· FINANCES ET FINANCIERS DE L'ANCIEN RÉGIME
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OUVRAGES DE o1EAN BOUVIER
Le Krach de l'Union générale, 1878-1885,...
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· FINANCES ET FINANCIERS DE L'ANCIEN RÉGIME
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OUVRAGES DE o1EAN BOUVIER
Le Krach de l'Union générale, 1878-1885, Presses Universitaires de France, 1960. Les RotlLschlld, Club français du Livre, 1960. Le Crédll Lyonnais de 1868 d 188S; les années de formation d'une banque de dép6ts, S.E.V.P.E.N., 13, rue du Four, • AUalres et gens d'allalres f, 2 vol., 1961.
OUVRAGES DE M. HENRY GERMAIN-MARTIN
De la prétf'ndue talUite des lois économiqllU depuis 1914, ParIs, 1925. Réglementation de fe:llportation des capitaU:ll, Paris, 1926.' Cours d'histoire et d'organisation des banques, Centre d'Etudes supérieures de Banque, 1948. COur8 de documentation el de méthode écono,rniques, Centre d'Etudes sUpWleures de Banque, 1951. . La documentation des seruices d'études économiques dana les banque8, Centre d'Etudes supérieures de Banque, 1963. La banque en France, ln Banking Systems, Columbia University Press, New York, 1954. Monnaie, ln Dicllonnaire des sciences économiques, Presses Universitaires de France, 1958.
« QUE SAIS-JE? » LE POINT DES CONNAISSA..~CES ACTUELLES
N° 1109
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FINANtES ET FINANOERS DE L'AN[IEN RÉGIME par
Jean BÙUVIER DodBur ès LeI/res Aqrlg4 d. l'UmrersiU
DiNCletw d'UtIIfA A l'Éeolt Pratique du Bllulea É/tIIfA
et
Henry GERMAIN-MARTIN Pro/_
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CmIre d'ÉItIIfA ~ à Ballqllf
PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BotJLEVABD SAINT-GEBMAlN, PARIS
1964
D~POT L~GAL
1re édition
1er trimestre 1964
TOUS DROITS de traduction, de reproduction et d'adaptation réserVés pour tous pays
© 1964, Presses Universitaires de France
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INTRODUCTION 1. - Ambigulté des mots. Ambigulté des fBits. L'EncyClopédie méthodique, dans son édition de 1783, définit ainsi le mot Finance: « Ce terme s'entend le plus ordinairement des deniers publics du Roi et de l'Etat; il signifie cependant quelquefois de l'argent monnayé. Ce banquier a bien de la finance dans son coffre; les jeunes gens ne sont pas beaucoup chargés de finance. On dit aussi un baril de finance, pour dire un baril d'espèces monnayées. » Dans le même ouvrage le «financier» est « l'homme qui manie des finances, c'est-A-dire les deniers du Roi. En général on donne ce nom A toute personne connue pour être intéressée dans les fermes, régies, entreprises ou affaires qui concernent les revenus du Roi.· A cette définition, le peuple, on doit entendre par ce mot le vulgaire de toute condition, ajoute l'idée d'un homme enrichi et n'y voit guère autre chose ». Au tome II du Dictionnaire universel du Commerce de Savary des Brûlons le verbe « financer» est défini : «Fournir de l'argent comptant»; et quant au mot « financier» : « Celui qui manie les finances du Roi. On ledit dans le négoce pour signifier un homme extrêmement à son aise, qui a fait une grande fortune. Il est riche comme un financier. » La Bruyère dans ses Portraits a été féroce pour les « traitants », nom « autrefois» donné, dira l'Encyclopédie méthodique à « tout homme qui, moyennant une avance d'argent, se charge oit du recouvrement J:l~un droit nouvellement établi, ou de la perception
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de ceux que l'on attribuoit à des offices de nouvelle création ». Mais les mots de « finance» et « financier Il ainsi cernés sont bien antérieurs aux XVIIe et XVIIIe siècles. En français médiéval « finance » se rapportait à toute taxe payable périodiquement, aussi bien qu'aux revenus en argent des princes et des villes. Froissart écrit de l'Italien Dino Rapondi, courtier favori des ducs de Bourgogne au xv e siècle : c( Par lui, se p~uvent faire toutes finances. » Dès le xv e siècle, les expressions d' «hommes de finance », « gens de finance », « financiers » s'appliquaient indistinctement à la fois aux fonctionnaires responsables des deniers publies, et aux gens d'affaires de statut privé qui collaboraient étroitement avec les précédents à l'entretien des recettes de l'Etat. Ces « financiers» des xv e et XVIe siècles étaient dits partitanti (c< partisans ») en Italie - le « parti» ou partito représentant toute opération d'argent conclue avec un prince - , hombres de negocios, asentistas en Espagne - d'asiento, contrat de crédit passé entre les financiers et le prince. Ainsi les frontières ont été de tout temps indécises et mouvantes qui permettraient de cerner l'exacte signification des vieux mots de « finance », « finances Il, « financier Il. Ils demeurent entourés d'un certain halo d'indétermination et d'ambiguité. Ils pouvaient avoir, selon les circonstances et selon les textes, soit un sens étroit et technique se rapportant aux paiements et au numéraire; soit un sens large et, en quelque sorte, « politique» quand ils avaient trait à tout ce qui touchait à la marche de l'Etat; mais, à partir de là, le sens des mots se diluait et s'abâtardissait à nouveau : « financier li en venait à être utilisé comme synonyme de riche banquier ou négociant et était indifféremment
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employé, dans le langage courant du moins, à propos d'opérations privée!! ou publiques. . Or, il importe de distinguer, et surtout pour les "iècles passés, le « financier Il du « banquier lI. Selon un dictionnaire de la fin du XVIIIe siècle (1), Banque signifie « commerce et trafic d'argent qu'on fait .remettre de place en place, d'une ville à une autre, par des lettres de change et par correspondance Il ; et les « Banquiers sont des personnes qui font profession publique du commerce de la banque et du change pour faire profiter leur argent, tant· dans l'étendue du royaume que dans les pays étrangers». Le banquier aide ainsi au négoce des marchandises en réglant les paiements, et en faisant crédits et transferts de place en place, de pays à pays. Négoéiant pour son compte en même temps qu'intermédiaire dans les paiements, trafiquant à la fois des denrées, des marchandises, des monnaies d'or ou d'argent et des lettres de change, le banquier ne fait alors qu'affaires privées. Mais qui ne voit précisément ici la source de certaines ambiguttés de vocabulaire tout à l'heure signalées? Le banquier, manieur d'espèces et de créances, pourra devenir un « homme de finance Il s'il met ses capacités d'intermédiaire, son crédit, ses disponibilités et celles de ses amis et correspondants, son habileté en affaires au service du Roi et de l'Etat. Il passe, à ce stade, au rang de prêteur et de fournisseur d'argent et de services pour le compte du prince. De là, le pas est vite franchi qui peut lui permettre de devenir une sorte de fonctionnaire, si le prince donne pouvoir au banquier de prélever pour son propre compte telle ou telle (1) Claude-Joseph de F'El'lt'ÈRE. DfclfoMafre de droft el de pralfque. t. lu 1779.
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ressource fiscale pour se rembourser lui·m~me des avances qu'il a faites. Ainsi, selon les opérâtions qu'il. entreprend, un homme d'affaires peut être" successivement ou à la fois, « banquier» et « financier ». Il en alla effectivement de la sorte durant des siècles, du XIIe auxvm e siècle. L'ambigutté des mots de « financier» et « finance »tient ainsi à un,certain état de fait. Le «financier» demeure un homme à double face, tout à la fois entrepreneur privé et collaborateur des affaires publiques. On a pu même avancer l'opinion, non sans quelque exagération cependant, qu'il n'y eut pas avant l'ère des grands établissements de crédit - la fin du de banquier proprement dit, seul XIXe siècle existant auparavant le « financier », homme qui n'a pas de rapports avec le public, qui ne dépend pas de lui, mais du prince et des « Grands» ; instrument' de l'appareil fiscal d'Etat, fournisseur du budget, et non pas serviteur des besoins du commerce. Ce qu'il ya de vrai dans ce point de vue, c'est que le banquier des siècles passés, celui d'avant l'ère de la « révolution industrielle », n'était effective~ ment pas en contact avec le public, au sens où nous entendons ce mot aujourd'hui. Sa clientèle était restreinte à des proches, des amis, des parents. Les banques étaient des « maisons de banque » à structure' et assise familiales, dont les ressources provenaient de la fortune des promoteurs, de quelques dépôts importants mais peu nombreux, et dont les emplois se cantonnaient à quelques opérations de grand négoce, d'industrie et de finance (rapports avec l'Etat ou le prince) : opérations peu nombreuses, mais grosses de profits - ou de périls. Il n'empêche que ces banquiers d'ancien type étaient loin d'être accaparés par le seul service des « affaires d'Etat » et que, des
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changeurs du XJ8 siècle aux: « maisons » huguenotes du xVIn8 , en passant par les grandes « compagnies» d'hommes d'affaires italiens des XIve-XV 8 siècles et par les entrepreneurs du XVI8 siècle (du type des Fugger) ils ont effectivement aidé au dévelop- pement des forces de production, des échanges ' int,emationaux: et à l'établissement progressif du. marché mondial. Pour les temps contemporains, la querelle de vocabulaire rebondit. Que peut bien être un financier aux: XIXe et xxe siècles ? Le ministre des Fin"nces et les quelques grands maîtres des deniers publics ? Les chefs des établissements bancaires importants - lorsqu'ils se font les intermédiaires entre l'Etat et les épargnants au moment du lancement des emprunts publics? Ou lorsqu'ils sont en contact direct avec le gouvemement pour lui fournir d~s avances à court terme et lui permettre par exemple, au cours du xxe siècle, de payer ses fonctionnaires aux: fins de mois? Mais n'est-ce pas un financier aussi que l'homme d'affaires - ce peut être un banquier ou un grand industriel - qui « lanceD une entreprise nouvelle, « finance» l'établissement nouveau en organisant la constitution du capital, puis son expansion ultérieure ? On connait la distinction entre le crédit nécessaire à une entreprise pour aSS1U'er ses fournitures, ses règlements, son « roulement » d'argent, et les moyens de financement qui lui permettront de se moderniser, de s'équiper, de s'agrandir; dans cette perspective, le crédit à court terme relève du domaine bancaire; le crédit à long terme du domaine financier. D'où la distinction actuellement classique des marchés il monétaire D et « financier D. D semble cependant que l'on ait intérêt à fixer . certaines limites à l'emploi Ile mots dont le champ
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d'application s'étend avec les modifications économiques elles-mêmes. Les termes de financiers et de finances demeurent profondément marqués par leur emploi originel. Le sens « noble » de ces mots, débarrassés de leur gangue, réduits à l'essentiel, se rapporte toujours en dernière analyse amI opérations de l'Etat. Il n'y a de vraies « finances» que celles de la collectivité publique, et de véritable « financier II que le collaborateur de l'Etat. II. - Spécüicité des affaires de finances Longtemps le financier, fonctionnaire à demeure du prince, ou personne privée faisant des affaires occasionnelles avec l'Etat, est demeuré dans une position difficile. Le prêt à intérêt, prohibé par l'Eglise, éta~t la matière première de la finance; mais son industrie gardait quelque clandestinité dans ses formes, puisqu'il s'agissait de tourner les interdictions canoniques. Naturellement, le financier était un réprouvé par nature s'il était Israélite. Chrétien, il ne pouvait pas sans risque pratiquer ouvertement son métier; il demeurait en marge de la loi ecclésiastique, du moins de la lettre de cette loi. Il rusait et fraudait par raison professionnelle. D'où le mutisme du financier sur lui-même. La pénombre lui convenait~ Une autre circonstance est venue ajouter à l'obscurité qui entoure toute opération de finance: au « secret des affaires », arme de toujours dans la concurrence, à la prudence raisonnée vis-à-vis de l'attitude de l'Eglise, le « secret du prince lI, c'est-àdire celui de l'Etat, a additionné ses effets. Les finances, pas plus que la diplomatie, n'ont jamais été opérations dont on débat sur ]a place publique. Mais J'absence de pub1icité des opérations, le caractère « couvert » des démarches, les décisions
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plises en comité restreint entre le prince, ses ministres et ses banquiers, l'éloignement du financier du public, et la haine que ce dernier lui portait souvent en· tant que collecteur d'impôt, tous ces éléments d'une situation de fait pouvaient, selon les temps, être favorables ou funestes aux gens de finance. Leur martyrologe est long, si leurs fortunes éclatantes ont défrayé les chroniques; de 1315 à 1522, d'Enguerrand de Marigny à Semblançay - c'est-à-dire de Louis le Hutin à François 1er - , sur douze administrateurs en chef des finances du roi de France, hui,t ont péri de mort violente, victimes du « bon plaisir Il du prince, trois ont connu la proscription, l'exil, la prison, un seul a pu tirer profit d'une retraite paisible. A côté de ces illustres victimes de la « finance du roi », on ne saurait oublier les séquestrations et confiscations visant les Juifs ou les « Lombards », le supplice des Templiers, les « Chambres de Justice» des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles à l'encontre des « traitants », le procès et la mort lente de Nicolas Fouquet... A la vérité, le métier de financier n'acquiert quelque sécurité que dans la seconde moitié du XVIIe siècle en Angleterre et au XVIIIe siècle en France - encore faut-il omettre ici la triste fin de certains « fermiers généraux » sous la Révolution - époques où le pouvoir discrétionnaire du prince n'est plus aussi absolu et où les bourgeoisies, dans leur essor, limitent la liberté d'action du roi. Epoques aussi où les ~apacités fiscales de l'Etat sont bien au-dessus de celles des siècles du Moyen Age, et où certains procédés extrêmes sont abandonnés. Que le métier de financier ait ainsi mêlé les plus grands honneurs et les plus grands périls est explicable. On flatte le financier quand on a besoin
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de Jui, quand le Trésor du prince est aux abois. Le t'inancier est,. à ces moments, celui qui a « ducrédif», . plus de crédit que tout le monde; il avance immédiatement les sommes nécessaires;i1 se Jes procure auprès de ses amis et met sa fortune à contribu:tion•. Mais, en contrepartie, Jes intérêts qu'il réclame sont considérables et la frontière deVient indécise entre les avances qu'il fait, sa cassette personnelle, et le Trésor. n attire alors aisément l'envie et la dénonciation. On l'a loué comme sauveur de l'Etat. On peut aussi bien le condamner comme vampire des finances royales : les· deux ehoses sont vraies, ' , suecessivement et à la fois. Quant à l'historien, s'il est mieux placé que )e grand public pour être au fait de la finance et des financiers, il s'en faut qu'il en sache autant sUr ces sujets, encore aujourd'hui, que sur les actes des chefs d'Etat. TI est aisément dépaysé - il le fut longtemps du moins - devant les tec~ques finan.. cières. La finance a conservé pour lui d'autant plus un certain caractère de mystère qu'il est fréquem-, ment à court de docu.nientation sérieuse : en France, les archives financières de J'Ancien Régime? dès le début du XVIIIe siècle, ont subi d'irréparables dégâts; rares aussi jusqu'ici sont les correspondances d'affaires des siècles passés qui permettraient de reconstituer des opérations continues; d'ailleurs autrefois déjà - et de nos jours bien davantage ... de grands faits en matière d'opérations financières n'ont fait robjet que de décisions orales. Dans ces dernières decennies mê~e, où l'histoire économique des siècles passés a fait des progrès' décisifs, les historiens se sont plus intéressés à la « marchandise D, c'est·à·dire aux techniques, aux courants, aux lignes de force des 't
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88D8 doute guidé leurs travaux: les correspondances des marchands italiens du Moyen Age, les papiers des Fugger ou des banquiers espagnols, flamands et lyonnais du XVIe siècle, ceux des banquiers pro· testants du XVIIIe siècle ont été des acquisitions précieuses et, chemin faisant, on y voit bien se _croiser le " change D et la « finance ». Mais l'étude de cette dernière en elle-même est demeurée plus, esquissée que traitée, parce qu'elle présente enfin _ un dernier type de difficulté spécifique. L'analyse de la (1 finance D requiert l'obligation de mener l'enquête, simultanément, sUr deux plans et seJon deux perspectives différentes. D'un côté, ce qui concerne les besoins du prince et son pouvoir, les instruments politiques et fiscaux, la très lente et très expérimentale construction de l'appareil d'Etat. De l'autre, la formation non moins progressive de la matière monétaire et des moyens de paiement, l'apparition des « _marchands banquiers » et des sociétés d'hommes d'affaires : la face privée desaffairjlS financières, à côté de leur aspect public. On retrouve ici l'ambiguné de la finance, qui plonge à la fois dans le domaine d'Etat et les affaires particulières, relève et de la Cour et de la Ville, et se développe parallèlement à l'évolution . des formes politiques, et des activités - et instmmente - économiques. Justifions enfin les limites de notre propos. Si les affaires de finance et les hommes qui s'y rattachent paraissent avoir, à travers les époques" des points communs, l'erreur serait cependant de croire qu'iJ-s'agit là d'un thème uniforme, constant à travers l'histoire, « de Babylone à WaIl Street »y pour reprendre le titre de l'ouvrage récent de A. Colling. Sans doute y a-t-il quelque permanence des techniques et des procédés dans les affaires
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d'argent : le crédit demeure le crédit; il n'y a pasavance d'argent, à quelque période que ce soit, sans intérêt payé pour l'avance, sous une forme ou une autre. Sans doute aussi l'appât du gain est-il un mobile qui ne se trouve pas être le privilège d'une époque ou d'un système économique. Mais au-delà de rapprochements au demeurant superficiels, mieux vaut être attentif à la spécificité des faits. Le système des finances publiques, à telle ou telle époque, est étroitement rattaché à,l'environnement économique, aux structures sociales, à l'organisation de l'Etat et aux formes politiques. Le sujet de cet ouvrage est par conséquent limité volontairement aUx affaires de finance d'une certaine économie, d'une certaine société, d'un certain type de gouvernement - auxquels les historiens ont commodément donné le nom d'Ancien Régime. Il y a évidente « unité du sujet » à concevoir les .finances dans le cadre historique des XIIeXVIIIe siècles. Une économie à base agraire, une très lente constitution - et fort inégale selon les zones de l'Europe - des éléments de base du capitalisme industriel ultérieur, un outillage monétaire demeuré en permanence inférieur aux besoins; une société toute pénétrée des structures - et des valeurs seigneuriales et féodales; des types d'Etat tendant au style « monarchie absolue », mais d'un absolu-, tisme singulièrement tempéré par l'état même de l'économie et de la société : toutes ces circonstances ne pouvaient fournir les bases que d'un mode spécifique, déterminé, d'affaires de finance. Ce mode disparaîtra précisément avec l'avènement des formes modernes de la vie sociale, celles du capitalisme. La fin dcs « fermiers généraux Il, de ce point de vue, vaut un symbole. Après « 1789 », en France du moins, le style ancien de la finance est mort à jamais.
CHAPITRE PREMIER
AU TEMPS DES cITÉs ET DES ÉTATS EN FORMATION (J([[e.~e siècle) 1. -
Conditions générales de développement des affaires de finance
La conjonction du réveil écol).omique de l'Europe - la « révolution commerciale » dcs XIeXIIIe siècles et du progrès des formes politiques nouvelles - cités marchandes, principautés, Etats - au cours du Moyen Age est à la base de l'essor des affaires de finance. D'un côté: la matière même de la finance, les métaux précieux, la monnaie sous ses formes déj à développées et les procédés de transferts et de règlements (numéraire d'or et d'argent et lettres de change). De l'autre: le besoin d'argent, la nécessité de le rassembler pour l'employer à la grandeur de constructions politiques qui vont en s'étendant. Les traits fondamentaux des affaires de finance à cette époque procèdent bien, à la fois, de l'état du développement économique et de celui de l'organisation politique. « Le régime financier d'un pays, a écrit G. Lefebvre, par la nature des dépenses, le choix des impôts, est étroitement solidaire de la constitution politique et de l'état social» (1). L'historien parlait des finances de la royauté française des XVIIe et (1) Annalel, 1931, p. 112.
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xvme siècles, et voulait rappeler que la division de la société en « ordres », basée sur les privilèges, aussi bien que le caractère « absolu II de la monarchie sont les éléments finalement explicatifs des inéga-· lités fiscales du temps, du désordre et de l'inefficacité de la perception, du ga~pillage des revenus de l'Etat. Mais si l'on se rapporte aux siècles antérieurs où les formes politiques de l'Etat monarchique n'étaient qu'en gestation, où le pouvoir du prince ne s'exerçait à l'origine que sur quelques lieues carrées et où l'administration « centrale » se confondait encore avec la domesticité de la « gens l) princière, on conçoit encore mieux la faiblesse des ressources découlant d'une telle situation. Les capa- . cités financières du pouvoir et de l'administration n'étaient pas à la mesure des ambitions et appétits des dirigeants. Rivalités et luttes entre cités d'Italie, « duel » chronique des monarchies anglaise et française, expéditions militaires des Croisades,· ambitions angevines en Italie du Sud, li: Reconquista» de l'Espagne sur les Maures ont alimenté pour la plus grande part la faim d'argent des cités et des royaumes. A quoi s'ajoutaient des dépenses plus purement civiles d'administration et de Cour qui, elles aussi, ne pouvaient que croître. En face de tels besoins et en fonction d'un appareil d'Etat encore embryonnaire que pouvaient fournir les sujets ? Ceux-ci étaient des paysans, ou des pro.. priétaires fonciers nobles et ecclésiastiques. Dans les royaumes en formation la richesse était essentiel.. lement foncière. Elle demeurait sous la stricte dépendance des saisons et du sol. Quand, à force de ruses et de contraintes, le roi aura subjugu6 la noblesse féodale et établi Jes premiers et rudimen.· taires impôts - fouages et aides -le rendement de celix-ci ne demeura pas seulement fonction de l'effi-
AU TEMPS DES CIT~S
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cacité ·administrative, mais d'abord de l'état des récoltes. Au fond, les finances des sièCles d' « Ancien Régime» Ont été celles d'Etats à base fondamentalement agraire; elles demeureront telles, dans l'Europe occidentale, jusqu'au XVIne siècle. Les paysans étant, en dernière analyse, ]a .seule matière impo-. sable et imposée, c'est l'état de la production agricole qui règle ]a capacité contributive: la faiblesse et les irrégularités de l'une nourrissent là faiblesse et le~ irrégularités de l'autre. On comprend mieux cet état de fait si l'on songe à ce qu'étaie:p.t, encore aUXIXe siècle, les finances de l'Empire ottoman ou eelles d'Egypte et de Tunisie, qui peuvent servir de point de comparaison. La· contre-épreuve de cette situation ne serait-eUe pas fournie d'ailleurs par le recrutement demeuré longtemps étranger des financiers ? Et aussi par l'origine non directement agricole de leurs disponibilités ? Ce sont les cités marchandes, et d'abord celles d'Italie, puis de Flandre, puis d'Allemagne méridionale, qui assurent aux princes, dans tout le • cours du Moyen Age, l'aide pécuniaire qu'ils réclament continûment. Au « budget » dé« l'Etat » - si l'on peut employer ces mots évoquant bien plus la vie contemporaine que les siècles· du Moyen Age ,...- leurs hommes d'affaires fournissent finalement les fonds de roulement qu'une économie statique, qu'une administration primitive ne sauraient alimenter avec régularité. Mais ces .apports . d'argent frais, disponible, mobilisé avec une certairie rapidité, ont leur source dans le grand négoce et l'industrie; cet argent n'est pas le fruit direct du travail de la terre mais le produit d'un trafic auquel on a donné le nom « d'international » - nom un peu. forcé, puisque le grand négoce ne s'étendait alors que de la Baltique aux côtes africaines et J. BOUVIER ET H •. G.ERMAIN-MARTIN
FINANCES DE L"AN.f:fEN RÊGIME. c;I~ Pl;>oche-Orient à L'A.ngœterre. A:u:x: :re8S0mree~.ainsi ~bijjsées, dans. un sectelU! où les rapports de.~, d:'U.~net d'échange de type. capitaliste se co.,. tit~erQnt ~térieurement, les. hOIDnl6S dtaffàmres. peuve~ ajoutel'·leurs. « services- », aU. sens actuel du
mop. Ils .ont acquis et MquièreDt de tnieux eD J:Q.ièux;. du4all1;,MoyenAge à la .Renaissan()e~ les. tleclm.i1fues~ Gu, m,anÏement des métaux· et du. numéN.ire, ceJles, de. leur· « change »; et de leur transfert. Ils ont mi!;I, ~ poim, p~' nécessité professionnelle aJ,l,tam qui'en l1aison. (Je. la. faiblesse du: stock monétaire, &s: poo-, cédt$s,llQUiVeaUX de paiement et de, crédit aitglementlSi en· foÎ1'~ CQntrats et lettres. de change. I1s ont' encore- . l'avantage d'avoir, en deI!!: villes choisies, dies fac~ t.eura, des commis. des représentants; ils ont' aussi leurs, eourrie:œ~ et, en forçant un peu les, mots, .011< pourrait parler des réseaux marchands du Moy.en. Age, ~en, D.f). comparant. év.idemment. pas la densité; et· Ir efficacité de. telles. liaisons •aY.ec les résealJ.X> han~. ca.k.es,ou.d'infQrmatiQn. de notre temps •. Cet appareil;, ces, procédés peuvent me mis au, service des, pnis.. BanCeS politiques- ...:.,.princes,. rois;. OUi papes. Rois, d'Â:ngleterre et: de, France alm XlII,!:l e.t· XIV.e siècles. necmteJ!ont ainsi de nombreux: (~ fonctionnaires ». des, finances d'origine italienne. Âussi,. malgré, las, poursuites: engagées·fr.équemment: oontre les (~·Lo:œ.., bardu, malgréle.peu:d'estime do-nt:ilason'tentnurés. dans les Cours~ finit~on,toujours par.,r.evenir,àicu:x; et;, par· recourir, à lem aide, tant: que, le, dév.alop~. pement; économique ({, national ) n'assure pas: au, prin~e.l'appui de financiera, du cru : Jacques Cœur: n~aurait. pas, pu. déwlopper ses· entreprises. dans; Ùt1 Fra:pce dü xn6 ,siècle. EtJes"rois.d'Angleterre attenr' dront, la seconde moitié du. XVIe. siècle pou être. à peu. près indépendants.dffJ financiers; itàliens QU, allemands. <
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AU TSMPS DES CITÉS '
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, Certes, il est encore un autre mode de condition.. nement des atfaires de finance : l'interdiction de l' CI usura lI, la malédictitm lancée depuis des siècles par l'Eglise contre ceux qui font de l'argent avec du temps, et n,OD par lem .propre trav~ pl'oductif~ 'la condamnatlOD évangélique du « l1che lI. Mais plus on a étudié l'attitude de l'Eglise face aux ttans~ formations économiques du Moyen Age, plus on s'est aperçu que, dans les faits, les admonestations des gens d'Eglise n'ont pu èttlpêcher le développement du crédit, du co:mm.erce d'argent, du gain de spécula· tion. La réalité des besoins économiques s'est fina.. lement imposée, et les casUistes ont eu tout . loisir de multiplier exceptions et tempéraments autour de l'interdiction de principe du prêt à intérêt; L'Eglise elle-même, d'ailleurs, fut bien contrainte de recourir directement - et souvent la première à des procédés qu'elle réprouvait en théorie; son évolution la conduira jusqu'au trafic des « Indulgences » dont Luther séra horrifié. « Avec plus de sou.plesse qu'à l'égard d'autres évolutions, écrit J. Le Goff, l'Eglise, de la compromission ~vec la féodalité, passa à la compromission avec le capitalisme» (1). Les gens d'affaires forent cependant obli.. gés de ruSer avec la lettre de l'interdit, de dissimuler par exemple le prêt à intérêt dans le contrat de ' change, et de s'assnrer par une attitude religieuse active, par une pratique effective de la charité, le repos de leur conscience; Finalement, le grand prêteur d'argent du Moyen Age ne règle pas ses act:ivit& avec autant de liberté que le bourgeois du XIX8 siècle. Encore fallait-il que la matiêre premiêre des affaires de fmanee - les métau précieux et les, (1)' Marchands et banquiers du Magen Age (c Que sais-je? .).
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moDDaies ....:... soit assurée dans sa production,dans" fabrication et dans sa circulation. Sous des poussées diverses - besoins du commerce lointain; fiscalité pontificale et fiscalités princières et royales; croissance des villes et des transactions ordinaires s'est effectué le passage du paiement en nature au paiement en espèces : « Evénement capital » selon Henri Hauser et qui, en France, se produisit par degrés entre l'époque de Saint-Louis et- celle (le Philippe VI de Valois - cijsons au XIIIe siècle. Mais la production métallique et le ravitaillement en -. « métaUx monétaires Il semblent bien être demeurés, au cours du Moyen Age, en deçà d'une demande qui allait grandissant avec les progrès' des échanges et l'accroissement de puissance des organismes politiques. Le grand fait de l'histoire monétaire du. Moyen Age est ce que l'on a appelé le « retour à l'or» à partir. du XIIIe siècle, siècle des florins toscans et des ducats vénitiens. Le bimétallisme n'en subsista pas moins et le sous-sol e~opéen fut opiniâtrement fouillé pour assurer le ravitaillement en métaux précieux. TI n'empêche que les ~ et xve siècles connurent la « faim d'or»; alors, par le commerce, les négociants européens visèrent à drainer la production d'or du Soudan et de Guinée : les voyages portugais le Jong des cÔtes occidentales . de l'Afrique précéderont, au xve siècle, les « grandes découvertes ». Naturellement le système monétaire une fois réanimé par l'emploi simultané de l'or et de l'argen:t tomba sous le coup des manipulations princières· de la monnaie, des « remuements Il; mais MQrc Bloch a bien montré que ces pratiques, en général de type inflationniste, avaient pour origine fondamentale la pénurie relative de métaux précieux. 18
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Quoi qu'il en soit, la matière première des affaires de finance n'en existait pas moins à partir du XIU e siècle. Techniques et instruments des paiements privés venaient à point servir besoins et ambitions des princes. Encore ne conviendrait-il pas de moderniser à l'excès les « découvertes techniques» du Moyen Age en matière de négoce, de banque, de monnaie· et de finance. Là aussi, il fallut souvent redécouvrir et . ' réap.prendre certains moyens remontant aux Arabes, à Byzance, voire à l'Antiquité elle-même. Les procédés des calculs, par exemple, demeurèrent fort longtemps primitifs: jusqu'à la fin du XVIIIe siècle en France la comptabilité publique ne fut pas tenue en chiffres arabes, mais en chiffres romains. Pour établir les comptes, on utilisait des tables carrées, divisées en cases, sur lesquelles on disposait des jetons; tel était d'ailleurs « l'échiquier» anglais du XIIIe siècle, dont le nom subsiste encore de nos jours à l'ens~igne du ministère des Finances britanirique.
II. -
L'ère des « Lombards »
A la base de la finance: la banque ; à l'origine de la banque: la « marchandise D. TI n'est pas question de refaire ici l'analyse de la « révolution commerciale D, avec ses deux pôles de forces, l'Italie et la Flandre, ni la description du métier de marchand et de banquier. Le fait dominant, c'est la prépondérance ita1ienne, qui se poursuivra jusqu'au XVIIe siècle dans les échanges « internationaux » du temps, prépondérance des cités et des hommes d'affaires de la péninsule. C'est en Italie que naissent les premières formes du capitalisme commercial : l'association, le groupement des capitaux, leur division en « parts D; l'assurance des risques du
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FINANCES ·DE L'ANCIEN RllGIME
. eo:âmi.erce maritime; l'apparition des valeurs - ~e l'on nommera bien plus tard « mobilières » - avec, '. 1~' déveJoppement des dettes municipales· 'dont' le~' . .titres deviendront négociables, à l'égal des « parts » de certaines grandes entreprises; le dép&t d'argent en banque - donc le règlement (oral d'abord) par « compte courant », et le crédit bancaire; la comptabilité rat;ionnelle des entreprises, avec le système . «.à parties doubles.»'; les. techniques des changes monétaires et des paiements et· crédits lointains, grâce au contrat de change puis à la lettre dè , change; enfin la mise en place des «réseaux Dmar~ chands, sur les foires « internationales D, dans les ports, dans les villes-capitales. Naturellement tous· ces procédés nouveaux se sont développés" très ~mpiriquement, par étapes et degrés, et toutes les cités ou régions ne marchent pas au .même rythme. n faüt attendre les XIVe et xve siècles pour les voir fonctionner dans leur ensemble d'une manière régulière. n demeure, d'autre part, dans le monde de la marchandise et de la banque des couches diverSes, une certaii:te spécialisation des fonctions - du moins dans certains centres, comme Bruges - et des 'degrés' dans le rayonnement géographique, la richesse, ,l'activité. n existe une sorte de plèbe des « Lombards li qui confine aux prêteurs sur gages; alors qu'à l'inverse, les couches élevées des « marchands-banquiers D, des « cambistes lI, des « hommes d'affaires» finiront par former des compagnies assez stables, à base familiale, et trafiquant de tout aUx lieux de rencontre européens des marchandises, des monnaies, et des affaires : là se fixeront les grandes puissances financières du Moyen Age. A) La question des Templiers•.- Hégémonie de fait. de la banque italienne, par conséquent, à sou-
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ligner dès l'abord. Mais l'irritante questio~des Templiers subsiste. Irritante paree que, faute d'une documentation suffisante, les historiens de cet illustre ordre religieux, devenu pllÏssance finaneière aux xne et XIIIe siècles, ont eu peut-être tendance à forcer les traits de leur modèle; on a voulu parfois les faire plus avancés que les Italiens en matière . d'opérations de hanque, de technique comptable et de paiements. Léopold DeHsle a. sans doùte . raison d'être prudent: {( Précurseur.sou émules des sociétés italiennes )J, écrit-il d'eux. Ils sont en tous les cas le seul groupement dont le Tôle financier puisse être comparé à celui des plus grandes (( compagnies » italiennes. On devine bien les raisons de leur puissance : les richesses rassemblées, l'ubiquité ~ on compterait dans les 8 000 A 9 000 commanderies de l'Ordre au temps de sa splendeur à la fin du xme siècle - le caractère inviolable de leurs édifices, la foree militaii-e, l'indépendance vis-A-vis du pouvoir politique. D'où les services rendus aux puissants: grands seigneurs, rois, papes. Tout en conservant son indépendance, l'Ordre finit par former une véritable administration chevauchant les frontières politiques. TI recueille des sommes d'argent mises en dépôt et des ohjets précieux; le trésor des rois de France au cours du XIIe siècle est enfermé au Temple de Paris; en 1261, le roi d'Angleterre, menacé par une révolte de ses harons, vie:nt là déposer les joyaux de sa couronne. L'Ordre est chargé par les papes, parallèlement aux Hospitaliers, d'envoyer des fonds en Terre Sainte; il avait la garde et le maniement d'une partie des subsides levés dans la chrétienté par Rome. Les opérations de prêts, d'avances, de cautions, n'étaient non plus pas rares: avances à Louis VII au moment de la deuxième croisade,
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A Jean sans Peur, à des monastères (tel Cluny ~ 1216), à
Baudoin II, empereur de Constantinople,' qui, vers 1240, eng~ge la « vraie c.roix » comme garantie d'une somme d'argent empruntée par lui, aux Templiers de Syrie. L'aspect le plus'« moderne» de 'leurs opérations apparait s~ns doute' le, mieux, dans les transports de fonds et les paiements à 4Ïstance; c'est par leur :intermédiaire qUe Suger envoie de l'argent à Louis VI:l en Palestine, que Jean sans Terre fait encaissements et. versements entre l'Angleterre et la France. Mais·ils ne rendent de tels services que parce que l'organisation des échanges est encore imparfaite. Dans la France du milieu du XIIIe siècle, « les méthodes de maniement d~s fonds sont encore très primitives; la comptabilité insuffisante pour permettre les virements de compte à compte; la lettre de change est inconnue: Pour transférer les valeurs en évitant le déplacement de numéraire, le moyen le plus efficace est d'utiliser les maisons du Temple» (G. Duby) (1). On connàit enfin le rôle de financiers du Trésor que les Templiers ont joué en particulier auprès des rois de France pendant tout le XIIIe siècle, jusqu'au joUr où Philippe le Bel décidera de la rupture, de la condamnation et de la confiscation (1307-1314). Mais avant d'être sacrifiés par le débiteur royal,' les Te~pliers, en France, ont collaboré' avec les b~sàl'administration des impôts, encaissé les produits de certaines levées, acquitté des pensions et des gages, avancé de l'argent à des barons, remboursé des sommes prêtées à la Cour. par des Lombards .~ le tout au nom. du roi. Il est possible que la' condamnation des Templiers, à laquelle on peut assigner' à bon droit diverses raisons, revête finalet. ~) 'G.
DUBY
~t R. MANDJlov. Histoire de la cil1iliBation'/rançaiBe;
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'~ent .Ie sens suivant : ils disparaissent quand la . : . monarchie française se sent assez forte, adminis- trativement et .politiquement, .et quand l'Etat royal se croit capable de se passer de léurs encombrants services et de s'approprier leurs biens.
B) Les banquiers italiens et les finances pontificales. - Les finances pontificales, avant même celles .,.des Etats en formation, sans doute, ont été les premiers pourvoyeurs des grandes opérations cc internationales ». L'Eglise romaine fut le premier Etat A mettre sur pied une armature d'impÔts; les papes du XIIIe siècle 'la renforcèrent en raison de leurs luttes contre le pouvoir impérial; ceux du XIVe siècle, en Avignon - de 1305 A 1377 - continuèrent d'autant plus les traditions de fiscalité établi~s par leurs prédécesseurs que la crise économique et la pénurie monétaire du XIVe siècle rendaient plus difficiles les .prélèvements d'argent sur le clergé - donc sur les fidèles. Les banquiers italiens au service de la Papauté ne furent pas tant les collècteurs directs des innombrables levées pontificales - réserves, expectatives, annates, dépouilles, décimes, subsides pour Croisades, denier de SaintPierre, droits de Chancellerie, revenus domaniaux que les techniciens chargés de les centraliser, de les administrer et d'en virer les soldes A la Chambre apostolique, l'organisme financier de la Curie. Comme l'a écrit M. Le Bras: « Les grandes opérations de la Papauté favorisaient, malgré les doctrines canoniques, le commerce de l'argent» (1). L'Eglise prêta son « concours Ala naissance du capitalisme modeme » (1). Mais c'est que « tout grand (1) Compte rendu de la thèse deM. RENOUARD (Rel1ue historique de tIroit françaÙl et étranger, 1945).
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.·.dessein suppose une alliance ·opportune. de l'Eg~ ·et· de la Finance» (1). .' . « Aucun prince, dit M.. Renouard dans 'sa thèse, ne joue sur un tel clavierintemational '» que le SouYerain Pontife du XIVe siècle, celui d'Avignon;. , auquel les expéditions d'Italie, la construction des palais et l'entretien d'une Cour prodigue co'iÎtent très cher, en un siècle de pénurie. Les fonds étaient drainés depuis la Scandinavie, l'Ecosse, le Portugal, Chypre. C'était précisément l'étendue, la distance, qui rendai~nt obligatoiresles.services des banquiers. Sans doute avant que les grandes « compagnies .» italiennes n'interviènnent dans les circuits ecclésiastiques de l'argent - au XIIIe siècle ---les Papes avaient-ils utilisé monastères et ordres religieux, et d'abord les Templiers, comme « banquiers ». MaiS' la disparition de ces demiers, au début du x:rve siècle, augmente le rôle des intermédiaires «'lombards ». Depuis longtemps certains marchands italiens avaient mis leurs connaissances ·techniqUes aU. service de Rome ; le Siennois Angelerio avait été l'un des plus anciens trésoriers de Grégoire IX. Au XIVe siècle les intermédiaires fiilanciers de la Curie son~ surtout des Toscans: gens de Florence, . Lucques, Sienne, Pistoie. Ds exécutent pour le compte de la Curie trois types d'opérations bancaires : transferts de fonds de place à place; garde de dépÔts; prêts et avances. Ce que faisaient somme toute, concurremment à eux, les Templiers. Mais M. Renouard a clairement montré combien, mieux que les llloines-financiers, les compagnies italiennes se trouvaient en position favorable pour les transferts de fonds de place à place sans mouvement d'espèces. Les compagnies florentines avaient besoin (1) Compte rendu de la thèse de M. RBNo"OAlUJ (.ReIiue llstorique de droit tr~1s et étran(/el', 11145). . . .. .
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'd'eèp~el'l à .Londres, à Bl'l1ges, à Chypre, où elles '. étaient en position d'acheteurs de marchandises . (laines, draps semi-travaillés,. produits d'Orient). Par contre, elles disposaient de fonds en monnaies à J»aris, Avignon, Florence, où .elles se trouvaient "vendeurs de. ces marchandises. Situation inverse pour la Papauté, qui avait à encaisser des revenus dim,s toute la chrétienté, mais ~e faisait de grandes dépenses qu'à Avignon et en Italie; dans ces condi.; tions presque idéales les transferts de fonds étaient , facHes ; des virements à base « régionale » permettaient aux deux parties de satisfaire leurs besoins réciproques d'argent liquide. Les deux systèmes étaient complémentaires • .Mais les Toscans, banquiers des papes, étaient aussi leurs fournisseurs de produits divers - dont les. riches étoffes - , jouaient le rôle de courriers et d':il1formateurs et, tout normalement, prirent rang de fonctionnaires apostoliques : la frappe des mon/ 'naies leur fut confiée; la ferme de certains impôts (tailles, gabelles) de même : c'était pour eux le moyen de se rembourser à la source des prêts faits à la Curie; à ce moment, ils sont bien tout à la fois banquiers privés et financiers-fonctionnaires. Sans doute, et M. Renouard. l'a analysé avec beaucoup de finesse, les relations entre le'$: papes et leurs banquiers italiens ont connu des'phases . diverses. Elles sont passées « de la défiance et de la circonspection à une intimité qui se fait de plus en plus familière ». Dans un premier temps, jusqu'au déb'Q.t des années 1340, les papes demeurent prudents, emploient à la fois les services de plusieurs compagnies bancaires surtout florentines: les Bardi, ,Peruzzi, Acciaiuoli, Bonaccorsi; de 1342 à 1367, après les faillites florentines de 1343-1346, après 'les pertès essuyées par les Florentins dans leurs
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prêts à Edouard III d'Angleterre, la Papauté leur cherche des remplaçants et vit d'expédients; enfin dans une dernière période, jusqu'au retour à Rome,' les compagnies florentines, mais de nouvelles (les Alberti « antichi », Guardi, Ricci, Strozzi) ont les rapports financiers les plus étroits avec la Curie d'Avignon; les papes deviennent leurs véritables « obligés» (M. Renouard). Ainsi la participation des « Lombards », et surtout des Florentins, aux affaires pontificales, a été l'un des éléments importants de l'histoire des b8Jlquiers- marchands : de « maisons de commerce gentilices » , elles sont devenues « banques internationales » (M. Le Bras). Cependant il faut prendre garde de ne pas exagérer le volume des affaires financières pontificales; le budget des papes d'Avignon demeurait inférieur à celui des grandes monarchies du temps; les transactions des Souverains Pontifes représentaient un chiffre modeste par rapport à l'ensemble du mouvement d'affaires italien. Enfin la comptabilité de la Chambre apostolique n'était pas elle-même à l'avant-garde des techniques.
C) Finances princières. - Les finances princières et royales ont, de Jeur côté, exigé pour ainsi dire en permanence le recours à l'aide extérieure. Ce sont les Croisades et les rivalités territoriales entre princes qui, par leur coût, ont été à l'origine dela fiscalité. En Angleterre comme en France, à la fin du XIIe siècle, l'expédition en Terre Sainte fournit aux rois l'occasion de taxer pour la première fois les biens meubles de leurs sujets. On peut avoir une idée du coût des expéditions guerrières pour les trésoreries princières du temps par ce seul fait : l'entretien de la tête de pont anglaise à Calais, où ne séjournaient en permanence que 1132 soldats
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angl~, dans les années 1370, «engloutissait environ sixième des revenus globauX de la monarchie &nglaise.•• On voit quelle saignée de capitaux repré. sentait cette occupation militaire improvisée» (1). En France, au XIIIe siècle, il suffisait de mobiliser deux ou trois mois une armée de deux à trois m.ille cavaliers « pour multiplier par trois ou quatre les besoins en numéraire et vider d'un coup le Trésor. Un siège un peu long peut entraîner une gêne durant plusieurs années» (2). Les bailleurs de fonds du roi d'Angleterre, aux XIIIe-XIVe siècles, sont des négociants étrangers établis à Londres. Ds sont venus d'abord pour essayer de recouvrer les sommes prêtées par eux aux Croisés anglais; de là, ils sont passés aux achats . de laine et à son transport sur le continent, puis aux opérations financières. Florentins, Génois, Lucquois, Catalans, Hanséates tiennent tout le commerce extérieur du pays. Sous Edouard 1er et Edouard Il, les principaux financiers à Londres sont les Frescobaldi; ils sont désignés comme receveurs de tous les droits de douane dans les ports anglais et de tous les revenus royaux en Irlande comme en Guyenne. Jusqu'en 1310, ils auraient successivement prêté 122 000 sterlings à la monarchie ànglaise ; sommés alors de rendre leurs comptes, ils préfèrent quitter le pays clandestinement, avec leurs trésors enfouis dans des balles de laine, et rallient Florence. Leur place est aussitôt prise par lesBardi et les Peruzzi, Florentins eux aussi. Edouard III fait largement appel à eux; mail! les réactions « nationales» envers les banquiers étrangers, qui sollicitent et obtiennent de la Cour pri~-lUi.
(1) E. PE1IlI.OY, Compte de W. Gunthorp, trésorier de Calais, 1871-1372, Mémoiru de la Commission départementale du Monuments htstorique& du Pas-de-Calais, t. X, l, Arras, 1959. (2) G. DUBY et R~ MANDROU, Ouurage cité.
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FINANCES DE L'ANCIEN, RÉGIME
l~f)$
oo:rn:œerciaWi; et pl'otections en contrepa11ie de lew aide financière, s'affirment. En 1322, la maWQ:n des Bardi à Londres est mise à sac; en 1343;llait à Londres la curieuse Socielas Anglorum, grou. paJl.t tre»te-trois marchands anglais associés pour aff'enner les douanes et l'impôt sur les laines, et pom: arracher aux hommes d'affaires italiens le IJlOB.opole de l'exportation de la précieuse matière t~tile vers les Flandres; il est vrai que le groupement ne vivra pas plus de deux ans. Cet essaidè cl'éation d'-un groupe finallcÏer du cru est éontemporain de la décolÛitqre des Florentins à Londres. Les débuts de la « guerre de Cent aJ1S )J n'ont pas été favorables au roi d'Angletene ; il fait banqueroaœ,. et les Bardi~ Pernzm, Acciaiuoli, créanciers mépri.. ~8, déposent successivement leur hilan de' 1343 à 1346. La m.onarchie anglaise :ré'usSÏiJra &1lX XIVe et Xye sièeles à. rl asswrer" par un impôt é1evé et per~aDent sur les lames expœtées, des :re:m:tréeg; fiscales D.Qt~el:l.
A. lev plus helle t1poque -
et cela peut dOIllllrer idée: de. la puiSS"aItee des w. rése:aux. n ital:iieœ. -~ ~ ks années 1310-13M), les. RaMi a",aien.t eudœ représentants" axoo magasins et btm:eaux,. en Italie d'@œrd : à. Aneône:,. Aquila.. Bari, Earle!llta, Gênes,. Na~ Ometto" 1?alemne.. Pise+ Venise';' eu Médio 'tcel'fanée et CLans l'Occident : à AvigJœon,. Ba:tcelane,. :SJ!U~,. Chypre, CQllstQtme!p1e,.Jénsalem, L~dres,. MaiOil!qtle', Mius.eille, N:K:.e, 'Paris, llliodes,. ~ ~
Tt.uù8.. Sau dQute" et les :faiIl1itesi « aog1laiaes l» de ltMJ3;.. IM.Q p~!litt:liU1: de le SQuligner~ Ces comtnctiom: Du"ehandes et bancaire& à r échelile du: mliJD.de eu.:ropéen. ont-eUes. de la fragilité. « Colosses aux pieds 4f'up )lit a~ écrit l'1ri&1i0J!Ïcm italieD A. Saporl r ses travaux, ainsI que ceux deM. Ren.ownd et cie,
· M.. R0Gwe:r:, ent· mOllilll'é, qua ce1:llCidragilitétenait à Ce' ..cp:e Véchafawil.:age des·.grMldes. compagnies reposait 'palP'.1lrOp, sm le cr6dit ~ crédit· o&rt aux compagnies. pu leurs. déposantst et Ol'odit o'U'V.ert pu les compagnies. aux princes.; dans; les deU'Xl cas· il, pouvait Y' avOÏl:i' pém;, les d'pats étaien1l remhoUl'sables à, vue·;- ils· fomnaient une n-ès gtrosse proportion dans. l'ensemble de lraeti/i;' ils, provenaient de clercs, ~, nohle&t de marchands, ét!langers à la direction' de&. x:mmes;; ce" type, de· ressources demeurait fragile .. par-ee que sous le coup: dw menaces, de retraits d~8r gent; Quant' à la confiance que1es!hommeB' d'affaires' italiens' pou:v.aient avoir' envers· leurs .débiteurs' prin.· ciers· ou Myaux; elle fut sowvent mabnenée. La posi.. tian. sociale de l'homme d'argen1l n'était pas telle, à l'époque qu'il d'ût attendre du plÙnce un ex~ès,' d!égaJlds:et de ménagements. Le. meilleur moyen derégle~' Ie.s! dettes.· d'Etat· était de les; annulèD' par' la: banqueroute·; Ill" monarchie anglaise se sauve ain&f. d'un' mauvais pas, alors qu'elle est· responsable· des,faillites florentines du XIVe siècle. PlUs, généralement'; Marc Bloch, a; souligné' la' contradiction fondamentale qui minait 111', position' des CI capitalistes italiens du' Treœnto », (l~ :' «.. En haut;d8s.pratiques et dos'ambitions,(ç oapitalisteS',» ; au; tréfondS, une' économie encore primitive, une' structme· sociale moroelée~ une teohnique rudimentaire-•. ll-.(l!'èst
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FINANCES DE L'ANCIEN R:tGIME'
Moyen Age, les règnes et les pays. Cités, familles, , groupes se relayent les uns les autres; poursuivis ou ruinés un temps, les fournisseurs d'argentré,apparaissent ensuite; des « dynasties » nouvelles rem-' placent les anciennes; tel qui subit les effets A'une banqueroute à l'OcCident, retrouve des éléments, d'affairès en Orient. Suggestives à cet égard seraient l'histoire des princes d'Anjou en Sicile et celle des,chevaliers français en Morée aux XIUe-XIVe siècles, dans leurs rapports avec les fournisseurs d'argent italiens., Mais les financiers italiens du Moyen Age les:plus ,typiques demeurent les Médicis de la Florence du xv e siècle; leurs activités bancaires ne sont sans.' doute que le couronnement c;le leurs opérations industrielles et, surtout, commerciales. M. Renouard, signale que l'entreprise de draps d'un Médicis -+- au, XVIe siècle ne produisait que cent cinquante pièces par an ; c'est encore un indice que les « grandes' affaires » du Moyen Age sont à apprécier avec prudence, c'est-à-dire relativement à leur propre temps. Mais si affaires d'industrie, monopoles de trafic - comme l'alun de Tolfa affermé à la Papauté en 1459 - mouvements de marchandises forment ,bien la base .de la fortune des Médicis - en un siècle d'ailleurs où l'aire du commerce italien commence à se rétrécir du côté de l'Orient et de l'ExtrêmeOrient - ce sont leurs opérations financières, qui' décident finalement de leur destin; la filiale de Londres, pour avoir consenti des prêts excessifs à Edouard IV au temps de la « guerre des DeuxRoses »disparaît en 1471 ; celle de Bruges est ruinée" en 1480 pour avoir imprudemment misé sur Charles, le Téméraire; celle de Lyon doit sa déconfiture à la gestion d'un directeur local trop autonome' et mal surveillé; et la « compagnie », en tant qu'en-, treprise intemationale, s'effondre lors de l'entrée,
AU' TEMPS DES CIT~S
Il
" des troupes de Charles VIII à Florence en 1494~ Cette fin est symbolique; les financiers italiens du xve siècle, et spécialement ceux de Florence, à une époque où l'organisation politique en Italie tendait à,passer de l'échelle de la Cité à celle de l'Etat territorial, se sont de plus en plus mêlés à l'activité proprement politique et à la direction gouvernementale; concurrences d'affaires et rivalités pOUl' le pouvoir s'entrecroisaient. Ce n'était pas là une condition de. sécurité et de dl;lrée. H. Pirenne a pu ainsi noter 'qu'on voit se renouvel~ fréquemment les dynasties d'hommes d'affaires au Moyen Age - et, plus généralement, tout au long de l'histoire économique moderne - parce .que l'esprit d'entreprise va comme en s'affaiblissant à travers les générations et que l'adaptation à de nouvelles conditions économiques est malaisée pOUl' les, descendants des fondateurs des firmes. On le voit .bien à comparer les attitudes de came de Médicis et de Laurent le Magnifique; les fondateurs des firmes sont des entrepreneurs dynamiques; leurs successeurs jouissent de la richesse acquise; pris dans l'atmosphère sociale dominante, les francs .. tireurs du capitalisme commercial rentrent dans les cadres de la société traditionnelle, s'intéressent aux affaires d'Etat et aux beaux-arts plus qu'au négoce, immobilisent leurs fonds qu les stérilisent en terres, seigneuries, dépenses somptuaires, activités de mécénat. C'est alors qu'ils deviennent vul· nérables, abandonnent la marchandise pour « '\fine noblement », ou font faillite. L'homme d'affaires «,dégénère et s'embourgeoise» (M. Renouard). Nous laissons de côté, en raison de ses caractères spécifiques, la question des finances municipales et des dettes urbaines que l'on a davantage étudiée, J. BOt1VlBll BT Il. GElIlILUN-MAllTIN
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FINANCES DE L'ANCIEN ,RiGIME'
'jusqu'alors, dans 'le ças "des cites italiennes qUe ,dans celui des villes' flamandes. Cette~stion ,serait d'ailleurs liée à celle des premières banques , :publiques (Gênes, Catalogne). Ici, le, plussouvènt, ' ce ne sont pas des financiers isolés qui finissen~ par : avoir affaire à la ville, mais les créanciers poup~s ,en une sorte de syndicat de gestion de'la detie", .' dont l'exemple le plus remarquable est celui fourni: par la Casa di San Giorgo, à Gênes; Ill. - L'exemple français , A) Administration fiscale et gens d'affaires 'fran:- ' çais. - C'est sur l'exemple de la monarchie française ': que l'on peut sans doute le mieux saisir cette conjon.ction des besoins du prince et des services 'de l'homme d'affaires qui caractérise la finance ' - bien que les archives financières de l'ancienne monarchie aient été plusieurs fois victimes de lamen:,: tables destructions. La pièce la plus ancienne' de comptabilité publique que l'on connaisse, dite « pre'miér budget de la monarchie française Il (1), remonte aux années 1202-1203; et les savants' auteurs qUi ont publié ce compte, par ailleurs partiel - il intéresse les bailliages, prévôtés et garnisons-fron:tières (l'administration locale), mais non l'Hôtel , du Roi (l'administration centrale) - précisent' bien que « les ressources financières des Capétiens nous sont totalement inconnues pour les XIe et' ,XIIe siècles ». La formation d'une administration financière fut" 'très empirique et progressive. Jusqu'au XVIe siècle la dualité subsista entre finances ordinaires (le budget du domaine royal) et finances extraordinaires (le ,'(1) F. LOT et R. FAWTtER, Le premier budget de la monarchie française,: le compte général de 1202-1203, Paris, 1932, Bibliothèque de l~Ecole des Hautes Etudes. , ' ,,'
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'.A.i} . TEMPS
DES' CITP:S .
· budget de l'Etat royal). Mais les seè'9ndes occupèrent ~1lÎle place depl:us en plus grande. dans l'ensemble ·desrevenus des rois :lerôle des dépenses de guerre' (Croisades, luttes contre les princes anglais) fut décisif. de ce point de vue. En fin d'évolution, sous· Charles VII, le « domaîne » ne fournit' que 50 000.1 100 000 livres sur un total de revenus d'envirQn 1800000 livres. Dès son origine le sys:tème fiscal présente deux traits propres à l'époque d' <ç Ancien Régime» : l'affermage d'une partie des' ,recettes fiscales; et la constitution d'une oligarchie '.d'« officiers de finances» : trésoriers de :France, généraux des finances, gens de la Chambre des Comptes, qui étaient aisément maîtres de leurs . propres circonscriptions et de leurs affaires. L'admin;istration financière sous Charles V, puis Charles VII ,~ 's'Qrtout, tend cependant à prendre progressivement les caractères d'une organisation étatique relati,; vement ordonnée. · C'est dans une machinerie « budgétaire )llong-: te;mps informe et instable que les banquiers privés du roi, des Templiers jusqu'à Jacques Cœur, s'ins~rent. R. Gandilhon a usé à propos des financiers . du xv e siècle, Jean de Beaune et son gendre Briçonnet, marchands à Tours, et fermiers de péages. ,et de traites, d'une formule qui vaut pour tous leurs émules : « Leur rôle dans les finances royales est aussi important que difficile à connaître. » . , Et valable aussi pour tout le Moyen Age - et, au-delà - l'explication que le même historien donne des « emprunts continuels et divers ». de · Lol.JÏs XI : la lenteur du recouvrement des impôts, :et la nécessité de trouver des intermédiaires prê-' teurs pour avancer les sommes dont l'échéance de '. rentrée. était incertaine et éloignée dans le temps .. . . On serait tenté de distinguer une sorte d'évolution •
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FINANCES DE L'ANCIEN RBGIME
dans l'histoire des banquiers des rois de France,parallèle à l'histoire économique de l'Europe -du XIIIe siècle aux temps modernes. A la finance « inter-' ; • nationale» a succédé, par paliers, la finance «natioJlale )); aux Lombards, les hommes d'affaire~ du cru: ,'facques Cœur, Semblançay, Fouquet, Samuel Bernard jalonneraient l'évolution. Encore faudrait-il distinguer que les positions de ces qUatre financiers exemplaires n'étaient pas exactement compa,rables, Je premier et le dernier étant d'abord banquiers. les deux autres d'abord hommes des financês du roi; l'ère des « Lombards» - ou, plus exàctenient, des étrangers - ne se termine d'ailleurs pas au Xve siècle; les hommes d'affaires italiens, puis allemands - sans même aller jusqu'aux Genevois du XVIIIe siècle - joueront toujours un rôle actif auprès des maîtres des finances publiques aux XVIe et XVIIe siècles. En tous les cas, la prédominance des marchands;, banquiers italiens du XIIIe au xV,e. sièéle demeure remarquable; si les Juifs sont de plus en plus cantonnés dans l'usure et le prêt à la consommation par une ségrégation économico-religieuse qui e~t allée en s'accentuant au cours cJu Moyen Age, les « Lombards» - en fait surtout les gens de Toscane: Lucques, Sienne, Florence - malgré les poursuites chroniques que leur position même rendait inévitables, entretinrent avec continuité les « fonds de roulement)) des monarques besogneux. Nous savons quels services divers outre ceux de fournisseurs de la Cour en denrées et objets de luxe ils pouvaient rendre. ,Ce que l'on connaît moins, c'est la place que leurs avances tinrent dans le « budget général» des princes et l'histoire en quelque sorte interne de leurs rapports avec la monarchie. Les études qui leur ont été consacrées. tant en France qu'en Italie, ne résolvent pas
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, tout à fait avec netteté ces points particuliers, faute de documentation. «A côté d'eux, a .écrit Marc Bloch, comm~rçants. et financiers indigènes ... la France n'est pas Uniquement une dépendance de la finance italienne» (1)"; Mais les financiers français n'avaient pas, de beaucoup, l'envergure des transalpins; on les voit cantonnés dans certaines villes provinciales, au service des princes et des agglomérations de la région, mais entrant plus rarement en affaires avec le roi: tels, au XIIIe siècle, les financiers d'Arras représentés surtout par les familles Crespin et Louchart; non constitués en société, à la différence des compagnies italiennes, c'étaient des marchands et gros 'propriétaires qui plaçaient leurs gains commerciaux et fonciers en rentes viagères et prêts à intérêt; ils ne sollicitaient pas les dépôts, ne disposaient pas de. représentants hors d'Arras; la plus ancienne opération connue des Crespin est un prêt au comte de Saint-Pol remontant à 1223; dans la seconde moitié du XIIIe siècle, Calais, Ypres, Bruges, Tournai, . Gand sont débiteurs des bourgeois d'Arras - dont certains acquerront d'ailleurs des titres de noblesse et abandonneront les gains bourgeois pour vivre noblement; en 1285, Philippe le Bel, par l'intermédiaire du Trésorier du Temple, leur emprunte; Us gagneront au contact de la Cour des charges honorifiques et des Crespin entreront dans l'administration royale comme receveurs d'impôts. Mêmes traits chez les Y salguier de Toulouse, issus de changeurs locaux à la fin du XIIIe siècle et dont la fortune commence avec la saisie des biens des . Juifs p~ décision de Philippe le Bel (1306); Rai-JDOJld Y salguier fut l'une des trois personnes dési. ,(t) 1.4 FrlUlce SOÙ8 les derniers Capétiens, 12118-1828 (A. Colin,
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. ,'l'aitinagecie la' monnme: royale·' (été· 1429)";, en tant' qUe K:fel'DÛer », de la IIlonnaie émise dans la .. •' ville ou réside alors Charles VII, le «roide Bourges », 'il a éu)is 300. marcs d'argent· au-dessouS du ~tre .' ' .:f~;·. s'assurant ainsi d'évi~ents«profits illicites Il. "; '::Ce i{iilgulier départ ne l'a pas empêché de faire, et '. fortune, et' carrière. « La hardiesse de J acqueil ., ,Cœur,a' surtout consisté à profiter dé l'état lamen'" table du pays pour pratiquer largement l'accapa-. l'ement et le.monopole I)(R. Pemoud). Le chancelier Je~ Jouvenel des Ursins ravait dit en langage ancien : « n a empoigné toute la marchandise de ce , royâùme, et partout a ses facteurs, qui est enrichir . Tine personne et appauvrir mille bons marchands. » Jacques Cœur, accapareur et « nouveau riche II des temps de détresse - détresse politique, budgétaire, , " monétaire - a toujours profité de la protection ., . royale; sa chance initiale n'est-elle pas d'ailleur.s l'installation du dauphin Charles à Bourges ? 11 · a réussi tous ses coups en fonction de la situation qu'il s'était acquise comme homme indispensable · au prince, jusqu'au jour où le prince décicie de .sacrifier le financier - entrepreneur pour sa commo:~tépersonnelle. Quels rôles, successifs ou simul· tanês, a-t-il remplis auprès du roi ? Fabricant de , mo~aie, fournisseur de Cour «( argentier 11),ila t, " . ,probablement intéressé personnellement le roi dans ',. certaines de ses entreprises, en « compte à demi »; ,il a prêté fréquemment de l'argent au roi - ainsi . pour la campag.ne de Normandie; il a naturellement ;rempli les fonctions d'agent' fiscal, d'agentdiplo'matique et d'information, le cas échéant. Homme d'affaires, il a été présent en Méditerranée comnie à Bruges et Rouen ; il a gagné beaucoup en vendant . 'des armes aux Infidèles du Proche-Orient, avec ~~ption8 pontificales en, faveur de ce trafic,
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doublé de celui des esclaves; il s'est fait manufac-_ tùrier à Montpellier, propriétaire- de mines métal... liques en Lyonnais (cuivre, plonib argentifère); marchand de sel, de draps; d'épic.es,d'armes, proprié~ taire foncier dans toute la France (au moins vingtcinq seigneuries), et propriétaire d'immeubles en diverses villes, et pas seulement à Bourges où sonfastueux hateI, datant des années 1440, subsiSte encore. _ - «L'homme d'affaires le plus étonnant du Moyen Age _», dit M. Mollat. Arrêté en 1451, évadé en 1_45-4, _ il disparut à Chio en 1456, c'est-à-dire bien avant l'aube des temps nouveaux du XVIe siècle. Ses « facteurs » et seconds comme Guillaume de Varye, Antoine Noir, Jean de Beaune, Antoine Grignon, Pierre Jobert «se comportent en trafiquants, voire même en forbans» (M. Mollat). Ce n'est pas là-un trait d'époque. Jacques Cœur n'a aucun mérite qui lui soit propre, mise à part la réussite, et on ne peut mettre à son crédit aucune découverte partiCulière dans le domaine de la technique des affaires; il a été un brillant émule des hommes d'affaires italiens - il était en relations avec les Médicis et les Bardi et seinble bien être tombé comme beaucoup d'entre eux, victime de débiteurs qui avaient intérêt à l'éli- , miner, mais aussi de la structure même de ses erigag~ments : des capitaux considérables à la -fois dis~ persés géographiquement et immobilisés; une liquidité faible. Les hommes d'affaires du temps 'étaient' des « aventuriers »dans la mesure où ils jouaient imprudemment du « découvert ». Mais, -finalement, on connaît mieux Jacques Cœur, brasseur d'affairés" que Jacques Cœur, banquier de Charles VII. M. Mol_lat -écrit :« On voudrait pouvoir trouver plus sur l'activité proprement financière de l'Argentier.... C'est'IUe là, DOUS le savons; se rejoignent, et lé
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secret du roi, et le secret des affaires, pour dérober à l'Histoire ce qu'elle recherche. On a souligné depuis longtemps que Jacques Cœur eut d'ailleurs une postérité à sa façon: Jean de Beaune, à Tours, Guillaume de Varye, Jean de Villages et le propre fils de Jacques, Jean Cœur, reprirent du service sous Louis XI qui tint, semblet-il, à rappeler certains des collaborateurs de l' « Argentier ll. Jean de Beaune, marchand-drapier et' banquier de Tours, fut correspondant des Pazzi et 'des Médicis; Louis XI .eut' un compte courant ouvert sur ses livres, et. le compte était souvent débiteur. Par Beaune, la « filiation II se fait avec SembJançay, comme si la continuité d'un groupe de gens d'affaires français avait été assurée de Charles VII à François 1er• . B) Le rôle des « Lombards » en France. - A la différence des financiers indigènes; ceux d'Italie ne sont pas issus de villes à marché local, mais d'agglomérations qui rayonnèrent au loin, de véritables marchés « internationaux )1. C'est par le relais des foires de Champagne qu~ils sont entrés en contact avec Paris, centre de consommation, et, tout naturellement, avec la royauté; mais la Provence et l'Anjou, possessions des rois de Naples, leur étaient ouverts; ils y occupèrent des charges publiques dans les finances et la justice ; de même la Guyenne et la Normandie sous le contrôle anglais; au XIVe siècle enfin~ les voilà à demeure dans l'Avignon pontificale. Le plus souvent leurs pretniers contacts avec la monarchie ou les grands féodaux n'eurent pas des causes financières, mais des raisons commerciales : obtention de sauf· conduits; de pertnis de séjour ou d'exportation. De là ils passèrent aux fournitures d'objets de luxe
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128~' - aux villes., Les Place~tin~ étaient d'ailleurs liés aux banquiers de Gênes. 'Les Lucquois , ont été, en particulier, étudiés par L. Mirot, tels les Spifame au XIVe siècle : Bartolomeo Spifame était fournisseur de la Cour de Philippe VI de Vàlois et passait pour l'un des plus importants banquiers de l'époque; il fut l'un des principa'IPC - " hlPlleurs pour le paiement de la rançon de Jean' le- Bon; il aida Charles V à constituer la flotte qui, en 1370, ramena Urbain V à Avignon et fit des avances d'argent au roi en 1373 et 1377. Bartolomeo, ' ,',installé à Paris, propriétaire foncier en Normand.le, , 'possesseur' d'immeubles dans la capitale, avait des 'facteurs à Bruges, Avignon, Montpellier, Londres, Florence, Bologne, Pise, Venise; mort en 1385, il , ,fut, inhumé dans l'église des Grands-Augustins; , sa descendance en France fournit des officiers de' finance et de justice et des évêques; elle s'éteignit, , au' inilieu du XVIIe siècle. Bel exemple d'ascension h'Ourgeoise dans la hiérarchie de la société traditionnelle. « Les Lucquois, écrit L. Mirot, se glissèrent - 'partout; ils furent maîtres des monnaies, maîtr~s" , 'et généraux des finances, maîtres des requêtes de , l'Hôtel, conseillers à la Cour des Aides et au Par" lement., » Ainsi, à côté des Spifame, les Arnolfini,' , Cenami, Forteguerra, Trenta. Le mieux connu des hommes d'affaires de Lucques demeure Dino' Rapondi, dont le théâtre d'affaires s'étendait à tout l'Occident depuis la fin du XIVe siècle mais qtïi,exilé de Lucques, resta en Flandre et en France. Fournisseur des ducs de Bourgogne, il devint un, , .familier de la CoUr de Paris et de la haute noblesse sous 'Charles V et Charles VI; il fut surtout le' :PrJ-nC!pal ,agent financier d~ Philippe le Hardi : il lm ,avance des sommes, lm procure des emprunts sûr la place de Bruges, ~e paye sm la levée de cer- '
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FINANCES DE L'ANCIEN R~GIME
tains impôts, surveille la frappe des mO!ID.aies de Flandre et contrÔle ~ême des travaude forti~ lication ; quand Jean sans Peu:t eut' été fait prisone nier des Turcs à Nicopolis les relations commerciales de Rapondi avec l'Orient le désignèrent pour négo~ ,', cier le chiffre et le paiement de la rançon du prince ;' ayant parfaitement. réussi dans sa mission, son influence à la Cour de Bourgogne grandit; de prin.. cipal banquier, il passe au rang de conseillèr poli. tique; il a, à Paris, rue de la Vieille-Monnaie, un hÔtel célèbre à.l'époque, mais n'a pas acqms de titre de noblesse. Il est enterré en 1415 dans la'· chapelle ducale de Dijon, insi~e honneur. Les données constantes des destins des banquiers de Cour sont ainsi le passap:e du colportage de produits de luxe à la ,situation de fournisseurs d~arge~t, puis d'agents financiers des princes et des roUi. Le plus souvent, s'ils sont Français, ils abandonnent finalement la « marchandise », fortune faite,p'0Ur . entrer dans les cadres dirigeants de la société et grossir les. rangs deI!! Il officiers » roya1;lX. On peut. dire qu'alors ils ont abandonné leur classe sociale d'origine pour entrer dans l'un des groupes de la société constituée; ce inouvement, qui prendra par la suite une bien plus grande ampleur" et qui accompagne le développement de la puissance monarchique, est bien visible déjà en plein Moyen Age. A côté des Lucquois, mais à la fois avant eux - .. et après eux : les Florentins. Ds apparaissent en . France sous Philippe le Bel, avec les trois fr~;res. Nicholuccio, Biscio et Musciatto de Franzesi «( Biche Il et « Mouche» comme on les app~la e~ leur temps) aux débuts du règne et avec les Guidi, trésoriers et maîtres des monnaiés dans les dernières années; le receveur du domaine royal en<;ham~ p~gne était, à la même époque, le banquier florentbi
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René Accorre, fixé à Provins: il vit, en 1288, vendre tout ce cju~ilpossédait au profit de la Couronne ... Quant aux· frères Franzesi, ils étaient à Paris entre 1282 et 1292 les agents des compagnies florentines des Scali et des Frescobaldi; puis ils tra~ vaillèrent pour leur propre compte et furent les hommes à tout faire de Philippe le Bel qui, pour la guerre de Flandre, les utilisa comme fournisseurs, 'émissaires et corrupteurs patentés. Ils perçurent pour le compte du roi toutes sortes de revenus. Ils tmrent les comptes de nombreuses sénéchaussées, gérèrent la majeure partie des finances extraordinaires, frappèrent des monnaies. Ils font faillite dans des conditions obscures en 1307 après avoir, somme toute, aidé le roi à secouer la tutelle du Temple. Les Scali firent de même sous Philippe ]e Long et perçurent par exemple en 1322 les droits d'exportation de Toulouse, les revenus des salines .de Carcassonne, et de la décime des provinces ecclésiastiques de Toulouse, Narbonne et Bordeaux. Autres Florentins du début du XIVe siècle, mais rayonnant exclusivement entre 1283 et 1325 en Dauphiné et Provence, les Gianfigliazzi qui furent les hommes de service des Dauphins, comtes de Provence et rois de Sicile. Au xv e siècle, les Florentins détinrent en France une sorte de monopole, à Paris et à Lyon surtout, où l'on dénombre une douzaine de compagnies importantes - en premier lieu les Médicis. Louis XI encore Dauphin utilisa pendant son exil en Flandre les services du Lucquois Giovanni Arnolfini, fermier du tonlieu de Gravelines, fournisseur et prêteur attitré de Philippe le Bon. Devenu roi, Louis XI !J'attacha Arnolfini qui devint général des finances, tandis que son neveu ~arc Cenami était nommé « élu sur le fait des aides». Mais en 1465, ils furent
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destitués' e~ raison dès' sympathies qu'n.. av:8ie~t ' ,çonse;rvées pOUl' Charles' le Téméraire., TI ,seinbI~ . que Louis XI, dont lesaIDhitions étaient·coiiteUses, Ail voulu. employer l'arme financière pour v~nlr à bout de son coriace rival; il voulut att4'eren ,France les manieurs d'argent italiens poU'f en .' prive~ le duc de Bourgogne; dès 1466,J:ou~s lës grandes maisons italiennes, et pas seulement floren- '.' tines, étaient fixées à Lyon, dontles foires s'ép.Ii... : nouissaient, après avoir plus ou moins abanc!Onné.,·: ,les foires de Genève ·en déclin: tels 'le!! Médicis, ,: Fàzzi, Na~i (représenté p~ Capponi), GriinQldi, Spinelli. La filiale lyonnaise des Médicis ouvrit :: des comptes à des personnalités de la Cour, dont pro" :, bablement l'historiographe Commynes. Elle assura, :.: aveè les Pazzi, les paiements du roi en Cour de .. Rome (droits afférents à des dignités ecclésiastiques, règlement de frais de procès). Les Médicisalimen" tèrent le trésor de Louis XI en prêts et en garanti\,?s diverses de paiements : ainsi en 1475 et 1479; ils, assurèrent pour le roi de France le règlement de la .' pension proinise à Edouard IV d'Angleterre; fréquemment les' Médicis avançaient de l'argent à ' Louis XI pour quelques mois à des intérêts de 13- ~_; 20 % l'an. Mais, comme l'indique l'historien Gandilhon, ces avances, ainsi que d'autres faites à la ville ,de Lyon, étaient stipulées reIDhoursables non ' par le roi ou la ville, mais par de hauts offici~s royaux, des grands seigneurs ou des échevins qtJi, se reconnaissaient personnellement responsables des . dettes royales ou municipales : prudence élémen,- taire de la part des prêteurs. Ceux-ci d'ailleurs se souciaient de gagner de l'argent partout où une affaire se trouvait poss\bJe• . Si Nori, l'un des facteurs des Médicis à Lyon, deyint conseiller et cc valet de chaIDhre » _de Louis XI,
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,,:et'remplit.es fonctions 'd'un agent diplomatique " ,',.--,'il sera envoyé en ambassade auprès 'du duc) de, " Milan .:.- il n'en est pas moins expulsé en aOllt 1468 pour avoir aidé de ses deniers Philippe de' Savoie. ".,' Quant, à la firme des Médicis, elle jouait bien' sur 'deux tableaux à la fois, comme l'avaient faît d'ail. ,'1eUl'S les Templiers en leur temps entre les rois ,'d'~gleterre et de France : Tommaso Portinari, ,:leUr facteur à Bruges, est l'un des principaux banquiers du Téméraire, puis de Maximilien., ' ' " ,Mais le recours constant de Louis XI aux compagnies italiennes s'éclaire dans le climat monétaire d'un xv e ' siècle qui voit s'exaspérer la faim de Ïn9nnaie et s'affirmer des politiques économiques " nationales à, une époque où les Etats mènent une 'yér,itable politique de défense et d'accaparement, de l'or, et visent à établir une relative stabilisation "'monétaire.
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••• Dira-t-on que, chemin faisant, avant même .:,d'aborder la question de la « modernité » du, ;XVIe siècle, les analyses précédentes, même en tenant ',compte de leur nécessaire brièveté, nous ont mis , ,en contact avec les premières formes du capitalisme? ',MaiS ni le caractère monétaire des échanges, ni ,.l'ÏilterVention du crédit ne définissent le capitalisine, lequel, en tant que système économique, ,'se, caractérise par un certain mode social de production. Les « financiers » du Moyen Age ne sont ~ , pas les premiers « prototypes » des grands capita,listes contemporains, parce qu'ils sont plus des 'intermédiaires que des producteurs, des négociants fi[ internationaux » que des manufacturiers ...;... et sui1:out parce que leur action n'a bouleversé ni l'é:eonomie ni la société; bien au contraire, ils ,s'in-
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FINANCES DE' L'ANCIEN RSGlMÈ
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qui ne peut assurer la croissance prépare le démarrage'» (1); Bien plus tard que le xv e siècle, lorsque le développement même de l'économie dite marchande aura rendu moins fréquents les hauts profits, et les taux usuraires de type « Moyen Age », le finan. cement de la production industrielle de masse pourra QUvrir au capital accumulé d'autres emplois, d'autres voies de gain, et le système économique et social, dans son ensemble, subira les profondes , mutations de la « révolution indUstrielle », c'est-àdire du capitalisme (2). Sous Jacques Cœur, on est encore loin de compte; mais les révolutions qui ~odifient l'équilibre des sociétés ont lentement , mûri avant de s'épanouir. On peut enfin reconnaître que, les conditions PQIitiques n'étant pas séparées ni séparables de l'ensemble du développement social, les banquiers de .Cour dans la mesure, qui est grande, oii ils ont aidé au ,développement des Etats, de leur machinerie bureaucratique, de leur administration centralisée, ont préparé - de fort loin il est vrai -l'efficacité, la «rationalité» des gouvemements de type modeme. C'est précisément lorsque l'Etat n'aura plus besoin d'eux qu'en tant que tels, ils disparaîtront. Mais il y faudra' du temps - des siècles encore, après un Jacques Cœur., (1) P. VILAR, Croissance économique et analyse historique' (Conférence internationale d'histoire économique, Mouton & Cie, Paris, 1960).
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(2) Voir là-dessus encore le suggestif article de P. VILAR, Déyelo~ pement historique et progrès social i les étapes et les critères (La Pensée, nO' 7 et 8, 1961).
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(1) F. BRAUDEL, Préface ll'ouvrage de R. de ROOVER, L~lllJOlutfon de la lettre de change, XIV~-XVIII' si~cles (8.&V.P.E.N., 1953).
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HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe. Sr~CLE
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Le domaine bancaire n~ connait alors que des novations techniques limitées : l'application de la. ncorsa dans le dernier tiers du siècle, après l'interdiction solennelle par le pape, en 1571, dès crédits de foire à court terme (les « dépÔts »); et les débuts véritables de la pratique de l'endossement des lettres de change. La ricorsa était un procédé qui consistait à f~ voyager d'une foire urbaine à une autre foire. urbaine, par exemple de Gênes ~ Besançon, les engagements de dette à court terme jusqu'à leur remboursement final; on tournait ainsi l'interdit ecclésiastique qui visait les prêts d'argent faits sur une seule place, sans qu'ü y ait déplacement de fonds. Le déplacement étantapparemment organisé par la ncorsa, l'interdit tombait. Quant à l'endossement, ü fit de la lettre de change un instrument de crédit beaucoup plus souple puisque, par lui, le bénéficiaire de la lettre en· transférait le paiement, donc la propriété; à un tiers. Mais morsa et endossement ne se généralisèrent effectivement qu'au XVIIe siècle. Ainsi « en ce qui concerne la pratique commerciale le XVIe siècle reste médiéval dans s.on esprit et ses méthodes Il (H. Lapeyre) (1). Dans ces conditions, les nouveautés bancaires du XVIe siècle relèvent du quantitatif : extension géographique du champ d'action des hommes d'affaires avec les grands voyages interocéaniques et l'entrée en force dans les affaires de l'Etat espagnol et les négoces atlantique et indien; .diffusion des techniques bancaires, en particulier en matière de comptabilité, grâce à l'imprimerie; surtout, accroissement considérable du volume des transactions étant donné les progrès de la naviga(1) . H. L.u>BYBB, Deux articles sur les questions de banque et de crédit nu XVI" siècle. Rell. d'hist. modo ~t cont., no 4, 1956. et nO S, 1961 ..
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FIN4NCES DE L'ANCIEN R.tGIME
lement menacés d'asphyxie »,c'est-à-dire de faillite (Delumeau) (1). Les causes? Sans doute le déficit commercial vis-à-vis de l'Asie et la constance dùcourant d'émigration du numéraire en direction de la Méditerranée orientale; l'augmentation de la production et des échanges en Europe entraînant une demande plus forte de moyens monétaires pour les opérations courantes; les exigences financières des Etats en guerre et le rôle perturbateur des banqueroutes gouvernementales'; enfin le détour-' nement d'une proportion croissante de métaux précieux pour la fabrication de bijoux, objets de . luxe, ornements décoratifs, objets du culte. Finalement, la demande globale a grandi plus que l'offre. L' « étroitesse l) monétaire n'était que relative; mais elle n'en existait pas moins. D'où l'importance et l'ampleur des pMnomènes de crédit au XVIe sièCle. II. -
Les besoins de crédit et les modes de crédit
A) Guerres, hausses des prix et finances. - « Dans le domaine politique, a écrit E. J. Hamilton, l'hégémonie de l'Espagne repose en partie au XVIe siècle sur les possibilités d'entretien de troupes et de mercenaires en pays étranger, que fournit à sa monarchie l'abondance de 1]1. et de l'argent tirés par elle du Nouveau Monde» (2). C'est soûligner le volume nouveau des Lesoins financiers dus aux conflits entre prm.ces. La guerre, chaque an plus coûteuse - arquebuses, artillerie, fortifications, escadres, mércenariat, effectifs croissants, .durée des campagnes, multiplicité et éloignement des lieux de combats - entraîne la victoire définitive des stmc(1) J. DELU.MEAU. Vie économique et sociale de ROmé dans la _nde moilié du. XVI' siècle (Paris. 2 vol•• 1957). (2). Annales, 1932.
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SIitCLE'
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tures d'Etat sur celles des cités et des seigne~e&. .Ehrenberg, dans les premières pages de son maître-ouvrage, rappelle les conseils du « condottiere» Trivulzio à Louis XII en 1499,à la veille de l'invasion du Milanais : « Thois choses sont , nécessaires: de l'argent, encore de l'argent, et toujours de l'argent» (1). . Là aussi, les réalités du XVIe siècle ne sont que celles' du siècle précédent, mais grossies. Les problèmes financiers de Charles Quint seront de même nature que ceux d'Alphonse V le Magnllnime, maître de l'Aragon, de la Catalogne, de la Castille, . et de l'Italie méridionale, et dont les procédés financiers ont été récemment analysés (2). Ces problèmes sont toujours ceux provenant du contraste entre le caractère immédiat des besoins d'argent en tel lieu - palais ou champ de bataille et l'éloignement géographique, ou chrono~ogique, des disponibilités en numéraire. Plus 'l'Etat es~ étendu, plus les problèmes sont complexes'; et, si les territoires sont écartelés, tels ceux des HabsboUrg à leur époque de puissance, les dif(icultés se trouvent encore accrues. « Les richesses des rois, écrit H. Hauser, sont des richesses futures, et des richesses payables ici ou là, à Séville, à Barcelone, à Anvers, à Rome. Or, c'est sur place, et tout de suite qu'il faut payer. » Les ~estions de circulation des métaux précieux et es monnaies (numéraire et « papiers ») revêtent donc une importance fondamentale. L~ qui ne peuvent pas compter davantage au XVIe siècle qu'au Moyen Age sur des rentrées fiscales suffisantes et régulières, ~othèq:neDt et: '!liMent en faveur des prêteure, pour trouver du (1) EHRENBERG, Le siècle des Fugger (trad. française, pluis, 1955, S.E.'V.P.E.N.). (2) H. LAPEYRE, Alphonse V et ses banquiers (Le Mouen Age,
no' 1-2, 1961).
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· crédit, tout ce qui est possible : produits Jirlniers ') "":"et ée sera la fortune des Fugger bâtie sur le cmv.r6; . cargaisons espérées -les Portugais, au début dl! X'V1e siècle, seront les maitres de la mutation des : épices en argent sur la place d'Anvers; subsi«les "promis par les « Diètes», « Etats » ou « Coitès »; ~ revenus d'Ordres de chevalerie réservés au :roi . ~ tels les maestrazgos d'Espag.Ù.e cédés aux Fugge~ . et· autres financiers allemands; rentrées fisêales · affermées à d'innombrables fermiers et traitants ; 'fonction publique négociée au détail. grâce à cette VlnâIit6 des « offices » dont les produits étaient escomptés par les rois de France et le placement assuré par des financiers, industrie qui pren4 pré'cisément son essor au XVIe siècle. Mais toute hyPothèque ou aliénation n'étant toujours qu'un acte relevant du « bon plaisir D du monarque, rien de ' plus aléatoire que de telles garanties; d'où les gros iittérêts réclamés par les manieurs d'argent et les · profits des hommes d'affaires~~dont le niveau rap-' pelle ceux du Moyen Age, mais qui n'ont eux-mêmes qu'un temps: les banqueroutes partielles demeurent le meilleur moyen de transformer en dettes à long terme (rentes, juros) les écrasantes accumulationS des·dettes « flottantes D, à court terme. Mais les' besoins financiers des Etats grandissent aussi à cause de la hausse séculaire des prix, qui entraîne celle de toutes les dépenses d'Etat. '« F;n gros, a écrit M. Braudel, il y a eu désarmement progressif des Etats devant le coût gran,dissant de la vie. De là, leur âpreté à se. créer des ressources; à s'associer .au. mouvement montant des prix. Le plus clair de l'histoire des Etats au, xVI~sjècle · reste leurs luttes fiscales» (1) • . (1) Le Mlclfterran4e. p.409.
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B) Fermes et prêts. ~ Les principales opérations (inancières auxquelles donnent lieu les affaix~s 'd~Etat sont à classer sous deux rubriques,lesquelles: ·demeurent d'ailleurs en étroits rapports: les fermes . . ,et les prêts. Les premières intéressent à vrai· dire ,« tous les échelons de la société marchande .»(1); '. '. lIeigneurs, collectivités ecclésiastiques, municipa,. lit~s, Etats, font rentrer tout ou partie .de leui!l rèvenus par des intermédiaixes, les fermiers, et la , gamme aussi bien que le volume des fermes,'sont ' int'inÏs; les fermes sont en principe adjugées .~u plu:s offrant; mais le principe s'accompagne de" . toutes sortes d'entorses et de combinaisons•. Aux échelons élevés de la ferme, il est fréquent que ,la ., .,f~oumiS8ion s'accompagne, de la part du fermier, . . . . d'une avance . ortante à l'autorité qUi . yen a perception de droits; la ferme n'est alors .' qu'un certain mode de remboursement d'uni prêt antérieur; il en allait ainsi pour les maestTugos• .'L'adjudicataixe d'une ferme était souvent le repré .. ,. Iilentant d'un groupe (association de « parsonniers » ---:-' on dira des « cautions» alix XVIxe et XVIIIe siècles);
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FINANCES ,DE L'ANCIENaSGI.ME'
il pouvait aussi fractionner sa ferme et la cédèr à des a sous-traitants ».Lorsque le système de. la . ferme s'appliquait aUx revenus de l'Etat, il recoù... · vrait en général la perception des taxes ou impÔts indirects .: taxes sur les marchandises, droits .d.~ passage et douanes diverses; les princes faisaieni effort, le plus souvent, pour se réserver la levée des .jmpôts direc,!, en vue de laquelle ils disposaient d'une administration fiscale plus ou moins cohérente d' a officiers de finance ». Tel était le cas du royaume dè :France. Mais oit recruter des « fonc- . tionnaires .» capables, sinon dans les milieux marchands ? « Entre agents des finances et fermiers, note Ehrenberg, la différence était donc minime. Le plus souvent; les uns et les autres collaboraient étroitement. Ils formaient une classe solidaire. » Cette solidarité, faite souvent de com romissions, entre 0 IClers et ermlers emeurera len un trait constant des structures administratives d'Ancien· Régime.' « Un financier, écrira Le Tellier au siè~e suivant - et il entendait par là un prêteur du roi et iun fermier d'impôts - doit estre auprès d'un surintendant ce qu'est un soldat auprès d'un capitaine : il ne doit l'abandonner qu'avec la vie.» Naturellement, en raison de leur position personnelle de marchands et de banquiers, et de leurs fonctions de percepteurs de taxes, les fermiers étaient gens à avoir dJ)...,œé.dit, ~n permanencet}ls étaient alors 'en permanence aussi au service de l'Etat, selon un processus irréversible. Pour avoir placé des capitaux en p~êts au souv~rai~, ils ~taie~t devenus entrepreneurs fIscaux; malS pUIsqu'ils rentraient dans leurs fonds, ils étaient en position d,e faire de nouvelles avances d'argent au prince. Il y avait là une sorte de logique qui devait entraîner . bien des ho.mmes d'affairei! à des déboires doulou-
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BOMMES D'AFFAIRES AUXyIe SIÈCLE
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.. l'eux. Arrivés à, un certain' degré de l'apports avec l'Etat; les marchands.banquiers n'avaient plus la - liberté .de se dégager : l'histoire des Fugger le montre assez. Quant aux conséquences d'un tel système sur la moralité des gens des « finances . du roi », sur la corruption de toute la vie publique et sur l'exploitation ,des contribuables, elles sont suffisamment connues. A côté des fermes, les prêts - mais d'un type particulier. Le crédit public comménçait à peine à s'organiser et les rois ignoraient l'utilisation des emprunts à long terme placés dans un vaste public. Certes, ces procédés d'emprunt n'étaient pas tout à ~ait inconnus; le Moyen Age italien et espagnol les avait continûment employés, mais à la seule é~helle des cités: c'était le système des monti, c'est·à· dire de placements dans une ,clientèle- urbaine assez vllste de rentes, viagères ou perpétuelles, moyen· nant la cession d'un capital. TI se po~uivit au xvie siècle, dans le même cadre : les papes, nous le verrons, l'utilisèrent régulièrement à Rome. TI s'étendit même aux dimensions de l'Etat avec les juros d'Espagne et les célèbres « rentes sur l'HÔtel de Ville )l (Paris) à partir des années 1520. Mais en rmson de leurs formes archaIques - tout achat de rentes, à Paris, entramant la rédaction d'acte notarié - ces emprunts publics ne pouvaient assurer à eux seuls l'entretien des budgets royaux. D'où le recours aux prêts à court terme,. perpétuellement renouvelés sous forme de dette flottante. auprès des hommes d'affaires, des· marchands.banquiers, et des organismes nouveaux dont ils disposaient au XVIe siècle : « foires de change » et -bourses. Cette forme d'emprunts prit le tr..ot, puis le galop, des années 1500 aux années 1560, et leur volume attei· gnitdes sommes considérables sur les deux places
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d'Anvers-(Chatles Quint,:puisPhilipPè: Il). et' de '. Lyoli(Fl'ançois 1er, puis Renri II). Le dâliget :de' l'emprunt à court terme c'est que, à l'écheance;, . l'emprunteur est rarement en mesure de rembo~ser, l'échéance venant toujours trop tôt. Alors l'exq:pruiJ.t est: reconduit, les intérêts s'accumulent, :d':u,utTes : emprunts sont conclus dans l'intervalle et la! 'dette' fait boule de neige « dans une confusion et un .toUlibillon vertigineux» (Ehrenberg) qui entraînaient prêteurs d'argent et princes. Les taux des ,prêt~ ~," à, court terme oscillaient entre 12 % et 25 %l'an;:> 'ils étaient conclus en général pour des périodes "de ,trois mois correspondant à l'origine aux échéanc~$:" , des foires. Il arrivait que certaines firmes famili~es ; i les traitent avec leurs seules forces ; le plus souvent se constituaient de véritables syndicats : tel le fameux Grand Party de Lyon en 1555, ou les ,groupements de financiers génois, espagnols, allemands , qui concluaient des asientos à Madrid ou à Bruxelles. " Dans ce dernier cas, le pr,êt se compliquait d'UJ:l tr~nsfert de fonds à longue distance; la mona~hie espagnole vivait sur les arrivages d'argent;' d~~ Amériques ; mais les galions ne touchaient SéviUe qu'une fois l'an; les contrats d'asientos assuraiènt, à l'Etat des disponibilités sur diverses places d'Europe à termes fixes - le plus souvent sur la place d'Anvers en raison du rôle des Pays-Bas espagnols dans l'équilibre de l'empire des Habsbourg ~ et ils prévoyaient le remboursement de ces ,ayances',' en,Espagne.,L:int~!Y~:tltion des gens d'affaires était ainsi particulièrement nécessaire dans le cas~e8 Etats relevant de la couronne d'Elllpagne, où la. dispersion géographique des revenus à recevoir "'", s'ajoutait à celle des paiements à faire.
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taires des grands Etats; sur ces trois' poste~l'aug mentation quantitative, propre au XVIe siècle, fut: considérable. Mais, répétons-le, le mécanisme même des transferts ne fut pas une invention de l'époque. Les transferts étaient l'armature sur laquelle s'édi-' fiaient les arbitrages, quj prirent alors une ampleur considérable. Il s'agissait ici, pour les hommes " d'affaires, de faire fructifier leurs capitaux par les allées et venues des lettres de change entre les places, en profitant des variations des cours. Ce procédé compliqué, risqué (défaillance poss,ible du. « tiré Il) permettait en tous les cas de gagner (le l'argent sans tomber sous le coup des interdictions ecclésiastiques concemant le prêt à int~rêt, qui" _, n'auraient pas manqué de jouer sUes prêts avaient été faits, par les hommes d'affaires, sur une seule et ~me place. Mais les besoins de crédit (emprunts à court terme des Etats) et l'attrait du gain devin- ' rent tels au. XVIe siècle queles hommes d'affaires en,' arrivèrent à utiliser un type plus direct de placement sous la forme du « dépôt Il en foire : les « dépôts " étaient des avances faites d'une foire à une autre dans, une même ville, soit trimestriellement, à des taux variant selon le marché; ils furent régulièrement pratiqués aux foires de Castille (1), à Lyon, à Anvers, aux foires « génoises Il, mais pâtirent • partir de 1571 de la décrétale du pape Pie V quiles condamna explicitement. Les mlll"tres du jeu, c'est-à-dire les grands hommes , d'affaires, opéraient, à une éc'helle bien plus vaste que celle du Moyen Age. Ehrenherg a: calculé qUe, si les Pazzi, à Florence, disposaient au début du~', (11 Les foires de Castille se tenaient successivement à Vlllalon. MI!icllD.a dé! Campo, Medina de Rloseco, et de nouveau Medina dei Campo. Ici,les apparences étaient sauves puisque l'on tirait les traites sur des locaUtéi différentes. ',
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lillf et it celUi dl! Laurent et de Cosme de Médicis, ,tU milieu du :xva liIièble, repmentait 1 750 kg, le tdpitâl social d.es Fuggeï', en 1546, équivalait à 13 000 kg de métal précieux; dans la très brillante pMiOclè de 1511·1527 le profit annuel :moyen des FUggmo atteignit 54 %. Des ol'(Jissances identiques dans 1. trafiè lIîà1'Chand ont pu être calculées. De_ ~oupes rtSgiontlU:1C d'hommes d'affttires dtmûnent le XVIe siècle: 1ee Italiens et lei Allemands du. Sud. Le rôle joué par les Espagno18, Portugais, Flumands, a été beau.coup plus effacé; Anglais et FrançiÜs n'apparaiseent pour ainsi dire pas en tant que prêteurs dans les grandes opérations fmanclères dé surface intemationrue. La persistance dès cl t6seawc » italiens tt'est pas étonnante. Ds demeurent lél màttres et initiateurs de t01l8 les trafiès; mais, à la veille d'un décisü mouvement de bascule dawi là vie ~col1onûque continentale, qui se prodttii-a il11 X'\Tne siècle 4'\1'ee l'essor hollandais et brittlllruque, ils connaissent leur dernier grand liiècle. Le mouvement qui, dès la seconde moitié du ~~ei.l3lè. entl'aÎllé la restriction de leur ancien CI)m.JDerce 6\1'eo le Levant (invasions ottomanes), let inëite à 'se :retourner de plU8 en plus '\l'ers l'Ouest miBdit'manéeit : Espagne, Portugal, AÇDl'eS, côtes afrioàinel8 de l'Ouest; et vers la façade Nord·Ouest • l'Eü.tope ; ile sont done en place lorsque le trafie atlantique .'ébl'anle. Jusque Ve'l'S le milieu du x,"p 8iècJ~ les lIudeoDS italienttes p~ondêrantes aont, comme ab s"Îètlle pl'écédent, originaire.. de
'l'b18~ahe- Lucqut>is 01J. Florentins. Les Frescobaldi et tfllâltêtottl. il Londres, qui remplirent l'espèce d.'ihtv.tègta.efinanciel' lIépal'ant lete1Y1pèdes M&üciB dèa-eilli d~s Fo.gge~ ; les Af'fttitadi et Gaspar Ducci à AD'\Tèl's. ; les forts ttoniliremc « Lolnhards )) de Lyon ~
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, ':8On~, Strozzi; Guadagni, Pazzi, Capponi, l.A1bi.~: " , Dans la seconde moitié du,' sièclè les hommes,d~af-, fâir~s italiens de surface européenne sôtit :surtO:ut ",' Génois : Spinola, Grimaldi, Centurioni, Cattaneo, Doria, Sauli... ' ,,' '.,.' ' Ce déplacement d'influence a sans doute ses o:ri~ , gines au xve siècle : intervention préc!)ce, des , Génois dans le commerce maritime de l'Espagne .. " " Mais ce sont les conditions nouvelles du trafic de , 'l'argent espagnol empruntant la voie Bar.celon~- ': Gênes et délaissant le chemin d'Anvers, qui en font lé trait dominant de la seconde partie du « long:»" XVIE! siècle. C'est alors que joue à plein entre ,les mains génoises « la grande machinerie des foirés·' (le Besançon » (M. Braudel) qui se fixent, après· de " nombreux périples, à Plaisance à partir de 1579.; Les circonstances politiques aussi, en rangeant,,; entièrement, les Génois du côté de Charles Quint, ' contre François 1er, à partir de 1527, 'avaiElnt entraûlé les banquiers de Gênes dans le grand curousel des finances des Habsbourg, après av:oir ,servi Charles VIII, Louis XII et François! Jar,. Enfin, ils ont profité, à partir de la première ban, queroute de Philippe II (1557), de l'affaiblisseDJ,ept ," 'des prêteurs allemands qui avaient jusque-là tlmu une grande place dans les opérations financièr'~ , de Charles Quint, et, au-delà de 1575 (deuxième:' , banqueroute de Philippe II), du déclin des foires'de , Medina deI Campo - et du recul anversois. ~s hommes d'affaires génois tiendront les finances de "l'Espagne, de banqueroute en banqueroute, jusque vers le milieu du siècle suivant, époque où se ti\#t " le flot d'argent américain arrivant à Séville, époque, ' où, ,avec l'Espagne, l'Italie et le Levant, l'~spa,ée méditerranéen qui avait, depuis le XIIe siècle, bnposé ' ~s rythmes à l'Europe du Centre et de'I'OueSll,
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SI:kCLE
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semble s'effacer de la -carte économique àctive du continent. montée des hommes. d'affaires allemands - .Allemands de Bavière et de Franconie...,.... à partir . -du dernier quart du xv e siècle est l'autre fait re~ar~ cfuable de l'histoire des « puissances d'argent» au XVIe siècle. Fait explicable par la -situation des villes bavaroises au débouché des routes transal· pilles menant de Venise à l'Allemagne, et. de là, par leRbin, aux Pays-Bas et à la mer du Nord; et par leur position au cœur de la grande zone euro· péenne productrice d'argent (Harz, Tyrol, Bohême), zone qui fournit une production croissante à la fin du Xve siècle et au début du XVIe, avant d'être éclipsée par l'apport d'Amérique : mais celui-ci ne devient massif qu'après 1545. Fait explicable . aussi par la montée des activités industrielles en Europe centrale, stimulées par le commerce mer du Nord-Méditerranée et ses occasions de débouchés: extraction et travail des métaux (cuivre et fer), industrie textile (futaines: tissus de lin et de coton) ; d'où les ventes de produits textiles et métallurgiques, tant à Venise que dans l'Europe de l'Est et sur la façade de la mer du Nord. De fait, tous les . grands hommes d'affaires allemands du XVIe siècle ont d'abord fait fortune d~ les mines, la vente des métaux, des produits métallùrgiques .et des tissus. De là, ils sont passés aux opérations de crédit aux princes. Le destin des Fugger, s'il- est hois_ série d'un certain côté, par l'éclat de la réussite et la .dimension des enireprises, est cependant de ce - point de vue profondément typique et démonstratif. L'ascension des Fugger, à AugsboUrg, aux XIVe. Xve siècles, à partir de l'installation du -tisserand Hans Fugger en 1367, à-la fois artisan et commer... çant, est en soi banale ; Hans meurt en 1409, négo.
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dans les rouages' d'Etat que les plus grands Fugger tireront'.le maximum de leUrs entreprises d'indus~:,,:"trie, de,négoce et de banque. D'un côté, alliance , ' 'avec les Habsbourg, dont la cause est embrassée ,',-: sans réticence par ces hommes d'affaires catho,', , ,liques : pénétration classique à la Cour impériale , '; par les fournitures (vente de draps en 1473 à l'oc. casion du mariage de Maximilien et de Marie de ,', B~urgogne), par les crédits gagés. sur les mines , d'argent du Tyrol (opérations de 1485 et 1487 entre .' Jakob et le grand-duc Sigismond de Tyrol, qui gou. . vemait la province pour le compte des Habsbourg), ,:.'.puis par ceux garantis sur les mines de cuivre. de la . même région (1496, prêt à Maximilien). Le mouvement est alors lancé qui va faire des Fugger, pour des décennies, les principaux entrepreneurs et négo.ciants métallurgistes d'Europe centrale, avec le . ''< monopole établi, en particulier, sur les mines de ',':" cuivre du Nord de la Hongrie. Mais, financiers de :',:' Maximilien jusqu'à sa mort (1519), ils s'installent ,'. & Anvers (1493), dans ces Pays-Bas, cœur des possessions de Maximilien, et à l'époque même où les , épices portugaises commencent à s'y traiter sur . une grande échelle. Jakob Fugger, avec ses facto.. reries dispersées d'Italie du Nord à Dantzig et ,: / d'Anvers à Lisbonne, peut offrir ses services de banquier à Maximilien : il fera merveille en paro ticulier en 1509 en mobilisant en quelques semaines, par des lettres de change, des subsides que les alliés , .,- de Maximilien lui avaient promis, mais payables à dates éloignées et sur diverses places. D'un autre côté, alliance avec l'Eglise; et sur 'cette union financière du trône impérial et de . 'l'autelpontificaI, Jacob bâtit son exceRtionnelle . fortune. Un des frères de Jakob, Marc, était eccléastique ; de 1471 à 1478, il travaillera dans les .L·
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FINANCES DE L'ANCIEN R:tGIME
services de la Chancellerie apostolique. J akoba un comptoir à Rome même : opérations avec la Cùrie, 'avec les princes de l'Eglise qui passent par l'inter.. médiaire des Fugger pour leurs transferts d'argent, participation' à la ferme des Monnaies pontifical~s. Il ,aide financièrement Albert de Brandebourg' à acquérir l'archevêché de Mayence prêt de 2! 000 ducats pour l'achat à Rome de la confir~ mation de la charge et pour l'envoi du pallium. C'est alors que, pour pouvoir rembourser ,son han- ' quier, l'archevêque obtient de Rome la perception des « indulgences» en Allemagne (1516) ; désormais un représentant des Fugger accompagne frère Tetzel, le célèbre prédicateur des « indulgences Il, dans ses tournées et la recette de ce trafic ancien et traditionnel va moitié à Rome, moitié à Jakob; Luther bâtira la Réforme là-dessus : « Fuggerei, Wucherei. II Léon Schick a souligné pour sa part récemment (1) l'importance du rôle joué, dès les années 1490, dans les affaires de Jakob, par Melchior de Meckau, évêque de Brixen, trésorier des Habsbourg à partir de 1498; l'évêque fut habilement et personnellement intéressé aux affaires de la firme et, à partir de 1496 au moins, déposa une part de sa fortune dans les coffres des Fugger: apport d'argent qui a peut-être été décisif pour l'extension des affaires de la maison. L'évêque de Brixen aida Jakob dans ses démêlés avec les producteurs de cuivre du Tyrol, ce qui permit au banquier à partir de 1506 de monopoliser à peu près l'écoulement du cuivr~ et de l'ar- ' gent de cette province; lorsque le pape Alexandre VI, fit de Melchior un cardinal, les affaires romaines des Fugger devinrent aussitôt florissantes ; mais la mort du cardinal, en 1509, entraîna pour Jakob (1) L. SCRlCK, .Jacob Fugger (S.E.V.P.E.N., 1957).
BOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SI:kCLE
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une « crise de trésorerie », qu'il put surmonter. L'humeur guerrière et les ambitions impériales de Maximilien d,emeurèrent heureusement une source continue de bénéfices : l'homme d'affaires, en dehors des avances d'argent, vendait au prince soieries, draps, armes à feu et obtenait des faveurs douanières pour ses ventes de cuivre en Italie. Même constance dans l'entreprise pour ce qui était du transfert des revenus pontificaux du Nord des Alpes vers Rome. De tout temps, depuis le DUe siècle, les rapports avaient été forcément étroits entre collecteurs des fonds et marchands. De 1495 à 1520 les Fugger transférèrent les revenus de 64 des 110 évêchés existant en Allemagne, Pologne et dans les Etats nordiques. Pendant tout le premier tiers du XVIe siècle, la firme demeura le grand banquier de l'Eglise en'Pologne, Hongrie, dans les Etats autrichiens et dans toute l'Allemagne; et bien avant la célèbre affaire des «indulgences» de 1516 Jakob avait aidé au transfert des sommes recueillies à ce titre, service qui lui rapportait une commission de 5 %, non compris les bénéfices de change. Ainsi, sous Jules II, Léon X et Adrien VI les Fugger tinrent à Rome et dans les affaires de l'Eglise une place qui avait été auparavant celle des Florentins. Mais la chronique des Fugger - provisoirement arrêtée au moment de la célèbre élection impériale de Charles Quint en 1519 - est loin de renfermer toute la cc geste» des hommes d'affaires allemands dont les plus importants furent tantôt rivaux des Fugger, tantôt associés à eux. Ehrenberg a consacré quelques pagès aux plus célèbres d'entre eux: les Welser, Hochstetter, Haug, ManIich, Hervart, Tücher, Imhof, etc. B) Les centres d~affaires. - Même si l'on pouvait 'entreprendre une étude complète des fimt.es ita-
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~ :-'~j:~~}~~'_. etallemande.s,du. XVIe siècle, 'dans ,le cadre':-;,,:<; d~une8érie de « portraits» d'hommesd'affaire8'~t<,~ :~' de ,maisons, il reste.rait encore à anaIys,ei'.lé jeu ' de ces' points de rencontre des échanges européens , , qu'étaient les grandes'places de foires, de,bour8es",;:";~': de changes, de « dépôts '» et de finances. Quatre ':';;';,:;:; villes, et leur entoùxage régional, ont joué ce rôle '<,> ': privilégié de pôle d'attraction des affaires .: Lyo1J,"~;' Anvers, Medina deI Campo, Gênes. L'histoire n'a' ;-, pas encore débrouillé, pour toutes égaIèment l'éche: veau complexe des causes de leur essor et de leur" " " déclin, leur rayonnement respectif, ni la chronique : " même des grandes affaires qui s'y tr~tèrent. Chro~ '" nologiquement, Lyon apparaJt la {iremière, comme , foire de change et pas seulement 7 eu de commerce '" marchand, à la fin duxve siècle. Elle reste un~ " , " l , « Toscane française» jusqu'aux banqueroutes de la ',:' ',"', seconde moitié du siècle; son rôle comme centre ' de compensation (les' « quatre' paiements de Lyon ») " demeurera notable jusqu'à la fin du, règne de Louis XIV, mais sa grande époque se situe mcontes- ", ' tablement dans la première moitié du XVIe siècle. ' Lyon: a plus été, semble-t-il, un centre de foires , qu'un centre boursier; l'activité y était concentrée,',' dailsles semaines entourant les foires trimestrielles, ;; , alors qu'à Anvefs elle était devenue quQtidienne en raison de sa plus grande intensité. Le développement,! ' de la place, s'il trouve bien ses fondements naturel~ , dans le négoce (soieries et draps de laine italieJlB ,,' d'abord, puis épices, par ordre d'importance) et '", dans une situation de « contact du grand commerce.:',::,." d'importation et du commerce de redistribution ',; dans le royaume» (M. Gascon) (1) a dil beaucoup à ' '.:
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(1) R .. GASCON, Article, sur le commerêe des épices à Lyoli al1" XVI· slèèle CAnnales, no 4. 1960)., La thèse de ,M. Gascon sur 'la ',',', bourgeolsle lyonnaise du XVI· sièCle est en cours d'Dn}mlSSioD.. '~, ';.., , r',:',
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<1~ soUicitudè des rois de France qui, depuis, les' initiatives de Louis XI en faveur des foires (1~63) , -:-:- venant il est vrai après de premières mesures ~. . .pt~~s .par Charles VI et Charles VII ~ ont voulu , â.voir là un réservoir de capitaux à court terme où \':t>~ser,: d'où la liberté du commerce des métaux .'", ",précieux accordée aux foires. M. Gascon souligne ,," •qU.~en, tant que centre du commerce de l'argent, -X~yon fonctionnait bien avant l'arrivée des métaux ",américains: l'essor des foires de change date de la période 1494-1520. Nous verrons à' propos des " affaires royales quelques-uns des épisodes mar" quants de l'histoire financière de Lyon. Mais l'une -des 'originalités de la place tient à la rencontre; au .brassage permanent des influences italiennes ~'~eaucoup d'hommes d'affaires florentins y étaient "des réfugiés politiques - et allemandes : banquiers protestants ennemis de Charles Quint, ou autres spéculant sans vergogne sur les différences en.tre Anvers et Lyon. Par ailleurs, l'importance des transactions commerciales et financières, la variété des pièces de monnaie utilisées, leurs variations à êpaque décision royale, aboutissent à l'utilisation ~ comme aux foires de Genève de la mi-xv e siècle d'une monnaie de compte propre à la place, l'6cu 'de marc (65 écus au marc) « mètre international des valeurs » qui annonce la « monnaie de banque j) du XVIIe siècle, telle qu'elle sera lancée par la Banque d'Amsterdam. " , , .' Anvers a été beaucoup plus 'étudiée que Lyon. ' Bruges, quoi qu'on en ait dit, avait été au Moyen Age ,un marché plus régional qu'international. Anvers dut son rôle « mondial» à partir de. la fin ,du Xve siècle jusqu'au troisième quart du XVIe, à diverses circonstances économiques et politiques. « }»ortugais, Hauts-Allemands et Anglais confiti~
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FINANCES DE L'ANCIENR1J;GIME
tuaient, les trois piliers' du commerce mondial d'Anvers» (1). C'est la confluence du négoce des draps de laine anglais - succédant aux exportations' de laine brute vers la Flandre - des,' arrivées d'épices d'origine portugaise, et des fournitures minières, métallurgiques et textiles d'Europe centrale qui fondent la' prospérité marchande de la ville. Sa docilité envers Maximilien, Philippe le Beau, puis Charles Quint contribua A l'établir, d'autre part, comme centre du commerce de l'argent fournisseur de créditA court terme, c'est-A-dire selon la juste expression de M. Roover, comme « marché monétaire ». Cependant, les aspects les plus spectaculaires, parce que nouveaux, de l'essor d'Anvers ne doivent pas entraîner l'historien A des erreurs d'optique. L'Anvers du XVIe siècle n'est pas le Londres du xrxe - ni même l'Amsterdam du XVIIe siècle. Dans son récent ouvrage E. Coomaert a fait ressortir le caractère surtout européen et continental du marché anversois (2). Les Fugger et leurs pareils ne résument pas toute l'activité anversoise et le négoce avait plus de continuité et de permanence que les grandes ,opérations poIitico-financières traitées sur ,place.' ' La mise en, place de la Bourse d'Anvers - marchandises et changes -,. a dû être progressive. Elle était sans doute, réalisée dans les faits avant de rêtre en quelque sorte en droit, par l'édification d'un bâtiment spécial copié sur le modèle de la logiamarchande italienne (1531). Ma~s la croissance des opérations de finance - changes et « dépôts» par -rapport aux négociations de marchandises _ (1) VAN HOUTTB, Annales, no 2, 1961. , (2), E. COORNAERT, Les Français et le commerce international d AliVèrs ffln du XVo-XVlo siècle) (M. Rivière li Cio, 2 vol.; 1961).
HOMMES D'AFFAIRES' AU 'XVIe SIÈCLE
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semble s'être faite assez tardivement à partir de's années 1540. Ehrenberg ne devait pas se tromper de beaucoup quand il· notait : « Dans la formation des grandes Bourses, l'impulsion ne vient pas de l'offre des capitaux, mais de la demande des princes. » Certes, l'offre était bien, à Anvers, permanente. Mais les grandes opérations durent tout aux besoins d'argent de Charles Quint et de Philippe II, de même que celles de Lyon se développèrent sous la pression de François 1er, puis d~Henri II. Ehrenberg date des années 1540, et du grand effort militaire fait alors de part et d'antre, le fait que « Jes princes perdirent leur reste de prudence à l'égard des emprunts flottants à intérêt, qui devinrent désormais un expédient régulier ». C'est alors que,' tant à Anvers qu'à Lyon, les princes, avec Gaspar Ducci puis Schetz . d'un côté, le cardinal de Tournon de l'autre, comme intermédiaires respectifs, s'adressèrent non plus seùlement à des marchands particuliers, mais à l'ensemble du marché monétaire; les opérations d'emprunt à court terme se rapprochèrent de la forme moderne des souscriptions publiques. Le volume des affaires traitées sur ces bases grossit démesurément sur les deux places dans les décennies 1540 et 1550 : au-delà, à trois reprises, les souverains régleront leurs dettes par des banqueroutes (1557, 1575, 1596). Certes, M. Roover peut insister sur le fait qu'il n'y avait, même à Anvers, qu'une petite minorité de grandes maisons dont les disponibilités étaient suffisantes pour les prêts princiers; mais ces grandes maisons attirèrent les dépôts de particuliers, et pratiquèrent elles-mêmes l'emprunt sur le marché pour ·être en mesure, à leur tour, de satisfaire les demandes des gouvernements. D'où l'expression de Van Houtte qUi qualifie de « marohé
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.'. dis~~~J;even~ fiscaux;, « avals » de ~uDieipalités ~r' ou:de'uauts personnages. . le dernier tiers du siècle, Anvers· décline aU'profit du centre génois et de ses annexes:les fo~~ dites « de Besançon ». Dès le milieu du siècle, certamell des bases commerciales de l'essor anversois sont, '6branlées : diminution du négoce des épices, fe~et'iÙ'e de la factorerie portugaise, ralentissement .des exportations anglaises de draps. Le cominerce d'Anvers souffrit considérablement, par ". ai1le~,: des hostilités maritimes : les corsaires angI1ûs et néerlandais, en lutte contre l'Espagne, contrôlaient la Manche et l'on connaît l'échec final de. Philippe II dans sa tentative pour rétablir le cOD,~ôle de la route maritime Espagne-Pays-Bas 'profit. En 1568, le gouvernement anglais :.' à s'~ait saisi de cargaisons de métaux précieux, ." . propriété de banquiers génois. C'est alors que la route de l'argent espagnol vers Anvers commence à délaisser la façade atlantique de l'Europe pour . emprunter une direction méditerranéenne : SévilleB.,celone-Gênes. Les faillites chroniques .de Philippe II et de ses successeurs sont un autre élément d'affaiblissement de la Bourse anversoise. Anvers souffrit enfin directement de la guerre aux PaysBas entre Calvinistes et Espagnols (sac d'Anvers ,:~, par les Espagnols en 1576 ; entrée de Farnèse dans la Ville en 1585). La ville va demeurer jusqu'au xVIn8 siècle un centre bancaire et un marché monétaire actifs, mais dans le seul cadre régional et au profit du seul gouvernement espagnol, qui demeure , maître des Pays-Bas du Sud. La,montée des Génois dans la seconde moitié du xVI8 siècle Jl des causes tenant à l'ancienneté et à , l'exç~n~nce des techniques bancaires génoises. Mais ; .• ' _ leurprepondérance en matière de crédits, ·de trans-
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76.
FINANCES DE L'ANCIEN R:gGIME
rêrts et de « finances » tient autant à des facteurs écon:omiques profonds qu'à .des causes .politiques. A partir de 1528 les Génois sont devenus banquiers de Charles Quint. Ce sont eux: qui, forcés de délaisser les « paiements» de Lyon, incitent l'empereur, au début de 1535, à créElr les « foires de Besançon.» après avoir erré quelque temps à Montluel, près de Lyon, et à Chambéry (1534). Celles-ci vont être ambulantes et se tiendront successivement à Besançon, puis dans toute une série de villes des Cantons suisses et d'Italie du Nord; mais elles se fixeront le plus fréquemment à Plaisance. On a noté que ces foires ne quittèrent pas la vieille route terrestre. du commerce, toujours active, entre Méditerranée ~t mer du Nord par les cols des Alpes, la FrancheComté et la Lorraine. Leur caractère spécifique; fort bien analysé par Ehrenherg, c'est qu'elles servent d'instruments au centre d'affaires génois, première place bancaire d'Europe désormais, et qu'elles permettent la mise en place du système d~ la ricorsa qui fonctionnera en grand au siècle suivant. Désormais, Gênes devient le centre de distribution des arrivages de métal-argent du Nouveau Monde. Les foires dites « de Besançon », ou « à la génoise » reprirent à celles de Lyon le système de comptabilité en écus de marc; elles n'étaient que des foires de paiement, et ne négocièrent jamais des marchandises. On y procédait par compensation et virements. Les grandes maisons de Gênes qui, à travers .les banqueroutes, assuraient alors les asientos de Philippe II et de ses successeurs devaient verser des fonds en Italie ou aux Pays-Bas, encaisser les remboursements en Espagne et les transférer à l'étranger, et dirigeaient finalement vers l'Europe les courants de l'argent-métal espagnol arrivant à Séville. « Ce ne furent pas les mines· de Potosi,
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77 1
écrit Ehrenberg, mais les foires des Génois qui permirent à Philippe II de mener sa politique d'hégémonie et à ses successeurs, pendant des dizaines d'années encore, de soutenir des guerres. » Mais ces foires étaient nées du déclin d'Anvers, de Lyon et de Medina deI Campo., Elle demeurèrent très actives. tant que les Génois furent engagés dans les affaires _gouvernementales espagnoles - c'est-à·dire jusque vers 1620-1640.
IV. -
Finances princières
« L'Etat, au point de vue financier, n'existait pas, a écrit L. Febvre. Il y avait Je soûverain. Le souverain qui était un particulier (... ) mais qui ne pouvait trouver du crédit que comme particulier• .ce n'était pas la France qui empruntait en 1530, majs un prince, François 1er, qui inspirait plus ou moins de confiance avx prêteurs» (1). On a cité récemment une lettre de Philippe II (février 1580) fort significative de l'inexpérience financière des princes : « Ces questions de change et d'intérêt, écrit-il à l'un de ses secrétaires, jamais je n'ai pu les faire entrer dans ma tête; je n'en finis jamais de les comprendre» (2). Richelieu aussi, une fois au pouvoir, avouera son ignorance financière.
A) Les emprunts des papes. - On connaît désormais a:vec précision la situation des finances pontificales dans la seconde moitié du XVIe siècle depuis les travaux de M. Delumeau. Les dépenses grandirent 1 du fait des ambitions territoriales des papes en . (1) Le marchand du XVIe siècle; article reproduit dans le recueil: Pour une histoire à part entière. (2) ·J.'GENTIL DA SILVA, Annales, nO 4, 1949. . :
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ltaIie~ de la lutte contre les protestants en EùrÔPe. et contré les Turcs en M~diterrailée : Sixte.!'~t constrW.sit même une flotte de guerre. Elles grandirent aussi avec -les constructions coûteuses des papes de la Renaissance, qui voulurent faire ,de Rome une capitale grandiose; la seule reconstruëtion' de Saint-Pierre (1506-1626) demanda plus':de 44 tonnes d'argent fin, soit l'équivalent des :recettes bru,tes du Saint-Siège pendant une année entière à la fin du XVIe siècle. L'Etat pontifical tira des ressources croissantes de ses propres territoires' en Italie, par les impôts : d'où des révoltes cotilme celle'de Pérouse en 1540-1542. Mais il fut contraint d'emprunter dé plus en plus à partir de 1526,' et surtout dans la seconde moitié du siècle: en lUi de~ siècle environ Rome emprunta plus de 380 tonltes d'argent fin. Banquiers florentins d'abord, puis génois furent les intermédiaires obligés des papes. Sous Léon X et Clément VII -au début du _siècle il y eut une véritable « invasion florentine» ; Une trentaine de banqui~rs étaient alors fixés à Rome. La seconde moitié du siècle voit grandir la place des Génois, surtout sous Sixte-Quint, à la fin de la période. Ces hommes d'affaires brassaient, naturellettlent, toutes opérations : importation des blés, ferme"des mines d'alun de Tolfa, assurances maritimes, fe:tmes fisèales et douanières, paris - on pariait av.ec fureur au moment des élections de cardinaux ou de papes -- postes divers dans l'administration financière de l'Eglise, les depositerie, dont la: plus luerative, la depositeria generale, consistait à -tenir le mouvement de caisse de la Chambre apostolique; Mais surtout : achats et ventes des emprunts des papes~ Jes monti ; achats en gros et revente en détail. Sans doute, la nature juridique d,es monti était-elle adaptée aù.x interdits ecclésiastiques conce~t le
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; leur paiement était garanti par le produit certains impôts. Les parts d'eJllprunts, assiDri- " "lables'à ,des titres de rente, étaient dites luoghi d,i " 'monte. Ce système d'emprunt entra à Rome' en '.: " application à partir de 1526; mais il était_ tradi, " tionnel dans les grandes cités italiennes ou espa:.. gn~les depuis le XIVe siècle; Florence et Gênes 'le 'pratiquaient régulièrement; leurs. banquiers se ',contentèrent de le mettre à la dispositioll des , .,finances pontificales. Le service de la dette, absor"bait à lui seulles trois quarts des revenus de l'Etat ,:romain. Les luoghi di monte étaient vendus dans le ' . ' -,public, et pas seulement romain, à commission; un , ::marché s'établissait et la Ville Etèmelle devint une , boUrse des rentes. Les monti pontificaux se plaçaient ' . dans toute l'Italie; les banques publiques nées dans la péninsule à la fin du siècle consacrèrent à leur "achat une forte part de leurs dépôts. n est possible' ", que le système soit devenu finalement pour de', "l1ombreux épargnants, romains en particulier, «une' . .invitation à la paresse économique » (Delumea'Q.). " n,fut en tout cas l'un des mécanismes d'enrichis,,'-:~meli.t des banquiers de la ville. Si leur fortune :semble avoir été en général inférieure à celle des: 'principaux cardinaux et neveux des papes, M. Delu-' '~~au cite quelques exemples de belles réussites : , ,.... .;A.- Chigi, .mort en 1520, aurait eu un revenu annuel' '. "Aquivalent à 237 kg d'or; G. Ceuli laisse à sa mortt "en 1579, l'équivalent de 14 700 kg d'argent ... Les financiers du Saint-Siège, au XVIe siècle, appa'raissent de toutes manières comme les continuateurs des _,marchands-banquiers de la Cour d'Avignon, mais, à plus vaste échelle. " , c, ; ' , /
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FINANCES DE, L'ANCIEN. RPJ:GIME' -'
. B) Les finances de Charles Quint et de PhilippeD. - Les·. affaires financières de Charles Quint, puiS de·, Philippe II, dominent· incontestablement· toutes les grandes opérations du siècle. Elles sont de même. type dans l'un et l'autre règne, mais leur équilibrè interne évolue. Jusqu'au milieu du siècle le Nouveau Monde et ses apports métalliques ne jouent qu'mi· raIe / médiocre dans les forces vives de l'Empire. Les Pays-Bas - c'est-à-dire Anvers - fournissent alors une part considérable des revenus impériaux; ,la rupture se placera entre 1540 et 1550 et, à partir de 1560, Séville devient le centre fournisseur de , l'Empire. Le temps de Charles Quint n'est pas encore celui de. Philippe II. Charles Quint, selon M. Braudel, est « une collection de princes, d'EtatS et de budgets, de possibilités et de faiblesses financières » (1). Or, si l'on est en passe, grâce. aux tra.vaux de l'historien espagnol R. Carande, de tout connaître sur les finances de Castille, rien de tel pour les Pays-Bas; on connait· bien Jes mécanismes des affaires traitées par. Charles. Quint avec les grandes firmes fixées à Anvers; on est moins bie~ renseigné sur leu:t volume total - on l'était du moins, jusqu'à une date toute récente. Le gouvemement des Pays-Bas entretient en permanence pour le compte de l'empereur une dette flottante, à' court terme, sur la place d'Anvers: celle-ci se situait au niveau de 10 à 50 000 livres, en 1515; elle est à 7 millions, en i556. C'est à partir de 1525-.1530 que le centre d'Anvers commence à jouer son grand raIe de pourvoyeur de capitaux : les Fugger, Gualterotti, Hervart, Hochstetter, Mai-· tadiprennent des taux de 12 % à 15 % l'an sur ces (1) BRAUDEL, Les emprunts de Charles Quint sur la Dlaee d'Anvers (Colloque Charles-Qllfnt, C.N.R.S., 1959). Et le rapport de B. c.ua.um:s li Cologne (CollOqlltwn Karl V, 1958). . ..
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SI:kCLE
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'avances renouvelées de trois mois en trois mois. Lorsque l'accumulation des arriérés non payés .des dettes à court terme en arrive à une. sorte de .saturation, ~n « consolide» ces dettes par le moyen d'émission de rentes, viagères ou« héritières» (c'est-àdire perpétuelles), ce qui entratne le non-remboursement du capital prêté. C'est le mécanisme même des futures banqueroutes de Philippe II. Le montant de ces consolidations n'a· cessé d'augmenter : 80000 livres en 1516, 1 miIlion en 1554. « Sans doute, à partir de 1550, les. Pays-Bas ne peuvent plus supporter à plein le poids de la politique impériale. Tout l'effort, peu à peu, devient exclusivement le lot de l'Espagne et, au-delà, de . l'immense aventure du Nouveau Monde» (F. Braudel). Viendra alors le temps des asientos. La permanence du trafic des créances entre le gouvernement de Bruxelles et les hommes d'affaires d'Anvers entraîna la présence de « facteurs» du souverain, 'chargés de suivre le mouvement de-la dette aussi bien que de passer des contrats de 'four~tures et d'équipements pour les armées: Lazarus . Tucher joua ce rôle de 1529 à 1541 ; Gaspar Ducci de 1542 à 1550 - qui se fit dans sa charge une solide réputation de spéculateur et d'aventurier. Philippe II utilisera les services d'un Flamand, Gaspar Schetz (1555-1561) ; à la fin du siècle le Génois Fieschi tiendra le poste. n faudrait pouvoir suivre, à trave7-'S l'histoire exemplaire des Fugger, les hauts et les bas des rapports entre Charles Quint et ses f$nanciers prêteurs. L'analyse des dessous financiers de l'élection impériale de juin 1519 est à peu près faite •.Elle _marque le début de l'union étroite entre Jakob le . Riche et ses successeurs et Charles Quint : elle l'eXplique, en. vérité, car les deux puissances sont J. BOUVIER ET H. GEl\IIIAIN-MARTIN
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xoéoipJ'oqu.e. L'éleotion reviont ell tctut, l Charles. Quint, à 852 000 :florin.e, dont 548 000 fo'l.lmis pu les Fusge:r, 143000 par les Welser, le .:reete p~ deux banqu.iers génois et par le Florentin Gu.alt~... . rotti~ Jakob fut contrablt llour III première fois de faire· oe p1'êt Bans garantie, plQ"ce qu'il avait alofs besoin de l'al!p'li de Charles Quint pOUl" sauver SOs oréanoes $ur Maximilien défunt et $e$ vastes riaar.. ohé. de cuivre. Déso~ais « J akoh Fugf5el' pel'd sa liberté, celle de refuser des crédits " (L. Sçhiok). Uue pattie de la som,me avancée devait être rem... boursée en Espagne; J akobdut réclam~ avec fermeté, pour être payé, dims une· lettre célèbre du 24 mai 1523 : « Il est aussi connu et avéré. ~ 8U18 mon aide Votre Majesté n'aurait ja:rnais pu obtenir la couronne romaine ••• Si j'avais voulu ab~donner la Maison d'Autriche et favoriser la Fl-anee, j'au.raie obtenu heaucoup d'argent et de biens, comme 0Jl :me l'a p1'Opos&. " C'est alOl'll (1525) qu'il obtient de l'empereur la ferme des mtJ8strallSos qui devait finalement relayer avec d'autres fennes en Espagne (mercure d'AImaden) le cuivre honS!0is dans la g'ographie des grandes affaÙ'es des Fugger. MaÛI la contrepartie fut que, apl'~s Jakob, ·sea S~OeS&81U'8, cle plus en plus aeoaparés par les affaires anvçraohtel , et espagnoles, furent enp-atnés dans la l'onde ipJ~ nale des emprunts de Cha1'les QUÙlt et de Phi.. lippe II. TI Y eut 1Ul véritable « déplacement du oeDtre da gravité Il (1) de l'entreprise. Les Fuggex' en IU'l'ivà:rent, à pll1'tÜ' de 1540, à avoh eux·:m.&v.ee "aooUl'8 au "l'édit 8m' la plaee d'AnvQ" po~ ali~ mente:!;' leups prêts aux priJlC)8S : OD appeladt alors
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obligatio:as à co\U't· te1'D.J.e qu'Ua (~) P. JIAmIlJI', AWllllH, 18155. C'f.IIl\ lIA. saü qu'M_ F1asstr 8lI~ OOD.tralnt d'atiQdoDD.81' le OWW4I ho~lI.brtef.
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J.i4gooiaieu.t el/. BO'l1l'se. Laurs faote~ à ÂJl~eJS .'11, milieu du lIiècl~, mal cQlltr61ée,poWJsèJ'ent',.,wc affab;es financièJ:'68 : Veit Ha!l entraina la fimlo dans df!JS opérations oomidérables aveo la' Cour d'Angletel'1'e; son sucees,eUl' Mathails Oertel prêta 8UlS meS'!11'e à Philippe II en 1555·1557. Ehrenberg avait compté 17 prêts espagnols des Fugger; Carande en a dénombré plU$ de 100. Maie la première banqueroute de Philippe II (1657) marqua le début du déclin de la maison. « La Bourse d'Anvers, écrit: EhreDberg, fut fatale .ux ;Fugger, comme elle le .:fut à bien' d'autres maillons de oommerce. » Cepen. dant la firme déclina au,ssÎ en quelque sone plU.' pClnte nat'U,l'elIe. Après Anton (1525-1560), les IJUç~ C6SSeUl'S ne surent pas demeurer unis; ni s'adapter à l'évolution de la conjonoture. Il est vrai que Gênes, à 1'6poque des foÎl'es « de BeSlU1çQn II, était désormais mieux placé qu'ÂnV8I'S (et ~'Augs .. bourg). En tant que puissance financière, les Fugger disparalssent dans 1. première moitié du "VIle siècle. Ils avaient été les hommes d'affaÎl'es d'uns époque. Les avatars fin.ancÏers du' gouvernement de Phi.. lippe II montrent avec assez de netteté que le flot de l'argent américain, malgré ~on volume Cl'Olsllant jWlqu'à la f:in. du. siècle, ne suffit jamais aux hOIlOlnS, ni ne répondit aux rythJI16S des; besQins du gouvern.ement de l'Espagne. Philippe) II dépensa' toUjOU-ti plUl! que ses ressources. Portée en qUelque sorte par le dynamisme de la pl'oduction des JIlétaux précieux, l'la politique européenne excéda toujO'\l'E'e 'les Uloyens fo'l,lmÏs par l'argelit d'.Amérique. Et oe paotolç lui.même ne rendit pas Philippe Il intU.. P,' endlU'lt des hommes d'affaÜ'es. Les métaQ préa. oieu tl"averlilaient l'Espagne sans la féconder; l'argent venu .des « Indes » à. titre privé ne floldait' fina1e:œent que les ill1portat.iollitÎtrangn, aux-
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FINANCES Dlf L'ANCIEN RtGIME
quelles l'Espagne s'habituera aux dépens de son propre développement économique; quant à l'argent introduit dans le pays pour le compte du souverain, il était à l'avance engagé entre les mains des banquiers du roi, qui arrivaient toujours à le sortir du pays. Les foires de Medina deI Campo, qui eurent une grande activité des années 1550 à 1580, permettaient règlements commerciaux et financiers, mais les perfectionnements mêmes de leurs compensations, comme le souligne Ehrenberg, « fournissaient aux bourses mondiales un bon moyen pour tourner l'interdiction del'usure ... et masquaient une demi-banqueroute perpétuelle lI. Le défaut permanent, structurel, du ravitaillement en argent par le Nouveau-Monde résidait en effet dans son irrégularité. Les galions n'arrivaient qu'une fois l'an, d'un coup, et à une date plus ou moins tardive. Or ] a guerre avait des exigences quotidiennes ; seuls les hommes d'affaires pouvaient assurer des fournitures d'argent avec régulariité, grâce à l'armature internationale des foires et des Bourses. D'où la mise à l'encan des revenus espagnols de toutes sortes - revenus castillans essentiellement - et l'escompte du stock métallique apporté par les galions. Les hommes d'affaires se chargeaient des transferts, assuraient les paiements de par l'Europé et, surtoùt, avançaient l'argent nécessaire. Le tout par le jeu de& changes, puisqu'il s'agissait de régler aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, en Italie, partout où l'expansion espagnole marquait sa présence, des sommes en monnaies nationales, dont la contrepartie était libellée en monnaie espagnole. A l'échelle des possessions écartelées de Philippe II, c'était le triomphe des techniques bancaires mises au point au Moyen Age, et dont les Génois devinrent alors les grands maîtres, après la première banqueroute
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SIP:CLE
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de Philippe II (1557). Comme l'a souligné L. Febvre à propos de la thèse de M. Braudel, l'Empire espagnol du XVIe siècle pose d'abord un « problème de liaison Il : « Une bonne moitié des gestes de Philippe II s'expliquent uniquement ... par la nécessité de maintenir ses liaisons, d'assurer ses transports, d'effectuer dans chaque lointain district de ses royaumes les indispensables transferts d'argent. Routes des armées, des lettres de change, des métaux précieux ... Il A ces besoins répondaient les asientos. Les asientos, financièrement, équivalaient à une opération de change puisqu'ils comportaient crédit, transfert, et passage d'une monnaie dans Une autre. Mais, juridiquement, ils avaient une complète ori. ginalité en tant que contrats bilatéraux entre le roi . d'Espagne et un (ou plusieurs) hommes d'affaires. Les contrats indiquaient avec précision toutes les conditions de l'opération: somme avancée, montant du remboursement, prix du change, époque du remboursement. En tant que contrats, ils correspondaient alors à ce· que l'on appelait en France un « parti Il. Ils servaient surtout à financer la guerre aux Pays-Bas à partir de 1566, dont la CastUte faisait les frais. Il était exceptionnel que, d'Espagne, le gouvernement put faire passer directement du numéraire à Anvers: il le fit en 1567, lors de l'envoi du duc d'Albe. Mais nous savons que ]a voie maritime du numér~e par la mer du Nord devint rapidement impraticable et, ni du caté de la France, ni du côté de l'Italie, la Couronne ne parvint à organiser ellemême les envois de numéraire. Les asientos devinrent ainsi une obligation. Généralement ils étaient assortis de privilèges ou de libéralités : par exemple, le droit d'exporter du numéraire hors d'Espagne. Mais il existait deux modalités d'asientos : ils
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FINANCES DE VANCIEN R$GIME
pouvaient être conclus soit à Madrid, Il oit en Flandre. " aveeles gouvemeurs6l1pagnols. Lespremièrs étaie~t directement discutés" avec la monarchie, étudiés attentivement, et remboursables en Espagne: partie en paiements comptants, partie en assignations (libranzàs) sur l'argent A venir des « Indes» ou sur divers revenus de la Couronne, à des échéances plus ou "·moins éloignées. Les seconds étaient souvent négociés à chaud, en raison d'urgentes nécessités, et devaient être ensuite acceptés par le pouvoir de Madrid, ce .qui impliquait des risques pour les hommes d'affaires. Pour les asientos importants de véritables consortiums de négociants se constituaient et, fréquemment, les mêmes maisons se rencontraient dans des contrats différents; chaque participant pouvait d'ailleurs fractionner son lot et le céder à des tiers. Ces négociations entraînaient d'étroits rapports entre fonctionnaires espagnols de la Ha%Ïenda et hommes d'affaires; les faits de corruption ne pouvaient être que. fréquents. Le mépris et la haine de l'étranger en Espagne s'exerçaient avec force contre les banquiers allemands. puis génois, qui tiraient profit des besoins du Trésor. Les ,banqueroutes qui se succédèrent jusqu'au milieu du XVIIe siècle - 1557, 1575, 1596, 1608, 1627, 1647 - n'étaient pas tout A fait des interruptions de remboursement, car Philippe II et ses successeurs n'avaient pas la liberté de ruiner tout à fait leurs prêteurs. Ils se contentaient de « consolider» la dette flottante grossie par l'accumulation des asientos, c'est-A-dire d~en étaler le remboursement en donnant A leurs créancie:fs ·des juros, c'est-A-dire des rentes (1). Celles-ci pouvaient être, par la suite, . (1). Sur les ,rapports étroits entre (IIcienlos et luros, voir le très suggestif article de M. A. CASTILLO, Dette flottante et dette consoen Espa(p1e de 1557 à 1600'(Annales. no 4;1963).
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HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SI:kCLE
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négo.ciées, et les préteurs, avec plus ou moins !ie pertes, .rent;rer dans leur capital. D'ailleurs, très au (ait de!1 pratiques princières, les hommes d'affaires s'efforçaient toujours de tirer pied ou aUe de leurs engagements; il arrivait souvent qu'une partie dU. prêt faisant l'objet d'un contrat déterminé était versée non pas en numéraire, mais en marchandises, à bon prix; ou mieux encore, en anciennes créances du gouvemement laissées en souffrance. Ainsi prospérait la « finance », alors que l'économie espagnole s'anémiait. La première moitié du XVIIe siècle verra s'étendre, après la mise à l'encan des métaux d'Amérique et des richesses du pays, « la crise de la puissance et de la conscience espagnole» (1) et co~en cer la décadence séculaire de la péninsule ibérique.
C) Les finances françaises: nouveautés et tradition. - Etant donné la natUre même de l'économie, . de la société et de l'Etat, la contradiction permanente demeure entre ressources publiques et dépenses publiques. . . Quant à l'administration financière d'abord, elle se modifie sans doute assez profondément de François 1er à Henri IV, mais comme à tâtons et par à-coups. . . . La monarchie tend à unifier, à simplifier et à rendre plus efficace l'administration fiscale; elle brise de 1523 à 1536 l'admini!1tration concussionnaire des grands officiers, « Messieurs des Finances» . - exécution de Jacques de Beaune, sieur de Semblançay, en 1527 - et met en place, très empiriquement, par des réformes qui se poursuivent jusqu'à Henri IV, une achninistration centrale et provinciale des finances qui a pour piliers « Conseil des ., (1) P. VILUl, Le templ du QuIchotte, Europe, 1956.
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FINANCES DE L'ANCIEN R~GIME
Finances» d'une part, « généralités» d'autre part. Mais les hypothèques pesant sur les finances n'en sont pas levées pour autant : la vente des offices (Bureau des parties casuelles, 1522), leur hérédité, et leur multiplication font qu'une partie de la « fo:qction publique » commence à échapper au pouvoir. D'ailleurs ni du côté des officiers de finances, ni du côté du prince, les habitudes ne changent; l'argent ne rentre pas mieux, alors qu'iJ est dépensé de plus en plus rapidement. , D'où l'extension des « rentes sur l'Hôtel de Ville », à partir de 1522, qui commencent à fonder la notion de crédit public et la pratique de la dette à long terme. D'où l'épanouissement du second type d'emprunt royal, celui-là même que les conditions économiques nouvelles du XVIe siècle permettaient à grande échelle: l'emprunt à court terme, « 'de foire ll, passé avec les grands marchands-banquiers qui puisent dans les disponibilités monétaires des places commerciales qu'ils contrôlent. C'est là le rôle de la place lyonnaise et des hommes d'affaires toscans et allemands. On a provisoirement dénombré 209 sociétés de marchands-banquiers en France au XVIe siècle, dont 169 avaient leur siège à Lyon (143 Italiens, 15 Allemands ou Suisses). Ainsi prépondérance lyonnaise, et prépondérance italienne. Ce sont les guerres d'Italie, à la charnière des Xve et XVIe siècles, qui entraînent de plus en plus les marchands-banquiers de la péninsule dans les affaires de prêts au roi. Sous Charles VIII. Louis XII et au début du règne de François 1er, les banquiers génois traitaient les affaires de prêts en collaboration avec « Messieurs des Finances li; ceux-ci offraient fréquemment leur garantie personnelle, plus solide que celle du prince .. Ainsi en 1496, en 1507, en 1515 et 1516. Après 1528, la rupture entre Gênes et la
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France est complète. La place sera libre, à Lyo~ pour d'autres hommes d'affaires italiens et pour les Allemands du Sud. Il est vrai que les rapports entre François 1er et les Florentins de Lyon passent aussi par des hauts et des bas, selon l'état des rapports politiques entre les Médicis de Florence et la Cour de France. Mais c'est à partir des années 1530, une fois définitivement liquidée ou amoindrie l'ancienne oligarchie des hauts officiers de finance, que la monarchie tente de donner quelque régularité au système des emprunts de foire à court terme. De 1536 à 1538, sous l'impulsion du cardinal de Tournon, lieutenant général dans le Sud-Est, et de quelques grands officiers royaux, une série d'opérations de prêts en foire de Lyon fournit à Fran~ois 1er et Henri II des disponibilités importantes. « Plus encore qu'Anvers, a écrit Ehrenberg, la Bourse de Lyon résulte d'un effort conscient des souverains. » C'est que les motifs politiques -le règlement des dépenses de guerre - sont pressants. A partir de 1542 - on retrouve encore ici l'importance des années 1540 dans les affaires financières européennes - les emprunts royaux à court terme, renouvelés trimestriellement de foire en foire, à 14-16 % l'an, deviennent réguliers chaque année. A cette date, Tournon ne réside plus régulièrement à Lyon, mais est représenté par des commissaires royaux qui utilisent les services de J'intermédiaire allemand Jean Kléberg (mort en 1546, créancier de François 1er pour 13500 livres). Hommes d'affàires allemands (tels les Welser) et italiens participent aux opérations. Cette nouveIle série d'emprunts demeure cependant mal connue; il Y en eut en 1542, 1543, 1545, 1546; en 1547, à la mort de François 1er, l'ensemble de la dette royale à court terme, à Lyon, s'élève à 6860000 livres - soit,
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L'ANCIENR~(;IME'
selon R. Doucet, le' total des recettes du Trésor pour l'année ••• Si en 1548 les deux tiers dé cette é première» dette sont remboursés, le JD.ouvement reprend, sans interruption de 1549 1,1557. Les créanciers demeurent toujours l la fois des maisons italiennes et allemandes; parmi ces dernières, on connaît plus particulièrement le raIe très actif de 'deux banquiers de Strasbourg, MinItel e~ Obrecht ,qui, quoique Réformés, ont été banquiers de Henri 11 et de Charles IX. Au début de 1555, la dette s'élevait à 4937000 livres. Comme les emprunts étaient garantis sur divers biens du roi et des commissaires royaux, les ,obligations royales étaient négociées et avaient un cours sur la place: « Rudiment d'une bourse des valeurs» (R. Doucet). Le « grand par'y » mis sur pied en 1555 ne fut à aucun degré ~e révolution dans les te'Chniques des, prêts à court terme, mais le prolongement et l'ess'ai de inise en ordre des opérations des années ~té. rieures; par contrat en bonne et due forme avec ses créanciers étrangers (pany) Henri II a l'ambition d'unifier les créances anciennes, d'étaler leUr remboursement sur dix ans, en 41 foires, « véritable plan d'amortissement de la dette» (Ehrenberg), en donnant aux prêteurs des assignations sur les recettes générales de Lyon, Toulouse, Montpellier - et en leur demandant de nouvelles avances, incluses dans le contrat. Mais l'opération demeura ouverte, c'est-à-dire que d'autres prêts vinrent s'ajouteJ:', dès la fin de 1555, à la masse primitive. , Finalement, le total des créances du « grand party » - qui n'aurait été viable que si les premiers engagements n'avaient pas été dépassés - 'atteignit J2 200 000 livres, soit la plus forte dette qU'l:1D- roi de France ait' jamais eue jusqu'à cette époque. Comme dans la plupart de cessort!'s d'opératioilB,
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. o~ J;levoit pas avec précision avec quels fonds traM v~ai~nt.les banquie~;
il semble qu'ils devaient, une fois le contrat signé, revendre « au détail » au moins une partie de leurs créances, et intéresser par là' aux emp~ts de nombreuses personnes. C'est ce fait qui a frappé bien des contemporains et qui donne une certaine allure de nouveauté, de « souscription publique» à l'ensemble de l'opé ration. La « chute» du « grand party» .n'est qu'une banqueroute princière classique, qui commence en 1558 : le roi réduit les trois quarts de ses paiements, verse à ses creanciers des rentes sur la ville de Lyoni .. La mort de Henri II e;n 1559 donne le coup de grâce à l'opération; la liquidation des contrats de 1555-1558 trllfnera jusqu'aux années 1580 et ne sera d'ailleurs jamais close, en ce sens que les dettes royales ne furent pas tout à fait éteintes - il s'en fallut même de beaucoup. « Le grand parti avait accordé dix ans de répit au royaume »selon R. Doucet. Il avait fonctionné parallèlement aux foires d~ Lyon, qui étaient sa base réelle. Mais l'infidélité royale retentit à son tour. sur la place de· Lyon, pour .laquelle' les banqueroutes de la seconde moitié du siècle - d'autres suivirent celle de 1558, et dès 1567M1568 - furent l'un des éléments .' de son affaiblissement. Dans le dernier tiers du siècle, époque des banqueroutes d'Etat sur le continent, de la crise des centres d'Anvers et de Lyon, de l'infJ.a:tion en Franc.è des « mauvaises monnaies », et des troubles civils et . religieux qui agitent les profondelJU .du royatm;le, les relations entre hommes d'affaires et monarchie en France voient s'accuser des tx'aits anciens, mais cp,i' acquièrent' désormais un certain oaractère de généralité. On entre dans l'ère des « partis », des « fermes », des « traiiés », .qui se. ProM
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longera durant les XVIIe et XVIIIe siècles. Evolution inéluctable : la défiance des prêteurs du roi' 'êtaiit accrue, les administrateurs des finances royales, pour obtenir des prêts, devaient de plus' en plus hypothéquer certains revenus fiscaux du Trésor. D'où les « partis» : plusieurs hommes d'affaircs, groupés lorsque l'opération était d'importance, affermaient,telle ou telle ressource fiscale, c'est-A-dire se faisâient percepteurs de droits pour rentrer daD.s leurs avances. Le principe de l'affermage fiscal n'était pas nouveau; la pratique non plus. Mais cette dernière prend désormais des proportions nouvelles et aboutit Ala mise en place dans l'appareil d'Etat lui-même d'une oligarchie de financiers étrangers drainant en France même l'argent ddnt ils ont besoin et dont les pouvoirs succèdent, A tout prendre, A ceux de « Messieurs des Finances lI, contre lesquels la monal'chie avait· tant lutté dans la période précédente. Pour les recettes du domaine royal, pour celles des aides, traites et gabeHes (impositions « indirectes lI) les fermes sont de règle. Elles permettent sans doute au roi l'économie d'une admi;' nistration et lui assurent des rentrées dans des délais meilleurs, puisque les « fermiers » font des avances. Mais les fermes sont A l'origine d'innombrables concussions au moment de l'adjudication des baux et elles entrainent, pour les contribuables, les conséquences les plus néfastes. Sans doute distingue-t-on au XVIe siècle les débuts. d'une .concentration des fermes, dispersées au niveau' des paroisses : d'où la multiplication des fermes dites « générales » fusionnant en .un contrat des' traités jusque-lA différents; l'exemple le plus connu en est le « bail des cinq grosses ·fermes » (1584) qui, après quelques tâtonnements, est définitivement appliqué A partir de 1598. Les « receveurs », dans les
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" généralités », se contentent d'encaisser le montant des baux et ont un droit de contrôle fort théorique sur la gestion des fermiers. Les {( fermiers » ou « traitants » deviennent ainsi des officiers publics provisoires, pendant la durée des baux qui varient de 2 à 8 ans, et sont renouvelables. Mais une fois la pratique de la ferme bien entrée dans les mœurs, son application ne peut que s'étendre à d'autres objets que certaines rentrées fiscales : le roi peut conclure un « parti» ou un « traité» pour les objets les plus divers : ravitaillement des troupes, fournitures d'armement, négociation en bonne et due forme des « offices » désormais vénaux et bientôt héréditaires ... Les « traitants» deviennent des entrepreneurs polyvalents. De ces personnages, qui ont défrayé la chronique du temps, on connaîtra surtout les Toscans de Lyon, fixés à Paris dans le dernier tiers du siècle. A l'extrême fin du siècle seulement, semble-t-il, quelques noms de traitants d'envergure, d'origine française, apparaissent. Les Florentins qui, dans la première moitié du XVIe siècle, ont progressivement perdu leurs positions en Angleterre et aux Pays-Bas, et qui doivent laisser aux Génois les grandes opérations des Habsbourg, ont désormais, avec certaines firmes lucquoises, la France comme terrain réservé. Le fait que deux Médicis soient devenues reines de France sous Henri II (Catherine) et sous Henri IV (Marie) explique d'ailleurs la solidité des positions conquises par eux : ils les conserveront, malgré l'intermède d'un Sully, qui ne les aime guère, mais est contraint de s'en servir, j1:l8qu'au milieu du XVIIe siècle. Les Salviati, Strozzi, Capponi, Albizzi, Guadagni, Diaceto, Rucellal, Gondi, Bandini ont fourni non seulement des financiers, mais des hommes de guerre ou d'Eglise à la monarchie. Parmi les Lucquois : les Bonvisi et, à la
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, tiD, du lièol6, les Cenaud et Zametti. La plu.,~!Sl&bfÇ d.e. fermes de l'6poque fu.t l'entreprise dite lQ grand party du '61(1585) par laquelle fultent affenn:i1s les (1 greniers à sel» des promces du Nord et de l'Ouest; à un mo:œent de pénurie de sel, le 8f(Jntl p(Jrty, avec Zametti, détenait le monopole d'aohat du sel ibérique et de sa vente dans oertaines l'égions !ran... 9aises •.• De grands personnagel'l de la COU1' avaient été intéressés aUx bénéfices de l'af'faix'e. Sully· en parlera dans ses M'rrwiru. à titre d'exe:rnple de rapacité des. financiers. A quelques· reprises (en 1584, en 1597) furent agitées cont1'e le8 b'aitants des menaoe~ de poUl'8uites. La monarchie n'exigea le plus souvent que de simples versements d'amendes. Mais il· faut bien reoonnaitre. encore une fois, fJ1ltl tous les défauts de l'organisation. financiboe du. temps tenaient à des (lauses profondes ~ ne dis~ paraib'ont CJU'avec les transformations radicales de la' fin du :X:VIUQ siècle.
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de « modernité )1 attachéè au XVIe siècle doive ê'b'e 0mployée avee précaution. Les grands ho.mes d'affaires du XVIe sièclenerullJparaiS$ent.üs pas, de la scène finalement, en tant qu'entrepreneU1'8 ? Et l'on' a pu poser, aveo l'alson, cette question:' (( Ne rep:résentent@Û6 pas bien un Moyen Àg8DloUR l'ant ?» (1). Les Clonditiou.s de leU1' réussite ~ oo~e lei oauael!l de leUl'8 écheos ~de!qeQ,1'ent œalgré tout , d'au.cie:u. type; iIli'I ont e~ploité dei p08ition. ~ . œ.onopole, 'travaillé S'Q.1' de. maroh61l in6guliel'i et disC)op.tm,us, Ile 18l>nt 'levés pal,' 1ell U'afiosd'm~ f!lW1oell, . ont 6troittlmeut att.aché lev' f01'tae
BOMMESD'Â.FF..4:11UCS A.U XJ'Je SI:kCLE
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de~ pèe@s. Il y a danll tOut cela de l'cwennn'.; 011 n'y rCQonnaÎt PA" lell UQit8 fort différents du o!\pitwmo copwmpfJrlsin qui de1UJlJlde une cmame régularité et ".atioJ1a1it~ clUlI'J le. affaires et qui recherche davantage l'exten. liOU: ~antitative des op6ratioD$ qu.fil le pal'i risCJ"é sUl' ~elquel'J grosses affaires. Au. fond, ,,'ést la speculation sur It;ls ohanges Cf\Û, comme au !\1oyen Age, l'elite la grande préO«,1cupatiQJl des JUlll'Chands-banquiers du XVle siècle. Elle demeu.. :rera 4'ailleUl's, jusqu'au m.i1ieu du XIX" siècle, }'op4. ration favorite. de la pl'Ofe8Sion bancaire. Mais ce no ,eront p11l8 a101'8 les «cambistes li qui joueront le l'Ôle de mattres de jeu. dans les grandes opérations de (( l'iIldustrialism,e )J. Ds apparaitront au contraire; à cette date, comme gens d'Ull a'Q.tre âge, à l'arrière. garde du mouvement capitaliste. Or, la tentation - et l'erreur d'appréciation - serait de voir en eux, au XVIe siècle, une avant-garde du futur systbme de production et d'6ehanges. Ce q1U C/lt frappant, tout au contraire, c'est « le faiLle développement des structures du capitalisme au XVIe siècle dans la vie économique générale » (1). A propos de l'extension des affaires financières des grands marchands-banquiers on a pu écrire, non sans raison : « Il s'agit moins des débuts du capitalisme que de l'extension du prêt à intérêt à des taux le plus souvent uSuraires » (2). L'excroissance des phénomènes de ,finances (prêts aux princes sous toutes leurs formes) est, du point de vue du développement économique général, un fait négatif; Tout ce qui va dans les Trésors d'Etat, avances diverses, capitaux des offices et des rentes, etc., est détourné du secteur de la production. La mentalité même des hommes
-ü.Pogoeto ..... 6. çelle
(1) P. JEANNIN. Le81Jlal'e1umdB du XVIe siècle,p. 91·92. (2) L MOMNJEB, Annales, 1948.
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FINANCES DE L'ANCIEN RJ!GIME
d'affaires du temps n'est-elle pas une sorte detraduction de cette stérilisation par la « finance »..de capitaux qui auraient pu être actifs? Ce n'est pas un trait propre à la seule société française. que le passage de la « marchandise Il à l' ( office li, ou à une· position sociale rentière (1). En bref, les Fugger, pris ici comme symbole, ne sont pas les précurseurs des (( rois Il du capitalisme triomphant du XIXe siècle. Mais cela ne signifie pas, répétons-le, que malgré eux ils n'aient pas préparé certaines des conditions de l'épanouissement ultérieur d'un autre système économique. Les assentistas, (( b'anquiers de Cour li, ( traitants Il passeront; le .marché, les marchés - marchés nationaux, marché international demeureront. Grâce à eux - sans oublier d'autres facteurs de développement - le capitalisme ( commercial Il pourra se transformer en capitalisme ( industriel Il. (1) Excellents développements sur ce point dans lntroduction à la France moderne.
lIiANDROU,
CHAPITRE
III
VUE PERSPECTIVE DES AFFAIRES DE FINANCE' AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES I. -
Economies et finances d'Etat
« Au siècle des Génois, 1550-1630, succède le siècle de Colhert, qui n'est pas de prospérité» (1). Une malédiction commune plane sur le « long XVIIe siècle» de 1630-1640 à '1720-1730; avec la haisse de production des mines américaines, le métal lancé dans la circulation représente une proportion décroissante de la masse monétaire totale européenne. Même si les faits monétaires ne sont pas, à eux seuls, déterminants et explicatifs, il n'en est pas moins vrai qu'au dynamisme chaotique du XVIe siècle succèdent des temps de rémis.sion, de plafonnement et de secousses extrêmement hrutales entre hausses et haisses des prix, dans le court terme. Dans toutes les zones touchées Pl:lr la « haisse séculaire des prix » - mouvement visihle dans le long terme - se reconnaissent des phéno.mènes identiques: langueur des affaires, haisse du taux des revenus, haisse du rendement des· impÔts. . . Il est alors justifié de rattacher à ces phénomènes (1) F. BRAUDEL, De l'or du SoudaD. •• (Annales, 1948). J •. BOUVIER ET H. GERMAIN-MARTIN
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nNANCES IJE L'AiVCIÈN R:tGIME-:
d'ensemble tout ce qui touche à la politique etatique en matière de' finances, de monnaies et' de dévelop:". pement . économique. A la base, la déjà vieille contradiction, mais qu.i prend, en temps de « réces~ sion lI, une acuité dramatique entre les besoins d'argent des souverains et les difficultés de ~'en pro.curer. Il faut citer Colbert: « Je crois que l'on demeu:rera facilement d'accord de ce principe qu'il n'y a que l'abondance d'argent dans un Etat qui fasse la différence de sa grandeur et de sa· puissance» .• (Rapport à Louis XIV, 3 août 1664). Une conjoric,; .. tian, génératrice de tensions plus vives encore qu'au . . XVIe siècle, se produit dans le long XVIIe siècle .entre la grandeur et le désir de grandeur des monar~ .chies .et l'état de faiblesse des instruments de la i!andeur : le développement économiqp.e, la riches~e nationale, la capacité contriby.tive, les res80urcea .en argent frais. D'où les divers aspects de la théotie . -' ii théorie véritable il y eut jamais - et de~a pratique mercantiliste et l'importance du rôl~ attribué aux mf.taux précieux par les gouvernante de ce temps, qui recherchaient d'autant plus à en capter les sources - essentiellement par le commerce extérieur - que leur rythme d'accroissement avait faibli. Le mercantilisme dans ses pratiques très empiriques était adapté à une ère de constriction monétaire. « Les hommes, dit Marc Bloch, furent impuiSsants contre une gêne monétaire qui dépais- . ~ait leurs possibilités d'action Il (1). . ; Politique monétaire et finances de l'époque mercan1;iliste sont alors mieux explicables. A la « guerre d'argent Il (Colbert) -'- c'est-à-dire la guerre commerciale appuyée sur la force militaire - s'ajoutent lcs ,mutations monétaires en série, « ..... dévaluations» (1) Marc BLOCH, Aspects ·économiques du siècle de Louis XIV (C.D.U., 1 9 3 9 ) . . .
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que' ne ~em'lent pas .fondamentalement contrarier "quelques « renforcements» opportuns :en1700 '.la livre tournois ne représente plus que 7,02 g 'd'argent fin contre 17,96 g en 1513. Ces muta'ti~ns, plus nettement encore que dans les siècles précédents, représentent à la fois un effacement partiel des dettes de l'Etat, un expédient fiscal, "un artifice de trésorerie. Quant aux méthodes fiscales et affaires de finance, elles se poursuivent ,dans. la France du XVIIe siècle selon l'exacte trajectoire, de, la seconde moitié du xVIesiècltf : le mot e « traitant » succède au mot « partisan lI, mais les réalités demeurent les mêmes; la monarchie fait '~frlt de tout; plus encore qu'au XVIe siècle la , po~tique.gouvemementale relève de la conjoncture .' de' guerre extérieure, et presque continuellement d'Henri IV à Louis XIV les finances sont finances de temps de guerre. Mais comment percevoir aisément taille et taxes en période de pénurie moné.taire? D'où, précisément, avec l'inflation' des '1,>e!!oins d'argent-, l'indispensable rôle des financiers . et des banquiers, gens « ayant du crédit» - plus que Je ministre, plus que le souverain ...-:. et que ministre et souverain protègent tout en les maudiss'ant, Autre signe de la continuité des méthodes financières anciennes dans la France du XVIIe siècle, l'absence de crédit public", Ce sont de~,particUlier8 en tant que tels qui prêtent au roi; prêtent-ils' d'ailleurs? Le roi vend des offices, des billets de loterie, des rentes (perpétuelles ou viagères), il n'emprunte pas. Qui sOUBCrit une rente ou achète une charge aliène son capital; l'Etat ne le rem, bOUrsé pas. Dans le même sens, l'avantage présenté par les financiers du roi - du point de vue royal c'est qu'ils se remboursent directement sur le contri-
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Jm.able ; le roi n'a pas à puiser dans ses disponibilités ,pour les pàyer. D'~ù la rigidité d'un tel sysièmè. Ce qui manque toujours, aux -moments aigus de pénurie budgétaire, c'est un « volant de trésorerie ». On constate cependant une nette divergence d'évolution entre l'Angleterre et la France : la très provisoire « Caisse des Emprunts » de Colbert ne soutient pas la. comparaison avec la Banque d'Angleterre et finalement. si l'expérience de Law échoue· à Paris à l'entrée du XVIIIe siècle, c'est que le contexte français est' encore trop en retard pour. supporter sans dommage les médications nouvelles. de l'apôtre modeme de l'inflation de papiermonnaie. Au caractère traditionnel des affaires de finances sous Louis XIV correspond ·l'insù.ffisance es· mo ens monétaires de crédit et de han e à l'interieur même du royaume. Situation en Angleterre (1) • . S'il existe des points communs dans la situation des finances publiques des· deux pays aU cours des xvue et XVIIIe siècles (augmentation de la pression fiscale directe et indirècte, recours croissant à l'emp~t; élargissement de la circulation fiduciaire, rôle considérable d'adminis4'ations financières centrales spécialisées) les divergences sont bien· 'plqs importantes. Mais elles ne prennent leur vr~ relief' qu'à partir de l'extrême fin du XVIIe siècle: dans un pays,' l'~leterre, où le dévelôppement économique est p us accéléré qu'en France, où le sens de rentrêprise, des « âffaires », a gagné à la fois monneyeà men et landed men, où les changements sociaux et politiques ont donné poids et efficacité à l'influence. des grands négociants, banquiers et manu(1) Voir. R. MOUSNIBB.L'4volutiOD des. fiDaDces ,publlquea en FraJlcII et en Angleterre pendant les. guerres de la llgue d'AujsbOUrg et de succession d'Espagne (.Rell. hilitOJ"ique; 110 l, 1951). -
AFFAIRES AUXXVIJe ET XVIIIe SIÈCLES
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facturiers, on constate qu'après les révolutions du siècle, tant par le self gOfJemment local que par le rôle des institutions politiques centrales (Parlement, Cabinet) les ens aisés les tabl s les bour eois ou ro ri . - ciers contrôle ec-ti' ent ud : financièrement,fiscalement la monarchie est subordonnée. En second lieu, par comparaison à l'administration fiscale française, célle d'Angleterre a des traits plus modernes et plus d'efficacité: un corps de fonctionnaires des finances dépendant du seul gouvernement est en voie de se constituer à la fin du XVIIe. Il n'y a pas c( d'officierS )) ni de « fermiers» disputant au pouvoir d'Etat lès bénéfices de l'adnrlnistration du royaume. Si les deux pays, d'autre part, empruntent de plus en plus, le gouvernement anglais est en mesure de le faire à d'autres conditions et sous des formes plus modernes que la France. Grâce à la formation de la Banque d'Angleterre, à :t!D-e circulation monétaire Weux orgatllsêe et plus sftre. à une confiance plus g!ande envers l'Etat, peut se constituer une dette publique, fidèlement -respectée par le gouvernement, alors que la monarchie française devra toujours recourir à des particuliers (traitants, banquiers, grands officiers, fermiers généraux) pour survivre. Mais la dette anglaise, en raison de l'efficacité plus grande du systèltle -fiscal, est bien inférieure à la dette française. Ainsi les particularités des systèmes :(inanciers des deux pays sont bien liées à leurs régimes économique, social et politique propres. Au XVIIIe siècle l'atmosphère change en ]!;urope, à partir de 1720-1730 : augmentation des productions de métaux p;récieux américains, montée des prix .et des profits, stabilités monétaires (Angletërre 1719, France 1726), poussée démographique, expansion au commerce colonial, début, -en AngleXVIIe
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. ' terre d'abord, de la « révolution induàtrielle» ': ' . ' le, t,out aboutissant à rérosion, plus ou moins, a~~:, lérée, selon les régions 4;lt les Etats, de l'ancienne économie et de l'ancienne société. Le temps vien.l du triomphe de la « bourgeoisie active dans ses ',',' . mult;iples catégories» (M. .Labrousse). ,.', Le démarrage décisif du XVIIIe ,n'a pas sur,les" '. affaires financières les mêmes incidences en Angle- , terre, qu'en France en raison de la disparité des' co~ditions sociales et politiques, et de l'inégalité" . des développements éconoPlÎques. Dans un cas,une situation d'Etat consolidée, une « révolution bourgeoise» qui a passé compromis avec l'ancienne anstocratie, une prospérité accrue, permettent de fonder largement le crédit public: les ressources de l'em- . , pruilt d'Etat de type contemporain peuvent s'ajou-. ter à celles de la fiscalité. Dans l'autre càs - le cas français - avec des st~ctures sociales et politiques inchangées, le rendement effectif de l'ÏJnpôt n'augmente pas sUffisamment ; hausse des, prix ,et prospérité d'inflatio~ s'accompagnent de la baisse du salaire réel, de la diminution du pouvoir , d'achat et de consomma,tiondes paysans et artisans. paW! une situation économique en expansion, le contraste ' lent éc ors entre la ri hesse t ' est en derriière eoise et la auvreté de an se, ce e e a masse • Il n'existe ni mstitution manCI re, m co lance sociale, ni régime politique qui permettraient de fonder le. ~redit public sur de nouvelles bases; et d'ailleurs l' li. axpérience » de Law n'a pas arrangé les choses de ce po~t 4e vue. L~égalité fiscale serait probablement un remède, mais comment toucher au système d'impôts sans atteindre les privüèges, c'est-à~dire sans détruire les fondements mêmes de l'ordre monarchique ? I,.aRévolution naîtra ainsi, dans $es
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II. - Situation des gens de finance dans la France de la monarchie absolue
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n'est pas question ici de suivre aux XVIIe et siècles l'histoire des finances et des financiers, 'mais d'indiquer quelles sont les questions principales qui: se posent à ce propos, en montrant en partict;ilier les lacunes de nos connaissances. '
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'A) La question de l'origine du « crédit» des gens Considérons provisoirement d'une ,', maIiière indistincte les gens d'affaires gravitant dans , ': ': lils opérations de finances, qu'ils soient « officien », , ',:, banquiers, traitants, intermédiaires de plus ou moins haut étage. Les contemporains de Richelieu'ou ceux du cardinal de Fleury - et les historiens à leur , sui~e - vont répétant qu'ils ont «du crédit», c'est-à, 'dire, à la fois, des disponibilités immédiates ou à , " très court terme en argent liquide, et les moyens , ," de se procurer, en France ou à l'étranger, de l'argent ,',' crais, , les moyens de battre le rappel de ressources , eXtérieures à eux. Il est évident que la source fondamentale de ces disponibilités relève de la « mar, chandise», des fortunes et profits d'origine commerciale,' des placements faits dans les « affaires du roi» par la bourgeoisie marchande et des possibilités de mobilisation, de transfert, de crédit, que donnent a1.1.i 'gens d'affaires les circuits nationaux et inter,nati9nauxdes échanges. On voit assez bien,' jusqu'~lors, s'exercer cette mobilisation desdisponibilités dansles circuits de la ban<{Ue «iIi.temationale :0 "
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FINANCES DE VANCIEN RtGIME
du. temps, la banque huguenote en constante expansion de Louis XIII (rôle de Herv'art) à Louis XIV (Samuel Bernard) et à Louis XV (Necker). Mais on, est bien moins au fait du rassemblement _des « épargnes » au niveau des structures intérieures, nationales, des affaires financières. Ceci, très certainement, faute d'analyse:l sociales poussées, et de monographies (régionales, familiales) qui, si les documents, du moins, étaient suffisamment loquaces, permettraient de reconstituer les réseaux sociaux du drainage; les groupes de « traitants » et leurs appuis tant dans les provinces qu'à Paris ; la part, dans les capitaux rassemblés lors des « traités»' entre la royauté et ses gens d'affaires, des ressources propres de ceux-ci et des ressources empruntées par eux ; la part de diverses couches sociales (officiers de tous types, rentiers du sol, négociants actifs, noblesse) dans ces rassemblements de capitaux; la ventilation des placements des fortuneS et des revenus entre les diverses possibilités .de plac~ment; le rôle de la thésaurisation comme source possible de disponibilités; enfin celui de l'accumulation d'origine fiscale, les officiers prêtant fréquemment au roi les produits mêmes des impÔts directs ... Autant de questions qui demeurent encore dans le clair-obscur de l'analyse sociale et économique. Sans doute perçoit-on que les liens de famille devaient peser d'un grand poids dans ces sortes d'affaires. Mais les groupes de traitants coincidaient-ils entièrement avec des clans familiaux ou avaient-ils. une « clientèle » permanente ? TI semble en tout cas que siJes « traitants » étaient bien placés pour mobiliser des ressources et capables d'avancer au pouvoir de grosses sommes, les officiers de fin.a~ce dans leur masse l'étaient peut-être moins': on aurait là l'une des explications de ,leur
AFFAIRES AUX XVIIe
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XVIIIe SISCLES
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: déc~ lace à la puissance affirmée -de l'intendaJlt (u le roy dans la province »). Celui-ci s'appuyàit yolontiers, dans sa qilête permanente de ressources liquides, sur les gens d'affaires de statut privé «( traitants ») parce qu'ils étaient davantage capables de répondre aux sollicitations financières du gouvemement, .et parce qu'ils avaient, vis-à-vis dl;' ce dernier, moins d'indépendance _. du moins au xvne siècle - que le corps des propriétaires d'offices • .Polii" illustration, voici des extraits· d'une lettre autographe de Colbert envoyée le 5 septembre 1661 au banquier Hervatt, peu après l'arrestation de Fouquet: « Feu M. le Cardinal (1) m'ayant assuré les derniers jours de sa vie que je trouverois toujours dans vostre bourse une assistance de deux ou trois ·millions de livres (•••) à présent que j'ay esté obligé, par diverses raisons, de faire arrester le surintendant, j'ay esté bien aise de vous écrire ces lignes pour vous· dire que vous me ferez plaisir de me préparer, .. soit par vostre moyen, soit par celuy de vos amis, la plus grande somme que voUs pourrez afin que je m'en puisse servir, au cas que j'en aye besoin. Sur quoy j'attendroy vostre réponse. » Mais quels étaient les « amis » de Hervart ? Que représentait le « groupe» Hervart ? Voilà 1" sujet. Quant aux mécanismes et aux techniques du drainage de l'argent, sous forme d'emprunts aspirés par mille voies vers le Trésor, ils durent beaucoup, et.4e pl9.S en plus du xvne au XVDIe, ausystème des « billets» et « effets» qui accoutuma, quoi qu'on en ait dit, de nombreuses personnes au « papier ». Le « billet» - bien qp.'il ne fm pas Il deban!JY.e J)-:rêconnaissance de dette circulant, était connu en ~ance bien avant LawJ. et continua sa carrière bien (1) Mazarin•.
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ap~. Les« billets» plutÔt, l~s organîsmês 0:0; les;,:personnes qui les .émettaient pour e:t:Q.pl'1lJiter · étaient fort nombreux : billets émis par les offiëiers . de fin~ces (surtout billets des receveurs géné~a'IDÇ); et par les organismes d'Etat (Caisse des Emprunts 'sous Colbert,« billets de monnaie» à.partir de 1701.. billets de l' «' Extraordinaire des Guerres », de la . Màrine, de l'Artillerie, « billets d'Etat » de 1716· émiS pour éponger la dette flottante), billets .é~s ' :par les traitants, par les fermiers géDréraux. J'our ·tous va:Ient ces' formules de l'Encyclopédie écrites , à propos des hauts officiers de finances: « Ces bille~ 'ne sOnt qu'un moyen par lequel un trésorier, unrec~ veur .généra:I prête son nom et son crédit à l'Etat pour emprunter de l'argent destiné à faire le. ser~, vice dont il est chargé. Ce sont proprement des anti!" cipations. » Mais, répétons-le, ce qui manque enco;re à l'ana:Iyse historique c'est une sorte de sociologie , despoi:tèurs de billets. Tous ces papiers, publics ou. privés, avaient fait natlirellement très tôt; «lès l~ XVIe siècle, l'objet d'un trafic dont les interm~diaires étaient les « courtiers de change, banque et marchandiSes lI, érigés comme officiers en 1572 et constitués. à Paris en compagnie en 1634 et en 1639 pour l~ ·négociation de tous effets publics et privés .:-. don~ ceux des traitants. Les courtiers devenus ensuite :« agents de. change» rendirent d'ailleurs des serViQes financiers' directs à la royauté. A la fin du règne .~ . 'Lowe'Xly un véritable marché des valeurs seconS~. ·tftue à Paris. mais il n'auraexisience officiell~ · et local officiel - la Bourse de la rue, Vivièime ....,.. qu'à partir de l'ap:êt de sl3pteD.lP.r~ l7~~ .. _:,
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.social' à étahIk entre les diyers personnages ayant ~e ,rare privilège d'avoir « d~ crédit ». Une étude de , cè inilieu distinguant avec soin les categories, les .hiérarchies' et leur évolution au cours des deux , sièe1.e~ ne serait pas un travail inutile. Tel texte '-' du,temps, par son imprécision même, montre que, , la' société « financière » de l'Ancien Régime n'avait ,','. pail des structures simples (1). La hiérarchie des :,; ~offjciers de finances est connue, celle des gensd'·af,:" fair~s de type privé, banquiers, fournisseurs, et « traitants» de tous types l'est beaucoup moins- et les ,rapports étroits entre ces deux hiérarchies . demeurent plus mystérieux encore. Sans doute connaît-on les aspects juridiques des distinctions . prafèssionnelles et sociales dans ces milieux dé .finance 'et ',de banque, mais bien moins les modes effectifs d'activité, d'enrichissement et d'ascension sociEÛe. ,On a pu souhaiter récemment que se mul~ . tiplient lés monographies sur le milieu des officiers ',:'" de -finance au XVIIIe siècle. Les besoins de recherches nouvelles dans cettci , dÏl'ection' se font d'a\l.tant plus sentir que la do)' "cumentation n'est pas absente, la ( bibliographie» . du' sujet assez nourrie - mais désordonnée et dispersée à souhait, et, malheureusement, très4ta. chevée .. ,Autre thème d'études dans ce domaine: le main~ . tien. mais en même temps le recul, jusqu'à l'époque' de.Mazarin, des banquiers italiens dans les affaires (1) On trouve dans les Lettres, Instructions et Mémoires de èolbert (écUlé par CLtMENT, t. H, Ira Partie, pp. CXCIX et cc, en note,l$63) un Mémoire au sujet des fermes rédigé probablement par LE TELLIER et qUi conUent les formules suivantes : • Il Y a toujours eu, detluis plus de trente ans, dans les aUrures du Roy, de trois ou quatrè sortes de financiers : des traitants dans les fermes générales, des r,eèlweurs I!énéraux en tltre d'office, des particuliers qui faisaient des'.prestsdes recettes générales, quoyque sans office et d'autres qui faisoient différents traités de plusieurs natures ji'affalres. . '
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du roi ; la montée parallèle - probablement depuis des banquiers protestante (Feydeau, Hèrvart, Formont, Jabach), précédant leurs grands rôles de la fin du XVIIe et du XVIIIe siècle, enfin la prolifération depuis les Moysset (sous. Henri IV) jusqu'aux Pâris et Crozat des traitants français, d'origine populaire ,devenus indispensables comme prêté-noms, intermédiaires et hOIqJlles à tout faire. Mais au XVIIIe siècle le personnage du traitant tel qu'il apparut aux XVIe-XVI~e siècles tend à dis~ . paraitre. « Il y a eu autrefois des traitante », dit un ' ouvrage de 1787 (1). Les perfectionnements relatifs. de l'administration; l'augmentation de la richesse nationale; la croissance régulière des produits de· la . Ferme générale; le tarissement de la création d'offices nouveaux, dont on avait tant abusé au XVIIe siècle au point que l'imagination des « don·' neurs d'avis» ne trouvait plus de charges publiques nouvelles à mettre en « traité »; et surtout, sans .doute, le développement du crédit public: emprunts de toutes formes, en particulier viagers sous NeckeJ:', placés en France ou sur des places étrangères, telles Amsterdam et Genève; enfin les réels services ren- ' dus à l'Etat par la Caisse d'Escompte !,.,partiJ'!' de 1776. font que, progressivement, le gouvemement royal utilise moins les anciell§.J!rocédés des SI affairés' extraordinaires ». Le même' tèxte. de 1787 nOte' Justement : « Les affaires ne sQnt plus concentrées ' dans Un aussi petit cercle de gens, enrichis par des . usures publiques, qui faisaient la loiidans dcs temps' diffieiles. » La finance, en quelque sorte, met quelque ordre et régularité dans ses propres affaires. A ' côté des officiers, ce sont les fermiers généra.tq qui spnbolisent désormais pour aiDAi dire excluSivement; SUlly -
(1) SÉNAC DB MEILHAN, COllBidhatfollB 'BUI' les richesses lit le luze, 'Amsterdam et ParIs, '1787. chap. S6: • Des financiers.. .
AFFAIRES AUX XVIIe ET XVIIIe SI:kCLES
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la fÏilance du régime. Ces· Earvenus respectables . n'ont plus les louches allures a~ leurs prédécesseurs . du si.ècle précédent. Et ce n'est pas là, seulement, question de génération. C) Evolution de l'organisation financière monarchique : officiers, intendants, fermiers généraux.Pour ce qui concerne administration financière et fiscalité, on a dégagé depuis longtemps les lignes priilcipales d'évolution, mais il reste encore des zones d'ombre, surtout pour le XVIIIe siècle, le XVIIe siècle - ces dernières années - étant davantage l'objet de travaux. Qu'il soit impossible à la monarchie de « moderniser» administration et fiscalité, c'est l'évidence. La modernisation véritable ne pourra se faire qu'une fois l'Ancien Régime disparu: ce sera l'œuvre des régimes bourgeois, depuis 1789 jusqu'au baron Louis, ministre des Finances . de la Restauration - pour l'essentiel. Mais l'impossibilité de réduire réellement désordre et abus de la fiscalité dans une société à privilèges ne signifie pas que la monarchie n'ait pas cherché à améliorer les instruments dont elle disposait, c'est-à-dire à les rendre plus maniables et plus efficaces. Il y eut amsi - mises à part les transformations des structures centrales, au niveau du Conseil du Roi - des changements qui se sont ordonnés selon deux tendances: d'une part, la reprise en mains du contrôle de l'administration financière grâce à des agents ne dépendant directement que du pouvoir : luttes de Richelieu et de Mazarin contre les rébellions chroniques des grands officiers, et stérilisation des officiers .de finances refoulés et neutralisés par des « commissaires II royaux. Ceux-ci, les « intendants ll, viennent dans chaque généralité remplacer la gestion « indirecte » des officiers par la gestion « directe »
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,:D) ''Chronique des aff~ fiiumcières et pniss.nce IlOciale croissante des manieUrs d'argent;~ C'est icj qu:ilfaudrait rédiger non un chapître, mais tout 'qD.livre nouveau: histoire de la politique financière, perçue du point de Vile du roi, des « surintendants )l, 'des «contrôleurs généraux» ; histoire des crises des' fin~'Ces 'royales, c'est-à-dire des périodes partj~~ièrement aiguës de détresse monétaire, et budgé:' taire' '- car la crise des finances, au demeurant, fut continue; histoire des idées et des systèmes « surIe f'ait des finances », qui fleurissent particulièrement 'au XVIIIe siècle, après les « réformateurs » de,la fin d'Il XVIIe. Sur ces thèmes, 'plus classiques, les historiens ont depuis longtemps travaillé; en partant ' des grandes collections historiques et de quelques études - comme celles de H. Hauser sur ',' Richelieu et de Paul Harsin sur Law - en remontant" aux grands recueils de documents publiés, , en utilisant les dictionnaires et ouvrages de valeln' le commerce et la finance parus aux. XVIIe et xVIiie siècles, on peut reconstituer assez exactement cette tragédie continue d'un système politique qw. ne pe'!lt se donner de bonnes finances parce qu'aucune'des conditions économiques, sociales et politiques n'est posée qui permettrait de résoudre dans le régime le problème financier. C'est là, d~ ailleurs, tout ,le sens de l'échec des expériences . d~,un ,Colbert, d'un Law ou d'un Turgot. Si diffé-, rente,!! qu'elles soient par les circonstances qui les ont entourées et les hommes qui les ont conduites ~ Colbert n'était pas un doctrinaire, à la différence des deux autres - ces expériences ont visé. le ',commun but d'enrichir le « royaume» pour apporter Une sohition permanente, définitive, à la pénurie du Trésor; .en quoi ces hommes avaient des vues d~homnies d'Etat, alors que rien ne 'permet- ,.
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tait qu'ils puissent, en leur temps, triompher. Mais à travers les accidents de l'histoirefinan-cière des deux derniers siècl~s de l'.An:cien Régime., et jusque dans la crise financière et politique finale de 1787-1789, se développe une tendance sociale que l'on ne peut toutefois qualifier tout à fait de (, nouvelle, car. elle eut des précédents : la· montée des manieurs d'argent et la force sociale que confèr~ la familiarité du numéraire,des créances et dés « papiers» de toute espèce, traduction sociale d'une mutation économique en profondeur, celle de la croissance du capital mobilier à côté de l'ancienne forme foncière de la richesse. La montée des gens d'affaires de tous ordres est bien un élément, sous l'Ancien Régime, du renforcement de la bourgeoisie et prépare les mutations sociales finales. Dans l'état de tarification adjoint à la déclaration du 18 janvier 1695 établissant la capitation, il n'est pas surprenant que dans les deux premières « classes » de contribuables, à côté des ministres et princes du sang, soient placés fermiers généraux et trésoriers des grandes administrations. Les « banquiers et agents de change ) sont, il est vrai, dans la onzième classe : mais leur fortune est plus insaisissable que celle des hauts officiers de finances (1). « Si le financier manque son coup, avait noté La Bruyère' dans les pages célèbres de ses CaTa~tères consacrées aux gens d'argent, les courtisans disent de lui: c'est un bourgeois, un homme de rien, un malotru. S'il réussit, ils lUi demandent sa fille. » La consécration sociale acquise par les manieurs d'argent n'est pas seulement témoignée par toute la littérature - romanesque, théâ" traIe, économique et politique - du XVIIIe siècle, elle est démontrée par ce fait qu'après Fouquet le (1) MII1'C BLOCH, Asped8 iconomiquts dl1. ngné de Lorrû XIV - ,
(SOrbonne. 1939).
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AFFAIR,ES AuX XVIIe ET XVIIIe SrÈCLES
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financier - le grand, financier ...-,est pour ainsi dire intouchable. La dernière « Chambre de Justice», celle de 1716, a distribué des amendes, mais non clescondamnations à mort. On n'est plus au temps de François 1er faisant disparaître un Semblançay, . ni même de Louis XIV triomphant, condamnant Fouquet à la mort lente. C'est, pour ainsi dire, l'inverse, désormais : Pâris du Verney et Pâris de Montmartel ont été les inspirateurs de la politique financière à, diverses reprises et rien ne s'est fait sans leur avis sous la Pompadour. Pour finir, c'est 'Necker, un banquier genevois, bourgeois à la perfection tant par ses origines, sa profession, que par son style de vie, étranger de statut, qui, de 1776 à 1781, est nommé à ,la tête des finances royales et, à coups d'emprunts, permet.à la monarchie de mener une « grande politique » dans la Guerre d'Indépendance américaine (1). Mais ici une confusion doit être levée. Dans ce groupe des manieurs d'argent tous, il s'en faut, ne participent pas, même à leur insu, aux mouvements profonds qui préparent la destruction de l'économie et de la société d'Ancien Régime. Quand on dit que ,la bourgeoisie du XVIIIe est « révolutionnaire » il s'agit d'une vérité globale, et qui, d'autre part, 'fait référence à la situation objective de ce groupe; mais un groupe fondamentalement hétérogène , . • comprenant ses couches « conservatrices » et ses couches « progressistes » - pour employer par .commodité un vocabulaire actuel. Il existe des couches bourgeoises attachées à l'ordre ancien, (( pa. rasitaires » ; et d'autres, qui, même si elles n'en ont (1) H.Lüthy peut citer cet extrait d'une lettre de l'abbé ·Terray (janvier 1772), contrÔleur général, à Necker, alors simple banquier: « Nous vous supplions ·de nous secourir dans la journée. ,D.aignez venir à notre aide pour une somme dont nous avons un besoin indispensable. Le moment presse et vous êtes notre seule ressource•• J. BOUVIÉR ET H. GERMAIN-MARTIN
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pas toujours. une conscience immédiate, sont détachées de la société d'Ancien Régime et jouent le raIe d'éléments actifs, dissolvant la société rurale, éei~ gneuriale et monarchique, et préparant le triomphe du capitalisme. La promotion sociale des manieurs d'argent en général ne peut donc avoir dans. sa totalité. le sens d'une mutation sociale préparant les · changementsrevolutionnail'es. Ici, une analyse s'im~ pose qui permette de distinguer dans ce monde 'divers et complexe des milieux de l'argent, ce qui · meurt de ce qui naH. E) Une distinction fondamentale 1 banquiers et financiers. - Cette distinction ne date pas des XVIIe et XVIIIe siècles, il s'en faut. Nous l'avons soulignée dès notre introduction· et nous l'avons, chemin faisant, rencontrée fréquemment du XIIIe au XVIe siècle. Les financiers sont au servioe du prince '; les banquiers au service du.négoce international.Les rapports entre les deux groupes demeu~ rent, bien siîr, étroits. Mais pour le cas français, en . raison de l'apparition des réseaux de la banque ' protestante dans l'Europe des XVIE!~XVIIIe siècles, la distinction prend désormais des formes accusées, originales, et dont l'analyse permet d'approfondir l'histoire de l'ensemble de la société :&ançaise. A .l'époque même -le XVIJ6 siècle - où la monarchie compte davantage sur ses « traitants » que sur ses « officiers de finances » pour entretenir les. fonds · de roulement de son. économie et de son budget de guerre, elle fait de plus en plus appel aux services des marchands~banquiers et, tout naturellement, à ceux de la re1igion réformée, en raison de leurs positions en Europe. Les ministres de Sa Majesté catholique, à commencer par le catdinal de Riche~ lièu, n'ont jamais hésité à s'appuyer sur euX pour
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résoudre le permanent problème des p81èments à faire à l'extérieur (soldes .des années, règlement des fournitures de guerre et du ravitaillement, entretien des subsides auX princes alliés, importappns de grains en temps de disette). Il ne s'agit pas seulement des noms toujours cités des Herwart, Bernard et, plus tard, Necker~ mais bien d'une foule d'autres négociants-banquiers - les « Genevois » du XVIIIe siècle - dont l'ouvrage récent de H. Lüthy a tracé les portraits définitifs et saisissants. Sur le renforcement de « l'internationale huguenote» grâce aux conséquences de la Révocation de l'édit de Nantes (1685) ; sur ladi~spor~protestante au départ de la France à la fin du XVIIe siècle; sur le maintien effectif des liaisons d'affaires, malgré les rigueUl"s de la loi, entre les « nouveaUx catholiques» demeurés en France après abjuration et leurs parents émigrés; sur les rapports entre ces milieux et le pouvoir à la fin du règne de Louis XIV, puis à partir desBDnées 1760, on est désormais ,amplement informé. La recherche historique, après les travaUx de H. Lüthy, se trouve alors dans une situation qui peut para.itre paradoxale .: nous. voici· bien mieux au fait des banquiers que des fixùuiclers~· La vIve lueur jetée sur les premiers accuse. les ombres portées qui masquent encore les seconds. L'auteur de, La banque protestants en France souligne lui-même, à titre d'exemple, deux lacunes dans notre connaissance des affaires de finàiices du roi : « La tache blanche que forme le milieu du XVIIIe siècle dans notre connaissance historique ne disparaîtra que quand seront connues avec noms et chiffres, et autrement que par des anecdotes de Cour, les luttes autour des positions-clés de l'économie royale. L'histoire et la direction du Trésor royal du règne des Pâris à celui du « clan autrichien » Laborde-Micault-Nettine·
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(et Calonne), celle des « blés du roi », celle de la Ferme générale, celle de ,la Compagnie des Indes, restani .. à faire ou à refaire. La plupart des sociétés financières ,du milieu du siècle mentionnées plus loin et qui, à la différence de celles de 1770-1790, sont encore tenues en mains par les gens d'office et de finances n'ont encore intéressé aucun historien» (1). A propos des années d'agiotage financier et boursier précédant 1789 Lüthy écrit encore : « Nous manquons toujours de toute étude sérieuse et même de toute étude tout court sur les manieurs des finances du roi et de la Cour, sur la haute finance d'office, sur la Ferme générale, sur les affaires des Trésoriers de la Guerre et de la Marine, dont" les faillites de 1796-1787 fuient les cra ements avant- . co eurs de la débâc e, sur es mances et inanciers du comte d'Artois, les Radyx de Sainte-Foy, les Pyron de Chaboulon et Bourboulon ( ...), sur ceux du comte de Provence (...), bref sur les vrais :nianieursd'argent du royaume de France; autant dire que l'histoire financière de l'Ancien Régime reste à faire. » La distinction entre financiers et banqyiers au XVIIe, et plus encore au XVIIIe, n'est pas une distinction seulement professionnelle et technique ; elle est fondamentalement sociale. Les « gens de finance», officiers du roi, propriétaires héréditaires de leurs charges, sont liés à la monarchie établie, c'est-à-dire solidaires de ses structures - et d~ sa durée. Ils sont liés au maniement du numérair" lui-même, des espèces sonnantes, par la fiscalité qui est leur domaine. La matière première de leur industrie c'est « la monnaie métallique du royaum!') agricole» (H. Lüthy). Parvenant par l'office à de (1) H. LÛTIlY, t. II, p. 13, n. 1.
AFFAIRES AUX XVIIe ET XVIIJe SIltCLES
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haùtes positions, les gens de finance doivent enfin fàire leurs. preuves de catholicité. Ainsi sont-ils de toute manière, par leur situation professionnelle, lel1!l." rôle dans l'économie et dans l'Etat, leur idéolos!e,intégrés à l'Ancien Régjme, d~ns le r8gime (H. Lüthy). . 1 g Les banUJ1iers, par contre, dont la grande masse ~!!t protestante, sont «hors du régime Il. La banque est ~ofession libre (1), ouvel:"f:e, en dehors de toute ôrgaiiisation corporative, échappant à la réglementationde type mercantiliste. Le banquier travaille avant tout sur les « papiers Il commerciaux, « n'Ilgite que des signes Il· (Ri,varol) et, par sa position professionn~lle, joue sur un clavier intemational. Son domaine : les changes et les places de change de l'Europe, où il a des correspondants, des amis, des parentés. TI mérite donc l'accusation de «cosmopolitisme Il que làncent contre la banque huguenote des pamphlétaires français du xvme, défenseurs de la finance «·nationale li. Le banquier n'est pas « officier Il, n'a pas de charge publique, et seâitue hors des cadres de la .machinerie d' • L'exemple e , ec er est pa 8.1tement émonstratif: ce pur banquier, arrivé pour quelque temps à la direction des finances royales (1776-1781) non par ses talents propres mais par le «. crédit li intemational dont il disposait, ne sera jamais intégré véritablement à l'Ancien Régime; il fait figure à la. veille de la Révolution d'opposant à la finance traditionnelle et· de caution des . W!ph-~tio;ns bourgeoises à une conduite « rationnelle li de la fiscalité et du budget~ (U Sous la réserve que le banquier ne s'Intéresse ,pas, par aillelU'll, il la marchandise. Un dletlonnalrii du xvm o slèele note il eet é«ard : • Chaeun peut s'ériger en banquier; Il n'y a point de matlrlse; mals pour fa,1re la banqull et la D1arehandlse tout ensemble dans lei lieUx ofl il y'a mattrlse, 11 est nécessaire d'avoir été reçu marchand • (.J;epriztiCfen des luges et des consuls, Anonyme, 1742, p. 35). Voir f~ la note' de H. L'OTBY (olWr. cité, t. II, p. 774).
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«En forçant un peu les choses, écrit H. Lü:thy. on peut dire que dans la France du XVIIIe la Finance était catholique d'esprit aussi bien que de fait, et la Banque, protestante. » Autrement dit, on constate une coïncidence entre clivages sociaux, professionnels et religieux. Une foïncidence, certes, relative,-mais intf-ressante à souligner par sa relativité même ; il existait, d'une part,· des banquiers catholiques, « nationaux », tels les puissants Lecou.. teulx (Rouen), les Magon (Saint-Malo), ou lë «banquiér de la Cour », J .-J.. de Laborde. Mais ces banquiers du· cru demeuraient plus proches de la: finance que de la banque car ils avaient établi le principal de leurs activités sur la base du commerce dés piastres d'Espagne, l'importation du numéraire~ argent, la fourniture des ateliers de monnaie royaux et .du Trésor. Les dynasties familiales que ces marchands-banquiers, négociants d'affaires maritimes et coloniales, avaient fondées, accumulaient offices et charges publiques. D'autre part, en sens inverse, une petite partie de la banque huguenote, parmi les familles' demeurées en ·France après 1685, s.'agrégea étroitement· à-l 'Ancien Régime eil reniârit en quelque sorte ses origines, en entraBt dans les grandes administrations économiques ou financières de la monarchie : les Cottin et les Saladin dans la. Compagnie des Indes, les Tronchin dans la Ferme générale, d'autres dans la Manufacture royale des Glaces. Mais cette « petite poignée de gens» (Lüthy) ne supprimait pas la .ligne de démarcation fondamentale entre « Fipa:ù.ce » et « Banque ». Naturellement la ligne de démarcation ne signifiâit. pas qu'il n'y eut aucun rapport entre les deux groupes; s~ le plan technique, c'est-à-dire celui dés affaires, leursrericontres ou leurs collaborations étaient fréquentes puisque les uns et les autres fa,i-
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saient surtout fortune en traitant d'opérations avec l;Etat, tant dans les affaires de guerre que-dans oelles d'importations de grains. Les banquiers protestants ne se sont pas fait faute, eux non plus, de spéouler sur les piastres; tandis que les financiers n'ignoraient pas .le maniement des lettres de change. La Caisse d'Escompte, telle qu'elle fonctionnera dans les années 1780, est l'un des terrains de rencontre des deux groupes. Mais la distinction fondamentale n'en demeurait pas, moins entre les deux milieux. Or, dans l'atmosphère d'une -société déchirée et d'un régime décrié, la finance et les financiers du XVIIIe siècle n'avaient plus de partisans qu'euxmêmes. Représentant sans doute « un groupe d'intérêts formidable » (Lüthy) - importation d'argent et fabrication des monnaies, système fiscal tant direct (officiers de finance) qu'indirect (Ferme générale), positions solides dans la plupart des sociétés royales : Compagnie des Indes et grandes manufac-', tures à privilèges - ils étaient vulnérables dans la mesure même où l'Ancien Régime l'était devenu. « Plus que toute autre institution d'Ancien Régime la finance d'office était un monstre lourd et inadaptable d'un autre âge » (Lüthy). Elle disparaîtra donc corps et biens, le fermier général Lavoisier compris, à côté de Magon, Laborde et tant d'autres, dans les dix dernières années, du siècle. Alors que Ja banqy.eL elle, parce qu'elle avait été « hors du régim.!L» se trouvera en place dès les premières heures pour s'ada ter aux conditions nouvelles SOCIete os - 0 utlOnnaire: a , bo' anque de France naît en 1800 et la « banque huguenote » lui fournit bon nombre de ses premiers dirigeants. Qu'un Lavoisier finisse sur l'échafaud, mais qu'un Perrégaux, qu'un Mallet, qu'un Hottinguer, quelques années plus tard, soient parmi les têtes
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. de l'institut d'émission signifie bien que l'Ancien· .. Répe n'est. plus; le capitalisme contemporaiIi.· met en place ses premières structures. Les financiers d'Ancien Régime sont morts. Le règne des banquiers d'aujourd'hui .approche. Ces choses une fois rappelées, on ne résout pas pour autant le problème des origines lointaines, profondes, de la Révolution. Car le. fait que la· banque soit « hors du régime » ne signifie pas que la banque - à elle seule! - ait «fait la Révolution li, même si elle en a, en dernière analyse, hautement profité. Ce n'est pas par référence à des« complots» . - maçonnique, protestant, etc. - que l'on vient à bout de l'explication des causes profondes des· mutations décisives des années 1789-1799. Mais quels groupes de gens d'affaires - négociants,. marchands-banquiers, nobles « entrepreneurs », in. dustriels, etc. - ont préparé effectivement l'ébranlelQ.ent des modes de production anciens? Vaste question sur laquelle; dans toute l'Europe, les historiens n'oJ!,t pas fini de travailler.
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CONCLUSION ·1; La finance de style Ancien Régime commence à mourir en Angleterre après les révolutions du :XVIIe siècle, alors qu'elle ne disparait en France qu'à la fin du XVIIIe et qu'on la voit survivre au · XIXe siècle dans ]e reste de l'Europe jusqu'à des · époques variables selon les pays. Lorsque la fiscalité ëàt uniformément établie, qu'elle ne touche plus sèulement les produits de la terre mais aussi les autres formes de la richesse et qu'elle est tenue ell. inainS par l'appareil d'Etat lui-même; lorsque dépenses et recettes budgétaires sont prévues avec qu.elque ordre et contrôlées par des assemblées;· lorsque l'Etat n'emprunte plus à des particuliers; mais au public, alors le mode princier des affaires de finance disparait. Les « financiers» et « banquiers de Cour» n'ont plus à être les parasites nécessaires .du pouvoir. Nous avons di! sacrifier dans nos développements le cas anglais et procéder à son propos p.ar allusions. C'est dans ce pays cependant qu.e se sont produits les changements décÏ8üs en matière financière et que le style actuel de la finance pUblique a tout d'abord été instauré : après his finances « monarchiques », les finances « bour~ geoises ». Par choix, délibéré et forcé à la fois, notre étude a porté essentiellement sur les premières.' - 2. Conditions économiques, sociales et politiques~ indissolublement, expliquent les traits origiilaux · de ces finances d'Ancien Régime. La dette du priIlce
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repose sur la terre, dont les produits sont en denner . ~ssort les gages rééls des emprunts de toutes sortes qu'il est cOJ;1traint de faire. Mais cette dette apparait d'autant plus parasitaire que, par essence, la fiscalité repose sur l'inégalité, et le budget sur le « bon .plaisir Il. C'est toujours là qu'achoppent l'analyse - et l'action - d'esprits lucides, tels Richelieu, Colbert ou Turgot. Ds ne peuvent pas réformer réellement les finances ni se passer des financiers, puisqu'ils ne réfléchissent et n'agissent que « dans le Régime ». Mais si les finances d'Ancien Régime ont été conformes à la base agraire de l'économie et .aux structures sociales et politiques correspondantes, elles ont aussi répondu aux conditions monétaires de leur temps : pour les XVIe-XVIIIé siècles par exemple, « siècles de monnaies métalliques souveraines et de crédit naissant Il (Spooner) elles ont employé à la fois le numéraire et le « papier »; la rafle fiscale des espèces et les instruments « mo· demes » des transferts et des crédits. C'était déjà . un signe d'adaptation. Du XIIe au XVIIIe siècle, les finances d'Ancien Régime dans leur volume, leurs formes, leurs instruments ont connu une certaine évolution. 3. Ehrenberg a écrit que les « puissances financières Il, à l'époque modeme, sont de plus en plus devenues « nationales » : le caractère « européen' 11 des réseaux de marehands-banquiers italiens du Moyen Age, l'ubiquité des grands « hommes d'affaires Il du temps des Fugger ont fait place dans le cadre des grands Etats progressivement constitués à l'action de groupes nationaux, autonomes, de financiers embrigadés sous J'aütorité royale. Mutation certaine. Mais aux liens « intemationaux » d'ancien type se sont très 'Vite substitués de nouveaux, lesquels ont eu, depuis, longue vie. Si l'appa-
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rition de l'Etat moderne entraiDe norma1e~ent une « nationalisation » de la finance, les groupes constitués désormais sur base nationale entrent à leur tour en rapports étroits : la solidarité dès « marchés li, la permanence des échanges commerpiaux - et leur développement - le flux des métaux et des monnaies, les nécessités des·transferts sont autant de facteurs de base à ces rapports , d'argent entre pays dont la « banque internationale huguenote » donne. dès le XVIIIe siècle. une sorte d'exemple achevé. 4. L'Etat contemporain, une fois établi sur la base du mode bourgeois de vie économique et de constitution sociale et politique, aura cependant lui aussi toujours besoin de ressources assurées à court terme, de volant de trésorerie, de disponibilités immédiates. Au financier attaché au prince succèdent alors le banquier et la banque en tant qu'auxiliaires - non bénévoles - du Trésor. Aucun régime fiscal ne saurait suffire, à lui seul, aux besoins de l'Etat. Dettes flottantes, emprunts consolidés, roulent en permanence, que ce soit dans l'Angleterre du premier Pitt en voie de se dégager de J'ancienne économie, ou la France d'aujourd'hui. « L'industrie» de la finance n'est donc pas morte aVeC la finance d'Ancien Régime. Elle a pris des , formes nouvelles dans un contexte désormais nouveau, celui de l'époque du capitalisme développé. Il est impossible de ne pas évoquer ici, à titre d'illustration, l'exemple de l'adaptation à deux périodes historiques successives d'une dynastie d'hommes d'argent : celle des Rothschild. Ils ont commencé comme « banquiers de Cour li particulièrement typiques dans l'Allemagne du dernier tiers du XVIIIe siècle. Et, sous nos yeux, ils prennent figure d'hommes d'affaires parfaitement typiques aussi
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du grand capitalisme actuel. Exemple révélatelU' d'une continuité dynastique à travers une série de discontinuités historiques. Mais, pour l'historien, ce n'est pas la permanence d'un nom qui compte. Que cette adaptation d'une « dynastie bourgeoise» (Beau de Loménie) à une succession d'états économiques et de régimes politiques ait été réussie, sans doute. Mais il n'empêche qu'entre les Rothschild du XVIIIe et ceux d'aujourd'hui il y a, dans l'activité professionnelle et le rôle économique, tout ce qui sépare la société agraire et seigneuriale de la société industrielle et capitaliste. 5.· La finance d'Ancien Régime en tant que terrain: d'affaires, et les financiers de cette époque en tant que groupe social ne sont pas à l'origine du capitalisme contemporain. On a pu soutenir depuis longtemps que, dans le cas français. par ;exemple, le système fiscal, le drainage de l'argent effectué par traitants et partisans, les modes d'emprunt.' de la monarchie - en particulier créations et ventes d?offices et multiplications des rentes -oritdérivé hors du secteur industrie-commerce des capitaux qui ont ainsi manqué au développement économique; quoiqu'une petite partie d'entre eux (par les compagnies à privilèges, les manufactures royales) y soit retournée. Les hommes des finances princières ou royales n'ont rien bâti de durable. Ils ont fait fortune, fondé des dynasties opulentes, mais ni les Médicis, ni les Fugger, ni Samuel Bernard, n'ont finalement laissé des entreprises. Vivant à l'époque pré-industrielle, pré-capitaliste, il n'en était sans doute pas question pour eux et ils se sont finalement· intégrés à l'aristocratie par les liens personnels, la mutation foncière de leur fortune, les fonctions publiques ou semi-publiques exercées, leS titres de· noblesse acquis à poids d'argent: « trahison de la
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b()urgeoisie» -(M. Braudel), !( mentalité d'évasion vers l'état nobiliaire ... esprit de reniement» (M. Mandrou). Ils n'ont donc pas été un ferment révolutionnaire dans l'évolution du corps 'social. Ce n'est pas _ dans le secteur «finances» que se sont préparées - il s'en. faut ~les modifications de structure et d'éqUilibre de l'économie et de la société anciennes. L'entreprise libre, la séparation du travailleur et de ses inst1'UID.entsde travail, l'apparition du groupe des propriétaires d'instruments de production et de celui des. salariés, la mécanisation et la division du _trav:ail, la concentration des capitaux et de l'outillage - pour n'en retenir que les traits les plus évi.dents ;- ont constitué -les éléments de formation du mode de production. capitaliste. Ceux-ci ont mûri lentement à l'intérieur de l'ancienne économie et de l'ancienne société, subissant parfois des impulsions plus brusques (rôle du facteur démographique, de la circulation monétaire et du crédit). Mais il . faut rechercher leur préhistoire dans les' modifications des structures agraires, dans les progrès des techniques industrielles et la constitution des premiers noyaux de production industrielle (par 0ppo-' sition au type artisanal), dans la formation et l'élargissement des marchés, tant par la croissance démo-graphique, la constitution d'Etats territoriaux, que par la découverte du globe... Ces divers processus représentent tout autre chose que les affaires de finance d'ancien type. Celles-ci, tout au contraire, ont stérilisé économiquement les capitaux rassemblés pour le Prince et détruit bien des possibilités d'investissement. On qualifie parfois trop hâtivement de « capitalistes» les puissances d'argent du Moyen Age et des Temps Modemes - à moins dc donner à cette épithète un sens vague et sans rigueur. La vérité est que bien des « hommes d'af·
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. FINANCES DE L'ANCIEN. RBGIME
{aires » du Moyen Age eide l'époque modeme,
après avoir démarré commeentreprene~ .de négoce et d'industrie, se sont transformés en finânciers : reconversion d'activités et stérilisation économique. C'est bien là une -preuve que les structures sociales', et politiques de l'Ancien Régime ont été un frein, un obstacle, au développement du capitalisme. En tous les cas, une fois franchi ce verrou, la rapidité du développement économique s'est singulièrement accélérée: en Angleterre d'abord, terre ducapitalisme naissant. A partir de ce seuil de développement, les financiers d'Ancien Régime ne sont plus. Mais, répétons-le, les banquiers, eux, ont, avec une efficacité certaine, suivi le mouvement de l'histoire. C'est pourquoi les économistes ont pu lancer daris le vocabulaire l'expression de« capitalisme industriel' et bancaire l) à propos des réalités de notre temps. Mais l'histoire des « puissances d'argent » dans le. monde contemporain et celle de leur rôle dans les finances d'Etat seraient un nouveau thème - et un autre ouvrage.
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TABLE DES MATI~RES
INTRODtrCTION
•••••••••••••••••••••••••••••••• ,...
J. Ambiguïté des mots. AIÎlblguité des falts, 5. dficité des alIalres de finances, 10. '
5'
II. Spé-
PImmEn. - Au temps des' cités et des EtatS . en formation (me_XVe siècle) ••••••.••••••••••••
CHAPITRE
15
1. Conditions générales de développement des alIalres, de finance, 15. - II. L'ère des _Lombards " 21. - III. L'exemple français, 84. " CHAPITRE II. -
Bommesd'affairea et Etats au XVIe siècle· J. Les nouveautés économiques du XVI" siècle, 50; .,- II. Les besoins de crédit et les modes de crédit, 54. - III. • Pulssances d'argent. (Ehrenberg) et marchés de l'argent, 61. IV. Finances princières, 77.
'50
CBAPI~ 111.- Vue perspective des affaires de fûumce
aux ,
xvne
et XVIIIe siècles •.•••••••••• '. • • • • • • • • •
97
J. Economies et finances d'Etat, 97. - II. Situation des gens de finance dans la France de la monarchie absolue, 103. CONCLUSION •••••••••••••••••••••••••• .-. • • • • • • • • • •
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BmLIOGRAPBIE SOMlllAŒE ' . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
127
,1964. - Imprimerie deà PreSses Universitaires de France. ÉDIT. N0 27545 DIl'BDIt EN FRANCE
Vendôme (Franee) N° 18 080
00.