Esclave à l’entraînement Danny Tyran
Introduction
3
Chapitre 1
4
Chapitre 2
9
Chapitre 3
12
Chapitre 4
14
Cha...
74 downloads
1245 Views
225KB Size
Report
This content was uploaded by our users and we assume good faith they have the permission to share this book. If you own the copyright to this book and it is wrongfully on our website, we offer a simple DMCA procedure to remove your content from our site. Start by pressing the button below!
Report copyright / DMCA form
Esclave à l’entraînement Danny Tyran
Introduction
3
Chapitre 1
4
Chapitre 2
9
Chapitre 3
12
Chapitre 4
14
Chapitre 5
19
Chapitre 6
26
Chapitre 7
31
Chapitre 8
34
Chapitre 9
37
Chapitre 10
41
Chapitre 11
47
Chapitre 12
51
Chapitre 13
56
Chapitre 14
62
Chapitre 15
70
Chapitre 16
80
Chapitre 17
85
Chapitre 18
90
Chapitre 19
98
Chapitre 20
104
Chapitre 21
110
Chapitre 22
117
Chapitre 23
123
Chapitre 24
129
Chapitre 25
138
Chapitre 26
145
Chapitre 27
152
Conclusion
160
Prière tibétaine : « Fais que je reçoive les souffrances appropriées sur le chemin afin que mon cœur soit véritablement éveillé et que ma libération et ma compassion universelle soient complètes. » Je dédie ce roman à mon maître, Maître P., et à ma petite sœur esclave d., dont le souvenir demeure gravé dans nos cœurs. Danny
Introduction D’abord, on ne devient pas esclave. On naît avec les fers dans l’âme. Bien sûr, on peut naître, vieillir et mourir sans savoir qu’on était fait pour l’esclavage et sans jamais connaître le joug, ni les joies de l’asservissement. On peut même croire que l’on est né pour commander, que l’on est un « leader né ». On peut devenir un chef acceptable, alors que nos penchants naturels auraient dû nous pousser dans une tout autre direction. Car si on est né pour la servitude, jamais on ne connaîtra le vrai bonheur, le réel contentement, la paix du cœur et de l’esprit qui auraient été les nôtres si l’on avait suivi notre propre voie, celle du don de soi, celle du dépassement, de l’abandon et du renoncement.
Il y a des gens qui ne s’épanouissent que dans la sujétion, d’autres ne réussissent que dans la domination. Quelques-uns, plus rares, sont capables d’assumer honnêtement les deux rôles. Je suis de ceux-ci. J’ai connu l’esclavage pendant des années, sous l’autorité stricte, mais bienveillante, de deux maîtres. J’ai ensuite passé quelque temps à réapprendre la liberté, à me ressourcer, à chercher vers quoi ma voie allait me mener. L’un de mes maîtres m’a formé pour le dépistage d’esclave et pour devenir un bon maître et un excellent entraîneur. Je suis alors parti à la recherche d’esclaves à entraîner. Pas de ces piliers de bar qui croient être nés pour servir, juste parce qu’ils sont désireux de vous laisser prendre les rênes pendant la baise. Ce que je voulais, c’était quelqu’un qui, comme moi, avait le goût du défi, quelqu’un qui avait besoin d’un guide, d’un maître. Je l’ai trouvé. Il ne se savait pas esclave, il craignait la souffrance plus que tout, mais ce dont il souffrait le plus, c’était de l’existence absurde, parce que vide de sens, qu’il menait. Je l’ai entraîné pendant plusieurs mois, je l’ai éprouvé, puis je l’ai vendu. Eh oui. N’est-ce pas ce que l’on fait généralement avec nos biens mobiliers ? On les achète, on les vend, parfois on les prête ou on les donne, quelques fois on en hérite. Il en va de même pour les esclaves. Je l’ai donc vendu. J’ai ouvert un compte bancaire à son nom où j’ai versé la moitié de la somme de la vente. J’ai conservé le reste pour le paiement de mes frais d’entraînement. Oh, je ne l’ai pas vendu pour le reste de sa vie, juste pour quelques années. Quand son contrat a été terminé, il était de nouveau libre, avec cent mille dollars en banque. Avant ses années d’esclavage, il ne gagnait même pas vingt mille dollars par an et tout était dépensé en frais divers : logement, nourriture, auto, essence, etc. À la fin de son esclavage, la somme reçue pour sa vente et placée selon les recommandations d’un conseiller financier du Marché d’esclaves avait notablement augmenté et permettait à l’esclave émancipé un nouveau départ dans la vie. Pas si mal, non ? Je m’étais appliqué à ma tâche d’entraîneur. J’avais fait de l’excellent travail. L’acheteur de mon élève était un homme en vue et il était des plus satisfaits de son nouvel esclave. Il en a parlé à certaines de ses connaissances qui étaient aussi prêtes à donner très cher pour un esclave dévoué. Je les leur ai procurés. J’ai formé deux nouveaux esclaves en même temps : un jeune homme et une jeune femme. Après ces nouvelles ventes, ma réputation de bon entraîneur s’est accrue et mon compte en banque aussi. J’ai continué ainsi pendant des années et, finalement, j’ai décidé de m’offrir un voyage autour du monde. J’allais en profiter pour voir ce que le Marché d’esclaves avait à offrir ailleurs. J’ai commencé à ne faire que du repérage partout sur le globe. J’allais dans des endroits publics, le plus souvent des bars ou des cafés, et je regardais les candidats potentiels, sélectionnant les plus intéressants pour l’entraînement. Pendant quelques semaines, je les préparais pour la vente. Je les vendais ensuite à des entraîneurs réputés qui poursuivaient leur entraînement pour faire d’eux de bons esclaves ou à des maîtres préférant de bons novices à des esclaves déjà entraînés. Dire que je choisissais des candidats n’est pas entièrement exact. En fait, ils venaient à moi comme l’abeille va à la fleur. J’entrais dans un bar BDSM, je m’installais au comptoir ou à une table, et bientôt je les voyais venir à moi, les uns après les autres pour me présenter leur petit numéro d’offrande de viande fraîche. On m’a payé je ne sais combien de verres, on a dansé devant moi la danse de la séduction, on s’est agenouillé à mes pieds, on m’a supplié de poser mon sceptre sur eux, en eux. Leurs méthodes de séduction n’avaient pour moi aucune importance. Leur sincérité, leur désir de servir, leur avidité à plaire, mais surtout à se donner, seuls comptaient. Comment pouvais-je découvrir ces qualités si précieuses en eux au milieu de la superficialité et du tohu-bohu des bars ? J’avais moi-même été esclave, Maître, entraîneur. Toute ma vie, j’avais vécu avec ce désir inaltérable du don de soi. Je savais maintenant me reconnaître en eux, ces chers chers enfants que j’aurais tous voulu aider. Mais il fallait choisir. Aujourd’hui, j’ai décidé de m’arrêter un moment, le temps de vous expliquer comment j’en suis venu à croire tout ce que je viens de vous dire et de vous raconter la première partie de ma vie dans le Marché d’esclaves, c’est-à-dire mon propre entraînement comme esclave.
Chapitre 1
Je m'appelle Maximilien Lemay. Mais tout le monde m’appelle seulement Max. Je suis né en 1957 dans un village du Québec, comme il y en a tant : un coin perdu entouré de forêts. C’était encore le temps du baby-boom, avant les Beattles et la révolution sexuelle. Mes parents étaient, je crois, et heureusement pour moi, plus ouverts d’esprit que la moyenne des gens de l’époque. Jamais les choses de la vie ne m'ont paru évidentes comme cela semblait l’être pour la majorité des gars et des filles de mon âge. J’avais toujours à l’esprit un million de questions sans réponse et j’étais bien plus à l’écoute des agissements des gens que de leurs paroles. Ces dernières étaient si souvent en contradiction avec leurs actes. À six ans, j’ai eu mes toutes premières expériences sexuelles, si tant est qu’on puisse les appeler ainsi. Enfin, ce sont les premières dont je me souvienne. Elles ne se sont pas passées comme pour tous les autres enfants. Je ne crois pas. Un jour que nous jouions à cache-cache, je me suis retrouvé sous le porche grillagé d’une maison appartenant à un homme vivant seul. Jean, le garçonnet avec qui je me cachais, portait comme moi un vieux short trop ample. En attendant d’être découverts par celle qui avait été désignée pour nous retrouver, nous nous sommes mis à explorer notre cachette. Le propriétaire y avait entreposé toutes sortes de vieux objets. Il n’y avait pas grand-chose d’intéressant pour nous. Mais en se déplaçant à quatre pattes, Jean était passé devant moi. Il ne portait aucun sous-vêtement. Il avait involontairement étalé son sexe à ma vue. Le gamin avait un an de moins que moi et il me semblait que son sexe était beaucoup plus gros que le mien. J’en ai eu un choc. J’ai commencé à me demander si j’étais normal. Quelque temps après, en des circonstances semblables, j’ai fait en sorte de me cacher avec une fille. Elle s'appelait Hélène. Comme je n’arrivais pas à voir son sexe, je lui ai demandé de me le montrer. Je lui ai promis qu’en échange, je lui montrerais le mien. Le marché ne semblait pas l’intéresser. Alors, je lui ai montré la petite monnaie que j’avais en poche et j’ai promis de lui acheter les bonbons qu’elle voudrait avec ça, si elle voulait bien faire ce que je lui demandais. Elle a accepté à la condition d’empocher toute ma monnaie d’abord. Je la lui ai donnée à contrecœur en me demandant si j’en aurais pour mon argent. Elle a alors relevé sa robe et baissé sa petite culotte. Je ne saurais dire à quel point j’étais surpris. Choqué conviendrait mieux à décrire ce que j’éprouvais. Elle n’avait rien ! Enfin si, mais elle n’avait pas la moindre queue. Je me suis penché pour mieux vérifier, mais elle a alors rapidement remis sa culotte et baissé sa robe. J’étais content. Au moins, j’en avais une ! Je la lui ai montrée, comme promis. Elle n’a pas paru le moins du monde surprise. Elle a juste dit : « Mon frère en a une bien plus grosse ». J’étais blessé dans mon orgueil viril, mais j’ai fait celui qui s’en foutait et je me suis rhabillé. Plusieurs semaines ensuite, je me suis retrouvé de nouveau caché avec un garçon. Il était plus vieux que moi et s’appelait Denis. J’ai juste baissé mon short devant lui et exigé de voir la sienne également. Je voulais comparer, être sûr que je n’étais pas un monstre, quelque chose entre gars et fille, avec ma petite queue. Il a refusé. Il m’a traité de cochon, de malade, m’a dit que j’irais en enfer. Il m’a alors poussé par terre et m’écrasant de tout son poids, il s’est mis à me frapper avec un bout de bois qui traînait là. Je luttais à plat ventre pour me libérer, tout en serrant les dents pour ne pas pleurer, ce qui aurait convaincu tout le monde que je n’étais qu’une fillette. Je sentais que les larmes allaient bientôt me monter aux yeux, mais en même temps que mon sexe prenait du volume. L’autre gamin a sorti un couteau et m’a menacé de la couper. Pour une fois qu’elle me semblait d’une dimension respectable, je ne voulais pas la perdre ! Je me suis défendu avec toute l’ardeur de mes six ans. L’autre gamin a fini par se blesser lui-même avec son couteau. Ce soir-là, mon père m’a demandé de l’accompagner dans ce qui nous servait à la fois de chambre d’amis, de bureau et de salle de rangement. Il m’a dit savoir ce que j’avais fait aujourd’hui, que de blesser un copain avec un couteau, c’était très mal. Je devais être puni pour ma méchanceté, a-t-il affirmé en retirant sa ceinture. Il m’a alors ordonné d’ôter mon short et de me pencher sur le lit. Je ne savais pas ce que Denis avait pu raconter au juste. Je ne savais qu’une chose : je devais prouver à mon père que j’étais capable de courage. J’ai baissé mon short et me suis retourné pendant que mon père enroulait une partie de sa ceinture dans sa main. Mon père a alors vu les zébrures qui marquaient mes fesses et le haut de mes cuisses. Il m’a questionné
à ce sujet. — C’est Denis qui m’a frappé, ai-je dit. — Tu l’as blessé au couteau pour te défendre. — Non. Il s’est blessé lui-même avec son couteau. — Comment ça ? Je lui ai répondu sans changer de position, sans me retourner, lui laissant voir mon cul zébré. — Denis me tenait par terre et il me frappait avec un bâton. Il a dit qu’il allait me couper. Je me suis débattu et il est tombé sur sa lame. Mon père a alors laissé tomber sa ceinture et m’a ordonné de me rhabiller. J’étais déçu. Bien sûr, j’avais peur des coups qu’il allait me donner, peur d’avoir mal, mais en même temps je voulais lui prouver que son petit garçon était un homme. Il s’est assis à côté de moi sur le lit et m’a demandé de tout lui raconter. — Ça restera entre hommes, m’a-t-il dit. Il venait de prononcer le mot magique. J’ai commencé à lui parler de la fille à qui j’avais demandé de se déculotter, parce que ça, j’en étais sûr, il me le pardonnerait. Je lui ai ensuite parlé de Denis, comme s’il s’agissait de Jean. J’ai dit que j’avais vu accidentellement sa queue et que, lorsque je le lui ai dit, il s’était fâché et m’avait traité de malade et de « maudit cochon ». Je lui ai expliqué qu’il avait alors commencé à me battre. — Sa queue était vraiment très grosse, papa, beaucoup plus grosse que la mienne. — Il est plus vieux que toi, c’est normal, a-t-il répondu. — Non, il a le même âge que moi, ai-je menti. — Ça ne veut rien dire ça, la grosseur d’une queue. Moi, à ton âge, j’en avais une plus petite que la tienne. — Oui ? — Oui. — Et maintenant, comment est-elle ? La taille qu’avait pu avoir sa queue ne signifiait pas grand-chose pour moi, puisque je n’avais jamais eu l’occasion de voir comment elle était devenue. Mon père semblait mal à l’aise, ne sachant pas trop quoi me répondre. J’ai continué. — Hélène, elle, n’en avait pas. — Oui, les filles n’ont pas de pénis, elles ont un vagin et un utérus. — Elles ont quoi ? Mon père hésitait encore. Peut-être se demandait-il si j’étais assez vieux pour me parler de ces choseslà. — Elles ont un vagin et un utérus. C’est là que poussent les bébés, tu sais ? — Ah ouais. Moi, je n’ai pas de vagin, mais ma queue est très petite. — Écoute mon gars. Il y a de grosses queues qui fonctionnent très mal ou pas du tout, et de petites qui fonctionnent bien. Et puis, quand on devient grand, notre queue grossit. Parfois, elle grossit plus vite que le reste, tu comprends ? Ma queue avait grossi très rapidement aujourd’hui quand Denis me battait, mais elle était maintenant redevenue comme avant. Peut-être qu’elle essayait de grandir et qu’un jour elle resterait grosse. — Tu veux dire que j’aurai peut-être une grosse queue un jour ? — Peut-être. Tu vois, moi, c’est ce qui m’est arrivé. — Oui ? ai-je demandé avec de grands yeux où devait briller l’espoir. Il me regardait intensément et, moi, je l’examinais où ça comptait pour moi à ce moment-là. Et, en effet, il me semblait y voir une bosse imposante que je n’avais jamais remarquée avant. Mon père s’était alors levé et, plus hésitant que jamais, il a baissé son pantalon. J’en suis resté bouche bée. Là-dessous, il y avait quelque chose d’inimaginable. Le sexe de mon père pointait bien droit vers le plafond. Il était luisant et lisse. Une veine, comme un bel arbre bleu, le parcourait. Son scrotum pendait lourd et énorme sur ses cuisses, comme une promesse de fertilité. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau. Et l’homme qui portait ce splendide instrument était mon père ! Il est devenu une sorte de dieu vivant pour moi à partir de ce jour-là.
Je ne sais combien de temps s’est écoulé, mais un jour j’ai entendu parler d’hérédité. On disait que l’on héritait de la couleur des yeux, des cheveux et de la peau de ses parents. J’ai de nouveau questionné mon père. Il m’a rassuré en disant : « Oui, mon garçon, ça aussi, c’est héréditaire ». Si mon père à mon âge avait un sexe plus petit que le mien, j’avais toutes les raisons de croire qu’à son âge, mon sexe serait plus gros que le sien. Si je n’étais pas déjà un homme, j’allais le devenir. Je me suis ensuite lancé dans toutes les activités susceptibles de montrer à mon père et à tout le monde que j’en avais dans le ventre et ailleurs. Dès que quelqu’un disait : « Ceci n’est pas une activité pour tout le monde, il va falloir avoir du cran... », je donnais mon nom pour participer. Je me suis aussi mis à lire des romans héroïques, des histoires de preux chevaliers, de croisés, de guerriers. J’aimais les romans de Kipling : « Kim », « Le livre de la jungle », « Capitaine courageux », « Stalky & cie ». Je dévorais les livres de la collection « Signes de piste », où il arrivait toutes sortes d’aventures à des scouts. Les livres de science-fiction qui me plaisaient le plus étaient ceux où des jeunes ordinaires se retrouvaient dans des situations extraordinaires les obligeant à trouver en eux-mêmes des qualités qu’ils ne savaient pas posséder. À la télé, je regardais des films sur l’entraînement des soldats. Plus la « drill » était dure, plus le film me passionnait, parce qu’alors, je m’identifiais davantage aux soldats et je pouvais vraiment croire à leur valeur. Un samedi, je devais avoir onze ans, plusieurs jeunes s’étaient retrouvés à l’endroit que l’on nommait la troisième plage. C’était au bord d’une rivière étroite, peu tumultueuse, où nous aimions nous baigner. J’avais défié Rémi, un gars de ma classe, à traverser la rivière à la nage. Meilleur nageur et en meilleure forme physique que lui, j’étais parvenu sans peine à traverser la rivière, très étroite à cet endroit. Rémi avait failli se noyer. Je l’avais regardé un moment disparaître sous l’eau et réapparaître pendant que je reprenais mon souffle. Au moment où j’allais plonger pour aller l’aider, un homme s’était jeté à l’eau. Après avoir ramené Rémi sur la grève et s’être assuré qu’il s’en tirait indemne, l’homme nous a demandé nos noms. Le lundi suivant, mon instituteur m’avait ordonné de me rendre au bureau du directeur, de m’asseoir sur l’une des chaises près de la porte de son bureau et d’attendre l’autorisation d’entrer. J’y suis allé et me suis assis sur la chaise la plus éloignée de la porte, comme si j’avais une chance de cette façon de retarder le moment fatidique. J’ai attendu. Des siècles, il me semblait. Puis, la porte s’est ouverte, un homme est sorti et s’est éloigné pendant qu’une voix grave m’ordonnait d’entrer. Quand j’ai finalement pénétré dans son bureau, le directeur parlait au téléphone avec un ami, si j’en jugeais par la légèreté de la conversation et l’expression rieuse de l’homme que je voyais de près pour la première fois. Tout en parlant, il jouait avec une règle en bois qu’il faisait tournoyer comme une toupie sur son bureau. Il l’a lâchée, elle a fait encore deux tours puis est tombée sur son bureau. De la main, il m’a fait signe d’approcher. Pendant qu’il écoutait son ami, il m’a mesuré du regard. Lorsque ses yeux se sont arrêtés dans les miens, j’ai regardé ailleurs. La pièce n’était pas très grande et sentait le vernis à meuble et le tabac. Une fenêtre, à ma droite, donnait sur une ruelle d’où j’ai entendu des cris. Des voix d’adultes en colère. Ce qui n’était pas pour me rassurer. Le directeur a raccroché. — Bonjour, Maximilien, m’a-t-il salué d’un ton de voix affable. — Bonjour, Monsieur, ai-je répondu faiblement. Jamais personne ne m’appelait Maximilien. Pour moi, c’était juste le nom de mon grand-père. Mais je n’avais pas osé le lui dire. — Je ne te demanderai pas comment tu vas. Je suis sûr que tu aimerais mieux être ailleurs, n’est-ce pas ? — Oui, Monsieur. Il ne m’était même pas venu à l’idée de lui mentir. L’intensité et l’empressement de ma réponse m’avaient valu un rire chaleureux qui m’avait fait sourire. J’ai aussitôt trouvé l’homme sympathique et décidé que je pouvais lui faire confiance. Aussi, lorsqu’il m’a demandé : « Raconte-moi ce qui s’est passé à la troisième plage », je me suis immédiatement lancé dans mon récit, sans mensonge ni omission. Il m’a écouté en silence. Lorsque le silence s’est poursuivi longtemps après la fin de mon histoire, j’ai levé les yeux vers lui et j’ai vu qu’il fronçait les sourcils et qu’il avait l’air inquiet.
— Je ne voulais pas..., ai-je commencé. — Shh, a-t-il fait. Laisse-moi réfléchir un peu. Il n’y avait eu aucune dureté dans sa voix, aucune impatience. Il voulait juste réfléchir un peu à tout ça. J’étais sur le point de pleurer. — Comment te sentirais-tu s’il était mort, Max ? J'ai noté malgré moi le changement de prénom et cherché ce que je pouvais répondre. — Il est vivant. — Ce n’est pas grâce à toi. — Je voulais l’aider, mais cet homme... — Ça suffit, Max. Tu sais très bien que tu as mal agi, n’est-ce pas ? J’étais en colère. Il était comme tous les autres adultes : il voulait seulement une occasion de pointer du doigt l’erreur d’un enfant pour pouvoir le punir. — Ce n’est pas de ma faute s’il ne sait pas bien nager, ai-je presque crié. — Max. Suppose que cet homme ne soit pas passé, que tu aies essayé d’aider Rémi et qu’il se soit débattu. Ça arrive, tu sais, quand on se noie. On a peur et on se débat. Suppose qu’il t’ait entraîné sous l’eau et que tu aies manqué d’air. Qu’aurais-tu fait ? — Je ne sais pas. — Max. Tout le monde m’a dit du bien de toi. On m’a dit que tu es un brave garçon, courageux et vaillant, qu’on peut compter sur toi dans les moments difficiles. Crois-tu vraiment posséder toutes ces qualités ? — Je ne sais pas. — Tu ne sais pas. Il m’a regardé, en réfléchissant encore un moment. — Crois-tu être assez courageux pour répondre franchement à une question simple ? — O... oui, Monsieur, ai-je répondu, incertain. — Crois-tu avoir eu raison de défier Rémi, que tu savais être un mauvais nageur, à traverser la rivière ? — Non, Monsieur. — Bien. Ce « bien » m’a surpris. Je me demandais ce qu’il pouvait trouver « bien » dans ce qui venait d’être dit. — Puis-je savoir pourquoi tu l’as fait ? — Je ne sais pas. — Max, s’il te plaît, tes « je ne sais pas » deviennent ennuyeux à la longue, tu ne crois pas ? — Je ne sais pas, ai-je répondu en souriant un peu. Il a soupiré, mais en souriant aussi. J’ai alors eu envie de lui faire plaisir, de tout lui dire. — Je voulais le sauver. Je voulais qu’il commence juste un peu à se noyer pour pouvoir le sauver, ai-je lâché d’un souffle. — Oh mon Dieu ! J’ai eu alors mal quelque part entre la poitrine et le ventre. Comme s’il y avait là un grand trou. Je ne voulais pas être détesté, ni pris pour un monstre, surtout pas par lui. — Il aurait pu mourir, a-t-il insisté. — Il est vivant, ai-je répété. — Pourquoi ? Je ne comprenais pas le sens de sa question. — Pourquoi as-tu agi ainsi ? Qu’espérais-tu obtenir ? — Je ne sais pas. — Tu le sais, a-t-il affirmé en haussant la voix. Je me suis mis à pleurer. — Je veux qu’on m’aime. Je veux sauver des gens. Je veux faire des choses qui font peur aux autres gens, être courageux. Je veux être un héros. Je veux... Je me suis arrêté, mon souffle coupé par un hoquet. — Courageux ? ! Quel courage y a-t-il à risquer la vie des gens inutilement ? Regarde Andrée Gagnon. Tu sais la fille de quatrième qui est en fauteuil roulant. Elle est vraiment très courageuse. Il faut du
courage pour vivre comme ça, toute sa vie en fauteuil roulant. Lui as-tu déjà parlé ? — Non. — Tu devrais. Il y a aussi Jacques Lejeune, le gars de cinquième qui apprend à danser le ballet. Lui aussi, il a du courage. — Mais il est juste une... — Une quoi, Max ? Une tapette ? La danse, c’est magique. Quand on danse, on a l’impression de faire partie de la musique. On croit parfois qu’on va s’envoler. C’est aussi un exercice exigeant qui demande de la coordination, des réflexes, le sens du rythme. Et, dans le cas d’un garçon, il faut également beaucoup de courage. Tu sais pourquoi, Max ? — Non. Je n’ai pas osé dire « je ne sais pas ». J’étais bien trop déconcerté par ce que j’entendais pour en dire plus long. — À cause des gens comme toi, Max, des gens qui racontent que vous n’êtes qu’une tapette. Parce que, même si vous ne l’êtes pas, tout le monde le dit et le croit. Vous n’avez beau danser que par amour de la danse, on n’arrêtera pas de rire de vous. Et c’est très dur de continuer quand tout le monde vous rit au nez. J’avais souvent entendu parler de courage et des gens qui se font humilier. Je m’en repaissais grâce à toutes mes lectures et à tous mes défis ; mais jamais personne ne m’avait dit qu’il fallait du courage pour danser le ballet. En fait, je croyais même que le directeur pourrait avoir des ennuis si je racontais à tout le monde ce qu’il venait de me dire. J’ai alors pensé qu’il devait être fou ou très courageux pour me parler ainsi. — Tu sais ce que je crois, Max ? — Non, Monsieur. — Je crois que si tu passes ton temps à relever tous les défis, si tu participes à tous les jeux, tous les concours les plus difficiles, ce n’est pas par courage. Bien au contraire. Je crois que tu as très très peur. Tu as si peur que personne ne s’intéresse à toi, que personne ne t’admire, que personne ne t’aime, que tu es prêt à risquer la vie d’un ami pour attirer sur toi l’attention des gens. Je crois, Max, que tu es l’un des plus grands lâches de cette école. Je le regardais, la bouche entrouverte, cherchant à absorber et à digérer ce qu’il me disait. — Ce n’est pas vrai ! ai-je crié finalement. — Tu crois vraiment, Max ? J’étais de nouveau au bord des larmes. En entrant dans ce bureau, mon esprit était confus. En voyant le directeur faire tournoyer sa règle, je l’avais imaginé m’en frappant la paume des mains. Je me voyais supporter stoïquement ma punition. J’étais fier à l’avance du courage dont je ferais preuve et de l’admiration que ce courage ne manquerait pas d’entraîner dans l’esprit du directeur. Et voilà que je pleurais, en pensant que peut-être le directeur disait vrai, et que je n’étais qu’un lâche, le pire de tous. — Va-t’en, Max, je t’ai assez vu. J’ai tourné les talons et me suis dirigé vers la porte. — Tu sais ce qui serait vraiment très brave, Max ? a-t-il demandé alors que j’allais sortir. Ce serait que tu arrêtes de chercher à attirer l’attention à tout prix, que tu cesses d’essayer de devenir la vedette de cette école. Sors maintenant. Il avait recommencé à travailler, mais j’étais resté là, dans le cadre de la porte, à le regarder. Je luttais pour trouver ma route entre la haine et l’admiration. Lorsqu’il a levé les yeux et fixé les miens en silence, j’ai dit : « Merci, Monsieur ». Et je suis sorti en courant, avec quelque chose qui m’obstruait la gorge et que je ne voulais pas laisser sortir, parce que cela aurait été un trop grand cri. Ce soir-là, j’ai parlé à mon père de la fille en fauteuil roulant et du garçon qui dansait le ballet. Je lui ai parlé du dernier livre de science-fiction que j’avais lu, dans lequel les extraterrestres étaient tous pareils, sans aucune différence, ni dans la couleur de leurs yeux, ni dans la forme de leur sexe. Ce livre était une sorte d’éloge à la différence et je me sentais très différent des autres ce jour-là. Mon père a ajouté que ce n’était pas tant notre apparence qui comptait, mais la valeur de nos actes. Il m’a alors raconté l’histoire des cinq gamins partis ensemble en forêt. Ils s’étaient égarés. Deux seulement en étaient revenus. L’un d’eux avait une grave infection à la jambe droite. On avait dû la lui amputer.
L’autre était celui qui les avait tous poussés à partir. — Ce gars-là, tu vois Max, se croyait très brave. Mais il a fait une chose stupide, vraiment stupide. Et à cause de lui, trois de ses meilleurs amis sont morts et l’autre est infirme pour le reste de sa vie. Que croistu qu’on devrait faire avec quelqu’un comme lui ? J’ai haussé les épaules. Je ne savais pas s’il avait su pour Rémi, mais il ne m’en a jamais parlé. Il ne m’a pas dit non plus ce qu’il ferait, lui, avec un gars comme celui de son histoire. Et je ne tenais pas tellement à le savoir.
Chapitre 2 Quand je me regardais dans le miroir de ma chambre, je voyais un beau jeune homme dont le regard tendre s'éclairait parfois d'une lueur sauvage. Mais mes cils longs et ourlés donnaient à mon regard une expression trop vulnérable à mon goût. Une mèche rebelle de ma chevelure bouclée et très noire ne cessait de tomber dans mes yeux aigue-marine. Mais lorsque mes narines, comme celles d’un cheval fougueux, frissonnaient, n’importe qui aurait pu comprendre que peu de chose pouvait m’empêcher d’aller là où je le voulais. Mon corps était ferme. Le corps d’un jeune homme qui n’avait jamais arrêté de courir, de sauter, de grimper, de nager. Ma mésaventure de la troisième plage avait pourtant marqué un tournant dans ma jeune existence. Je n’essayais plus d’être le premier en tout, la vedette à tout prix. Si je le devenais, c’était presque par hasard. J’essayais alors de détourner l’attention sur la valeur de celui-ci, la vaillance de cellelà, la ténacité et l’esprit d’équipe des autres. Mais il me fallait toujours me dépasser, aller plus loin, ailleurs. Sinon, j’avais l’impression de n’aller nulle part. Au sauna et aux douches de mon école, je regardais le corps des autres gars. Certains me paraissaient très beaux, d’autres moins. Mais toujours, je cherchais leur regard. Ce que j’y voyais comptait plus que tout le reste. Ils avaient beau avoir le corps de jeunes dieux grecs, si je ne rencontrais dans leurs yeux que le vent de l’Olympe, ils n’avaient pas plus d’effet sur moi qu’un coup de vent. Je les oubliais vite. Je ne savais pas si j’étais vraiment gai. Le corps des hommes me troublait plus que celui des femmes, certes. Mais le cœur des femmes et leur bon sens m’attiraient davantage. Au début de ma dernière année d’école secondaire, nous avons eu droit à un nouveau professeur d’éducation physique. Il était noir, très noir. Ses traits étaient fins. Il devait mesurer plus d’un mètre quatre-vingt-quinze. Le blanc de ses yeux, d’un noir de jais, était presque bleu. Ses dents étaient parfaitement blanches, solides et égales. Ses lèvres avaient juste ce qu’il fallait d’épaisseur pour qu’on les dise sensuelles. Son corps était celui d’un athlète, ferme, musclé, mais sans excès. Ce qui frappait le plus était son port de tête altier. Un dieu païen. Un prince d’Afrique. J’étais foudroyé par tant de beauté. Lors du premier cours, il s’est d’abord présenté : « James Téka ». Il nous a ensuite demandé de nous mettre en rangs. Il est passé devant chacun de nous, comme un général à la révision des troupes. À mesure qu’il passait devant nous, nous devions nous présenter. Il s’arrêtait devant chacun de nous, son regard nous détaillant de la tête aux pieds. Lorsqu’il s’est arrêté devant moi, je me suis dit : « Fais quelque chose, dis quelque chose. La première impression est capitale, mon gars. » Je l’ai, comme il le faisait pour chacun de nous, mesuré du regard de haut en bas, en m’arrêtant ostensiblement à la hauteur du sexe. Lorsque mes yeux sont revenus dans les siens, il a souri. Juste un tout petit sourire au coin gauche de la bouche. Puis ses yeux m’ont fixé avec une telle intensité et une telle implacabilité que j’ai eu peur d’avoir commis une terrible erreur, la pire de toute ma jeune vie. On disait de lui qu’il avait grandi dans les ghettos les plus mal famés de New York, qu’il avait vécu à Boston et à Chicago, qu’il avait enseigné dans des écoles qui feraient passer l’enfer pour une école maternelle, qu’il était gai. Pourquoi l’avait-on engagé ici, si tout cela était vrai ?
Ensuite, il nous a demandé de nous répartir dans le gymnase pour des exercices de réchauffement et d’extension. J’ai choisi une place au milieu de la salle et j’ai commencé les exercices comme les autres. Puis, après une série de tractions des bras au sol, il nous a demandé de nous étendre sur le dos pour des redressements assis. Comme les autres, je me suis retourné. — Pas toi, Max. Toi, tu continues les tractions. Il parlait presque sans accent, d’une voix de baryton flirtant avec les basses. Je me suis retourné sur le ventre et j’ai continué les tractions pendant que les autres commençaient les redressements. Ils ont eu droit à toute la série classique d’exercices de réchauffement pendant que, moi, je pliais et dépliais les bras, le corps aussi droit et rigide que ma volonté me le permettait. Après qu’ils se soient un peu reposés, il leur a demandé de mesurer leur rythme cardiaque. Puis, il leur a ordonné de courir autour du gymnase. Après cinq minutes de course, il leur a permis de s’arrêter et leur a de nouveau demandé de prendre leur rythme cardiaque, et de le mesurer une nouvelle fois après un repos de quelques minutes. Moi, je continuais à plier et à déplier mes bras tremblants, mais de plus en plus péniblement. Environ vingt minutes avant la fin du cours, mes bras ont commencé à vouloir me lâcher. J’avais beaucoup de mal à les déplier et à ne pas me laisser tomber au sol ensuite. J’espérais qu’un miracle me permettrait de tenir encore vingt minutes. Mais il aurait vraiment fallu un miracle. J’ai essayé, mais cinq minutes plus tard, j’étais vraiment au bout de mes forces, je n’y arrivais plus. — Alors, Max, quelque chose ne va pas ? Je ne crois pas t’avoir permis d’arrêter, l’ai-je entendu me dire de l’une des extrémités du gymnase, alors que je croyais qu’il m’avait tout bonnement oublié. Je n’ai rien répondu. Je soufflais fort, mais j’ai rassemblé mes forces et j’ai poussé mes bras à leur extension maximale. Lorsque je me suis retrouvé au sol, immobile et incapable d’une nouvelle extension, j’ai vu une paire de chaussures et des chevilles noires et presque imberbes à quelques centimètres de ma tête. Il a posé son pied droit sur mes reins. J’ai essayé de pousser mes bras encore une fois, par pur orgueil. J’y ai vraiment mis tout ce que j’avais. Mais, même si son pied n’appuyait pas sur mes reins, même s’il se faisait aussi léger que le pied d’un homme d’une telle taille pouvait l’être, je n’arrivais pas à étendre les bras complètement. Alors, il a poussé et m’a maintenu au sol. Je me suis débattu, j’ai essayé de me redresser, mais dans l’état où j’étais, c’était impossible. Il le savait. J’ai donc essayé de me libérer autrement, de me retourner, sans plus de succès. — Max, tu restes là, à plat ventre, le nez au sol et tu ne bouges pas jusqu’à ce que je t’y autorise. Compris ? Quand il avait posé le pied sur mon dos, j’avais eu l’impression de n’être rien de plus qu’un fauve que le grand chasseur noir venait d’abattre et j’avais senti une armée de fourmis se rassembler à la hauteur de mon aine. Tous les mouvements que j’avais faits pour me libérer avaient provoqué une friction contre mon sexe, qui était maintenant très dur. J’étais certain qu’il s’en doutait. C’était sans doute par pitié qu’il m’avait ordonné de rester à plat ventre. Si je m’étais levé, ma verge aurait fait le piquet de tente dans mon short. J’étais humilié de demeurer au sol, mais je l’aurais été bien davantage si je m’étais levé. Je suis donc demeuré sans bouger, si parfaitement immobile qu’on aurait pu me croire mort. Je ne me suis même pas permis de lever le petit doigt qui me démangeait tellement. Je sentais l’odeur du cirage du parquet, du caoutchouc des semelles et des ballons et celle de la vieille sueur. Les lampes du plafond se reflétaient sur le sol et m’éblouissaient. J’avais si chaud que je me serais cru étendu sur une plage d’Afrique. Le cours a pris fin. La journée de classe aussi. Il était quatre heures. Tout le monde a quitté le gymnase. Je l’ai entendu, lui le prof, saluer tout le monde par son nom. Vingt-sept noms à se rappeler et à nommer. Vingt-sept personnes à saluer. Ensuite, il a sans doute rangé certains équipements. Puis, je n’ai entendu que le silence. J’ai cru qu’il était parti, m’abandonnant à plat ventre sur le sol du gymnase. Qu’allais-je faire ? Attendre encore ? — Debout, l’ai-je entendu m’ordonner de si près que j’ai sursauté. Je me suis levé et lui ai fait face. — Qu’essayais-tu de prouver en me jaugeant comme tu l’as fait ?
— Rien. J’ai autant le droit de mesurer mon professeur que celui-ci d’évaluer ses élèves. Il a tourné un peu la tête en souriant. Puis, il m’a de nouveau fait face. — Que mesurais-tu au juste ? La longueur de ma queue ? Il ne pouvait être plus direct. J’ai senti la chaleur m’envahir la poitrine et me monter aux joues. Par défi, je l’ai fixé longuement dans les yeux. — Attention, Max. Tu ne me connais pas. Tu ne sais pas qui je suis, ce que je suis, ni de quoi je suis capable. Je n’ai peur de rien, tu m’entends. Ni de la mort, ni de la vie. Tu as entendu ce qu’on dit de moi ? Tout est vrai. Tout est au-dessous de la vérité. Je suis le diable, Max. — Brrr ! J’ai peur, ai-je répondu, par bravade. Mais en fait, c’était vrai. J’avais peur. Pas tant du diable que de mon envie de visiter l’enfer. — Les choses risquent d’aller très mal pour toi si tu continues comme ça. — Je m’en fous. — C’est ce que tu crois. — C’est la vérité. — Ne me défie pas, Max. — Je le fais. Tentez-moi, Satan. Emmenez-moi en enfer. Moi aussi, je ne crains rien. Il m’a longuement regardé. Une expression de tristesse a traversé son beau visage. Je lui ai souri. — Va-t’en, Max. Je t’ai assez vu pour aujourd’hui. Le dernier homme à m’avoir dit ça avait changé ma vie. Que ferait celui-ci ? Le lundi et le jeudi suivants, je me suis appliqué à suivre toutes ses instructions à la lettre. C’était comme si rien ne s’était passé, comme si j’avais rêvé être resté presque une demi-heure à faire des tractions de bras tant bien que mal sur le sol de ce gymnase. J’ai quitté la salle comme tous les autres après le cours. J’ai commencé à rêver de lui. J’étais perdu au milieu d’un bois, sous l’orage. Le tonnerre grondait. Les éclairs zébraient le ciel. L’air embaumait la terre et l’herbe mouillées. J’entendais les craquements et les cris caractéristiques de la forêt. J’avais peur. Il surgissait comme Tarzan au milieu de la jungle pour me sauver au moment où une bête sauvage, chaque fois plus terrible, plus féroce, allait me dévorer. Je me réveillais en sueur et mouillé par mon sperme. Au quatrième cours avec lui, je me suis assis au milieu du gymnase avec la ferme intention de ne pas bouger tant et aussi longtemps qu’il ne me dirait pas ce qu’il attendait de moi, sa créature. Il était mon dieu. Que pouvais-je espérer sans lui ? Il ne m’a rien dit. Il n’a rien fait. Il m’a laissé attendre son bon vouloir. Quelques-uns de mes camarades se moquaient de moi, me demandaient ce que j’attendais là. Je ne répondais rien. Je ne leur accordais pas la moindre attention. Je suivais des yeux chacun des mouvements de mon dieu. Lorsque le cours a fini et que tous les élèves sont partis, il a rangé quelques appareils et, sans un mot, sans un regard vers moi, il a quitté la pièce et l’école aussi, probablement. Je suis resté assis. Après un certain temps, je me suis endormi sur le sol du gymnase jusqu’au lendemain matin. — Lève-toi, Max. Va téléphoner à tes parents, m’a-t-il ordonné. — Non. — Pour toi, ce ne sera jamais que « Non, Monsieur » ou, mieux, « Oui, Maître ». Nous étions seuls. Je lui ai souri de toutes mes dents et j’ai répondu : « Oui, Maître ». Je mentirais si je disais que je savais à ce moment-là dans quoi je m’engageais. Mais j’ai obéi. Je suis allé téléphoner à mes parents. Je leur ai menti : j’étais chez des amis. J’ai reconnu que j’aurais dû les appeler avant. Je leur ai demandé de m’excuser de les avoir inquiétés. Je suis ensuite retourné au gymnase. Je ne l’y ai pas vu. Il était aux douches. Je suis resté à le regarder se laver sans rien dire. Il avait un corps sculptural que des motifs en relief décoraient. Je ne pouvais voir ce qu’ils représentaient. Sans même se retourner, il m’a ordonné : « Va déjeuner. Va à tes cours. À quatre heures, reviens au gymnase ». « Oui, Maître », ai-je répondu. Je suis parti à la cafétéria. J’étais le plus heureux des jeunes hommes de dix-sept ans. À quatre heures, je suis allé le rejoindre comme prévu au gymnase. Il finissait de tout ramasser. Je l’ai aidé. Nous n’avons pas prononcé un mot pendant tout ce temps. Après avoir revêtu une veste de cuir de couleur chocolat au lait, il m’a ordonné : « Suis-moi ».
Je l’aurais suivi jusqu’au bout du monde. Je me suis appliqué à marcher à trois pas derrière lui, pas un de plus, pas un de moins. Il m’avait ordonné de le suivre, je le suivais. Il faisait un temps superbe, beaucoup trop chaud pour un mois de septembre. Je suis monté dans son auto : une Jaguar décapotable rouge avec toit ouvrant de couleur noire. J’ai pensé que ce genre de voiture était bien trop cher pour un prof d’école secondaire. Nous sommes arrivés aux abords de la forêt. Il a stationné l’auto, en est sorti et m’a commandé d’en faire autant. Nous avons marché un certain temps dans un sentier envahi par l’herbe. Il s’est enfin arrêté, si brusquement que j’ai failli le bousculer. Sans un regard vers moi, il m’a commandé : « Dévêts-toi complètement ». J’ai hésité un instant, un seul, et j’ai obéi. On ne désobéit pas à son dieu. — Tu vois l’arbre là-bas. Il pointait du doigt un saule géant, un arbre superbe, certainement centenaire, au haut d’une butte. — Oui, Maître. — Tu as dix minutes pour t’y rendre et en revenir dix fois. Je te chronomètre. Si tu échoues, tu m’oublies. Est-ce clair ? — Oui. — Go ! Je suis parti en courant. L’arbre n’était pas bien loin. L’objectif me semblait des plus réalisables. Mais... J’avais oublié que j’avais affaire au diable. Le terrain inégal et raboteux était en pente assez abrupte et il était entièrement recouvert de framboisiers, de rosiers sauvages, de ronces, de bardanes. Il avait plu la nuit précédente et le sol était vaseux, glissant et garni de rocaille acérée. L’enfer ! J’ai couru. J’ai essayé de ne pas penser à mon corps qui se couvrait d’égratignures, qui se lacérait, qui commençait à saigner. J’ai essayé d’oublier mes pieds écorchés par les épines de toutes ces plantes et par les pierres pointues, tranchantes. Je fonçais. J’ai glissé plusieurs fois, sans tenter d’arrêter la descente lorsqu’elle accélérait mon retour, même si elle m’écorchait les fesses, les cuisses et tout le haut du corps. Je voulais réussir malgré la souffrance toujours plus grande, malgré mon souffle toujours plus court. Après dix allers-retours, je me suis arrêté à deux pas de lui, en tentant de retrouver mon souffle. Mon corps ressemblait à l’œuvre d’un peintre fou, qui aurait zébré sa toile à grands coups rageurs de pinceau. La sueur piquait mes blessures et m’aveuglait. Sans rien dire, il m’a montré son chrono. Onze minutes cinquante-neuf. Je voulais hurler. Puis je me suis calmé, j’ai essuyé mes yeux et regardé de nouveau. Neuf minutes cinquante-neuf. Je ne savais même pas comment j’avais pu réussir. Mais je me suis mis à rire. Je lui ai sauté au cou et je l’ai embrassé. Il était à moi. À moi ! Je me suis rhabillé. Nous sommes repartis vers son auto. Tout le long du chemin de retour, j’étais extatique. Je croyais avoir vaincu Satan. Je croyais avoir mérité le ciel. Je venais de gagner un billet pour l’enfer. Je n’arrivais pas à me calmer. Il m’a reconduit chez moi. J’ai dormi comme une souche cette nuit-là. Mais les nuits suivantes, j’ai recommencé à rêver à lui. Ces rêves étaient troubles, à mi-chemin entre ciel et enfer. La deuxième nuit après mon épreuve en forêt, j’ai rêvé que c’était la guerre. J’étais prisonnier et on me torturait. Lorsque je le voyais arriver, vêtu de son uniforme d’officier des forces alliées, je me croyais sauf. Mais il était un traître. Il travaillait pour l’ennemi. On l’avait appelé pour continuer mon interrogatoire. À mon réveil, mes draps étaient mouillés, autant de sueur que de sperme. Les nuits suivantes ont été pires encore. J’ai commencé à me dire que je ne connaissais pas du tout cet homme. Peut-être aurais-je dû tenir compte de son avertissement du premier jour. Peut-être était-il réellement le diable. Mais au matin, une fois sorti de mes draps mouillés, je me sentais frais comme la rosée. J’étais heureux, plus heureux que jamais.