaires des pensions légales les plus avantageuses qui bénéficient davantage du 2 ème pilier, avec environ 841 euros par
102 mois (la pension légale mise à part), alors que ceux qui perçoivent une pension légale plus modeste sont limités à une moyenne de 25 euros par mois.
Le troisième pilier -les pensions complémentaires individuelles: l'épargne pension et les polices individuelles d'assurance (régime par capitalisation) Le 3 ème pilier est aussi de nature privée et volontaire, mais ici, c'est le travailleur qui prend l'initiative à titre individuel. Il est généralement mis en œuvre à travers différents programmes: l'assurance-vie individuelle, aussi bien que l'épargne-pension individuelle et la pension complémentaire pour un travailleur qui ne peut bénéficier d'une telle pension au niveau de l'entreprise ou au niveau sectoriel; ici aussi, sous certaines conditions, le travailleur peut être pluri-pensionné. Les primes versées sont déductibles du revenu imposable dans certaines limites; en ce qui concerne les mécanismes d'épargne de long terme, ils peuvent aussi donner lieu à des déductions fiscales dans certaines limites. Comme nous parlons ici de pension complémentaire, le titulaire n'aura pas la possibilité d'en bénéficier avant l'âge de 60 ans. Quand il arrive à cet âge, il y aura ou une liquidation de la retraite et un paiement sous la forme d'un capital ou le versement d'une prestation trimestrielle, les parties contractantes étant libres de combiner les deux possibilités. Du point de vue fiscal, le montant maximal de prime déductible du revenu imposable est fixé à 830 euros, ce qui représente environ 30 à 40 % du montant épargné. La charge fiscale à la date de sortie sera de 10 % ou 16,5 % du capital payé. Par ailleurs, si le bénéficiaire souhaite bénéficier de son capital avant l'âge légal de la retraite, ce capital sera taxé à un taux de 33 %. En 2006 et 2007, les souscriptions excédaient les 900 milliards d'euros ; actuellement, plus de 1,2 millions de comptes sont ouverts, et le rendement moyen varie entre 4 et 5 % ; plus de 70 % de la population contribuent dans le cadre du 3 ème pilier.
Le quatrième pilier: les initiatives individuelles Certains experts et économistes suggèrent qu'on reconnaisse l'existence d'un 4 ème pilier. Ce 4 ème pilier couvrirait toute initiative prise par une personne ayant l'intention de s'assurer qu'au moment de sa retraite,
103
elle aura les moyens requis pour maintenir le niveau de vie qu'il avait quand il travaillait. Des exemples en sont: toute forme d'épargne non formalisée, les stock options, les actions, les obligations ou l'achat d'actifs immobiliers, les assurances investissements, les investissements dans divers fonds comme les SICAV, etc. Il n'y a pas de cadre juridique ici; seules la volonté et les intentions individuelles sont prises en considération.
Répartition et capitalisation La discussion entre les partisans d'un régime par répartition et les partisans d'un régime par capitalisation a toujours été animée. Le choix entre les deux systèmes de financement des retraites est en réalité un choix entre deux types de société: d'un côté, une société plus interdépendante (du type «soyez aux côtés des autres») qui cherche à réduire les écarts et les déséquilibres sociaux, et de l'autre, une société plus individualiste moins concernée par l'accroissement des écarts socio-économiques. Les retraités réduits à la pauvreté: le système est-il adapté? L'utilisation de critères d'efficacité sociale tels que l'équité entre générations, l'efficacité macroéconomique, l'efficacité financière, a été suggérée par les spécialistes afin de trouver une solution, mais la situation demeure compliquée; de plus, ces critères semblent incompatibles selon nous. Il est difficile de contester, et nous n'avons nullement l'intention de le faire, le bon sens qui imprègne cette vision du système; il y a un besoin évident de solidarité. Cependant, il est aussi nécessaire de prendre en considération la réalité quotidienne: le montant des retraites est très faible, l'indice des prix à la consommation augmente sans cesse, la pension est calculée en tenant compte de l'ensemble de la carrière (les fonctionnaires sont avantagés de ce point de vue), etc. On aurait du mal à croire qu'aujourd'hui, à cause de l'indexation des prix 20,3 % des retraités en Belgique sont pauvres (en 2008, le seuil de pauvreté est fixé à 860 euros alors que la pension minimale pour les travailleurs indépendants s'élève à 846 euros). Par conséquent, la question de savoir si un régime par répartition est approprié et adapté à la situation actuelle se pose. En d'autres termes, on peut se demander si ce régime permet aux
104 travailleurs de tirer un «avantage» raisonnable de leur effort contributif tout le long de leur carrière. En fait, si on accepte que le travailleur ne «récupérera» jamais la totalité des cotisations versées pour la constitution de sa pension après sa retraite, il est encore souhaitable que cette « perte» ne soit pas sans proportion avec son effort. L'intégration d'un deuxième pilier entre le premier et le troisième a indéniablement amélioré la situation au niveau global. En fait, il a rendu possible la réalisation des objectifs du premier pilier avec plus de flexibilité et ceux du troisième pilier avec plus de sécurité (l'absence de risques liés aux évolutions du marché et à l'imprévoyance des travailleurs). Cependant, le problème structurel et intrinsèque du système de pension légale demeure non résolu.
Le gaspillage des cotisations: un exemple chiffré Nous proposons d'illustrer cet argument à travers un exemple (les calculs sont abstraits et évidemment approximatifs car ils ne tiennent pas compte d'un ensemble de facteurs tels que les événements qui affectent la carrière professionnelle et la vie des travailleurs, l'indexation des salaires, les plafonds de rémunération, l'augmentation ou la baisse du pouvoir d'achat, etc.). Quoiqu'il en soit, considérons le cas d'un travailleur indépendant qui gagne, à titre d'exemple, 50 000 euros nets annuels avant impôt, pendant 45 ans (c'est-à-dire, en effectuant une carrière complète). Ses contributions de sécurité sociale s'élèveraient à 9 564 euros par an, frais généraux à part; ainsi, après 45 ans de travail, il aura payé 430 394,40 euros. Ce montant inclut ses cotisations au régime de retraite, au régime d'allocation familiale et au régime d'assurance-maladie. En l'état actuel de la loi, la répartition entre le régime de retraite et le régime d'assurance-maladie ne se fait pas suivant un pourcentage fixe; l'affectation se fait suivant les besoins de chacun de ces régimes durant une année donnée. Selon les statistiques connues de l'année 2007, on peut estîlner qu'au moins la moitié du montant des cotisations versées par les travailleurs indépendants, et nous sommes certainement en dessous de la réalité (si on tient compte de l'intervention de l'Etat: en 2007, les travailleurs indépendants ont cotisé 2 milliards 700 millions d'euros et le montant des prestations qui leur ont été versées s'élevait à 4 milliards 500 millions d'euros; c'est l'Etat qui a comblé l'écart entre les deux chiffres), l'a été en tant que cotisations de retraite.
105 On peut donc raisonnablement considérer qu'après 45 années de carrière, il aura payé un minimum de 215 197,20 euros, uniquement pour sa retraite. Cependant, le montant maximal de pension auquel il aurait droit n'excéderait pas 1 300 à 1 400 euros par mois: donc, pour « récupérer» les fonds cotisés durant sa carrière pour sa retraite, il devrait vivre au moins 150 mois, c'est-à-dire 13 ans, après son départ à la retraite, soit jusqu'à l'âge de 78 ans (65 + 13). Imaginons maintenant que cette même personne décide de conclure une Pension libre complémentaire pour travailleurs indépendants (PLCI). Si nous tenons compte de son revenu, il aurait le droit de cotiser, dans le cadre d'une PCLI, le montant maximal, soit 2 686,06 euros par an ; donc, après 45 ans, il aurait contribué pour l'équivalent de 120 872,05 euros. Si on prend en considération les données actuelles, il recevra quand il partira en retraite la somme de 214 516 euros (avec un taux de profit de 0 %), ou 324 515 euros (avec un taux de profit de 1,5 %), ou même 502 977 euros (avec un taux de profit de 3 %). Cet exemple nous aide à réaliser qu'en ayant cotisé environ la moitié des cotisations qu'il aurait payées dans le cadre d'une pension légale, le travailleur indépendant recevra: - au moins le même montant que s'il avait contribué dans le cadre d'une pension légale (tout en étant certain de recevoir le montant car il est payé en une fois) ; - s'il est possible de réaliser un profit, un montant qui pourrait être supérieur de 50 à 150 % au montant de sa pension légale (voir l'exemple ci-dessus). De plus, en considérant les incitations fiscales et les avantages durant sa carrière, l'opération devient encore plus intéressante, sans oublier le fait qu'il peut choisir de liquider totalement sa retraite (et disposer de son capital librement et, notamment, immédiatement) ou de la recevoir sous forme d'allocations, mais dans une période de temps plus courte. Les calculs ci-dessus peuvent sembler abrupts et théoriques, mais ils nous aident à réaliser que, grosso modo, si la moitié des montants cotisés dans le cadre d'un régime de pension légale était investie dans un système d'épargne privée, le cotisant bénéficierait dans le pire scénario (c'est-à-dire, sans le bénéfice d'un profit, ce qui est rare) d'une même prestation de retraite (s'il vivait suffisamment longtemps). Une disproportion conséquente émerge
106
donc entre l'effort contributif et le bénéfice tiré dans le cadre d'un système de pension légale. A première vue, on peut imaginer que si on autorise les travailleurs à investir, même sous le contrôle et la surveillance de l'Etat, la moitié des cotisations versées pour leur pension légale dans des fonds privés, ils pourraient jouir de prestations plus avantageuses au llloment de leur départ en retraite que celles auxquelles ils ont droit aujourd'hui, et, parallèlement le lllontant global de leurs cotisations serait réduit; l'Etat pourrait investir l'autre moitié (et peut-être moins, car une division égale entre les cotisations de retraite personnelle et sociale semble exagérée) afin d'atteindre l'objectif de solidarité. Dans tous les cas, une évidence s'impose: le montant des cotisations versées dans le cadre du système de pension légale est totalement sans proportion avec les prestations octroyées aux cotisants. En conclusion, le système traditionnel devrait, selon nous, être revu en profondeur au lieu de le « compléter» en permanence par différents remèdes: l'objectif de solidarité doit être préservé et atteint mais, afin que le système conserve un minimum de logique, cet objectif ne doit pas être atteint au détriment du travailleur qui essaye précisélllent d'atteindre cet objectif, tout en s'inquiétant pour son avenIr.
107
L'ABC DU SYSTEME CHILIEN José PIffERA *59
Un spectre hante le monde: celui de la faillite du système de retraite public. Le régime de retraite par répartition qui a dominé le XXe siècle comporte un défaut fondamental, enraciné dans une fausse conception de la nature humaine: il détruit, au niveau individuel, le lien essentiel entre l'effort et la récompense, autrement dit entre la responsabilité personnelle et les droits individuels. A chaque fois que cela se produit à une grande échelle et sur une longue période, le résultat est désastreux. Deux facteurs extérieurs aggravent ce problème: la démographie mondiale vit une baisse du taux de natalité, et les progrès de la médecine augmentent l'espérance de vie. Résultat: un nombre décroissant de travailleurs doit subvenir aux besoins d'une population de retraités croissante. Etant donné que l'augmentation de l'âge de la retraite et la hausse des cotisations sociales ont une limite naturelle, ces signes avant-coureurs de la faillite du système vont tôt ou tard obliger le système à réduire les prestations promises. Que cette réduction ait lieu par l'inflation, comme dans la majorité des pays en développement, ou par la législation, le résultat final pour les retraités reste cependant le même: l'angoisse des vieux jours se crée, paradoxalement par l'insécurité inhérente au systèlne de retraite. Au Chili, la réforme du régime de retraite du 4 novembre 1980 a introduit une innovation révolutionnaire. La réforme (lois 3.500 et 3.50 1) accorda à tout travailleur le droit de quitter le régime public de retraite pour mettre l'argent de la cotisation (10 pour cent des salaires) sur un compte individuel d'épargneretraite (CER).
* Président Fondateur de
l'International Center.for Pension Reform, Ministre du travail du gouvernement chilien ilfut en 1980 l'auteur de la première et la plus célèbre des r~formes des systèmes de retraites dans son pays. Avec son accord cet article est extrait de son plus récent ouvrage traduit en français Le taureau par les Cornes - Comment résoudre la crise des retraites (introduction et traduction par Jacob Arfwerdson, Stockholm Network), avec l'aimable autorisation de l'éditeur: Institut Charles Coquelin, Paris (Philippe Nata/, éd.), Paris Inai 2008
108 La même réforme instaura deux modifications importantes de l'assurance-maladie: 1) l'assurance-invalidité devint ainsi partie intégrante du système des retraites; et 2) elle autorisa les travailleurs à quitter le système public d'assurance-maladie avec leur cotisation obligatoire (7 pour cent du salaire), tant qu'ils sont capables d'acheter une assurance privée minimum dans les entreprises privées proposant une assurance-maladie. 27 ans plus tard, cette réforme a modifié de fond en comble l'économie et la société chiliennes. Six millions de personnes (soit 95 pour cent de la force du travail) sont détenteurs d'un compte épargne-retraite, et 1,5 millions de personnes (soit environ 25 pour cent des travailleurs, en augmentation constante grâce à la hausse des salaires permettant un plus grand accès à l'assurance privée) disposent d'un contrat d'assurance-maladie privé. Ainsi, ils ne dépendent plus de l'Etat pour leur retraite, ni pour leur santé. Les résultats parlent d'eux-mêmes. Les pensions du nouveau système sont déjà de 50 à 100 pour cent supérieures à celles de l'ancien système, qu'il s'agisse des pensions de retraite, d'invalidité ou de dernier vivant. Les capitaux gérés par les fonds de pension s'élèvent à 120 milliards de dollars, soit environ 80 pour cent du PIB (2007). Grâce à l'augmentation du taux d'épargne et l'atuélioration du fonctionnement à la fois du tuarché du travail et des tuarchés financiers, cette réforme s'est avérée être le changement structurel le plus fondamental qui a contribué à augmenter le taux de croissance de l'économie chilienne.
Le fonctionnement du système de capitalisation En vertu du système par capitalisation chilien, le capital accumulé par le travailleur pendant ses années d'activité détermine le niveau de sa future retraite. Ni le travailleur, ni l'employeur ne verse de cotisation retraite à l'Etat. Le travailleur ne reçoit pas de retraite de l'Etat. Pendant sa période d'activité, son employeur verse chaque tuois 10 pour cent du salaire sur le compte épargne-retraite de l'employé. Ce pourcentage s'applique jusqu'à 24,000 dollars de revenus annuels. Chaque travailleur est libre de verser 10 pour cent supplémentaires de son salaire mensuel; ce montant est également déductible de l'impôt sur le revenu. En général, un travailleur devra verser plus de 10 pour cent de son salaire s'il prévoit de prendre une retraite anticipée, ou s'il souhaite obtenir une retraite plus élevée. Chaque travailleur doit choisir une des entreprises privées d'adtuinistration de fonds de retraite (<< Administradoras de Fondos
109
de Pensiones», les AFP) pour gérer son compte épargne-retraite. Le secteur est entièrement ouvert à la concurrence, à la fois pour les sociétés chiliennes et étrangères (ces dernières peuvent être propriétaires à 100 pour cent d'une AFP). Ces sociétés de gestion existent uniquement dans ce but et sont soumises à la réglementation qui vise à garantir un portefeuille diversifié à faible risque. L'Autorité de surveillance des AFP assure le lTIonitoring pour empêcher le vol et la fraude. Chaque AFP gère cinq fonds mutuels en actions et obligations. Les décisions d'investissement sont prises par l'AFP, et la réglementation se limite à un pourcentage maximal pour chaque instrument financier et la diversification du portefeuille. Selon l'esprit de la réforme, ces réglementations doivent être réduites progressivement, à mesure que les AFP accumulent de l'expérience. Il n'existe aucune contrainte au niveau du choix d'instruments financiers. JuridiquelTIent, les AFP et les fonds mutuels qu'elles gèrent sont deux entités distinctes. Ainsi, les actifs du fonds mutuel (et donc les capitaux des épargnants) ne sont pas affectés en cas de faillite de l'AFP. Les travailleurs sont libres de changer d'AFP. Ainsi, la concurrence assure des gains plus élevés, de lTIeil1eurs services et des commissions plus faibles. Chaque travailleur reçoit un relevé de compte chaque trimestre, permettant à l'épargnant de suivre l'évolution de son capital, ainsi que son rendement. Le COlTIpte est nominatif et propriété de l'épargnant; il servira à lui verser sa retraite (avec une disposition de versement au dernier vivant). Bien entendu, les préférences individuelles en matière de retraite diffèrent autant que d'autres. Certains voudraient travailler toute leur vie ; d'autres attendent avec impatience la retraite pour pouvoir enfin se consacrer à leurs véritables vocations ou passetemps favoris. L'ancien système ne permettait pas de satisfaire à de telles préférences, sauf par pression politique pour accorder par exemple la retraite anticipée à un certain électorat. C'était un régime unique qui ne tenait pas compte du bonheur individuel. Par ailleurs, le système par capitalisation permet de traduire les préférences de l'individu en décisions individuelles pour obtenir le résultat désiré. Les succursales de nombreuses AFP mettent à disposition des ordinateurs qui permettent aux épargnants de calculer la valeur de leur retraite, en fonction du solde disponible et l'année de départ à la retraite de chacun. Le travailleur peut aussi indiquer le montant désiré pour sa retraite et ainsi calculer les versements mensuels nécessaires afin de pouvoir partir à la retraite
110
à un moment précis. Muni de la réponse, il peut demander à son complémentaire employeur de prélever le pourcentage correspondant. Ces montants sont évidemment ajustables par rapport au rendelnent du fonds de pension. Ainsi, tout travailleur est susceptible de déternliner, sur mesure, le montant de sa future retraite, ainsi que le moment de départ. Comme nous l'avons vu, les contributions du travailleur sont déductibles des ÏInpôts sur le revenu. Le rendement du compte épargne-retraite n'est pas imposable. Une fois à la retraite, chacun verse l'impôt sur le revenu en fonction de sa tranche. Le système chilien couvre l'ensemble du secteur privé et du secteur public. Seuls en sont exclus les forces de police et les forces armées. Les travailleurs indépendants sont libres d'adhérer au système, ce qui encourage les membres de l'économie informelle à en sortir. La réforme a conservé un filet de sécurité. Tout travailleur ayant cotisé pendant au moins 20 ans, qui atteint l'âge de la retraite mais dont la pension est inférieure à la retraite minimum bénéficie d'une retraite publique en complément de son compte épargne. Il faut souligner que personne n'est défini COlnme «pauvre» a priori, mais uniquement une fois qu'il a épuisé son épargne. Celui qui n'a pas cotisé pendant 20 ans est éligible pour une retraite publique, mais à un niveau beaucoup plus faible. Le systèlne de retraite comprend également une assurancedécès et invalidité. Chaque AFP assure ce service à ses clients en souscrivant une assurance-vie et une couverture d'invalidité auprès d'une compagnie d'assurance-vie privée. Cette couverture est financée par une cotisation supplémentaire d'environ 2,5 pour cent du salaire (comlnission de l'AIT comprise). L'âge légal de la retraite (défini par une loi antérieure et non touché par la création du système de capitalisation), est de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes. Ainsi, ces âges ne sont pas une caractéristique du nouveau système, mais uniquement un paramètre susceptible d'être modifié légalement. Or la notion de retraite dans le système par capitalisation présente une différence par rapport à l'ancien système. D'abord, chacun est libre de continuer à travailler après avoir pris officiellement sa retraite. Dans ce cas, il accède à sa pension et cesse d'alimenter son compte. Ensuite, celui qui dispose d'une épargne suffisante pour toucher une retraite, peut choisir la retraite anticipée (tant que celle-ci est supérieure à la pension minimale, soit 50 pour cent du salaire moyen des 10 dernières années).
111
Ainsi, l'âge de la retraite ne représente pas un alTIénagement rigide du système. A moins d'avoir choisi la retraite anticipée c'est-à-dire qu'il a commencé à toucher une retraite mensuelle chacun doit continuer à cotiser jusqu'à atteindre l'âge légal de retraite. Enfin, tout travailleur doit atteindre l'âge légal afin de pouvoir prétendre à la retraite publique minimale. En revanche, personne n'est obligé d'arrêter son activité, quel que soit son âge, ni de continuer à travailler et à cotiser une fois que les conditions ci-dessus sont remplies. Une fois à la retraite, le travailleur a le choix entre deux solutions de versement. Soit, il utilise son capital pour acheter une annuité à une compagnie privée d'assurance-vie. La pension viagère garantit un revenu mensuel, indexé sur l'inflation, plus les bénéfices destinés aux personnes à charge (le marché financier chilien propose des obligations indexées pour que les fonds puissent investir en conséquence). Soit, le retraité conserve son capital sur le compte pour effectuer des retraits progralTIlllés, selon des limites fondées sur l'espérance de vie du retraité et de ses ayants-droits. En cas de décès, le solde constitue son héritage, nonimposable pour les héritiers. Dans les deux cas, il est libre de retirer une SOmlTIe forfaitaire représentant le solde dépassant le capital nécessaire pour obtenir une annuité ou un retrait progralTIlTIé, équivalant à 70 pour cent de ses derniers salaires. Le système de retraite par capitalisation perlTIet de résoudre le problème classique du système par répartition au niveau démographique: dans une société qui vieillit, le nombre d'actifs par retraité baisse. Avec un système par capitalisation cependant, la population active ne finance pas la population retraitée. Ainsi, on évite les conflits intergénérationnels potentiels et la faillite du système. La capitalisation ignore le problème qui se pose désormais à de nombreux pays, à savoir des engagements non provisionnés en matière de retraites. A la différence des systèmes existant au sein d'entreprises privées qui imposent généralement des pénalités à toute personne quittant la société avant un certain nombre d'années et qui parfois finissent par le priver de son emploi et de sa retraite (cas d'Enron), le système par capitalisation est entièrement indépendant de l'entreprise qui emploie l'épargnant. Etant donné que le compte épargne-retraite appartient au travailleur, et non à l'entreprise, il est tout à fait portable. Et puisque le capital-retraite est investi en titres négociables, le compte connaît une valeur quotidienne et il est par
112 conséquent facile à transférer d'une AFP à une autre. Personne ne saurait ainsi être enfermé dans un emploi donné. La mobilité des elnployés ne pose aucun problème à l'échelle du pays, ni au niveau international. Le système par capitalisation crée un marché flexible qui ne favorise, ni ne pénalise les immigrés. Un tel système est également beaucoup plus efficace et favorise la flexibilité du marché du travail. En effet, notamment les jeunes et les femmes choisissent de plus en plus de travailler à temps partiel ou d'interrompre leur activité. Dans le système par répartition, ce phénomène entraîne des problèmes pour compenser le manque de cotisations. Ce qui n'est pas le cas dans un système par capitalisation qui n'affecte pas le capital accumulé.
La transition Un premier défi consiste à définir le système de retraite par capitalisation. Ensuite, il s'agit de réussir la transition du système par répartition au système par capitalisation. Cette transition doit tenir cOlnpte des caractéristiques de chaque pays, notamment les contraintes budgétaires. Au Chili, nous avons établi trois règles de base: 1 - L'Etat garantit à tous ceux qui touchent une retraite que leurs prestations ne seront pas affectées par la réforme. Cette règle fut Îlnportante, étant donné que le régime public ne bénéficiera plus des cotisations de ceux qui ont opté pour le nouveau système. Ainsi, les caisses publiques ne seront plus en mesure de verser les retraites à partir de leurs propres ressources. Enfin, il serait injuste vis-à-vis des personnes âgées de modifier leurs avantages pour décevoir leurs attentes à ce moment de leur vie. 2 - Tout travailleur était libre soit de rester dans l'ancien système, soit d'opter pour le système par capitalisation. Un « bon de reconnaissance» est déposé sur le compte épargne-retraite de chaque individu ayant choisi de quitter l'ancien système. Ce bon du Trésor est indexé sur l'inflation, avec un taux de 4 pour cent et payable une fois que l'individu atteint l'âge de la retraite. Ces bons sont négociés sur le marché secondaire, ce qui permet de les utiliser pour une retraite anticipée. Ils représentent la valeur des droits déjà acquis au sein du système par répartition. Ainsi, le travailleur qui cotise depuis de nOlnbreuses années n'a pas à repartir de zéro lorsqu'il adhère au nouveau système. 3 - Tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail étaient obligés de cotiser au nouveau système. Cette condition a donc mis une fin définitive au système par répartition, une fois que
113
le dernier cotisant avait atteint l'âge de la retraite. A partir de ce moment et pendant une période limitée, l'Etat ne verse plus que les retraites des cotisants de l'ancien système. Cette règle est importante, car elle garantit qu'un gouvernement ultérieur ne pourra pas réintroduire l'ancien système. Après plusieurs mois de débat national sur les réforlnes, une campagne de communication et un effort d'éducation pour les expliquer à l'opinion publique, la loi sur la réforme des retraites fut ratifiée le 4 novembre 1980. Afin de donner un accès égal au marché des AFP à tous les intéressés, la loi a stipulé un délai de 6 mois avant le début des activités, et une interdiction de publicité. L'industrie des AFP est unique dans ce sens qu'elle eut une date de conception précise (le 4 novembre 1980) et une date de naissance (le 1er mai 1981). Ainsi, nous avons transformé la Fête du Travail en un jour de célébration, non pas de la lutte des classes, mais de la liberté de choisir les modalités de retraite. En même temps, l'ensemble des salaires bruts furent redéfinis pour inclure la plupart des cotisations de l'ancien systèlne de retraite. (La part patronale des cotisations fut transformée en une taxe provisoire du travail pour aider au financelnent de la transition. Une fois qu'elle a été progressivement éliminée, le coût à l'embauche pour l'employeur a diminué.) De même, nous avons mis fin au mythe - entretenu par des législateurs à travers le monde - selon lequel l'employeur et l'employé cotisent ensemble pour financer les retraites. COlnme le savent les économistes, l'ensemble des contributions provient en définitive de la productivité marginale du travailleur. L'employeur tient compte du coût global du travail - qu'il s'agisse de salaires ou de cotisations - lorsqu'il décide d'embaucher. Ainsi, en renommant les cotisations de l'employeur, la réforme a mis en évidence que toutes les cotisations sont in fine payées par le travailleur. Enfin, le niveau des salaires est évidemment déterminé par les mécanismes de marché. Le financement de la transition est une question technique très complexe que chaque pays doit résoudre en fonction de sa situation. En 1980, la dette cachée du système des retraites au Chili était estimée à environ 80 pour cent du PIB. Une étude de la Banque mondiale (1994) établit que «le Chili démontre qu'un pays avec un système bancaire relativement concurrentiel, un marché obligataire qui fonctionne bien et un niveau acceptable de stabilité macro-économique est susceptible de financer des déficits
114
considérables de transition, sans grandes répercussions sur les taux d'intérêt». Nous avons eu recours à cinq méthodes pour financer les coûts fiscaux à court terme qu'entraîne la transition à la capitalisation: 1 - Dans la cOlnptabilité nationale, les dettes publiques en termes de retraites furent compensées jusqu'à un certain niveau par la vente d'entreprises publiques et d'autres actifs. La privatisation n'était pas le seul moyen de financer la transition, mais elle avait de nombreux atouts complémentaires, tels qu'une efficacité économique accrue, la diffusion de la propriété privée et la dépolitisation de l'économie. 2 - Etant donné que le taux d'épargne nécessaire dans un système par capitalisation est inférieur aux cotisations en vigueur avant la transition, une petite partie de la différence fut utilisée comme une taxe temporaire, ce qui a réduit le coût d'embauche et stimulé l'emploi. 3- En utilisant la dette, le coût de la transition peut être partagé par les générations futures. Au Chili, environ 40 pour cent des coûts furent financés par l'émission d'obligations d'Etat au taux du lnarché. Pour la plupart, ce sont les AFP qui ont intégré ces obligations dans leurs portefeuilles d'investissement. Cette dette qui «fait le pont» sera intégralement remboursée une fois que les bénéficiaires de l'ancien système ne seront plus parmi nous. 4 - Le besoin de financer la transition fournit une forte incitation à la chasse aux gaspillages publics. Avant la réforme, le gouvernement a délibérément créé un excédent budgétaire, et pendant des années, le ministre du Budget a pu recourir au besoin de financer la transition comme argument face à ceux qui réclamaient une hausse des dépenses publiques. 5 - La croissance économique accrue, alimentée par le système de retraite par capitalisation, a engendré une hausse considérable des recettes fiscales, notamment en provenance de la TVA.
Les résultats Depuis son entrée en vigueur le 1er mai 1981, le rendement réel annuel du système fut de 10,3 pour cent (pendant 26 ans). Bien évidemment, ce rendelnent fait état de fluctuations qui sont intrinsèques au marché allant de -3 pour cent à plus de 30 pour cent en termes réels - mais le plus important est le rendement moyen au
115 cours d'une vie de travail (40-45 ans) ou la vie active plus la retraite (55-60 ans). Les prestations de retraite ont été considérablement plus élevées sous le nouveau système (avec un taux d'épargne obligatoire de 10 pour cent seulement) que sous l'ancien système public qui exigeait des cotisations salariales largement supérieures. Selon une étude, le retraité moyen bénéficiait, après 15 années de fonctionnement du système, d'une retraite annuelle équivalant à 78 pour cent de son revenu annuel médian des 10 dernières années de sa vie active. Lors du départ à la retraite, le travailleur est libre de retirer son «épargne excédentaire» (au-dessus du seuil de 70 pour cent du salaire). Si ce capital était inclus dans le calcul de la retraite, la valeur totale serait proche de 84 pour cent du revenu salarial. Les bénéficiaires de la pension d'invalidité reçoivent également, en moyenne, 70 pour cent de leur revenu. Les fonds de pension et les compagnies d'assurances associées ont d'ores et déjà accumulé un capital équivalant à 80 % pour cent du PIB, et certains experts prévoient que ce pourcentage atteindra 100 pour cent du PIB une fois que le système sera arrivé à maturité. Ce capital investi à long terme a non seulelnent contribué à consolider la croissance économique, mais aussi à stimuler le développement des marchés financiers et des institutions efficaces. La décision de créer d'abord un nouveau système de retraite, et ensuite de privatiser les grandes entreprises publiques, a créé un cercle vertueux. Cela a permis aux travailleurs de bénéficier de la hausse vertigineuse de productivité des entreprises privatisées, grâce aux cours de la bourse qui ont enrichi les comptes épargneretraite, et de capturer une large part de la richesse engendrée par les privatisations. Un des résultats clé du nouveau système aura été la hausse de productivité du capital et par conséquent du taux de croissance de l'économie chilienne. Les capitaux importants gérés par les AFP ont encouragé la création de nouveaux instruments financiers, tout en optimisant les supports existants. La réforme des retraites a également contribué au bon fonctionnement et à la transparence des marchés financiers par la création d'une industrie nationale d'évaluation des risques financiers, et l'amélioration du gouvernement d'entreprise (les AFP nomment des administrateurs indépendants dans les entreprises dont elles sont actionnaires, ce qui permet d'éviter toute complaisance lors des conseils d'administration).
116
Le nouveau système de retraite a contribué de manière significative à réduire la pauvreté en améliorant le montant et la sécurité des pensions de retraite, de décès et d'invalidité ; indirectement, par l'impact puissant sur la croissance économique et l'emploi; et en éliminant l'injustice de l'ancien système. Selon la vision traditionnelle, le systèlne par répartition redistribue les revenus des riches vers les pauvres. Or, compte tenu des conditions de vie des travailleurs et du fonctionnement du système politique, le régime de retraite par répartition le plus souvent redistribue les revenus aux catégories les plus puissantes, qui ne représentent pas les personnes les plus vulnérables, ni les pauvres. Ainsi, le dossier des retraites n'est plus une préoccupation de la vie politique, ce qui signifie une dépolitisation d'un grand secteur économique, et que les individus contrôlent davantage leur propre existence. Il n'est pas étonnant que le système par capitalisation ait survécu à trois gouvernements de centre-gauche au cours des 17 dernières années, tant il fait désorlnais partie intégrante de la vie politique du pays. Non seulement sa conception structurelle est intacte mais des ajustements techniques ont aussi permis d'améliorer son fonctionnement, notamment en autorisant davantage de concurrence dans la gestion de l'épargne-retraite volontaire, et par l'augmentation du choix de fonds de 1 à 5. Lorsque le système fut introduit en mai 1981, un quart des travailleurs éligibles y ont adhéré dès le premier mois de son existence. Aujourd'hui, 95 pour cent des travailleurs couverts ont opté pour le nouveau système. A chaque fois qu'ils ont eu le choix, les travailleurs chiliens ont voté avec leur portefeuille pour le régime de retraite fondé sur le marché. Pour les Chiliens, leurs comptes épargne-retraite représentent désormais des droits de propriété réels et tangibles: en effet, ils constituent la première source de sécurité en matière de retraite. Le patrimoine principal du travailleur chilien typique n'est pas sa voiture, ni même sa petite maison (probablement toujours à rembourser), mais son capital-retraite. Le nouveau système permet aux Chiliens de participer directement à l'économie du pays. Le travailleur chilien typique s'intéresse à l'évolution des cours de la bourse et des taux d'intérêt. Il sait qu'une mauvaise politique économique est susceptible d'affecter sa future retraite. Lorsque les travailleurs savent qu'ils sont eux-lnêmes propriétaires d'une partie du patrÎlnoine du pays, et non à travers des hommes politiques ou
117
d'un Politburo, ils sont d'autant plus attachés à l'économie de marché et à une société libre. La Inajorité écrasante des travailleurs chiliens qui ont choisi d'adhérer au nouveau système ont décidé d'abandonner le système étatique, même contre l'avis des dirigeants syndicaux et la majorité des hommes politiques. J'ai toujours pensé que les travailleurs sont très attachés et avertis lorsqu'il s'agit de ce qui touche à leur quotidien, tel que la retraite, l'éducation et la santé. Ils prennent leurs décisions pour assurer le bien-être de leurs familles, et non en fonction d'allégeances politiques ou d'idéologies collectivistes. La leçon ultime de l'expérience chilienne est que seules aboutissent les révolutions qui font confiance aux hommes et aux exploits dont ils sont capables, à condition de les laisser libres d'agir.
118
LE RÉGIME DE SÉCURITE SOCIALE AMÉRICAIN Michael TANNER *60 Le régime de sécurité sociale américain a été créé en 1935 par le président Franklin Roosevelt avec la promulgation de la Loi sur la Sécurité sociale (Social Security Act). Le programme avait été institué au départ pour subvenir uniquement aux prestations de retraite; cependant, les prestations aux survivants et les prestations d'invalidité devaient y être ajoutées. Les premières prestations de retraite ont été versées en 1940 dans le cadre d'un programme à financement par répartition (PAYGO). Sous ce régime par répartition, les cotisations sociales des travailleurs d'aujourd'hui sont immédiatement reversées aux retraités d' aujourd 'hui. Les cotisations sociales ne sont pas épargnées pour couvrir la retraite des générations d' aujourd 'hui dans le futur, comme ce serait le cas dans un régime par capitalisation intégrale; au contraire, la génération actuelle doit simplement espérer qu'au moment de son départ à la retraite, la prochaine génération de travailleurs payera les cotisations sociales pour couvrir leur prestation de retraite, et ainsi de suite. Les cotisations sociales pour financer le régime de sécurité sociale ont augmenté de manière constante depuis la création du programme. Au départ, les cotisations sociales s'élevaient à 2 % sur la première tranche de 3 000 $ de revenus, soit un maximum de 60 $ par an. En 1960, les cotisations sociales étaient passées à 6 0/0. Aujourd'hui, elles s'élèvent à 12,4 % et s'appliquent à un montant annuel maximal de 102 500 $ de revenus. Cela revient à plus de 12 000 $ en seules cotisations sociales pour un travailleur percevant plus de 102 500 $. La moitié de cette somme est prélevée directement sur les salaires des travailleurs et l'autre moitié est versée par l'employeur. Cependant, dans la réalité, la plupart des économistes conviennent que les cotisations sociales employeurs sont supportées en dernier ressort par les travailleurs, sous la forme de salaires plus faibles ou de prestations réduites. Aujourd'hui, le régime de sécurité sociale américain fait face à de graves problèmes financiers. A partir de 2017, le programme
* Senior Fellow, Cato Institue, Washington D.C. 60. Ce texte est traduit de l'anglais, sa version originale est sur le site www.irefeurope.org
119
sera déficitaire car il versera plus de prestations sociales qu'il ne recevra de cotisations. En définitive, la sécurité sociale doit environ 15,3 milliards de dollars sous forme de prestations qu'elle ne peut payer. Une réforme de la sécurité sociale est donc nécessaire, mais toutes les réformes ne se valent pas. L'augmentation des cotisations sociales ou la réduction des prestations ont leurs propres coûts économiques, et une mauvaise réforme est encore pire pour la génération des plus jeunes travailleurs d'aujourd'hui. De l'autre côté, en autorisant les plus jeunes travailleurs à investir à titre privé leurs cotisations sociales dans des comptes de retraite personnels, nouspouvons: - aider à rétablir la solvabilité de long terme de la sécurité sociale sans pour autant procéder à une hausse conséquente des cotisations sociales ; - offrir aux travailleurs de meilleures prestations que celles que la sécurité sociale serait capable de leur offrir autrement; - créer un système plus équitable pour les femmes, les minorités, et les jeunes; - augmenter l'épargne nationale et la croissance économique; - permettre aux travailleurs à faible revenu d'accumuler des richesses réelles et transmissibles pour la première fois de leur vie; et - conférer aux travailleurs la propriété et le contrôle sur leurs fonds de retraite.
La crise financière du régime de sécurité sociale américain La sécurité sociale telle que nous la connaissons fait face à des pressions démographiques et des contraintes fiscales inéluctables qui menacent les prestations de retraite futures de la génération des jeunes travailleurs d' aujourd 'hui. Bien que la sécurité sociale soit actuellement excédentaire, cet excédent, selon son propre conseil d'administration, se transformera en déficit dans les 9 ans. En d'autres termes, vers 2017, le montant des prestations que la sécurité sociale versera aux retraités sera supérieur aux cotisations sociales qu'elle recevra. En théorie, la sécurité sociale devrait continuer à verser les prestations de retraite après 2017 en puisant dans le Fonds en fiducie de la Sécurité sociale. Le Fonds en fiducie de la Sécurité sociale a été créé en 1939 afin d'absorber les excédents de cotisations sociales qui ne sont pas reversés immédiatement sous
120
forme de prestations de retraite; l'argent devait alors être disponible pour une affectation future. En théorie, le fonds en fiducie est censé couvrir la totalité des prestations jusqu'en 2040, date à laquelle il sera épuisé. A ce Inoment, les prestations de retraite devront être réduites de 27 % par décret. Dans la réalité cependant, le Fonds en fiducie de la Sécurité sociale n'est pas un capital qui peut être utilisé pour alimenter de futures prestations de retraite. Tous les excédents de cotisations de sécurité sociale accumulés jusqu'à aujourd'hui ont été affectés à d'autres programmes, de sorte que le fonds en fiducie est aujourd'hui constitué seulement de bons du Trésor qui devront éventuellement être remboursés par les contribuables. Comme le budget de l'administration Clinton de l'année fiscale 2000 l'expliquait: Ces excédents [du fonds en fiducieJ sont disponibles pour financer les prestations de retraite dans le futur et les coûts d'administration dufonds, mais seulement dans un sens comptable. Ce ne sont pas des acttfs économiques réels qui peuvent être utilisés dans le fittur pour financer les prestations de retraite. Au contraire, ce sont des créances sur le Trésor qui, quand elles seront relnboursées, auront à être financées par une augmentation des impôts, des emprunts publics, ou la réduction des prestations ou d'autres dépenses. L'existence de larges excédents du fonds en fiducie n'a en elle-même aucune incidence sur la capacité du gouvernement à subvenir aux prestations. Mêlne si le Congrès trouve un moyen de rembourser les bons du Trésor, l'excédent du fonds en fiducie sera complètement épuisé en 2040. A cette date, la sécurité sociale devra tabler uniquement sur les cotisations sociales, mais ces dernières ne suffiront pas pour honorer la totalité de ses engagements au titre des prestations de retraite. Il est évident que sous sa forme actuelle, la sécurité sociale n'est pas pérenne. Et, il existe en réalité peu de solutions alternatives pour surmonter le problème. Cette opinion n'est pas uniquement celle des partisans des comptes épargne retraite individuels. Par exemple, l'ancien président Bill Clinton disait que les seules manières de garantir la pérennité du régime de sécurité sociale étaient a) d'augmenter les cotisations sociales, b) de réduire les prestations, ou c) d'obtenir des rendements plus élevés à travers des investissements de capitaux privés. Henry Aaron de la Brookings Institution est du même avis. Il a ainsi affirmé devant le Congrès en 1999 : «Des financements accrus pour augmenter les
121
réserves de retraite sont possibles seulement avec une combinaison quelconque de cotisations sociales plus élevées, de prestations réduites, ou de taux de rendement plus élevés provenant d'investissement dans des actifs plus rentables. »
Un taux de rendement en baisse On peut certes augmenter les charges sociales et réduire les prestations afin de garantir la solvabilité du système. C'est ce que le Congrès a toujours fait dans le passé. Mais cette fois-ci, les augmentations des charges sociales et les réductions de prestations devront être conséquentes. En outre, les contributions de sécurité sociale sont déjà si élevées, notamment par rapport aux prestations, que la sécurité sociale est tout simplement devenue une mauvaise opération pour les travailleurs plus jeunes, son rendement demeurant inférieur au taux de marché. En fait, les travailleurs d'aujourd'hui peuvent espérer partir en retraite avec un taux de rendement estimé à moins de 2 %. Ce maigre rendement signifie que les prestations de retraite de nombreux jeunes travailleurs dans le futur seront largement inférieures à ce qu'elles seraient s'ils avaient pu investir ces fonds à titre privé. En effet, un système de compte épargne retraite individuel basé sur des investissements en capital privé procurerait des rendements beaucoup plus élevés à la plupart des travailleurs; une estimation conservatrice évoque un taux de 4,6 0/0. Ces rendements plus élevés se traduiraient en des prestations de retraite supérieures, et donc, une retraite plus sécurisante pour des millions de seniors.
L'épargne et la croissance économique La sécurité sociale fonctionne suivant un principe de répartition; la quasi-totalité des fonds cotisés par les travailleurs et les employeurs sont immédiatement versés aux bénéficiaires actuels. Ce système supplante des options privées, par capitalisation intégrale, sous lesquelles les fonds qui sont placés aujourd'hui seront épargnés et investis pour les retraites futures des travailleurs d' aujourd 'hui. Le résultat est une perte nette conséquente de l'épargne nationale, ce qui réduit l'investissement en capital, les salaires, le revenu national et la croissance économique. De plus, en renchérissant l'emploi pour les entreprises, les cotisations sociales réduisent considérablement les salaires, l'emploi, aussi bien que la croissance économique.
122 Opter pour un système privé avec des centaines de milliards de dollars investis dans des comptes individuels chaque année serait susceptible d'engendrer une hausse nette conséquente de l'épargne nationale suivant la manière dont le gouvernement fédéral finance la transition. Ceci augmenterait l'investissement national, la productivité, les salaires, l'emploi, et la croissance économique. Le remplacement des cotisations sociales par des cotisations de retraite privées améliorerait aussi la croissance économique car les contributions nécessaires seraient moindres et seraient considérées comme partie intégrante de la compensation directe perçue par un travailleur, stimulant davantage l'emploi et la production.
Aider les pauvres et les minorités Les travailleurs à faible revenu seraient parmi les plus grands gagnants sous un système de comptes d'investissement individuel privés. L'investissement fournirait aux travailleurs à faible revenu des prestations considérablement supérieures à celles que pourrait payer la sécurité sociale. Et ceci ne prend pas en considération le fait que les noirs, les autres minorités, et les pauvres ont des espérances de vie en dessous de la moyenne. Par conséquent, ils ont tendance à jouir d'une retraite plus courte et perçoivent moins de prestations sociales que les blancs. Sous un système de comptes individuels, par contraste, ils conserveraient chacun le contrôle sur les fonds cotisés et pourraient s'attribuer des prestations plus élevées durant leurs années de retraite plus courtes, ou léguer davantage à leurs enfants ou leurs héritiers. Les rendements et les prestations plus élevés que procurent un système privé d'investissements revêtent davantage d'importance pour les familles à faible revenu car ce sont elles qui ont le plus besoin de revenus supplémentaires. Les fonds épargnés dans les comptes de retraite individuels - qui pourraient être légués aux enfants de familles pauvres - aideraient aussi grandement ces familles à briser le cercle de pauvreté. Les prestations de sécurité sociale ne sont pas transmissibles actuellement; donc, si un bénéficiaire décède avant de recevoir des prestations, ou avant de recevoir l'équivalent en prestations de ses contributions au système, les fonds sont tout simplement reversés au gouvernement fédéral. De la même manière, la hausse de la croissance économique, les salaires plus élevés, et la hausse des emplois qu'engendrerait un système de sécurité sociale basé sur des investissements privés revêtiraient la plus grande importance pour
123
les pauvres. De plus, sans réforme de la sécurité sociale, les travailleurs à faible revenu sont ceux qui seront les plus lésés par la hausse des charges sociales ou la réduction des prestations qui seront nécessaires si nous maintenons le cours actuel des choses. Eviter une crise financière et ses effets inéluctables serait par conséquent plus important pour les travailleurs à faible revenu. En outre, avec l'accumulation d'importantes sommes d'argent par les travailleurs à revenu faible et moyen sur leur compte épargne retraite, la richesse serait plus largement redistribuée à travers la société qu'elle ne l'est aujourd'hui. Cette redistribution s'opérerait non pas à travers la répartition de la richesse existante, mais à travers la création de nouvelles richesses qui seraient détenues de manière plus équitable. Parce qu'il transformerait chaque travailleur en détenteur d'actions, un système de comptes individuels estomperait la vieille ligne de partage entre travail et capital. Chaque travailleur deviendrait un capitaliste. La propriété et le contrôle Par-delà toutes ces raisons économiques, la raison la plus importante pour transformer la sécurité sociale en un système de comptes individuels est que cela conférerait aux travailleurs américains une propriété et un contrôle réels sur leurs prestations de retraite. Beaucoup de citoyens américains pensent que la Sécurité sociale est un « droit acquis ». En d'autres termes, ils pensent qu'ils ont droit à des prestations sociales parce qu'ils ont versé des cotisations sociales. Le gouvernement renforce cette croyance en présentant les cotisations sociales comme des «contributions », à l'image de la Federal Insurance Contributions Act (FICA). Cependant, la Cour suprême des Etats-Unis a jugé dans l'affaire Flemming vs. Nestor que les travailleurs n'ont aucun droit contractuel ou de propriété ayant force obligatoire sur leurs prestations sociales, et ces prestations peuvent être modifiées, réduites, ou même supprimées à tout moment. Comme l'a affirmé la Cour, « [greffer] sur la sécurité sociale un concept de "droits de propriété constitués" la priverait de sa flexibilité et de sa vigueur nécessaires pour s'ajuster aux conditions toujours changeantes.» Cette décision est dans la lignée d'une affaire précédente, l'affaire Helvering vs. Davis, dans laquelle la Cour avait jugé que la sécurité sociale n'est pas un régime d'assurance contributif en affirmant que « les cotisations sociales
124
des employeurs et des employés sont versées au Trésor comme tout autre impôt en général, et elles ne sont pas destinées à une quelconque affectation précise. » En effet, la sécurité sociale transforme les Américains plus âgés en quémandeurs, tributaires des processus politiques pour leur prestation de retraite. S'ils travaillent dur, s'ils jouent selon les règles, et cotisent toute leur vie au régime de sécurité sociale, ils acquièrent le privilège d'aller voir l'Etat obséquieusement en espérant que les politiciens leur donnent un peu d'argent pour leur retraite. Par contraste, sous un système de comptes individuels, les travailleurs disposeraient de droits de propriété entiers sur leurs comptes privés. Ils seraient propriétaires de leurs comptes et de l'argent qui s'y trouve de la même manière qu'ils possèdent leurs comptes de retraite individuels ou les plans 401 (k), sur lesquels ils placent leur propre argent indépendamment de leurs cotisations au régime de sécurité sociale. Leur prestation de retraite ne serait plus tributaire du bon vouloir des politiciens.
Des règles simples de réforme Les problèmes rencontrés par la sécurité sociale ont donné lieu à un vaste ensemble de propositions de réforme, y cOlnpris des propositions pour perlnettre aux plus jeunes travailleurs d'investir à titre privé une partie ou la totalité de leur cotisations de sécurité sociale dans des comptes individuels. Il est regrettable, cependant, que nombre de ces propositions se révèlent insuffisantes pour surmonter réellement les problèmes auxquels fait face la sécurité sociale. De nombreuses propositions incluent des petits comptes individuels tout en laissant la plus grande partie des prestations de retraite des travailleurs sous le contrôle du gouvernement fédéral. D'autres plans promettent trop en prétendant que chaque retraité deviendra millionnaire sans que les contribuables aient à encourir un coût ou encore sans que des décisions politiques difficiles soient prises. En élaborant son plan de réforme de la sécurité sociale, le Congrès devrait veiller au respect de quelques règles simples:
La solvabilité ne suffit pas L'objectif de toute réforme de la sécurité sociale devrait être de fournir aux travailleurs la meilleure option de retraite possible, et pas seulement de trouver des moyens de garantir la pérennité du système. Après tout, si la solvabilité était l'unique objectif
125
recherché, ceci pourrait être accompli à travers des augmentations de cotisations sociales ou des réductions de prestation, et tant pis si c'est une mauvaise opération pour les travailleurs les plus jeunes. Une réforme réussie de la sécurité sociale va certainement garantir la solvabilité du système, non seulement à court terme, mais aussi dans le long terme. Mais il devrait aussi améliorer le taux de rendement de la sécurité sociale, offrir de meilleures prestations de retraite, traiter les femlnes, les minorités et les travailleurs à faible revenu de manière plus équitable, et conférer aux travailleurs la propriété et le contrôle réels sur leurs fonds de retraite.
La taille compte On ne guérit pas un cancer à moitié. Nombre de propositions de réforme de la sécurité sociale suggèrent d'autoriser les travailleurs d'investir à titre privé seulement une petite partie de leurs contributions sociales et de continuer à se fier au régime de retraite par répartition existant pour la plus grande partie de leur prestation retraite. Mais ces propositions concernant de petits comptes individuels ne vont pas permettre aux travailleurs à revenu faible ou moyen d'accumuler de la richesse réelle ou d'atteindre d'autres objectifs de la réforme. Les comptes individuels devraient être aussi conséquents que possibles; dans l'idéal, les travailleurs devraient investir au moins la moitié de leurs cotisations sociales actuelles.
Il n'y a pas de repas gratuit Les comptes individuels vont créer un reglme de retraite meilleur, plus équitable, et plus sécurisant. Mais ils ne peuvent faire des miracles. Ils vont assurer de meilleures prestations de retraite que celles que pourrait garantir la sécurité sociale. Mais, ils ne peuvent transformer tout un chacun en millionnaire. Ils vont contribuer à la résolution de la crise financière de la Sécurité sociale et à économiser des trillions de dollars dans le long terme. Mais, il n'y a pas de repas gratuit. Il y a des coûts à court terme qui vont nécessiter des décisions courageuses de la part du Président et du Congrès. Certaines personnes proclament que les déficits budgétaires actuels rendent impossible la réforme de la Sécurité sociale, et notamment le recours aux comptes individuels. Ils mettent en avant le « coût de transition» du passage aux comptes individuels. Etant donné que les cotisations sociales des travailleurs d' aujourd 'hui sont affectées aux prestations des bénéficiaires d'aujourd'hui, si les
126
travailleurs plus jeunes investissent ces cotisations sociales, il faudra rechercher des revenus de substitution pour couvrir les retraites actuelles. Mais étant donné le passif non financé de la sécurité sociale, la transition n'entraîne pas réellement un coût nouveau. Elle ne fait que rendre explicite une dette déjà implicite. Certes, cela reviendrait à rembourser cette dette maintenant plutôt que plus tard. Il est donc vrai que la réforme de la sécurité sociale va accroître les déficits budgétaires à court terme, mais il fera économiser plusieurs milliards de dollars à long terme. Cela ressemble beaucoup à un refinancement hypothécaire. La personne qui a recours à un tel refinancement doit certes payer les points d'avance, mais il économise de l'argent dans le long terme. Tout en ne minimisant pas les difficultés liées au financement de la transition, il est aussi important de se rappeler que le financement de la transition a lieu en une fois et sert en réalité à réduire les dettes futures du gouvernement fédéral. La transition décale le besoin public de revenus additionnels dans le futur, mais - en fonction du mode de transition choisi en dernier ressort - il n'accroîtra pas le montant des dépenses requises. En effet, on a affaire à un choix entre « payer un peu maintenant ou payer beaucoup plus tard ».
Conclusion La sécurité sociale n'est pas viable sans réforme. Dans des termes simples, elle ne peut honorer les prestations futures avec les niveaux actuels de cotisations sociales. Néanmoins, une augmentation des cotisations sociales ou une réduction des prestations contribuerait seulement à rendre la situation pire. Parallèlement, les travailleurs ne sont pas propriétaires de leurs prestations et les prestations de retraite ne sont pas transmissibles. Ceci soulève des problèmes pour les travailleurs à faible revenu et les minorités qui manquent souvent d'actifs pouvant être transmis. Encore plus important sans doute, sous sa forme actuelle, le système de sécurité sociale ne donne pas aux travailleurs le choix ou le contrôle sur leur avenir financier.
127
LA RÉFORME DU SYSTEME DES RETRAITES EN ITALIE: UN QUASI-SUCCÈS MENACE DE GACHIS61 Flavia CODA MOSCAROLA* et Elsa FORNERO**
1. Introduction Le système des retraites italien a subi des réformes majeures durant les années 90 et les premières années de ce siècle, passant d'une conception plus généreuse mais moins pérenne à une conception plus pérenne mais beaucoup moins généreuse. Les réformes ont amorcé un processus qui va graduellement durcir les conditions ouvrant droit à la retraite et progressivement resserrer le lien entre cotisations sociales et pensions de retraite, en intégrant l'espérance de vie dans une formule de neutralité actuarielle. Au niveau technique, ce processus se caractérise par le passage d'un système à prestations définies à un système à cotisations notionnelles définies, tout en retenant le financement par répartition (d'où l'expression cotisations notionnelles définies (national defined contribution, NDC)). La réforme a trois objectifs majeurs: réduire les déséquilibres financiers du système qui devaient s'aggraver dans le futur avec le vieillissement de la population; réduire la taille de la redistribution intergénérationnelle qui était significative et illogique, c'est-à-dire qu'elle opérait des pauvres vers les riches au lieu d'opérer des riches vers les pauvres ; et enfin, éliminer les distorsions sur le marché du travail créées par les règles antérieures (comme, par exemple, la pénalité implicite sur la continuité d'activité retenue dans la formule de calcul des retraites à prestations définies). La réforme introduit des changements radicaux, mais sa mise en œuvre est extrêmement lente: le nouveau régime à NDC sera intégralement instauré seulement après 2030 pour les nouveaux retraités et après 2050 pour l'ensemble des retraités. Parallèlement, les inquiétudes concernant l'adéquation du système des retraites ont motivé l'introduction et le développement de pensions supplémentaires (à la fois collectives et individuelles), 61. Ce texte est traduit de l'anglais. Sa version originale est sur le site www.irefeurope.org * CeRP (Center for Research on Pensions and Welfare Policies) - Collegio Carlo Alberto, Moncalieri, Turin. E-mail:
[email protected] ** Université de Turin et CeRP. E-mail:
[email protected]
128 de plans de retraite privés, et d'un minimum vieillesse pour les personnes âgées démunies. Dans ce qui suit, nous examinons brièvement le processus de réforme (section 2) et nous procéderons ensuite à une évaluation de ce qui a été accompli et de ce qui, au contraire, est menacé (section 3).
2. Le processus de réforme 62 Le système « traditionnel» (c'est-à-dire, avant la réfonne de 1992) était caractérisé par une formule de calcul de retraite à prestations définies (defined benefit, DB). Les prestations étaient calculées sur la base d'un «revenu pensionnable» généreux comptabilisé comme la moyenne des traitements lors des cinq dernières années de travail multipliée par le nombre d'années de travail et par un taux annuel d'accumulation suivant la formule : 5
PDB =N*y* ~Wa_i+l/5 i=I (DB) où a est l'âge de l'individu lors de sa dernière année de travail, w ses salaires annuels bruts indexés sur l'inflation, y le taux annuel d'accumulation, et N le nombre d'années au cours desquelles l'individu a été actif sur le marché du travail. Après ce premier calcul, les prestations étaient indexées sur la croissance du salaire nominal. Cette formule conduisait à des écarts importants entre les travailleurs. Pour les employés du secteur public, les revenus ouvrant droit à la retraite coïncidaient avec le dernier salaire (Wa), alors que pour les travailleurs indépendants, la moyenne était calculée sur le base de leurs dix dernières années de revenu imposable. Un des aspects redistributifs du système était symbolisé par la non linéarité du taux annuel d'accumulation, y, qui valait 2 % jusqu'à un certain seuil, et diminuait ensuite graduellement pour les revenus excédant ce plafond. De plus, une prestation minimum sous conditions de ressources était garantie à tous les travailleurs dont la prestation était en dessous d'un certain niveau. D'autres composantes redistributives incluaient des taux de cotisations sociales différents selon les régimes, de généreuses pensions du conjoint survivant ainsi que le calcul de cotisations
62. Cette section s'inspire de Borella et Coda Moscarola (2006) et de Coda Moscarola (2007).
129 notionnelles pour les travailleurs qui s'étaient retrouvés temporairement en dehors du marché du travail. En particulier, la prestation octroyée ne dépendait pas du taux de cotisations sociales, une caractéristique qui favorisait surtout les travai lleurs indépendants dont les taux de cotisations sociales sont généralement faibles. D'autres écarts significatifs découlaient des fameuses «pensions d'ancienneté». En particulier, alors que les employés du secteur privé et les travailleurs indépendants pouvaient prétendre à une pension «d'ancienneté» après 35 années de cotisation au régime, les employés du secteur public pouvaient partir à la retraite après 20 années de travail (15 années pour les femmes mariées). Dans tous les cas, les prestations étaient calculées suivant le même procédé que les pensions de vieillesse, sans aucun ajustement actuariel pour l'âge de départ à la retraite. La réforme de 1992 (nommée « réforlne Annato ») a modifié le système à DB en fixant de nouveaux critères d'éligibilité - plus stricts - et en augmentant graduellement le nombre d'années sur lesquelles les revenus ouvrant droit à la retraite doivent être comptabilisés. La réforme de 1992 a aussi modifié le mécanisme d'indexation en le faisant passer des salaires aux prix avec effet iInmédiat, et donc applicable aux prestations en cours. Après la transition, les revenus ouvrant droit à la retraite auraient dû être comptabilisés pour tous les régimes sur l' ensemb le du parcours professionnel des travailleurs. Cependant, cette réforme n'a jamais vu le jour étant donné qu'une nouvelle réforme approuvée en 1995 (la « réforme Dini ») a reprogrammé une nouvelle transition, vers la formule à cotisations notionnelles définies. Trois réformes supplémentaires (en 1997, 2004 et 2008) ont modifié les critères d'éligibilité fixés par la loi de 1995 tout en préservant le système à NDC. Dans un souci de clarté d'exposition, nous allons d'abord présenter le système à NDC tel qu'il a été conçu en 1995 et nous décrirons ensuite les modifications qu'il a subies ultérieurement.
2.1. Le système NDC Quand le système à NDC sera intégralement instauré, les prestations seront calculées sur la base des cotisations versées
130
durant l'ensemble de la carrière, capitalisées « notionnellement »63 au taux de croissance nominal du PIB et converties en des annuités actuariellelnent neutres. Durant la période de transition qui concerne les travailleurs déjà actifs sur le marché du travail en 1995, les prestations de retraite seront calculées au prorata. Les pensions de retraite sont ainsi calculées avec une formule différente selon que le travailleur est entré sur le marché du travail comIne suit: 1) pour les travailleurs qui comptaient au moins 18 années de service à la fin de l'année 1995 (et tombant donc sous un régime que nous nommons prestations définies modifiées (modified dejined benejit, MDB)), la retraite est calculée intégralement suivant la formule à DB, mais les revenus ouvrant droit à la retraite après 1992 sont comptabilisés en faisant une moyenne sur une plus longue période, suivant le système à MDB institué par la réforme de 1992 ; 2) pour les travailleurs qui sont entrés sur le marché du travail après 1995 mais qui comptaient moins de 18 années de service à cette date, les prestations (prorata, PR) seront calculées au prorata. La première partie de la prestation concerne les années de cotisation avant 1995 et est calculée de la même manière que pour le groupe MDB. La seconde partie concerne les années de service effectuées après 1995 et elle est calculée suivant la formule à NDC. Les critères d'éligibilité sont les mêmes que ceux du groupe MDB. 3) pour les travailleurs qui sont entrés sur le marché du travail depuis le début de l'année 1996, les prestations seront entièrement calculées suivant la formule NDC. La prestation NDC est calculée comme suit :
(NDC) où Ci est le montant de la cotisation versée par le travailleur à l'âge i, g est le taux de croissance du PIB nominal, a est un taux d'annuité selon l'âge, g est l'âge auquel le travailleur est entré sur le marché du travail, et est l'âge de l'individu lors de sa dernière année d'activité.
a
63. Ce terme indique que la capitalisation ne s'opère pas sur les marchés financiers, étant donné que le systèlne continuera à être financé par un Inécanisme de répartition.
131
Les taux d'annuité 8 ont été fixés par la loi de 1995 comme la réciproque de la valeur actuelle d'une unité de prestation pour les différents âges auxquels il est possible de partir à la retraite, c'est-à-dire, de 57 ans à 65 ans. Les prestations seront alors ajustées annuellement seulement aux prix, avec une indexation partielle pour les hauts revenus. D'après la réforme de 1995, les pensions d'ancienneté étaient censées ne plus exister sous le régime à NDC (un aspect qui a été modifié par la réforme de 2004), mais elles ont survécu en étant soumises à des conditions d'éligibilité plus strictes durant la période de transition. Sous la loi de 1995, les nouveaux critères d'éligibilité sont motivés par le principe deflexibilité de l'âge de la retraite, étant donné l'ajustement actuariel des prestations à travers les taux d'annuité, 8. En particulier, les travailleurs tombant sous le régime à NDC ont toujours le droit de partir à la retraite avant l'âge de 65 ans, sous certaines conditions. 64
2.2. Réformes ultérieures La réforme de 1997 visait à écourter la période de transition en durcissant les critères d'éligibilité pour l'octroi des pensions d'ancienneté, en particulier pour les employés du secteur public qui avaient gardé une grande partie de leurs privilèges lors de la réforme de 1995. Entre temps, une allocation supplémentaire de vieillesse sous conditions de ressources a été introduite en 2002, sa cible étant les personnes âgées démunies. Enfin, les réformes de 2004 et de 2008 ont encore durci les critères d'éligibilité (en ce qui concerne l'âge) à la fois pour la période de transition et sous le régime à NOC. En particulier, depuis 2008, l'âge requis pour prétendre à une pension d'ancienneté est progressivement augmenté. Pour les cohortes de jeunes travailleurs tombant intégralement sous le régime à NDC, l'âge minimum de départ à la retraite qui avait été fixé à 57 ans par la réforme de 1995 passe à 60 ans pour les femmes et 65 pour les hommes; en même temps, la possibilité de prétendre à une pension d'ancienneté a été réintroduite sous la forme d'un système complexe de critères d'âge et d'ancienneté (voir le tableau 1). 64. Par exelnple, s'ils ont versé des cotisations pendant au Inoins 40 ans, ou si ayant versé des cotisations pendant au moins 5 ans, ils sont âgés de 57 ans ou plus, sous réserve que la prestation est 1,2 fois supérieure au montant annuel de l'aide aux personnes âgées.
132
Tableau 1 - Les critères selon la réforme de 2008 Pension de vieillesse
Pension d'ancienneté Ancienneté pure
Quotas Périodes du 01/07/2009 au 31/12/2010 du 01/01/2011 au 31/12/2012 à partir du 01/01/2013
Age + ancienneté
Age. min.
Ancienneté. min.
95
59
35
40
60 (65 (H))
96
60
35
40
60 (65 (H))
97
61
35
40
60 (65 (H))
Nous avons déjà mentionné plus haut que les réformes avaient aussi pour objectif de compléter les pensions du premier pilier avec une composante à financement privé. En réalité, la première loi qui réglementait les fonds de pension remonte à 1993 65 , mais les adhésions aux fonds de pension demeuraient timides; c'est seulement avec les réformes de 2005-7 qu'elles ont été dopées. L'objectif majeur derrière cette dernière réforme était d'inciter les travailleurs réticents à utiliser les flux annuels futurs de leurs cotisations au titre des indemnités de licenciement des entreprises (ou encore leur « traitement de fin de rapport» (TFR 66 )) COlnme principale source de financement pour se constituer une retraite supplémentaire. En particulier, afin de stimuler la participation des travailleurs aux fonds de pension, le législateur a introduit dans le cadre du budget de 2007 un mécanisme « d'accord tacite », prenant effet pendant un semestre au 1er janvier 2007, à travers lequel les cotisations TFR annuelles des salariés (du secteur privé) seraient automatiquement transférées des comptes de leur entreprise vers des fonds de pension, sauf si 65. La D. Lgs. 194/93 a pertnis la création de fonds de pension en Italie et réglelnenté le transfert des cotisations TFR aux fonds de pension sur une base volontaire. Ensuite, la D. Lgs. 299/99 a introduit la possibilité - pour une période litnitée - de transformer les cotisations TFR devant être transférées aux fonds de pension en bons (les falneuses « cartolarizzazione »). 66. Le TFR est une cOlnpensation différée que les employeurs accumulent durant la carrière des employés et qu'ils redonnent à ces derniers quand il est mis fin au contrat entre les deux parties, [une sorte de capitalisation des indemnités de licenciement NdT ]
133
l'employé formule une objection expresse. Les employés qui optent pour ce transfert percevront une retraite supplémentaire des fonds de pension de leur choix et auront de plus la possibilité d'opter pour un paiement forfaitaire partiel. Dans tous les cas, cette mesure concerne seulement les travailleurs dépendants du secteur privé car les employés du secteur public ont été exclus de ce mécanisme d'accord tacite, bien qu'ils cotisent au titre d'une indemnité de licenciement du type TFR. En ce qui concerne les travailleurs indépendants, ils sont libres de cotiser au second pilier des pensions et ils disposent d'une plus grande latitude pour le faire étant donné que leur taux de cotisations obligatoires au premier pilier est plus faible (20 % contre 33 % pour les employés). Dans l'ensemble, la participation et les cotisations demeurent faibles. Selon les données les plus récentes de la Commission de vigilance sur les fonds de pension, la COVIP (Covip 2008), grâce au mécanisme ,d'accord tacite, le taux d'adhésion aux fonds de pension a presque doublé en 2007 par rapport à 2006; cependant, moins de 25 % des travailleurs qui y ont droit ont souscrit.
3. Une évaluation des résultats de la réforme Les facteurs qui ont poussé l'Italie à modifier en profondeur la structure de son système des retraites durant les années 90 sont communs à de nombreux pays européens: le vieillissement de la population et un taux de natalité en baisse ont soulevé des inquiétudes quant à la viabilité du système de retraite public, tandis que des systèmes mal conçus ont trop facilement permis le transfert du fardeau sur les générations futures. Dans cette optique, les mesures visant à contenir les dépenses de sécurité sociale étaient devenues inévitables. Les réformes ont été approuvées, mais leur mise en application a été repoussée car les partis politiques avaient peur de défaire le consensus. L'électeur médian italien est en effet assez vieux et, soumis aux pressions politiques de court terme, les politiciens pensent que les autres postes de la dépense publique peuvent continuer à être sacrifiés au nom des retraites. Les simulations réalisées au CeRp 67 sur l'efficacité des réformes montrent que la solvabilité financière à long terme n'est plus menacée. D'après les projections officielles de la Ragioneria Generale dello Stato (un département du Trésor italien), même si 67. Voir Castellino (1995), Brugiavini et Fornero (2001), Fornero et Castellino (2001) et Coda Moscarola (2007).
134 elles vont continuer à augmenter dans le futur proche, les dépenses publiques de retraite exprimées en pourcentage du PIB 68 devraient commencer à décroître en 2039 pour atteindre un niveau légèrement supérieur à 13,9 % en 2050 - un résultat remarquable compte tenu de la brusque augmentation (de 30 à 60 %) attendue du taux de dépendance vieillesse. La pérennité du système est évidemment obtenue en sacrifiant la générosité qui le caractérisait auparavant. Avec l'instauration graduelle des réformes, les taux de remplacement (replacement rates, RR) des pensions du premier pilier diminuent d'un montant qui était entre 62 à 80 % (selon les régimes des cotisants) pour s'établir maintenant à un montant entre 37 à 51 % en termes bruts pour les cohortes tombant complètement sous le système à NDC. L'efficacité du système des retraites, généralement (et approximativement) évaluée en utilisant un taux de remplacement (RR) de référence de 80 %, peut cependant être préservée à travers une participation au second pilier. Par exemple, d'après nos simulations, et dans le cas des employés du secteur privé, une contribution au second pilier égale d'un montant des cotisations annuelles au TFR (6,91 % des salaires) devrait se révéler suffisante pour compenser presque totalement la réduction des prestations du premier pilier. Le système fiscal offre une occasion supplémentaire de compenser les effets de la réforme. Selon nos calculs, une fois pris en compte les effets de la progressivité du barème fiscal, le taux de remplacement de la pension totale nette (la somme des taux de remplacement nets du premier et du second pilier) pour les employés du privé et les travailleurs indépendants atteint environ 70 à 80 % du dernier salaire net. La situation des employés du secteur public pourrait devenir plus problématique, étant donnée leur plus grande difficulté à financer leur participation au pilier supplémentaire; d'après nos projections, leur taux de remplacement net potentiel n'excédera pas 60 %. La garantie de l'efficacité grâce à la participation au second pilier aura dans tous les cas un prix. Les cohortes de plus jeunes et de nouveaux travailleurs devront renoncer à leur TFR afin de financer leur prestation de second pilier, c'est-à-dire, ils devront 68. Incluant les pensions sociales et les allocations de vieillesse, et en se basant sur le scénario macroéconomique de long terme prédit.
135
troquer une somme forfaitaire contre des annuités. Pour la théorie économique, des annuités offrent une meilleure garantie de niveaux de consommation adéquats dans les vieux jours que la gestion d'un stock de richesses. Cependant, les imperfections du marché peuvent remettre en cause ce jugement (Davidoff et al., 2005). En particulier, le capital accumulé peut constituer un tampon de sécurité qui peut se révéler plus efficace qu'une annuité pour faire face à des dépenses de santé imprévues et des soins de longue durée (et le risque d'encourir de telles dépenses a généralement tendance à croître avec l'âge). Ainsi, le caractère optimal ou pas du choix de transférer l'intégralité des cotisations TFR aux fonds de pension dépend en dernier ressort du pourcentage du capital individuel global que représente le TFR. Le capital immobilier, l'autre forme typique du patrimoine des ménages italiens, est rarement transformé en annuités. Par conséquent, la possibilité que les ménages auront à vivre avec des taux de remplacement comparativement bas (par rapport aux générations précédentes) est un scénario très réaliste. Les réformes auront aussi un impact significatif sur la redistribution opérée par le système des retraites. La nouvelle formule à NDC va éliminer presque tous les aspects redistributifs du premier pilier, à la fois les «bons» aspects (des riches aux pauvres) et les aspects «pervers» (des pauvres aux riches). D'après les simulations du CeRP à nouveau, les écarts entre les taux de rendement internes permis par le système suivant les niveaux de revenu permanent vont presque disparaître, et le rôle déjà minime joué par le système des retraites dans la réduction de la concentration des revenus avant la réforme (avec une redistribution quasi-nulle au niveau agrégé) va encore s'amenuiser suivant la réforme. Seule la situation des travailleurs à faibles revenus sera partiellement épargnée par les réformes, à travers l'octroi d'une allocation de vieillesse sous conditions de ressources. Les travailleurs du secteur privé et les travailleurs indépendants appartenant au dernier quantile de revenus se verront octroyer un taux global de remplacement net de 90 % (encore une fois, les employés du secteur public sont les moins bien lotis). Les effets distributifs du second pilier seront eux aussi assez faibles car les deux systèmes reposent essentiellement sur la même formule, bien que des choix différents de portefeuille selon les catégories de revenus puissent engendrer des taux de rendement différents.
136
4. Conclusion Aucun nouveau projet de réforme du système des retraites ne figure sur l'agenda politique italien actuellement. Cependant, il faut veiller à la mise en œuvre des réformes déjà approuvées afin d'éviter d'autres retards et d'autres temporisations. En particulier, il convient d'être prudent dans l'ajustement des taux d'annuité à l'évolution de la mortalité, sans quoi tous les avantages découlant de l'introduction d'un système à NDC seront reluis en cause. L'opinion publique semble pour une large part se résigner à l'instauration inévitable d'un régime plus strict. Elle est en fait surtout sensible à la garantie d'un niveau satisfaisant de retraites pour les catégories de faibles revenus ; des requêtes spécifiques ont été adressées aux décideurs politiques en vue d'augmenter l'allocation minimum de vieillesse. Depuis 1992, l'augmentation des pensions de retraite n'est plus indexée sur l'augmentation des salaires, mais sur les prix. Ceci entraîne un profil de prestations réelles plat et, par conséquent, un pouvoir d'achat en baisse pour les anciens retraités en comparaison avec les nouveaux retraités (et aussi avec le salaire moyen de la population active). En supposant un taux de croissance réelle de l'économie de 1 % par an, un retraité percevra, 30 ans après son départ à la retraite, une prestation inférieure d'environ 30 % à la prestation d'un nouveau retraité. Les économistes qualifient généralement cette différence entre les deux niveaux de pension de problème de « générations de retraite ». La discussion concerne aussi le traitement des retraites des travailleurs ayant des emplois considérés comme dangereux ou pénibles. Afin de les compenser partiellement pour leur situation peu avantageuse et leur plus faible espérance de vie, les syndicats demandent un ensemble de règles plus favorables pour cette catégorie de travailleurs en ce qui concerne les conditions minimum d'éligibilité et les taux d'annuité pour le calcul des pensions. Ce problème semble avoir été mis de côté cette année, et il n'est plus prioritaire dans l'agenda politique des principaux partis. Cette inertie s'explique par le manque de statistiques fiables concernant les écarts de mortalité entre différentes catégories professionnelles, et par l'absence de consensus sur la façon de mesurer les diverses caractéristiques de pénibilité de différentes activités. En dernier lieu, on doit noter que la réforme a transmis aux nouvelles générations la responsabilité totale de se constituer une
137
retraite adéquate pour elles-mêmes. Elles ont donc une lourde tâche sur les bras, contrairement aux cohortes d'anciens travailleurs dont les «droits acquis» ont été préservés; cette tâche est rendue encore plus difficile par l'évolution actuelle des profils de salaire; ils sont moins stables et offrent de moindres perspectives d'augmentation que dans le passé. La liberté de décider de leur âge de départ à la retraite semble donc être une piètre consolation pour les nouvelles générations. Cette liberté ne sera pas un fardeau pour le budget de l'Etat - si la neutralité actuarielle du système à NDC est maintenue - et au moins, elle va leur accorder non seulement le souci, mais aussi l'opportunité - même limitée - d'être pleinement responsables de leur situation sociale quand elles seront à la retraite. Initiée par un gouvernement «technique» (c'est-à-dire, non politique, de transition), la réforme de 1995 a fait quelques pas dans cette direction, étant donné que, dans sa conception originale, le système à NDC permet aux individus de partir à la retraite entre l'âge de 57 et 65 ans. En 2008 cependant, le retour à une attitude plus paternaliste de la part du gouvernement a annoncé le retour au statu quo ante. Un scénario encore plus dramatique ne doit cependant pas être exclu: il situe le cœur du problème non pas dans le systèlue des retraites, luais plutôt dans le fonctionnement de l'économie dans son enseluble. Les performances de l'économie italienne ont été faibles en comparaison avec celles d'autres pays européens - au moins durant une décennie. Il n'est pas facile de trouver des solutions à cette situation alarmante, et l'Etat ne dispose pas de marges de manœuvre budgétaire pour mener des politiques à cette fin. Ces solutions sont, de toutes façons, hors d'atteinte du système des retraites.
Références Borella, M. et F. Coda Moscarola (2006), "Distributive Properties of Pension Systems: A simulation of the Italian Transition froin Defined Benefits to Notional Defined Contributions", Giornale degli EconOlnisti e Annali di Econonlia, 65( 1), 95-126. Brugiavini, A. et E. Fornero (2001) "Pension Provision in Italy", in R. Disney et P. Johnson (eds.), Pension Systems and Retirement /ncol11es across OECD Countries, Cheltenhatn: Edward Elgar, 197-235. Castellino, O. (1995) "Redistribution Between and Within Generations in the Italian Social Security System", Ricerche Economiche, 49(4), 317-327.
138 Coda Moscarola, F. (2008), Income, Health and Work along the Life
Cycle, Chapter 1, Phd Thesis. Coda Moscarola, F. (2007), "Measuring Sustainability of Pension Systems through a Micrositnulation Model. The Case of 1taIy", paper prepared for the project "Adequacy ofOld Age Income Maintenance in Europe". Covip (2008), Relazione per l'anno 2007, Roma. Davidoff, T., J. Brown et P. Diamond (2005), "Annuities and IndividuaI Welfare", The American Econon1Ïc Review, 95(5), 1573-90. Fornero, E. et O. Castellino (eds.) (2001) La riforma dei sistema previdenziale italiano, Bologna: Il Mulino. Ragioneria Generale dello Stato (2007), Mid-long term trends for the pension, health and long term care systems, projections of the DepartInent of General Accounts updated to 2007, Rome.
139
BREF HISTORIQUE DU SYSTÈME BRITANNIQUE DES RETRAITES D'ÉTAT (1947-2008) Victoria CURZON PRICE* Tony CURZON PRICE** Bricoler le système de retraites est le sport favori de tous les gouvernements britanniques. Il y a en effet dans ce système un nombre élevé de paramètres que le Chancelier de l'Echiquier peut faire varier à sa guise chaque année à l'occasion de la présentation du budget. Le système général de retraite britannique est donc dans un état de flux permanent, et depuis des années le public s'est fait à l'idée que rien ne peut être garanti ou stable dans ce domaine. Cela n'est pas vrai seulement du régime étatique de base des retraites (BSP, Basic State Pension) mais aussi de tous les régimes qui s'y sont superposés et sont maintenant en vigueur. Cette note ne concerne cependant que l'histoire du régime de base, et du deuxième régime étatique lié aux revenus d'activité (SERPS State Earnings-related pension). Au total ces deux régimes offrent la couverture la plus faible qui soit dans l'ensemble des pays développés, car les gouvernements britanniques successifs ont essayé d'encourager les gens à prendre de plus en plus de responsabilités dans la préparation de leur troisième âge. Contrairement à ce que l'on peut penser, ce processus a été amorcé dès 1975, bien avant le gouvernement Thatcher. Il en a été ainsi parce qu'il est devenu évident, déjà à cette époque, que le régime BSP-SERPS n'était pas financièrement viable à long terme, compte tenu de l'évolution démographique dramatique: le ratio cotisants/retraités tombera de quelque 2,3 en 1980 à 1,6 en 2030 69 .
Brefhistorique du système de pension britannique Le système étatique de base (BSP) a été cree après la deuxième guerre mondiale, en 1946. C'est un régime de retraites à taux constant, sur la base de la répartition (payas you go), financé par des cotisations des employeurs et employés calculées sur les
* Professeur à l'Université de Genève, administrateur de l 'IREF ** Rédacteur en chef d'Open Democracy, Londres, IREF Research
Fellow,
Royaume Uni 69. Gouvernement du Royaume Uni Green Paper on Reform of National Insurance, Kessings Contemporary Archive, 1985, p. 33, 864.
140
salaires, versées au titre des assurances sociales (NICs , national insurance contributions). Au départ, les retraites représentaient 1 E, 3 par semaine pour une personne de plus de 65 ans, et 2E, 10 pour un couple marié. Le lTIOntant des retraites dépendait (et dépend toujours) du nombre d'années de cotisation, et pas du tout des revenus d'activité perçus 70 • En 1959 le système de taux constant universel a été modifié, pour introduire en complément un élément lié aux revenus perçus, le SERPS. C'est ce changement qui devait plonger les chanceliers britanniques successifs dans l'angoisse, puisqu'il engageait l'Etat dans une dépense publique sans fin et en croissance inexorable. En 1975-78, sous un gouvernement travailliste, le SRPS a été amendé pour encourager les assurés à un «renoncement» (contracting out) volontaire, c'est-à-dire pour inciter les employeurs et employés à rechercher une solution alternative contractuelle et marchande au système étatique obligatoire. Ceux qui « renonçaient» pour s'engager dans des régimes privés, avec des retraites professionnelles ( OPS, occupational pension schemes), voyaient leurs contributions d'assurances sociales réduites. Mais la réduction était trop faible, de sorte que peu de personnes ont adopté le régime alternatif qui leur était proposé. En 1980, l'une des premières mesures prises par le gouvernement Thatcher nouvellement élu fut de mettre fin à l'indexation des pensions traditionnelles (BSP et SERPS) sur la croissance des gains (qui était à peu près deux fois plus forte que celle de l'indice des prix à la consommation) pour l'indexer sur cet indice. Cette mesure avait pour but de dispenser désormais le gouvernement d'avoir à". emprunter pour faire face à l'énorme dépense du secteur public 71. C'était l'une des priorités dans ces premiers mois du nouveau gouvernement: diminuer la dépense publique héritée des travaillistes qui venaient d'être défaits. La réforme du BSP et du SERPS les a rendus moins attractifs, et plus aléatoires, ce qui a déclanché un intérêt nouveau pour le régime d'OPS, mis en place par les employeurs et les employés et géré par des fonds de pension privés.
70. BBC : History ofUK Pension System, BBC history website. 71. Margaret THATCHER The Downing Street Years, Harper Collins, New York 1993.
141
En conséquence des changements intervenus en 1978 et 1980, l'OCDE estime que 50 % des employeurs et des employés ont « renoncé» au SERPS officiel au cours des années suivantes, et qu'en 2000, vingt ans plus tard, les actifs des fonds de pension privés se montaient à environ 80 % du PIB anglais 72 . En 1986 le gouvernement Thatcher a bricolé encore un peu plus les conditions du renoncement. Il a réduit encore davantage l'attractivité du SERPS en calculant les pensions non plus sur les gains des 20 meilleures années d'activité (comme c'était le cas jusque là) mais sur le gain moyen sur la totalité de la période d'activité. Parallèlement, l'OPS se voyait doter d'un nouvel avantage: les droits acquis dans ce régime par une personne la suivent en cas de changement d'emplois, ils sont «pleinement portables». Enfin, les sommes versées jusque là dans le régime SERPS étaient portées au crédit de l'OPS pour un montant forfaitaire, constituant ainsi une sorte de droit d'entrée. Le gouvernement Thatcher a également introduit un troisième pilier: des «plans personnels d'actions». pour encourager les gens à devenir actionnaires et épargnants à leur propre compte. Ces comptes ont été plus tard accompagnés d'exemptions fiscales, pour encourager l'épargne-retraite personnelle de tous les Anglais, salariés ou non. Enfin, le gouvernement a autorisé les fonds de pension à offrir des régimes à cotisations définies (DC) au lieu des contrats à pensions définies (DB). Dans un régime DB la compagnie d'assurance ou l'Etat garantit une pension d'un certain montant ou d'un certain pourcentage de revenus, et le risque actuariel est à sa charge. Dans un régime DC, le titulaire de la police ne connaît que le montant de la cotisation qu'il verse à son compte personnel, mais ne sait pas ce qu'il touchera au moment où il prendra sa retraite. Quand il prendra sa retraite, la série des cotisations versées représentera un capital, qui sera alors converti en annuités indexées, en fonction du taux d'intérêt courant à ce moment. Ce sont les retraités, et non pas l'État ou le fonds de pension, qui supportent en fin de compte l'essentiel du risque actuariel et monétaire. Cette réforme a eu pour effet de rendre les régimes de retraites privés aussi incertains que le régime public, mais elle a fortement poussé les fonds de pension privés à s'intéresser à ce genre de contrats. 72. OECD, UK country, 2005, p. 91.
142 En 1991-1992, suite à la faillite du groupe Maxwell, et parce que son principal actionnaire Robert Maxwell avait été accusé d'avoir fait main basse sur l'argent du fonds de pension de la compagnie pour tenter d'échapper à la faillite de son groupe, des réglementations ont été mises en place pour protéger de la fraude et de la faillite les pensions des personnes âgées. La gestion des OPS a été retirée aux sociétés qui souscrivaient pour les pensions. Le scandale Maxwell, une fois de plus, changeait l'équilibre entre les régimes publics (SERPS) et privés (OPS). Cependant, comme les assurés ayant renoncé au SERPS n'avaient pas la possibilité d'y revenir le scandale Maxwell n'a modifié les décisions que des nouveaux entrants sur le marché du travail. En 1995 la loi sur les pensions (Pensions Act) a défini les responsabilités pesant sur les gestionnaires et a créé un nouvel organisme de contrôle, l'Autorité de Réglementation des Retraites d'Activité (OPRA, Occupational Pensions Regulatory Authority) afin de protéger les intérêts des cotisants et sauvegarder les actifs. Il n'en demeure pas moins que les fonds de pension sont souvent critiqués dans la presse, accusés d'égarer le public, de tromper leurs adhérents et d'avoir en général une mauvaise conduite. Il est difficile de juger ce qu'il y a de vrai dans ces accusations. En 1997 le pot détenu par les fonds gérant l'OPS, une masse d'argent exemptée d'impôts, a paru trop tentant pour le Chancelier de l'Echiquier de Tony Blair, Gordon Brown. Après avoir jugé qu'il y avait «trop d'argent» dans les fonds, Gordon Brown a suppriIné les crédits d'impôts sur les dividendes des sociétés qui alimentaient les fonds. Voilà à nouveau l'équilibre rompu entre OPS et SERPS, cette fois-ci au bénéfice du SERPS. Depuis lors, de nombreux changements --mineurs se sont succédés, suivant que le gouvernement en place estime qu'il y a « trop» ou «trop peu» d'argent dans les fonds de pension pour garantir un revenu décent aux retraités. Si l'on en croit l'OCDE?3 il n'y a plus actuellement (2007) que 43 % des salariés qui utilisent leur droit de « renoncer », contre plus de 50 % en 2000. Parallèlement, les trois gouvernements Blair se sont attachés à rendre les deux régimes publics (BSP et SERPS) plus attractifs pour les personnes à faibles revenus. En 1999 une Garantie de Revenu Minimum sous condition de ressources a été ajoutée au 73. OECO Highlights : United Kingdom - Pensions at a glance : public policies across OECD countries, 2007, p. 2.
143
BSP pour s'assurer que toute personne âgée soit à l'abri de la pauvreté et de la privation. En 2003 on ajoute au SERPS une « super tranche» aux « crédits de retraite ». En 2006 le nombre d'années de cotisations pour donner droit à une pension d'Etat (BSP) à taux plein a été diminué de 40 à 30 ans, et l'âge de la retraite pour les hommes (65 ans) comme pour les femmes (60 ans) a été rendu flexible (dans le sens d'un report). L'effet de ce bricolage permanent du système général des retraites a été de hisser le système public BPS-SERPS au rang apparent de socle financier solide pour le futur, sauf à mesurer ses incidences sur le volume des dépenses de l'Etat. Toutefois, la Garantie de Revenu Minimum, aussi bien que la « super tranche », ont semble-t-il introduit le «hasard moral », en ce sens que les titulaires de faibles revenus ont été dissuadés d'épargner et de cotiser à des régimes de fonds de pension privés. De la sorte, le nombre de personnes concernées par le seuil de la « super tranche» a augmenté considérablement 74 . Il y a là une source potentielle d'augmentation de la dépense publique pour l'avenir. On doit donc s'attendre à de nouveaux bricolages, notamment si les travaillistes sont battus par les conservateurs aux prochaines élections.
Les cotisations d'assurances sociales (National Insurance Contributions, NIes) Les régitnes publics BPS-SERPS sont financés suivant le principe de répartition par des impôts sur les salaires. Les taux de cotisation varient suivant que l'employeur propose un régime privé OPS ou non. Il n'y a pas de charge sociale pour les bas salaires inférieurs à 100 f par semaine. Au dessus de ce seuil, et jusqu'à un plafond de 670 f par semaine, les employeurs et les employés qui n'ont pas renoncé au système public, paieront un taux de cotisation de Il % pour l'employeur et 12,8 % pour le salarié. Au-delà du plafond, le NIC tombe à 1 % pour l'employeur, mais demeure de 12,8 % pour le salarié. Le système se complique encore pour les salariés compris entre 100 et 650 f par semaine 75 . Pour ceux d'entre eux qui ont renoncé au système public, la cotisation pour les salariés est
74. OECD United Country Study, 2005 Chap. « Pensions: options for reform », pp. 85-95. 75. HM Revenue and Cus/oms website www.hmrc.gov.uk
144
à un taux de 9,4 % ( pour les assurances sociales) et 1 % (pour le régime privé), et pour les employeurs de 9,1 % plus 9,1 %. Il en résulte trois types de conséquences. 1° La différence entre les taux de SERPS et d'OPS n'est pas très importante, elle se limite à 1,6 % + 3,7 %76, soit 5,3 % au total, et elle n'est pas très incitative pour l'investissement dans un fonds de pension privé. L'OCDE estime qu'un individu ayant un revenu moyen devrait probablement investir 10 % de ce revenu dans un OPS pour obtenir le même niveau moyen de retraite que celui qui est atteint dans les autres pays de l'OCDE 77 . Toujours suivant l'OCDE, les personnes engagées dans un OPS épargnent de fait 9 % de leur paye en moyenne, mais puisqu'il n'y a que 43 % environ des travailleurs qui adhèrent à ce régime, tous ceux qui ne comptent que sur les régimes publics BPS-SERPS s'exposent à un triste avenir. 2° En exemptant de charge les bas revenus en dessous de 100 f, par semaine, le système n'est pas seulement redistributif, mais il donne une prime à l'emploi non qualifié ou faiblement qualifié par rapport à ceux qui ont des revenus plus élevés. 3° En laissant croire que la charge des contributions supportée par les employeurs est plus lourde sur les salaires au dessus du plafond de 670 f, par semaine, le système est à nouveau très redistributif, puisque les titulaires de hauts salaires mettent au pot commun une proportion constante et non plafonnée de 12,8 % (ou 9,1 %) sur des sommes élevées. Il est bien connu en théorie économique que la distinction entre part salariale et part patronale des charges est purement formelle, et que ce sont les salariés qui paient 100 % des charges, quoi que puisse en penser le législateur.
Les retraites pour les personnes à faibles revenus avant et après la réforme: Situation du Royaume-Uni par rapport aux autres pays de l'OCDE D'après l'OCDE 78 le Royaume Uni, la Finlande et la Hongrie ont été au cours de la décennie passée les seuls pays de l'OCDE à avoir augmenté les droits à retraites pour les travailleurs à faibles 76. Il - 9,4 = 1,6 pour les cotisations patronales payées respectivelnent pour le régime public et privé (OrS) et 12,8 - 9,1 = 3,7 pour les cotisations salariales. 77. OECO Highlights op.cit. p. 2. 78. OECO « A decade of Pension refornls » in Pensions al a glance - Public Policies across OECD coun/ries, 2007 ed. pp. 55-75.
145
revenus. En ce qui concerne le Royaume Uni l'augmentation a été plus que marginale, puisque le taux de remplacement est monté de 29 à 36 % des gains moyens. De la sorte, pour cette catégorie de travailleurs, le Royaume Uni a un taux de remplacement de revenu garanti plus élevé que celui de pays notables qui se sont engagés dans la direction opposée pendant cette période, par exemple l'Allemagne ou le Japon. On peut lire dans le tableau 1 que beaucoup de pays de l'OCDE ont massivement ajusté leurs systèmes de base de retraites publiques dans le sens descendant au cours de la dernière décennie, afin de faire face à la crise financière des régimes par répartition. Ces pays ont tous introduit des régimes semblables à celui des Britanniques, combinant public et privé pour garantir le troisième âge.
Tableau 1 Taux de remplacement nets avant et après réforme pour les travailleurs à faibles revenus en % des revenus nets d'impôts et de cotisations (1995-2005)
Hungary Korea Austria Turkey Italy Portugal Finland Sweden France New Zealand Poland Siovak Republic United Kingdom Germany Mexico Japan
Avant réforme 52,5 54,3 57,8 77,2 55,9 58,5 44,6 44,7
Après réforme 58,4 54,2 53,2 52,0 46,7 45,0 44,8 42,8
42,8
42,1
41,7 50,0 41,8
41,7 38,8 36,5
29,4
36,0
39,7 38,7 32,2
32,6 28,2 26,9
Source: OECD, Pensions al a Glanee: Public Policies Across OECD Countries - 2007 edition, p. 67
Ainsi les réformes en Grande Bretagne ont-elles été ciblées sur les salariés à faibles revenus. Elles n'ont pas concerné les
146
salariés à revenus moyens ou élevés, qui n'ont pas vu leur taux de remplacement augmenter, et qui demeure, avec 30,8 %, le plus faible - et de loin - de tous les pays industrialisés, ce qui signifie qu'il y a une forte incitation pour les salariés britanniques à revenus moyens ou élevés d'adhérer à tout ce qui leur est proposé comme fonds de pension professionnels, assurances et plans d'épargne privés. Beaucoup de personnes appartenant à cette catégorie de revenus ont tiré avantage de l'explosion sans précédent des prix du logement à partir du milieu des années 1990. C'est finalement la « loi des conséquences inattendues» qui a fait que les revenus immobiliers sont devenus les principales ressources financières - et pas les retraites professionnelles ou les plans d'épargne!
Tableau 2 Dépenses publiques en pensions de retraites, 1990-2003 % PIB 1990
2003
tendance
niveau
Mexico
0,60
1,20
hausse
bas
Korea
0,80
1,40
hausse
bas
Ireland
4,20
3,70
baisse
bas
Australia
3,70
4,10
Hausse
bas
Iceland
3,50
4,20
hausse
Ibas
Canada
4,30
4,40
hausse
bas
New Zealand
7,40
4,50
Baisse
bas
Netherlands
7,00
5,80
baisse
bas
United Kingdom
5,30
6,10
hausse
bas
United States
6,10
6,30
hausse
bas
Finland
8,10
6,40
baisse
bas
Luxembourg
9,60
6,50
baisse
bas
Siovak Republic
6,60
6,50
baisse
moyen
Denmark
7,40
7,20
baisse
moyen
Switzerland
5,80
7,20
hausse
moyen
Norway
7,60
7,40
baisse
moyen
Czech Republic
6,10
8,00
hausse
moyen
Spain
8,10
8,40
hausse
moyen
Hungary Belgium
8,00 9,10
8,70 9,30
hausse hausse
moyen haut
Japan
5,00
9,30
hausse
haut
147 Portugal
5,40
10,50
hausse
haut
Germany
10,20
11,70
hausse
haut
France
10,90
12,30
hausse
haut
Greece
11,10
12,40
hausse
haut
Poland
5,30
12,40
hausse
haut
Austria
11,90
13,20
hausse
haut
Italy
10,20
13,90
hausse
haut
OCDE moy.
6,70
7,70
hausse
moyen
Source: Source: OECD, Pensions at a Glanee: Public Polieies Aeross OECD Countries - 2007 edition, p. 64
Le tableau 2 retrace l'évolution entre 1990 et 2003 des dépenses publiques consacrées aux retraites dans différents pays. Nous observons, comme prévu, que ces dépenses publiques de l'Etat ont fortement augmenté dans le Royaume Uni, en conséquence des réformes décrites, mais que, par-dessus tout, avec 6,10 % le Royaume Uni demeure dans la catégorie des «bas niveaux », en dessous de la moyenne européenne de 7,70 %. Il est intéressant de noter que ce sont les pays avec un niveau élevé de dépenses publiques pour les retraites qui ont fait le moindre effort, et que la Pologne, le Portugal et le Japon ont au contraire particulièrement accru leurs dépenses. Pour conclure, le Royaume-Uni s'est définitivement écarté de l'idée d'une retraite de base universelle pour adopter un système de pensions de retraites financé par l'Etat en faveur des salariés à faibles revenus. Cette formule a cependant ses problèmes spécifiques, en particulier les effets de seuil et le hasard moral. L'évolution vers le système de retraites privé, bien qu'impopulaire, est donc de nature à s'affirmer à plus long terme. Références BBC: History ofUK Pension System (BBC website) HM Revenue and Customs vvebsite www.hmrc.gov.uk OECD, UK country study, 2005, p. 93). OECO Highlights - United Kingdom - Pensions al a glanee: public polieies across OECD countries - 2007 edition, p. 55-75. THATCHER, M. The Downing Street Years, HarperCol1ins, New York, 1993 UK Governrnent, Green Paper on Reforrn of National Insurance, Kessings Contelnporary Archive, 1985, p. 33,864.
148
LA RÉFORME DES RETRAITES EN LITUANIE Rüta VAINIENE 79 * Aperçu du système de retraite lituanien Sortie de l'ère soviétique: 1990 - 1995 Pendant l'ère soviétique jusqu'en 1990, l'assurance sociale en Lituanie était gérée par les syndicats. Après la proclamation de l'indépendance, un décret a transféré cette tâche à l'état lituanien. La première loi sur les Fondamentaux de l'assurance sociale d'état a été adoptée le 23 octobre 1990. Cette loi sépare l'assurance sociale des autres formes de prestations de sécurité sociale, et établit un budget séparé et indépendant pour l'assurance sociale. Le Conseil du fonds d'assurance sociale de l'Etat (Sodra) a été créé pour diriger et gérer le systèlne d'assurance sociale de l'Etat. La première Loi sur l'assurance sociale d'état est passée en mai 1991. Jusqu'en 95, la Lituanie a eu un système de retraite à taux plat, un système qui devait s'avérer difficile à adapter aux nouveaux besoins. Passage à l'ère européenne: 1995 - 2003 1995 est l'année des changements pour le système de retraite. Avec l'adoption d'une nouvelle loi sur les retraites, la Lituanie est passée à un régime de retraite lié aux rémunérations. Le 1er janvier 1995 la nouvelle Loi sur les pensions de l'assurance sociale de l'État entrait en vigueur. Le nouveau système était tourné vers l'avenir, et devait s'appliquer aux personnes qui prendraient leur retraite après le 1er janvier 1995, c'est-à-dire après l'entrée en vigueur de la loi. Toutefois, sur décision du Parlement, en prenant pour base la nouvelle loi, les pensions de tous les retraités ont été recalculées en appliquant la règle de non réduction de pension. En 1995 le Parlement a décidé de calculer les pensions une fois encore, cette fois-ci en tenant compte du salaire le plus favorable. L'année 1995 sera dans l'histoire de Sodra l'une des plus difficiles. La réforme des retraites a entraîné beaucoup de dépenses
* Associated PoUcy Ana/yst, Lithuanian Free Market Institute, IREF Research Fellow (Lituanie) 79. Ce texte est traduit de l'anglais. Sa version originale est sur le site www.irefeurope.org
149 supplémentaires, et des retards dans le paiement des pensions et d'autres paiements sociaux. De plus la crise bancaire de l'époque a aussi affecté Sodra. Mais ceci nous a amenés à réfléchir aux avantages et aux inconvénients du système au vu des schémas de travail existants. En 1997 s'amorce la réforme du système de santé, et l'assurance santé est transférée de Sodra vers une caisse maladie. Un fonds d'assurance santé séparé est établi. En 1999 la Loi sur les retraites est adoptée. Elle perlTIet l'établissement et l'activité de fonds de pension et d'épargne volontaire. En 2000 une nouvelle assurance est reconnue une assurance accidents du travail et maladies professionnelles - et la cotisation augmente de trois points (en %) et passe de 31 à 34 0/0. Depuis 2006, cette cotisation varie en fonction des risques encourus. La réforme a été lancée en espérant que cela encouragerait les gens à revenir sur le marché du travail légal. Mais ça n'a pas été le cas. Le nombre de cotisants continue à baisser ce qui lTIOntre bien le manque de confiance des gens dans le système public de retraites.
Passage au marché: depuis 2003 En 2003 une nouvelle réforme du système de retraites est lancée. A partir du 1er janvier 2004, les Lituaniens peuvent verser une partie des cotisations Sodra à des fonds de pension privés. Au cours des premières années de la réforme, le montant de la cotisation pour cette assurance en capitalisation était seulement de 2,5 % - le même montant que celui que verse l'assuré au système public de retraite. Le taux de cotisation à cette pension par capitalisation a augmenté de 1 point pour atteindre 5,5 % en 2007. Au cours de la première étape de la réforme des retraites du 6 septembre au 1er décembre, 441 606 contrats de pension en capitalisation ont été signés, soit 36,6 % des personnes couvertes par le système public de retraites.
Statut de l'assurance sociale de l'État En Lituanie les cotisations à l'assurance sociale sont de 33,98-34,7 %. Il n'y a pas de plafonnements des revenus imposables. 3 % sont payés par le salarié et le reste par l'employeur. Les cotisations sont réparties comme suit:
150
Année
Taux Assurance général Vieillesse ( %)
( 0fc»
2000
34
25
2001
34
25
Accidents du Assurance Assurance trava il et mala- Assurance maladie et chômage dies profession- Santé ( 0fc» ( 0fc» maternité ( 0/0) nelles 3,5 1,5 1 3 1,5 3,5 1 3
2002
34
25
3,5
1,5
1
3
2003
34
25,9
3,3
1,5
0,3
3
~004
34
25,9
3,3
1,5
0,3
3
2005
34
26
3,3
1,4
0,3
3
2006
33,7
26,1
3,3
1,3
**
3
2007
33,7
26,2
3,3
1,2
**
3
2008
33,7
26,35
3,4
0,95
**
3
** le taux varie en fonction des risques encourus Les personnes reçoivent la retraite de l'État lorsqu'elles remplissent les conditions d'âge et d'expérience de travail requises, c'est-à-dire: - elles ont atteint l'âge légal de la retraite - elles ont cotisé à l'assurance retraite de l'État pendant une période minimum de 15 ans. Cette période est la période pendant laquelle les cotisations obligatoires au système de retraite de l'état sont payées par les personnes elles-mêmes ou pour elles. La retraite est constituée de deux montants: la retraite de base et la retraite complémentaire. La retraite de base est celle du système public, elle est la même pour toutes les personnes qui ont cotisé pendant la période imposée de 30 ans (pour ceux qui ne l'ont pas fait il y a une retraite proportionnelle). Une retraite à taux plein ne peut pas être inférieure à 110 % de ce que l'on appelle le minimum vital. La retraite complémentaire est fonction du revenu assuré, au nom d'un principe de justice individuelle, c'est-à-dire que le montant de cette complémentaire est proportionnelle aux cotisations versées par les individus. L'âge de la retraite est de 60 ans pour les femmes et de 62,5 ans pour les hommes.
Débat sur la réforme des retraites L'idée des retraites privées est débattue depuis longtemps, et est devenue une question récurrente en Lituanie pour de
151
nombreuses raIsons: le taux élevé des cotisations, l'absence de plafonds, le bas niveau des prestations, les tendances démographiques négatives, l'évasion des cotisations, les risques politiques etc ... Le premier projet de loi sur les fonds de pensions privés a été préparé en 1995. En 1999 le Loi sur les fonds de pension qui introduisait l'épargne volontaire, en plus des 34 % de cotisations obligatoires à l'assurance sociale, a été adoptée et amendée en 2001. La loi amendée était plus favorable aux activités des fonds de pension; cependant les pensions volontaires n'ont pas évolué, à cause du faible niveau de revenu des gens et du haut niveau des cotisations sociales (le revenu moyen par membre de ménage était approximativement de 100 euros en 2002). Dans une telle situation, il était clair qu'un régime volontaire, ne se traduisant dans les faits que par une exemption fiscale, n'amènerait pas un changement important du comportement des gens et de la structure des retraites. Une réforme des retraites visant à introduire une épargne obligatoire entièrement financée dans des fonds de pension privés (deuxième pilier) était prévue pour l'an 2000, mais a été reportée à plusieurs reprises Enfin, à l'automne 2002, la Loi sur la réforme du système de retraites a été adoptée. Cette loi fixe les règles suivantes: à partir de début 2004 chaque salarié a le droit de mettre 2,5 % de sa cotisation à l'assurance sociale de l'état dans un fonds de pension privé de son choix. Cette part a été augmentée chaque année pour atteindre 5,5 % en 2007. Les gens peuvent librement entrer dans un système de fonds de pension privé, sans restriction d'âge. Si quelqu'un souhaite rester dans le cadre de l'assurance sociale de l'état, il en a la possibilité. Les fonds de pension doivent fonctionner dans le cadre d'un régime de cotisations définies. Les membres du fonds de pension versent des cotisations retraites sur des comptes personnels, qui sont gérés séparément. Les montants de ces cotisations sont investis, et les retours sur investissements sont versés sur les comptes personnels proportionnellement aux montants accumulés. La réforme n'a rien changé aux paiements des bénéficiaires actuels du système par répartition. Les cotisations aux fonds de pension privés sont exonérées d'impôts, alors que les prestations de retraites sont soumises à l'impôt individuel. Le capital constitué est la propriété privée du cotisant. Les avoirs du fonds sont tenus séparés des avoirs des gestionnaires du fonds, ce qui exclut le
152 risque de détournement. Les assurés ont le droit de choisir le programme qui répond le mieux à leurs besoins du point de vue du rendement et du risque. Ils peuvent choisir de changer de programme pour leur compte individuel de retraite au sein du fonds .de pension ou de changer de fonds de pension. Il est facile de participer au système de fonds de pension il suffit de signer un contrat de capitalisation avec le gestionnaire choisi. Ce gestionnaire (fonds de pension, entreprise privée) notifie à Sodra la décision de la personne concernée et fait enregistrer le contrat. Une fois le contrat signé et notifié, l'employeur de la personne en question continue à verser les cotisations tous les mois à Sodra, qui à son tour versera les montants au fonds de pension choisi par le cotisant. En résumé, la réforme des retraites en Lituanie a été lancée pour atteindre trois objectifs: créer un système de retraite financièrement viable, créer des possibilités de meilleures pensions pour les futurs retraités et améliorer le marché des investissements institutionnels et des capitaux. Si cette réforme est bien mise en œuvre et acceptée par la population, elle aura des effets positifs plus vastes sur la société, comme par exemple un accroissement de la responsabilité de l'individu pour son avenir et une baisse des risques politiques dans le domaine de la sécurité sociale.
Les risques Le risque principal pour les fonds de pension est la chute de la valeur des investissements. Ce risque peut être limité grâce à des investissements sur une longue période, une réglementation des investissements et une bonne supervision appropriées. Deuxième préoccupation: les coûts élevés d'administration des fonds de pension privés par rapport au système par répartition. Ce risque est accru du fait que la réforme est trop modeste pour encourager des changements particuliers, car le système de fonds privés est facultatif et le taux de cotisations à ces fonds privés n'est que de 5,5 %. Il serait plus sûr d'augmenter le taux de cotisations pour assurer le succès de la réforme.
Résultats de la réforme Le Inarché a bien réagi à la réforme. Au printemps 2003 plusieurs entreprises ont annoncé qu'elles étaient prêtes à offrir des produits de pensions. A l'heure actuelle 8 entreprises de gestion et compagnies d'assurance-vie proposent des fonds de pension.
153 Les gens ont opté pour le service offert par le secteur privé pour les retraites - 441 148 participants ont été enregistrés en 2003, 116 241 nouveaux participants en 2004, 128 695 en 2005, 99 955 en 2006, 96 553 en 2007. Au 21 janvier 2008 il Y avait 889 105 participants aux fonds de pensions privés (sur 1 400 000 cotisants au système d'assurance vieillesse public et qui ont le droit de choisir un fonds de pension privé). 6133 participants ont utilisé leur droit de changer de fonds de pension.
Les débats récents Il y a des propositions sur la table pour améliorer le régime des fonds de pension. La proposition principale fixe le coût d'administration maximum du fonds de pension à 0,5 % de la valeur moyenne annuelle du compte retraite du participant et ce coût ne doit pas dépasser 1 % des cotisations payées au fonds de penSIon.
Une « happy end» pour la réforme des retraites? L'idée sous-jacente à d'autres propositions de transformation serait d'avoir une dénationalisation cohérente et consciente de la vie économique et sociale et de renoncer à la vision paternaliste du gouvernement, pour laisser la place à l'initiative privée et à la responsabilité. Une fois le système de pensions privées en vigueur, il sera essentiel de repenser le financement du régime public de retraite restant. Dans un premier temps, il est essentiel de réduire progressivement la cotisation que doivent payer à l'Etat les adhérents à un fonds de pension. Plus tard, après avoir révisé les principes de la formation du budget, le budget séparé de l'assurance sociale devra être éliminé, et les retraites publiques devront être financées sur le budget de l'État. Une telle réforme contribuerait à améliorer le climat des affaires et à promouvoir la concurrence. Le système actuel, qui consiste à financer le budget des retraites publiques en surtaxant le travail de façon pénible et déraisonnable, entrave la transformation économique, encourage le travail au noir, et étouffe la compétitivité économique.
154
LA RÉFORME DES RETRAITES EN ROUMANIE Radu NECHITA*8o La situation économique de la Roumanie est assez contrastée. Son économie enregistre près d'une décennie de croissance ininterrompue, Eurostat vient juste de réviser à la hausse les perspectives pour cette année, le taux pour le premier trimestre 2008 étant de 8,2 % par rapport au premier trimestre 2007. Dans l'UE, il est dépassé seulement par la croissance de l'économie slovaque, pays qui, comme la Roumanie, a réduit ses taux d'imposition et a adopté la flat taxe Fin 2007, la dette publique représentait 20,5 % du PIB, selon un communiqué du Ministère de l'Economie et des Finances. Selon la méthodologie ESA95, qui exclut les emprunts garantis par le Gouvernement roumain, ce taux est de seulement 13 %, un des plus réduits de l'Union. Cependant, le niveau de vie continue d'être un des plus réduits de l'Union, le taux de croissance de la population est négatif depuis 1991, ce qui se traduit par un vieillissement de la population. Ce sont surtout ces évolutions qui menacent d'effondrement le système public de retraites, fondé sur la répartition. La gravité de la situation aurait nécessité une réforme rapide et plus radicale du système de retraite mais les autorités ont opté pour une privatisation lente et partielle du système de retraites, en accord avec les conseils de la Banque Mondiale.
1. Le poids du passé La Roumanie a été l'un des premiers pays d'Europe à introduire, dès 1912, un système de retraites obligatoires pour les salariés, fondé sur le principe de la répartition en complément des mécanismes privés facultatifs existants à l'époque 81 • Plus exactement, les retraites étaient un des bénéfices d'une couverture plus large concernant la maternité et les risques d'accidents, de maladie et d'invalidité. Les cotisations-retraites étaient partagées d'un point de vue comptable en trois part égales, entre l'employé, l'employeur et l'Etat 82 .
* Université de C/uj Napoca, IREF Research Fe//ow,
Roumanie 80. Ce texte est une version raccourcie de l'article dont la version cOlnplète est sur le site www.irefeurope.org 81. Ponds, 1995, p. 39. 82. Marginean, 1999, p. 79.
155
Entre 1948 et 1989, la population de la Roumanie a augmenté de 46 0/0, hausse bien supérieure à celle des pays voisins tels la Bulgarie (21 %) et la Hongrie (11 %). Cela explique les difficultés relativement réduites du système de retraites durant cette période mais aussi, en partie, les difficultés actuelles. En effet, depuis 1991 la population roumaine enregistre un taux de croissance négatif à cause du niveau très bas de la natalité et d'une longévité en hausse. Le poids relatif de la population de plus de 65 ans continue d'augmenter tandis que celui des potentiels contributeurs et des jeunes diminue. Le système de retraites par répartition semble être confronté à des problèmes démographiques sans solution viable d'un point de vue économique et politique.
Une transition très « graduelle» Après 1989, contrairement à d'autres pays ex-communistes (Hongrie, Pologne, République Tchèque), les autorités roumaines ont choisi la voie de la transition graduelle vers une économie de marché où l'Etat resterait toujours l'acteur dominant. La restitution des propriétés (immeubles, terrains, entreprises) confisquées par le régime communiste à été retardée autant que possible et n'est toujours pas achevée à ce jour, malgré d'importants progrès accomplis ces dernières années. De même, la privatisation des entreprises fondées et détenues par l'Etat a pris au moins une décennie de plus que dans les autres pays excommunistes. Les investisseurs étrangers, facteur essentiel de la croissance, ont été découragés au début des années 1990 par des manifestations sous le mot d'ordre «notre pays n'est pas à vendre ». Enfin, ce n'est seulement qu'en 2005 que le taux d'inflation a été réduit à un seul chiffre. Entre 1990 et 2000, les prix ont été multipliés par plus de 11000. (INS 2006, p. 396). Au désordre économique s'est ajouté le désordre financier. Les principales banques étaient publiques et elles ont été utilisées pour créditer des entreprises d'État en faillite virtuelle ou pour financer des privatisations louches. Leur "sauvetage" a coûté plus de 3,5 milliards de dollars en fonds publics. Les premières banques privées n'ont pas eu plus de succès, certaines ont été très vite discréditées par des opérations de spoliation, fruits de la complicité de la part des autorités, alliant dirigeants de l'ancien et du nouveau régime. La Bourse de Valeurs de Bucarest, rouverte en 1995, a été utilisée pour des privatisations qui ont déçu les actionnaires, et sa mauvaise réputation, jointe à l'instabilité
156 législative et plus généralement à un environnement économique peu favorable, a fait que la capitalisation boursière demeure une des plus réduites de la région, tant au niveau absolu qu'au niveau relatif. La Bourse reste un instrument marginal d'épargne à titre individuel pour la très large majorité des Roumains. alternative à Enfin les fonds d'investissement l'investissement direct en Bourse - n'ont toujours pas réussi à regagner complètement la confiance du public suite à l'effondrement de plusieurs fonds dans la deuxième moitié des années 1990. Le plus célèbre d'entre eux (Fonds National d'Investissements) a affiché pendant des mois et des mois des rendements impressionnants qui ont fait les gros titres de la presse économique et généraliste. Le public s'est rué sur ses titres, séduit par les gains potentiels, par un slogan hallucinant (Dors tranquille, FNI travaille pour toi) et par la garantie de la valeur des titres accordée par un établissement public (La Caisse d'Economies et Consignations). Cette garantie a été accordée dans des conditions juridiques douteuses et n'a pas été honorée à ce jour, huit ans après l'effondrement de la valeur des titres respectifs. Une estimation récente fait état de 300 000 victimes et 300 millions de dollars. La perte moyenne d'environ 1000 dollars (soit quelques salaires mensuels moyens de l'époque) ne semble pas particulièrement élevée. Une perte plus difficile à quantifier est le coût engendré par la méfiance généralisée et durable envers les fonds d'investissement. En effet, suite au scandale FNI, pour une grande partie de la population, il n'y a pas de grande différence entre ce type d'investissement et les jeux pyramidaux du début des années 1990, dont le plus célèbre promettait 8 fois la mise en trois mois. L'incapacité des autorités à prévenir les escroqueries
financières à échelle nationale - parfois déroulées avec leur complicité active - a engendré un environnement de défiance à l'égard de l'épargne institutionnalisée. Cela a rendu plus difficile qu'ailleurs l'introduction d'un mécanisme de retraites par capitalisation en Roumanie.
Les occasions manquées Pendant toute la période de «transition» la gestion du système de retraite est, elle aussi, très hasardeuse. Bien que les difficultés du système de retraites soient devenues rapidement évidentes, les autorités ont manqué plusieurs occasions de réforme, en dépit des alternances politiques.
157
Tout au contraire, le système a été déséquilibré par la mode des retraites anticipées, un moyen commode de dissimuler le chômage structurel. Les années électorales 1990 et 1992 ont été pour les autorités l'occasion de céder à la démagogie. Le manque de courage et/ou de volonté politique a pris la forme particulière de « l'assouplissement» des conditions pour le départ à la retraite et des retraites anticipées. La justification était celle de « faire place aux jeunes, afin de combattre le chômage». Evidemment, d'un point de vue électoral, le statut de retraité est préférable à celui de chômeur et la réduction du taux de chômage - même artificielle est plus payante en voix que celle du taux de dépendance. Les débats sérieux concernant la nécessité de réformer en profondeur le système de retraites par répartition ont commencé après l'alternance de 1996, lorsqu'une coalition hétéroclite de centre-droite est arrivée au pouvoir pour la première fois depuis 1945. Les désaccords entre les membres de la coalition, l'opposition politique parlementaire, les réticences des syndicats, l'environnement économique défavorable ont été .responsables des atermoiements de la réforme. Quatre ans après la prise du pouvoir, le seul résultat notable dans ce dOlnaine a été le vote d'une nouvelle loi du système des retraites destinée à remédier aux plus visibles défaillances et iniquités du système par répartition. Finalement, deux jours avant les élections, le gouvernement instaure par ordonnance d'urgence un mécanisme obligatoire de retraites par capitalisation. Un mois après, l'ordonnance est abrogée par le nouveau gouvernement de centre-gauche. Les élections de 2000 apportent une nouvelle alternance politique et le projet est débattu pendant quatre ans avant de déboucher sur une loi, pas très différente de l'ordonnance votée, puis abrogée en 2000. L'alternance de 2004 provoque un nouveau retard: la loi n'est pas appliquée, elle subit de nouvelles modifications, mais cette fois-ci, la loi est finalement votée en 2006. Le système commence à fonctionner en 2008, la dernière de ce cycle électoral. L'environnement économique et institutionnel est aujourd'hui globalement plus favorable à la réforme des retraites qu'il ne l'était il y a dix ans. Cependant, certaines conditions sont plus graves, notamment celles qui concernent la structure démographique et le rapport contributeurs/bénéficiaires. En outre, le retard de la réforme a rendu encore plus difficile son financement une fois achevées les grandes privatisations. Ce retard
158
a aussi privé les futurs retraités des hausses spectaculaires des titres boursiers qui ont eu lieu notamment après 2002. Après une décennie de tergiversations, la solution adoptée n'est pas très différente des projets avancés au début et qui avaient pour référence le modèle élaboré par la Banque Mondiale, fondé sur trois piliers. La dernière étape de la réforme aura été le lancement en 2008 de la capitalisation obligatoire. 2. 2008 : Le nouveau système mis en place La réforme a gardé le système par répartition, complété par deux dispositifs fondés sur la capitalisation, dont l'un est obligatoire et l'autre facultatif. Premier pilier: la répartition est toujours là, ses problèmes aussi Dans les débats précédant la réforme, à aucun moment il n'a été question de remplacer complètement le système de répartition par la capitalisation. Certes, José Piflera est venu donner des conférences et apporter ses conseils mais sans succès auprès des autorités roumaines ou des think tanks d'influence. Les objectifs des autorités ont été nombreux: maintenir le système par répartition et assurer son équilibre financier, augmenter les retraites, notamment les plus petites d'entre elles, réduire les cotisations (parmi les plus élevées du monde), éliminer ou au moins réduire les disparités entre les retraites des catégories similaires de retraités, assurer une meilleure corrélation entre les contributions et les bénéfices mais aussi la redistribution en faveur des retraites les plus faibles, etc., le tout sans prendre trop de mesures impopulaires. Ces objectifs sont contradictoires et les autorités ont privilégié les uns par rapport aux autres au gré des échéances électorales, sans donner l'impression d'une stratégie cohérente. La conséquence a été une instabilité législative génératrice de confusion. La loi No. 19 du 17 mars 2000, censée remplacer celle de 1977 et résoudre le problème des retraites a subi plus de 50 modifications diverses jusqu'au 26 juin 2008. A partir de 2002, l'âge légal de la retraite - 57 ans pour les femmes et 62 ans pour les hommes - a été augmenté d'un mois par semestre, avec l'objectif d'atteindre 60 et, respectivement 65 ans début 20 15. Parallèlement, la période de cotisation ouvrant droit à une retraite à taux plein passera de 25 à 30 ans pour les femmes et de 30 à 35 ans pour les hommes. De même, la période minimale de cotisation augmentera de la à 15 ans. Fin 2008, compte tenu de la mise en place progressive de ces augmentations, l'âge légal de la
159
retraite sera de 58 ans et 6 mois pour les femmes et 63 ans et six mois pour les hommes, et la période de cotisation sera respectivement de 27 et 32 ans, tandis que la période minimale deviendra 12 ans. L'évolution des cotisations sociales est synthétisée dans le tableau 1. La base d'imposition diffère légèrement selon les années et le type de contributions mais, suite à un processus d'harmonisation à la hausse, elle est formée à présent par le revenu brut du salarié. Par conséquent, le total des pourcentages n'est pas rigoureusement exact, mais il offre une très bonne approximation du coût de la protection sociale en Roumanie. Les taux de contribution de l'employeur sont pour des conditions de travail normales (N), particulières (P) et, respectivement, spéciales (S). Pour 2008, la contribution des employés de 9,5 % inclut aussi la contribution obligatoire de 2 % versée à des fonds de pension privés.
Tableau 1 : Les contributions sociales en Roumanie, 2005-2008 Type de contribution Payeur Employé Retraites
N
2005 9,5 22 27 32 6,5 7 1 3 0,5-4 0,25-0,75
2006 9,5 20,5 25,5 30,5 6,5 7 1 2,5 0,5-4 0,25-0,75
Fin 2007 9,5 19,5 24,5 29,5 6,5 7 1 2 0,4-3,6 0,25-0,75
Employeur P S Employé Santé Employeur Employé Chômage Employeur Risque et accidents Employeur Inspection du travail Employeur Fonds de garantie 0,25 Employeur des salaires Indemnisation pou r 0,85 Employeur congés-maladie N 49,75-53,75 47,75-51,75 46,25-49,95 Total P 54,75-58,75 52,75-56,75 51,25-54,95 S 59,75-63,75 57,75-61,75 56,25-59,95
Fin 2008 9,5 (7,5+2) 18 23 28 5,5 5,2 0,5 1 0,4-2 0,25-0,75 0,25 0,85 41,45-43,55 46,45-48,55 51,45-53,55
Source: Législation roumaine.
160
Second pilier: une capitalisation obligatoire réduite mais croissante Au 1er juillet 2006 est entrée en vigueur la loi qui introduit les contributions obligatoires à des fonds de pensions privés fondés sur le principe de la capitalisation. Cependant, les fonds de pension ont commencé leur activité seulement en 2007 et les prelnières contributions ont été versées début 2008. La loi divise les contribuables en trois catégories d'âge : - Les moins de 35 ans lors de l'entrée en vigueur de la loi participent d'office au second pilier; - Entre 35 et 45 ans, la participation à la capitalisation est volontaire ; - Au-delà de 45 ans, les contributions obligatoires sont destinées uniquement au système par répartition. Le taux de la contribution individuelle obligatoire de 9,5 % est partagé en deux: 7,5 % continuent d'être versés au système public par répartition et 2 % sont versés au fonds de pension choisi par le contribuable. Ce taux augmentera avec 0,5 % par an jusqu'à un niveau maximum de 6 %, qui sera atteint en 2016. Les contributions aux fonds de pension ne sont pas imposables (elles sont fiscalement déductibles du revenu brut) et elles sont virées dans le compte individuel de chaque contribuable, qui est leur seul propriétaire. (Loi 411/2004, republiée). Suite à la campagne publicitaire déroulée fin 2007, 3 823 610 souscripteurs ont choisi eux-mêmes leur fonds de pension, mais 332 706 assurés ont été répartis de manière aléatoire proportionnellement aux « parts de marché» des fonds de pension. La répartition aléatoire s'est appliquée aux actifs de moins de 35 ans qui n'avaient pas signé de contrat avec un fonds de pension dans le délai légal ou ont signé plusieurs contrats, ce qui invalidait toutes leurs inscriptions. Du total de 4 156 316 participants au second pilier, 34 % sont âgés de plus de 35 ans. Cela veut dire que plus de 1,4 millions de personnes ont préféré la capitalisation privée au système public basé sur la répartition. A la ligne de départ se sont inscrits 18 fonds de pension. La première étape de la course a eu deux gagnants incontestables en termes de parts de marché, leur poids cumulé avoisinant 60 % : ING Fond de Pensii (33 %) et Allianz-Tiriac Pensii Private (26 %). Ils ont été suivis par les filiales de Generali, (9 %), Aviva (7 %), Interamerican (6 %) et AIG (6 %). Les parts individuelles du reste des participants sont inférieures à 5 %. Entre temps, quatre fonds de pension ont fait la demande de se retirer du marché. Leurs
161
souscripteurs seront redistribués de manière aléatoire entre les fonds restants. S' ils ne sont pas contents de leur nouvelle allocation, ils peuvent changer de fonds sans frais ou pénalités. La presse économique fait régulièrement état de rumeurs concernant d'autres retraits et fusions potentielles 83 • Le total des actifs collectés par les fonds de pensions du second pilier s'élevait en mai-juin 2008 à moins de 25 millions d'euros, mais le processus de collecte des fonds avait pris du retard pour cause d'incompatibilité des systèmes informatiques. Selon les estimations de la Commission de Surveillance du Système des Pensions Privées, le montant annuel des cotisations atteindra environ 250-300 millions d'euros pour 2008 et à 600-700 millions d'euros pour 2009.
Troisième pilier: une capitalisation.facultative découragée Des produits financiers dénommés fonds de pension existent depuis plus d'une décennie, mais ils étaient le plus souvent combinés avec des produits de type assurance-vie. Les cotisations étaient purement facultatives. Les éventuelles exemptions fiscales ont été plafonnées à l'équivalent de 200 euros par an, déduits du revenu imposable. La conséquence de cette fiscalisation de l'épargne est en grande partie responsable de leur succès relativement limité. Les « vrais» fonds de pensions qui font partie du troisième pilier (à participation facultative) ont commencé leur activité en 2007. Le plafond de 200 euros par an a été maintenu par la loi concernant les pensions facultatives, ce qui explique l'intérêt réduit suscité par le troisième pilier auprès de la population: moins de 100 000 personnes ont souscrit des pensions facultatives. Une limite moins contraignante concerne le niveau des contributions, qui ne peut pas dépasser 15 % du salaire brut, pourcentage qui peut être « partagé» (évidemment, de façon purement comptable) entre l'employeur et l'employé. Le montant cumulé des actifs des pensions facultatives s'élève à environ 8 millions d'euros. Le directeur de la Commission de Surveillance du Système de Pensions Privées (CSSPP) s'est engagé à proposer cette année aux autorités fiscales une hausse du plafond de déductibilité à 5001000 euros par an. Si cette proposition est acceptée, elle pourrait être intégrée dans le Code Fiscal valable pour 2009 84 . 83. Tinteanu-Moldoveanu, 2008. 84. Tinteanu-Moldoveanu, 2008b.
162
3. Les controverses actuelles Alors que les fonds de pensions viennent à peine de commencer leur activité, plusieurs sujets sont débattus: Est-il nécessaire de garantir les rendements? Comment protéger la concurrence? Les contraintes des fonds sont-elles insuffisantes ou excessives?
Garantir les rendements ? La proposition de garantir les rendements des retraites (un rendement minimum égal au taux d'inflation) a de plus en plus de partisans dans le monde politique et dans le cadre de la société civile. GEA (Grupul de Economie Aplicatii - Groupe d'Economie Appliquée), un think tank influent, est un des plus actifs promoteurs de cette idée. Selon un sondage qu'il a commandé début 2008 (9-14 février), 84 % de la population âgée de 18-44 ans serait favorable à cette proposition, tandis que seulement environ 5 % s'y opposent. Le taux de réponses favorables augmente avec l'éducation tandis que le taux des opposants à cette proposition est relativement indépendant du niveau d'études. A la question « qui devrait accorder cette garantie? », seulement environ 14 % des personnes interrogées voient l'Etat comme unique garant de leurs fonds de pension, les autres ne le voient intervenir qu'en dernier ressort, tandis que 19 % des 30-44 ans et 22,8 % des 18-29 ans ne veulent pas d'intervention du tout. Les plus jeunes font ainsi preuve d'un certain désenchantement à l'égard de l'Etat et semblent accorder plus de crédit aux mécanismes contractuels ou marchands. L'opposition à cette mesure est plutôt disparate. Les arguments invoqués font valoir que l'obligation de respecter chaque année un rendement réel positif pourrait orienter les investissements vers des placements moins risqués mais aussi plus réduits, ce qui, en fin de compte pénaliserait les cotisants. En effet, les investissements des fonds de pensions sont sur le long terme et l'obligation de « cibler» un certain niveau du rendement annuelles obligerait à avoir un horizon très court. D'un point de vue macroéconomique, les fonds de pensions ne pourraient plus jouer leur rôle anti-cyclique car ils ne seraient pas différents des autres fonds d'investissement présents sur le Inarché. En outre, un changement aussi radical dans les règles du jeu moins d'un an
163
après le lancement du second pilier serait un mauvais signal de la part des autorités 85 . Protéger les concurrents ou la concurrence? Afin d'assurer une certaine égalité des conditions de départ, les fonds de pension ont été obligés de commencer au même moment leurs campagnes publicitaires pour attirer des souscripteurs. Selon les dispositions de la loi, les moins de 35 ans qui n'avaient pas souscrit de contrat valide (c'est-à-dire plusieurs contrats par personne ou pas de contrat du tout) allaient être répartis de manière aléatoire entre les fonds de pensions restants, en fonction des parts de marchés de ces derniers. Cette procédure a concerné 8 % du marché. En outre, les fonds de pensions devaient accumuler durant une période limitée un nombre minimum de souscripteurs, sous peine d'être dissouts. Jusqu'au début juin, quatre fonds de pensions ont fait la demande de se retirer du marché, avant même de commencer la collecte des cotisations. Leurs souscripteurs représentent seulement 0,1 % du total. Certains syndicats ont demandé la modification des règles en cours du jeu, en proposant la répartition égale. L'argument invoqué était la protection de la concurrence par la protection des concurrents les plus faibles. En effet, la modification proposée par les syndicats respectifs avantageait évidemment surtout les « petits» fonds de pension par rapport aux « grands ». La plaidoirie ne semblait pas tout à fait désintéressée car la presse économique et celle d'investigation ont fait état de certaines liaisons entre les syndicats respectifs et un des fonds de pensions qui aurait bénéficié de la modification de la règle. L'initiative n'a pas eu de succès et la loi a été appliquée dans sa forme initiale pour la répartition aléatoire des moins de 35 ans qui n'avaient pas signé de contrats valides. L'idée dominante des autorités et des « experts» est qu'un degré élevé de concurrence est assuré davantage par un nombre élevé de concurrents plutôt que par des barrières réduites à l'entrée sur le marché. Contraintes de portefeuille insuffisantes ou excessives? Les principales contraintes de portefeuille auxquelles sont soumis les fonds de pensions sont les suivantes: - Dépôts bancaires: maximum 20 % 85. Zavoianu, 2008.
164 - Obligations gouvernementales roumaines ou émises par d'autres membres de l'UE : maximum 70 % (seulement 15 % de titres d'Etat émis par des Etats tiers) - Obligations émises par d'autres autorités roumaines et membres UE : maximum 30 % (seulement 5 % pour d'autres Etats) - Maximum 50 % en valeurs mobilières cotées sur les bourses de Roumanie ou d'autres membres UE (seulement 5 % dans le cas des Etats tiers). Il n'y a pas eu de controverse sur le fait que la loi assure une place prépondérante aux titres émis par les Etats, c'est-à-dire par les mêmes entités qui (re) privatisent aujourd 'hui les retraites faute de ne pas être en mesure d'assurer à l'avenir les engagements passés et présents. Le débat a porté davantage sur les restrictions concernant les investissements à l'étranger. Certains ont vu les limites insuffisantes et ont plaidé en faveur d'une limitation au seul marché roumain, afin d'aider la bourse roumaine à récupérer le décalage par rapport à ses concurrentes. D'autres ont considéré ces limites comme trop strictes et potentiellement pénalisantes pour les assurés roumains, à cause des freins à la diversification du portefeuille. Par exemple, la place réservée aux Etats tiers (5 %) apparaît particulièrement réduite si l'on tient compte que cette catégorie inclut les marchés américains, japonais, et tous les pays émergents du monde. La CSSPP invoque la loi pour intervenir encore plus en profondeur dans la gestion des fonds de pension. Elle vient d'infliger plusieurs amendes à des administrateurs de fonds de pension qui ont externalisé en partie la gestion de leurs fonds à d'autres entités affiliées. La question est de savoir si une entreprise dont l'unique objet d'activité est la gestion d'actifs peut externaliser son métier. La CSSPP considère que non tandis que les administrateurs de fonds de pension sont d'avis contraire car cela permettrait d'agir dans l'intérêt des assurés, ces derniers étant les bénéficiaires de la meilleure expertise possible. Une autre contrainte contestée par les administrateurs des fonds de pension est l'exclusion totale de tout investissement dans des entreprises non-cotées. Le législateur roumain a probablement voulu empêcher la répétition des fraudes de type «FNI». Cependant, l'interdiction totale de ce type d'investissement interdit aux fonds de pension roumains de participer à des introductions en bourse et à toute une série d'opérations très lucratives pratiquées ailleurs (private equity).
165
Conclusions La chute du communisme a surpris l'économie roumaine dans une situation de manque de compétitivité, avec une structure et des « prix» complètement déconnectés du marché mondial, avec un environnement juridique et une culture économique à l'opposé de l'économie de marché. Cette situation difficile a été aggravée par l'hésitation voire l'opposition des autorités face aux réformes qui auraient pu accélérer la transition. Les bouleversements démographiques, l'inflation et les mesures populistes ont mis à jour et amplifié les vices structurels du système de retraites par répartition, au point où sa réforme est devenue inévitable même aux yeux des autorités qui l'avaient repoussée pendant plus d'une décennie. Après un demi-siècle de communisme et une quinzaine d'années d'inflation, de fraudes bancaires et financières, il est probablement difficile d'imaginer un environnement plus difficile pour l'introduction d'un système de retraites par capitalisation. Si la Roumanie a pu réformer son système de retraites et s'engager sur la voie de la capitalisation, c'est bien la preuve que cette réforme est possible partout ailleurs.
Références bibliographiques GEA Grupul de Econolnie Aplicata, Scrisoare deschisa, http://www.gea.org.ro/documente/ro/scrisoare desch isa/scrisoare pen sii.pdf INS Institutul National de Statistica (2007), Anuarul ROlnâniei 2006. INS Institutul National de Statistica (2006), Anuarul României 2005, http://www.insse.ro/cms/files/pdf/ro/cap 1O.pdf LOI 411/2004 sur les fonds de pension privés, du Monitorul Oficial, Partea 1 nr. 482 din http://w4.csspp.ro/ro/pdf/romana/legislatie/legi/legea-411-2004republicata.pdf
Statistic al Statistic al
18/10/2004,
18/07/2007,
MAEGINEAN, 1999, Sistemul protectiei sociale în România, in C.ZAMFIR, E.ZAMFIR, I.BADESCU (coord.), Starea societatii rOlnâne~ti, Editura Expert, Bucarest. NECULAU, Adrian (2004), Viata cotidiana in COlTIlTIUnislTI, PolirOlTI, Iasi, p. 248. PASTIA Edward (2008), Aici sunt banii dumneavoastra: La FNI!, 26 Mai, http://www.financiarul.com/articol 4266/aici-suntFinanciarul, banii-dumneavoastra:-Ia-fni.httnl
166 PREDA Marian, coord. (2000), Sistemul de asigurari de pensii în România: probleme majore ~i solutii,avec C. Dobo~, V. Grigora~, 1ER, Bucure~ti.
PREDA, Marian, (2001), Politica Sociala româneasca între saracie ~i globalizare, Polirom, la~i TINTEAND-MOLDOVAND, Gabriela (2008a), Piata pensiilor private începe sa î~i cearna jucatorii, Capital, N° 18 du 7 mai 2008, http://www.capita1.ro/articol/pia-x 163-a-pensiilor-private-ncepe-s-x103-x 15fi-cearn-x 103-juc-x 103-torii-1 08630.html ZAVOlAND, Dan, Garantii pentru lini~tea viitorilor pensionari esteuropeni, Capital N°, 13 Février 2008, http://www.capita1.ro/articol/garanx 163-ii-pentru-lini-x 15f-tea-viitorilor-pensionari-est-europeni-l 07164.html
167
SUISSE: VUE D'ENSEMBLE Pierre BESSARD*86
Le défi actuel Le système de retraite suisse est confronté à d'importants défis en matière de financement étant donné les changements démographiques. La dernière étude intergénérationnelle demandée par le gouvernement indique que les droits à la retraite explicites et implicites non financés s'élèvent à 63,5 % du PNB (dette publique et retraites par répartition). Le problème est moins grave que dans bon nombre d'autres pays européens, dans la mesure où les retraites par répartition représentent seulement 40 % des revenus moyens d'un retraité. Le débat sur l'avenir du système suisse de retraite s'est intensifié à partir du milieu des années 90 pour culminer avant le vote de 2004 sur la tentative (infructueuse) du gouvernement visant à assurer un plus grand financement par la voie fiscale, entre autres mesures. Bien que les solutions préconisées varient beaucoup, on considère généralement que le système de retraite par répartition est confronté à un trou financier considérable. Lorsqu'en 1948 l'âge légal/de référence de la retraite a été fixé à 65 ans, l'espérance de vie moyenne était de 68 ans; aujourd'hui elle est de 82 ans. Au cours des six dernières décennies le rapport retraitésactifs est passé de 9,5 à 3,6. D'après les estimations il devrait encore baisser pour atteindre 2,2 en 2040. D'après un sondage seuls 18 % de la population suisse pensent que les retraites seront assurées à long terme; seuls 50 % des jeunes pensent que le système par répartition leur assurera une retraite. Le problème est atténué par les plans de retraite complémentaire par capitalisation (deuxième pilier) et par les plans de retraite individuels/volontaires (troisième pilier). En tout, les fonds de retraite privés dépassent les 120 % du PNB, contre pratiquement rien dans certains autres pays européens.
* Directeur de l'Institut Constant de Rebecque (Lausanne), IREF Research Fellow (Suisse) 86. Ce texte est traduit de l'anglais. Sa version originale est sur le site www.irefeurope.org
168
Le système suisse de retraite Le système suisse de retraite se fonde sur trois piliers: le système par répartition obligatoire, les plans de retraite complémentaires/privés obligatoires (pour les salariés) et les plans de retraite individuels volontaires. Seuls 3 % des retraités vivent exclusivement de leur pension de retraite premier pilier. En lTIoyenne le revenu d'un retraité est constitué à 40 % par la pension du système par répartition, à 20 % par celle du deuxième pilier, à 30 % par le revenu du capital et à 10 % par un revenu d'activité. Ces quatre sources de revenu représentent un montant annuel de CHF 52,100 (EUR 32,500) pour un retraité, contre un revenu annuel moyen de CHF 77,200 (EUR 48,500) pour un salarié.
Le premier pilier Le système par répartition a été introduit en 1948 afin de couvrir « les besoins vitaux» à la retraite. Le système est financé à 80 % par les prélèvements sur les salaires et à 20 % par des subventions gouvernementales financées par d'autres impôts. Le prélèvement actuel pour les employés est de 8,4 % du salaire (4,2 % à charge de l'employé et 4,2 % à charge de l'employeur) à compter de l'année suivant le 17 ème anniversaire du salarié; le prélèvement varie de 4,2 % à 7,8 % pour les travailleurs indépendants. Les personnes non-actives doivent payer une somme forfaitaire allant de CHF370 (EUR 230) à CHF8400 (EUR 5250) par an à partir de l'année suivant leur 20 ème anniversaire. Les fonds du système par répartition s'élèvent à CHF 26,5 milliards (EUR 16,5 milliards) et représentent à peu près la moitié du montant annuel actuel des retraites. Les avoirs sont gérés par un fonds indépendant, dont le conseil d'administration est constitué par des représentants du secteur financier, des entreprises, des salariés et du gouvernement. Les produits de la gestion servent à équilibrer le manque de recettes certaines années. Les retraites sont versées à partir de 64 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes. Les salariés peuvent partir à la retraite deux ans avant l'âge légal (contre une baisse des prestations), ou reporter leur départ à la retraite de cinq ans (avec des prestations accrues). Le deuxième pilier Les plans de retraite complélTIentaire sont obligatoires pour les salariés depuis 1985. Ce régime a pour but d'arriver, avec le
169
premier pilier, à la retraite à 60 % du revenu antérieur. Il est facultatif pour les indépendants. Le financement du système, qui est un système de capitalisation, est entièrement privé. Beaucoup de compagnies d'assurances et de fonds de pension se font concurrence sur le marché du deuxième pilier, bien qu'il soit fortement réglementé. La loi stipule que les employeurs paient au moins autant que les cotisations totales des employés. Un bon plan de retraite complémentaire peut être un facteur de compétitivité pour les employeurs sur le marché de l'emploi. Les cotisations varient en fonction de l'âge du salarié et du fonds de pension. Elles représentent en moyenne 17 % du salaire (en incluant la part employeur). Le capital s'accumule grâce aux contributions salariales et à un rendement annuel minimum de 2,75 % fixé par la loi. Ces dernières années, la société civile a fait des propositions visant à libéraliser le système pour permettre au salarié de choisir librement son fonds de pension et la stratégie d'investissements qui correspond le mieux à ses besoins. Actuellement, les fonds de pension gèrent plus de CHF600 milliards (EUR 375 milliards), soit approximativement 120 % du PNB. L'argent est versé au moment de la retraite sur la base d'un taux annuel de 7 % du capital du bénéficiaire. Les retraités peuvent choisir de retirer directement au moins 25 % de leur capital, bien que certains fonds de pension prévoient cette possibilité pour la totalité du capital. En cas de retraite anticipée, les prestations (plus basses) ne peuvent être légalement payées avant 58 ans, et l'âge minimum peut varier d'un fonds de pension à un autre.
Le troisième pilier Les plans de pensions privés individuels sont fiscalement déductibles jusqu'à concurrence de CHF 6,365 (EUR 4000) par an pour les personnes qui ont un plan de retraite complémentaire et CHF 31,824 (EUR 20,000) pour celles qui n'en ont pas. Les banques et les compagnies d'assurances sont en concurrence sur ce marché. Depuis le 1er janvier 2008, les contributions peuvent être versées jusqu'à cinq ans après l'âge légal de la retraite, mesure visant à réduire le parti pris à l'encontre des seniors actifs. Les prestations peuvent être versées cinq ans avant ou cinq ans après l'âge légal de la retraite. Le capital peut être versé entièrement si le bénéficiaire devient travailleur indépendant ou achète son logement, par exemple.
170
Hypothèses de solutions de financement Pour combler le trou financier du premier pilier, plusieurs options sont envisagées :
Retarder l'âge de la retraite L'ajustement de l'âge de la retraite est la solution la plus évidente étant donnée l'augmentation de l'espérance de vie. Le gouvernement suisse a fait des propositions pour repousser l'âge légal de la retraite à 66 ou 67 ans d'ici 2015. Certains, dans la société civile, ont même envisagé de le repousser jusqu'à 71 ans. La proposition de repousser l'âge de la retraite pour les femmes de 64 à 65 ans, comme pour les hommes, a été rejetée par les électeurs en 2004.
Réduire les prestations La réduction des prestations se fait par le biais de mesures subtiles comme le report de l'adaptation à l'inflation, mais des coupes nettes dans les prestations sont largement exclues pour des raisons politiques et parce que les prestations ne rempliraient plus leurs fonctions.
Augmenter les recettes Jusqu'à présent, le gouvernement suisse s'est concentré sur l'augmentation de la TVA qui est considérée comme économiquement moins nocive que les prélèvements sur les salaires. La proposition d'augmenter la TVA de 1,8 % a été rejetée par les électeurs en 2004. L'augmentation des prélèvements fiscaux, qui pénaliserait encore davantage les activités de production, est critiquée car elle affaiblirait la croissance économique potentielle et l'autonomie du secteur privé, et réduirait les possibilités d'emploi dans les secteurs à forte utilisation de main d'oeuvre dans lesquels la valeur ajoutée est générée par la main d' œuvre. L'augmentation des taxes est la mesure la plus controversée; comme elle suppose l'approbation par les électeurs il semble improbable que cette soi-disant solution soit retenue.
Faciliter l'immigration L'option de l'immigration se heurte aux limites de la réalité: la Suisse connaît chaque année des records d'immigration en provenance des pays de l'Union européenne, conformément à l'accord sur la libre circulation des personnes. En moyenne, 21 % de la population n'est pas suisse. De plus les immigrants sont
171
surreprésentés dans les statistiques de chômage et de dépendance sociale, ce qui élève encore le coût de revient de l'immigration.
Augmenter la fertilité L'influence sur la fertilité peut au mieux être indirecte et très limitée. Parmi les mesures introduites, le parlement fédéral a voté des subventions en faveur de crèches de jour et des allocations familiales à l'échelon fédéral pour aider les femmes à mieux concilier carrière et vie de famille. Cependant, l'expérience montre que ceci n'aura que des résultats isolés tout en augmentant la pression sur les finances du gouvernement. Stimuler la croissance économique La politique économique est un domaine dans lequel le gouvernement fédéral a essayé de mettre en œuvre des mesures modestes, comme la réduction de la charge administrative ou la réforme de l'impôt sur les sociétés; il est probable que les réformes fiscales récentes dans les cantons vont améliorer les performances économiques. Cependant, la marge de réductions fiscales et des réformes réglementaires est limitée; d'une part il faut financer l'augmentation des pensions, d'autre part la tendance mondiale est aujourd'hui à un renforcement des réglementations des marchés environnementaux et financiers. En sens inverse, une augmentation de la fiscalité afin de fournir des recettes nouvelles pour le système par répartition, telle que l'envisage le gouvernement fédéral, ne manquerait pas de freiner la croissance économique.
Les tentatives de réformes actuelles Après l'échec de la réforme de 2004 visant à aligner l'âge de la retraite des femmes sur celui des hommes, et à augmenter de façon sensible la TVA, le gouvernement suisse tente actuellement de mettre en œuvre de petites mesures pour soulager la situation financière actuelle. Le gouvernement a fait une concession à ses opposants politiques: il a assoupli les règles de retraite anticipée pour les salariés à faibles revenus au détriment du système par répartition, en échange de l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes à 65 ans. D'après les nouvelles règles, les salariés éligibles pourraient bénéficier de leur retraite pleine entre 61 et 64 ans. Cette mesure réduit de moitié les gains estimés de la réforme. A moyen terme, le gouvernement a l'intention de présenter une autre réforme qui rendrait l'âge de la retraite plus souple et
172
adaptable à l'espérance de vie, comme cela a été fait dans certains autres pays européens.
Perspectives La situation en Suisse est moins grave que dans beaucoup d'autres pays. Ceci est manifeste lorsqu'on voit le taux élevé d'emploi de la tranche d'âge des 15-64 ans, 81,6 %, et le taux de chômage relativement bas, 2,5 %. Cependant, le défi du financement du système par répartition demeure important et, en l'absence de réformes, exigerait des augmentations fiscales importantes. La position défensive adoptée par le gouvernement, comme le montrent les concessions faites à ses opposants dans le domaine de la retraite anticipée, risque de rendre difficile l'adoption de petites mesures étant donné qu'il faut obtenir une majorité d'électeurs pour faire adopter les amendements à la législation.
173
LE SYSTÈME DE RETRAITE TCHEQUE Jiri SCHWARZ Jr*87 D'après des prévisions démographiques, en 2065 il Y aura presque 28 % de la population tchèque qui aura plus de 65 ans. Le rapport de dépendance - qui est le rapport entre la population économiquement dépendante (les 0-15 et les plus de 65 ans) et la population active (les 15-64 ans) - atteindra 80 %. Etant donnée cette évolution démographique, si aucun changement n'est apporté au système de sécurité sociale tchèque, il ne sera pas viable à long terme. Voilà qui résume en trois phrases la proj ection de critères macroéconomiques tels que le système de recettes, de dépenses et de la dette pour les cent prochaines années. Cette projection est le résultat du travail d'un groupe d'experts, mis sur pieds par le gouvernement tchèque en 2004. Il avait pour tâche d'analyser le système de sécurité sociale en vigueur à l'époque et de faire des projections à long terme sur la base des propositions de réforme des grands partis politiques du pays.
Description du statu quo Aujourd'hui le système de retraite tchèque se fonde sur deux piliers. Le premier est un système obligatoire de retraite par répartition. Le système est financé par les contributions des salariés et des indépendants. Les salariés versent une contribution obligatoire de 6,5 % de leur salaire brut et les employeurs versent 21,5 % des salaires bruts des salariés. Les indépendants paient un montant égal à la somme de ces deux taux, c'est-à-dire 28 % de leur base d'évaluation. Il est possible également de contribuer volontairement au premier pilier du système de retraite, quand un aspirant à la retraite n'a pas travaillé le nombre d'années nécessaire pour recevoir une retraite complète. Dans ce cas là, le taux applicable est aussi de 28 % de la base d'évaluation. Le deuxième pilier est fondé sur une assurance retraite complémentaire, mais son rôle est négligeable - le rapport
* Libera/ni Institut (Prague), IREF Research Fellow (République Tchèque) 87. Ce texte est traduit de l'anglais. La version originale est sur le site www .irefeurope.org
174 avoirs/PIB des fonds de pension tchèques n'était que de 4,6 % en 2006 (la moyenne pondérée de l'OCDE étant de 72,5 %). Le niveau de la retraite est calculé en tenant compte de deux éléments: la période de cotisation et la base d'évaluation de chaque retraité. La période de cotisation peut être divisée en deux types : tout d'abord la période pendant laquelle la personne assurée a versé les cotisations. Cependant, on prend en compte également les périodes sans cotisations pendant lesquelles les droits à la retraite sont financés sans contributions de la personne concernée. Aux fins du calcul de la retraite, les périodes sans cotisations sont prises en compte à la hauteur de 80 %. A l'heure actuelle pour recevoir une retraite complète, il faut avoir cotisé pendant 25 ans, ou alors pendant 15 ans avec un report de l'âge de la retraite à 65 ans. La base d'évaluation est calculée en prenant la moyenne des revenus perçus pendant la période concernée moins les plafonds de réduction fixés chaque année par le gouvernement. En 2008, la part du revenu en deçà du premier plafond de réduction de 10 OOOCZK (420 EUR, le revenu moyen en 2008 étant de 21 700 CZK, soit 912 EUR) est totalement incluse, le montant entre le premier et le deuxième plafond de réduction de 24 800 CZK (1042 EUR) est pris en compte à la hauteur de 30 % et le reste du revenu au delà du 2 ème plafond de réduction est pris en compte à la hauteur de 10 %. Autre variable importante: l'âge de la retraite. Aujourd'hui, l'âge de la retraite varie en fonction de l'année de naissance. Les hOlnlnes nés avant 1936 ont pris leur retraite à 60 ans, les hommes nés après 1953 devraient prendre leur retraite à 63 ans. Chaque année de naissance après 1936 repousse l'âge de la retraite de deux mois. L'âge de la retraite pour les femmes augmente de 4 mois par an, en partant de 53-57 ans (en fonction du nombre d'enfants) et augmente jusqu'à 59-63 ans. Les pensions sont revalorisées du montant de l'inflation de l'indice des prix à la consommation et d'au moins 1/3 de l'augmentation du salaire réel moyen.
Critères Inacro et micro-économiques Ce qui est plus i~téressant que le cadre du régime actuel, ce sont ses effets Inacroéconomiques. Le groupe d'experts mentionné ci-dessus a fait une projection en utilisant comme base le statu quo actuel, c'est-à-dire un régime de retraites sans aucun changement législatif. Il a considéré que le PIB aurait une croissance moyenne de 1,9 % en moyenne par an pendant toute la période. Sans changement à la législation existante fin 2004, le déficit du régime
175 de retraite atteindrait 4 à 5 % du PIB par an. Ce qui signifie que d'ici la fin du siècle le régime aurait accumulé une dette d'approximativement 250 % du PIB. La raison de cette dette énorme est l'augmentation progressive des dépenses étant donné que le nombre de retraités devrait augmenter de façon significative. En partant du niveau de 8,4 % du PIB, il est prévu que les dépenses augmentent pour atteindre 13 % du PIB en 2100 alors que les recettes devraient rester relativement constantes à 8,4 % du PIB pour l'ensemble de la période. Dernier critère macro-économique important: le taux de remplacement global qui exprime le rapport entre la pension moyenne et le salaire brut moyen. Toutefois, il faut interpréter ce taux de façon prudente car des systèmes qui ont des taux de remplacement individuel complètement différents, et donc des niveaux de redistribution différents, peuvent avoir le même taux de remplacement global. Mais d'autre part le taux de remplacelnent est assez utile pour montrer la générosité moyenne du régime de pension. Le taux de remplacement global du système actuel commence légèrement au dessus de 40 % et baisse lentement pour atteindre 38 % à la fin du siècle. Pour appréhender complètement le régime de retraites les critères d'agrégats Inacro-éconolniques sont insuffisants. Lorsque l'on compare différentes propositions, il n'y a pas que la viabilité financière et sociale qui est importante, il faut également décrire la manière dont les propositions affectent les différents niveaux de revenus des personnes ou redistribuent les droits à la retraite parmi les retraités. Le premier critère micro-économique utile est le taux de remplacement individuel déjà mentionné qui exprime le taux de la pension accordée par rapport au dernier revenu perçu avant le départ à la retraite. Pour leur étude, les membres du groupe de travail utilisent le concept de « l'individu hypothétique» (IR) avec un certain profil de rémunérations. Ils définissent trois IR - un qui gagne le salaire moyen pendant toute sa carrière professionnelle (IR 100 0/0), un qui gagne la moitié (IR 50 %), et un dernier qui gagne trois fois le salaire moyen (IR 300 %). Chaque IR est un homme ou une femme qui a deux enfants, entre sur le marché du travail à 20 ans et prend sa retraite à 65 ans. En prenant comme base le système actuel, les personnes à faibles revenus ont un taux de remplacement de 90 %, ceux à hauts revenus moins de 30 %. Ce qui montre un degré élevé de redistribution des revenus élevés vers les faibles revenus.
176
Toutefois, l'indicateur de taux de remplacement individuel n'est pas sans failles, car il prévoit seulement le montant de la pension récemment octroyée mais néglige l'évolution de la pension au cours des années qui suivent. Un meilleur indicateur peut être le taux de rendement interne qui élimine certains inconvénients du taux de remplacement individuel car il considère la participation au régime de retraite COlnme un investissement. Le coût de cet investissement est la prime payée, et le retour sur investissement est la pension reçue par le retraité. En d'autres termes, le taux de rendement interne représente le taux d'intérêt nécessaire pour transformer les primes payées en montants de pension versés. Le niveau de cet indicateur indique donc la générosité du système. Mais il le fait avec moins de problèmes que les taux de remplacement. Le seul problèlne c'est qu'il n'a de sens que si le régime de retraite est financièrement viable ce qui n'est pas le cas pour le système actuel. Pour faire des comparaisons avec d'autres propositions politiques possibles, les membres du groupe de travail exécutif ont changé le cadre des paramètres du système actuel pour le rendre viable. Le taux de rendement interne de cette version financièrement viable commence approximativement à 2 % pour IH 300 % et ·se terlnine à 5,5 % pour IH 50 %, avec une moyenne légèrement supérieure à 4 %.
Propositions de réforme Il est possible d'utiliser ces critères micro et macroéconomiques pour décrire les caractéristiques essentielles de tout régime de retraite. Egalement pour comparer les propositions de réforme des grands partis politiques. Nous allons d'abord présenter les éléments clés de chaque proposition puis nous comparerons les critères utilisés et retenus dans leurs projections. La première proposition de réforme a été faite par le Parti social-démocrate tchèque qui souhaitait garder le système de retraite par répartition, mais veut créer également un système de comptes notionnels (mais sans capitalisation) et les utiliser pour définir le montant des cotisations payées par chaque personne 88 : le solde du compte est utilisé pour calculer la pension de la personne concernée, pour renforcer l'équivalence du système. Ce système est 88. Il s'agit donc d'un système notionnel à cotisations définies analogue à celui adopté en Italie, en Allemagne ou en Pologne [NdT].
177
complété par une retraite mInImum garantie pour protéger les personnes à faibles revenus. Seconde proposition de réforme: celle des Démocrates chrétiens. L'idée essentielle était de changer les paramètres du régime par répartition pour permettre une sortie partielle du système (opt-out). D'après cette proposition, une partie des fonds devraient pouvoir être transférée du régime public vers un compte spécial capitalisé. Enfin, la proposition du Parti communiste de Bohême et de Moravie portait seulement sur des changements de paramètresl'augmentation de la partie recettes du système de retraite par l'augmentation des impôts et des transferts d'autres postes du budget de l'état. Le Parti de la plateforme civique-démocratique (Civil democratic party) dans sa proposition était allé dans la direction opposée. Son idée était d'utiliser le pilier de la retraite par répartition pour fournir une pension forfaitaire représentant 20 0/0 du salaire moyen et, en conséquence, de réduire le taux de cotisation actuel de 28 % à 20 %. Ceci donnerait aux personnes la possibilité et la motivation pour utiliser les options privées pour augmenter leur pension future. La dernière proposition est venue de l'Union pour la libertéUnion démocratique. Les auteurs voulaient apporter des changements de paramètres au système de retraite par répartition pour restaurer sa viabilité à long terme et améliorer l'équivalence du système. La proposition prévoit aussi que 3 % de la base d'évaluation soit transférés vers un compte individuel capitalisé. Cependant, ceci n'est possible que si le futur retraité verse 6 % en plus, ce qui relève la cotisation à 34 %.
Comparaison des propositions Il s'avère que toute réforme du système de retraite doit faire l'objet d'un arbitrage entre un âge de départ à la retraite précoce, des pensions élevées et un taux de cotisation bas. Les propositions décrites essaient donc de trouver la combinaison idéale entre tous ces objectifs. Un arbitrage analogue existe entre solidarité et équivalence du système. Certaines propositions visent à renforcer l'équivalence tout en affaiblissant nécessairement en même temps le rôle de redistribution du système de retraite, alors que d'autres ont l'objectif opposé.
178
Lorsque l'on regarde les projections à long terme des critères macro-économiques préparés par le groupe de travail, les arbitrages deviennent apparents. Les dépenses sont les plus réduites dans la proposition du Parti de la plateforme civique-démocratique dans sa proposition de pension forfaitaire (moins de 6 % du PIB en 2100). Dans les autres propositions aussi, à l'exception de celle du Parti communiste, les dépenses du régime de retraites restent approximativement au niveau de 8 % du PIB. Les dépenses de la proposition du Parti communiste évoluent en gros dans le même sens et dans le même mesure que les dépenses projetées/prévues dans le système actuel pour arriver finalement au niveau de 12,4 % du PIB. En ce qui concerne l'âge de la retraite des hommes, les propositions prévoient une augmentation à 65 ans (Parti social démocrate, Démocrates chrétiens, Communistes), 67 ans (Union pour la liberté) ou 71 (Plateforme civique-démocratique) d'ici la fin du siècle. Le résultat des projections pour les recettes découle des dépenses et de l'âge de la retraite - les Communistes doivent augmenter de façon spectaculaire les recettes (de plus de 2 %) pour maintenir la viabilité du système de retraite. Le Parti social démocrate et de l'Union pour la liberté gardent les recettes pratiquement inchangées, les Chrétiens démocrates et les Démocrates civiques réduisent les recettes du régime de pension d'état. Pour les Chrétiens démocrates, la réduction est due principalement à la possibilité de sortie du système (opt-out). L'équilibre à long terme du régime de pension est réalisé dans les propositions mentionnées ci-dessus. Le seul système qui continue à être instable est la proposition communiste puisqu'il a une tendance déficitaire de 1 % du PIB. Les autres systèmes peuvent comporter des déficits transitoires/temporaires (à cause du opt-out) mais après quelques temps ils commencent à générer des excédents. Evolution analogue dans les projections du taux brut de remplacement global qui ne baisse pas uniquement dans la proposition communiste. Les Démocrates civiques ont comme objectif explicite le niveau de 20 % du salaire brut. Les autres propositions sont entre les deux, le système social démocrate de comptes notionnels_tend vers un taux de remplacement bien en deçà de 30 %. La possibilité d'un opt-out volontaire dans les deux propositions restantes aide à augmenter le taux de remplacement qui reste autour de 30 % à long terme. Les projections des critères microéconomiques présentent des différences beaucoup plus marquées entre les propositions. Par
179
exemple, du point de vue du taux de rendement interne, c'est curieusement la proposition du Parti social démocrate qui est la moins redistributive. D'autre part en matière de générosité du régime, elle est à la deuxième place (4,7 % l'an pour une retraite à taux plein) immédiatement après le système de pension proposé par les communistes. Surprenant aussi, le fait que le régime le plus redistributif soit celui proposé par les Démocrates civiques. Les différences dans les effets microéconomiques montrent qu'un régime de retraite, quelque soit son degré de redistribution et de générosité, peut être rendu financièrement viable. Cependant, uniquement dans le cadre des arbitrages présentés plus haut.
Autres questions et évolution récentes La discussion de l'avenir des régimes de retraite ne doit pas se fonder uniquement sur ces données mesurables, car il y a d'autres facteurs importants qui entrent en jeu. Par exemple, le fait que les gens ne doivent pas prendre soin d'eux-mêmes ou assumer une responsabilité quelconque dans le système par répartition. Ceci a des effets psychologiques importants. Peu à peu les gens cessent d'être responsables de leur vie, car ils partent de l'hypothèse que l'Etat peut le faire automatiquement et gratuitement. Cependant, et à cause de cela, les alternatives du marché aux programmes d'Etat disparaissent, et les hommes politiques font valoir que puisque le marché ne fonctionne pas dans certains domaines (alors qu'il fonctionnait avant mais cela on l' oublie), l'Etat doit intervenir. Entres autres facteurs, il y a aussi la stabilité du marché de capitaux ou les effets sur le marché de l'emploi et en particulier les incitations/encouragements à la retraite. Aujourd'hui, le débat commence à s'écarter des déclarations générales sur la nécessité d'une réforme des pensions pour se centrer davantage sur la fixation de critères spécifiques d'un nouveau système. Récemment, un premier pas vers une réforme a été fait lors de l'adoption d'une loi qui augmente l'âge de la retraite à 65 ans (à partir de 2030) et la période de cotisations à 35 ans. Ce changement de paramètres devrait réduire les dépenses d'ici la fin du siècle de 2 points (de 13 à à Il % du PIB) et la dette cumulée de 250 % à 150 %. Les étapes suivantes devraient suivre les résultats des projections décrites ci-dessus, y compris la possibilité d'une sortie partielle (opt-out) du système par répartition. La plupart des différends politiques actuels se concentrent, donc, sur le rôle futur de l'assurance privée. Les Socialistes sont actuellement
180
farouchement contre, alors que les Conservateurs (Démocrates civiques) considèrent que cela fait partie intégrante de la réforme des pensions et devrait aider à réduire les risques globaux qui menacent le système de retraites.
Chapitre IV
LA CAPITALISATION: MYSTIFICATION OU MIRACLE? Les récentes turbulences financières n'ont pas rendu la capitalisation sympathique. Les gens ont peur de s'en remettre à des fonds de pension et à des financiers. Par contraste, l'Etat apparaît comme le sauveteur aux ressources inépuisables, et les régimes publi§~de retraites ont r~tr()ll~éune cote qu'ils avaient
peut-êtreper~lle .• ; d.~Ruis quelque telllgs..;.•~.•. l;l;caPitalisationpas~ep. • . ()llr une mystificatig~./{ .. .ii;;. En réalité, il s'agit plutôt d'un/miracle. «Le principe • des intérêts composés est peut-être la découverte la plus importante dans l'histoire de l'humanité» a dit Albert Einstein. Malheureusement, l'ignorance des principes financiers est presque totale, en dehors de ceux qui font métier de travailler sur « l'argent ». Le but de ce chapitre est de ramener les finances et les marchés financiers à leur expression la plus simple. Nos explications se veulent à la fois rigoureuses (car on doit démonter tout le mécanisme de la capitalisation) et concrètes. Par exemple, il faut savoir ce que la prime d'un smicard français, placée en capitalisation, peut lui rapporter après 40 ans de cotisation (à 2 808 € par an actuellement). S'il est appelé à vivre 20 ans après son départ en retraite, cela représentera, dans l'hypothèse du plus faibl~t~llxid'intérêt(3 %}lln~irente annuelle de 14238 .€ (alors qu'ilgaglleaujourd'hui enactiyité12 638 €), qui le 111ène presque au niveau plafond de la retraite de la Sécurité Sociale (16 092 €) auquel il n'aurait bien sûr jamais eu accès. Demandons à quelqu'un sain d'esprit s'il sera content d'une retraite supérieure à son salaire actuel ! Ce « miracle)} n'est en fait que le résultat arithmétique des intérêts composés, c'est la promesse indiscutable de la capitalisation.•• En fait, les fonds de. pension ou de retraite ont toujours eu, même dans les périodes de «crise», des taux de rendement supérieurs à 3 %, de sorte que le bénéfice de la capitalisation est bien plus grand que dans l'exemple cité. Il est également important de souligner que ce miracle bénéficie aussi à l'économie dans son ensemble. Car au lieu de circuler à toute vitesse dans un tiroir caisse l'argent des cotisations
182
permet des investissements pour les entreprises et les ménages. L'épargne ainsi recyclée est créatrice d'emplois et de croissance, et à terme permet d'accroître le pouvoir d'achat et d'alléger la charge des cotisations. Peut-il y avoir des accidents dans le recyclage? Oui, si l'argent est confié à des escrocs - mais pourquoi ne pas dénoncer l'escroquerie légale constituée par le gaspillage des cotisations P1eR~~tà la faillite de la répartition?I:>~l1s~tlétatde droit, les itlll~~~tci?l1stïnancières doivent être
le~~~Cc~ntesaffaires de crédit immobili~~/~0Pgt~éç~ire. Au nom de la,P1i~I~ei1lance
ou des erreurs dequelqu~$ __9'll$,ne.nous privons pas
dum.iracle de la capitalisation.
183
1. OBSTINATION ET INNOVATION Dans notre pays, en matière de retraites, les uns s'obstinent, les autres innovent. Les uns, partisans de la répartition, sont sur la même position depuis 1941, date de l'introduction de ce système 89 . Ils continuent à présenter la répartition comme une « libération» : les retraités ne seront plus prisonniers des vices et des risques du marché financier. Ils n'ont cessé de développer la réglementation, allant toujours dans le même sens: cotisations plus lourdes (on a relevé les taux, les plafonds, les durées, les assiettes) et pensions proportionnellement réduites. Les réformes qu'ils ont introduites changent les paramètres, mais pas le système. A l'opposé, sur les marchés financiers, on n'a pas cessé d'innover. De nouveaux produits et de nouvelles institutions sont apparus pour se mettre au service des futurs retraités. Depuis ces trente dernières années, en France comme ailleurs, le processus de marché 90 a pleinement joué sa fonction de découverte Les innovations ont même résisté à la réglementation. La multiplication des innovations est liée à d'autres progrès techniques, notamment dans le domaine des télécommunications. Les paiements par cartes ont mis en service un nouvel instrument monétaire qui a révolutionné nos habitudes quotidiennes. Mais les innovations sont également dues à la réflexion théorique des économistes. Nous pouvons noter, entre autres: - l'introduction du concept de « portefeuille », qui a conduit à penser la gestion d'un patrimoine d'une façon globale, en montrant les possibilités offertes par la diversité et l'arbitrage entre plusieurs sortes d'actifs: des actifs liquides (thésaurisation, dépôts bancaires, comptes sur livrets) aux plus immobiles (terrains, immeubles par nature ou par destination) en passant par des actifs mobiliers, eux-mêmes divisés en meubles, créances et droits de 89. Sur l'historique de la Sécurité Sociale française et l'apparition du système obligatoire par répartition, cf. volume 1, pp. 50-52. 90. Le marché n'est pas un « lieu» comme la réglementation le laisse supposer (<< loi sur l'organisation des marchés financiers en France »), mais bien un processus dynamique. Organiser une dynamique semble incohérent. Le législateur définit le "marché financier" comme un lieu où s'échangent des "instruments financiers". L'intermédiation des ordres d'achat ou de vente se fait par des professionnels qui sont désignés comme des "services d'investissement". La loi de 1996, transposant la directive de 1993 sur les services d'investissement, inclut notamment les sociétés de Bourse. Cf. par exemple http://lexinter.net/BOURSE/marche.htm
184 propriété, il existe un spectre complet. La structure de ce spectre peut et doit changer. Il est loin le temps où on établissait une cloison étanche entre monnaie et finance 91 • Les nouveaux travaux, pas du tout ou beaucoup moins mathématiques, ont établi un continuum logique entre la monnaie, les actifs financiers et "le capital" et, en particulier, ont montré l'influence de la politique monétaire sur l'ensemble patrimonial. - la prise en considération du « risque de rendement» : entre les divers actifs substituables à un coût plus ou moins élevé, il ne faut pas considérer seulement leur rendement attendu, mais aussi les risques que chacun de ces actifs fait courir, et l'attitude du gestionnaire face au risque 92 • Cela aboutit à diminuer la vulnérabilité des actifs aux risques, notamment en les diversifiant, et en les combinant de façon à avoir un risque global inférieur. Au lieu d'une gestion par «blocs », on a une gestion par «petits paquets », et quand les paquets sont trop risqués on les éclate en paquets plus petits, etc. Certes, les innovations ne révèlent pas sur-le-champ toutes leurs vertus, ni tous leurs vices. L'expérience rendra son verdict, et le marché financier peut de ce fait traverser des turbulences coûteuses. Mais n'en est-il pas ainsi dans tout processus dynamique? Malgré ces turbulences et en dépit de l'obstination des inconditionnels de la répartition et de la réglementation, l'innovation s'est finalement imposée, et le législateur lui-même, que l'on range naturellement dans le camp de la réglementation, a été amené à reconnaître la légalité des principales innovations. Au milieu de la décennie 1980, les dirigeants politiques des pays de la CEE ont choisi d'abandonner la réglementation stricte de leur marché financier national pour bénéficier des innovations, de faire ainsi confiance à la concurrence et d'avoir un grand marché européen, un "marché unique", à compter du 1er janvier 1993 où il 91. Gurley & Shaw « Money in a Theory of Finance », "L'histoire de la finance moderne", Journal de la Société de Statistique de Paris, 133, 4, pp. 13-33, Sharpe, W.F. (1963), "A Sitnplified Model of Portfolio Analysis", Management Science, janvier, pp. 277-293. Sharpe, W.F. (1964), "Capital Asset Priees: A Theory of Market Equilibrium Under Conditions of Risk", The Journal ofFinance, septelnbre, pp. 425-442. 92. Markowitz, H. (1952), "Portfolio Selection", Journal of Finance, Mars Markowitz, H. (1959), Portfolio Selection: Diversification of Investments, Wiley (Yale University Press, 1970. Markowitz, H. (1992) "L'histoire de la finance moderne", Journal de la Société de Statistique de Paris, 133, 4, pp.13-33.
185
y aurait totale liberté d'échange. Cette évolution est importante, même si l'objectif n'a pas été atteint à ce jour. On peut d'ailleurs se poser, à propos des turbulences financières récentes, si c'est l'inadaptation des réglementations aux innovations financières qui est en cause, ou si l'on doit renforcer la réglementation au vu du nombre d'innovations financières introduites par le jeu du marché. Pour l'instant les « réglementeurs » sont plus nombreux que les innovateurs. L'un des inventeurs des marchés dérivés, Myron SCHOLES, prix Nobel d'Economie en 2004, a récemment prédit la victoire de l'innovation sur l'obstination 93 .
2. COMMENT NAÎT UN MARCHÉ FINANCIER Beaucoup de mystère entoure l'expression «marché financier» ou « les marchés financiers». Il n'y a pourtant rien de mystérieux dans l'affaire, et la nature du marché financier est aussi simple que celle du marché de la viande ou de l'automobile: on y passe des contrats. Les contrats financiers ont pour objet de mettre en contact ceux qui épargnent et ceux qui empruntent. Voyons d'abord les possibilités offertes à ceux qui épargnent. Les épargnants peuvent conserver ou placer leur épargne présente sous forme de biens durables (mobiliers ou immobiliers), de produits financiers et de monnaie. S'agissant des "produits financiers de base" offerts à l'épargnant ils ont pour origine les entreprises sociétaires et les institutions bancaires étrangères ou non. Ils sont de deux types, fort différents : - les actions, véritables droits de propriété sur des firmes de forme juridique "société de capital" elles rapportent à l'épargnant des dividendes et, le cas échéant, des gains en capital - mais aussi des pertes en capital (plus-values et moins-values) ; - les créances - ou actifs financiers au sens strict - qui rapportent à l'épargnant, sur des durées plus ou moins longues, des intérêts, périodiques ou non, fixes ou variables et, le cas échéant, des gains en capital - mais aussi des pertes en capital. 93. Communication au Congrès Mondial de la Société du Mont Pèlerin, Tokyo, 7 septembre 2008.
186
Entre l'épargnant et le financier s'établit un contrat, c'est un échange interindividuel, cette relation fait le pont entre le présent et le futur. Il n'y a pas d'épargne dans un monde sans durée, dans lequel on vit au jour le jour. Et du côté de ceux qui empruntent? Ils peuvent choisir de s'endetter en se faisant consentir des prêts en monnaie par des créanciers pour une certaine durée (contrats convenus avec des banques ou d'autres organismes financiers, nationaux ou étrangers). Il leur en coûtera des dépenses en intérêts, périodiques ou non, fixes ou variables, et des remboursements des quantités de monnaie empruntées, périodiques ou non, fixes ou variables. Là encore, le contrat financier établit une relation entre le présent et le futur, telle que la conçoivent les parties au contrat. Les créances des uns ne sont jamais que les dettes des autres, et leur fondement commun tient dans les contrats financiers convenus. Finalement chaque contrat financier est à lui seul un marché financier bilatéral au comptant - un marché de gré à gré ("spot" selon la terminologie financière) - qui peut d'ailleurs contenir des clauses plus ou moins sophistiquées. On dira que le contrat financier constitue un marché prImaIre. Sur ce marché primaire, les titres de crédit qui matérialisent le contrat sont très nombreux et très divers. Ces titres, à leur tour, peuvent faire l'objet d'un nouvel échange: quand deux personnes ont passé un contrat, d'autres peuvent acheter ou vendre le contrat passé. Ainsi apparaît un marché qualifié de secondaire. Ces principes élémentaires s'appliquent-ils aussi aux actions? On a vu qu'elles constituent un droit de propriété, et il n'y a pas de contrat passé entre la société et ses actionnaires, puisque les actionnaires constituent eux-mêmes la société, ils sont les associés propriétaires de la société (en proportion" du nombre d'actions qu'ils possèdent, lui-même fixé par les apports qu'ils ont faits). Mais les actions, titres de droits de propriété, peuvent s'acheter et se vendre: il existe donc un marché financier secondaire, dont on sait qu'il est très actif. Il peut se passer de "gré à gré" entre deux individus, en conformité avec les statuts de la société, ou sur un marché organisé - bourse de valeurs dénommée aujourd'hui entreprise de marché selon la terminologie financière où les dirigeants de la société ont choisi de la faire coter.
187
Ainsi, la nature du marché financier est-elle si difficile à comprendre? Le marché financier naît tantôt d'un contrat passé entre un épargnant et un emprunteur, tantôt d'une transaction qui porte soit sur ce contrat soit sur une action. Il permet aux personnes concernées de gérer leur patrimoine, en introduisant le temps et le risque. Vous prêtez de l'argent à l'un de vos proches et vous lui demandez de signer une reconnaissance de dette (billet à ordre) : c'est un marché financier primaire. Vous avez besoin de cet argent avant l'échéance prévue avec votre emprunteur: vous pouvez demander à quelqu'un autre (banquier par exemple) de vous racheter le billet que vous détenez, c'est lui qui sera payé à l'échéance; c'est un marché financier secondaire. Depuis des siècles les commerçants ont pratiqué de la sorte, ils ont inventé les « effets de commerce» et « l'escompte» qui ont permis au grand commerce européen de se développer dès le XIIème siècle. Le billet de banque sera aussi au XVllosiècle une innovation financière majeure: le banquier émet un billet en contrepartie d'un dépôt en or ou d'un crédit accordé à un client. Le billet, créance sur la banque, remplace le titre de crédit, créance sur un particulier, et il est plus facile de faire circuler une créance sur la banque (qui plus est libellée en chiffres ronds) que de faire circuler une créance sur un particulier (bien que ce soit possible par la procédure de l'endossement). Malheureusement ce qui est simple en soi, et ce qui est évident pour des gens ayant la pratique des affaires et de l'argent, a toujours été entouré de préventions dans la population française, dont la tradition agricole et artisanale a été dominante par rapport au négoce et à la banque. Il est remarquable qu'au lendemain même de la deuxième guerre mondiale, les deux tiers des paiements en France se faisaient encore en billets, et que seuls les gens dans les affaires utilisaient les chèques, alors qu'en Angleterre le billet n'était plus utilisé que dans 20 % des paiements. Fort heureusement les Français ont mieux réagi à la dernière des grandes innovations destinées au grand public: la carte bancaire; ils paient de moins en moins en liquide ou par chèque. Il serait souhaitable qu'on en vienne enfin à démystifier le marché financier et à comprendre les innovations qui y ont été réalisées. L'ignorance financière a un coût! Tout le monde en effet a besoin du marché financier, parce que tout le monde épargne ou emprunte, ou fait les deux à la fois.
188
On dit en général que ce sont les jeunes qui apparemment bénéficient par priorité du marché financier. Ils ont besoin de crédit pour se lancer dans la vie professionnelle et pour bâtir leur foyer. Par contraste les personnes âgées sont désireuses de placer le capital qu'elles ont constitué durant leur vie active. Quant à la génération intermédiaire elle a en général simultanément une épargne et des dettes. Ce phénomène, dit du « cycle vital », a été mis en évidence par les économistes. A y voir de plus près, on peut en déduire que la dépendance entre générations est très étroite ; non seulement les épargnes des seniors financent les emprunts des juniors, mais les juniors commencent à accumuler un capital qu'ils retrouveront quand ils seront seniors. Le cycle vital est en même temps un cycle générationnel, et assure un étalement permanent des transactions financières. Les réglementations sont bien mal venues quand elles faussent ce lien intergénérationnel, par exemple en forçant les juniors à épargner (épargne forcée des prélèvements obligatoires) pour permettre aux seniors de vivre décemment, et en pénalisant systématiquement l'épargne de la génération intermédiaire.
3. LES SERVICES FINANCIERS De la même façon que le marché de la viande s'est transformé par l'invention de la balance, ou de la congélation, et que pour l'automobile on a doublé le marché primaire (véhicules neufs ou d'occasion) d'un marché secondaire (leasing), le marché financier n'a pas pour seul mérite de rapprocher épargnants et emprunteurs, ou financiers. Il a aussi pour avantage de permettre ce rapprochement aux meilleures conditions, aux meilleurs coûts. Il est à envisager comme un processus de réduction des coûts d'échange, encore appelés chez les économistes « coûts de transaction »94. Ces coûts proviennent de plusieurs origines : - les contractants doivent avoir une estimation assez précise de la valeur du temps; elle n'est pas nécessairement la même pour les deux (elle aura même spontanément tendance à être différente), il faut parvenir à une transaction sur cette valeur
94. Coase, « The Nature of the firm », Economica, vol. 4, nov. 1937.
189
- les modalités du contrat doivent s'adapter aux désirs et à la personnalité des épargnants et des emprunteurs; certains cherchent des actifs mobilisables et sans risque, d'autres préfèrent la rentabilité à la sécurité, d'autres encore sont soucieux de la liquidité, etc. Les uns sont « preneurs de risque» les autres « allergiques au risque» - le contrat doit satisfaire aux règles de droit en vigueur - naturellement les prix actuels des contrats, et l'estimation de leurs prix futurs, sont l'objet de divergences entre ceux qui cherchent à contracter. Le marché financier va donc organiser une intermédiation pour satisfaire le plus grand nombre possible de personnes, rendant accessibles l'emprunt et le placement à des gens qui auraient dû y renoncer sans cela, faute de trouver le bon « montage financier ». La gestion du patrimoine de millions de personnes est ainsi améliorée, mieux adaptée aux moyens et aux aspirations. Pour tenir compte de la diversité des situations, les financiers ont multiplié les formules. Ils ont fait preuve d'une telle créativité que les instruments financiers semblent parfois trop complexes. Mais leur nombre et leur complexité sont-ils supérieurs à ceux des modèles automobiles et aux options offertes par les constructeurs? En réalité, les financiers se mettent au service de l'ensemble de leur clientèle - ce qui n'exclut pas une spécialisation des firmes financières. Il y a donc en fait production de services financiers, tout à fait comparable à la production de services postaux, ou médicaux. C'en est au point que l'on parle «d'industrie financière», puisque dans le langage courant il semble que l'on réserve (à tort) le mot « industrie» à une organisation qui produit quelque chose 95 . Ces produits sont aujourd'hui les plus courants (80 % du PIB), et à moins d'en revenir à la comptabilité soviétique qui se contentait de calculer le «produit matériel» il est hors de question de remettre en cause le caractère productif des services, y compris des services financiers. L'intermédiation réalisée par les financiers doit être rémunérée. Elle a un coût d'opportunité: la firme financière pourrait affecter ses moyens en personnel, en capitaux, à d'autres activités. La firme financière a un impératif de rentabilité, comme 95. Voilà pourtant deux siècles que Jean Baptiste Say démontrait que la production s'entend non seulement de biens matériels (ayant une consistance physique) mais aussi de produits immatériels.
190
toute entreprise. Pour autant qu'ils vivent de leur activité, les producteurs individuels ou firmes, les organismes d'échange financier sont profitables, rentables, créateurs de valeurs, selon les mots qu'on préfère utiliser. En d'autres termes, les prix auxquels ils vendent leurs services financiers leur procurent un revenu supérieur aux dépenses en facteurs de production qu'ils supportent. La vieille idée du « crédit gratuit» hante les esprits, mais au minimum, s'il pouvait exister, ce crédit devrait bien être distribué par des gens que l'on devrait payer ! C'est dire que la distinction, si répandue aujourd'hui, entre l'économie réelle et l'économie financière n'a aucun fondement ni analytique ni pratique. V.Pareto intégrait la capitalisation (formation de l'épargne et sa transformation en capital) dans le processus économique normal, naturellement articulée avec la production et l'échange. L'économie repose en effet sur l'échange de services, et produire n'est jamais que répondre aux besoins d'une clientèle, qui paie elle-même en rendant d'autres services. Tous ces échanges introduisent le temps, supposent des anticipations et des rémanences, c'est-à-dire la capitalisation. En 1850 Frédéric Bastiat exprimait ainsi le lien indissoluble entre le temps, le risque et l'économie, et appelait de ses vœux l'innovation financière: "[...} à l'origine des sociétés, l'aléatoire règne pour ainsi dire sans partage ,. et je me suis étonné souvent que l'économie politique ait négligé de signaler les grands et heureux efforts qui ont été faits pour le restreindre dans des limites de plus en plus étroites" 96.
4. LA LOGIQUE DE LA CAPITALISATION Pour l'instant nous en sommes restés aux principes généraux de la finance, en soulignant que la vie économique ne saurait s'en passer, puisqu'elle en est partie intégrante, et en insistant sur les bienfaits des innovations financières. Venons-en maintenant à une question plus concrète: comment un contrat par capitalisation peut-il être passé, et en quoi offre-t-il des avantages aux futurs retraités? 96. Bastiat, F. (1850), "Des salaires", dans Paillotet, P. (ed.), Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, 6 : Harmonies économiques, Guillaumin et Cie., Paris, 1864, p. 403.
191
Pour simplifier, et sans que cela soit abusif, nous allons nous restreindre à quelques contrats-types. Nous laissons de côté par exemple des contrats comme le viager ou le crédit hypothécaire, formules fréquemment utilisées et qui peuvent être avantageuses pour le futur retraité 97 . Notre but est seulement ici de faire apparaître la logique de la capitalisation. Pour simplifier encore, et illustrer notre explication, disons que les contrats-types que nous allons évoquer concernent: - un prêteur, qui est paradoxalement l'assuré - un emprunteur, qui est paradoxalement l'assureur Pourquoi parler de «paradoxe»? C'est que tout se passe comme si l'assuré prêtait de l'argent à un assureur qui s'engagerait à le lui restituer au moment choisi par l'assuré (en général au moment où il part en retraite). Comme cet argent est capitalisé, l'assureur restitue beaucoup plus que ce que l'assuré lui a prêté. La prime d'assurance est un prêt, la pension de retraite est un remboursement. Le paradoxe n'est qu'apparent, vous l'aurez compris: celui qui a l'argent aujourd'hui c'est l'assuré qui puise dans son épargne pour payer sa prime, celui qui rendra l'argent demain c'est l'assureur.
Uncon"atflémenmire Ce n'est pas le plus fréquent, mais c'est celui qui fait apparaître la logique de la capitalisation. On l'appelle en général «contrat de capitalisation ». Il repose simplement sur le mécanisme des taux d'intérêt composés. Le point de vue de l'assuré (prêteur) : - il peut disposer tout de suite du capital qu'il veut investir dans sa retraite, il n'a donc pas de prime à payer puisqu'il verse tout d'un seul coup; - ce qui l'intéresse ce n'est pas de toucher les intérêts de ce capital pendant la durée de son placement, il préfère toucher d'un seul coup, le jour de sa retraite, le capital qu'il a prêté et les intérêts qui se sont accumulés pendant toute la période.
97. Il sera fait allusion aux avantages et inconvénients des diverses formules qui s'offrent à l'épargnant futur retraité dans le volume III (à paraître au premier trimestre 2009).
192
- Il n'est pas davantage intéressé par un remboursement fractionné de son capital et des intérêts pendant la période du placement, il préfère attendre l'échéance finale. Le point de vue de l'assureur (emprunteur) - il ne veut pas payer des intérêts du capital qu'il a emprunté pendant la période de l'emprunt; - il ne veut pas rembourser par tranches le capital et les intérêts qu'il doit ; - il est disposé, à l'inverse, à payer la totalité du capital et des intérêts lorsque le contrat sera échu (au jour de la retraite de l'assuré par exemple). Dans ces conditions prêteur et emprunteur sont faits pour s'entendre. Ils passent un contrat qui prévoit obligatoirement trois clauses: - la somme prêtée (le capital) désignée par MO ; - le taux d'intérêt annuel rapporté par le prêt, désigné par i : on supposera que ce taux est identique tout au long de la durée du prêt, bien que de nombreux contrats envisagent des taux variables ou révisables. - la durée du prêt (en années par exelnple) désignée par n Donnons au contrat une durée d'un an (n=l) et un taux d'intérêt i = 4 %. Pour un capital MO de 100 prêté au départ, la somme M remboursée au bout d'un an sera 104 98 . Supposons maintenant qu'au moment de conclure leur contrat, les deux parties décident de choisir une durée de deux ans au lieu d'un. Cela revient à faire suivre le contrat d'un an par un second contrat, en tenant compte de ce qu'au départ de la deuxième année on a non plus un capital de 100, mais bien de 104, de sorte que les intérêts au cours de la deuxième année seront 4 % de 104, c'est à dire 4,16 . La somme que l'on retrouvera au bout de la deuxième année sera 104 + 4,16 = 108,16 Vous pouvez continuer le jeu, et vous apercevoir qu'au bout de 10 ans le remboursement (capital + intérêt) serait de 148 . Voilà donc la mise initiale grossie de moitié avec un taux relativement faible: c'est le miracle des intérêts composés 99 .
Variantes du contrat élémentaire Le principe des intérêts composés étant établi, nous devons considérer maintenant que les contractants peuvent affiner leur 98. que l'on peut écrire M = MO( 1+ i) rappelons que i = 0,04. 99. On écrit le résultat de la façon suivante M = MO (1 +i)n
193
contrat pour mIeux répondre aux désirs des prêteurs et des emprunteurs. 1° La première variante consiste à contracter non pas avec un seul partenaire, mais avec plusieurs. L'intérêt pour le prêteur est de diversifier les emprunteurs pour se couvrir contre le risque de non remboursement (le retraité a plusieurs assureurs). L'intérêt pour l'emprunteur est de trouver auprès de plusieurs prêteurs différents des ressources qu'il ne peut obtenir d'un seul, ou d'échapper à la défaillance d'un prêteur sous un prétexte ou un autre. Cette souplesse a un coût, puisqu'il faut négocier avec plusieurs personnes, et qu'on ne trouvera pas aussi facilement le bon partenaire. Ce coût diminue la rentabilité du placement 2° La deuxième variante consiste pour le prêteur à ne pas verser immédiatement la somme MO, mais à étaler ses versements sur plusieurs dates à l'intérieur de la période totale du prêt. L'assuré versera par exemple des primes trimestrielles, ou annuelles. On peut supposer que le taux d'intérêt sera le même pour chacun des versements effectués, mais évidemment les versements rapportent de moins en moins au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'échéance finale, puisque les derniers versements restent moins longtemps entre les mains de l'emprunteur. 100 3° La troisième variante reprend le contrat précédent, mais les parties conviennent que le taux d'intérêt ne sera pas le même i pour tous les versements, mais sera variable avec chacun de ces versements in pour le versement fait en n, in- l pour le versement fait en n-l, etc. Les taux d'intérêt sont convenus au départ via des contrats que l'on appelle des « marchés de dérivés financiers ». Ces contrats peuvent être rachetés par un prêteur ou un emprunteur qui le trouve plus intéressant qu'un autre type de contrat passé quelque part ailleurs, simplement parce que ce prêteur ou acheteur a une autre estimation du prix du futur, et trouve le taux d'intérêt très avantageux (emprunteur) ou très rentable (prêteur). Voilà donc l'origine de ces fameux marchés dérivés, qui ont fait tellement couler d'encre, et ont été dénoncés comme à l'origine de tous les
100. On écrit alors le résultat de la façon M = m ° (1 +i)n + ml (1 +i)n-l + ... + ln n (1 +i), où m O ••••• m n représentent les verselnents successifs faits par le prêteur depuis la période 0 à la période n, dernière année du contrat. C'est par exemple la série des primes versées par l'assuré depuis la signature du contrat jusqu'à son départ en retraite.
194
maux alors même qu'il s'agit simplement de la possibilité pour les uns ou les autres d'acheter ou vendre à terme.
Le capital actualisé Prenons donc maintenant les choses d'une autre façon - à l'envers pourrait-on dire. Jusqu'à présent on allait du présent vers le futur: quelle somme représentera dans n années un capital placé au taux annuel de i ? Posons la question symétrique: « quel capital doit-t-on placer sur n années à un taux annuel de i pour disposer d'une certaine somme au moment du départ en retraite? » C'est évidemment la question que se pose tout futur retraité: sur quel argent pourrai-je compter plus tard? Il se trouve cependant que la réponse dépend aussi de données qui dépendent et de l'assuré, et du hasard. - l'assuré peut se demander (comme dans le contrat élémentaire, avec ou sans variante) s'il veut toucher tout d'un coup la somme qui lui est due, capital et intérêts cumulés. C'est une « sortie en capital» - il peut préférer non pas un remboursement total et immédiat, mais échelonné sur toute la durée de sa vie. C'est une « sortie en rente ». Dans ce dernier cas, il doit se demander d'abord à quelle durée de vie il peut s'attendre: s'il espère vivre pendant trente ans (en France, aujourd'hui mourir à 90 ans), il faut qu'il prévoie un échéancier différent de celui qu'il aurait s'il espérait vivre vingt ou vingt cinq ans. Il lui faudra un capital bien plus important, donc sa mise de départ devra sans doute être plus forte, ou le taux d'intérêt plus élevé, ou les deux. - Il doit se demander ensuite quelle pension annuelle (ou mensuelle, ou non périodique) il souhaite toucher. La cible qu'il se fixe ainsi va déterminer le montant de la somme capitalisée jusqu'à l'âge de sa retraite, et partant le montant des primes qu'il devra payer. - Enfin, le retraité peut choisir de mêler les deux modes de remboursement: « sortie en rente et en capital », la répartition entre les deux étant fixée dans le contrat, ou décidée en toute liberté par l'assuré si le contrat le prévoit. La question revient donc à savoir quelle est la valeur actualisée du capital qui correspond aux souhaits de l'assuré, ou si l'on préfère la valeur actualisée des flux de trésorerie attendus par le retraité qui choisit de « sortir en rente ». Il serait erroné de calculer cette valeur par simple addition des pensions à toucher pendant n années. Car la valeur de la
195
pension au bout de n années n'est pas celle qu'elle a aujourd 'hui: il faut tenir compte d'un taux d'actualisation, c'est-à-dire du fait que 148 dans 10 ans représenteront 100 aujourd'hui (si le taux d'actualisation est de 4 %). La question, pour le retraité est de savoir si le capital de 148 lui paraît ou non suffisant: -s'il s'agit d'une sortie en capital, la question ne se pose pas; -s'il s'agit d'une sortie en rente, il faut savoir quelle anticipation peut faire l'assuré sur ses besoins futurs et son espérance de vie: s'il pense vivre dix ans, et si les sommes qui lui seront versées lui conviennent, le capital actualisé de 148 peut lui suffire. Différemment, il devra réviser le montant de sa mise initiale (prêter 120 au lieu de 100 par exemple)IOI. Soit dit en passant, des commentateurs parleront de la "myopie du marché financier". Cela est pour le moins fait à tort, par ignorance ou dans un mauvais esprit, pour conditionner le "bon peuple" dans une voie qu'ils lui veulent voir suivre. Les calculs d'actualisation/capitalisation rapportent l'avenir au présent en toute connaissance des périodes à venir et des taux d'intérêt. Rien ne justifie d'oublier ces paramètres pour ne garder que le résultat à quoi ils mènent et qui, en pratique, prend la forme des marchés/échanges financiers présents. Ce sont en fait eux les "myopes" à défaut d'être des ignares. L'actualisation/capitalisation n'a pas pour effet de faire abstraction du temps comme, en définitive, ils tendent à le faire croire. En revanche, c'est bien la répartition qui néglige le temps et ils s'en font les hérauts. Il serait risible, si le sujet n'était pas gravissime, d'entendre ces mi-myopes mi-ignares faire, sans sourciller, dans le même temps, l'apologie de la répartition qui, elle, procède à la destruction du temps 102 ~
5. L'EFFICACITE DE LA CAPITALISATION Les explications précédentes, qui sont d'ailleurs banales (les intérêts composés s'étudiaient jadis en classe de 7°) prennent une signification concrète si l'on se réfère à la situation réelle d'un 101. L'annexe A donne le détail du calcul pour ceux qui sont intéressés par la mathématique financière (dans sa version simplifiée d' ailleurs). 102. Cf sur ce point Georges LANE, La Sécurité Sociale et comment s'en sortir, éd. du Trident, Paris, 2008.
196 Français qui cotise durant sa vie active pour jouir d'une retraite qu'il veut « décente». L'efficacité de la capitalisation se mesure facilement en comparant - ce à quoi ce futur retraité peut s'attendre s'il n'a pour seule couverture que le régime obligatoire général en répartition (ce que nous avons appelé jusqu'ici premier pilier en répartition) ; - et ce qu'il pourrait retirer d'un système de capitalisation (il lui est pour l'instant interdit dans le régime général de retraites publiques, y compris pour le complémentaires). Nous partons, dans les deux cas, du même montant de cotisation annuelle, tel qu'il est fixé par la législation sociale française actuelle. Par exemple, pour le Smicard, dont le salaire annuel disponible (c'est-à-dire après cotisations sociales et impôts sur le revenu, CSG et CRDS) est de 12 636 €, la cotisation vieillesse annuelle est aujourd'hui de 2 808 €. Que lui rapporte chacun des deux systèmes? En répartition (Sécurité sociale, régime général) la pension «à taux plein» obtenue après 40 ans de cotisation sera au maximum de 16 638 € (elle ne peut en effet dépasser la valeur de 50 % du plafond de la sécurité sociale). En capitalisation, le calcul de la pension dépend du taux d'intérêt. Dans l'exemple suivant nous prendrons trois taux d'intérêt possibles: 3 %, 5 % et 7 %. 3 % est un taux réellement faible, n'importe quel assureur proposera un taux supérieur; 7 % est un taux avantageux, mais il y a des fonds de pension qui garantissent des taux supérieurs encore. Mais le calcul de la pension prend aussi en compte l'espérance de vie du retraité (nous prendrons deux hypothèses: 20 et 30 ans) et le taux d'actualisation des rentes que le retraité percevra pendant ces 20 ou 30 ans. Pour simplifier nous prendrons des taux d'actualisation de même échelle que les taux d'intérêt, c'est-à-dire 3, 5 et 7 %. Le tableau suivant indique quels sont les résultats pour des personnes qui perçoivent 1 SMIC, 2 SMIC et 4 SMIC. I03
103. Il résulte de la synthèse de tableaux que l'on peut trouver sur le site www .irefeurope.org
197
1 Durée de retraite
20 ans 20 ans 20 ans 30 ans 30 ans 30 ans
2
Salaire Cotisation vieillesse Actuel disponible (€) (€)
12636 24468 50196 12636 24468 50196
2808 5652 6636 2808 5652 6636
3 Répartition Retraite maximum
(€)
16638 16638 16638 16638 16638 16638
4
5
Capitalisation Capitalisation Pension Pension minimum maximum 3 % sur 7 % sur 20 ans (€) 20 ans (€)
14238 28659 33648 10802 21742 25528
52934 106547 125096 45171 90921 106750 Source: Ire!
ATTENTION: Le tableau ne tient pas compte des complémentaires obligatoires.
La lecture du tableau est simple. Les colonnes (1) et (2) indiquent respectivement le montant en euros du salaire disponible, et les cotisations vieillesse correspondantes (octobre 2008) La colonne (3) donne toujours le même chiffre: celui de la retraite maximum de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés (CNAVTS), ce plafond est identique quel que soit le salaire touché dans le passé par l'assuré. Les colonnes (4) et (5) donnent deux chiffres: la pension minimale à laquelle peut s'attendre le retraité dans le contrat de capitalisation le moins avantageux (un taux d'intérêt de 3 %, un taux d'actualisation de 3 %), et la pension maximale (des taux de 7 %). La comparaison de la colonne (3) et des c,olonnes (4) et (5) est tout à fait instructive : 10 sauf pour un smicard passant le plus mauvais contrat pensable, les pensions en capitalisation sont toujours supérieures aux pensions en répartition. La répartition diminue les pensions. 2 0 sauf pour un smicard passant le plus mauvais contrat pensable, les pensions en capitalisation conduisent à avoir une pension de retraite supérieure au salaire disponible que le retraité avait pendant sa vie active. Le smicard retraité gagne plus que le SMIC. 3 0 le rapport du montant de la pension à celui de la cotisation est en capitalisation très supérieur au rapport en répartition.
198
Capitalisation/Répartition: comparaison des rentes Hypothèse durée de retraite: 20 ans
E']RENTE MAXIMAlE CAPITALISATION SUR 20 ANS [JRENTE MINIMALE CAPITALISATION SUR 20 ANS !}RENTE MAXIMALE REPARTITION SUR 20 OU 30 ANS ~SALAIRE
-
€
20000,00 €
40000,00
€
ACTUEL DISPONIBLE
60000,00 80 000,00 100000,00 120000,00 140000,00 € € € € €
Source: Ire!
Hypothèse durée de retraite: 30 ans
50 196,OO€ ŒlRENTE MAXIMALE CAPITALISATION SUR 30 ANS
90 921,00 €
[!)RENTE MINIMALE CAPITALISATION SUR 30 ANS !]RENTE MAXIMALE REPARTITION SUR 20 OU 30 ANS fJSALAIRE ACTUEL DISPONIBLE
-
€
20000,00 €
40000,00
60000,00
€
€
80000,00 €
100000,00
120000,00
€
€
Source: Ire!
Les deux graphiques ci-dessus comparent les résultats du tableau (en lignes cette fois-ci) suivant l'espérance de vie du retraité (de 20 ans puis de 30 ans).
199
Sans nul doute, l'allongement de la durée de retraite réduit le montant des pensions. S'agissant du montant minimum de la pension (colonne 4) il passe de 14 238 € à 10 802 €. Dans ces conditions, la pension «Sécurité Sociale» en répartition devient plus avantageuse pour le smicard. Mais cet avantage disparaît quand on examine toutes les autres hypothèses de capitalisation (avec des taux supérieurs). De plus, cet avantage n'existe jamais pour les salariés ayant un revenu de 2 SMIC ou de 4 SMIC, pour lesquels la capitalisation est toujours d'un meilleur rapport. Il n'empêche que l'incertitude qui règne sur la durée de vie du retraité pèse fortement sur l'arithmétique de la capitalisation, donc sur le montant du capital à investir. Cette dernière observation permet de rappeler que si l'efficacité de la capitalisation est incontestable, l' incertitude de tout pacte sur le futur demeure. Préparer sa retraite est une chose, être sûr qu'on la prendra et qu'on en profitera longtemps en est malheureusement une autre. Par les temps qui courent l'obsession sécuritaire a atteint son apogée. La constitutionnalisation du « principe de précaution» en est un exemple, et la peur du futur s'est singulièrement renforcée depuis la « crise financière» de cet automne 2008. L'efficacité de la capitalisation n'a-t-elle pas pour prix l'insécurité?
6. GARANTIR LES RETRAITES PAR CAPITALISATION? Avant de répondre à cette question, une remarque préalable s'impose: la tendance sécuritaire s'exprime volontiers quand il s'agit de la capitalisation, mais elle oublie purement et simplement les vrais dangers de la répartition. La faillite des retraites par répartition est déjà inscrite dans la réalité démographique et économique, mais personne ne semble s'en soucier outre mesure, et surtout pas ceux qui sans cesse mettent en avant les aléas de la capitalisation. Depuis septembre 2008, les sécuritaires peuvent agiter le chiffon rouge du cataclysme financier. Il est incontestable que des imprudences, voire des malversations, sont à l'origine de cet événement dont les traces pourraient être durables. Mais il ne faut jeter le bébé avec l'eau du bain et, au prétexte d'erreurs humaines et d'inadaptations institutionnelles, se priver de la capitalisation. Les accidents causés par des automobilistes dans leur tort ont-ils amené l'arrêt de la
200 production d'automobile? Comme l'automobile la capitalisation est un instrument parfois dangereux, mais on ne peut s'en passer. Le problème est de connaître les dangers et de trouver les moyens sinon de les éliminer du moins de les réduire.
Les dangers encourus Toute prévision ou toute programmation à terme est une spéculation sur l'avenir, elle introduit nécessairement l'incertitude. L'incertitude est donc au cœur de la capitalisation - comme elle l'est, répétons-le, pour tout système de retraite ou de crédit. Dire «vous savez ce que vous payez, vous savez ce que vous toucherez» est une commodité de langage ou un slogan publicitaire, mais ne constitue aucune garantie: paroles, paroles ... La capitalisation emporte avec elle quelques incertitudes spécifiques: sur la valeur des prestations, sur les taux d'intérêt, sur les taux de rendement. L'épargnant qui gère un patrimoine ne connaît pas quelle sera la valeur de son patrimoine dans quelques années. Si une partie du patrimoine est faite de biens immobiliers il ne sait pas si « la pierre» ou « la terre » prendra ou perdra de son prix actuel. Il peut donc s'attendre à des plus ou à des moins values. Si dans son patrimoine il y a des droits, comme un portefeuille d'actions (droit de propriété) ou d'obligations (droit de créance), il ne sait pas si sa valeur se gonflera ou se réduira. Il en est de même pour les créances sur des personnes à qui il a consenti un prêt: les échéances seront-elles remboursées? Toutes ces incertitudes font courir ce que les professionnels appellent un « risque de prix », qui se traduit par des gains ou des pertes en capital. S'agissant d'un contrat financier, ce risque de prix prend souvent la forme d'un « risque de taux d'intérêt ». En effet, comme on l'a vu, le taux d'intérêt est au cœur du calcul des sommes capitalisées et des rentes de pension qui en découlent. Or, dans la plupart des contrats de capitalisation, le taux d'intérêt est arrêté dès la conclusion du contrat. Même si le contrat contient la possibilité de variations du taux tout au long de la période de capitalisation, ou de la période de versement des pensions, ces variations sont prévues par le contrat. Evidemment, il peut se faire que les taux d'intérêt courants s'écartent de ceux que les contractants avaient prévus. Puisque le taux d'intérêt est en quelque sorte le prix du temps, l'estimation de la valeur du temps peut changer dans l'esprit des opérateurs, voire même de tout le monde. Il est bien connu par exemple que dans une conjoncture d'inflation, le temps se déprécie
201 bien plus rapidement, et par conséquent les taux d'intérêt augmentent. En général «un tiens vaut Inieux que deux tu l'auras », mais si l'on ne sait réellement pas ce qui se passera dans un an ou un mois, « un tiens» peut valoir mieux que quatre ou cinq « tu l'auras» : aucune confiance dans un avenir dont on ne sait ce qu'il sera. En période d'inflation, les prêteurs perdent et les emprunteurs gagnent. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que les adversaires de la capitalisation aient pu convaincre tellement de gens dans les périodes de forte instabilité monétaire, comme dans les années 1930: l'inflation ruine vos retraites, a-t-on dit aux assurés en capitalisation. Non seulement on peut démontrer que l'inflation n'est pas une fatalité et ne doit rien au hasard 104, mais même dans les années 1930 les assureurs privés ont su se prémunir contre ses effets dévastateurs et il est faux d'affirmer que les retraités ont été ruinés par les compagnies d'assurance. La garantie des retraités a été effective grâce aux techniques du moment, elles ont été affinées depuis, comme on le verra. Demeure enfin le risque de défaillance totale ou partielle de l'emprunteur ou du prêteur. Le prêteur, c'est le futur retraité. Il peut ne pas être en mesure d'honorer son engagement pendant toute la période de constitution de son capital. Il court le risque d'une perte totale des primes déjà versées, ou d'une pénalisation plus ou moins lourde. Cette éventualité est en général envisagée dans le contrat de capitalisation. Nous n'insistons pas sur ce cas, puisque le danger essentiel qui concerne le futur retraité, danger dont l'avertissent 104. L'inflation est simplement due à l'émission d'une masse Inonétaire très supérieure à ce que requiert le besoin normal de liquidités d'une économie en croissance. Même si cette « normalité» est approximative, elle est connue avec suffisamment de précision pour justifier la croissance régulière de la masse monétaire à un taux constant (le k de Friedlnan). Mais les banques centrales, sur la pression combinée des gouvernements qui ont un besoin de liquidités pour financer leurs déficits budgétaires, et des banquiers et financiers qui se sont itnprudemment avancés dans des opérations ayant diminué la valeur de leurs actifs, n'ont pas toujours résisté à la tentation d'émettre des masses de liquidités tout à fait déraisonnables, créant ainsi des « faux droits» (Jacques Rueff), c'est-à-dire fabriquant un pouvoir d'achat qui n'a aucune contrepartie réelle dans le produit actuel ou futur. Du jour où les banques centrales se sont disciplinées, l'inflation a disparu. La discipline des banques centrales a été respectée du jour où la concurrence entre banques centrales est apparue (changes flottants).
202
avec insistance les adversaires de la capitalisation, est celui de la défaillance partielle ou totale de l'emprunteur, c'est-à-dire de l'assureur. Qu'aura-t-il fait des sommes qui lui auront été versées par le retraité? L'exécution du contrat implique qu'elles auront été suffisamment fructifiées pour assurer le remboursement à l'échéance du capital et des intérêts. Que se passe-t-il si le capital est englouti dans des opérations de placement hasardeuses? De plus, si le contrat a prévu une « sortie en rente» ou une « sortie en capital et en rente », le retraité peut avoir le mauvais goût d'être centenaire: pour l'assureur il y a donc aussi une incertitude sur le montant total qu'il aura à payer suivant l'âge du décès du retraité. L'assureur est-il en mesure de tenir ses engagements dans un cas extrême où tous les retraités deviennent centenaires sans prévenir quiconque?
Couvertures de ces risques Les dangers évoqués ne sont pas imaginaires. Mais il y a moyen de les prévenir ou de les compenser, et à cet effet les innovations se sont succédées. Elles sont trop nombreuses et trop complexes pour les présenter de façon détaillée, nous voulons simplement indiquer quelques-unes d'entre elles, qui laissent à penser que la capitalisation est mieux assurée aujourd'hui que jamais. Majoration des taux: le risque de défaillance de l'emprunteur se compense par un taux d'intérêt plus élevé, qUI inclut une prime de risque. Réassurance: la défaillance de l'assureur est également couverte en principe par une réassurance, dont le coût est pris en compte pour calculer le taux d'intérêt. Décès précoce: si le retraité décède avant ou peu de temps après son départ à la retraite, et si le contrat prévoit une sortie en rente totale ou partielle, c'est tout à l'avantage de l'assureur. Le contrat peut donc prévoir soit de cesser définitivement le jour du décès - auquel cas un taux d'intérêt bonifié sera retenu - soit de reverser la pension à une personne désignée par le retraité. L'assurance-vie, inventée au XVIIIO siècle, a constitué une innovation majeure en prenant en compte, dans le calcul des primes, l'aléa qui s'inscrit dans les tables de mortalité. Plus
203
récemment, on a étudié une proposition de Blake et Burrows 105 , tendant à créer des obligations sur survivants (survivor bonds), instituant des droits à pension pour une durée espérée de survie, droits qui peuvent échoir à un survivant désigné si le retraité décède avant la date prévue par le contrat. On a marqué la ressemblance de cette proposition avec le vieux système des tontines, contrats de mise en commun d'un capital constitué par une collectivité d'individus (famille, village, association, etc.), capital qui échoira à l'un des membres de la communauté, désigné par tirage au sort, ou par le hasard de la mortalité qui en fera le seul survivant de la communauté l06 . Réversion: non seulement en cas de décès précoce, mais dans tous les cas, l'assuré peut choisir de ne rien laisser à des survivants, même pas son conjoint. Cet «égoïsme» est récompensé par un taux d'intérêt plus élevé. Certains trouvent choquante cette clause de non réversion, mais ils ne s'émeuvent pas beaucoup de la modicité des réversions de la plupart des régimes par répartition - dont la logique est que seuls les retraités sont pris en charge par les actifs, et qui exclut facilement la « sortie en capital ». Contrats pluriels: au lieu de mettre en présence un prêteur et un emprunteur, le contrat de capitalisation peut s'étendre à une collectivité de retraités (une «cohorte» correspondant à une tranche d'âge par exemple) et un consortium d'assureurs. Quand on prend en compte des populations élargies, les incertitudes relatives à l'âge du décès, donc à la capitalisation des pensions, diminuent. Les résultats se rapprochent de ceux que propose une table de mortalité bâtie sur la moyenne espérée de longévité.
lOS. Blake, D. et Burrows, W. (2001), "Survivor Bonds: Helping To Hedge Mortality Risk, The Journal ofRisk and Insurance, vo1.68, 2, pp.339-348. 106. Il est à remarquer que la tontine a été inventée pour remplir les caisses du roi Louis XIV : le Trésor demandait aux bons Français de mettre leurs économies dans un pot commun, sachant que l'un d'entre eux pourrait empocher seul une partie de la mise (le reste demeurant la propriété du roi). La Française des Jeux est donc une vieille dame! Cooper, R.W. (1972), An Historical Analysis of the Tontine Principle, Monograph1, S.S. Huebner Foundation, The Wharton School, University of Pennsylvania, Philadelphia ; Jennings, R.M. et Strout, A.P. (1982), The Tontine from the Reign of Louis XIV to the French Revolutionary Era, Monograph 12, S.S. Huebner Foundation, The Wharton School, University of Pennsylvania, Philadelphia.
204 Gestion de l'emprunteur: le risque qui hante les esprits, surtout aujourd'hui, est celui d'une erreur de gestion de l'emprunteur, qui engloutirait les sommes à lui prêtées (primes) et serait insolvable le moment venu. Il n'est pas couvert (ou pas vraiment) par la réglementation, mais bien par des principes financiers qui ont prouvé leur efficacité, nous y revenons maintenant.
Les erreurs des financiers A entendre les commentaires de la crise actuelle, les financiers commettent des erreurs fréquentes, irréparables, et inévitab les. Erreurs fréquentes? S'il est de bon ton de dire que ce qui se passe aujourd'hui ne s'était plus vu depuis 1929, cela signifie aussi que pendant 80 ans il n'y a eu que des accidents boursiers et financiers mineurs. Depuis le début du XXème siècle les perturbations de la vie économique ont été causées essentiellement par l'inflation, et le chômage qui l'accolTIpagne fatalement. Les dégâts pour les entreprises et les hOITImes ont été considérables. Mais dès que les gouvernements ont accepté les disciplines monétaristes, après les chocs pétroliers des années 1970, l'inflation a pratiquement disparu (sauf pour les pays de l'Europe communiste et de l'Amérique Latine détruits par le planisme et la dictature et en transition vers le marché et la démocratie). Le fléau du chômage a été pratiquement éliminé grâce à la stabilité monétaire et à la concurrence qui apporte avec elle la flexibilité. Comparativement les perturbations financières ont été moindres, mises à part celles des années 1930. Les fièvres boursières qui ont accompagné l'effondrement des « start up » en 2001:2002, et l'attentat du onze septembre ont été un mauvais souvenir pour les places boursières du monde entier qui ont enregistré des plus-values dépassant 100 %, et pour le volume des transactions fin-ancières mondiales qui a été multiplié par 50 en une décennie. On peut évidemment soutenir que cette «illusion» ne se reproduira plus, et que le système est durablement condamné, mais l'annonce de l'apocalypse est inhérente à tout accident imprévu et nombreux sont ceux, .souhaitant la fin du capitalisme et s'y elTIployant, qui prennent. leurs désirs pour des réalités.
205
Erreurs irréversibles? Dans le premier tome de notre ouvrage, nous avons rappelé les principaux chiffres qui devraient être de nature à rassurer l'opinion publique sur les risques d'explosion d'un système par capitalisation 107. 1° Les chutes des actions égales ou supérieures à 20 % se sont produites au cours de 12 années sur 195 années (1803-1998) : au XXème siècle en 1905, 1907,1916,1921,1930,1938,1973. En sens inverse les hausses supérieures à 40 % ont concerné également 12 années, et pour des hausses supérieures à 20 % 48 années (une année sur quatre). 2° Quelqu'un qui détient un portefeuille d'actions pour une durée de cinq ans (et au-delà bien sûr) a toutes chances de bénéficier d'un taux de rendement égal à celui qu'il attendait. Cela signifie que les fluctuations des marchés ne modifient en rien les calculs faits par ceux qui capitalisent, à condition de ne pas prendre la finance comme un jeu de casino, de résister à la tentation de vendre quand la baisse est là, et de ne pas se laisser impressionner. 3° Cette observation statistique se confirlne si on étudie seulement les années boursières les pires qui soient. Dans ce cas les seuls qui ne perdent pas sont ceux qui gardent leurs titres (actions, obligations, bons du Trésor). Les fluctuations les plus fortes à court terme atteignent les actions, mais à plus long terme ce sont aussi les actions qui permettent de retrouver la rentabilité perdue. Erreurs inévitables? Si les statistiques ont de quoi rassurer ceux qui entrent ou entreraient dans un système de capitalisation, c'est que les financiers ont multiplié les innovations de nature à protéger leur clientèle contre les aléas. Encore une fois, il n'est pas question de nier les aléas, puisque nous sommes dans le domaine du futur, donc de l'incertain. La vie elle-même est aléa. Certaines de ces innovations concernent les méthodes de gestion. Elles se ramènent toutes plus ou moins à un mot: diversification. Diversification des portefeuilles d'abord: il ne s'agit pas de mettre tous ses œufs dans le même panier, et la gestion financière associe, dans des dosages de plus en plus affinés, 107. Futur des retraites et retraites du futur - Vol.! Le futur de la répartition (Librairie de l'Université Aix en Provence) Chapitre IV N'ayez pas peur, pp. 119-142.
206
ce qui est risqué mais très rémunérateur, et ce qui assure la stabilité à long terme, mais ne rapporte pas beaucoup. Un particulier épargnant est capable de faire ce même bouquet, mais il dispose d'informations et de compétences moindres que celles des professionnels de la finance. Diversification de la clientèle: en constituant des « cohortes» d'assurés de plus en plus fournies, les assurés répartissent le risque de mortalité ou de solvabilité sur un plus grand nombre de personnes et approchent ainsi une estimation moyenne valide. D'autres innovations concernent les « produits », c'est-à-dire les contrats que les assureurs présentent à leur clientèle. Ils sont de plus en plus composites: ils offrent au retraité non seulement des primes et des pensions d'un certain montant, avec des modalités de paiement variables, mais aussi des services annexes: par exemple une assurance-maladie, ou hospitalisation, ou obsèques est adjointe, ou encore un crédit ménager, etc. L'assureur peut aussi faciliter la mobilisation du capital accumulé si l'assuré a besoin de reconstituer ses liquidités ou au contraire d'immobiliser davantage son capital. Ainsi un crédit immobilier peut-il être adossé à une assurance-vie. C'est une pratique de plus en plus courante en Angleterre: arrivés à la cinquantaine, de nombreux Britanniques revendent leur capital-retraite à des organismes de prêts immobiliers, ils achètent ainsi un appartement et une maison qu'ils vont ensuite louer, le flux des locations leur paraissant d'un meilleur rapport que le flux des pensions qu'ils auraient pu percevoir s'ils n'avaient pas touché à leur contrat d'assurance. En sens inverse la mobilisation de tout ou partie du capital permet d'aider ses enfants ou petits-enfants à démarrer dans leur vie professionnelle ou familiale. Ils n'auront pas à attendre patiemment que les « vieux» disparaissent. Ainsi, depuis ces dernières années, les producteurs de l'industrie financière proposent des produits financiers variés qui recouvrent, chacun à lui tout seul, un ensemble de produits financiers diversifiés. Enfin, et pourrait-on dire surtout, les innovations portent sur les marchés financiers eux-mêmes, qui mettent en relation les gestionnaires de la capitalisation. Les marchés à terme existent depuis longtemps : - les achats ou ventes prennent effet à une date convenue, et leur valeur dépend de la date
207 - les achats ou ventes à terme comportent une option qui peut être exercée avant l'échéance, ou qui peut être reportée à l'échéance (il faut évidemment payer pour ces facilités) Mais les marchés dérivés (décriés par beaucoup, au titre de leur ignorance) ont un succès croissant. A la différence des marchés au comptant (on parle de marchés « spot»), les marchés dérivés sont à terme. Ils sont conclus tantôt de gré à gré - entre deux personnes intéressées par l'opération (on parle alors de marché « forward ») ou sont passés sur un marché institutionnalisé auquel s'adressent nombre de financiers différents (on parle alors de « future»). Dans toutes ces opérations, les financiers finissent par trouver le vrai prix du risque, exprimé en une série de taux d'intérêt, au comptant ou à terme. C'est évidemment une démarche par tâtonnements successifs, comme la plupart des marchés de biens et services d'ailleurs (on pourrait faire le rapprochement avec la vente des vins aux hospices de Beaune, ou avec les récoltes et cargaisons de café ou de coton). Il est incontestable que ces tâtonnements peuvent être grandement faussés par les variations imprévisibles du taux d'intérêt des liquidités monétaires, puisque le prix des contrats sera stipulé et le montant réglé en monnaie. Les banques centrales ont hélas pour habitude de fixer des taux d'intérêt totalement artificiels, dont les manipulations n'ont pas été sans perturber sans cesse les marchés financiers depuis une dizaine d'années (alors que les Banques centrales à la fin du XXème siècle avaient la saine habitude de jouer sur les masses monétaires, c'està-dire sur la production de monnaie, au lieu de jouer sur les taux, prix des liquidités monétaires)lo8. En conclusion, le résultat de toutes ces innovations financières aura été de réduire les conséquences de l'incertitude sur les prix futurs, en particulier ceux des actions de sociétés, des créances et des dettes. Malheureusement ces innovations financières ne sont pas exposées au grand public. Les gens ignorent qu'il existe désormais des produits financiers ou des stratégies financières qui permettent d"'immuniser" des portefeuilles contre 108. Dans notre esprit le meilleur système est celui où il n'y a plus de banque centrale (régime de monnaies privées concurrentielles) ou à la limite celui où les banques centrales sont obligées de respecter une limitation de leur émission en fonction de leurs réserves en or (Jacques RUEFF) ou en un panier d'actifs réels (matières premières, énergie,etc. - Friedrich HAYEK première version).
208 l'évolution des prix futurs, même si leur usage est encore coûteux. La conspiration du silence ou de l'ignorance perlnet de diaboliser la capitalisation. Pour notre part, nous avons tenté d'aiguiser votre curiosité, et surtout de vous rassurer sur le futur des retraites par capitalisation.
La capitalisation, seule façon de s'en sortir Si notre incursion sur les marchés financiers ne vous a pas totalement convaincus, vous pourriez vous poser trois questions: - Qu'est-ce qui a permis au système par répartition de survivre ? Sans doute des primes plus élevées et des prestations abaissées (par « réformes» du premier pilier, comme l'allongement de la période de· cotisation, ou de la période de calcul des pensions) ; sans doute encore des impôts nouveaux, payés par tous (comme la CRDS, «contribution» au remboursement de la dette sociale). Mais ces artifices n'ont pas suffi. Depuis plus de cinquante ans ce sont des techniques financières qui ont permis à la Sécurité Sociale de fonctionner en dépit de ses déficits croissants et de l'accumulation de la dette sociale. Comlnent l' ACOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale) pourrait-elle gérer sa trésorerie sans recourir au marché financier? La capitalisation est paradoxalement la bouée de sauvetage de la répartition! - qu'est-ce qui amène plus de 20 millions de Français à souscrire à des assurances-vie et des contrats de capitalisation? C'est qu'ils ont confiance dans la capitalisation pour les couvrir du risque de faillite de la répartition. Plus des deux tiers des Français voudraient « changer de système» 109 - qu'est-ce qui pousse irrésistiblement la plupart des pays étrangers à développer la capitalisation, en instaurant et développant des deuxièmes piliers en fonds de pension, et en stimulant l'épargne volontairement investie en retraites (troisième pilier) ? Comprenez-le: il n'est pas original ni audacieux de faire de la capitalisation la base des retraites du futur. Ce n'est pas un miracle. C'est lié au fait que les financiers ne cessent d'innover, de chercher des formules permettant de couvrir le plus grand nombre de personnes avec le meilleur rendement possible. La capitalisation est évolutive, alors que la répartition est statique. La capitalisation est respectueuse des libres choix, alors que la répartition est imposée. La capitalisation avantage les moins fortunés, alors que la 109. Cf. Annexe A du chapitre V de notre volulne l, pp. 182-185.
209
répartition les pénalise déjà et va les ruiner prochainement, seuls les riches pouvant s'en sortir parce qu'ils ont les moyens d'en sortir. Alors que la répartition n'a pour seul avenir que la faillite, la capitalisation parviendra à reconstituer un capital qui permettra aux retraités actuels et immédiats de garder l'essentiel de leurs droits, et aux jeunes actifs, retraités lointains, de ne pas dilapider leur argent. La capitalisation permettra aussi, et ce n'est pas rien dans cette conjoncture de récession, de remettre l'économie française sur la voie d'une croissance durable. Si vous voyez la capitalisation comme nous la voyons, comme le seul futur possible du système de retraites, il ne reste plus qu'une question à résoudre: comment, à l'image de plusieurs pays étrangers, passer de la répartition à la capitalisation? Quel calendrier? Quels coûts? Pour quels bénéfices? Nous vous donnerons la réponse bientôt. Elle n'est ni simple, ni impraticable. Mais elle demande lucidité et courage de la part des réformateurs - s'il en existe en ce pays conservateur.
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
Il
LISTE DES ANNEXES DU CHAPITRE IV
A.
Formulation classique des contrats par capitalisation
B.
William Poole: Les innovations financières nous exposentelles à des crises? (résumé)
Consultez le site www.irefeuropeoorg Véritable portail vers la connaissance des retraites, ce site rassemble tous les éléments statistiques et analytiques qui sous-tendent le chapitre IV. Nous vous en donnons la liste Calculé détaillé des retraites par répartition (régime général) et par capitalisation pour des salariés percevant 1 SMIC, 2 SMIC et 4 SMIC (IREF) Le législateur français définit les marchés financiers: http://lexinter.net/BOURSE/marche.htm Philippe Marini, Régulation financière et monétaire internationale. (Rapport d'information no 284) (1999-2000), Commission des finances, Sénat de la République française, Paris. Apparition et développement de la théorie de la gestion de portefeuille: Markowitz, H. "Portfolio Selection", Jounlal of Finance, Mars 1952, Markowitz, H. Portfolio Selection: Diversification of lnvestments, Wiley (Yale Uny Press, 1970). Markowitz, H. (1992) "L'histoire de la finance moderne", Journal de la Société de Statistique de Paris, 133, 4, pp.13-33 Sharpe, W.F. (1963), "A Simplified Model of Portfolio Analysis", Management Science, janvier, pp. 277-293 Sharpe, W.F. (1964), "Capital Asset Priees: A Theory of Market Equilibrium Under Conditions of Risk" , The Journal of Finance, septembre, pp. 425-442. Les lenteurs de la libéralisation du marché financier européen: Six ans plus tard le marché financier unique n'était toujours pas réalisé: Services financiers: la Commission présente un plan d'action pour le marché financier unique IP/99/327 Bruxelles, le Il mai 1999
Le fonctionnement des Inarchés financiers et la crise des subprimes : Greenspan, A. (1998), "The structure of the international financial systeln" (remarks at the Annual Meeting of the Securities Industry Association, Boca Raton, Florida), November 5. http://www.federalreserve.gov/boarddocs/speeches/1998/19981105.htm
212 Les liens entre marchés financiers et réformes des retraites: Pension refonn and capital markets: are there any (hard) links? Pension Refonn and Capital Markets: Are There Any (Hard) Links? Social Protection Discussion Paper Series No. 020 l; Publication Date: 02/02 BIRD Texte cOlnplet de la conférence de Willialn Poole (traduction française de Georges Lane) Innovation financière: moteur de la croissance ou source d'instabilité? William Poole,President, Federal Reserve Bank of St. Louis, 6 March 2008 Version originale en anglais http://stlouisfed.org/news/speeches/2008/03_06_08.htInl
213
ANNEXE A FORMULATION CLASSIQUE DES CONTRATS DE CAPITALISATION
Contrat élémentaire (le prêteur libère tout de suite le capital prêté) Supposons que le prêteur (assuré) n'est pas intéressé par des revenus en intérêt périodiques, ni par un remboursement échelonné du principal. Ce qui l'intéresse, c'est un remboursement final, principal et intérêt. Quant à l'emprunteur (assureur), supposons qu'il n'est pas intéressé par des dépenses en intérêt périodiques, ni par un remboursement échelonné du principal. Ce qui l'intéresse ou dont il estime avoir la capacité économique, c'est un remboursement final, principal et intérêt. Ils sont faits pour s'entendre. Ils contractent ensemble : ils conviennent d'un "contrat de capitalisation" proprement dit. Etant donnée la somme de monnaie M que le prêteur prête à l'emprunteur au taux d'intérêt annuel convenu fixe "i", l'emprunteur remboursera, - si le contrat conclu est d'un an, la somme "capitalisée" : M (1 +i) un an plus tard; - si le contrat conclu est de deux ans, la somme "capitalisée": M (1 +i)2 deux ans plus tard; - si le contrat conclu est de N années, la somme "capitalisée": M (1 +i)n, "n" années plus tard. Contrat échelonné (le prêteur fait à l'emprunteur des versements successifs) Supposons que le prêteur (assuré) n'est pas intéressé par des revenus en intérêt périodiques, ni par un remboursement échelonné du principal. Ce qui l'intéresse, c'est un remboursement final (principal et intérêt) mais après avoir prêté progressivement au même emprunteur, périodiquement ou non, une certaine somme jusqu'à une certaine date dans l'avenir. Quant à l'emprunteur (assureur), il n'est pas intéressé par des dépenses en intérêt périodiques, ni par un remboursement échelonné du principal. Ce qui l'intéresse, c'est un remboursement final (principal et intérêt) après avoir emprunté progressivement, périodiquement ou non, jusqu'à une certaine date dans l'avenir.
214
Ils sont encore faits pour s'entendre et contractent ensemble. Les sommes capitalisées se monteront à la date convenue à : M (l+i)n+ M (l+i)n-1 + ... + M (l+i) dans l'hypothèse où il y aura eu "n" versements annuels de même montant au même taux d'intérêt annuel (cela pour simplifier le calcul, mais cf. c) ci-dessous). "i" est aussi dénommé "taux de capitalisation". La formule des sommes capitalisées s'écrira aussi: [(I+i)/i] [(I+i)n- 1]
Contrat à terme (dérivé) Supposons enfin que le prêteur veuille s'engager sur des prêts successifs au même emprunteur ou à des emprunteurs différents jusqu'à une certaine date dans l'avenir. Quant à l'emprunteur, il veut s'engager sur des emprunts successifs comparables jusqu'à une certaine date dans l'avenir. Les marchés financiers à terme, non spot, - les marchés de dérivés financiers dans la terminologie financière actuelle - vont leur permettre de se rencontrer. Ils vont donner en fait une réalité au calcul hypothétique précédent: M (1 +in)n + M (1 + in_l)n-l + ... + M (1 + il) étant entendu que désormais les taux d'intérêt il... in sont convenus au départ via des contrats/marchés financiers non spot marchés de dérivés financiers -.
Méthodes de remboursement. Plusieurs méthodes de remboursement des sommes capitalisées sont possibles: 1ère méthode, l'emprunteur rembourse au prêteur la totalité (les intérêts et les principaux accumulés,"capitalisés") en une seule fois; 2 ème méthode, il lui rembourse une partie de la totalité (il lui versera un capital), mais échelonne le remboursement du reste sur une durée convenue (il lui versera une rente, périodique ou non) ; ème 3 méthode, il ne lui rembourse rien, mais échelonne le remboursement sur une durée convenue (il lui versera une rente, périodique ou non). La méthode de remboursement retenue par les parties peut être convenue à la signature du contrat ou bien à la date de remboursement.
215
Dans cet ordre d'idées, rappelons que, pour disposer de la somme Ml l'année suivante, la personne doit disposer au départ de la somme Mo telle que : Mo = Ml (1/(1 +i)) quand i est le taux d'intérêt annuel du prêt ou placement Pour disposer de Ml puis de M 2, respectivement les deux années suivantes, elle doit disposer de : Mo = Ml (1/(1 +i)) + M 2 (1/(1 +i)2) (On garde le même taux d'intérêt pour simplifier la présentation). Pour disposer de Ml puis de M 2, puis etc., puis de Mn, respectivement les "n" années suivantes, elle doit disposer de : Mo = Ml (1/(1 +i)) + M 2 (1/(1 +i)2) + ... + Mn (1/(1 +i)n) Si, pour simplifier le calcul, on suppose que les Mj (j= 1,2, ...n) sont égaux à M, la somme a pour autre expression: Mo = M [l/i (1 - 1/(1 +i)n] En d'autres termes, la somme Mo permet à la personne de recevoir M, chaque année, pendant "n" années quand le taux d'intérêt annuel reste "i" 110. C'est ainsi par exemple que la somme Mo va permettre au retraité qui la possède, l'âge de la retraite venu, de recevoir une pension de retraite annuelle de M. En d'autres termes encore, la somme Mo est la valeur actualisée du scénario décrit, i.e. des flux de trésorerie attendus par le retraité ...
Principe de la gestion de la "retraite par capitalisation". Schématiquement, on peut parler d'une «économie de la retraite». Le futur retraité, grâce au marché financier et aux techniques de capitalisation et actualisation, va chercher à égaliser de la "meilleure façon à ses yeux", - la somme de monnaie qu'il va accumuler pendant sa vie active en la gérant ou la faisant gérer par l'industrie financière - et la dépense de cette somme pendant sa vie de retraité", avec l'incertitude sur sa date de décès.
110. Et au lieu de parler d'années, on peut s'exprimer en termes de périodes et de taux d'intérêt périodiques. Dans le cas du marché/contrat financier qu'est 1'« obligation» classique à revenu fixes et à capital remboursé en fin de contrat, on a : Mo = M [l/i (1 - 1/(1 +i)n] + Mo/(l +i)n où M = i. Mo
216 Si on s'exprime de façon raccourcie, on parlera de la "retraite par capitalisation". Pendant sa "vie active", le futur retraité fait des versements de monnaie (primes) à un fonds ou à une caisse qui les "gère économiquement" et qui capitalise le résultat de la gestion au compte du futur retraité. La capitalisation peut être convenue à un taux minimum, à un taux garanti révisable ou à un taux variable. L'âge de la retraite venu, le retraité a le choix entre les trois méthodes de remboursement des sommes capitalisées, L'égalisation arithmétique est mise en danger par deux incertitudes : l'une sur la durée de vie, une fois la personne retraitée, la durée pouvant être plus longue que prévue; l'autre sur le taux d'intérêt futur, i.e. directement ou indirectement, sur le prix des formes de l'épargne accumulée. Dans cet ordre d'idées, rappelons que, pour disposer de la somme Ml l'année suivante, la personne doit disposer au départ de la somme Mo telle que : Mo == Ml (1/(1 +i)) quand i est le taux d'intérêt annuel du prêt ou placement Pour disposer de Ml puis de M 2 , respectivement les deux années suivantes, elle doit disposer de : Mo == Ml (l/(l+i)) + M 2 (1/(1+i)2) (On garde le même taux d'intérêt pour simplifier la présentation). Pour disposer de Ml puis de M 2 , puis etc., puis de Mn, respectivement les "n" années suivantes, elle doit disposer de : Mo == Ml (1/(1 +i)) + M 2 (1/(1 +i)2) + ... + Mn (1/(1 +i)n) Si, pour simplifier le calcul, on suppose que les Mj U== 1,2, ... n) sont égaux à M, la somme a pour autre expression: Mo == M [l/i (1 - 1/(1 +i)n]
217
En d'autres termes, la somme Mo permet à la personne de recevoir M, chaque année, pendant "n" années quand le taux d'intérêt annuel reste "i" 111. C'est ainsi par exemple que la somme Mo va permettre au retraité qui la possède, l'âge de la retraite venu, de recevoir une pension de retraite annuelle de M. En d'autres termes encore, la somme Mo est la valeur actualisée du scénario décrit, i.e. des flux de trésorerie attendus par le retraité ...
Ill. Et au lieu de parler d'années, on peut s'exprimer en termes de périodes et de taux d'intérêt périodiques. Dans le cas du marché/contrat financier qu'est l"'obligation" classique à revenu fixes et à capital remboursé en fin de contrat, on a : Mo = M [1/i (1 - 1/(1 +i)n] + Mo/(l +i)n oùM= i. Mo
218 ANNEXEB WILLIAM POOLE: LES INNOVATIONS FINANCIERES NOUS EXPOSENT-ELLES A DES CRISES?
William Poole est Président de la Federal Reserve Bank de St. Louis. Il a prononcé le 6 mars 2008 une conférence intitulée « Innovation financière: moteur de la croissance ou source d'instabilité ». En voici un compte rendu, rédigé par Georges Lane William Poole a commencé sa conférence en évoquant trois évènements alarmants: la détresse des marchés hypothécaires, la baisse de la construction de maisons neuves et la baisse des prix des maisons dans de nombreuses régions des Etats-Unis au cours des neuf derniers mois. Il ne s'y est pas attardé, préférant s'attacher à l'examen des diagnostics très variés sur la détresse des marchés hypothécaires (prolifération de produits hypothécaires qualifiés d"'exotiques" pour ne pas dire "complexes", laxisme dans les prêts accordés, lacunes dans l'évaluation des dettes, innovation "non digérée"). Il a rappelé avec des exemples que l'histoire est pleine d'innovations qui ont conduit, au moins dans un premier temps, à l'instabilité. Mais l'innovation financière, tout comme l'innovation dans d'autres industries, fait partie du processus dynamique de la «destruction créatrice» qui conduit l'économie de marché en avant et élève le niveau de vie de chacun. Les marchés financiers ont toujours innové. Les innovations sont de nature diverse. Des innovations, comme les cartes de crédit, tiennent compte des progrès techniques. D'autres reflètent simplement la pensée rapide de certains entrepreneurs .et la capacité qui leur est offerte de faire un profit. D'autres encore émergent en réponse à une réglementation ou à d'autres actions politiques des gouvernements (les fonds communs de placement sur le marché monétaire dans les années 1970, les hypothèques s'amortissant à long terme dans la décennie 1930) Grande innovation depuis lors, la "titrisation" : c'est le processus de conversion d'instruments de crédit non échangeables en des titres échangeables sur des marchés organisés. Une application en a été, dans la décennie 1980, la création des titres adossés à des créances hypothécaires, dénommées obligations hypothécaires garanties (O.H. G.). Les OHG sont créées par découpage du flux de trésorerie de l'actif sous-jacent en différentes
219
catégories, ou tranches, avec différentes caractéristiques de maturité ou de risque. Les épargnants/investisseurs peuvent ainsi acheter l'obligation qui convient le mieux à leur appétit de risque ou de durée. Les prêts hypothécaires de type "subprime" ont été vendus par leurs auteurs à des intermédiaires financiers qui, à leur tour, ont formé des groupes d'hypothèques et ont vendu les flux de trésorerie provenant de ces groupes comme ÜHG. Les principaux acheteurs d'üHG ont été les banques, les hedge funds et d'autres investisseurs institutionnels. Les taux de défaut sur les prêts hypothécaires de type "subprime" ont commencé à augmenter en 2006 quand la croissance des prix des maisons a commencé à ralentir. Des détenteurs de titres adossés aux hypothèques ont alors supporté des pertes substantielles. Et des investisseurs ont remis en question les valeurs des titres adossés aux actifs en général, ce qui a alimenté la défiance. La Réserve fédérale et d'autres banques centrales ont travaillé depuis lors pour soulager les astreintes des marchés financiers et pour réduire l'impact de la détresse financière sur l'économie réelle. Trois grandes erreurs ont conduit, en définitive, à l'effondrement des prêts hypothécaires de type subprime : - De nombreux prêteurs ont consenti des prêts hypothécaires à des emprunteurs qui ne pouvaient pas se le permettre. - Beaucoup d'acheteurs d'hypothèques et de titres adossés à des prêts hypothécaires sur le marché secondaire ont omis d'évaluer la qualité des actifs sous-jacents ou de comprendre les risques associés aux titres achetés. - Des investisseurs ont eu trop confiance dans les notes attribuées par les agences de notation aux titres adossés aux hypothèques. Plusieurs causes sous-tendent l'instabilité associée à l'innovation financière Les fonds propres (capital) servent de coussins aux pertes financières et encouragent un comportement prudent. Plus un intermédiaire financier a de capitaux en jeu, plus prudemment il se comportera. La première ligne de défense contre les prises de risque excessives est la discipline de marché. Les auteurs des hypothèques qui vendent leurs prêts avec peu ou pas de recours ont moins de raisons de maintenir des normes de souscription prudentes que les auteurs qui mettent leur propre capital en cause. Les participants au marché ont besoin de comprendre les motivations de leurs contreparties dans les échanges pour se défaire
220
des risques et demander des primes de risque appropriées et des rehaussements de crédit. Les distorsions des échéances des actifs et des passifs dans les portefeuilles du prêteur restent une cause importante d'instabilité. Les créances hypothécaires sont des actifs à long terme qui, trop souvent, sont financés par des engagements à court terme. Nous ne devons pas oublier l'importance de l'innovation financière dans la poursuite de la croissance économique. Le succès des innovations financières - de celles qui passent le test du marché sur le long terme - promeuvent une allocation efficace des capitaux et contribuent à élever le niveau de vie de chacun. Le défi pour les dirigeants politiques est d'écrire des règles qui favorisent la stabilité financière sans décourager les innovations productives. La titrisation d'hypothèque est une innovation financière majeure et elle survivra à la tourmente financière actuelle. Il reste qu'il ne faut pas oublier que la discipline de marché imposée par les prêteurs qui ont subi des pertes très grandes est déjà très difficile pour tous ceux qui offrent des prêts hypothécaires de type subprime. Avec le temps, et si de nouvelles charges réglementaires ne deviennent pas trop lourdes, il faut s'attendre à voir de nouvelles pratiques devenir la norme. Les événements récents du marché hypothécaire reflètent le processus normal de l'innovation. Avec le temps, le secteur subprime du marché hypothécaire apparaîtra aussi normal que toute autre partie de ce marché. Survivront certaines innovations dans l'automatisation de la souscription qui réduisent les coûts en travail. Le marché hypothécaire de type subprime deviendra aussi accepté que les innovations antérieures.
BIBLIOGRAPIDE AFSCHRIFT T. (2008) The Pension System in Belgium www.irefeurope.org BABEAU, A. (1985), La Fin des Retraites, Hachette (Coll. Pluriel), Paris. BASTIAT, F. (1850), "Des salaires", dans Harmonies sociales, éditions du Trident, Paris, 2007. BBC, History of UK Pension System, BBC history website Switzerland an overview BESSARD P. (2008) www.irefeurope.org BLAKE, D. & BURROWS, W. (2001), "Survivor Bonds: Helping To Hedge Mortality Risk", The Journal of Risk and Insurance, vol.68, 2, pp.339-348. BORELLA, M. et F. CODA MOSCAROLA (2006), "Distributive Properties of Pension Systems: A Simulation of the Italian Transition from Defined Benefits to Notional Defined Contributions", Giornale degli Economisti e Annali di Economia, 65(1), 95-126 BORSCH-SUPAN, A.H., A. REIL-HELD, Ch.B. WILKE (2007). How an Unfunded Pension System Look Like Defined Contributions: The German Pension Reform, Discussion Paper 126-2007, Mannheim: MEA. BORSCH-SUPAN, A.H., L. ESSIG, Ch.B. WILKE (2005). Rentenlücken und Lebenserwartung. Wie sich die Deutschen auf den Anstieg vorbereiten. KaIn: DIA. BRUGIAVINI, A. et E. FORNERO (2001) "Pension Provision in Italy", in R.Disney et P.Johnson (eds.) Pension Systems and Retirement Incomes across OECD Countries, Cheltenham: Edward Elgar, 197-235. CASTELLINO, O. (1995) "Redistribution Between and Within Generations in the Italian Social Security System", Ricerche Economiche, 49(4),317-327. CLEISS Les régimes de sécurité Sociale dans le monde Centre des Liaisons européennes et internationales de Sécurité Sociale, www.cleiss.fr COASE, R. (1937). "The Nature of the Firm", Economica, Vol. 4, No. 16, november, pp. 386-405 ; réédité dans Stigler et Boulding (ed.), Readings in Price Theory, Chicago, R. D. Irwin, 1952.
222
CODA MOSCAROLA F. et Elsa FORNERO (2008) The Italian Pension Refortn: a Quasi Success at Risk of Being Spoiled www.irefeurope.org CODA MOSCAROLA, F. (2008), lncome, Health and Work along the Life Cycle, Chapter 1, Phd Thesis. CODA MOSCAROLA, F. (2007), "Measuring Sustainability of Pension Systems through a Microsimulation Model. The Case of ltaly", paper prepared for the project "Adequacy of Old Age Income Maintenance in Europe". COOPER, R.W. (1972), An Historical Analysis of the Tontine Principle, Monographl, S.S. Huebner Foundation, The Wharton School, University of Pennsylvania, Philadelphia COUR DES COMPTES (2008) Communiqué de presse http://www.ccomptes.fr COVIP (2008), Relazione per l'anno 2007, Roma. CURZON PRICE, V. & CURZON PRICE, T., A Brief History of the UK State Pension System (1946-2008) www.irefeurope.org DAVIDOFF, T., J. BROWN & P. DIAMOND (2005), "Annuities and Individual Welfare", The American Economie Review, 95, 5, pp. 1573-90. DRV - Deutsche Rentenversicherung Bund (2007). Jahresbericht 2006, Berlin: DRV. ECONOMIC POLICY COMMITTEE (2007), Pensions Schemes and Projection Model in EU-25 member States, European Economy, Occasional Papers, European Commission, EHRENTRAUT, o. & M. HEIDLER (2007), "Demografisches Risiko für die Staatsfinanzen? Koordinierte Bevolkerungsvorausberechnungen im Vergleich", Discussion Paper 20-2007, Freiburg: Forschungszentrum Generationenvertrage. EHRENTRAUT, O. & M. HEIDLER (2008), "Zur nachhaltigen Finanzierung der GRV: Der Beitrag der Altersgrenzenanhebung im Reformprozess", Perspektiven der Wirtschaftspolitik, forthcoming. FORNERO, E. & o. CASTELLINO (eds.) (2001) La riforma dei sistema previdenziale italiano, Il Mulino, Bologna. GARELLO, J. & LANE, G. (2008), Futur des retraites et retraites du futur, Vol.! : Le futur de la répartition, Librairie de l'Université, Aix en Provence.
223
GOKHALE, J (2005) Social Security Status Quo versus Reform: What's the Tradeoff? Cato Institute, Social Security Choice Paper no. 35 July 22, 2005 GOUVERNEMENT DU ROYAUME UNI (1985), Green Paper on Reform of National Insurance, Kessings Contemporary Archive, GRABKA, M.M., J.R. FRICK., V. MEINHARDT, J. SCHUPP (2003), "Altere Menschen in Deutschland: Einkommenssituation und ihr moglicher Beitrag zur Finanzierung der gesetzlichen Rentenversicherung", DIW Wochenbericht 12/2003: 190-195. GRUPUL DE ECONOMIE APLICATA (GEA), "Scrisoare deschisa", http://www.gea.org.ro GURLEY J.G. & SHAW, E.S. (1960), "Money in a Theory of Finance", The Brookings Institution, Washington. HM REVENUE AND CUSTOMS website www.hmrc.gov.uk HOLZMANN, R. (1997), "Fiscal Alternatives of moving from unfunded to funded pensions", OECD Development Centre Working Paper No. 126, août. http://puck.sourceoecd.org/v1=6779601/cl= 14/nw=1/rpsv/cgibin/wppdf?file=51gsjhvj7cr7 .pdf HOLZMANN, R. (1997), "On economic benefits and fiscal requirements of moving from unfunded to funded pensions", European Economy Reports and Studies, 4/1997,121-166 INS Institutul National de Statistica (2006), "Anuarul Statistic al României 2005", http://www.insse.ro/cms/files/pdf/ro/cap 10.pdf INS Institutul National de Statistica (2007), "Anuarul Statistic al României 2006". http://www.insse.ro/cms/files/pdf/ro/cap 10.pdf JENNINGS, R.M. & STROUT, A.P. (1982), The Tontinefrom the Reign of Louis XIV to the French Revolutionary Era, Monograph 12, S.S. Huebner Foundation, The Wharton School, University of Pennsylvania, Philadelphia. LANE, G. (2008), La Sécurité sociale et comment s'en sortir, 2 ème ed., éditions du Trident, Paris. LEFEBVRE, C. (2007), "Projections à long terme des systèmes de retraite : quelques expériences étrangères ", Rapport au Conseil d'orientation des retraites présenté en avril 2007, COR, Paris http://www.cor-retraites. fr/article3 07 .html LENZE, D.G. (2008) Accrual Measures of Pension-Related Compensation and Wealth of us. Households U.S. Department
224
of Commerce Bureau of Economie Analysis Washington, D.C. Paper prepared for the 30th General Conference of the International Association for Research in Income and Wealth August 25, 2008 Portoroz, Slovenia http://w4.csspp.ro/ro/pdf/romana/legislatie/legi/legea-411-2004republicata.pdf MACKINNON, R.I. (1991), "Ilfaut libéraliser, progressivement », Le Figaro, 25 janvier 1991 MAEGINEAN, (1999), "Sistemul protectiei sociale în România", in C.Zamfir, E.Zamfir, I.Badescu (coord.), Starea societatii române~ti, Editura Expert, Bucarest. MARKOWITZ, H. (1952), "Portfolio Selection", Journal of Finance, mars. MARKOWITZ, H. (1959), Portfolio Selection: Diversification of Investments, Wiley (Yale University Press, 1970. MARKOWITZ, H. (1992) "L'histoire de la finance moderne", Journal de la Société de Statistique de Paris, 133,4, pp.13-33 MONITORUL OFICIAL, Partea l nr. 482 loi 411/2004 du 18/10/2004, din 18/07/2007, NECHITA, R. (2008) La Réforme des retraites en Roumanie www.irefeurope.org NECULAU, A. (2004), "Viata cotidiana in communism", Polirom, Iasi; Observatoire des Retraites www.observatoire-retraites.org OCDE (2007). Pensions at a Glanee: Public Policies Across the OECD Countries, Paris: OCDE. OCDE (2007), Les pensions dans les pays de l'OCDE, Panorama des politiques publiques, OCDE, www.oecd.org/els/social/vieillissement/PAG PASTIA, E. (2008), «Aici sunt banii dumneavoastra: La FNI! », Financiarul, 26 Mai, http://www.financiarul.com/articol_ PINERA, J. (2008), Le taureau par les Cornes - Comment résoudre la crise des retraites (introduction et traduction par Jacob Arfwerdson, Stockholm Network) POOLE, W. (2008), Innovation financière: moteur de la croissance ou source d'instabilité 7", 6 March, http://stlouisfed.org/news/speeches/2008/03 06 08.html PREDA M., coord. (2000), "Sistemul de asigurari de pensii în România: probleme majore ~i solutii", avec C. DOBOS, V. GRIGORAS, 1ER, Bucure~ti. PREDA, M., (2001), "Politica Sociala româneasca între saracie ~i globalizare", Polirom, Ia~i
225
QUEISSER, M. (2005), Le Puzzle des Retraites, Synthèses de l'OCDE, RAGIONERIA GENERALE DELLO STATO (2007), Mid-long term trends for the pension, health and long term care systems, projections of the Department of General Accounts updated to 2007, Rome. RESSOURCES HUMAINES ET DEVELOPPEMENT SOCIAL Canada www.rhdsc.gc.ca RÜRUP-KOMMISSION (2003). Nachhaltigkeit in der Finanzierung der sozialen Sicherungssysteme, Berlin: Bundesministerium für Gesundheit und soziale Sicherung. SHARPE, W.f. (1963), "A Simplified Model of Portfolio Analysis", Management Science, janvier, pp. 277-293 SHARPE, W.f. (1964), "Capital Asset Priees: A Theory of Market Equilibrium Under Conditions of Risk", The Journal of Finance, septembre, pp. 425-442. SCHNELLENBACH, J. (2008) The State of the German Pension System: Brief Survey www.irefeurope.org SCHWARZ J. Jr. (2008) Czech Pension system www.irefeurope.org TANNER, M. (2008) US Social Security www.irefeurope.org TANNER, M (2005) A Better Deal at Half the Cost: SSA Scoring of the Cato Social Security Reform Plan Cato Institute, Social Security Choice Paper no. 35 July 22, 2005 TANNER, M (2005) The Personal Lockbox: A First Step on the Road to Social Security Reform Cato Institute, Policy Analysis no. 550 September 13,2005 THATCHER, M. (1993), The Downing Street Years, HarperCollins, New York, TINTEANU-MOLDOVANU, G. (2008), "Piata pensiilor private începe sa î~i cearna jucatorii", Capital, N° 18 du 7 mai, http://www.capital.ro VAINIENE, R. (2008) Lithuanian Pension Reform www.irefeurope.org WHITEHOUSE, E. R. (2007), Pension Panorama : RetirementIncome Systems in 53 Countries, BIRD, Washington D.C. http://web. worldbank.org WORLD BANK (2002) Pension Reform Primer www.worldbank.org ZAVOIANU, D. (2008), "Garantii pentru lini~tea viitorilor pensionari est-europeni", Capital, N° 13 Février, http://www.capital.ro/articol
SOMMAIRE Préface Avertissement au lecteur Chapitre 1 - QUELLES LEÇONS DE L'ETRANGER?
13
1. Les vieillards mendiants: fin des illusions sur la répartition
14
2. La réforme: un choix politique
15
3. La capitalisation transforme le « deuxième pilier » Le deuxième pilier: les retraites cOlnplémentaires La part salariale en capitalisation La capitalisation financée par les employeurs
17 17 19 20
4. Les garanties d'une retraite minimale Lefilet socialfinancé par l'impôt
22
5. L'expansion du troisième pilier Le troisième pilier accessible à tous Chacun gère sa retraite 6. Les retraites du futur De la répartition à la capitalisation De l'obligatoire au volontaire Du monopole à la concurrence Du public vers le privé Du budgétaire vers le financier
21
24 25 26
27 27 28 29
30 32
Chapitre II - LA CAPITALISATION A L'ŒUVRE: PANORAMA
37
1. Premier débroussaillage
39
2. Oublions les modèles
40
228 3. Le replâtrage du premier pilier Savoir ce que l'on recevra ou ce que l'on payera? Pendant combien de temps ? Le travail des seniors Cotisations ou impôts ? Des pensions de moins en moins « généreuses » Dernier ajustement des retraites La répartition est obligatoire, donc publique
42 42 44 45 46 47 49 51
4. Quel deuxième pilier ? Le passage à la capitalisation L'importance des choix individuels De la retraite publique à la retraite contractuelle Gestion des primes en capitalisation
52 53 54 55 57
5. Un troisième pilier responsable La liberté du troisième pilier Un vrai droit négociable Contrat individuel ou collectif Les interventions publiques L'épargne libre
59 59 60 60 61 62
6. Trente trois pays à l'heure des réformes Les caractéristiques dominantes du premier pilier: filet social et régime de base Le second pilier capitalisé, dans le cadre légal et/ou professionnel, avec des gestions privées Un troisième pilier au libre choix Existe-t-il un quatrième pilier ? Droit de propriété ou droit social?
63
Annexes du Chapitre II
73
A. Aperçu sur les modèles prévisionnels des systèmes de retraites B. Les taux de remplacement C. Détail sur le tableau des systèmes de retraites dans trente trois pays
80
68 69 70 70 71
75
82
229 Chapitre III : DEBATS EN COURS, EXPERIENCES VECUES
85
L'état du système de retraites en Allemagne: un bref panorama Jan Schnellenbach
86
Belgique: le système à 4 piliers Thierry AFSCHRIFT
98
L'ABC du système chilien JosePINERA
1 07
Le régime de sécurité sociale américain Michael TANNER
118
La réforme du système des retraites en Italie: un quasisuccès menacé de gâchis Flavia CODA MOSCAROLA et Elsa FORNERO
127
Brefhistorique du système britannique des retraites d'Etat (1947-2008) Victoria CURZON PRICE - Tony CURZON PRICE
139
148
La réforme des retraites en Lituanie Rïita VAINIENE La réforme des retraites en Roumanie Radu NECHITA Suisse: Vue d'ensemble Pierre BESSARD Le système de Retraite Tchèque Jiri SCHWARZ Jr
154
u
00.0.0000 ••••••••••••
u.
167
173
230
Chapitre IV : LA CAPITALISATION: MYSTIFICATION 181 OU MIRACLE ? 1. Obstination et innovation
183
2. Comment naît un marché financier
185
3. Les services financiers
188
4. La logique de la capitalisation Un contrat élémentaire Variantes du contrat élémentaire Le capital actualisé
190 191 192 194
5. L'efficacité de la capitalisation
195
6. Garantir les retraites par capitalisation? Les dangers encourus Couverture de ces risques Les erreurs des financiers La capitalisation, seule façon de s'en sortir
199 200 202 204 208
Annexes du Chapitre IV
211
A. Formulation classique des contrats de capitalisation B. William Poole: les innovations financières nous exposent-elles à des crises?
213
218
Bibliographie
221
Achevé d'imprimer sur les presses de l'Imprimerie BARNÉOUD B.P. 44 - 53960 BONCHAMP-LÈS-LAVAL Dépôt légal : novembre 2008 - N° ct' imprimeur : 811045 Imprimé en France