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Données de catalogage avant publication (Canada) Vedette principale au titre : Problèmes sociaux Comprend des réf. bibliogr. Sommaire : t. 1. Théories et méthodologies - t. 2. Études de cas et interventions sociales. ISBN 2-7605-1126-X (v. 1) ISBN 2-7601-1127-8 (v. 2) 1. Problèmes sociaux. 2. Service social. 3. Problèmes sociaux - Cas, Études de. 4. Service social - Évaluation. 5. Politique sociale. 6. Réseaux sociaux. I. Dorvil, Henri. II. Mayer, Robert, 1943HN17.5.P76 2001
361.1C2001-940944-3
Nous reconnaissons l'aide financière du gouvernement du Canada par l'entremise du Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition (PADIÉ) pour nos activités d'édition. La publication de cet ouvrage a été rendue possible grâce à des subventions du Service d'aide à la publication de l'Université du Québec à Montréal et du Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP) de l'Université de Montréal.
Révision linguistique: LE GRAPHE ENR. Mise en pages : CARACTÉRA PRODUCTION GRAPHIQUE INC. Couverture : RICHARD HODGSON Illustration : Artiste : WALTER OPNEY, Allemand, 1882-1930 OEuvre : MAISONS ROUGES DANS UNE VILLE, Rote Hauser in Einer Stradt, 1921, Huile sur toile
1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2001 9 8 7 6 5 4 3 2 1 Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés © 2001 Presses de l'Université du Québec Dépôt légal - 3e trimestre 2001 Bibliothèque nationale du Québec / Bibliothèque nationale du Canada Imprimé au Canada
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INTRODUCTION PROBLÈMES SOCIAUX. Éléments et dynamiques ................................................................... 1 Robert Mayer et Henri Dorvil
PARTIE
1
QUELQUES ÉTUDES DE CAS .......................................................................................................19 Henri Dorvil QU'ENTEND-ON PAR ÉTUDE DE CAS ? .....................................................................................20 CHAPITRE
1
SPÉCIFICITÉ ET MODES DE RÉGULATION DES FAMILLES RECOMPOSÉES ..............................................................................................27 Marie-Christine Saint Jacques RÉSUMÉ ...........................................................................................................................................28 LES TRANSFORMATIONS DE LA FAMILLE AU XXE SIÈCLE ET L'ÉMERGENCE DES FAMILLES RECOMPOSÉES MODERNES ........................................29 PRÉVALENCE DES FAMILLES RECOMPOSÉES ......................................................................32 SPÉCIFICITÉ DES FAMILLES RECOMPOSÉES MODERNES...................................................33 LES MODES DE RÉGULATION DES FAMILLES RECOMPOSÉES ...............................................................................................................................36 CONCLUSION ..................................................................................................................................43 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................44
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VIII
PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
QUAND MATERNITÉ RIME AVEC PAUVRETÉ, MONOPARENTALITÉ ET QUÊTE D'IDENTITÉ Un bilan des études sur les adolescentes mères ............................................................................ 47 Anne Quéniart LE MILIEU FAMILIAL DES ADOLESCENTES MÈRES ............................................................48 LE CONTEXTE DE LA GROSSESSE ............................................................................................49 LES CONDITIONS DE VIE DES ADOLESCENTES MÈRES ET DE LEUR ENFANT ....................................................................................................................50 LA MATERNITÉ PRÉCOCE COMME QUÊTE D'IDENTITÉ : QUELQUES RÉFLEXIONS POUR L'INTERVENTION ...............................................................51 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ......................................................................................................53
CHAPITRE
2
ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR LES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES ENVERS LES ENFANTS ............................................................................................................................... 55 Claire Malo, Jacques Moreau, Claire Chamberland, Sophie Léveillé et Catherine Roy RÉSUMÉ ............................................................................................................................................56 LES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES UN CONCEPT CONTROVERSÉ ....................................................................................................57 LES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES : UN CONCEPT À DÉFINIR ET À OPÉRATIONNALISER ...........................................................61 L'AMPLEUR ET LES CONSÉQUENCES DES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES : DES RÉALITÉS SOURNOISES ......................................................................................................64 L'ÉTIOLOGIE DES PRATIQUES PARENTALES : MALTRAITANTES QUAND LA DIVERSITÉ EST AU RENDEZ-VOUS ..................................66 CONCLUSION ..................................................................................................................................72 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................73
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TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE
IX
3
LE DÉSENGAGEMENT PATERNEL Un phénomène social aux multiples visages .................................................................................83 Anne Quéniart RÉSUMÉ ..........................................................................................................................................84 QUELQUES MOTS SUR LA MÉTHODOLOGIE ........................................................................86 PRÉSENTATION DES RÉSULTATS ............................................................................................87 DES PÈRES JAMAIS ACCROCHÉS LA RUPTURE COMME DÉLIVRANCE .......................................................................................88 DES PÈRES DÉCROCHEURS LA RUPTURE COMME EFFONDREMENT ................................................................................90 CONCLUSION PEUT-ON EMPÊCHER LE DÉCROCHAGE PATERNEL ? ...................................................... 100 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................... 102
CHAPITRE
4
L'INTÉGRATION DES JEUNES ADULTES MIGRANTS EN MILIEU URBAIN AU QUÉBEC ......................................................................................... 103 Danielle Desmarais, Yao Assogba et Lucie Fréchette RÉSUMÉ ......................................................................................................................................... 104 LA MIGRATION DANS UNE ÉTAPE DE VIE MARQUÉE PAR LES PARADOXES ............................................................................................................... 105 L'intégration au milieu urbain ..............................................................................................108 Éléments de méthodologie ...................................................................................................109 LE PROCESSUS D'INTÉGRATION AU MILIEU URBAIN DES JEUNES MIGRANTS QUÉBÉCOIS .................................................................................... 111 Les préalables à l'arrivée ......................................................................................................111 Les premières impressions, les premières expériences .......................................................111 La familiarisation ................................................................................................................117 La période actuelle et les projets ........................................................................................121 EN GUISE DE CONCLUSION : LA NÉCESSITÉ DE STRUCTURES D'ACCUEIL DANS LES GRANDES VILLES ............................................ 125 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ................................................................................................... 127
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XI
PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
CHAPITRE
5
NOUVEAUX VISAGES DE L'HOMOSEXUALITÉ ...............................................................129 Nathalie Ricard RÉSUMÉ .........................................................................................................................................130 L'HÉTÉROSEXISME COMME SOURCE DE DISCRIMINATIONS ...............................................................................................................133 QUELQUES DÉFINITIONS DE L'HOMOSEXUALITÉ .............................................................135 L'ORIGINE DE L'HOMOSEXUALITÉ ........................................................................................137 L'HOMOSEXUALITÉ COMME ÉMERGENCES .......................................................................140 LES MOUVEMENTS SOCIAUX ..................................................................................................143 INTERVENIR AUPRÈS DES QUEERS : QUELQUES PARADOXES ...........................................................................................................147 BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................................................................149
CHAPITRE
6
LA VIOLENCE À L'ÉCOLE Une analyse complémentaire ........................................................................................................155 Jacques Héberi RÉSUMÉ .........................................................................................................................................156 QUE NOUS DIT GLOBALEMENT LA LITTÉRATURE SUR LA VIOLENCE À L'ÉCOLE ? ..............................................................................................157 POURQUOI NIER LA PART DE RESPONSABILITÉ DE L'ÉCOLE ? ................................................................................................................................158 COMMENT ABORDER L'ANALYSE DE CE PHÉNOMÈNE COMPLEXE ? .................................................................................................159 COMMENT DÉFINIR LA VIOLENCE INSTITUTIONNELLE OU LA VIOLENCE DE L'ÉCOLE ? ..............................................................................................161 EN QUOI DES COMMUNICATIONS DYSFONCTIONNELLES PEUVENT-ELLES NOURRIR LA VIOLENCE ? ........................................................................162 LA DÉMOCRATIE À L'ÉCOLE : MYTHE OU RÉALITÉ ? ......................................................165 DES ACTEURS STRATÉGIQUES POURRAIENT-ILS ÊTRE PORTEURS DE VIOLENCE ? ...........................................................................................168 COMMENT S'EN SORTIR ? .........................................................................................................177 EN GUISE DE CONCLUSION ......................................................................................................181 BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................................................................182
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TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE
XI
7
DÉFINIR ET EXPLIQUER LA JUDICIARISATION DES PERSONNES SOUFFRANT DE TROUBLES MENTAUX Réflexion critique ...........................................................................................................................187 Marie Robert RÉSUMÉ .........................................................................................................................................188 DÉFINIR LE PROBLÈME .............................................................................................................189 EXPLIQUER LE PROBLÈME ......................................................................................................193 IMPLICATIONS POUR L'INTERVENTION ...............................................................................198 CONCLUSION ...............................................................................................................................200 BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................................................................201 L'ÉQUITÉ OU LA RELATIVITÉ SALARIALE .....................................................................203 Gérald Larose UNE SUITE ININTERROMPUE DE COMBATS ........................................................................203 DIFFICULTÉS ................................................................................................................................203 CONTRE LA DISCRIMINATION .................................................................................................204 ... SYSTÉMIQUE ...........................................................................................................................204 EN ANALYSANT DEUX COLLECTIFS (FÉMININ ET MASCULIN) COMPARABLES ..........................................................................204 POUR ÉLIMINER DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT ? .................................................205 LES EXIGENCES DE LA DÉMARCHE D'ÉQUITÉ ...................................................................205 LA DÉMARCHE POUR Y ARRIVER ..........................................................................................205 ÉLIMINER LES BIAIS SEXISTES ...............................................................................................206 PONDÉRER LES FACTEURS ......................................................................................................206 AJUSTER LES SALAIRES SUR LES HOMMES ET NON SUR LA MOYENNE ......................................................................................................206 UN MODÈLE PROACTIF POUR L'ÉQUITÉ SALARIALE .......................................................207 BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................................................................207
CHAPITRE
8
LES PARADOXES DU DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOYABILITÉ DES PERSONNES ASSISTÉES SOCIALES .................................... 209 Deena White et Maurice Lévesque RÉSUMÉ ..........................................................................................................................................210 L'OBJECTIF DE « LA RÉDUCTION DE LA DÉPENDANCE » ................................................214 LE DÉVELOPPEMENT DU CAPITAL HUMAIN ? ...................................................................220
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XII
PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
UNE QUESTION DE MOTIVATION ? ..........................................................................................223 LES OBSTACLES À LA SORTIE SELON LES INTERVENANTS .............................................227 DES FACTEURS ENGLOBANTS LA DISCRIMINATION ET LE STIGMATE ..................................................................................231 UNE RÉFORME À LA MESURE DU DÉFI DE L'EXCLUSION DU MARCHÉ DU TRAVAIL ? .....................................................................233 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ......................................................................................................235
CHAPITRE
9
VIEILLISSEMENT ET RETRAITE Problèmes sociaux, problèmes de société ........................................................................................237 Jean Carette RÉSUMÉ ............................................................................................................................................238 RECONNAÎTRE LES RAPPORTS SOCIAUX ...............................................................................239 UN PROBLÈME SOCIAL NE DOIT PAS CACHER UN PROBLÈME DE SOCIÉTÉ, MAIS LE RÉVÉLER ..................................................................241 À PROBLÈME SOCIAL, SOLUTIONS SOCIALES ......................................................................242 RESTAURER LA DIMENSION SOCIALE DES PROBLÈMES, MAIS AUSSI DE LEURS SOLUTIONS .........................................................................................243 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ......................................................................................................249
CHAPITRE
10
TRAVAIL SOCIAL ET TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION ET DES COMMUNICATIONS ............................................................251 Louise Bouchard avec la collaboration de Louise Gagné RÉSUMÉ ............................................................................................................................................252 L'ENJEU TECHNOLOGIQUE .........................................................................................................253 LE « BIT BANG » : LE PARADIGME DE L'INFORMATION ......................................................256 DE LA ROUTE DES ÉPICES AUX INFOROUTES .......................................................................257 L'USAGE DE L'ORDINATEUR DANS LES SCIENCES ..............................................................258 LES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION IMPLICATIONS POUR L'INTERVENTION ..................................................................................259 LES EFFETS POSITIFS ET LES EFFETS NÉGATIFS DES NTIC SUR LA NATURE DU TRAVAIL SOCIAL ................................................................268 CONCLUSION ..................................................................................................................................271 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE .......................................................................................................272
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TABLE DES MATIÈRES
PARTIE
XIII
2
PROBLÈMES SOCIAUX ET INTERVENTIONS SOCIALES................................................................................................ 275 Robert Mayer L'ACTION SOCIALE .................................................................................................................... 276 PROBLÈMES SOCIAUX ET ACTION INSTITUTIONNELLE ................................................ 279 PROBLÈMES SOCIAUX ET ACTION LÉGISLATIVE ............................................................ 282 CONTENU DE LA DEUXIÈME PARTIE ................................................................................... 284 BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 285
CHAPITRE
11
LE DÉVELOPPEMENT ET LA SANTÉ DES JEUNES ENFANTS Des acquis à préserver, des défis à partager
287
Christine Colin RÉSUMÉ ........................................................................................................................................ 288 DES ACQUIS ................................................................................................................................ 289 DES PROBLÈMES QUI PERSISTENT OU QUI AUGMENTENT............................................ 291 PREMIER DÉFI : MIEUX CONNAÎTRE ET MIEUX COMPRENDRE ........................................................................................................ 293 La pauvreté : une réalité persistante ................................................................................... 293 Maternité et pauvreté .......................................................................................................... 296 Pauvreté, développement et santé des enfants ................................................................... 297 DEUXIÈME DÉFI : MIEUX AGIR................................................................................................ 299 Des approches de prévention et de promotion de la santé et du bien-être .................................................................................................. 300 Des orientations et des politiques ...................................................................................... 301 Vers des interventions plus efficaces ................................................................................. 304 CONCLUSION ...............................................................................................................................313 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE .................................................................................................. 314
CHAPITRE
12
ÇA PREND TOUT UN VILLAGE POUR ÉLEVER UN ENFANT Une approche écologique visant le développement des enfants ............................................... 319 Dominique Damant, Marie Andrée Poirier et Jacques Moreau RÉSUMÉ ....................................................................................................................................... 320 LA PERSPECTIVE ÉCOLOGIQUE ........................................................................................... 321 Les origines et postulats de base de l'écologie du développement humain ................................................................................................ 321 Les principaux niveaux écologiques ................................................................................. 322 Lecture écologique du développement des enfants .......................................................... 324
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XIV
PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
L'INTERVENTION COMMUNAUTAIRE 1,2,3 GO ! ............................................................... 328 1,2,3 GO ! : principes directeurs et objectifs .................................................................... 328 1,2,3 GO ! : une perspective écologique en action ........................................................... 330 CONCLUSION .............................................................................................................................. 333 BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 334
CHAPITRE
13
ÊTRE PAUVRE AVEC DES ENFANTS AUJOURD'HUI Repères pour le processus du devenir sujet ............................................................................... 337 Jean-François René, Suzanne Garon, Francine Ouellet, Danielle Durand et Renée Dufour RÉSUMÉ ........................................................................................................................................ 338 BREF REGARD SUR LA PROBLÉMATIQUE DE LA PAUVRETÉ AUJOURD'HUI .......................................................................................... 340 Une pauvreté aux multiples facettes .................................................................................. 340 Impuissance et aliénation ................................................................................................... 342 REPÈRES POUR UN PROCESSUS DE DEVENIR SUJET ...................................................... 344 Des situations familiales et personnelles difficiles ............................................................ 345 Trois moments du processus de devenir sujet ................................................................... 347 CONCLUSION ............................................................................................................................... 355 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................... 358
CHAPITRE
14
DES TRAVAILLEURS DE RUE CRÉATEURS DE LIENS SOCIAUX ......................................................................................... 361 Chantal Cheval RÉSUMÉ ........................................................................................................................................ 362 LE TRAVAIL DE RUE AU QUÉBEC .......................................................................................... 363 SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE ET MALAISES SOCIAUX ....................................................... 365 L'APPROCHE CLINIQUE ET L'ACCOMPAGNEMENT DES PRATIQUES RELATIONNELLES ET SYMBOLIQUES .................................................. 366 QUELQUES DÉTAILS MÉTHODOLOGIQUES ........................................................................ 368 UNE PRATIQUE D'ACCOMPAGNEMENT CLINIQUE ........................................................... 369 UNE POSITION PARTICULIÈRE ............................................................................................... 374 UNE RELATION SIGNIFICATIVE ............................................................................................. 376 UN ESPACE DE RÉCIPROCITÉ ................................................................................................. 377 UN SUJET CRÉATEUR DE LIEN SOCIAL ................................................................................ 379 ACCOMPAGNER UNE DEMANDE ........................................................................................... 381 CONCLUSION ............................................................................................................................... 383 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................... 385
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TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE
IV
15
RÉALITÉS INTERCULTURELLES ET INTERVENTION SOCIALE ................................................................................................387 Anselme Mvilongo RÉSUMÉ .........................................................................................................................................388 CENTRATION CULTURELLE : PENSER L'AUTRE SELON SOI ...........................................392 SE DISTANCIER DE SA CULTURE PAR LA DÉCENTRATION ............................................394 DUALITÉ ET AMBIVALENCE DU SOCIOCENTRISME ........................................................395 TENTATION DE VOULOIR TRANSFORMER L'AUTRE ........................................................396 LE SOCIOCENTRISME IDENTITAIRE EST NÉCESSAIRE ....................................................398 LES RELATIONS INTERPERSONNELLES ET LE SOI ............................................................401 RELATIONS INTERGROUPES ...................................................................................................402 Compétitions et stéréotypes négatifs ...................................................................................402 BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................................................................404
CHAPITRE
16
DE L'ÉTAT-PROVIDENCE À L'ÉTAT-COMPTABLE EN PASSANT PAR LA SOCIÉTÉ-PROVIDENCE ? ............................................................. 405 Réjean Mathieu RÉSUMÉ .........................................................................................................................................406 PREMIÈRE PARTIE : DE LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE À UNE SOCIÉTÉ EN PROFONDE MUTATION ........................................................................407 DEUXIÈME PARTIE ; UNE SOCIÉTÉ CIVILE EN EFFERVESCENCE .........................................................................413 TROISIÈME PARTIE : L'ÉTAT, C'EST QUOI ? .........................................................................419 CONCLUSION ..............................................................................................................................424 BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................................................................426
CHAPITRE
17
ACTION COLLECTIVE ET NOUVELLE CULTURE POLITIQUE .............................................................................................................429 Pierre Hamel RÉSUMÉ ........................................................................................................................................430 LA PORTÉE DES MOUVEMENTS SOCIAUX ..........................................................................432 LES MOUVEMENTS URBAINS À PARTIR DES ANNÉES 1960 ............................................434
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XVI
PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
LES MOUVEMENTS URBAINS DANS LE CONTEXTE POSTFORDISTE .................................................................................. 437 LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA DÉMOCRATIE URBAINE ................................................. 441 CONCLUSION ............................................................................................................................. 444 BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 445
CHAPITRE
18
LA POLICE, UN INTERVENANT DE PREMIÈRE LIGNE POUR LE RÉSEAU DE LA SANTÉ MENTALE Les renvois de la police aux services de santé et services sociaux dans la communauté de Verdun ................................................................. 447 Christiane Cardinal RÉSUMÉ ....................................................................................................................................... 448 LA QUESTION À L'ÉTUDE ........................................................................................................ 450 UN TERRAIN D'ÉTUDE DANS UN CONTEXTE LÉGISLATIF PARTICULIER ........................................................................ 453 LA GESTION DES INTERVENTIONS POLICIÈRES AUPRÈS DE PERSONNES AYANT DES PROBLÈMES DE SANTÉ MENTALE SUR LE TERRITOIRE DE VERDUN : QUELQUES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ....................................................................... 455 LES MODÈLES DE RENVOI DE LA POLICE AUX SERVICES DE SANTÉ DE VERDUN ............................................................................... 459 CONCLUSION .............................................................................................................................. 467 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................... 468
CHAPITRE
19
LES DÉSASTRES Source de problèmes pour les individus, les intervenants et les communautés ........................................................................................... 471 Danielle Maltais, Suzie Robichaud et Anne Simard RÉSUMÉ ........................................................................................................................................ 472 PRÉCISONS LES CONCEPTS ..................................................................................................... 474 CONSÉQUENCES SUR LA SANTÉ DES INDIVIDUS ............................................................. 475 CONSÉQUENCES SUR LA SANTÉ DES INTERVENANTS ................................................... 479 LA SANTÉ DES COMMUNAUTÉS ............................................................................................ 482 CONCLUSION ............................................................................................................................... 484 BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................... 485
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TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE
XVII
20
LES FORMES DE L'ÉCHANGE BÉNÉVOLE ....................................................................... 491 Suzie Robichaud et Vincent Lemieux RÉSUMÉ ......................................................................................................................................... 492 UN PEU D'HISTOIRE ................................................................................................................... 494 LES STRUCTURES DE LA SOCIALITÉ RÉSEAUX ET APPAREILS .......................................................................................................... 496 LES DIVERSES FORMES DE L'ÉCHANGE BÉNÉVOLE UNE DIFFÉRENCE QUI S'ATTÉNUE ........................................................................................ 497 GROUPES PHILANTHROPIQUES, GROUPES D'ENTRAIDE ................................................ 502 CONCLUSION ............................................................................................................................... 506 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................... 508
CHAPITRE
21
LES PRATIQUES DES INTERVENANTS BÉNÉVOLES ET DES INTERVENANTS PROFESSIONNELS EN PRÉVENTION DU SUICIDE .............................................................................................. 509 Diane Champagne RÉSUMÉ ......................................................................................................................................... 510 MISE EN CONTEXTE DE LA PRATIQUE ................................................................................. 512 CONCEPTION DU BÉNÉVOLAT .............................................................................................. 513 LA FORMATION DES BÉNÉVOLES ........................................................................................ 514 LE MODÈLE PROFESSIONNEL ................................................................................................ 516 ÉVOLUTION DES CONCEPTIONS DE LA NOTION DU SUICIDE .................................................................................................... 518 LES THÉORIES EXPLICATIVES ............................................................................................... 520 TRAJECTOIRE SOCIALE DES INTERVENANTS BÉNÉVOLES ET PROFESSIONNELS OU MÉCANISMES MOTIVATIONNELS CONDUISANT À L'ENTRÉE DANS LE BÉNÉVOLAT ............................................................ 521 LES REPRÉSENTATIONS ENTOURANT L'OBJET DU SUICIDE ................................................................................................................. 524 LE PREMIER MODÈLE DE PRATIQUE : LA PRATIQUE PARAPROFESSIONNELLE ............................................................................. 526 LE DEUXIÈME MODÈLE : LA PRATIQUE D'AIDANT NATUREL ..................................................................................... 527
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XVIII
PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
BÉNÉVOLES ET PROFESSIONNELS : COMPLICES DANS LA PRODUCTION DE SAVOIRS D'EXPÉRIENCE .............................. 527 CONCLUSION .............................................................................................................................. 529 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................... 530
CHAPITRE
22
SOUTENIR LES PARENTS POUR LE MIEUX-ÊTRE DES ENFANTS ............................................................................................. 533 Camille Messier RÉSUMÉ ....................................................................................................................................... 534 PRÉSENTATION DU MOUVEMENT SEM ET DE SON PROGRAMME CONNEXION ............................................................................... 535 Description de l'action ....................................................................................................... 535 PRÉSENTATION DE LA RECHERCHE ..................................................................................... 551 Les constatations de la recherche ...................................................................................... 552 Quelques suggestions ......................................................................................................... 554 En guise d'épilogue : deux commentaires sur les services reçus de SEM-Connexion ......................................................................... 556 ANNEXE 1: LE CODE D'ÉTHIQUE DE SEM-CONNEXION ................................................... 557 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................... 560
CHAPITRE
23
LE SOUTIEN À UN PROCHE ATTEINT DE SCHIZOPHRÉNIE Perspectives de l'aidant familial .................................................................................................. 561 Hélène Provencher et Henri Dorvil RÉSUMÉ ........................................................................................................................................ 562 UN BREF RETOUR SUR LA SCHIZOPHRÉNIE ....................................................................... 563 La situation de soutien familial ........................................................................................... 566 LE FARDEAU ................................................................................................................................ 567 Types de fardeaux ............................................................................................................... 567 RESSOURCES DE L'AIDANT FAMILIAL ................................................................................. 569 STRATÉGIES ADAPTATIVES ................................................................................................... 570 Aide des parents et amis ..................................................................................................... 572 Groupes d'entraide .............................................................................................................. 573 Interventions familiales ....................................................................................................... 575
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TABLE DES MATIÈRES
XIX
LES SERVICES DE SANTÉ MENTALE POUR LES PERSONNES SOUFFRANT D'UN TROUBLE MENTAL : PERSPECTIVES DE L'AIDANT FAMILIAL ..............................................................................577 Les situations de crise ..........................................................................................................578 Le retour dans la communauté après une hospitalisation ...................................................578 Les services de réadaptation .................................................................................................579 BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................................................................581
CHAPITRE
24
RÉINSERTION SOCIALE ET REGARDS DISCIPLINAIRES ...................................................583 Henri Dorvil RÉSUMÉ .........................................................................................................................................584 DE L'HISTOIRE .............................................................................................................................587 DE L'ANTHROPOLOGIE ..............................................................................................................591 DE LA PSYCHOLOGIE ................................................................................................................599 DU SERVICE SOCIAL OU TRAVAIL SOCIAL .........................................................................603 DE LA SOCIOLOGIE ....................................................................................................................608 DU DROIT ET DE LA MÉDECINE .............................................................................................616 BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................................................................628 CONCLUSION : PROBLÈMES SOCIAUX ET SCIENCES SOCIALES ...........................................................635 Henri Dorvil et Robert Mayer INDEX ............................................................................................................................................651 NOTICES BIOGRAPHIQUES ...................................................................................................655 TABLE DES MATIÈRES DU TOME 1 .....................................................................................667
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PROBLÈMES SOCIAUX Éléments et dynamiques
ROBERT MAYER, Ph. D. École de service social, Université de Montréal HENRI DORVIL, Ph. D. École de travail social, Université du Québec à Montréal
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
D'entrée de jeu, il faut souligner que l'usage courant de la notion de problème social demeure, encore de nos jours, et ce, malgré sa simplicité apparente, quelque peu imprécise. Ce livre part du constat qu'il existe une double définition de la notion de problème social. Il y a, d'une part, les acteurs des organismes institutionnels (gouvernement, établissement, professions, universités) qui construisent le concept de problème social en jetant sur lui un regard institutionnel, administratif et professionnel. Mais d'autre part, il y a la réalité des gens, des acteurs sociaux qui vivent quotidiennement un certain nombre de difficultés, tant d'ordre économique, relationnel, médical, etc., et qui tentent d'y apporter des solutions. Le plus souvent, ces deux réalités ne se rencontrent pas, dans la mesure où les acteurs institutionnels tentent d'imposer leur propre conception et définition des problèmes sociaux aux acteurs sociaux (Lesemann, 1994). C'est précisément de cette double réalité des problèmes sociaux, de cette dynamique de leur définition et de leur gestion que ce livre veut rendre compte. Plus spécifiquement, ce livre vise à amorcer une réflexion critique sur la notion de problème social ainsi que sur le rôle des mécanismes institutionnels et des idéologies professionnelles dans la définition et la gestion des problèmes sociaux. Nous aborderons ces derniers en tant que « produits » d'une structure sociale qui font l'objet de débats entre divers acteurs sociaux, notamment en termes de définitions et d'orientations de solutions (Mayer et Laforest, 1990). Dans le tome I, nous nous sommes attachés à analyser la notion de problème social et à présenter les principales approches théoriques dans l'analyse des problèmes sociaux. Dans le présent ouvrage (tome 2), nous voulons en premier lieu aborder, par l'entremise de l'analyse de cas, l'étude de la dynamique interne des problèmes sociaux. Ensuite, c'est tout le processus d'intervention sociale sur ces problèmes que nous voulons scruter, à savoir l'action sociale au sens large du terme, c'est-à-dire autant l'action des bénévoles que celle des professionnels, l'action institutionnelle ou encore l'action législative. En somme, ce livre vise à développer une perspective d'analyse des problèmes sociaux qui tienne compte d'un nombre limité de dimensions, à savoir les dimensions historique, théorique, méthodologique et d'intervention. Pour ce faire, nous allons nous interroger sur les points suivants : quelles situations ou quelles réalités acquièrent, dans une société et à un moment donné de son évolution, le statut de problème social ? Comment analyse-t-on ces situations et quelles sont les pistes de solution que l'on propose ? Mais avant de procéder, il importe de mieux comprendre le processus d'émergence et d'évolution des problèmes sociaux.
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INTRODUCTION
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LE PROCESSUS DE SÉLECTION ET D'IDENTIFICATION DU PROBLÈME Dès le départ, Martin a raison de nous rappeler une évidence trop souvent oubliée, à savoir qu'il : [...] n'y a pas unanimité dans la population sur les problèmes sociaux, ni sur leur nature ni sur leur importance. D'où la diversité des prises de position portant sur des questions telles que l'orientation sexuelle, la condition féminine, la condition masculine, le divorce, l'avortement, l'euthanasie. À travers ces prises de position se manifestent des conflits de valeurs [...] [sur des questions] qui, pour certains, sont des problèmes sociaux et qui, pour d'autres, n'en sont pas ou n'en sont plus aujourd'hui (Martin, 1994, p. IX). Cette diversité des points de vue s'observe aussi chez les experts ainsi que chez divers acteurs sociaux qui vivent une même situation. Par exemple, plusieurs auteurs (Vinet et al., 1986 ; Merger et Desnoyers, 1979 ; Simard, 1994) ont souligné la multiplicité des points de vue en ce qui concerne le problème de la santé et de la sécurité au travail. Ces études montrent comment le discours du blâme individuel continue à être véhiculée notamment à travers les interventions gouvernementales et patronales alors que les ouvriers et leurs organisations syndicales tentent de proposer une approche plus collective des problèmes de santé et de sécurité au travail. En effet, du côté gouvernemental et patronal, on met de l'avant des études prouvant que la responsabilité des accidents industriels revient très majoritairement aux travailleurs et, en conséquence, la solution repose essentiellement sur le port de l'équipement individuel. De leur côté, les syndicats estiment que les solutions doivent viser l'assainissement du milieu du travail, car il s'agit d'une question globale qu'on ne peut ramener à des comportements individuels pas plus qu'à des mesures individuelles et que la réussite de l'application de ces mesures exige la participation et le contrôle des travailleurs. Un problème social provient donc d'un processus par lequel une situation sociale particulière est sélectionnée et identifiée comme étant problématique ; ainsi, un problème social n'existe pas tant qu'il n'a pas été identifié (Bell, 1981). Son apparition est tributaire de l'activité de certains groupes qui considèrent des situations comme étant problématiques et décident d'intervenir. Il est donc de première importance de savoir qui définit ces situations, s'ils ont de l'influence et du pouvoir, et de quelle manière ils les définissent.
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
L'ÉMERGENCE D'UNE DÉFINITION Landreville (1983, p. 18) souligne qu'il existe diverses façons de gérer la définition des situations-problèmes. On peut notamment tenter de modifier la conception symbolique d'un événement; par exemple un événement indésirable peut devenir désirable, il peut être perçu comme « neutre » ou encore « être toléré ». C'est ainsi qu'au cours des dernières années on a constaté que plusieurs événements ou situations qui étaient perçus comme des problèmes pouvaient devenir des situations ou des événements désirables (par exemple, tout ce qui concerne la régulation des naissances). Et, inversement, certaines situations désirables à l'origine sont maintenant perçues comme des problèmes. « Le travail des enfants, par exemple, de normal et désirable qu'il était au XIXe siècle est devenu aujourd'hui tout à fait inacceptable. Les châtiments corporels à l'école, courants et souhaitables il y a encore moins de trente ans, sont devenus généralement inacceptables » (1983, p. 19). D'autres situations, avec le temps, sont devenues « neutres » (par exemple le divorce). Il y a aussi des situations qui sont plus ou moins tolérées (comme l'homosexualité et l'avortement). Enfin, il y a des situations où il y a plus ou moins «création» de nouveaux problèmes sociaux (Spector et Kitsuse, 1977). Des situations dont on parlait peu autrefois sont maintenant définies comme des problèmes (la discrimination envers certains groupes, l'usage de la peine de mort et des châtiments corporels, etc.). Les situations-problèmes peuvent être attribuées à diverses «causes», on pourra par exemple croire qu'un événement est dû au hasard ou l'attribuer à des « causes » naturelles, structurelles ou surnaturelles. LES PRINCIPAUX DÉFINISSEURS Rezsohazy a établi une distinction intéressante entre les définisseurs des problèmes sociaux en ce qu'elle permet d'y greffer plusieurs de ceux qui se retrouvent déjà dans la littérature. Elle comprend les acteurs, les groupes et les publics. Selon lui, l'acteur « est une collectivité organisée ou un individu identifiable, capable de concevoir des objectifs, de formuler des projets, de modifier l'histoire ou de s'adapter» (1980, p. 87). Par exemple, on pense ici aux agents socialement reconnus de la problématique du troisième âge dont parle Lenoir (1989) que sont les travailleurs sociaux, gérontologues et gériatres, des « professionnels de la gestion de la vieillesse » (1989, p. 83). Ceux-ci, dit-il, possèdent à la fois la compétence d'« examiner la nature du problème et proposer des solutions acceptables » et de les « imposer à la scène publique ». Le plus souvent, les divers professionnels ou experts définissent les problèmes de leurs clientèles (pauvres, femmes, jeunes ou autres). En pratique, une définition est toujours l'œuvre de un ou plusieurs groupes.
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INTRODUCTION
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Habituellement, la réaction des groupes influents est de première importance pour la définition des problèmes sociaux Mais il doit aussi y avoir une interaction entre ces groupes et d'autres groupes influents dans la société. Les groupes définisseurs doivent être appuyés par d'autres groupes qui soutiennent leurs actions. Les alliances entre groupes et experts « pour créer et imposer de nouveaux modes de faire les choses, de nouvelles normes et même de nouvelles lois » dont parle Landreville (1983) sont tout à fait pertinentes. Ces groupes peuvent être des institutions ou les médias par exemple, qui jouissent souvent d'une grande influence sur l'opinion publique. Pour Bell (1981), cette influence reflète d'ailleurs bien le degré de conscientisation envers un problème social donné. Sans ce support, une situation peut très bien ne jamais exister comme problème social. Un problème social, avons-nous dit, est souvent issu de la confrontation de points de vue fort différents et parfois même opposés, d'où l'importance d'identifier les groupes d'intérêts. Les discussions des groupes qui tentent de le circonscrire influenceront considérablement l'importance qu'il prendra dans la société. Leurs points de vue ne coïncident pas nécessairement sur les causes du problème ni sur les moyens à prendre pour le corriger. Ils essaieront bien entendu de faire valoir leurs idées de façon à ce que les solutions qui seront adoptées correspondent à leurs intérêts. Les groupes revendicateurs dont parlent Spector et Kitsuse (1977) incluent non seulement les groupes d'intérêt composés de gens directement touchés par un problème et ayant intérêt à changer une situation, mais aussi des groupes de professionnels souvent qualifiés d'entrepreneurs moraux (moral crusaders) qui font pression en vue d'un changement. Un groupe de travailleurs sociaux dénonçant la réforme de la loi de l'aide sociale illustre bien ce type de définisseurs. ACTEURS / GROUPES / PUBLICS Rezsohazy (1980) distingue entre acteurs, groupes et publics. Quoi qu'il en soit, pour parler d'un enjeu, il est nécessaire que des acteurs perçoivent clairement le problème social qui en est le fondement. Et l'auteur reprend une formulation maintes fois reprise dans la littérature, à savoir « qu'une situation objective, aussi grave soit-elle aux yeux de l'observateur extérieur, ne constitue pas un problème en elle-même. Elle doit être reconnue et jugée. Les jugements de valeur émis par les acteurs et par lesquels ceuxci caractérisent un état de fait, sont décisifs pour déterminer une situation comme problématique » (Rezsohazy, 1980, p. 87).
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
Selon Rezsohazy, les enjeux se définissent bien sûr à partir des problèmes. Et un problème devient un enjeu « dès qu'il est reconnu, qu'un acteur le prend en charge, qu'une action se déclenche et que celle-ci mobilise tous les acteurs intéressés » (1980, p. 85) à le résoudre. Dans cette perspective, « l'enjeu est donc l'objet de la confrontation des acteurs, le bénéfice, les avantages, les résultats qu'ils pensent pouvoir obtenir de leur action » (Ibid.). Et un enjeu implique toujours quelque chose d'important, tant pour les individus, les groupes que pour l'ensemble de la société. Par ailleurs, les enjeux mobilisent les acteurs. Ainsi un problème social perçu et formulé « se mue donc en enjeu par le truchement des acteurs concurrents et alliés qui le prennent en charge, des groupes qu'ils mobilisent ou qui se mobilisent [...] » (Ibid., p. 87). L'OPINION PUBLIQUE Pour Bell (1981), l'opinion publique reflète le degré de conscientisation d'une société envers un problème donné. Mais cette opinion publique est sujette à la manipulation des médias, qui présentent rarement les problèmes d'une manière objective. Ils portent un jugement de valeur, généralement conservateur en accord avec leurs bailleurs de fonds et tentent d'orienter l'opinion des gens en ce sens. Il nous faut donc analyser l'influence des médias dans l'apparition des problèmes sociaux. L'opinion publique peut aussi être grandement influencée par la position que prennent les institutions par rapport aux problèmes sociaux. Une institution bien organisée peut influencer non seulement les gens mais aussi les législateurs. Lenoir rappelle qu'il « ne suffit pas pour qu'un problème prenne la forme d'un problème social, qu'il trouve des agents socialement reconnus comme compétents pour en examiner la nature et proposer des solutions acceptables ; il faut encore en quelque sorte l'imposer sur la scène publique » (1989, p. 92). Et il cite en exemple les problèmes de la violence à l'égard des femmes ainsi qu'à l'égard des personnes âgées, qui ont tous deux nécessité un important travail de mobilisation collective (Ibid., p. 83). Pour sa part, Langlois (1994) souligne le rôle des médias dans la sensibilisation et la dramatisation à l'égard de certains problèmes sociaux « Les médias jouent un rôle clé dans le cas particulier où les problèmes sociaux sont construits comme des enjeux de revendications et ils servent à faire passer un message susceptible de sensibiliser la population à une question. Les groupes d'intérêt cherchent alors, par leur intermédiaire, à obtenir l'appui du public à leur cause » (1994, p. 1120). En plus d'assurer une plus grande visibilité à des situations particulières, les médias font
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INTRODUCTION
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passer les problèmes sociaux du domaine privé au domaine public et sont, ce faisant, devenus d'importants lieux de débats des grandes questions sociales. Langlois (1994) précise également que les médias sont aussi devenus un outil important dans la gestion étatique des problèmes sociaux. Par exemple, « l'État est intervenu pour promouvoir la sécurité routière au moyen de campagnes de publicité et il lutte contre l'alcool au volant ou contre la violence conjugale par le biais de messages spectaculaires à la télévision » (Ibid.) LES GROUPES D'INTÉRÊT Landreville soutient que l'expert, le professionnel, l'homme de science apporte des critères techniques rationnels, « scientifiques », « objectifs », qui jouent un rôle très important dans les débats normatifs dans notre type de société : Souvent il s'agit vraiment d'alliances entre des groupes et des experts pour créer et imposer de nouveaux modes de faire les choses, de nouvelles normes et même de nouvelles lois. Pensons au rôle des dentistes, des techniciens dans le domaine des eaux, dans le débat autour de la fluoration de l'eau potable, ou à celui des diététiciens dans l'établissement de normes alimentaires. Parfois, la création de nouvelles normes vise directement à créer ou à étendre le champ de travail ou le champ professionnel, à établir un monopole ou à exclure d'autres experts du champ. Que l'on ne songe qu'aux luttes que se sont menées les médecins et les chiropraticiens, les dentistes et les denturologistes, les psychiatres et les psychologues, et dans le domaine de l'intervention psychosociale, celles qui mettent aux prises psychologues, travailleurs sociaux, criminologues, psychopédagogues, etc. » (Landreville, 1983, p. 30). Ceci nous amène à aborder le rôle des « experts » et des chercheurs. PROBLÈMES SOCIAUX ET RECHERCHES SOCIALES Plusieurs auteurs (Becker, 1966 ; Manis, 1974 ; Lenoir, 1989) ont insisté sur l'importance de recourir à la recherche sociale et à la méthodologie scientifique des sciences sociales pour analyser les problèmes sociaux et pour en déterminer la gravité. Ils proposent divers moyens pour évaluer la gravité des problèmes sociaux : déterminer la prépondérance d'un problème par rapport à un autre par la recherche des relations de cause à effet, par l'étude de la multiplicité des influences des problèmes sociaux ; découvrir l'ampleur des problèmes sociaux, c'est-à-dire leur étendue et leur fréquence ; et étudier le degré de dommage créé par les problèmes
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
sociaux. En somme, ces auteurs tentent d'accentuer l'importance de la connaissance vérifiable et de l'évaluation raisonnée pour identifier et évaluer les problèmes sociaux. De leur côté, et dans une perspective plus critique, Spector et Kitsuse (1977) estiment que les chercheurs agissant à titre d'experts sont aussi des participants aux problèmes sociaux : plus que d'analyser le problème, ils font partie de celui-ci (Spector et Kitsuse, 1977, p. 70). Cela signifie que les chercheurs intéressés par les problèmes sociaux ne doivent pas prendre parti pour telle ou telle revendication mais doivent, au contraire, être concernés par la genèse et les stratégies de maintien de celle-ci. Il s'agit de rendre compte de la viabilité des revendications et non de juger de leur véracité : ce jugement revient aux seuls participants. En somme, loin de la conception dominante des problèmes sociaux, nous prenons conscience du fait que rien n'est jamais un problème social en soi, que les problèmes sociaux sont par essence interactionnels, et que les définisseurs, ainsi que les activités auxquelles ils prennent part, doivent toujours être considérés comme partie intégrante du problème. Pour Lenoir (1989), la principale difficulté dans l'analyse des problèmes sociaux tient moins à la complexité de l'objet qu'aux conditions sociales de son étude. Le chercheur se trouve devant des représentations déjà constituées qui ont des formes diverses. Selon cet auteur, vouloir retracer : [...] la genèse d'un problème social suppose l'étude de ces intermédiaires, culturellement favorisés, et qui font fonction de porteparole. Ils peuvent être considérés de ce fait, comme des représentants sinon d'un groupe social, du moins d'une cause implicitement partagée et qu'ils contribuent à expliciter. Il reste que cette forme de pression qu'est l'expression publique porte la marque socialement déterminée de ceux et celles qui ont accès aux différents médias [... ] (1989, p. 79). À ce propos, Langlois (1994) souligne qu'en plus de la description empirique des problèmes sociaux, la recherche ne doit pas sous-estimer l'importance de la réflexion théorique : « Les problèmes sont-ils bien posés ? Quels sont les postulats sous-jacents ? Et surtout, de quelle façon peut-on parvenir à établir des liens entre des problèmes sociaux trop souvent analysés de façon isolée ? Ne faudrait-il pas redéfinir autrement la pauvreté, la violence, les inégalités socioéconomiques et bien d'autres questions ? » (1994, p. 1125).
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INTRODUCTION
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LES ÉTAPES DANS LA PRISE EN CHARGE DES PROBLÈMES SOCIAUX Plusieurs auteurs ont insisté sur le fait que chaque problème social a son histoire et se développe selon des phases qui, chacune, reflète un changement dans le groupe définisseur, le type de définition donné et les actions amorcées pour le résoudre. Indépendamment du nombre d'étapes (habituellement restreint à trois ou quatre), tous font leur la prémisse que les problèmes sociaux se développent dans le temps et se caractérisent par diverses activités selon les stades de leur développement. Tous reconnaissent qu'ils sont non pas des situations statiques mais des séquences d'événements. Tous y voient des phénomènes développés à travers un certain nombre d'étapes, chacune caractérisée par une dynamique propre, des acteurs, des activités et des dilemmes particuliers. Dans cette perspective, la connaissance d'un problème social nécessite non seulement des données sur leur apparition mais sur le processus politique ou institutionnel duquel les problèmes sociaux résultent. Ce processus implique des débats entre différents acteurs (groupes de pression, groupes d'intérêt, groupements idéologiques, classes sociales, etc.) qui tentent de faire accepter leur point de vue ou leur conception de ce qui est désirable. Comme le note Lenoir (1989), il existe peu de recherches sur les stades de développement des problèmes sociaux. Bien qu'il soit difficile de présenter un schéma analytique des problèmes sociaux qui soit accepté par tous les chercheurs, Spector et Kitsuse (1977) ont proposé un modèle d'analyse de l'évolution des problèmes sociaux qui comprend les quatre étapes principales suivantes : 1) la prise de conscience ; 2) la décision d'intervention ; 3) la prise en charge institutionnelle et 4) l'acceptation de l'orientation de la solution ou la proposition d'une solution dite alternative. Les problèmes sociaux sont ainsi perçus non comme des situations statiques mais comme des séquences d'événements. La tâche du chercheur consiste donc à analyser ces diverses étapes. PREMIÈRE ÉTAPE : ÉMERGENCE DE TENTATIVES COLLECTIVES POUR REMÉDIER À LA SITUATION PERÇUE COMME INDÉSIRABLE La première étape comprend « les tentatives collectives pour remédier à une condition perçue et jugée choquante et indésirable par certains groupes. Les tentatives pour transformer des problèmes privés en litiges publics et les éventualités de ce processus de transformation constituent les activités initiales des problèmes sociaux» (Spector et Kitsuse, 1977, p. 148). La genèse, la variabilité, la nature des revendications, la formulation de celles-ci pour attirer l'attention et acquérir un vaste support, le pouvoir du groupe revendicateur et la création d'une controverse sont autant
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d'aspects importants. En somme, ces auteurs estiment que l'analyse des problèmes sociaux commence avec les tentatives collectives de certains groupes sociaux pour remédier à des situations qu'ils jugent inacceptables ou injustes. Habituellement, il y a deux types de groupes revendicateurs le groupe-victime, c'est-à-dire les gens directement touchés par le problème et ayant intérêt à changer la situation (interest group) et d'autres groupes comme les groupes de professionnels ; on peut penser à un groupe de travailleurs sociaux dénonçant les remaniements à la loi sur l'aide sociale. Ce qui caractérise cette première étape, ce sont les tentatives du groupe revendicateur pour diffuser le problème sur la place publique. Le succès de l'opération ne dépend pas uniquement de l'importance du problème, il repose également sur divers facteurs tels que le pouvoir du groupe ou la nature de la revendication. DEUXIÈME ÉTAPE : RECONNAISSANCE DES REVENDICATIONS DES GROUPES PAR LES INSTITUTIONS OFFICIELLES La deuxième étape commence avec l'approbation de ces revendications par « des agences gouvernementales ou autres institutions officielles influentes » (Spector et Kitsuse, 1977, p. 154). À cette étape, les revendications relatives aux problèmes sociaux sont légitimés et l'on assiste à une lutte d'influence entre groupes d'intérêt pour tenter de mieux circonscrire le problème et lui donner une définition plus précise. Parmi les facteurs qui influencent la reconnaissance par la société de ces problèmes sociaux, on doit mentionner l'opinion publique, les groupes d'intérêts et les chercheurs. En somme, pour que le problème social puisse continuer d'exister comme débat public il doit être pris en charge par une institution mandatée pour le régler. TROISIÈME ÉTAPE : PRISE EN CHARGE INSTITUTIONNELLE Kitsuse et Spector soutiennent que la troisième étape s'amorce lorsque la situation problématique est prise en charge par une institution. Toutefois la réponse apportée par l'institution peut être inappropriée au problème, ne pas satisfaire le groupe revendicateur ou être évacuée aux mains d'un comité d'étude. Cela engendrera alors un nouveau problème social, lequel n'a plus de rapport avec celui de la première étape. Le problème est maintenant celui qui met le groupe aux prises avec l'administration, la bureaucratie. Cette situation peut susciter au sein du groupe, du cynisme, du découragement, de la résignation.
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INTRODUCTION
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QUATRIÈME ÉTAPE : MISE EN DOUTE DES SOLUTIONS OFFICIELLES ET RECHERCHE DE SOLUTIONS DE REMPLACEMENT La quatrième étape commence lorsque les groupes revendicateurs considèrent la réponse officielle comme problématique et qu'ils en viennent à la conclusion qu'il n'est plus possible de travailler à l'intérieur du système. Ils organisent alors leurs propres activités, trouvent leurs propres solutions en créant, par exemple, une ressource autre pour résoudre la situation problème (Ibid., p. 156). Ces activités résultent de la remise en question de la légitimité des institutions, de leur capacité et volonté de résoudre le problème. En somme, pour ces auteurs, le problème social naît des plaintes des individus et groupes devant une situation et des réponses apportées par les institutions à ces plaintes. Sans constituer un autre exemple du modèle de Spector et Kitsuse, puisque l'on en a déjà présenté ailleurs, on peut recourir à l'analyse de Hohl (1978) sur l'évolution des politiques éducatives en milieux défavorisés à Montréal pour illustrer certains processus en cause. Dans le champ scolaire, l'auteur souligne que si la « guerre à la pauvreté » s'est présentée comme une offensive pour régler par l'éducation les problèmes engendrés par la pauvreté, elle fut aussi l'occasion d'une réorganisation des pouvoirs au sein des groupes politiques et technocratiques chargés de la gestion des populations défavorisées. Ainsi, la problématique de la pauvreté puis son institutionnalisation sont l'œuvre de diverses élites professionnelles, administratives et intellectuelles qui ont porté ce problème social sur la place publique. Après avoir analysé les politiques et les interventions en milieux défavorisés à cette époque, l'auteur dégage trois étapes principales dans la prise en charge du problème de la pauvreté. La première étape peut être caractérisée par le passage du constat d'un problème à l'élaboration d'une problématique. L'auteur interprète le discours et la stratégie d'intervention préconisée par certains organismes locaux tel le Conseil des oeuvres de Montréal comme une tentative de modernisation du traitement de la pauvreté à un double point de vue celui de la rupture avec une vision morale et charitable des défavorisés et celui du renouvellement des pratiques professionnelles à leur égard. Vers 1970 s'amorce la deuxième étape, caractérisée par l'institutionnalisation du problème. C'est à cette époque que la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) prend le devant de la scène avec son « Opération renouveau » qui constitue un vaste programme d'éducation compensatoire pour les milieux défavorisés. Ces nouvelles politiques vont renforcer les pouvoirs de l'administration et des professionnels et favoriser la mise en place de services individualisés auprès des enfants. Ces
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME Il • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
orientations prônent une approche scientifique de la pauvreté et favorisent la recherche universitaire tout en considérant les enseignants comme de simples exécutants. Finalement, la troisième étape est celle de la normalisation du problème par la présence de plus en plus dominante du ministère de l'Éducation et du Conseil scolaire de l'Île-de-Montréal. À cette étape, les organismes étatiques ont envahi tout le champ et c'est eux qui vont diriger dorénavant les interventions sociales en milieux défavorisés. En somme, chaque étape se distingue par la domination d'un groupe social particulier, qu'il s'agisse des professionnels (intervenants sociaux et enseignants), des chercheurs universitaires et des administrateurs d'organismes intermédiaires ou des technocrates des ministères et des organismes gouvernementaux. NOUVELLES CONFIGURATIONS DES PROBLÈMES SOCIAUX Langlois (1994) a raison de rappeler que les premiers volumes sur les problèmes sociaux sont marqués par les thèmes de la misère et de la désorganisation sociale: L'industrialisation naissante et l'urbanisation ont été la source d'importants problèmes sociaux de toutes sortes qui avaient un trait commun : le dénuement, l'exploitation, la misère des conditions de vie. Malnutrition, indigence, extrême pauvreté, taux de mortalité infantile élevé, santé publique déficiente, caractère pénible des conditions de travail sont les mots clés et les thèmes dominants des travaux sur les problèmes sociaux entrepris au siècle dernier ou au début du XXe siècle » (1994, p. 1121). Par la suite, nous le savons maintenant, les choses ont évolué rapidement et divers modèles d'analyse des problèmes sociaux se sont succédés (voir tome 1). Une brève référence aux travaux de trois Commissions d'enquête permet d'illustrer le phénomène d'évolution dans la perception et la définition des problèmes sociaux. Dans les années 1970, le rapport de la Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social (Commission Castonguay, 1972) appréhende les problèmes sociaux en termes essentiellement individuels et psychosociaux ; il identifie les principaux problèmes de l'époque comme étant des problèmes de relations sociales, d'enracinement, d'identité, etc., problèmes universels partagés par les riches comme par les pauvres et qui correspondent à un mal de l'époque. Dans ce cadre, le rôle de l'intervenant social se situe surtout au niveau individuel, il s'agit d'aider les gens à s'aider eux-mêmes. Concrètement, l'intervenant doit s'attaquer aux conséquences des problèmes et non aux causes, et ce, par une intervention rapide et à court terme (Mayer, 1994).
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INTRODUCTION
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Plus de quinze ans plus tard, en 1988, le rapport de la Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux (Commission Rochon) analyse les problèmes sociaux comme des conditions de risque et de vulnérabilité. Cette façon de voir, souligne Beaudoin (1990), conduit à une approche réductrice des problèmes de santé et des problèmes sociaux. Ainsi, les problèmes de santé sont considérés dans leurs manifestations pathologiques (cancer, sida, suicide, problèmes de santé mentale, etc.) ; ou bien, on les aborde dans leur dimension dite « sociale », ce qui veut dire, dans ce cas-ci, individuelle, en les définissant comme le résultat des mauvais comportements ou des mauvaises habitudes de vie des individus (tabagisme, alcoolisme, autres toxicomanies, manque d'exercice physique, mauvaise alimentation). L'analyse des causes économiques et sociales de ces comportements est absente. Cette conception conduit la commission à identifier trois catégories principales de problèmes centrés sur la problématique de la protection sociale et sur lesquels devront intervenir les services sociaux : la violence ; la déviance et la mésadaptation sociale ; et l'absence d'un réseau naturel de soutien à l'intégration sociale. Quelques années plus tard, Langlois (1994) constate que la référence à la violence est aussi présente dans la majorité des analyses des problèmes sociaux contemporains (violence familiale, violence conjugale, mauvais traitements envers les enfants et les personnes âgées, etc. ) Il est difficile de prétendre que cette préoccupation accrue pour la violence doit être attribuée à la prévalence plus marquée du phénomène. Y a-t-il plus de violence aujourd'hui qu'autrefois ? Il est à peu près impossible de répondre à cette question qui présente finalement peu d'intérêt en soi. Une chose est certaine : la violence sous toutes ses formes est devenue un objet marqué de préoccupation et le niveau de sensibilité envers ce phénomène est beaucoup plus accentué (1994, p. 1121). En l'an 2000, la Commission d'étude sur les services de santé et les services sociaux (Commission Clair) a analysé les principaux problèmes qui confrontent le système sociosanitaire québécois. Cette fois, l'analyse des problèmes sociaux est nettement secondarisée par rapport à l'examen des problèmes financiers et à l'organisation des services. Le rapport voulait proposer des solutions concrètes à des problèmes urgents. L'une de ses principales recommandations concerne donc la mise sur pied d'équipes de médecine familiale. Dans cette volonté d'être pragmatique, comme l'avaient fait auparavant les commissions Castonguay et Rochon, la Commission Clair escamote l'analyse des grands problèmes sociaux au profit d'analyses plus immédiatement utilitaires comme celles relatives au financement des services et à l'accroissement des coûts reliés au vieillissement de la population. De plus, les problèmes qui sont analysés sont surtout ceux de la santé. De même, les pratiques des services sociaux et celles des groupes communautaires à l'égard des problèmes sociaux occupent une place beaucoup
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moindre que celles des milieux de la santé (médecins, infirmières, etc.) (Vaillancourt, 2000). L'un des principaux problèmes sociaux évoqués dans le rapport, est celui de la protection de la jeunesse, puisque certaines pratiques sociales dans ce secteur ont fait l'objet de vives critiques, notamment dans les médias. Dans un tel contexte, les principaux problèmes sociaux ainsi que les interventions sociales prioritaires sont ceux associés aux situations d'urgence et de violence dans le domaine de la protection sociale, et particulièrement, dans le cas des enfants et des adolescents. D'ailleurs, la liste des groupes sociaux prioritaires en est la preuve : enfants ou jeunes victimes de violences physiques ou d'abus sexuels, femmes battues, personnes âgées, handicapés physiques ou mentaux susceptibles d'être abusés, physiquement ou psychologiquement (Mayer et Goyette, 2000). Sans avoir la prétention d'aborder toutes ces problématiques, les textes qui suivent se reportent à plusieurs d'entre elles. PLAN ET CONTENU DU LIVRE Ce livre est composé de deux parties. Dans la première partie, nous abordons quelques analyses de cas afin d'approfondir notre connaissance de la dynamique des problèmes sociaux et dans la seconde, c'est le vaste domaine de l'intervention sociale suscitée par ces problèmes qui est exploré. Soulignons d'abord que l'apport de l'étude de cas à l'analyse des problèmes sociaux n'est peut-être pas évident à première vue. Pourtant, l'étude de cas est centrale pour l'intervention sociale. On entend généralement par étude de cas une analyse de diverses situations où peut se trouver un individu, un groupe, une famille ou une communauté ; ainsi elle permet d'étudier des situations en profondeur et de comprendre comment le processus thérapeutique produit des résultats. Dans la même veine, l'étude de cas est au fondement de plusieurs théories comme celles du comportement humain, de la psychothérapie ou encore de la thérapie familiale. De plus, comme nous l'avons souligné dans le tome I, l'étude de cas est indispensable au développement de la recherche sociale. Appliquées au domaine de l'analyse des problèmes sociaux, comme c'est le cas ici, ces études de cas nous permettent d'explorer diverses problématiques sociales tout en nous fournissant des éléments précieux pour une meilleure compréhension de la dynamique interne des problèmes sociaux. Par ailleurs, dans la seconde partie, nous examinons les principales orientations des interventions. À ce propos, soulignons que l'idéologie des différents intervenants sociaux fait l'objet d'une attention accrue afin de savoir au nom de quoi et de qui ils s'arrogent le droit d'intervenir dans
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la vie d'un individu, d'un groupe ou d'une communauté. Bien au-delà des aspects techniques d'intervention, il s'agit de s'interroger sur l'idéologie implicite à tout choix d'intervention (Houle, 1972). C'est aussi dans cette perspective, déceler la dimension idéologique de l'intervention, que Enriquez (1977) a analysé les pratiques des groupes de croissance et qu'il a souligné que presque tous ces groupes adhèrent sensiblement aux mêmes principes : « la référence au plaisir comme moteur de changement, au corps comme lieu de changement, au vécu comme texture du réel et à la catharsis comme résultat de l'action thérapeutique » (1977, p. 89). Même si les termes peuvent varier selon les groupes, le projet demeure le même, celui de renforcer le Moi de l'individu, sa maîtrise de lui-même et de favoriser ses relations à autrui, et ce, quel que soit le contexte social de l'individu. Bref, conclut Enriquez, ces groupes d'intervention sont souvent mus par une idéologie. Dans le même esprit, McKnight (1977) a critiqué la notion d'expert social et il a analysé les relations entre l'expert social, le citoyen et la définition des problèmes sociaux. Ce dernier a soutenu la thèse que le professionnalisme dans les services conduit à un recours abrutissant. Les professionnels définissent le besoin comme une déficience, et l'individualisation et la simplification de la personne s'en suivent. Dit en termes personnels, l'idéologie professionnelle affirme trois choses : 1) vous êtes déficient ; 2) c'est vous le problème ; 3) vous avez plusieurs problèmes. Replacés dans la perspective des intérêts des intervenants, ces postulats deviennent : 4) nous avons besoin de problèmes ; 5) nous avons besoin de vous dire lesquels ; et 6) nous sommes la solution à vos problèmes. Bref, l'idéologie professionnelle produit des effets « abrutissants » pour le consommateur de services qui se trouve dépossédé de tout pouvoir sur la définition des problèmes sociaux de même que sur les solutions à apporter. De prime abord, nous pourrions croire ces exemples anciens et « dépassés », mais, comme nous allons voir, il n'en est rien et ils accentuent la pertinence de s'interroger sur les orientations d'action, explicites ou implicites, des multiples tentatives de résoudre les divers problèmes sociaux. Mais l'intervention sociale ne comporte pas que des limites, bien au contraire, elle est généralement très positive et toutes les commissions d'enquête ont souligné le sérieux et le dévouement du personnel, qu'il soit bénévole ou professionnel, qui oeuvre dans ces milieux. De même, au cours des dernières décennies, plusieurs auteurs reconnaissent que, malgré des limites, l'intervention étatique sur les divers problèmes sociaux a été plutôt efficace : « Globalement, on peut soutenir que l'intervention de l'État providence a été bénéfique pour combattre les inégalités et pour dispenser des services sociaux et de santé. Durant les années 1960 et 1970, les inégalités socioéconomiques ont diminué sous l'effet combiné de la
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
fiscalité, des paiements de transferts et de l'augmentation des services offerts directement par l'État. Par la suite, durant les années 1980, l'intervention accrue de l'État a tout au plus réussi à neutraliser une augmentation des inégalités... » (Langlois, 1994, p. 1123). En somme, il ressort que « le rendement social de l'investissement fait par l'État semble avoir été décroissant à mesure que la présence de ce dernier s'est accentuée » (Ibid.). Pendant ce temps, l'action de la famille-providence (Fortin, 1994) à l'égard des problèmes sociaux, de même que celle des groupes bénévoles (Godbout, 1994) et communautaires (Hamel, 1994), n'ont cessé de prendre de l'importance. Pour notre part, nous serons particulièrement sensibles à trois formes d'intervention à l'égard des problèmes sociaux, soit l'action sociale, l'action législative et l'action institutionnelle. BIBLIOGRAPHIE BECKER, H. (1966). Social Problems, A Modern Approach, New York, John Wiley. BELL, R. (1981). «An anatomy of social problems », dans Contemporary Social Problems, Ill., The Dorsey Press, p. 3-29. CANTIN, S. (1995). Traité des problèmes sociaux. En bref, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 205 p. DUMONT, F. (1994). « Approche des problèmes sociaux », dans F Dumont et al., Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 1-21. DUMONT, F., S. LANGLOIS et Y MARTIN (clin) (1994). Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1140 p. ENRIQUEZ, E. (1977). « Interrogation ou paranoïa : enjeu de l'intervention psychosociologique », Sociologie et Sociétés, vol. 9, n° 2, p. 79-105. FORTIN, A. (1994). « La famille, premier et ultime recours », dans F Dumont, S. Langlois et Y Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 947-962. GODBOUT, J.T. (1994). « La sphère du don entre étrangers : le bénévolat et l'entraide», dans F Dumont, S. Langlois et Y Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 981-994. HAMEL, P. (1994). « L'action communautaire », dans E Dumont, S. Langlois et Y Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 963-980. HOHL, J. (1978). « Guerre à la pauvreté et réorganisation scolaire : l'enjeu des milieux défavorisés à Montréal », International Review of Community Development, vol. 39, p. 115-142. HOULE, G. (1972). « L'animation sociale en milieu urbain : une idéologie pédagogique », Recherches sociographiques, vol. 13, n° 2, p. 231-252.
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
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QUELQUES ÉTUDES DE CAS
HENRI DORVIL, Ph. D. École de travail social, Université du Québec à Montréal La science est une religion. La science seule fait résoudre à l'homme les éternels problèmes dont sa nature exige impérieusement la solution. (Ernest RENAN, 1848)
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QU'ENTEND-ON PAR ÉTUDE DE CAS ? Essayer de trouver un sens à l'expression étude de cas risque fort de conduire à l'erreur. La diversité des contextes dans lesquels cette expression peut être employée empêche toute référence unique à un seul objet, à un seul concept : « Le sens d'un mot est son emploi dans le langage. » L'expression étude de cas, en passant d'un domaine spécialisé à un autre, subit des changements de sens, recouvre des acceptions différentes et sa signification doit se définir d'après les éléments qui font l'objet de la recherche. Elle ne peut être interprétée que dans sa fonction propre au milieu intéressé. Ainsi, étude de cas recouvre une multiplicité de « valeurs ». Et, d'après la terminologie employée par B. Pottier', c'est un cas de polysémie syntaxique, c'està-dire « la possibilité pour une séquence de mots construits en syntagme de recouvrir plusieurs significations ». D'après Michel Bréal2, la polysémie se caractérise par l'identité d'une forme pour une multiplicité de « valeurs » : À mesure qu'une signification nouvelle est donnée au mot, il a l'air de se multiplier et de produire des exemplaires nouveaux, semblables de forme, mais différents de valeur. Nous appelons ce phénomène de multiplication, la polysémie. Et l'imbroglio persiste, signalé par le même auteur : [...] le sens nouveau, quel qu'il soit, ne met pas fin à l'ancien; ils existent tous les deux l'un à côté de l'autre. Le même terme peut s'employer, tour à tour, au sens propre ou au sens métaphorique, au sens restreint ou au sens étendu, au sens abstrait ou au sens concret. Enquête de cas, parfois histoire de cas, il demeure que, sur le plan de l'intervention comme de la recherche et de l'enseignement, étude de cas ou case study est l'expression consacrée par l'usage dans les sciences sociales et humaines, administratives, juridiques, médicales, voire policières. Selon Pierre Ansart3, l'expression étude de cas est le plus souvent employée dans le travail social : elle désigne le regroupement systématique des informations et des analyses concernant une personne en difficulté ou une situation familiale problématique pour lesquelles des solutions sont recherchées. Plus largement, en anthropologie et en sociologie, les monographies constituent, selon ce même auteur, des études de cas
1. B. Pottier, Travaux de linguistique et de littérature de l'Université de Strasbourg, tome V, 1, 1967. Voir aussi Grand Larousse de la langue française, tome cinquième, Paris, 1976. 2. M. Bréal, Essai de sémantique, Paris, Hachette, 1897. 3. P. Ansart, « Études de cas, monographies », dans A. Akoun et P. Ansart (dir.), Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert / Seuil, 1999, p. 63.
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QUELQUES ÉTUDES DE CAS
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particuliers et exemplaires. Par exemple, Frédéric Leplay fait de l'étude de cas sur les familles ouvrières un mode de connaissance majeur des sciences sociales. Commentant cette étude leplaysienne, Antoine Savoye4 trouve que chaque famille, étudiée dans le détail de son histoire et de son existence, est replacée dans son environnement géographique et social. Selon un autre dictionnaire5, un case study est une tentative de comprendre une personne, une institution à partir d'un ensemble d'informations réunies, un rapport d'une telle tentative ou l'utilisation d'un exemple comme un modèle de principes généraux. Un case history est constitué d'informations sur une personne qu'un professionnel reçoit en thérapie ou en relation d'aide. Un case load, c'est l'ensemble des personnes ou des cas sur lequel un professionnel intervient dans un temps donné. À quelques variantes près, nous retrouvons dans la littérature scientifique la même diversité de points de vue à propos des études de cas. On entend par étude de cas une analyse de diverses situations où peut se trouver un individu, un groupe, une famille ou une communauté. A notre avis, l'étude de cas renvoie soit à une description de problèmes, soit à une partie de l'intervention du travail social effectuée par un case worker, un case manager, un group worker, un thérapeute familial ou un organisateur communautaire. Dans cette veine, un auteur6 dira que le cas est l'unité de base de la pratique du travail social, qu'il s'agisse d'un individu, d'un couple, d'une agence, d'une communauté, d'un comté, d'un État ou d'un pays. Ces unités de base sont d'autant plus importantes qu'elles sont imbriquées dans des contextes personnels, financiers et environnementaux. Les études de cas s'avèrent très utiles quand il est question d'étudier des situations en profondeur et de comprendre comment le processus thérapeutique produit des résultats. Le cas, c'est aussi la base de la construction de plusieurs théories comme celles du comportement humain, de la psychothérapie, de la thérapie familiale ou du développement cognitif. Que l'on se souvienne de la portée des observations de cas de Piaget, de Freud dans la genèse de leurs théories7. Dans cette foulée, disons qu'il existe trois types d'études de cas : les études de cas qui génèrent du savoir à propos des clients et des situations vécues (évaluation), celles qui évaluent l'intervention du travail social ou de tout processus thérapeutique (intervention) et celles qui évaluent les résultats pour le client (résultat). 4. A. Savoye, « Monographie », dans Dictionnaire de sociologie, ibid., p. 351. 5. R.E. Allen, The Concise Oxford Dictionary of Current English, Oxford, Clarendon Press, 1990. 6. J.F. Gilgun, Case designs 278-312, dans R.M. Grinnell, Jr. (dir.), Social Work Research Evaluation, Itasca, F.E. Peacok Publisher, 1997. 7. D.D. Royse, Research Methods in Social Work, Chicago, Nelson-Hall Publishers, 1998.
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Pour au moins deux autres auteurs8, une étude de cas, c'est une forme approfondie de recherche qui focalise sur une personne, un groupe, un programme, une organisation, une période de temps, un événement culturel ou une communauté. Faut-il ajouter que le terme méthode de cas existe aussi en pédagogie pour désigner une forme d'apprentissage à partir de situations vécues, objet de rapport ou de problèmes à résoudre ? À un niveau plus terre à terre, en marketing par exemple, nous retrouvons l'étude de cas n° 14, une publicité vantant la fraîcheur des ingrédients entrant dans la composition des sandwichs Subway (chaînes Séries plus et Historia, 23 avril 2000). Et, bien entendu, le cas comme unité de mesure d'allocation de subventions pour les programmes gouvernementaux et autres. Du côté de l'anthropologie, de la sociologie et de la psychologie, nous retrouvons une conception un peu différente de l'étude de cas. Selon Mucchielli9, l'étude de cas est une technique particulière de collecte, de mise en forme et de traitement de l'information qui cherche à rendre compte du caractère évolutif et complexe des phénomènes concernant un système social comportant ses propres dynamiques. Quant à Yin, qui a écrit un ouvrage remarquable10 sur la recherche par étude de cas, il la définit comme une enquête empirique qui étudie un phénomène contemporain dans son contexte de vie réelle, où les limites entre le phénomène et le contexte ne sont pas nettement évidentes, et dans lequel des sources d'information multiples sont utilisées. Stake11, un autre spécialiste de cette question, va encore plus loin. Pour lui, le cas à l'étude fournit en fait un site d'observation permettant de définir ou de découvrir des processus particuliers. Le cas doit être traité comme un système intégré ; les composantes n'ont pas à bien fonctionner et on peut y trouver des éléments qui paraissent irrationnels ; l'important est qu'il permet une meilleure compréhension de l'objet d'étude. Souvent, selon ce même auteur, le cas est d'un intérêt secondaire ; il joue un rôle de support, facilitant notre compréhension de quelque chose d'autre. On va même jusqu'à multiplier les angles de prise de vue, les sources d'information (triangulation) pour
8. E. Sherman et N J. Reid, Qualitative Research in Social Work, New York, Columbia University Press, 1994. 9. A. Mucchielli, Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 1996. 10. R.K Yin, Case Study Research: Design and Methods, Thousand Oaks, Londres, New Delhi, Sage Publications, 1994. Voir de plus Applied Social Research Methods Series, vol. 5. Voir aussi A. Rubin et E. Babbie, Research Methods for Social Work, Pacific Grove, Wadsworth, 1993. 11. R.E. Stake, « Case studies 236-247 », dans N.K. Denzin et YS. Lincoln (clin), Handbook of Qualitative Research, Thousand Oaks, Londres, New Delhi, Sage Publications, 1994.
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saisir le grand nombre de facteurs qui interagissent. N'est-ce pas le moyen le plus sûr d'appréhender la complexité et la richesse des situations sociales ? Selon Yin, les informations requises pour préparer une étude de cas proviennent habituellement de six sources : des documents, des archives, des entrevues, de l'observation directe, de l'observation participante et des objets physiques. Stake définit trois types d'études de cas. L'étude de cas intrinsèque s'intéresse à une situation ayant un caractère unique ou très rare (phénomène historique, événement réunissant des conditions particulières), ou qui est difficile d'accès pour la science, et qui est susceptible de permettre de découvrir des choses nouvelles. Ensuite, l'étude de cas instrumentale traite d'une situation comportant un grand nombre de traits typiques par rapport à un objet donné, fournissant ainsi une occasion d'étude à potentiel élevé. Il s'agit de situations types permettant de vérifier la capacité d'une théorie à rendre compte des phénomènes étudiés. Enfin, l'étude de cas multiple consiste à reconnaître des phénomènes récurrents parmi un certain nombre de situations. Après l'observation et l'analyse de chaque situation en soi, on compare les résultats obtenus pour dégager les processus récurrents. En dernier lieu, il faut distinguer monographie, études de cas et de communautés, et monographie et évaluation. En anthropologie et en sociologie, on entend par monographie la démarche d'étude12 d'un phénomène ou d'une situation relatifs à une société déterminée, impliquant une enquête de terrain et l'observation directe (in situ) propices à reconstituer ce phénomène ou cette situation dans sa totalité. Pour la sociologie proprement dite, l'étude monographique donne lieu à une description extrêmement fine et exhaustive de l'objet étudié, le plus souvent sous la forme de l'étude approfondie d'un cas. Ce type d'études s'avère en droite ligne avec les recherches sociologiques de l'école de Chicago. Les études de cas (case studies) et de communautés (community studies) se différencient, selon ces mêmes auteurs, des études monographiques en ce qu'elles portent sur des objets renvoyant explicitement à des localités, à des communautés ou à des institutions par rapport à des objets d'étude comme, par exemple, des problèmes sociaux. De plus, des propositions théoriques et méthodologiques propres aux études de cas et de communauté aident largement ces dernières à se distancier des études monographiques. Quant à la monographie et à l'évaluation13,
12. S. Dufour, D. Fortin et J. Hamel, L'enquête de terrain en sciences sociales - L'approche monographique et les méthodes qualitatives - Bibliographie annotée, Montréal, Editions SaintMartin, 1991. 13. Y Comeau et L. Lacombe, Études de cas d'entreprises d'économie sociale - Monographie et évaluation du Carrefour de relance de l'économie et de l'emploi du Centre de Québec (CREECQ) (1993-1998), Cahiers du CRISES, vol. 1, n° 2, 1998.
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elles constituent deux démarches méthodologiques devant correspondre à deux temps distincts de réflexion. La monographie ou l'étude de cas vise un objectif de description, alors que l'évaluation porte un jugement et cherche à expliquer les résultats. Cependant, en dépit de la polysémie que nous avons recensée tant dans les dictionnaires que dans la littérature scientifique comme autant de vêtements de rechange, l'expression étude de cas utilisée dans ce livre ne correspond pas tout à fait à l'usage habituel. Les quelques études de cas présentées dans cette partie correspondent à ce que les Anglo-Saxons appellent un scientific paper répondant à des critères bien définis. Celui-ci se compose habituellement de quatre parties : l'introduction, la méthodologie, les résultats et la discussion. Ces writing paper commencent par « Mat was the problem ?», se terminent par « Mat is the solution ? » et sont soumis aux exigences de Logic-Clarity-Precision pour avoir droit de cité dans une revue ou un ouvrage scientifique. En général, à quelques variantes près, nous retrouvons dans ces études de cas soumises à l'appréciation du lecteur un cadre théorique, une ou des hypothèses, des considérations méthodologiques et l'analyse. Définissons ces différents éléments. Un cadre théorique est un système d'idées, de valeurs à travers lequel l'analyste (étudiant, professeur, observateur ou acteur social quelconque) perçoit une réalité donnée, par exemple la société dans son ensemble, l'être humain, l'évaluation d'un client du service social, d'un patient ou d'une forme de prise en charge d'une clientèle. Exemples de cadre théorique : la perspective de l'ordre, celle du conflit, l'approche marxiste, les théories fonctionnalistes, le modèle élitobureaucratique, l'approche structurelle, l'école diagnostique. Le modèle théorique retenu doit proposer une solution originale à la problématique faisant l'objet de l'étude en cours. Une hypothèse est l'idée centrale d'un texte (article, livre, film, peinture, pièce de théâtre ou architecturale, etc.) ; c'est ce qu'on veut mettre en évidence, ce sur quoi on veut attirer l'attention, bref, c'est l'idée qui traverse le texte de part en part. Une hypothèse établit une relation pouvant être vérifiée empiriquement entre une cause et un effet supposé. Exemple : l'intention d'utiliser un condom est associée positivement à la présence de normes sociales préconisant l'adoption de ce comportement14. 14. A.P. Contandriopoulos, F. Champagne, L. Potvin, J.L. Denis et P. Boyle, Savoir préparer une recherche - La définir, la structurer, la financer, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1990, p. 30.
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Une méthodologie est une stratégie utilisant l'ensemble des moyens mis au point pour appréhender de manière cohérente la réalité empirique afin de soumettre de façon rigoureuse les hypothèses à l'épreuve des faits. Parmi ces moyens, on utilise des techniques pour l'analyse des données par exemple les études qualitatives dans lesquelles les données sont présentées sous le mode verbal, entrevues, documents écrits, etc., et les études quantitatives dans lesquelles les données sont présentées sous le mode numérique, test statistique, mesure chiffrée, etc. Les résultats d'une recherche sont des propositions auxquelles est parvenu le chercheur (étudiant, professeur, etc.) après avoir terminé son analyse. Les résultats effectivement obtenus peuvent différer des résultats escomptés au début de l'étude. Ils peuvent être généralisables à d'autres populations que celles effectivement étudiées. Les chapitres qui composent cette première partie portent sur des sujets variés regroupés en trois axes : la problématique générale de l'enfance-famillejeunesse, les multiples facettes de la problématique centrale du travail ainsi que de l'impact des nouvelles technologies, la problématique séculaire de la place et du traitement des groupes sociaux marginalisés dans nos sociétés. La trame de ces problématiques demeure les liens sociaux, formes de relations15 qui lient l'individu à des groupes sociaux et à la société, lui permettant de se socialiser, de s'intégrer à la société et d'en tirer les éléments de son identité. Bref, tous les experts de ces études de cas ont fait leur la définition de la science de Renan citée au début : la science seule fait résoudre à l'homme les éternels problèmes dont sa nature exige impérieusement la solution. Dans la problématique générale de «l'enfance-famille jeunesse », nous trouvons deux textes d'Anne Quéniart, l'un sur les adolescentes mères, l'autre sur le désengagement paternel, ainsi que des textes sur les familles recomposées de Marie-Christine Saint-Jacques, sur les mauvais traitements psychologiques envers les enfants de Claire Malo, Jacques Moreau, Claire Chamberland, Sophie Léveillé et Catherine Roy, et sur les jeunes adultes migrants en milieu urbain de Danielle Desmarais, Yao Assogba et Lucie Fréchette. Dans la problématique centrale que constitue « le travail et l'impact des nouvelles technologies », nous trouvons quatre chapitres : un chapitre sur l'équité ou la relativité salariale de Gérald Larose, l'employabilité des personnes assistées sociales de Deena White et de Maurice Lévesque, le vieillissement et la retraite de jean Carette, le travail social et les technologies de l'information et des communications de Louise Bouchard. 15. A. Akoun, 1999, op.cit.
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Les chapitres devant alimenter l'axe que nous appelons « la place et le traitement des groupes sociaux marginalisés » ont été traités de diverses manières, soit sous l'angle de l'intervention, soit comme illustration d'approches théoriques ou d'instruments méthodologiques. Nous retenons trois chapitres cependant à la rubrique d'études de cas : la mouvance qui caractérise le monde des identités homosexuelles, de Nathalie Ricard, les Formes de violence en milieu scolaire, de Jacques Hébert, et la judiciarisation des personnes aux prises avec des troubles mentaux, de Marie Robert.
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SPÉCIFICITÉ ET MODES DE RÉGULATION DES FAMILLES RECOMPOSÉES
MARIE-CHRISTINE SAINT-JACQUES, Ph. D. École de service social, Université Laval
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RÉSUMÉ L'institution familiale a subi au cours des siècles de profondes transformations. L'industrialisation, l'urbanisation, le recul de l'emprise de l'Église, le travail de la femme à l'extérieur du foyer constituent des facteurs déterminants du remodelage du mariage planifié autrefois «pour la vie». En effet, depuis plusieurs décennies au Québec, comme dans le reste de l'Occident, nous assistons à une fragilisation des unions, au divorce, au remariage, aux familles monoparentales, aux familles recomposées. Ce chapitre situe l'émergence de ces familles dans le contexte plus général des transformations de la famille occidentale, examine sa prévalence, sa spécificité et explore les modes de régulation observés au sein des familles recomposées.
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SPÉCIFICITÉ ET MODES DE RÉGULATION DES FAMILLES RECOMPOSÉES
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Les récentes données de l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ) révèlent une fois de plus les transformations qui se vivent au sein de la famille québécoise. On assiste en effet à une fragilisation des unions et à l'accroissement de la probabilité, pour les jeunes, de vivre au sein d'une autre organisation familiale que celle qui prévalait au moment de leur naissance. À l'âge de 6 ans, près d'un petit Québécois sur quatre, né en 1987-1988, a connu la vie en famille monoparentale principalement parce que ses parents se sont séparés (Marcil-Gratton, 2000). Fréquemment, cette transition marquera le début d'un cycle de réorganisations familiales. On observe notamment que deux à trois ans après la rupture, 45 % des enfants ont vu un de leurs parents former une nouvelle union. Dix ans plus tard, ce pourcentage atteint 85 % (Ibid., 2000). L'émergence des familles recomposées à la suite d'une séparation conjugale révèle les changements qui s'opèrent au sein de la famille québécoise. Dans ce chapitre, nous situerons brièvement l'émergence de ces familles dans le contexte plus général des transformations de la famille occidentale, pour en examiner par la suite la prévalence et la spécificité. En dernier lieu, les modes de régulation observés au sein des familles recomposées seront explorés. LES TRANSFORMATIONS DE LA FAMILLE AU XXE SIÈCLE ET L'ÉMERGENCE DES FAMILLES RECOMPOSÉES MODERNES L'institution familiale a subi au cours des siècles de profondes transformations. On remarque, notamment, le processus d'autonomisation de la famille qui se défait de l'emprise de l'Église et du réseau familial étendu. À la fin du XIXe siècle, le concept d'amour romantique et de mariage par choix personnel devient courant (Wald, 1981). L'amour régit désormais la vie du couple, promise à de longues années de vie matrimoniale. Comme le rappelle Dandurand (1990), trois grandes étapes ont caractérisé l'évolution du système matrimonial à partir de l'industrialisation. Dès la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, on assiste à une diminution « des taux de nuptialité et à une entrée plus tardive des jeunes dans l'état matrimonial » (Lapierre-Adamcyk et Péron, cités dans Dandurand, 1990). La fin de la Seconde Guerre mondiale est marquée par un taux de nuptialité très élevé et l'intégration progressive des femmes sur le marché du travail. C'est aussi à cette période que le divorce supplante le décès du conjoint dans les motifs de remariage. En effet, à partir des années 1940 pour les hommes et des années 1950 pour les femmes, les remariages impliquent davantage de personnes divorcées que de veufs (Glick, 1980,
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cité dans Ihinger-Tallman et Pasley, 1987). Cette période est importante dans le domaine de la recomposition familiale, puisqu'elle marque le moment où ces familles cessent de se former à la suite d'un veuvage, pour être désormais surtout issues d'une séparation ou d'un divorce. Ce changement transforme de manière significative l'expérience familiale en introduisant une possible pluriparentalité, conception qui jusqu'à présent était assez étrangère au système de parenté occidental. En effet, la recomposition familiale d'hier était une pratique largement répandue du XVIe au XIXe siècle. Elle s'actualisait à une époque ou l'espérance de vie était très courte et où les contraintes économiques, mais aussi de prise en charge des enfants, obligeaient les veufs et les veuves à chercher rapidement à se remarier. À cette époque, aussi bien aux ÉtatsUnis qu'en Europe, un mariage sur quatre était en fait un remariage (Ihinger-Tallman et Pasley, 1987 ; Mount, 1984; Segalen, 1988). Au Québec, au XVIIe siècle, cette proportion aurait atteint le tiers des remariages (Charbonneau, cité dans Lemieux, 1985). Ces hauts taux de remariage impliquent qu'une proportion importante d'enfants étaient élevés au sein d'une famille comprenant un beau-parent, voire un beau-père et une bellemère, leurs parents étant morts tour à tour (Segalen, 1988). Les taux de remariage resteront élevés jusqu'au début du XXe siècle, moment où l'espérance de vie a considérablement augmenté (Mount, 1984). La vie conjugale connaîtra alors une période de stabilité qui sera cependant de courte durée en raison, notamment, de l'évolution des valeurs et des mentalités qui entraînera une augmentation notable des taux de divorce. En examinant la situation de l'ensemble des familles, on constate que ce sont cependant les années 1970 qui amèneront les changements les plus spectaculaires'. Ces changements se traduiront par une baisse du taux de mariage et de remariage, une baisse du taux de fécondité et une augmentation du taux de divorce (Claes, 1990 ; Segalen, 1991). Comme le souligne Segalen (1991), ces brusques changements annonçaient pour plusieurs la mort de la famille, alors que l'on constate aujourd'hui qu'elle est toujours bien vivante, mais qu'elle adopte des formes renouvelées. En 1977, Shorter énonçait : « Ce n'est donc pas l'institution légale du mariage qui touche à sa fin, mais simplement l'idée que le mariage est "pour la vie" » (p. 337). On se marie par amour et on se sépare parce qu'on ne s'aime plus. L'amour devient donc le concept unificateur d'aujourd'hui dans les relations familiales, plutôt que les droits et les devoirs (Fortin,
1. Sans nier l'importance de ces changements, il faut garder à l'esprit qu'il est possible d'observer d'autres changements majeurs dans l'institution familiale, que ce soit en reculant davantage dans le temps ou en dépassant le cadre des sociétés occidentales (Burgess, 1994).
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1987). Mais si cet amour unit, il est aussi en partie responsable de l'instabilité conjugale que l'on connaît aujourd'hui (Le Gall, 1992b). Pour De Singly (1993), bien que l'accent mis sur les relations ne soit pas un phénomène nouveau puisqu'il caractérise la famille moderne, ce qui change, avec la famille postmoderne, « c'est le fait que les relations soient valorisées moins pour elles-mêmes que pour les satisfactions qu'elles doivent procurer à chacun des membres de la famille » (p. 89). Dans la mesure où cette union (conjugale) n'est pas satisfaisante, on préfère y mettre fin. Segalen (1991) souligne par ailleurs que les changements au sein de la famille ont davantage touché le couple que la famille. Mais, dans un contexte où le divorce semble plus orienté vers le « meilleur intérêt des adultes », on peut se demander ce qu'il advient du « meilleur intérêt des enfants ». Il y a vraiment là une opposition majeure entre, d'une part, l'accent mis sur le soi qui invite l'individu à rechercher la réponse à ses besoins individuels et, d'autre part, le mouvement de protection des enfants, amorcé dès le début du siècle, qui ne cesse de s'amplifier. Pour Théry (1994), le temps de la parentalité est immuable, mais il est terrible de constater que le lien de filiation est sous la dépendance du lien conjugal. Socialement, on se demande donc comment perpétuer le lien de filiation malgré les bouleversements de la vie du couple. La récente réponse sociale à ce sujet se trouve dans l'attribution (plus ou moins égale, il est vrai) au père et à la mère de l'autorité parentale. On espère ainsi minimiser les effets de la séparation parentale en maintenant l'accès de l'enfant à ses deux parents. On est donc passé en quelques décennies de l'indissolubilité de l'union conjugale à l'indissolubilité du lien de filiation. Mais, du même coup, on ne peut plus vraiment mettre fin à la relation avec l'ex-conjoint, puisque l'on demeure lié en tant que parents « L'histoire ne s'arrêtera plus du moment qu'elle a donné naissance à un enfant » (Théry, 1994). Cependant, l'évolution qu'a connue la famille ne saurait être attribuée qu'à l'importance accrue de la dimension affective des relations. En effet, cette évolution s'accompagne d'un changement plus large des mentalités et des habitudes de vie, provoqué par l'industrialisation qui a, à son tour, permis l'émergence du modèle de la famille conjugale comprenant une ménagère et un pourvoyeur (Dandurand, 1988). Par la suite, la Seconde Guerre mondiale obligera bien des femmes à aller sur le marché du travail ; plusieurs d'entre elles ne reprendront pas par la suite le chemin de la maison (Valois, 1993). Ces changements s'accompagnent d'une diminution de l'emprise de l'Église sur le comportement des personnes, de la montée du féminisme et d'une libéralisation des moeurs (Dandurand, 1987).
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C'est probablement le caractère transitoire du cadre familial qui caractérise le plus la famille d'aujourd'hui. Ceci explique en effet que, bien que le statut de personnes mariées soit le modèle le plus fréquent chez les 15 ans et plus, on assiste en même temps à une montée des unions de fait, des familles monoparentales et des divorces (Langlois, 1990). Bref, on peut penser qu'un itinéraire familial courant aujourd'hui soit de vivre en union de fait, de sanctionner légalement cette union pour certains, de se séparer, de vivre en famille monoparentale un certain temps (particulièrement pour les femmes) pour revivre en couple par la suite, parfois avec des enfants nés d'une précédente union. Toutes ces variations témoignent en même temps de la vitalité du concept de famille. À ce sujet, Lemieux (1990) remarque que la vie familiale est toujours présente : « la multiplication des types de famille en est sans doute l'élément le plus visible dans le paysage contemporain tandis que les mouvements et soubresauts qui s'y agitent laissent entrevoir quelques lignes convergentes de ce qui ressemble, qui sait, à une institution renouvelée » (p. 9). Le divorce jouera maintenant un rôle occupé jusqu'au siècle dernier par la mort, soit celui de mettre fin prématurément aux unions. On continue cependant de croire en la famille - ce qui se reflète dans les taux de recomposition familiale -, qu'elle soit légale ou de fait. PRÉVALENCE DES FAMILLES RECOMPOSÉES L'importance que l'on a accordée ces dernières années aux familles dites non traditionnelles a favorisé le développement d'une perception parmi la population voulant que les familles biparentales intactes soient en voie de disparition au profit des familles monoparentales et recomposées. Bien qu'il soit vrai que la vie familiale et conjugale revêt un visage à multiples facettes et que l'on note un accroissement du nombre de familles monoparentales et recomposées au détriment du nombre de familles biparentales intactes, il n'en demeure pas moins que ces dernières continuent d'être le milieu familial le plus courant. La figure 1.1 illustre de manière statique le portrait de la famille québécoise du milieu des années 1990. Il ressort de cette figure que le milieu de vie familial le plus courant est la famille biparentale qui, dans la majorité des cas, est une première union (d'où l'appellation famille biparentale « intacte »). Un peu moins d'une famille sur cinq au Québec est une famille monoparentale dirigée, la plupart du temps, par une femme. Les familles recomposées forment 8,4 % des familles et sont, le plus fréquemment, réorganisées autour de la mère (73,5 %). Selon plusieurs études démographiques (Desrosiers et Le Bourdais, 1992, 1994; Desrosiers, Le Bourdais et Laplante, 1995), le phénomène de la recomposition familiale serait en nette progression au Québec.
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Figure 1.1 Répartition des familles québécoises avec enfants mineurs selon la structure
Source : figure construite à partir des données de l'enquête de Santé Québec, Bernier et al., 1994.
Pour ce qui est de la situation des enfants, on ne possède à l'heure actuelle que très peu d'informations démographiques2. L'enquête réalisée par Santé Québec (1994) a cependant permis d'apprendre que la proportion d'enfants vivant en famille recomposée croît, comme on devait s'y attendre, en fonction de leur âge. Ainsi, au Québec, 5,8 % des enfants âgés de 0 à 5 ans vivent en famille recomposée, contre 9,9 % de ceux âgés de 6 à 14 ans et 12 % de ceux âgés de 15 à 17 ans. Mentionnons enfin que ces statistiques présentent une vision statique de la vie familiale qui ne révèle pas le caractère dynamique propre aux trajectoires familiales d'un nombre grandissant d'individus. SPÉCIFICITÉ DES FAMILLES RECOMPOSÉES MODERNES Il est maintenant courant de dire des familles recomposées qu'elles ont leur spécificité, d'où découle d'ailleurs une partie de leur « complexité ». Il y a cependant lieu de se demander si cette spécificité fait de ces familles un type distinct de familles. En effet, la spécificité et la complexité sont des qualificatifs relatifs : une organisation est spécifique ou complexe par
2. L'exploitation des données générées par l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes devrait bientôt permettre de dresser un portrait détaillé de la situation des jeunes vivant en famille recomposée au Québec.
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rapport à une autre organisation. La question de la norme est donc soulevée ici. Dans notre culture, la famille biparentale intacte se pose en mesure étalon et ce qui en dévie se qualifie selon qu'il s'écarte plus ou moins des paramètres établis par cette mesure. Cependant, si l'on accepte que les liens de parenté et les structures familiales qui en découlent sont un construit social, le modèle familial élevé au rang de norme résulte avant tout d'un contexte historique et d'une évolution sociale plutôt que d'un déterminisme biologique. En partant de ce principe, les familles recomposées ne sont pas des familles complexes par nature, mais bien par culture. Certains auteurs, dont Bastard et Cardia-Vonèche (1987) et Théry (1991), affirment que c'est par ethnocentrisme que l'on en vient à faire des familles monoparentales ou recomposées des types de familles différents : « Faire des familles recomposées un type distinct serait encore une fois naturaliser le fonctionnement familial, ce à quoi pousse sans doute notre tradition ethnocentrique d'analyse de la famille nucléaire moderne, mais ce que dément à l'évidence toute approche anthropologique de la famille » (Bastard et CardiaVonèche, 1987, p. 102). Pour ces auteurs, le fait de vivre des problèmes particuliers ne fait pas de ces familles un concept sociologique distinct. A leur avis, il y aurait lieu de faire des familles recomposées ou monoparentales un type de familles différent si elles avaient un fonctionnement familial autre, ce qui n'est pas le cas et a d'ailleurs été confirmé encore récemment par McFarlane, Bellissimo et Norman (1995). En fait, c'est le fonctionnement de l'ensemble des familles, peu importe la structure, qui s'est modifié dans le temps (De Singly, 1993). Le Gall (1992a) va dans le même sens en affirmant que ce n'est pas parce que les familles recomposées vivent une séquence d'événements familiaux différente de celle des familles biparentales intactes qu'elles représentent un nouveau modèle de famille. Pour lui, ce sont les mêmes individus qui traversent les séquences, aussi « [la] désunion se traduit par une recomposition "du" familial dans des formes variées, mais n'aboutit certes pas à la constitution de nouveaux types de familles » (p. 141). Cela étant dit, il n'en demeure pas moins intéressant de se pencher sur certaines caractéristiques qui particularisent cette réorganisation « du » familial. Un premier élément spécifique de la recomposition est la complexité que l'on attribue à la vie dans ces familles. On peut se demander quels sont les facteurs qui amènent à percevoir la vie en famille recomposée si complexe. Un premier facteur est sans aucun doute la position extérieure que nous occupons quand nous examinons ces familles. Comme l'a noté Fortin (1987), les personnes qui appartiennent à une famille recomposée ne sont pas si affectées par cette complexité : » Et si les relations familiales des personnes remariées semblent parfois très complexes de l'extérieur, les gens qui vivent ces relations - en particulier les enfants - s'y retrouvent
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très bien et ne vivent pas nécessairement la relation comme douloureuse et conflictuelle » (p. 215-216). Le même phénomène s'applique aux personnes, comme les intervenants sociaux, qui côtoient ces familles régulièrement. Ici comme ailleurs, il semble que l'on perçoive une situation d'autant plus simple qu'on la côtoie. Un second facteur associé à cette perception d'une plus grande complexité vient du fait que ces familles mettent en relation un grand nombre de personnes. Par tradition, les réseaux familiaux comprennent les familles respectives des époux. Au moment d'une recomposition, les membres de la famille, particulièrement les enfants, maintiendront en général des liens avec les familles respectives de leurs parents et en créeront de nouveaux par l'entremise des réseaux de parenté de leurs beaux-parents, ce qui contribue évidemment à l'agrandissement notable de leur réseau familial. Un autre élément distinctif a trait au processus traditionnel du cycle de la vie familiale. Ce cycle conçoit ainsi que la famille biparentale intacte se forme à partir de l'union de deux adultes qui auront ensemble des enfants. Dans les familles recomposées, il y a au moins un lien parentenfant qui existe avant les liens du couple (Visher et Visher, 1990). Aussi, le couple n'a pu profiter d'une phase conjugale avant d'aborder la phase familiale. Tout comme les enfants de familles monoparentales, les enfants qui vivent au sein d'une famille recomposée peuvent circuler entre les foyers de leurs parents biologiques. Ils sont aussi susceptibles de voir leur rang dans la famille se modifier ou de se retrouver « instantanément » avec des demi- et des quasi-fratries. L'importance des changements familiaux que l'on connaît depuis quelques années oblige d'ailleurs à repenser cette conception traditionnelle du cycle de la vie familiale fondée sur une série d'événements prévisibles qui constituent en fait la norme en matière d'histoire familiale. L'exemple des familles recomposées démontre que ce cycle ne reproduit pas l'histoire de toutes les familles. En effet, peut-on encore concevoir la séparation parentale, la monoparentalité ou la recomposition familiale comme des événements marginaux et imprévisibles ? Il est clair que le cycle traditionnel de la vie familiale a d'abord été conçu en fonction de la famille biparentale intacte, traditionnelle de surcroît, mais qu'il faut maintenant faire place à d'autres types d'itinéraires (Beaudoin et al., 1997). A ce sujet, il est intéressant de voir qu'un certain nombre de familles se recomposent selon une logique de pérennité, ne cherchant plus à se substituer à la précédente famille, mais bien à faire preuve de continuité (Martin, 1992) tout en établissant des relations additionnelles au sein des liens de filiation (Théry, 1987b). Un autre élément qui distingue la famille recomposée de la famille biparentale intacte est la composition du système familial et surtout les
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variations que l'on peut observer dans cette composition. La présence d'une demiou d'une quasi-fratrie, des contacts avec le parent non gardien, des visites aux parents du beau-parent sont autant d'exemples d'éléments qui font varier le paysage familial de la recomposition. Pour De Singly (1993), « les enfants circulent au sein de ce réseau hypothétique en fonction de la manière dont les adultes définissent leur insertion domestique, leur fonction parentale ou beauparentale » (p. 116). Bien que ce réseau puisse s'agencer de différentes manières, on observe généralement que ce type de système familial a souvent des frontières plus ouvertes du fait qu'il y a quelque part un ex-conjoint ou une ex-conjointe, parent biologique des enfants (Walker et Messinger, 1979). Cet ex-conjoint peut, notamment, et même s'il n'appartient pas au système familial (au sens classique du terme), exercer un pouvoir sur le système du fait de son droit de regard et de sa relation avec ses enfants. On réalise cependant que ce sont les enfants qui sont au coeur de la famille et qui en déterminent maintenant les limites : « Désormais, ce n'est plus autour du couple que s'organise le noyau familial, mais autour des enfants eux-mêmes, puisque c'est l'espace de leur circulation qui définit le réseau familial » (Théry, 1987a, p. 94). Enfin, peu de liens légaux existent entre le beau-parent et les enfants, à moins d'avoir effectué certaines démarches légales. Il faut cependant noter que des démarches légales, comme l'adoption des enfants du conjoint, sont des pratiques peu courantes au Québec. Cependant, selon Ouellette et Séguin (1994), il s'agit d'une pratique en développement. LES MODES DE RÉGULATION DES FAMILLES RECOMPOSÉES Si l'on ne peut parler d'un type familial distinct, force est cependant de reconnaître que le fonctionnement des familles recomposées n'est pas en tout point comparable à celui des familles biparentales intactes. Essentiellement, les différences résident dans les rôles assumés par les figures parentales et dans le fait que les enfants peuvent être amenés à circuler du domicile de leur mère à celui de leur père. Il faut aussi faire état des logiques sous-tendant le fonctionnement de ces familles, et ce, à partir des représentations entretenues par des adolescents et des adolescentes3 (Saint-Jacques, 2000).
3. Ces résultats sont extraits d'une étude qualitative, de type exploratoire, réalisée auprès de 26 adolescents et adolescentes âgés de 11 à 17 ans et vivant en famille recomposée de manière régulière.
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L'étude des représentations de ces jeunes a d'abord visé à confirmer une typologie déjà établie proposant l'existence de deux logiques distinctes, l'une dite de substitution qui se caractérise par un effacement plus ou moins marqué de l'organisation familiale précédente, l'autre dite de pérennité, qui témoigne de l'existence d'une continuité dans la vie du jeune au-delà de la séparation et de la remise en couple de ses parents. En cela, cette analyse s'inscrit dans la perspective des travaux de Théry (1985), qui a d'abord proposé l'existence de cette dichotomie dans l'organisation familiale à la suite d'un divorce, et de Le Gall et Martin (1996), qui l'ont par la suite examinée spécifiquement chez les familles recomposées. Sur cette base, l'analyse des représentations des jeunes s'est d'abord faite en tentant de classifier leur situation selon l'une ou l'autre des deux logiques. Mais si certaines situations s'y adaptaient parfaitement, il est vite apparu que d'autres s'inscrivaient dans des modes de régulation différents4. Il est donc proposé que les logiques de recomposition familiale puissent se diviser en quatre types distincts, soit de substitution, de pérennité, d'exclusion et de monoparentalité permanente. UNE FAMILLE RECOMPOSÉE SOUS UNE LOGIQUE DE SUBSTITUTION Parmi les différents modes de régulation observés, le plus répandu est sans contredit celui dit de substitution (n: 15). Sur le fond, on observe peu de différences avec la conceptualisation qu'en font Théry (1985) ou Le Gall et Martin (1993). La situation la plus classique est celle d'un jeune qui vit au sein d'une famille recomposée à temps plein, où le beau-parent gardien joue un rôle de parent en remplacement du parent non gardien qui est plus ou moins présent dans la vie du jeune. Cela constitue essentiellement le coeur de la logique substitutive. Toutefois, les propos des jeunes ont été analysés en se demandant si cette substitution est nécessairement attribuable à une conception de la famille qui a de la difficulté à maintenir les relations parentales avec les parents d'origine au-delà des
4. Il convient d'insister sur les différences entre nos travaux et ceux de Le Gall et Martin (1993) afin de bien considérer les éléments sur lesquels il est possible d'établir des comparaisons. Tout d'abord, des différences culturelles et légales peuvent expliquer que ces deux logiques n'arrivent pas à englober l'ensemble des situations examinées dans le cadre de cette étude. Mais ce qui distingue probablement le plus les deux études réside dans l'acteur qui est privilégié afin de déterminer le mode de régulation de la recomposition familiale. En effet, dans les travaux de Le Gall et Martin (1993), ces deux formes de logique sont principalement observées à partir des discours tenus par les parents et les beaux-parents de familles recomposées. Dans la présente étude, les logiques de recomposition sont déterminées à partir des représentations que s'en font les jeunes. Enfin, dans la plupart des situations observées, les jeunes sont les seuls à être en relation avec l'ensemble des acteurs visés, directement ou indirectement, par la recomposition familiale.
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bouleversements de la vie conjugale et à intégrer une notion de famille où peuvent coexister plus de deux figures parentales. Ce qui ressort de cet examen est que le beau-parent gardien ne prend généralement pas la place du parent non gardien ; il occupe plutôt une place laissée vacante, pour diverses raisons, depuis la séparation conjugale, et même avant. En ce sens, une famille ne chasse pas la précédente, elle vient plutôt combler un vide : « Quand j'étais petite, je faisais plein de choses avec ma mère, mais là [depuis la séparation conjugale] on se voyait jamais, quand il y en a une dans la maison, l'autre s'en va. Comme là, quand je vais la voir on se parle pas vraiment là, c'est pas des choses sérieuses. [...] Maintenant, je parle plus à la blonde de mon père. Avant je disais tout à ma mère, maintenant je lui dis presque plus rien. Je le dis plus à la blonde de mon père. » Caroline, qui a interrompu les contacts avec son père depuis six mois en raison de la consommation excessive d'alcool de celui-ci, raconte : Il boit, mais y'a boire pis boire. Tu sais, de le voir arriver tout le temps comme ça, il était pas tout le temps dans son état normal, c'était plate. [...] Donald [le beau-père], c'est comme un père pour moi parce qu'il est rendu avec nous autres, il s'occupe de nous autres, il le remplace peutêtre pas, ça aurait été mieux que mon père arrête de boire, mais je trouve qu'il est bien fin avec nous autres. On observe aussi certaines différences, avec les résultats de Le Gall et Martin (1993), sur le plan des contacts avec le parent non gardien. En effet, trois profils distincts ressortent : un premier groupe entretient des contacts réguliers avec le parent non gardien, un deuxième a des contacts environ une fois par mois, alors qu'un dernier groupe de jeunes ne voient jamais leur parent non gardien. Les parents non gardiens qui entretiennent des contacts avec leurs enfants jouent cependant un rôle différent de celui du parent gardien, voire de celui du beauparent gardien. En effet, ils n'assument généralement pas de fonctions éducatives ou disciplinaires, leurs actions se concentrant surtout autour des loisirs, de l'affection et, dans une moindre mesure, du soutien financier du jeune : « Avant, c'était plus la fin de semaine, il m'appelait pour que j'aille coucher chez eux, comme l'hiver on allait faire du Skidoo ou de la moto l'été, c'était souvent ça ou, des fois, il m'appelait pour aller voir les Harfangs ou l'année passée, il m'a proposé d'aller voir les Expos en moto ; tu sais, c'est plus des sorties comme ça maintenant que d'aller coucher chez eux. » Le fait que le parent non gardien n'assume pas de fonctions éducatives entraîne une distinction dans la représentation que se font certains jeunes de la nature des relations qu'ils entretiennent avec leurs parents. Généralement, la relation avec le parent gardien est considérée comme plus exigeante, parce que ce dernier est très engagé dans son rôle d'éducateur : il exprime alors ouvertement ses inquiétudes, son
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mécontentement, ses attentes. À l'inverse, le parent non gardien, même s'il est disposé à écouter les difficultés de son enfant, les aborde avec plus de distance, reflet probable d'un engagement moins grand par rapport à la situation : Qu'est-ce que c'est les différences ? Bien, avec mon père [le père non gardien] j'ai rien à faire, avec ma mère [gardienne] il faut que je fournisse plus d'efforts. Disons que si j'ai des problèmes à l'école ou d'autre chose, je peux en parler avec mon père. Avec ma mère, elle va frustrer plus que d'autre chose parce que c'est avec elle que je vis si je lui raconte mes problèmes ou des affaires qui se sont passées à l'école, ou mettons les mauvais coups que je fais, j'peux pas aller lui raconter ça. J'ai lâché l'école l'année passée, pour ma mère [non gardienne], c'était mon choix, qu'est-ce que tu voulais qu'elle fasse. Mon père [gardien] y dit, tiens, placement jusqu'à 18 ans. Une autre différence réside dans la nature des contacts entre les exconjoints qui, dans les deux tiers des cas, s'avèrent non conflictuels. Il faut toutefois être conscient que, dans cinq de ces situations, il n'y a probablement pas de conflits parce qu'il n'y a pas de contacts. En effet, les jeunes rencontrés dans cette étude étant des adolescents, il n'est pas vraiment étonnant de constater que les parents ne communiquent plus ensemble, laissant aux jeunes le soin de régler les différentes questions qui se posent en ce qui concerne, notamment, l'horaire des visites ou le paiement de la pension alimentaire. Si le rôle de l'enfant messager est généralement perçu de façon négative par les experts du domaine, plusieurs jeunes nous ont dit qu'ils jugeaient cette situation préférable à celle d'être témoins de conflits entre leurs parents. UNE FAMILLE RECOMPOSÉE SOUS UNE LOGIQUE DE PÉRENNITÉ Beaucoup moins répandues, les familles recomposées sous un mode de pérennité se caractérisent principalement par le fait qu'elles s'inscrivent dans le prolongement de la famille d'origine. En ce sens, l'accès des enfants à leurs deux parents est maintenu ; ces derniers coopèrent et continuent d'assumer conjointement la prise en charge des enfants, et ce, sur tous les plans. Dans cette logique, les beaux-parents ne viennent pas remplacer l'autre parent et tentent d'éviter toute ingérence dans la famille (Le Gall et Martin, 1993). Parmi les 26 situations examinées, seulement 4 s'apparentent à cette logique. Fait par ailleurs peut-être surprenant à première vue, si dans deux de ces situations les jeunes vivent une quasi-garde partagée (4 jours / 10 jours), dans les deux autres cas, on trouve des jeunes dont les domiciles des parents d'origine sont assez éloignés géographiquement l'un de l'autre. Pour l'un des jeunes, l'éloignement est tel qu'il ne
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va chez l'un de ses parents que durant les vacances de Noël et d'été. Malgré cela, il était impossible d'apparenter les logiques de recomposition de ces familles à de la substitution, l'univers familial de ces jeunes, le « nous », étant trop profondément enraciné dans ces deux milieux. En effet, pour l'ensemble des jeunes dont la recomposition familiale est classée sous une logique de pérennité, la famille est composée de tous les acteurs appartenant à l'un ou l'autre des milieux, enfants du beau-parent y compris. Ces situations ont aussi pour point commun d'accorder aux jeunes un libre accès à leurs deux parents. D'ailleurs, si l'on observe une alternance du parent ayant la garde principale du jeune, celui qui a une garde plus occasionnelle a toujours entretenu des contacts réguliers avec son enfant. On remarque aussi que ces jeunes voient en leur beau-parent un parent d'addition, c'est-à-dire une personne qui vient s'ajouter au système parental sans toutefois remplacer l'autre parent. Pour ces jeunes, le beau-parent est une personne très significative à laquelle ils sont attachés : « Tu sais, moi je l'aimais pas vraiment au début, dans ce temps-là, j'étais un peu jaloux, je voulais pas que mon père voie d'autres femmes. Mais là, en vieillissant, ben je l'aime, maintenant je la trouve "full" fine, je me demande comment j'ai fait pour pas l'aimer. [...] Je trouve qu'elle est comme une deuxième mère pour moi. Elle s'occupe de moi comme de ses autres enfants. » Mentionnons, en terminant, que dans l'ensemble de ces situations les parents ont tous formé une nouvelle union. Ces quatre jeunes appartiennent donc à une famille recomposée double et, dans tous les cas, les parents n'ont recomposé une famille qu'une seule fois. UNE FAMILLE RECOMPOSÉE SOUS UNE LOGIQUE D'EXCLUSION Les logiques de substitution et de pérennité n'arrivaient pas à intégrer, pour les raisons évoquées précédemment, l'ensemble des situations des jeunes. A priori, il est vrai qu'il aurait été possible de classifier ces situations sous la logique substitutive. Toutefois, comme il a été choisi de se centrer non pas sur la logique présidant aux arrangements suivant la séparation parentale, mais sur celle qui caractérise les arrangements de la recomposition familiale, une lecture plus fine mais aussi plus focalisée s'imposait. La prochaine logique ne regroupe que trois situations, mais, selon nous, elle possède suffisamment de caractéristiques communes et spécifiques pour parler d'un type distinct. Qualifié de « logique d'exclusion », ce mode de régulation de la recomposition ne comprend que des jeunes dont le père a formé une nouvelle union, alors que la mère est toujours demeurée seule. Dans deux cas, le jeune vit à temps plein
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avec sa mère et à temps partiel avec son pères. Dans la troisième situation, le jeune vit aussi à temps plein avec sa mère, mais cet arrangement n'a cours que depuis un mois. Auparavant, il vivait à temps plein au sein d'une famille recomposée patricentrique impliquant aussi la fille de la belle-mère. Les relations entre les parents sont très conflictuelles. Les jeunes manifestent plusieurs insatisfactions à l'endroit de la relation qu'ils entretiennent avec leur père, tandis qu'ils se sentent très proches de leur mère et très attachés à elle. On voit poindre dans leurs discours la parole de l'enfant justicier qui ne « pardonne pas ce que le père a fait à sa mère ». Ce type de logique est dit d'exclusion, parce qu'il s'articule autour d'un père qui a formé une nouvelle union dans laquelle le jeune ne se sent pas intégré, comme si les relations entre père et enfant ne peuvent exister que dans un rapport exclusif ou à tout le moins hiérarchisé, où les relations entre les membres de la famille d'origine ont la priorité par rapport aux autres. Il est par ailleurs difficile de vraiment cerner si l'enjeu se situe autour du jeune qui est exclu ou qui n'arrive pas à s'intégrer. Le fait notamment que, dans deux situations sur trois, le père vive à temps plein avec d'autres personnes et à temps partiel avec son enfant contribue probablement à accentuer le regard que le jeune porte sur la recomposition familiale. Il s'y crée des alliances, des rites, des habitudes du quotidien qui contribuent à faire sentir à ces jeunes qu'ils ne font pas tout à fait partie de cet univers. Par ailleurs, plusieurs jeunes rencontrés dans cette étude vivent à temps partiel au sein d'une famille recomposée patricentrique sans que leur situation s'apparente à de l'exclusion. Ainsi, si le temps passé à vivre ensemble est un facteur, parmi d'autres, qui peut contribuer au sentiment d'exclusion, il est loin de l'expliquer entièrement. Dans d'autres cas, l'exclusion est plus nette et la relation père-enfant semble plus forcée que désirée : « À part de ça quand je suis avec lui, avec sa blonde il est moins attentif; on dirait qu'il a pas le choix de me parler, parce qu'il y a sa blonde, toute sa famille à elle. Il a pas le choix pour passer pour quelqu'un de correct là. Mais, dans le fond, quand elle n'est pas là, je suis en peine, je fais rien, tu sais, il me parle pas, j'y parle pas. » 5. La situation observée ici est aussi le reflet de la manière dont la garde des enfants s'organise après la séparation conjugale, soit, assez fréquemment, une garde accordée à la mère et un droit de visite au père. De cette manière, il devient assez fréquent que des pères s'impliquent dans une nouvelle union et aient une garde à temps partiel ou occasionnelle de leurs enfants. Partant de cela, il n'est pas étonnant que d'un point de vue empirique on retrouve dans la logique d'exclusion surtout des jeunes qui vivent à temps plein avec leur mère et à temps partiel avec leur père. Il est cependant impossible de savoir si cette dichotomie relève uniquement de la statistique ou si elle est vraiment liée à la nature des relations qui s'inscrivent entre les enfants et leurs parents selon le sexe de ces derniers. Bref, si notre échantillon avait compris des femmes vivant en famille recomposée et n'ayant qu'une garde à temps partiel de leur enfant, est-ce qu'une logique d'exclusion aurait pu être observée ?
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Dans tous les cas, ces jeunes ont le sentiment d'être traités différemment des autres membres de la famille, voire injustement. Ils souffrent de la grande proximité qui existe entre leur père et les acteurs de la nouvelle famille, proximité qui est souvent jugée plus importante que dans leur propre relation sur certains aspects : « Avec moi, il jouait jamais, il était jamais attentif, avec eux, on dirait qu'il est plus attentif, pis il joue avec eux, il les amène partout comme moi qu'il m'aurait renié. » « Comme je disais tantôt côté câlin, moi, je sais pas, mon père, quand on arrive, c'est salut là, tu sais, pas un gros collage, alors que quand il voit Maryse, ah salut, pis ça joue ensemble, ça se saute dessus, pis ça se bat là, pis moi ben je suis assis, ben, voyons là, arrêtez, moi, c'est pas de même. » « Mon père il était amoureux fou d'elle [de la belle-mère], il est encore amoureux là. Il dit souvent : "Je ferai tout pour pas la perdre", ça fait que, il a fait beaucoup de compromis. Peut-être que des fois qu'il se dit que ça n'a vraiment pas de bon sens, quand ils se disputent, il se dit ben là qu'est-ce que je peux faire avec tous les compromis que j'ai faits là, je peux pas tout laisser tomber ça, j'ai tout vendu mes meubles, t'sais sûrement qu'y doit penser ça des fois. » - Quand il te dit, « je vais tout faire pour pas la perdre », toi qu'est-ce que ça te fait d'entendre ça ? - « Ça me dit qu'il l'aime plus que moi, ça me fait de la peine. » Mentionnons enfin que, si dans un cas le processus de recomposition du côté du père s'est fait en douceur, dans les deux autres situations il a été brusque et non prévu par le jeune : « Là, j'allais voir mon père, il vient me chercher, mais il avait amené sa blonde et sa mère, ils sont trois générations, ça fait que là, elle me dit salut, j'étais gêné là. » - Tu t'attendais pas à ça ? - « Non, il m'avait même pas dit qu'il allait venir avec sa blonde, pis je me suis assis à côté de sa mère, de sa mère à elle, à Myriam, ben j'étais gêné ça fait que j'ai pas trop parlé, pis j'étais quand même furieux parce qu'il m'avait pas annoncé ça, moi, j'avais pas eu le temps de me préparer. » UNE FAMILLE RECOMPOSÉE DANS UNE LOGIQUE DE STATU QUO: QUAND UNE FAMILLE RECOMPOSÉE DISSIMULE UNE FAMILLE MONOPARENTALE Finalement, une dernière logique comprend ce que l'on pourrait appeler les « fausses familles recomposées », c'est-à-dire les familles où l'on retrouve, d'un point de vue structurel, les caractéristiques d'une famille recomposée, mais dont la dynamique est basée sur le fonctionnement d'une famille monoparentale. Dans ce corpus, quatre situations correspondent à cette logique. L'élément le plus distinctif de ces familles recomposées par rapport aux autres logiques est le rôle ou plus précisément l'absence de rôle que joue le beau-parent dans la vie du jeune. Cette
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personne est essentiellement perçue par le jeune comme étant le conjoint de son parent, que ce soit par choix unanime de tous les membres de la famille ou parce que le jeune refuse catégoriquement qu'il en soit autrement. Il convient aussi de souligner que trois des quatre situations présentées ici concernent des jeunes qui vivent à temps plein au sein d'une famille recomposée. Aussi, la spécificité du rôle de beau-parent ne peut être liée au peu de temps passé ensemble. Par contre, cette logique pourrait être associée au fait que le jeune a vécu de multiples recompositions. En effet, dans trois situations sur quatre, on observe qu'au moins un des deux parents a eu, depuis la séparation conjugale initiale, au moins deux conjoints différents. Il est permis de penser que, plus il y a d'adultes qui se succèdent dans la vie du jeune, plus la probabilité que ces derniers ne soient pas appelés à jouer un rôle particulier auprès des enfants de leur conjoint est élevée. Dans ce contexte, les relations parent-enfant s'organisent selon une logique que la succession des conjugalités semble peu affecter. En effet, dans trois situations sur quatre, les jeunes affirment que l'arrivée du dernier conjoint de leur parent n'a modifié en rien la relation avec leur parent gardien. Dans l'autre cas, le changement s'est opéré dans le sens d'une perte de rôle, la jeune cessant d'être considérée par son père comme la confidente, étant remplacée à cet égard par la belle-mère. Pour ce qui est du rôle du parent non gardien, il s'assimile à celui observé dans une logique de substitution, à savoir qu'il est surtout orienté vers les loisirs et l'affection. Cette situation est d'ailleurs assez typique des organisations où le jeune ne vit qu'à temps partiel. CONCLUSION La recomposition familiale n'est pas un phénomène moderne. Qu'elle s'inscrive à la suite d'un veuvage (forme ancienne) ou d'une séparation conjugale (forme moderne), elle aura toujours eu pour caractéristique d'être une réponse sociale à la non-permanence des unions. Lorsque les unions sont fragilisées (en raison de l'espérance de vie ou de la transformation des valeurs et des mentalités), la proportion des familles recomposées s'accroît. En ce sens, l'évolution du nombre de familles recomposées nous révèle les changements qui se vivent actuellement au sein de la famille québécoise. Peut-on pour autant considérer cette progression comme révélatrice de l'émergence d'un nouveau problème social ? Pour ce faire, il faudrait d'abord pouvoir démontrer que la recomposition familiale ne constitue pas une voie acceptable et intéressante pour les individus qu'elle touche, ce qui, pour le moment, est loin de pouvoir être démontré. Bien qu'il faille demeurer attentif aux conditions permettant aux individus qui vivent cette nouvelle réalité de se sentir bien,
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il faut se méfier de cette lecture du bonheur qui érige les familles biparentales intactes au rang de norme et considère tout ce qui en dévie comme porteur de problèmes pour les personnes concernées. Au Québec, plus d'une famille sur quatre n'est pas composée des deux parents d'origine ; la probabilité pour un jeune de vivre au sein d'une famille recomposée s'accroît. La recomposition familiale ne nous révèle-t-elle pas la croyance des adultes en la famille et la capacité d'adaptation des enfants et des adolescents ? BIBLIOGRAPHIE BASTARD, B. et L. CARDIA VONÈCHE (1987). « Quelques réflexions sociologiques sur le remariage et les familles composées », Dialogue, n° 97, p. 98-103. BEAUDOIN, S., M. BEAUDRY, G. CARRIER, R. CLOUTIER, S. DRAPEAU, M.-T. DUQUETTE, M.-C. SAINT JACQUES, M. SIMARD et J. VACHON (1997). « Réflexions critiques autour du concept de transition familiale », Les Cahiers internationaux de psychologie sociale, n° 35, p. 49-67. BERNIER, M., H. DESROSIERS, C. LE BOURDAIS et E. LÉTOURNEAU (1994). Enquête sociale et de santé 1992-1993 : Un profil des familles québécoises, Montréal, Gouvernement du Québec, Santé Québec. BURGESS, R.L. (1994). « The family in a changing world : A prolegomene to an evolutionary analysis », Human Nature, vol. 5, p. 203-221. CLAES, M. (1990). « Les relations entre parents et enfants dans une famille en changement », dans Denise Lemieux (dir.), Familles d'aujourd'hui, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 73-88. DANDURAND, R.B. (1987). « Revivre en couple ? Des mères sans alliance s'interrogent », dans Renée B. Dandurand (dir.), Couples et parents des années quatre-vingt, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 93-108. DANDURAND, R.B. (1988). Le mariage en question : essai sociohistorique, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 188 p. DANDURAND, R.B. (1990). « Le couple : les transformations de la conjugalité », dans Denise Lemieux (dir.), Familles d'aujourd'hui, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 24-41. DE SINGLY, F (1993). Sociologie de la famille contemporaine, Paris, Nathan, 128 p. DESROSIERS, H. et C. LE BoURDAis (1992). «Les familles composées au féminin : évolution, ampleur et caractéristiques au Canada », dans Gilles Pronovost (clin), Comprendre la famille. Actes du 1- symposium québécois de recherche sur la famille, Sainte-Foy, Presses de l'Université du Québec, p. 71-95.
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QUAND MATERNITÉ RIME AVEC PAUVRETÉ, MONOPARENTALITÉ ET QUÊTE D'IDENTITÉ Un bilan des études sur les adolescentes mères ANNE QUÉNIART, Ph. D. Département de sociologie, Université du Québec à Montréal
On les appelait, dans les années 1950 et 1960, des filles mères, on les nomme souvent aujourd'hui des mères adolescentes, mais il serait plus juste de les définir comme des adolescentes, devenues mères à un âge où il est plus normal d'étudier et de s'amuser que de materner. Pourquoi parler de ces adolescentes mères dans un traité des problèmes sociaux Après tout, de tout temps et dans la plupart des cultures, des jeunes' filles de moins de 18 ans ont eu et ont encore des enfants. Il y a une cinquantaine d'années, le mariage, fondement même de la famille moderne, était le critère qui distinguait les maternités précoces « à problème » des autres - on parlait alors d'enfants illégitimes, de bâtards, s'ils étaient conçus en dehors des liens du mariage. Aujourd'hui, à une époque où 53 % des naissances1 sont attribuées à des femmes non mariées, c'est autre chose. La maternité précoce, à l'aube de l'an 2000, est un problème moins d'ordre moral que d'ordre social : souvent synonyme de précarité, de déscolarisation, d'isolement, elle renvoie à des phénomènes de société plus larges comme le rajeunissement et la féminisation de la pauvreté, l'allongement de la jeunesse et le report de l'insertion sociale et professionnelle, l'instabilité des réseaux primaires de prise en charge, etc. Elle témoigne aussi de ce « paradoxe vécu ou appréhendé [...] d'une société où la jeunesse est promue mais où les jeunes sont déchus2 » ou, à tous le moins, sont soumis à des exigences sociales, contradictoires. La maternité à l'adolescence est également devenue un problème de société. En effet, le nombre de jeunes filles vivant une grossesse à l'adolescence3 a fortement augmenté dans la plupart des pays industrialisés depuis dix ans. Au Québec, le taux de grossesse est ainsi passé de 2,49 en 1980 à 3,11 % en 1985 et à 3,72% en 1994 chez les 15 à 19 ans. Le
1.Statistiques de l'état civil 1996. 2.M. Cournoyer, «Maternité précoce un passage inédit à l'âge adulte-, PR. -l-S.M.E., vol. 5, nos 2-3, 1995, p. 276. 3. Dans la majeure partie des études, on prend le terme adolescente dans son sens américain de teenager qui couvre théoriquement les catégories 13-19 ans.
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tiers de ces grossesses précoces sont menées à terme, 60 % se terminent par un avortement et 7 % par une fausse couche4. En fait, au Québec, depuis quelques années, on dénombre en moyenne 4000 naissances par an chez les adolescentes. Dans certains quartiers défavorisés de Montréal, les taux de grossesse, chez les moins de 18 ans, sont de plus de 4 %5. En outre, si les naissances pour l'ensemble des mères de milieux défavorisés ont chuté de 40% depuis 1981, chez les adolescentes de ces mêmes milieux elles ont augmenté de 9 %6. De nombreuses études7 permettent de comprendre, au-delà des chiffres, de quoi est faite la vie de ces adolescentes mères, de mieux saisir leurs caractérisques sociales et de mettre au jour le sens de cette maternité pour elles. C'est un bilan de ces études que nous présentons ici. Un bilan non exhaustif, centré plutôt sur les questions suivantes : De quels milieux viennent ces jeunes mères ? Comment, de quoi et avec qui vivent-elles ? Quel sens donnent-elles à cet enfant, à cette maternité ? LE MILIEU FAMILIAL DES ADOLESCENTES MÈRES La majorité des adolescentes qui poursuivent leur grossesse proviennent de milieux socioéconomiques défavorisés ou de milieux présentant des difficultés psychosociales importantes8. Autrement dit, les adolescentes des milieux les plus défavorisés sur les plans économique, culturel, social sont les plus exposées à devenir parents de façon précoce et, ainsi, à reproduire le cycle de la pauvreté. De récentes études font ressortir que la plupart des adolescentes mères viennent d'un milieu familial perturbé divorce des parents pour beaucoup d'entre elles, placements multiples dans des familles d'accueil pour certaines et, pour d'autres, expériences de maltraitance, tout cela se traduisant par un manque, voire un vide du point de vue affectif. De plus, il semble y avoir une sorte de « culture », 4. Bureau de la statistique du Québec, 1996. 5. Par exemple, les taux de grossesse atteignent 4,2% dans Pointe-Saint-Charles et de 4,5% dans Hochelaga-Maisonneuve (statistiques du MSSS, 1996). 6. Bureau de la statistique du Québec, 1996. 7. Les études sur les adolescentes enceintes ou mères sont très nombreuses depuis trente ans, comme en témoignent plusieurs recensions des écrits récentes. Elles viennent surtout du champ de la psychologie sociale ou communautaire, sont empiriques, de type quantitatif (données sociodémographiques, épidémiologiques) et qualitatif (analyses des motivations / facteurs de la grossesse, trajectoires de vie, etc.). Dans l'ensemble, elles concernent de petits échantillons (de 20 à 50 répondantes en général), souvent spécifiques (adolescentes en internat, adolescentes des régions, adolescentes noires, etc.), ce qui rend les données difficilement comparables. Rares sont les études théoriques qui tentent de situer le phénomène dans une réflexion plus large sur nos sociétés contemporaines. Soulignons cependant à cet égard la remarquable analyse de Cournoyer (1995a). 8. Ministère de la Santé et des Services sociaux, Politique de périnatalité, Gouvernement du Québec, 1993.
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familiale propice à une maternité précoce, puisqu'on constate que les adolescentes mères ont dans une forte proportion une mère ayant elle-même eu un premier enfant avant l'âge de 20 ans9. LE CONTEXTE DE LA GROSSESSE La grossesse elle-même survient dans ce que Charbonneau appelle « un contexte d'insouciance » se traduisant par l'oubli ou la non-utilisation de moyens contraceptifs, par la spontanéité des relations sexuelles ou par le désir de garder un caractère imprévisible à la première relation sexuelle10. La maternité précoce semble donc être un phénomène qui échappe en partie aux mesures de prévention et d'information pourtant répandues. En fait, il est maintenant établi qu'une meilleure connaissance du danger ne suffit pas pour générer des comportements de protection. À la diffusion de connaissances il faut ajouter la prise en compte des croyances des personnes, de leurs motivations, de leur adhésion à certaines normes sociales, etc. À cet égard, la grossesse chez les adolescentes répond à certaines attentes et revêt plusieurs sens : réassurance quant à la fertilité", passage souhaité vers le devenir adulte12, réparation d'une souffrance de l'enfance, porte de sortie qui permet l'indépendance financière et familiale ou encore la réconciliation avec la famille d'origine, notamment avec la mere13, etc. Dans tous les cas, font remarquer Letendre et Dorais14, la décision de mener la grossesse à terme plutôt que d'opter pour l'avortement semble être liée aux pressions exercées par l'entourage. On constate que la mère de l'adolescente joue un rôle prépondérant dans cette décision15. 9. Voir C. Japel, « Grossesse et avortement chez l'adolescente. Revue de littérature,}, PR.I.S.M.E., vol, : 2, n° 3, 1992, p. 382-398; H. Manseau, La grossesse chez les adolescentes en internat: Le syndrome de la conception immaculée, Recherche qualitative et concertée sur le phénomène de la grossesse en internat, 206 p.; J. Charbonneau, « La maternité adolescente», Réseau, 1999, p. 14-19; A. Quéniart, S. Roy, L. Couture et C, Lareau, Attentes, besoins et stratégies de jeunes mères participant à un programme de logements supervisés dans Petite-Patrie, Rapport de recherche exploratoire, 1999, S. Oze et M. Fine, « Family relationship patterns perceptions of teenage mothers and their non-mothers peers », Journal of Adolescence, vol. 14, n° 3, p. 293-304. 10. Voir Charbonneau, op. cit. ; Quéniart et al., op. cit. ; F. Doyon et J. Hutter, Une bedaine en mouvement, Montréal, Bureau de consultation jeunesse, 1991. 11. S, Oze et M, Fine, op, cit. 12. Cournoyer, 1995, op.; cit. D. Tremblay, G. Forget et F Lavoie, L'expérience de la maternité chez l'adolescente : État de la situation, inventaire du support offert et piste d'action, Québec, Département de santé communautaire, Centre hospitalier Honoré-Mercier, 1986. 13. L.V Klerman, « Adolescent pregnancy and parenting : Controversies of the past and lessons for the future », Journal of Adolescent Health, vol. 14, 1993, p. 553-561 ; Charbonneau, op. cit. 14. R. Letendre et P. Dorais, L'expérience de la grossesse à l'adolescence. Rapport de recherche, Université du Québec à Montréal, 1999, 132 p. 15. Charbonneau, op. cit.
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LES CONDITIONS DE VIE DES ADOLESCENTES MÈRES ET DE LEUR ENFANT Qu'en est-il, une fois l'enfant né, des conditions de vie de ces jeunes ? Elles sont très difficiles, puisque la plupart des jeunes mères disposent de peu de ressources économiques et matérielles. Ainsi, au Québec, près des deux tiers des adolescentes mères vivent de prestations gouvernementales16, les autres occupent des emplois précaires mal rémunérés. Parmi les causes de pauvreté, il faut noter le fait que ces adolescentes mères sont souvent seules pour assumer la prise en charge de l'enfant. Au Québec, 80 % des adolescentes mères vivent en situation de monoparentalité17. En 1990, 32 % des enfants nés de mères âgées de moins de 18 ans provenaient de pères non déclarés, alors que la proportion est de 4 % pour l'ensemble des femmes. Plus les mères sont jeunes, plus elles sont seules. Ainsi, 45 % des nouveaunés de mères de 15 ans proviennent de pères non déclarés18. Dans un tel contexte, on peut penser que l'aide de l'État reçue par ces jeunes mères, bien qu'il s'agisse d'un indicateur de pauvreté, peut être aussi, à court terme, un facteur facilitant un retour aux études ou une insertion professionnelle. Les adolescentes mères ont d'autant plus de difficulté à s'intégrer au marché du travail qu'elles sont souvent sous-scolarisées19. Ainsi, au Québec, entre 50 et 75 % des jeunes mères abandonnent l'école ou abaissent leurs objectifs scolaires initiaux après la naissance de leur enfant20. Dans l'étude de Charbonneau menée auprès de 32 adolescentes résidant en Montérégie, la scolarité des mères ne dépassait pas la cinquième année de secondaire pour 30 d'entre elles et même la troisième année de secondaire pour 19 d'entre elles. En outre, un bon nombre d'adolescentes vivent des problèmes d'ajustement psychologique à la maternité2'. Certaines études indiquent que le taux de dépression chez les adolescentes qui deviennent mères est de l'ordre de 60 %22. Les jeunes mères vivent donc leur expérience de maternité dans des conditions qui ne favorisent nullement
16, C. Loignon, L'adolescence bousculée: prévention et soutien de la grossesse et de la maternité/paternité à l'adolescence. État de la situation pour la région de Montréal, 1996. 17. H. Morais et al., Projet: Devenir parent, une étape cruciale dans le développement de l'enfant et de sa famille, Politique de périnatalité, Québec, Comité de périnatalité, 1992. 18. Ministère de la Santé et des Services sociaux, op. cit. 19. Cournoyer (1995b) fait remarquer à juste titre que beaucoup des mères adolescentes auprès desquelles des études ont été menées aux États-Unis ont abandonné l'école avant même de devenir enceintes et non après: l'échec scolaire ne serait donc pas toujours attribuable à la maternité précoce. 20. Tremblay et al., 1986, op, cit. 21. G.M. Tarabulsy et al., « L'intervention auprès de jeunes mères et de leur enfant: perspectives de la théorie de l'attachement », Criminologie, vol. XXXI, n° 1, 1998. 22. J.D. Osofsky et al., « Intervention challenges with adolescent mothers and their infants », Psychiatry, vol. 51, 1988, p. 236-248.
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l'apprentissage de leur nouveau rôle et le développement de leur autonomie affective et financière. Il en va souvent de même pour les jeunes pères qui sont amenés à rompre avec le milieu scolaire et à accepter des emplois mal rémunérés. Au peu de ressources économiques s'ajoute souvent l'isolement. En effet, l'adolescente qui devient mère est aussi très souvent coupée de son réseau d'amis qui ne partagent plus la même réalité ni les mêmes préoccupations23. Cela la place dans une situation d'isolement à un moment de la vie où les relations avec les,, pairs sont des plus importantes. Quant au rôle joué par la famille d'origine, plusieurs auteurs évoquent son importance en des termes à la fois de soutien et d'obstacle. En effet, d'un côté, l'aide des parents, et surtout de la mère (soins, garde de l'enfant, initiation à la parentalité), permet à beaucoup de jeunes mères d'échapper à la pauvreté et de poursuivre leurs études. D'un autre côté, le soutien n'est pas si généralisé que certains travaux l'affirment et, surtout, il n'est pas forcement positif. Des effets pervers peuvent aussi se manifester. Ainsi, la famille d'origine aurait tendance à considérer négativement le père de l'enfant, à ne pas favoriser de rapprochement avec l'adolescente, allant même jusqu'à faire obstacle à son engagement social24. Ce qui a pour conséquence de ralentir la formation ou la stabilisation du couple et l'établissement de liens entre le père et l'enfant. Quant aux enfants, de nombreuses études montrent qu'ils courent plus de risques que les autres de naître prématurément, de présenter un poids insuffisant à la naissance, d'être l'objet d'abus ou de négligence et plus tard de présenter des troubles de comportement25. LA MATERNITÉ PRÉCOCE COMME QUÊTE D'IDENTITÉ QUELQUES RÉFLEXIONS POUR L'INTERVENTION Tributaires des présentes mutations sociales et devant faire face à des conditions d'accès à l'intégration de plus en plus difficiles, les jeunes sont aujourd'hui forcés de redéfinir leur rôle dans la société. lis veulent agir et sentent la nécessité, pour exister, de « vivre autrement ». Dans le cas des adolescentes, la maternité est un moyen de se réaliser par des voies différentes de celles qui sont généralement acceptées. C'est aussi une façon pour elles d'échapper à ce double statut discriminatoire que représente, le fait d'être jeune et pauvre dans une société de consommation comme la nôtre. 23. F. Doyon et J. Hutter, op. cit. ; Quéniart et ai., op. cit. ; C. Carrier et N. Vargas, « La grossesse chez les jeunes. Une réalité, un défi d'intervention», Apprentissage et socialisation, vol. 13, no 3, 1990, p. 222-226. 24. N. Cervera. « Unwed teenage pregnancy : Family relationships with the father of the baby », Families in Society, vol. 72, n° 1, 1991, p, 29-37. 25. C. Bouchard (dir.), Un Québec fou de ses enfants, rapport du groupe de travail pour les jeunes, Gouvernement du Québec, 1991.
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Si la maternité précoce est une expérience qui rime avec pauvreté et rnonoparentalité, elle doit aussi être comprise comme une façon, pour les jeunes filles, d'acquérir une identité bien à elles, de se « donner une identité par voie subversive26 », c'est-à-dire par la rupture avec les normes établies. En fait, si leur conduite est jugée déviante, c'est seulement par rapport à leur statut actuel d'adolescente, de mineure sur le plan légal. Mais par rapport à leur statut futur, leur statut d'adulte, la maternité est une conduite tout à fait normale. Par un comportement contraire aux normes, ces jeunes revendiqueraient la capacité d'assumer des privilèges et des responsabilités associés au statut des adultes27 dans le contexte d'une société « où la place réservée aux jeunes est de plus en plus réduite ». Autrement dit, la maternité serait pour elles « un passage périlleux mais non impossible à l'âge adulte28 ». À ce titre, plusieurs études font ressortir que bon nombre de ces adolescentes possèdent des atouts et des compétences en matière parentale29. Sur le plan de l'intervention, les recherches montrent que l'on a surtout favorisé la mise sur pied de programmes centrés sur la modification des comportements, croyances et attitudes de ces jeunes mères. Lune des faiblesses de la plupart des programmes est le peu d'intérêt accordé à ce jour aux autres catégories d'acteurs que sont les pères. De plus, si les interventions qui privilégient l'amélioration de la santé de la mère et de l'enfant sont évaluées comme étant assez efficaces, celles visant à améliorer leur situation socioéconomique (scolarisation, emploi et autonomie financière), autrement dit les sphères les plus problématiques de leur vie, ont des effets limités uniquement valables à court terme30. Il en va de même pour les programmes visant la réduction des grossesses subséquentes et l'éducation aux rôles parentaux. Ces résultats mitigés peuvent s'expliquer pour plusieurs auteurs par le fait que la plupart des interventions ne tiennent pas suffisamment compte de la façon dont les jeunes mères elles-mêmes définissent leur propre situation et vivent la parentalité, la famille, etc. À cet égard, ce qu'il faut offrir à ces jeunes filles, ce sont bien sûr des programmes de prévention et d'éducation sexuelle. Mais, surtout, il faut leur apporter un soutien dans ce rôle auquel elles aspirent et leur donner des outils pour s'en sortir sur un plan personnel et socioéconomique. A l'évidence, note Cournoyer, celles qui ont le plus de chances de réussir leur entrée dans la vie adulte sont celles qui reçoivent l'appui nécessaire pour continuer à être des adolescentes tout en étant mères et qui ne s'éloignent 26. M. Cournoyer, 1995b, op. cit. 27. Voir à cet égard le concept de « socialisation anticipatrice » de Merton qui décrit bien ce phénomène. 28. M; Cournoyer, 1995b, op. cit., p. 276. 29. Voir R.A.Hanson, ,« Initial parenting attitudes of pregnant adolescents and a comparison with the decision about adoption », Adolescence, vol. 25, no 99, 1990, p. 629-643, J. Poissant, Le discours des adolescentesmères sur les changements suivant la naissance d'un premier enfant et les facteurs influençant leur adaptation. Projet de thèse, Département de psychologie, Université du Québec à Montréal, 1998, 39 p. 30. Voir la recension de Cournoyer, 1995a, op. cit.
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pas du modèle de l'allongement de la jeunesse : retourner dans la famille d'origine, recevoir une aide du milieu communautaire ou institutionnel, poursuivre ou reprendre le cheminement scolaire, reporter une union conjugale vouée à la fragilité ou à l'échec, etc. Dans les cas où il est nécessaire que l'adolescente soit retirée de son milieu familial, des intervenants peuvent prendre le relais de la famille d'origine et agir comme « parenté de substitution ». Nous pensons ici aux programmes de « logements supervisés» récemment implantés à Montréal dans certains quartiers et ou sont hébergées des adolescentes enceintes ou avec leur bébé dans des logements subventionnés. On leur offre ainsi à la fois le soutien quotidien de la part d'intervenants et l'accès à des services et ressources liés à la santé, a la recherche d'emploi, etc., mieux adaptes à leurs besoins. Ce sont là des expériences d'intervention qu'il conviendrait d'encourager. BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE CHARBONNEAU, J, (1999), « La maternité adolescente », Réseau, p. 14-19. CHARBONNEAU, J. et S. GAUDET (1997). Débrouillardise et insouciance: Le cheminement des mères adolescentes quelques années après la naissance de l'enfant. Communication au 4e symposium québécois de recherche sur la famille, Trois-Rivières. COURNIOYER, M. (1995a). Grossesse, maternité et paternité à l'adolescence. Recueil de recension des écrits, Québec, institut québécois de recherche sur la culture, COURNOYER, M. (1995b). « Maternité précoce : un passage inédit à l'âge adulte P.R.LS.M.E, vol. 5, nos 2-3, p. 266-287. JAPEL, C. (1992). « Grossesse et avortement chez l'adolescente ». Revue de, littérature, PR.I.S.M.E., vol. 2, no 3, p. 382-398. KLERMAN, L.V (1993). « Adolescent pregnancy and parenting : Controversies of the past and lessons for the future», Journal of Adolescent Health, vol. 14, p. 553-561. MARSIGLIO, W. et E.G. MENAGHAN (1990). « Pregnancy resolution and family formation », Journal of Family Issues, vol. 11, n° 3, sept., p. 313-333. OZE, S. et M. FINE (1991), « Family relationship patterns : Perceptions of teenage mothers and their non-mothers peers », Journal of Adolescence, vol. 14, n° 3, p. 293-304.
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ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR LES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES ENVERS LES ENFANTS
CLAIRE MALO, Ph. D. Institut universitaire de recherche pour le développement social des jeunes, Centres jeunesse de Montréal JACQUES MOREAU, Ph. D. École de service social, Université de Montréal CLAIRE CHAMBERLAND, Ph. D. École de service social, Université de Montréal SOPHIE LÉVEILLÉ, M. A. Institut universitaire de recherche pour le développement social des jeunes, Centres jeunesse de Montréal CATHERINE ROY, M. Sc. Institut universitaire de recherche pour le développement social des jeunes, Centres Jeunesse de Montréal et École de service social, Université de Montréal
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RÉSUMÉ En dépit d'un intérêt croissant pour la dimension psychologique de la violence faite aux enfants, les manifestations de mauvais traitements psychologiques sont méconnues. C'est que de nombreuses controverses entourent encore l'appellation, la définition et la façon d'opérationnaliser le concept. De plus, ces mauvais traitements sont plus difficiles à reconnaître que l'abus ou la négligence physique parce qu'ils laissent des traces moins visibles n'apparaissant souvent qu'à plus long terme. Des études suggèrent néanmoins qu'il s'agit de la forme de mauvais traitements la plus fréquente, la plus insidieuse et peut-être la plus destructrice pour l'enfant. Au moyen de la littérature actuelle sur les mauvais traitements psychologiques envers les enfants, ce chapitre fait d'abord état des controverses entourant la définition et l'opérationnalisation des mauvais traitements psychologiques. Ensuite, les auteurs traitent de l'ampleur des mauvais traitements psychologiques et des conséquences qui y sont associées. Les postulats du modèle écologique du développement humain servent de toile de fond à la dernière section du texte qui porte sur la diversité des facteurs associés aux pratiques parentales à caractère maltraitant.
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LES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES ENVERS LES ENFANTS
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Les diverses manifestations de mauvais traitements psychologiques envers les enfants sont actuellement méconnues, si bien qu'aucune des catégories légales n'y fait spécifiquement référence dans la loi québécoise de protection de l'enfance, et que rares sont les signalements de compromission retenus sur cette seule base. Cette méconnaissance dépend en grande partie des nombreuses controverses qui entourent encore l'appellation et la définition de ce concept ainsi que la façon de l'opérationnaliser. De plus, ces mauvais traitements sont nécessairement plus difficiles à reconnaître que l'abus ou la négligence physique, car ils laissent des traces moins visibles n'apparaissant souvent qu'à plus long terme. De nombreuses études suggèrent néanmoins qu'il s'agit de la forme de mauvais traitements la plus fréquente, la plus insidieuse et peut-être la plus destructrice pour l'enfant. De leur côté, plusieurs intervenants du secteur enfance-famille reconnaissent aussi leur existence, sans posséder les balises qui leur permettraient d'agir concrètement, surtout quand les mauvais traitements psychologiques apparaissent de façon isolée des autres formes de mauvais traitements. LES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES : UN CONCEPT CONTROVERSÉ Les communautés scientifique et clinique manifestent un intérêt croissant pour la dimension psychologique de la violence faite aux enfants. Mais plusieurs controverses demeurent quant à la définition et à la façon de rendre ce concept opérationnel. Ces controverses limitent encore grandement le développement des connaissances et des interventions dans le domaine. La présente section résume les principaux sujets de polémiques entre chercheurs et intervenants. QUEL NOM LEUR DONNER ? Il existe d'abord un manque d'uniformité flagrant dans la terminologie utilisée pour désigner le concept. Différents termes sont tour à tour utilisés, souvent de manière interchangeable bien qu'ils ne soient pas synonymes. Ainsi, on parle tantôt d'abus émotionnel (Claussen et Crittenden, 1991 ; Thompson et Kaplan, 1996), de maltraitance émotionnelle (Jones et McCurdy, 1992), de violence verbale ou symbolique (Bouchard et Tessier, 1996 ; Clément et al., 2000 ; Vissing et al., 1991), d'abus verbal (Schaefer, 1997) et même de cruauté mentale (Manciaux et Gabel, 1993). Ce manque d'uniformité complique évidemment les comparaisons des
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résultats de recherche. À l'instar de Hart et Brassard (1987), nous utilisons ici l'expression « mauvais traitements psychologiques », qui nous semble mieux capter les différentes facettes du phénomène. UN GESTE EST-IL PSYCHOLOGIQUEMENT MALTRAITANT DANS SA NATURE OU DANS SON EFFET SUR LA VICTIME ? Pour plusieurs auteurs, la nature psychologiquement maltraitante d'une pratique parentale se reconnaît d'abord par les conséquences qu'elle entraîne chez l'enfant (Aber et Zigler, 1981 ; O'Hagan, 1995 ; Shaver et al., 1991 ; Thompson et Jacobs, 1991). Pour ces auteurs, c'est lorsque des conséquences particulières sont observées chez l'enfant que l'on peut conclure qu'il y a eu mauvais traitements psychologiques. Certains de ces auteurs suggèrent un continuum de gravité allant des formes mineures ne requérant pas nécessairement une intervention aux formes les plus graves (Klosinsky, 1993). D'autres auteurs allèguent toutefois que les mauvais traitements psychologiques n'entraînent pas nécessairement des effets négatifs immédiats sur le fonctionnement de l'enfant, ce qui complique leur identification exhaustive à partir des conséquences observées. Ces auteurs préfèrent considérer d'abord la nature des actes eux-mêmes pour juger de leur caractère psychologiquement maltraitant (Baily et Baily, 1986 ; Barnett, Manly et Cicchetti, 1991 ; Hart et Brassard, 1991). Une telle position risque cependant d'amener les chercheurs et les intervenants à qualifier de maltraitante toute conduite parentale marginale, même anodine pour l'enfant. McGee et Wolfe (1991) suggèrent de considérer la nature des actes parentaux mais également leurs conséquences, non pas réelles mais potentielles. Suivant cette perspective, une conduite parentale serait psychologiquement maltraitante quand elle est de nature non physique et qu'elle est susceptible d'entraîner des conséquences négatives pour le fonctionnement psychologique de l'enfant. Bien sûr, un même acte parental pourrait être adéquat ou maltraitant selon le niveau de développement de l'enfant (Garbarino, Guttman et Seeley, 1987). En effet, chaque stade de développement de l'enfant requiert des habiletés spécifiques de la part du parent. En outre, les comportements parentaux n'ont pas le même impact émotionnel selon l'âge de l'enfant, non plus que selon son sexe (Claussen et Crittenden, 1991). Néanmoins, on considère que certains comportements plus extrêmes sont probablement maltraitants, quel que soit le niveau de développement de l'enfant qui en est la cible (Hart et Brassard, 1991). Il pourrait aussi être important de considérer la fréquence de l'acte parental, de même que sa
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chronicité dans le temps, pour juger du caractère psychologiquement maltraitant d'une conduite parentale, l'impact négatif résultant alors d'un effet cumulé (Claussen et Crittenden, 1991 ; Fortin, 1992). Mais on peut encore une fois concevoir que certains actes soient à ce point violents qu'une seule occurrence suffit à créer un traumatisme important. UN ACTE D'ABUS PHYSIQUE OU SEXUEL PEUT-IL ÊTRE EN MÊME TEMPS PSYCHOLOGIQUEMENT MALTRAITANT ? Certains auteurs jugent impératif d'exclure du concept de mauvais traitements psychologiques toute conduite physiquement ou sexuellement abusive (Barnett et al., 1991 ; McGee et Wolfe, 1991). Une telle exclusion facilite en effet l'évaluation des effets spécifiques de chaque forme de mauvais traitements. D'autres auteurs cependant n'en voient pas la nécessité (Belsky, 1991 ; Garbarino, 1991 ; Hart et Brassard, 1991 ; Shaver et al., 1991 ; Sternberg et Lamb, 1991). Ils considèrent qu'une telle conception restrictive n'est pas conforme à la réalité, puisqu'elle ne recouvre pas les diverses formes de maltraitance. Notons que, lorsque les dimensions physique, sexuelle et psychologique des mauvais traitements parentaux sont considérées séparément, il est possible non seulement de discriminer leurs effets spécifiques sur le développement de l'enfant, mais également d'en estimer les effets combinés ou cumulatifs. UN ACTE PSYCHOLOGIQUEMENT MALTRAITANT DOIT-IL NÉCESSAIREMENT ÊTRE INTENTIONNEL ? Certains auteurs estiment qu'un comportement maltraitant découle nécessairement d'une intention malveillante. Ils insistent donc sur l'importance de l'intention négative du parent, du moins telle qu'elle est perçue par l'enfant (Vissing et al., 1991). Un tel courant n'est certes pas étranger aux conceptions courantes des mauvais traitements psychologiques à l'endroit des femmes (Ouellet, 1995). D'autres ne voient pas la nécessité d'inclure cette considération dans la définition même du concept (McGee et Wolfe, 1991). Ils considèrent, au contraire, qu'un acte psychologiquement maltraitant peut découler plutôt d'un manque de connaissance, d'un automatisme, voire d'une intention éducative louable. Ainsi, Bifulco, Brown et Harris (1994) font référence au parent qui oblige son enfant à boire une quantité importante d'alcool pour lui enseigner les effets négatifs d'une consommation abusive.
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LA NATURE PSYCHOLOGIQUEMENT MALTRAITANTE D'UN GESTE UNE QUESTION DE CONTEXTE De plus en plus d'auteurs soulignent le rôle des standards sociaux de normalité dans la définition des mauvais traitements psychologiques, comme de toute autre forme de mauvais traitements (Barnett et al., 1991 ; Belsky, 1991 ; Garbarino, 1991 ; Korbin, 1987 ; Manciaux et Gabel, 1993). Ces normes sociales pourraient même être plus déterminantes que les effets des actes parentaux dans la définition de ces mauvais traitements (Barnett et al., 1991 ; Belsky, 1991 ; Garbarino et al., 1987). En effet, un acte jugé abusif, ici et aujourd'hui, pourrait être jugé normal dans un autre contexte culturel, géographique ou temporel. On pense ici aux normes sociales qui définissent les actes parentaux attendus ou sanctionnés, mais également aux croyances et connaissances permettant d'en déterminer les conséquences potentielles. En ce sens, comme le souligne Garbarino (1991), l'attribution d'une étiquette « mauvais traitements psychologiques » constitue un jugement social quant à l'adéquation d'une conduite parentale, mais également quant aux conséquences probables de cette conduite. Ces standards sociaux de normalité découlent en partie des croyances sociales et en partie des connaissances scientifiques. Ainsi, la recherche scientifique permet de relever certaines pratiques qui peuvent menacer le développement des enfants (voir aussi la recension de Belsky, Woodworth et Crnic, 1996). Les connaissances actuelles devraient faciliter la définition du concept de mauvais traitements psychologiques, ceux-ci étant vus comme des pratiques disciplinaires inadéquates ou un manque de sensibilité aux besoins de l'enfant (Grusec et Walters, 1991). POUR UNE DÉFINITION MULTIMODALE OU GLOBALE ? Enfin, chercheurs et intervenants ne s'entendent pas non plus sur la portée à donner à la définition du concept (voir le numéro spécial de 1991 de la revue Development and Psychopathology). Certains auteurs utilisent une définition très large, qui reconnaît la nature subtile et insidieuse des mauvais traitements psychologiques, dans toutes les sphères de l'expérience humaine. Ces définitions peuvent comprendre les attaques directes ou indirectes, les expressions subtiles ou flagrantes, les formes isolées ou multiples. Elles apportent un cadre conceptuel global, apte à orienter la recherche, l'éducation et la prévention. Mais elles incluent souvent une telle variété d'actes pauvrement définis qu'on peut en reconnaître chez tous les parents, ce qui complexifie les décisions quant à la pertinence d'intervenir. D'autres définitions, plus circonscrites, se concentrent sur les formes les plus flagrantes et les plus facilement reconnaissables de mauvais traitements psychologiques. Il est plus probable que ces définitions ne
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s'appliqueront qu'aux familles réellement non fonctionnelles. Elles peuvent toutefois empêcher la reconnaissance de formes plus subtiles mais aussi dommageables de mauvais traitements (Hart et Brassard, 1987). Cette situation amène certains auteurs à prôner la coexistence de plusieurs définitions, claires et circonscrites, du concept. Mais d'autres, guidés principalement par des considérations méthodologiques, prônent au contraire l'uniformisation des définitions (Gagné, 1995). En attendant de trancher ce débat, il importe que chacun clarifie, pour le moins, la définition qu'il utilise. LES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES UN CONCEPT À DÉFINIR ET À OPÉRATIONNALISER MIEUX DÉFINIR POUR MIEUX OPÉRATIONNALISER En 1983, lors de l'International Conference on Psychological Abuse of Children and Youth, un comité d'experts a proposé une définition de travail qui fut ensuite reprise par de nombreux auteurs. C'est également cette définition que nous utilisons dans nos travaux. Le mauvais traitement psychologique y est défini comme : Tout acte, commis ou omis, jugé selon les standards de la communauté et l'expertise professionnelle comme étant psychologiquement dommageable. Ces actes sont commis, individuellement ou collectivement, par des personnes dont la position de pouvoir (attribuable à l'âge, au statut, aux connaissances ou à la fonction) rend l'enfant vulnérable. Ces actes peuvent nuire immédiatement ou ultérieurement au fonctionnement béhavioral, cognitif, affectif ou physique de l'enfant (Hart, Germain et Brassard, 1987, traduction libre). Plusieurs éléments de cette définition de travail méritent l'attention. En premier lieu, suivant cette définition, les mauvais traitements psychologiques incluent tant des comportements actifs (c.-à-d. commis), qui renvoient habituellement à la notion d'abus, que des comportements passifs (c.-à-d. omis) associés généralement à la négligence. En deuxième lieu, on retrouve dans cette définition les considérations déjà citées quant au rôle des standards sociaux et des connaissances actuelles. En troisième lieu, cette définition implique que les mauvais traitements psychologiques envers les enfants ne sont pas nécessairement le seul fait des parents, mais qu'ils peuvent aussi émaner d'une collectivité, par exemple d'une institution sociale ou éducative. On y stipule que les effets nocifs sur le développement psychologique de l'enfant peuvent être immédiats ou différés dans le temps et qu'ils peuvent apparaître dans tous les aspects du fonctionnement. Il s'agit donc, selon nous, de la définition la plus complète.
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MIEUX OPÉRATIONNALISER POUR MIEUX DÉPISTER Plusieurs classifications ont également été suggérées pour faciliter la reconnaissance des mauvais traitements psychologiques. Elles sont accompagnées tantôt de critères d'inclusion et d'exclusion, tantôt d'une série d'exemples. Elles peuvent inclure des actes verbaux ou non verbaux, des formes actives ou passives. Plusieurs manifestations, parmi les plus flagrantes, sont reconnues par de nombreux auteurs, tandis que d'autres, plus subtiles, n'apparaissent que dans les classifications plus détaillées. La classification proposée par Hart et son équipe (Hart et Brassard, 1991 ; Hart, Binggeli et Brassard, 1998) nous paraît particulièrement intéressante. On y retrouve les catégories suivantes : Mépris. Agression verbale combinant le rejet et le dénigrement hostile de l'enfant. Le parent peut refuser d'aider l'enfant ou même de reconnaître sa demande d'aide. La catégorie comprend aussi le fait de donner à l'enfant des noms dégradants, de le traiter en inférieur ou de l'humilier en public. Terrorisme. Menaces de violence physique, de mort ou d'abandon adressées à l'enfant. La catégorie inclut aussi le fait d'exposer l'enfant à des menaces dirigées contre des êtres ou des objets aimés de lui, ou le fait de laisser un jeune enfant sans surveillance dans une situation potentiellement dangereuse. Isolement. Isolement social ou physique de l'enfant par un adulte. L'enfant peut être enfermé dans un placard ou dans une chambre pendant une longue période de temps. L'adulte peut aussi limiter de façon exagérée les occasions, pour l'enfant, d'avoir des contacts sociaux avec les autres. Exploitation / corruption. Fait d'exposer l'enfant à des modèles antisociaux ou à des rôles irréalistes, ou d'encourager et de permettre des comportements, valeurs et standards déviants. Cette catégorie inclut l'enseignement de comportements délinquants, l'encouragement à participer à des activités sexuelles ou le fait de garder l'enfant à la maison en le forçant à tenir un rôle de serviteur, au lieu de l'envoyer à l'école. Indifférence aux besoins affectifs. Fait d'ignorer les tentatives d'interaction de l'enfant ou de réagir à l'enfant de façon mécanique ; d'éviter les contacts affectueux, les baisers et les échanges verbaux avec l'enfant. Par des actes d'omission, le parent communique à l'enfant qu'il ne s'intéresse pas à lui et qu'il n'est pas psychologiquement disponible. D'autres efforts de classification sont intéressants. Ainsi, Garbarino et al. (1987) distinguent deux grandes catégories de mauvais traitements psychologiques, selon que les conduites visent directement ou indirectement à atteindre l'enfant sur le plan psychologique. Baily et Baily (1986)
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identifient 16 catégories d'actes psychologiquement abusifs, après avoir interrogé 200 intervenants et chercheurs dans le domaine de la protection de l'enfance. Chacune des catégories s'accompagne d'exemples choisis en fonction de l'âge de l'enfant. De son côté, Burnett (1993) soumet une liste de manifestations possibles à un groupe de personnes tirées de la population normale et confirme qu'une majorité d'individus considèrent certains actes comme psychologiquement violents, notamment l'isolement physique, la restriction de mouvements, l'humiliation publique grave, l'encouragement à la déviance, l'ostracisme, les menaces de blessures ou d'abandon, les refus de traitement, l'isolement social et l'absence de chaleur et de soutien au foyer. Si de telles classifications sont nécessaires au repérage des familles nettement abusives, elles doivent cependant être utilisées avec prudence. En effet, aucune d'entre elles n'est exhaustive, ni universellement applicable à toutes les sociétés et toutes les époques. Plusieurs instruments de mesure ont par ailleurs été construits (voir Brassard, Hart et Hardy, 1993 ; Bifulco et al., 1994 ; Crittenden, Claussen et Sugarman, 1994). L'un des instruments les plus utilisés au Québec (notamment dans l'enquête Santé Québec de 1996) reste le Conflict Tactic Scales (Straus, 1979), qui se concentre sur la violence verbale ou symbolique. Des critiques ont toutefois été soulevées relativement à cet instrument. Une version modifiée de ce questionnaire (le XY Conflict Tactic Scales, voir Straus et al., 1998) a récemment été produite et est en voie d'être validée. DES BESOINS PROPRES À LA SITUATION QUÉBÉCOISE Plusieurs arguments militent en faveur de l'élaboration d'une typologie québécoise des mauvais traitements psychologiques. En premier lieu, le portrait québécois pourrait différer sensiblement du profil américain. Les données de deux enquêtes Santé Québec suggèrent en effet que les Québécois sont généralement moins violents que leurs voisins du Sud. Néanmoins, la violence verbale ou symbolique serait prépondérante, peu importe la classe socioéconomique (Bouchard et Tessier, 1996 ; Clément et al., 2000). En second lieu, l'absence de consensus sur la définition des mauvais traitements psychologiques rend hasardeuse l'utilisation stricto senso des classifications existantes et des instruments qui en découlent, dans un contexte culturel et judiciaire différent de celui dans lequel elles ont été conçues. Par ailleurs, nous disposons actuellement de peu de données fiables sur les manifestations de mauvais traitements psychologiques envers les très jeunes enfants. On sait pourtant qu'elles pourraient être présentes dans la vie des enfants québécois, dès l'âge de trois ans (Bouchard et
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Tessier, 1996 ; Clément et al., 2000). Exception faite des travaux de Egeland et son équipe (Egeland, Breitenbucher et Rosenberg, 1980 ; Egeland, Sroufe et Erickson, 1983), les études sur les mauvais traitements psychologiques ont surtout visé les enfants d'âge scolaire, probablement parce que ceux-ci peuvent mieux exprimer ce qu'ils vivent et ressentent, ce qui facilite le travail des chercheurs. La plupart des données actuellement disponibles sur les manifestations possibles de mauvais traitements psychologiques proviennent de groupes d'experts et de praticiens sociaux ou découlent de l'examen des dossiers de protection. Peu d'études jusqu'ici ont interrogé des individus à risque, de façon à générer des données empiriques utiles à l'exploration du concept de mauvais traitements psychologiques (voir Gagné, 1995). L'AMPLEUR ET LES CONSÉQUENCES DES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES: DES RÉALITÉS SOURNOISES L'AMPLEUR DES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES LA POINTE DE L'ICEBERG Pour l'année 1986, les statistiques américaines indiquent 211 000 enfants victimes d'abus psychologiques et 223 100 autres victimes de négligence psychologique, soit une incidence de 6,9 enfants pour 1 000 (PRCAN, 1993). Au Québec et au Canada, nous ne disposons pas de données semblables. Au Québec plus spécifiquement, la Loi sur la protection de la jeunesse ne mentionne pas expressément cette forme de mauvais traitements, mais renvoie au concept de rejet affectif ou de négligence affective et éducationnelle. Cependant, plus de 60 % des signalements sont retenus pour cause de négligence. Or, dans son étude de 342 de ces cas, MayerRenaud (1990) estime que 60 % d'entre eux comportent en fait de la négligence psychologique. La récente enquête de Santé Québec sur les conduites à caractère violent envers les enfants (Clément et al., 2000) révèle par ailleurs que la violence verbale ou symbolique est présente dans l'environnement familial des enfants québécois. Plus précisément, 44 % d'entre eux auraient subi cette forme de violence au moins trois fois durant l'année écoulée. Enfin, une analyse récente des cas de signalements retenus dans la plupart des centres jeunesse du Québec confirme également l'ampleur actuelle des mauvais traitements psychologiques (Chamberland et al., 2000).
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Mais toute estimation de la prévalence des mauvais traitements psychologiques reste difficile, à cause des problèmes de définition mais également parce qu'ils surviennent souvent de façon concurrente à des formes moins subtiles d'abus ou de négligence (Bouchard et Tessier, 1996 ; Claussen et Crittenden, 1991 ; Crittenden et al., 1994 ; Egeland et al., 1983 ; Ney, 1987 ; Ney, Fung et Wickett, 1994 ; Vissing et al., 1991). Parce que les mauvais traitements psychologiques accompagnent généralement toutes les autres formes de mauvais traitements, tout en survenant parfois de façon isolée, on estime que les données actuelles sur l'ampleur du phénomène sont probablement conservatrices. LES CONSÉQUENCES DES MAUVAIS TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES, PLUS DÉLÉTÈRES ET CHRONIQUES QUE LES AUTRES FORMES DE MALTRAITANCE Plusieurs études empiriques ont tenté d'évaluer les conséquences propres aux mauvais traitements psychologiques, chez les enfants, les adolescents ou à l'âge adulte. Toutefois, peu d'études semblables ont été effectuées auprès de tout-petits (0-5 ans). A cet âge, on a plutôt évalué les effets combinés de différentes formes d'abus et de négligence (pour une revue détaillée, voir les recensions de Gagné, 1995 et de Solomon et Serres, 1999). Que leur devis soit transversal, longitudinal ou rétrospectif, les études suggèrent des effets négatifs importants de la négligence parentale ou de l'abus parental (aspects psychologiques non distingués) sur le développement cognitif et socioaffectif des très jeunes enfants. Ainsi, les enfants victimes de négligence parentale pendant la prime enfance présentent plus souvent des retards de langage et de développement global (Oxman-Martinez et Moreau, 1993), réussissent moins bien les tâches de résolution de problèmes (Moreau, Chamberland, Lamarre et Léveillé, 1998) et démontrent plus souvent que les autres enfants des troubles du comportement (Mayer-Renaud, 1990). Des séquelles physiques sont aussi parfois observées, notamment l'apathie du nourrisson, le nanisme déprivationnel ou le nanisme psychosocial (PRCAN, 1993). Des effets propres aux mauvais traitements psychologiques ont parfois été observés chez les enfants plus âgés et chez les adolescents. On parle alors de rejet social, d'attachement de type insécure, de troubles de comportements intériorisés ou extériorisés, d'agressions, de délinquance, de problèmes interpersonnels, de perception négative de soi et des autres, de pessimisme face à l'avenir, d'autoblâme (pour une revue plus détaillée, voir Gagné, 1999).
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Des contrecoups se feraient également sentir pendant l'âge adulte. Ainsi, les adultes qui ont été psychologiquement maltraités pendant leur enfance ou leur adolescence sont plus nombreux que les autres à souffrir de problèmes d'anxiété, de troubles interpersonnels, de problèmes sexuels, d'impuissance acquise, de dépression, de faible estime de soi, de certains problèmes psychiatriques (boulimie, dissociation, personnalité limite, syndrome de Briquet), d'alcoolisme, de criminalité, d'isolement social et de revictimisation (Gagné, 1999). On s'entend toutefois pour dire que les conséquences les plus néfastes découlent d'une combinaison de plusieurs types de mauvais traitements. Les mauvais traitements psychologiques étant reconnus pour accompagner toutes les autres formes de mauvais traitements, on évoque souvent l'idée qu'ils pourraient bien expliquer la plus grande partie des impacts négatifs attribués aux autres formes de mauvais traitements. C'est probablement parce qu'ils se présentent de façon « répétée inlassablement comme une guerre d'usure » et qu'ils « s'attaquent aux fondements mêmes de la personne » (Tousignant et al., 1993). L'ÉTIOLOGIE DES PRATIQUES PARENTALES MALTRAITANTES QUAND LA DIVERSITÉ EST AU RENDEZ-VOUS Le modèle écologique du développement humain proposé par Bronfenbrenner (1979, 1996) a grandement stimulé la recherche sur les multiples facteurs associés à l'émergence des mauvais traitements physiques envers les enfants. Suivant ce modèle, des déterminants sont identifiés chez la mère et l'enfant, mais également dans leurs processus interactifs et dans un contexte plus large. On peut penser que plusieurs de ces déterminants sont également associés à l'émergence des conduites parentales psychologiquement maltraitantes. La présente section résume les principaux déterminants mentionnés dans les études qui, rappelons-le, ont surtout été effectuées auprès des mères. LES CARACTÉRISTIQUES DU PARENT De nombreuses études ont aussi démontré un lien entre la victimisation subie pendant l'enfance et l'usage ultérieur de mauvais traitements parentaux (Dubowitz et Egan, 1988 ; Merrill, Hervig et Milner, 1996; Whipple et Webster-Stratton, 1991). On estime que les taux de transmission intergénérationnelle de la maltraitance envers les enfants se situent autour de 30 % (Kaufman et Zigler, 1987). Par ailleurs, la présence de certains traits de personnalité chez le parent est également associée à la maltraitance.
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Plus spécifiquement, l'instabilité émotionnelle et la faible estime de soi (Zuravin, 1989), de même que la présence d'états dépressifs (Gilbreath et Cichetti, 1990, dans Cicchetti et Lynch, 1993 ; Whipple et Webster-Stratton, 1991) ou anxieux (Aragona, 1983 ; Reid et Kavanagh, 1985) augmenteraient, chez le parent, les risques de recourir à des conduites maltraitantes. De même, les problèmes de toxicomanie des mères sont reliés aux conduites parentales abusives (voir recension de Clément et Tourigny, 1998). Plus récemment, une littérature abondante fait ressortir le rôle prépondérant des processus cognitifs et des émotions dans l'usage de stratégies disciplinaires abusives. De plus en plus, on soupçonne l'existence d'un « système cognitif à risque » et d'émotions particulières chez les parents faisant usage de gestes maltraitants. Un tel système impliquerait des conceptions particulières de la violence, du développement des enfants et du rôle parental. Il impliquerait aussi des façons biaisées d'interpréter les transgressions de l'enfant et d'y attribuer des causes. On note par exemple, chez des parents abusifs comparativement à des parents non abusifs, une conception restreinte de la violence envers les enfants qui se limite souvent aux actes physiques laissant des marques (Ney, 1987 ; Trickett et Kuczynski, 1986). Une telle conception cautionne l'usage de gestes maltraitants (Bouchard et Tessier, 1996 ; Chamberland et al., 1998). De telles caractéristiques cognitives pourraient expliquer en partie le lien observé entre la maltraitance et l'âge de la mère. Ainsi, quand on les compare avec des mères plus âgées et économiquement plus favorisées, les mères adolescentes ont tendance à considérer certaines conduites parentales (rejet, isolement) comme étant moins violentes pour l'enfant (Chamberland et al., 1998). Les croyances et les connaissances sur le développement normal des enfants et le rôle parental diffèrent également chez les mères dites abusives, comparativement aux autres mères (Phipps-Yonas, 1980). En conséquence, leurs attentes envers leurs enfants sont souvent moins réalistes (Chilamkurti et Milner, 1993) et elles décodent moins efficacement les signaux de l'enfant (Crittenden, 1991). Leur style éducationnel est centré sur le respect de leur propre autorité plutôt que sur les besoins de l'enfant. Elles attendent une obéissance immédiate et sont moins préoccupées par le développement de l'autonomie de leur enfant (Hastings et Rubin, 1996). Les mères à risques élevés d'abus, comparativement à d'autres mères ou à des observateurs indépendants, ont par ailleurs tendance à évaluer négativement les comportements de leur enfant, particulièrement les transgressions (Chilamkurti et Milner, 1993 ; Dietrich et al., 1990 ; Trickett, 1993).
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Dans plusieurs études, on rapporte également des biais attributionnels chez les mères reconnues comme abusives, comparativement à des mères qui ne le sont pas. Plus spécifiquement, ces femmes ont tendance à attribuer les comportements négatifs de leur enfant à des causes internes et stables, et à considérer plutôt des causes externes et instables pour expliquer les comportements positifs du même enfant (Bradley et Peters, 1991 ; Chilamkurti et Milner, 1993). De plus, elles ont davantage tendance à croire que les transgressions de l'enfant sont intentionnelles, dirigées contre elles et qu'elles visent à diminuer leur autorité parentale (Bugental, Blue et Lewis, 1990 ; Dietrich et al., 1990). Selon elles, l'enfant est en mesure de contrôler ses conduites désagréables, tandis qu'elles ne possèdent elles-mêmes que peu de pouvoir d'influence à cet égard (Silvester et Stratton, 1991, dans Silvester, Bentovim, Stratton et Hanks, 1995). Enfin, les parents abusifs ou à risques élevés d'abus adhèrent ou semblent adhérer à des croyances qui cautionnent et banalisent l'usage de la force, qu'elle soit physique ou verbale, pour contrôler le comportement de l'enfant (Fortin et Chamberland, 1995). La croyance dans le caractère approprié de la punition corporelle est fortement corrélée à l'utilisation effective de cette forme de punition (Corral-Vedugo et al., 1995). Par ailleurs, la présence d'émotions négatives intenses est observée en contexte disciplinaire chez les mères à risques élevés d'abus (Holden, Coleman et Schmidt, 1995). En particulier, la colère de la mère est significativement reliée à l'usage de la discipline corporelle, de même qu'à une évaluation négative des comportements de l'enfant. Les comportements de défi et de désobéissance de l'enfant sont ceux qui semblent par ailleurs provoquer le plus de colère de la part des mères (Peterson, Ewigman et Vandiver, 1994). LES CARACTÉRISTIQUES DE L'ENFANT Le jeune âge de l'enfant est l'un des facteurs les plus souvent associés aux risques de mauvais traitements parentaux. Selon certaines études, le risque d'abus diminue avec l'âge de l'enfant (Straus, Gelles et Steinmetz, 1980). Cette relation s'explique vraisemblablement en partie par le fait qu'en bas âge l'enfant passe simplement plus de temps avec son parent. Il est possible également que le faible contrôle que possèdent les jeunes enfants sur leurs propres émotions soit un irritant suffisamment intense pour augmenter le risque de mauvais traitements (Powers et Eckenrode, 1988). A la suite de leur recension, Bouchard et Tessier (1996) observent pour leur part que les enfants de 3 à 10 ans seraient davantage l'objet de violence mineure ainsi que de violence verbale et symbolique, tandis que la violence extrême ne serait pas liée à l'âge de l'enfant. Les mêmes auteurs indiquent par ailleurs que les petits garçons sont plus exposés que
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les petites filles aux mauvais traitements parentaux. Par ailleurs, les enfants qui présentent un piètre état de santé courent aussi plus de risques que les autres enfants d'être victimes de mauvais traitements parentaux. C'est le cas par exemple des enfants nés prématurément ou de tout petit poids (Frodi, 1981 ; Herrenkhol et al., 1995), de ceux présentant un handicap physique ou mental (Ammerman, Van Hasselt, Hersen, McGonible et al., 1989 ; Starr, 1988) et de ceux dont l'état de santé général pose problème (Starr, 1982 ; Hawkins et Duncan, 1985). Par ailleurs, plusieurs études montrent des risques plus grands de mauvais traitements parentaux chez les enfants manifestant davantage de comportements dérangeants (Bousha et Twentyman, 1984 ; Wolfe, 1985). De même, les risques augmentent quand le parent estime que l'enfant a un tempérament difficile (Knutson, 1995). LES CARACTÉRISTIQUES DE LA RELATION PARENT-ENFANT On reconnaît que la socialisation adéquate du jeune enfant implique nécessairement la présence de petits conflits dans ses interactions avec son parent (Baumrind, 1996 ; Howard, 1991 ; Rosenfeld et Levine, 1987). L'expérience de petits conflits interactifs permet notamment à l'enfant d'âge préscolaire de développer ses habiletés de négociation, de résolution de conflits (Biringen, Emde et Pipp-Siegel, 1997), d'autorégulation et d'affirmation de soi (Baumrind, 1996 ; Biringen et al., 1997). Les pratiques parentales doivent cependant rester sensibles, soutenantes et en harmonie avec les réactions de l'enfant (Ainsworth, Blehar, Waters et Wall, 1978 ; Matas, Arend et Sroufe, 1978). Par la suite, la fréquence des interactions conflictuelles parent-enfant devrait diminuer (Baumrind, 1996). À cette étape, les pratiques parentales doivent surtout être régulières et contingentes. Le recours à une discipline coercitive, ou au contraire trop permissive, entraîne souvent une augmentation des transgressions de l'enfant (Patterson, Reid et Dishion, 1992), qui en retour augmente l'intensité des réactions parentales. Dans un tel contexte, les risques d'escalade sont prévisibles (Cairns et Cairns, 1986), tandis que les possibilités de résoudre efficacement le conflit diminuent (Biringen et al., 1997). Bref, le parent et l'enfant se retrouvent coincés dans des échanges de nature coercitive qui ont pour effet principal d'engendrer un risque accru de violence physique et psychologique envers l'enfant (Patterson et Cobb, 1971). Plusieurs études ont noté des pratiques disciplinaires particulières chez les parents maltraitants (Belsky, 1993). Par exemple, les parents négligents ou abusifs provoquent peu d'interactions avec leur enfant et répondent moins aux initiatives de ce dernier (Crittenden, 1981, 1985 ; Kavanagh, Youngblade, Reid et Fagot, 1988). Ils démontrent à son endroit
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moins d'affects positifs et généralement moins d'émotions (Egeland et al., 1980). Plus que les autres parents, ils font usage de menaces et de propos désapprobateurs, tandis qu'ils utilisent moins de stratégies inductives comme le raisonnement (Chilamkurti et Milner, 1993 ; Trickett et Susman, 1988 ; Oldershaw, Walters et Hall, 1989 ; Trickett et Sussman, 1988). Ils sont par ailleurs plus contrôlants, plus hostiles, moins soutenants que les parents non abusifs (Crittenden, 1981 ; 1985). Les risques sont également plus grands qu'ils saisissent brusquement l'enfant, le bousculent ou le frappent (Lahey et al., 1984 ; Loeber, Felton et Reid, 1984 ; Whipple et Webster-Stratton, 1991). Finalement, ces parents possèdent un répertoire de stratégies disciplinaires moins varié pour faire face aux transgressions de l'enfant (Trickett et Kuczynski, 1986). Mais l'enfant lui-même est un participant actif dans ses interactions avec son parent (Dumas et al., 1992 ; LaFrenière et Dumas, 1992). D'ailleurs, c'est le désir de chacun des membres de la dyade de contrôler le comportement immédiat de l'autre membre qui crée l'escalade au sein d'une interaction conflictuelle. Dans les dyades fonctionnelles, la mère possède généralement plus de pouvoir que l'enfant, mais elle offre régulièrement à l'enfant l'occasion d'exercer un contrôle positif. Une telle réciprocité est propice au développement des compétences sociales de l'enfant (Dumas et al., 1992 ; LaFrenière et Dumas, 1992 ; Dumas, LaFrenière et Serketich, 1995). Par ailleurs, la capacité d'harmoniser ses réactions à celles d'une autre personne dépendrait des habiletés d'autorégulation de l'individu. Dans les dyades jugées non agressives, cette habileté se traduit chez la mère par sa capacité à se distancier de l'enfant sur le plan émotif et réactif (Snyder et al., 1994). Au contraire, quand le pouvoir n'est pas réciproque au sein de l'interaction, chacun tente tour à tour de contrôler le comportement de l'autre, augmentant ainsi les probabilités d'escalade du conflit et d'usage de coercition (Dumas et al., 1992 ; LaFrenière et Dumas, 1992). LES CARACTÉRISTIQUES DE L'ENVIRONNEMENT Si la maternité précoce est un facteur particulièrement associé au risque de mauvais traitements envers les enfants, c'est qu'elle détermine la présence concomitante et subséquente d'autres facteurs de risque, notamment dans l'environnement (Bouchard et Desfossés, 1989 ; Palacio-Quintin et Lacharité, 1989). En effet, les mères adolescentes disposent généralement d'un revenu précaire et insuffisant. Leur pauvreté sociale constitue également un facteur de risque (Bouchard et Desfossés, 1989 ; Palacio-Quintin et Lacharité, 1989). Ainsi, les jeunes mères sont généralement faiblement scolarisées, monoparentales, isolées socialement et elles montrent un niveau élevé de stress (Bouchard, 1987 ; Bouchard et Desfossés, 1989 ; Brooks-Gunn et Furstenberg, 1986 ; Pomerleau, Malcuit
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et julien, 1997 ; Schinke et al., 1986). De telles conditions précaires sont ellesmêmes fortement associées à la qualité des conduites parentales chez les mères adolescentes comme chez les plus âgées (Bradley et al., 1989 ; Gelles, 1992 ; Gerris, Dekovic et Janssens, 1997). LES DIFFÉRENCES PÈRE-MÈRE Les pères ont souvent été négligés dans les études portant sur la qualité des relations parent-enfant. Pourtant, plusieurs chercheurs insistent sur l'importance de recueillir plus de données relativement au rôle exercé par les hommes au sein du système familial, particulièrement au sein des familles considérées comme violentes (Cichetti et Toth, 1995 ; Sternberg et al., 1994 ; Wolfe, 1987). En effet, les pères et les hommes qui agissent à titre de figure paternelle dans la vie de l'enfant sont souvent considérés comme les principaux acteurs de la violence qui est dirigée à l'endroit de l'enfant, une fois qu'est contrôlée l'influence du temps passé avec l'enfant (NCCAN, 1988 ; Sternberg, 1997 ; Straus et al., 1980). En outre, la littérature dans le domaine de la violence conjugale suggère que les mauvais traitements psychologiques sont loin d'être le seul fait des femmes (Ouellet, 1995). La nature des actes violents perpétrés par les hommes pourrait cependant différer de la nature des actes perpétrés par les femmes. Selon certaines études, les femmes s'engageraient dans des comportements plus graves, tandis que les pères seraient portés à recourir à des actes d'abus mineurs (Malkin et Lamb, 1994). D'autres études montrent qu'en comparaison avec leurs homologues masculins, les mères ont plus souvent recours à la fessée pour punir l'enfant ayant transgressé (Day, Peterson et McCraken, 1998 ; Straus et Kaufman Kantor, 1994). Les résultats obtenus par différentes études sur les différences comportementales des pères et des mères en interaction avec leur enfant sont contradictoires. D'abord, certains auteurs trouvent que comparativement aux mères, les pères sont moins permissifs, c'est-à-dire moins portés à céder aux demandes de l'enfant ou à demeurer indifférents si ce dernier transgresse une norme parentale (Sheck et Emerick, 1976 ; Stolz, 1967), tandis que d'autres n'observent aucune différence à cet égard (Armentrout et Burger, 1972 ; Harvey Arnold et O'Leary, 1997). De même, des études suggèrent que les mères sont en général plus réactives que les pères (Bronstein, 1984; Harvey Arnold et O'Leary, 1997 ; Patterson, 1982), alors que d'autres résultats indiquent le contraire (Hart et Robinson, 1994). Selon Harvey Arnold et O'Leary (1997), il faut cependant être prudent dans l'interprétation de telles différences selon le sexe du parent, certains facteurs confondants pouvant être en action (état dépressif différent, temps passé auprès de l'enfant). Finalement, Burgess et Conger (1978) ont comparé des pères et des mères, abusifs ou non abusifs, en interaction
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avec leur enfant de deux ou trois ans. Il semble que les pères reconnus comme étant abusifs envers leur enfant se plient moins souvent aux demandes de ce dernier. Toutefois, ils s'engagent plus souvent dans des interactions verbales avec l'enfant que les pères du groupe témoin et que les mères abusives ou non abusives. CONCLUSION Les mauvais traitements psychologiques ne sont pas un phénomène nouveau : ils ont toujours été présents dans l'étiologie des mauvais traitements envers les enfants. Ce qui est nouveau, cependant, c'est la place particulière qu'on leur accorde maintenant à la lumière des travaux récents dans le domaine. On sait aujourd'hui que la violence psychologique envers les enfants est probablement celle qui laisse le plus de séquelles à long terme comparativement à la violence physique ou à la négligence. Nous savons aussi que la violence psychologique vient rarement seule. Elle est souvent accompagnée par les autres formes de maltraitance que sont l'abus physique, l'abus sexuel et la négligence. Notre connaissance des mauvais traitements psychologiques nous amène inévitablement à tenter de cerner de mieux en mieux les différentes manifestations de ce type de violence envers les enfants et en plus à tenter de la circonscrire en fonction des étapes du développement de l'enfant, de même qu'en fonction des événements contextuels de vie dans lesquels se retrouvent les parents. Ces événements contextuels sont souvent liés au passé chargé d'adversité de ces parents ainsi qu'à des situations présentes génératrices de grand stress, ce qui mine les capacités d'adaptation de ces parents et favorise l'apparition de comportements de violence envers leurs enfants. Les chercheurs du domaine ont un grand défi à relever devant cette tâche qui consiste à mieux définir ce que sont les mauvais traitements psychologiques, à mieux décrire ce que sont leurs manifestations et les contextes d'apparition. Le défi est grand, mais il est essentiel à la poursuite d'un objectif fondamental de la recherche en maltraitance, c'est-à-dire le développement d'outils de dépistage précis et fiables des différentes formes de violence envers les enfants. La recherche sur les mauvais traitements psychologiques n'échappe pas non plus à cette règle. C'est pourquoi il est important de poursuivre les travaux dans ce champ au Québec afin de doter les praticiens sociaux d'instruments conçus pour mieux répondre à leurs besoins et à la réalité du travail en protection de la jeunesse. Des outils de dépistage de la violence psychologique envers les enfants seront utiles pour mieux circonscrire leur réalité, les effets néfastes sur leur condition développementale et pour déterminer si oui ou non ces effets sont accompagnés d'autres formes de violence à leur endroit.
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Les travaux actuels dans le domaine, tant ici au Québec qu'ailleurs, nous amènent également à comprendre qu'à l'heure actuelle la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec dans son libellé de l'article 38 rend peu compte de la complexité des mauvais traitements psychologiques et n'accorde pas aux praticiens sociaux une réelle emprise sur cette forme de mauvais traitements lorsqu'elle est reconnue par eux comme étant présente dans une famille. Par conséquent, les connaissances actuelles sur cette forme de mauvais traitements militent en faveur d'une démarche législative pour une modification de l'article 38 afin qu'il comporte explicitement un alinéa concernant les mauvais traitements psychologiques, leurs manifestations et leurs effets dévastateurs à long terme sur le développement mental et socioaffectif des enfants. Ainsi, la poursuite des recherches dans ce domaine sert l'un des buts importants de toute recherche sociale : comprendre pour agir. BIBLIOGRAPHIE ABER, J.L. et E. ZIGLER (1981). « Developmental considerations in the definition of child maltreatment », dans Theory and Research on the Causes and Consequences of Child Abuse and Neglect, Cambridge University Press. AINSWORTH, M.D., M.C. BLEHAR, E. WATERS et S. WALL (1978). Patterns of Attachment : A Psychological Study of the Strange Situation, Hillsdale, NJ, Lawrence Erlbaum Associates. AMMERMAN, R.T., B. VAN HASSELT, M. HERSEN, J.T. MCGONIBLE et al. (1989). «Abuse and neglect in psychiatrically hospitalized multihandi capped children », Child Abuse & Neglect, vol. 13, n° 3, p. 335-343. ARAGONA, J.A. (1983). «Physical child abuse : An interactional analysis-, Dissertation Abstracts International, n° 44, 1225B. ARMENTROUT, J.A. et G.K. BURGER (1972). « Children's reports on parental child-rearing behavior at five grade levels », Developmental Psychology, vol. 8, p. 44-48. BAILY T.F. et W.H. BAILY (1986). Operational Definitions of Child Emotional Maltreatment, rapport de recherche, Augusta, Maine, National Center on Child Abuse and Neglect. BARNETT, D., J.T. MANLY et D. CICCHETTI (1991). «Continuing toward an operational definition of psychological maltreatment-, Development and Psychopathology, vol. 3, p. 19-29. BAUMRIND, D. (1996). «The discipline controversy revisited », Family Relations, n° 45, p. 405-414. BELSKY, J. (1991). «Psychological maltreatment : Definitional limitations of unstated assumptions », Development and Psychopathology, n° 3, p. 31-36.
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LE DÉSENGAGEMENT PATERNEL Un phénomène social aux multiples visages
ANNE QUÉNIART, Ph. D. Département de sociologie, Université du Québec à Montréal
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RÉSUMÉ Au Québec comme dans la plupart des pays industrialisés, les taux de divorce ont monté en flèche depuis trente ans, leur proportion atteignant environ un mariage sur deux aujourd'hui, comparativement à un sur dix en 1969. Ces nombreuses dissolutions d'unions conjugales ont fait apparaître, du même coup, un phénomène encore peu connu, mais qui prend de l'ampleur, celui de la rupture du lien père-enfant à la suite d'une séparation ou d'un divorce. Voulant comprendre comment et pourquoi se produit le désengagement paternel, nous avons entrepris une recherche qualitative dont nous présentons ici les principaux résultats. On y apprend qu'il n'existe pas de trajectoire type de désengagement, mais bien une diversité d'expériences et de parcours menant à la fragilisation et parfois à la rupture du lien paternel à l'enfant et que de multiples facteurs, d'ordre personnel, économique et social, entrent en jeu. Pour tenter d'empêcher ce « décrochage » paternel, il faut renforcer les programmes de soutien aux familles après un divorce et revoir les modalités d'attribution de la garde des enfants.
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Au Québec, comme dans la plupart des pays industrialisés, l'augmentation des ruptures d'union est l'un des phénomènes les plus marquants de ces trente dernières années dans le champ familial. Ainsi, alors que seulement 10 % des mariages se terminaient par un divorce en 1969, année où fut promulguée la première loi sur le divorce, aujourd'hui, c'est près de 50 % d'entre eux qui connaissent cette issue. Un autre phénomène d'importance est la montée des unions libres, qui est le fait de 24 % des couples québécois, unions dont la durée est significativement plus courte que celle des mariages'. Dans le cas de couples avec enfants, ces séparations vont entraîner des changements dans la relation de ces enfants avec chacun de leurs parents et notamment avec leur père. Avec la séparation, le père passe, bien plus que la mère, d'une situation de continuité du point de vue du rapport à l'enfant à une situation de discontinuité, souvent sanctionnée par la loi. On sait en effet qu'au Québec à peine 10 % des enfants font l'objet d'une garde partagée et qu'avant l'âge de 6 ans, seulement 10 % des enfants sont confiés au père. Pour les adolescents, cela varie entre 20 % et 30 %2. La dissolution des unions conjugales fait surtout apparaître l'extrême fragilité de la dyade père-enfant et l'ampleur du phénomène du désengagement paternel. En effet, aux États-Unis, le National Survey of Children montrait, au début des années 1980, que la moitié des enfants du divorce interrogés, sous garde maternelle, n'avaient pas vu leur père dans l'année qui venait de s'écouler. En France, selon une étude de l'INED, 54 % des enfants dont les parents se sont séparés perdent contact avec leur père ou n'ont plus avec lui que des rencontres épisodiques3. Au Québec, où l'on compte près de 20 % de familles monoparentales, on constate que ces unités familiales sont sous la conduite d'une mère six fois sur sept4. Plus encore, à peine un enfant de moins de 17 ans sur six (16 %), dont les parents sont séparés, a habité six mois ou plus avec son père au cours de l'année précédant l'enquête et un quart de ces enfants n'ont pas vu du tout leur père. En outre, plus de la moitié (59 %) ont
1. N. Marcil-Gratton et C. Le Bourdais, « Père présent, père absent? Quelques chiffres pour encadrer le débat », dans J.-F. Saucier et N. Dyke (clin), La paternité aujourd'hui. Bilan et nouvelles recherches, Actes du colloque du 66e Congrès de l'ACFAS, Centre de recherche et de formation (CRF), CLSC Côte-des-Neiges, Centre affilié universitaire, 1999, p. 42-63. 2. Ibid. 3. D. Bertaux et C. Delcroix, « La fragilisation du rapport père-enfant: une enquête auprès des pères divorcés », Relations intergénérationnelles, parenté-transmission-mémoire, Actes du colloque de Liège, Liège, Presses de l'Université de Liège, 1991, p. 103-111. 4. Gouvernement du Québec, Enquête sociale et de santé 1992-1993, un profil des familles québécoises, Santé Québec, 1994.
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passé moins de six mois avec lui. À l'inverse, 90 % de ces enfants ont passé six mois ou plus avec leur mère au cours de l'année précédant l'enquête. Aucun ne l'a jamais vue5. Certaines études ont amené des explications globales à ce phénomène de la fragilisation ou de la rupture du rapport père-enfant après un divorce6 : l'inadaptation du marché du travail et du rythme de la production aux exigences d'une paternité investie ; une socialisation masculine faisant peu de cas des responsabilités parentales des pères ; les tribunaux qui donnent l'avantage à la mère sur le plan de la garde, etc. On explique aussi la fragilisation du lien pèreenfant par des facteurs reliés à la dynamique familiale ; l'interférence maternelle et le manque de coopération pour faciliter les droits de visite ; la distance géographique séparant le père de son enfant ; le remariage du père ou de la mère, etc. Enfin, on reconnaît que divers facteurs, de nature plus personnelle, doivent aussi être considérés : l'incapacité à surmonter l'épreuve et la douleur de la séparation conjugale et parentale ; une dépression sévère ; le faible statut socioéconomique du père, etc. Mais qu'en disent ces pères eux-mêmes ? Quel sens prend leur désengagement? Comment, dans le temps, se produit la rupture du lien avec leur enfant? Existe-t-il une trajectoire type de désengagement ? C'est à ces questions que nous avons tenté de répondre dans une recherche qualitative menée à Montréal7 et dont nous livrons ici les principaux résultats. QUELQUES MOTS SUR LA MÉTHODOLOGIE Une douzaine d'entrevues en profondeur, d'une durée moyenne de deux heures, ont été menées auprès de pères ayant peu ou pas du tout de contacts avec leur enfant. Tous les pères, sauf un, ont été recrutés par un
5. Marcil-Gratton et Le Bourdais, op. cit. 6. Voir Bertaux et Delcroix, op. cit. ; F.F. Furstenberg et A.J. Cherlin, Divided Families. What Happens to Children when Parents Part, Harvard University Press, 1991 ; E. Kruk, Divorce and Disengagement. Patterns of Fatherhood within and beyond Marriage, Halifax, Fernwood Publishing, 1993; F. Fournier et A. Quéniart, « Paternités brisées : trajectoires de pères en rupture de contact avec leur enfant », dans R.B. Dandurand, R. Hurtubise et C. Le Bourdais (clin), Enfances. Perspectives sociales et pluriculturelles, Montréal, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, p. 173-186; A. Quéniart et F. Fournier, « Les pères décrocheurs : au-delà des apparences et des discours », dans J. Alary et L.S. Éthier (dir.), Comprendre la famille. Actes du 3e symposium québécois de recherche sur la famille, Sainte-Foy, Presses de l'Université du Québec, 1996, p. 65-78. 7. Recherche subventionnée par le Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS).
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appel dans des journaux et des hebdos de quartier8. Leurs caractéristiques socioéconomiques et démographiques sont les suivantes : la moitié d'entre eux appartiennent à la catégorie d'âge des 25 à 39 ans, l'autre moitié à celle des 40 à 54 ans, la moyenne étant de 40,7 ans. Plus de la moitié reçoivent des prestations d'assurance-chômage ou d'aide sociale, les trois quarts ont un revenu annuel inférieur à 20 000 $ et plus de la moitié ont fait cinq années ou moins d'études secondaires. En ce qui concerne le nombre d'enfants, on compte en tout 14 garçons et 10 filles, dix pères ayant un ou deux enfants, un père en ayant six et un en ayant trois. La moitié de ces pères vivent en union libre, les autres étant mariés. Plus de la moitié des enfants avaient moins de six ans et près du tiers un an et moins à la séparation. La durée du désengagement lui-même est de 8,5 ans en moyenne, variant de 2 à 20 ans. Les entrevues, de type semi-directif, visaient à recueillir des données sur l'histoire du lien père-enfant avant, pendant et après la séparation afin de reconstruire par la suite des trajectoires types. Les principales grandes thématiques explorées étaient : 1) l'histoire familiale et préconjugale du père (famille d'origine, trajectoire scolaire, marché du travail, rencontre avec la mère de ses enfants, etc.), 2) l'histoire de sa paternité sur le plan des représentations et des pratiques, de la naissance du premier enfant jusqu'à la séparation (désir et décision d'avoir un enfant, vécu de la grossesse, de l'accouchement, expérience de père avec le nouveau-né puis après, etc.), 3) le processus de séparation conjugale et familiale dans ses diverses dimensions (relations avec l'ex-conjointe, rapport à l'enfant, soutien de l'entourage, aspects juridiques, effets psychosomatiques) et 4) le vécu actuel du père (conjugalité, travail, réseaux sociaux, famille actuelle, etc.). Toutes les entrevues ont été enregistrées puis retranscrites intégralement. Elles ont été soumises à une analyse qualitative de contenu9. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS Dès les premières analyses, il est ressorti clairement que le phénomène du désengagement paternel à la suite d'une séparation ou d'un divorce prenait de multiples visages, renvoyait à une diversité de situations. Deux
8. D'autres stratégies de recrutement s'ajoutaient à celle-ci, soit l'envoi de lettres à partir de l'examen de plus de 2000 dossiers de divorce, le recours à des personnes-ressources et le bouche à oreille, mais elles n'ont donné aucun résultat. 9. Pour les détails sur les méthodes d'analyse, voir le rapport de recherche.
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trajectoires types10 ont été mises au jour, témoignant chacune de manières différentes d'envisager et de vivre la séparation et le rapport à l'enfant : dans l'une, la rupture est vécue comme une délivrance, dans l'autre, la rupture est au contraire ressentie comme un effondrement du point vue personnel et social. De cette dernière trajectoire, il se dégage, on le verra, deux cas de figure. DES PÈRES JAMAIS ACCROCHÉS LA RUPTURE COMME DÉLIVRANCE Réal, le déserteur Réal est un homme de 47 ans qui a six enfants, de trois femmes différentes, le plus vieux étant âgé de 23 ans, le plus jeune de 3 ans au moment de l'enquête. Ses deux premiers enfants, il ne les a pas vus depuis douze ans, son second, il ne l'avait jamais vu jusqu'à ce que celui-ci entre en contact avec son père il y a deux ans, et il n'a pas vu les trois autres depuis trois ans. Malgré tous ces enfants, Réal affirme ne pas être un homme de famille : il aime les femmes et semble plus tourné vers sa liberté que vers la vie de famille qui l'étouffe. Il se décrit comme « un itinérant de première classe », un aventurier. Il vient d'une famille de six enfants qui a connu de multiples problèmes de violence et de négligence : « C'est un univers familial ben fucké, qui est pas facile. Quand tu vois ta mère poignarder ton père, pis que t'as sept ans, pis qu'après ça elle te demande avec qui tu veux rester. Fait que tu te sens abandonné. Parce que le père travaille à l'extérieur, il est toujours sur les routes, il est jamais là. Je suis parti à 11 ans, parce qu'à 11 ans j'ai été violé par un de mes oncles, par un ami de la famille. Ça fait que là, je me suis lancé dans la prostitution mâle, je prends l'argent, puis qu'est-ce que je fais avec ? Je le bois pis je fais du trafic, la dope. Déjà à 11 ans, j'étais alcoolique. Pis là j'ai volé et je me suis ramassé à la Cour juvénile. Après j'ai fait l'armée, pis après ça je vais fonder une compagnie, pis j'ai eu des commerces, des bars, pis là je perds tout et je me ramasse à la "maison du père" [maison pour itinérants]. En gros, c'est ça ma vie. » 10. Ajoutons à ces deux trajectoires celle de pères dont l'enfant a été victime de rapt par l'exconjointe, mais que nous n'avons pas pu analyser, n'ayant rencontré qu'un seul père dans ce cas.
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Il rencontre sa première femme dans un bar alors qu'il est âgé de 18 ans et elle de 15 ans. Ils s'installent ensemble, se marient, puis peu de temps après il est arrêté pour fraude et condamné à dix-huit mois de prison avec sursis. C'est en prison qu'il apprend que sa femme est enceinte. Quand il sort de prison, l'enfant a quelques mois et, très vite, il devient, selon ses dires, « autoritaire, sec, dur avec lui. Autrement dit, je vais te traiter comme j'ai été traité. Là je vais décrocher de la femme, et je vais commencer à haïr l'enfant. Qu'est-ce que tu veux, je suis dans un autre monde, le trafic, l'alcool, faut que je bouge. Pis là la mère, elle n'est plus une femme pour moi, elle est toute avec son petit, fait que je suis jaloux. Et là, il va y avoir un deuxième enfant, il est voulu parce qu'on espérait que ça replace les choses. On a vécu quelques années ensemble jusqu'à ce qu'on se sépare. » Réal ne reverra jamais ses deux premiers enfants et il se demande de quoi ils ont l'air aujourd'hui. Après cette séparation, il retombe dans l'alcool, la drogue, etc. Il rencontre la mère de son deuxième enfant. Ils se séparent alors qu'elle est enceinte sans qu'il le sache et il n'aura jamais de nouvelles d'elle ni n'en demandera jusqu'à ce que l'enfant communique avec lui quinze ans plus tard. Peu après sa deuxième séparation, il rencontre sa troisième femme, avec qui il aura trois enfants. « L'enfant va naître puis moi, je suis un gars de trafic, je suis un gars qu'il faut que ça bouge. Fait que je suis pas souvent là. Pis là je suis pas bien et je vais avoir un deuxième enfant parce qu'on se dit que peut-être deux enfants, chacun va en avoir un plus ou moins à s'occuper, pis par chance, j'ai un gars. Pis le gars va se révéler être un petit peu sourd, ça va faire un peu de chicane. Pis là à un moment donné on va décider d'avoir un troisième. Mais là, à partir de là, je vais sentir l'abandon. Je me sens comme étouffé, alors je laisse tout. Moi, je me considère comme étant un être qui s'est créé un monde autistique. Mon univers, c'était le mien. J'ai jamais été responsable de rien. Les enfants, ce qu'ils faisaient, c'est qu'ils prenaient ma place. Quand ils venaient au monde, je perdais la place dans mon couple, ces enfants-là devenaient des concurrents. Fait que ma bulle se rétrécissait, pis quand elle est rétrécie, tu manques d'oxygène. T'as pas de lieu à toi, t'as pas d'espace vital. Quand t'es dehors, quand tu sors, c'est le seul temps où tu te sens bien, mais tu sais que quand tu vas rentrer ça va être deux fois pire. Alors tu bois. » À l'instar de Réal, tous les pères de la première trajectoire se caractérisent par une absence de sentiment de paternité. Ils sont plus tournés vers leur liberté, celle-ci étant conçue comme une capacité permanente d'improviser leur vie. L'enfant est pour eux une charge : il représente un poids économique, une menace à la vie de couple, un frein aux projets
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personnels, à la vie professionnelle. L'enfant est aussi, pour ces hommes, un handicap du point de vue de la mobilité et de l'improvisation, deux valeurs charnières de l'individualité contemporaine. Certains sont devenus pères à la suite d'une grossesse accidentelle dont ils ne voulaient pas initialement, d'autres désiraient un enfant. Dans tous les cas, ils n'ont pu supporter le changement de vie, les responsabilités matérielles ou l'escamotage, inattendu, d'une conjugalité devenue otage de la famille. Ils ont été incapables d'accepter les pressions et les frustrations que comporte aussi la vie familiale. Chez certains, le désir initial d'enfant s'est donc volatilisé à l'épreuve de la réalité quotidienne. D'autres ont été incapables de faire naître en eux un sentiment de paternité et d'intégrer l'enfant dans leur existence. Ces pères « décrocheurs » n'ont, en réalité, jamais accroché. La séparation conjugale leur apparaît donc comme une double émancipation : délivrance du rapport conjugal et libération de la responsabilité parentale. Après la rupture, ces pères n'ont pas cherché à revoir activement leur enfant et ils n'éprouvent pas de culpabilité à cet égard. Ils n'ont pas de désir nostalgique de revoir leur enfant. Ils semblent en fait réussir à effacer leur passé, souvent assez bref, de père. S'il arrive que leur enfant les retrace des années plus tard, et si ces pères ne s'opposent pas à le revoir, cela n'est pas vraiment dans l'idée de reprendre une relation avec lui mais simplement, comme ils le disent, pour voir « de quoi il a l'air », « s'il me ressemble physiquement », « à qui il ressemble ». Ces pères, par leurs représentations et, surtout, par leurs manières de vivre la paternité comme charge insoutenable et comme destinée personnelle impensable, incarnent le pôle du refus de la vie de famille. L'interprétation de leur propre passé familial semble tenir, à cet égard, une place importante. En effet, chez plusieurs, la trajectoire de méfiance exacerbée à l'égard de tout projet familial est aussi un contrecoup de leur propre expérience comme enfant. Ils ont vécu leur famille d'origine comme un terrain miné, comme un lieu de souffrances. DES PÈRES DÉCROCHEURS : LA RUPTURE COMME EFFONDREMENT Pour un grand nombre d'autres pères de notre échantillon, la majorité en fait, la rupture conjugale et parentale est vécue comme une catastrophe. Elle représente une perte des repères stables de l'existence, un effondrement même, qui a chez plusieurs un retentissement psychologique profond. Si, dans le premier parcours, le désengagement était volontaire et relativement bien assumé, dans celui-ci le père est beaucoup plus ambivalent, voire déchiré. Il s'agit en effet d'une trajectoire à longue
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échéance qui, loin d'être linéaire, ressemble plutôt à des montagnes russes : la relation à l'enfant, après la rupture conjugale, a été instable, faite d'entrées et de sorties du père. C'est un parcours complexe, où les attitudes et comportements paternels sont plus ambigus ou contradictoires. La particularité de cet itinéraire tient à la présence d'un sentiment paternel qui se maintient au-delà de la séparation conjugale, mais qui n'arrive pas, pour diverses raisons, à s'actualiser dans une relation suivie, à moyen ou à long terme, avec l'enfant. Ce sont des pères qui, dans la plupart des cas, ont voulu et désiré avoir des enfants. Ils se sont impliqués de façon variable, pour certains de manière plus « traditionnelle », comme pourvoyeurs de la famille surtout, pour d'autres plus intensivement et plus personnellement. Mais pour tous, l'idée de famille a été et demeure une valeur charnière, elle a une signification identitaire centrale pour eux. Ils éprouvent aujourd'hui la nostalgie d'une paternité concrète, ils se sentent tous encore pères, ils pensent souvent à leur enfant, bien que dans certains cas ils essaient d'oublier. Afin que leur vie reprenne du sens, certains pères veulent savoir où et qui sont leurs enfants aujourd'hui, comme s'ils éprouvaient le besoin de se faire confirmer qu'ils sont toujours leur père. Au-delà de ces quelques caractéristiques communes sur le plan de la trajectoire, deux cas de figure distincts émergent : dans le premier cas, on peut parler d'une paternité orpheline de famille et dans le second, d'une paternité orpheline d'enfant. Claude et Sylvain, les déracinés Claude a 52 ans, il est divorcé depuis treize ans, il a deux enfants de 21 et 27 ans, dont un est le premier enfant de sa femme, qu'il a adopté très jeune. Il est séparé de sa femme depuis treize ans et n'a aucun contact avec ses enfants depuis dix ans. Il est le dernier d'une famille de sept enfants. Le père est absent. Sa mère se remarie avec un homme qui le bat. À 5 ans, il est mis à l'orphelinat jusqu'à l'âge de 12 ans, sa mère ne pouvant subvenir aux besoins de toute la famille. Il quitte sa famille définitivement quand il sort de l'orphelinat. Après quelques années dans une école de réforme à la suite de délits (vol, p. ex.), il entre dans la marine et s'en fait mettre dehors très vite. Il fait des petits boulots, commet des infractions de nouveau et se fait arrêter et condamner à quatre ans de prison. Il rencontre sa femme qui a déjà un fils, alors qu'il vient de sortir de prison, et cette rencontre change le cours de sa vie : il découvre en lui un désir de faire un enfant et de fonder une famille : « Moi, je voulais une femme que je pouvais aimer pis qui pouvait m'aimer
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sans conditions, pour ce que j'étais. Pis un enfant, ça faisait partie du tout. S'il y avait pas eu ça, y'aurait eu un manque. Même si elle avait déjà un enfant, ça me prenait mon enfant. Alors la grossesse, j'ai vécu ça, oh mon dieu, c'était ma vie. Quand elle est tombée enceinte, j'étais heureux. J'allais la reconduire au travail, j'allais la rechercher, je voulais pas qu'elle fasse ci. Quand il est né, ma belle-mère voulait le garder. J'ai dit: pas question. Je travaillais, mais je me dépêchais à rentrer, je vivais juste pour ça. [...] Ma femme, c'était une grande travaillante, très minutieuse. Pis aux enfants, je leur ai toujours montré, combien de fois je l'ai répété : la personne la plus importante dans ta vie, c'est ta mère, c'est pas ton père, c'est pas ton frère, c'est ta mère. Pis je leur disais ça à chacun indépendamment. » Puis, trois ans après la naissance de l'enfant, la relation conjugale commence à se détériorer. Il soupçonne sa femme d'avoir des aventures, elle avoue et lui propose que chacun ait ses aventures. Mais il préfère partir quelque temps, pensant que tout allait s'arranger. Quand il veut revenir à la maison, reprendre sa relation avec sa femme, elle refuse. Quelques mois plus tard, il a une crise cardiaque. A partir de là, tout va s'écrouler pour lui, surtout quand ses fils ne veulent plus le voir et que sa femme part habiter avec son meilleur ami. Ils passent en cour, ne s'entendant pas au sujet de la garde des enfants : « À la Cour, ça a sorti pourquoi elle voulait pas que j'aie des droits de visite, comme quoi j'étais drogué. Après ce passage à la Cour, j'étais désabusé, mes cartes de crédit, je les avais toutes plafonnées, j'avais déclaré faillite, je m'étais mis sur l'assurance-chômage puis sur le bien-être social, puis elle disait comment j'étais pas bon, pis tout ça. Moi, je suis juste un chauffeur de taxi, pis elle, elle fait 50 000 $ par année, elle travaille pour des bons avocats, elle a une maison. » N'ayant pas de droit de visite, il appelle régulièrement à l'école pour avoir de leurs nouvelles, puis on refuse de lui en donner. Une vie d'errance commence alors pour lui pendant quelques années. Il décroche de sa famille et de tout : de son travail, de ses amis. Il explique que, pour lui, « la vie, c'est la famille. Si t'as pas une famille, t'es tout seul, vagabond. Une vie de célibataire, c'est une vie de débauche, de frustrations, un déséquilibre total et complet, pis tout suit avec ça. T'as pas le goût de rien faire, t'as pas de motivation. C'est la famille qui compte, une femme, un homme, c'est des enfants. C'est ça la vie, c'est ça ton noyau de vie. Je vais vous enlever un bras. Vous allez fonctionner, mais il va vous manquer un bras... A moi, il me manque mes deux bras, mes deux jambes, mon coeur, pis ma tête. Des fois, je me pose la question, c'est quoi qui me motive à continuer à vivre... j'ai plus le goût, je suis blasé de la vie... J'ai tellement vécu de choses. »
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Il a toujours pensé à ses enfants, surtout à son fils « à lui ». Récemment, il a voulu avoir des nouvelles de ce fils âgé aujourd'hui de 21 ans. Il a été condamné à 200 $ d'amende pour harcèlement téléphonique auprès de son ex-femme. Sylvain, lui, est âgé de 41 ans et il a aussi deux enfants de 6 ans et 10 ans. Il est séparé depuis deux ans. Il a vu ses enfants une fois depuis deux ans. Il vient d'une famille de cinq garçons, sans problèmes particuliers « Mes parents, ils sont un peu archaïques, fils et fille de cultivateurs qui se sont installés à Montréal un peu après la crise (de 1929). Ils sont rendus à plus de 70 ans. Mon père était pas assez présent mais correct. Eux, ils se chicanent souvent mais ils sont pas séparés, pis moi je suis content de les avoir ensemble aujourd'hui, même si j'ai 40 ans pis que je sais bien que c'est pas le bonheur total leurs amours, mais ils sont encore ensemble et c'est mieux que la solitude ou le désarroi de vivre séparé des enfants. Moi, je suis encore sur les traditions, genre les couples sont pas supposés de se séparer.» Il rencontre sa femme, qui est Française, à Montréal, se marient cinq mois plus tard et neuf mois plus tard, ils ont un enfant désiré : « Ça allait vite, pas mal vite, mais ça faisait partie de notre projet de vie à nous deux et c'était extraordinaire. On faisait des petits emplois mais qui nous permettaient de bien vivre et le bébé se faisait garder chez une femme qui en avait plusieurs. C'était bien le fun, moi, j'aimais ça comme ça. J'étais content, j'étais bien dans cette bulle-là. Ça me donnait une routine très valable. C'est une stabilité un enfant, puis une routine très valable. Qu'est-ce que tu fais de mieux que d'élever des enfants, qu'est-ce qui est plus valable que d'élever des enfants quand t'as rien à donner à personne ? Alors, tu te retournes sur tes enfants, ta famille, puis tu leur donnes ce qu'ils ont besoin. J'étais un très bon père, j'étais un papa rose en même temps, un peu, je faisais la vaisselle, les repas, je couchais les enfants, je leur faisais prendre leur bain, j'étais un homme rose un peu dans ce sens-là. » Quatre ans plus tard, ils ont un second enfant. Le contexte conjugal va moins bien : « Ce qui a amené l'éclatement du couple, c'est que mon épouse avait 29 ans et moi 37. Puis elle pensait que maintenant qu'elle avait un bon travail et qu'elle commençait à participer à la société, tout lui était offert. Et elle voyait le couple comme quelque chose qui l'enfermait dans sa liberté. Alors elle a fait éclater le couple. Moi, j'étais content d'être en famille, avec une cellule familiale. J'étais heureux de tout ça puis je m'occupais de mon rôle de père. Puis je tenais à ça. »
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Ils se séparent alors que cet enfant n'a que quelques mois. Ils décident de vivre dans des appartements voisins et, pendant deux ans, « c'était pareil comme si on était mariés, on avait des rapports homme-femme, on était comme un couple, sauf qu'il y avait pas de sexualité ». Puis, un jour, sans avertissement, elle lui annonce qu'elle veut retourner en France. Il ne s'y oppose pas, se disant qu'il ira les rejoindre « Ben je me suis dit, c'est le fun, ils vont en France, je vais aller les rejoindre, je vais m'installer en France moi aussi. Le vieux rêve. Quand je l'ai mariée, c'était ça son rêve. Mais là, j'ai été neuf mois sans avoir d'adresse ou de numéro de téléphone. Puis au bout de neuf mois, j'ai envoyé une lettre d'avocat chez ma belle-mère, lui disant que si j'avais pas de nouvelles, je mettais la justice après elle. Quand elle a reçu ça, elle s'est mise à m'envoyer des adresses, des téléphones puis à communiquer avec moi. » Pendant quelques mois, il appelle ses enfants aux deux semaines, puis arrête. Il espère un jour pouvoir aller s'installer en France et reprendre une vie avec ses enfants et son ex-femme. Chez ces deux pères, comme chez tous ceux de cette sous-trajectoire, la manière dont est vécue la rupture conjugale et parentale témoigne d'une signification de la famille comme modalité d'ancrage, d'intégration et de reconnaissance sociale. L'effondrement du lien conjugal qu'ils subissent enclenche généralement, simultanément, la rupture de leur lien à l'enfant, puis un processus de décomposition personnelle se manifestant notamment par divers problèmes de santé et de comportements. Typiquement, ils ont vécu la séparation comme un traumatisme profond ; certains ont fait une dépression, d'autres sont tombés ou retombés dans l'alcool, la plupart ont perdu leur travail. Ils ont décroché de la vie, et donc de l'enfant aussi, qu'ils ne sont souvent même pas en état de voir. Ayant conçu leur paternité comme une responsabilité et un amour à l'égard de la famille en général, ils n'avaient pas établi un rapport personnel avec leur enfant. En fait, ils ne connaissent de l'enfant que ce que leur conjointe leur en disait, puisque c'était elle le « parent principal », la médiatrice des relations pères-enfants11. 11. Nos analyses rejoignent à cet égard une hypothèse émise par Furstenberg et Cherlin (1991, op. cit., p. 38) : « We would argue that some men see parenting and marriage as part of the same bargain - a package deal; it is as if they stop being fathers as soon as the marriage is over. »
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Pendant un certain temps, ces pères entretiennent l'espoir d'une reprise du lien conjugal et donc de leur propre réintégration familiale. D'ailleurs, pour la plupart, les droits de visite sont moins vécus dans l'esprit de poursuivre ou de reconstruire un lien à l'enfant que comme autant d'occasions d'une réconciliation conjugale. Mais, avec le temps, cet espoir cède la place au ressentiment envers l'ex-conjointe et à un sentiment d'étrangeté croissant à l'égard de l'enfant. Un processus d'auto-exclusion s'amorce alors : ils sont de moins en moins concernés par leurs obligations légales et affectives (pension et visites), ils espacent leurs paiements, leurs visites et leurs contacts, jusqu'à un « décrochage » de fait. Ils continueront toutefois à s'identifier comme pères, ils vivront leur identité paternelle sous un mode essentiellement imaginaire et nostalgique. Leur réaction à la rupture est plus typiquement, du moins à moyen et à long terme, une réaction dépressive plutôt qu'une colère extériorisée. Des années plus tard, certains de ces pères expriment le désir de renouer avec leur enfant, de réactiver leur paternité. Mais cette tentative de rapprochement, quand elle est concrète, est truffée d'obstacles qui ont facilement raison d'eux : l'ex-conjointe peut s'être remariée, l'enfant a un père substitut et a oublié son père biologique ou il lui fait sentir qu'il est devenu un étranger. L'ensemble de ce parcours nous apprend donc notamment que ce que le père aimait en l'enfant, c'est la vie familiale et l'ancrage social qu'il lui procurait : l'arrivée de l'enfant procurait une dimension identitaire centrale en créant de toutes pièces un milieu de vie. La rupture est donc une catastrophe de ce point de vue, l'arrachement à un milieu de vie et d'affectivité qui donnait un sens à une existence jusque-là souvent sans perspective et parfois délinquante. Claudio et Robert, les démissionnaires Claudio est âgé de 37 ans et il a un fils de 7 ans dont il est séparé depuis qu'il a 6 mois, qu'il n'a vu que quelques jours par mois pendant quatre ans et seulement une fois, à Noël, depuis trois ans. Il vient d'une famille de cinq enfants sans problèmes particuliers « Mon père était proche de nous autres, il était complice avec nous autres. Il nous a laissés vivre aussi, mais si on s'éloignait, il venait mettre de l'ordre dans ça. Chez nous, mon père, c'est un père modèle. » Claudio a connu sa femme dans son milieu de travail. Après deux ans de cohabitation, elle tombe enceinte, de façon accidentelle, au moment même où il était question qu'ils se séparent, le couple n'allant plus très bien : « Quand elle est tombée enceinte, elle est
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devenue comme une autre personne, jalouse, c'était l'enfer. Mais de toute façon on n'était pas vraiment destinés à être ensemble parce qu'on parlait de se séparer quand elle est tombée enceinte. Là je me disais, elle est enceinte, je vais mettre de l'eau dans mon vin pis ça va passer. » Pendant la grossesse, il assiste aux cours prénataux, puis quand le bébé naît, il s'occupe de lui : « Moi, là, je me suis senti père depuis que j'ai su qu'elle était enceinte. Pis là je me voyais, j'aime pas le hockey pantoute, mais on va y acheter l'équipement, pis je vais le suivre, je vais l'emmener voir des matchs, je vais être à côté de lui quand il va avoir besoin de quelque chose, ça va être mon chum, je voyais ça de même. Juste d'être proche de mon enfant. De partager, qu'il pense pas juste à lui. La famille, c'est important, même si le père et la mère ne sont plus ensemble : t'as ton père, t'as ta mère. » Ils se séparent quand le bébé a six mois et elle va vivre dans son ancien quartier, loin de chez lui : « Mais là j'ai dit je veux voir mon fils. Eh, mon enfant, c'est la moitié de moi-même. Elle dit, tu verras pas ton fils. Une journée, les policiers viennent chez moi et j'ai une charge de menaces de mort. Mais c'était pas vrai, c'est elle qui avait monté ça avec son père. Là, j'ai été jugé non coupable, mais ça a fait que pendant six mois j'ai pas pu voir mon fils. » Il prend ensuite un avocat et négocie de voir son fils deux jours par semaine : « Les trois premières années, j'y allais à toutes les semaines. Je l'emmenais deux jours, c'était négocié comme ça. Mais à un moment donné je me suis tanné de ça, j'ai vu en quelque part que ça n'avait pas de sens. Parce qu'en plus de payer une pension alimentaire, l'essence puis tout ça, j'avais plus les moyens de le faire. Pis surtout, j'étais rendu que quand j'allais chercher mon fils, il voulait pas venir, il piquait des crises, c'était une réaction pas normale, il me disait je veux rester ici, je veux pas aller en ville avec toi. Là moi j'ai dit, on vivra pas ça tous les deux, c'est pas vrai. Pis moi, je me disais en quelque part je suis prêt à payer le prix pour pas que mon petit ait à vivre ça. C'est ça qui est arrivé. J'ai commencé à espacer les visites, pis à un moment donné, quand je voulais aller le voir, elle (l'ex-conjointe) me disait qu'il était malade. Je sentais que j'étais contrôlé. Fait que tranquillement, j'espaçais les visites, je me disais, ben, écoute, quand je vais voir mon fils, ça le perturbe lui, pis ça me perturbe ben gros moi. Pis aujourd'hui, on se voit quasiment pas. Pis aux fêtes, il m'a pété une crise, alors j'ai dit: "Écoute ben, là, c'est toi qui vas décider si je vais te revoir ou si je te reverrai pas." Pis là, ça fait plus d'un an que je l'ai pas vu, pis quand je l'avais vu la fois d'avant, c'était un après-midi. Depuis une couple d'années, je
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le vois juste une fois par année. Moi, mes chums y ont des enfants, pis même que je les regarde pis ça me fait de quoi... je me dis, eux autres, ils ont leurs enfants... les temps les plus durs, c'est quand tu vas à Noël à des places, t'as pas ton p'tit, t'aimerais ça le montrer à tout le monde. » Robert, lui, a 27 ans, deux enfants de 2 et 7 ans. Il est séparé depuis deux ans et n'a plus de contact avec ses enfants depuis six mois parce qu'il a été accusé de menaces de mort contre son ex-conjointe. Il est le dernier d'une famille de 11 enfants, élevé plus par ses soeurs que par sa mère qui avait 50 ans à sa naissance. Son père, âgé de 60 ans à sa naissance, était alcoolique et ne s'est jamais occupé de lui. Il a connu son ex-femme, qui était déjà enceinte de quelques semaines, dans une brasserie. Il « adopte » l'enfant à naître et s'implique pendant la grossesse (cours prénataux, p. ex.) : « On s'entendait bien, ça avait pas d'allure. J'ai assisté à l'accouchement, ça allait super bien, j'étais sur un nuage, je ne buvais pas, je ne fumais pas. Je faisais tout dans la maison, je donnais le boire, entre les boires je faisais le ménage. Pas par devoir. J'étais heureux dans ça. Ça m'empêchait de penser que mon père s'était pas occupé de moi. » Le second enfant est désiré par les deux, mais tout se passe mal dès la grossesse. Son ex-conjointe fait une dépression : «Je ne sais pas pourquoi mais ça a tourné comme ça. On se chicanait pour tout. Je m'occupais des enfants toute la journée, je travaillais le soir, j'arrivais vers 11 heures pis on se chicanait, c'était l'enfer, fait que souvent je rentrais pas, je rentrais le matin quand les enfants se levaient, pis je m'occupais d'eux. Elle, elle s'en est jamais occupée. C'est moi qui les ai élevés les enfants pis, du jour au lendemain, elle me fout dehors. Je t'aime plus, tu me rends folle qu'elle me dit. Là j'y ai expliqué que j'accepterai jamais d'être un papa de fin de semaine, on peut ben se laisser, mais moi j'accepterai jamais ça. Parce qu'ils ont toujours été avec moi. J'allais au dépanneur à cinq minutes, mais ça me prenait vingt minutes pour les habiller tous les deux pour y aller. Moi, je lui ai dit qu'on ferait une garde partagée. » La première année, Robert voit ses enfants régulièrement : « Je leur parlais au téléphone pis ils me disaient papa je veux te voir. Je partais de la job pis j'allais les voir. J'ai perdu deux jobs à cause de ça. Je voulais pas être comme mon père, mais c'est ça qui est arrivé en fin de compte. Je lui ai dit que j'accepterai pas d'être un papa de fin de semaine. J'allais tout le temps les voir, pratiquement tous les jours j'y allais. »
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Devant les difficultés de ce mode de fonctionnement (il demeure très loin de chez son ex-femme), ils conviennent d'une garde aux deux fins de semaine. Cependant, son ex-blonde rencontre un nouveau conjoint et les choses se gâtent : « Pis là un jour, je lui ai fait des menaces de mort à son chum et c'est pour ça que je passe en cour. Je voudrais avoir mes enfants avec moi, mais je sais que j'ai rien pour donner au juge. Il faudrait que j'arrête de boire. Mais t'sé, j'écoute la télé, j'vois des enfants, pis je change de poste, parce que je viens les yeux pleins d'eau. [...] J'aime pas ça que le monde me dise, quessé que t'as... pense donc plus à ça... Essaie donc de plus penser à deux enfants, toi. J'appelle pour leur parler, mais c'est pire quand je leur parle. Je suis trois ou quatre jours à l'envers, pis mon plus vieux, il veut plus me parler. Pis le plus jeune, il veut me voir tout le temps. » Pour ces deux pères, comme pour plusieurs de cette dernière trajectoire, c'est surtout la rupture parentale qui est vécue sous le mode de la catastrophe. Ce sont généralement des pères qui ont éprouvé un peu moins de problèmes dans leur famille d'origine, qui ont été plus présents à la maison ou qui se sont impliqués davantage avec leurs enfants ; ils ont également bénéficié d'un plus grand soutien social ou ont su y recourir pendant et après la séparation. Ce sont aussi des pères attentifs à la dimension juridique de leur situation, à leurs droits, et qui entament parfois des démarches auprès des tribunaux. La période suivant la séparation entre conjoints se caractérise par le désir des pères de maintenir le lien avec l'enfant dans un nouveau cadre, même si le deuil de l'idéal de la famille unie est difficile à faire. Dans les premiers temps, les conjoints cherchent à tenir l'enfant à l'écart des disputes et évitent de le transformer en otage. À court terme, il semble aller de soi que c'est la mère qui aura la garde physique de l'enfant, le père conservant généralement une assez grande liberté d'accès. Les pères cherchent à établir un nouveau rythme relationnel avec leur enfant : ils ne veulent pas seulement voir leur enfant, ils veulent passer du temps avec lui. D'où, au début du moins, une régularité des contacts père-enfant, le plus souvent au domicile du père, et d'où, généralement, la volonté de ces pères de s'acquitter des obligations alimentaires. Toutefois, ce nouveau mode relationnel vient à manquer de souffle et à s'enliser. L'accumulation des tensions avec l'ex-conjointe qui maintenant débordent sur les questions d'accès à l'enfant, la judiciarisation de la garde de l'enfant, l'insatisfaction liée à la dynamique du « droit de visite » et à la parcimonie des contacts qu'elle implique, les réactions de plus en plus ambivalentes de l'enfant à son égard, ou encore la crainte que le
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nouveau conjoint de l'ex-femme ne le remplace comme figure paternelle auprès de l'enfant, voilà autant de facteurs qui paraissent concourir à la dégradation de la qualité de la relation père-enfant et à l'impérieuse tentation de « décrocher ». Ces pères se sentent incapables d'accomplir leur paternité dans ce cadre. Ces difficultés dans le maintien d'une relation significative avec l'enfant après la séparation tiennent au fait que celle-ci engendre une discontinuité radicale : la séparation vient briser le rythme quotidien d'une relation dans laquelle ils étaient profondément, personnellement et intimement engagés. En effet, la relation paternelle à l'enfant, avant la séparation, s'était construite de manière assez indépendante de la relation conjugale, elle avait une vie propre et n'était pas simplement médiatisée par la mère. La forme d'affection paternelle qui se manifeste ici, c'est l'« amour », qui correspond davantage aux nouvelles normes, par ailleurs de plus en plus asexuées, de la bonne parentalité et - surtout - du bon paternage. Cet amour parental prend pour modèle le rapport amoureux adulte, en y incorporant, érotisme en moins, les dimensions d'intimité, de proximité affective, de dialogue et de transparence. En somme, et paradoxalement en apparence, c'est donc la nature personnelle, intime du lien à l'enfant qui vient nourrir à terme la tentation démissionnaire : la possibilité de poursuivre un lien de cette nature est douloureusement considérée, à un moment ou à un autre, dans le contexte postséparation, comme irréalisable. Mieux vaut alors mettre un terme à cette relation idéalisée plutôt que de souffrir de sa détérioration. Cet éloignement et souvent cette rupture sont éprouvés comme la fin d'une relation qui était perçue jusque-là comme inconditionnelle, sûre et éternelle, comme une fin abrupte, que ni le père ni l'enfant n'auraient désirée, mais qu'ils auraient subie, une fin qu'auraient imposée, d'après ces pères, le système juridique, par ses lois restreignant, en le formalisant, l'accès à l'enfant, et l'attitude de l'ex-conjointe. Il n'est donc pas si étonnant que leur réaction à la rupture parentale ne soit pas, à court ou à moyen terme du moins, sur le registre de la dépression, mais qu'au contraire elle se déploie sous la forme d'une émotivité remplie de colère et de révolte ou de ressentiment : quelques-uns des pères que nous avons interviewés ont d'ailleurs été accusés de menaces de mort à l'endroit de leur ex-conjointe à la suite d'une dispute au sujet des enfants. Ici, le désengagement ne peut pas s'expliquer comme le simple effet d'un processus d'autoexclusion : pour certains pères, l'impossibilité de maintenir intacte la relation mutuelle à l'enfant conduit au désespoir et au décrochage parenta112. 12. Ces résultats rejoignent les constats de Kruk, ap. cit.
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CONCLUSION : PEUT-ON EMPÊCHER LE DÉCROCHAGE PATERNEL? En abordant cette recherche sur ceux que nous avions alors baptisés les « pères décrocheurs », nous étions confrontés à deux visions, diamétralement opposées : l'une qui affirme que ces pères-là sont des lâches, des irresponsables, qui s'accommodent très bien de la situation, et dont les comportements témoignent de la fuite masculine des engagements de la sphère privée ; l'autre qui voit dans ces pères des hommes injustement expulsés de leur paternité, des victimes des femmes, du féminisme, du système judiciaire et des tribunaux. Dès les premières entrevues avec certains de ces pères, nous avons réalisé que ces deux images univoques, le monstre d'égoïsme d'un côté, l' « enfant de choeur » à qui la société a volé l'enfant, de l'autre, ne rendaient pas compte de la diversité des expériences et des parcours vers la fragilisation ou la rupture définitive de la relation pèreenfant. De nombreux facteurs se conjuguent pour provoquer la rupture d'avec l'enfant : une situation postconjugale tendue qui ne favorise pas la continuité du lien père-enfant chez tous les pères rencontrés, une représentation de la mère comme parent principal chez la plupart, le poids économique de la pension alimentaire chez plusieurs, un état de santé mentale et physique très précaire après la séparation 13, l'entrée en scène d'un père substitut chez certains, un sentiment d'étrangeté croissant à l'égard de l'enfant chez tous, etc. La séparation conjugale et parentale engage et mobilise beaucoup plus que la seule volonté libre de deux individus. Elle met en jeu des sentiments très intenses, liés eux-mêmes à tout un passé personnel et familial, elle renvoie à des représentations de la conjugalité, de la famille, du rôle paternel, de l'enfant, voire de la justice. Elle est aussi encadrée par des contraintes juridiques. À cet égard, les pères que nous avons interrogés, on l'a vu, n'ont généralement pas une « culture du droit », ils ne réfléchissent pas en ces termes. Après la séparation, ils considèrent tout simplement que leur statut de « père de cet enfant-là » leur donne un droit d'accès illimité à cet enfant: si l'enfant leur manque, ils veulent, et doivent pouvoir, le voir immédiatement. Devant ce phénomène complexe qui met enjeu autant de facteurs personnels, économiques, juridiques, que peut-on faire comme société ? A la lumière de notre recherche et de celles de Kelly et de Kruk, nous pensons qu'il faudrait d'abord revoir le système d'attribution de la garde
13. Les répercussions du divorce chez les pères se feraient sentir surtout en des termes d'équilibre psychique et de santé : les hommes courent deux fois plus de risques que les femmes de développer des symptômes assez graves pour mener à une première hospitalisation en psychiatrie ou au suicide. Les femmes, pour leur part, sont plus touchées par des conséquences économiques que les hommes (Gouvernement du Québec [1988], Et la santé, ça va ?, Rapport de l'enquête Santé Québec 1987).
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aux deux fins de semaine afin que les juges puissent tenir compte du type d'engagement qui a précédé la séparation : ainsi, si certains pères s'accommodent très bien de ce type de garde et y trouvent même l'occasion de construire une relation personnelle à l'enfant, d'autres, très engagés dès le départ, ne peuvent concevoir qu'ils réussiront à maintenir une relation significative avec cet enfant en ne le voyant que quatre jours par mois. À cet égard, le système juridique véhicule une représentation du divorce comme rupture du continuum familial ; il fonctionne, comme le dit Théry14, dans une logique de substitution : la rupture conjugale implique la dissolution de l'unité familiale et amène l'enfant à rompre avec sa propre histoire familiale : à la famille « intacte » disparue devrait se substituer la nouvelle cellule familiale reconstituée par le parent gardien, la mère généralement. C'est donc dire que : [...] le divorce est assumé comme produisant un effet important sur les liens de filiation afin de permettre la mise en place, sans conflit, d'une insertion familiale nouvelle minimisant les effets du divorce sur le mode de vie quotidien de l'enfant. [...] La mise à l'écart de l'un des parents est justifiée, a posteriori, par la perception fonctionnelle des rôles parentaux : si le lien parent-enfant n'a de sens et de valeur que dans la mesure où il s'actualise au quotidien, c'est la possibilité d'une famille de substitution, comme seul moyen, malgré la rupture conjugale, d'offrir à nouveau à l'enfant le bénéfice d'un « foyer normal », qui donne sens à l'alternative parentale15 (souligné par nous). Une autre logique, celle dite de pérennité, pourrait être favorisée dans certains cas. Elle suppose que la rupture conjugale, si elle entraîne la dissociation en deux foyers, maternel et paternel, n'équivaut pas à une désagrégation de la famille. Le divorce est plutôt perçu comme une transition entre l'organisation familiale initiale et la réorganisation de ce qui demeure une entité, désormais bipolaire. Il est « assumé comme produisant un effet important sur le mode de vie de l'enfant afin de minimiser son effet sur les liens de filiation16 ». Dans cette logique, ce qui importe, c'est de préserver l'unicité de la famille initiale de l'enfant et la continuité de son histoire familiale, du lien filial, notamment avec le père. Mais, au-delà de ces solutions sociojuridiques, il faut aussi encourager les hommes à s'investir dans leur paternité, et ce, dès la naissance de l'enfant, notamment en multipliant les images possibles d'engagement paternel. Les divers intervenants dans les CLSC, les cliniques de périnalité, etc., doivent à cet égard montrer aux pères qu'il n'existe pas une seule et
14. I. Théry, « La référence à l'intérêt de l'enfant : usage judiciaire et ambiguïté », dans O. Bourguignon, J.L. Rallu et I. Théry (dir.), Du divorce et des enfants, Paris, Presses universitaires de France, 1985, p. 33-114. 15. Ibid., p. 94. 16. Ibid.
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bonne façon de s'impliquer, mais bien plusieurs, qui vont au-delà du changement de couches. Enfin, pour renforcer le lien père-enfant à la suite d'un divorce ou d'une séparation, il faut offrir aux conjoints qui se séparent dans un contexte conflictuel un soutien de type à la fois informatif et émotionnel (aide d'un psychologue, p. ex.) et leur permettre, par exemple, l'accès à des services de médiation. BIBLIOGRAPHIE BERTAUX, D. et C. DELCROIX (1991). « La fragilisation du rapport pèreenfant : une enquête auprès des pères divorcés », Relations intergénérationnelles, parenté-transmission-mémoire. Actes du colloque de Liège, Liège, Presses de l'Université de Liège, p. 103-111. FURSTENBERG, F.F. et A .J. CHERLIN (1991). Divided Families. Mat Happens to Children Men Parents Part, Harvard University Press, 142 p. KRUK, E. (1993). Divorce and Disengagement. Patterns of Fatherhood within and beyond Marriage, Halifax, Fernwood Publishing, 138 p. QUÉNIART, A. et E FoURNIER (dir.) (1994). Le phénomène social des « pères décrocheurs » : analyse qualitative des trajectoires du désengagement paternel. Rapport de recherche présenté au Conseil québécois de la recherche sociale, Université du Québec à Montréal, 21 p. QUÉNIART, A. (1999). « Émancipation ou désancrage social : Deux représentations de la rupture parentale chez des pères n'ayant plus de contact avec leur enfant », Déviance et société, vol. 23, n° 1, p. 91-104. THÉRY, I. (1985). « La référence à l'intérêt de l'enfant : usage judiciaire et ambiguité », dans O. Bourguignon, J.L. Rallu et I. Théry (dir.), Du divorce et des enfants, Paris, Presses universitaires de France, p. 33-114.
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L'INTÉGRATION DES JEUNES ADULTES MIGRANTS EN MILIEU URBAIN AU QUÉBEC1
DANIELLE DESMARAIS, Ph. D. École de travail social, Université du Québec à Montréal YAO ASSOGBA, Ph. D. Département de travail social, Université du Québec à Hull LUCIE FRÉCHETTE, Ph. D. Département de travail social, Université du Québec à Hull
1. Les auteurs remercient Pierre Thériault pour ses commentaires constructifs après lecture des versions antérieures de ce texte.
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RÉSUMÉ Chez les jeunes adultes migrants, la migration et l'intégration au milieu urbain se produisent dans une étape de vie déjà marquée par des changements nombreux et significatifs. La recherche sur laquelle s'appuie la présente réflexion a été menée auprès de 44 jeunes gens de 25 ans en moyenne, provenant de presque toutes les régions du Québec et habitant Montréal, Québec ou Hull depuis environ trois ans. Leur expérience de migration et les propos qu'ils tiennent à ce sujet permettent de dégager un processus d'intégration en trois étapes distinctes. La première étape s'étend de quelques semaines à quelques mois et se concentre sur l'expérience de l'étrangeté par rapport tant à l'espace urbain proprement dit qu'à ses habitants. Certains éléments qui facilitent l'intégration et d'autres qui constituent plutôt des obstacles au processus d'intégration sont mis en évidence. La deuxième étape, dite de familiarisation, s'étend jusqu'à la fin de la deuxième année de vie dans la ville d'accueil et se caractérise par des stratégies diversifiées de découverte des possibilités et caractéristiques de la ville d'accueil qui permettent d'atténuer les peurs et les inquiétudes. À cette étape, le réseau social est en profonde transformation malgré la solitude vécue par de nombreux jeunes migrants. Enfin, dans la période actuelle, les jeunes formulent des projets divers qui mettent en scène leur rapport dynamique et personnalisé à l'espace urbain, de même que la reconfiguration de leur réseau social. Une intervention préventive par plusieurs acteurs sociaux permettrait d'atténuer un certain nombre de difficultés vécues par ces jeunes adultes.
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Le phénomène de l'urbanisation est en croissance dans toutes les régions du monde. Ce phénomène se caractérise entre autres au Québec par une importante migration des jeunes adultes québécois vers les grands centres urbains. Un sondage récent (Gauthier, 1999) effectué auprès d'environ 2 500 Québécois de 18 à 34 ans permet d'affirmer que près de 60 % des jeunes Québécois de 18 à 34 ans ont déjà vécu dans une autre ville que celle où ils sont nés2. Le présent texte témoigne d'une préoccupation pour l'intégration de jeunes migrants dans l'un ou l'autre des trois plus grands centres urbains du Québec, soit Montréal, Québec et Hull. Cette préoccupation inclut l'évolution du rapport au milieu urbain, plus particulièrement dans sa dimension spatiale et sur le plan de la sociabilité. En tant que chercheurs et formateurs de travailleurs sociaux, il nous importe que ces jeunes trouvent leur place et leur compte dans leur nouvelle vie urbaine. Nous souhaitons de plus qu'ils y trouvent l'équilibre psychique nécessaire pour devenir des citoyens à part entière. Notre réflexion prend donc appui sur leur expérience et sur les propos qu'ils tiennent à ce sujet. La compréhension qui en sortira permettra de dégager des pistes d'intervention dans une optique de prévention d'un certain nombre de difficultés vécues par les jeunes adultes migrants. Dans ce qui suit, on trouvera d'abord des éléments de problématique au carrefour de la sociologie de la jeunesse - et plus spécifiquement de la problématique de l'entrée dans la vie adulte - et de la documentation sur l'intégration. La deuxième partie du texte présente les résultats d'une recherche menée notamment auprès de jeunes migrants dans les centres urbains du Québec. Enfin, en guise de conclusion, nous proposerons quelques pistes d'intervention préventive auprès de ces jeunes migrants. LA MIGRATION DANS UNE ÉTAPE DE VIE MARQUÉE PAR LES PARADOXES La migration constitue aujourd'hui un phénomène qui touche un grand nombre de sociétés dans le monde. Le Québec ne fait pas exception. Les pratiques migratoires peuvent être définies comme « un ou des déplacements (on peut alors parler d'une succession de déplacements) sur le territoire, sous-tendues par la logique de l'acteur » (Desmarais et Fournier, 1997). Elles sont situées dans le temps et dans l'espace et renvoient à des acteurs individuels. Elles seront donc plurielles, car elles sont le résultat
2. Environ 10 % d'entre eux sont toutefois de retour dans la ville où ils sont nés.
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de l'articulation complexe d'un ensemble de déterminants qui pèsent sur les jeunes adultes et de la marge de manoeuvre de ces acteurs dans l'action. Ces forces, tant sur le plan structurel que culturel (niveau macrosocial), traversent et façonnent les acteurs (niveau microsocial) de manière contradictoire. Ces derniers disposent toutefois d'une marge de manoeuvre pour travailler, voire pour dépasser ces forces contradictoires et faire quelque chose de ce qu'on a fait d'eux, selon la formule célèbre de Sartre. Une tendance se confirme au Québec : les jeunes adultes quittent à la fois les régions périphériques et celles du centre pour aller vivre dans les régions urbaines, et en particulier dans la grande région de Montréal (Tremblay, 1997). Une étude longitudinale de deux cohortes de jeunes adultes de 15 à 29 ans à cinq ans d'intervalle indique que cette tendance s'est même accentuée de 1981 à 1991 et de 1986 à 1996. En 1996, les grandes régions de Montréal, de Québec et de l'Outaouais enregistraient des taux de croissance supérieurs à ceux observés pour la cohorte de 1981-1991 (Tremblay, 1997). Migrer semble donc désormais constituer l'une des multiples dimensions de l'entrée dans la vie adulte (Gauthier, 1997), vue comme le passage d'un cycle de vie (l'adolescence) à un autre (vie adulte). Dans la foulée du sociologue français Olivier Galland (1991), nombre de chercheurs ont en effet parlé depuis environ deux décennies de « jeunes adultes » comme d'un nouvel âge de la vie. On commence toutefois à mettre au jour de nombreux paradoxes liés à cette étape de vie. Plus encore, peut-on vraiment parler d'une étape « adulte3 » contre quoi se définiraient toutes les autres étapes, dont celle appelée «jeune adulte » ? À certains égards, on accorde très tôt un statut d'adulte aux 18-30 ans, alors qu'à d'autres égards on les prive de ce statut, du moins en comparaison avec certaines générations antérieures. L'économique ayant acquis aujourd'hui une prédominance sur toutes les autres facettes de la vie en société, c'est au chapitre de la consommation qu'on interpelle hâtivement les jeunes en tant que personnes autonomes. En examinant plus particulièrement la situation des 15-19 ans, Bernier et Gauthier (1997) affirment pour leur part que le passage de l'adolescence au statut d'adulte se fait à travers la consommation qui accorde aux jeunes un statut symbolique d'agent économique. La consommation devient un véritable rituel d'acquisition d'une plus grande autonomie, synonyme de maturité. Ne peut-on pas obtenir son permis de conduire et posséder une voiture dès l'âge de 16 ans4 ? Les jeunes n'ont
3. Pour une réflexion sur l'effacement des frontières entre les différentes étapes de vie, voir J- P. Boutinet (1999).
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ils pas par ailleurs accès très tôt aux nouvelles technologies de l'information, ce qui contribue à faire d'eux des « citoyens du monde » ? Dans cette perspective, la migration offre aux jeunes un accès accru à la société des services et de la consommation (Gauthier, 1997). Un certain nombre de jeunes sont toutefois critiques de la place prépondérante prise par l'économique dans les valeurs sociétales actuelles tout en se sentant prisonniers de cet état de fait et écartelés dans cette situation (Desmarais et al., 2000). Cette autonomie, favorisée au niveau macrosocial par l'importance de la consommation, se double sur le plan des caractéristiques individuelles par un développement physiologique lui aussi accéléré. On observe un abaissement de l'âge moyen de la puberté et des premières relations sexuelles. Ne peut-on pas, là encore, voir surgir un nouveau paradoxe : une physiologie à maturité s'accompagne-t-elle d'une maturité affective, d'un désir d'engagement qui ont traditionnellement été liés à la vie sexuelle ? Si le passage de l'adolescence à la vie adulte s'effectue désormais plus rapidement à certains égards, il s'allonge à propos de certaines autres dimensions primordiales de cette étape de vie. Les années de formation se prolongent pour une majorité de jeunes adultes. De plus, la transition entre la formation et l'emploi s'étire, devient incertaine, emprunte de multiples avenues. Les jeunes adultes constituent le groupe social qui souffre le plus des transformations actuelles du monde du travail et de l'introduction de la flexibilité dans la gestion de la maind'oeuvre. La précarisation de l'emploi affecte la très grande majorité des jeunes qui quittent le système scolaire. Cette précarisation de l'emploi entraîne aux yeux de nombreux chercheurs une précarisation de l'ensemble de la vie des jeunes adultes. Elle freine de plus l'acquisition d'une autonomie complète qui comprend, en plus de l'autonomie économique, l'autonomie résidentielle et l'autonomie affective (formation du couple). Jusqu'à récemment, ces différentes facettes de l'autonomie se sont développées conjointement. Pour les jeunes adultes d'aujourd'hui, ces dimensions de la vie adulte ne se développent plus au même rythme et non plus de manière définitive (Dandurand, 1995). Dans cette foulée, notre recherche a tenté d'éclairer certains des multiples paradoxes qui caractérisent l'entrée dans la vie adulte. Comment la migration intervient-elle dans cette étape de vie ? De quelle manière le départ du milieu d'origine permet-il d'expérimenter les dimensions de la vie adulte (Gauthier, 1997) ? Plus précisément, l'installation dans la ville d'accueil permet-elle aux jeunes de vivre pleinement leur autonomie ? 4. Pour une présentation des éléments justifiant l'hypothèse d'une entrée hâtive dans l'âge adulte, voir D. Desmarais et al. (2000), chapitre 1.
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Quelles sont les conditions sociales, économiques et culturelles favorables ou défavorables à la prise d'autonomie des jeunes migrants ? Voilà quelques questions auxquelles notre recherche a tenté de répondre. Avant de présenter l'expérience de nos informateurs et informatrices, nous élaborons brièvement les caractéristiques et conditions de l'intégration en milieu urbain. L'INTÉGRATION AU MILIEU URBAIN La documentation récente sur les jeunes adultes parle plus d'insertion que d'intégration. De nombreux aspects de la réalité actuelle des jeunes adultes se stigmatisent en effet autour de leur insertion professionnelle et sociale. Ouédraogo et Piché (1995, cités dans Assogba, 1997) définissent l'insertion sociale comme un processus « constitué des différents mécanismes qui permettent aux migrants de participer, outre à l'activité économique, à la vie sociale du milieu d'accueil ». La documentation sur la migration a tour à tour privilégié l'un et l'autre termes (Nicole-Drancourt et Roulleau-Berger, 1995 ; Conseil supérieur de l'éducation, 1997). Le concept d'intégration a surtout été utilisé dans un contexte de migration de groupes ou de personnes d'origine ethnique différente de celle de la société ou du milieu d'accueil. « Intégration désigne [un] contact culturel intermédiaire entre l'assimilation et la juxtaposition, tenant compte des deux cultures en contact, celle des arrivants et celle de la communauté d'accueil, et constituant une nouvelle dynamique et une nouvelle synthèse » (Harvey, 1994). Dans un contexte de migration en milieu urbain, Assogba précise : « L'intégration urbaine se présente comme un processus plus ou moins long allant de la forme d'insertion qui répond aux besoins de premières nécessités, tels que le logement et la nourriture, à la forme socioprofessionnelle "d'autonomisation" des personnes dans les cas où la migration n'a pas été immédiatement suivie d'une occupation professionnelle » (Assogba, 1997). « L'intégration au milieu urbain suppose des changements importants dans le système des relations sociales des migrants, leurs notions de temps et d'espace ainsi que leur hiérarchie des valeurs » (Messier et Marois, 1972, p. 109). On parle aussi dans ce sens d'adaptation qui se définit « comme un processus d'interaction entre l'individu et le milieu, qui doit amener chez l'un et chez l'autre les changements nécessaires pour assurer un degré utile d'adaptation » (Abramson, 1969).
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L'intégration d'une personne « à la grande société » met en cause toute la personne et pas uniquement son comportement économique. Elle [l'intégration] se manifeste de différentes façons: (1) partage des occasions de consommation normale, (2) participation aux activités de groupes ou de collectivités, (3) rapport harmonieux avec le milieu urbain, (4) interaction avec le milieu social d'une façon qui concrétise les valeurs de la société tout en permettant à l'individu de se développer et de satisfaire à ses aspirations (Abramson, 1969). De plus, un problème ou « défaut » d'adaptation d'une personne à un moment donné, problème qui peut se manifester par de la tension et du mécontentement, est, d'après Abramson, « normal », voire socialement plus souhaitable que l'acceptation ou la résignation. Dans la recherche dont il est question ici, nous avons retenu le terme intégration pour désigner le processus d'insertion sociale et professionnelle des jeunes adultes dans l'une ou l'autre des grandes villes du Québec, processus qui comprend en particulier l'établissement de nouveaux rapports à l'espace urbain. La contribution actuelle présente essentiellement une description de l'expérience de l'intégration de jeunes adultes québécois qui ont migré vers les grands centres urbains du Québec et s'y installent. L'expérience de l'intégration comprend trois étapes ou moments précis : 1) l'arrivée, les premières impressions et les premières expériences, 2) la familiarisation et, enfin, 3) la vie actuelle et les projets. Comme la migration, l'expérience de l'intégration des acteurs s'analyse à partir de trois niveaux de déterminants socioculturels : certains éléments appartiennent au niveau le plus large du système socioculturel ; c'est le cas de l'espace urbain à proprement parler ; d'autres éléments appartiennent au niveau dit mésosocial, celui qui recouvre le milieu de vie habituel de la personne, comme son réseau social, et, enfin, certains éléments d'analyse de l'intégration renvoient à des caractéristiques liées à la personne elle-même, soit au niveau microsocial. ÉLÉMENTS DE MÉTHODOLOGIE La recherche globale de laquelle le présent corpus est tiré a été menée auprès de 67 jeunes adultes migrants sur une période d'environ un an à partir de l'automne 19965. Afin d'étudier le processus d'intégration dans les grands centres urbains, nous avons constitué un corpus des 44 jeunes
5. Cette enquête s'est effectuée dans le cadre des travaux du Groupe interdisciplinaire et interuniversitaire de recherche sur les migrations des jeunes, coordonné par Madeleine Gauthier de l'INRS-Culture et société.
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migrants qui habitaient l'une ou l'autre des trois communautés urbaines au moment de l'entrevue : 24 d'entre eux habitaient Montréal et les 20 autres se répartissaient également entre Québec et Hull. Le corpus est constitué de 21 jeunes hommes et de 23 jeunes femmes âgés de 25 ans en moyenne et habitant la ville d'accueil depuis un peu moins de trois ans au moment de l'entretien. Plus de la moitié des informateurs et informatrices sont célibataires et un peu plus du tiers (dont une personne divorcée) vivent une relation de couple. Enfin, trois personnes seulement sont mariées. Les 44 informateurs et informatrices formant notre corpus viennent de presque toutes les régions du Québec, avec une concentration plus marquée de la région du Saguenay. Un examen de la trajectoire de migration à partir de 15 ans6 permet de noter des faits significatifs sur la mobilité spatiale de ces jeunes. La majorité d'entre eux ont effectué de nombreux déplacements entre l'âge de 15 ans et le moment de l'entrevue. Plus précisément, ils ont habité trois lieux différents en moyenne après avoir quitté le lieu habité à 15 ans. Les jeunes adultes qui se retrouvent à Hull ont fait près de deux fois plus de déplacements que ceux et celles qui habitent Montréal et environ 30 % de plus que les jeunes qui habitent Québec. Les jeunes adultes qui choisissent de migrer vers Montréal ont donc beaucoup moins de déplacements à leur actif. On peut penser que les défis liés à l'adaptation dans un milieu fortement urbanisé seront pour ces derniers plus difficiles à relever. Ces défis pourront toutefois être atténués par le fait qu'ils ont tous habité - à une exception près - une ville de taille moyenne, par exemple Chicoutimi ou Sherbrooke. Au moment de l'entretien, 19 personnes s'attribuaient le statut d'étudiant ou d'étudiante, presque autant, soit 18, le statut de travailleur ou de travailleuse et, enfin, 7 personnes se déclaraient sans emploi. Le niveau de scolarité atteint par les informateurs et informatrices est le suivant : sept personnes n'ont pas dépassé le niveau secondaire ; quatre d'entre elles n'ont pas décroché un diplôme d'études secondaires. Onze personnes ont entrepris des études collégiales ; trois d'entre elles seulement ont obtenu leur diplôme d'études collégiales. Enfin, 26 personnes, soit plus de la moitié de l'ensemble des informateurs et informatrices, ont entrepris des études universitaires, mais seulement 10 d'entre elles ont terminé un premier cycle universitaire et 2 d'entre elles, un deuxième cycle. 6. L'âge de 15 ans correspond au début de la période au cours de laquelle nous avons répertorié les déplacements. Nous avons fait l'hypothèse que les déplacements antérieurs à cette période ont été effectués essentiellement en famille. De plus, ils ont été faits avant le début de l'entrée dans l'âge adulte.
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LE PROCESSUS D'INTÉGRATION AU MILIEU URBAIN DES JEUNES MIGRANTS QUÉBÉCOIS L'analyse des propos des jeunes migrants interviewés dans le cadre de la présente recherche nous a permis de décomposer le processus d'intégration en trois étapes ou moments distincts. En guise d'introduction à ce processus, nous exposons quelques considérations en amont de l'arrivée des jeunes migrants dans les grandes villes. LES PRÉALABLES À L'ARRIVÉE Les jeunes adultes qui viennent s'installer à Montréal ou Hull connaissent-ils la ville dans laquelle ils débarquent ? Comme nous le verrons dans ce qui suit, le sentiment d'étrangeté qu'ils éprouvent dans l'expérience des premiers moments suivant l'arrivée confirme qu'ils sont effectivement très peu nombreux à posséder une connaissance antérieure de la ville d'accueil. Nonobstant de brefs séjours pour des vacances ou du magasinage, migrants et migrantes atterrissent dans la grande ville avec une connaissance très limitée de ses aménagements et de ses ressources. Comment, alors, se donner des conditions d'habitation satisfaisantes quand on ne connaît pas la ville ? Peut-on même parler de choix ? De plus, les jeunes rencontrés sont peu nombreux à être venus explorer les possibilités d'hébergement avant leur arrivée définitive. Par ailleurs, disposent-ils d'une période de temps suffisante pour explorer la ville avant de s'y installer, pour choisir un quartier de résidence ? Dans la grande majorité des cas, il semble qu'il n'y ait pas de période d'exploration antérieure au choix d'un logement. Pour les étudiants et étudiantes, l'arrivée dans la ville d'accueil se fait habituellement vers la fin de l'été, un peu avant le début de l'année scolaire. Or, le marché de la location s'ouvre annuellement dans les grandes villes au printemps. Lorsque les jeunes étudiants arrivent en ville, le marché est donc restreint. LES PREMIÈRES IMPRESSIONS, LES PREMIÈRES EXPÉRIENCES La première étape du processus d'intégration varie de quelques semaines à quelques mois selon les jeunes migrants. Ces derniers ont été très volubiles à propos de cette première période. On peut donc penser que les souvenirs qu'ils en gardent sont encore vifs. Cette première étape constitue de notre point de vue une étape significative du processus d'intégration.
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Ce qui unifie ce premier moment dans l'expérience des jeunes adultes et le distingue de l'étape de la familiarisation et de la vie actuelle, c'est l'inconnu, l'élément de nouveauté, d'étrangeté, d'altérité qui colore toutes les impressions, toutes les activités, toutes les expériences. Ce premier moment représente pour une très grande majorité des jeunes migrants interviewés une période qualifiée de « difficile ». Comme le rapporte en substance l'un d'entre eux : quand on arrive, il faut tout apprendre ; on a un réseau très réduit ou inexistant et, enfin, on se méfie des étrangers. C'est donc autant dans le rapport à l'espace urbain que dans le rapport à ses citoyens et citoyennes que se vit l'étrangeté. L'expérience de l'espace urbain dans son étrangeté Les premières impressions, pour certains jeunes adultes, se cristallisent autour des bruits de sirène des voitures de police et des ambulances. Plusieurs d'entre eux vivent ainsi une grande insécurité, comme cette jeune femme de 23 ans qui avait 19 ans au moment de son arrivée à Montréal. « La première fois que j'ai eu à me rendre dans un autobus, dans un métro, là, "Ah ! j'ai eu peur !" Je me disais : "Estce que je vais le voir, le métro ? Est-ce que je vais débarquer ? Si je ne sonne pas, est-ce qu'il va arrêter ? Est-ce qu'il va falloir que je sonne ? Laquelle ? C'est où l'arrêt ?" J'avais tout écrit sur un papier » (AM20-59). Le stress que représente la première expérience des transports en commun a été souligné par plusieurs migrants et migrantes. Pour une jeune femme de 21 ans, « prendre l'autobus [à Québec] et partir toute seule. Ça c'était le stress, c'était vraiment un stress incroyable » (QC06-26). On vit aussi un choc devant l'anonymat qui caractérise les grandes villes ou devant les conditions concrètes d'habitation. Le quartier que l'on habite est fortement lié à l'expérience que l'on aura de la ville d'accueil au cours de la première année. Si le choix du logement ou du quartier ne convient pas, il faudra en général attendre un an avant de déménager dans un quartier ou un logement plus adéquats. Au départ, toutes les conditions me disaient de m'en retourner chez nous [rire]. [...] Parce qu'en plus, quand je suis arrivée à l'appartement, je l'avais pas vu l'appartement où je m'en allais. C'est mon copain qui l'avait choisi. J'étais dans Côte-des-Neiges. C'était très, très pauvre. Ce n'était pas très propre. J'étais dans un petit appartement. C'était un trois et demi ; moi, j'appelais ça mon garde-robe. Mais c'était un bloc où il y avait quelque chose comme 45 logements. Alors, c'était gros ; en tout cas, rien de ce qu'il y a de beau à Montréal. Je pense qu'à ce moment-là, je serais repartie tout de suite. je voyais ça tellement gros. Là, je réalisais vraiment ce que je venais de faire... (AM10-50F).
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Une étude portant sur la situation actuelle du logement des jeunes adultes de moins de 30 ans au Canada (Rose, Mongeau et Chicoine, 1999) révèle que les jeunes hommes et les jeunes femmes n'ont pas le même rapport au logement. D'après Rose et al. (1999), les jeunes femmes seules mettent plus d'argent dans le logement que les jeunes hommes seuls même si leurs revenus sont généralement plus bas. Cela amène les auteurs à affirmer que les jeunes femmes accordent plus d'importance au logement que les hommes du même groupe d'âge et y consacrent une plus grande part de leurs revenus, quitte à dépasser la norme d'accessibilité. Par ailleurs, cette étude révèle que le degré de satisfaction des jeunes adultes par rapport à l'état du logement est généralement assez élevé, mais qu'il varie en fonction du type de ménage et de la catégorie d'âge. L'une des critiques les plus fréquentes est liée à la taille insuffisante du logement. Les ménages dirigés par des femmes sont plus nombreux à manifester de l'insatisfaction relativement à la sûreté et à la sécurité du logement. La prise de contact avec les urbains et l'expérience de la solitude L'étrangeté des personnes peut parfois se combiner à l'étrangeté de l'espace urbain pour augmenter l'inquiétude des premiers moments. La très grande majorité des informateurs et informatrices parlent en effet de « choc » et, surtout, de peurs et de méfiance à l'endroit des habitants des grandes villes, en particulier de Montréal et des Montréalais. J'ai été choquée un peu, j'ai été sous le choc quand j'ai vu les Montréalais. Quand j'ai vu qu'il y avait beaucoup de monde qui se connaissait. Quand j'ai vu comment ils s'habillaient, comment ils avaient l'air « snob » et comment c'était bourgeois. Il y avait une attitude de tout le monde qui se dégageait que j'aimais pas et je trouvais ça dur d'aller vers les gens dans des conditions comme ça. Tu as l'impression qu'ils vont s'en foutre de toi. Ça allait bien avec l'image des Montréalais que les gens de la campagne se donnent (AM-05-13). L'étrangeté peut prendre tour à tour, par exemple, le visage des itinérants ou des minorités visibles. Dans le cas précis de la métropole, des jeunes ont mentionné certains quartiers où les résidents se montrent plus accueillants à leur endroit. Par ailleurs, un jeune migrant à Hull est surpris de constater que la majorité des résidents de la zone urbaine sont, comme lui, des migrants. Le malaise qu'éprouvent les jeunes migrants à leur arrivée dans la ville d'accueil, quoiqu'il varie d'une personne à l'autre, se compare à celui ressenti au contact d'une culture étrangère. Ce choc culturel est en partie imputable à l'absence de synchronie avec l'entourage, au fait de ne pas vivre au même rythme que les autres. « On peut [...] affirmer que des
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séries complexes de rythmes entremêlés dominent le comportement des individus» (Hall, 1984). Chacun des groupes culturels a son rythme propre. En tant qu'Occidentaux, nous croyons à tort que « chaque individu est complètement indépendant des autres, et que notre comportement est déterminé par nousmêmes, isolé du monde extérieur et des autres êtres humains » (Hall, 1984, p. 188). Or la réalité est tout autre. De nombreuses études ont en effet démontré que dans les relations interindividuelles de la vie courante « les individus synchronisent leurs mouvements de manière tout à fait étonnante » (Hall, 1984, p. 36). D'après l'anthropologue Hall, cette synchronisation varie selon la personnalité de chacun, mais la culture y joue un rôle déterminant. Une autre réalité frappe un grand nombre des jeunes migrants : c'est l'expérience de la solitude, du moins au début, expérience qui peut varier dans sa durée selon les personnes et les conditions de vie. Plusieurs jeunes migrants arrivent dans la ville d'accueil sans y connaître qui que ce soit. Une jeune femme de 23 ans souligne une difficulté personnelle liée à la solitude : « Encore une histoire d'ennui! [rires] Moi, c'est tout le temps ça, à bien y penser. Je suis arrivée à Sainte-Foy, ça m'a pris comme je ne sais pas combien de temps à m'habituer. Je suis arrivée à Gaspé, ç'a été la même affaire. Je suis revenue ici, à Lévis, ç'a été la même affaire... » (QC10-41). Certaines informatrices attribuent l'expérience de la solitude à leur seule personnalité, mettant de côté les conditions objectives de vie à l'arrivée, bien que celles-ci soient éprouvantes pour la majorité. L'apprentissage de l'autonomie Le défi que représentent les premiers moments dans la ville d'accueil est largement amplifié par l'exigence d'un apprentissage accéléré de l'autonomie. Nous l'avons déjà vu, la nécessité de se loger constitue un défi de taille. De plus, cette autonomie soudaine comporte la nécessité de devoir gérer son budget. Il faut s'organiser pour payer ses comptes ! Pour plusieurs, c'est une première ! De l'avis de Rose et al., ce sont là des éléments clés qui différencient l'entrée dans la vie adulte des autres périodes de vie. Aujourd'hui, le fait d'apprendre à se débrouiller pour payer le loyer et à gérer le budget du ménage est devenu un élément clef de l'intégration sociale des jeunes, qu'ils soient étudiants, travailleurs ou chômeurs, et le partage du logement paraît propice à la socialisation et à la négociation d'un régime de vie domestique. [...] L'acquisition progressive de l'autonomie résidentielle leur donne confiance en eux et elle est généralement perçue comme un signe de l'approche de la maturité (Rose et al., p. 11). Bref, l'adaptation à une nouvelle vie dans la ville d'accueil constitue une expérience difficile. L'étudiant doit s'adapter à un nouvel établissement d'enseignement, le travailleur se voit contraint d'apprivoiser un nouvel
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emploi ou, pire, de relever le défi de la recherche d'emploi. Par contre, certains jeunes de la rue, ayant sans doute une échelle de valeurs qui leur est propre, de même que des attentes et des projets différents des autres migrants, n'expriment pas d'inconfort majeur à l'arrivée : « Je suis arrivé à Montréal depuis trois jours et je n'ai encore manqué de rien » (AM21-61M). Éléments facilitant l'intégration au milieu urbain Au niveau macrosocial, le dynamisme économique de la ville d'accueil et l'offre d'emploi constituent des éléments clés du processus d'intégration. Dans ce sens, un migrant affirme que le fait de trouver rapidement un emploi a facilité son intégration. Mais l'affaire la plus importante [...] par rapport aux moyens d'intégration [...] Moi, mon moyen d'intégration, ça été, après trois jours, de trouver un emploi [...] Ce n'était pas payant à l'hôtel où j'ai travaillé, mais d'un autre côté, ça m'a fait connaître un réseau social. Des amis... Et c'était des amis que je voyais en dehors du travail aussi. C'était des gens qui étaient quand même sérieux, donc c'était agréable (AH02-31). En deuxième lieu, des éléments du niveau mésosocial contribuent eux aussi à faciliter le processus d'intégration. Il va de soi que le fait de migrer avec un membre de son réseau, par exemple un conjoint, ou de retrouver à l'arrivée une partie de son réseau primaire7 facilite les premiers moments. Lorsque, de plus, un membre du réseau primaire invite le jeune migrant à partager son lieu de résidence, c'est un stress de moins pour ce dernier. Précisons toutefois que cette situation comporte aussi ses difficultés. Certains informateurs et informatrices ont par ailleurs précisé que le soutien des membres de la famille installés en ville s'était avéré limité. Par ailleurs, le fait de maintenir des contacts étroits avec le réseau d'origine pourra aussi atténuer les défis inhérents à la migration dans un grand centre urbain. Un certain nombre d'informateurs et d'informatrices ont ainsi précisé qu'ils retournaient les week-ends dans leur localité d'origine, et ce, durant un certain temps après la migration. Enfin, la possibilité de recréer un réseau rapidement contribue bien évidemment à briser l'isolement et le sentiment d'étrangeté. 7. Le réseau primaire est constitué par l'ensemble des relations affectives significatives d'une personne. Le réseau secondaire, quant à lui, est formé d'un ensemble de personnes qui partagent un même rôle ou une même fonction ; l'ensemble des personnes syndiquées d'un même syndicat, par exemple. Le réseau primaire et le réseau secondaire composent le réseau social d'une personne. Voir D. Desmarais (1996).
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Plusieurs jeunes migrants rencontrés à Montréal nous ont fait remarquer qu'il était très facile de repérer d'autres jeunes migrants et d'entrer en contact avec eux, même s'ils viennent de régions différentes. L'un d'eux souligne même qu'il se sentait plus d'affinités avec une étudiante française qu'avec des étudiants d'origine montréalaise. Je ne sais pas si ça se sent qu'on est des « immigrants » mais, tout de suite, le contact se fait plus facilement [...]. Bien, tous ceux qui viennent ici, qui ne sont pas originaires de Montréal sont comme moi, je pense... les yeux grand ouverts puis... C'est facile de nous surprendre, on n'est pas « blasés ». Je pense que ça se voit et quand on se parle... « Wow, as-tu vu ça ? » Eux autres (les Montréalais d'origine), ils sont écoeurés, ça fait long temps qu'ils voient ça (AMO1-06M). L'arrivée dans un grand centre urbain peut aussi être facilitée par des caractéristiques microsociales, tels des traits de personnalité : l'attrait de la découverte, la curiosité et l'intérêt pour la ville, l'histoire de la personne et, plus spécifiquement, sa connaissance antérieure de la ville d'accueil. L'arrivée dans un grand centre urbain peut de plus être facilitée par le statut socioéconomique. Il semble bien que les étudiants et étudiantes bénéficient d'un avantage sur les travailleurs et travailleuses en quête d'emploi. Dès que l'année scolaire débute, les étudiants sont mis en présence de camarades dont certains partagent une expérience identique, celle d'être des migrants. Cette similitude de situation pourra dans certains cas favoriser la création de liens amicaux, voire amoureux. Des activités liées à la vie étudiante, dans les cours ou à l'extérieur des salles de classe, offrent aussi à ces jeunes des occasions de sociabilité. De plus, le fait d'habiter une résidence universitaire peut aussi contribuer à l'établissement d'un nouveau réseau social. Difficultés liées au processus d'intégration au milieu urbain Un grand nombre des difficultés liées à l'intégration des jeunes adultes migrants aux grands centres urbains relèvent d'un niveau d'analyse macrosocial. Certaines sont associées à l'expérience même de la migration. La ville d'accueil ne paraît pas plaire d'emblée à tous. S'ajoutent la difficulté initiale à s'orienter dans l'espace urbain et la méconnaissance de l'anglais, tant à Montréal que dans la région de la Capitale-Nationale, du moins selon certains informateurs et informatrices. Certains obstacles sont liés au milieu urbain. On ne peut que rappeler comment les transformations profondes du marché de l'emploi et le niveau élevé de chômage, à Montréal plus particulièrement, augmentent les difficultés de se trouver un emploi rapidement, même pour des diplômés. Par ailleurs, certains jeunes ont été témoins d'un acte criminel ou victimes de violence. Les femmes sont plus vulnérables dans ce dernier cas.
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Un certain nombre des obstacles analysés s'articulent sur le plan mésosocial. Certaines difficultés d'intégration sont liées à l'absence de tout réseau primaire. Un jeune informateur nous confiait ainsi tristement qu'il avait fêté ses 20 ans tout seul car, disait-il, son réseau d'amis n'était pas encore formé ! D'autres difficultés d'intégration sont liées au type de rapports des migrants à leur réseau primaire ou, encore, aux caractéristiques des réseaux secondaires de la ville d'accueil. Comme on l'a vu, le réseau social joue un rôle de facilitation dans les premiers moments pour certains. À l'inverse, d'autres jeunes adoptent une stratégie d'évitement délibéré du réseau familial installé dans la région d'accueil. Ces situations sont susceptibles d'accentuer l'expérience de la solitude à l'arrivée en ville. Enfin, les difficultés déjà énumérées pourront être amplifiées par un certain nombre de contraintes liées au statut socioéconomique. L'étrangeté du nouveau milieu s'additionne par ailleurs à l'exigence d'adaptation eu égard à un nouveau statut : celui d'étudiant, aux études collégiales ou universitaires, ou encore celui de travailleur. On ne doit pas minimiser le défi que représente le passage d'un niveau d'études à un autre et l'adaptation à un nouvel établissement d'enseignement. Le fait d'être pensionnaire limite l'exploration de l'espace urbain. Des difficultés financières peuvent avoir le même effet ! De plus, la peur et l'insécurité amènent certains jeunes migrants à limiter au minimum les sorties et l'exploration de l'espace urbain. En bref, l'arrivée dans la ville d'accueil représente un défi de taille pour l'ensemble des jeunes migrants. Que ce soit sur le plan de l'espace urbain à apprivoiser, des relations interpersonnelles à créer avec des inconnus, des sentiments négatifs à vaincre, les premières semaines, voire les premiers mois sollicitent les ressources adaptatives des jeunes adultes migrants. LA FAMILIARISATION Le rapport global des jeunes migrants à la ville d'accueil se transforme progressivement. Après un certain nombre de semaines ou de mois, l'analyse des propos des jeunes migrants sur leur expérience de la ville d'accueil permet d'observer un passage de l'étape du choc initial, pourrait-on dire, à une exploration, une découverte progressive des possibilités et des caractéristiques de la ville d'accueil. La période de familiarisation peut s'étendre jusque vers la fin de la deuxième année de vie dans la ville d'accueil, ce moment ayant été considéré dans la documentation comme un point charnière de l'intégration en milieu urbain.
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La familiarisation avec l'espace urbain Les stratégies de familiarisation sont diversifiées. Elles varient en fonction du temps que l'on se donne et des priorités que l'on se fixe. Certains jeunes migrants plongent d'emblée dans une exploration systématique de l'environnement physique immédiat et plus global. Ceux-là nous ont assurés qu'ils se sentaient à l'aise dans la grande ville après seulement quelques semaines ! Plusieurs jeunes migrants ont rapidement apprécié la diversité et l'accessibilité des activités culturelles de la ville d'accueil. À l'opposé, une jeune femme, ne disposant que des week-ends pour explorer la ville, l'a fait à son rythme, seule. « J'ai découvert Montréal beaucoup plus par moi-même qu'avec des amis parce que moi j'étais toute seule les fins de semaine... [...] J'en profitais pour ne pas voir personne et aller vraiment découvrir Montréal. Un peu comme ce que je disais de Québec tantôt, faire ce que je veux, m'arrêter quand je veux et voir ce que je veux » (AM-05-13). Une autre jeune femme a vécu une familiarisation par un recours très progressif aux services urbains : médecin, dentiste, garagiste, etc. Durant plusieurs mois, elle continuait d'avoir recours aux services de sa région d'origine (Mauricie-Bois-Francs). La fréquentation des infrastructures et activités disponibles dans la ville d'accueil permet d'atténuer les peurs et les inquiétudes suscitées par le milieu d'accueil. « Après, quand j'ai commencé à rester plus en ville, je me suis aperçue que c'était bien moins épeurant parce qu'il y avait bien plus de monde [que dans le quartier de résidence] » (AM08-16). Le recours progressif aux services s'accompagne pour plusieurs d'un intérêt grandissant pour la ville d'accueil. Ces deux caractéristiques participent d'un même mouvement d'ouverture à la ville d'accueil suivant le choc initial. Toutefois, l'exploration des services offerts dans le milieu urbain peut demeurer ardue pour certains, même après la période initiale de contact. Une familiarisation progressive n'efface pas toute trace des premières appréhensions, des premières craintes pour un certain nombre de jeunes migrants, telle cette jeune femme qui a mis beaucoup de temps à surmonter sa peur de voyager seule en autobus. «Je te dirais que les deux ans de Limoilou, ç'a été deux ans où j'ai été comme insécure, où je n'étais jamais toute seule, j'avais toujours quelqu'un avec moi » (QC-06-26). Dans le même sens, toute la première année a été difficile pour une jeune migrante à Montréal: elle ressent beaucoup d'isolement, son amoureux la quitte, elle vit des problèmes avec une co-locataire et, à l'université, les contacts avec ses camarades ne sont pas satisfaisants. On ne s'étonnera pas que cette jeune femme originaire de l'Outaouais déteste Montréal ! Ni qu'elle ajoute que les Montréalais ne sont pas chaleureux !
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Un réseau social en profonde transformation Que l'on vive à Montréal, à Québec ou à Hull, l'étape de la familiarisation constitue une période charnière en ce qui a trait au réseau social. « Avec le temps, le réseau d'ami(e)s change » (QC07-27F). Trois caractéristiques marquent la transformation du réseau : les jeunes créent progressivement de nouvelles amitiés, une majorité d'entre eux maintiennent des contacts avec au moins une partie de leur réseau antérieur et, enfin, ils sont nombreux à signaler la perte d'un certain nombre de relations. L'adaptation progressive au milieu urbain donne aux jeunes migrants l'occasion de créer de nouvelles amitiés «plus tard au cours de la première année » (AH03-32F). Comme le précise un jeune installé à Montréal, on peut se faire beaucoup de connaissances, « [...] mais ça prend du temps pour se faire des [vrais] amis » (AM04-12M). Certains de ces amis vivent en couple et, les jeunes migrants étant presque tous célibataires, ils devront s'adapter aux exigences de ce type de situation. Dans le même sens, les nouvelles relations ne sont évidemment pas toutes aussi satisfaisantes les unes que les autres. Les relations amoureuses sont elles aussi affectées par le changement majeur de vie qui accompagne la migration. C'est à l'étape de la familiarisation que certains de ces jeunes mentionnent la naissance d'une nouvelle relation amoureuse. Enfin, parmi toutes les nouvelles relations créées, celles qui se construisent avec les colocataires peuvent être éprouvantes. Certaines jeunes femmes en particulier ont avoué que leur première année dans la ville d'accueil avait été « difficile », voire « pénible », parce que les relations avec les colocataires s'étaient avérées désastreuses. Soulignons que depuis 1988 la stratégie de partage d'un logement avec des colocataires est en hausse dans les grandes villes canadiennes chez les moins de 30 ans (Rose et al., 1999, p. 21). Elle varie cependant en fonction de la taille de la ville : « [...] les jeunes de 20-25 ans sont plus nombreux à partager un logement avec des colocataires [...] dans les villes de 500 000 habitants ou plus que dans les villes de moindre taille, tandis que les jeunes des villes ou localités de moins de 30 000 habitants sont plus susceptibles de vivre en couple avec des enfants [...] » (Rose et al., 1999, p. 7-8). Les contacts avec le réseau antérieur sont maintenus principalement de deux façons : par des visites occasionnelles des amis de la région d'origine et par des retours des jeunes migrants dans leur région d'origine. Le rythme des retours dans la région d'origine, par contre, semble plus variable. Ils peuvent être très fréquents, comme dans le cas d'un sportif qui, installé à Montréal, retourne à Québec, sa ville d'origine, tous les week-ends au
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cours de la première année pour jouer au hockey avec ses copains. À l'opposé, les retours peuvent être très espacés dans le cas de jeunes migrants originaires de régions éloignées. Certains autres étudiants sont retournés dans leur région d'origine dès la première semaine de relâche à l'automne. Pour les personnes aux études, les retours sont rythmés par les congés scolaires : les semaines de relâche à l'automne et moins fréquemment à l'hiver, le congé de Noël et, enfin, les grandes vacances estivales. Mais si, « avec le temps », on crée de nouvelles amitiés, « avec le temps, c'est sûr que tu en perds [des amis] ». C'est sans doute après le choc de l'arrivée dans la grande ville que le vide créé par l'éloignement du réseau se fait le plus sentir. C'est durant la période de familiarisation qu'on prend toute la mesure des coûts affectifs du départ, des séparations. Plusieurs jeunes migrants nous ont parlé de la solitude qu'ils ont vécue durant cette période en particulier. Une familiarisation variable selon les caractéristiques individuelles La familiarisation, en tant qu'étape d'intégration au milieu urbain, prend une couleur différente selon le statut occupé. Comme on l'a vu précédemment, le statut d'étudiant ou d'étudiante peut favoriser la création de nouvelles relations sociales. Il en est de même du statut de travailleur, de travailleuse. Que ce soit un emploi à temps partiel ou un emploi d'été pour des étudiants, des étudiantes, un emploi régulier pour des travailleurs, des travailleuses potentiels, l'obtention d'un emploi contribue à la familiarisation avec la ville d'accueil et, plus globalement, à l'insertion sociale. Un emploi procure à la personne un ensemble de bénéfices psychosociaux8, dont une socialisation dans le milieu de travail et secondairement dans la ville d'accueil, qui vont dans le sens de l'insertion et qui contribuent à donner du sens à la vie. Dans la conjoncture actuelle, l'obtention d'un emploi satisfaisant constitue un défi de taille pour des jeunes dont la connaissance de la ville d'accueil et de ses réseaux secondaires propres est limitée. Un échec à ce chapitre détermine le niveau de bien-être des jeunes dans cette période d'insertion, car il a des répercussions sur le revenu des jeunes et, plus globalement, sur leurs conditions de vie, en plus d'avoir un impact direct sur le réseau social. Quels effets, par ailleurs, a le cumul des statuts d'étudiant et de travailleur sur la reconstruction d'un réseau social et par conséquent,
8. Cet aspect a été plus particulièrement abordé dans le premier des trois textes suivants M. Jahoda et H. Rush (1980) ; D. Desmarais (1989) ; M. Vézina et al. (1992).
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sur l'intégration dans la ville d'accueil? Une jeune femme qualifie sa vie de trépidante : deux jours de la semaine sont occupés par ses cours et trois jours, par un emploi... Certains informateurs et informatrices nous ont parlé des exigences liées à leur vie en milieu urbain et du peu de place qu'occupent les loisirs dans l'aménagement de leur temps. Une jeune femme, à titre d'exemple, précise que durant sa première année à Québec elle « se concentrait uniquement sur ses études et ne s'impliquait dans rien » (QC06-26F). Enfin, exceptionnellement, on mentionne les effets positifs du bénévolat sur le plan de la sociabilité. LA PÉRIODE ACTUELLE ET LES PROJETS La période actuelle débute approximativement après les deux premières années de vie dans la ville d'accueil. Pour nos informatrices et informateurs installés depuis trois ans en moyenne, la période actuelle s'étend donc sur une année en moyenne. Le rapport à l'espace s'est profondément transformé pour la grande majorité des jeunes migrants. Ces informateurs et informatrices ont développé un rapport actif, dynamique, personnalisé à la ville d'accueil. Après cinq ans, un informateur dit : « Je ne vois plus la ville de la même façon » (AM17-54M). Ces jeunes migrants ont des activités qui leur permettent d'utiliser une grande variété de services et d'équipements collectifs pour les études et le travail, pour leur engagement bénévole le cas échéant, et aussi pour les loisirs, en soirée, durant les week-ends et les vacances : les bars, les restos, les lieux culturels, les espaces verts, etc. Les projets constituent un marqueur significatif de cette troisième étape d'intégration, car les acteurs s'y investissent personnellement en engageant leur présent et leur avenir et en participant à la vie sociale. Parler de projet à cette étape du processus d'intégration ne signifie nullement que les jeunes étaient sans projet auparavant. Au contraire. Le processus migratoire constitue en soi un projet de vie majeur. Or, à cette étape du processus d'intégration, nous constatons que les projets sont plus concrets, plus imminents, matérialisés à partir de ce que la ville et ses infrastructures institutionnelles et matérielles offre comme possibilités. De plus, les projets prennent forme à partir de la reconfiguration du réseau primaire : nouveau conjoint ou nouvelle conjointe, nouveaux amis, nouveau groupe d'appartenance, etc.
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À titre d'exemple, quelques jeunes ont mentionné leur projet d'achat d'une maison en banlieue. Ce type de projet s'inscrit dans le sens d'une tendance observée pour l'ensemble des jeunes adultes dans la région de Montréal, notamment. En 1996, les 20-30 ans sont - toutes proportions gardées - plus nombreux sur l'île de Montréal que dans l'ensemble du Québec ou dans les banlieues nord et sud de l'île. Mais, après 30 ans, cette tendance s'inverse. Les jeunes s'installent de plus en plus loin du centre de Montréal, dans la couronne nord et dans la couronne sud, plus encore qu'à Laval (Grégoire, 1999). Les jeunes adultes, y compris les migrants, se retrouvent donc en majorité dans un centre urbain comme Montréal à une certaine période de leur vie, mais semblent préférer s'éloigner du milieu urbain au moment de fonder une famille. Les projets de déplacements ne s'arrêtent cependant pas là, car certains envisagent de nouveaux départs vers un pays étranger. Dans cette troisième étape d'intégration, un nombre minoritaire de jeunes adultes conservent des craintes et des malaises liés au milieu urbain. Un jeune homme mentionne sa difficulté à s'adapter à cause du potentiel de violence de Montréal. Une jeune femme, qui abonde dans le même sens, conserve la crainte d'être agressée même après quelques années. Elle ajoute : « Je vais toujours l'avoir » (AM09-49F). Et enfin, paradoxalement, une personne mentionne explicitement que son rythme de vie était plus soutenu à la campagne qu'il ne l'est en ville, où c'est « monotone » (QC06-26F). Cela suggère bien évidemment un échec à l'intégration, une non-adaptation de la personne à son nouvel environnement, la perte d'un environnement où la personne était adaptée sur le plan des activités et des pratiques. La migration pour des jeunes adultes : encore plus de changements... La migration et l'installation subséquente en milieu urbain viennent exacerber les caractéristiques associées à l'entrée dans la vie adulte. La migration, dont le circuit comprend au moins un déplacement géographique, s'inscrit dans une période de vie déjà marquée par de multiples changements : sur le plan des études pour certains, sur le plan de l'emploi pour une grande majorité de nos informateurs et informatrices, sur le plan des relations de couple et, enfin, de la résidence. Contrairement à la trajectoire scolaire linéaire qu'ont vécue la plupart des baby-boomers, les jeunes adultes qui ont entre 18 et 30 ans aujourd'hui suivent un cursus scolaire plus long en moyenne et souvent marqué par des chevauchements entre les niveaux d'étude, des abandons, des hésitations, des doutes, des changements de domaine d'études, des
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recommencements et, bien sûr, pour une majorité de nos informateurs et informatrices, par l'obligation d'occuper un emploi à temps partiel pour survivre, pratique qui peut avoir des conséquences négatives tant sur la qualité de vie que sur le succès scolaire. «Je travaillais treize heures par jour, les deux journées de fin de semaine, et j'allais à l'école les cinq autres journées. J'ai toffé six mois de même. Je rentrais le matin bien de bonne heure, je faisais de la plonge jusqu'à trois, quatre heures, après ça j'embarquais sur la livraison jusqu'à onze heures le soir. [...] Oui, c'est rough le matin. Le lundi matin, mettons que je manquais souvent l'école » (AM22-62M). L'investissement des études est plus limité, car le temps et l'énergie le sont. Dans certains cas, les études peuvent même être abandonnées au profit de l'emploi. La précarité d'emploi qui est liée à l'insertion professionnelle des jeunes adultes d'aujourd'hui est pour sa part mieux documentée. Tant les étudiants et étudiantes qui occupent un emploi à temps partiel que les diplômés et autres travailleurs potentiels à la recherche d'un emploi stable connaissent une succession d'emplois précaires. Par ailleurs, comment des jeunes adultes, qui arrivent dans un milieu fortement urbanisé qu'ils ne connaissent pas, s'en tirent-ils dans leur recherche d'emploi ? Il semble qu'un emploi de subsistance n'est pas trop difficile à décrocher pour qui n'est pas trop exigeant. Mais la recherche d'un emploi stable s'avère beaucoup plus décourageante tant pour les étudiants qui obtiennent un diplôme dans la ville d'accueil que pour les migrants dont le motif principal de migration est lié à la recherche d'un emploi. On sait par ailleurs que les couples se forment plus tardivement chez les jeunes adultes d'aujourd'hui. Ce phénomène n'est pas sans lien avec les difficultés d'insertion professionnelle, d'une part, et le prolongement des études, d'autre part. Nos informateurs et informatrices ne nous ont pas beaucoup parlé de leurs relations de couple. Ceux et celles qui l'ont fait ont indiqué par leurs propos qu'ils vivent souvent une alternance de mises en couple et de ruptures. Enfin, on ne peut parler des multiples changements que vivent les jeunes adultes sans souligner leur mobilité résidentielle. Un bon nombre des jeunes adultes que nous avons rencontrés ont vécu de nombreux déménagements. Un certain nombre d'entre eux insistent sur leur grande mobilité. Un jeune homme de 28 ans, installé à Montréal depuis environ deux ans, dit: « C'est la première fois que je reste aussi longtemps dans une place... » (AM1439M). Ce jeune homme a vécu avec sa mère jusqu'à l'âge de 15 ans ; ils ont déménagé au moins huit fois durant cette période.
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Chez les jeunes adultes que nous avons rencontrés, le rythme des déménagements est variable. Mentionnons d'entrée de jeu que les quelques jeunes qui, à Montréal, peuvent être qualifiés de jeunes de la rue n'ont pas de domicile fixe. Ils se déplacent donc de refuge en refuge, selon la politique de ces lieux d'accueil, au bout de quelques jours. Pour d'autres jeunes, la fréquence des déménagements se calcule en mois. Ça peut être un changement de modalité résidentielle, comme dans le cas de ce jeune homme qui habite d'abord en chambre près de l'université où il étudie, avant de déménager avec des camarades d'études qui deviennent des colocataires. C'est aussi parfois une mauvaise expérience avec un ou des colocataires qui amènent un jeune migrant ou une jeune migrante à déménager avant la fin du bail (un an) ou de l'entente. Certains jeunes vont retourner habiter chez leurs parents durant une courte période. Les motifs qui entraînent ce retour sont variables, mais sont toujours marqués par un certain nombre de difficultés. Des difficultés financières peuvent entraîner un retour temporaire, de même que des ruptures amoureuses, voire un problème de santé mentale : détresse psychologique, état dépressif, etc. Le rythme des déménagements est annuel pour un grand nombre de jeunes migrants. Comme nous l'avons déjà vu, une méconnaissance de la ville et de ses quartiers entraîne des insatisfactions relatives au logement ou au quartier. Dans d'autres cas, le déménagement sera motivé par l'éloignement de l'établissement scolaire ou du lieu de travail. Il peut aussi s'imposer pour se rapprocher de parents ou d'amis et ainsi contrer un sentiment de solitude. Par ailleurs, plusieurs jeunes parlent de leur vie nomade, car ils vivent des déménagements - on pourrait parler dans ce cas de déplacements - saisonniers. Certains retournent l'été dans leur localité d'origine ou dans une localité de migration passagère pour y trouver un emploi. Certains jeunes partagent leur vie entre deux lieux de résidence, la semaine et les week-ends. Certaines jeunes femmes ont parlé de leur nomadisme entre leur propre appartement et celui de leur(s) copine(s). Les voyages de plusieurs mois à l'extérieur du Québec ne sont pas non plus exceptionnels. Enfin, on ne peut passer sous silence les changements de situation de vie fréquents - qui entraînent à leur tour des déménagements : formation d'un nouveau couple ou, au contraire, rupture, projet d'études ou de travail pour soi ou le conjoint, passage d'un statut d'étudiant ou d'étudiante à celui de travailleur, travailleuse, etc.
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EN GUISE DE CONCLUSION : LA NÉCESSITÉ DE STRUCTURES D'ACCUEIL DANS LES GRANDES VILLES En bref, l'étude du phénomène de la migration des jeunes adultes vers les grands centres urbains est récente. Or, on peut déjà en entrevoir l'importance pour l'avenir de la société québécoise en particulier. L'analyse des trois étapes que traversent les jeunes migrants dans le processus d'intégration aux grandes villes du Québec montre que ceux-ci éprouvent un certain nombre de difficultés. La mise sur pied de structures d'accueil pour ces jeunes migrants pourrait considérablement amenuiser ces difficultés. Plusieurs de ces initiatives ont trait à un réseau d'information semblable à celui que les grands centres urbains ont mis sur pied pour les touristes. C'est en diffusant une information adéquate et en favorisant l'accès à l'emploi et au logement pour les jeunes adultes que ces structures pourraient principalement jouer un rôle. Les établissements d'enseignement supérieur, qui disposent d'un service d'accueil aux étudiants étrangers, devraient aussi se préoccuper des jeunes qui arrivent des régions périphériques dans les grands centres urbains. En effet, les cégeps et universités accueillent chaque année une très grande population migrante. Ces institutions devraient mettre sur pied un bureau d'accueil destiné aux jeunes migrants. Celui-ci pourrait gérer une banque de chambres ou de logements à louer ou à partager, organiser une ou des rencontres d'intégration au tissu urbain. Le programme pourrait comporter une visite du campus ou de l'établissement, une présentation de tous les services offerts et des systèmes qui y donnent accès (cartes à puce, cartes de débit, carte d'identité, système informatisé de la bibliothèque, etc.). Un autre volet pourrait porter sur la ville d'accueil. Il pourrait comprendre un aperçu du plan de la ville, une présentation audiovisuelle des principaux points d'intérêt, un plan du système de transport en commun, ainsi que toutes les règles qui le régissent, une liste d'endroits à visiter ou d'activités à réaliser et même, pourquoi, pas, un tour de ville. En plus d'être une mine de renseignements utiles à une intégration plus rapide et mieux réussie, ces rencontres favoriseraient dans bien des cas un début de reconstruction du réseau social des jeunes migrants. On se souviendra que ceux-ci se reconnaissent facilement et sont enclins à partager leur expérience et leurs impressions de la ville d'accueil. Les grands centres urbains pourraient aussi développer un site Internet spécialement conçu pour les nouveaux arrivants. En plus des éléments mentionnés dans le paragraphe précédent, ce site pourrait comporter un plan détaillé de chaque quartier, et, pour ce qui est de Montréal, un plan
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de l'environnement immédiat de chacune des stations de métro du centre-ville. On pourrait aussi y retrouver un annuaire de tous les services disponibles (CLSC, centres hospitaliers, organismes communautaires, police, médecins, services publics, etc.), un agenda culturel continuellement remis à jour, un lieu où l'on peut poser des questions sur la ville d'accueil par courrier électronique, un guichet d'emploi, un forum de discussion, et même un chat qui permettrait aux nouveaux arrivants qui le désirent de discuter en direct et même de se rencontrer s'ils le souhaitent. Nous sommes persuadés que les coûts et l'entretien de ces sites seraient minimes compte tenu de l'importance de leur impact social. Ces sites ne pourraient bien sûr desservir que les gens qui ont accès à Internet, mais ne sont-ils pas de plus en plus nombreux ? Leur accessibilité pourrait aussi être fournie par les établissements d'enseignement (incluant même les écoles secondaires), les points de chute des bibliothèques municipales, les maisons de la culture ou leur équivalent en dehors de Montréal, de même que par divers organismes comme les comités de citoyens ou de développement communautaire. Pour faciliter l'arrivée dans la ville d'accueil, les sociétés de services publics, telles que les entreprises de transport en commun, devraient organiser des sessions d'information et des visites de l'espace urbain à la fin de l'été, ou au début de l'année scolaire, afin de permettre aux jeunes migrants de se familiariser avec les services. Les différents paliers de gouvernement devraient à notre avis se concerter par ailleurs pour favoriser l'accès des jeunes au logement. En conclusion à leur étude sur le logement des jeunes au Canada, Rose et ses collaborateurs ont souligné les difficultés qu'éprouvent les jeunes à « trouver un logement abordable, de taille adéquate et en bon état sans accorder aux dépenses de logement une part trop grande de leurs revenus (Rose et al., 1999). Comme le soulignent les auteurs, c'est particulièrement pour les jeunes ménages monoparentaux à chef féminin que c'est le plus difficile. Or, ces considérations valent aussi pour l'ensemble des jeunes, de notre point de vue. Enfin, nous avons déjà souligné l'importance pour les jeunes migrants de dénicher un emploi convenable le plus tôt possible. Leur autonomie d'adulte en dépend, de même que leur intégration au milieu urbain.
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NOUVEAUX VISAGES DE L'HOMOSEXUALITÉ
NATHALIE RICARD, M. SC. Centre local de services communautaires Notre-Dame-de-Grâce - Montréal-Ouest
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RÉSUMÉ Les conceptions de l'homosexualité évoluent : psychiatrisée, encore jugée criminelle dans de nombreux États, elle est tolérée au Québec. Nous invitons les intervenants à interroger leur pratique. Sert-elle de relais pour fixer les catégories de sexe et d'orientation sexuelle ? Sinon, comment aider la clientèle homosexuelle à s affirmer ?
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Le sexisme et l'hétérosexisme peuvent être utilisés en tant que repères analytiques pour saisir certains phénomènes ou problèmes sociaux. Ainsi, on pourrait avancer que la lutte contre le sexisme stagne actuellement parce qu'elle est dissociée de l'envers de sa médaille, soit la lutte contre l'hétérosexisme. Plusieurs garçons ont peur d'adopter des comportements dits féminins parce qu'ils craignent de passer pour des « femmelettes », des « tapettes », des « pédés », des « moumounes » ou d'être l'objet d'autres quolibets. L'étiquetage bat son plein dans les cours d'école et même dans les « aires de jeux » des plus âgés. L'homme dont la virilité est remise en question risque de se faire ridiculiser, rejeter par son groupe. Bien qu'elle soit critiquée, la logique binaire prédomine et rappelle qu'en dehors de la virilité loge la féminité et qu'en plus de l'hétérosexualité existent l'homosexualité et le lesbianisme. Les jeunes qui soupçonnent ne pas partager l'orientation sexuelle de la majorité ou qui en sont conscients manquent de soutien, vivent de l'isolement et font souvent une dépression. La combinaison de ces trois facteurs peut conduire aux idéations suicidaires (La Roche, 1999). Si nous nous ouvrions à la perméabilité des frontières identitaires de sexe et d'orientation sexuelle, nous craindrions moins l'homosexualité, la bisexualité ou la présence des caractères dits féminins ou masculins qui nous habitent et que nous pouvons être tentés d'explorer, d'exprimer, de manifester. C'est un apprentissage qui gagnerait à s'installer dès le plus jeune âge. Mais le décloisonnement des sexes et des genres déstabilise. Il fait appel à des notions fondamentales sur l'identité personnelle, le couple, la famille et la société, leurs mythes et archétypes, de même que sur les pouvoirs établis. Telle une boîte de Pandore qui s'entrouvre, une série d'interrogations se bousculent. Comment présente-t-on la sexualité, la morale sexuelle, la conception de la famille aux enfants, aux adultes, lorsque l'on combat l'hétérosexisme ? Si des hommes gais élèvent des enfants, comment ces derniers s'identifieront-ils au sexe féminin ? Est-ce important qu'ils le fassent ? Est-ce que les modèles psychologiques ou d'intervention élaborés à partir de la dynamique d'une famille nucléaire (hétérosexuelle, dont les enfants sont issus du couple parental biologique) s'appliquent à une famille gaie ? Si oui : laquelle ? Et si non ? Est-ce que l'hétérosexualité garantit la compétence parentale ? Parle-t-on d'une question de droit ou de discrimination lorsque l'accès à l'adoption et à l'insémination alternative est bloqué aux lesbiennes ? Peut-on parler d'une remise en question du sexisme dans les couples lesbiens butch-femme1 ? Que dire de l'éternelle « folle » aux côtés du clonage gai
1. Un ou une « butch » désigne une lesbienne aux allures masculines et une manifestation de l'identité lesbienne qui est encore courante. Sur les rapports butch-femmes, voir L. Chamberland (1993).
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et de son machisme2 ? S'adresse-t-on au féminin ou au masculin à une ou à un travesti ? Est-ce qu'une ou un transsexuel qui ne change pas son orientation sexuelle est vraiment transsexué ? Pourquoi faut-il cocher un sexe dans les formulaires? Pourquoi faudrait-il y indiquer une orientation sexuelle3 ? Que font les androgynes, les personnes bisexuelles? Si je désire une personne du même sexe que le mien, suis-je homosexuel (le) ? Vais-je le devenir? Comment est-ce que je réagirais si j'apprenais que mon frère « est aux hommes » et que mes parents ne veulent plus rien savoir de lui? Si ma soeur, mère de deux enfants, laissait son mari pour une... lesbienne?! Il appert que l'on se retrouve de plus en plus en présence de la diversité sexuelle à mesure que celle-ci revendique son existence dans les lieux communs... et moins communs. Par ailleurs, la plupart des questions proposées ci-dessus demeurent au niveau de la réflexion, bien que, depuis quelques années, des pistes de réponse se profilent. La « grande folle » caricature le féminin et rappelle le passage en psychiatrie de l'homosexualité. Elle repousse les limites, s'appuie sur l'irrationnel, la déraison, l'humour. « Folle », parce que l'homme quitte une position de dominant en adoptant ce rôle, parce qu'il plonge dans la déviance et une sexualité contre nature. Dans la nature des choses, et avec la bénédiction des dieux, l'homme et la femme sont faits pour s'accoupler et pour se reproduire. La transgression trouble. Des sentiments homophobes peuvent découler de ce malaise, de la peur que l'organisation sociale du sexe4 et de sa morale s'écroule. Aussi, un homme qui répondrait qu'il n'a pas de blonde parce qu'il aime les hommes risque de se faire agresser. Les demandes répétées à une lesbienne sur les raisons de son célibat, alors qu'elle pourrait être mariée (à un homme) et avoir des enfants, illustrent les attentes hétérosexistes prônées par le conformisme social, selon une conception biopsychologique de la réalisation personnelle5. Dans les pages suivantes, nous exposerons quelques éléments et enjeux pour aider à comprendre l'homosexualité et le lesbianisme et pour guider l'intervention. 2. Pour une explication, voir M. Pollack (1982). 3. Le prochain recensement canadien inclura, pour la première fois, l'orientation sexuelle pour identifier les répondants et les répondantes. 4. Sur l'organisation sociale du sexe, voir N.-C. Mathieu (1991). 5. Sur la contrainte à l'hétérosexualité, voir A. Rich (1981) et D. Altman (1976).
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L'HÉTÉROSEXISME COMME SOURCE DE DISCRIMINATIONS L'hétérosexisme, ou la discrimination systémique envers les lesbiennes, les hommes gais et souvent les personnes bisexuelles, opère comme une idéologie naturalisée. L'hétérosexisme peut se résumer en ces termes : la supposition que tout le monde est et devrait être hétérosexuel et que l'hétérosexualité est la seule forme normale d'expression sexuelle pour les personnes matures et responsables. Le sexisme, compris dans le concept d'hétérosexisme, renvoie à la domination économique et sociale d'un groupe par un autre, soit à l'oppression des femmes dans une société patriarcale. Pour saisir cette dynamique complexe, quoique souvent peu subtile, il faut se référer à la notion de genre6. Chaque genre renvoie à un sexe, à un ensemble de codes, de rôles et d'attentes, à des domaines respectifs. Dans le paradigme naturaliste, ces sphères sont conçues comme étant opposées quoique complémentaires. De plus, sexes biologiques et genres correspondent. L'ambiguïté sexuelle est mise de côté. Les politiques conservatrices et libérales puisent dans cette logique. De manière générale, les courants féministes cherchent à promouvoir l'égalité des sexes et à corriger une perception négative des femmes. À l'instar de nombreux chercheurs, il nous semble que les discriminations à l'égard de l'homosexualité ou du lesbianisme peuvent être difficilement appréhendées en dehors de cette notion d'hétérosexisme, d'une hiérarchisation des sexualités et des corps7, de cet enchevêtrement entre sexisme-hétérosexisme et homophobie8. On s'accorde généralement pour attribuer à Weinberg (1972) les premières définitions de l' « homophobie » (Welzer-Lang, Dutey et Dorais, 1994). Selon cet auteur, il s'agit de la peur de l'homosexualité ainsi que de la peur des contacts avec les homosexuels. Dans les dernières années, les recherches se sont tournées vers l'homophobie intériorisée, de même que sur des mesures pour cerner les comportements négatifs envers les personnes homosexuelles. Ces outils pourraient aider à prévenir les crimes haineux (Roderick et al., 1998)9. La thérapie cognitive s'est révélée porteuse de fruits pour modifier
6. Pour une définition du genre, voir J. Scott (1988). 7. Sur la hiérarchisation des sexualités, voir G. Rubin (1984). 8. Certains auteurs incluent l'analyse du racisme; voir C. Guillaumin (1992). 9. Il ressort que les hommes sont généralement plus homophobes que les femmes, que des contacts nombreux avec des gais et des lesbiennes réduisent les sentiments homophobes, que les préjugés sont déjà en place au début de l'adolescence et que, si on ne les combat pas, ils ne risquent guère de se modifier. Certaines personnes développent des comportements homophobes passifs et d'évitement (changer de place, changer des habitudes dans les toilettes, parler négativement, fixer les gens), alors que d'autres comportements sont actifs et agressifs (endommager des biens, écrire des graffitis, crier des injures, participer à des manifestations, battre, violer, tuer). Voir aussi J. Baker et H. Fishbein (1998).
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les perceptions négatives sur l'homosexualité (Coenen, 1998). Le visionnement de films sur les réalités gaies et lesbiennes facilite aussi la sensibilisation, la démystification et l'ouverture à la diversité. D'autre part, Cruikshank (1992) rapporte quelques exemples de l'homophobie qui a cours en sciences. Ces situations sont répandues aux ÉtatsUnis comme au Québec. Les historiens et historiennes des sciences ignorent ou mésestiment le rôle de l'homosexualité dans la vie de certains scientifiques comme Léonard de Vinci. Peu de personnes, en fait, ouvrent leur enseignement sur la diversité des réalités sexuées, maintenant ainsi leur occultation. Aussi, les couples lesbiens hésitent à fréquenter des cours prénataux même si un gaybyboom a cours (Rafkin, 1990 ; Tardif, 1995). De plus, la promotion du « sécurisexe » rejoint peu les jeunes gais dont la réalité semble relever de la pensée magique plutôt que de l'intérêt collectif. Bouchard et St Amant (1996) avancent que les élèves du secondaire reçoivent rarement de l'information au sujet de l'homosexualité et que celle-ci ne leur est pas présentée comme un modèle positif d'expression sexuelle, aussi légitime que l'hétérosexualité. Or, à l'adolescence, le rejet par la famille et par les pairs peut entraîner diverses difficultés (allant de la démotivation scolaire à la consommation abusive d'alcool), susceptibles d'entraver le développement des jeunes homo- ou bisexuel (le)s (Ryan et Frappier, 1993)10. Mais pour aider des gais, des lesbiennes ou des personnes bisexuelles, il faut interroger sa propre homophobie et l'hétérosexisme des modèles d'intervention psychosociale afin de ne pas reproduire des incompréhensions (Peers et Demczuk, 1998)11. Il faut, de plus, s'informer sur la culture et les modes de vie des populations homosexuelles afin d'éviter d'aliéner la clientèle. De manière générale, les personnes homosexuelles ne se sentent pas à l'aise de se confier aux professionnels de la santé (Junot et Charest, 1993). Celles qui ont fait confiance rapportent des bris de confidentialité, des examens gynécologiques brusques, des sarcasmes ainsi que des questions personnelles inquisitrices (Clermont et Sioui-Durand, 1997). O'Hanlan (1995) a mené un sondage auprès de 710 médecins homosexuels américains. Plus de la moitié d'entre eux ont été témoins de refus par des collègues de traiter des personnes homosexuelles. De telles situations ont été décriées au Québec, d'où les initiatives gouvernementales pour faire connaître les réalités homosexuelles auprès des intervenants et intervenantes du réseau de la santé et des services sociaux (Commission
10. Le milieu scolaire demeure réfractaire à attaquer les stéréotypes sur l'homosexualité dès le primaire. 11. Peers et Demczuk présentent un excellent tableau sur les biais hétérosexistes les plus courants dans les pratiques d'intervention psychosociale et des propositions visant à enrayer ces biais.
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des droits de la personne du Québec, 1994). Mais la plupart des associations scientifiques n'informent pas leurs membres sur les réalités gaies et lesbiennes, et les recherches les concernant sont peu subventionnées. Julien et Chartrand (1997, p. 72 et 73) rappellent qu'il reste « à effectuer un important travail d'intégration des études gaies et lesbiennes à la recherche courante, que ce soit dans le nombre de publications qui les intègrent, la nature des questions posées et la production de modèles et de théories qui leur accordent une place ». QUELQUES DÉFINITIONS DE L'HOMOSEXUALITÉ La recherche sur l'homosexualité et sur le lesbianisme se heurte aux problèmes théoriques (qu'est-ce que l'homosexualité, qui est homosexuel ?) et méthodologiques (comment rejoindre les personnes homosexuelles, comment les identifier ?). Recherche-t-on des hommes et des femmes qui se présentent à autrui comme étant des homosexuels ou plutôt des gais ou lesbiennes ? Faut-il passer à l'acte pour être homosexuel, et ce, combien de fois ? Cette approche comptable est critiquée, cependant, pour son réductionnisme. En effet, les comportements amoureux, sexuels, les désirs et les rôles sociaux se présentent plutôt comme un chassé-croisé d'expériences et de rencontres qui cherchent à s'harmoniser au sein d'une identité fragmentée. L'étude de l'homosexualité est indissociable de celle de la sexualité de manière générale, indissociable aussi d'une réflexion sur l'identité et sur l'amour. Les extraits suivants rappellent la relativité et la diversité des définitions sur le lesbianisme qui se vit tant sur le plan affectif, sexuel que comme fondement identitaire. [Pauline] Ça dépend toujours de qu'est-ce qu'on calcule comme le début du lesbianisme. Je pense qu'on l'est toutes. On l'est. Si on parle en termes de pratiques sexuelles, parce que c'est la seule chose qu'on peut répertorier dans le temps, à mon avis, avant d'être fixée làdedans, ça m'a pris... une dizaine d'années. Les gens procurent une gradation que moi je ne comprends pas. C'est l'amitié égale. Moi, je pense qu'il y a de l'amour qu'on exprime physiquement, sexuellement, et il y a de l'amour qu'on n'exprime pas nécessairement sexuellement. Le sentiment amoureux, on peut aussi l'avoir dans les premiers temps pour une amie, comme Yourcenar [une écrivaine] le dit. [Carmen] J'ai déjà couché avec des gars mais j'aimais pas beaucoup. Je me considère lesbienne depuis que j'ai commencé à y penser. J'avais dix-neuf ans. Pis, c'est clair que c'est ça. Je n'ai pas remis ça en question depuis ce temps-là. Avant, je me considérais comme rien du tout12. 12. Extraits de deux entrevues semi-dirigées tirées de N. Ricard (1998, p. 197).
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Un premier constat ressort : les personnes homosexuelles sont inscrites dans les rapports sociaux en tant qu'hommes ou femmes. Selon Lhomond (1997), ils ne peuvent pas s'appuyer sur des caractéristiques légitimées auprès d'autres minorités, sur le plan personnel et collectif, pour asseoir une conscience de groupe. Ces caractéristiques découleraient, notamment, d'une conceptualisation de l'« origine », qu'elle soit ethnique, familiale, géographique, nationale ou religieuse ; une origine problématique et invisible dans le cas de l'expérience homosexuelle. Le dénombrement des homosexuels dépend donc d'une concordance entre la définition qu'elles et ils se font d'euxmêmes et de celle de leurs vis-à-vis engagés dans cette tâche. Mais tant qu'il y aura de la discrimination, les données resteront aléatoires. Aussi, il apparaît important d'expliciter la méthode des recherches qui visent les populations homosexuelles et de préciser le contexte dans lequel elles sont conduites. Comme Dorais (1993) le souligne, avant que n'éclate la pandémie du VIH-sida les hommes étaient beaucoup plus nombreux à révéler leurs comportements homosexuels à l'occasion des sondages. Un phénomène semblable d'autocensure est apparu dans les années 1950, au Canada et aux États-Unis (Kinsman, 1987 ; Adams, 1987). En plein maccarthysme, on associait les personnes homosexuelles à des agents communistes, entre autres maux. Des centaines de personnes ont perdu leur emploi ou n'ont obtenu aucune possibilité d'avancement pendant cette époque. Pourtant, le rapport Kinsey (Kinsey, Pomeroy et Martin, 1948), première grande enquête sur les comportements sexuels masculins, avait révélé une prévalence de 40 % de contacts homosexuels. La chasse aux sorcières aurait fait chuter cette proportion à 15 % (Dorais, 1999). Mais le développement de l'homosexualité en tant qu'identité « gaie », vers la fin des années 1960, aurait aussi modifié la donnée statistique. Certains hommes ont associé l'homosexualité à une image, à un message politique auquel ils ne s'identifiaient pas nécessairement ou ne voulaient pas correspondre. Le concept de l'homosexualité change ainsi au rythme des connaissances, des revendications pour la défense et le respect des homosexuels hommes ou femmes, des termes utilisés pour les désigner. Toutefois la notion d'exclusivité du désir envers des personnes du même sexe biologique correspondrait à l'entendement répandu sur l'homosexualité. Aux fins de la discussion, nous avons retenu le terme générique « homosexualité » auquel sont associés les hommes et les femmes homosexuels. Mais nous utilisons aussi les appellations « lesbienne » et « gai » qui sont répandues actuellement. Par ailleurs, nous voulons attirer l'attention sur le fait que le terme générique masque les particularités identitaires comme celles reliées au sexe, à la classe, à la race, à l'appartenance ethnoculturelle
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ou à la religion. La prise en compte de l'ensemble des ancrages sociaux enrichit l'intervention, prévient la reproduction des biais sexistes et racistes, notamment, et valorise la trajectoire de chacun et chacune. L'ORIGINE DE L'HOMOSEXUALITÉ Or, encore aujourd'hui, l'homosexualité demeure associée à quelque chose de dérangeant, de stéréotypé, de maladif, de péché, ou à un choix fautif (Séguin, 1997)13. Parce que l'homosexualité est désordre (Ménard, 1994)14, qu'elle contient un potentiel subversif, que son mode de vie inquiète, qu'elle est combattue, régularisée, on cherche à savoir d'où elle provient. Mais cette question laisse sous-entendre qu'elle serait une copie de l'hétérosexualité originelle (Butler, 1990), que l'homosexualité ou le lesbianisme seraient problématiques. Aussi, le débat nature-culture n'a pas épargné l'étude de l'homosexualité, mais les clivages idéologiques se sont estompés. Les essentialistes ont cherché à déterminer qui sont les personnes homosexuelles, quelle est leur origine, unique ou plurielle, tandis que les constructivistes ont cherché à déterminer la racine sociale des hétéro/homosexualités ou les rouages de l'homophobie. L'homosexualité a fait son apparition au XIXe siècle dans la classification des perversions, établie par des psychiatres. Pour répondre à la maladie et à l'exclusion, il fallait démontrer que l'homosexualité était un fait de nature, une condition qui avait toujours existé ; il fallait la placer dans les catégories de l'universel. Des Allemands, Hirschfeld et Bloch, ont mené une série d'études sur la sexualité et fondé un institut15. La stratégie essentialiste des pionniers, et de ceux et celles qui allaient leur succéder, comporte cependant ses risques d'enfermement et ses paradoxes; l'approche constructiviste non plus n'y échappe pas. S'il est vrai que l'homosexualité relève d'un problème inné (hormonal, physiologique ou génétique), elle devient traitable. Une ingéniosité monstre a ainsi été investie pour intervenir auprès des personnes homosexuelles,
13. Les médias rapportent régulièrement les excès homophobes de la droite politique ou religieuse. Toutefois, la droite n'est pas l'unique responsable de l'homophobie ambiante. Il est encore répandu d'abaisser les minorités sexuelles sans réprimande. 14. L'homosexualité est désordre dans le sens où elle confronte les identités rigides et la raison. 15. Le discours médical avait auparavant utilisé le terme d'« inverti(e)s » pour décrire les hommes et les femmes qui s'adonnaient au plaisir sexuel et amoureux ensemble. On pensait que l'âme ne se retrouvait pas dans le bon corps. À l'époque de Hirschfeld, le terme « uranisme » était aussi employé pour décrire l'homosexualité masculine.
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chimiquement ou au niveau chirurgical, afin de les guérir. Devant l'engouement, même la bisexualité freudienne a été motif à faire croître chez les patients un désir unique pour l'hétérosexualité. Or, l'approche psychologique suggère un changement majeur dans la conception de l'identité sexuelle. L'attention se déplace de la notion d'espèce vers celle de l'orientation sexuelle. Mais, sans la remise en question de l'hétérosexisme du modèle psychodynamique, ou de l'homophobie, l'idée de l'orientation sexuelle peut entraîner celle d'une re-direction vers un objet de désir adéquat, le complexe d'Œdipe résolu, ou celle d'un arrêt dans le développement personnel, dans le cas de l'échec d'un tel objectif. Bien que marginales, les thérapies de réversion subsistent. Elles transportent les relents de la psychiatrisation de l'homosexualité. Burke (1996) avance que des thérapies semblables sont utilisées auprès des enfants et des adolescents dont le genre ne correspond pas au sexe biologique. Leur dissonance est perçue comme un risque de s'orienter vers une sexualité anormale, c'est-à-dire non hétérosexuelle. Par ailleurs, l'approche essentialiste permet de valider ses hypothèses sans avoir à se déplacer sur le terrain des experts juridiques, médicaux ou des sciences humaines. Elle est passée dans le discours populaire. Aussi, si vous demandez à quelqu'un pourquoi il est homosexuel, il vous répondra peut-être que c'est parce qu'il est « de même », que c'est en lui, qu'il est probablement né ainsi. Il risque aussi de vous demander si vous posez la même question aux personnes hétérosexuelles... Néanmoins, ce n'est pas parce que l'homosexualité est passée du fléau social au fait social qu'elle est acceptée16. Elle est, au mieux, tolérée. La réflexion éthique est toujours proche lorsqu'il est question de la place des homosexuels hommes et femmes en société. Faut-il rappeler que l'Église catholique adopte une position essentialiste qui limite des droits aussi répandus que ceux au mariage ou à la reproduction (Cabaj et Purcell, 1998) ? Avec ses recherches érudites, Boswell (1994)17 a démontré, toutefois, que l'Église a commencé à sévir contre l'homosexualité vers la fin du Moyen Âge. Auparavant, cette dernière tolérait des rites et coutumes qui remontaient à l'époque grécoromaine. Or, parler d'« homosexualité » pendant l'Antiquité tiendrait de l'anachronisme (Olivier et Noël, 1994). En effet, ne s'agissait-il pas alors de pédérastie, de sodomie, d'une célébration de la beauté et de la liberté ? Mais plusieurs chercheurs retracent la présence d'une culture homosexuelle dès cette époque. De Cecco et Elia (1993) rappellent que les
16. Nous paraphrasons le titre de l'article de L. Chamberland, « Présentation - Du fléau social au fait social. L'étude des homosexualités », Sociologie et sociétés. Homosexualités : enjeux scientifiques et militants, vol. 29, n° 1 (printemps 1997). 17. La fin du Moyen Âge correspond au développement de l'urbanisation et à l'établissement du pouvoir absolu de l'Église.
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hommes qui pratiquaient la sodomie avec des adolescents ne changeaient pas la hiérarchie sociale. L'adolescent adoptait la passivité féminine. Une fois adulte, il devenait un dominant. Il pouvait alors s'adonner à des pratiques homosexuelles et se marier. Il remplissait son rôle social, bien que l'interprétation de ce dernier ait relevé de la marge sexuelle. Par contre, les Grecs, comme les Romains, condamnaient un homme qui adoptait une posture passive rendu adulte ou une femme qui exprimait activement son désir (Ariès, 1982). La définition de l'homosexualité en des termes de pratiques sexuelles, d'espèce ou d'identité mobilise ainsi des interventions différentes selon la menace perçue et les objectifs de contrôle social poursuivis par les autorité18. Les constructivistes portent donc leur attention, certes sur le mode de vie des « homosexuels » à diverses époques, mais davantage sur le discours. Comment se fait-il que les amours entre les hommes préoccupent différentes autorités publiques dans le temps ? Dans quelle optique et de quelles façons opèrent les pouvoirs ecclésiastique, juridique ou médical ? Que penser du contrôle fiscal qui s'installe, de nos jours, sur les couples de même sexe ? Quel est le discours sur la reconnaissance des couples gais ? Les constructivistes conceptualisent l'identité homosexuelle comme une variable culturelle qui dépend des catégories identitaires en vigueur dans un espace-temps donné. En d'autres termes, je sais que je suis homosexuel ou lesbienne dans la mesure où j'ai accès au discours qui me représente, me nomme comme tel (le). Les rapports aux normes et à l'espace communautaire sont des aspects clés de cette approche. Comme Weeks (1995) l'avance, la sexualité émerge en autant d'histoires locales que de narrations. Or, si les catégories identitaires sont des construits, les modèles peuvent être déconstruits, mis en doute, relativisés de l'extérieur comme de l'intérieur. Plusieurs féministes ont ainsi souligné que le modèle de l'homosexualité, tel qu'il s'est constitué médicalement au XIXe siècle, ne s'applique pas au lesbianisme, les lesbiennes constituant une minorité partagée entre les mouvements des homosexuels et ceux des femmes19. 18. Sur l'encadrement de l'homosexualité masculine et féminine par les pouvoirs judiciaires et médicaux, pendant l'industrialisation, voir B. Adams (1985). Par ailleurs, les homosexuels ont aussi été victimes de la répression politique. Durant l'Allemagne nazie, ils ont été internés. On les identifiait avec un triangle rose, emblème qu'ils ont réhabilité. 19. Le mot « lesbien » apparaît dès l'époque classique pour désigner les mignons du Roi. « Lesbienne » tire sa source de l'île de Lesbos où Sappho, poétesse lyrique grecque, chantait les délices des femmes. « Tribade », dérivé de « tribadisme », réfère davantage à un comportement sexuel, quoique, dès le XVIe siècle, les tribades désignaient les femmes qui s'aimaient entre elles. Selon Leznoff (1954), le terme gai était utilisé, dès les années 1950, à Montréal, dans les réseaux homosexuels masculins. « Gai » ou « gay » vient de l'argot de la sous-culture homosexuelle américaine. Pour les Montréalaises qui ont vécu des expériences lesbiennes dans les années 1950 et 1960, le terme « femmes gaies » renvoyaient à celles qui côtoyaient des hommes gais.
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D'ailleurs, les lesbiennes n'ont pas provoqué la même ire ni soulevé la même attention que leurs congénères masculins. Ce n'est que récemment que l'on a conçu que la sexualité des femmes pouvait exister en dehors des hommes (Mécary et de la Pradelle, 1998). Toutefois, dès les débuts, Rueling et Stocker ont revendiqué des recherches indépendantes sur les lesbiennes, au sein de l'Institut allemand sur la sexualité20. Ces militantes réclamaient la liberté sexuelle des femmes en dehors des contrôles juridiques des hommes. Mais elles avançaient aussi que le mouvement des femmes devait s'intéresser à la question de l'homosexualité, puisque les réflexions sur l'autonomie du corps féminin incluent les relations lesbiennes. Les lesbiennes féministes des années 1970 allaient reprendre un tel discours en affirmant qu'il ne pourrait pas y avoir de libération des femmes sans libération des lesbiennes, et vice versa. Alors que la lutte contre le sexisme devient la priorité des féministes libérales, conservatrices et radicales, il faut attendre la sortie du placard explosive de ces dernières pour que l'hétérosexisme soit remis en question. Mais la critique de l'hétérosexisme se poursuivra aussi au sein du mouvement gai. L'HOMOSEXUALITÉ COMME ÉMERGENCES « Sortir du placard21 » est le leitmotiv du mouvement gai. « L'aveu du nom » (Hocquengham, 1979), la prise de parole s'apparente à une étape charnière dans la réalisation de l'identité homosexuelle. C'est un choix éthique pour l'authenticité, militant pour faire bouger les frontières entre le privé et le public. C'est amener « ce qui ne se dit pas » en public. Pour ce faire, il faut être prêt à affronter une diversité de réactions. La méconnaissance étant généralisée de même que l'occultation, dire son homosexualité, la vivre dans la quotidienneté amène inévitablement à éduquer l'entourage sur cette condition. Telle une caractéristique stigmatisée, comme certains handicaps ou maladies, l'affirmation de l'orientation homosexuelle prend l'allure du partage d'un secret. Le mouvement gai estime que plus les gens dévoileront leur homosexualité, plus la démystification sera efficace. Elle le sera d'autant plus que des personnes respectées socialement sortiront du placard22. 20. Les tensions entre les hommes et les femmes homosexuels se sont révélées au sein des organisations militantes, dès le départ. Hirschfeld était préoccupé par la sexualité de manière générale, tandis que Bloch ne se préoccupait que d'uranisme. Il préconisait une stratégie distinctive au regard des identités de sexe (Adams, 1987, op. cit.). 21. Les expressions «sortir "du" garde-robe», «faire son coming out», empruntées à l'anglais, sont aussi employées. 22. Act Up, un regroupement pour la lutte radicale contre le VIH-sida, a maintes fois brandi la menace du outing, c'est-à-dire de faire connaître publiquement les noms de personnalités ayant du pouvoir politique, économique ou de l'influence et qui demeurent dans le placard rose.
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Cependant, les familles envisagent rarement qu'elles auront à composer avec l'homosexualité. La lesbienne ou l'homme gai n'ont pas de rôle dans la famille. Ils doivent composer ce rôle, alors qu'on les accuse de menacer l'institution familiale. L'enfant qui dévoile son homosexualité doit souvent faire face à un renoncement, semblable à un deuil. Aussi, des exclamations comme « Tu n'auras jamais d'enfant ! Je ne serai pas grand-mère ! » sont très fréquentes. Or, la personne homosexuelle pourrait avoir des enfants si la loi le permettait, si les évaluations des experts, lors des batailles juridiques ou des demandes d'adoption, approuvaient sa compétence parentale. Mais sa sexualité rompt avec le « dispositif de la sexualité » (Foucault, 1976, 1984a et b), la sexualité procréatrice telle que développée dans le paradigme naturaliste. Des doutes, des craintes sont soulevés. Les parents vivent donc le choc, la négation qui peut s'exprimer à travers l'hostilité, le rejet et la distance. Ils éprouvent de la culpabilité et de la honte. Si le parent reste à cette étape, sa relation avec l'enfant se détériorera. On recommande ainsi au ou à la jeune de dévoiler son homosexualité seulement s'il s'est préparé, s'il est prêt à assumer cette révélation23. Plusieurs familles désireuses de cheminer entrent, toutefois, dans une phase de restructuration. Elles apprécient grandement les informations sur l'homosexualité et sur le lesbianisme qui leur permettent d'acquérir des connaissances, d'évaluer leurs préjugés et ceux de leur entourage. Neisen (1987) rapporte que les familles qui peuvent compter sur du soutien réussissent à s'engager dans un processus d'apprentissage et d'adaptation qui peut mener à l'intégration de l'identité homosexuelle. Ce soutien, souvent d'origine professionnelle, a intérêt à se présenter comme connaissant les problématiques gaies pour que les membres de la famille puissent y recourir facilement. Les groupes de soutien sont aussi fort prisés, parce qu'ils permettent de partager son expérience et de dédramatiser. On réalise le poids du silence et de nouvelles amitiés peuvent se tisser. Celles-ci s'avèrent précieuses pour traverser les épreuves et elles peuvent remplacer le réseau d'entraide traditionnel. Par ailleurs, différentes étapes ont été relevées dans le développement de l'identité gaie. Elles ne se succèdent pas nécessairement, sont souvent cycliques, répétitives, sources d'allers et retours. Il y a d'abord l'étape de l'interrogation sur son orientation sexuelle. C'est une période de confusion, de réorganisation cognitive et de démystification. Plusieurs comparaisons sont alors tracées entre soi et les hétérosexuels, souvent
23. P. La Roche, op. cit. Pour guider le jeune, on peut l'interroger: est-il certain de son orientation sexuelle, est-il à l'aise avec cette orientation, a-t-il un groupe de soutien, possède-t-il des connaissances sur l'homosexualité, est-il patient, subit-il la pression de ses pairs, connaît-il les valeurs de ses parents, entretient-il de bonnes relations avec eux ?
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appelés les straights24. On vit de la peur, de la culpabilité, parfois de la honte selon son éducation et sa socialisation antérieures. Mais la découverte du désir peut aussi devenir un périple stimulant. Entre la vie publique hétérosexuelle et la vie privée, homosexuelle, on recherche un milieu, on cherche à se dire. C'est l'étape de l'affirmation. Il est souvent très difficile pour une personne de s'identifier comme gai ou comme lesbienne à cause des préjugés et de son cheminement sociosexuel. Cette personne a peut-être été mariée, élève des enfants, refuse l'enfermement dans des catégories identitaires, ne se retrouve pas dans les valeurs et les représentations du « monde gai ». Une certaine tolérance se bâtit pourtant au fur et à mesure que se tissent les relations, que se développe l'accueil dans la communauté homosexuelle. Les liaisons amoureuses se forgent. L'expérimentation, les sorties, l'implication dans la communauté s'ensuivent. La fierté s'installe, de même que la conviction pour revendiquer ses droits. On s'affirme, on affirme une manière d'aimer : les femmes et les hommes hétérosexuels n'ont plus le monopole de l'amour. Les frontières entre les straights, d'une part, et les gais et les lesbiennes, d'autre part, se transforment et se renégocient. Plusieurs auteurs nuancent cependant le caractère impératif de la « sortie du placard », mettent un frein à l'identité politisée. La sortie du placard ne relève pas tant d'une performance, d'un rite de passage que d'une série de rituels, d'un processus répétitif qui se joue sur les plans cognitif, émotif, et du comportement. Ces dimensions correspondent aussi aux types d'isolement que peut vivre la personne homosexuelle. Il s'agit alors d'élaborer une approche qui combat la stigmatisation et qui cherche à comprendre les effets de l'hétérosexisme dans le vécu. Les résistances à dévoiler son homosexualité viennent du fait que l'on s'accepte peut-être mal, d'une homophobie intériorisée, mais, aussi, de la peur de subir de la discrimination directement. Cette discrimination retombe, de plus, sur les proches comme sur les enfants25. D'ailleurs, la famille et, dans une moindre mesure, les amis et les collègues suivent un processus semblable de dévoilement. La sortie du placard s'opère donc selon un calcul de risques et dépend des circonstances, des lieux; elle est remplie d'ambivalence et de paradoxes.
24. Le terme anglais straight demeure intraduisible. Ce terme renvoie à l'hétérosexisme autour de la sexualité dite normale, donc hétérosexuelle. C'est plus qu'une référence à une orientation sexuelle. L'expression «être straight» rappelle aussi une orientation politique, sociale et culturelle, une manière de penser. Voir M. Wittig (1980). 25. Sur les 22 mères lesbiennes que nous avons enregistrées, 2 participantes avaient perdu la garde de leur enfant, l'une d'entre elles avait perdu son emploi et une autre avait senti que seule l'immigration pouvait la protéger de l'opprobre familiale. Bien que ces données ne soient pas généralisables, elles restent significatives. De sorte que les participantes à la recherche respectent le mode de dévoilement de leurs proches et comprennent les conflits de loyauté qui les déchirent (N. Ricard, op. cit.).
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Ainsi, ne pas affirmer son lesbianisme est un moyen d'adaptation pour certaines autant que d'affirmation (Bonneau, 1998 ; Eldridge et Gilbert, 1990). Cain (1991) rappelle qu'en mettant trop l'accent sur l'affirmation de l'homosexualité comme indicateur d'une bonne santé mentale chez les gais, les thérapeutes risquent de psychologiser l'hétérosexisme, de singulariser l'homophobie. Par ailleurs, les intervenants et intervenantes devraient envisager des manières de dé-pathologiser le tabou qui entoure l'homosexualité et prendre acte des demandes contradictoires auxquelles doit répondre leur clientèle (Healy, 1999). Aussi, dès les années 1970, des thérapeutes de toutes les écoles en psychologie avaient-ils reconnu l'importance d'aider les homosexuels et les lesbiennes à développer une image positive de leur orientation sexuelle (Gonsiorek, 1982). Valider émerge comme le mot d'or. Aussi, mettre en valeur les mots, accueillir les stratégies d'adaptation et de résistance des personnes dont les réalités sont occultées26. En mettant l'accent sur la qualité des liens que tissent les personnes homosexuelles, l'intervenant ou l'intervenante révèle leur pouvoir d'action (Davison, 1982), leur créativité. La détermination des professionnels de la santé et des psychologues a mené au retrait de l'homosexualité de la liste des morbidités. LES MOUVEMENTS SOCIAUX Ponctuée de nombreux débats, la saga pour dépsychiatriser l'homosexualité a commencé en 1973, par un vote tenu à la American Psychiatric Association (Thuillier, 1982). Elle s'est poursuivie jusqu'au retrait de l'homosexualité, du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-III-R), livre des critères diagnostiques en psychiatrie, au moment de la parution de son édition révisée en 1987. En 1992, l'Organisation mondiale de la santé enlevait l'homosexualité de la liste des maladies. Mais cette victoire n'aurait pas eu lieu sans le travail des communautés de base et de leurs alliés, hommes et femmes. Selon les époques, la visibilité des homosexuels, qui trouble les rapports sexe-genre, a varié. Jusqu'à la fin des années 1960, les organisations homophiles ont cherché à conférer une certaine respectabilité aux personnes homosexuelles. Par la presse
26. L'« écho-carte » est un outil intéressant pour relever les significations des différentes relations, des systèmes dans lesquels évoluent le ou la cliente ou leurs proches. Par exemple, les filiations dans les familles gaies diffèrent de celles des familles hétérosexuelles. Les pratiques sexuelles et les réseaux de solidarité des gais et des lesbiennes correspondent à des codes socioculturels que l'intervenant ou l'intervenante ignore peut-être.
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écrite et la radio, elles ont lutté contre les accusations criminelles et pathologiques sur l'homosexualité en élaborant des stratégies d'assimilation. Leurs successeurs leur reprocheront d'ailleurs un certain moralisme qui sied pourtant à l'aprèsguerre. Les homophiles ont établi des réseaux de relations, précurseurs des lobbies, auprès des politiciens, des gens d'Église et des professionnels. Le monde artistique et littéraire, plus ouvert à la libéralisation des moeurs, demeure proche des homosexuels et des lesbiennes. Mais la majeure partie de la vie sociale homosexuelle s'opère dans la clandestinité, au Québec comme ailleurs. Les bars se présentent comme des lieux de rencontre, pour expérimenter des rapports qui transgressent les codes traditionnels masculins et féminins. On y vit aussi une certaine démocratisation des rapports sexuels, comme l'évoque l'interviewé suivant en parlant d'un bar montréalais, à la fin des années 1950 : Au Tropical Room [...] tu avais la possibilité de rencontrer toutes les strates. J'y ai vu une vedette de la télévision, des écrivains. [...] C'était la démocratie du sexe ; on était amené à voir tout le monde. Là, j'ai eu des rencontres au hasard qu'autrement je n'aurais pas eues. J'ai dansé avec un futur ministre, au Tropical ! [...] Monroe [un personnificateur féminin] faisait ses shows là, le dimanche ou le samedi soir, peut-être tous les soirs. [...] Pis les gars osaient ; il y avait un coin [...] en arrière où on se poignait un peu. C'était l'endroit où il se faisait le plus de choses en dehors des règles27. Par ailleurs, Maheu (1995)28 mentionne trois facteurs qui ont marqué la communauté gaie américaine et ses revendications. Ces facteurs ont aussi eu un impact sur les communautés québécoises. Le premier facteur touche la période effervescente de la contestation de l'ordre établi sous toutes ses formes, dans les années 1960-1970. Le deuxième facteur relève de la répression où la descente dans le bar Stonewall devient un point tournant. Ce sont les personnes travesties et transsexuées qui sonnent l'alarme contre les forces policières. Les revendications d'une identité positive marqueront dorénavant le mouvement, comme les défilés de la fierté gaie l'illustrent. Au Canada, en 1969, le « bill omnibus » a décriminalisé partiellement les pratiques homosexuelles29. Au Québec, la libération sexuelle a profité, en plus, d'un important catalyseur avec l'affirmation nationale. L'orientation sexuelle a d'ailleurs été inclue, en 1977,
27. Extrait d'une entrevue semi-dirigée tirée de R. Higgins (1998, p. 121). Les personnificateurs féminins sont communément appelés Drag Queens. 28. Sur la communauté, voir aussi G. Ménard (1987). 29. L'homosexualité doit se vivre dans un lieu privé, entre deux personnes consentantes, de plus de 21 ans. Par ailleurs, plus de la moitié des États américains condamnent encore la sodomie. À travers le monde, les homosexuels hommes et femmes font l'objet de sanctions légales qui vont jusqu'à la peine de mort.
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comme motif de non-discrimination dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Toutefois, les clivages linguistiques au sein des communautés gaies et lesbiennes se sont accentués. Le troisième facteur est l'avènement du VIH-sida qui a mobilisé l'opinion publique, bouleversé la médecine, les institutions de santé et les pratiques de soins. De nombreuses lesbiennes qui travaillaient déjà dans les soins sociosanitaires se joignent aux gais dans la lutte contre l'homophobie. Les diversités raciale et ethnique ressortent davantage et complètent le tableau hétéroclite de la communauté homosexuelle. Les sorties des féministes noires, latino-américaines, des gais sans argent bousculent les modèles mis de l'avant par les militants, soit des femmes et des hommes blancs, citoyens de classe moyenne, dont les attaches communautaires ne sont pas multiples. Ces critiques permettront de relativiser les discriminations basées sur l'identité sexuelle, le racisme et l'exclusion économique qui apparaissent comme autant de problèmes fondamentaux. Mais la résistance contre le ressac anti-gai, stimulé par la peur de l'épidémie, l'homophobie et la recherche de coupables, demeure prioritaire pour les militants et militantes, d'autant plus que la prévention de la transmission du virus et l'adoption de comportements responsables en dépendent (Perreault, 1995). Dans les années 1980, les communautés gaies et lesbiennes se restructurent donc au niveau national. La médecine continue de scruter l'homosexualité, surtout masculine, à travers les recherches épidémiologiques et le discours sur le sécurisexe. Mais la libération sexuelle n'apparaît plus seulement comme une finalité. Une nouvelle quête de sens accompagne cette prise de conscience (Bourgon et Renaud, 1991) chez les homosexuels. Ceux-ci étant endeuillés, endettés, doublement et triplement stigmatisés, l'importance du réseau, des familles d'origine ou recréées, de la validation des engagements affectifs et financiers se révèle avec plus d'acuité. La reconnaissance des couples de même sexe occupe dorénavant l'agenda politique. Par contre, la reproduction du modèle conjugal hétérosexuel, qui valorise la monogamie, l'interdépendance économique et le soutien mutuel, laisse entrevoir une hiérarchisation entre les gais et les lesbiennes conformes, d'une part, et les autres membres de la communauté, d'autre part. De plus, sans réforme, cette reconnaissance des couples reconduira les rapports sexistes et de classe inhérents au régime fiscal et aux programmes sociaux actuels. De manière générale, les couples gais resteront plus aisés financièrement que les couples lesbiens, et nul ne sait encore quels rapports de force s'établiront entre les conjoints et conjointes30.
30. D'autre part, bien que la dépendance économique puisse contribuer à la violence conjugale au sein des couples gais et lesbiens, les recherches indiquent que l'isolement, l'alcoolisme et le fait d'avoir été exposé à la violence seraient des facteurs de risque élevés.
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Or, au Québec, un projet de loi a été dévoilé en mai 1999 pour rectifier une vingtaine de lois statutaires de manière à accorder les mêmes droits et devoirs aux couples d'union de fait, et ce, quelle que soit leur orientation sexuelle. Toutefois, ce projet de loi continue de discriminer les homosexuels hommes et femmes qui voudraient s'engager dans la parentalité ou qui sont déjà parents. Alors même que les couples hétérosexuels ne se forment plus seulement dans le but de procréer, cette dissociation entre la conjugalité et la parentalité n'est pas institutionnalisée. Le projet de loi actuel consacre, toutefois, une telle dissociation pour les couples homosexuels. Mais un récent jugement de la Cour suprême du Canada a invalidé un article de la loi ontarienne en droit de la famille qui établit une distinction entre les couples homosexuels et hétérosexuels. Aussi ce jugement influencera-t-il de manière significative la législation familiale des diverses provinces canadiennes. Cela remet en question le caractère progressif du projet québécois et interroge une stratégie militante par étapes, même dans un domaine aussi névralgique que celui des représentations familiales31. Par ailleurs, à côté de cette sortie du ghetto homosexuel par les pouvoirs publics, la clandestinité, la nécessité de l'anonymat sont sûrement des facteurs qui ont contribué à une rationalisation de la sexualité, du moins chez les hommes gais32. Les milieux de drague - bars, saunas, parcs, cinémas et restaurants spécialisés - se sont développés selon la spécialisation et la diversification des pratiques sexuelles. Selon Pollack (1982), l'idéal de la sentimentalité conjugale peut être difficile à réaliser en présence d'un marché sexuel, affranchi des « contraintes » affectives. D'ailleurs, St-Père et Julien (1999) avancent que les gais maintiendront une plus grande satisfaction conjugale si leur relation est ouverte. Les gais ont habituellement une vie sexuelle intense entre 20 et 40 ans. La chute d'activités relèverait du mythe de la jeunesse. Les lesbiennes vivent la promiscuité d'une autre manière. Comme pour les hétérosexuelles, la sexualité et l'affectivité sont habituellement moins dissociées chez les lesbiennes. Ces dernières favorisent la monogamie même si elles peuvent changer souvent de partenaires dans leur réseau de socialisation. Toutefois, chez les femmes comme chez les hommes, on constate une relative indifférenciation des rôles actifs et passifs et le maintien des amitiés après des séparations amoureuses. 31. Rappelons que le Danemark a été le premier pays, en 1989, à reconnaître les couples de même sexe. Aussi, ce qui pouvait être considéré comme une reconnaissance avant-gardiste sur le plan de la création familiale a nettement été encadré et freiné. Depuis l'été 1997, le Parlement a légiféré pour interdire l'accès à l'insémination alternative aux femmes célibataires et aux lesbiennes. 32. On a aussi attribué à la culture de bar la consommation d'alcool et de drogues répandue au sein de la population homosexuelle. La consommation d'alcool est en baisse chez les gais et les lesbiennes, mais on connaît encore peu de choses sur les raisons de la persistance de la surconsommation chez certaines personnes (Vigneau et al., cité dans Clermont et SiouiDurand, 1997).
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INTERVENIR AUPRÈS DES QUEERS : QUELQUES PARADOXES Il est toujours hasardeux de faire des généralisations, surtout auprès de populations qui demeurent difficiles à joindre. Or, Plummer (1998) avance que les recherches empiriques ont été mises de côté, depuis le début des années 1990, qui marque l'institutionnalisation des études gaies et lesbiennes33. Les recherches empiriques, souvent menées en sociologie, avaient pour but de documenter le vécu opprimé des homosexuels et des lesbiennes. Mais cette notion d'oppression s'est déplacée, notamment sous l'influence des travaux de Michel Foucault (1976, 1984a et b). Aussi, un important courant culturel, philosophique et littéraire, appelé queer, né principalement des approches sémiotique et déconstructionniste, a suscité l'intérêt de plusieurs chercheur(e)s. Un débat fait rage présentement entre les modernes et les postmodernes, soit entre les gais, les lesbiennes et les queers34. Les queers avancent que, pour s'actualiser, il faut se manifester en dehors du rapport producteur-reproducteur, sexualité-procréation, en dehors de la polarité binaire des identités patriarcales ; là où se trouvent peut-être déjà les queers, dans une épistémologie du désir (Chamberland, 1997). Les queers rejettent donc une conception essentialiste du genre et la science comme passage obligé de la connaissance. Le courant queer déconstruit et critique la politique libérale des mouvements sociaux modernes qui, en échange de droits et de protection des minorités, font la promotion de catégories identitaires rigides dans l'espace public. « L'homosexualité se normalise et entre dans le champ de la domination technocratique », comme l'avait annoncé Renaud (1982). Les queers s'élèvent donc contre la tolérance actuelle face à l'homosexualité, en soulignant que l'homosexualité est tolérée dans la mesure où elle se conforme à un certain modèle. L'ambiguïté des rapports entre les hommes et les femmes, les gais et les lesbiennes, les Noirs et les Blancs, les riches et les pauvres a été renforcée par le discours militant dominant. De plus, les transgenrés, les transsexuels ou les bisexuels ont été laissés pour compte, alors que la libération sexuelle visait la sortie des catégories de sexe et d'orientation sexuelle pour tous et pour toutes. Le courant queer prétend rejoindre la marginalité galopante avec son trop-plein d'étiquettes, et transgresser le rapport traditionnel de la représentation. Or, et cette critique s'adresse
33. Sur le développement des études gaies et lesbiennes, voir aussi J. Escoffier (1992). 34. Le vocable n'est pas encore traduit en français. Probyn (1995) suggère « drôle » en guise de traduction, tandis que Sedgwick (1990) opte pour « troublant»; les deux termes s'équivalent. Ce courant singulier remet en question la morale sexuelle bourgeoise, son illusoire cohérence. Voir aussi Chamberland (1997).
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aux postmodernes de manière générale, comment les rapports de force peuvent-ils s'articuler sans interlocuteurs ou interlocutrices politiques définis clairement ? Mais l'on rétorque : pour qui, quand et comment les identités collectives stables sont-elles nécessaires à l'action sociale et au changement ? Certains mouvements sociaux craignent-ils la déconstruction ? Pour les queers, l'homosexualité devient un défi par rapport à elle-même, et non plus seulement par rapport à la société hétérosexuelle. Les intervenants et intervenantes sont ainsi appelés à s'interroger sur leurs objectifs. S'agit-il des leurs ou de ceux de leurs clients et clientes ? Jusqu'à quel point les pressions sur la sortie du placard n'équivalent-elles pas à reproduire des dichotomies entre l'hétérosexualité et l'homosexualité, pour être conforme à quoi et à qui ? Ces dichotomies servent-elles à créer une distance thérapeutique35 ? Comment les intervenants peuvent-ils aider les personnes qui les consultent à se nommer sans les fixer dans une catégorie identitaire ? La conception de l'homosexualité36, de même que l'approche éthique des intervenants et intervenantes, permet d'accueillir les choix amoureux de l'autre, de saisir sa mouvance. Comme nous l'avons vu, cette conception de l'homosexualité et du lesbianisme relève des discours scientifiques et militants, et évolue selon les époques. Elle est multiple et déterminante pour l'intervention. Au Québec, où les cours sur l'homosexualité commencent à peine à être donnés dans les établissements d'enseignement, il reste à voir comment l'intervention auprès d'une population homosexuelle se développera. Paradoxalement, intervenir auprès des queers appellera peut-être la construction d'une éthique qui ne sera plus élaborée à partir des catégories identitaires de sexe ou d'orientation sexuelle. 35. Sur l'ambivalence de s'affirmer dans sa pratique comme enseignante ou comme intervenante sociale, voir D. Khayatt (1997) et J. Ristock (1990). 36. Selon nous, la lutte contre l'homophobie, comme toutes les autres formes de violence, doit être visiblement appuyée par les institutions. Un important travail de conscientisation reste à faire auprès des intervenants et intervenantes. « Finalement, dans notre étude, bien que les hommes hétérosexuels déclarent se sentir plus compétents que les femmes hétérosexuelles, ils affichent des attitudes plus homophobes, des sentiments d'empathie plus faibles et se disent moins intéressés à participer à une éventuelle formation » (Moore, Otis et Dedobbeleer, 1994, p. 130).
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LA VIOLENCE À L'ÉCOLE Une analyse complémentaire1
JACQUES HÉBERT, Ph. D. École de travail social, Université du Québec à Montréal
1. Nous tenons à remercier les personnes qui ont formulé de judicieuses critiques après lecture de ce texte : Charles Caouette, professeur retraité de l'Université de Montréal, Nicole Dallaire, professeure à l'Université de Sherbrooke, Mathilde Francœur, enseignante à l'Université du Québec à Montréal, et toutes les personnes (les directions d'école, les enseignants, le personnel non enseignant, les intervenants psychosociaux, les parents et les élèves) qui ont accepté de témoigner de leur souffrance et de la violence en milieu scolaire.
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
RÉSUMÉ Les dernières tueries sur les terrains scolaires ont ravivé les débats sur les causes de la violence à l'école et sur les pistes de solution. En général, la littérature et les autorités scolaires se limitent à expliquer le problème à partir de facteurs extérieurs à l'école. Les actions répressives et préventives visent principalement les élèves et les familles. Ce texte pose comme hypothèse que la violence des élèves pourrait être une réponse à des violences sociales dont l'école est l'une des composantes. L'analyse faite sous cet angle demeure un sujet tabou. Toutefois, vouloir faire la lumière sur ce fléau social, c'est reconnaître qu'une interaction de causes externes et internes aux écoles peut contribuer au problème. Des éléments dysfonctionnels à l'intérieur des écoles sont plus particulièrement abordés : les mécanismes de communication, l'exercice de la démocratie et le rôle d'acteurs stratégiques. En conclusion, une série de recommandations sont proposées pour tenter de sortir du cercle vicieux de la violence. Les avenues les plus prometteuses demandent qu'on travaille avec la communauté pour bâtir un climat plus pacifique. Cette orientation demeure cependant plus facile à énoncer qu'à actualiser dans plusieurs milieux scolaires, car des conditions précises doivent être respectées pour assurer la réussite des plans d'action.
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LA VIOLENCE À L'ÉCOLE
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L'éducation fait état de ce qu'elle ajoute mais se tait sur ce qu'elle ampute. (A. BRIE, Le Devoir, 16 mai 1991) Le problème de la violence à l'école hante la vie scolaire et sociale. Il a été soulevé plus intensivement en Amérique et en Europe au cours de la dernière décennie. La littérature fourmille de visions divergentes pour expliquer ce phénomène. Les solutions préconisées oscillent entre la répression et la prévention et aboutissent souvent en toile de fond à des réponses partielles et improvisées, à la dernière minute, pour pallier les difficultés. Il se passe rarement une semaine sans que des élèves, des parents, des élus, des professionnels de l'éducation, de la justice, des communications et du social expriment leurs inquiétudes face à ce dossier chaud. Quand il est question de violence à l'école, les écrits font principalement référence à la violence entre les élèves (taxage, bullying, coups, bataille, intimidation, vol, harcèlement, menaces, guerre de gangs) et à la violence verbale et physique contre le personnel et l'environnement (vandalisme ; Hébert et Hamel, 2000). L'ampleur du phénomène demeure difficile à circonscrire, car les écoles ne recensent pas automatiquement tous les actes de violence et les perceptions peuvent être très différentes selon les milieux. Les récentes tueries collectives qui se sont produites dans des écoles nordaméricaines ont ravivé les débats publics et l'insécurité collective (Pelletier, 1999). Nous posons comme hypothèse que cette forme extrême de violence est le symptôme de malaises beaucoup plus profonds qui traversent l'institution scolaire et les rapports sociaux sur lesquels nous devrons nous pencher si nous désirons sortir du cercle vicieux de la violence. QUE NOUS DIT GLOBALEMENT LA LITTÉRATURE SUR LA VIOLENCE À L'ÉCOLE ? N'oublie jamais de regarder si celui qui refuse de marcher n'a pas un clou dans sa chaussure. (DELIGNY, 1960, p. 34) La littérature anglo-saxonne (Hébert et Hamel, 2000) attribue surtout les causes du problème aux élèves, aux parents ou à leur milieu social. Malgré une définition pouvant englober divers types de violence et d'auteurs, les violences répertoriées se limitent aux conduites des élèves (Soranio,
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
Soranio et Jimenez, 1994) : « Un préjudice physique ou non physique causant dommage, douleur, blessure ou peur. La violence perturbe l'environnement scolaire et entrave le développement personnel qui peut conduire au désespoir et à l'impuissance. » La littérature francophone met aussi l'accent sur la violence des élèves malgré une définition qui pourrait considérer d'autres formes de violence à l'école (Conseil supérieur de l'éducation, 1984) : La violence se présente comme l'usage abusif d'un pouvoir (physique, hiérarchique, psychologique, moral, social) de façon ouverte ou camouflée, spontanée ou délibérée, motivée ou non par un individu, un groupe ou une collectivité, par des moyens (physiques, verbaux, psychologiques, moraux, sociaux) servant à assurer la réponse à un besoin ou un désir et qui porte un préjudice à la personne d'autrui. Ces définitions restent peu opérationnelles pour rendre compte de ce qui se passe à l'école. Quelques études insistent cependant sur des facteurs explicatifs relevant de la dynamique scolaire qui mériteraient une attention plus marquée car ils sont peu considérés pour comprendre le problème et en tenir compte lors de l'élaboration de stratégies destinées à prévenir ou à résoudre ce fléau social. Les études (Hébert, 1991 ; Hébert et Hamel, 2000) les plus nuancées considèrent pourtant qu'une interaction de causes individuelles, familiales, scolaires et sociales contribue à la violence à l'école et qu'il faut prévoir des actions sur tous ces plans pour enrayer significativement le problème. POURQUOI NIER LA PART DE RESPONSABILITÉ DE L'ÉCOLE ? L'école, comme d'autres institutions sociales, aurait une tendance à se réfugier derrière l'image d'un milieu irréprochable pour ainsi éviter toutes formes de remise en cause la concernant. Elle déploierait un vif esprit de corps pour situer les causes de la violence à l'école uniquement à l'extérieur de ses murs (Malboeuf, 1998) : « Les écoles entonnent le refrain classique : familles éclatées, société violente, chômage, pauvreté, drogue, gangs de rue, image de soi amochée... ». Sans minimiser le poids de ces facteurs externes pour comprendre et agir sur le problème de la violence à l'école, il semble difficile de continuer à occulter des éléments déclencheurs lui appartenant. Il paraît trop facile de situer uniquement les causes de la violence à l'extérieur de l'école, alors que la complexité du problème demande que chacune des parties concernées prenne la part de responsabilité qui lui revient au lieu de s'y soustraire.
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LA VIOLENCE À L'ÉCOLE
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Les autorités scolaires ont accepté, depuis quelques années, à la suite de multiples pressions, de briser la loi du silence pour parler de violence à l'école, mais la question de la violence de l'école demeure un sujet tabou (Montpetit, 1992). La question reste tellement délicate que même des rapports gouvernementaux l'abordent à mots couverts. Les contenus d'enseignement, les méthodes et les comportements de certains enseignants sont donc, dans certains contextes, sources d'effets (Fotimos, 1995, p. 24). [...] que la culture institutionnelle de chaque établissement surmonte les valeurs de docilité et de soumission et soit nettement imprégnée des attitudes d'autonomie et de responsabilités. Des obstacles en apparence parfois aussi infranchissables que le mur de Berlin peuvent être surmontés si une volonté institutionnelle et pédagogique existe vraiment (Conseil supérieur de l'éducation, 1993). COMMENT ABORDER L'ANALYSE DE CE PHÉNOMÈNE COMPLEXE ? Notre perspective d'analyse de l'école veut essayer de sortir d'une logique défensive qui trop souvent ne cherche qu'à sauver les apparences et à l'exclure du problème, alors qu'elle peut contribuer dans certains contextes à l'escalade de la violence, comme nous essaierons de le montrer. La principale forme de violence qui contamine presque quotidiennement le climat de nombreuses écoles demeure la violence verbale des élèves entre eux et entre les élèves et le personnel scolaire (Dumay, 1994 ; Conseil supérieur de l'éducation, 1990). Nous possédons beaucoup d'informations sur la violence des élèves entre eux ou à l'égard du personnel scolaire, mais peu sur celle du personnel scolaire à l'égard des élèves. Contrairement à la croyance populaire, il y aurait, en nombre absolu, plus d'agressions commises par le personnel scolaire sur les élèves que le contraire (Jubin, 1988). Quelques études ont abordé la violence sous l'angle institutionnel. Ivan Illich (1971) pose le problème en partant d'un savoir abrutissant, alors que Charles Caouette (1992) parle d'une école déshumanisante. Bernard Courteau (1972) dénonce un régime totalitaire et Bernard Lempert (1997) traite d'une culture aliénante basée sur la culpabilité et le jugement grâce à son double pouvoir d'insertion et d'exclusion. Jacques Attali (1981), pour sa part, suggère qu'une partie de la réponse à cette violence pourrait s'expliquer « dans la veulerie du pouvoir et dans l'hypocrisie des privilèges ».
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
Une analyse trop globale nous empêche de saisir les subtilités de la façon dont peut s'opérer cette violence institutionnelle vis-à-vis des élèves. L'institution n'est pas qu'une abstraction ; elle est d'abord le fait de représentants qui en assurent le maintien. Nous aborderons l'analyse du problème à partir des relations de pouvoir entre les personnes dans une organisation (voir Crozier et Friedberg, 1977 ; Turcotte, 1993). L'école s'est donné le devoir de favoriser la participation, la solidarité, le respect et la démocratie chez les élèves (Conseil supérieur de l'éducation, 1995), mais, comme nous le verrons, il existe des écarts considérables dans certains milieux entre ces beaux principes et leur traduction dans la pratique. Ces incohérences pourraient être porteuses de violence au sein de plusieurs écoles. Notre travail depuis une quinzaine d'années sur la thématique de la prévention de la violence à l'école, à titre de chercheur, conférencier, consultant, formateur et intervenant dans plusieurs milieux scolaires et communautaires tant en Europe qu'en Amérique, nous a fait accumuler des observations que nous présenterons sous la forme d'exemples pour appuyer notre analyse et soulever des hypothèses. Ces illustrations sont loin, d'après notre investigation, de refléter des situations exceptionnelles ou exagérées. Nous avons utilisé pour notre analyse la méthode de cas (Yin, 1984), en croisant deux sources de données : la recension d'écrits et l'observation participante. L'une des forces de cette recherche qualitative est que nos observations ont été recueillies dans une centaine d'écoles primaires et secondaires tant à l'intérieur du secteur public, privé, alternatif que traditionnel. L'une de ses faiblesses demeure que d'autres types de recherches viennent infirmer ou confirmer ses résultats. Bien sûr, certaines personnes pourraient nous reprocher notre choix de traiter des abus de pouvoir d'adultes en position d'autorité au détriment d'autres formes d'abus de pouvoir à l'école. Il nous est apparu important de mettre ces abus en évidence pour montrer comment ils peuvent aussi entretenir la spirale de la violence. Dans cette perspective, nous adoptons la prémisse d'Éric Debardieux (1990) : « La violence de l'élève pourrait bien être une réaction pour maintenir l'intégrité de son être dans une situation pathogène. » L'école peut être considérée comme un milieu favorisant l'intégration sociale des élèves, mais elle peut également constituer un élément nuisible à la santé mentale et à la qualité de vie de ces derniers2. La dynamique peut être fort différente d'une école
2. D'autres études ont montré comment l'école peut aussi nuire à la santé mentale d'autres groupes ; voir à ce sujet M.T. Maschimo (1993).
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à l'autre, mais comment continuer à exclure des facteurs inhérents à l'école quand deux écoles, situées sur un même territoire avec sensiblement le même type de population, enregistrent des différences significatives sur le plan des conduites pacifiques et agressives (Pransky, 1991, p. 100-108) ? En ce sens, il existe des écoles saines et des écoles dont les interactions et le climat pourraient stimuler la violence. La violence entretenue par des structures et des mentalités scolaires pourrait ainsi nourrir celle des élèves. COMMENT DÉFINIR LA VIOLENCE INSTITUTIONNELLE OU LA VIOLENCE DE L'ÉCOLE ? L'histoire du monde, de ses rébellions et de ses guerres, c'est l'histoire de ceux qui cherchent le pouvoir. (DEL VASTO, 1973, p. 127) Nous définissons la violence institutionnelle comme diverses formes d'abus de pouvoir qui font partie intégrante de la vie d'une organisation et qui causent des préjudices à autrui. Ces abus sont perçus comme des pratiques normalisées et banalisées à l'intérieur des structures et des mentalités par des personnes en fonction d'autorité, ce qui les rend encore plus sournois et pernicieux. Ils peuvent s'insérer à l'intérieur des rapports quotidiens au point qu'on les perçoit comme des gestes acceptables. Malgré leurs apparences feutrées qui prétendent vouloir le bien-être de tous, ces abus répondent en fait à un besoin de domination. Cette définition pourrait être utilisée pour analyser d'autres milieux organisationnels (voir Valiquette, 1997 ; Aurousseau et Landry, 1996). Un premier exemple peut illustrer cette définition. La présentation des notes en classe à voix haute par l'enseignant semble de prime abord un geste inoffensif. L'intention de ce geste jugée louable viserait selon une mentalité bienfaisante à complimenter publiquement les plus forts et à amener les plus faibles à se prendre en main. Allez pourtant demander à ceux qui ont obtenu de piètres résultats et qui ont connu cette façon de faire si elle a contribué à ce qu'ils redoublent d'efforts. Cette action peut à l'opposé produire des effets pervers : humiliation, révolte et découragement. Pensons aussi à certaines remarques acerbes qui viennent assaisonner la remise de notes et stimuler le rire des plus performants sur lesquels certaines victimes pourraient avoir le goût de se venger : « Frédéric, tes efforts suivent toujours la température des pays nordiques, c'est-à-dire plus au moins autour du zéro... ».
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En fait si la violence correspond à diverses formes d'abus de pouvoir, la non-violence ne correspond pas à une absence de pouvoir, mais à son partage et surtout au règlement des conflits par des moyens pacifiques, dont le respect et la dignité d'autrui qui demeurent incontournables (Mellon et Sémelin, 1994). N'estce pas une condition nécessaire à l'instauration d'une école démocratique ? En ce sens, les rapports de pouvoir entourant la violence à l'école mériteraient d'être approfondis. Comme le déclarait Alice Miller (1983, p. 341) : Je me demande si ce que l'on qualifie de pédagogie n'est pas simplement un problème de pouvoir et si nous ne ferions pas mieux d'écrire davantage sur les rapports cachés du pouvoir, que de nous casser la tête pour inventer de meilleures méthodes d'éducation. Dans une étude (Hébert et Pache, 1993) menée auprès d'élèves, on leur a demandé de décrire ce que serait pour eux une école idéale. Trois grandes tendances ressortent qui devraient nous interpeller : avoir leur mot à dire concernant la vie de l'école et les règlements ; être en présence de plus d'enseignants capables d'écoute, d'humour dans leurs cours et de passion pour leur matière ; avoir plus de cours stimulants et variés pour faciliter l'apprentissage. Malheureusement, plusieurs écoles (Goupil, 1990) ne répondent pas à ces conditions. Ces facteurs sont pourtant identifiés comme des éléments pouvant faciliter l'apprentissage et réduire les conduites violentes chez les élèves (Nizet et Hiernaux, 1984 ; Feldner et Adam, 1988). Nous analyserons plus spécifiquement trois questions majeures autour de la communication, de la démocratie et des rôles d'acteurs stratégiques à l'école afin d'illustrer que ces variables peuvent avoir des liens avec la violence et de proposer quelques recommandations pour tenter de sortir de ce fléau social. EN QUOI DES COMMUNICATIONS DYSFONCTIONNELLES PEUVENT-ELLES NOURRIR LA VIOLENCE ? Le rituel de l'échange est le rituel majeur de la neutralisation de la violence. (ATTALI, 1981, p. 220) Les écoles qui doivent faire face à des problèmes réguliers et fréquents de violence connaissent généralement des difficultés importantes à communiquer de manière efficace pour gérer leurs relations interpersonnelles. Le niveau de communication efficace entre les membres du personnel
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demeure au plus bas, les messages sont souvent incohérents, les consensus rares et les conflits omniprésents (Quivy, Ruquoy et van Campenhoudt, 1989). Nous pouvons penser qu'un enseignant qui retourne en classe après des engueulades régulières avec des collègues risque d'être à son tour plus prompt avec ses élèves. L'agression stimulerait l'agression. Comme le déclarait cet élève « Les professeurs nous disent de nous parler quand nous avons des problèmes. J'en vois qui se boudent et regardent le plancher chaque fois qu'ils se croisent dans les corridors, quels exemples ils nous donnent. » La communication entre les élèves et les représentants scolaires n'est pas nécessairement plus aisée. Il est pratiquement impossible d'exprimer ses idées dans un style correct et respectueux même avec des suggestions positives pour améliorer une situation si les questions touchent la vie scolaire, les règlements, la pédagogie et les relations entre les adultes et les jeunes. Les journaux étudiants doivent se limiter à décrire des expériences parascolaires jugées enrichissantes : un carnaval, une expo-sciences, une classe voyage. Les journalistes en herbe (Gervais, 1992) sont vite censurés et rappelés à l'ordre par les autorités de l'école, quand ils tentent de poser des questions de fond sur des difficultés liées à la vie scolaire. Les conseils de classe et de coopération ne permettent guère de régler les différends, s'il n'existe pas une véritable volonté de changement et d'ouverture de la part des adultes qui les animent. Ces moyens peuvent demeurer des artifices pour se donner une bonne conscience. Au mieux, on accepte d'y traiter les litiges entre élèves, qu'on laisse parler sans donner suite aux demandes quand il s'agit de questions touchant réellement la vie scolaire. Les tentatives d'arriver à une solution, comme la négociation, le compromis et le consensus, seraient beaucoup mieux acceptées pour gérer les difficultés vécues entre les élèves (Conseil des écoles séparées catholiques du district de Timmins, 1995), mais elles le seraient beaucoup moins quand elles portent sur les difficultés qui concernent des adultes et des structures scolaires. Les réponses des adultes demeurent parfois évasives sur ces sujets : « Cette question est trop délicate et personnelle, parlez-en à votre délégué de classe, à l'enseignant concerné, moi (tuteur) je tiens à garder un bon contact avec ce collègue, et si rien ne marche allez voir la direction. » Même lorsque les échanges se veulent francs et respectueux, ils peuvent être neutralisés et aboutir à une fin de non-recevoir. L'exemple d'une démarche avortée d'un délégué de classe au secondaire peut illustrer notre propos. Une consultation des élèves a fait ressortir que la très grande majorité d'entre eux estiment qu'un cours est
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ennuyant3, parce qu'ils ont l'impression de n'avoir fait que remplir un cahier d'exercices depuis un trimestre. Le délégué prend l'initiative de rencontrer l'enseignant en question pour lui expliquer le malaise. Il reçoit alors la réplique suivante, qui laisse peu de place au dialogue et à la recherche d'une solution : « Es-tu en train d'essayer de remettre en question ma façon d'enseigner ? Tu as besoin de te lever de bonne heure, j'ai dix ans de métier derrière moi. Ce n'est pas un élève qui va venir me dire comment faire mon travail. » Malgré une tentative de soumettre le problème à la direction pour y trouver une solution, les élèves ont eu droit à la même méthode d'apprentissage durant le reste de l'année scolaire. Jacques Salomé (1995) mentionne que l'un des plus grands handicaps dans le milieu scolaire consiste en une incapacité de se remettre en cause, ce qui bloque la communication avec autrui. Lanza del Vasto (1962, p. 264), apôtre de la nonviolence, mentionnait également que : « La rage d'avoir raison est le trait le plus marquant de la violence légitime, et que c'est une passion forcenée. » Oser dire, c'est parfois s'exposer aux représailles sournoises des adultes ; c'est pourquoi plusieurs élèves et parents préfèrent se taire. « Les formes de violences sont alors beaucoup plus une violence privative qu'une violence éclatante : la noncommunication, la non-écoute, la non-reconnaissance, la négation du corps et de l'être de l'élève » (Debardieux, 1990, p. 58). En cette fin de siècle, comment expliquer que des autorités scolaires préfèrent garder le silence sur des situations comme celles qui suivent au lieu d'en discuter et de tenter avec les divers partenaires du milieu de les corriger en respectant l'intégrité des personnes ? Nous laissons le soin au lecteur de juger si les gestes suivants relevés à titre indicatif au cours des années 1990 sont violents : • Des élèves arrivant en retard à leur cours d'éducation physique sont obligés de se déshabiller devant la classe, bien entendu en gardant leur sousvêtement, pendant que l'enseignant s'amuse à faire des commentaires sur leur anatomie. • Des élèves sont contraints à demeurer assis, en silence, durant toute la durée du repas du midi et même jusqu'au retour en classe les jours de pluie. • Un élève qui a un problème d'énurésie est placé devant la porte de sa classe avec un écriteau accroché au cou indiquant : « N'approchez pas de moi, je pue parce que j'ai fait pipi dans mon pantalon. » • Des élèves volubiles ont à tenir un bouchon de liège entre leurs lèvres en classe pour apprendre à se taire. 3. Nizet et Hiernaux (1984) ont traité des liens existant entre violence et ennui.
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• Des élèves sont interpellés en classe toute l'année par un numéro plutôt que par leur nom. • Des salons de professeurs se transforment en lieux de railleries, d'étiquetage et de préjugés à l'endroit des élèves et des parents. •
Au Québec, 5 à 8 % des enfants d'âge scolaire consommeraient du Ritalin et 70 % d'entre eux proviendraient de milieux défavorisés. Il y aurait plus d'enfants prenant du Ritalin à Montréal que dans toute la France, où le taux est 16 fois moins élevé qu'au Canada (Cohen, cité dans Baril, 1999, p. 10).
•
Des élèves n'ont plus de récréation parce que les autorités scolaires sont aux prises avec un problème de restrictions budgétaires (« Récréation », 1998).
Claude Paquette (1990) a également mis en lumière les contradictions du monde scolaire entre les valeurs qu'il prône et celles auxquelles il est fidèle. Le respect de la diversité, la responsabilité et la démocratie4 correspondraient trop souvent dans les relations quotidiennes au conformisme, à la dépendance et à la soumission. En résumé, comme nous avons essayé de le démontrer, des écoles qui préfèrent se cacher derrière des façades de transparence, témoigner de messages et de conduites incohérentes et entretenir des relations conflictuelles s'exposent en neutralisant les communications franches et les recherches de solution avec les diverses parties concernées à semer des graines de violence dans leur terreau. LA DÉMOCRATIE À L'ÉCOLE MYTHE OU RÉALITÉ ? La démocratie est le régime qui postule la responsabilité de chacun et lui ouvre donc le droit de choisir, mais aussi le devoir d'apprendre à choisir (MOUGNIOTTE, 1994, p. 65) Les sociétés traditionnelles exigeaient de l'école qu'elle forme une clientèle servile et exécutante. Les sociétés modernes demandent le développement de citoyens autonomes, responsables et créateurs pour répondre aux nouveaux défis qu'elles posent dans la vie professionnelle,
4. Il faudrait faire la différence entre la démocratie représentative et la démocratie participative. Seule cette dernière favoriserait l'harmonisation des relations à l'école. Voir à ce sujet RueffEscoubès et Moreau (1987) ainsi que Mathieu (1993).
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communautaire et personnelle. En ce sens, une socialisation à la démocratie ne conduit pas au laxisme, mais prépare dès aujourd'hui pour demain des jeunes à travailler ensemble et à coopérer avec des partenaires pour résoudre efficacement des problèmes de plus en plus complexes (voir Conseil supérieur de l'éducation, 1990, 1993, 1995 ; Rueff-Escoubès et Moreau, 1987, p. 32-49). Plusieurs écoles présenteraient pourtant des résistances à s'ajuster à ce changement. L'exercice de la démocratie resterait souvent au niveau des mots (Chalifoux, 1993, p. 79), parce qu'il serait perçu comme une menace à leur autorité, alors que cette notion doit être comprise dans un sens éducatif. Le concept d'autorité doit être repensé. Éduquer suppose désormais qu'on apprenne à construire la loi, à se donner des devoirs ensemble, à se contraindre ensemble, sans pour autant que ces contraintes puissent être considérées comme préalables et externes (Houssaye, 1996, p. 180). Des écoles continuent à imposer leur loi sans réellement construire les règles de vie avec les élèves. Pourtant, les écoles où règne un climat pacifique (Pransky, 1991) ont su faire participer ces derniers à leur élaboration et à leur application à l'intérieur d'une structure plus proche d'une démocratie participative. Même des auteurs (Bynum et Thompson, 1999, p. 480) reconnus pour exclure la responsabilité de l'école face aux problèmes de comportement et de délinquance juvénile mentionnent qu'il est urgent de prévoir des changements dans les modes de participation des élèves tant dans les écoles primaires que secondaires. Cette orientation aiderait à prévenir des conduites antisociales, à augmenter la socialisation, à développer le leadership, le sentiment d'appartenance, le sens des responsabilités et favoriserait le développement d'une conscience sociale pour aider à résoudre des problèmes qu'éprouve l'école. Il existerait également des confusions importantes entre les notions d'imposition d'une discipline et de développement d'une autodiscipline (Gordon, 1990) chez l'enfant et entre celles d'usage et d'abus du pouvoir (Valiquette, 1997). S'ouvrir à un exercice démocratique ne consiste pas uniquement à discuter avec les élèves pour se donner bonne conscience, mais bien à les considérer comme des alliés et des partenaires créatifs autour d'un projet de vie en commun plutôt que de les percevoir comme des adversaires ou des êtres irresponsables à contraindre parce qu'ils comprendront plus tard. Bien souvent, les discussions entre les autorités scolaires et les élèves ressembleraient à des dialogues de sourds et à des manipulations langagières pour assurer le statu quo sur des questions importantes reliées à des décisions sur la qualité de vie à l'école, les relations entre les adultes et les jeunes et les règlements.
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Les élèves nommés comme délégués de classe ne connaissent pas toujours un sort plus heureux lorsqu'ils essaient d'aborder des questions touchant la vie scolaire. La majorité des conseils étudiants sont animés par un membre de la direction ou un adulte nommé par cette dernière. Cette personne peut être très habile à manier les mots, les procédures d'animation, de discussion et de prises de décision, que les élèves ne maîtrisent pas encore aussi bien que des adultes expérimentés. D'ailleurs, dans la majorité des écoles les élèves ne reçoivent aucune préparation ou formation pour comprendre leur mandat et leur rôle de représentants auprès de leur classe, du conseil étudiant et du conseil d'établissement. Les propositions constructives et les tentatives de dialogue amorcées par des délégués étudiants sont rarement prises en considération pour améliorer la pédagogie, les règlements et les relations entre les adultes et les jeunes. La crédibilité d'un comité étudiant peut même être mise en doute quand ses positions ne vont pas dans le sens des autorités scolaires. Une directrice qui n'était pas d'accord avec la position adoptée par le conseil étudiant est passée dans chaque classe en annonçant : « Je connais l'opinion du conseil étudiant, mais je préfère revenir à la base pour recevoir des propositions intelligentes. » Le processus de sélection pour le choix des représentants étudiants n'est pas toujours pris au sérieux, ni transparent. Des directions, par exemple, convoquent avant les élections des candidats potentiels pour leur suggérer de se présenter en sachant qu'habituellement très peu de volontaires accourent à ces postes. Ces représentants présélectionnés ont souvent en commun la réputation d'être des élèves dociles et faciles à manipuler parce qu'ils abondent dans le sens des autorités scolaires5. Même lorsque des représentants étudiants exercent adéquatement leur rôle en posant des questions et en formulant des propositions, ils peuvent se faire rabrouer : « Tu ne vas pas commencer à nous dire ce qu'on a à faire ici ! » Des adultes bien intentionnés prétendront qu'avant l'âge de la majorité il ne faut pas prendre trop au sérieux cette initiation à la démocratie scolaire. Inutile de s'inquiéter, puisque des parents sont nommés aux conseils décisionnels afin de s'assurer qu'ils représentent bien les besoins des élèves6. Une proposition adoptée à ces instances ne garantit cependant
5. Ce procédé est également utilisé dans des écoles pour sélectionner des parents siégeant aux comités d'école avec sensiblement les mêmes critères, sauf que l'on se limite à des appels téléphoniques... 6. Par exemple, au Québec, deux élèves à partir de la quatrième année du secondaire sont élus à ces comités, mais sans droit de vote (Gouvernement du Québec, Loi modifiant la loi sur l'instruction publique et ses diverses positions législatives, Québec, Éditeur officiel, 1997, p. 8).
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pas qu'elle se traduira pas une application tangible dans le quotidien d'une école. Cette remarque d'enseignant en témoigne : « Décidez bien ce que vous voudrez, on en disposera bien comme on voudra, car c'est nous qui sommes à l'école toute la journée. » Jacques Godbout (1983) a montré que le fait de faire participer les gens n'assure aucunement le respect d'un processus démocratique dans une organisation. Des permanents peuvent être enclins à accepter une participation instrumentale pour autant qu'elle reste en accord avec leur vision des choses. Ils deviennent cependant réfractaires à s'engager dans des changements structurels et idéologiques qui menaceraient leurs acquis et leurs privilèges, même si ces derniers vont à l'encontre des besoins d'une majorité d'usagers. Certains indices laissent même entrevoir que des administrations scolaires, tout comme certains gouvernements, tentent d'introduire chez des élus l'obligation de solidarité ministérielle (Montigny, 1998, p. 5). Cette contrainte empêche l'expression publique de positions différentes de celles établies par la ligne de gestion et prive les décideurs et la population d'un débat éclairé. Cette stratégie comporte des risques importants de saper les fondements mêmes d'une société démocratique. En résumé, empêcher des personnes d'exprimer leur opinion aux moments opportuns, court-circuiter des débats, bafouer des processus de consultation, ne pas donner de suites concrètes à des propositions dûment votées représentent des actions pouvant provoquer la démission, la résignation, la révolte ou la violence. DES ACTEURS STRATÉGIQUES POURRAIENT-ILS ÊTRE PORTEURS DE VIOLENCE ? Que les prudents nous dirigent, que les maîtres nous enseignent et que les saints prient pour nous. (Saint Thomas D'AQUIN, cité dans Chalifoux, 1993, p. 83) L'école, comme nous l'avons énoncé, avec ses structures et ses mentalités, n'est pas une entité abstraite. Elle est le reflet des acteurs qui la composent et surtout d'adultes qui ont pour mission de contribuer à la socialisation des jeunes qui leur sont confiés et de leur servir de modèles de conduite (Rueff-Escoubès et Moreau, 1987). En ce sens, leurs rôles restent déterminants pour favoriser un climat pacifique à l'école. La littérature et nos observations nous indiquent que certains de ces acteurs ne remplissent pas adéquatement leur mandat et peuvent stimuler la violence dans une
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organisation scolaire. Nous traiterons plus spécifiquement de directions, de personnels enseignant et non enseignant qui entretiennent des relations interpersonnelles empreintes de contradictions et de provocations contribuant à la violence en milieu scolaire. LES DIRECTIONS Il y a quatre phases pour supporter un monde. (Elle avait levé quatre doigts noueux). La connaissance du sage, la justice du grand, les prières du pieux et le courage du brave. Mais tout cela n'est rien sans... celui qui gouverne et connaît l'art de gouverner. (HERBERT, 1970, p. 37) Les personnes nommées à ces postes occupent une fonction capitale et possèdent un pouvoir stratégique. Elles peuvent faciliter les interactions entre les acteurs, reconnaître les besoins et tenter d'y répondre avec l'appui de la communauté, créer un climat propice à la convivialité et à la sécurité de tous. Les styles de la direction joueraient un rôle important dans la dynamique d'une école. Une direction capable d'apporter un leadership et un soutien sur les plans pédagogique et humain améliorerait la performance des enseignants et des élèves (Brunet, Corriveau et Damuri, 1987). Toutes les écoles ne connaissent pas ce type de dynamisme. La personnalité de certains directeurs est un facteur mis en cause pour expliquer la détérioration du climat scolaire et les manifestations de violence dans des écoles. S'il est démissionnaire, s'il a peur, ce comportement se traduit presque automatiquement par d'énormes conflits d'équipes. On ne réglera pas les problèmes de violence à l'école si l'on ne règle pas d'abord les conflits internes aux équipes d'adultes7. Jacques Pain (1994), professeur au Département des sciences de l'éducation à l'Université de Paris X et possédant une vaste expérience auprès d'établissements en difficulté, abonde dans le même sens. Une direction peut réduire les violences en milieu scolaire quand elle démontre des capacités d'organisation, de communication, d'ouverture, d'initiative et de justice. Il est aberrant de constater que parmi ces instances administratives peuvent coexister des conduites extrêmes qui vont du meilleur au pire. Quelques exemples négatifs de propos tenus par des personnes exerçant cette fonction illustrent bien cette position : « Pour moi, il n'y a pas
7. B. Gurney, citant É. Debardieux, « Les enseignant s'inquiètent du développement des violences scolaires », Le Monde, section éducation, 31 janvier 1996.
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de violence tant qu'il n'y a pas de sang. » « L'application d'une mesure disciplinaire, ça dépend de quel pied je me lève ce matin-là. » « Tourne-toi une minute, oh ! sais-tu, je les comprends... c'est juste une farce. » « Écoute, tu ne vas quand même pas en faire un drame, laisse tomber, ils ne t'ont pas violée quand même. » Les deux dernières phrases ont été adressées à des élèves d'écoles différentes venues déposer une plainte pour harcèlement sexuel. Ces extraits nous laissent songeur quand nous pensons qu'ils ont été formulées par des représentants de l'autorité. Nous pouvons anticiper que des réponses semblables sont susceptibles d'entraîner des incohérences et des injustices auxquelles des jeunes sont particulièrement sensibles. Elles risquent de susciter des réactions violentes et des effets négatifs dans les milieux touchés par ces contradictions. Certaines directions possèdent l'art d'individualiser, de nier ou de minimiser un problème et les préjudices causés même si plusieurs plaintes formelles leur ont été adressées. Le plaignant risque de se sentir envahi par un sentiment de culpabilité à la sortie d'un bureau de direction. Il doit comprendre qu'il est le seul à vivre ce problème, qu'il en est l'unique responsable et que la solution est dans son camp. Le commentaire de ce directeur témoigne de sa volonté de sortir de ce jeu : Dans mon équipe, c'est pratiquement toujours le même petit noyau d'adultes qui m'envoient des élèves pour impolitesse. Je commence à en avoir assez de les défendre et d'obliger uniquement les jeunes à s'excuser, alors qu'eux aussi ont contribué à envenimer la situation. Cette année, j'ai décidé de prendre une autre position, de rencontrer les deux parties et de leur demander des excuses mutuelles, car dans les faits il y a souvent des torts réciproques. Gaston Chalifoux (1993, p. 130)8, un directeur cumulant de nombreuses années d'investissement au secondaire, avance une explication aux incongruités relevées chez certaines personnes occupant ces postes clés : « Malheureusement, le caractère humain des candidats choisis pour des postes de directeurs ou de gestionnaires n'est pas un critère retenu ou encore moins privilégié au sein des comités de sélection. » 8. Voir également le film DOC. Le scénario, tiré d'une histoire vécue dans une école secondaire américaine, montre comment l'arrivée d'un directeur humain et pragmatique réussit à transformer une atmosphère de violence et de morosité en un climat de réussite et de paix.
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LES ENSEIGNANTS Ce jeune homme, je ne peux rien lui apprendre, il ne m'aime pas. (SOCRATE, cité dans Chalifoux, 1993, p. 153) Les enseignants demeurent des acteurs incontournables dans la dynamique d'une école. Ce sont principalement eux qui voient à reconnaître l'élève, à le soutenir et à le valoriser dans ses apprentissages. Un élève passe la plus grande période de sa vie scolaire avec eux. Cette expérience peut être marquée par des souvenirs ineffaçables, remplie d'images d'êtres passionnés par leur métier et capables de stimulations à l'apprentissage, à la joie de vivre, mais également de visions associées au découragement, au dégoût, au mépris et à la douleur. Les élèves apprennent mieux d'un « prof » qu'ils aiment (Aspy et Roebuck, 1990). L'enseignant, pour créer un climat propice à l'apprentissage et à la socialisation, a besoin de tisser des liens significatifs avec ses élèves. S'il est en mesure d'établir des relations humaines (Caron, 1994 ; Chalvin, 1994) et de gérer positivement les comportements des élèves, il obtiendra du succès. Que les conventions collectives améliorent les conditions de travail de ce groupe demeure une initiative souhaitable, mais cette mesure n'éliminera pas le fait que des personnes qui occupent ces fonctions ne sont malgré tout pas à leur place et engendreront des effets nuisibles à la vie scolaire. Peu d'études traitent de l'influence de cette variable de nature à perturber le climat d'une classe et même d'une école. Tenter de cerner l'ampleur et l'impact du phénomène des enseignants qui présentent des difficultés interpersonnelles n'est pas une chose facile. Il existe une forme de consigne du silence dans plusieurs milieux autour de ce sujet qui mérite pourtant une attention particulière parce que des enfants peuvent subir les conséquences des dysfonctionnements de ces enseignants. Près d'un enseignant sur cinq se déclare désabusé (Proulx, 1994). Une personne désabusée ne courtelle pas plus de risques de recourir aux abus ? Près de la moitié des demandes de remboursement de soins adressées par les enseignants à leur compagnie d'assurances collectives concernent le traitement de pathologies mentales (Maschimo, 1993, p. 222). Il est sûrement plus difficile d'établir des rapports harmonieux quand une personne devient vulnérable. Ce choix de carrière correspondrait par ailleurs à un compromis du moindre mal pour plusieurs enseignants. Après avoir essuyé des refus dans leurs premiers choix de carrière, ils se sont rabattus sur une sécurité
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d'emploi et des avantages sociaux. Des enseignants éprouveraient des difficultés sérieuses à entretenir des relations humaines. Étant incapables d'avoir des rapports égalitaires dans le monde adulte, ils se réfugieraient derrière le dogmatisme du règlement et de la menace auprès des enfants pour préserver leur pouvoir et leur autorité. Il est même inquiétant de voir la surprotection abusive et anti-éthique que leur offre leur syndicat. Le diplôme et le nombre d'années d'expérience n'assurent pas davantage une garantie de compétence à transmettre des connaissances, car ces individus manifesteraient des carences sur le plan de la congruence, de l'acceptation d'autrui et de l'empathie (voir Daniel, 1992 ; Maschimo, 1993, p. 256-262 ; Piloz, 1999). Nous pouvons conserver, malgré tout, un certain optimisme en nous rappelant que la majorité des enseignants le sont par choix, par passion et par goût de partager leur savoir-être en créant un climat pacifique autour d'eux9. Il faut mentionner que des adultes en position d'autorité peuvent également utiliser « des mots qui tuent10 » dans leurs rapports avec les jeunes et certains enseignants ne font pas exception à cette règle. « Certes les châtiments corporels y sont interdits... Cet interdit est de plus en plus respecté. Mais la violence psychologique, elle, subsiste, certains élèves dans une classe étant parfois pris par un enseignant comme de véritables "têtes de Turc", et ce, jusque dans le primaire » (Brisset, 1997, p. 162). En attendant que les choses changent, il nous paraît pertinent de discuter de ces adultes en difficulté relationnelle, même s'ils demeurent minoritaires dans le milieu scolaire, parce qu'ils produisent des effets destructeurs auprès des élèves et de l'environnement scolaire. Voici quelques exemples de propos adressés, par ces derniers, à des parents d'élèves : « Ne perdez pas votre temps avec lui, il est "bouché", il n'y a rien à en tirer. » « Vous devriez immédiatement le mettre en centre d'accueil, c'est un délinquant irrécupérable » ; ou une série de mots qui dénigrent, comme « twit, épais, niaiseux, con, tu as le cerveau de la grosseur d'une bille, etc. ». Alain Mougniotte (1994, p. 97-101), professeur à l'Université de Lyon et docteur en sciences de l'éducation, a montré comment des dictateurs peuvent se glisser dans cette profession. Nous avons pu étudier de plus près une dizaine de cas dont nous désirons dresser un profil général, car ce sous-groupe produit des effets destructeurs. Ces enseignants sont subtils, intelligents et ils connaissent parfaitement leurs droits et la marge de manoeuvre dont ils disposent. Un peu comme un conjoint abusif dans sa relation conjugale, ils sont difficiles à débusquer. Ils se montrent habiles
9. Voir les expériences de B. Defrance (1988) et de R. Dubois (1992). 10. Cette expression a été utilisée dans le Rapport du groupe de travail pour les jeunes, Un Québec fou de ses enfants, Québec, Gouvernement du Québec, 1991.
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LA VIOLENCE À L'ÉCOLE
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à présenter deux images de leur personnalité. À l'extérieur, ils sont charmants et prévenants au point que leurs voisins mis au courant de leur conduite violente répliqueront : « Pas lui, ce n'est pas possible, il est si gentil... » À l'intérieur de leur domicile, lorsque la porte est close et qu'il n'y a pas de témoins gênants, ils s'exercent à leur sport préféré : la tyrannie. Leur devise pourrait se résumer à : « Profite des autres avant qu'ils ne profitent de toi, peu importe le moyens, ce qui compte c'est de gagner ; ne donne jamais une chance aux autres » (Palomarès, Lalanne et Logan, 1987, p. 259). Ils savent discriminer leurs victimes, sachant que les parents et les élèves voient parfois à faire respecter leurs droits. Ils sont parfois nostalgiques quand ils pensent que voilà un quart de siècle, ils pouvaient frapper les enfants sans risque de représailles. Cette évolution dans les moeurs les oblige à user d'une plus grande ruse pour assurer leur domination sur autrui, cette fois sous la forme de violences verbales et psychologiques : ignorance, indifférence, humiliation, railleries, sarcasmes, manipulation et chantage. Aux rencontres de parents, ils savent se montrer souriants, tout en exposant leurs théories sur l'éducation des enfants : « Vous savez, avec mon expérience, faites-moi confiance, je connais ce qui peut assurer leur bienêtre et leur progrès. Les premiers temps, on enseigne peu, car il faut les mettre à notre main. » Cette stratégie leur permet de détecter les parents soumis et ceux qui expriment des réserves sur leurs propos. Ils pourront ainsi mieux repérer dans leur classe les futurs boucs émissaires et les intouchables. Ils ont compris qu'ils ne peuvent survivre en se mettant tout le monde à dos. Pris en défaut dans des situations extrêmes, surtout lors de mises au point dans le bureau de la direction et avec des témoins adultes, ils peuvent faire amende honorable et même verser une larme pour attendrir les témoins en ajoutant : «Vous savez, les enfants ont dû mal interpréter mes propos, à cet âge, ils ont de la difficulté à saisir mon humour. J'ai compris, je ne recommencerai plus ces blagues". » Ce qui ne les empêchera pas, après ce genre d'incident, de retourner en classe où ils sont habituellement à leur meilleur, une fois la porte close, pour affirmer leur autorité et déclarer aux élèves sur un ton solennel : « Il y a dans cette classe des rapporteurs, des élèves qui sont incapables d'humour. C'est malheureux, je ne ferai plus de farces avec vous, parce qu'il y en a qui comprennent moins vite, ce qui explique pourquoi je me suis retrouvé aujourd'hui dans le trouble. » Cette stratégie leur permet même dans
11. L'excuse d'un humour incompris demeure l'un de leurs arguments favoris pour s'en sortir. Quant aux mots crus comme « enfant de chienne » et « fils de pute », ils préfèrent les dire à voix basse en serrant les dents et en pensant que personne ne les a entendus.
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l'adversité de trouver quelques alliés dans la salle et de sauver leur honneur. « Ah ! bien, ça c'est ennuyant, on commençait juste à avoir du plaisir. » Ils profitent de ce genre de réplique d'un élève pour mettre un point final à la discussion : « Que voulez-vous, toute bonne chose a une fin, mais ce n'est que partie remise. » Comme on peut s'y attendre, même si ces individus sont minoritaires dans le milieu scolaire, leur attitude peut causer de nombreux préjudices12. Une victime peut être amenée à se replier sur elle-même (perte d'estime de soi, passivité, etc.) ou à se venger sur des élèves qui ont participé à ces blagues humiliantes, sur l'enseignant dictateur ou sur un enseignant moins craint qui pourra subir les foudres de cet élève au cours suivant parce qu'il représente un symbole de mépris et d'incohérence. Si l'adulte cautionne le fait que le dénigrement, le sarcasme et l'humour peuvent être utiles pour abaisser autrui, pourquoi les élèves ne pourraient-ils pas adopter les mêmes méthodes dans la cour de récréation ou ailleurs? Une école ne peut tolérer que des adultes en position d'autorité approuvent le rejet ou l'exclusion. Les victimes d'humiliations constantes peuvent un jour, dans des cas extrêmes, passer du statut de victime à celui d'agresseur, comme le montre l'exemple des tueries collectives. En ce sens, le commentaire d'une élève (« Un garçon abat... », 1999) d'une école secondaire de l'Ouest canadien où s'est déroulée une tuerie, une semaine après celle du Colorado, incite à réfléchir : « Il n'était pas très populaire et la plupart des élèves étaient vraiment méchants à son égard. » En fait, ces personnes abusives créent autour d'elles un climat de terreur, de crainte et de stress inutiles. Même des collègues au courant de leurs abus préfèrent souvent se taire pour éviter que dégénère un climat de travail déjà fragile ou qu'ils deviennent eux-mêmes des victimes en brisant la consigne du silence. Ce commentaire d'une enseignante en témoigne : « Je sais que X est très violent avec les élèves, mais jamais je n'oserai aborder ce sujet avec lui, avec la direction ou en réunion d'équipe. J'aurais peur de goûter à sa médecine. » En résumé, certains enseignants souffrent et sont malheureux dans le milieu scolaire et reproduisent leurs malaises autour d'eux. Ce sont, pour le moment, surtout des éducateurs de malheur plutôt que de bonheur. Daniel Pennac (1997, p. 229-230), enseignant et romancier, qualifie ces hommes et femmes d'amputés de leur enfance. Il y aurait encore un peu d'espoir de les sauver même si, à première vue, rien n'indique qu'ils aiment les enfants. Il subsisterait en eux une parcelle de chaleur humaine qui ne demanderait qu'une bonne dose d'énergie et d'encadrement pour
12. Voir à ce sujet A. Miller (1983) et A. Mougniotte (1994).
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éclore. On ne peut que souhaiter à tous les élèves de se trouver en présence d'enseignants heureux, passionnés, humains et compétents qui leur éviteront des traumatismes inutiles, parce qu'une seule année avec un éducateur de malheur est une année gâchée et fait courir le risque de dégoûter d'une matière et parfois de la vie. La réplique de certains parents à leur enfant, dans ces situations, nous apparaît tout aussi dangereuse « Prends ton mal en patience, l'an prochain, ça ira mieux. » LE PERSONNEL NON ENSEIGNANT Celui qui à force de savoir chaque fois plus de chaque fois moins finit par savoir tout de rien. (Lanza DEL VASTO, 1962) Plusieurs adultes exercent diverses fonctions de soutien et d'accompagnement auprès des élèves. Nous parlons plus spécifiquement ici d'intervenants ayant à exercer des rôles directs pour prévenir et réduire les comportements violents à l'école : les surveillants, les policiers et les intervenants psychosociaux. Chez eux également des écarts majeurs de conduite existent qui peuvent contribuer à provoquer la violence des élèves ou au contraire favoriser un climat pacifique. Les surveillants (Gouvernement du Québec, 1989, p. 50) voient à appliquer des mesures préventives et correctives pour « assurer la sécurité physique et morale des élèves et garantir des conditions d'apprentissage qui respectent leurs droits ». Il est parfois difficile de saisir comment, dans une école prônant le respect de tous, un surveillant puisse allègrement interpeller un élève par un « Hé ! le frisé, décolle des casiers, ça presse ». L'embauche d'agents de sécurité munis de gabarits imposants (Ouimet, 1993) pourrait-elle produire des effets pervers ? Voudrait-on faire passer le message, chez les élèves, qu'une personne plus costaude peut imposer sa loi ? Des policiers sont également employés à des fins de répression, de dissuasion et de prévention dans les écoles. Les méthodes de fouille et de perquisition qu'ils emploient ne respectent pas toujours les règles de l'art en vigueur le plus souvent dans le cas des adultes. De plus, la littérature (Hébert, Hamel et Savoie, 1997) indique que la présence policière, si elle peut temporairement atténuer l'insécurité collective, ne constitue pas une solution suffisante et durable. Elle peut conduire à déplacer ou à dissimuler un problème. Deux exemples peuvent illustrer notre propos. Des élèves ne règlent plus « leurs différends » à l'école, mais attendent plutôt de se retrouver dans un parc, à proximité de l'école. À la suite d'une série de suicides d'élèves liés à un réseau de taxage (racket), un policier travaillant dans une école depuis plus d'un an révélait aux médias :
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« Je n'étais pas au courant des activités de cette bande à l'école. » On peut aussi s'interroger sur la conduite de certains agents de la paix, susceptible de provoquer la violence. Une étude (Jacob, Hébert et Blais, 1996) réalisée auprès de jeunes Québécois d'origine haïtienne rapporte que la majorité d'entre eux ont été l'objet de propos racistes quand ils ont été interpellés par des membres des forces de l'ordre. Le mot le plus fréquemment employé dans les échanges était « nègre ». Les interventions de certains spécialistes - criminologues, psychologues, psycho-éducateurs et travailleurs sociaux - doivent également être remises en question devant la violence que connaissent certaines écoles. Des acteurs parmi ce groupe auraient une tendance marquée à recourir à des approches centrées sur des facteurs individuels pour expliquer les difficultés et intervenir surtout auprès des élèves (voir Thin, 1994). L'accent est mis presque exclusivement sur des facteurs personnels ou familiaux, alors que des facteurs scolaires13 et sociaux sont souvent associés aux problèmes vécus par des élèves. On peut parfois se demander comment les valeurs guidant leurs professions, comme la justice sociale, le respect des différences et la défense des droits des usagers, se traduisent dans leur pratique. Comment peuvent-ils se faire les courroies de transmission de logiques institutionnelles axées sur la culpabilité, l'étiquetage, le contrôle et la soumission inconditionnelle des élèves ? L'ambiguïté de leur rôle pourrait d'ailleurs déclencher des conduites violentes : Ceux-ci savent bien que leur action est équivoque ou paradoxale, qu'ils sont agents de changement autant que fonctionnaires des bureaucraties, catalyseurs de solidarités autant que gestionnaires de l'exclusion, protecteurs des minorités autant que contrôleurs expressément mandatés (Ion et Tricart, 1998, p. 4). Que doit retenir un élève d'un message comme celui-ci : « Je te comprends, sur le fond tu as raison, mais si tu continues à t'opposer, il y aura d'autres conséquences » ? Les intervenants psychosociaux auraient intérêt, face aux nouveaux défis de la pratique, à exercer davantage leur rôle de médiateur (voir Freynet, 1995) pour aider à prévenir et à résoudre des conflits entre les institutions, les intervenants et les usagers et ainsi faciliter le partage des responsabilités et l'établissement de consensus avec la communauté. 13. Voir les études de Feldner et Adam (1988) et de Pransky (1991) qui montrent comment des approches écologiques et sociales sont significativement plus efficaces que les interventions individuelles pour réduire des problèmes scolaires.
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LA VIOLENCE À L'ÉCOLE
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En résumé, il devient plus ardu à partir de ce tableau d'ensemble de situer les causes de la violence en milieu scolaire uniquement à l'extérieur de son enceinte. Nous pouvons anticiper que des messages incohérents et violents de personnes exerçant des fonctions d'autorité peuvent être porteurs de violence. Les politiques de tolérance zéro (Blackwell, 1998 ; Centrale des enseignants du Québec, 1992) adoptées par des milieux scolaires présenteraient dans cette perspective des contradictions dans leur application. Les autorités scolaires ne toléreraient pratiquement aucune forme de violence envers leur personnel de la part des élèves, alors que des manifestations de violence de membres du personnel entre eux et à l'endroit des élèves seraient ignorées ou banalisées. Certaines formes de violence entre élèves seraient également minimisées quand elles sont rapportées aux autorités. Ce commentaire d'un parent (Hétu, 1999), à la suite de la tuerie de Littleton au Colorado, illustre cette position : « Les autorités de l'école auraient dû se pencher sur ce que les enfants leur disaient au sujet du racisme. Mais ils ont choisi de balayer la question sous le tapis. » Il faudrait également un jour que d'autres recherches portent un regard plus attentif à d'autres formes de violence qui drainent le quotidien de plusieurs écoles : le bruit incessant à certaines périodes, les horaires inhumains, les périodes intensives d'examens, la surcharge de travail, les programmes, l'architecture, la température et les transports inadaptés, le manque dramatique de matériel et de ressources humaines, les règles désuètes, l'individualisme radical et l'excellence méprisante. Une hypothèse (Paré, 1998), par exemple, est avancée pour expliquer la hausse des prescriptions de Ritalin dans des écoles : l'augmentation serait attribuable à une pénurie de ressources humaines. COMMENT S'EN SORTIR ? Y a-t-il un seul mot qui puisse guider une vie entière ? Ne serait-ce que par considération, ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit. (CONFUCIUS) Les pistes de solution les plus prometteuses s'orientent vers la nécessité que tous les acteurs à l'intérieur et à l'extérieur de l'école travaillent dans le même sens autour d'un projet éducatif et social non violent. Mais travailler ensemble paraît beaucoup plus facile à dire qu'à faire. Certaines conditions (Direction générale de la Montérégie, 1996 ; Hébert, 1998) doivent être remplies et respectées pour assurer la réussite d'un tel projet :
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une prise de conscience collective, un plan d'action stratégique à court, à moyen et à long terme, une volonté commune de changement, un leadership reconnu et partagé, de même qu'un travail en partenariat. Certains milieux se montrent disposés à remplir ces conditions, alors que d'autres font preuve de résistance et d'opposition. Fritjof Capra (1985, p. 34), était sûrement un grand visionnaire quand il annonçait que l'un des plus grands défis auquel nous serons confrontés dans l'avenir consistera à accepter de profonds changements sur le plan des mentalités. Mais ce changement au niveau des idées devra s'accompagner d'une transformation en profondeur des mentalités : il ne suffit pas que la tête évolue, le coeur doit suivre. Car ce n'est pas par le seul intellect que se fera le difficile et tumultueux passage d'une société avide de pouvoir, obnubilée par la domination et le contrôle, à une communauté travaillant à développer la coopération et la nonviolence. Plusieurs milieux scolaires éprouveraient des difficultés majeures à réaliser ce changement de cap. Jean Houssaye (1996, p. 175), spécialiste en sciences de l'éducation, place l'un des enjeux centraux à ce niveau. « Au fond, ce qui se pose à travers le problème de l'autorité, c'est la question de la construction et de la légitimation de la loi de l'école, de cette loi qui permet de se confronter au vivre ensemble. En ce sens l'autorité est un véritable refus d'affronter ce vivre ensemble en substituant l'imposition à la construction. » L'école traverserait actuellement une crise fondamentale où elle ne pourrait survivre qu'en redonnant un sens à sa mission. Selon deux éminents philosophes (Comte-Sponville et Ferry, 1998, p. 427), elle devrait, pour ce faire, éviter le piège de fonder sa légitimité sur « ces deux logiques fatales que sont celles des arguments d'autorité et du divertissement consumériste ». Chris Argyris (1993), professeur à Harvard et consultant en changement organisationnel auprès de nombreux établissements, dégage les principaux motifs des blocages d'initiatives dans les milieux scolaires. Il serait souvent ardu d'y introduire des changements à cause d'un manque flagrant de volonté et de motivation des acteurs stratégiques. Des gestionnaires entretiennent un discours d'ouverture aux changements, mais ils ne font pas grand-chose pour les produire et les soutenir. Des stratégies contre-productives comme le camouflage et l'esquive servent davantage à préserver le statu quo. Des enseignants invoquent, comme principal problème rencontré, l'indiscipline des élèves. Cette réponse leur sert de prétexte pour dissimuler leur débordement. Au quotidien, ils sont plutôt dépassés par les changements de programmes qu'on leur impose et par les pertes de temps à répondre à des demandes bureaucratiques trop souvent inutiles. Ce contexte ne permettrait pas de consacrer l'énergie
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LA VIOLENCE À L'ÉCOLE
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nécessaire à l'établissement de relations conviviales. Leurs stratégies de survie les conduisent à recourir à la domination, à la fraternisation et à la distanciation pour éviter d'examiner le rôle et la responsabilité de l'école face à ses dysfonctionnements. Une seconde notion mériterait également plus d'attention pour améliorer la vie scolaire. Plusieurs adultes, de façon inavouée, craindraient les enfants comme ils craignent la violence, alors qu'il faudrait apprendre à les apprivoiser pour établir une relation significative et les aider à s'orienter dans des voies positives : Ici est cité un sentiment essentiel, la crainte de l'enfant chez l'adulte, celle-là même qui «justifie » les innombrables mesures et procédures de contrôle et de « redressement ». Angoisse non résolue, aussi pressante, peut-être, que l'amour qu'il inspire. On se situe là au coeur même de l'ambivalence à l'égard de l'enfant (Brisset, 1997, p. 23)14. Nous formulons pour terminer quelques recommandations qui pourraient favoriser un climat plus pacifique à l'école. PERMETTRE DES COMMUNICATIONS PLUS SAINES ET EFFICACES • Mettre en place de nouveaux mécanismes de communication entre les parents et les personnels scolaires afin de faire tomber les craintes des uns vis-à-vis des autres et d'instaurer de réelles collaborations autour de projets communs (voir Cochran et Deau, 1991). • Nommer dans chaque commission scolaire un ombudsman élu par l'ensemble des partenaires pour un mandat déterminé, qui verrait à traiter les plaintes, à assurer le respect des droits de tous et à proposer un service de médiation autant pour les adultes que pour les élèves. Trop d'écoles se limitent à recourir à la médiation uniquement pour les conflits entre élèves, alors que les conflits peuvent inévitablement survenir entre adultes et entre adultes et jeunes. • Créer un journal scolaire où tous les partenaires pourraient exprimer leurs idées sur ce qui n'irait pas dans une école. Ce moyen de communication permettrait de nommer, sans censure, les problèmes et de proposer des pistes de solution pour discussion aux instances décisionnelles pour autant que le langage respecte la Charte des droits et libertés. Cette mesure viserait également à rapporter ce qui va bien à l'école et à souligner les actions positives pour améliorer la qualité de vie. 14. Voir aussi J. Houssaye (1996, p. 177) et L. Piloz (1999).
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• Continuer à dénoncer et à combattre les diverses formes d'injustice sociale et de violence en créant dans chaque école un comité de promotion de la nonviolence15. FAVORISER LA MISE EN OEUVRE D'UNE DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE • Lire les thèses de John Dewey (1967, 1969, 1983). Ce pédagogue pragmatique était soucieux de traduire ses idées démocratiques dans l'action en s'assurant d'évaluer qu'elles possédaient une utilité sociale. • S'assurer que les élèves et les parents peuvent se réunir pour faire régulièrement le point entre eux sur la vie scolaire, tout comme les enseignants et les directions ont l'occasion de le faire pour élaborer des dossiers et étoffer leurs arguments avant d'envoyer leurs représentants siéger aux différents comités et instances. • Former les directions, les élèves, les enseignants et les parents à travailler à l'intérieur d'une démocratie participative parce que cette méthode n'est pas innée16. • Associer aux groupes de travail visant à élaborer des plans d'action pour combattre la violence des professionnels en organisation communautaire reconnus par le milieu pour leurs compétences en animation et en mobilisation sociale. • Permettre aux divers usagers de l'école (parents, élèves, enseignants, personnel non enseignant, directions, représentants communautaires) de bâtir ensemble un plan d'action afin de juger (Zuniga, 1994 ; Hawkins, Catalano et al., 1992) la capacité d'un milieu à faciliter les relations humaines, à apprendre à résoudre et à prévenir positivement des conflits et à créer un climat propice à la paix et à la sécurité pour tous. • Bâtir un projet d'éducation et de socialisation à la non-violence en impliquant les partenaires internes et externes de l'école et en s'assurant qu'ils sont disposés à remplir les conditions nécessaires au succès de ce projet (Hébert, 1998 ; Direction régionale de la Montérégie, 1996). 15. Voir les pistes d'action suggérées par L. del Vasto (1962) et par J. Sémelin (1983). 16. Voir l'expérience de C. Rueff-Escoubès et J: F. Moreau (1987), R. Mathieu (1993) et A. Mougniotte (1994).
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FAVORISER UNE PRÉSENCE ACCRUE D'ADULTES HUMAINS, JUSTES ET COHÉRENTS • Créer des passerelles pour aider les personnels scolaires « essoufflés » à changer de cadre de travail temporairement ou définitivement pour une transition vers d'autres fonctions. Les syndicats et les gouvernements devraient s'atteler à cette tâche afin de trouver des solutions originales à ce dossier urgent. • Disposer dans les écoles de ressources humaines et compétentes aux bons endroits et en nombre suffisant. Le philosophe Jacques Dufresne posait un jour cette question : À quoi peuvent servir des milliers de fonctionnaires au ministère de l'Éducation, alors qu'il y a d'urgents besoins d'effectifs dans les écoles ? • Permettre que plus d'écoles soient associées à des milieux pacifiques et sécuritaires où il est possible de vivre avec plus de modèles adultes empreints d'humanisme, de justice, de respect et de cohérence (voir Salomé, 1995 ; Caouette, 1992). • Soutenir, valoriser, reconnaître et superviser les adultes qui travaillent auprès des élèves. EN GUISE DE CONCLUSION La vérité et la non-violence sont peut-être les forces les plus actives qui existent au monde. (Mohandas Karamchand GANDHI) Ce texte a voulu montrer que plusieurs causes directes et indirectes sont en interaction pour expliquer des actes violents. Nous ne pouvons exclure des facteurs pour ne mettre à l'avant-scène que certains éléments. La complexité du problème exige qu'on ait une compréhension globale pour le combattre et donner à chaque citoyen la part de responsabilité qui lui revient pour le résoudre (Mayor, 1999). Les jeunes n'ont pas inventé la violence. Ils sont cependant capables d'imiter les modèles destructeurs que le monde adulte leur présente, quand ils ne savent plus comment prévenir et résoudre des conflits. Comment doivent-ils se situer entre les discours pacifiques et les pratiques guerrières autour d'eux ? Ils demandent, pour être influencés positivement, que le monde qui les entoure soit plus cohérent et juste.
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Nous avons devant nous, pour le prochain millénaire, un beau et grand défi collectif. Sommes-nous honnêtement prêts localement à combattre ce fléau social pour construire globalement une société plus pacifique ? Citoyens de tous les pays, réveillons-nous ! N'attendons plus que des enfants le fassent à la pointe du fusil... En ce sens, Fernand Deligny (1960, p. 27), un éducateur chevronné qui a consacré sa vie aux enfants, nous fait une sérieuse mise en garde : « Le plus grand mal que tu puisses leur faire, c'est de promettre et de ne pas tenir. D'ailleurs tu le paieras cher et ce sera justice. » BIBLIOGRAPHIE « Récréation », La Presse, 10 mai 1998, p. A15. « Un garçon abat deux élèves dans une école de l'Alberta », La Presse, 29 avril 1999, p. A2. ARGYRIS, C. (1993). Knowledge for Action. A Guide to Overcoming Barriers to Organizational Change, San Francisco, Jossey-Bass. AUROUSSEAU, C. et S. LANDRY (1996). Les professionnelles et professionnels aux prises avec la violence organisationnelle, Montréal, Université du Québec à Montréal, Service aux collectivités. Aspy, D. et R. ROEBUCK (1990). On n'apprend pas d'un prof qu'on n'aime pas, Montréal, Actualisation. ATTALI, J. (1981). Les trois mondes, Paris, Fayard, p. 359. BARIL, D. (1999). « Le bonheur est dans le comprimé. Les drogues miracles menant au paradis artificiel sans effet pervers seraient un mythe », Revue des diplômés de l'Université de Montréal, printemps, 391, p. 10. BLACKWELL, T. (1998). « Ontario mulls zero tolérance school policy », The Gazette, 16 mai, p. 16. BRIE, A. (1991) . Le Devoir, 16 mai. BRISSET, C. (1997). Un monde qui dévore ses enfants, Paris, Liana Lévi. BRUNET, L., L. CORRIVEAU et C. DAMURI (1987). « Style des directeurs et directrices d'école et efficacité organisationnelle en milieu scolaire », Revue des sciences de l'éducation, vol. XV, n° 2, p. 219-229. BYNUM, J.E. et W .E. THOMPSON (1999). Juvenile Delinquency : A Sociological Approach, Needham Heights, Allyn & Bacon, p. 480. CAOUETTE, C. (1992). Si on parlait d'éducation. Pour un nouveau projet de société, Montréal, VLB. CAOUETTE, C. (1993). « La violence à l'école : mieux la comprendre pour ne plus la tolérer », Cahier de la Centrale de enseignants du Québec, printemps. CAPRA, F. (1985). Le tao de la physique, Paris, Sand.
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DÉFINIR ET EXPLIQUER LA JUDICIARISATION DES PERSONNES SOUFFRANT DE TROUBLES MENTAUX Réflexion critique
MARIE ROBERT, Ph. D. Chercheure boursière, Conseil québécois de la recherche sociale École de service social, Université de Montréal Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention, GRASP / Centre FCAR, Université de Montréal
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RÉSUMÉ Le phénomène de la judiciarisation des personnes souffrant de troubles mentaux constitue un important problème social dans la plupart des pays occidentaux. Plusieurs auteurs soutiennent que la désinstitutionnalisation psychiatrique des années 1970, qui se poursuit chez nous sous la forme du virage ambulatoire en santé mentale, est responsable de la prise en charge pénale de la clientèle psychiatrique. Notre réflexion veut démontrer, d'une part, que cet argument est insuffisant pour expliquer le phénomène de la judiciarisation et, d'autre part, qu'un changement important que nous désignons sous le vocable de « processus de démédicalisation » de la maladie mentale a créé les conditions nécessaires à l'émergence de ce phénomène. Notre objectif vise à définir et à expliquer le problème de la judiciarisation afin de nourrir une réflexion concernant l'intervention, qui, nous l'espérons, cherchera à éviter l'usage de systèmes lourds de prise en charge, tels les systèmes psychiatrique et judiciaire.
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Il va de soi, dans l'esprit de tous, que les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale devraient faire l'objet d'une intervention médicale ou thérapeutique, alors que celles qui commettent des délits devraient être prises en charge par le système judiciaire. Dans la réalité, depuis quelques décennies, on constate que la frontière entre les systèmes pénal et psychiatrique est floue et que leurs clientèles sont susceptibles de se chevaucher. En effet, plusieurs chercheurs, dans les années 1980, ont mis au jour un nouveau phénomène social qui a alerté l'opinion publique et les milieux politiques. Il s'agit de la judiciarisation des « personnes souffrant de troubles mentaux » (P.S.T.M.), phénomène qui fait figure de nouveau problème social. Celui-ci a fait l'objet de plusieurs recherches et écrits scientifiques, aux États-Unis comme au Canada, qui ont favorisé sur le plan pratique l'émergence d'une volonté politique cherchant à l'éliminer sinon à en limiter l'ampleur. Or, pour pouvoir agir d'une manière pertinente sur un problème social, il faut au préalable en avoir une compréhension large. Dans l'espace restreint de ce texte, nous ne pouvons pas présenter l'ensemble des résultats empiriques et conceptuels de nos recherches sur la question de la judiciarisation des P.S.T.M. Notre présentation consistera essentiellement à définir le phénomène en dégageant les principaux aspects du problème. Toutefois, le travail de définition d'un problème social est intimement lié à celui de l'explication. Ainsi, en posant les termes du problème de la judiciarisation des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, nous serons amenée à fournir des éléments d'explication de ce phénomène social. La réflexion que nous proposons dans ce chapitre ne vise pas à donner des outils d'intervention nécessaires pour contrer le problème de la judiciarisation des P.S.T.M., mais fournit des éléments qui approfondissent le champ des connaissances scientifiques dans le domaine. Cependant, la question de l'intervention n'est pas complètement absente de notre propos, puisque nous présenterons d'une manière critique, eu égard à notre analyse du problème, quelques types d'intervention pratiqués dans plusieurs pays occidentaux. DÉFINIR LE PROBLÈME La première partie de notre présentation se divise en deux volets. Dans le premier, nous remontons au sens étymologique des termes « judiciarisation » et « criminalisation ». Nous visons ainsi à mieux saisir la nature du problème en question. Nous appuyant sur les écrits les plus significatifs qui ont tenté de définir le problème de la judiciarisation (P.S.T.M.), nous présentons dans le second volet une réflexion critique portant sur les
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termes de la définition. Cette analyse critique est pertinente dans la mesure où elle permet de concevoir différemment le problème et, ce faisant, de le repositionner selon d'autres paramètres conceptuels qui nous acheminent vers une nouvelle compréhension de ce dernier. DISTINCTION ÉTYMOLOGIQUE ENTRE LES TERMES JUDICIARISATION ET CRIMINALISATION Marc F. Abramson est le premier auteur, en 1972, à avoir repéré un nouveau phénomène social qu'il désigna comme étant « the criminalization of the mentally disordered behavior ». Dans les années 1980, plusieurs ouvrages américains et canadiens ont publié des résultats de recherche posant ce phénomène comme hypothèse de travail (pour une recension des écrits sur le sujet voir Laberge et Morin, 1993, et Robert, 1999a). En quoi consiste ce que les auteurs anglophones qualifient de « criminalization » des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ? Tout d'abord, il faut souligner que le terme anglais « criminalization » n'équivaut pas, sur le plan conceptuel, à son faux ami français, « criminalisation ». Pour conserver le sens que les auteurs anglophones lui donnent, il faut traduire la « criminalization » par le terme de judiciarisation. Cette distinction terminologique ne doit pas être considérée comme un artifice de langage, puisqu'elle éclaire la nature et la définition du problème en question. En effet, la criminalisation consiste à attribuer à un comportement spécifique la qualification d'infraction ou de crime. Pour sa part, la judiciarisation fait référence au recours des tribunaux pour l'administration d'un contentieux (pénal ou civil). Or, la thèse de la « criminalization » renvoie à l'idée qu'un nombre élevé de personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale font l'objet d'une intervention judiciaire plutôt que médicale. Ainsi, comme nouveau phénomène social, la « criminalization » ne signifie pas que les comportements déviants de certaines personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale seraient maintenant considérés comme des infractions ou des crimes alors qu'ils ne l'auraient pas été auparavant. Le terme « criminalization », tel que l'utilisent les auteurs anglophones, fait référence à l'usage du système pénal plutôt que du système psychiatrique à l'égard de comportements impliquant des P.S.T.M. Ainsi, lorsqu'on parle de « criminalization » ou de judiciarisation en tant que nouveau phénomène social, ce n'est pas la nature du comportement de ces personnes qui change, mais le type d'intervention mis en oeuvre à leur endroit. Une fois cette distinction étymologique établie entre les termes de criminalisation et de judiciarisation, il nous reste à définir en quoi exactement consiste le problème de la judiciarisation des P.S.T.M.
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ANALYSE CRITIQUE DES TERMES DU PROBLÈME Le problème de la judiciarisation des P.S.T.M. tient en ce que le système pénal, plutôt que le système psychiatrique, prend en charge un certain nombre de P.S.T.M.: « [...] mentally ill persons who would previously have been treated within mental hospitals are now processed through the criminal justice system [...] » (Teplin, 1983, p. 54). Cette auteure, dont les travaux ont marqué le champ des connaissances sur le sujet, définit le problème de la judiciarisation des P.S.T.M. comme une dynamique entre les systèmes psychiatrique et pénal. Hochstedler (1991, p. 335) précise en quoi consiste cette dynamique de la manière suivante : « [...] a certain subpopulation of those previously served by mental health system has been shifted, in large part, to criminal justice system ». Ces deux auteures suggèrent que le problème de la judiciarisation renvoie à un processus particulier qui correspondrait au déplacement de la clientèle du système psychiatrique vers le système pénal. Nous pouvons faire certains constats quant à la définition du problème de la judiciarisation des P.S.T.M., tel qu'il est présenté par Teplin et Hochstedler. D'abord, soulignons que le problème est décrit comme un nouveau mode de circulation de la clientèle psychiatrique aboutissant à son passage dans le système pénal. Ensuite, ce passage repose sur le rejet, par le système psychiatrique, de certaines personnes qui se retrouvent alors à l'entrée du système pénal qui lui ne les refuse pas : « Persons rejected as inappropriate for the mental health system are readily accepted by the criminal justice system » (Teplin, 1983, p. 55). Suivant les propositions des auteures, le problème de la judiciarisation des P.S.T.M. implique deux dimensions interreliées. Une première dimension caractérise la nature du problème sous l'angle du déplacement de la clientèle psychiatrique ; une seconde dimension indique le sens du déplacement, du système psychiatrique au système pénal. Défini ainsi, le problème de la judiciarisation rappelle le principe des vases communicants selon lequel le reflux dans un système se déverse dans l'autre. Examinons la première dimension de la nature du problème. Elle renvoie essentiellement à la description d'un mécanisme opérationnel, le déplacement de la clientèle psychiatrique, et revêt de ce fait un caractère empirique. Ce caractère empirique se reflète tant du point de vue de la compréhension que de l'explication du phénomène de la judiciarisation des P.S.T.M. En présentant ce dernier comme un changement dans la trajectoire traditionnelle des P.S.T.M., on le dépeint comme un mouvement de population. Sur le plan explicatif, il apparaît évident que la désinstitutionnalisation psychiatrique est une condition participant à l'émergence de ce mouvement. Toutefois, pour les tenants de la thèse de la judiciarisation des P.S.T.M., la désinstitutionnalisation psychiatrique ne
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figure pas seulement à titre de condition nécessaire à ce phénomène ; plus encore, elle en est le facteur explicatif. Nous avons quelques réticences à endosser ce point de vue. Selon nous, la désinstitutionnalisation psychiatrique a créé la possibilité de la judiciarisation de certains groupes de clientèle psychiatrique qui, captifs de l'institution hospitalière, sont devenus « disponibles » pour d'autres types d'intervention. En ce sens, de notre point de vue, la désinstitutionnalisation psychiatrique explique la « disponibilité » de la clientèle psychiatrique et non pas le phénomène de judiciarisation. En d'autres termes, la désinstitutionnalisation explique la « sortie » de la clientèle psychiatrique de l'institution hospitalière, mais elle n'explique pas son « entrée » dans le système pénal. Dans le paragraphe suivant, l'analyse que nous proposons de la seconde dimension définitionnelle du problème de la judiciarisation des P.S.T.M. permettra d'éclairer notre position à l'égard du statut explicatif de la désinstitutionnalisation psychiatrique par rapport à la judiciarisation. Rappelons que le second volet de la définition du problème spécifie un changement dans la trajectoire habituelle des P S.T.M., changement qui repose sur le « rejet » de ces derniers par le système psychiatrique et, ainsi, sur leur « accès » au système pénal. Le « rejet » par le système psychiatrique doit être compris comme une difficulté d'accès au système de soins psychiatriques plutôt que comme refus explicite de fournir des soins. Dans le contexte de la déhospitalisation et du virage ambulatoire (hospitalisation de courte durée) touchant le domaine de la santé mentale depuis les années 1970, les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale deviennent une clientèle dispersée dans plusieurs types de services sociosanitaires. Il est clair que ce contexte organisationnel produit une distanciation par rapport à l'institution hospitalière, mais provoque-t-il la judiciarisation de la clientèle psychiatrique ? Teplin répondrait à cette question par l'affirmative, puisque, devant l'inaccessibilité du système psychiatrique, le système pénal deviendrait une solution valable pour un certain nombre de P S.T.M.: « [... ] the criminal justice system becomes the system that can't say no » (Teplin, 1983, p. 55). Il est vrai que le système pénal ne choisit pas sa clientèle, comme le fait le système psychiatrique. Toutefois il existe des conditions d'entrée qui sont particulières au système pénal et qui agissent comme un mécanisme de sélection de sa clientèle. Autrement dit, le système pénal possède des critères d'admission qui sont fort différents de ceux du système psychiatrique. En ce sens, décrire le phénomène de la judiciarisation en utilisant l'image des vases communicants nous apparaît simpliste, car un blocage à l'entrée d'un des systèmes, pénal ou psychiatrique, ne se traduit pas mécaniquement par une ouverture de l'autre. La judiciarisation est
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un processus complexe et discrétionnaire, puisque la commission d'un délit ou même le recours à la police dans le cas d'un événement susceptible d'être judiciarisé ne sont pas des conditions suffisantes à la mise en branle des procédures pénales. A ce titre, les écrits criminologiques et pénaux témoignent largement du caractère arbitraire du processus de judiciarisation. Sur le plan pratique, cela signifie que le comportement dérangeant d'une personne souffrant de troubles mentaux pourra ou non être judiciarisé et donner lieu à une infraction à l'ordre public, par exemple, selon la présence ou non de plusieurs facteurs qui relèvent de la personne en cause, du contexte de l'événement, du plaignant, etc. En résumé, notre propos quant à la définition du problème de la judiciarisation des P.S.T.M., présentée dans les écrits, critique, d'une part, l'idée qu'il s'agit d'un nouveau mode de circulation de la clientèle psychiatrique et, d'autre part, l'usage de l'image des vases communicants pour décrire l'entrée de la clientèle psychiatrique dans le système pénal. Par ailleurs, nous avons démontré que le sens de la définition du problème sous-tendait déjà l'explication. En effet, en définissant le problème comme un débordement de la population psychiatrique qui serait absorbé par le système pénal, la désinstitutionnalisation psychiatrique peut alors logiquement être tenue comme facteur explicatif du phénomène de judiciarisation. Par contre, si l'on considère, d'une part, que la judiciarisation est un nouveau mode de prise en charge sociale d'une certaine clientèle psychiatrique plutôt qu'un mouvement de population et, d'autre part, que ce groupe de personnes ne peut qu'à certaines conditions entrer dans le système pénal, la désinstitutionnalisation psychiatrique explique difficilement la judiciarisation des P.S.T.M. La prochaine partie de notre présentation vise à donner des éléments d'explication au phénomène de la judiciarisation des P.S.T.M. Ce dernier relève, notamment, d'une transformation profonde de la pratique psychiatrique dans laquelle le phénomène de désinstitutionnalisation psychiatrique lui-même est inséré. EXPLIQUER LE PROBLÈME Nous ne prétendons pas expliquer d'une manière exhaustive le phénomène de la judiciarisation des P.S.T.M., car pour ce faire il faudrait que l'analyse tienne compte de l'évolution des pratiques en santé mentale du point de vue des deux systèmes, psychiatrique et pénal. Notre présentation, qui portera seulement sur la transformation des pratiques psychiatriques, se divise en deux parties. Dans la première partie, nous examinerons en quoi et comment les changements dans l'approche médicale à l'égard de la
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maladie mentale, depuis les années 1960, ont créé non seulement la possibilité d'une distanciation à l'égard de l'institution hospitalière, mais une ouverture vers d'autres types de prise en charge sociale des P.S.T.M. qui n'excluent pas l'intervention pénale. Pour saisir ce changement, nous introduirons le concept de démédicalisation. Dans la seconde partie, nous prendrons l'exemple d'une catégorie psychiatrique précise, les troubles de la personnalité, afin de montrer plus concrètement le changement de la pratique psychiatrique que nous avons désigné plus tôt comme un processus de démédicalisation. LE CONCEPT DE DÉMÉDICALISATION POUR SAISIR LE CHANGEMENT DE LA PRATIQUE PSYCHIATRIQUE Les transformations de la pratique psychiatrique peuvent être saisies par le concept de démédicalisation. Ce que nous désignons par démédicalisation ne signifie pas l'abandon relatif de la médication dans le traitement des troubles mentaux. En effet, l'approche médicale de la psychiatrie ne se réduit pas à la pratique d'une thérapie médicamenteuse. La démédicalisation ne renvoie pas non plus au constat d'impuissance de la psychiatrie à guérir la maladie mentale. Pensons par exemple au cancer qui est toujours considéré comme une maladie relevant de la sphère médicale, malgré le fait qu'on n'en guérisse pas ; on parle de rémission, mais non de guérison du cancer. Ainsi, les transformations touchant la thérapie médicamenteuse ne sont pas une des conditions à la démédicalisation, pas plus que le constat de non-guérison de la maladie mentale ne l'est. La démédicalisation signifie que la maladie mentale se distancie de la sphère médicale dans la mesure où elle est redéfinie selon des paramètres autres que médicaux. Ainsi, l'adoption d'un modèle social, plutôt que médical, dans la définition et le traitement de la maladie mentale (Robert, 1999b) nous apparaît être une condition essentielle au processus de démédicalisation. L'adoption du modèle social a précédé le mouvement de désinstitutionnalisation. En effet, selon Prior (1991), l'approche sociale de la maladie mentale a vu le jour à l'intérieur des murs de l'institution psychiatrique. Le modèle social constitue une nouvelle conception de la maladie mentale qui s'appuie sur la notion de réhabilitation psychosociale comme paradigme thérapeutique (Bachrach, 1996). En fait, la psychiatrie communautaire, sociale ou sectorielle a édifié ses pratiques sur le principe de la réhabilitation psychosociale, lui-même issu du modèle social (Robert, 1999b). Ainsi, le champ théorique de la réhabilitation psychosociale est le résultat du travail de redéfinition du concept de maladie mentale par la psychiatrie, travail qui consacre une acception sociale du problème de la maladie mentale.
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La conséquence la plus importante quant à la dominance du modèle social dans la pratique psychiatrique nous semble résider en la mise à l'écart du modèle médical comme référent dans la gestion psychiatrique des P.S.T.M. Le processus de démédicalisation suppose que les bases scientifiques médicales de la psychiatrie (étiologie, pathologie, syndromes, etc.) sont nécessairement remises en question par l'adoption du modèle psychosocial (Lieberman et Rush, 1996). C'est en cela qu'il nous semble fondé de désigner l'adoption du modèle social dans la pratique psychiatrique comme un phénomène de démédicalisation de la maladie mentale. Le modèle social implique une dimension sociale dans la définition de la maladie mentale et se présente ainsi comme une rupture épistémologique par rapport au modèle médical. En effet, le modèle social définit la maladie comme un syndrome comportemental qui se manifeste en tant que déséquilibre sur le plan des interactions entre individus (Lievens, 1981). Dans la mesure où la maladie mentale est définie comme un syndrome comportemental, un déficit fonctionnel (Bachrach, 1996), elle n'est plus pensée comme le résultat d'une cause originaire située dans le sujet, mais comme un comportement appris et développé selon un contexte social donné. Cela implique deux conséquences importantes. D'une part, les catégories nosographiques traditionnelles de la maladie mentale perdent de leur sens : « Psychosocial rehabilitation strongly rejects predetermined, stereotyped, and nonindividual patient intervention » (Bachrach, 1996, p. 29). D'autre part, la notion de « milieu social » acquiert un statut différent du point de vue étiologique. Dans le modèle médical, le contexte social et culturel est considéré comme constitutif de la structure du sujet, alors que dans le modèle social il devient un facteur provoquant le syndrome comportemental. De ce point de vue, l'amélioration des compétences sociales devient alors une priorité dans l'approche thérapeutique qui « distinguishes it from more traditional illness-oriented approaches in mental health » (Bachrach, 1996, p. 30). En fait, la thérapie psychosociale vise un seuil minimal de prise en charge par une intervention ponctuelle et circonscrite pour rendre l'individu fonctionnel (Lievens, 1981). En résumé, la démédicalisation de la maladie mentale donne lieu à un nouveau type d'approche thérapeutique qui déplace les fondements théoriques, les lieux et les modalités traditionnels de traitement de la maladie mentale. L'émergence du modèle social correspond à une déqualification de l'approche médicale que certains psychiatres ont désignée eux-mêmes comme une démédicalisation et une déprofessionnalisation de la psychiatrie (Robert, 1999b). C'est que, du moment où les troubles mentaux sont considérés comme un déficit social plutôt que comme une maladie, le recours à l'hospitalisation ne se justifie plus : « [...] the rationale of psychiatric hospital has been eroded» (Prior, 1991, p. 484). De plus, la mise
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à contribution de plusieurs autres disciplines dans la gestion de ce déficit social devient alors envisageable et même souhaitée par les politiques sociales en matière de santé mentale. Par exemple, le case management avec ses variantes, qui correspond à un mode de gestion sociale fort répandu à l'égard des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, préconise des interventions professionnelles diversifiées visant, au premier chef, l'insertion sociale de la personne (Bachrach, 1996 ; Lieberman et Rush, 1996). La mise en oeuvre du modèle social implique alors une autre forme de rationalité dans la gestion sociale des troubles mentaux qui est celle de la normalisation plutôt que celle du traitement médical. En invalidant le modèle médical, en édifiant une politique sociale dans le domaine de la santé mentale qui légitime l'intervention d'autres partenaires, les rapports sociaux entre la psychiatrie et les autres instances de contrôle et de normalisation se modifient. Ce n'est plus la sphère du pathologique qui est visée dans la gestion de la maladie mentale, mais plus généralement la différence par rapport à des normes de conduite, différence gênante, intolérable ou intolérée, inacceptable ou inacceptée par l'environnement social. Il devient alors possible de s'interroger sur ce « déficit social » qu'est devenue la maladie mentale, du point de vue de son appartenance à des systèmes de contrôle, notamment les systèmes pénal et psychiatrique. À ce titre, Geller et Lister énonçaient ce qui apparaît être un nouvel enjeu de la pratique psychiatrique dans les années 1980, en soulignant la pertinence d'effectuer un tri de la clientèle psychiatrique selon que ses comportements peuvent se traduire en termes de déviance (registre pénal) ou de besoin de traitement (registre psychiatrique) : « Perhaps it is time to separate those who are merely deviant from those who need treatment » (1978, p. 58). Il faut donc comprendre que les types de comportements déviants qui appartiennent à l'ordre du médical, du social ou du pénal sont susceptibles de changer dans le temps. Le diagnostic « troubles de la personnalité », qui peut inclure des catégories plus particulières comme la sociopathie, l'alcoolisme et la toxicomanie, est un exemple patent de changement dans les modes de prise en charge sociale de la déviance. Bien que les « troubles de la personnalité » figurent comme maladie mentale dans le manuel de psychiatrie (DSM-IV), en pratique les psychiatres tendent à rejeter cette catégorie de « patients » en dehors du champ médical. Dans la prochaine partie de notre présentation, nous exposerons brièvement comment et pourquoi les troubles de la personnalité ont glissé em dehors de la sphère médicale.
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LES TROUBLES DE LA PERSONNALITÉ COMME EXEMPLE DE DÉMÉDICALISATION En 1964, le président de l'Association américaine de psychiatrie déclarait, dans son allocution anuelle, que les troubles de la personnalité sont considérés comme une maladie devant être prise en charge par la psychiatrie : Our long difficult cases increasingly consist of the character and personality disorders [...] We must learn to care for them or society will look to some other group, because society has decided that they are ill and should be treated. And I for one agree (Geller, 1994, p. 995). Toutefois, dans les années 1970 la question de savoir si les troubles de la personnalité constituent ou non une maladie mentale a fait l'objet d'un débat (Rabkin, 1979). Plus tard, dans les années 1980, la littérature psychiatrique a distingué clairement les malades mentaux des anormaux mentaux, ces derniers appartenant à la catégorie des troubles de la personnalité (Webster, Menzies et Jackson, 1982). Selon Lievens, la maladie mentale et l'anormalité mentale (sociopathie, alcoolisme, toxicomanie) se distinguent essentiellement par la possibilité qu'a la psychiatrie de les traiter ou non : L'acception commune de maladie signifie un état pathologique (un délire par exemple) susceptible d'évolution spontanée, en mal ou en bien, et pouvant être traité médicalement et psychiatriquement. Alors que la notion d'anormalité recouvre des états peu ou pas évolutifs, et pour lesquels les traitements médicaux et psychiatriques classiques sont en général très décevants (Lievens, 1981, p. 36). Ainsi, la question du traitement possible des troubles de la personnalité est la pierre d'achoppement de la psychiatrie. On peut alors se demander dans quelle mesure les conditions posées au déploiement d'une approche thérapeutique depuis les années 1980 peuvent exclure une clientèle susceptible d'être judiciarisée. Plusieurs études qui ont examiné l'incidence de la maladie mentale parmi un large contentieux de justiciables détenus (au cours ou au terme du procès) souffrant de troubles mentaux s'accordent sur un point : la majorité de ces personnes sont diagnostiquées comme souffrant de désordres mentaux liés à la sociopathie et à l'abus d'alcool ou de drogues ou à la dépendance qui en résulte (Robert, 1999b). Or, Abram et Teplin (1991) mentionnent que la judiciarisation est susceptible d'affecter en premier lieu les personnes présentant une pathologie multiple, soit une maladie mentale accompagnée de désordres mentaux tels que la sociopathie et l'abus d'alcool ou de drogues ou la dépendance. On peut alors penser que ce n'est pas la désinstitutionnalisation psychiatrique, mais la démédicalisation renvoyant à une redéfinition de la maladie mentale (comme les troubles de personnalité) qui renferme les conditions nécessaires à la judiciarisation.
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Ironiquement, Teplin, qui tient la désinstitutionnalisation psychiatrique comme facteur explicatif de la judiciarisation, écrivait avec une collègue que les désordres mentaux (drug abuse or dependance and antisocial personality disorder) auraient une composante criminelle (Abram et Teplin, 1991). Selon ces auteures, la prédominance de ce type de désordres parmi les justiciables pourrait refléter « [...] their inherent criminality » (Abram et Teplin, 1991, p. 1042). Cette perception suggère que le comportement délictuel des justiciables ayant des désordres de la personnalité relève en grande partie de facteurs liés à la criminalité plutôt qu'à la maladie. En étant exclus du champ médical, ces désordres mentaux deviennent des troubles du comportement qui cautionnent l'intervention pénale. Soulignons que la judiciarisation des P.S.T.M. n'est pas le résultat d'une volonté affirmée de punir une certaine clientèle psychiatrique ; elle est plutôt la conséquence probable de la perception que cette clientèle est difficile et lourde ou que « rien ne fonctionne », c'est-à-dire que les interventions traditionnelles auraient peu ou pas d'effets positifs sur son comportement. L'impossibilité de traiter certains états ou comportements anormaux peut justifier le retrait de l'intervention psychiatrique. Elle demeure toutefois un constat de la pratique psychiatrique qui est intimement lié à un questionnement quant au statut de « maladie » de ces états ou comportements. Dans la troisième et dernière partie de notre présentation, nous discuterons brièvement de la question de l'intervention en la situant par rapport à la réflexion que nous avons développée dans les deux premières parties. Comment, au mieux, s'occuper de la population psychiatrique susceptible d'être judiciarisée ? IMPLICATIONS POUR L'INTERVENTION Les solutions proposées pour contrer ou diminuer le phénomène de la judiciarisation des P.S.T.M. sont de deux types : la mise en oeuvre de mécanismes ou de programmes de déjudiciarisation et le recours à l'intervention psychiatrique. Nous discuterons de ces solutions afin de souligner la limite de leurs actions sur le phénomène de judiciarisation. Nous pensons que la voie à suivre ne consiste pas seulement en la déjudiciarisation, mais pourrait prendre la forme d'un pouvoir politique, d'un empowerment qui permettrait d'émanciper la population visée par des solutions institutionnalisantes.
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On retrouve plusieurs types de programmes de déjudiciarisation au Québec, au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne (Robert, 1999a). Il apparaît que ces programmes ont des résultats plus ou moins favorables pour les P.S.T.M. selon qu'ils sont implantés dans les systèmes judiciaire ou carcéral ou en amont de ces derniers. Lorsque des interventions de détection de la présence de troubles mentaux sont réalisées dans les milieux carcéraux, comme c'est souvent le cas aux États-Unis, il est clair qu'elles ne peuvent pas produire une déjudiciarisation dans le sens où nous l'avons défini plus haut ; il peut seulement en résulter une libération. Par ailleurs, d'autres programmes, qui se situent à certaines étapes du processus judiciaire, ont pour objectif d'éviter la sanction pénale au profit d'une hospitalisation psychiatrique. Ces programmes ne peuvent produire, comme nous l'avons vu plus haut, une déjudiciarisation de la clientèle psychiatrique. En fait, une véritable déjudiciarisation n'est possible que si l'intervention se situe en amont des systèmes pénal et carcéral. Par exemple, le programme de Memphis au Tennessee implique des agents de la paix en tant qu'intervenants de première ligne, comme c'est le cas au Québec avec le programme de l'Urgence psychosociale (U.P.S.). Ces programmes peuvent agir comme mécanismes de déjudiciarisation dans la mesure où ils utilisent la principale porte d'entrée du système pénal, les forces policières. Toutefois, certaines expériences de déjudiciarisation visent non seulement à éviter l'enclenchement des procédures pénales, mais aussi à obtenir des soins psychiatriques. Ainsi, le système psychiatrique est perçu comme une voie alternative au système judiciaire. Dans le cas où le système de soins psychiatriques accepte cette clientèle, la prise en charge demeure ponctuelle et temporaire, créant ainsi un processus circulaire de renvois entre les systèmes judiciaire et psychiatrique. L'intervention efficace doit pouvoir éviter le recours à des systèmes lourds, comme les systèmes psychiatrique et judiciaire, au profit d'interventions qui visent à améliorer la qualité de vie des patients psychiatriques susceptibles d'être judiciarisés. Il existe un foisonnement de modèles d'intervention auprès de la clientèle psychiatrique qui visent explicitement ou implicitement l'amélioration de la qualité de vie de cette clientèle. Or, les modèles d'intervention sont souvent institutionnalisants, c'est-à-dire qu'ils ont tendance à garder une clientèle captive des services et des idéologies qui les sous-tendent (White, 1992). Il nous apparaît ainsi que les P.S.T.M. susceptibles d'être judiciarisées seraient mieux servies par une véritable désinstitutionnalisation des services comportant un virage politique. Ce changement politique fait référence à l'empowerment au sens où Julian Rappaport (1981) l'expose dans son fameux article qui a nourri plusieurs réflexions sur l'intervention.
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En résumé, deux avenues d'interventions complémentaires nous apparaissent prometteuses pour diminuer le phénomène de judiciarisation des P.S.T.M. : certains programmes de déjudiciarisation qui agissent en amont du système pénal ainsi qu'une ouverture de la part des intervenants à l'égard de cette population visant la réappropriation du contrôle de leur vie. CONCLUSION Nous avons présenté une analyse critique de la définition et de l'explication du phénomène de judiciarisation des P.S.T.M. Du point de vue de la définition, ce phénomène nous semble faire plus appel à un changement sur le plan du type de prise en charge sociale, du psychiatrique au judiciaire, qu'à un changement sur le plan de la circulation de la clientèle psychiatrique. En le définissant seulement en fonction de la circulation ou du mouvement de la population psychiatrique, le phénomène de judiciarisation apparaît alors comme une opération de changement d'itinéraire de la clientèle psychiatrique. La désinstitutionnalisation psychiatrique constitue l'explication logique d'une telle définition. La limite conceptuelle de ce type d'explication réside en ce que la désinstitutionnalisation psychiatrique rend compte de la sortie de la clientèle du milieu psychiatrique, mais pas de son entrée dans le système pénal. C'est seulement en considérant le rapport entre les systèmes pénal et psychiatrique selon le principe des vases communicants que cette sortie du système psychiatrique et cette entrée dans le système pénal peuvent faire sens. Or, nous avons montré que l'usage de ce principe est inapproprié, puisque la logique de « recrutement » de la clientèle est fort différente dans les systèmes psychiatrique et pénal. Nous pensons que le phénomène de judiciarisation des P.S.T.M. doit être pensé comme un nouveau mode de prise en charge sociale d'une certaine clientèle psychiatrique qui est consécutif à un changement de perception à l'égard du problème de la maladie mentale. Ce changement de perception fait référence au processus de démédicalisation par lequel le concept de maladie mentale acquiert une dimension fortement sociale. Cela se réalise au prix d'une distanciation par rapport à un ensemble d'éléments relevant de la sphère médicale (institution hospitalière, catégories nosographiques, étiologie médicale) et d'une association entre les symptômes de la maladie mentale et un déficit social. En d'autres termes, l'adoption d'une acception plus sociale des troubles mentaux implique que la maladie mentale peut être perçue comme une mésadaptation sociale devant laquelle plusieurs systèmes de contrôle social sont autorisés
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à intervenir, y compris le système pénal. À ce titre, les troubles de la personnalité constituent un bon exemple du glissement, du médical au social, opéré par la pratique psychiatrique. L'explication de la judiciarisation des P.S.T.M. par le processus de démédicalisation éclaire les types d'intervention à privilégier. En effet, pour diminuer l'ampleur du phénomène de judiciarisation, le renvoi de la clientèle judiciarisée et souffrant de troubles mentaux vers le système psychiatrique risque d'être inefficace, sinon néfaste pour les P.S.T.M. qui pourraient accumuler les contacts avec les systèmes psychiatrique et judiciaire. Alors que certains programmes et mécanismes de déjudiciarisation apparaissent comme une solution pour éviter la judiciarisation des P.S.T.M., la prise en main par ces personnes de leur destin (les pratiques d' empowerment) pourrait leur permettre une meilleure intégration sociale. BIBLIOGRAPHIE ABRAM, K.M. et L.A. TEPLIN (1991). « Co-occurring disorders among mentally ill jail detainees. Implications for public policy », Americain Psychologist, vol. 46, n° 10, p. 1036-1045. ABRAMSON, M.F. (1972). « The criminalization of mentally disordered behavior : Possible side effects of a new mental health law », Hospital and Community Psychiatry, vol. 23, p. 101-105. BACHRACH, L.L. (1996). «Psychosocial rehabilitation and psychiatry What are the boundaries ? », Canadian Journal of Psychiatry, vol. 41, n° 1, p. 28-35. GELLER, J.L. (1994). « Issues in American psychiatry reflected in remarks of APA presidents, 1844-1994 », Hospital and Community Psychiatry, vol. 45, n° 10, p. 993-1004. GELLER, J.S. et E.D. LISTER (1978). « The process of criminal commitment for pretrial psychiatric examination : An evaluation, American Journal of Psychiatry, vol. 135, p. 53-60. HOCHSTEDLER, E.S. (1991). « Specifying "criminalization" of the mentally disordered misdemeanant », Journal of Criminal Law and Criminology, vol. 82, n° 2, p. 334-359. LABERGE, D. et D. MORIN (1993). «Troubles mentaux et intervention pénale ; questions entourant les évaluations de la judiciarisation en Amérique du Nord », Déviance et société, vol. 17, n° 3, p. 309-348. LIEBERMAN, J.A. et J.A. RuSH (1996). «Redefining the role of psychiatry in medicine », American Journal of Psychiatry, vol. 153, n° 11, p. 1388-1397.
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L'ÉQUITÉ OU LA RELATIVITÉ SALARIALE GÉRALD LAROSE, M. SC. École de travail social, Université du Québec à Montréal Le 21 novembre 1996, le gouvernement du Québec adoptait une loi sur l'équité salariale. L'ensemble des observateurs a conclu qu'il s'agissait là d'un pas de plus dans la mise en place des conditions favorisant la concrétisation de l'égalité de droit des femmes acquise dans le cadre de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne promulguée vingt ans plus tôt. UNE SUITE ININTERROMPUE DE COMBATS L'obtention de cette législation a été le fruit d'un combat sans répit mené par le mouvement des femmes, en particulier par sa composante syndicale. En effet, c'est à partir du milieu des années 1970 que les femmes se sont systématiquement organisées à l'intérieur du mouvement syndical pour définir leurs conditions, élaborer leurs revendications et mener leurs négociations. Après avoir obtenu des gains substantiels en matière de conditions de maternité et de responsabilités parentales et avoir gagné les batailles du « à travail égal, salaire égal », les femmes syndiquées se sont résolument tournées vers le combat pour l'obtention d'un « salaire égal pour un travail équivalent ». La législation récente est venue s'ajouter aux efforts de redressement qu'elles ont consacrés à la condition des femmes au cours de toutes ces années,
DIFFICULTÉS Ce combat ne s'est pas fait sans difficultés. De forums en colloques, de manifestations en grèves illégales, de négociations en poursuites judiciaires, les femmes du mouvement syndical se sont affrontées aussi entre elles avant de s'entendre sur ce qu'est une démarche
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d'équité salariale. Là encore, les pénibles arrimages entre les organisations syndicales lors de la ronde de négociation du secteur public de 1999 laissent à penser que l'accord en matière de démarche d'équité salariale est encore bien fragile. CONTRE LA DISCRIMINATION... À la veille de l'adoption de la législation, les données de Statistique Canada précisaient que les salaires attribués aux emplois occupés en majorité par les femmes équivalaient globalement à 63,6 % de ceux attribués aux emplois occupés en majorité par les hommes (Statistique Canada, 1995). C'est dire qu'en dépit de tous les gains obtenus par l'harmonisation des salaires hommes-femmes dans les mêmes catégories d'emplois, il demeurait un très large écart salarial entre les hommes et les femmes dans les emplois occupés majoritairement par les unes et par les autres. ... SYSTÉMIQUE Comment expliquer cet écart ? Essentiellement par le fait que les qualités exigées pour les emplois occupés en majorité par les femmes ne sont pas reconnues ou sont ignorées dans le calcul de la rémunération accordée aux emplois à prédominance féminine. Les femmes se sont mises à identifier et à bien documenter un autre volet de la discrimination systémique. « Comment expliquer qu'une éducatrice en garderie ait un salaire moindre qu'un gardien de zoo qu'une secrétaire soit moins gratifiée qu'un magasinier, etc. EN ANALYSANT DEUX COLLECTIFS (FÉMININ ET MASCULIN) COMPARABLES Les femmes ont tôt fait de comparer les catégories d'emplois a prédominance féminine aux catégories d'emplois à prédominance masculine. Sans être identiques, ces emplois peuvent être comparables au regard des qualifications, des efforts, des responsabilités et
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des conditions de travail. Ainsi a été mise au point une nouvelle approche en matière d'équité salariale qui, quinze ans plus tard, a servi de base à une nouvelle loi, celle sur l'équité salariale de 1996. POUR ÉLIMINER DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT ? L'atteinte de ce résultat s'est faite après une difficile démarche de clarification. En effet, longtemps, à l'intérieur du mouvement syndical, deux courants de pensée se sont affrontés. Les uns préconisaient une démarche d'équité salariale, alors que les autres proposaient une démarche de relativité salariale. Une démarche d'équité salariale vise directement et explicitement l'élimination de la discrimination salariale à l'égard des personnes dans les emplois à prédominance féminine comparables à des emplois similaires a prédominance masculine. Une démarche de relativité a pour objectif d'examiner la valeur relative des emplois les uns par rapport aux autres et de corriger s'il y a lieu leurs positionnements mutuels. L'un des effets conséquents peut eu-e l'élimination ou la réduction de la discrimination salariale. Cela n'en est pas l'essence même. « Par conséquent il est essentiel de ne pas considérer les relativités salariales comme un substitut a une démarche d'équité salariale » (Chicha, 1997). LES EXIGENCES DE LA DÉMARCHE D`ÉQUITÉ La démarche d'équité exige que l'on prenne en considération les caractéristiques des emplois féminins, que l'on se dote d'instruments appropriés pour ce faire en écartant tous les éléments susceptibles de générer des biais sexistes. Les résultats doivent être clairs : dans les catégories d'emplois à prédominance féminine, les personnes doivent recevoir une rémunération égale à celle accordée aux personnes dans les catégories comparables d'emplois à prédominance masculine. C'est à cette condition que l'objectif de l'équité salariale est atteint. LA DÉMARCHE POUR Y ARRIVER Outre la mise en place de mécanismes, de procédés et d'obligations aux parties, la loi québécoise distingue quatre grands facteurs
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d'évaluation sur lesquels doit reposer l'exercice : les qualifications, les responsabilités, les efforts et les conditions de travail. A eux seuls, ces quatre facteurs ne garantissent pas l'atteinte du résultat. ÉLIMINER LES BIAIS SEXISTES Les facteurs doivent être passés au tamis des biais sexistes. Par exemple, sur le plan des responsabilités, il faut s'assurer qu'on ne s'attache pas uniquement a la responsabilité à l'égard de la machinerie ou de tout autre bien en négligeant la responsabilité envers des personnes, ce qui avantagerait les emplois à prédominance masculine. Il en serait de même s'il fallait, au chapitre des efforts, considérer l'effort physique plus que l'effort mental. Et dans la définition même des facteurs plus « typiquement masculins» , il faut s'assurer que les caractéristiques « féminines » sont aussi prises en compte. Ainsi, soulever des boîtes d'archives dans un centre de documentation ou des enfants dans une garderie ou des patients dans un centre d'accueil équivaut certainement à soulever des caisses dans un entrepôt. La loi n'oblige pas à scruter les facteurs. Les promotrices d'une démarche d'équité le font systématiquement. En le faisant, elles déconstruisent ainsi les préjugés sexistes intériorises par les femmes ellesmêmes. « En effet, les études démontrent que les femmes ont tendance à sous-estimer leur travail. Pendant qu'elles participent et collaborent, ils planifient et dirigent ! » (CSN, 1998) PONDÉRER LES FACTEURS Éliminer les biais sexistes impose aussi de pondérer les facteurs de manière équitable en accordant autant de poids aux facteurs qui favorisent les femmes qu'à ceux qui favorisent les hommes. AJUSTER LES SALAIRES SUR LES HOMMES ET NON SUR LA MOYENNE Enfin, en démarche d'équité salariale, le réajustement salarial doit se faire en rapport avec les salaires payés dans la catégorie d'emplois à prédominance masculine et non pas en rapport avec la moyenne des salaires payés dans toute l'entreprise ; moyenne faite en incluant aussi les salaires des personnes visées par le redressement.
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UN MODÈLE PROACTIF POUR L'ÉQUITÉ SALARIALE L'objectif qui sous-tend une démarche d'équité salariale est lié à la reconnaissance de la valeur du travail des femmes. La Loi sur l'équité salariale a precisé les éléments et le processus par lesquels les femmes peuvent obtenir un salaire égal pour un travail équivalent. Cependant, les moyens pour y parvenir ne sont pas neutres : composition des comités, formation des membres participants, définition des facteurs d'évaluation, pondération des divers facteurs, choix des éléments de comparaison, etc. Tous ces éléments doivent eux-mêmes faire l'objet d'une épuration des biais sexistes qu'ils pourraient comporter. Si, au surplus, la loi fait obligation aux employeurs de prendre l'initiative de comparer les emplois à prédominance féminine avec les emplois à prédominance masculine dans leur' entreprise et d'aligner les salaires des premiers sur ceux des seconds, nous sommes en présence d'un modèle proactif. La direction est claire. Les résultats sont prévisibles. La discrimination est éliminée. C'est l'équité salariale. BIBLIOGRAPHIE CARPENTIER, D. (1989). Analyse comparative de l'article 19 de la Charte et des lois canadiennes sur l'équité salariale. Commission des droits de la personne du Québec, Montréal. CARPENTIER, D. (1995). Commentaire de la Commission des droits de la personne sur le document d'orientation une loi proactive sur l'équité salariale. Mémoire au Comité de consultation en vue de l'élaboration d'une loi sur l'équité salariale Montréal. CHICHA, M.-T. (1997). L'équité salariale. Mise en oeuvre et enjeux, Montréal, Les éditions Yvon Blais, p. 38. CHICHA, M.T., E. DËOM et H. LEE-GOSSELIN (1995). Une loi proactive sur l'équité salariale. Rapport et recommandation à Mme J.L. Blackburn, Ministre responsable de la Condition féminine, Gouvernement du Québec, Québec. CHICHA-PONTBRIAND, M.T. et D. CARPENTIER (1992). Une loi proactive sur l'équité salariale au Québec. Rapport, de consultation et recommandations de la Commission des droits de la personne du Québec, Montréal.
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LES PARADOXES DU DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOYABILITÉ DES PERSONNES ASSISTÉES SOCIALES DEENA WHITE1, Ph. D. Département de sociologie, Université de Montréal Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention, GRASP / Centre FCAR Université de Montréal MAURICE LÉVESQUE, Ph. D. Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention, GRASP / Centre FCR, Université de Montréal 1. L'auteure remercie les membres de l'Équipe de recherche sur la pauvreté et l'insertion au travail de l'Université de Montréal (Département de sociologie) pour leur contribution importante à la recherche dont certains résultats sont présentés dans cet article. Voir Christopher McAll et Deena White, Structures, systèmes et acteurs : « welfare » et « workfare » comme champs d'action sociale, Rapport de recherche, Équipe de recherche sur la pauvreté et l'insertion au travail, Département de sociologie, Université de Montréal, 1996. Nous sommes reconnaissants à Lucie Villeneuve, Christel-Ann Noraz, Jean-Yves Desgagnés et Madelyne Fournier pour leur collaboration et à Santé et Bien-être social Canada pour le financement accordé dans le cadre de leurs Subventions nationales de recherche sur le bien-être.
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RÉSUMÉ Depuis le milieu des années 1980, la politique québécoise d'aide sociale s'est engagée dans la mise en oeuvre de toute une série de mesures dites actives afin de favoriser l'insertion en emploi des prestataires et de lutter contre la pauvreté. Après plusieurs années d'expérimentation et devant les limites de cette orientation, limites qui ont été montrées par de nombreuses études tant au Canada qu'à l'étranger, le gouvernement québécois a entrepris une réforme du système d'aide sociale qui est actuellement en voie d'implantation. Ce texte présente une analyse des interventions développées pour favoriser l'insertion en emploi en mettant l'accent à la fois sur les lacunes inhérentes au fonctionnement du système et sur les objectifs mêmes qui sont poursuivis par la politique québécoise d'aide sociale. En ce qui concerne le fonctionnement des programmes, on constate que ceux-ci prennent peu en compte les besoins particuliers des prestataires en adoptant une organisation bureaucratique et standardisée des interventions. Outre ces limites, la formulation même de la politique d'aide sociale, en réduisant les difficultés d'insertion en emploi au simple déficit de capital humain, exclut une grande quantité de facteurs, dont les pratiques discriminatoires, l'effet de différentes formes de stigmatisation et les conditions salariales offertes sur le marché du travail, qui constituent des obstacles majeurs à l'insertion en emploi. Dans son esprit, la nouvelle loi semble poursuivre le même objectif paradoxal de chercher à intégrer dans le marché du travail les personnes les plus marginales sans lutter contre les déterminants de la marginalité.
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Il est bien connu que l'accès à l'emploi n'implique pas nécessairement la sortie de la pauvreté2. En effet, si en 1976 le parent canadien ayant un seul enfant à charge devait travailler 41 heures par semaine, au salaire minimum, pour dépasser le seuil de pauvreté, il doit maintenant en travailler au moins 733. De toute évidence, la sortie de la pauvreté par le salaire minimum est aujourd'hui impossible sans que deux adultes travaillent. Pourtant, les politiques visant à sortir les personnes de la pauvreté misent de plus en plus sur l'insertion ou la réinsertion des personnes démunies au marché du travail. Cette tendance est observable, entre autres, dans les changements que l'on a apportés récemment à la façon de nommer certaines politiques. Ainsi, le programme fédéral de l'assurance-chômage pour les travailleurs temporairement sans emploi est renommé « assurance-emploi », tout comme au Québec l'aide de dernier recours aux personnes vivant dans la pauvreté et jugées aptes au travail, auparavant nommée « sécurité du revenu », est actuellement désignée sous le vocable d '« assistance-emploi ». Bref, la pauvreté est rarement ciblée par les politiques sociales sans que celles-ci misent sur le marché du travail pour fournir des solutions. Si, dans certaines sociétés comme la Suède, les taux de pauvreté et d'insertion en emploi sont vus comme des enjeux touchant toute la collectivité, dans notre société ils sont considérés comme une responsabilité individuelle, même lorsque le niveau du chômage au sein du marché du travail est élevé4. Si les politiques se sont traditionnellement limitées à combler les besoins de base des personnes sans emploi, plus récemment les gouvernements ont ajouté à ces mesures « passives » des mesures plus « actives » qui mettent l'accent sur l'amélioration de l'offre de travail. Cette nouvelle perspective se traduit par des politiques qui cherchent à influencer le comportement des individus par des mesures d'incitation au travail et à bonifier le capital humain par des programmes de développement de l'employabilité5. Les programmes d'intégration des personnes assistées sociales au marché du travail ne connaissent pourtant pas un grand succès. Maintes recherches canadiennes et étrangères font état des résultats peu significatifs
2. Voir Diane-Gabrielle Tremblay, « Chômage, flexibilité et précarité de l'emploi : aspects sociaux », dans Traité des problèmes sociaux, 1994, p. 623-652. 3. Canadian Institute of Child Health, The Health of Canada's Children, 2e édition, Ottawa, 1994. 4. A. Noël, « The Politics of Welfare », Policy Options, vol. 16, n° 4, 1995, p. 15-20. 5. Le concept du capital humain repose sur l'idée que tout individu est doté de certains atouts personnels, tels que la scolarité, les compétences, l'expérience de travail ou la connaissance des langues, dont la variation détermine son positionnement au sein du marché du travail.
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quant à l'efficacité des interventions ou programmes de réinsertion en emploi6. Les évaluations québécoises, effectuées par le ministère de la Sécurité du revenu, affichent des résultats analogues aux évaluations réalisées ailleurs : un succès mitigé, avec environ 88 % des participants aux programmes qui n'obtiennent pas d'emploi stable à la suite de leur participation. De plus, la participation aux programmes a parfois comme effets pervers de prolonger la période d'inscription à l'aide sociale. Cela peut s'expliquer en partie par des différences entre les personnes qui participent aux programmes et celles qui n'y participent pas. Les dernières peuvent avoir une plus grande capacité, pour n'importe quelle raison, à chercher et à obtenir un emploi de façon autonome, tandis que les premières participent aux programmes parce qu'elles ne sont pas en mesure de décrocher un emploi par ellemême. De plus, pendant la participation à un programme, l'attention des personnes peut être détournée de la recherche d'un emploi. Nos propres recherches antérieures signalent que de tels programmes peuvent même parfois constituer des obstacles à l'égard des projets d'insertion sociale et professionnelle formulés par les personnes elles-mêmes. Cependant, dans une optique de réduction de la dépendance à l'égard de l'aide sociale, les décideurs, les intervenants et la population en général semblent favoriser fortement le virage des politiques d'assistance vers des mesures formelles d'incitation à l'insertion professionnelle des personnes. Ce sont en effet les conclusions tirées d'un sondage commandité par le ministère de la Sécurité du revenu en 1997. Comment expliquer ces phénomènes ? Voilà ce que nous avons tenté de découvrir dans la recherche effectuée en 1994-1995 à Montréal7. Dans le cadre d'un volet de la recherche, portant sur le fonctionnement du système d'aide sociale, nous avons interviewé 30 intervenants dans 10 organismes différents, dont des agents d'aide sociale travaillant dans des centres Travail-Québec (CTQ, aujourd'hui transformés en centres locaux d'emploi, CLE) et des interve-
6. Par exemple, au Québec : C. Sylvestre, Synthèse des résultats des études dévaluation en matière de développement de Z employabilité et d intégration à l emploi, Québec, Ministère de la Sécurité du revenu, 1994 ; en Ontario : E. Porter, The Long-Terni Effects of Three Employment Programs for Social Assistance Recipients, Toronto, Research & Program Evaluation, Ministry of Community & Social Services, 1991 ; au niveau canadien : P Evans et al., Workfare. Does it Work ? Is it Fair ?, Montréal, Institute for Research on Public Policy, 1995. On peut trouver une revue des principales recherches américaines dans P. Dechêne, Les stratégies d'aide à l emploi et de développement de l employabilité des clientèles défavorisées aux Etats-Unis, Bilan de la recherche évaluative, Québec, Ministère de la Sécurité du revenu, 1994 et dans R. Moffitt, « Incentive effects of the U.S. welfare system : A review », Journal of Economic Literature, vol. 30, 1992, p. 1-61. 7. McA11 et White (dir.), 1996, op. cit.
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nants en développement de l'employabilité travaillant dans des organismes et entreprises communautaires voués à la réinsertion au travail des bénéficiaires d'aide sociale. Les entrevues ont été axées principalement sur 90 dossiers réels, anonymes, pour lesquels les agents et intervenants ont été amenés à fournir le profil de la personne, le diagnostic des obstacles à l'intégration au travail, les stratégies d'aide adoptées ainsi que le résultat ou le pronostic. L'échantillon des dossiers a favorisé les femmes, les familles et les immigrants. Cette recherche a démontré que plusieurs limites inhérentes au système d'aide sociale s'expliquent par les contradictions qui existent entre les buts de la politique de la sécurité du revenu et les moyens mis en place pour atteindre ceux-ci. L'objectif à la base de la politique était de sortir de l'aide sociale les personnes jugées aptes au travail, et cela, le plus rapidement possible, et de réduire de toute autre façon possible les coûts du système. Pour ce faire, on a créé une structure hautement complexe, composée de plusieurs programmes et mesures dont les règlements changeaient régulièrement, rendant ainsi très difficile pour les agents une mise à jour. S'ajoutant à l'inefficacité de ce système, les compressions budgétaires de l'époque ont mené à une surcharge excessive des agents. Enfin, ces derniers avaient à gérer à la fois les programmes d'aide financière et d'aide à l'accès en emploi, ceux-ci ayant des objectifs différents tout en étant étroitement liés l'un à l'autre par les mécanismes d'incitation et de désincitation financiers que comporte le régime de la sécurité du revenu. Il s'agissait d'une politique de traitement technique et minutieux des individus selon des programmes standardisés. Cela dit, la question est de savoir comment s'y prendre pour amender le système. On peut aborder cette question de deux manières. La première consiste à tenter d'améliorer le système par l'élimination des contradictions et contraintes les plus épineuses afin de le rendre mieux adapté aux besoins des personnes. C'est ce que le gouvernement a tenté de faire en proposant une réforme du système en 19968. L'aspect le plus important de cette réforme est que les programmes rigides d'insertion en emploi sont repensés et subordonnés aux parcours individualisés vers l'insertion sociale, la formation et l'intégration à l'emploi9. Mais rien ne
8. Cette réforme était amorcée en 1996, à peu près en même temps que la parution du rapport de recherche (McAll et White, 1996, op. cit.) et donc aucune des mesures éventuellement préconisées n'était en marche au moment de sa publication. 9. Voir le livre vert (Ministère de la Sécurité du revenu, La réforme de la sécurité du revenu, Un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi, Québec, Gouvernement du Québec, 1996) et le projet de loi 186 (Loi sur le soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale), enfin adopté en 1998.
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laisse croire que ces changements, aussi importants soient-ils, vont sensiblement améliorer l'atteinte de l'objectif principal de la politique, à savoir la réduction du nombre de personnes dépendantes de l'État par leur réinsertion au marché du travail. Les centaines de programmes différents déjà évalués dans le monde occidental montrent tous un taux de succès mitigé et une augmentation du revenu minime pour les quelques personnes qui réussissent à intégrer le marché du travail grâce à leur participation. Une deuxième manière d'aborder la question de savoir comment s'y prendre pour amender le système est de se demander si le problème, plus que dans la manière de procéder, ne réside pas dans la définition même des objectifs de la politique. Voilà ce que nous proposons d'explorer dans ce qui suit. L'OBJECTIF DE « LA RÉDUCTION DE LA DÉPENDANCE » La plupart des sociétés se donnent des politiques diverses pour s'occuper de leurs membres les plus démunis. En gros, les objectifs qui inspirent ces politiques peuvent être de trois ordres : sortir les personnes de la pauvreté ; assurer un revenu minimal de subsistance ; développer la « responsabilité personnelle » afin de réduire la dépendance à l'égard de l'État. Pour faire sortir les personnes de la pauvreté, il faut leur garantir un revenu au-delà du seuil de la pauvreté, par l'offre d'un emploi de qualité, par une prestation pour poursuivre une formation ou d'autres mesures de développement de l'employabilité selon la capacité de la personne ou, en dernier recours, par un revenu de base qui est très près du seuil de la pauvreté. La Suède est le pays qui a le plus développé ce type de système, toutefois critiqué pour les désincitations au travail qu'il crée ainsi que pour sa « générosité » qui entraîne un niveau de taxation élevé pour le reste de la population. D'autres pays, comme la France et, jusqu'à récemment, le Canada, offrent un revenu aux plus démunis qui doit couvrir les coûts de base pour survivre dans la société (logement, nourriture, etc.), mais laissent les personnes vivre bien en dessous du seuil de la pauvreté. On souhaite ainsi qu'elles ne choisissent pas l'aide sociale comme style de vie plutôt que chercher à s'intégrer au marché du travail. Enfin, aux États-Unis, il n'existe pas, à proprement parler, de système d'aide sociale accessible à l'ensemble des citoyens dans le besoin. Seules les femmes ayant la charge d'au moins un enfant mineur ont
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droit à l'aide sociale ainsi que, dans certains États seulement, les couples avec enfant qui répondent à des conditions très restrictives10. Depuis la dernière réforme du système américain, le droit à l'aide sociale est limité, officiellement, à une durée de deux années consécutives ou à un total de cinq ans pendant toute la vie d'une personne. Au-delà de ces périodes, les personnes doivent participer à des programmes de travail obligatoire pour maintenir leur droit aux bénéfices. Est-ce dans ce sens qu'évoluent les politiques des provinces canadiennes, dont celles du Québec ? De telles politiques visent à réduire la dépendance à l'égard de l'État et à préconiser la responsabilité personnelle. Deux valeurs sous-tendent cette orientation. La première a trait à l'importance accordée au travail en soi par rapport à d'autres formes de participation sociale, comme la maternité, les études, le bénévolat, les activités artistiques ou autres. L'autre est la valeur de l'autonomie individuelle qu'on oppose à la dépendance. En ce qui concerne l'importance accordée au travail, certains auteurs prétendent que l'assistance démotive les personnes, engendre ou encourage la paresse et le parasitisme et est donc moralement nocive11. Cette perspective ne correspond cependant pas aux connaissances disponibles. En effet, plusieurs recherches ont constaté le maintien de l'éthique du travail chez les personnes sans emploi12. Par ailleurs, d'autres recherches attribuent à la situation de prestataire elle-même le manque d'estime de soi et le sentiment de honte entraînés par l'inactivité économique de longue durée13. Même si peu d'auteurs adoptent une position aussi moralisatrice par rapport aux effets de l'assistance que celle présentée plus haut, il demeure qu'au Canada comme ailleurs la réduction de « la dépendance » prime
10. H. Hoynes, «Welfare transfers in two-parent families : Labor supply and welfare participation under AFDC-UP », Econometrica, vol. 64, n,, 2, 1996, p. 295-333. 11. G. Gilder, Wealth and Poverty, New York, Basic Books, 1982 ; L. Mead, Beyond Entitlement, New York, Free Press, 1986 ; C. Murray, Losing Ground, New York, Basic Books, 1984. 12. B. Jordan, S. James, H. Kay et M. Redley, Trapped in Poverty: Labour Market Decisions in Lozo-income Households, Londres, Routledge, 1992 ; P. Burman, Killing Time, Losing Ground: Experiences of Unemployment, Toronto, Thompson Press, 1988 ; E. Lightman, « Conditionality and social assistance : Market values and the work ethic », dans Graham Riches et Gordon Ternowetsky (dir.), Unemployment and Welfare, Toronto, Garamond Press, 1990. 13. L. Fagan et M. Little, The Forsaken Families, Harmondworth, Penguin, 1984 ; S. Fineman, Unemployment : Personal and Social Consequences, Londres, Tavistok, 1983 ; V de Gauléjac, La névrose de classe, Paris, Hommes et groupes, 1987.
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aujourd'hui sur la réduction de la pauvreté14. La peur de retourner à la situation de déficits publics élevés, le risque de récession qui entraîne de plus en plus de coûts sociaux, de même que le climat politique néolibéral et néoconservateur, convergent pour détourner l'intérêt de la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales vers des préoccupations centrées sur le contrôle des dépenses gouvernementales et la stimulation du marché. Dans ce contexte, les programmes visant l'insertion ou la réinsertion rapide des bénéficiaires au marché du travail nonobstant la précarité d'une telle insertion - sont au centre des expériences mondiales de réforme des systèmes du bien-être15. Mais existe-t-il vraiment un problème de « dépendance » et, si c'est le cas, quelle est sa nature ? En effet, ce n'est qu'une petite minorité d'inscrits qui demeurent à l'aide sociale pendant plus de deux années consécutives. Par contre, à n'importe quel moment dans le temps, ce sont les bénéficiaires de longue durée qui sont les plus nombreux. Par conséquent, ce sont eux qui engendrent les coûts les plus élevés. Par ailleurs, on constate généralement que la probabilité de sortie de l'aide diminue avec la durée de séjour à l'aide. C'est, notamment, sur ce constat que repose l'idée selon laquelle l'aide sociale produit ou favorise le développement d'une dépendance à l'égard de l'État. L'hypothèse dominante avancée pour expliquer cette situation renvoie à la dégradation directe ou indirecte du capital humain : la durée à l'aide diminue les chances de sortie en transformant la valeur de l'offre de travail (la personne a moins d'expérience, moins d'estime de soi et est donc moins employable...) ou en affectant la demande (plus la personne est bénéficiaire longtemps, plus la stigmatisation et la discrimination à son égard seront grandes16. Cette hypothèse de la dégradation du capital humain n'est cependant pas encore vérifiée, en raison, notamment, du manque de données pertinentes. Il est cependant reconnu que, pour la population en général, la probabilité d'intégrer le marché du travail et le niveau de revenus sont associés au capital humain mesuré, entre autres choses, par le niveau d'éducation. 14. M. Morris et J.B. Williamson, « Workfare : The poverty / dependency tradeoff », Social Policy, vol. 18, n° 1, 1987, p. 133-26 ; P. Taylor-Gooby, « Welfare hierarchy and the new right : The impact of social policy changes in Britain, 1979-1989 », International Sociology, vol. 4, n° 4, 1989, p. 431-446 ; D. Rosenbluth, «Job creation and dependency : The effects of employment programs for welfare recipients », conférence présentée dans le cadre du congrès annuel de la Société canadienne de sociologie et d'anthropologie, Victoria, C.-B., 1990. 15. Evans et al., 1995, op. cit. 16. G. Lacroix, « La réforme de l'aide de dernier recours à la lumière des expériences américaines », Choix, Les Politiques sociales ; 3, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques, 1997 ; G. Barrett, The Dynamic Behavior of Income Assistance Recipients in British Columbia, thèse de doctorat, Vancouver, University of British Columbia, Department of Economics, 1994; Duclos et al., 1996, op. cit.
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Une deuxième hypothèse fait intervenir des éléments culturels comme explication principale des séjours de longue durée à l'aide sociale. Le modèle culturel suggère que le recours à l'aide sociale de longue durée est la résultante d'une « culture de la pauvreté » ou « de la dépendance » qui se développe lorsque des individus désavantagés et vivant dans une même communauté ont peu de contacts avec le reste de la société. La « culture de la dépendance » renvoie ici à l'idée que certaines personnes considèrent le recours à l'aide sociale comme un mode de vie légitime et valorisé. Dans cette approche, on accorde une grande importance à la transmission intergénérationnelle de la dépendance : les enfants qui grandissent dans ces milieux subiraient de fortes influences, à la fois de leur famille et de leur entourage, afin d'adopter ces valeurs, ce qui contribuerait à la reproduction et au renforcement de cette « sous-culture »17. Il existe plusieurs limites à cette approche. Ainsi, on a fait remarquer que la pauvreté aux États-Unis et le recours à l'aide sociale ne sont pas des phénomènes concentrés dans les ghettos, qui ne regroupent qu'une faible proportion des inscrits à l'aide sociale18. Par ailleurs, les recherches qui ont tenté d'évaluer les effets du voisinage sur la « performance » des enfants, la pauvreté ou la participation à l'aide sociale fournissent des résultats variés et souvent contradictoires19. Dans une importante revue sur la question, Jencks et Mayer concluent que les effets existent probablement, mais qu'ils sont très faibles dans la plupart des cas, ne pouvant expliquer de façon significative ni le maintien de la pauvreté ni les taux de participation à l'aide sociale20. Finalement, le modèle culturel implique une stabilité comportementale marquée, qui contraste avec la grande dynamique des comportements relatifs à l'usage de l'aide sociale. En effet, toutes les recherches qui se sont intéressées à l'étude de la dynamique des systèmes d'aide sociale - entrées, sorties et récidives - font ressortir une variété très grande des comportements et pratiques, ce qui détonne avec
17. J. Brooks-Gunn et al., « Do neighborhoods influence child and adolescent development ? », American Journal of Sociology, vol. 99, n° 2, 1993, p. 353-395; C. Jencks et S.E. Mayer, « The social consequences of growing up in a poor neighborhood », dans L.E. Lynn et M.G.H. McGeary (dir.), Inner-City Poverty in the United States, Washington DC, National Academy, 1990. 18. Bane et Ellwood, 1994, op. cit. 19. Brooks-Gunn et al., 1993, op. cit. ; J. Crane, « The epidemic theory of ghettos and neighborhood effects on dropping out and teenage childbearing », American Journal of Sociology, vol. 96, 1991, p. 1226-1259; M. Corcoran et al., « Myth and reality : The causes and persistance of poverty », Journal of Policy Analysis and Management, vol. 4, 1985, p. 516-536. 20. Jencks et Mayer, 1990, op. cit.
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la vision statique de l'aide sociale véhiculée par le modèle culturel21. Considérant les résultats de la recherche empirique sur la question, il est probable que le modèle culturel ne peut rendre compte que d'une faible partie des comportements ou des expériences relatives à l'aide sociale22 Enfin, une dernière hypothèse pour expliquer pourquoi des personnes deviennent des bénéficiaires de longue durée réside dans l'idée que tous les bénéficiaires ne sont pas pareils, sans pour autant évoquer une base culturelle sur laquelle s'établiraient ces différences. Dans cette perspective, le fait de devenir un bénéficiaire de long durée est plutôt lié aux circonstances dans lesquelles les personnes font leur entrée dans le système23. Par exemple, certaines personnes utilisent l'aide sociale comme un moyen pour affronter une situation difficile et, après un certain temps, retrouvent ou produisent les conditions de leur autonomie. Pour d'autres personnes, le système d'aide sociale ne constitue pas une étape devant les conduire « ailleurs », mais, vraisemblablement, l'aboutissement d'un processus de marginalisation qui conduit, par étapes ou brusquement, à une marginalisation sociale de longue durée, voire permanente24. Castel constate que la précarité économique, quand elle s'associe à la fragilité des liens sociaux (le divorce, la mobilité géographique, etc.), mène la personne à une zone de vulnérabilité qui se tend facilement vers la marginalité, soit l'assistance chronique. Cette dernière zone pose, de toute évidence, un défi énorme pour les programmes publics25. En matière de politiques et de programmes d'intervention, les implications de ces trois explications pour l'assistance de longue durée sont fort différentes. Selon la première hypothèse, où la réduction du capital humain est à l'origine de « la dépendance », on doit réduire à tout prix la durée à l'aide sociale, par des limites arbitraires comme aux États-Unis ou par l'intervention la plus précoce possible pour maintenir la valeur du capital humain. C'est ce qu'on tente de faire par les programmes de développement de l'employabilité, avec des résultats pour le moins limités. Selon la seconde hypothèse, celle de la « culture de la dépendance », le
21. Bane et Ellwood, 1994, op. cit. ; P. Gottschalk et R.A. Moffitt, « Welfare dependence Concepts, measures, and trends », American Economic Review, vol. 84, n° 2, 1994, p. 3842 ; K.M. Harris, « Life after welfare : Women, work, and repeat dependency », American Sociological Review, vol. 61, n° 3, 1996, p. 407-426 ; Moffitt, 1992, op. cit. 22. Bane et Ellwood, 1994, op. cit. ; Harris, 1993, op. cit. 23. R.M. Blank, « Analyzing the length of welfare spells », Journal of Public Economics, vol. 39, 1989, p. 245-273; Gottschalk et Moffitt, 1994, op. cit. 24. Gottschalk et Moffitt, 1994, op. cit. 25. R. Castel, « La dynamique des processus de marginalisation : de la vulnérabilité à la désaffiliation », Cahiers de recherche sociologique, vol. 22, 1994, p. 11-27.
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problème ne réside pas dans un faible capital humain, mais plutôt dans la culture ou les valeurs de la personne. Les interventions doivent donc comprendre des éléments d'obligation, de désincitation, de sanctions, de limites afin de forcer les personnes à adopter un mode de vie qui leur est inhabituel. Enfin, selon la troisième hypothèse, si l'on veut être efficace et efficient, il ne sert à rien d'intervenir auprès des personnes qui utilisent le système comme un filet de sécurité temporaire - ces personnes quittent rapidement sans interventions -, alors qu'il faut investir auprès de celles qui se retrouvent dans des situations risquant de les conduire à un séjour de longue durée. Les questions qui se posent sont alors de savoir quels sont les critères qui permettent d'identifier les personnes qui deviendront des prestataires de longue durée et quels types d'interventions pourraient être efficaces pour réorienter ce parcours vers la marginalité. Castel soutient que ces interventions doivent viser à rendre plus stable la zone de vulnérabilité (la zone de l'emploi précaire, de la monoparentalité, etc.) afin de prévenir la descente vers la zone de marginalité26. Dans cette optique, il faut donc agir sur les conditions de vie. Afin d'évaluer la justesse de ces différents modèles pour comprendre la situation de la personne assistée sociale par rapport à l'insertion au marché du travail, nous présentons dans les sections suivantes des observations que les intervenants en développement de l'employabilité nous ont communiquées lors d'entretiens. Selon eux, qu'est-ce qui fait obstacle à l'intégration au marché du travail de ceux considérés comme étant aptes à travailler, mais qui demeurent apparemment « inemployables » ? L'éducation, la formation, l'expérience professionnelle ou les aptitudes linguistiques sont-elles à mettre en cause ? Quel rôle la motivation et l'attitude personnelle jouent-elles ? Qu'est-ce qui peut inciter un employeur à embaucher une personne, et qu'est-ce qui, au contraire, peut l'en décourager ? Peut-on imaginer un programme qui puisse développer de manière efficace chez un individu les ressources et les qualités nécessaires pour obtenir un emploi ? Comme cette recherche s'est déroulée pendant une période de récession économique, nous nous attendions à ce que la réalité du marché du travail, notamment la diminution relative des emplois manuels et non spécialisés, soit considérée comme l'un des principaux obstacles pour les bénéficiaires d'aide sociale. En dépit du fait qu'ils perçoivent que le marché du travail offre, en définitive, peu d'ouvertures pour ces personnes, les agents et les intervenants ne sont pas allés jusqu'à considérer comme
26. Castel, 1994, op. cit.
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inutiles les activités de développement de l'employabilité. Cependant, leur manière de voir ces obstacles à l'insertion au marché du travail porte à croire que les atouts qui constituent le capital humain jouent un rôle moins significatif que ne le laissent entendre certaines théories. LE DÉVELOPPEMENT DU CAPITAL HUMAIN ? Le ministère de la Sécurité du revenu a rendu opérationnel le concept d'employabilité en le définissant comme « l'adéquation entre certaines caractéristiques de la personne et la nature des emplois disponibles sur le marché27 ». Les programmes de développement de l'employabilité reposent sur la théorie du capital humain, qui veut que le recours à long terme à l'aide sociale soit le résultat d'un déficience en capital humain ou à l'origine d'une dégradation du capital humain. Cette théorie prétend que l'exclusion du marché du travail est fortement liée à l'absence ou à la faiblesse du capital humain (éducation, compétences, expérience, etc.) chez l'individu. Dès lors, la solution est d'augmenter ou de renforcer le capital humain chez la personne - de développer son « employabilité » - par de la formation professionnelle, des stages en milieu de travail et des cours portant sur les techniques de recherche d'emploi. Pour présenter les dossiers des prestataires aux chercheurs, les agents et les intervenants interviewés ont effectivement fait d'emblée état des compétences de la personne : aptitudes linguistiques, éducation générale, formation spécifique et expérience professionnelle. Toutefois, dans près de la moitié des cas examinés, les travailleurs ont fait mention non pas des lacunes, mais plutôt des compétences des prestataires. Ainsi, ils ont constaté, dossier après dossier, que les personnes parlent français et anglais, ont terminé leur 5e secondaire, ont suivi quelques formations après celle-ci et possèdent une certaine expérience professionnelle. Les études du Ministère vont dans le même sens : parmi les prestataires qui participent aux programmes de développement de l'employabilité, 54 % ont une expérience de travail, 56 % ont au moins une 5e secondaire et 23 % ont suivi une formation complémentaire28. Les agents et intervenants ont, à l'évidence, l'habitude de distinguer les lacunes professionnelles chez les prestataires selon les critères traditionnels du capital humain. Si, pour une moitié des dossiers, ces lacunes ne sont pas évidentes, pour l'autre moitié, les carences le plus souvent
27. Ciesielski et Laberge (1993), cité dans G. Larochelle et J. Tremblay, « L'employabilité éthique et sémantique d'un néologisme », Revue canadienne de politique sociale, vol. 34, 1994 p. 86-93.
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mentionnées consistent en un manque d'expérience professionnelle. Cela peut signifier plusieurs choses. D'abord, qu'une personne n'a jamais travaillé (dans notre échantillon, il s'agit surtout de femmes monoparentales) ou bien qu'elle n'a jamais occupé d'emplois stables, mais seulement des emplois précaires à temps partiel ou temporaires ; ou, encore, qu'elle n'a pas d'expérience dans le domaine précis dans lequel elle souhaite travailler ; enfin, l'expression peut aussi signifier, le cas échéant, que la personne n'a jamais travaillé au Canada ou au Québec, bien qu'elle ait pu occuper un poste important dans son pays d'origine. Pour ces personnes, les programmes disponibles dans le cadre du système en place au moment de la recherche étaient un cours de formation de 90 heures ou une mesure EXTRA (EXpérience de TRAvail, un séjour de six mois le plus souvent dans un groupe communautaire), suivis parfois d'un stage de formation en milieu du travail ou d'un emploi subventionné (PAIE)29. À quoi ce parcours conduit-il souvent ? Voici ce que nous ont dit les intervenants : Les filles qui se tapent un EXTRA, un stage en milieu de travail, puis après ça un PAIE, pour se retrouver sur le chômage puis l'aide sociale... Désolée, mais là... qu'est-ce que t'as fait... Donc, on se rend compte que ça roule, ça roule beaucoup. Les filles roulent sur les mesures. Nos programmes PAIE, après six mois... euh... c'est fini... Fait que là ils retombent dans la routine. Ils vont au chômage, après le chômage, ils retombent ici, t'sais. Tant qu'ils ont pas trouvé d'emploi, là. Fait que c'est ça. Il y en a qui parlent de la roue qui tourne, la roue des programmes, là. Elles ont l'impression qu'elles sont un petit peu comme des hamsters, qui roulent, qui roulent, qui roulent, qui roulent. D'autres personnes préfèrent se doter d'une formation professionnelle. Comme les programmes courts de 90 heures ne sont pas reconnus pour aider à l'obtention d'un emploi, elles vont souvent exprimer le désir de se doter d'une formation collégiale ou universitaire même si, parfois, il faut d'abord obtenir un diplôme d'études secondaires. Si les personnes ont une meilleure chance d'obtenir un emploi de qualité en suivant de tels parcours, il s'agit d'un projet à long terme. Eventuellement ces
28. F. Tarte, A. Boisvert et al., 1994. L'échantillon de prestataires que nous ont présenté les intervenants n'a pas été choisi avec l'intention de le faire correspondre à celui, composé au hasard, qui a servi au gouvernement pour établir ses statistiques. Il est donc d'autant plus intéressant de constater que les carences en matière d'éducation et d'expériences de travail constituent aussi un facteur négligeable pour un peu plus de la moitié des individus formant notre échantillon, comme cela se retrouve dans l'échantillon du Ministère. 29. Les programmes dont il est question ici sont ceux qui existaient au moment de la collecte de données. Depuis lors, et surtout depuis la réforme de la sécurité du revenu en 1998, le nom et le contenu des programmes ont été modifiés. Nous aborderons plus loin certains de ces changements.
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personnes peuvent perdre leur droit à l'aide sociale et elles doivent alors utiliser le régime des prêts et bourses consentis par le ministère de l'Éducation, qui est moins « généreux », plus incertain et qui entraîne l'accumulation d'une dette importante. Par ailleurs, même un bon niveau d'instruction et une grande expérience professionnelle permettent rarement aux personnes assistées sociales d'obtenir plus que le salaire minimum lorsqu'elles trouvent un emploi. Les employeurs voient trop souvent dans le programme PAIE, qui les incite à embaucher des personnes assistées sociales par une subvention équivalant au salaire minimum, une façon simple de s'offi ir une main-d'oeuvre à moindre coût, peu importe la qualification des personnes engagées : Les employeurs qui disent: « Moi, je vais payer la personne 185 $ à 35 heures, mais je veux qu'elle ait du WordPerfect, du Lotus, qu'elle soit bilingue, pis 35 mots / minute. » Je veux dire, c'est pas trop... t'sais, des fois, là, c'est pas trop réaliste. C'est que, aujourd'hui, dans le contexte actuel, les employeurs sont de plus en plus exigeants. Ils s'attendent à... c'est triste à dire, mais t'sais... à des miracles quasiment. T'sais, des personnes hyperscolarisées, la grosse affaire, pis ils veulent payer à peu près 6 $ de l'heure. Pis, ça, c'est... c'est une réalité qu'on connaît ici actuellement... En somme, l'effet d'une participation à un programme sur la motivation et sur la confiance des prestataires est souvent l'inverse de ce que l'on pourrait espérer. Tu peux effectivement être participante pendant quatre ans, si on inclut le rattrapage scolaire, la formation professionnelle, avant ça t'as fait un petit séminaire, après ça tu feras un EXTRA ou un stage en milieu de travail... Tu peux être participante pendant quatre ans. Tu vas compléter ton stage en milieu de travail, t'es non-participante. Là, ton agent, trois mois après, il t'appelle, pis, il t'envoie sur un PAIE... Et la fille se dit « Tous les efforts que j'ai faits... Je me suis obligée à aller à l'école pour revenir exactement au même point, sur le BS à attendre que mon agent m'appelle. Qu'est-ce que ça a donné ? » Et ça, c'est le... les effets pervers de tout ce programme-là qui font que tout le monde roule dans les programmes et ils ne font que rouler dans les programmes. Cela ne veut pas dire que ces programmes sont inutiles. Pour certains, ils ouvrent des portes sur d'autres horizons, et même si ces personnes demeurent sans emploi, elles n'en auront pas moins acquis certaines compétences et une certaine forme d'expérience de travail. Nos filles, après s'être formées, qui se retrouvent sur un programme finissent toujours par te dire : « Je le savais ben que dans le fond ça donne rien. Je suis contente de l'avoir, mon diplôme, ça me permet de reprendre confiance en moi, ça m'a prouvé que j'étais capable d'écrire, etc., et de m'organiser aussi avec la famille, les enfants. Mais, je n'ai en aucune façon amélioré mon sort, ni le sort de mes enfants. Je reste toujours sur le BS. » © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : Problèmes sociaux - Tome I1, Sous la direction d’henri Dorvil et Robert Mayer, ISBN 2-7605-1127-8 • D1127N Tous droits de reproduction, de traduction ou d’adaptation réservés
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UNE QUESTION DE MOTIVATION ? Si les programmes de développement de l'employabilité n'arrivent pas à augmenter le capital humain assez pour faire sortir les personnes de l'aide sociale et les insérer sur le marché du travail, est-ce à cause de la présence d'une « culture de dépendance » fortement ancrée chez les bénéficiaires d'aide sociale ? Les professionnels et les chercheurs qui ont étudié la question de l'employabilité ces dernières années n'ont pas manqué de constater que les atouts du capital humain ne suffisent pas à déterminer la valeur d'une personne auprès des employeurs. Étudiant surtout le cas de ceux qui se trouvent exclus du marché du travail et cherchent à y accéder, ils ont relevé plusieurs autres caractéristiques individuelles dont on doit tenir compte pour expliquer ce phénomène30. En plus des critères d'éducation, de compétences et d'expérience de travail, l'employabilité est souvent évaluée en tenant compte de qualités personnelles, telles que le sens des responsabilités et la capacité d'adaptation aux situations nouvelles31. Les agents et intervenants que nous avons rencontrés portent tous une grande attention à ces qualités personnelles, plus encore qu'à l'éducation, aux compétences et à l'expérience professionnelle. Ils considèrent généralement que certaines personnes sont exclues du marché du travail parce qu'elles ne fournissent pas l'effort nécessaire pour trouver et surtout pour garder un emploi. De même, les intervenants sont d'avis que certains participent à leurs programmes avant tout pour l'avantage financier qui s'y rattache, sans avoir l'intention ou l'espoir de décrocher un poste stable. [...] les filles ne participent pas toujours par intérêt. Elles sont participantes parce que, de cette façon-là, elles ont leur barème maximal. Elles ont les frais de garde. Ça aide les enfants. Ça les aide elles aussi. Alors, ellesmêmes n'ont pas nécessairement un très grand intérêt [à s'insérer au marché du travail]. Par ailleurs, les prestataires voient généralement juste lorsqu'ils affirment qu'une participation aux programmes a peu de chances de résulter en une intégration permanente au marché du travail. Inévitablement, la motivation des prestataires décroît avec le nombre de participations qui conduisent à un retour à l'aide sociale. Aussi les agents et intervenants en employabilité doutent-ils du fait que les prestataires puissent garder une attitude positive devant l'adversité et les échecs répétés. Cet élément de motivation est souvent mentionné par les interviewés, presque toujours de façon positive. 30. G. Larochelle et J. Tremblay, 1994, op. cit. 31. P.J. Patsula, The Assessment Component of Employability Counselling: A Goal-Setting Process, Guidance Centre, University of Toronto, 1985.
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Les gens, ils disent: c'est pas compliqué, je veux travailler. Je veux une job, un salaire, me lever à tous les matins pour aller travailler. Ils viennent, peut-être, à cause de la précarité, de la pauvreté, à ne plus mettre d'importance sur la réalisation personnelle dans le travail, mais puis ça devient uniquement financier. Ils sont prêts à aimer n'importe quoi... Les termes utilisés pour décrire les prestataires sont d'ailleurs fort éloquents : on les dit « extrêmement travaillants », « déterminés », « persévérants », « dynamiques » et « prêts à beaucoup de sacrifices pour refaire leur vie ». Cet enthousiasme est d'autant plus marqué que souvent les agents constatent que leurs prestataires sont « déprimés », « angoissés », « démolis » ou « écrasés ». Plusieurs des prestataires que nous ont présentés les agents et intervenants semblaient se trouver dans un état d'abattement dû essentiellement à des expériences récentes et non à une certaine attitude ou prédisposition « culturelle ». Nombre d'entre eux ont en effet essuyé les rebuffades d'éventuels employeurs ou ont été traités injustement alors qu'ils occupaient un emploi. Parlant de leurs prestataires, les intervenants ont affirmé qu'ils ont « trop d'embûches à surmonter et tellement d'échecs... », ou, pour ceux qui ne sont pas longtemps à l'aide sociale, qu'ils sont désespérés par « la chute dans le statut socioéconomique, le style de vie, pour eux et pour leurs enfants ». Cet état d'esprit ne dépend pas uniquement de leur marginalité économique ; des préoccupations personnelles - associées par exemple à des problèmes conjugaux, familiaux, de santé, etc. - ont été souvent mentionnées comme facteurs expliquant l'état de découragement de certains prestataires. Cela dit, rien n'indique qu'il y ait une indépendance totale entre ces deux ordres de problèmes. On sait, par exemple, que la situation de grande pauvreté n'est pas le contexte idéal pour l'harmonie familiale et conjugale. D'après les intervenants avec qui nous avons discuté, une certaine forme de découragement et de dépression, étant donné les situations, personnelle, financière ou professionnelle, auxquelles les bénéficiaires doivent faire face, était tout à fait normale. Même qu'ils se sont montrés étonnés que leurs prestataires gardent, malgré toutes les embûches, un brin d'optimisme et de détermination. Ils ne tarissaient pas d'éloges à l'endroit de ceux qui ont réussi à « surmonter [leurs] problèmes à bout de bras ». En somme, si l'on considère la motivation comme un facteur essentiel pour se lancer dans la recherche d'emploi et persévérer dans cette quête, de l'avis des intervenants la motivation ne semble pas faire défaut à la majorité des prestataires dont la situation nous a été présentée. Mais d'autres attitudes ont retenu l'attention des agents et intervenants tout particulièrement « le réalisme » et « la peur ».
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Être « réaliste » signifie, pour les agents et intervenants, être conscient de ses propres limites ainsi que de celles imposées par le marché du travail : « Ses attentes sont quand même réalistes, elle veut un travail de manufacture », nous a dit un agent ; puis un autre, « elle veut juste trouver une job, pis faire sa petite affaire ». A l'opposé, on trouverait selon eux une attitude de « rêveur » : les attentes de la personne ne sont pas « raisonnables », elle a des « idées un peu fantaisistes », « il recherche le travail idéal », elle se montre par trop « exigeante ». L'attitude « réaliste » est souvent perçue comme un atout, même si elle implique pour un individu qui possède un diplôme universitaire ou plusieurs années d'expérience professionnelle qu'il accepte un poste inférieur à ce que ses compétences lui permettraient d'espérer. « Il est conscient de la réalité de sa situation », fait remarquer un agent. Mais si le réalisme se traduit par une attitude de dépréciation de soi-même, il est alors considéré comme un handicap. Même que, dans plus d'un cas, les prestataires riches d'une grande compétence ne servent pas leur cause, d'après les intervenants, en étant prêts à prendre le premier poste qui s'offre à eux. En fait, être réaliste peut parfois signifier reconnaître qu'un emploi ne fait pas l'affaire : « Il reconnaît ses propres limites - avec trois enfants à charge il ne peut pas travailler pour 5,85 $ de l'heure. » L'attitude de peur devant le marché du travail est aussi teintée d'ambiguïté. On peut la voir comme une motivation ébranlée par un réalisme trop aigu. La peur provient rarement d'un sentiment d'incompétence; elle tient plutôt, pour ceux maintes fois victimes des vicissitudes du marché du travail, à l'instabilité qui naît lorsqu'on quitte l'aide sociale. Elle a dit : « Ah non ! pas de PAIE [emploi subventionné pendant six mois]. » Parce qu'un PAIE, là, évidemment, tu quittes l'aide sociale. Quand il a été question d'un EXTRA ou d'un Stage en milieu de travail « Ah ! » Donc, ce qui était sous-jacent à son discours, c'est qu'elle avait peur de quitter l'aide sociale, aussi, beaucoup, beaucoup... Il y a beaucoup de cette peur-là. Accepter un emploi subventionné provoque, pour une durée limitée, un changement de statut et de revenus. A la fin du programme, les chances sont grandes que la personne soit remerciée de ses services et se mette à toucher des prestations d'assurance-chômage pour, encore une fois, durant un temps limité, après quoi elle se tournera de nouveau vers l'aide sociale. Pour plusieurs prestataires, participer à un programme PAIE n'est souvent pas autre chose qu'entreprendre un long parcours imprévisible, en ce qui a trait à leurs revenus et, le cas échéant, à leur vie familiale. Cette affirmation n'a rien d'exagéré : seulement 40 %
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des participants à PAIE conserveront leur emploi après les six mois de leur participation ; et sept mois plus tard, pas plus de 27 % seront toujours sur le marché du travail32. Des recherches récentes ont révélé que l'instabilité, plus encore qu'un faible revenu, constitue la menace la plus alarmante pour les personnes démunies. Vivre sous le seuil de la pauvreté (c'est notamment le cas des prestataires et de ceux qui sont au salaire minimum), c'est n'avoir pratiquement aucune marge de manoeuvre lorsque, par exemple, les versements tardent par suite d'un changement de statut ou lorsqu'un nouvel emploi entraîne des dépenses. D'autres recherches indiquent que les stratégies financières des personnes assistées sont axées principalement sur l'évitement du risque : puisque leur revenu est insignifiant, elles comptent surtout sur la stabilité des prestations33. De plus, selon les mêmes recherches, rien n'indique que les familles démunies soient moins prêtes à prendre des risques que d'autres familles. Ce comportement s'explique par le fait que, pour ces familles, les risques encourus sont beaucoup plus importants justement à cause de leurs revenus minimes. La question demeure de savoir si les attitudes, telles que le scepticisme quant à la capacité d'obtenir un emploi malgré la participation à de nombreux programmes, le manque de « réalisme » quant au type d'emploi qu'on cherche ou la peur et l'insécurité face au marché du travail, sont les éléments d'une « culture de la dépendance » qui peuvent expliquer pourquoi les programmes d'employabilité ne fonctionnent pas pour certaines personnes. Si le prédicteur de l'échec des bénéficiaires à quitter l'aide sociale n'est apparemment pas tant leurs attitudes, qui elles peuvent être modifiées, que l'implacable réalité dont celles-ci découlent, faut-il que la politique d'assistance soit repensée de façon à forcer les personnes à quitter éventuellement l'aide sociale, comme aux États-Unis où des limites de temps sont imposées, ou à prendre n'importe quel emploi après un certain temps ? Avant de répondre à ces questions, regardons ce qui représentent, selon nos répondants, les facteurs les plus importants qui annoncent un échec des tentatives d'accès au marché du travail. 32. Tarte, Boisvert et al., op. cit. Relance auprès des prestataires de la sécurité du revenu ayant participé à un programme de développement de l 'employabilité ou d intégration en emploi. Premier volet, Québec, Ministère de la Sécurité du revenu, 1994. 33. E. McLaughlin, « Work and welfare benefits : Social security, employment and unemployment in the 1990's » , International Journal of Social Policy, vol. 20, 1991, p. 485-508.
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LES OBSTACLES À LA SORTIE SELON LES INTERVENANTS Les entrevues ont permis de distinguer quatre facteurs qui, de l'avis des agents et intervenants, semblent fortement corrélés au fait que les prestataires n'arrivent pas à réintégrer le marché du travail: l'âge, le nombre d'enfants à charge, la faiblesse des prestations de la sécurité du revenu et, enfin, un facteur plus flou qui renvoie à l'incapacité de se « vendre ». Que ce soit pour les personnes n'ayant pas de carences importantes sur le plan du capital humain, ou pour celles qui manquent de formation ou d'expérience sur le marché du travail, ces quatre facteurs semblaient, selon nos interlocuteurs, toujours constituer les obstacles critiques. Le régime d'aide sociale ne s'attend pas à ce que les personnes âgées de plus de 55 ans participent aux mesures d'employabilité. Si elles ne jouissent pas du statut de « participant » ni de ses avantages financiers, elles ne souffrent pas non plus du stigmate, ni des pénalités financières reliées au statut de non-participant. Mais pour les agents et intervenants que nous avons rencontrés, le choix de cet âge est arbitraire et peu judicieux. Les chances d'un individu de réintégrer le marché du travail, même s'il est âgé de seulement 40 ou 45 ans et qu'il possède ou non plusieurs années d'expérience professionnelle, sont pour le moins très faibles34. Un agent d'aide sociale mentionne : Les gens qui ont 50 ans, ils sont en bonne santé, ils sont disponibles, pis ils sont aptes au travail encore. Je sais très bien que le marché du travail n'accepte plus ces gens-là. Ils ont travaillé 20-25 ans en usine à 20 $ de l'heure, 25 $ de l'heure. L'usine a fermé. Ils se replaceront plus ces genslà. Ils sont finis, ils sont « scraps »... même à 40 ans, aujourd'hui, 40 ans, c'est dur. Moi, je vais avoir 40 ans. Pis, je suis certain que j'aurais de la misère à me placer. Je suis scolarisé, pis j'aurais de la misère à me replacer. Pourtant, je suis en bonne santé... pis je suis très motivé. Je peux faire un paquet de choses, pis je suis certain que j'aurais de la misère à me placer. Pour les agents et intervenants rencontrés, il ne fait pas de doute que ces personnes se retrouvent dans une voie sans issue. Pensons à l'homme de 40 ans avec deux enfants qui a travaillé pendant 20 ans dans une même firme, qui est très qualifié dans son domaine, mais à une tâche qui devient désuète, maintenant numérisée ; il perd son emploi à la suite d'une « restructuration » de la firme. Même si cet homme suit une formation de pointe, il en sort sans expérience et, aux yeux d'un nouvel employeur qui ne le connaît pas, il a probablement plein d'habitudes de
34. Remarquons que cette recherche n'a pas traité la question des jeunes, car elle s'intéressait surtout aux familles. Cela dit, d'autres études ont exploré les conditions des jeunes par rapport au marché du travail. Voir par exemple Marc-André Deniger, « Crise de la jeunesse et transformations des politiques sociales en contexte de mutation structurale », Sociologie et sociétés, vol. XXVII, n° 1, 1996, p. 73-88.
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travail désuètes et difficiles à changer. En plus, il aura besoin d'un salaire « familial ». Par ailleurs, il est clair que les hommes et les femmes qui possèdent une longue expérience professionnelle sont victimes de préjugés de la part d'employeurs qui, dans un marché du travail qui se transforme à toute vitesse, ne voient pas les personnes de 40 ans et plus comme ayant l'énergie, la flexibilité et la capacité d'apprentissage voulues. S'ils n'embauchent pas les jeunes pour manque d'expérience, ils n'embauchent pas les vieux malgré leur expérience. Le second obstacle relevé par les agents et intervenants est relié à la présence d'enfants et aux conséquences financières que cela implique « Le problème, c'est que, étant donné qu'elle a trois enfants, ça prendrait un maudit bon salaire [...]. » Contrairement à l'aide sociale, le marché du travail ne prend pas en considération le nombre d'enfants à charge d'une personne. Comme nous l'avons déjà indiqué, si à une certaine époque le salaire minimum était suffisant pour une famille, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ni le salaire minimum, ni les prestations de la sécurité du revenu ne sont suffisants pour se maintenir audessus du seuil de la pauvreté, mais le nombre d'enfants dans la famille, au moment de cette recherche, influait directement sur le montant des prestations d'assistance. Si pour une personne seule ce montant demeure bien inférieur à celui que lui procure le salaire minimum, pour une famille il pouvait être plus élevé. Le plus gros problème que j'ai eu avec cette personne-là, c'est qu'il avait trois personnes à charge. Ce qui faisait que M. D. ne pouvait pas prendre un salaire à 5,85 $. Pis, ça, ça fait suer. C'est pas évident. Parce que... quand t'as pas d'expérience, t'es pas scolarisé, t'as à peu près rien, ben, les jobs à 10-15 piastres de l'heure, c'est pas évident. Les emplois disponibles, qu'ils soient subventionnés ou non, sont, le plus souvent, non seulement au salaire minimum, mais aussi à temps partiel. Pour les familles monoparentales, il existe un programme, APPORT (Aide aux parents pour leur revenu de travail), qui vise à aider les personnes qui travaillent à atteindre un revenu semblable à celui qu'ils auraient par l'aide sociale. Cependant, les agents et intervenants font état du manque d'intérêt que ce programme suscite auprès des prestataires. En effet, pour ces derniers, APPORT a peu de chances d'améliorer leur sort ou de résorber l'insécurité qu'entraîne le fait de quitter la sécurité sociale au profit d'un emploi précaire. D'ailleurs, on estime que, dans l'ensemble du Québec, seulement la moitié des familles qui ont droit au programme APPORT s'y inscrivent effectivement35. 35. Ministère de la Sécurité du revenu, Le coût et l'efficacité du régime de sécurité du revenu, Sainte-Foy, Les Publications du Québec, 1996.
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Le régime d'aide sociale du Québec semble donc tout mettre en oeuvre pour aider les prestataires à intégrer le marché du travail ; il offre pour cela des programmes d'aide en recherche d'emploi, qui assurent une certaine aide aux personnes qui désirent se trouver un emploi. Mais, d'après les agents interviewés, le système luimême sabote ses chances de réussite, notamment dans les modalités du soutien financier qu'il offre. Ainsi, durant sa participation à l'un de ces programmes, une personne touche une indemnité qui lui permet de faire face aux coûts engendrés par le travail: transport, habillement, etc. Mais ces indemnités cessent d'être accordées dès la fin du programme ; la personne se retrouve alors, du jour au lendemain, dans la catégorie des non-participants, à laquelle se rattachent les prestations les moins élevées. Pourtant, on attend de la personne, on l'exige même, qu'elle poursuive sa recherche d'emploi, en mettant en pratique les techniques acquises au cours du programme. Les prestations des non-participants sont cependant si peu élevées que, comme le souligne un agent, [il n'y a] pas de véritable soutien au retour au travail : une personne qui n'a pas les moyens d'avoir le téléphone, comment elle peut être rejointe par les employeurs rapidement, se payer une passe d'autobus pour remplir des applications, avoir des vêtements appropriés, surtout les femmes qui font du travail de bureau (une robe qui a de l'allure, être coiffée). Ici c'est la pauvreté elle-même qui fait obstacle à la sortie de l'aide sociale. Si, dans le passé, les personnes assistées sociales étaient considérées comme étant en dehors du marché du travail, actuellement elles se trouvent en compétition avec tous les chômeurs ainsi qu'avec les travailleurs voulant changer de poste. Pour les agents, il est clair que, pour être embauchée, une personne doit détenir autant d'avantages que possible dans la course aux emplois. Ceux qui ne disposent d'aucune ressource pour aider leur propre cause - pas d'argent pour le téléphone, pour les billets d'autobus, pour les photocopies du curriculum vitae, pour se présenter proprement -, ceux-là, fatalement, demeurent exclus. En fait, ce qui ressort avec le plus de force des entrevues réalisées avec les agents et intervenants au sujet des obstacles que rencontrent les personnes qui essaient d'intégrer le marché du travail est que la clé qui ouvre finalement les portes est l'habileté à se vendre. Cela n'est pas une surprise. Pour intégrer le marché du travail - qui par définition implique une compétition entre individus -, savoir bien se présenter ajoute considérablement aux chances d'une personne. Ce fait nous renvoie au coeur de la théorie sur le capital humain. Ce qui peut surprendre, c'est que ce ne sont pas les facteurs traditionnels du capital humain - le niveau d'éducation ou l'expérience professionnelle, par exemple - qui jouent le plus dans la décision d'un employeur d'engager ou non une personne assistée sociale. Les préjugés dont ces personnes sont victimes se révèlent si
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tenaces que l'on se dit que s'il n'y avait pas quelque chose d'« anormal » chez elles, elles ne seraient pas à l'aide sociale. Il faut donc à ces personnes assistées encore plus de courage qu'aux autres pour faire leur place : inévitablement, ceux qui réussissent sont les plus « fonceurs ». Ainsi, les personnes pour qui les agents et intervenants se montrent les plus optimistes quant à leur intégration éventuelle au marché du travail sont celles qui sont « fortes dans leur personnalité », ceux qui sont « compétitifs », « articulés », celles qui possèdent « une belle personnalité ». Par contre, de l'avis de ces mêmes agents et intervenants, leurs prestataires les plus « passifs », « excessivement timides » et « renfermés », ceux « incapables de se présenter » ou « de bien s'exprimer » ont peu de chances de s'en sortir. La difficulté de se vendre. T'sais, c'est ça qui arrive. C'est comme tu peux avoir des compétences, des qualifications, mais si t'es pas capable de te vendre, pis de le dire à l'employeur : « Essayez-moi, je suis un bon candidat. » Certaines personnes sont donc étiquetées « sans espoir », à moins, pour reprendre les termes d'un intervenant, qu'« un employeur accepte de [les] essayer ». Il est bien connu des agents et intervenants que ces personnes vont probablement passer d'un programme à l'autre si on les y oblige, qu'elles effectueront stage après stage ou, au mieux, participeront au programme PAIE. Pourtant, ces personnes sont presque toujours considérées par les agents et intervenants comme très motivées et ayant des objectifs réalistes ; même que ce sont souvent celles dont on a dit qu'elles ont « beaucoup d'initiative », « beaucoup de potentiel » et « une grande grande volonté ». Mais l'image qu'elles projettent d'elles-mêmes leur ferme les portes du marché du travail : elles se montrent « épouvantables en entrevue », sont « incapables de se vendre », « ne se vendent pas facilement », « ne pouvaient se vendre »... De toute évidence, le marché du travail fonctionne selon un principe d'offre et de demande. Selon la conjoncture du moment, les employeurs ont librement recours à des critères arbitraires pour engager les candidats. Les intervenants en employabilité reconnaissent que plusieurs de leurs prestataires, pas tous, ne possèdent pas les compétences essentielles pour intégrer le marché du travail. Une mauvaise connaissance de la langue, un manque de formation ou d'expérience dans le domaine convoité peuvent s'avérer de sérieux obstacles. Sérieux mais pas insurmontables, d'après ces intervenants, même pour leurs prestataires les plus timides. Il existe des moyens pour former les gens, même si cela peut prendre beaucoup de temps. Mais dans quelle mesure telle ou telle formation augmentera-t-elle les chances de ces prestataires de se trouver un emploi ?
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Un diplôme, oui, un emploi ensuite ? Pas nécessairement... Ses objectifs [de développement de l'employabilité] sont pas mal réalisables, [mais] ça sera pas évident qu'elle trouve un emploi. DES FACTEURS ENGLOBANTS : LA DISCRIMINATION ET LE STIGMATE Les approches qui misent sur le développement du capital humain prétendent pouvoir décrire les rapports d'une personne avec le marché du travail à partir de certaines caractéristiques qui lui sont propres. Ainsi, sa position au sein du marché du travail s'améliore en fonction de sa formation et de son expérience professionnelle, de ses aptitudes linguistiques, de son éducation, etc. Mais ces facteurs ne semblent pas les seuls à jouer. Les préjugés de la part des employeurs sont abondants. Si le passage à l'aide sociale, comme l'âge un peu avancé, sont en soi des marques stigmatiques, d'autres préjugés sont aussi présents et aggravent énormément la situation de certaines personnes. Ben oui, c'est une autochtone, ça paraît ben, c'est une autochtone... ou je ne sais pas trop quoi. Elle n'en trouve pas d'emploi. Tu comprends qu'avec ce qui s'est passé, avec Oka... Elle dit que ça a été les pires moments pour elle d'aller se chercher du travail... Définitivement, il y a de la discrimination. Elles le savent, elles le sentent. Ça va être un peu discriminatoire pour... pour les femmes... excusez... mais... Moi, t'sais, il y a un employeur, là, j'avais un employeur, même deux, là, deux employeurs qui voulaient une personne à la réception. O.K. Pis, l'employeur m'est arrivé : « Écoute, là, c'est pas grave si elle a pas ça, pas ça, mais moi là je veux une belle femme, comprends-tu ? Une belle femme. » Les grosses entreprises, avec eux, je discute beaucoup : le genre de personnes qu'ils veulent. Ils vont dire : « clean... euh... pas de Noir... euh... clean cut, propre, cheveux courts... », etc. C'est rendu à un point tel que les agents posent la question. « Voulezvous des personnes noires, des minorités visibles ? » Il va dire : « Non. » On va mettre le code BCN (blanc comme neige). On passe à autre chose... il y en a peut-être 2 sur 10. [...] C'est atroce. Ouais ouais. C'est comme ça.... si exemple il y a une personne de race noire qui va appeler pour tel poste, mais... l'agent de placement va toujours s'arranger pour dire : « Bon, avez-vous fait ça ? Non. Ah ! c'est dommage, l'employeur demande ça. » La différence entre les caractéristiques telles que l'origine ethnique, la couleur de la peau, l'âge, le sexe et le capital humain est celle-ci : les premières ne peuvent être changées ni « améliorées » par des mesures quelconques. Ces caractéristiques ne sont pas acquises, et leur signification est symboliquement et culturellement construite. Dans certains cas, elles
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constituent un avantage ; un homme blanc dans la force de l'âge, de même origine culturelle que l'employeur, est celui dont les chances d'être embauché sont les meilleures. Dans d'autres, elles constituent un obstacle qui peut être très difficile à surmonter. Si la formation, les conseils et d'autres interventions peuvent accroître le capital humain d'une personne, ils ne peuvent en rien modifier ces caractéristiques individuelles. Pour mieux comprendre les facteurs qui font obstacle à l'intégration selon les intervenants, il est utile de se demander à quelle catégorie ils appartiennent. Dans près de la moitié des dossiers présentés par les agents et intervenants, de bons programmes de développement sont susceptibles d'aider les personnes. Par contre, l'autre moitié des prestataires ne souffrent d'aucun manque de compétence ou d'expérience de travail, c'est-à-dire qu'ils ont déjà eu un emploi stable ou possèdent une formation et une courte expérience professionnelle (acquise parfois grâce aux programmes de développement) ; ils s'expriment bien en français et parlent souvent deux langues. De plus, ils sont très motivés et prêts à faire n'importe quoi pour vivre de façon autonome. Mais, selon les travailleurs de l'aide sociale, ils ont peu de chances de trouver un emploi en raison de leur âge, du fait que le salaire accessible sur le marché du travail ne peut pas subvenir aux besoins de base d'une famille, de leur grande pauvreté, de leur incapacité à se vendre ou des préjugés des employeurs. La question est donc de savoir dans quelle mesure ces facteurs peuvent être « améliorés » par la voie d'interventions dirigées vers les individus. La théorie qui tient le capital humain comme le facteur principal d'employabilité prétend que les caractéristiques qui constituent les conditions de possibilité d'embauche font partie intégrante de l'individu. Mais la pertinence de ces caractéristiques ne leur est pas inhérente : en soi, le fait d'être assistée sociale, d'avoir 45 ans, d'être une femme et noire ne devrait pas exclure du marché du travail. La signification de ces caractéristiques dépend du contexte socioculturel, comme la valeur négative accordée à ces traits dans une société donnée et le stigmate que ceux-ci représentent. Ils assurent que la personne en question ne se verra pas offrir d'emploi ou qu'elle sera rémunérée au salaire minimum, pour seulement 15 heures par semaine en moyenne, qu'elle sera sur appel, etc. Si cette personne devient découragée, voire cynique, par rapport à sa capacité d'intégrer un jour le marché le travail, doit-on parler alors du développement d'une « culture de dépendance » ? Ou s'agit-il plutôt de la résultante d'une série de mécanismes structurels conduisant à la marginalité ? En effet, l'âge, le sexe, la classe sociale et l'ethnicité représentent souvent les lignes de faille au sein de la société. C'est autour de ces différences que les clivages se produisent et que les inégalités sociales
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s'implantent et se perpétuent. Ainsi, être jeunes, femmes ou appartenir à une minorité visible sont des facteurs associés à la pauvreté dans notre société autant que peuvent l'être le niveau d'éducation ou le handicap physique36. La discrimination en fonction de l'âge, du sexe et de l'ethnicité de la part de nombreuses personnes qui contrôlent l'accès aux espaces sociaux valorisés est bien connue, notamment de la part des propriétaires qui contrôlent l'accès au logement et des employeurs qui contrôlent l'accès au marché du travail. L'étiquette « assisté » ne sert qu'à renforcer ces marques de stigmate pour les personnes qui en sont affublées et constitue un stigmate en soi pour les autres (McAll, 1996). Il n'est donc pas surprenant de voir que ces mêmes facteurs jouent pour freiner, sinon empêcher l'insertion au marché du travail des bénéficiaires d'aide sociale, cette dynamique faisant partie de processus sociaux qui dépassent le champ de l'assistance. Il s'ensuit que « la culture de la pauvreté » n'a peut-être pas autant d'influence sur ces processus de marginalisation que la culture dominante en elle-même. UNE RÉFORME À LA MESURE DU DÉFI DE L'EXCLUSION DU MARCHÉ DU TRAVAIL ? Les succès très mitigés des programmes de développement de l'employabilité ont amené le gouvernement québécois à élargir sa perspective. Ainsi, dans le livre vert menant à la réforme très récente du système, on interroge la pertinence du concept de l'employabilité si celui-ci est compris comme la clé de la sortie de l'aide sociale. Les mesures de développement de l'employabilité mises en place au cours des années 1980 ont, d'après les évaluations du ministère de la Sécurité du revenu, des retombées relativement modestes en matière d'intégration à l'emploi... La solution à l'exclusion du marché du travail passe par la réconciliation des objectifs sociaux et économiques [...]37. La nouvelle politique dite active du marché du travail qui est proposée depuis 1996 a pour objectif principal d'intégrer tous les chômeurs, qu'ils soient assistés, assurés ou vivant à l'aide de leurs propres épargnes,
36. S. Shetagne, La pauvreté dans les agglomérations urbaines du Québec, Ottawa, Le Conseil canadien de développement social, 2000. L'âge avancé n'est pas associé à la pauvreté dans les statistiques à cause du fait que certains membres de cette catégorie sont parmi les plus riches dans la société, ainsi qu'en raison de l'efficacité des régimes de retraite et des pensions de vieillesse au Canada pour diminuer le taux de pauvreté chez les personnes de 65 ans et plus, au moins durant la deuxième moitié du XXe siècle. 37. Ministère de la Sécurité du revenu, La réforme de la sécurité du revenu, Un parcours vers l'insertion, la formation et 1 emploi, Québec, Gouvernement du Québec, 1996.
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au marché du travail. En tentant d'éliminer la distinction entre les mesures offertes aux personnes assistées sociales et aux autres chômeurs, elle vise, entre autres, une réduction du stigmate associé à l'assistance, autant dans la perception des employeurs que dans celle des bénéficiaires eux-mêmes. Cette politique reconnaît en plus qu'un parcours vers le marché du travail peut être plus efficace s'il passe parfois par une aide psychosociale, dans le cas d'obstacles associés à des problèmes familiaux ou personnels, ainsi que par un plus grand respect des projets des personnes elles-mêmes, plutôt que de miser sur des programmes standardisés. La politique conserve donc son objectif de mettre fin à la dépendance des personnes démunies à l'égard de l'État, sans pour autant s'attaquer à la pauvreté, cause première de cette situation. Si elle ne cherche pas à éliminer la pauvreté, elle ne vise pas non plus à mieux subvenir aux besoins de base des personnes qui ne sont pas intégrées au marché du travail. Pourtant, cette nouvelle politique reconnaît une certaine responsabilité collective envers ces personnes, reconnaissance qui n'est pas toujours présente dans les politiques axées nettement sur la réduction de la dépendance et l'encouragement à la responsabilité personnelle. La part de la collectivité est reconnue, par exemple, par la mise sur pied des conseils locaux de développement (CLD) qui ont pour mission de soutenir le développement d'entreprises locales dans les secteurs privé et de l'économie sociale. Les CLD travailleront en concertation étroite avec les nouveaux centre locaux d'emploi (CLE), anciens bureaux d'aide sociale, qui desservent maintenant les assistés, chômeurs et travailleurs tous ensemble. L'efficacité de ces « nouvelles » structures n'est pas encore connue, mais les conditions entourant leur naissance ne sont pas de très bon augure38. La part de la collectivité est aussi reconnue par la mise en place des garderies à « 5 $ par jour », même si les heures d'ouverture ne correspondent pas toujours aux horaires de plusieurs parents et que ce prix demeure assez élevé pour les personnes défavorisées. Dans les faits, les familles retirent un réel avantage financier de ce programme à partir d'un revenu oscillant autour de 22 000 $ - 25 000 $, donc bien au-delà de celui des personnes assistées. Un autre morceau du puzzle est constitué de la nouvelle Allocation unifiée pour enfants (AUE). Ce programme vise à augmenter le revenu des familles défavorisées en fonction du nombre d'enfants. Il n'a cependant
38. Ce nouvel arrangement est rendu possible grâce à une entente entre les gouvernements fédéral et provincial qui transfère à la province des fonds auparavant consacrés aux programmes de réinsertion au travail des prestataires de l'assurance-emploi (fédéral). Cette transformation ne se fait pas sans heurts, à cause, entre autres, des difficultés éprouvées dans la fusion de structures, cultures et acteurs tellement différents.
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pas d'effets significatifs sur les familles bénéficiaires d'aide sociale, car l'AUE remplace la partie des prestations auparavant attribuées en fonction des enfants. Elle ne procure donc aucun bénéfice aux familles les plus défavorisées de la société39. En fait, l'AUE semble être utilisée comme une incitation à la sortie de l'aide sociale ou comme un moyen qui peut favoriser cette sortie, car les personnes au travail en bénéficient. Il faut donc se demander si cette réforme, qui s'annonce étape par étape, en morceaux, de façon intersectorielle, est à la mesure des vrais défis posés par l'intégration au marché du travail des plus démunis de la société40. Elle répond certes à plusieurs des contradictions et embûches systémiques relevées par des recherches diverses, locales et internationales, pour expliquer l'inefficacité des programmes de développement de l'employabilité. Mais, malgré un discours moins axé sur la responsabilité individuelle, elle maintient les personnes assistées dans des conditions écrasantes, tout en cherchant de meilleures stratégies pour les intégrer au marché du travail. La réforme n'a donc pas modifié les objectifs de la politique. Elle ne s'attaque pas davantage aux conditions de vulnérabilité sociale risquant d'alimenter la zone de marginalité que représentent l'assistance, la pauvreté et la polarisation socioéconomique autour de traits comme l'âge, le sexe et l'ethnicité, tous des facteurs qui semblent jouer un rôle prépondérant dans les processus d'exclusion. La nouvelle politique mise plutôt sur le marché du travail pour faire sortir les personnes de l'aide sociale, tandis que l'obstacle le plus important à l'insertion professionnelle des personnes assistées est leur incapacité à se vendre sur ce marché hautement compétitif, en dépit du niveau de capital humain traditionnel qu'elles peuvent posséder. BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE BANE, M J. et D.T. ELLWOOD (1994). Welfare Realities, From Rhetoric to Reform, Cambridge, Harvard University Press. CASTEL R. (1994). « La dynamique des processus de marginalisation : de la vulnérabilité à la désaffiliation », Cahiers de recherche sociologique, no 22, p. 11-27. 39. L'Allocation unifiée pour enfants est financée par le gouvernement fédéral. Presque l'ensemble des provinces en ont profité pour réduire leur part des prestations d'aide sociale. 40. Le ministère de la Solidarité sociale n'est pas responsable de l'ensemble des éléments de cette politique, certains étant entre les mains des ministères de l'Éducation, des Régions, du Travail et de la Famille et de l'Enfance.
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VIEILLISSEMENT ET RETRAITE Problèmes sociaux, problèmes de société JEAN CARETTE, Ph. D. École de travail social, Université du Québec à Montréal
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RESUMÉ Loin de ne constituer que des problèmes techniques, les difficultés qui accompagnent le vieillissement et la retraite sont des problèmes sociaux et même des problèmes de société, parce qu'ils doivent leur origine aux rapports de pouvoir et de compétition qui traversent la société, parce qu'ils remettent en cause l'ordre établi et parce que leurs diverses solutions - en matière de politiques économiques ou sociales et d'interventions exigent un travail du social de la part de l'ensemble des acteurs sociaux et en particulier des plus âgés, au sein de mouvements sociaux intergénerationnels.
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Affirmer que le vieillissement et la retraite sont d'abord des problèmes sociaux ne va pas de soi. Il convient de fonder une telle prise de position, faute de quoi les analyses subséquentes seront erronées et les interventions caduques. Dans un premier temps, il faut définir ce qu'est un problème social, en quoi un problème peut être qualifié de social ; puis inscrire le vieillissement et la retraite dans le cadre de cette problématisation ; enfin, envisager les conséquences pratiques de cette définition et de cette inscription au point de vue de la résolution sociale, de l'intervention sociale et de la formation des acteurs sociaux. RECONNAÎTRE LES RAPPORTS SOCIAUX Si le discours gérontologique a rarement dépassé le niveau de la description, c'est sans doute parce que ses auteurs n'ont guère su se dégager d'une conception du monde largement irriguée par le courant fonctionnaliste : la société serait en fait un corps social unifié par des valeurs et ordonné selon une répartition cohérente des statuts et des rôles entre catégories sociales, équilibre collectif et organique que la retraite et la crise qui l'inaugure contraignent à redéfinir. Certes, des conflits sociaux sont reconnus, mais comme des perturbations passagères, des déséquilibres provisoires par rapport à une normalité sociale. Ces conflits sont considérés comme des accidents, comme des pannes du système social qu'il convient de réparer ou de prévenir. Pour nous, ces explications ne sont que descriptives : observant avec minutie les symptômes, elles ne sauraient remonter aux sources des difficultés vécues et des problèmes sociaux, parce qu'elles n'y reconnaissent pas les effets de rapports sociaux moteurs. Toute société est le théâtre d'affrontements entre les groupes sociaux qui la composent, et ce, d'autant plus qu'elle dispose des moyens adéquats pour agir sur elle-même, au lieu de subir événements et environnement. Ces conflits collectifs résultent d'une compétition généralisée et ont pour principal enjeu d'accaparer et de monopoliser les divers leviers organisationnels et institutionnels qui assurent cette capacité d'agir. Dans cette constante course aux pouvoirs, il y a nécessairement des gagnants et des perdants, au moins à titre provisoire. Chaque groupe s'efforce d'obtenir à son seul avantage la direction et le contrôle des divers champs d'action ou de s'y maintenir. Autrement dit, toute société développée est déchirée, divisée par ces conflits de pouvoir qui sont cependant par eux-mêmes les seuls leviers efficaces de son développement. Elle est traversée, orientée, à la fois gênée et poussée par ces rapports sociaux conflictuels.
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Or, dire que les difficultés liées au parcours des âges sont autant de problèmes sociaux revient à affirmer que la marginalisation économique et sociale d'une majorité de préretraités et de retraités trouve son origine et son explication dans l'accumulation de positions sociales inférieures d'exploitation et de domination au travail et dans les autres milieux d'activité et de vie par ces plus de 50 ans. Prenons par exemple la situation économique des femmes à la retraite, qui sont largement plus pauvres que les retraités de sexe masculin. Pour interpréter ce fait, d'aucuns, beaucoup plus nombreux qu'on ne l'imagine, pourraient l'attribuer à je ne sais quelle « nature » féminine, alléguant ainsi à la suite de jean de La Fontaine qu'une cigale imprévoyante ne peut se plaindre de son sort, une fois venu l'hiver de sa vie, et qu'il faut encourager les fourmis épargnantes à prévenir dès leur jeune âge les effets de la pauvreté à la retraite. Un tel type d'interprétation fait reposer la situation à la retraite sur la seule responsabilité individuelle, sur un vieillissement fait de sagesse et de prudente accumulation, et ne peut que culpabiliser celles qui n'en ont pas eu les moyens. Au lecteur qui serait tenté de hausser les épaules en se félicitant un peu vite que de telles analyses n'aient plus cours parce qu'elles sont le résultat de préjugés moralisateurs, je me permettrai de rappeler qu'une telle idéologie traverse encore régulièrement les enseignements et les interventions gérontologiques et nourrit chaque année certaines campagnes de promotion des REER... Quant à nous, nous nous souviendrons plutôt et entre autres que les femmes retraitées, surtout les plus âgées, avaient « bien trop d'ouvrage » familial pour travailler à l'extérieur du foyer et pour ainsi tenter d'accumuler des points de rente, que celles qui ont été salariées ont la plupart du temps occupé des postes au sein de ghettos d'emplois aux qualifications, aux salaires et aux protections moindres, que l'équité salariale leur faisait bien plus défaut qu'à leurs filles qui, aujourd'hui, la réclament toujours. Autrement dit, nous ne pouvons isoler les conditions de retraite de ces femmes de leurs conditions passées de travail et de vie : c'est dans les rapports sociaux d'exploitation et de subordination subis par une majorité de femmes adultes qu'il convient de chercher l'origine, la source et l'explication de leur pauvreté plus grande à la retraite. Si les femmes âgées sont prioritairement frappées par la pauvreté et par la disqualification sociale qui en est la conséquence presque obligée, c'est principalement en raison de leur histoire sociale, c'est-à-dire des positions sociales qu'elles ont successivement occupées tout au long de leur vie et des effets cumulatifs de ces positions en termes d'impossibilité d'accès à une épargne de retraite suffisante ou, plus généralement, en termes de vieillissement accéléré. Bien sûr, les aléas de l'existence, s'ils sont défavorables, n'arrangeront rien : telle génération aura traversé deux guerres, alors que celles qui l'ont suivie ont joui de
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la paix civile. De même, le caractère de l'individu ou la qualité de son éducation feront sentir leur influence. Mais il s'agit de facteurs aggravants et non de facteurs explicatifs : les mettre en avant reviendrait à méconnaître et à occulter l'aspect social prioritaire de ces problèmes, donc à se priver des moyens d'une saine analyse et à s'éloigner des voies d'une intervention efficace. UN PROBLÈME SOCIAL NE DOIT PAS CACHER UN PROBLÈME DE SOCIÉTÉ, MAIS LE RÉVÉLER Le processus de socialisation des problèmes ne se limite pas à leur explication ; en mettant en valeur leurs facteurs historiques et sociaux, il débouche sur la remise en cause de l'organisation sociale, de ses institutions et de ses orientations privilégiées. Poser un problème social revient à critiquer la réalité sociale qui le structure et l'entretient. Ce qui fait un problème social est en soi problématique. Prenons l'exemple des conditions de départ en retraite : pour tous ceux et celles qui ont occupé au travail et dans la vie - non par choix, mais le plus souvent à leur corps défendant - des positions sociales de plus forte exploitation et de plus sûr assujettissement, et même si la retraite sonne à leur esprit comme une délivrance et une récompense, le départ définitif du travail n'en est pas moins, socialement parlant, une expulsion irrémédiable d'une main-d'oeuvre vieillissante jugée moins compétente et moins recyclable, surtout moins rentable sur le marché du travail. Dans une société où le travail est un facteur central d'intégration sociale, la retraite vient ainsi sanctionner leur disqualification sociale et les entraîner vers les marges de l'exclusion. Par contre, pour ceux et celles, plus rares, qui ont bénéficié d'une mobilité sociale ascendante, en passant par des étapes de carrière de plus en plus valorisantes, en accumulant des épargnes financières, sociales et culturelles, la retraite pourra être perçue comme une occasion de « deuxième carrière », de réalisation de vieux projets ou même d'engagements sur le terrain social. Dans le premier cas, les problèmes sociaux qui vont accompagner le vieillissement amèneront, au-delà du dévoilement d'explications sociales satisfaisantes, à dénoncer un système d'exploitation qui réduit les personnes à leur capacité de production ou de consommation ; plus globalement, à remettre en cause les rapports sociaux - de classes, mais aussi de sexes, d'âges, de cultures, etc. - qui sont à la source de ces problèmes et leur imbrication complexe dans la dynamique sociale concrète. Si certains retraités sont marginalisés ou exclus, si d'autres se montrent incapables d'utiliser les ressources de leurs divers milieux de vie au mieux de leurs besoins et de leurs désirs, il ne peut s'agir d'un simple accident fortuit qui devrait attirer notre sympathie, ni du résultat d'une déviance
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de comportement ou d'une faiblesse de la volonté de l'individu. Il s'agit d'un enchaînement qui remet en lumière et en question l'origine sociale des problèmes. On peut comprendre que cet éclairage critique ne soit pas sans inquiéter certains partisans du désordre établi. À PROBLÈME SOCIAL, SOLUTIONS SOCIALES Mais il reste une étape à franchir dans la définition d'un problème social. Expliquer socialement les problèmes et dénoncer leur gravité ne suffit pas ; encore faut-il travailler à leur solution sociale. Un problème social ne peut se résoudre par des moyens purement techniques, par de simples aménagements ou moyens organisationnels. Leur mise en oeuvre est indispensable mais insuffisante. Réduire les problèmes sociaux à leur dimension technique revient à tenter de leur trouver des solutions inadéquates et toujours provisoires. Si madame B., préretraitée de 57 ans, souffre d'isolement et ne croit pouvoir disposer que du recours à un médecin qui va devoir lui conseiller de prendre l'air, de fréquenter un club de l'âge d'or et peut-être de consommer des antidépresseurs, nous reconnaissons là un travestissement d'un problème social dont les solutions ne peuvent être que collectives et sociales en une difficulté individualisée dont la solution ne relèverait que de la technique médicale et de ses voies thérapeutiques. Madame B. a peut-être besoin de prescriptions médicales, mais elle a davantage besoin de services sociaux. Son isolement vient en grande partie de la perte des réseaux relationnels trop exclusivement liés à la vie de travail ; il est donc la conséquence de sa mise à la retraite et non le produit de son caractère misanthropique ou le résultat d'un défaut d'oxygénation... Sa préretraite, précipitée, et la pauvreté de ses moyens concrets d'existence - santé précaire et revenus modestes - ont joué au détriment de son intégration sociale. Il convient ici de s'interroger, non sur les techniques médicales aux performances toujours croissantes, mais sur l'usage social qui en est fait, autrement dit sur le rôle extramédical qui est ici assigné aux médecins, souvent à leur corps défendant, et au-delà sur les effets sociaux de cette assignation. Il en est de même pour toute forme d'intervention sociale. En réduisant celle-ci à une pure méthodologie technicienne, de relation d'aide interpersonnelle et de service social, on dénie à l'intervention la possibilité de déboucher sur un travail du social. On soulage bien plus qu'on ne guérit, on rabougrit à quelques difficultés passagères de l'individu - ignorance ou démotivation - ce qui constituait un réel problème social. Or, ce problème ne peut trouver une issue positive que par un débat social impliquant l'ensemble des acteurs sociaux concernés et débouchant sur la renégociation d'une partie ou de l'ensemble de ce qu'on appelle le « contrat social », sur la mise en place de nouveaux
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mécanismes institutionnels aptes à porter des voies de solution efficaces. C'est ici qu'intervient le travail du social, par lequel les groupes opprimés, en organisant leur force collective, se donnent les moyens d'assurer la défense de leurs droits, mais aussi par lequel les groupes de dominés vont chercher à réorienter les rapports sociaux en leur faveur, dans le cadre d'un nouveau projet de société à élaborer et à promouvoir. Seuls un ou des mouvements sociaux peuvent en dernier ressort trouver une solution réelle à un problème social. Au-delà de la description, l'explication ; au-delà de la dénonciation, l'action sociale : sur le terrain des communautés de vie, face aux groupes économiquement et socialement dominants ; mais aussi mouvements sociaux de la société civile face à un État lui-même traversé et travaillé par les divers rapports sociaux, État dont les collectifs dominants cherchent à s'assurer la direction ou, plus carrément, à limiter l'intervention. C'est ainsi que le travail du social débouche nécessairement sur les conditions d'une mise à jour des formes d'engagement politique et sur le dégagement de perspectives renouvelées pour la démocratie. Ainsi, partant des rapports sociaux, la problématisation du social y revient pour tenter de trouver les voies et les moyens de nouvelles pratiques sociales libératrices de l'autonomie de chacun et porteuses d'un développement global et durable. Il ne s'agit plus simplement d'une relation d'aide et de service, au bénéfice immédiat des plus « mal pris » de la société, relation qui ne chercherait qu'à soulager, compenser, amortir les effets des problèmes sur l'individu. Il s'agit aussi d'un travail du social qui vise à long terme l'éradication des problèmes ainsi posés par les acteurs concernés et l'élaboration de solutions alternatives et globales qui passent par leur émancipation. RESTAURER LA DIMENSION SOCIALE DES PROBLÈMES, MAIS AUSSI DE LEURS SOLUTIONS Rendre compte du vieillissement et de la retraite en termes de réalités sociales et de problèmes sociaux, au lieu de braquer les projecteurs de l'analyse sur la condition particulière de chaque individu en tant qu'il est traversé par le temps, n'est pas sans conséquences importantes sur l'élaboration des politiques de gestion du vieillissement par l'État comme sur les modes d'intervention qui sont privilégiés à travers les services publics ou dans le travail des groupes de la société civile. Le cadre limité de ce texte nous contraint de n'en évoquer que trois illustrations parmi les plus significatives.
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
LES POLITIQUES DE REVENUS DE RETRAITE Entre les équilibres comptables et les solidarités réaménagées, le plus souvent, on aborde le problème des ressources financières des retraités par le biais de la démographie. Loin de dénigrer une discipline scientifique des plus utiles en gérontologie sociale, nous souhaiterions seulement faire une mise en garde sur l'usage social qui en est trop souvent fait. Il est en effet de bon ton et gerontologically correct d'amorcer la construction d'un discours traitant des revenus de retraite par un étalage convaincant de chiffres et de statistiques. On démontrera par exemple que la proportion des personnes âgées augmente fortement au sein de la population globale, que la pyramide des âges se transforme en parallélépipède, que les générations âgées vont de plus en plus s'empiler au lieu de se succéder « naturellement ». On fera valoir par quelques courbes que le ratio actifs-retraités, appelé ratio de dépendance, a une tendance inéluctable à fléchir. Toutes ces données sont présentées dans le but de quantifier le vieillissement, mais ont aussi pour effet, par leur dramatisation même, de faire entrevoir que les régimes de retraite par répartition sont menacés, que les plus rares actifs de demain ne pourront ni ne voudront exercer leur solidarité de cotisants pour assurer la survie économique des générations à la retraite. Or, entre les chiffres sélectionnés et les conclusions que le discours prétend tirer, il y a pour le moins un écart idéologique. La prétention à la description objective tourne à l'interprétation et même à la manipulation. En effet, ces exposés ne font que très rarement mention de l'augmentation constante de la productivité qui pourrait à long terme compenser la diminution du nombre de producteurs ; se contentant de faire reposer l'avenir des régimes de retraite par répartition sur la constance d'équilibres démographiques, les auteurs de ces discours « oublient » de poser la vraie question, celle du débat social nécessaire sur les modalités à renouveler d'un contrat social de redistribution plus équitable des richesses produites collectivement. Il y a de moins en moins de pâtissiers, certes, mais il faudrait ajouter et expliquer que, paradoxalement, le gâteau collectif ne cesse de croître et qu'il faudrait donc traiter socialement de son nouveau découpage. Les utilisateurs de statistiques démographiques se gardent bien de le faire, et c'est aussi en termes sociaux qu'il convient d'interpréter ces silences. L'avenir des politiques de revenus doit bien sûr se prévoir en faisant appel à des données démographiques exactes et à des hypothèses actuariellement fondées ou plausibles, mais aussi en posant les termes et les conditions d'un débat social sur l'avenir potentiel des solidarités entre générations, à travers une série de conflits sociaux autour d'une répartition plus équitable des PNB. Le financement de la fonction vieillesse, en particulier celui des revenus de substitution au salaire, n'est pas un
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pur problème de coûts relevant de la technique comptable des bilans équilibrés ni des correspondances démographiques entre classes d'âge. Il doit se poser et se résoudre en termes sociaux : quelle part des richesses collectivement produites doit être redistribuée et consacrée à la rétribution et à la couverture des besoins des plus âgés ? LES POLITIQUES SOCIALES DE LA VIEILLESSE : D'ABORD UN DÉBAT SOCIAL La succession des politiques de gestion sociale du vieillissement et de la retraite doit aussi être analysée au point de vue de l'effet institué des rapports sociaux, au-delà des techniques de définition des besoins et d'élaboration des programmes. On peut ainsi distinguer trois phases de gestion des politiques sociales de la vieillesse. Première étape : Les vieux sont encore rares et dispersés et courte est leur espérance de vie. On ne les appelle pas encore les retraités ou le troisième âge, mais les pensionnés ou les rentiers, signifiant ainsi la tendance de fond selon laquelle un individu ne vaut que par l'épargne qu'il a accumulée ou les revenus que lui ont mérités de nombreuses années de fonctionnariat. La retraite-pension est encore une récompense pour une courte période précédant la mort. Les autres types de retraités ne sont même pas nommés. On assimile ceux qui font appel à l'intervention de l'État à des assistés, des indigents ou des pauvres : plus âgés mais semblables à tous les autres. L'État ne gère ni même n'élabore aucune politique de gestion sociale du vieillissement et de la vieillesse, se contentant de soulager leur éventuelle et discrète pauvreté. La responsabilité principale de sa vieillesse revient à l'individu, à sa famille et sa communauté ainsi qu'aux institutions privées, l'État y suppléant le cas échéant. À ce stade, non plus de discours sur ces thèmes. La gérontologie n'existe pas en tant que discipline distincte et n'est que la médecine passive des âges avancés et de ce qu'on appelle la sénilité ou la psychologie du désengagement et du déclin ou encore ce qui reste d'une morale stoïcienne de respect des anciens et de sereine acceptation des épreuves de l'existence et de la mort. Deuxième étape : Longévité aidant, apparaît le groupe des retraités ex-salariés qui se nomment l'âge d'or, âge troisième du repos, certes, mais aussi nouvelle période de vie consacrée au loisir et au non-travail, rétribution différée liée à la contribution productive. Les plus pauvres continuent à percevoir des aides fédérales sans contrepartie de cotisations, mais sont mis en place les mécanismes de financement de rentes de vieillesse, soit par répartition soit par capitalisation. L'État élabore et met en place peu à peu une politique économique et sociale qui vise la vieillesse en tant
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que telle, période spécifique du vieillissement et se confondant avec lui les personnes qui vieillissent sont des plus de... 60, 70, 80 ans. Il convient de les maintenir dans leur communauté (maintien à domicile) plutôt que de les institutionnaliser : c'est sans doute moins coûteux, mais cela a aussi l'avantage d'éclairer positivement l'avenir des plus jeunes et de mobiliser leurs ardeurs présentes. Se développe en parallèle un pouvoir gris essentiellement défensif qui s'oppose avec un certain succès à deux niveaux de gouvernement provisoirement désemparés par cette résistance. La gérontologie s'académise et développe un discours et des pratiques d'intervention. Elle se libère peu à peu de l'hégémonie du modèle biologico-médical et prône un nouvel âge de l'activité et de l'utilité sociales. L'avance en âge peut aussi être un parcours de progrès. Troisième étape : Une expulsion toujours plus précoce et plus massive du marché du travail institutionnalise la préretraite. L'espérance de vie se combinant avec l'espérance de retraite, ce sont deux générations qui coexistent, troisième âge et quatrième âge d'une nouvelle période de vie. Devant l'objectif du déficit zéro, l'État comprime radicalement les dépenses de santé et les services de première ligne, mais s'attache aussi à stimuler le bénévolat social et l'activité des retraités, en particulier des femmes de 50 ans et plus, appelées à devenir les mères de leurs mères après avoir été celles de leurs enfants. L'État réduit ses prétentions mais pas son encadrement coordonnateur. Le pouvoir gris bâtit des coalitions mais avec moins de succès face à un État dont les principaux agents décideurs se sont ressaisis. Au sein des générations d'aînés, les positions sont toujours aussi défensives. Par contre, sur un plan intergénérationnel, un mouvement social se dessine qui regroupe jeunes et retraités pour des revendications communes, embryon d'offensive porteuse d'un projet global de société. La gérontologie se fait sociale. L'avance en âge est à la fois une courbe de déclin et une occasion de progrès, sous conditions sociales. On peut bien penser que ces lignes politiques successives doivent leur élaboration et leur promotion aux aléas de la conjoncture ou à la capacité éclairée des politiciens au pouvoir et des technocrates de la haute administration de saisir les besoins nouveaux et d'y adapter leurs décisions quant aux processus et aux programmes. Si ce type d'explication peut être privilégié, il est cependant insuffisant quant à la perspective et dangereux par ses effets. Il revient à faire de la politique un art particulier fait de lucidité et de calculs, mais un art isolé, réservé à l'usage de quelques-uns qui y excelleraient et devraient donc se maintenir « au pouvoir ». Or, la politique est à la fois cela et bien davantage. Il existe certes une science politique et l'administration publique exige qu'on s'y forme sérieusement. Mais le service de l'État et des citoyens demande que ceux-ci y contribuent, et d'abord par le débat public entre leurs visions et leurs intérêts, ménageant
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ainsi les conditions de compromis toutes provisoires qui vont s'institutionnaliser dans diverses formes du droit et se traduire en objectifs, en procédures et en programmes ou services organisés. Ce débat public est d'abord un débat social qui, partant des multiples rapports sociaux, devrait déboucher sur des formes renouvelées et provisoires de pouvoir institué, selon ce qu'il aura révélé de leur dynamique et de l'état momentané des rapports de force. Ainsi, par exemple, en négociant et en arrachant peu à peu l'exercice concret du droit à la retraite, les groupes syndicaux et leurs alliés politiques ont concouru à libérer les travailleurs des servitudes du travail, mais en même temps ils ont institutionnalisé, légalisé le recours à l'éviction systématique des travailleurs âgés du marché de l'emploi. Gain de compromis qui limitait les dégâts à l'intérieur du jeu des rapports sociaux, en attendant mieux. La démocratie ainsi exercée ne renversait pas les groupes dominants et la technocratie à leur dévotion. Mais elle permettait - et ce n'est pas rien - le travail du social sur lui-même dans des conditions renouvelées. L'évolution des politiques sociales de la vieillesse doit bien sûr quelque chose au poids des réalités démographiques ou aux transformations de la conjoncture économique, mais plus dans un rapport de circonstance que de causalité. Il ne convient d'y voir ni une évolution linéaire, progressive et progressiste, ni un simple assemblage de mesures adaptatives aux aléas de l'environnement. L'INTERVENTION : AU CŒUR DES RAPPORTS SOCIAUX Quant à l'intervention gérontologique, bien au-delà de ses variantes méthodologiques, de ses formes techniques et de ses résultats immédiats, elle ne produira pas les mêmes effets sociaux, selon les formes et les orientations que ses agents privilégient et selon les types de rapports sociaux dans lesquels elle est élaborée et engagée. En s'efforçant d'appeler les retraités et l'ensemble d'une collectivité à susciter et à ménager les occasions d'un nouveau statut social, par exemple à travers l'exercice d'un bénévolat, au nom de valeurs d'ordre et de respect des traditions et des anciens qui les transmettent, l'intervention suggère et favorise le maintien d'un équilibre social un moment menacé par l'éviction définitive du travail. Elle correspond à un état des rapports sociaux où les groupes en opposition et en compétition sont sur la défensive, soit pour maintenir leurs privilèges soit pour préserver leurs acquis. Il s'agit d'un type d'intervention fortement reproducteur socialement et partisan-artisan du maintien du statu quo, qui privilégie les enjeux de type culturel.
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À l'opposé, en mettant l'accent sur les multiples formes de protestation contre les abus d'un pouvoir dont elle vise en fait le renversement, l'intervention gérontologique prépare et anticipe une situation révolutionnaire dont ses agents espèrent une radicale émancipation, à la fois large et définitive, loin des aliénations du travail et de la retraite qui en serait l'inéluctable et déplorable résultat. Plus qu'un changement, ce type d'intervention préconise une radicale transformation des rapports sociaux de pouvoir, un balayage des groupes dominants au profit d'une nouvelle élite politique. D'autres intervenants donnent la priorité à l'information et à la formation, en visant à mettre en place les conditions que ses acteurs jugent nécessaires à l'adaptation et aux changements positifs qu'ils en escomptent pour une retraite éclairée et utile. Diverses démarches éducatives sont proposées aux retraités actuels ou futurs, pour qu'ils y optimisent l'usage de leurs acquis et qu'ils se responsabilisent dans la construction d'une retraite autonome et productive. Enfin, un dernier type d'intervention se situe d'emblée au coeur même du social pour s'appuyer sur ses leviers ; il fait reposer ses méthodes sur la capacité des individus à sortir de leur isolement pour se solidariser en groupes sur la base de leurs droits particuliers à défendre, mais surtout sur la capacité des collectifs au départ défensifs à se transformer en mouvements sociaux intergénérationnels susceptibles de porter et de faire aboutir à travers leur action citoyenne un projet social alternatif, où l'avance en âge pourrait trouver les conditions de son progrès pour une majorité. Alors que les trois premiers modèles d'intervention sont socialement situés, mais par défaut, le quatrième a l'avantage de travailler cette situation en vue d'un renouvellement concerté des pratiques sociales en gérontologie. Il n'est donc pas seulement question de formation, d'initiation technique, encore moins de penchant personnel des divers intervenants. Après avoir resitué les difficultés et les problèmes liés au vieillissement et à la retraite dans les divers rapports sociaux qui les structurent et les alimentent, l'enjeu majeur est de situer les personnes concernées en acteurs sociaux susceptibles, non seulement d'adaptation et de changements, mais surtout de propositions alternatives quant aux choix de société et à leurs effets. À défaut de le comprendre, ou même simplement de vouloir en débattre, la gérontologie se fait précieuse et ridicule.
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BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE CARETTE, J. (1992). Manuel de gérontologie, tomes 1 et 2. Montréal, Gaétan Morin éditeur. CARETTE, J. (1994). La retraite des baby-boomers, Montréal, Guérin. CARETTE, J. (1999). L'âge dort ?, Montréal, Boréal. DADOUN, R. et G. PONTHIEU (1999). Vieillir et jouir - Feux sous la cendre, Paris, Phébus. GAULLIER, X. (1988). La deuxième carrière, âges, emplois et retraites, Paris, Le Seuil. GUILLEMARD, A.M. (1980). La vieillesse et l État, Paris, Presses universitaires de France. GUILLEMARD, A.M. (1986). Le déclin du social, Paris, Presses universitaires de France. GUILLEMARD A.M. et al. (1995). Entre retraite et vieillesse, le grand écart, Paris, L'Harmattan. PHILIBERT, M. (1968). L'échelle des âges, Paris, Le Seuil. TOURAINE, A. (1973). Production de la société, Paris, Seuil, coll. « Sociologie ».
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TRAVAIL SOCIAL ET TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION ET DES COMMUNICATIONS
LOUISE BOUCHARD, Ph. D. avec la collaboration de LOUISE GAGNÉ, B. Sc.1 Département de sociologie, Institut de santé des populations, Université d'Ottawa
1. Nous remercions Pierre DiCampo, documentaliste au CIRST, pour son aide à la constitution de la bibliographie.
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME Il • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
RÉSUMÉ Les nouvelles technologies de l'information et des communications (inforoutes, logiciels perfectionnés, technologies numériques) envahissent maintenant toutes les sphères de l'activité humaine. Dans le domaine du travail social, l'implantation des NTIC s'est opérée en trois vagues successives, donnant lieu à une surprenante variété d'applications, parfois accompagnées de controverses. La première vague a consisté en l'implantation des systèmes centraux et des systèmes-clients, surtout voués à la gestion. La seconde vague date des années 1985 et a vu l'apparition de systèmes interactifs (logiciels) voués notamment au suivi et à l aide à la décision. La dernière vague consiste en la mise sur pied de systèmes en réseaux. Après avoir posé quelques jalons du nouveau paradigme de l'information et rendu compte des principales applications en travail social, les auteures examinent les enjeux éthiques (confidentialité, standardisation, vie privée, accessibilité) et de valeurs (dualité technologie / social, résistance) reliés à ces importantes transformations.
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Depuis une cinquantaine d'années, l'informatique transforme de façon majeure les rapports sociaux et notre façon de communiquer. Avec son principal outil, l'ordinateur, elle symbolise la puissance accrue d'emmagasiner, de traiter et de diffuser l'information, l'emblème des sociétés désormais qualifiées de sociétés du savoir. Les nouvelles machines qui apparaissent actuellement, selon l'expression de M. Cartier (1997), sont essentiellement des « machines à communiquer », et d'importants débouchés sont liés à l'accès et à l'utilisation de l'information. On estimait, en 1997, à plus de 100 millions le nombre de cybernautes qui naviguent sur les inforoutes2 et la toile du monde (World Wide Web) ; on avance qu'ils compteront pour plus de 300 millions en l'an 2000 (Lebert, 1999). Ce « bit bang3 », pour reprendre une métaphore connue, explose dans toutes les sphères de l'activité humaine et nombreux sont les questionnements sur ses impacts dans la sphère des relations humaines. Nous nous intéresserons dans ce chapitre aux retombées de la révolution informatique et de la communication informatisée dans le champ du travail social dans une perspective où changements technologiques et changements sociaux sont interdépendants. Nous examinerons les origines du paradigme de l'information et les développements technologiques qui lui sont reliés. Enfin, nous décrirons les applications possibles des technologies de l'information dans le domaine du travail social et les débats que celles-ci soulèvent. Comment le travail social en tant que profession d'aide et relais entre l'individu et son environnement rencontre-t-il l'informatique, en tant que science du traitement automatique et rationnel de l'information et comme support des connaissances et des communications ? L'ENJEU TECHNOLOGIQUE Selon les grands découpages historiques tels que Tofler, Drucker, Debray, McLuhan ou de Rosnay les ont définis, nous serions aujourd'hui dans une troisième grande ère ou civilisation, après l'ère agricole et l'ère industrielle, soit celle de l'information ou du savoir ou, encore, après la civilisation de l'écriture, de l'imprimerie, celle des inforoutes (Cartier, 1997). Ces changements historiques sont associés à des révolutions technologiques
2. Le terme « inforoute » est un néologisme inventé par le professeur Michel Cartier de l'Université du Québec à Montréal. Les inforoutes sont des réseaux de communication à grande vitesse qui relient entre eux des ordinateurs, par câble ou par satellite, dans lesquels circulent des données, du texte, du son, des images fixes ou animées. 3. Expression empruntée à Nicholas Negroponte (1995).
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par le pouvoir qu'elles donnent de nous transformer, de transformer nos institutions et le monde dans lequel nous vivons, de réfléchir sur les valeurs et de nous questionner sur le sens et le but de la vie (Rifkin, 1998). Les technologies, telles qu'on peut les concevoir communément, sont des amplifications et des extensions du corps pour accroître le potentiel humain, dépasser les limites de l'espace, du temps, exploiter les ressources de l'univers. Tous les outils créés dans l'histoire de l'humanité visent à mieux maîtriser la nature. L'être humain est constamment en train de réorganiser et de modifier son environnement pour améliorer son bien-être et son mode de vie. Plus que jamais, nous entrons en interaction avec le monde par la technologie, nous vivons dans un environnement transformé par la technologie, et par ce processus nous nous « technologisons » nous-mêmes (Laughlin, 1989). Pour plusieurs, il n'est pas possible de réorganiser notre monde sans transformer notre être4. Pour les uns, la technologie est, à travers l'histoire de l'évolution humaine, un processus existentiellement producteur de puissance, alors que pour d'autres elle est un processus dépossédant (Ellul, 1997). La grande révolution amorcée au cours du XXIe siècle est celle de l'informatique et des télécommunications. Les nouvelles technologies de l'information et des communications (depuis le télégraphe, le téléphone, la radio, la télévision et l'Internet) sont les véhicules des transformations que nous vivons actuellement, tout comme l'alphabet et l'imprimerie ont par le passé marqué un point de rupture. L'invention de l'imprimerie par Gutenberg au XVe siècle constitue une étape majeure qui a redéfini la façon d'organiser le savoir. L'imprimerie a introduit le principe de la production en série par rapport à la production manuscrite des copistes du Moyen Âge, elle a créé des outils pour soutenir la mémoire, elle a permis la standardisation des cartes, facilitant les voyages, elle a favorisé une coordination des échanges commerciaux et a ouvert la voie à l'alphabétisation universelle. Savoir lire et écrire est devenu une aptitude indispensable au développement des sociétés. Pour Rifkin (1998), l'imprimerie a permis d'organiser les phénomènes de façon ordonnée, rationnelle et objective, elle a encouragé le raisonnement linéaire, séquentiel et causal. L'invention de l'imprimerie a rendu possible le passage vers la société industrielle. Depuis l'âge du feu, l'être humain façonne la nature en produisant progressivement chaleur, énergie, lumière. L'ère industrielle, caractérisée par la machine et le mouvement, aura permis de décupler force et vitesse,
4. Pour illustrer l'envahissement de la technique dans l'expérience humaine, songeons que la conception peut désormais se faire en éprouvette et la mort être déclarée en débranchant un malade.
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de repousser les limites du temps et de l'espace. L'exploitation des ressources énergétiques (charbon, pétrole, gaz...), l'invention de la machine à vapeur, la construction des chemins de fer, des fils télégraphiques, les grandes découvertes en physique et en chimie dans le monde des atomes et des molécules, en médecine avec l'anesthésie et l'antibiotique, la construction de réseaux d'égouts, la purification de l'eau, l'amélioration de l'alimentation auront fondamentalement transformé la vie des hommes et des femmes, leur façon de travailler, leur conception du monde en plus de leur donner une longévité accrue de plus de vingt ans. La société de l'information est organisée autour des « machines à communiquer », c'est-à-dire les technologies de communication, devenues omniprésentes dans notre société. Les spécialistes de la communication disent que l'information est devenue une ressource stratégique de base pour l'ensemble de la société et qu'elle revêt désormais un caractère économique, technique, social, politique et culturel (Vallée et Martin, 1995). Michel Cartier (1997) voit dans les inforoutes un propulseur technologique et économique aussi déterminant que le chemin de fer ou l'automobile l'ont été à leur époque. L'information, avec le grand projet et plan d'action du National Information Infrastructure (NII), « l'autoroute de l'information » lancé par AI Gore en 1993 aux États-Unis5, serait devenue l'une des ressources économiques les plus importantes. Les deux tiers des emplois sont reliés au traitement de l'information et les appareils numériques contribuent, depuis le début des années 1990, dans une proportion de 38 % à la croissance économique (Venne, 1995). « La société de l'information, poursuit Venne, serait caractérisée par le fait que la prospérité d'une nation aurait cessé de dépendre de sa possession des matières premières mais de la capacité des entreprises à produire et recueillir de l'information, laquelle sert à concevoir et promouvoir des produits et des services. » Le développement technologique n'est pas toujours prévisible dans ses nombreuses ramifications comme dans ses conséquences. La fissure de l'atome en physique et le décryptage de l'ADN en biologie constituent les deux plus grandes avancées scientifiques du XXe siècle. Sous la forme d'applications technologiques, ils sont à la fois porteurs de progrès et de conséquences néfastes. L'invention de la bombe atomique et la destruction d'Hiroshima et de Nagasaki nous le rappellent. De même que le déchiffrage des 100 000 gènes du génome humain, qui recèle un pouvoir
5. L'autoroute de l'information tire son image de 1'Interstate Highways, grand projet de relance de l'économie américaine défendu par le père de Al Gore, alors sénateur. Pour Al Gore, l'autoroute de l'information représente le nouveau défi culturel et économique américain. «Je veux, dit-il, relier plus vite tous les hommes grâce aux autoroutes de demain, les autoroutes de l'information » (Venne, 1995).
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inouï pour combattre la maladie et prolonger la vie, en même temps que le potentiel pour instituer une société eugénique, fondée sur des castes biologiques (Nelkin et Tancredi, 1989). Si, aujourd'hui, le village global de McLuhan et son utopie de grande fraternité semblent se réaliser par la communication informatisée et l'interconnexion de nos sociétés, de nouveaux clivages font leur apparition entre non plus les riches et les pauvres, mais entre ceux qui détiennent l'information et le savoir et ceux et celles qui ne les possèdent pas. Si le développement technologique représentait jusqu'au tournant de l'après-guerre une source optimiste de progrès, la question de ses limites est désormais devenue une préoccupation centrale (Renaud et Bouchard, 1996 ; Nelkin, 1992 ; Bell, 1986). LE « BIT BANG » : LE PARADIGME DE L'INFORMATION Durant les années 1940 à 1960, rapporte Lacroix, les informaticiens et les cybernéticiens se sont mis à réfléchir sur le concept d'information en comparant les machines et le vivant. Ce fut une époque charnière dans l'invention des ordinateurs et de l'automation de la production. Des scientifiques de diverses disciplines et des ingénieurs se sont interrogés sur les nouvelles machines telles que le téléphone, la radio, la télévision, les calculatrices qui, contrairement aux machines du passé qui amplifiaient la force physique, servent à communiquer, à traiter l'information, à calculer et d'une certaine manière à raisonner. En cherchant à comprendre le fonctionnement des systèmes complexes, ils ont conduit leur réflexion à graviter essentiellement sur la notion d'information. Une révolution conceptuelle a suivi, la cybernétique, ainsi qu'une révolution technologique, celle de l'ordinateur et de ses réseaux. Toutes deux ont fait émerger un nouveau paradigme : celui de l'information (Lacroix, 1997). La cybernétique est une science qui regroupe l'ensemble des théories relatives aux communications et à la régulation dans l'être vivant et la machine. Cette théorie générale, attribuée à Norbert Wiener (1948, 1954), un mathématicien du MIT, cherche à expliquer comment les phénomènes se maintiennent dans le temps. Toute activité se définit essentiellement par un processus d'ajustement aux contingences de l'environnement, en d'autres mots un processus qui consiste à recevoir et à utiliser l'information. Deux mécanismes en constituent les éléments clés l'information et la rétroaction (feedback). Pour Wiener, l'information représenterait un concept scientifique aussi important que la matière ou l'énergie (Rifkin, 1998). Ces travaux de recherche seront à la base de la conception des ordinateurs et d'une nouvelle définition de l'activité, perçue en tant que système d'information inséré dans de multiples réseaux.
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DE LA ROUTE DES ÉPICES AUX INFOROUTES L'âge de l'information et de la communication s'organise non pas comme les précédentes autour de la matière et de l'énergie, mais autour de la structuration du temps et de l'espace, par la convergence des technologies de traitement de l'information (l'ordinateur) et des télécommunications (téléphone, télévision) qui la transportent (Blanquet, 1995). La communication électronique et son outil principal l'ordinateur représentent une façon totalement différente d'organiser les connaissances (puissance de calcul et de combinaison logique du cerveau humain, hypertexte, interconnexion de réseaux - commerciaux, publics, privés, d'enseignement, de services - à l'échelle planétaire). L'ordinateur en réseau est issu de la recherche militaire dans le but premier de relier les centres de recherche. Les champs d'application visés furent les domaines de la gestion, de l'administration, des assurances et des banques. Dans le monde industriel, les machines numériques et les calculatrices sont à la base de l'automation progressive de la production et du bouleversement du travail qui se poursuit encore aujourd'hui. L'ordinateur s'est ensuite implanté dans les grandes organisations, les universités, les administrations publiques. Aux grosses machines de la première phase a succédé ce qui vraiment cristallise l'âge de l'information la micro-informatique. La numérisations et la compression des données constituent les innovations majeures du parcours vers les inforoutes qui concrétisent aujourd'hui le réseau des réseaux. L'information, que ce soit sous forme de sons, d'images, de voix, de texte, de données, peut être traduite en un langage commun, les bits, et transmise par fibre optique à une vitesse inégalée partout dans le monde. Le cyberespace, c'est l'extension des réseaux informatiques à la grandeur de la planète où une multitude de relations s'établissent entre des personnes, des organisations, dans un espace virtuel, une agora électronique (Blanquet, 1995). Les ordinateurs réseaux sont un instrument collectif de mémorisation, de représentation et d'accès aux savoirs qui répond, selon Lacroix, à un besoin crucial d'échange de recherches, de validation et de mise en commun de l'information. La fonction de communication de l'ordinateur est de fournir une mémoire commune, capable d'enregistrer, d'accumuler, mais aussi de retravailler l'information et de permettre une interactivité entre des personnes en temps réel ou en temps différé. Ces « machines à communiquer », par leur interactivité, sont de plus en plus considérées comme des outils « intelligents ». L'interactivité instaure une nouvelle façon d'accéder aux connaissances où « l'utilisateur est
6. La numérisation est le découpage et la quantification de l'information en une suite de 0 et de 1 et en impulsions électriques manipulables par les ordinateurs.
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en dialogue permanent avec les ressources nécessaires à la résolution de son problème », d'où les postulats de téléservices (Cartier, 1997 ; Blanquet, 1995). Trois grands créneaux de produits, de services et d'applications constituent les marchés à l'oeuvre dans les réseaux de communication ceux du commerce, des services publics et des services domestiques. À des fins commerciales, on peut identifier : le télétravail, le courrier électronique, les vidéoconférences, les services directs aux consommateurs (guichets automatiques). À des fins publiques, nous retrouvons la téléformation, la télémédecine, la bibliothèque virtuelle, les services gouvernementaux automatisés. À des fins domestiques, nous pensons à la télévision interactive (jeux et vidéos sur demande), au téléachat, aux applications multimédias, à la domotique7 (contrôle d'énergie, de sécurité et nombre accru d'appareils domestiques dotés de microprocesseurs). L'USAGE DE L'ORDINATEUR DANS LES SCIENCES L'ordinateur intervient plus ou moins intensément selon la discipline dans le développement et l'orientation même des sciences. On l'a d'abord utilisé dans les sciences pures puis, graduellement, dans les sciences et les disciplines humaines. C'est d'abord le besoin d'accroître la capacité de calcul et de partager ces ressources qui a présidé à la naissance des réseaux informatiques dans les sciences. L'ordinateur, précise Lacroix, est une machine logique qui peut représenter l'évolution d'un processus ou le comportement d'un objet déterminé à partir d'algorithmes. Divers phénomènes peuvent être simulés, visualisés par l'ordinateur, dont la puissance de calcul et de modélisation va bien au-delà de ce que l'humain peut accomplir. Les disciplines plus dépendantes de moyens de calcul puissants et de gros appareillages, comme la physique avec ses accélérateurs de particules et l'astronomie avec ses observatoires, ont eu besoin des réseaux informatiques. Les chercheurs en biologie sont aujourd'hui engagés dans le plus grand projet de collecte de données à avoir été mené, la cartographie et le séquençage du génome humain et de plusieurs autres organismes vivants. L'information biologique qui en découle est d'une telle ampleur que seuls les ordinateurs peuvent l'emmagasiner et la traiter. Il ne serait pas possible de séquencer et d'analyser les trois milliards de paires de bases sans l'aide des techniques de plus en plus poussées de l'informatique. Environnement biologique virtuel, molécule synthétique, bio-puce
7. Le concept de « domotique », c'est-à-dire la maison informatisée, recouvre l'équipement électrique, électronique et informatique qui rend l'habitat communicant.
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(ADN remplaçant le silicone) pour lire l'énorme masse d'informations génétiques constitueront les prochains pas de la synergie de l'informatique et de la biologie. Dans les sciences humaines, le recours à l'ordinateur puis à l'Internet est plus récent. L'économie constituterait un cas à part, parce qu'elle est tributaire des enquêtes statistiques et des banques de données économiques. Lacroix (1997) recensait, au milieu des années 1990, 370 organismes universitaires dans le monde regroupés dans l'ICPSR (International Consortium for Political and Social Research) pour former un réseau coopératif international de banques de données et favoriser les comparaisons inter-États. Le courrier électronique, la fréquentation du Web, les publications scientifiques, les banques de données, les espaces de discussion sont désormais quasi intégrés dans toutes les disciplines. LES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION IMPLICATIONS POUR L'INTERVENTION Le foisonnement des NTIC dans les différentes sphères de la conduite humaine ne fait plus de doute, mais l'impact de ces technologies n'est pas encore bien mesuré, non plus que la façon dont elles sont en train de modeler nos sociétés. Nous nous intéresserons dans cette section au domaine du travail social en examinant comment un champ d'activité humaine, le travail social en l'occurrence, réagit et s'approprie l'informatique. D'entrée de jeu, les points de vue sont clivés. Pour les uns, les technologies de l'information représentent des technologies d'empowerment (McNutt, 1996), pour les autres une menace aux fondements de la discipline, d'abord et avant tout orientés sur le relationnel (Finnegan, 1996). Pour Murphy et Pardeck (1988), l'utilisation généralisée de la technologie informatique pour toutes sortes d'activités sociétales est en train de modifier le contrat social entre les individus, par « un accent croissant placé sur le produit de l'interaction sociale au détriment du processus interpersonnel d'interaction ». Pour d'autres encore, ces technologies pourraient constituer des instruments de contrôle qui vont jusqu'à favoriser une certaine hégémonie totalitaire en renforçant le pouvoir de surveillance des États, en élargissant les écarts sociaux, en créant du chômage par l'automatisation et la robotique et surtout en nous rendant dépendants des technologies de pointe pour résoudre les conflits humains (Vallée et Martin, 1995). On se surprendra peu de constater que le domaine du travail social ne s'est guère, jusqu'à maintenant du moins, situé à la fine pointe dans l'utilisation des outils technologiques. L'argument le plus souvent invoqué
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est que le travail social se prête peu à la gestion quantitative et à la régulation stricte des informations (Sapey, 1997 ; Roosenboom, 1996). D'autres arguments sont avancés, tels que la culture organisationnelle, l'étroitesse du marché, qui n'aurait pas permis le développement d'outils efficaces, ou la résistance des travailleurs sociaux eux-mêmes (Beaudoin, Poulin et Turgeon-Krawczuk, 1991 ; Roosenboom, 1996). Depuis une vingtaine d'années, la littérature internationale atteste un intérêt croissant à l'égard des questions reliées à l'implantation de l'outil informatique en travail social. Deux revues scientifiques s'intéressent aux questions des applications des technologies de l'information dans les services humains : une nord-américaine, Computers in Human Services, et une européenne, New Technology in the Human Services. Une série de conférences internationales, sous l'appellation de HUSITA (Human Services and Information Technology Applications), explorent aussi l'utilisation des technologies de l'information dans les services humains et sociaux. En plus des revues scientifiques, d'autres instruments existent pour suivre l'évolution des connaissances dans ce domaine : cédéroms de Social Work Abstracts et Care Data (Steyaert, Colombi et Rafferty, 1996). Patterson (1996) souligne l'importance de conceptualiser un réseau international réunissant les professeurs de travail social et les professionnels afin de favoriser l'éclosion de partenariats dans le monde, la dissémination rapide des connaissances en travail social et un forum de discussion sur les problèmes sociaux émergents (SWIIRL-Social Work International Information Resource Linkage). Plusieurs sites recensant des milliers de références sont disponibles sur Internet8. Au Québec, un nombre restreints de chercheurs se sont penchés sérieusement sur cette question (Beaudoin, Poulin et Turgeon-Krawczuk, 1991 ; Poulin et Béliveau, 1987 ; Turgeon-Krawczuk, 1992). Les auteurs qui retracent l'histoire de l'adoption et de l'utilisation des technologies informatiques dans le travail social reconnaissent deux vagues de développement : une première vague, dans les années 1970, autour de la constitution de bases de données et de systèmes centraux d'information, et une seconde vague, dans les années 1980, autour des systèmes interactifs touchant plus directement la pratique et les intervenants (Beaudoin et al., 1991 ; Cwikel et Cnaan, 1991). Enfin, il faut ajouter une troisième vague qui déferle depuis le milieu des années 1990 dans les sciences humaines, Internet ou les réseaux électroniques (Rafferty, 1997). À ces différentes étapes correspondent également des catégories d'utilisateurs, soit le personnel administratif des grandes institutions, ministères
8. http://www.fz.hse.nl/nths/ http ://www.fz.hse.nl/hsandit/ (Steyaert, Colombi et Rafferty, 1996).
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et établissements pour les systèmes centraux, puis les professionnels et gestionnaires pour les systèmes interactifs et, enfin, les intervenants et les usagers pour les outils numériques. De même, si la première étape a fait l'objet de débats, les deux autres demeurent plus controversées. LA PREMIÈRE VAGUE : LES SYSTÈMES CENTRAUX D'INFORMATION La première étape s'applique à la création de bases de données informatisées dans le but d'appuyer la gestion administrative, financière et comptable des affaires publiques. Ces bases ont rendu possible le traitement centralisé des données financières et des données statistiques sur les services, les bénéficiaires et le personnel. Dans une seconde étape, le perfectionnement des systèmes centraux a permis de mieux soutenir la planification et l'évaluation des services par l'établissement des profils de clientèle et des cheminements des intervenants, de même que par la constitution des banques de données à des fins d'étude et de recherche. Un autre niveau est relié à la gestion intégrée d'interventions auprès de divers groupes de clientèle, par exemple les systèmes d'administration des personnes en perte d'autonomie, de la clientèle de la Protection de la jeunesse. Beaudoin et al. (1991), qui ont suivi l'implantation de technologies informatiques dans les services sociaux du Québec, concluent que cellesci ont surtout répondu aux besoins d'informations financières et opérationnelles des ministères et des grandes administrations (Centres de services sociaux, Association des CLSC). Dans leur rapport soumis à la commission Rochon en 1987, Poulin et Béliveau mentionnaient déjà le retard des services sociaux dans le mouvement d'informatisation des données cliniques et le déséquilibre entre les organismes centraux disposant d'un pouvoir de décision et les établissements du réseau, plus petits, sous-équipés et moins bien informés des possibilités offertes par l'informatisation. Ces observateurs ont constaté que l'informatisation s'est faite par étapes au fil des ans, sans véritable vue d'ensemble, ce qui est attribuable en grande partie au fait que les autorités compétentes n'ont pas su mobiliser adéquatement les acteurs autour de cette innovation, de sa finalité, de son utilité. Différents systèmes-clientèles ont été successivement mis en place, retravaillés au fur et à mesure des développements techniques Crocus l'ancêtre, suivi de Status, remplacé aujourd'hui par le système d'information « Intégration CLSC », dont l'implantation complète dans les 151 CLSC était prévue pour l'an 2000. Ce système intègre différentes applications, telles que Info-santé, Vaxin, un index multivocationnel, un module de saisie des interventions, de prise de rendez-vous, de prêt de dossiers, et assure l'interface avec d'autres systèmes comme SISMAD pour les soins à domicile et SICHELD pour les soins de longue durée. Ce rehaussement technologique vise à accroître l'efficacité des opérations en
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CLSC et une meilleure coordination des services. Le système est actuellement en sites pilotes dans quelques CLSC et il semble que les intervenants des CLSC aient été, cette fois, associés au processus de son implantation afin d'en garantir une meilleure adaptation aux exigences du travail en CLSC (Boudreau, 1998). LA DEUXIÈME VAGUE : LES SYSTÈMES INTERACTIFS Quant à la seconde vague, elle trouve son application dans l'utilisation des technologies touchant plus directement la pratique, soit comme appui à l'intervention, soit comme moyen d'intervention : le dossier informatisé, le système informatique d'évaluation diagnostique et de prise en charge, les systèmes experts-consultants d'aide à la décision, les programmes interactifs, les jeux informatiques de nature thérapeutique en sont les exemples les plus significatifs. Ces technologies ont des effets plus directs sur les plans de l'éducation, de la supervision, de la pratique et de la recherche en travail social. Tout en facilitant les tâches de gestion pour les superviseurs et les administrateurs des services sociaux, cette deuxième vague veut aussi faciliter celles des travailleurs sociaux en réduisant le temps passé à accomplir des tâches administratives (rédaction, p. ex.), en rendant plus accessible le dossier-client et son cheminement et en favorisant la circulation de l'information entre les divers intervenants (Cwickel et Cnaan, 1991). Examinons brièvement quelques-unes des applications qui en découlent. Les systèmes experts Les systèmes experts se définissent essentiellement comme des systèmes de support à la prise de décision (Poulin et Béliveau, 1987). Selon la définition de Schuerman (1987), « les systèmes experts sont des programmes informatiques qui incluent des connaissances humaines d'expertise dans un domaine d'intervention pour fournir des avis ou des consultations sur un problème spécifique ». Ils peuvent être destinés aux gestionnaires pour la gestion de l'organisation, pour l'élaboration des politiques et pour la planification à long terme par le recueil de données longitudinales et l'établissement de profils types d'intervention. Pour les intervenants, ils servent de support et de guide à l'intervention. Dans ce cas, ils permettent par exemple de standardiser des processus d'intervention auprès d'une clientèle donnée, d'ajuster l'intervention en se reportant à diverses simulations de cas. Ce sont des programmes d'intervention construits à partir des connaissances, théories et expériences pratiques à propos de situations d'interventions et de décisions professionnelles. Par interaction, l'intervenant et l'ordinateur échangent sur un processus
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d'intervention pour aboutir à des recommandations que formulera le système expert. Certaines tentatives ont été faites en santé mentale, en thérapie familiale brève et en protection de la jeunesse (Beaudoin et al., 1991). Au Québec, les systèmes experts sont plus développés en médecine que dans les services sociaux. C'est le secteur « protection de l'enfance » qui a exploré cette avenue en cherchant à mettre au point un système de soutien à la pratique (SSP) en développement depuis la fin des années 1980. Ce système se présente comme un outil clinique pour les intervenants dans l'exercice de leur jugement quant à l'application de la Loi sur la protection de la jeunesse. Il tient compte à la fois du processus clinique et du processus judiciaire. Différents modules d'évaluation et d'orientation le composent ainsi que des mesures de soutien visant le bien-être de l'enfant (ICBE). Il est actuellement implanté dans tous les centres jeunesse à titre exploratoire. Le dossier informatisé Le dossier-client est un outil clé dans l'établissement du profil et de l'identité du client (Berman et Phillips, 1995). L'informatisation du dossier-client en travail social, à l'instar du dossier médical, pourrait être envisagée, mais de nombreux obstacles en limitent le développement. Son but principal est d'améliorer la qualité des dossiers sur le plan de la lisibilité et de l'exhaustivité des informations, de soutenir la coordination de la prestation des services et de répondre aux besoins d'information de l'ensemble des intervenants qui gravitent autour d'un client dans un contexte de pratique multidisciplinaire, d'améliorer le suivi du client et, enfin, de contribuer à une meilleure qualité des statistiques nationales. Une expérience a été recensée dans la pratique du travail social en milieu hospitalier pédiatrique. Il s'agit de travaux conduits par TurgeonKrawczuk et Lalande-Gendreau (1986) dans une clinique de fibrose kystique dans le but de mettre au point un programme d'informatisation des données psychosociales intégrées au système médical global. Ce programme permettait d'avoir un portrait longitudinal de l'état du patient et de sa situation familiale et sociale. Pour Lehoux et al. (1998), qui ont fait l'étude du dossier médical informatisé, son développement suppose que les concepteurs, les gestionnaires, les cliniciens et le personnel de bureau s'entendent sur les caractéristiques, les modalités d'usage, l'intégration aux activités hospitalières. En travail social, les résistances, outre les difficultés matérielles d'implantation du système informatisé lui-même, sont principalement d'ordre éthique, en ce qui a trait en particulier aux problèmes de confidentialité. La protection des renseignements contenus dans les grandes bases de données ou dans des cartes à puce posent des problèmes considérables pour l'ensemble de la société et la protection de la vie
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privée. De l'avis de la Commission d'accès à l'information, le dossier informatisé du patient ou du client serait l'un des documents les plus sensibles qui puissent exister sur une personne (Vallée et Martin, 1995). L'utilisation thérapeutique On rapporte, dès la fin des années 1980, l'utilisation de l'ordinateur comme outil thérapeutique dans les services humains à des fins de diagnostic, d'évaluation psychologique, de prédiction du risque de suicide, de counselling, d'orientation de carrière et de psychothérapie (Erdman et Foster, 1988). Dans le domaine des tests psychométriques, l'ordinateur s'est vite classé comme outil facilitant l'accès et l'utilisation des tests par les intervenants pour les assister dans la formulation de diagnostics et appuyer leur intervention. Dans les années 1970, Hudson avait établi un système informatique d'évaluation diagnostique et de prise en charge, le « Computer Assisted Social Services ». Ce système permettait d'évaluer, de diagnostiquer et de surveiller les changements dans les problèmes de la clientèle. Ces données pouvaient aussi être accessibles aux clients (Beaudoin et al., 1991). Ces systèmes ne sont pas encore toujours transposables d'un pays à l'autre, mais les pressions existent pour qu'on conçoive des outils de mesure des divers aspects des soins. Plus récemment, Hudson (1996) a mis au point un nouveau système de mesures cliniques (CMP) (Steyaert, Columbi et Rafferty, 1996 ; Rafferty, 1997). Syseval est un exemple québécois de système d'évaluation clinique informatisé. Conçu par TurgeonKrawczuk et disponible dans le secteur privé depuis 1994, ce système veut faciliter l'évaluation systématisée de la problématique familiale et sociale au moyen de différents modules interactifs et orienter l'intervention. Certains jeux informatiques ont été conçus à des fins thérapeutiques. Ces jeux permettent l'interaction du client avec l'ordinateur ou encore l'interaction entre l'intervenant, le client et l'ordinateur avec une visée éducative ou thérapeutique. Ces programmes jeux standardisés ou fabriqués selon les besoins visent à simuler divers problèmes et l'expérimentation de diverses solutions. Mauve est un document multimédia destiné aux jeunes en difficulté et aux intervenants de ce domaine. C'est un outil pour rejoindre les adolescents avec qui la communication est difficile à établir. Conçu comme outil de réflexion autonome, il peut être utilisé comme préalable ou comme prolongement à une rencontre avec un intervenant. Différents thèmes sont proposés : identité, amour, études, travail, états dépressifs, etc.9.
9. Mauve est une production québécoise de Pentafolio, Multimédia, conçue par une équiped'intervenants psychosociaux sous la direction de jean-Emmanuel Allard.
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Les programmes interactifs sont utilisés pour traiter certaines phobies ou la dépression, pour promouvoir l'observance de traitements médicamenteux ou prodiguer divers conseils concernant l'abus d'alcool ou de drogues, pour aider des familles avec enfants en difficulté ou des personnes âgées. Par ailleurs, certains auteurs ont montré que le béhaviorisme représentait une approche thérapeutique dont le langage s'apparente à celui de l'ordinateur (Holbrook, 1988). Informatique et béhaviorisme auraient de nombreuses similitudes théoriques et pratiques qui conduisent à leur combinaison. Un logiciel peut reproduire le mode d'intervention que propose le béhaviorisme : objectifs, étapes de changement clairement définies, mesure des réponses (comportement, stress, etc.) et évaluation du succès ou de l'échec du processus. Une étude rapportée dans le New Scientist par Steyaert, Colombi et Rafferty (1996) aurait démontré le succès d'un programme par ordinateur auprès de personnes souffrant de dépression légère. L'utilisation de l'ordinateur comme outil d'évaluation psychologique a révélé certains bénéfices ou avantages. Il a été mentionné que le client, dans un système interactif avec l'ordinateur, pouvait être plus à l'aise et, ainsi, plus à même d'avouer la gravité de certains problèmes, tels l'alcoolisme, la toxicomanie, ou encore des renseignements jugés sensibles (Erdman et Foster, 1988; Nurius, 1990). Ce mode d'action qui éliminerait les biais imputables à l'intervieweur (dont les biais raciaux) permet au client de décider de la vitesse de l'entrevue et il réduit les coûts de l'intervention. Il est certain toutefois que les programmeurs qui créent de tels logiciels ne sont pas à l'abri d'erreurs et que l'informatique seule ne suffit pas pour évaluer adéquatement un être humain. Une étude relativement récente de Pardeck et al. (1995) indique que le degré d'acceptation par les travailleurs sociaux de l'ordinateur thérapeutique s'est accru, bien que ceux-ci semblent majoritairement demeurer réticents à cet usage. LA TROISIÈME VAGUE : LES INFOROUTES ET LES RÉSEAUX ÉLECTRONIQUES DE COMMUNICATION Un survol international des applications des NTIC les plus récentes en travail social confirme la croissance rapide de l'utilisation de l'Internet, tant chez les usagers des services spécialisés que chez les professionnels (Steyaert, Columbi et Rafferty, 1996). Rafferty (1997) rapporte une autre catégorie d'utilisation des technologies de l'information et des communications, outre le champ de l'administration et des systèmes d'appui à l'intervention mentionnés plus haut, soit l'apprentissage. Dans les services sociaux coexistent une
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diversité de méthodes d'enseignement et d'apprentissage incluant les jeux de rôle, le travail d'équipe, les pratiques de placement, les apprentissages par vidéo. L'apprentissage assisté par ordinateur et l'accès aux ressources par Internet sont de prochaines technologies qui verront le jour. L'éducation continue et la formation professionnelle pourraient être assurées grâce à des systèmes télématiques et à des logiciels dédiés à la pédagogie (dialogues interactifs, gestion de l'apprentissage, tutorat, gestion de dossiers). L'implantation de la technologie informatique dans l'enseignement du travail social permettrait de joindre un plus grand nombre d'étudiants, d'horizons différents, dans un contexte de ressources moindres. Selon Béliveau et Deslandes-Senay (1993), qui ont elles-mêmes conçu un didacticiel d'apprentissage en service social à l'Université Laval, les technologies nouvelles, tout en diversifiant les approches pédagogiques, amèneront la possibilité d'« une intervention pédagogique unifiée, congruente, harmonieuse et conforme aux objectifs de formation ». Elles postulent « que les acquis de la méthode utilisée en enseignement du service social seront utiles au développement de l'usage de l'informatique en intervention étant donné que les deux, enseignement et intervention, s'influencent mutuellement ». Schein-Levi et Pollack (1997) décrivent une expérience de l'utilisation d'Internet en tant que ressource-conseil sur les habiletés parentales auprès des mères de familles monoparentales. S'appuyant sur différents programmes préexistants de soutien aux parents, les auteurs ont créé un nouveau programme sur une base interactive. Au-delà des soins physiques et psychologiques, le site est divisé en trois champs : 1) le programme lui-même, où différents enseignements se font, 2) la ressource qui offrirait des renseignements en ligne ainsi que des listes de ressources externes (par exemple, pour enfants handicapés, petite enfance, etc.) où elles pourraient correspondre par courrier électronique avec les chefs du programme, 3) une aire de communication où les participantes peuvent échanger entre elles. Pour ces auteurs, les possibilités des innovations électroniques sont réelles (bien que nous n'ayons pas encore de recul quant aux retombées) et peuvent être tout à fait compatibles avec une perspective centrée sur le client. Gibson (1997) rapporte une expérience très positive d'un projet créatif d'écriture par ordinateur adressé à une cohorte de personnes âgées. L'étude cherchait entre autres choses à mesurer l'impact du projet d'écriture sur la santé mentale des personnes âgées de cette cohorte et a pu conclure en une amélioration de leur santé. L'auteur voit dans le réseau Internet10 de grandes potentialités pour
10. Eurolink Age's ActivAge Older People et New Technology Network sont des expériences de réseaux Internet rapportées et suivies par Gibson.
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améliorer la qualité de vie de tous les jours de nombreuses personnes âgées11. Butterfield (1995) quant à lui rend compte du rôle et de l'importance de l'ordinateur comme moyen de communication pour les personnes handicapées, permettant à certains d'entre eux d'échanger et d'apprendre pour la première fois de leur existence. L'implantation de réseaux complexes de services et de supports permettra de répondre à de nombreux besoins en préservant le plus d'autonomie individuelle possible et le maintien fonctionnel dans la communauté. Des exemples canadiens sont rapportés par McFadden et al. (1996) : un programme réalisé dans la province de Saskatchewan, SARAW (Speech Assisted Reading and Writing), pour soutenir l'apprentissage de la communication chez des personnes gravement handicapées, et un projet AccèsDI, dans la région des Laurentides au Québec, pour faciliter la planification et la gestion d'un ensemble de services pour personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Les téléservices L'ensemble des possibilités de communication à distance (téléphone, radio, télévision, multimédia) et l'extension des réseaux ont fait émerger au cours des années 1990 un nouveau concept: la télésanté, c'est-à-dire l'offre de services professionnels à distance. Dans sa visée clinique, l'implantation d'une inforoute de la santé tend à améliorer la circulation de l'information pour accroître la qualité des soins. Les potentialités de la mise en réseaux de différents professionnels de la santé et des services sociaux et des établissements apparaissent déjà nombreuses : accès facilité à l'information relative à un patient (carte à microprocesseur), aux guides de pratiques professionnelles (système d'aide à la décision, formation continue, téléconférences), accès direct à l'information par la population, téléconsultation et gestion administrative améliorée des services de santé. Un récent rapport sur la télésanté au Québec, produit par le Conseil d'évaluation des technologies de la santé, recense un certain nombre d'expérimentations en télémédecine, plus particulièrement dans le domaine de la radiologie, de la dermatologie, de la cardiologie et de la psychiatrie12. Au Québec, la ligne Info-santé fait partie des applications en télésanté et quatre grands réseaux sont en train de prendre forme dans le domaine de la pédiatrie, de la radiologie, du diagnostic à distance en cardiologie et de la carte à microprocesseur (CETSQ, 1998). Les bénéfices attendus sont principalement l'amélioration de l'accès aux services pour
11. Pour les personnes âgées, mais aussi pour des personnes handicapées, les systèmes domotiques permettent une meilleure circulation de l'information entre le domicile et les intervenants extérieurs, ils favorisent une intervention rapide en situation d'urgence, fournissent des services pouvant aider à lutter contre l'isolement et à maintenir des conditions d'autonomie satisfaisantes.
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des populations éloignées, la diminution des coûts de déplacement des patients et des professionnels et l'amélioration de la circulation des données cliniques et administratives. Les expériences sont dans l'ensemble encore trop récentes pour qu'on se prononce quant aux gains. De plus, de nombreux aspects juridiques relatifs à ces nouveaux espaces de communication virtuelle sont à éclaircir en plus des questions cruciales de confidentialité. LES EFFETS POSITIFS ET LES EFFETS NÉGATIFS DES NTIC SUR LA NATURE DU TRAVAIL SOCIAL Plusieurs estiment que les technologies informatiques changeront radicalement la nature du travail social. Selon une étude de Pardeck et al. (1995)13 menée aux États-Unis auprès d'environ 200 travailleurs sociaux, membres de la National Association of Social Workers, le quart des travailleurs sociaux croient à cette transformation profonde. Les travailleurs sociaux sont plus nombreux à utiliser les ordinateurs pour la correspondance et pour les notes aux dossiers qu'auparavant, mais cela demeure un usage encore restreint de la technologie informatique. Ils évaluent que ces nouveaux outils leur permettent d'accroître leur capacité de servir un plus grand nombre de personnes, qu'ils leur apportent un soutien dans l'évaluation des problèmes et dans la coordination des ressources à mettre en oeuvre. Les travailleurs sociaux qui résistent à la technologie informatique perçoivent une tension continue entre la technologie des machines et la profession du travail social. Cette tension est liée en grande partie à la crainte d'un mauvais usage possible des renseignements informatisés et en particulier à la menace que les ordinateurs constituent pour la confidentialité du dossier-client, ainsi qu'à des aspects fondamentaux du travail social (la relation interpersonnelle entre le client et le praticien serait dépersonnalisée et mécanisée). Cependant, les craintes des travailleurs
12. Quelques exemples d'application de télésanté : accès facilité aux soins spécialisés, soutien éducationnel fourni à domicile à des parents d'enfants de petit poids, suivi à domicile pour certains problèmes (asthme, diabète), dossier médical informatisé accessible au client, transfert d'images en radiologie, accès aux services psychiatriques dans le contexte de la désinstitutionalisation, etc. (CETSQ, 1998). L'exemple le plus spectaculaire est celui de la chirurgie à distance. Ainsi, un patient dans un hôpital en France passe un examen dans un scanner activé à partir d'un hôpital de Montréal. Par vidéoconférence, les spécialistes des deux pays interprètent ensemble les résultats (Venne, 1995). 13. Il s'agit d'une étude conduite dans un premier temps en 1986 par Pardeck, Umfress et Murphy et reproduite en 1993 dans le but d'évaluer l'usage et la perception de la technologie informatique par les travailleurs sociaux aux États-Unis.
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sociaux devant les bris de confidentialité semblent s'amenuiser avec le temps (de 38 % en 1986 à 24 % en 1993) et les perceptions quant à un effet déshumanisant ont peu changé entre les deux études. En fait, les trois quart des travailleurs sociaux de ces cohortes ne craignent pas la potentielle déshumanisation de la relation médiatisée par les « machines communicantes ». Certains auteurs maintiennent des réserves devant les systèmes experts. Ainsi, Schuerman (1987) pense qu'ils ne correspondent pas à une approche idéale dans les domaines caractérisés par une grande nouveauté ou nécessitant une véritable créativité. Selon lui, ce qui gêne n'est pas tant le fait que les logiciels utilisés à cette fin ne puissent aider à systématiser un processus d'intervention, mais bien leur incapacité à individualiser les réponses en tenant compte des besoins et des circonstances propres à chaque personne. Les systèmes experts ne peuvent que fournir des suggestions relativement à la marche à suivre, rendant la prise de décision plus structurée et moins flexible. Il leur manque le maillon humain pour ce qui est des aspects enseignement, soutien émotionnel et empathie, même s'il n'a pas été prouvé que l'empathie entrait en compte dans la prise de décision. Cwickel et Cnaan (1991) se demandent si la souplesse dans la stratégie d'intervention et l'éclectisme de l'approche des travailleurs sociaux ne seraient pas mis en péril, dans l'optique où les recommandations du système expert sont tenues pour absolues. Outre la confidentialité, qui pose comme nous l'avons mentionné des dilemmes à l'échelle de toutes les sociétés informatisées, on peut s'inquiéter aussi de l'exactitude des données transcrites et emmagasinées dans les bases de données. Rafferty (1997) rapporte une marge d'erreur de 23,77 % par champ de données dans un système d'information d'une agence sociale de services aux enfants, dans les champs de données tels que le nom, la date de naissance, le travailleur social affecté à l'enfant, le médecin de l'enfant, etc. Au-delà de la pratique quotidienne du travail social, l'informatique, par ses capacités d'analyse à grande échelle, permettra de penser des réformes de politiques sociales mieux ciblées et plus précises (Rafferty, 1997). De plus, poursuit l'auteure, le travail social joue un rôle important dans la communauté par la démocratisation de l'information et de la prise de décision. En ce sens, les techniques de communication et d'information pourraient être des outils d' empowerment. Certains auteurs adoptent le discours prophétique du projet américain du National Information Infrastructure (NII) selon lequel les espoirs du village global seraient enfin réalisés : épanouissement culturel, harmonisation sociale, éducation universelle, accès au savoir, aux meilleurs
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services (éducation, santé), démocratie renouvelée (Venne, 1995). Généralement, on estime que la révolution de l'information conduira aussi à un bond prodigieux sur le plan du développement social. Les technologies de l'information favorisent une décentralisation du pouvoir, un accès à l'information sans précédent et un contrôle beaucoup plus grand sur nos vies. Les femmes, les minorités et les pauvres auront accès à de nouvelles possibilités d'apprentissage des compétences et pourront améliorer leur condition. Les personnes âgées, les personnes handicapées peuvent aussi tirer profit de l'informatique et accroître leur qualité de vie (Labillois, 1990). Enfin, des gains substantiels en matière de santé sont entrevus grâce aux développements à venir des téléservices (télédiagnostic, téléradiologie, télépsychiatrie, etc.). L'informatique, d'après McNutt (1996), est un outil d'empowerment qui va augmenter considérablement l'accès aux services sociaux au moyen du libre-service. Chez Kreuger (1997), c'est un tout autre son de cloche. Cet auteur est d'avis que l'avènement de la cybertechnologie et son développement fulgurant dans le prochain siècle annonceront la fin du travail social. Pour lui, le contexte de mondialisation (ou de capitalisme sauvage accentué) et d'effritement social qui s'ensuit ne peut qu'accentuer la marginalisation des groupes défavorisés. Il pense que les habiletés traditionnelles du travailleur social ne pourront s'adapter à ces nouvelles réalités. Toutes les promesses de la société de l'information ne sont pas remplies. D'après Postman, la culture a rendu les armes devant la technologie14. Les bénéfices et les inconvénients des nouvelles technologies ne sont pas partagés équitablement, ni entre les pays, ni entre les individus. Si l'informatique a renforcé le pouvoir des grandes organisations, qu'en est-il réellement pour le citoyen ? Plusieurs soupçonnent l'apparition de nouveaux clivages sociaux entre les « info-riches » et les « info-pauvres » (Cartier, 1997 ; McFadden et al., 1996 ; Venne, 1995). De plus, comme le rapporte Cartier, l'essor des technologies de l'information fait croître de façon exponentielle la quantité d'informations disponibles. Dans une société industrielle, la quantité d'informations scientifiques et techniques augmente de 13 % par année environ, alors que dans une société de l'information ce rythme passe à plus de 40 %15 Cette hyperabondance de l'information n'est pas sans conséquences et sans risques aux yeux des observateurs. Certains parlent d'exformation, une accumulation d'informations disponibles mais non traitées (Cartier, 1997), d'autres comparent Internet à une jungle
14. Cité par Venne (1995). 15. Les spécialistes prétendent que la somme des connaissances en l'an 0 de notre ère a doublé une première fois vers 1750, puis une deuxième fois en 1890, puis à nouveau en 1950, puis en 1960, etc. Depuis, la courbe serait exponentielle (Cartier, 1997).
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luxuriante, colonisée par le « junk mail», où tout le monde parle à tout le monde dans une grande cacophonie, où la surdose d'information n'est pas toujours symbole de connaissance, ni de sens (Venne, 1995). La plus grande perte de la communication informatisée et des interfaces électroniques pourrait être celle du contact humain, de même que celle de la liberté devant la puissance accrue des moyens de communication comme outil de surveillance pour les États. CONCLUSION Les technologies de l'information et des communications font désormais partie intégrante de la réalité sociale. L'accroissement et la prédominance de services et de travail reliés à l'information, l'importance des connaissances comme source de développement et de pouvoir, le volume prodigieux d'informations qui circulent, la globalisation des systèmes économiques et politiques et leur dépendance aux technologies de communication et d'information sont devenus les caractéristiques propres des sociétés modernes de l'information (Vickers, 1997). Dans les services humains et de santé, l'utilisation de l'informatique et de la télématique offre des avantages, mais comporte aussi des risques. En travail social, l'ordinateur est encore utilisé plus à des fins de gestion administrative qu'en tant qu'outil supportant directement l'intervention. Mais depuis que les ordinateurs ont diminué de volume, qu'ils sont plus conviviaux et beaucoup moins coûteux, les multiples applications et les potentialités qu'offrent les réseaux interactifs connaîtront vraisemblablement une intégration croissante à la pratique du travail social. Le processus d'adoption de nouvelles technologies n'est pas un processus linéaire où une logique technologique supplanterait une logique sociale. L'adoption de nouvelles technologies s'inscrit dans un processus interactif où les travailleurs sociaux, comme les autres professionnels d'ailleurs, doivent chercher à s'approprier l'innovation dans le cadre de leurs pratiques respectives. Les technologies informatiques seront mieux acceptées si l'usager participe à leur implantation et s'il les perçoit comme une ressource flexible qu'il peut utiliser ou non, de manière à satisfaire différents besoins (Berman et Phillips, 1995). La formation en informatique, du moins jusqu'à ce que les nouvelles générations qui auront grandi dans l'informatique y aient recours d'une manière plus spontanée, est sans doute le facteur le plus important pour assurer une implantation judicieuse des nouvelles technologies.
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L'organisation professionnelle peut contribuer à expliquer le rythme d'adoption des technologies. Les interventions multidisciplinaires, pal exemple, favorisent davantage la création d'outils communs, tels que lei grilles de cheminement du client, le dossier informatisé ou les plans de services individualisés. Dans ces contextes, l'outil informatique facilite l'interactivité entre plusieurs intervenants et pourrait favoriser par extension l'adoption éventuelle de l'outil en tant que support à l'intervention. En travail social, comme dans les sciences humaines de manière générale, on craint que la communication informatisée ne mette en péril le lien social. Le grand défi, selon Cartier, c'est de savoir utiliser de façon optimale l'être humain et l'ordinateur selon leurs capacités : l'être humain pour ses facultés cognitives et l'ordinateur pour sa puissance de calcul appliquée au traitement formel du signal et des données. La culture orale et la culture écrite, poursuit-il, ont créé des sociétés différentes ; la nouvelle culture multimédia annonce, elle aussi, de profondes transformations. BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE BEAUDOIN, A., M. POULIN et F. TURGEON-KRAWCZUK (1991). « Regards sur les nouvelles technologies et leur signification pour l'intervention et la formation en service social », Intervention, n° 88, p. 71-82. BÉLIVEAU, G. et R. DESLANDES-SENAY (1993). « L'informatique, un moyen d'apprentissage en service social », Intervention, n° 94, p. 76-86. BELL, S.E. (1986). « A new model of medical technology development : A case study of DES », Research in the Sociology of Health Care, n° 4, p. 1-32. BERMAN, Y et D. PHILLIPS (1995) . « Two faces of information technology What does the social worker see in the mirror ? », Computers in Human Services, vol. 12, nos 3-4, p. 407-418. BLANQUET, M.-F. (1995). Autoroutes électroniques et téléports, Paris, ESF. BOUDREAU, L. (1998). « Solution informatique, Intégration CLSC », Le magazine de l Association des CLSC et des CHSLD du Québec, août, p. 34-35. BUTTERFIELD, W.H. (1995). «Computer utilization », Encyclopedia of Social Work, 19e éd. CARTIER, M. (1997). Le nouveau monde des infostructures, Montréal, Fides. CONSEIL D'ÉVALUATION DES TECHNOLOGIES DE LA SANTÉ DU QUÉBEC - CETSQ (1998). Télésanté et télémédecine au Québec - État de la situation, Québec, 92 p. CWIKEL. J.G. et R.A. CNAAN (1991). « Ethical dilemmas in applying second-wave technology to social work practice », Social Work, mars, vol. 36, n° 2, p. 114-120. ELLUL, J. (1997). Le système technicien, Paris, Calmann-Lévy. ERDMAN, H.P. et S.W. FOSTER (1988). « Ethical issues in the use of computer-based assessment », Health Care 2000, vol. 3, nos 1-2, p. 71-87. © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : Problèmes sociaux - Tome I1, Sous la direction d’henri Dorvil et Robert Mayer, ISBN 2-7605-1127-8 • D1127N Tous droits de reproduction, de traduction ou d’adaptation réservés
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ROBERT MAYER, Ph. D. École de service social, Université de Montréal
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L'action sociale à l'égard des problèmes sociaux peut s'exercer tant sur le plan individuel que sur le plan collectif (groupes communautaires et mouvements sociaux). Campeau et al. (1993, p. 319) ont raison de souligner que dans nos sociétés modernes, et malgré la diffusion d'une culture plutôt individualiste, on constate que certains individus établissent des liens intenses qui permettent de mieux affronter les difficultés de la vie quotidienne (chômage, maladie, deuil, etc.). Cette solidarité s'exprime par des échanges de services gratuits entre les individus, les amis, les familles. On retrouve de tels échanges dans les divers groupes de bénévoles (hôpitaux, centres d'accueil), les services d'écoute téléphonique (groupe Suicide-Action), des associations de membres anonymes (les Alcooliques) etc. Tout en permettant aux individus de faire face aux situations difficiles, cette forme de solidarité a une portée limitée. D'où l'importance des groupes communautaires pour tenter d'agir collectivement sur divers problèmes sociaux. Souvent ces organismes naissent du regroupement des personnes bénévoles qui s'associent pour tenter de solutionner un problème social particulier. Malgré des périodes difficiles au cours des deux dernières décennies, les organismes communautaires se sont multipliés rapidement et ils ont diversifié leur champ d'action. Certains d'entre eux ont mis sur pied, par exemple, des maisons pour sidéens, des centres pour itinérants, des maisons de jeunes, des maisons d'hébergement pour les femmes victimes de violence, des cuisines collectives, etc. La structure de ces organismes et la nature de leurs activités varient considérablement. Certains dispensent des services individuels directs (par exemple, le dépannage alimentaire), alors que d'autres favorisent des actions collectives afin de modifier les législations sociales (par exemple, la promotion du logement social) ou la défense des droits sociaux (par exemple, l'Association de défense des assistées sociales et des assistés sociaux). Par ailleurs, et afin d'augmenter leur pouvoir d'agir sur leurs conditions d'existence, certains individus décident de participer et de militer dans des regroupements plus larges, dans des mouvements sociaux tels que le mouvement féministe ou le mouvement écologiste, afin de remédier à des problèmes sociaux plus vastes. L'ACTION SOCIALE L'action sociale, au sens large du terme, c'est-à-dire celle qui comprend l'intervention des professionnels autant que celle des personnes non professionnelles et / ou bénévoles, est évidemment fondamentale dans la solution et la prise en charge des divers problèmes sociaux. L'exemple de l'action sociale visant le problème de la violence conjugale peut très bien illustrer notre propos.
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À ce sujet, Lemieux (1994) se demande si la violence conjugale était moins répandue autrefois ou simplement plus cachée qu'elle ne l'est aujourd'hui. Ces questions se heurtent au silence du passé sur les femmes battues. C'est à travers divers documents historiques que l'on peut espérer lever une partie du voile qui recouvre la réalité de la violence conjugale. Ce qui est certain toutefois, c'est que celle-ci a toujours existé. Ensuite, l'auteure évoque les débats et les difficultés concernant les enquêtes statistiques visant à mesurer l'ampleur de la violence conjugale ; elle invite à la prudence étant donné que les statistiques disponibles émanent surtout des diverses institutions qui entrent en contact avec les femmes battues (institution de santé, organismes d'aide, institutions juridiques, appareils judiciaires). Ces réserves faites, il n'en demeure pas moins que l'on constate, depuis le début des années 1990 et au Québec notamment, une augmentation des signalements. Toutefois, l'auteure s'empresse de préciser que cette hausse des infractions doit être interprétée en considérant les changements mis en place au cours de la période dans les politiques judiciaires et l'administration policière. Ensuite, Lemieux (1994) analyse les dimensions socioculturelles et les profils de clientèles. On y fait état de nombreuses études quantitatives et qualitatives qui établissent des variations socioculturelles et socioéconomiques du phénomène. Certaines catégories sociales et certains milieux seraient plus associés à l'apparition de la violence, pour des raisons qui tiennent à la pauvreté, à la désorganisation sociale, à des modes de fonctionnement de la famille ou aux rapports entre les sexes. Des analyses psychologiques tendent par ailleurs à montrer l'existence d'une structure commune caractéristique de l'expérience de la violence conjugale (par exemple, la présence d'un fort taux d'alcoolisme et de toxicomanie chez les hommes violents) sans vouloir, toutefois, utiliser la présence de ces comportements pour justifier cette violence. La conclusion aborde la violence conjugale sous l'angle de l'évolution historique des sociétés occidentales depuis deux siècles. Geste permis pendant longtemps, la violence conjugale a été associée, au XIXe siècle, à la lutte contre l'intempérance, pour être oubliée pendant plusieurs décennies avant qu'elle ne soit redéfinie comme une pathologie dans les années 1950, puis dénoncée comme un crime par les féministes des années 1970. Ce faisant, le mouvement féministe a fait sortir de l'ombre des situations que les femmes battues vivaient de façon isolée, de même qu'il a contribué à l'émergence d'un nouveau modèle d'explication qui inscrit le phénomène de la violence conjugale dans la perspective des rapports de sexe inégalitaires (Cantin, 1995). En somme, ce texte nous permet de mieux cerner les forces et les faiblesses de l'intervention sociale sur un problème social.
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Toutefois, compte tenu de la complexité des nouveaux problèmes sociaux, l'intervention sociale contemporaine est appelée à relever de nouveaux défis. Selon certains, il existe présentement un certain désarroi chez les intervenants sociaux qui oeuvrent quotidiennement dans la solution des divers problèmes sociaux (Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec - OPTSQ 1999). Pour sa part, Alary (1999) identifie trois enjeux concernant la pratique sociale actuelle. D'abord, l'enjeu des conditions institutionnelles « qui posent des contraintes à l'autonomie professionnelle dans la détermination des orientations de l'intervention ». À ce propos, Alary reprend un diagnostic formulé par plusieurs, à savoir que les récentes réformes dans les services de santé et les services sociaux ont réduit considérablement la marge de manoeuvre des intervenants sociaux. Un second enjeu concerne les conditions scientifiques qui sont nécessaires pour assurer la compétence professionnelle. À ce niveau, Alary estime que la situation ne semble pas meilleure puisque de nos jours « la compétence des intervenants est facilement remise en cause sur la place publique et que la confiance de l'intervenant en ses propres capacités est minée par les conditions actuelles d'exercice » (1999, p. 19). Finalement, il y a l'enjeu éthique, car les pratiques sociales sont désormais confrontées à des situations complexes et à des choix éthiques déchirants. Que faire, par exemple, avec une mère adolescente qui veut se faire avorter, avec une famille caractérisée par des relations incestueuses, avec une personne qui souffre d'une maladie dégénérative et qui songe au suicide, et il y a « toutes les situations où des conduites déviantes ou socialement inacceptables ne se comprennent qu'à la lumière des conditions de pauvreté et d'exclusion sociale qui sont à leur origine » (Alary, 1999, p. 20). Pour tenter d'expliquer la diversité des problèmes sociaux, les intervenants sociaux ont, le plus souvent, recours sensiblement aux mêmes référents théoriques, à savoir « les mêmes schémas psychodynamiques, systémiques ou socioécologiques » (Ibid.). Mais plus fondamentalement encore, Alary estime que nous assistons à une « inféodation progressive » de l'action sociale qui s'exerce de plus en plus « à l'ombre du sanitaire, du judiciaire et du scolaire, elle s'imprègne des philosophies et des principes particuliers à ces secteurs et elle en ressent les impératifs et les contraintes » (Ibid.). Finalement, soulignons que les grandes tendances qui préoccupent présentement l'intervention sociale sur les problèmes sociaux sont, d'une part, leur judiciarisation et, d'autre part, leur médicalisation (voir plus loin).
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PROBLÈMES SOCIAUX ET ACTION INSTITUTIONNELLE La notion d'intervention sur les problèmes sociaux est aussi étroitement liée à la notion d'institution, l'appareil institutionnel créant les conditions sociales permettant l'intervention et la légitimant aux yeux du public. Dans cette perspective, et malgré un discours contraire axé sur la dimension thérapeutique, on peut dire que l'intervention institutionnelle prend souvent un caractère coercitif. Il nous faut donc nous interroger sur les fonctions et les principales caractéristiques de ces institutions sociales, notamment sur leurs définitions des problèmes sociaux et sur leur façon d'intervenir sur ces problèmes. Trop souvent, tout se passe comme si l'institution était neutre (tout comme l'intervenant d'ailleurs) ; et ainsi on évite de se questionner sur le rôle de ces institutions comme mécanisme de redressement et de répression ainsi que sur l'influence de ces institutions dans la reproduction de certains problèmes sociaux. L'analyse de Chamboredon (1971) est particulièrement incisive à ce propos. En effet, ce dernier montre que tout se passe comme si le mécanisme social tendait à occulter la question de l'influence des institutions de répression et de redressement dans la constitution du problème de la délinquance juvénile. Il insiste sur le fait que ce sont ces institutions qui construisent le portrait du jeune délinquant et l'histoire de ses actes, ce sont elles qui définissent les caractéristiques que livre ensuite la statistique ; elles fournissent sous les apparences d'un matériau brut des cas déjà « instruits » (ou construits). Par la suite, les divers experts qu'elles emploient viennent plus ou moins donner une légitimité à ce premier verdict. Une autre référence intéressante, presque classique maintenant, relative à la logique institutionnelle, est l'étude de Goffman (1974) dans un hôpital psychiatrique. Partant de cette expérience, l'auteur élargit le problème pour traiter de l'ensemble des établissements fermés qui présentent une structure de relations interpersonnelles fondamentalement similaires prisons, hôpitaux psychiatriques, monastères, casernes, etc. Dans ces institutions totalitaires, le reclus séjourne pendant de longues périodes dans l'enceinte de l'institution sans relations avec le monde extérieur et il est soumis à une organisation bureaucratique qui étend son autorité sur ses moindres gestes. C'est un livre essentiel pour comprendre la structure et le fonctionnement des institutions dites sociales ou thérapeutiques. Plus récemment, mais toujours au plan de l'action institutionnelle, Landreville et Laberge (1994) se sont demandés si la prison constitue une solution ou un problème social. Après avoir analysé l'évolution historique du système pénitencier, ces auteurs rappellent la distinction entre deux types d'institutions : les pénitenciers, de juridiction fédérale, qui reçoivent les personnes condamnées à des peines de deux ans et plus, et les établissements de détention, de juridiction provinciale, pour les prévenus et les
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personnes qui purgent des sentences de moins de deux ans. Au Québec, il y a 18 pénitenciers et 24 établissements de détention. Chaque année, un nombre considérable d'individus sont admis dans un de ces établissements (40 000 admissions en 1988) ; la plupart le sont, pour un bref séjour, relativement à une infraction ne comportant pas de violence. Par contre, les personnes qui séjournent dans les pénitenciers purgent de très longues peines (50 % ont une peine de plus de cinq ans), généralement pour avoir commis une infraction avec violence. Il semble que ce dernier groupe de personnes proviennent de milieux défavorisés, et ce, tant du point de vue économique que psychosocial. Finalement, ces auteurs remettent en cause les postulats fondamentaux de l'idéologie juridico-pénale selon lesquels la prison aurait pour principale fonction la protection de la société et serait un moyen égalitaire et indispensable de lutte contre le crime. Selon eux, la prison constitue, au contraire, un problème social en soi dans la mesure où elle entraîne des conséquences négatives, tant pour les détenus que pour la société, qui pourraient être évitées si l'on avait recours à d'autres moyens pour gérer les problèmes sociaux ou contrôler les comportements. Toutefois, l'action institutionnelle est loin d'être constamment négative; bien au contraire, elle permet d'assurer une continuité dans l'intervention et la prise en charge de certains problèmes sociaux. L'intervention en matière de violence conjugale est illustrative de ce phénomène. Ainsi, Rondeau (1994), après avoir souligné l'ampleur du problème, précise que la violence familiale se distingue des autres formes de violence qui sévissent dans nos sociétés par le caractère intime et privé du lien entre l'agresseur et sa victime. D'abord, il y aurait un continuum de violence : menaces, ordres dégradants, etc., seraient précurseurs de gestes plus graves, d'actes de brutalité physique. Ensuite, ces comportements, actes ou paroles viseraient essentiellement à assurer le pouvoir de l'agresseur sur la victime. Pour d'autres auteurs, cependant, cette façon de voir est trop subjective, car, à la limite, toute forme de relation troublée peut être taxée de violence conjugale. D'où les débats sur les données statistiques relatives à ce problème. Il est cependant de plus en plus admis que l'on ne peut définir la violence conjugale sans faire référence au contexte social dans lequel elle prend naissance. Puis, l'auteur se penche sur les causes de la violence conjugale. Il existe plusieurs explications qui varient selon les perspectives méthodologiques ou les positions idéologiques. Le débat oppose ceux qui privilégient les facteurs sociaux (l'approche féministe notamment) et ceux qui accordent la primauté aux caractéristiques personnelles des victimes et des agresseurs. Quant à la théorie dite de « l'apprentissage social », elle postule que la violence est un comportement appris par l'imitation des modèles véhiculés dans le milieu familial ou autre où a grandi l'individu violent.
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Quant à l'intervention, elle mobilise divers acteurs. Parmi les principaux intervenants de première ligne, on trouve : les policiers, qui sont très souvent les premiers à intervenir mais dont le rôle se limite surtout à l'aspect légal ; le réseau des maisons d'hébergement pour femmes violentées dont le rôle primordial est de procurer à la femme la sécurité physique et psychologique nécessaire pour l'aider à retrouver son équilibre ; le personnel des CLSC, le personnel infirmier des hôpitaux ainsi que les omnipraticiens. Quant aux efforts entrepris au cours des années 1980 pour modifier le traitement judiciaire de la violence conjugale, les résultats sont plutôt mitigés en ce qui touche à la protection des victimes et à la dissuasion, mais les nouvelles politiques ont tout de même joué un rôle symbolique et éducatif significatif en dénonçant de façon non équivoque la violence faite aux femmes. En outre, divers programmes d'intervention ont été mis sur pied dans le réseau public comme dans le réseau communautaire. Il convient de mentionner le modèle féministe d'intervention (centrée sur la femme plutôt que sur le couple ou la famille et sur les émotions reliées à la violence) développé par des travailleuses sociales et qui a servi à la formation de nombreuses intervenantes québécoises. L'intervention auprès des conjoints violents est de plus en plus perçue par les divers acteurs du milieu comme élément essentiel de l'intervention spécifique en matière de violence conjugale (Cantin, 1995). Par ailleurs, et dans un autre ordre d'idées, l'importance de la dimension institutionnelle dans la prise en charge des problèmes sociaux est bien illustrée par le phénomène de la médicalisation des problèmes sociaux qui, au cours des deux dernières décennies, s'est amplifié. Par exemple, Renaud souligne que, pour diverses raisons, « la médecine a pris en charge une série de problèmes sociaux et d'états psychosociaux par rapport auxquels elle n'a pas d'expertise technique » (Renaud, 1985, p. 290). En relativement peu de temps, la médecine a considérablement élargi son domaine d'intervention : « la sexualité, la reproduction, la naissance, la mort comme le vieillissement, l'anxiété, l'obésité, l'éducation des enfants, l'alcoolisme, l'homosexualité, entre autres problèmes humains, en font maintenant partie. En élargissant ainsi son champ d'intervention, la médecine est devenue un mécanisme de contrôle social beaucoup plus important que la religion et le droit » (Ibid.). Mais plus fondamentalement poursuit Renaud, et en cela il reprend les propos d'Illich : « On a dépossédé les gens de leur autonomie et de leur liberté en les livrant aux mains d'experts que l'on appelle des professionnels de la relation d'aide mais qu'il faudrait peut-être voir comme des professionnels qui rendent incapables (disabling professionals) » (Ibid.).
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Évidemment, cette thèse n'est pas passée inaperçue et elle a suscité des débats et des changements : « par exemple, la déclassification de l'homosexualité comme maladie mentale par l'Association psychiatrique américaine et la détechnicisation de l'obstétrique. Cela a encouragé le mouvement autour des droits des patients (droits au dossier, à l'information, à la confidentialité, à la mort) de même que les mouvements d'entraide (self-help) et d'auto-thérapie (par exemple, la dialyse rénale à domicile) » (Renaud, 1985, p. 291). Et Renaud de conclure : « Nous vivons dans une société où la médecine a un pouvoir moral extraordinaire, qui n'est pas sans rappeler celui de l'Église il y a quelques siècles. La santé, ce n'est plus seulement la capacité de fonctionner, de vivre sa vie. Définie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme un état complet de bien-être physique, mental et social, la santé est devenue le bonheur, la vie même. Un nombre de plus en plus grand de problèmes humains sont maintenant expliqués en termes de santé et de maladie » (Ibid.). Cette réflexion sur la médicalisation des conduites individuelles ou de phénomènes sociaux se poursuit encore de nos jours (Bouchard et Cohen, 1995), mais certains estiment que cette réflexion doit être plus nuancée, entre autres, d'une part, parce que les limites de la médecine sont plus évidentes (Renaud, 1995) et, d'autre part, parce que l'on assiste aussi à un mouvement contraire, celui d'une certaine « démédicalisation » de certains problèmes sociaux où l'action médicale fait maintenant place à une action plus directe de la communauté. En somme, tous ces travaux font ressortir les forces et les limites de l'intervention institutionnelle dans la solution des problèmes sociaux. PROBLÈMES SOCIAUX ET ACTION LÉGISLATIVE Il ne s'agit pas de faire ici l'historique de l'évolution des politiques sociales, ni de dresser un bilan de celles des dernières années. Nous voulons simplement rappeler quelques éléments qui vont nous permettre d'aborder ces deux thèmes de façon complémentaire, car ils sont liés l'un à l'autre. En effet, on peut envisager le développement des politiques sociales comme une réponse aux problèmes sociaux. Par exemple, le problème de la violence à l'égard des enfants a suscité, au Québec comme ailleurs, le développement d'une importante législation sociale en matière de protection de l'enfance. L'analyse de ce problème social montre bien l'importance de l'action législative, mais aussi des autres formes d'intervention sociale. L'action des mouvements sociaux, comme le mouvement féministe par exemple, est centrale dans l'avènement et le développement de la législation sociale en cette matière. Tout en reconnaissant le caractère
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avant-gardiste du système législatif québécois de protection des enfants, Bouchard, Gauthier, Massé et Tourigny (1994) en soulignent les faiblesses majeures : sa lourdeur et sa complexité, la fragmentation des services, le recours trop fréquent au placement, le manque d'intensité des interventions auprès des enfants et de leur famille, l'épuisement du personnel, etc. Par ailleurs, un autre exemple illustre l'importance de l'action législative, c'est la tendance actuelle à la judiciarisation des problèmes sociaux. A ce propos, Laberge et Landreville (1994) ont souligné que le droit pénal constitue une dimension importante dans la gestion des problèmes sociaux. S'il contribue à définir, parfois à modifier, des rapports sociaux, il n'est lui-même que le produit des rapports de force qui marquent la société à un moment particulier de son évolution. Ainsi, un même comportement, inscrit hier dans la loi comme un crime, est aujourd'hui toléré, et inversement. Pour mieux comprendre ce phénomène, ils effectuent une analyse des mécanismes sous-jacents aux transformations du droit pénal et à la judiciarisation (ou criminalisation) des problèmes sociaux. Ils soulignent d'abord que les transformations du droit pénal s'opèrent à deux niveaux principaux et suivant deux directions opposées : la décriminalisation (dépénalisation) et la criminalisation (pénalisation). L'avortement constitue un bon exemple récent d'un acte qui a été décriminalisé au deuxième niveau, d'abord, par la décision des instances adminsitratives de ne pas appliquer la loi, puis, en une seconde étape, par l'intervention de la Cour suprême du Canada qui, jugeant la loi existante inconstitutionnelle, l'a rendue inopérante. Par contre, la criminalisation correspond au mouvement inverse et elle s'effectue de diverses façons. D'abord, par la création d'une norme pénale régissant un comportement qui était jusque-là toléré (par exemple, fumer dans un endroit public) ; ensuite, par l'application réelle d'une norme pénale déjà existante mais qui, pour différentes raisons, n'était pas appliquée par les instances pénales (par exemple, la violence conjugale) ; et, finalement, par l'élargissement d'une norme pénale (par exemple, la répression de l'ivresse au volant). Ils examinent ensuite quelques situations problèmes ayant fait l'objet d'une criminalisation nouvelle ou accrue au cours des dernières années au Canada et au Québec : la circulation routière, la violence conjugale et la maladie mentale. Voilà quelques exemples relativement récents de cette tendance à la judiciarisation des problèmes sociaux.
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
CONTENU DE LA DEUXIÈME PARTIE Sans reprendre intégralement tous les thèmes que nous avons soulignés précédemment, on peut dire que les textes qui suivent les abordent plus ou moins directement. Ainsi, dans le premier texte de cette partie, Christine Colin décrit le problème du développement et de la santé des enfants au Québec et analyse les récentes orientations de la politique familiale à l'égard de ce problème. Ensuite, une équipe de recherche, composée de Dominique Damant, Marie-Andrée Poirier et Jacques Moreau analyse un projet d'action communautaire, intitulé 1, 2, 3 Go ! qui s'appuie sur le modèle écologique et qui vise à promouvoir le bien-être des enfants et des parents. Le troisième texte est l'œuvre d'une autre équipe de recherche, comprenant Jean-François René, Suzanne Garon, Francine Ouellet, Danielle Durand et Renée Dufour, qui aborde la problématique de la pauvreté des jeunes familles avec enfants tout en proposant des interventions qui permettent à ces familles d'avoir un peu plus de contrôle sur leur vie (empowerment). D'autres types d'interventions sociales sont aussi présentées. Anselme Mvilongo met en lumière quelques principes de l'intervention interculturelle. Pour sa part, Christiane Cardinal analyse l'intervention policière en matière de santé mentale et leurs rapports avec les autres intervenants du réseau des services de santé et des services sociaux. L'action des mouvements et des groupes communautaires sociaux dans la solution des problèmes sociaux est ensuite analysée par Pierre Hamel et Réjean Mathieu. L'action sociale des intervenants bénévoles et / ou non professionnels est également mise en lumière dans les trois textes suivants. Ainsi, Chantal Cheval relate l'évolution du travail de rue au Québec, Suzie Robichaud et Vincent Lemieux analysent les grandes orientations du travail bénévole et Diane Champagne présente les pratiques des intervenants bénévoles et professionnels en matière de prévention du suicide. Par ailleurs, toujours dans l'esprit de mieux connaître les formes d'intervention bénévole et professionnelle, une équipe de recherche, composée cette fois de Danielle Maltais, Suzie Robichaud et Anne Simard, analyse l'impact des désastres naturels sur les problèmes des individus, des intervenants et des communautés, tout en proposant quelques pistes d'intervention pour l'avenir. Pour sa part, Camille Messier rend compte d'une démarche évaluative auprès d'un groupe communautaire, SEM-Connexion, dans le cadre du programme d'action communautaire pour les enfants (PACE). Toujours dans le domaine des aidantes naturelles, Hélène Provencher et Henri Dorvil analysent l'apport de l'aidant familial dans les cas de soutien à un proche souffrant de schizophrénie. Finalement, pour clôturer cette dernière partie, un texte de Henri Dorvil présente le bilan de différents
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regards disciplinaires (histoire, anthropologie, psychologie, service social, sociologie, droit et médecine) sur la réinsertion sociale des personnes classées malades mentales. BIBLIOGRAPHIE ALARY, J. (1999). « Quelques enjeux de la pratique et de la formation en service social », Intervention, vol. 110, p. 10-20. BOUCHARD, L. et D. COHEN (dir.) (1995). « Médicalisation et contrôle social », Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS), Les cahiers scientifiques, n° 84. BOUCHARD, C., M.C. GAUTHIER, R. MASSÉ et M. TOURIGNY (1994). « Les mauvais traitements envers les enfants », dans F. Dumont, S. Langlois et Y. Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 363-380. CAMPEAU, R., M. SIROIS, E. RHÉAULT et N. DUFORT (1993). Individu et société : Introduction à la sociologie, Boucherville, Gaétan Morin éditeur, 332 p. CHAMBOREDON, J.C. (1971). « La délinquance juvénile : essai de construction d'objet », Revue française de sociologie, vol. 12, p. 335-377. DUMONT, F. (1994). « Approches des problèmes sociaux », dans F. Dumont, S. Langlois et Y. Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 1-21. GOFFMAN, E. (1968). Asiles, Paris, Minuit. LABERGE, D. et P. LANDREVILLE (1994). « La judiciarisation des problèmes sociaux », dans F. Dumont, S. Langlois et Y Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 1053-1066. LANDREVILLE, P. et D. LABERGE (1994). « La prison, solution ou problème social ? », dans E Dumont, S. Langlois et Y Martin (clin), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 1067-1080. LEMIEUX, D. (1994). « La violence conjugale », dans E Dumont, S. Langlois et Y Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 337-362. MAYER, R. (2001). « Le constructivisme et les problèmes sociaux », dans H. Dorvil, et R. Mayer (clin), Problèmes sociaux: théories et méthodologies, tome 1, Sainte-Foy, Presses de l'Université du Québec, p. 109-131. ORDRE PROFESSIONNEL DES TRAVAILLEURS SOCIAUX DU QUÉBEC (1999). Les états généraux de la profession, document de travail, 13 p. OUELLET, P. (1998). « Matériaux pour une théorie générale des problèmes sociaux », thèse, Sciences humaines appliquées, Université de Montréal, ronéo, 428 p. © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : Problèmes sociaux - Tome I1, Sous la direction d’henri Dorvil et Robert Mayer, ISBN 2-7605-1127-8 • D1127N Tous droits de reproduction, de traduction ou d’adaptation réservés
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
RENAUD, M. (1981). « Les réformes québécoises de la santé ou les aventures d'un État narcissique », dans L. Bozzini et al. (clin), Médecine et société, les années 1980, Montréal, Éditions Saint-Martin, p. 513-544. RENAUD, M. et L. BOUCHARD (1994). « Expliquer l'inexpliqué : l'environnement social comme facteur clé de la santé », Interface, vol. 15, n° 2, p. 14-25. RONDEAU, G. (1994). « La violence familiale », dans F. Dumont, S. Langlois et Y. Martin (clin), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 319-336.
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LE DÉVELOPPEMENT ET LA SANTÉ DES JEUNES ENFANTS Des acquis à préserver, des défis à partager
CHRISTINE COLIN, M.D. Médecin spécialiste en santé communautaire
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RESUMÉ Le développement et la santé des enfants constituent un enjeu majeur pour les familles et la société. Depuis une trentaine d'années, des progrès ont été réalisés sur le plan des connaissances, des interventions et des politiques pour l'enfance. Cependant, les progrès stagnent et des problèmes persistent ou s'aggravent, en particulier l'impact dévastateur de la pauvreté. Plusieurs défis se posent alors aux intervenants. Le premier est certainement de bien comprendre, au-delà des chiffres, ce que vivent les enfants et les familles qui doivent faire face dans le quotidien à la pauvreté et à l'exclusion sociale, de même que la nature et l'ampleur des liens entre ces conditions et le développement des enfants. Bien entendu, le plus gros défi porte sur l'intervention. Tout en agissant le plus en amont possible dans une optique de promotion de la santé et du bien-être, toute intervention doit s'appuyer sur les facteurs de succès reconnus que sont la précocité, la continuité, l'intensité, la stabilité et la souplesse de l'intervention, la participation des parents et des communautés et, surtout, la création d'une véritable relation de confiance fondée sur le respect des individus et de leurs valeurs ainsi que sur le non jugement. Ces caractéristiques, bien qu'essentielles pour améliorer la qualité et l'efficacité des interventions, doivent toutefois être accompagnées dune action plus globale de réduction de la pauvreté pour réellement et durablement améliorer la qualité de vie des parents de même que le développement et la santé des enfants.
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En matière de petite enfance, développement et santé sont étroitement liés. Un développement sain et harmonieux, tant psychomoteur que socioaffectif, et une bonne santé sont en effet à la fois les conséquences de facteurs favorables et les garants d'un avenir prometteur. Ils nécessitent donc une approche globale qui prend en compte les différents aspects du développement et de la santé physique, mentale et sociale. Les indicateurs globaux de santé (qui paradoxalement sont le plus fréquemment des indicateurs de mortalité) sont d'ailleurs souvent utilisés pour mesurer l'état de santé et de bien-être des enfants. Or, depuis une cinquantaine d'années et même depuis les années 1970, des gains énormes ont été réalisés dans les pays occidentaux, au point de vue de la mortalité. Ainsi, la mortalité infantile (décès d'enfant avant l'âge de un an) était en 1993-1994 de 5,7 pour 1 000 naissances vivantes, alors qu'elle était encore de 15 pour 1 000 en 1970. Comme pour d'autres progrès sanitaires, on sait aujourd'hui que c'est l'amélioration de la qualité de vie, de l'hygiène et de l'environnement, combinés à l'avancée des soins mais plus qu'eux, qui est responsable de ces progrès très importants. Pourtant, la situation de certains enfants reste hautement préoccupante. D'importants écarts persistent entre les enfants des familles favorisées et ceux des familles qui le sont moins ; de nouveaux problèmes et de nouvelles morbidités (maladies ou problèmes) sont apparus, dont les causes se précisent peu à peu. La première section présentera un rappel des principaux acquis des trente dernières années, et la deuxième, la revue des problèmes actuels. La troisième section dégagera des pistes d'analyse et de compréhension, notamment en ce qui concerne la pauvreté. La dernière section sera consacrée à la mise en oeuvre d'interventions plus efficaces. DES ACQUIS À la faveur de nombreuses études scientifiques et de plusieurs rapports (Dodson, 1970 ; Bouchard, 1991 ; McCain et Mustard, 1999) s'est progressivement imposée la certitude que la naissance et la petite enfance sont des périodes clés essentielles pour le développement à long terme des enfants. Les nouvelles preuves que nous offre la science viennent confirmer les préceptes du bon maternage que suivent les parents depuis des siècles. Le bébé et le jeune enfant ont besoin d'une bonne alimentation, de stimulation, d'amour et de soins appropriés. [...] Conjugués à de bons programmes d'éducation à la petite enfance, ils peuvent améliorer les résultats pour tous les enfants en termes d'apprentissage, de comportement et de santé physique et mentale tout au long de la vie (McCain et Mustard, 1999, p. 7-8).
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Ces paroles font écho aux constats du rapport Bouchard publié en 1991 : Nous demandons d'intensifier le soutien aux jeunes parents, dès avant la naissance [...] Nous pensons que l'on peut prévenir la délinquance scolaire et que l'on doit préparer la réussite scolaire et l'intégration sociale dès le plus jeune âge (p. 11). Diverses recherches ont établi cependant que tous les enfants ne partent pas égaux dans la vie et que l'influence de l'environnement social, physique et économique est considérable. Les inégalités socioéconomiques jouent un rôle important dans les inégalités de santé et de développement1. Non seulement il existe un gradient social entre les classes sociales, mais l'écart est particulièrement prononcé entre les populations les plus défavorisées et celles qui sont immédiatement au-dessus dans l'échelle sociale (Conover, 1973 ; Luft, 1978 ; Colin, Lavoie et Poulin, 1989). Par ailleurs, il est indéniable que les connaissances en matière de développement des enfants et notamment des nourrissons se sont beaucoup développées ces dernières années. On connaît bien aujourd'hui les vertus de l'attachement précoce. Développé de manière appropriée entre le nouveau-né et ses parents, celui-ci contribue à créer chez l'enfant des occasions d'apprentissage et une confiance de base qui sont les garants d'un développement harmonieux et d'un comportement de plus grande sociabilité. Il va donc influencer tout le comportement social ultérieur de l'enfant et de l'adolescent (Jéliu, 1979, 1982). On sait aussi que cet attachement s'appuie sur les compétences précoces (« précocissimes », dit Lebovici [1983]) de l'enfant qui rentre très tôt en relation avec son environnement humain et son milieu de vie. De très nombreux travaux sur l'attachement2 ont montré que ces interactions font découvrir aux nouveaux parents la variété et la richesse des capacités de leur enfant et leur font prendre conscience de leurs propres qualités de parents « suffisamment bons », pour reprendre l'expression de Winnicott. Dans le cas de situations difficiles vécues par des enfants, d'autres travaux ont permis de relever « la résilience3 ». En suivant pendant trente ans une cohorte de 700 enfants nés en 1955 dans l'île de Kaui dans l'archipel d'Hawaï, Werner et Smith (1982) ont constaté que le tiers des
1. Voir notamment Egbuonu et Starfield (1982), Haan, Kaplan et Camacho (1987), Colin et Desrosiers (1989), Association canadienne de santé publique (1997). 2. Voir entre autres Bowlby (1951), Winicott (1960), Brazeltown (1963), Dolto (1971), Klaus et Kennel (1976), Bronfenbrenner (1979), Badinter (1980) et Bouchard (1981). 3. La résilience est un terme introduit par Emmie Werner pour désigner la capacité des individus à se développer malgré des circonstances difficiles, voire hostiles, c'est-à-dire la résistance de certains enfants qui, dans des conditions de risque semblables à celles qui prévalent pour d'autres, vont mieux s'en sortir.
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enfants considérés comme étant à risque élevé de troubles du comportement à l'âge de deux ans avaient évolué de façon favorable pour devenir des jeunes adultes compétents et bien intégrés. Ces enfants vulnérables ont su « rebondir » à partir d'une enfance difficile et demeurer invincibles ou du moins invaincus. Divers déterminants de cette résilience ont été identifiés, notamment la perspicacité, l'indépendance, l'aptitude aux relations humaines, l'initiative, la créativité, l'humour et un certain sens moral, voire religieux (Manciaux et Tomkievitz, 2000). Ils pourraient être regroupés sous trois rubriques : constitution génétique et tempérament, forces intrapsychiques et capacités d'adaptation orientées vers l'action (je suis, j'ai, je peux ; Grotberg, 1995). Ces qualités rendent ces enfants agréables pour les autres, faciles à vivre et capables d'adaptation aux circonstances. Parmi les facteurs déterminants de la résilience, l'existence d'un lien fort entre l'enfant et une personne (en général sa mère, son père ou un substitut aimant) qui lui fait confiance et en qui il a confiance est particulièrement importante pour que l'enfant puisse développer le sentiment d'estime de soi et la capacité de s'en sortir. Enfin, parmi les divers acquis de ces dernières décennies, il faut souligner l'existence même de politiques en faveur de l'enfance. La mission des États de protéger, d'éduquer et de soigner passe par la mise en oeuvre de diverses politiques et orientations et l'établissement de réseaux de services le plus intégrés possible. Le rapport Bouchard en 1991, qui voulait rendre le Québec « fou de ses enfants », a inspiré quatre politiques vouées à la jeunesse, à la périnatalité, à la santé et au bien-être ainsi qu'à la santé publique. La petite enfance est bien un objet de préoccupations de la part des décideurs. Nous y reviendrons dans la troisième partie de ce texte. DES PROBLÈMES QUI PERSISTENT OU QUI AUGMENTENT Pourtant, en dépit de ces acquis en ce nouveau millénaire, nous devons encore faire face à des situations très inquiétantes. Malgré leur intérêt, les progrès ne sont pas suffisants. D'abord, contrastant avec l'essor des dernières décennies, on ne peut que constater le ralentissement des progrès en ce qui concerne la diminution de la mortalité. Bien sûr, plus la mortalité diminue, plus les efforts doivent être grands pour la diminuer encore. Mais les gains stagnent aussi sur le plan des conditions de santé à la naissance. Le taux de naissance d'enfants de poids insuffisant (moins de 2500 g) est quasi stagnant depuis les années 1980, à 5,9 %, et la prématurité a augmenté, passant de 5,7 % en 1980 à 7,2 % en 1996. Or, on sait bien aujourd'hui qu'un poids insuffisant à la naissance, la prématurité ou
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le retard de croissance intra-utérine sont des facteurs de risque pour la vie, la santé et le développement de l'enfant (Colin et Desrosiers, 1989; Lepage et al., 1989). Au chapitre des problèmes de santé des enfants, les « nouvelles morbidités », troubles souvent d'origine psychosociale ainsi nommés par Haggerty (Haggerty, Roghmann et Pless, 1975) il y a plus de vingt ans, persistent ou augmentent (Manciaux, Gabel, Girodet et al., 1997). Il s'agit des retards de développement (au Québec, on estime que 10 à 15 % des enfants pourraient présenter des retards dans l'une ou l'autre sphère du développement ; MSSS, 1997), des troubles de la parole et du langage (estimés de l'ordre de 11 à 16 % à l'âge de 5 ans ; MSSS, 1997), des difficultés d'apprentissage, des problèmes de comportement, de l'hyperactivité - qui atteindrait selon une récente enquête 8 % des filles et 14 % des garçons de 4 à 11 ans au Canada (DRH et Statistique Canada, 1998), de la négligence (si mal nommée, puisque son nom évoque automatiquement un manquement parental alors que sa source est aussi bien, sinon plus, sociétale; Bouchard, 1986), des abus physiques, psychologiques ou sexuels, du tabagisme précoce (10 % des enfants de 11 ans et près de 40 des jeunes filles de 14 ans fument régulièrement ; ISQ, 1999), des abus d'alcool et de drogues, des traumatismes non intentionnels dans la rue, à la maison ou pendant le sport ou les loisirs, du suicide, de la violence ou encore des échecs scolaires (selon certaines études, 30 à 40 % des jeunes Québécois ne finissent pas leurs études secondaires). Sur le plan macrosocial, on assiste à de nombreux changements, dans une société qui évolue sans que nous puissions toujours en maîtriser les conséquences. Ainsi, l'entrée massive des femmes sur le marché du travail, pourtant déjà ancienne, ne s'accompagne toujours pas d'un réel partage des tâches. Alors que 60 % des mères de jeunes enfants ont un emploi, une étude de l'INSEE révèle que la part des hommes, même si elle augmente, atteint seulement 35 % dans le travail domestique. Les mères consacrent en moyenne trente minutes par jour aux petits soins aux enfants, alors que les pères n'y consacrent que sept minutes (Brousse, 1999). Du fait de l'évolution des modes de vie, on assiste à l'isolement grandissant des familles, à l'accroissement des ruptures familiales et à l'augmentation des familles à chef féminin, de même qu'à la banalisation de la violence (ne serait-ce que dans les médias) et à l'instauration de la course effrénée à la consommation et à la réussite individuelle. À travers ces changements, les difficultés de maintenir les transmissions des valeurs, des savoirs et des savoirfaire s'accentuent, les solidarités traditionnelles et les réseaux de proximité s'affaiblissent, rendant l'éducation des enfants beaucoup plus difficile (Deschamps, 2000).
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Mais le constat le plus important reste sans doute la persistance et même l'aggravation des inégalités sociales et de la pauvreté et leurs terribles conséquences sur la santé et le développement des enfants. Les conséquences de la pauvreté et de l'exclusion sont aujourd'hui connues et reconnues et de nombreux auteurs insistent sur la nécessité absolue de leur réduction. Nous sommes convaincus [...] qu'il nous faut réduire la pauvreté des jeunes familles et des familles monoparentales féminines si nous voulons, dès maintenant, rétrécir la marge des risques dans laquelle sont stationnés des milliers d'enfants. Ces enfants partent perdants... ! et leurs parents aussi. Il leur en coûte des échecs, des humiliations et des futurs bloqués (Bouchard, 1991, p. 10). Devant la lenteur, voire dans certains cas l'absence de progrès, il y a bien sûr un risque de découragement et d'épuisement des intervenants. Et pourtant des progrès sont possibles. Avant tout, il est essentiel de connaître et de comprendre la situation de ceux qui vivent dans la pauvreté. Cette connaissance est en effet la première condition d'une intervention efficace. PREMIER DÉFI : MIEUX CONNAÎTRE ET MIEUX COMPRENDRE Un défi très important consiste à faire le maximum pour mieux comprendre la situation actuelle, connaître les statistiques ainsi que les enjeux, les mécanismes, les liens de causalité de la pauvreté et de l'exclusion sociale, mais aussi ce que vivent chaque jour les enfants de milieux défavorisés et leur famille, leurs attentes et leurs espoirs. Même s'il est important de poursuivre des recherches quantitatives ou qualitatives, les connaissances dont nous disposons actuellement nous permettent déjà d'appréhender de façon suffisamment juste le lien entre la pauvreté, d'une part, et le développement et la santé des enfants, d'autre part. LA PAUVRETÉ : UNE RÉALITÉ PERSISTANTE Depuis vingt ans, plus d'un million de Québécois vivent sous le seuil de faible revenu déterminé par Statistique Canada et la pauvreté persiste malgré les divers efforts et politiques mis en place pour la diminuer. Entre 1980 et 1995, on observe ce que les économistes appellent « la règle des 4-40 » : les 20 % des citoyens les plus riches bénéficient de 40 % du revenu total, tandis qu'à l'autre extrême les 20 % les plus pauvres ne se partagent que 4 % de ce revenu (Vaillancourt, 1985), et cet écart est encore plus prononcé si l'on considère l'ensemble de la richesse possédée par les individus. Au fil des années, on observe un très léger progrès, mais l'ordre
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Figure 11.1 Répartition en pourcentage du revenu disponible, par quintile, Québec, 1973 et 1993
Source : BSQ, Les conditions de vie au Québec, 1996.
de grandeur persiste : en 1993, le pourcentage de revenu disponible pour le quintile le plus pauvre était de 6 % et celui disponible pour le quintile le plus riche restait de 39,7 % (figure 11.1) . Au Québec, de 1991 à 1995, la fréquence de faible revenu dans la population est passée de 19,4 % à 23,4 %4 et, malgré une certaine amélioration, le taux de chômage reste proche des 10 % en 1999. En 1996, un peu plus de 250 000 enfants de 0 à 17 ans vivaient de l'aide sociale où les plus jeunes sont toujours proportionnellement plus nombreux5. Contrairement à une croyance erronée, la majorité des enfants pauvres vivent dans des familles biparentales. En effet, si le taux de pauvreté des familles monoparentales est beaucoup plus élevé que celui des familles biparentales, le nombre de familles biparentales pauvres est plus grand, ce qui fait que 60 % des enfants pauvres vivaient en 1995 dans des familles biparentales et 35 % dans des familles monoparentales à chef de famille féminin (figure 11.2). 4. Tableaux « Le pays » du recensement de 1996 de Statistique Canada. 5. Données du ministère de la Sécurité du revenu du Québec.
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Figure 11.2 Pourcentage d'enfants sous le seuil de faible revenu, Québec, 1995
Source : Statistique Canada, Cat.: 13-569-XPB.
Au-delà de ces chiffres extrêmement préoccupants, il faut comprendre que l'insuffisance de revenu n'est souvent qu'un des éléments d'une situation complexe où se mêlent la faible scolarité, le manque de travail reconnu, l'absence de logement suffisant, en d'autres mots l'exclusion sociale et la misère matérielle. À l'instar du Mouvement ATD-Quart Monde6, on peut distinguer la précarité et la grande pauvreté ou extrême pauvreté. « La précarité est l'absence d'une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l'emploi, permettant aux personnes et aux familles d'assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux. » L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins définitives. « Quand la précarité affecte plusieurs domaines de l'existence, lorsqu'elle tend à se prolonger dans le temps et qu'elle devient persistante, elle engendre la grande pauvreté qui compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soimême dans un avenir prévisible » (Wresinski, 1987). Les familles vivant dans la grande pauvreté connaissent souvent la misère depuis plusieurs générations. Elles font partie de ce qu'on appelle le quart-monde. En fait, la réalité est fort différente selon que l'on vit dans une famille pauvre temporairement ou que l'on est confronté en permanence à l'intensité et à la durée de la
6. Le Mouvement ATD-Quart-monde est un mouvement international de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Créé en France en 1957, il est implanté dans de nombreux pays, et notamment au Québec depuis 1982.
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pauvreté. Les chances de s'en sortir s'en trouvent alors bien compromises. Même si les enfants vivent avec des parents aimants, ceux-ci ne disposent pas du revenu suffisant pour la nourriture, l'éducation, les loisirs et ne peuvent pas transmettre à leurs enfants la sécurité matérielle et affective dont ils ne bénéficient pas eux-mêmes. Les enfants sont dès lors marqués profondément par les effets physiques et psychologiques de la pauvreté, par l'insécurité qui en résulte et par la honte qu'ils en éprouvent. Plusieurs d'entre eux n'accéderont ni à un métier ni à un travail valorisant. Même si le sort de toutes les familles pauvres est préoccupant, celui des plus pauvres et des plus exclues l'est davantage. D'une part, c'est pour elles et leurs enfants que les effets et les conséquences de la pauvreté sont les plus intenses et les plus prolongés, entraînant de grandes souffrances pour les individus et des difficultés de prise en charge très importantes pour les services sociaux et la société. D'autre part, sauf exception, elles ne pourront pas s'en sortir sans un soutien et sans une aide substantielle qui leur est spécifiquement destinée. En d'autres mots, elles doivent faire l'objet de priorités d'action et d'intervention. MATERNITÉ ET PAUVRETÉ C'est dans ce contexte que les jeunes adultes vont fonder une nouvelle famille. Sachant que la naissance est une période charnière et voulant mieux comprendre les liens entre la pauvreté, la maternité et le recours aux services de santé, nous avons réalisé de 1988 à 1992 une étude qualitative, participative et compréhensive (Colin et al., 1992) auprès d'une vingtaine de femmes enceintes très défavorisées de Montréal, nées pour la plupart dans un milieu de grande pauvreté. Étant donné qu'il existe en général des différences culturelles marquées entre les personnes québécoises et les personnes immigrantes qui, à pauvreté socioéconomique égale, utilisent davantage les réseaux d'entraide et les services offerts, cette recherche n'a retenu que des femmes nées au Québec. Ces femmes ont toutes participé à une dizaine de rencontres d'une heure et demie en petits groupes. Les rencontres étaient structurées et utilisaient des outils appropriés pour des personnes maniant mal l'écrit (photo langage, écrivain public, jeux de rôles, sculptures vivantes, etc.). Les productions de la séance précédente étaient rapportées, commentées et enrichies à la séance suivante. Un accompagnement vers les services appropriés était prévu au besoin. Un processus très structuré d'analyse des comptes rendus in extenso et des produits de ces rencontres a ensuite permis d'en dégager les résultats.
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Les principaux résultats de cette recherche publiée en 1992 montrent que, pour ces femmes, la maternité n'est pas une fatalité. Bien au contraire : la maternité est choisie (ce qui ne veut pas dire planifiée) comme le moyen de donner un sens à sa vie, de créer une relation d'amour avec l'enfant et de transcender le cycle de l'extrême pauvreté. C'est aussi à leurs yeux le moyen privilégié d'accéder à la reconnaissance sociale par leur statut de mère. Les enfants représentent un véritable projet et un espoir sans cesse renouvelé qui justifie et renforce l'acharnement à survivre dans des conditions si difficiles. Dans ce contexte, le recours aux services de santé apparaît comme le résultat d'une interaction entre les expériences personnelles des femmes quant à la maternité, à la santé et à leurs relations avec leurs familles, d'une part, et leurs expériences avec les médecins et les professionnels de la santé et des services sociaux, d'autre part. La façon dont certains intervenants nient plus ou moins explicitement le droit de ces femmes à la mise au monde, même si d'autres les soutiennent dans leurs compétences, la façon dont les intervenants sont contrôlants, voire menaçants ou adoptent des approches culpabilisantes par rapport à leurs comportements de santé est déterminante quant aux décisions que prendront ces futures mères de recourir ou non aux services de santé pendant leur grossesse. Fortes de leurs expériences et de celles de leurs proches, elles se méfient fortement du pouvoir des institutions de leur retirer leurs enfants. Le contrôle social demeure très lié aux interventions sociales, ou même de santé. Ces femmes vont rechercher avant tout chez les professionnels consultés compréhension, absence de jugement, confiance et respect. PAUVRETÉ, DÉVELOPPEMENT ET SANTÉ DES ENFANTS Bien sûr, la pauvreté ne condamne pas inexorablement à un développement compromis ou à une mauvaise santé, mais elle y conduit plus souvent : deux à trois fois plus de prématurité, d'insuffisance de poids à la naissance, de retard de croissance intra-utérine (Colin et Desrosiers, 1989 ; voir la figure 11.3), deux fois plus de mortalité infantile (qui diminue pour tous les groupes sociaux, mais l'écart entre les groupes, lui, ne diminue pas ; Colin, Lavoie et Poulin, 1989), plus d'anémies, de traumatismes, de retards de développement, de violence (Egbuonu et Starfield, 1982)... pour ne citer que ces problèmes. Pour reprendre l'image employée dans le Rapport du groupe de travail pour les jeunes, c'est un peu comme une courbe dangereuse où tout le monde n'a pas d'accidents, mais où le nombre d'accidents est plus élevé qu'ailleurs (Bouchard, 1991, p. 68). Il est d'ailleurs très important de se rappeler que, malgré les risques considérablement accrus, la majorité des parents sont très préoccupés par le développement
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
Figure 11.3 Prématurité et insuffisance de poids selon la scolarité de la mère, Québec, 1995
Source : Ministère de la Santé et des Services sociaux.
et la santé de leurs enfants et qu'ils vont réussir, malgré les conditions défavorables de leur environnement, à élever correctement leurs enfants, qui atteindront de bons niveaux de santé et de développement. Il n'en demeure pas moins que l'excès de troubles du développement et de problèmes de santé des enfants de milieux défavorisés est extrêmement préoccupant. D'une façon générale, Haan, Kaplan et Syme (1989) nous rappellent que « [Il e lien entre le niveau socioéconomique et la santé est l'une des plus profondes et des plus constantes observations jamais faites en santé publique ». De nombreux auteurs ont tenté d'expliquer cette relation7. Des recherches mettent en évidence la persistance de nombreuses barrières qui limitent le recours aux services, notamment les barrières financières liées par exemple au coût de transport. Certaines études (McKinlay, 1975 ; Boltansky, 1971) font une large place à la différence d'attitudes et de comportements face à la santé en milieu défavorisé. D'autres insistent sur la distance culturelle entre les valeurs des professionnels et celles de leurs clients défavorisés (Paquet, 1989). En 1982, le rapport Black (Townsend
7. Voir notamment Conover (1973), Luft (1978), Colin, Lavoie et Poulin (1989).
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et Davidson, 1982) en Grande-Bretagne a proposé des explications d'ordre structurel ou matérialiste : les premières causes des inégalités de santé sont les conditions de vie et l'organisation sociale inégalitaire. Actuellement, plusieurs théories tentent de concilier ces différentes approches (en particulier matérialiste structurelle et culturelle comportementale) en soulignant que ce sont les conditions de vie qui limitent le choix du style et des modes de vie et que les comportements des individus ne peuvent pas être considérés indépendamment du contexte social dans lequel ces personnes vivent (Whitehead, 1987). Comment, en effet, faire des choix santé quand les revenus sont insuffisants, le logement précaire, voire insalubre, et que l'on vit dans des quartiers dangereux sur le plan de la circulation routière, de la violence, où les loisirs sont peu accessibles et où l'air et le sol sont pollués ? En fait, aucun groupe de facteurs ne peut expliquer à lui seul la relation pauvreté-santé et les schémas d'analyses doivent faire intervenir l'ensemble des facteurs individuels, sociaux et environnementaux, structurels ou comportementaux qui conditionnent cette relation. Dans le cas des enfants, on doit aussi considérer l'effet destructeur du cumul des difficultés, de la marginalisation, de l'exclusion, de la nonreconnaissance des parents ainsi que de la honte et de l'humiliation qui en résultent. L'isolement social et la pauvreté des parents sont de bons prédicteurs de dysharmonie dans la relation parent-enfant et, par voie de conséquence, de compromission du bien-être de l'enfant. Considérant l'impact majeur de la pauvreté, Gil (1970) va même jusqu'à dire que : « La pauvreté, bien plus que la déficience parentale, est le principal abus commis envers les enfants et sa persistance est un exemple d'un abus structuré par la société et sanctionné par elle. » DEUXIÈME DÉFI : MIEUX AGIR Comment améliorer nos interventions pour permettre aux mères, aux pères et aux enfants de rencontrer des intervenants compréhensifs et de bénéficier de programmes d'intervention efficaces ? Comment agir pour diminuer la pauvreté et ses effets ? La pauvreté est complexe et les interventions gagneront à être préventives, précoces, plurielles et multifactorielles.
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DES APPROCHES DE PRÉVENTION ET DE PROMOTION DE LA SANTÉ ET DU BIEN-ÊTRE Depuis le début du XXe siècle, avec l'évolution des connaissances, l'intervention de santé publique s'est orientée vers la prévention dont le but ultime peut être décrit comme la diminution, voire la disparition des problèmes et des maladies, par leur dépistage précoce et une intervention sur les facteurs de risque individuels. Ces risques sont essentiellement classés en cinq groupes : les facteurs endogènes ou biologiques, les habitudes de vie et les comportements, l'environnement physique, l'environnement social et économique, l'organisation du système de soins et de services. Différents travaux ont montré que c'est la multiplicité des facteurs et leurs nombreuses interactions qui influencent la santé, le développement et le bien-être et que l'approche par facteur de risque est limitée et insuffisante (Chamberlin, 1984). Appuyée sur ce constat, la promotion de la santé adopte une approche écologique qui relie l'individu, son milieu de vie familial et communautaire, de même que les conditions de son environnement physique et socioéconomique. La promotion de la santé est définie comme « le processus qui confère aux populations les moyens d'assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et de l'améliorer » (OMS, 1986, 1997). Pour cela, elle s'adresse à l'ensemble de la population ou, du moins, à l'ensemble d'un sous-groupe vulnérable plutôt qu'aux seuls individus à risque et vise l'amélioration des conditions qui structurent la santé et la qualité de vie. Elle propose d'agir sur les cinq stratégies suivantes : établissement de politiques publiques saines, création de milieux favorables, renforcement de l'action communautaire, développement des aptitudes personnelles et réorientation des services de santé. La promotion de la santé et du bien-être demande la sensibilisation de l'ensemble de la population, des décideurs et des médias d'information. Elle suppose la participation des individus et des communautés et vise une action écologique sur l'individu, son réseau et l'ensemble de la communauté. De plus, la promotion de la santé adopte une approche positive qui mise résolument sur les forces des individus et des communautés plutôt que sur leurs faiblesses. Elle vise donc à soutenir et à renforcer l'empowerment, appelé parfois « capacitation » (aider les gens à se rendre capables de faire), individuel et collectif. Sans nier l'importance des choix individuels, la promotion de la santé reconnaît que ces choix sont conditionnés par l'environnement dans lequel les individus vivent et qu'il est donc essentiel d'intervenir sur cet environnement. Par exemple, alors que des approches de prévention vont viser la réduction du tabagisme chez les femmes enceintes ou la prévention
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des traumatismes chez les enfants, la promotion de la santé cherche à mettre en place, avec les groupes communautaires et la population, de projets visant l'amélioration de leur santé, de façon très globale comme les projets du réseau Villes et villages en santé ou plus spécifique comme le programme Naître égaux - Grandir en santé (Colin, 1996). La promotion de la santé vise aussi la réduction des écarts de santé et de bien-être entre les individus et les groupes sociaux et la réduction des inégalités socioéconomiques qui les engendrent. DES ORIENTATIONS ET DES POLITIQUES Les politiques publiques sont aussi indispensables que l'intervention directe pour réduire la pauvreté et favoriser le développement des enfants. La réduction de la pauvreté Devant l'évidence et la force des effets de la pauvreté sur l'avenir des enfants, le bon sens et la logique veulent que la première chose à faire pour améliorer le développement des enfants soit de tout mettre en oeuvre pour diminuer la pauvreté et l'exclusion sociale (Colin et Moffet, 1995). Plusieurs travaux scientifiques confirment d'ailleurs cette orientation. D'une part, certains prouvent que ce qui détermine le niveau de santé globale d'une population n'est pas le revenu moyen, mais bien l'importance de l'écart qui existe entre les riches et les pauvres dans cette population (Waldmann, 1992 ; Kaplan et al., 1996). D'autre part, au terme d'une vaste révision des études sur le sujet, Duncan et BrooksGunn (1997, p. 608) concluent que : « Les programmes qui élèvent les revenus des familles pauvres améliorent le développement cognitif des enfants et peuvent améliorer leurs chances de succès sur le marché du travail à l'âge adulte. » (Traduction libre.) L'aide peut être globale ou plus spécifique (dons d'aliments) et bien sûr les effets des programmes varient en fonction de leur ampleur. Pour que l'on observe des changements sur l'avenir des enfants, les programmes d'amélioration du revenu doivent aussi être accompagnés de programmes ciblés en particulier vers la santé ou le développement des enfants. De plus, la réduction de la pauvreté s'impose aussi pour des raisons d'éthique, puisque tendre uniquement vers le développement des habiletés ou des comportements des personnes défavorisées sans vouloir éliminer les éléments qui créent leur vulnérabilité comporte des éléments pervers et entraîne le maintien d'une discrimination subtile et tenace.
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Pour toutes ces raisons, de nombreuses voix au Québec8 réclament depuis des années une intervention économique, politique et sociale visant les causes structurelles de la pauvreté et le contrôle social qui y est associé. Cette intervention requiert des actions multiples, en particulier dans le domaine de l'éducation, de l'emploi et de la prospérité. Des politiques en faveur de l'enfance À la suite du rapport Un Québec fou de ses enfants, qui proposait de multiples objectifs et pistes d'intervention afin qu'on reconnaisse à nouveau l'importance cruciale des premières années de vie dans le développement sain des enfants et des jeunes, plusieurs politiques ministérielles ou gouvernementales ont été mises en place au Québec. En 1992, monsieur Marc-Yvan Côté, alors ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, déclarait d'ailleurs lors du lancement des Orientations pour la jeunesse : « La prévention, le soutien aux parents et le développement de nos enfants doivent constituer l'affaire de tous » (MSSS, 1992a, p. 3). Les politiques et orientations données par un gouvernement guident l'action à tous les niveaux, soutiennent l'intervention sur le terrain et, en général, en donnent les moyens. Une politique familiale plus articulée Les mesures propres à la petite enfance s'inscrivent plus largement dans le cadre des trois plans d'action en matière familiale, dont le dernier, pour 1995-1997, mettait l'accent sur la prévention, la conciliation travail-famille, le soutien aux familles et l'amélioration de leur milieu de vie. S'appuyant sur ces plans d'action, le gouvernement du Québec a préparé une nouvelle politique familiale, Un pas de plus vers l'épanouissement des familles et des enfants (Ministère de la Famille et de l'Enfance, 1999), pour favoriser le développement des enfants et l'accès à l'égalité des chances. Inscrites dans cette nouvelle politique familiale, les allocations familiales sont refondues dans une formule intégrée de divers programmes financiers réunis en un seul. La nouvelle formule est orientée clairement vers les familles à très faible revenu et vise à contribuer à sortir les familles et les enfants de la grande pauvreté. En contrepartie, les allocations familiales ne sont plus versées aux familles à revenu moyen ou élevé qui ne bénéficient plus que du crédit d'impôt. 8. Parmi d'autres, Bouchard (1991), Robichaud et al. (1994).
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Une autre réforme importante concerne les services de garde pour les enfants d'âge préscolaire. L'augmentation accélérée des places en garderie est associée à la diminution des frais de garde (les places à 5 $) et à l'accès gratuit pour les enfants de 4 et 5 ans des familles à très faible revenu. De plus, les centres locaux de la petite enfance se voient confier le soin de développer les services en fonction des besoins des familles. Associés à la mise en oeuvre de programmes éducatifs et à l'extension des services de garde scolaire, ces programmes visent à mieux répondre aux besoins des enfants de milieux défavorisés. L'action combinée des gouvernements provincial et fédéral bonifie les congés parentaux qui sont allongés, notamment pour les travailleuses autonomes, plus invitants pour les pères et plus généreux. En janvier 2001, le congé de maternité pourra atteindre un an. D'autres mesures favorables aux familles sont appliquées, notamment dans les domaines du logement social et de l'équité salariale. Des politiques pour l'enfance De 1992 à 1999, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a publié quatre politiques qui touchent en tout ou en partie la petite enfance. En avril 1992 : « Maintenant et pour l'avenir.. la Jeunesse », orientations ministérielles concernant les jeunes et leur famille ; en juin 1992 Politique de la santé et du bien-être, dont 4 des 19 objectifs concernent spécifiquement l'enfance ; en mai 1993, Politique de périnatalité ; et en avril 1997 Priorités nationales de santé publique 1997-2002, dont la première concerne le développement et l'adaptation sociale des enfants et des jeunes. Durant cette période, on assiste à une cohérence et à un consensus exceptionnels autour des politiques et orientations du Québec en matière d'enfance et de jeunesse. D'une politique à l'autre, on retrouve constamment les orientations suivantes : • Agir en prévention. • Valoriser les parents et miser sur leur potentiel. • Réduire les écarts de santé. • Réduire la pauvreté. • Concilier le travail et les activités familiales. • Assumer une responsabilité collective. • Intervenir de façon concertée et coordonnée.
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Cependant, ces orientations et ces politiques si claires ne bénéficient pas toutes d'une conjoncture favorable. La première, en 1992, fait encore l'objet, comme les politiques en général jusque-là, d'un soutien budgétaire puisque le ministère de la Santé et des Services sociaux annonce l'octroi additionnel de 25 millions de dollars récurrents, dont la moitié en prévention. Dix pour cent des budgets prévus pour la Politique de santé et du bien-être devaient aussi être consacrés à la prévention. Par contre, annoncées au cours d'une période de profonde transformation et de compressions budgétaires sans précédent, la Politique de périnatalité et les Priorités de santé publique ne bénéficient d'aucun budget additionnel. Il revient aux régions de réallouer les sommes nécessaires à même les fonds dont elles disposent déjà. Il en est en pratique de même pour le budget de prévention de la Politique de santé et du bien-être, qui, comme le budget de cette politique en général, ne sera guère rehaussé au niveau ministériel et devra donc compter sur les réallocations régionales. Toutefois, les orientations pour la jeunesse, si elles n'ont pas tout à fait été dotées du budget prévu, ont tout de même bénéficié de près de 17 millions par année, dès 1994, dont 74 % en prévention. Malgré tout, les difficultés budgétaires des années 1993-1998 ont certainement limité la mise en oeuvre et l'efficacité de toutes ces politiques. Au-delà de ces difficultés, on constate, en analysant ces orientations et l'ensemble des réflexions liées aux commissions de travail mises en chantier au cours de ces années, l'établissement d'un réel consensus pour diminuer la pauvreté (et pas seulement ses effets) en intégrant davantage les politiques économiques et sociales, de sécurité du revenu, d'éducation et d'emploi, de même qu'un effort certain pour miser sur l'enfance en améliorant la qualité de vie des enfants et des familles. Bien entendu, l'impact réel de ces efforts et de ces choix est très difficile à cerner, d'autant plus que les budgets ont peu suivi et qu'il faut du temps pour que toutes ces politiques soient intégrées et mises en oeuvre dans le travail quotidien. Il faudra à tout le moins poursuivre et intensifier les efforts pour qu'ils portent des fruits... VERS DES INTERVENTIONS PLUS EFFICACES Intervenir de façon efficace auprès des enfants et de leurs parents en milieux défavorisés constitue tout un défi, les difficultés étant d'une telle multiplicité. Pour les familles de ces milieux, la priorité accordée à la santé doit souvent être reconsidérée en fonction des urgences de la survie quotidienne ; les services sont mal connus et surtout représentent une menace importante et constante, celle du signalement et du placement des enfants, qui justifie qu'on y recourt le moins possible. Pour les intervenants, le milieu
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défavorisé est source de surprise, de non-compréhension, voire de scandale. Il est aussi générateur d'un sentiment d'impuissance et de fatalité et très souvent d'un doute sur la capacité réelle des parents à élever leurs enfants. D'une façon générale, toute relation entre un professionnel et un parent, tout effort institutionnel pour rejoindre ces familles et leur offrir des services est incontestablement marqué par le pouvoir ultime conféré aux services sociaux de retirer certains enfants à leur famille (Colin et al., 1992). On doit en effet constamment se souvenir des contradictions des institutions qui, tout en offrant des services de soutien aux familles défavorisées, sont aussi génératrices de contrôle social. Au fil des ans, de plus en plus d'intervenants constatent d'ailleurs les difficultés de gérer les actions positives en faveur des familles plus démunies, du fait des contradictions entre les mandats de protection de l'enfant, de promotion des capacités parentales et de contrôle social. Il est donc facile de constater que la qualité de la relation entre les intervenants et les familles de milieux défavorisés n'est pas acquise d'emblée. Au cours des dernières années, plusieurs programmes d'intervention et de recherche ont tenté d'améliorer la santé des nouveau-nés, de prévenir les troubles de croissance et du développement des enfants, de diminuer la violence à leur égard et d'améliorer les relations parent-enfant en particulier en milieux défavorisés, et ce, en misant notamment sur l'amélioration des habiletés et des comportements des parents et des enfants. Beaucoup de ces programmes reposent sur des conditions de succès qui seront détaillées ci-dessous. Les connaissances acquises à la suite de l'évaluation de ces programmes seront ensuite examinées avant de présenter des pistes et des exigences pour des programmes prometteurs au Québec. Des conditions gagnantes Plusieurs auteurs (Bouchard, 1991 ; MSSC-Ontario, 1989 ; Forum national sur la santé, 1996 ; Julien, 1999) ont tenté de dégager les caractéristiques des interventions les plus efficaces au cours de la petite enfance, notamment en milieux défavorisés (Montreuil et Colin, 1987). Certains des traits communs relevés concernent l'organisation des programmes, alors que d'autres, essentiels, sont liés à la qualité de la relation qui s'établit entre les intervenants et les familles. D'autres enfin se rattachent à la concertation et au partenariat entre les acteurs. Les éléments clés pour la réussite et l'efficacité des interventions incluent la précocité de l'intervention (en privilégiant la période prénatale et la naissance du premier enfant), la continuité des services (par exemple un même type d'intervention en période pré- et postnatale), l'intensité du soutien (des interventions ponctuelles ou limitées ont peu
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d'intérêt), la stabilité des équipes et des programmes et leur souplesse, pour que les programmes puissent offrir aux familles les éléments qui répondent le mieux à leurs besoins. En d'autres termes, les mesures à mettre en oeuvre doivent s'inspirer de celles préconisées pour l'ensemble de la population, mais avec une intensité, une durée et des moyens de mise en oeuvre plus grands et adaptés aux situations vécues par les familles défavorisées. Bien plus, les programmes doivent favoriser activement la participation des parents. Les programmes les plus efficaces vont révéler et soutenir leur compétence parentale et les aider à se prendre en charge. Cette autonomie est d'autant plus difficile à acquérir qu'il s'agit de personnes à qui les conditions de vie imposent le plus souvent diverses dépendances par rapport à un tiers, à l'État, aux services publics et communautaires. Au-delà de ces difficultés, la participation active des familles est un important gage de réussite, qui sera d'autant plus facile à obtenir si les programmes sont conçus dans une perspective d'empowerment individuel, qui aide les personnes à mieux contrôler leurs comportements et leur environnement, et d'empowerment collectif, qui permet d'agir sur les conditions structurelles de l'environnement. Les programmes sont alors axés sur les forces des individus et des groupes, plutôt que sur leurs faiblesses, et postulent qu'une part importante des connaissances réside dans les individus et la communauté, même si leurs compétences sont souvent masquées par la dureté des conditions de vie. Les interventions efficaces vont justement contribuer à mettre au jour et à soutenir ces compétences. Dans cette perspective, les programmes doivent faire appel à la collaboration et à la participation de tout le milieu, par l'entremise de personnes significatives de l'entourage, des leaders naturels et des organismes communautaires. Comme il a déjà été mentionné, les familles pauvres sont souvent victimes de préjugés, de jugements négatifs et de méfiance, voire de rejet (Rosenfeld, 1989). Pour être efficace, une intervention doit résolument s'inscrire à contre-courant de cette tendance et permettre aux intervenants et aux familles concernées de bâtir une réelle relation de confiance. Non seulement cette relation est indispensable pour que les parents soient réellement réceptifs aux messages transmis, mais certains auteurs sont convaincus qu'elle peut être le premier pas pour développer la capacité des parents à former et à maintenir des relations solides avec les autres, y compris leurs propres enfants (Beckwith, 1988 ; Heinicke, Beckwith et Thompson, 1988; Barnard, 1998). La relation de confiance ne peut qu'être basée sur le profond respect des individus, de leur dignité et de leurs valeurs et sur le non jugement. Pour cela, l'intervenant est amené à prendre conscience de l'écart qui existe entre ses propres valeurs et celles des parents issus d'un milieu défavorisé et à accepter de soutenir les
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parents dans leur propre cheminement. Cette attitude requiert d'apprendre à décoder constamment ce que vivent les familles, pour comprendre leurs attitudes et leurs comportements. Un exemple parmi d'autres peut illustrer le décalage entre les valeurs des familles défavorisées et celles des intervenants ou, plus précisément, la façon dont ces valeurs sont traduites dans le quotidien. Ainsi Louise, une intervenante, s'étonnait, voire se scandalisait du comportement de Madeleine, une jeune maman très démunie, qui tout en faisant appel à elle pour de l'aide matérielle, venait d'acheter à sa fille, à crédit et à fort prix, une superbe poupée sous la pression d'un vendeur itinérant. A priori on peut comprendre l'indignation de Louise. Mais il est tout aussi facile de comprendre le comportement de Madeleine. Cette poupée, qui a immédiatement illuminé les yeux de sa fille, est pour elle un moyen immédiat et concret de prouver à sa fille son affection, d'oublier un instant toutes leurs difficultés et de croire alors que toutes deux sont « comme tout le monde ». Considérant son budget, elle sait aussi que de toute façon il est déjà lourdement hypothéqué avec ou sans cet achat. Les vendeurs itinérants connaissent bien cette réalité et la plus faible résistance à la pression de ces familles, dont ils profitent largement. Cette réflexion (sur les valeurs) va permettre à l'intervenant de modifier profondément son attitude en acceptant les femmes (les parents) de ce milieu avec leurs différences, en considérant non seulement les aspects de leur vie qui semblent négatifs (les habitudes alimentaires ou tabagiques néfastes, la violence, etc.) mais aussi et surtout ceux qui sont positifs (la volonté de s'en sortir, les efforts réalisés qui paraissent d'autant plus importants qu'on considère le poids des difficultés quotidiennes, etc.) ... Tout ce cheminement va permettre aux intervenants d'établir avec les femmes (les parents) une relation de confiance, véritable pierre angulaire de leur intervention. La relation doit être [...] établie sur le respect et la dignité, qui bannit les jugements de valeur et les condamnations a priori. Elle n'est alors plus menaçante (Colin et Desrosiers, 1989, p. 84). Il en découle un réel partenariat entre intervenant et familles qui évite les excès du contrôle social et jette les bases de la réduction de l'exclusion sociale. Le développement et le renforcement de ces attitudes s'appuient bien sûr sur la personnalité de l'intervenant et notamment sur ses qualités de sensibilité, de flexibilité, d'empathie et d'engagement, mais ils doivent aussi bénéficier d'une formation enracinée dans la connaissance de ce que vivent les personnes défavorisées, sur le soutien d'une équipe et celui des supérieurs hiérarchiques. Enfin, la complexité des problèmes des familles est telle qu'une action isolée est souvent insuffisante. C'est pourquoi tous les intervenants, quelle que soit leur profession ou leur institution, sont en quelque sorte
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condamnés à travailler à plusieurs pour être efficaces. Qu'il s'agisse des professionnels de différentes professions au sein d'une même institution, des intervenants de professions ou d'institutions différentes du même secteur de la santé et des services sociaux ou encore des intervenants d'institutions de secteurs différents ou de milieux différents, par exemple public ou communautaire, le partenariat et la concertation, la mobilisation et l'engagement de tous les acteurs constituent une clé d'efficacité et de succès. Cependant, se concerter pour travailler ensemble n'est pas toujours évident ou facile, puisque ni la formation reçue, ni l'organisation du travail n'y invitent en général. Le respect mutuel des connaissances et des compétences et l'ouverture au dialogue sont des préalables incontournables. Mais il faut aussi que chaque partenaire clarifie ses objectifs individuels et institutionnels et soit prêt à faire confiance aux autres partenaires. En plus des conditions personnelles, quelques conditions structurelles de succès de l'action intersectorielle ont été mises en évidence (Fortin et al., 1991; Martin, 1991). Il reste qu'il faut encore mieux connaître et mieux comprendre les processus d'action concertée pour élaborer de nouvelles dynamiques de relations « gagnant gagnant » entre les partenaires. Des expériences à poursuivre Depuis une dizaine d'années, des programmes qui s'appuient en tout ou en partie sur les conditions précédentes ont été mis en oeuvre (Forum sur la santé, 1996). Ils visent en général l'amélioration des habiletés et des comportements des parents et des enfants et celle de la qualité de leurs relations. Se fondant sur l'observation et le bon sens, on a convenu que le soutien à la petite enfance passe à la fois par la disponibilité de services de garde y compris des haltes-garderies, par des mesures d'accompagnement parental, le plus souvent avec visites à domicile par des infirmières ou des non-professionnelles (généralement des mères plus expérimentées de la même communauté), et par des programmes de stimulation infantile, qu'ils aient lieu dans des garderies, à la maison ou dans tout autre lieu pertinent. Il existe de nombreux programmes, en Amérique du Nord ou en Europe, plus ou moins définis et plus ou moins étendus. Les programmes globaux sont généralement conçus comme s'adressant à l'ensemble des besoins des femmes enceintes et des parents, et pas seulement à un secteur spécifique de leur vie comme l'alimentation ou le stress par exemple, et mettant généralement à profit les ressources des parents et celles de leur environnement. Ces programmes offrent à la fois une intervention directe de conseil et de soutien à la santé de la future mère, au développement des enfants et au rôle parental, du soutien social et matériel et un accompagnement vers les services publics et les ressources
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communautaires. Malgré une similitude d'approche, ils sont tous différents en ce qui concerne l'intensité et la durée de l'intervention, le choix de la population cible, plus ou moins défavorisée, et des intervenants. Les premières évaluations de certains de ces programmes ont montré au début des années 1990 plusieurs effets très positifs. Certains réduisaient la mortalité et possiblement la morbidité (prématurité et insuffisance de poids à la naissance) en période prénatale (Sokol et al., 1980 ; Peoples, Grimson et Daughtry, 1984 ; Buescher et al., 1987), tandis que plusieurs programmes de visites à domicile pré- et postnatales obtenaient des résultats globalement positifs. C'est le cas en particulier du programme de David Olds à Elmira dans l'État de New York. L'évaluation révèle une amélioration des comportements alimentaires et une diminution de la prématurité chez les très jeunes mères et chez les fumeuses. Quant aux enfants, ils sont plus stimulés, moins punis, plus éveillés, moins victimes de traumatismes et d'ingestions accidentelles, d'agression et de négligence et se retrouvent moins souvent dans les services d'urgence. De plus, le programme aide les mères à espacer les naissances, à être autosuffisantes et à retourner sur le marché du travail. On retrouve chez elles moins de consommation de drogues et de comportements criminels (Olds, Henderson, Tatelbaum et Chamberlin, 1986 ; Olds, Henderson, Chamberlin et Tatelbaum, 1986). Quant aux enfants, treize ans après la fin du programme, on observe moins d'arrestations et de condamnations à l'âge de 15 ans, moins de tabagisme et d'abus d'alcool et moins de partenaires sexuels. D'une façon générale, les résultats des programmes d'intervention préscolaire qui s'adressent aux enfants eux-mêmes, et souvent aussi à leurs parents, sont également positifs en ce qui concerne le développement intellectuel et psychosocial des enfants. C'est le cas par exemple des programmes Head Start ou du Perry Preschool Program qui aide à prévenir la délinquance, les grossesses à l'adolescence, l'échec scolaire et le non-emploi (Berrueta-Clément et al., 1984 ; Burchinal, Lee et Ramey, 1989). Au fur et à mesure que les évaluations se précisent et se raffinent (en particulier en utilisant des protocoles de répartition des personnes au hasard entre le groupe bénéficiant du programme et le groupe témoin), il apparaît toutefois que nous devons être plus réalistes dans nos attentes par rapport à ces programmes. D'une part, les programmes globaux d'intervention prénatale, au-delà des difficultés de comparaison liées à des données d'évaluation souvent incomplètes, tout en obtenant certains résultats sur l'alimentation ou la dépression des mères, ne semblent pas efficaces pour diminuer le taux de petit poids de naissance (Stevens-Simon et Orléans, 1999). D'autre part, les programmes de visites à domicile pré-et postnatales ne semblent pas tous obtenir les résultats anticipés. Si
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certains, comme celui d'Olds à Elmira, obtiennent incontestablement de bons résultats à long terme (Olds et al., 1999), le même programme reproduit ailleurs ou d'autres programmes de même inspiration, soumis à des protocoles rigoureux d'évaluation, ne semblent pas donner les mêmes résultats. Les programmes semblent réussir dans l'ensemble à enrôler et à retenir les familles ciblées (qui sont d'ailleurs différentes d'un programme à l'autre et pas toujours défavorisées), mais les effets positifs sont souvent plus modestes. On ne les retrouve que dans un sous-groupe de familles et pour une partie seulement des objectifs (Gomby, Culross et Behrman, 1999). Comment interpréter tous ces résultats ? D'abord, il convient d'être prudent et de ne pas «jeter le bébé avec l'eau du bain », pour reprendre une expression populaire imagée. Surtout, il ne faut pas perdre de vue l'essentiel. Avant de conclure, on doit d'abord vérifier si les programmes ont été implantés comme ils devaient l'être. En effet, plusieurs évaluations constatent que, pour certains d'entre eux, des problèmes de qualité (implantation incomplète ou différente de la planification, intensité différente de celle prévue, etc.) auraient pu mettre en péril leur potentiel de réussite. Par ailleurs, il faut s'assurer que les protocoles d'évaluation, tout en étant rigoureux, sont capables de déceler les effets positifs recherchés, puisque la faible fréquence de certains problèmes nécessite un très grand effectif. De façon plus générale, il est possible que des résultats soient obtenus sans être mesurés, sur des variables intermédiaires moins étudiées, comme l'estime de soi, ou à plus long terme ou pour l'enfant suivant, ce que les contraintes de l'évaluation ne permettent pas toujours de rechercher. En somme, à la lumière des connaissances actuelles, il apparaît que, d'une part, les besoins des enfants et des familles particulièrement en milieux défavorisés sont réels et constants et que, d'autre part, les objectifs et les composantes globales des programmes font suffisamment consensus pour qu'on laisse à ces programmes la chance de faire leurs preuves. C'est d'ailleurs le sens des recommandations formulées par les auteurs des synthèses d'évaluations récentes de programmes prénatals ou de visites à domicile (StevensSimon et Orléans, 1999 ; Gomby et al., 1999). Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de place pour l'amélioration de ces programmes, bien au contraire. Ainsi, on recommande en période prénatale de bien intégrer dans le programme les mesures qui ont un impact documenté, bien que modeste, pour des facteurs de risque spécifiques modifiables et des populations cibles bien circonscrites (par exemple l'alimentation et la lutte contre le tabagisme). En ce qui concerne les visites à domicile, on recommande d'améliorer la qualité des programmes existants. On suggère également de les financer de façon suffisante et de poursuivre les évaluations
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de ces programmes que l'on doit considérer comme partie d'un ensemble plus complet de services qui doit aussi comprendre des interventions directes de stimulation auprès des enfants. Surtout, il nous faut reconnaître les limites inhérentes à nos actions et fixer des attentes plus réalistes face au succès de programmes qui finalement ne sont proposés que pendant quelques heures, même si elles se comptent en dizaines, à des familles aux prises avec des difficultés et des tensions énormes depuis des années, voire des générations. Aussi bons et nécessaires soient-ils - et il ne faut pas négliger la valeur de leurs résultats, même modestes -, ces programmes ne peuvent à eux seuls changer radicalement la vie des familles aux prises avec la pauvreté ni remédier à ses effets dévastateurs, si des actions plus globales, intersectorielles, ne sont pas prises pour réduire de façon notable cette pauvreté. Duncan a d'ailleurs bien montré qu'un des meilleurs prédicteurs de la capacité et du développement de l'enfant est le revenu familial (Duncan et Brooks-Gunn, 1997). Au Québec En s'appuyant sur les recommandations du rapport Bouchard et sur les orientations des politiques d'une part, et sur les connaissances développées dans la littérature scientifique, d'autre part, on a implanté plusieurs programmes au Québec depuis une dizaine d'années dans le domaine de la petite enfance. Ces programmes sont nombreux et variés. Sans les citer tous, on peut mentionner les programmes OLO, qui comportent un soutien alimentaire et une intervention renouvelée pour les femmes enceintes, De la Visite qui implique des mères visiteuses non professionnelles, les Maison des enfants, Maison des Parents et carrefours familiaux, Y a personne de parfait, Naître égaux - Grandir en santé, 1,2,3, GO ! et les programmes d'intervention précoce. En particulier, le programme intégré de prévention et de promotion de la santé, Naître égaux - Grandir en santé, a débuté il y a près de dix ans dans des CLSC de l'Est de Montréal et en Abitibi à l'initiative de la Direction de la santé publique de Montréal-Centre avec la collaboration de celle de l'Abitibi et des organismes communautaires des quartiers ciblés. Sur la base des Priorités nationales de santé publique 1997-2002, ce programme est maintenant étendu à d'autres secteurs, en particulier à Montréal, et fait l'objet d'une diffusion provinciale. Ses objectifs ont été décrits dès le départ (Programme intégré..., 1992-1993) comme la réduction des inégalités et l'amélioration de la santé et de la qualité de vie des nouveau-nés et de leurs parents, d'une part, et l'action sur les conditions et les habitudes de vie de ces familles, la densité de leur réseau de soutien, leur accessibilité aux services, d'autre part. Visant les familles les plus défavorisées en situation chronique d'extrême pauvreté, le programme offre une continuité
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de services en période prénatale et postnatale jusqu'à deux ans pour le moment (éventuellement jusqu'à cinq ans). Ce programme comporte de multiples cibles, de l'individu à l'environnement global, et fait appel à trois stratégies de promotion de la santé décrites ci-dessous : le renforcement du potentiel individuel, le renforcement du milieu et l'influence médiatique et politique9. Dès la période prénatale, une intervenante privilégiée, le plus souvent une infirmière, établit une relation de confiance avec la femme enceinte et son réseau d'entraide naturel. Soutenue par une équipe interdisciplinaire (comprenant notamment, outre les infirmières, un travailleur social et parfois une nutritionniste, un médecin, une auxiliaire familiale ou un organisateur communautaire), cette intervenante offre un soutien global par des visites à domicile effectuées toutes les deux semaines pendant la grossesse et la période postnatale. L'intervention est modulée en fonction des besoins des mères et des enfants. Les suivis individuels, notamment en période prénatale, comportent plusieurs composantes (soutien de santé, soutien nutritionnel, psychosocial, éducatif, économique, etc.). Dans le prolongement des suivis individuels, les intervenantes, réunies en équipe multidisciplinaire, s'efforcent de comprendre les difficultés des familles, de reconnaître leurs forces et de trouver les solutions avec le milieu. Les familles sont aussi dirigées vers divers groupes communautaires (ateliers parents-enfants, cuisines collectives, etc.) qui jouent un rôle déterminant dans la lutte contre l'isolement et dans l'intégration sociale des familles. Des regroupements locaux d'action intersectorielle, dont les CLSC et la Direction de la santé publique, voient à la création ou à la consolidation des ressources communautaires en vue d'améliorer les conditions de vie des familles, d'accroître le soutien parental et la stimulation infantile. La consolidation des ressources et des services devrait également avoir des retombées pour l'ensemble des familles du quartier. Une action d'influence médiatique et politique pour améliorer les conditions de vie des familles est aussi entreprise. Naître égaux - Grandir en santé a fait l'objet de plusieurs projets d'évaluation commencés en 1991, dont certains sont déjà disponibles (évaluations de mise en oeuvre [Boyer et Parisien, 1998 ; Perreault et al., 2000]) et dont les autres devraient l'être en 2000 (évaluation de l'empowerment pour les familles [Ouellet et al., 20001, évaluation des effets du volet
9. Un résumé du programme figure dans les Priorités nationales de santé publique 1997-2002 (1997), p. 42. Pour une description détaillée, voir Martin, Boyer et al. (1995), ainsi que les autres documents et outils publiés par le ministère de la Santé et des Services sociaux ou la Direction de la santé publique de Montréal-Centre.
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prénatal) ou plus tard (étude sur le soutien social et étude des effets du programme pré- et postnatal sur la compétence maternelle). On peut déjà affirmer que le programme, au terme d'efforts exigeants de recrutement, réussit à joindre les femmes très défavorisées qu'il cible. Près de 98 % des femmes recrutées sont en situation d'extrême pauvreté (Théorêt et al., 2000) et une très grande partie d'entre elles ne faisaient pas partie de la clientèle connue des CLSC. Le programme a montré sa capacité à mobiliser les milieux et a introduit de réels changements d'attitudes et de pratiques dans l'intervention. La relation de confiance permet de changer la façon dont les personnes défavorisées perçoivent les intervenants. Moins menaçants, ceux-ci deviennent des alliés susceptibles d'apporter de l'aide et du soutien. Les personnes rejointes sont généralement très satisfaites du programme, qu'elles n'abandonnent pas. D'ores et déjà, les évaluations ont enrichi les connaissances et conduit à l'amélioration des interventions. Dans les prochains mois, il sera possible d'obtenir d'autres résultats de l'évaluation et de procéder aux ajustements nécessaires. CONCLUSION L'amélioration de la santé et du développement des jeunes enfants, particulièrement en milieux défavorisés, est un défi de société majeur. Il exige que nous nous donnions ensemble des objectifs communs et que nous travaillions en concertation, en nous appuyant sur les connaissances scientifiques et les expériences disponibles. Actuellement, les interventions prometteuses visent à la fois le soutien des compétences des parents et des enfants, par une action centrée sur les familles et bâtie sur l'instauration d'une véritable relation de confiance avec elles, et le soutien des compétences du milieu par une action d'empowerment dont le but ultime est la réduction de la pauvreté. Des programmes soignés de formation aideront les intervenants à agir dans ce sens et des programmes d'évaluation à court et à long terme permettront de reconnaître puis d'appliquer largement les interventions gagnantes. Ce vaste programme nécessite de la part de chacun un dynamisme et un engagement qui s'inscrivent dans la durée et dans l'avenir, pour que les enfants, surtout ceux qui en ont le plus besoin, puissent grandir en santé et dans le bien-être au sein de leurs familles.
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ÇA PREND TOUT UN VILLAGE POUR ÉLEVER UN ENFANT Une approche écologique visant le développement des enfants
DOMINIQUE DAMANT, Ph. D. École de service social, Université Laval MARIE-ANDRÉE POIRIER, Ph. D. Institut universitaire de recherche pour le développement social des jeunes, Centres jeunesse de Montréal JACQUES MOREAU, Ph. D. École de service social, Université de Montréal
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RESUMÉ Dans la région de Montréal, il existe actuellement un projet d'action communautaire dont l'objectif principal est de promouvoir le bien-être et le développement des tout-petits et de leurs parents. Il s'agit de l'initiative 1,2,3 GO !, parrainée par Centraide du Grand Montréal et ses partenaires. Dans l'élaboration de ses objectifs, l'initiative 1,2,3 GO ! s'appuie sur le modèle écologique, c'est-à-dire que l'on considère le développement des enfants comme le produit des interactions entre l'enfant et son environnement familial ou de garde, mais aussi comme émergeant d'un ensemble de conditions qui exercent une influence sur son environnement immédiat. La première partie présente la perspective écologique au travers de ces origines, ces postulats de base, ces principaux niveaux écologiques ainsi que sa lecture du développement des enfants. La seconde partie porte essentiellement sur la présentation du projet 1,2,3 GO !, ces principes directeurs, ces objectifs et ces différentes actions visant des objectifs écologiques.
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Les enfants comme les adultes vivent dans des systèmes ouverts qui s'influencent mutuellement: leur vie scolaire est affectée par leur vie familiale, leur vie sociale se répercute sur leur vie familiale. Les problèmes de leurs parents au travail ou au bureau de l'aide sociale rebondissent à la maison; les tensions familiales perturbent leur rendement à l'école. Tout se tient !... Un Québec fou de ses enfants, Rapport du groupe de travail pour les jeunes (1991, p. 149) Ça prend un village pour élever un enfant. Ce vieux proverbe africain démontre bien comment l'approche écologique conçoit le développement humain. Dans ce chapitre, 1,2,3 GO!, un projet d'intervention communautaire visant à donner à des tout-petits et à leurs parents un environnement bienveillant et sécuritaire, servira d'exemple pour présenter l'approche écologique. La première partie présentera, d'un point de vue théorique et pratique, l'approche écologique. La seconde partie sera consacrée à la présentation du projet 1,2,3 GO ! LA PERSPECTIVE ÉCOLOGIQUE LES ORIGINES ET POSTULATS DE BASE DE L'ÉCOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT HUMAIN La perspective écologique considère l'être humain à la fois comme un organisme biologique et comme un être social en interaction constante avec son environnement. Le concept d'écologie est utilisé pour la première fois vers le milieu du XIXe siècle par Haeckel, un zoologiste allemand. Selon Haeckel (1869), les êtres vivants (tant animaux qu'humains) sont le produit d'une coopération entre l'environnement et l'hérédité organique. Haeckel est l'un des premiers à promouvoir une science qui étudie les liens entre l'individu et son environnement. Vers la fin du siècle, Ellen Swallow Richards, une chimiste américaine, considère que les connaissances scientifiques doivent servir à améliorer la vie des êtres humains. Selon elle, les environnements sociaux et physiques sont interdépendants et ils influencent le comportement humain, le développement ainsi que la qualité de vie. À son avis, l'environnement fournit à l'individu des ressources dont il a besoin pour se développer et il est possible de modifier et d'améliorer l'environnement afin de favoriser le bien-être des individus. Richards est considérée comme l'une des pionnières du mouvement écologique.
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On doit attendre le début du XXe siècle pour observer, dans le domaine des sciences humaines (sociologie, géographie, anthropologie, psychologie, science politique), les premiers travaux qui reconnaissent l'interaction et l'interdépendance des humains et de leur environnement. Dans ce domaine, on s'intéresse principalement à l'adaptation des humains à leur environnement. Selon Tessier (1989), la notion d'adaptation est cruciale, car l'environnement est instable ; de nombreux événements viennent perturber l'équilibre entre l'individu et son environnement. L'écologie humaine, comme on en vient à appeler l'écologie appliquée aux êtres humains, s'intéresse donc aux interactions entre l'individu et son environnement. De façon plus spécifique, des auteurs tels que Gregory Bateson et Urie Bronfenbrenner appliquent les concepts d'interaction et d'interdépendance entre l'individu et l'environnement au développement humain. Ils soulignent la nécessité d'étudier celui-ci dans son environnement. Selon cette perspective, il faut reconnaître que l'individu se développe dans un environnement complexe dont les différents niveaux sont inter-reliés. La perspective écologique (ou l'écologie du développement humain) conçoit que l'enfant se développe en interrelation avec un ensemble de systèmes, tous en interaction les uns avec les autres ; certains qui touchent directement l'enfant (famille, centre de la petite enfance, école), d'autres qui influencent indirectement (milieu de travail du parent). Ces influences, directes et indirectes, sont également susceptibles d'être différentes et de changer avec le temps ; c'est l'aspect dynamique et temporel. On considère comme environnement la totalité des systèmes biologique, physique, social, économique, culturel et politique qui entourent l'être humain. Bronfenbrenner (1979) définit l'environnement comme un ensemble de structures qui s'emboîtent les unes dans les autres (telles des poupées russes) et qui s'influencent réciproquement (voir figure 12.1). Il décrit cinq niveaux de systèmes, soit l' ontosystème, le microsystème, le mésosytème, l'exosystème et le macrosystème ; il ajoutera le chronosystème quelques années plus tard. Dans la partie suivante, nous définirons chacun de ces systèmes et en donnerons des illustrations concrètes. LES PRINCIPAUX NIVEAUX ÉCOLOGIQUES En 1979, dans son livre The Ecology of Human Development: Experiments by Nature and Design, Bronfenbrenner définit les cinq premiers niveaux systémiques. L'ontosystème peut être défini comme l'ensemble des caractéristiques d'un individu, qu'elles soient innées ou acquises, par exemple : l'âge, le sexe, les compétences, la présence d'un handicap, les habiletés et les déficits.
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Figure 12.1 Les principaux niveaux écologiques
Le microsystème renvoie au milieu de vie immédiat de la personne. Un individu évolue dans différents microsystèmes comme la famille, l'école, le milieu de travail. Chacun d'eux est constitué des activités, des rôles et des relations interpersonnelles présents dans un environnement particulier. Pour un enfant, le principal microsystème est sa famille. L'étude du microsystème familial peut viser de multiples aspects, tels que l'environnement physique (la maison, le quartier), le climat, la structure familiale et la qualité des compétences parentales. Le mésosystème est constitué des interactions entre les différents microsystèmes (famille, école, milieu de travail) dans lesquels une personne engage des activités. Il ne s'agit pas d'un lieu, à proprement parler, mais plutôt des liens entre ces différents lieux, par exemple les relations entre la famille et l'école, le voisinage, les réseaux sociaux (Tessier et Bouchard, 1987). Selon Bronfenbrenner (1979), l'étendue et la diversité des liens entre les différents microsystèmes sont de bons indices de la richesse ou de la pauvreté du mésosystème d'un individu. L'exosystème correspond aux environnements dans lesquels la personne n'est pas directement engagée, mais dans lesquels les événements qui se déroulent affectent cette personne. Pour un enfant, il peut s'agir
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des décisions concernant la distribution des services dans une communauté, les services de garde ou, encore, ce qui se produit dans le milieu de travail du parent. Le macrosystème fait référence aux valeurs, aux croyances et aux idéologies présentes dans une société. À ce titre, les valeurs et les pratiques culturelles, qui varient d'une communauté à l'autre, ont une incidence non négligeable sur le développement des enfants (Belsky, 1993 ; Ogbu, 1981 ; Rivera et Rogers-Adkinson, 1997). Il en est ainsi, par exemple, des attentes différentes que les parents entretiennent envers les garçons et les filles. Le dernier système défini par Bronfenbrenner fait référence au temps, c'est le chronosystème. Selon lui, les changements et les continuités que l'on observe dans l'environnement d'un individu sont liés au temps. Certains environnements sont constitués de facteurs qui ont, par leur action, des influences directes sur le développement des enfants, comme l'interaction parent-enfant. Ce sont des environnements proximaux, c'est-à-dire les différents contextes écologiques qui se situent à proximité de l'enfant. D'autres sont considérés comme distaux, parce que l'action des facteurs sur le développement des enfants ne passe pas par un processus direct d'influence au sein du microsystème, mais plutôt par les effets indirects à travers d'autres niveaux de systèmes (ex.: le mésosystème). Par exemple, la possibilité pour les parents d'avoir accès à une garderie en milieu de travail allège l'horaire de la journée et augmente le temps passé avec l'enfant. Ainsi, le nombre, la qualité et la nature des interrelations entre les facteurs proximaux et distaux tout au long des divers niveaux de systèmes sont décisifs pour le développement humain. Contrairement à d'autres approches plus normatives, l'approche écologique se fonde sur un engagement. Tout comme Ellen Swallow l'a précisé, la science doit servir à améliorer la qualité de vie des personnes, et en ce sens l'approche écologique préconise un environnement qui favorise le développement des enfants. Sans nier le rôle crucial des parents, on considère que la société a aussi un rôle important dans la promotion du bienêtre des enfants. C'est ici que l'on retrouve le sens profond du proverbe africain qui a donné le titre à ce chapitre, « Ça prend un village pour élever un enfant ». Nous verrons dans la partie suivante comment est perçu le développement des enfants dans une perspective écologique. LECTURE ÉCOLOGIQUE DU DÉVELOPPEMENT DES ENFANTS Comme nous venons de le voir, la perspective écologique considère le développement des enfants comme le produit des interactions entre l'enfant et son environnement immédiat (familial ou de garde), mais aussi comme
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émergeant d'un ensemble de conditions qui exercent une influence sur son environnement. En d'autres termes, selon cette perspective, l'environnement ne détermine pas le comportement humain, mais il lui impose des limites et des contraintes autant qu'il lui fournit des possibilités. On reconnaît que le type et la nature des premières expériences de l'enfant avec le monde extérieur sont des facteurs importants agissant sur le cours de son développement futur. À ce titre, la petite enfance est une étape cruciale où la qualité des soins reçus, le mode d'interaction proposé, de même que l'éventail des opportunités de stimulation offertes dans l'environnement physique et social, exercent une influence très marquée sur l'évolution de l'enfant (Bornstein, 1995). De nombreuses études ont démontré que la pauvreté a de graves conséquences sur le développement des enfants. Les conditions économiques dans lesquelles vivent les familles ont une influence sur le développement et le bien-être des enfants. Les familles touchées par la pauvreté se caractérisent par une incidence élevée de mortalité des poupons (Colin et al., 1992), par un taux élevé de prématurité et de bébés de petit poids (Martin et Boyer, 1995) et par une proportion plus grande d'échecs et d'abandons scolaires, de difficultés d'apprentissage et de troubles du comportement (Bouchard, 1994 ; Ramey et Ramey, 1998). On a également établi un lien entre le stress produit par la pauvreté et les conduites violentes ou négligentes des parents envers les enfants (Chamberland, Bouchard et Beaudry, 1987). En plus des conditions de vie des parents, les pratiques éducatives utilisées, le niveau d'engagement des parents envers l'enfant ainsi que l'aménagement du milieu quotidien afin de stimuler l'enfant semblent des éléments particulièrement importants (Bradley, 1995 ; McLoyd, 1998). Les parents qui sont sensibles aux capacités de l'enfant et qui adoptent des pratiques parentales positives (parler à l'enfant, l'instruire, souligner ses réussites, jouer avec lui, établir des règles de fonctionnement à la maison, demeurer constants dans la discipline, etc.) permettent à l'enfant de développer sa confiance en soi, son autonomie ainsi que des compétences sociales et cognitives (Belsky, 1993 ; McLoyd, 1998). Cela souligne l'importance de ce qui se passe dans le microsystème. Toutefois, nous ne devons pas perdre de vue que les conduites des parents ne sont pas indépendantes de ce qui se passe dans l'environnement des familles, c'est-à-dire qu'elles sont à leur tour influencées par d'autres facteurs présents dans l'environnement immédiat ou plus distant des familles. En effet, les conduites spécifiques des parents s'avèrent étroitement liées à leur statut socioéconomique. Lorsqu'on les compare à des parents qui vivent dans une situation de pauvreté, on constate que les
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parents ayant un revenu moyen procurent plus d'opportunités de stimulations quotidiennes variées, plus de matériel de jeu approprié à l'âge de l'enfant (McLoyd, 1998) et adoptent plus de pratiques éducatives parentales favorables au bon fonctionnement de l'enfant (Trudelle, 1991). De nombreuses sources de stress économique et social affectent le bien-être et la santé des parents, ce qui par conséquent réduit leur patience, leur tolérance et leur sensibilité aux besoins de l'enfant (Bornstein, 1995). Tout un courant de recherche a également démontré l'importance des croyances et des connaissances que possèdent les parents, notamment par rapport aux stades généraux du développement de l'enfant, sur les conduites efficaces qu'ils adoptent envers leurs enfants (Applegate, Burleson et Delia, 1992). Ici encore, on mentionne que les parents en contexte socioéconomique favorisé ont plus tendance à valoriser la curiosité, l'initiative et l'indépendance de leur enfant et à adopter une conception voulant que l'enfant joue un rôle actif dans son développement (HoffGinsburg, 1995). À l'opposé, les parents issus d'un milieu socioéconomique défavorisé valorisent davantage l'obéissance et la conformité aux normes sociales, ils ont tendance à percevoir plus passivement le rôle que joue l'enfant dans son évolution, et ils peuvent avoir des attentes irréalistes face aux capacités de l'enfant. En plus d'être influencées par le statut socioéconomique des parents, les croyances et les connaissances parentales s'inspirent donc largement des valeurs culturelles dominantes (Bornstein, 1995 ; Unger et Nelson, 1990-1991). Ces éléments constituent des exemples de l'influence du macrosystème, c'est-à-dire des croyances, des valeurs et des idéologies présentes dans une culture ou une sous-culture. Les croyances et connaissances parentales ne sont pas l'unique facteur rattaché aux pratiques éducatives ; la conviction du parent d'être capable d'accomplir avec compétence les activités nécessaires aux soins et à l'éducation de l'enfant s'avère aussi une variable déterminante (Schneewind, 1995). Bandura (1986) a mis en évidence le rôle médiateur du sentiment d'autoefficacité, ou du sentiment d'adéquation entre les connaissances et le comportement d'un individu. Les personnes dont le sentiment d'autoefficacité est élevé ont tendance à persister et à utiliser leurs ressources et leurs connaissances dans une tâche donnée jusqu'à ce qu'ils réussissent, alors que celles ayant un sentiment d'autoefficacité faible vont plus souvent abandonner prématurément. Par exemple, un parent connaissant des moyens efficaces pour consoler un enfant en détresse peut en être incapable parce qu'il doute de ses capacités à le faire. Par ailleurs, les conduites parentales sont modulées par le soutien social que reçoivent les parents. En effet, il existe actuellement un consensus quant à l'impact positif du soutien social reçu sur la santé
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(physique et psychologique) des individus (Camirand, Massé et Tousignant, 1995 ; Dunst et Trivette, 1990), sur les pratiques éducatives utilisées par les parents et plus particulièrement pour ceux vivant dans la pauvreté, sur le sentiment d'efficacité parentale (Martin et Boyer, 1995), le développement et le bon fonctionnement des enfants1. Les résultats d'une vaste enquête menée aux États-Unis auprès de 1035 parents suggèrent que les familles qui reçoivent du soutien pour les soins à donner aux enfants rapportent avoir des pratiques éducatives plus affectueuses et soutenantes envers leur enfant (Hashima et Amato, 1994). Ces pratiques renvoient notamment à des caresses ou à des étreintes ainsi qu'à des paroles de louanges adressées à l'enfant. De surcroît, ces parents utilisent moins de comportements punitifs. D'autres auteurs (Bornstein, 1995 ; Martin et Boyer, 1995) soulignent que les parents ayant un réseau social soutenant possèdent un sentiment de compétence parentale plus élevé. Ces parents se montrent également plus disponibles et plus sensibles aux besoins de leur enfant, ils ont des relations plus positives avec ce dernier, lui procurent plus de possibilités de stimulation. Quant aux enfants, ils semblent démontrer de meilleures compétences sociales et cognitives, en plus d'être perçus plus heureux et épanouis que les enfants issus de familles avec un réseau social plus faible (Corse, Schmid et Trickett, 1990). Comme on vient de le voir, le soutien social influence directement la santé et le bien-être des parents ainsi que leurs comportements à l'égard de leur enfant. Cet impact bénéfique auprès des parents agit par ricochet sur le développement des enfants. Le soutien social s'avère donc particulièrement crucial pour le bien-être des parents et de leurs enfants. Nous venons de voir qu'une perspective écologique du développement des enfants permet de souligner l'importance de réunir un ensemble de conditions afin de favoriser le développement des enfants. Cette vision, telle qu'elle a été conceptualisée par Bronfenbrenner (1979), véhicule également des valeurs d'action, comme travailler à modifier les environnements au sens proximal et distal, dans le but d'améliorer le mieux-être des individus. Dans cette optique, les actions suggérées par l'approche écologique militent en faveur de l'intervention précoce au travers des différents systèmes afin de favoriser le développement des tout-petits. Il faut créer ou renforcer un environnement stimulant, bienveillant et sécuritaire pour l'ensemble des membres de la famille. Dans la partie suivante, nous présentons un exemple de programme communautaire mis en oeuvre dans une perspective écologique. 1. Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, ELNEJ, 1996.
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L'INTERVENTION COMMUNAUTAIRE 1,2,3 GO ! 1,2,3 GO ! PRINCIPES DIRECTEURS ET OBJECTIFS L'initiative 1,2,3 GO ! se situe dans la longue tradition des interventions communautaires d'abord conçues dans le contexte des programmes américains de lutte contre la pauvreté des années 1960 (Halpern, 1993). Ces programmes reconnaissaient que le système social peut nuire aux chances des très jeunes enfants de milieux défavorisés de se développer de façon optimale. Comme nous venons de le voir, la pauvreté a de graves conséquences sur le développement des enfants. Puisque l'individu est lié à son environnement, les stratégies d'action entreprises pour contrer les effets négatifs de la pauvreté doivent inclure des objectifs visant la modification des conditions de vie des familles. C'est dans cette optique qu'en novembre 1993 Centraide réunissait plusieurs partenaires de la région du Grand Montréal dans le but de définir et de mettre en oeuvre un projet communautaire de promotion du bien-être des tout-petits. C'est ainsi qu'est né 1,2,3 GO ! Au printemps de 1994, ce groupe appelé le comité de suivi a fait connaître les principes directeurs du projet : mobilisation de la population, concertation des ressources, démarchage auprès des familles plus vulnérables, action directe auprès des tout-petits, soutien aux parents et soutien aux intervenants. Ce projet dont le but ultime est de contribuer au développement des enfants de 0 à 3 ans de communautés défavorisées poursuit trois buts complémentaires : 1) promouvoir le développement physique, cognitif, social et affectif des tout-petits, 2) assurer le soutien aux parents, 3) soutenir les efforts de prise en charge de la communauté visant à offrir aux parents et aux tout-petits un environnement stimulant, bienveillant et chaleureux. Six territoires sont alors déterminés pour l'implantation d'une première génération d'initiatives locales. Le choix des communautés s'est fait à partir de différents critères, dont l'indice de défavorisation importante des familles, le nombre élevé d'enfants de 0 à 6 ans, la présence de ressources pour les enfants et leurs parents, la possibilité de diversification des expériences afin d'assurer la généralisation de l'initiative et la diversité ethnique. Au printemps de 1995, le comité de suivi, après une période de rodage et de consultation, réunissait les personnes les plus susceptibles de s'impliquer dans une telle initiative dans chacune des six communautés. Un comité local d'implantation a alors été créé dans chaque communauté ; on y trouvait des personnes travaillant dans le réseau des affaires sociales, de la santé, de l'éducation, dans le milieu des garderies, dans les services municipaux (loisirs et police), dans les services paroissiaux et dans les
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organismes communautaires. Les membres de ces comités locaux ont employé toutes leurs énergies à dresser le portrait de leur communauté, à établir les priorités locales et à construire leur propre plan d'action. L'approche est universelle en ce qu'elle s'adresse à toute la population avec le souci, par ailleurs, de rejoindre les familles qui présentent les plus grands besoins. L'objectif premier est de mettre en place des conditions favorables au développement des tout-petits et de leurs parents ; on parle alors d'une approche de promotion. Cette approche se préoccupe donc plus de développement que de traitement. Pour atteindre cet objectif, trois stratégies de changement associées à l'approche promotionnelle sont privilégiées : l'amélioration des habiletés personnelles, les changements dans les environnements de vie et l'influence de masse (Labonté, 1993). Les processus d'intervention sont donc largement inspirés du modèle d'empowerment communautaire. Selon ce modèle, les actions entreprises dans la communauté sont le fait d'une mobilisation et d'une prise en charge du projet par tous les acteurs (Florin et Wandersman, 1990). Cette participation des citoyens devrait permettre l'émergence ou le renforcement d'un sentiment d'appartenance à la communauté, la construction d'une plus grande cohésion sociale, de même que l'amélioration de l'environnement et des services existant dans la communauté. Elle contribuerait également à rapprocher les familles participantes des services sociaux et de santé ainsi que des réseaux d'emploi (Pancer et Cameron, 1994). La figure 12.2 présente la façon dont ces principes directeurs et ces buts se concrétisent dans des stratégies qui seront décrites dans la prochaine partie. Figure 12.2 1,2,3 GO ! : les impacts attendus sur les divers niveaux écologiques
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1,2,3 GO ! : UNE PERSPECTIVE ÉCOLOGIQUE EN ACTION L'examen des objectifs poursuivis par les communautés et des activités mises en place pour les atteindre montre très clairement la mobilisation des différents systèmes du modèle écologique défini par Bronfenbrenner. Voyons concrètement des actions liées à ces différents objectifs. Des objectifs ontosystémiques visent l'amélioration de la situation occupationnelle des parents, de leurs compétences parentales ainsi que des habiletés cognitives et sociales des enfants. Exemple d'activités En vue de favoriser l'amélioration du rôle des parents, des activités formelles et à caractère éducatif sont organisées. Par exemple, un territoire 1,2,3 GO ! a donné une conférence sur les pratiques parentales favorisant le développement, qui s'adressait aux parents intéressés. Toutefois, l'augmentation des connaissances des parents peut aussi se faire de façon informelle. En effet, des informations glissées dans des feuillets publicitaires, dans des articles de journaux ou même dans le cadre d'une rencontre de groupe pour les parents peuvent contribuer à l'atteinte de cet objectif. Le renforcement de la compétence parentale s'effectue généralement au moyen d'ateliers ou de formations qui visent à amener les parents à reconnaître leurs propres habiletés ainsi que celles des autres parents. Or, souvent ces ateliers demeurent inaccessibles aux parents peu scolarisés ou aux immigrants qui ne comprennent pas bien la langue française. C'est pourquoi, afin de rendre plus accessibles les programmes actuels de développement des compétences parentales, des ateliers d'alphabétisation et des cours de français sont d'abord offerts aux parents dans certaines communautés. L'action directe auprès des tout-petits s'effectue par l'entremise d'ateliers de langage, de stimulation précoce, de peinture ou de bricolage ou encore d'un camp de jour. Ces activités favorisent le développement de la motricité fine et globale, de la créativité, tout en socialisant les tout-petits qui se retrouvent en présence d'autres enfants de leur âge. Des objectifs microsystémiques portent sur l'amélioration des relations parent-enfant, des scènes de jeux et de détente pour les enfants et les parents, de la sécurité et de la salubrité des habitations, dans les parcs et les ruelles.
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Exemple d'activités Dans les familles pauvres, particulièrement celles qui comptent plusieurs enfants, les parents ont rarement la possibilité de consacrer du temps à chaque enfant et d'établir avec lui une relation optimale. Dans le but d'améliorer la qualité de la relation parent-enfant, deux communautés offrent des ateliers pour les parents et leur tout-petit. Un service de garde est proposé aux parents qui ont d'autres enfants à leur charge. Pendant les ateliers, les parents sont sollicités, encouragés et aidés à s'impliquer dans la préparation et l'animation d'activités favorisant le développement optimal des enfants. Le fait pour les parents de participer à la stimulation de leur enfant favorise un rapprochement, une solidification de la relation parentenfant. Des objectifs mésosystémiques, par ailleurs, visent l'intégration et la participation des parents et des nouvelles familles, par la création de ressources d'entraide ou de soutien et par l'enrichissement des liens entre les familles et entre les familles et les services ou organisations. Exemple d'activités En général, les parents ont besoin d'être soutenus dans l'accomplissement de leur rôle parental. Ce besoin se manifeste également dans les communautés 1,2,3, GO ! Plusieurs parents ne disposent pas d'un réseau de soutien naturel pour leur venir en aide en cas de besoin. Pour pallier ce problème, l'intervention de groupe s'avère la méthode privilégiée par 1,2,3 GO ! Ces groupes sont plus ou moins structurés selon les besoins des parents. Parfois, les parents se rencontrent pour échanger des idées sur leurs réalités parentales. Leurs discussions peuvent porter, par exemple, sur la séparation, sur la relation parent-enfant ou sur le développement de l'enfant. Certains groupes prennent la forme de cafés-rencontres, alors que d'autres sont plus structurés et suivent un programme précis. Certains parents se sont organisés pour pouvoir participer aux rencontres de groupe sans devoir faire garder les enfants. Pendant que la moitié de ce groupe de parents participe à un atelier thématique, l'autre moitié s'occupe des enfants ; les rôles étant inversés la semaine suivante. Outre les groupes de parents, un soutien ponctuel et individuel est aussi apporté aux parents en difficulté.
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Des objectifs exosystémiques visent l'accroissement ou l'amélioration des services destinés aux parents et aux enfants, ainsi qu'une meilleure intégration, collaboration ou concertation entre les services. Exemple d'activités La mise en oeuvre du projet 1,2,3 GO ! est en soi la concrétisation d'un objectif exosystémique par le regroupement dans chacun des comités locaux d'implantation des acteurs de différents milieux (des affaires sociales, de la santé, de l'éducation, des milieux de garde). Cette façon de procéder a permis de mieux cibler le portrait de la communauté et les priorités locales d'action. 1,2,3 GO !, par ses actions, favorise l'amélioration des services offerts aux familles dans leur communauté, notamment par l'amélioration de l'accessibilité des transports publics aux parents avec des poussettes, par la création de cuisines collectives et par la mise sur pied de la maison des enfants. Finalement, certains objectifs macrosystémiques ont pour but de promouvoir une tolérance et une bienveillance plus grandes envers les enfants, une préoccupation plus affirmée de la communauté à l'égard de leur bien-être, une association plus affirmée entre les acteurs de l'économique et du social. Exemple d'activités La philosophie d'intervention et l'ensemble des activités du programme 1, 2,3 GO ! visent des changements d'ordre macrosystémique, c'est-à-dire une plus grande mobilisation de la communauté dans la promotion du développement et du bien-être des tout-petits et de leur famille. Ce projet favorise également le développement dans la communauté de valeurs « pro-enfant » et la reconnaissance de notre responsabilité collective à l'égard des enfants. Les parents ne sont pas les uniques responsables du développement et du bien-être des enfants, nous avons un rôle social important à cet égard : Ça prend un village pour élever un enfant. La mise en place, le déploiement et l'évaluation des impacts d'une vaste initiative comme celle de 1,2,3 GO! exigent plusieurs années. En effet, on ne peut s'attendre à ce que tout cela change partout en même temps. Certains changements exigent plus de temps ou sont dépendants d'autres niveaux de changement. Cette idée renvoie à la notion de chronosystème.
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CONCLUSION Pour atteindre cet objectif ultime de promotion du bien-être et du développement des tout-petits et de leurs parents, plusieurs auteurs (Bouchard, 1996 ; Garbarino, 1990 ; Prilleltensky, 1994) insistent sur l'importance d'intervenir directement auprès des enfants. Par ailleurs, plusieurs auteurs mentionnent également l'importance que cette intervention précoce soit intégrée et menée en collaboration avec la communauté afin d'en assurer le plein succès (Black et Krishnakumar, 1998). Le modèle écologique insiste effectivement sur l'interaction entre le développement de l'enfant et les conditions présentes dans son environnement familial et social, y compris l'aménagement physique du domicile, l'origine culturelle, la structure familiale, le fonctionnement familial et les ressources disponibles dans la communauté. En ce sens, la stratégie d'action privilégiée dans 1,2,3 GO ! consiste à effectuer des changements dans les environnements de vie de l'enfant par la concertation entre les ressources existantes, la mobilisation de la communauté et le soutien des intervenants, cela afin d'offrir une assistance adéquate aux parents. Ces derniers, bénéficiant du soutien social dont ils ont besoin, se montreront alors plus aptes à adopter des pratiques parentales qui favorisent le bien-être et le développement de leurs enfants. Nous croyons que les impacts de l'initiative 1,2,3 GO ! sur la communauté influent, par ricochet, sur le bien-être des enfants et de leurs parents. Pour conclure, il est important d'insister sur la nature des liens entre les différents facteurs présentés dans le modèle théorique, ces derniers étant considérés comme des éléments facilitant le développement de l'enfant sans nécessairement avoir avec celui-ci un lien de causalité directe. Par conséquent, si chaque élément joue un rôle non négligeable dans le processus développemental de l'enfant, c'est surtout le cumul de l'ensemble des facteurs et les relations entre ces facteurs qui ont un impact déterminant. Considérant le nombre sans cesse croissant de familles pauvres au Canada, de plus en plus de projets communautaires comme l'initiative 1,2,3 GO ! privilégient une approche écologique afin d'exercer une influence sur de nombreux facteurs favorables au bien-être et au développement des tout-petits.
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ÊTRE PAUVRE AVEC DES ENFANTS AUJOURD'HUI Repères pour le processus du devenir sujet JEAN-FRANÇOIS RENÉ, Ph. D. École de travail social, Université du Québec à Montréal SUZANNE GARON, Ph. D. Département de service social, Université de Sherbrooke FRANCINE OUELLET, M. SC. Direction de la santé publique, de la planification et de l'évaluation, Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centré DANIELLE DURAND, M. SC. Direction de la santé publique, de la planification et de l'évaluation, Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centré RENÉE DUFOUR, M. SC. Direction de la santé publique, de la planification et de l'évaluation, Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montérégie
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RÉSUMÉ Cet article porte sur la problématique de la pauvreté telle qu'elle est vécue aujourd'hui par des femmes et des hommes ayant de jeunes enfants à charge. Se fondant sur les données issues d'une étude qualitative, les auteurs visent à mieux comprendre les démarches qui permettent à certaines personnes vivant cette situation d'acquérir un peu plus de contrôle sur leur vie (empowerment). Dans un premier temps, ils décrivent succinctement ce qui qualifie la pauvreté d'aujourd'hui. Dans un deuxième temps, sur la base de l'expérience des personnes observées, ils cherchent à dégager les principaux repères constitutifs de tout processus pour devenir sujet de sa vie.
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La pauvreté représente un problème social important tant au Québec qu'au Canada. Cette pauvreté est particulièrement criante pour les familles avec de jeunes enfants. S'appuyant sur des données statistiques relativement désastreuses, il y a déjà plusieurs années que de nombreux organismes sociaux réclament un redressement majeur en ce qui a trait à la pauvreté des enfants au pays'. Ce problème fait d'ailleurs régulièrement partie du programme des gouvernements et des partis politiques canadiens. Nous traitons dans ce texte de la problématique de la pauvreté en cette fin de siècle au Québec et en Occident. Nos propos sont fondés sur une recherche qualitative effectuée auprès de familles vivant avec de jeunes enfants, rejointes par le programme de santé publique Naître égaux - Grandir en santé (NEGS)2. Nous présentons, en nous appuyant sur une étude de cas réalisée auprès de 20 de ces familles, une analyse compréhensive des démarches qui permettent à certaines personnes pauvres d'améliorer graduellement leur sort et de prendre un peu de pouvoir sur leur vie3. Dans la première partie, nous dégagerons succinctement la problématique générale afin de bien situer le contexte dans lequel vivent les femmes et les hommes interviewés. Dans la seconde partie de ce texte, nous serons centrés sur la recherche de solutions aux problèmes. Nous
1. Pensons entre autres au Conseil canadien de développement social (CCDS) qui souligne l'important processus d'appauvrissement qui frappe aujourd'hui au Québec les familles avec enfants, et plus particulièrement celles avec de jeunes enfants. Un taux d'appauvrissement qui, malheureusement, va en s'accroissant (La pauvreté dans les régions métropolitaines du Québec, Rapport préliminaire de recherche, juin 1999). 2. Le programme Naître égaux - Grandir en santé a pour but de promouvoir la santé et le bien-être des familles et des jeunes enfants vivant en situation d'extrême pauvreté. Pour ce faire, trois stratégies sont préconisées: le renforcement du potentiel individuel des parents, le renforcement du milieu par la consolidation et la création de ressources dans l'environnement de la famille et, à un niveau plus global, l'amélioration des conditions de vie des familles grâce à des actions politiques et à des interventions médiatiques. Le programme comprend trois volets, dont le premier concerne plus directement les familles rejointes dans cette étude, soit le suivi des familles par des intervenantes privilégiées du CLSC, essentiellement des infirmières. Ce volet offre un soutien global, d'abord par des visites à domicile aux deux semaines dès la 20e semaine de grossesse jusqu'à trois mois après l'accouchement, et par l'accompagnement vers les ressources du quartier. L'emporuerment est l'un des concepts clés du programme. Coordonné par la Direction de la santé publique de Montréal-Centre, NEGS est offert aux femmes enceintes sous-scolarisées (moins d'une 5e secondaire), vivant en situation d'extrême pauvreté sur les territoires de huit CLSC de la région de Montréal et de deux CLSC de l'Abitibi-Témiscamingue. 3. Ce texte est issu des résultats d'une recherche intitulée Jeunes familles en situation d'extrême pauvreté : étude de cas de processus d'empowerment, subventionnée par le Conseil québécois de la recherche sociale-CQRS (1996-1998), que nous tenons à remercier ici bien sincèrement.
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présenterons, en nous inspirant du travail d'analyse issu de l'étude de cas, les principaux repères qui participent de tout processus de devenir sujet4 de femmes et d'hommes qui sont considérés comme pauvres et exclus. BREF REGARD SUR LA PROBLÉMATIQUE DE LA PAUVRETÉ AUJOURD'HUI UNE PAUVRETÉ AUX MULTIPLES FACETTES L'émergence du néolibéralisme, qui a conduit à la disparition du fordisme, est en train de remodeler nos sociétés occidentales dans leurs fondements. Nous assistons présentement à une globalisation de l'économie qui se définit avant tout, pour une partie de la population, par une accentuation de la pauvreté. En effet, le modèle économique dominant est en voie de transformer radicalement les rapports sociaux et politiques. De sociétés régularisées par le travail qui permettaient l'augmentation du niveau de vie de l'ensemble des différentes classes sociales, nous sommes passés à un ensemble social basé sur un type de production à haute valeur ajoutée ainsi que sur la spéculation boursière. La baisse du taux de chômage, qui est maintenant devenue un indice négatif de productivité de l'économie d'un pays, se traduit souvent par une crise de confiance des spéculateurs. Il va de soi que la mutation du travail a d'importantes conséquences au sein des sociétés occidentales. L'augmentation de la pauvreté qui en résulte a pour effet de modifier les marges mêmes de nos sociétés. Ces marges tendent à se redéfinir et à inclure tous ceux et celles qui apparaissent de plus en plus « déconnectés » face à cette nouvelle dynamique de globalisation. Mais les pauvres d'aujourd'hui, qui sont parfois considérés comme des « exclus », ne sont pas seulement des laissés-pour-compte sur le plan purement économique. Il faut ajouter à la pauvreté économique l'exclusion relationnelle, qui n'est pas sans lien également avec l'actuelle crise de la famille en Occident. 4. Claude Giraud, dans Concepts dune sociologie de l'action (1994), souligne qu'avec le temps le statut social de l'être humain devait changer : « De sujet de Dieu et du Roi, il devenait sujet social, c'est-à-dire acteur de la vie sociale. Mais cette transformation impliquait d'abord qu'il soit agent d'une souveraineté publique avant d'être acteur de son ego, c'est-à-dire de son individualité » (p. 129). L'idée de devenir sujet implique de notre point de vue cette double appartenance, comprise comme dialectique, tant au social qu'à son individualité.
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Les dimensions économiques et sociorelationelles participent d'un même processus social et, comme le souligne Robert Castel (1994, p. 13), « les situations marginales surviennent à l'aboutissement d'un double processus de décrochage : par rapport au travail et par rapport à l'insertion relationnelle. Tout individu peut être situé à l'aide de ce double axe d'une intégration par le travail et d'une inscription relationnelle ». De là le risque de désaffiliation - pour reprendre les mots de Robert Castel - ou de désinsertion - pour paraphraser Vincent de Gaulejac et Isabel Taboada-Leonetti (1994, p. 76) - qui se caractérise par une exclusion aux multiples dimensions : « chômage, pauvreté, isolement, stigmatisation sociale, dévalorisation ». Globalement, bien que des notions telles que la « nouvelle pauvreté », la « grande pauvreté », le « quart-monde », l' « exclusion » et l' « extrême pauvreté »5 exigeraient des nuances qui ne font pas l'objet de ce texte, il nous est tout de même possible de dire qu'être pauvre aujourd'hui, c'est également être plus ou moins dépossédé d'attributs multiples qui se rapportent à la misère matérielle, à l'isolement social, à la sous-scolarisation et à la marginalisation culturelle (Milano, 1989 ; Bruto da Costa et al., 1995). Être pauvre, c'est alors non seulement vivre avec peu sur le plan de l'avoir, mais c'est souvent souffrir d'une absence de savoir et de pouvoir reconnu (Colin et al., 1992). Enfin, c'est parfois se retrouver comme dans un espace de non-citoyenneté, voire carrément hors statut (McAll, 1995). Un tel appauvrissement a bien sûr de sérieuses répercussions sur la qualité de vie des personnes concernées. Le rapport du Groupe de travail pour les jeunes insiste sur les risques sociaux associés à la pauvreté des familles (MSSS, 1991, p. 67-68). De même, plusieurs études présentent les liens étroits qui unissent le concept plus large de pauvreté à certaines variables, par exemple la santé physique des enfants (Paquet, 1989). Cela dit, d'autres mutations majeures s'opèrent et se superposent aux conditions de vie et de travail objectivement difficiles engendrées par les transformations structurelles qui frappent la société salariale. Ainsi, les multiples blocages qui traversent les filières de l'intégration sociale et économique interfèrent avec les rôles et les statuts sociaux propres à la société du travail. Ils altèrent les modèles proposés, il n'y a pas si longtemps encore, comme les principaux référents normatifs. Qu'il s'agisse du
5. En ce qui a trait à la notion d'extrême pauvreté à laquelle se rattache le programme NEGS, les auteurs des travaux portant sur la pauvreté au Québec s'entendent généralement pour dire que les familles et les individus vivant avec moins de 60 % du revenu considéré comme étant le seuil de faible revenu entrent dans la catégorie d'extrême pauvreté. Plus explicitement, il s'agit d'environ la moitié des personnes vivant sous le seuil de faible revenu, soit 10 % de la population. Dans le cadre du programme NEGS, s'ajoute le critère d'une faible scolarisation, soit ne pas avoir terminé sa 5c secondaire.
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rôle de travailleur, en lien avec le statut de classe, ou des rôles liés au modèle familial, les référents plus anciens disparaissent ou deviennent obsolètes, tandis que les référents récents sont trop nouveaux et précaires pour permettre une réelle identification. Parallèlement, en raison du difficile contexte économique, certaines personnes investissent des rôles qui leur étaient historiquement dévolus. Ainsi, il n'est guère surprenant de constater, comme l'ont montré les rares études portant sur certains aspects de la problématique de la pauvreté, que, pour bien des jeunes femmes souvent peu scolarisées, être à la maison à s'occuper des enfants représente le seul rôle qui génère un certain sentiment d'utilité sociale (Deniger et al., 1995 ; Colin et al., 1992). Dans ce rôle, elles ont peut-être l'impression d'avoir, malgré tout, une certaine place dans la société. Pour la plupart de ces femmes, la maternité est alors perçue « comme le moyen par excellence de transcender le cycle de la pauvreté. C'est aussi une chance unique de se donner une identité personnelle et sociale et d'élaborer une stratégie de changement dans leur vie » (Colin et al., 1992, p. 21). Toutefois, un tel statut comporte des limites. Il n'évacue en rien la position plus objective qu'occupent ces femmes au sein de la société. En ce sens, Vincent de Gaulejac et Isabel Taboada-Leonetti (1994, p. 61) rappellent que la construction de l'identité est la résultante de « la participation de l'individu aux idéaux et aux modèles culturels du groupe, valorisés et admis comme étant les meilleurs ». Dès lors, si à la pauvreté des moyens et des réalisations s'ajoute la difficulté d'accéder à des modèles socialement reconnus et valorisés, on ne pourra se surprendre de l'accroissement du sentiment d'exclusion et de l'incidence de ce dernier sur l'image de soi. À la suite d'un cumul d'échecs, les personnes touchées en viennent à s'inférioriser, car les « messages » envoyés par les autres ont « un caractère négatif, l'image de soi de l'individu est dévalorisée » (Camilleri et al., 1990, p. 114). IMPUISSANCE ET ALIÉNATION Par conséquent, la société dans laquelle nous vivons génère chez beaucoup de personnes un sentiment d'impuissance qui gagne alors l'individu en profondeur, traversant parfois toute son histoire, toute sa trajectoire. Concrètement, le sentiment d'impuissance découle d'abord des barrières extérieures comme l'absence d'emploi ou un faible revenu. Il faut rappeler qu'être pauvre aujourd'hui, c'est se retrouver bloqué, souvent incapable d'agir devant la complexité des contraintes issues de processus économiques structurels qui taraudent la vie quotidienne. Ces facteurs à
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caractère structurel créent des difficultés d'insertion socioprofessionnelle qui privent la personne de sa capacité d'agir et constituent donc un obstacle majeur à tout changement. Mais les barrières sont parfois plus « intérieures », c'est-à-dire associées à une histoire de vie traversée de multiples difficultés (par exemple l'abandon familial et l'abus physique). Elles peuvent également être liées à des limites plus personnelles (par exemple les handicaps physiques), qui sont parfois accentuées par des contraintes sociales (par exemple la difficulté d'intégration des personnes handicapées). L'impuissance d'une personne naît donc d'une perte ou d'une absence de pouvoir sur sa vie résultant de facteurs souvent indépendants de sa volonté. En découle le sentiment de ne plus contrôler sa vie. S'intéressant à cette question, et prenant appui sur ses travaux portant sur la jeunesse française, François Dubet (1987) observe que chez de nombreuses jeunes personnes aujourd'hui le sentiment d'impuissance est total. Ces personnes ont l'impression « d'être contrain[tes] par un destin et laissent aller. La société est perçue comme un ordre immuable et toutes les énergies qui restent sont mobilisées pour la survie » (Dubet, 1987, p. 77). Pour François Dubet, une telle impuissance face à la vie et à la société en général conduit parfois à un état personnel qui serait de l'ordre de l'aliénation. Au XIXe siècle, au coeur de l'avènement de la société industrielle, chez Karl Marx, ce concept renvoie à la dépossession des moyens de production issue des rapports de classes capitalistes. Karl Marx expliquait ainsi l'état de conscience de ceux qui, à cause des conditions de travail inhumaines (qu'on pense au temps de travail), se trouvaient exclus du social. Aujourd'hui, le concept d'aliénation est également, voire encore plus, lié au processus d'exclusion des normes et des valeurs dominantes. Les rapports de domination entre les travailleurs et les patrons, s'ils sont encore porteurs d'injustices, notamment en ce qui a trait à la rémunération, s'accompagnent désormais d'autres rapports de domination en dehors des lieux de travail. Dans ce cadre, « les problèmes sociaux sont moins définis par les rapports de production que comme des problèmes urbains, des problèmes de distance sociale, d'identité et d'intégration » (Dubet, 1994, p. 187). En ce qui a trait aux effets sur les trajectoires personnelles, l'aliénation peut donc être comprise comme étant un processus d'intériorisation dans lequel les personnes aliénées se sentent responsables, coupables, victimes, honteuses face à leur situation. Faisant allusion aux jeunes dont il a étudié les histoires, François Dubet (1994, p. 96) note que « pour une
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grande part, ils intériorisent ces rôles de victimes [...], ils adhèrent aux catégories qui les excluent. Ils sont aliénés dans le sens où ils se perçoivent comme les responsables de leur propre malheur et se comportent comme les victimes d'un destin écrasant». Pour Dubet (1994, p. 133), « l'aliénation est conçue comme la privation de la capacité d'être sujet ». En synthèse, dans la présente conjoncture, la configuration que prend la problématique de la pauvreté se démarque d'une pauvreté de classe, avec un sujet social de classe pour la combattre, soit le mouvement ouvrier. A une pauvreté de classe succède une pauvreté de place, qui renvoie à un déficit de reconnaissance dans un monde où la réalisation personnelle est de plus en plus valorisée (de Gaulejac et Taboada-Leonetti, 1994). Devant cette absence ou la mouvance des repères, l'individu trouve ce qu'il cherche en puisant en lui-même et dans son expérience. Pour Dubet et Martucelli (1998, p. 179), « l'individu souverain est maître de son destin ». En un sens, il est plus que jamais un sujet en devenir qui doit, sur la base de son histoire, de sa trajectoire personnelle, construire sa spécificité, son identité propre. Toutefois, si un individu est sérieusement hypothéqué, tant par sa trajectoire que par des lacunes importantes dans son environnement, il risque d'être incapable de se réaliser, donc de pouvoir tracer sa propre voie. Dépossédé de son expérience sociale, sans réel pouvoir, sans la capacité de reconstruire son expérience afin de se tailler une place, de se réaliser et de se projeter, il est traversé par un sentiment d'impuissance, voire dominé par un état d'aliénation. REPÈRES POUR UN PROCESSUS DE DEVENIR SUJET Ne plus subir, donc devenir maître de sa vie, passe donc par la récupération ou l'appropriation d'un certain pouvoir, celui dont toute personne devrait disposer pour accéder à la capacité d'être un tant soit peu l'auteur de sa vie. C'est dans cette perspective qu'un certain nombre de notions comme « devenir sujet », « empowerment », « trajectoire d'intégration » et « projet » prennent tout leur sens. Elles nous permettent de mieux décrire, de cerner et de comprendre les processus qui entrent en jeu dans tout travail personnel visant à sortir de l'impuissance générée par des situations de pauvreté. Dans cette deuxième partie, nous présenterons les principaux attributs qui constituent une démarche pour devenir un peu plus le sujet de sa vie.
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DES SITUATIONS FAMILIALES ET PERSONNELLES DIFFICILES Comme nous l'avons indiqué en introduction, nous fonderons notre propos sur les résultats d'une recherche entreprise dans le cadre du programme Naître égaux Grandir en santé (NEGS), qui s'adresse à des familles dans un contexte de périnatalité. Nous avons suivi 20 familles ayant eu récemment un enfant mais qui, dans de nombreux cas, avaient un ou plusieurs autres enfants. Comme nous nous intéressions aux démarches d'empowerment, nous avons demandé aux intervenantes privilégiées qui suivaient ces familles de nous présenter des familles qui semblaient engagées dans une démarche, que ce soit par rapport au parentage, à l'insertion socioprofessionelle, à l'implication dans son milieu de vie. Le choix des familles s'est donc fait à partir des renseignements fournis par les intervenantes consultées. Nous avons rencontré ces familles à deux reprises, à une année d'intervalle. La première entrevue a été réalisée dans les douze mois suivant la naissance du dernier enfant. Au moment de la seconde entrevue, qui nous permettait de compléter notre connaissance de la famille tout en nous donnant accès aux résultats concernant les démarches entreprises, près de la moitié des familles ne bénéficiaient plus régulièrement de l'intervention. Les deux entrevues ont exploré leurs rapports historiques avec les différentes sphères de la vie en société : la vie de famille (couple), le travail (formation) et la citoyenneté. Afin de compléter notre compréhension de la vie de ces familles, nous avons interviewé à une ou deux reprises les intervenantes privilégiées qui nous avaient présenté ces familles. Recoupant les paramètres propres au programme NEGS, les familles rejointes dans le cadre de notre recherche vivent sous le seuil de la pauvreté et les parents n'ont pas terminé leur 5e secondaire au moment de la demande de service. Concrètement, une forte majorité des familles rencontrées vit des prestations de la sécurité du revenu du Québec. Toutefois, dans quelques familles, un des parents travaille, bien que généralement les emplois dénichés soient relativement précaires. A noter cependant que, lorsqu'il y a une nette amélioration sur ce plan, cela a un effet positif sur la vie quotidienne de la famille. Ajoutons qu'aux faibles revenus dont disposent les familles rejointes s'ajoutent pour quelques-unes d'entre elles des problèmes économiques supplémentaires générés par des dettes diverses qui représentent parfois une somme importante. Dans de telles conditions, comment les familles rencontrées dans le cadre de cette recherche en arrivent-elles à composer avec les nombreux besoins de leurs enfants ? La réponse exige beaucoup de nuances ; les situations sont loin d'être toutes similaires. Sans faire l'apologie de la débrouillardise - alors qu'objectivement les conditions de vie de ces familles demeurent socialement inacceptables -, nous avons cependant pu
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constater tout au long de notre étude que plusieurs familles s'organisent depuis de nombreuses années avec ce qu'elles ont afin de limiter quelque peu au quotidien les effets de cette extrême pauvreté économique. Quelques familles suppléent à la faible prestation gouvernementale par des revenus tirés de travaux faits à domicile, par exemple de la couture, des travaux d'entretien, etc. La fabrication de vêtements et l'ingéniosité dans les achats et l'épicerie représentent aussi des exemples de cette débrouillardise. Sur le plan relationnel, mentionnons d'abord qu'un peu moins de la moitié des familles suivies vivent en couple. Quelques femmes ont vécu l'éclatement de leur couple soit durant la grossesse, soit durant l'année qui a suivi. Enfin, certaines familles s'inscrivent dans une dynamique de couple qui oscille entre la monoparentalité et la biparentalité, car la présence de l'homme, qui n'est pas toujours le père biologique des enfants, varie selon les périodes. Il est donc difficile de trouver dans la vie de ces couples une grande stabilité. En ce qui a trait aux liens avec la famille élargie, environ le tiers des familles peuvent compter sur la parenté (parfois sur un seul membre) pour les soutenir, soit en ce qui concerne les besoins de l'enfant, soit sur le plan financier. Pourtant, même dans ce cadre, il existe presque toujours des rapports conflictuels avec un ou plusieurs membres de la famille, et parfois avec le membre plus engagé dans le soutien direct. Soulignons cependant que, lorsqu'il y a présence active de la parenté par le truchement d'une forme quelconque de soutien (appui financier, entraide, soutien psychologique), cela a généralement un effet positif sur la vie de famille. La persistance de liens sociaux familiaux semble donc limiter l'ampleur de l'exclusion. Du côté des réseaux élargis, nous devons reconnaître qu'ils sont faibles. Peu ont accès à un réseau d'amis et rares sont les familles qui fréquentent le voisinage. S'il en a va de même de la fréquentation régulière des organismes communautaires, il faut également souligner l'apport positif de cette fréquentation pour les familles concernées. Prise dans son ensemble, la situation relationnelle « moyenne » des familles étudiées demeure souvent précaire. De cette situation, associée aux difficiles conditions économiques, se dégage une évidente fragilité, qui renvoie aussi bien à la misère matérielle qu'à l'isolement social et à la sous-scolarisation. En interface, nous sommes amenés à constater certains problèmes particuliers, qui sont du ressort de la santé physique ou de l'équilibre psychologique. On remarque quelques cas de diabète de grossesse. Un bon tiers des femmes ont d'autres problèmes de santé mentale ou physique, et on dénombre également quelques cas de toxicomanie (du moins dans l'histoire des personnes) et des itinéraires marqués par des
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carences affectives. Enfin, près de la moitié des familles éprouvent des difficultés à développer des capacités parentales, mais nous n'avons rencontré que deux situations de problèmes majeurs, où la DPJ a été appelée à intervenir. TROIS MOMENTS DU PROCESSUS DE DEVENIR SUJET C'est donc sur cette toile de fond que les familles rencontrées entreprennent des démarches pour améliorer leur situation. Bien sûr, chaque réalité familiale comporte des nuances importantes qui ne permettent de généraliser ni les difficultés, ni les besoins propres à chacune. Cependant, un travail d'analyse des démarches amorcées par ces familles nous a permis de dégager un cadre conceptuel qui balise le processus de devenir sujet. Ce cadre renvoie à trois notions qui sont en quelque sorte trois moments de la vie participant du processus de devenir sujet : 1) le concept de projet qui, dans le processus de devenir sujet, oriente la démarche personnelle en fonction de perspectives de plus en plus définies de l'intérieur, liées aux besoins et aux aspirations de la personne ; 2) l'interface avec la trajectoire de vie qui est indissociable de toute mise en projet ; 3) l'empowerment, un processus qui, au présent, révèle la capacité plus générale de devenir sujet de sa vie.
Figure 13.1 Processus de devenir sujet
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Le projet comme moteur du sens et de l'action L'idée de projet émane d'un travail de réflexivité basé sur l'expérience personnelle. D'un point de vue plus psychologique, le projet implique « cette capacité à prendre du recul pour anticiper; mais avec le projet, il ne s'agit pas de n'importe quelle anticipation. C'est une anticipation que l'on souhaite réaliser soimême. Le projet implique un acteur qui se pose comme auteur de ce qu'il escompte réaliser » (Boutinet, 1989, p. 162). Jean-Pierre Boutinet nous rappelle que l'idée de projet renvoie à quelque chose qui relève à la fois du sens et de l'action. Pour les couples et les familles de cette recherche, le projet peut être perçu comme une manière de donner un sens à des existences difficiles, à des trajectoires marquées par des histoires personnelles douloureuses sur le plan affectif. À ce titre, l'expérience antérieure des femmes et des hommes rencontrés dans cette étude démontre d'ailleurs fort bien la place importante du projet familial comme premier vecteur structurant d'une partie de leur vie d'adultes. Dans un tel contexte de vie, le projet « c'est aussi ce qui permet de redonner espoir contre tout espoir en proposant un nouveau réseau de signification » (Ibid., p. 161). En permettant d'aller de l'avant, en traçant une direction, le projet mobilise la personne vers une réalisation éventuelle qui est générée par sa propre histoire. Dès lors, la personne est de moins en moins attachée à un rôle prédéfini, qui lui prescrit son propre devenir. Elle devient alors plus autonome face à une socialisation première, au demeurant souvent déficiente. Elle se définit plus en fonction d'elle-même, dans un monde qui, de toute manière, comme nous l'avons souligné précédemment, offre des repères de plus en plus flous. À défaut de les recevoir en héritage, la personne se crée ses propres repères au moyen desquels elle construit son identité. Le projet favorise donc la différenciation, la singularité, tout en renforçant le sentiment de permanence, dans la mesure où il se lie à une histoire, à une trajectoire. Enfin, le projet permet également d'acquérir une meilleure reconnaissance sociale, voire une existence sociale tangible (Ibid., p. 163). D'un point de vue descriptif, dans les trajectoires des familles étudiées, la notion de projet est extensibles. Ainsi, le projet prend toutes sortes de couleurs, de variantes. Avec l'arrivée d'un enfant, il s'actualise d'abord, dans bien des cas, autour de la vie de famille : donner à leur enfant une plus grande sécurité, lui préparer un meilleur avenir que celui qu'ils ont eux-mêmes reçu ; travailler divers aspects de leurs rapports aux enfants, ce qui peut signifier tant l'acquisition de connaissances et de compétences
6. Ici, nous nous référons à des résultats préliminaires parus en décembre 1998 dans un document intitulé Intervenir en soutien à l empowerment des familles en situation d'extrême pauvreté, par F. Ouellet, R. Dufour, D. Durand, .l.-F. René et S. Garon.
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particulières que l'amélioration de la relation et de la communication parentsenfants. Mais les projets répertoriés ne se limitent pas à la sphère Familiale. Dans plusieurs cas, ils sont aussi associés à la sphère du travail ou de la formation. En ayant pour but de se tailler une place sur le marché du travail et en aspirant à retourner à l'école pour terminer leur secondaire ou suivre une formation professionnelle, les parents centrés sur de tels projets espèrent alors non seulement améliorer leur propre statut, mais aussi hausser les conditions de vie de leur famille. Soulignons enfin que, pour certaines personnes, le projet principal est axé autour d'une démarche qui a pour but de régler des questions plus personnelles, comme des difficultés affectives, des problèmes particuliers liés, dans leur trajectoire, à des formes diverses de dépendance. Notons aussi que le ou les parents peuvent avoir plus d'un projet qu'ils tentent d'harmoniser et qu'ils peuvent modifier en partie avec le temps. Pris dans leur ensemble, les projets se situent donc à la fois dans la sphère du privé, par exemple dans le fait de bien remplir son rôle de parent, mais également dans la sphère du social, par le désir de certains de se trouver un emploi. Dans un contexte qui conduit à l'isolement et à la désintégration des liens sociaux, soulignons que l'insertion sociale par le travail, par les études ou par une participation active à des organismes devient importante. Cette insertion sociale permet aux parents de développer leurs capacités à travers des interactions significatives, riches de sens, améliorant ainsi leur degré de participation à la société. Se référer à sa trajectoire À la lumière de notre compréhension de la vie des femmes et des hommes qui ont participé à notre étude, le processus de devenir sujet, qui va de pair avec la notion de projet, est fortement tributaire de la trajectoire de vie qui précède la démarche en cours. Un projet, pour se réaliser, à tout le moins pour simplement émerger, doit donc s'inscrire en continuité à l'intérieur d'une trajectoire de vie. L'aboutissement du projet est facilité par le fait que la personne a la possibilité de s'appuyer sur son passé, sur son expérience antérieure. Même si celle-ci fut difficile, même si elle s'avère encore douloureuse, il semble nécessaire de s'affranchir quelque peu de son histoire. Il faut prendre conscience de la nécessité de régler certaines choses. Sinon la personne reste souvent bloquée, pour ainsi dire incapable d'avancer ; et on a parfois l'impression que sa trajectoire procède d'une fuite en avant. Pour les femmes et les hommes rencontrés dans notre étude, l'amorce du projet se manifeste donc souvent, dans un premier temps, par l'appropriation de leur expérience sociale. Par un travail de subjectivation, l'individu « est tenu de se distancer » de son histoire, de ne pas s'y
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laisser enfermer, afin d'accéder à un espace de réflexivité. D'une manière plus opérationnelle, nous pouvons affirmer que tout processus de devenir sujet doit être compris comme étant la capacité de commencer à établir des ponts entre le présent et le passé, d'intégrer petit à petit son histoire, de s'ouvrir aux différentes sphères de la vie en société, de se mettre en marche vers un futur choisi. Dans ce cadre, pour Jean-Pierre Boutinet, le projet peut faciliter un certain déblocage par rapport à son histoire personnelle, car le « le projet est destiné à éclairer le sujet » (1989, p. 170). Il lui permet de structurer en quelque sorte sa trajectoire, de se réapproprier sa vie antérieure. Le projet force le sujet « à tirer pour le futur le meilleur de son histoire personnelle » (1989, p. 166). Ici, il nous semble pertinent d'établir un lien avec ce que François Dubet (1994, p. 111) désigne comme étant la logique d'intégration, qui correspond « aux appartenances » dont les acteurs héritent. La logique d'intégration renvoie donc aux principaux vecteurs de socialisation de la personne. Sur la base de notre matériau de recherche, l'intégration correspond plus précisément aux représentations que se font aujourd'hui les individus de leurs expériences antérieures. C'est par ces dernières que se constituent leurs référents, leurs repères, et que s'explique leur rapport ou même leur rôle à l'intérieur des différentes sphères de la vie en société (famille, études, travail, institutions). Ainsi, c'est avec cet héritage que la personne doit faire face à toute situation de vie, se sentant en mesure d'aller ou non de l'avant. Sur ce plan, nous avons pu observer des différences importantes quant au rapport que les personnes entretiennent avec ce dont elles « héritent ». En ce qui a trait à leur capacité d'avancer au présent, les parcours de vie récents des cas étudiés dans cette recherche sont fort contrastés. Mais les personnes qui prennent du pouvoir sur leur vie disposent généralement des atouts suivants : soit que leur histoire personnelle ne les a pas laissées trop hypothéquées sur le plan affectif, soit que, si elles l'ont été, elles ont commencé à entrevoir leur passé de manière réflexive et elles arrivent à en modifier certains aspects. Elles sont alors amenées à faire des choix, à rompre avec des gens ou avec des habitudes et même avec des façons de se percevoir socialement. Comme le mentionne Jean-Pierre Boutinet, le processus que sous-tend le projet s'amorce souvent par un rejet. A contrario, pour une faible portion des cas étudiés, l'héritage semble trop lourd pour avancer. C'est alors que le passé imprègne le présent à la suite de divers événements douloureux vécus dans l'enfance violence et alcoolisme des parents, placements en familles d'accueil, abus sexuels, expériences d'exclusion (décrochage scolaire, perte d'emploi), absence de modèles intégrateurs à la société. Il est implicite, comme le
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souligne Jean-Pierre Boutinet (1989, p. 161), que pour « se mettre en projet, il ne faut pas être trop démuni d'avance », ce qui met en relief la difficulté de faire émerger le projet chez des personnes trop marquées par leur histoire personnelle. Les trois étapes du processus d'empowerment Au-delà des multiples avenues que le projet peut emprunter, il nous semble évident que, pour se concrétiser, un certain nombre d'étapes ou de « moments » sont nécessaires au développement du projet. C'est là qu'entre en jeu le processus d'empowerment. Explicitement, ce processus renvoie à toute démarche personnelle pour sortir d'un état d'impuissance et retrouver du pouvoir sur sa vie. Une telle démarche passe par une action qui permet d'ébranler les contraintes, les barrières, les blocages pouvant priver la personne d'un plus grand pouvoir sur sa vie. L'empowerment, c'est une ouverture vers de nouveaux possibles, c'est le pouvoir de nommer les blocages, qui doit s'accompagner du pouvoir d'agir sur ces blocages (Breton, 1994). LeBossé et Lavallé (1993, p. 17) définissent d'ailleurs l'empowerment comme étant un : [...] processus par lequel une personne qui se trouve dans des conditions de vie plus ou moins incapacitantes développe, par l'intermédiaire d'actions concrètes, le sentiment qu'il lui est possible d'exercer un plus grand contrôle sur les aspects de sa réalité psychologique et sociale qui sont importants pour elle ou pour ses proches. S'il implique au départ des actions ayant des composantes personnelles majeures, tout processus d'empowerment individuel s'inscrit généralement dans une démarche plus large, plus collective, permettant de redéfinir les problèmes sociaux qui émergent de l'absence de pouvoir. En ce sens l'empowerment est donc intimement lié à l'environnement de la personne, donc à son quartier, à sa communauté, à la société en général. Les écrits scientifiques permettent de cerner un certain nombre d'étapes ou phases, qui font formellement partie d'un processus d'empowerment. Globalement, il nous est possible de dire que tout processus comprend une dimension de conscientisation et une phase d'action, le tout vécu dans un cadre plus collectif (Breton, 1994 ; Lord et Hutchison, 1993). Le processus génère aussi un certain nombre d'acquisitions nécessaires, afin de retrouver un certain pouvoir sur sa vie. Ces acquisitions portent sur diverses composantes ou dimensions du développement de la personne en interaction avec son environnement : 1) l'accentuation de la participation aux ressources et institutions présentes dans sa communauté et dans la société en général ; 2) l'amélioration de l'estime de soi ; 3) le développement de connaissances et de compétences dans les domaines
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où la personne s'investit ; 4) le développement d'une conscience critique (Breton, 1994 ; Le Bossé et M. Lavallée, 1993 ; Lord et Hutchison, 1993 ; Ninacs, 1996 ; Zimmerman, 1995). En synthèse, le processus d' empowerment est vu non pas comme un absolu atteint de manière linéaire à l'image d'une terre promise, mais comme une façon pour le sujet d'accéder, tout au long d'un parcours traversé par de multiples aléas, à plus de pouvoir sur sa vie et dans la société en général. Dans ce processus, il faut d'abord : 1) que la personne dispose de ressources dans son environnement qui lui permettent de passer à l'action ; 2) que des réalisations ponctuelles marquent les étapes vers l'atteinte du projet ; 3) que ces réalisations entraînent divers gains sur le plan des ressources personnelles. Les ressources permettant l'action Au présent, pour qu'un projet puisse avancer, voire émerger, certaines conditions doivent être réunies. La première condition commande un passage à l'action. Or, tout passage à l'action implique qu'il y ait relations, interactions. Comme nous venons de le souligner, dans ses fondements mêmes, tout processus d' empowerment se construit sur la nécessité de créer de constantes interactions entre le sujet et son environnement social. Dans ce cadre, la démarche peut éventuellement mener à une action plus collective. L'individu participe alors avec d'autres à un processus visant à faire émerger un changement plus global à travers des étapes qui vont de la conscientisation à la mobilisation pour l'action (Breton, 1994). C'est dans l'action que l'on prend conscience de sa place en tant que sujet. Lorsque G.H. Mead stipule que « nous sommes des "nous" avant d'être des ''je" », il sous-entend que nous intégrons le social avant même d'avoir pris conscience de notre subjectivité. Cependant, et c'est la seconde condition pour qu'il y ait passage à l'action, il importe de disposer, dans son environnement, de ressources extérieures qui permettent d'atteindre ses objectifs. Il faut qu'il y ait des relations, des interactions significatives7. Car les interactions constituent une dimension fondamentale de toute mise en projet. Pour Jean-Pierre Boutinet (1989, p. 172), « l'acteur reste impuissant, seul à se doter de son projet, s'il ne fait appel plus ou moins malgré lui aux différentes ressources qui l'entourent ». 7. À cet égard, recherchant les fondements de l'émergence du soi, Hans Joas nous fait remarquer : « Mead could possibly have reacted by endeavoring to deploy the following distinction. Identity formation can only succeed under dialogical conditions; violence and exclusion [...] are not on their own able to serve as the basis for identity formation [...] violence and exclusion cannot enhance the reflexivity of the person's to him or herself and a structure of primary group relations that is not shaped by violence is absolutely necessary for the elementary stages of identity formation» (Joas, 1998, p. 15).
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Ici, nous pouvons penser à l'utilisation de plusieurs types de ressources externes. Ces ressources peuvent répondre à des besoins d'ordre matériel, émotionnel et de formation ; elles sont parfois de nature institutionnelle (CLSC, hôpital, école, sécurité du revenu, etc.), semi-formelle (organismes communautaires) ou informelle (réseaux d'entraide). Utiliser les services et les ressources du milieu peut donc représenter une condition d'accès au projet. Par exemple, dans le cas de parents en crise qui ne peuvent compter sur l'aide de membres de la famille ou d'amis, la mobilisation de services et de ressources parfois communautaires - devient un passage obligé vers la mise en action d'un projet. Ce sont ces ressources, et leur accessibilité, qui permettent le passage à l'action, une étape fondamentale dans tout processus d'empowerment. En ce qui a trait au soutien directement offert par le programme NEGS dans le cadre du suivi périnatal auprès des familles, il est clair qu'il a joué un rôle majeur dans les démarches entreprises par les parents concernés. L'apport du programme se manifeste d'abord par la présence d'une intervenante privilégiée qui a pour mandat de soutenir les familles selon les besoins reconnus et exprimés par ces dernières. Dans ce cadre, quatre caractéristiques se dégagent, qui qualifient le soutien généralement offert. Premièrement, celui-ci est marqué par une intensité et une disponibilité évidentes, dans la mesure où l'intervention survient à un moment important de la vie de ces familles, soit à la naissance d'un nouvel enfant. Concrètement, cette intervention se traduit, en moyenne, par une rencontre aux deux semaines avant l'accouchement, et par une quinzaine d'autres rencontres après celui-ci, en plus de compter, dans bien des cas, de nombreux contacts téléphoniques. Un tel suivi prolongé facilite la création d'un lien de confiance entre la famille et l'intervenante. Deuxièmement, l'intervenante peut offrir un soutien continu dans le temps, qui va parfois s'étendre jusqu'à la naissance d'un nouvel enfant. Troisièmement, l'intervenante, sur le territoire desservi par son CLSC, travaille en réseau avec d'autres intervenants et avec d'autres ressources du quartier. En ce sens, le recours aux ressources nécessaires pour passer à l'action se révèle très présent dans l'intervention, du moins dans celle qui fut offerte aux familles ayant participé à cette étude. Ce recours aux ressources permettant de passer à l'action se manifeste autant par l'orientation que par l'accompagnement, auxquels s'ajoute, dans quelques cas, un réel travail de défense de droits pour soutenir la famille ou le parent concerné. Enfin, quatrièmement, l'intervenante travaille souvent à partir du projet des parents, favorisant l'atteinte de réalisations par rapport à ce projet.
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Des réalisations ponctuelles Le deuxième élément touche justement à la capacité d'avancer, de réaliser les étapes de son projet. Il est donc directement lié aux ressources extérieures disponibles et utilisées. Le concept de réalisation permet de percevoir concrètement le mouvement et les gains éventuels de l'empowerment. En fait, les réalisations sont les marqueurs tant du projet que de l'ensemble du trajet de vie. Ici, elles font état des divers acquis antérieurs aux années récentes. C'est d'ailleurs à travers les références à des réalisations subséquentes à leur projet d'avoir des enfants que l'empowerment des parents devient apparent. C'est donc sur la base de réalisations récentes qu'il nous est possible de mieux comprendre un éventuel empowerment des familles. Ces réalisations, au regard des projets répertoriés, sont multiples. À titre d'exemple, soulignons quelques réalisations possibles : accès au statut reconnu de citoyenneté ; formation scolaire terminée, au secondaire ou dans un domaine particulier (par exemple un cours d'auxiliaire familiale) ; prise de responsabilité à l'intérieur de la structure d'un organisme communautaire ; développement d'une meilleure relation affective avec son enfant; reconnaissance d'une nécessaire rupture avec le conjoint. Soulignons qu'en affirmant que tout processus d'empowerment doit déboucher sur des réalisations effectives nous nous démarquons de certaines perspectives théoriques qui insistent sur le sentiment de pouvoir faire quelque chose, plutôt que sur le fait d'avoir vraiment réalisé quelque chose. Ce qui ressort de cette recherche, c'est que les réalisations sont les marqueurs de l'état d'évolution d'un projet d'empowerment. Qui plus est, ces réalisations doivent être reconnues socialement, car la personne peut difficilement se tailler une place, même petite, sans l'approbation et les encouragements des autres. Des gains personnels Toutefois, il est clair qu'idéalement ces réalisations doivent se traduire par des gains personnels concrets relativement à divers attributs qui permettent de prendre un peu plus de pouvoir sur sa vie. La conscience nouvelle, les compétences accrues et l'estime de soi sont des attributs fréquemment mentionnés dans les écrits sur la questions. Lorsqu'un parent améliore ses habiletés personnelles ou acquiert de nouvelles attitudes reliées à l'estime de soi, à l'affirmation de soi et à la motivation à agir, lorsqu'il devient plus conscient de ses forces et de ses limites, il en retire un gain personnel. C'est là et là seulement que l'idée d'un sentiment d'avoir plus de pouvoir sur sa vie prend son sens, dans la mesure où ce
8. À titre d'exemples, pensons à Ninacs (1996), Lord et Hutchison (1993) et Breton (1994).
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sentiment fait ressortir la possibilité d'utiliser à d'autres fins les acquis d'une réalisation. Ce sont ces gains qui constituent le véritable empowerment, car ce sont des acquis «génériques», que l'on peut utiliser dans d'autres situations, notamment pour entreprendre d'autres actions. Ces gains sont nécessaires pour devenir un peu plus sujet de sa vie. Ils doivent renforcer les capacités du sujet, car les réalisations du projet constituent une nouvelle expérience dans laquelle la personne brise le cycle de l'hétérodétermination, ce qui peut la conduire à se percevoir comme un être moins démuni et capable de se réaliser. En synthèse, considérant les étapes essentielles à l'empowerment que nous avons préalablement relevées, il est possible d'affirmer que l'empowerment est un processus : 1) qui s'amorce lorsque la force qui projette l'individu vers le futur est plus forte que celle qui le retient dans le passé ; 2) qui se cristallise lorsque l'individu possède les ressources nécessaires pour aller de l'avant et passer à l'action ; 3) qui s'incarne dans des réalisations observables, par rapport à un ou des projets qui entraînent des gains personnels. En cela, nous nous éloignons de toutes les définitions de l'empowerment personnel qui chercheraient à nommer les formes d'adaptation dans une perspective instrumentale. De notre point de vue, il ne s'agit point ici de déterminer le niveau de gain d'une personne par rapport à un absolu qui constituerait l' empowerment maximal ou un empowerment idéal. Il importe plutôt de faire ressortir la capacité d'une personne d'aller de l'avant en fonction de sa propre trajectoire. C'est donc en lien avec son histoire qu'il nous semble possible de décrire et de nommer l'empowerment développé par une personne, et de cerner d'éventuels résultats. Une telle manière de concevoir l'empowerment fait particulièrement ressortir toute la force que prend l'idée même du processus, la distinguant ainsi du seul résultat. Car ces résultats, toujours très relatifs et probablement non quantifiables, comme le soulignait Zimmerman (1995), n'ont de sens et ne s'expliquent que s'ils sont pris comme une étape dans le parcours d'une vie. CONCLUSION Tout le processus du devenir sujet se constitue en interaction avec autrui. Ce processus passe d'abord par la création d'un lien social, ne serait-ce que symboliquement, car devenir sujet c'est commencer à sortir de l'aliénation imposée par l'absence de reconnaissance de la part de l'autre. Ainsi, ne plus être aliéné, c'est commencer à exister à ses yeux et aux yeux de l'autre. Comme le soulignent Vincent de Gaulejac et Isabel Taboada-Leonetti (1994, p. 273), le rapport qui s'établit ici est bien plus
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qu'instrumental. Les réalisations qui marquent le trajet d'un individu et ouvrent sur des gains personnels sont souvent alors hautement symboliques : « face à la désinsertion, l'essentiel n'est pas seulement de trouver un emploi et des ressources, mais aussi de rétablir des relations qui soient le support d'une reconnaissance symbolique et le chemin pour retrouver une identité sociale ». À ce titre, l'intervention directe dans le cadre du programme NEGS nous semble participer à ce processus essentiel de création de relations, de liens sociorelationnels, une étape vers la réalisation d'un projet pour bon nombre de familles rejointes. Mais plus encore, il y a dans le processus du devenir sujet un deuxième niveau nécessaire et incontournable qui ne relève pas de la personne elle-même. La disponibilité des ressources extérieures nous apparaît, en effet, centrale à tout processus d'empowerment car l'accès à ces ressources facilite la capacité d'action de la personne. Aujourd'hui, les projets individuels se butent trop souvent à de multiples contraintes structurelles (Boutinet, 1998). En ce sens, le concept de capabilité, en soulignant qu'il faut regarder « la liberté dont jouit effectivement un individu » (Sen, 1993, p. 220), nous rappelle que tous les individus ne disposent pas des mêmes ressources et n'ont donc pas la même capabilité de réaliser leurs projets. Tout empowerment est donc relatif, en fonction de la capabilité d'action du sujet9. Si parfois cette absence de capabilité peut être liée aux attributs personnels des sujets (la limite intellectuelle et le talent, par exemple), force est d'admettre que l'absence de capabilité est surtout tributaire de ce que la société offre comme possibilités à ces personnes. La capabilité, ce sont en quelque sorte les conditions d'accès réelles à la mise en action, c'est-à-dire les ressources réellement disponibles facilitant la prise de pouvoir de la personne. C'est ce dont la personne a besoin pour ne pas rester coincée avec elle-même, incapable d'atteindre le but fixé ou même de faire émerger son projet. Dans une société qui valorise l'idée de projet personnel sans nécessairement en permettre l'accès, rendant l'individu
9. A. Sen fait une différence fondamentale entre le bien premier (Rawls) et la capabilité. Selon lui, le rapport que peut établir une personne avec son monde dépend de ses propres ressources physiologiques, mais aussi de la possibilité d'un milieu de permettre la réalisation de ses choix de vie. Il importe donc de tenir compte des deux dans un souci de justice sociale. « De même, lorsqu'on aborde le problème de la pauvreté dans les pays riches, il faut tenir compte du fait que nombre de "pauvres" en termes de revenus et d'autres biens premiers présentent également des caractéristiques - âge, handicap, mauvaise santé, etc. - qui leur rendent plus difficile la conversion des biens premiers en capabilités de base, telles que la capabilité de se déplacer, de mener une vie saine et de prendre part à la vie collective » (1993, p. 221).
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« immature », incapable de réaliser ce à quoi il aspire, la capabilité permet de ne pas se retrouver aux prises avec soi-même et avec ses limites (Boutinet, 1998). L'accent que nous mettons sur les conditions d'accès à un processus d'empowerment nous rappelle que l'impuissance, comme nous l'avons soulevé dans les premières pages, prend racine dans un contexte sociétal particulier qui génère pour certaines personnes appauvrissement et exclusion. Parler de processus d'empowerment n'a de sens qu'en lien avec le contexte même qui produit l'absence de pouvoir, reléguant des familles avec de jeunes enfants à un statut de personnes pauvres et assistées sociales. Dès lors, tout processus personnel ne peut s'amorcer sans tenir compte de l'environnement social dans lequel le problème émerge. Si le projet participe d'une perspective personnelle, il doit s'accompagner d'un processus plus large de changement. Ce processus plus large de changement facilite le projet - en accentuant les conditions d'accès aux ressources, donc en haussant les capabilités de la personne - et permet de faire émerger, dans un milieu, une communauté et même une société, de réelles opportunités pour d'autres personnes vivant une situation similaire. C'est ce qui distingue l'empowerment compris comme une étape du devenir sujet d'un processus de croissance personnelle, en liant le travail de libération de chacun à des gains qui peuvent servir à d'autres. Nous parlons ici de tout ce qui se rapporte à une action plus collective, à un niveau de participation plus social que devrait atteindre un sujet inscrit dans un processus d' empowerment. Cependant, au regard des écrits sur la question, nous apportons certaines nuances sur ce passage de l'individuel au collectif. À la lumière des parcours des femmes et des hommes interviewés dans le cadre de notre recherche, il nous semble que les démarches d'empowerment personnel ne peuvent toutes être habitées d'un niveau de conscience sociale qui permettrait un sérieux questionnement face aux structures de la société. Mais tout empowerment personnel participe d'un rapport plus ouvert à la société qui nécessite le respect de l'autre dans sa propre démarche d'appropriation. On ne peut parler d'empowerment lorsque la prise de pouvoir de l'un se fait au détriment de l'autre. En revanche, si ces gains doivent se faire dans le respect d'autrui, tous ne sont pas nécessairement appelés à devenir des acteurs plus collectifs. Dépasser la douleur et la méfiance pour s'approprier sa vie, c'est déjà, pour certains des sujets de notre recherche, un acte social qu'il faut reconnaître en tant que tel. De notre point de vue, et en lien avec le concept de capabilité, c'est alors aux autres acteurs concernés - ceux qui font la promotion du programme, qui y participent et qui y interviennent - de tenter d'offrir les conditions d'accès, donc de générer les changements collectifs nécessaires
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à l'empowerment plus personnel. Les perspectives plus collectives invitant aux changements structurels, souvent essentiels pour permettre aux personnes de devenir sujet de leur vie, nous apparaissent tributaires des efforts nécessaires et concertés des partenaires impliqués dans le travail de soutien à 1'empowerment10. C'est par ce biais que se crée cette nécessaire interface entre la trajectoire personnelle et la communauté / société dans laquelle la personne évolue. BIBLIOGRAPHIE BOUTINET, J.-P. (1989). « Histoire et projet », dans G. Pineau et G. Jobert, coordonnateurs, Les Histoires de vie, tome II, Actes du colloque « Les Histoires de vie en formation », Paris, L'Harmattan. BOUTINET, J.-P. (1998). L'Immaturité de la vie adulte, Paris, Presses universitaires de France, 267 p. BRETON, M. (1994). « Relating competence-promotion and empowerment », Journal of Progressive Human Services, vol. 5, n° 1, p. 27-44. BRUTO DA COSTA, A. et al. (1995). « Pauvreté ou exclusion ? », Service social dans le Monde, nos 1-2, p. 6-16. CAMILLERI, C., J. KASTERSZTEIN, E.M. LIPIANSKY, H. MALEWSKA-PEYRE, I. TABOADA-LEONETTI et A. VASQUEZ (1990). Stratégies identitaires, Paris, Presses universitaires de France. CASTEL, R. (1994). « La dynamique des processus de marginalisation : de la vulnérabilité à la désaffiliation », Cahiers de recherche sociologique, n° 22, p. 11-27. CASTEL, R. (1995). Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 490 p. COLIN, C., F. OUELLET, G. BOYER et C. MARTIN (1992). Extrême pauvreté, maternité et santé, Montréal, Éditions Saint-Martin, 259 p. DENIGER, M.-A., S. EVANS, V. PORTEBOIS, M. PROVOST, A. RÉGIMBALD et J.-F. RENÉ (1995). Pauvreté et insertion sociale et professionnelle de jeunes familles : une comparaison Québec/Ontario, CCDS et CPSOC, Ottawa, 141 p. DUBET, F. (1987). La galère: jeunes en survie, Paris, Fayard, 503 p. DUBET, F. (1994). Sociologie de l'expérience, Paris, Seuil, 272 p. DUBET, F et D. MARTUCELLI (1998). Dans quelle société vivons-nous ?, Paris, Seuil, 323 p. 10. Soulignons que le programme NEGS comporte un volet qui s'attarde à la dimension plus collective de tout processus d'empowerment.
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DES TRAVAILLEURS DE RUE CRÉATEURS DE LIENS SOCIAUX
CHANTAL CHEVAL, M. SC. Intervenante sociale en CLSC
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RÉSUME Cet article explore la pratique d'accompagnement des travailleurs de rue à travers le récit de relations qu'ils ont tissées avec des jeunes ou des jeunes adultes. Fondée sur la reconnaissance de ces personnes comme sujets et acteurs, en quête de sens, et sur le développement d'un lien significatif avec elles, cette pratique essentiellement relationnelle et symbolique, peut être définie comme une pratique d'accompagnement clinique.
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DES TRAVAILLEURS DE RUE CRÉATEURS DE LIENS SOCIAUX
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Au cours de cette recherche sur le travail de rue au Québec, nous avons exploré la pratique d'accompagnement dont celui-ci se réclame. A partir de plusieurs récits de relations entre des travailleurs de rue et des jeunes, nous avons pu saisir la pertinence de l'accompagnement comme attitude et pratique, au regard des problèmes contemporains d'exclusion. Selon nous, cette pratique épouse les caractéristiques d'une démarche clinique du fait même que toutes deux appellent la question du sens et reposent sur une pratique relationnelle et symbolique. Nous avons ainsi vérifié que le travail de rue peut être posé comme une pratique d'accompagnement clinique mieux à même de répondre aux nouveaux phénomènes d'exclusion. En raison des limites inhérentes au format de cet article, nous n'avons retenu que quelques citations des travailleurs de rue ; d'autres extraits peuvent être consultés dans notre travail de recherche (Cheval, 1998). LE TRAVAIL DE RUE AU QUÉBEC Riche d'une expérience d'une trentaine d'années, le travail de rue au Québec demeure une pratique pourtant jeune, en comparaison de celle de la France qui l'a vu naître il y a plus de cinquante ans et de celle des États-Unis qui remonte à plus de soixante ans. Il participe de toute une tradition de solidarité, d'entraide informelle qui demeure encore vivante dans les sociétés traditionnelles et qui perdure sous diverses formes dans les sociétés dites modernes. Quiconque dans la communauté, « de la coiffeuse au serveur de la taverne du coin, en passant par le propriétaire du magasin général » (Lamoureux, cité dans Pharand, 1995, p. 5), qui accueillait les confidences et les plaintes des individus occupait une place, une fonction semblable, bien qu'informelle, à celle des travailleurs de rue d'aujourd'hui. Le travail de rue, tel qu'il se pratique actuellement, est né à la fin des années 1960 à Montréal et a traversé trois grandes périodes. Tout d'abord appelé travail de milieu, il s'est développé à partir de la création de « cliniqueschampignons » soutenues par Drogue-secours et visait à lutter contre les abus de drogues « psychédéliques ». De nouvelles pratiques spécialisées se développaient avec les jeunes en même temps que se créait en 1969, à Montréal, le Bureau de Consultation jeunesse. Ces pratiques répondaient aux difficultés et aux préoccupations des jeunes de l'époque la drogue, la délinquance, la prostitution, la sexualité, puis l'emploi et l'hébergement. Au milieu des années 1970, les travailleurs de rue, comme d'autres intervenants de différentes ressources communautaires, se sont intégrés au réseau institutionnel à la suite de la réforme de la santé et des services sociaux (Castonguay-Nepveu) et ils ont alors perdu contact momentanément avec le milieu et la culture de la rue. Le nouvel essor du
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travail de rue, au début des années 1980, s'explique par les problèmes sociaux soulevés et amplifiés à la fois par la récession économique, par la transformation des réseaux de liens traditionnellement fondés sur la famille et le voisinage ainsi que par le désengagement de l'État dont les conséquences ont mobilisé l'attention des organismes communautaires. Longtemps exclusivement actif à Montréal, le travail de rue a essaimé depuis le milieu des années 1980 pour s'enraciner peu à peu à Québec, puis dans les régions comme le Bas-Saint-Laurent, la Côte-Nord et le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Actuellement, le travail de rue se développe dans un contexte de recrudescence des problèmes liés à la pauvreté, à la violence et au sida, tous sources d'exclusion. Il est considéré, du moins dans les textes relatifs à l'itinérance, comme un mode d'intervention privilégié auprès des jeunes qui ne sont rejoints par aucune institution. Mais cette reconnaissance est limitée : des subventions précaires et souvent non récurrentes placent constamment les organismes communautaires devant des problèmes de survie et ajoutent au contexte d'insécurité qui est le lot quotidien des travailleurs de rue (Bernier, 1994). De nos jours, le travail de rue se caractérise par une grande diversité de pratiques selon les projets, les individus et le contexte d'intervention. Les travailleurs de rue ont cependant en commun des valeurs et des principes que la naissance, en 1993, de l'ATTRueQ (Association des travailleurs et des travailleuses de rue du Québec ; ATTRueQ 1993) en tant qu'instance de réflexion collective, d'analyse et de développement de la pratique a permis de reconnaître. Un code d'éthique définit le cadre de référence propre à cette pratique fondée sur un idéal d'humanité, de solidarité, d'égalité et d'équité. Inscrite dans une tradition humaniste, elle repose plus précisément sur « [...] la reconnaissance du potentiel humain et favorise l'autonomie et le développement de l'individu à travers un processus de responsabilisation » (Pharand, 1995, p. 20) et privilégie, de ce fait, un rapport aussi égalitaire que possible, construit à partir d'une relation de confiance et de réciprocité. « Le travail de rue, c'est pas une relation d'aide, c'est une relation d'être », dit Lamoureux, un des pionniers du travail de rue au Québec (cité dans Pharand, 1995, p. 14). Bien que les travailleurs de rue soient conscients des limites de leur pratique par le fait même du contexte socioéconomique actuel et de leur impuissance à agir sur ces phénomènes, ils poursuivent aussi des objectifs globaux de promotion d'une justice sociale et d'une diversité culturelle dans la société québécoise. Le travail de rue est défini comme un type d'approche, un moyen d'action et un modèle d'intervention et il fait référence à des lieux de pratique déterminés par le milieu de vie des jeunes et des jeunes adultes. Il s'exerce à partir de plusieurs disciplines, telles que la psychologie, le
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travail social et l'animation communautaire, et se définit comme une pratique d'accompagnement. Dans sa pratique, le travailleur de rue se joint à une personne ou à un groupe et assume un rôle de soutien dans le quotidien, dans le respect du rythme de l'accompagne. Il reconnaît à celui-ci, par ailleurs, le droit fondamental de faire ses propres choix de vie. Il vise à l'aider à se faire une place dans la société et à reprendre du pouvoir sur sa vie en favorisant l'amélioration de ses conditions de vie et l'acquisition d'une autonomie individuelle. En outre, le travail de rue se présente comme un travail de « reliances sociales », de médiation entre les jeunes et la société. L'expérimentation d'un pouvoir plus collectif d'entraide au sein de leur espace de vie est également encouragé et soutenu. Comme le montre ce bref rappel de la trajectoire du travail de rue au Québec, son évolution n'est pas linéaire. L'accroissement des phénomènes d'exclusion générés autant par la crise socioéconomique que par l'organisation même de notre société dite moderne a transformé cette pratique. Celle-ci tente de conquérir peu à peu une légitimité par le fait qu'elle rejoint des individus ou des groupes qui sont peu ou pas atteints par les pratiques institutionnelles. Parce qu'il tient compte des préoccupations quotidiennes des jeunes et, particulièrement, de ceux qui sont en marge de la société civile, le travail de rue se pose comme une solution de remplacement du mode d'intervention institutionnelle et se définit comme une « pratique d'accompagnement clinique ». SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE ET MALAISES SOCIAUX Des phénomènes d'exclusion d'une grande ampleur se développent. Ils ne sont pas le seul fait de stratégies individuelles, mais relèvent plus globalement d'une crise de sens généralisée dans les sociétés contemporaines et sont générés par deux principaux facteurs. D'une part, la mondialisation des marchés modifie les équilibres économiques et provoque chômage, pauvreté et précarité. D'autre part, le développement de l'individualisme et le désengagement de l'État-providence ont fait éclater les réseaux d'appartenance et de solidarité traditionnels, renvoyant les individus à eux-mêmes dans leur recherche de sens. Il en résulte une fragilisation des liens sociaux et un affaiblissement du lien symbolique qui induisent le développement de problèmes identitaires tant sur le plan individuel que collectif. La quête identitaire peut alors se manifester par « des conduites de risque » (Le Breton, 1991, p. 16-47) à travers des activités plus ou moins extrêmes comme l'errance, les toxicomanies ou encore par des rites de socialisation que sont certains actes de délinquance (Fitoussi et Rosanvallon, 1996, p. 48).
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La dimension existentielle de ces phénomènes échappe aux institutions et aux services sociaux, particulièrement à ceux qui sont dominés par une logique privilégiant l'objectivation et la normalisation des individus. Les moyens mis en place par ces mêmes institutions pour appréhender le sens et la dynamique de ces phénomènes de déliaison sociale, pour trouver des voies alternatives et réduire ainsi la fracture sociale qui se creuse entre les exclus et le reste de la société s'avèrent inopérants. Impuissants à intervenir sur les problèmes économiques, les services sociaux, du moins dans leur courant dominant, paraissent souvent tout aussi impuissants à oeuvrer au niveau relationnel et symbolique dans une société qui participe à l'affaiblissement des liens sociaux. Il en résulte un décalage entre l'offre et la demande qui ne peut conduire qu'à l'aggravation des processus d'exclusion. Cependant, de nouvelles perspectives fondées sur la reconnaissance du sujet tendent à émerger de cette impasse. Elles privilégient l'établissement de nouveaux liens sociaux pour contrer les difficultés identitaires et s'intéressent au sens des conduites et des comportements des personnes en situation de précarité. L'APPROCHE CLINIQUE ET L'ACCOMPAGNEMENT : DES PRATIQUES RELATIONNELLES ET SYMBOLIQUES Dans ce contexte, l'approche clinique est l'une de ces perspectives qui nous semblent appropriées comme méthode de connaissance et d'action, puisqu'elle reconnaît justement le sujet et prend en compte la question du sens. Par ailleurs, l'accompagnement, pratique essentiellement relationnelle et symbolique dont se réclament les travailleurs de rue au Québec, comporte des caractéristiques de l'approche clinique que nous allons faire ressortir. Rappelons que l'approche clinique en sciences humaines et sociales est définie non pas comme une théorie mais comme une méthode, une voie de connaissance et d'action. Elle s'adresse à des personnes ou à des groupes qui ne sont pas nécessairement malades ou en difficulté et ne vise donc pas nécessairement la guérison ou l'atteinte d'objectifs qui relèveraient de normes ou d'un idéal prédéfini et généralisable à toute une population. Elle vise plutôt à aider le sujet à définir sa propre voie, à se mobiliser pour aplanir ses difficultés, à en comprendre le sens, à trouver un nouvel état d'équilibre et à accéder à une forme d'autonomie individuelle (Enriquez, 1993). La connaissance et la reconnaissance de l'individu considéré comme sujet et acteur de son existence, donc en perpétuel devenir, sont fondamentales dans la démarche clinique. Et, pour acquérir un savoir sur et avec ce sujet, pour le comprendre et l'aider à accéder au
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sens qu'il donne à sa propre histoire et aux événements qui la jalonnent, le clinicien adopte une position particulière, en se situant « au pied du sujet social ». C'est bien grâce à cette position de proximité, voire d'intimité, et à son interaction avec le sujet qu'il peut accéder à la singularité et à la subjectivité de ce dernier. Et c'est aussi pour se donner accès à une globalité du sujet qu'il s'intéresse à l'articulation du psychologique et du social sur lesquels se construit l'identité individuelle et sociale. Le clinicien dépouillé de son rôle d'expert s'engage alors comme sujet lui-même dans une rencontre avec l'autre, dans une relation qui s'instaure progressivement sur le principe de la réciprocité. Ce nouvel espace relationnel met en scène « des interlocuteurs » (Lévy, 1993, p. 125), « des partenaires » (Jeannet, 1993, p. 141) engagés l'un et l'autre dans un processus « de co-construction d'un savoir » (Renaud, 1995, p. 88). Du fait même de son implication, le clinicien est renvoyé à la nécessité d'adopter une position de nonneutralité, voire de prendre clairement position face à la réalité sociale. L'accompagnement vient préciser davantage une pratique clinique qui se veut relationnelle et symbolique (Renaud, 1997) et qui participe à « l'émergence de l'être-sujet » (Boulte, 1995, p. 121). D'ailleurs, plusieurs cliniciens (Ardoino, 1989, p. 64 ; Jeannet, 1993, p. 141) définissent leur pratique comme l'accompagnement des acteurs dans un processus d'exploration et d'interprétation d'un sens. D'autres auteurs (Renaud, 1997, p. 156 ; Lamau, 1994, p. 248 ; Bibeault et Perreault, 1995, p. 220) préconisent l'accompagnement comme mode d'intervention pour répondre aux malaises vécus dans les sociétés contemporaines et aux problèmes suscités par l'affaiblissement des liens sociaux. La position du clinicien relève de cet accompagnement tel qu'il a d'abord été élaboré dans le domaine des soins palliatifs, pratique qui restitue au lien tout son sens en suscitant autour du malade une communauté de soutien qui inclut famille et soignants. Cette pratique est particulièrement pertinente pour des personnes qui sont aux prises avec l'incertitude et la précarité et qui ont besoin de reconstruire une confiance en soi, une aptitude à l'action et de développer la capacité d'entrer en relation. L'accompagnement ajoute à la perspective clinique, notamment en ce qui concerne la question de la proximité. Accompagner, c'est se faire le compagnon de quelqu'un et se faire le compagnon de quelqu'un, c'est établir avec lui une relation significative qui se co-construit dans le processus d'élaboration de la relation. On le voit bien, l'accompagnement appelle nécessairement le travail clinique. C'est probablement d'ailleurs ce qui amène Jeannet (1993, p. 117) à situer sa démarche de clinicien comme une pratique « d'accompagnement d'une demande » et ce qui l'oblige, bien entendu, à modifier sensiblement son rapport avec le sujet d'intervention. Il rompt alors avec la fonction d'expert et avec ce qu'elle suppose de savoir a priori sur l'autre
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ou sa situation, sur sa demande et sur la réponse à donner : praticien et sujet d'intervention deviennent alors partenaires dans le processus enjeu. Ce processus appelle la rencontre, un événement qui stimule, chez le sujet, le désir de sortir de l'isolement, de s'impliquer et qui lui permet d'accéder à lui-même et de tisser du lien social. Ce lien, qui s'établit entre l'accompagnant et l'accompagné, est foncièrement symbolique dans la mesure où il suscite l'échange entre eux, nourrit leur interaction et ouvre sur une reconnaissance et un engagement mutuels. Plus globalement, la pratique de l'accompagnement réintroduit la dimension symbolique en créant ou en renforçant un lien social. La fonction de l'accompagnement nous apparaît d'autant plus importante que c'est le système symbolique qui permet au groupe de se relier et de s'orienter et aux individus de se forger une identité à partir de ces points de repère collectifs (Renaud, 1995). QUELQUES DÉTAILS MÉTHODOLOGIQUES Nous avons interrogé des travailleurs de rue sur leur pratique, constituée, selon eux, de toute « une palette de couleurs », donc teintée par la subjectivité des sujets qui l'exercent par celle des jeunes à qui ils s'adressent. Nous avons ainsi pu saisir comment ils définissent leur pratique d'accompagnement et vérifier si celle-ci comporte des caractéristiques de l'approche clinique. Laissant de côté une « pseudo-neutralité traditionnellement mise de l'avant », nous avons effectué des interviews sur un mode qui s'apparentait à une sorte de « conversation » entre des interlocuteurs (Daunais, 1984, p. 153). L'interviewé était alors particulièrement actif dans le processus d'interview et nous lui reconnaissions une place d'expert que nous partagions avec lui, sur le sujet proposé, tout en assumant nous-mêmes un rôle de facilitateur et de soutien de l'expression de l'interviewé. Nous avons choisi d'aborder la pratique des travailleurs de rue, principalement à partir d'une ou de deux histoires de relations, passées ou encore actuelles, que chacun a tissées avec un jeune ou un jeune adulte. Chaque histoire met en scène un jeune et un travailleur de rue et relate leur rencontre dans le quotidien et plus spécifiquement le processus qui a ouvert sur la création d'un espace relationnel et symbolique. Les données recueillies ont un caractère impressionniste, à l'image même du travail de rue qui se situe dans une ouverture au processus et aux trajectoires individuels. Ces données nous semblent pertinentes, dans le cadre d'une recherche exploratoire, pour qualifier certains aspects de la pratique du travail de rue et ouvrir le concept et la pratique de l'accompagnement à d'autres perspectives professionnelles.
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UNE PRATIQUE D'ACCOMPAGNEMENT CLINIQUE La connaissance du sujet et sa reconnaissance, intimement liées dans l'accompagnement comme dans l'approche clinique, sont aussi au coeur de la pratique du travail de rue. C'est ainsi que julien souligne l'importance de s'appuyer, dans sa pratique, sur « une connaissance qui passe par une reconnaissance de l'autre, de son droit à ses projets, à ses valeurs, contrairement à agir pour l'autre dans un contexte de prise en charge où, en fait, tu reconnais rien à l'autre, ou pas grand-chose, et tu le situes surtout en fonction des normes sociales et ce à quoi il devrait répondre ». CONNAÎTRE... Dans l'approche clinique, le processus de connaissance et l'élaboration de l'action reposent essentiellement sur l'interaction entre le clinicien et le sujet d'intervention ou de recherche. L'interaction étant également centrale dans la pratique d'accompagnement, nous tenterons de suivre les travailleurs de rue dans le processus à partir duquel ils tentent de créer un « événement » relationnel avec les jeunes, d'assurer une présence significative dans leur milieu de vie. « L'événement » est ce qui permet à tout individu de faire l'expérience de soi, d'« accéder au réel » à partir de la rencontre avec l'autre (Boulte, 1995, p. 70). Parce que l'initiative de la rencontre est rarement prise par les jeunes dans un premier temps, « c'est le plus souvent le travailleur de rue qui initie ce mouvement d'aller vers eux » (Samuel) pour les rencontrer sur leur territoire, dans leur quotidien et pour accueillir ou provoquer « l'événement » qui peut ouvrir à une relation. Le travail de rue ça doit être vraiment comme, t'es pas chez vous, là c'est vraiment toi qui pars avec tes affaires, puis tu t'en vas rencontrer des jeunes où ils sont, pour ce qu'ils sont, puis dans leur milieu. (Samuel) Le processus habituel de la demande et de l'offre est donc inversé dans la mesure où c'est le travailleur de rue qui, dans un premier temps, demande à connaître l'autre, à partager son quotidien : « Dans la rue, c'est un endroit où tu n'as pas de prises ; c'est toi le mendiant, tu vas mendier la réalité des jeunes » (Laure). De fait, le rapport dominant-dominé qui caractérise la relation de l'expert à l'usager est sensiblement modifié. La position de demandeur du travailleur de rue, de celui qui ne sait pas, inhabituelle dans les pratiques psychosociales, est pourtant essentielle pour que s'opère un processus d'apprivoisement réciproque. C'est la position adoptée par Gabrielle lorsqu'elle se sert de ses limites pour entrer en contact avec des jeunes dans une salle de pool.
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Pour qu'une rencontre ait lieu et que se tisse un lien entre jeunes et travailleurs de rue, une observation patiente et une présence dans le quotidien sont nécessaires. L'observation ne se limite pas au sens technique du terme, puisqu'elle vise, au-delà d'une connaissance objective des sujets, le contact avec les jeunes. En apparence passive, cette position d'observateur a surpris certains travailleurs de rue, formés à poursuivre des objectifs de changement, donc à se mobiliser avant tout dans l'action. Or, il ne s'agit pas tant de « faire », mais avant tout « d'être là » sur le terrain, de vivre aux côtés des jeunes. Parce qu'elle sollicite le regard et manifeste un intérêt à l'autre, l'observation n'est pas neutre, elle est déjà une interaction, un échange de signes de reconnaissance mutuelle et l'amorce d'un échange symbolique. Je me suis mise dans le parc [...] ça m'a permis de voir ses déplacements et avec qui il était et ce qu'il faisait d'un endroit à l'autre. [...] C'était un jeune qui n'avait pas peur de rien ; pour faire sa place, il était prêt à n'importe quoi : casser la gueule à quelqu'un, casser une vitre n'importe où, rentrer dans un dépanneur et voler. Alors j'ai observé ça pendant longtemps, peut-être pendant trois, quatre semaines, trois fois par semaine à peu près ; y avait pas de contact, c'était de loin ; le seul contact que j'avais c'était le regard. (Gabrielle) Les espaces de rencontre sont aussi multiples, aussi diversifiés que le sont les parcours individuels des jeunes. Les travailleurs de rue fréquentent tous les espaces de vie des jeunes : les parcs, la rue, les arcades, les lieux de consommation de drogue, les écoles, les patinoires, les terrains de basket, les maisons de jeunes, les squats, les piaules, les lieux de prostitution, les bars. Chaque lieu exige du travailleur de rue une approche adaptée pour lui permettre de vaincre la méfiance des jeunes, d'éveiller leur curiosité, de susciter parfois leur intérêt et de favoriser, à un moment ou à un autre, une rencontre informelle. Les travailleurs de rue sont donc amenés à découvrir les trajets quotidiens de chacun, à « occuper » et à parcourir les différents espaces de vie et à suivre les mouvements amorcés par les jeunes. Michel décrit à la fois le processus d'apprivoisement d'un jeune et de son groupe de référence et l'approche tant individuelle que collective qu'il privilégie. L'un des travailleurs de rue qualifiait d' « instinctif » ce genre de connaissance du terrain qui l'amène à initier une rencontre ou à la reporter dans le temps, en attendant une ouverture et des circonstances favorables. C'est ainsi que Laure initie la relation avec René en s'introduisant spontanément dans une activité avec son groupe de référence. Ce soir-là, il jouait au soccer. Le ballon sortait de zone et venait vers moi ; je le leur redonnais et c'est tout ce que j'ai fait. Et puis la dernière fois que j'ai touché au ballon, j'ai eu une hésitation avant de leur lancer et là, lui, s'est approché et : « Pourquoi tu nous le redonnes pas ? » Je lui ai dit :
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« Est-ce que je peux jouer avec vous autres ? ». [...] Il m'a demandé qui j'étais, j'ai dit mon nom. Il m'a demandé ce que je faisais : « On va jouer au soccer puis on en parlera plus tard ». Après la game de soccer, je lui ai dit : « T'es pas mal bon. » J'ai profité de l'opportunité pour essayer d'aller plus loin. Les premiers contacts avec les jeunes peuvent aussi prendre la forme d'une reconnaissance et d'une réponse à leurs besoins primaires (nourriture, cigarettes, hébergement), geste éminemment symbolique dans la mesure où il valide le besoin, mais aussi la demande et ouvre ainsi à la possibilité d'un échange spontané et immédiat. « Notre accompagnement, c'est aussi notre présence », dit Samuel. Mais cette présence ne va pas de soi, car bien qu'il soit mandaté par un organisme, le travailleur de rue doit gagner une légitimité auprès des jeunes. Il lui faut accepter de se trouver dans la position de « l'étranger » pour se faire progressivement une place avec ces jeunes. Et se faire une place, se faire reconnaître comme personne et travailleur de rue nécessitent un long processus qui ne peut aboutir sans l'accord implicite et parfois explicite des jeunes. À la mouvance du milieu, à l'imprévisibilité des événements les travailleurs de rue opposent une flexibilité, une accessibilité et beaucoup de patience, attitudes qui nourrissent le lien symbolique avec les jeunes. C'est à partir de sa connaissance de leurs besoins que Samuel leur offre une qualité de présence : « une forme de fiabilité silencieuse, une forme de maturité ». Etre présent aux côtés des jeunes, c'est donc, pour les travailleurs de rue, les ouvrir à la possibilité de partager « leurs révoltes, leurs bons coups, leurs espoirs, leurs désespoirs » (Laure), de traverser des événements avec eux dans toutes les sphères de leur vie. En étant présente aux côtés de Pierre dans une confrontation directe avec la police, puis dans une situation de crise, Gabrielle peut alors intervenir sur-le-champ avec lui. Sûre de la solidité du lien entre eux, et confiante malgré une situation qui peut paraître bien souvent chaotique et dénuée de sens, elle est tantôt soutenante, tantôt confrontante avec lui quand il est question de ses rapports avec la loi et de façon générale avec les autres. RECONNAÎTRE Nous savons combien la reconnaissance est fondamentale dans toute trajectoire humaine ; c'est ce qui construit ou consolide le sentiment d'exister, pour soimême et pour autrui. Ce besoin est particulièrement criant pour des jeunes en quête d'identité et de points de repère tant individuels que sociaux. Le regard que posent les travailleurs de rue sur ces jeunes, leur façon de reconnaître, sans nécessairement s'y attarder, l'histoire de chacun de même que l'importance qu'ils accordent à leur univers culturel participent de ce mouvement de reconnaissance.
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Les travailleurs de rue s'opposent à un discours dominant qui présente les exclus et les jeunes en particulier, soit comme victimes, incapables de se mobiliser, soit comme responsables de leur condition ou encore comme irrécupérables ou dangereux. Ils décrivent les jeunes comme des sujets et des acteurs en constante évolution, qui réfléchissent, qui désirent et sont capables de faire des choix, même si ces choix s'apparentent parfois à de la survie. Accueillir les jeunes dans ce qu'ils vivent, dans ce qu'ils expriment verbalement ou par leurs attitudes constitue alors une sorte d'antidote à leur environnement décrit comme stigmatisant et invalidant « une façon de bâtir la confiance c'est de pas les juger [...] c'est d'embarquer dans leur game mais pas bêtement » (Michel). Les travailleurs de rue savent plus ou moins intuitivement que les attentes de certaines institutions à l'égard des jeunes et des exclus en général nourrissent le plus souvent chez ces derniers un sentiment d'impuissance, amplifient leur sentiment d'échec et le processus de dévalorisation dans lequel ils sont déjà enfermés (De Gaulejac et Taboada-Leonetti, 1994, p. 265). À partir de certaines pratiques institutionnelles de prévention du sida - comme la distribution des seringues -, décrites comme instrumentales et normalisantes par Julien, il est aisé de saisir ce processus paradoxal qui invalide le jeune et enlève de ce fait tout son sens à un processus d'accompagnement. « Je vais t'amener des seringues pour pas que... ! » [...] si tu ne donnes plus le droit à l'autre de les refuser et qu'un jeune décide qu'il le prenne, le risque, ça lui appartient, pis, j'ai à l'assumer ce choix-là comme intervenant [...], si je lui impose un service qui, dans une approche plus instrumentale, ou en fait, je lui ramène, à grosses pelletées, toutes les attentes normatives sur le plan de la santé publique [...] en fait, je lui enlève son droit premier, qu'il exerce de toutes façons, pleinement, de se mettre en opposition à la norme, pis je perds de la capacité comme intervenant de me situer dans cette zone grise-là, la capacité de mieux comprendre le choix qu'il a fait, pis après de pouvoir l'accompagner dans d'autres choix en l'informant. (Julien) C'est aussi au besoin de reconnaissance des jeunes que les travailleurs de rue répondent lorsqu'ils posent sur ceux qu'ils côtoient un regard empreint de tendresse, d'admiration face aux ressources qu'ils mobilisent pour vivre, parfois survivre. La plupart des travailleurs de rue manifestent aussi une sorte de foi en ces jeunes, en leur potentiel de créativité, d'ingéniosité et en leur capacité de traverser des étapes de vie. Odile partage son admiration pour les capacités d'expression de Julie tout en reconnaissant certaines de ses difficultés. Avec l'aide du groupe d'intervention-vidéo, cette fille a vraiment fait un projet du début à la fin et je vais te dire que quand elle fait des conférences, elle est bonne ; pis elle est capable de voir qu'elle est bonne et de
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dire : « Là-dessus, y faut que je travaille ça » ; elle est ben, ben brillante ; je peux pas te dire que cette fille-là a complètement arrêté de consommer, mais elle est capable de se voir un petit peu plus. (Odile) « D'emblée, je leur donne ma confiance jusqu'à preuve du contraire », affirme Gabrielle. La dimension symbolique de ce regard, de la confiance accordée a priori est source de valorisation et de réassurance pour des jeunes qui, en plus de douter d'eux-mêmes, ont souvent à faire Face, selon Laure, à la méfiance qui pèse sur leurs paroles, leurs gestes ou leurs intentions. La trajectoire sociohistorique des jeunes est fréquemment et spontanément évoquée dans les récits recueillis. Sans doute les travailleurs de rue pressententils plus ou moins clairement qu'écouter, stimuler l'émergence de la mémoire est une façon d'accéder à soi, de s'inscrire dans le temps, dans une trajectoire et, donc, de construire ou de développer une identité. Samuel tient compte de l'histoire de Sylvain lorsqu'il l'aide à prendre conscience des liens existant entre sa difficulté d'aimer, d'être aimé dans ses relations amoureuses et dans la relation avec sa mère. Plusieurs travailleurs de rue accueillent l'histoire des jeunes sans toutefois chercher à l'approfondir, d'autres tentent de motiver certains jeunes à faire une démarche thérapeutique. Connaître, comprendre et reconnaître « la culture » de ces jeunes, même si l'on ne peut pas parler de culture uniforme, est fondamental pour que se construise un lien de confiance entre eux et les travailleurs de rue. Cette culture recouvre en effet des réalités multiples, elle échappe à toute catégorisation et elle est principalement appréhendée à partir des trajectoires individuelles des jeunes. Cependant, certains travailleurs de rue reconnaissent un sens social à l'espace de vie des jeunes et à leurs actes. Selon julien, les jeunes sont aussi des « révélateurs de l'échec de notre organisation sociale et d'un malaise », et « la zone grise » dans laquelle ils se trouvent est l'un des espaces de revendication des jeunes. Comme plusieurs autres travailleurs de rue, il reconnaît aux jeunes une fonction de questionnement autour du caractère paradoxal de l'organisation sociale et de confrontation d'un certain ordre établi, donc des valeurs de fond de la société. Les jeunes nous amènent à nous interroger, dit-il encore, sur nos pratiques sociales et, pour toutes ces raisons, ils ont une place et une utilité sociales auxquelles les travailleurs de rue tentent d'accorder une visibilité.
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UNE POSITION PARTICULIÈRE Après avoir exploré la représentation que les travailleurs de rue ont des jeunes, voyons maintenant comment ils s'engagent comme sujets, comme « semblables » (De Gaulejac et Taboada-Leonetti, 1994, p. 264) à ces mêmes jeunes qu'ils côtoient. Ils s'engagent dans le temps et dans l'espace des jeunes mais aussi en adoptant une position de non-neutralité avec eux. Et cet engagement exige d'eux une démarche réflexive personnelle et professionnelle. Les travailleurs de rue s'engagent, à des degrés divers, comme des sujets, porteurs d'un désir, en devenir et acteurs eux-mêmes. Ils s'impliquent comme sujets, guidés par le désir d'être en relation et de communiquer avec les jeunes. Portés aussi par un désir d'humanisation qui dépasse leur seule pratique, plusieurs expriment leur refus de laisser toute la place à la dimension technique, au « faire », qui domine dans nos sociétés. C'est en ce sens que Samuel exprime l'espoir que l'humanisme domine dans toutes les activités humaines : « Si t'es pusher, sois un pusher humaniste à la limite. » Certains expliquent comment leur désir d'apprendre sur eux-mêmes dans leur interaction avec les jeunes les motive dans leur pratique. C'est un terrain que j'aime [...] parce qu'ils viennent me confronter sur mes principes, sur des valeurs [...] et je suis obligé de me remettre en question et de fouiller en moi-même, y me font grandir énormément. Ils nous confrontent à accepter des choses qu'on penserait jamais. (Simon) Le processus d'accompagnement décrit dans les récits de la relation entre les travailleurs de rue et les jeunes s'échelonne sur une période variant entre deux et dix ans. Il va ainsi à l'encontre d'une logique technocratique qui privilégie systématiquement et sans discernement le court terme, la recherche de l'immédiateté des résultats et de la productivité. Pour plusieurs travailleurs de rue, revaloriser le temps et la durée, c'est alors opposer une sorte d'antidote à la précarité matérielle, relationnelle, affective et sociale qui jalonne le parcours individuel d'un nombre accru de jeunes. Attentifs à la demande de ces derniers et à leur besoin du moment, les travailleurs de rue leur offrent différentes modalités allant d'un accompagnement quotidien à des contacts plus espacés dans le temps. Car c'est bien au fil du temps que se construit la confiance à partir de laquelle certains jeunes peuvent faire l'expérience de la fiabilité, de la constance du lien, essentiels pour qu'à leur tour ils puissent s'engager dans le temps et se projeter dans l'avenir. Les travailleurs de rue prennent position dans la réflexion qu'ils font sur la réalité sociale et dans leur relation avec les jeunes. Bien que leur engagement avec les jeunes se situe surtout au niveau individuel, les travailleurs de rue ne se laissent pas enfermer dans une subjectivité dénuée
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de toute visée sociale. Ils démontrent un engagement social et communautaire à l'occasion d'événements qui touchent les jeunes. Il peut s'agir de dénoncer des préjugés qui stigmatisent les jeunes, de travailler à la construction d'espaces intermédiaires, de médiation, qui ouvrent sur la création de nouveaux liens sociaux. Ils s'engagent parfois sur le plan social en portant sur la place publique certains paradoxes institutionnels comme l'incohérence des mesures prises simultanément par des institutions gouvernementales différentes. C'est ainsi que le ministère de la Santé et des Services sociaux, qui adopte une approche préventive, subventionne le travail de rue et l'approche de « réduction des méfaits », alors qu'à l'inverse la majorité des policiers prônent la « tolérance zéro » et privilégient l'approche répressive avec les toxicomanes. Mais la non-neutralité des travailleurs de rue face à la réalité sociale vécue par les jeunes ne signifie pas pour autant qu'ils approuvent inconditionnellement leurs comportements et leurs valeurs ou qu'ils se situent dans une relation exempte de frontières et de limites. Conscient que les limites, en suscitant une séparation entre soi et les autres, permettent à chacun d'éprouver son existence, de se situer dans sa différence et de construire une identité individuelle et sociale, Michel assume sa responsabilité d'adulte face aux jeunes : « Pour devenir des adultes, pour devenir des êtres humains épanouis, ils ont besoin d'encadrement; les adolescents cherchent des murs. » Pour plusieurs travailleurs de rue, affirmer leurs valeurs en paroles et en actes, dès lors qu'un lien significatif existe, est une façon de proposer des points de repère aux jeunes, de les faire s'interroger tout en restant ouverts au dialogue. Conscients de certains enjeux professionnels ou personnels soulevés par leur pratique, les travailleurs de rue font une démarche réflexive, seuls ou avec d'autres que ce soit un superviseur, des pairs ou des membres de l'équipe. À des degrés divers, ils s'interrogent sur leur identité personnelle et professionnelle. Simon, qui s'est parfois senti interpellé par des jeunes, dans ses valeurs et dans son identité, reconnaît de façon réaliste l'écart entre la pratique telle qu'elle est rapportée et la réalité : « Des fois, y a le discours, pis ce que tu penses en arrière, ça paraît dans tes actions. » Les travailleurs de rue ont à coeur de clarifier les valeurs dont ils sont porteurs et qu'ils sont amenés à transmettre dans leur relation avec les jeunes. Ils sont en effet conscients qu'ils peuvent faire obstacle au processus d'individuation des jeunes en les parasitant avec « leurs préjugés », « leurs jugements » ou des projets qui ne seraient pas les leurs. Dans leur pratique d'accompagnement et le contexte de grande proximité relationnelle qu'il suppose, les frontières des travailleurs de rue sont souvent mises à l'épreuve. Elles sont plus ou moins perméables et aucun travailleur de rue ne demeure dans une stricte distance professionnelle.
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Certains partagent, avec des réserves, des aspects de leur vie personnelle afin d'ouvrir sur des pistes de réflexion constructives avec des jeunes. Le code d'éthique pose clairement une frontière relationnelle entre le privé et le professionnel. Pour Odile, la bonne distance en ce qui a trait à sa vie privée est ainsi définie : « C'est clair, la limite, c'est pas mes amis, et les filles le sentent très bien [...] elles ont pas mon numéro chez nous. » Confrontés dans leur quotidien à l'illégalité, à cette « zone grise », ils sont souvent interpellés sur leurs propres frontières, amenés à clarifier leur position et à définir sans cesse le cadre de leur relation avec les jeunes. À tous moments, il s'agit pour eux de trouver une position juste qui se situerait entre un engagement suffisant et une distance nécessaire. J'ai accompagné quelqu'un qui dansait, qui avait un rapport beaucoup de séduction aux bonhommes ; ça a pas été évident, heureusement qu'y avait mon partenaire de travail avec qui je pouvais ouvrir sur le plan de mes désirs à moi, puis d'être capable de les nommer, parce qu'un coup qu'ils étaient nommés, ils étaient plus faciles à gérer. Le danger c'est de pas le nommer pis de rester dans ce tourbillon-là. (Julien) Ces différents aspects de l'engagement des travailleurs illustrent comment ils semblent se tenir en permanence sur « un fil », dans une recherche constante d'équilibre : entre leur préoccupation à l'égard des jeunes, un désir qui les porte vers eux, nécessaire pour les confirmer dans leur existence, et le risque que ce désir devienne synonyme d'intrusion, de négation du sujet qu'ils cherchent à faire advenir. UNE RELATION SIGNIFICATIVE À ce qui s'énonce comme un problème d'érosion des liens sociaux les travailleurs de rue répondent en établissant une relation de proximité avec certains jeunes et tout naturellement en créant un lien significatif avec eux. Pour julien, c'est sur le lien que repose la légitimité du travail de rue, un lien d'intimité qui n'est pas le produit de normes sociales dont il serait le mandataire, mais qui émerge de sa rencontre avec les jeunes. Le lien, pierre angulaire de la pratique d'accompagnement, n'est pas conditionnel à des critères de réussite fixés arbitrairement ou à l'attente que les jeunes atteignent des objectifs fixés en fonction de normes. En choisissant donc de ne pas poser des objectifs qui devanceraient les jeunes et les réduiraient à un rang d'objet d'intervention, les travailleurs de rue respectent le processus de chaque jeune et visent à favoriser le développement de leur individualité.
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La finalité du travail de rue se situe à l'opposé de celle élaborée dans le modèle médical en ce sens qu'elle ne pose pas un objectif de guérison ou d'éradication des symptômes. « Le travail de rue ne va pas nécessairement régler les problèmes », précise Suzie. Cette pratique rompt avec la logique inhérente à la relation d'aide qui s'adresse à des personnes aux prises avec des problèmes clairement définis ou qui formulent une demande d'aide. Particulièrement attachés à une approche globale, les travailleurs de rue s'opposent par conséquent à toute démarche objectivante et donc réductrice, comme celle qui vise à catégoriser les jeunes selon leurs problèmes et à offrir des services en fonction de populations cibles ou de facteurs de risque. UN ESPACE DE RÉCIPROCITÉ La réciprocité de la relation est une caractéristique commune à l'approche clinique et à l'accompagnement. Elle contribue à donner un sens à la relation entre les travailleurs de rue et les jeunes et constitue un facteur de socialisation pour ces derniers. La réciprocité suppose que se développe une interaction fondée sur l'échange et sur le désir de chacun des interlocuteurs de s'impliquer dans un espace de co-construction tant sur le plan des savoirs que dans la recherche d'un sens. Dans leur pratique, les travailleurs de rue privilégient l'échange de savoirs et le partage de pouvoir avec les jeunes, créant des espaces symboliques de reconnaissance mutuelle. « Ils aiment ça nous montrer des choses, apprendre à faire tenir un mohawk, avec de la gélatine, ce que ça veut dire de se promener avec un rat sur l'épaule, y vont nous montrer beaucoup sur leur culture » (Gabrielle). Pour plusieurs travailleurs de rue, le rapport de réciprocité repose sur une relation essentiellement égalitaire, qui se justifie par le fait qu'ils reconnaissent les jeunes comme ayant plein pouvoir sur leur vie et qu'ils acceptent d'apprendre d'eux. Mais si Julien aspire à une relation égalitaire avec les jeunes, il s'interroge sur ce qui relève de la réalité et de l'idéal, reconnaissant finalement que l'égalité, dans l'accompagnement, est une utopie. Dans une perspective clinique, la recherche du sens, c'est-à-dire la signification que l'individu donne à des événements, à un comportement ou à une parole, ne peut s'opérer qu'à travers son expérience concrète et l'accès à une parole qui lui permette d'en partager le sens avec d'autres. C'est ainsi que les travailleurs de rue tentent de créer un espace interlocutoire en écoutant, en interrogeant les jeunes sur le sens de leur expérience et sur celui qu'ils veulent donner à leur vie. Accompagner, c'est en effet privilégier « l'agir communicationnel » plutôt que « l'agir instrumental »
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(Boulte, 1995, p. 120), bien que cette dernière tendance domine dans la société contemporaine et dans nombre d'institutions et de services d'aide. C'est en créant des espaces de parole qu'on peut penser nourrir le lien symbolique dont l'affaiblissement se manifeste de plus en plus par des comportements de régression et des conduites à risque parfois destructrices pour soi ou pour les autres. Car la parole a « un effet cathartique » (Lamau, 1994, p. 226) en permettant, entre autres, l'expression de la souffrance et de la douleur et ainsi la mise à distance de l'angoisse. Comme le montrent les nombreux échanges entre jeunes et travailleurs de rue, ces espaces de parole sont aussi des espaces de médiation entre soi et soi et entre soi et les autres (Boulte, 1995, p. 41). Et, pour émerger, la parole du sujet doit être portée par le désir d'un autre, le désir d'entendre, de savoir ce qui l'habite. «J'ai le goût de connaître les projets de vie des gens, j'ai le goût de partager, les forces, les faiblesses, le courage, comment y font pour passer à travers tout ça », dit Samuel, guidé par le désir de connaître ceux qu'ils côtoient. Parfois, le silence permet au jeune de s'ouvrir, d'articuler ce qui a profondément un sens pour lui. Accompagner les jeunes dans leur recherche d'un sens ne peut se faire que si le travailleur de rue s'abstient de leur imposer un sens qui soit extérieur à eux et s'il accepte d'abandonner une position d'expert. Lorsque l'échange s'inscrit dans une démarche verbale, comme Laure le fait en interrogeant René sur le sens de sa souffrance, il se crée alors un espace de symbolisation. Bien que Samuel et Sylvain soient à une étape différente de vie, ils partagent des préoccupations communes sur plusieurs facettes de la vie « les relations amoureuses, le marché du travail, les toxicomanies, les relations sexuelles ». Le plaisir et le rire partagés avec les jeunes sont aussi des moments forts, tout aussi constructeurs de sens que d'autres plus sérieux ou plus dramatiques. Pour julien, c'est le plaisir de partager son intérêt pour la musique avec Denis. L'échange nourrit la relation, élargit le champ de connaissance en même temps qu'il enrichit chacun des interlocuteurs de leur différence. Tout échange est symbolique et l'échange d'un cadeau entre Gabrielle et Paul l'est particulièrement dans l'histoire de ce dernier. Je me souviens à Noël [...] je lui avais acheté un foulard, pis il dit : « Ça fait comme un cadeau de Noël. » Lui, il m'avait donné son aigle. Y dit: « Je veux faire un échange de cadeau parce que j'ai toujours passé mes Noëls en dedans, c'est le premier Noël que j'ai pas une can de tabac en cadeau. » À partir de cette relation verbale, un sens peut émerger et un espace de transformation peut s'ouvrir, permettant ainsi aux jeunes de découvrir et de mobiliser l'acteur en eux. La « réduction des méfaits », approche spécifique des problèmes de toxicomanie, bien qu'elle soit contestée par
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certains travailleurs de rue quand elle ne s'inscrit pas dans un lien significatif avec les jeunes, illustre un processus de transformation et de co-construction de sens. Elle vise un mieux-être et la réappropriation si minime soit-elle, par le jeune, d'un pouvoir sur son existence quotidienne. UN SUJET CRÉATEUR DE LIEN SOCIAL Pour acquérir une identité, pour « accéder au réel », l'individu doit sortir de luimême, se référer à un système de lois et accéder à des espaces de socialisation (Boulte, 1995, p. 127). Le lien qui se noue entre le travailleur de rue et les jeunes s'enliserait rapidement s'il ne s'ouvrait sur d'autres espaces relationnels. C'est pourquoi les travailleurs de rue mobilisent et nourrissent le désir des jeunes en favorisant le développement des liens sociaux à partir d'événements et d'activités même si cela n'aboutit pas à leur intégration au sens normatif du terme. Ils sont amenés à endosser différents rôles, comme ceux « d'adulte significatif », de « trait d'union » entre les jeunes et la communauté ou entre eux, les institutions et la société civile. Ils favorisent aussi tout événement de nature à ouvrir sur une citoyenneté. C'est ainsi que julien provoque « un événement » susceptible d'avoir un impact sur la relation entre une mère et son enfant. C'était de les amener à la piscine avec son flo pour qu'elle puisse voir son flo dans un autre contexte, [...] y avait moi pis Denis, l'autre intervenant qui amenait ses enfants [...] c'était un enfant et c'est encore un enfant extraordinaire, mais c'est quelque chose qu'elle voyait pas. Tranquillement, avec la piscine, elle l'a un peu plus vu. Y en a eu un changement important [...] mais ça a sûrement été un élément qui a permis qu'elle ait un autre rapport à son flo qu'un rapport de culpabilité, de rejet. Dédramatiser, atténuer les préjugés, les peurs des jeunes comme celles du personnel soignant est l'une des façons d'éviter la perspective d'un rejet réciproque, comme le fait Simon quand il accompagne certains jeunes à l'hôpital. Adopter une position de médiation exige souvent du travailleur de rue un va-etvient entre les acteurs concernés tant et aussi longtemps que le processus n'est pas mûr pour qu'un dialogue s'engage ou encore dans des situations qui interdisent toute rencontre, parce qu'elles sont du registre de l'illégalité. Sollicitée par un groupe populaire afin d'éviter la détérioration des rapports entre les personnes qui se prostituent et un groupe de citoyens d'un quartier, Odile s'engage dans un processus de médiation entre les deux parties. Des solutions qui tiennent compte des positions des deux groupes se dégagent après consultation des protagonistes. C'est aussi un espace de parole que Lucien crée lorsqu'il organise une rencontre entre des jeunes et la police pour leur permettre d'amorcer un dialogue.
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J'avais organisé une rencontre de jeunes, y avait l'avocat, les jeunes et la police ici pour que les jeunes expliquent ce qui va pas avec la police et que la police soit là aussi pour répondre, pis l'avocat pour dire aux jeunes c'est quoi leurs droits [...] parce que c'est difficile pour eux d'aller vers la police, alors j'ai amené la police vers eux [...] c'était un besoin parce que les jeunes me posaient des questions et moi, j'ai pas la réponse. (Lucien) Prendre du pouvoir sur sa vie demande qu'on connaisse ses droits et ses devoirs et qu'on ait accès aux institutions qui sont porteuses et garantes des lois. Pouvoir revendiquer ses droits permet à tout individu de se situer comme citoyen et de conserver ou de retrouver une dignité. En ce sens-là, les travailleurs de rue ont à coeur d'informer les jeunes sur les aspects à la fois contraignants et protecteurs des normes sociales. Ceux-ci peuvent alors choisir soit de s'y conformer, soit de les transgresser en toute connaissance de cause. Mais il semble que certaines institutions n'offrent pas facilement aux usagers, et notamment aux personnes en situation d'exclusion, cette reconnaissance comme « sujet de droit [...] comme citoyen à part entière » (De Gaulejac et Taboada-Leonetti, 1994, p. 250). Or, cette reconnaissance est particulièrement importante pour les personnes en grande difficulté identitaire, puisqu'elle peut leur servir de tremplin pour recouvrer une confiance et une estime d'elles-mêmes. Se retrouver dans le dédale de certaines institutions, résister au processus d'objectivation et d'invalidation qu'elles génèrent (Ibid., p. 251) est spécialement périlleux pour des personnes déjà en situation de vulnérabilité. C'est pourquoi il est très fréquent que les travailleurs de rue accompagnent des jeunes dans divers services pour qu'ils fassent valoir leurs droits et comprennent les mécanismes institutionnels. Dans certains cas, ils se substituent provisoirement à eux pour que leur voix soit entendue et respectée et ils servent alors de modèle pour le jeune, dans la négociation avec l'institution. C'est ainsi que Gabrielle négocie avec un agent du bureau de la sécurité du revenu, en présence du jeune concerné. Y a un petit gars, ça faisait six mois que ça traînait, pis la journée que je suis arrivée, ça a bien passé [...] des fois, t'es juste là pour dire : « Écoute ben, sa mère, elle signera pas le papier, pis elle lui en donnera pas d'argent, ben oui ça fait deux ans moins un jour, après demain ça va être correct, on peut-tu faire quelque chose aujourd'hui ? » Afin que les tentatives des jeunes de renouer avec certaines normes ou institutions puissent s'expérimenter dans de meilleures conditions, les travailleurs de rue orientent aussi les jeunes vers un réseau d'intervenants qui sont sensibilisés à leur culture et qui épousent des valeurs d'intervention proches de celles du travail de rue.
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ACCOMPAGNER UNE DEMANDE Nous savons combien l'idée même d'une demande formelle est de plus en plus difficile à envisager pour de nombreuses personnes prises dans une spirale de déliaison sociale. Dans un tel contexte, vouloir répondre à d'hypothétiques besoins définis en dehors des principaux intéressés est une entreprise vouée à l'échec: « Ce qui est problématique pour nous autres l'est pas du tout pour eux autres [...]. Des fois, ce qu'ils veulent travailler, c'est pas nécessairement ce qui est le plus problématique » (Gabrielle). C'est pourquoi les travailleurs de rue adoptent une position - proche de celle du clinicien - d'ouverture à la demande, à l'émergence du désir et du rêve et au processus qui favorise la transformation du rêve en projet. Dans 9 des 10 situations étudiées dans notre recherche, l'initiative de la relation a été prise par des travailleurs de rue, préoccupés par l'isolement des jeunes du reste de la communauté, par la pauvreté de leur univers relationnel et par la fragilité de leurs points de repère. Les travailleurs de rue créent des liens en se laissant pousser par le mouvement de la rue, en suivant ces flux et reflux de demandes, explicites parfois, implicites le plus souvent. La demande peut être plus explicite à une étape où le travailleur de rue est reconnu comme tel par les jeunes et qu'un lien s'est établi. À la demande de jeunes, Michel a élargi son intervention en milieu scolaire à du travail de rue dans le quartier et se voit invité à se joindre à eux, sur leur territoire et en dehors de tout problème ou de toute souffrance exprimée. La demande de certains jeunes ne s'exprime pas seulement sous la forme d'une attente d'action ; elle peut aussi traduire l'espoir de créer un lien fiable qui leur permettra de partager, de symboliser ce qu'ils portent à l'intérieur d'eux. « Michel ! Juste de m'écouter, juste de m'aider à réfléchir, juste d'avoir une heure où y a pas de tensions, où je peux me décharger de toutes mes tensions, c'est ce que j'ai besoin. Je cherche pas à ce que tu me trouves une solution à tous mes problèmes. » (Michel) C'est au nom de ce lien, parce qu'il symbolise une préoccupation à l'égard des jeunes, que certains travailleurs de rue ont parfois agi en dehors de toute demande. C'est ainsi que Gaël prend l'initiative de retrouver Sylvie, de reprendre contact avec elle. Il pose ainsi un geste symbolique envers elle, dans un moment où elle a rompu avec une partie de son réseau. Un an plus tard, elle est partie en fugue ; c'est moi qui suis allé la chercher, elle était sur Sainte-Catherine, elle se défonçait, ça faisait trois jours qu'elle dormait pas, qu'elle se gelait [...] elle était avec ses amis punks dans un coin de l'immeuble.
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La transformation d'une demande en un projet exige tout un processus qui passe par la capacité de rêver et d'éprouver du désir. C'est ce désir qu'Odile perçoit au-delà de certaines apparences : « Ils ont des aspirations comme tout le monde. » Le travailleur de rue serait porteur de ce regard qui ranime et accompagne le désir parfois fragile de certains jeunes, respecte leur indécision et leur rythme. Il serait celui qui, comme l'explique Julien, est «capable de rêver avec les jeunes, puis d'explorer le rêve, puis d'aller plus loin ». Conscients des difficultés identitaires des jeunes qu'ils rencontrent, la plupart des travailleurs de rue saisissent toute émergence de projet qui pourrait devenir une source, parmi d'autres, de valorisation individuelle pour ces jeunes. Ils accompagnent ces jeunes dans la concrétisation de leurs rêves, sans porter a priori de jugement sur leur faisabilité, dans un processus qui exige des choix, l'acceptation de certaines contraintes et une prise de responsabilités de la part des jeunes. Choisir, c'est suivre un processus d'autant plus difficile pour ces derniers qu'il implique à la fois la connaissance de soi et la connaissance des ressources qui en permettent la concrétisation. Les travailleurs de rue sont donc attentifs à nourrir la réflexion et le questionnement des jeunes sur leurs projets. L'apprentissage de l'autonomie et de la responsabilité fait aussi partie des préoccupations des travailleurs de rue. « Faire l'expérience de soi », en relation avec d'autres, passe par des situations concrètes qui ravivent le sentiment d'avoir une compétence et une utilité sociales. Comme nous l'explique Laure dans l'accompagnement de René, le projet surgit d'une sanction judiciaire dans le cadre des mesures de rechange et devient ainsi l'occasion de modifier le regard stigmatisant que son environnement porte sur lui. C'est en s'occupant des petits pits de sept, huit ans au soccer. Et ça, ça lui a donné un espace où les gens qui l'ont vu et qui le mettaient à part, qui l'écartaient en disant : « C'est un pourri, c'est un ci, c'est un ça. » Ils ont commencé à découvrir que ce gars-là avait des richesses, des valeurs. Alors ça a changé. (Laure) Pour quelques jeunes, le sentiment d'appartenance sociale a suffisamment grandi pour qu'ils puissent, à leur tour, agir, « créer du réel » et des événements qui ont un sens pour eux et pour leur environnement (Boulte, 1995, p. 75).
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CONCLUSION Sans remettre en cause l'authenticité ni le contenu du discours des travailleurs de rue sur leur pratique, nous reconnaissons, à la suite d'Argyris et Schôn (1974, 1985, cités dans Saint-Arnaud, 1992, p. 53), qu'il doit être relativisé et qu'il existe toujours un écart entre « la théorie professée » et « la théorie pratiquée » par les praticiens. Dans la mesure où notre analyse repose sur le seul discours des travailleurs de rue, elle relève de la théorie explicite sans qu'ait pu être abordée la dimension implicite. Une analyse des pratiques et des entrevues avec des jeunes rejoints par les travailleurs de rue serait nécessaire pour vérifier les concordances entre le discours des travailleurs de rue et celui que les jeunes ont sur le processus d'accompagnement. La pratique du travail de rue suscite des tensions et des incompréhensions chez les bailleurs de fond, de même qu'auprès des services ou des intervenants sociaux. Ces tensions nous semblent dépasser le seul cadre du travail de rue et relever de conflits qui perdurent entre le système institutionnel et les organismes communautaires. Dans la mesure où ces conflits engendrent des rapports parfois difficiles, cela ne freine-t-il pas le processus qui vise à créer de nouveaux espaces de médiation avec les jeunes, à construire « un pont » entre eux et « le monde ordinaire » ? Ces tensions ne compliquent-elles pas, parfois, le rôle de « passeur » des travailleurs de rue, rôle qui pourrait pleinement s'actualiser dans une pratique interdisciplinaire plus généralisée qu'elle ne l'est actuellement (Sévigny, 1993, p. 25) ? L'interdisciplinarité, qui repose sur la reconnaissance qu'une seule discipline ne peut saisir la particularité et la totalité d'un individu, d'un groupe ou d'une situation, pourrait être une source de richesse autant pour les travailleurs de rue que pour les services et les intervenants sociaux. Par ailleurs, nous avons découvert une diversité de pratiques, ce qui n'est pas sans rappeler l'approche clinique. Réunis par des valeurs et des principes communs, les travailleurs de rue ont développé une pratique subjective, à partir de leur propre expérience sur le terrain. Ils ont acquis des connaissances pertinentes sur les phénomènes d'exclusion et sur les jeunes qui les vivent. Ce sont des « savoirs implicites », acquis non pas grâce à un « savoir disciplinaire » (Rhéaume et Sévigny, 1988, p. 96) qui renverrait à une théorie, mais grâce à une position de proximité physique, affective, relationnelle et culturelle avec ces jeunes, savoirs qui donnent un sens et une orientation à leur pratique d'accompagnement. Nous pourrions ainsi qualifier les travailleurs de rue d'« artisans du social concret » (Lavoué, 1986, p. 3), car leur engagement les place dans un rapport social qui
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s'approche plus de la primarité. Ils se distinguent ainsi des intervenants qui se situent uniquement dans un rapport de secondarité et se réclament d'une pure logique gestionnaire. La passion qui anime les travailleurs de rue rencontrés, le sens profond qu'ils donnent à leur pratique « silencieuse et quotidienne » (Renaud, 1990, p. 41) nous ont touchée. Parce qu'ils se voient eux-mêmes porteurs des facettes les plus sombres comme les plus lumineuses de la personnalité humaine, plusieurs travailleurs de rue ont montré qu'ils reconnaissent la coexistence du rationnel et de l'irrationnel inhérents à l'être humain, tout comme ils tolèrent et accompagnent « l'ambivalence, l'hétérogène, le pluriel et le jeu symbolique ». Si la pratique de l' « accompagnement clinique » s'adresse, pour l'instant, surtout à des personnes en situation d'incertitude et de détresse extrêmes, nous savons que le malaise identitaire est suffisamment généralisé dans les sociétés modernes pour que cette pratique puisse intéresser d'autres champs d'intervention sociale. Parce qu'il repose sur les dimensions relationnelle et symbolique, l'« accompagnement clinique » nous semble particulièrement pertinent pour lutter contre l'érosion du lien social dans un univers économique qui le déstructure constamment. Cette ouverture exigera que soit accordée « au social concret » (Lavoué, 1986, p. 10) toute sa valeur et que soit reconnue la diversité qui compose la réalité sociale, les différences individuelles autant que culturelles. Pour cela, il s'agirait de remettre à l'ordre du jour les valeurs d'échange et de solidarité et la créativité qui perdurent malgré l'évolution de nos sociétés modernes. C'est aussi sur la reconnaissance que la souffrance comme le bonheur et le plaisir, la lumière comme l'ombre, le rationnel comme l'irrationnel coexistent dans notre univers que pourraient reposer des approches s'inspirant d'une « pratique d'accompagnement clinique ». Il s'agirait alors de faire le deuil d'un idéal de toute-puissance et du projet d'éradiquer, un jour, tout ce qui n'entre pas dans les normes de bonheur, de beauté, d'harmonie et de réussite définies par les sociétés contemporaines. Souhaitons donc que d'autres intervenants sociaux aient du plaisir à poursuivre et à compléter l'exploration de cette « pratique d'accompagnement clinique » dont pourraient bénéficier d'autres champs d'intervention.
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SES TRAVAILLEURS DE RUE CRÉATEURS DE LIENS SOCIAUX
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RÉALITÉS INTERCULTURELLES ET INTERVENTION SOCIALE
ANSELME MVILONGO, Ph. D. École de service social, Université Laurentienne
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RÉSUMÉ Ce chapitre s'inscrit dans l'effort de formation à l'intervention sociale interculturelle entrepris depuis quelques années par des théoriciens et praticiens en relations humaines afin de fournir des services plus adéquats aux personnes de cultures diverses. L'auteur propose d'enrichir cette formation par l'apport du double concept de centration et décentration culturelles. Il reconnaît les répercussions négatives du sociocentrisme cognitif déformant et suggère aux intervenants des pistes pour éviter le danger associé à une pratique sociocentriste uniformisante, de même que pour soulever la question des bases culturelles du style de vie des populations à aider.
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RÉALITÉS INTERCULTURELLES ET INTERVENTION SOCIALE
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Les relations humaines sont si complexes qu'il devient illusoire de vouloir les définir formellement et de façon abstraite, car elles sont le vécu de chacun d'entre nous ; ce vécu ne saurait être une abstraction, mais bien une histoire tissée dans et par l'environnement social de l'individu. Aussi, dans ce chapitre, partirai-je de faits culturels simples, autrement dit d'incidents critiques impliquant des personnes de cultures différentes, pour remonter aux concepts auxquels se rattachent les réactions des unes vis-à-vis des autres. Voici deux incidents critiques susceptibles d'enrichir la réflexion sur le sujet qui nous occupe. Incident I Anna, 28 ans, femme immigrante parrainée par son mari, est arrivée au Canada il y a deux ans. Durant la première année de son séjour, tout allait bien avec son mari. Par la suite, les problèmes ont commencé. Anna est allée se confier à sa meilleure amie pour lui conter sa peine et sa déception. Son amie constate alors que les problèmes naissent d'un manque de communication et lui propose de l'emmener voir un de ses professeurs qui est très gentil et très ouvert. De prime abord, Anna refuse. Son amie insiste et Anna finit par accepter et prend un rendez-vous avec ce professionnel. Durant la rencontre, elle explique de son mieux ce qu'elle vit. Pendant toute l'entrevue, l'intervenant observe le comportement d'Anna et tente par tous les moyens de capter son regard afin de voir dans ses yeux l'expression de ses sentiments et de ses émotions. Mais ses efforts n'obtiennent aucun résultat. Le professionnel confie alors à l'amie d'Anna son incapacité d'aider cette dernière, qui ne coopère pas et de plus semble cacher ce qui se passe, car son regard est fuyant, ce qui est manifestement un signe de fermeture de la part de la cliente. Le professionnel termine donc l'entrevue en disant à Anna qu'il pourrait mieux l'aider si elle voulait bien le regarder dans les yeux. L'intervenant a manifestement manqué d'informations importantes sur la culture du pays d'origine d'Anna. Dans la culture de cette dernière, jamais l'inférieur quant à l'âge, quant au statut social ou professionnel, ne regarde un supérieur dans les yeux. Anna ne voulait pas passer pour une insolente. Comme elle devait beaucoup de respect à l'intervenant ainsi qu'à toute personne aînée ou supérieure à elle, Anna ne pouvait pas regarder l'intervenant dans les yeux. L'intervenant a tout simplement projeté les traits de sa propre culture sur sa cliente à cause du manque de connaissance de la culture de cette dernière.
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Incident II Rosario, 11 ans, et sa soeur Julia, 8 ans, sont arrivés au Canada avec leurs parents il y a seulement deux ans. Leur papa les a accompagnés à l'autobus scolaire qui les conduira à l'extérieur de la ville pour une journée sportive. En les quittant, papa a demandé à Rosario de bien veiller sur sa petite soeur Julia et de s'assurer qu'il ne lui arrive rien. Dès qu'ils sont seuls, Rosario ne quitte pas sa soeur des yeux. Aussi est-il désemparé lorsqu'on emmène Julia dans un autre groupe. Plus tard, dans la matinée, pendant que tous sont occupés par leurs jeux respectifs, il part vérifier ce que devient sa soeur, dans son groupe d'enfants. Un peu rassuré, il retourne auprès de son propre groupe. Lorsque midi arrive, Julia va vite chercher son sac et celui de Rosario ; elle sort le dîner de Rosario sur la table, le place devant lui et commence à manger avec lui. Après le repas, Rosario fait signe à sa soeur de lui donner sa part de dessert, ce qu'elle fait volontiers. Le lendemain, l'éducatrice, qui avait remarqué l'empressement de Julia à servir son frère pendant le dîner de la veille, insiste pour manger avec eux à l'heure du repas, à l'école cette fois-ci. Elle veut vérifier si le même scénario se reproduit, c'est-à-dire si la petite Julia va être au devant de son frère pour le servir. Rien n'a changé. L'éducatrice décide alors d'intervenir en interrogeant Rosario : « Rosario, pourquoi ne te sers-tu pas toi-même ? Ta soeur n'est pas ta servante. » Etonné, Rosario ne sait quoi répondre. « Julia, Rosario est assez grand pour se servir lui-même. Est-ce qu'il te sert ton repas à toi ? Il ne faut pas que Rosario profite de toi parce que tu es gentille pour lui », conclut l'éducatrice. L'éducatrice a-t-elle tenu compte des droits et des valeurs de la culture de l'autre, qui peuvent être différents des siens ? N'a-t-elle pas cherché à inculquer à la petite Julia ses propres valeurs à elle ? N'a-t-elle pas essayé de trouver une faille dans la façon de faire de Julia et de Rosario ? Les deux incidents critiques peuvent soulever encore plus de questions, pourtant beaucoup d'auteurs ont proposé différents modèles d'intervention sociale en contexte multiethnique et multiculturel. Ainsi, Gisèle Legault (1991) a suggéré que, pour répondre de façon appropriée aux exigences de la pratique en milieu multiethnique et multiculturel, les personnes formées en travail social aient une formation sur le plan du savoir, du savoir-être et du savoir-faire. Avant elle, d'autres auteurs comme Albert (1986) et Cohen-Emerique (1984) avaient proposé respectivement le modèle de sensibilisateur de culture et le modèle de prise de conscience de sa culture.
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Le modèle de sensibilisateur de culture est très utile pour communiquer des informations culturelles, pour accroître les aptitudes à faire des interprétations culturelles qui soient en accord avec celles de la culture autre que la sienne et pour faciliter les relations entre les personnes de cultures différentes. Le modèle conscientisateur permet, à partir d'une connaissance de soi, d'intégrer la connaissance de l'autre avec ses différences socioculturelles. Mais cette problématique semble requérir une exploration interculturelle non seulement du point de vue de la culture dominante et de ses institutions, dont le service social, mais aussi à partir des perspectives des diverses communautés qui, elles aussi, peuvent constituer des sous-cultures plus ou moins dominantes. Étant donné que, sur le plan social, comme souligne Kalpana Das (1988), la société occidentale nord-américaine en général fonctionne dans le contexte de hiérarchie de cultures plutôt que d'égalité entre cultures, ce qui permettrait la reconnaissance des différences, il existe une relation de verticalité entre les communautés culturelles, relation qui se traduit par une stratification qui place au sommet la culture dominante normative. La population ethnoculturelle perçoit la culture dominante et les personnes qui la représentent comme dominatrices et oppressives plutôt que comme simplement différentes. L'intervenante ou l'intervenant social, comme praticien, praticienne, théoricien ou théoricienne, représente la culture dominante et la culture de sa profession. Dès lors, peut-il, peut-elle vraiment être neutre et démystifier les notions erronées véhiculées par des termes comme « groupe ethnique », « communauté culturelle », « minorité », « allophones » ? La solution au problème requiert une réflexion portant sur l'intervention dans une société multiculturelle, source d'une réalité interculturelle ; réalité qui s'oppose au dualisme et au monisme. Au dualisme, c'est-à-dire à l'idéologie qui prône la polarisation : d'une part, la culture dominante et, d'autre part, les autres cultures individuelles nullement reliées entre elles, s'ignorant les unes les autres dans une indifférence de ghetto et dans l'autonomie de l'indépendance souveraine, exclusive des autres. Au monisme, soit le système où la culture d'un groupe se présente à l'autre comme absolument nécessaire à sa survie et à son existence, au point de ne plus respecter la distinction, la différence et l'irréductibilité constitutive entre les deux. C'est ce que Dominique Perrot (1990) illustre en parlant de la coopération quand elle écrit: « le coopérant a beau parler de son projet, c'est le projet lui-même, comme structure, qui déterminera sa pratique de coopérant ». De façon similaire, on peut dire des intervenantes et intervenants sociaux qu'ils ont beau avoir tendance à parler de leurs interventions, c'est leur sous-culture dominante ou leur culture professionnelle,
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comme structure, qui déterminera, pour une bonne part, leur pratique. Or, si nombre de leurs interventions consistent à remplacer « un potager par un parking chez les végétariens sans voiture » (Bureau, 1978), à quoi servirait-il de les sensibiliser et à quoi les sensibiliser ? C'est à ces deux questions que je tenterai de répondre en abordant le problème de la formation en intervention sociale interculturelle. Je ne l'envisage pas dans une optique descriptive, montrant ce qu'elle est, comment elle est conçue, quels en sont les effets dans tel ou tel contexte, mais bien sous l'angle normatif de ce qu'elle devrait être. Pour ce faire, j'articulerai ma réflexion autour du double concept de centration et décentration culturelles. La centration culturelle est le double phénomène qui consiste à valoriser les réactions et les aspirations du groupe auquel on appartient et à dévaloriser celles des autres groupes. On surestime son propre groupe et on sous-estime l'autre groupe. La décentration culturelle est une démarche scientifique permettant à l'individu de saisir l'autre en tant que lui-même, réduisant ainsi la part de la subjectivité. Dans ce contexte, on désigne comme macroculture la culture dominante occidentale nord-américaine par le fait qu'aujourd'hui la réalité humaine est divisée en plusieurs cultures et sous-cultures dont les sociologiquement dominantes sont la civilisation technologique, le système panéconomique et ce que l'on nomme communément le mode de vie occidental. CENTRATION CULTURELLE : PENSER L'AUTRE SELON SOI Comme l'écrivait Perrot (1990), les attitudes, comportements, façons de voir sociocentriques sont le propre de tout groupement humain. Le sociocentrisme comme phénomène est universel, même si les formes qu'il peut emprunter diffèrent d'une culture à l'autre. Par ailleurs, les conséquences du sociocentrisme de tel ou tel groupe sont loin d'être identiques. Prenons l'exemple de la culture occidentale nord-américaine : en raison de sa puissance technologique et économique, elle dispose de moyens suffisants pour imposer aux autres sa rationalité et sa façon de concevoir et d'implanter le développement. C'est en ce sens que le sociocentrisme occidental nord-américain ou autre est spécifique, d'une part, dans la menace qu'il fait peser sur toute autre culture et, d'autre part, dans le fait qu'il possède les moyens matériels et financiers pour mettre cette menace à exécution.
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Mis à part ce sociocentrisme, exceptionnel par sa capacité de s'imposer matériellement, la culture occidentale possède également une faculté de réflexivité qu'elle a apprise à développer au cours de son histoire. La sensibilisation de l'intervenante et de l'intervenant social devrait donc avant tout miser sur cette aptitude culturelle à réfléchir sur sa culture d'appartenance afin de diminuer les effets de son propre sociocentrisme. Comme toute autre personne, l'individu n'est pas un simple enregistreur de faits, il n'est ni passif ni isolé. Son rôle est actif. En effet, « dès l'enfance, il structure, sélectionne, classe, trie, filtre non seulement les mille et une perceptions sensorielles qui l'affectent à chaque instant, mais tous les messages qu'il reçoit » (Watzlawick, Helmick-Beavin et al., 1972). S'il n'est pas passif, il n'est pas non plus isolé ; il est inséré dans une histoire, dans une société qui l'empêche à tout jamais de se considérer comme libre de ce réseau extrêmement complexe de liens entravant sa volonté d'être objectif. Tout au long de son existence, l'individu acquiert des systèmes de référence. Progressivement, cet individu se socialise grâce à la famille, à l'école, au quartier, à la bande, à la profession, etc. Finalement, il intériorise le cercle concentrique le plus englobant, à savoir celui constitué par la culture dominante et ses valeurs. À ce stade, il assimile les valeurs dont il se servira pour connaître sa réalité qu'il croit être la réalité. L'individu se met graduellement au centre de ses perceptions ; de même, il met son groupe au centre et c'est à partir de ce centre qu'il élabore ses jugements sur la culture des autres. Être sociocentré, c'est donc penser l'autre selon soi, c'est l'illusion systématique et non consciente d'être en possession d'un savoir objectif, c'est présupposer qu'on n'a pas de présupposés, c'est ignorer l'ampleur de sa subjectivité personnelle et sociale. La tâche de la formation est donc de déclencher un mouvement réflexif chez l'intervenante ou l'intervenant social pris en tant que sujet individuel culturellement déterminé. La prise de conscience des centres constitutifs de sa personnalité individuelle et sociale est le préalable de la mise à distance de ces repères. Les sources de valorisation positive et négative n'agissent pas mécaniquement. Les différents contextes détermineront lequel, de la classe sociale, du sexe ou de la profession l'emportera, dans un cas particulier, sur les autres. Perrot (1990) nous apprend que, dans « telle circonstance, l'individu réagit en tant qu'ouvrier, dans telle autre, comme homme, comme jeune ou encore comme occidental-nord-américain ». Avec l'intervenant, il s'agit d'analyser essentiellement ce sociocentrisme, c'est-à-dire la constellation des valeurs acceptées ainsi que celles rejetées, critiquées ou ignorées tant dans sa propre culture que dans les cultures étrangères. Si la personne responsable de l'intervention saisit ce que signifie une centration sur le plan culturel, elle sera par la suite mieux à même d'interroger les autres centres de valeurs qui affectent son comportement et son idéologie.
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SE DISTANCIER DE SA CULTURE PAR LA DÉCENTRATION Être en mesure de reconnaître ses centrations constitue un premier pas vers la décentration ; il ne s'agit pas d'un état achevé que l'on atteindrait au terme d'une formation, mais d'un processus qui évolue avec la prise de conscience et la pratique. Si, dans le cadre de la formation antidiscriminatoire en intervention sociale, on opte pour la sensibilisation aux deux phénomènes de la centration et de la décentration, il faudra renoncer à l'accent prioritaire mis habituellement sur l'information. Il est vain de fournir des éléments de connaissance sur d'autres cultures si cette connaissance n'est pas elle-même soumise à un nouveau regard décentré. On ne se satisfera donc plus d'une simple information transitive présentée comme le reflet objectif de la réalité, mais on commencera par interroger le rapport entre la perception occidentale-nord-américaine et cette même réalité autre. Cette démarche réflexive sur les mécanismes va contraindre l'intervenant social à faire face à ce qu'il croit évident. Au lieu d'occuper de façon « naïve » son centre, il s'exercera à le mettre à distance sans pour autant l'abandonner - ce qui est impossible. Les phénomènes valorisation / dévalorisation existeront toujours, car ils ne peuvent être éliminés de façon volontariste mais plutôt être amenés à la surface de la conscience. La décentration ne conduit pas nécessairement à l'objectivité, mais elle y tend. Il n'est pas simple d'ébranler ses centrations qui fonctionnent efficacement comme éléments de structuration de l'identité individuelle et sociale, à travers une relativisation disciplinée. Aussi est-il courant de se heurter au réflexe de défense type qui consiste à se plaindre pendant les sessions de formation de ce que « l'on fait trop de théorie et pas assez de pratique », que « l'on met trop l'accent sur les problèmes, alors qu'il faudrait de l'information utile et positive ». De là, très rapidement, on assimile à théorique et à abstrait ce qui est effectivement problématique. En revanche est considéré comme utile et pratique tout matériel informatif qui n'est pas anxiogène mais « factuel », apparemment objectif et neutre, peu propice à la polémique. Le lien entre théorie et pratique n'est pas toujours aisé à faire accepter. Il est cependant nécessaire de mettre en lumière le lien dialectique entre le sociocentrisme culturel influençant la connaissance et les pratiques de la relation d'aide.
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DUALITÉ ET AMBIVALENCE DU SOCIOCENTRISME Le sociocentrisme est un phénomène à la fois double (cognitif et pratique) et ambivalent (identitaire et uniformisant). Double, il s'observe à deux niveaux qui s'interpénètrent constamment: celui de la connaissance et celui de la pratique. Ambivalent, car il existe deux types de sociocentrisme : le sociocentrisme qu'on appelle identitaire et celui qu'on qualifie d'uniformisant. Le premier fonde l'identité de l'intervenant et de l'intervenante (identité sexuelle, sociale, nationale, macroculturelle, etc.), alors que le second réduit et va jusqu'à détruire l'identité de l'autre. Le sociocentrisme occidental ou nord-américain, dans son ambivalence et sa dualité, voilà le phénomène complexe avec lequel l'intervenante ou l'intervenant social devrait se familiariser afin de pouvoir prétendre à une expérience plus large et plus enrichissante que celle d'une simple fonctionnalité efficace dans le cadre de son intervention. Cette personne, qu'elle soit issue de la culture dominante ou de toute autre sous-culture minoritaire, est en droit d'attendre de la « formation » qu'elle la mette en garde contre son sociocentrisme déformant sur le plan cognitif, puisque celui-ci débouche, en pratique, sur un sociocentrisme uniformisant. Les valorisations positives et négatives du sociocentrisme cognitif sont de nature affective et, la plupart du temps, non conscientes. Ce sont elles qui induisent une perception déformée. Une collègue travailleuse sociale, dans un atelier sur l'intervention en contexte interculturel, lors d'un colloque tenu à Montréal sur le même thème, posait la question : « Pourquoi ne sont-ils donc pas tous Canadiens ? On n'aurait pas de problèmes ! » Il s'agissait des immigrants et immigrantes. Une sensibilisation devrait permettre de toucher du doigt ce caractère affectif (non rationnel) et amener à la conscience cette perception « automatique » et non consciente. Un exemple pour concrétiser ce qui précède. La perception est une manifestation typique du sociocentrisme cognitif. Ayant valorisé un aspect de la société occidentale-nord-américaine, on le projette ailleurs en émettant l'hypothèse qu'il devrait y exister. La valeur accordée au travail en Amérique du Nord, comme en Occident en général, est considérée comme étant la norme souhaitable dont les spécialistes sont les garants. Ce sens du travail découle de la conscience que l'on a acquise en société que le travail est un devoir quasi sacré, que sans travail (emploi) l'individu n'est « rien » aux yeux de la société, sinon un problème (le chômage) ; que c'est par le travail que l'on s'épanouit dans la vie, que l'on trouve son identité, que le travail doit être efficace et salarié pour être pris au sérieux, etc. En d'autres termes, il s'agit de l'argent que rapporte le travail, l'argent qui donne le pouvoir de faire ce que l'on veut. On oublie ou on ignore
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que le travail n'a pas toujours été salarié, et qu'en ce cas il n'est pas moins épanouissant : qu'on pense à tant de mères de famille dans le monde qui sont fières d'avoir élevé leurs enfants, sans salaire pour ce travail. Avant la colonisation européenne, beaucoup de pays ne connaissaient pas le salariat, les gens travaillaient sans salaire et s'épanouissaient autrement, comme par la création d'oeuvres d'art, par exemple la sculpture des masques de bois. Garante de cette valeur-travail et pas toujours consciente de ses biais, la personne responsable de l'intervention va exporter ses normes et ses valeurs. L'efficacité est ici ce qui prime. Cependant, comme le dit R. Pannikar cité par Perrot (1990) : « Il n'y a pas de valeurs qui soient transcendantes à la pluralité des cultures pour la simple raison qu'une valeur n'existe comme telle que dans un contexte culturel donné. » Concrètement, comment se produit cette projection ? Il y a d'abord valorisation du travail à l'occidentale, puis, en conséquence logique, dévalorisation de telle ou telle société qui n'a pas le même sens du travail. L'intervenante ou l'intervenant social sociocentré constatera qu'il manque à son client ce sens défini comme le sens du travail ; c'est donc un vide, une absence, une carence que l'intervention est appelée à combler. Ces valorisations / dévalorisations peuvent déboucher sur une perception déformée, parce qu'en projetant la valeur-travail occidentale on ne voit pas - on ignore - le type spécifique de conception du travail existant dans la société du bénéficiaire à aider ; de ce fait, on ignore ou on dénie les réalités culturelles du bénéficiaire. Enfin, il y a perception d'autres éléments que le manque du sens du travail a rendu visibles : la perte de temps en relations sociales par exemple, la paresse, le manque de responsabilité, etc. TENTATION DE VOULOIR TRANSFORMER L'AUTRE Ces trois phases : projection et découverte d'un manque, scotomisation et ignorance de la réalité autre, valorisation ou dénigrement des traits culturels spécifiques choisis par la perception déformée mènent à la conclusion selon laquelle il convient de changer l'autre pour le rendre conforme à son image. Cela équivaut, par exemple, à essayer de le « développer ». On voudrait qu'il acquière un rapport d'anticipation et de prévision de l'avenir, qu'il accorde le crédit attribuable à la démarche scientifique, qu'il renonce à son attachement au sacré, qu'il abandonne ses croyances traditionnelles (obstacle au progrès), qu'il respecte les impératifs de la production, eux-mêmes soumis à une certaine conception du travail, tributaire à son tour d'un temps chronométré, découpé et linéaire.
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Faisant l'étude de l'utilisation de l'espace par les êtres animés dans leurs relations, de même que des significations qui s'en dégagent, Hall (1971) relève un trait propre à la culture japonaise qui concerne l'orientation dans l'espace. « Les japonais donnent des noms aux intersections plutôt qu'aux rues qui s'y croisent. En fait, chaque carrefour possède son identité. » Pour contrer ce trait de l'espace japonais, « les forces d'occupation américaines, poursuit l'auteur, donnèrent des noms à quelques grandes artères de la ville et posèrent des plaques écrites en anglais (avenues A.B.C.). Les japonais attendirent poliment la fin de l'occupation pour retirer les plaques. Ils se retrouvaient pourtant déjà pris aux pièges d'une innovation culturelle étrangère. » Ainsi à travers l'exemple d'une manifestation de la perception déformée, à savoir la projection, on est amené à voir comment le manque dont on a parlé détermine une pratique d'uniformisation. Une sensibilisation adéquate devrait permettre de saisir le mécanisme commun à toutes les centrations (valorisations positives et négatives) et à leurs conséquences sur le plan de la connaissance, dans un premier temps, puis sur celui de la pratique, dans un deuxième temps. Car au sociocentrisme cognitif déformant correspond le sociocentrisme pratique uniformisant de la culture ou sous-culture dominante. Ce sociocentrisme est un danger pour toute personne travaillant en intervention, qu'elle soit issue de la culture dominante ou dominée. Cette personne évitera ce danger en s'interrogeant au départ afin de prendre conscience des bases culturelles du style de vie de la société d'origine de la personne à aider. Dans le cas spécifique de la projection abordée ici, ce faux savoir qui envisage la différence comme une déficience débouche sur des pratiques non appropriées d'intervention ou de développement. Si la différence est considérée comme un manque, une erreur ou un obstacle, la pratique cherchera en effet à combler ce manque, à supprimer l'erreur ou à renverser l'obstacle. Pour développer un individu ou un groupe où dominent des valeurs telles que l'équilibre nature / personne, une autosubsistance relative, la richesse des relations sociales, la dépense improductive, il faudra introduire la parcellisation des activités par le travail salarié, introduire les notions de profit et d'individualisme, susciter l'admiration à l'égard de techniques dominant la nature et rationalisant son exploitation, bref, désorganiser préalablement le client ou la cliente ou la société à développer. On pressent donc que cette sensibilisation ne sera pas l'installation autosatisfaite de l'intervenante ou l'intervenant social dans son intervention, mais bien les déterminants cognitifs de sa pratique.
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Personne ne saurait prétendre à la décentration complète, mais chacun peut tendre vers une décentration relative. Les valorisations centrant la perception se produiront toujours mais elles seront aussi conscientes que possible et, de ce fait, susceptibles d'être diminuées ou, du moins, un tant soit peu tenues sous contrôle. Pour une lecture d'inspiration culturelle, l'intervenante ou l'intervenant social devra s'interroger sur le problème des bases culturelles du style de vie qui caractérise les gens auprès desquels il intervient. Ces bases culturelles peuvent être à l'origine des problèmes qu'ils présentent. C'est pourquoi, comme dit Goldmann (1967), « l'une des tâches les plus importantes pour tout chercheur sérieux semble résider dans l'effort pour connaître et faire connaître aux autres ses valorisations en les indiquant explicitement, l'effort qui l'aidera à atteindre le maximum d'objectivité subjectivement accessible au moment où il écrit ». Cette tâche est importante en relation d'aide, non pas pour atteindre en priorité cette objectivité, mais bien parce que les personnes sont engagées dans une opération de changement, de développement, c'est-à-dire une ingérence dans les affaires « intérieures » culturelles de la clientèle, d'un groupe donné et que, de ce fait, elles se doivent d'avoir un minimum de recul par rapport au sens de leurs actions. Faute de cela, elles ne peuvent se prévaloir d'un titre professionnel. Toute défense de l'uniformisation doit donc se garder de deux pièges : 1. Conférer à la différence, à la spécificité un contenu fixe, la ranger dans un catalogue de « traits culturels ». Le danger ici est d'adopter une attitude passéiste, nostalgique, d'une époque révolue que l'on souhaite immuable et conforme à des regrets. 2. Décréter du dehors ce que devrait être l'identité différentielle d'une société, comme l'État qui impose à tous et à toutes sa conception d'une identité nationale unique, ou le mouvement révolutionnaire qui décline une identité normative selon les impératifs d'une classe. LE SOCIOCENTRISME IDENTITAIRE EST NÉCESSAIRE Cependant, il reste à observer qu'on ne saurait se décentrer sans connaître son propre centre et sans adhérer à ses valeurs. Encore une fois, l'accent est à mettre sur l'illumination des zones non conscientes et non sur un questionnement de ses valeurs propres. Ainsi, la pratique du service social dans une communauté minoritaire, tout en maintenant les valeurs fondamentales de la culture dominante occidentale-nord-
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américaine de démocratie, de liberté, de l'importance de l'individu et de ses droits, doit s'appuyer sur la mentalité, les coutumes propres aux divers groupes sociaux. La tâche d'éducation à l'intégration des enfants d'immigrants peut être un exemple éclairant. Cette tâche est particulièrement difficile, puisque le jeune veut se bâtir une identité à partir de deux cultures dont il est issu. Plus vulnérable que ses parents, il n'a pas de personnalité constituée sur laquelle s'appuyer. Il est en proie à la fois à l'angoisse existentielle de l'adolescence et à l'angoisse culturelle. Il éprouve le besoin d'appartenance, mais il n'appartient à aucune des deux cultures. Il veut s'affirmer par rapport à ses parents, mais il risque, en refusant sa culture d'origine pour adopter sans réserve celle de la société d'accueil, l'amputation d'une partie de lui-même. Attiré par la nouvelle société, il est aussi rejeté par celle-ci. Le jeune devient alors particulièrement insécure, car il n'est pas sûr de la place que la nouvelle société est prête à lui reconnaître et des perspectives d'avenir qu'elle peut lui offrir. Il nage dans l'ambiguïté. S'il est rejeté de l'intérieur et de l'extérieur, il court le danger de ne pas s'accepter lui-même. Ce que vit l'adolescent immigrant dans une culture dominante peut exister à des degrés divers. Mais comment intervenir dans une famille d'immigrants dans la société multiculturelle canadienne ? Il faut d'abord déplorer un manque d'outils de base en intervention sociale. Il y manque une pensée famille et une théorisation poussée du rôle social et politique de la famille. Dans la société d'accueil, l'accent ayant été le plus souvent mis sur les individus dans la famille plutôt que sur la famille en tant qu'un tout ou une mini-société, il est facile de comprendre les difficultés particulières que connaissent les familles allogènes pour qui les individus s'épanouissent par et dans la famille. De plus, les normes culturelles de la société dominante sont souvent en conflit avec celles des parents de la culture minoritaire. Être parent dans un groupe racial minoritaire est particulièrement difficile. Ainsi en est-il des familles immigrantes allogènes qui s'intègrent dans certains milieux minoritaires comme les milieux minoritaires franco-ontariens, lesquels sont aux prises avec les mêmes problèmes d'éducation dont il a été question précédemment, car elles sont appelées à s'intégrer dans une culture majoritaire anglophone. Les familles de groupes raciaux et ethniques minoritaires, affirment Davis et Proctor (1989) doivent faire face à la difficile tâche d'élever leurs enfants dans la culture majoritaire. La famille immigrante allogène vit donc une double minorisation : par rapport à la société franco-ontarienne et par rapport à la société anglophone.
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Souvent, il y a une méconnaissance de ce conflit de la part des professionnels et professionnelles de la société dominante ou de la sous-culture dominante. Leurs suggestions peuvent alors ne pas refléter les objectifs des parents pour le développement de leur enfant. L'aide première serait la reconnaissance de ce conflit par les professionnels et professionnelles. Les parents se sentiraient pour le moins déculpabilisés et trouveraient des alliés pour inventer des solutions aux problèmes d'éducation de l'enfant. L'aide idéale consisterait à élaborer une théorie du rôle social et politique de la famille qui soit un terrain commun pour l'étude des difficultés éducatives de toute famille dans notre société. Cette théorie pourrait tendre à sensibiliser tous les parents à la dimension sociale des valeurs à inculquer à l'enfant, comme le droit de l'autre d'être respecté en tout domaine, la mise en commun des ressources intellectuelles et autres, pour une réussite en commun, plutôt que la compétition, etc. Se basant sur une telle théorie, les personnes issues de la culture ou de la sous-culture dominante verraient plus facilement ce qui dérange dans le comportement et dans l'attitude du jeune de parents allogènes. La nouvelle théorie de la famille devrait minimiser le plus possible la fragmentation des champs d'intervention tant auprès des jeunes qu'auprès des familles, afin que parents, éducateurs, éducatrices et autres intervenantes et intervenants puissent échanger leurs points de vue et vaquer en concertation à la tâche éducative des jeunes de notre société. L'intervention sociale en Amérique du Nord devrait connaître les valeurs soutenues par la culture canadienne, nord-américaine ou occidentale, mais également reconnaître qu'elles fondent l'identité (de classe, nationale, professionnelle, etc.), car il existe un sociocentrisme identitaire qu'il ne faudrait pas briser sous peine de produire des individus sans ancrage, sans racines, dépourvus de toute attache. En outre, la décentration ne doit pas se contenter d'agir à l'égard des sociétés autres, mais aussi à l'égard de la culture dominante qui, en son sein, supprime les différences radicales pour n'opérer que des distinctions entre individus atomisés. Il est crucial de savoir d'où nous venons, culturellement parlant, c'est-à-dire de savoir repérer le contenu de notre sociocentrisme déformant et uniformisant tout en maintenant notre sociocentrisme identitaire. En prenant conscience de nos valeurs face à l'emprise uniformisante du développement occidental-nord-américain, nous serions peut-être plus sensibles aux menaces qui pèsent sur les cultures à développer selon le mode occidental-nord-américain.
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L'équilibre à atteindre est difficile et délicat; en réalité, les jeux ne sont jamais faits, puisque la décentration est un processus et que le sentiment de son identité est chaque jour à construire. Cette entreprise est une prise en charge par l'histoire du groupe et cadre mal avec le temps restreint dévolu à la sensibilisation. Cependant, je suggère que les enjeux de ce paradoxe - centration constitutive de l'identité et décentration nécessaire à la connaissance de l'expert-intervenant social - soient mis au jour si l'on veut que la formation ait une quelconque pertinence relativement à la relation interculturelle. LES RELATIONS INTERPERSONNELLES ET LE SOI Que dire des relations entre l'intervenante, l'intervenant et le client ? Dans l'examen de l'interaction entre les personnes, médiatisée par le langage et par des modalités gestuelles, il est possible d'échapper à la détermination de la personnalité en termes psychologiques ou sociologiques. George Herbert Mead (1963, p. 138) a proposé un cadre conceptuel, un autre paradigme pour les sciences sociales, qui renonce au modèle sujet-objet de la philosophie de la conscience et à une approche psychologique du comportement. Il envisage le comportement de l'individu dans l'interaction entre deux organismes qui réagissent l'un à l'autre et exercent des influences mutuelles, d'où le nom de « behaviorisme social » donné à sa théorie. Pour Mead, la personnalité de l'homme lui vient de son appartenance à une communauté dont il assume les institutions dans ses attitudes et ses activités. Il existe donc des réactions identiques chez les individus d'une même communauté et c'est dans la relation à autrui que l'individu réalise son propre Soi. « La structure sur laquelle se construit le soi est cette réaction commune à tous, car on doit être membre d'une communauté pour être un Soi » (Mead, 1963). Notons qu'il ne faut pas confondre ce concept de Soi défini par Mead avec la notion du Moi, telle que la conçoit la psychologie ou telle que la psychanalyse la définit comme une instance du sujet à mettre en rapport avec le ça et le surmoi. En effet, le concept de Soi se comprend comme le produit des ajustements qui se réalisent à travers le rôle joué par l'individu dans ses relations avec les autres. Le Soi des individus se situe moins en eux qu'entre eux. La définition du Soi ne dépend pas seulement de la volonté ou d'une démarche personnelle, elle doit être acceptée et ratifiée par les autres. Le Soi se conçoit comme un effet de positionnement de l'individu dans des situations d'interaction.
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Cette réflexion sur le Soi peut se prolonger dans un autre aspect où l'on envisagerait la société sous l'angle d'actions réciproques et de relations. Dans une telle perspective, les comportements mineurs et les interactions ordinaires sont étudiés tels qu'ils apparaissent dans la conversation et les relations en face à face. Erving Goffman (1974) l'a fait. L'ordre social, c'est-à-dire la structure générale de la société et l'action sociale conduite par les individus, qui sont les deux grandes questions classiques de la sociologie, est articulé chez lui dans un « couplage flou » par l'intermédiaire du concept de Soi. Son travail présente un intérêt majeur pour la question des rapports entre culture et communication. En effet, les comportements de l'individu sont évoqués dans une optique de signification expressive : les signes de comportement renvoient à une relation de soi à soi, de soi à autrui et de soi à l'institution. C'est dire que le comportement ne relève pas d'une structure psychologique, mais d'une relation de l'individu aux autres et à la communauté dans le cadre de situations socioculturelles. Ces comportements, verbalisés ou non, se réalisent dans un « en deçà » d'une communication au sens strict ils livrent partiellement l'intentionnalité de la personne dans le cadre de son action. Du point de vue de Goffman, les interactions fondées sur le contact et sur les rencontres réalisent l'unité du phénomène culturel et communicationnel. Mais on ne pourrait pas généraliser cette unité dans l'ensemble des phénomènes culturels, car il reste que l'approche de Goffman est strictement circonscrite aux relations interpersonnelles. Les relations interculturelles sont infiniment plus larges : elles existent entre individus, groupes et nations. RELATIONS INTERGROUPES COMPÉTITIONS ET STÉRÉOTYPES NÉGATIFS Le point de départ de la réflexion dans ce domaine réside dans les recherches de Muzafer Sherif (1971) sur les représentations réciproques dans les relations entre groupes. Ces recherches ont montré que la confrontation de deux groupes suffit, en dehors de tout autre facteur, à la production de stéréotypes négatifs : « Il est indiscutable, écrit-il, que les différences du milieu culturel et les différences physiques marquées entre les groupes encouragent les réactions discriminatoires envers les membres d'un out group. Il est indiscutable que de telles différences contribuent à l'hostilité et aux préjugés intergroupes. Cependant, cette étape du conflit intergroupe a démontré que ni les différences culturelles, ni les différences
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physiques, ni les différences économiques ne sont nécessaires au déclenchement d'un conflit intergroupes, à l'apparition d'attitudes hostiles et à la naissance d'images stéréotypées de l'autre groupe » (Sherif, 1971, p. 97). C'est la situation de confrontation qui est responsable de ces phénomènes et qui suffit, à elle seule, à les induire. Pour amener alors deux groupes qui manifestent de telles attitudes à des perceptions et à des comportements plus positifs, l'intervenante ou l'intervenant social, s'appuyant sur les expériences de Sherif, saura pour atteindre cet objectif : que les deux groupes doivent être amenés à coopérer dans des tâches communes, importantes pour l'un et l'autre ; et que seule la coopération intergroupe finira par diminuer la distance sociale entre les groupes, par modifier les stéréotypes et les attitudes hostiles, réduisant les possibilités de conflits futurs entre les groupes. Mais cette affirmation ne signifie pas qu'il suffit de mettre les gens ensemble et de leur proposer n'importe quelle activité commune, comme le sport, le chant, les activités de chantiers de jeunesse, des pratiques de techniques professionnelles, etc., pour qu'aussitôt s'aplanissent les difficultés et les incompréhensions ; ce type d'activité peut certes faciliter un rapprochement, mais il reste insuffisant pour résoudre les différends entre deux groupes nationaux. De même, une idéologie humaniste et démocratique développée à l'intérieur d'un groupe n'est pas nécessairement transférée aux relations entre groupes et ne suffit donc pas au dépassement des stéréotypes négatifs. Même si, individuellement, les membres d'une collectivité adoptent une attitude de tolérance et d'ouverture à l'égard des étrangers, ils peuvent très bien réagir différemment en tant que groupe face à un autre groupe. Ainsi, l'amitié et l'hostilité entre les groupes sont des processus groupaux et ne peuvent « être réduits à de simples variations des relations personnelles entre individus » (Sherif, 1971, p. 165). De ce qui précède, on peut concevoir qu'avoir un problème commun est une condition principale de rapprochement des groupes et que c'est un facteur d'union plus universel même qu'une culture commune. « La condition fondamentale à l'éveil d'un vaste sentiment de solidarité mettant fin aux déchirements et aux décisions résultant d'allégeances contradictoires est la prise de conscience d'un problème commun et la décision de s'attaquer à ce problème » (Sherif, 1971, p. 185). L'intervenante ou l'intervenant social saura donc qu'une interaction conflictuelle entraîne des jugements défavorables, alors qu'une interaction coopérative suscite généralement des jugements favorables.
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DE L'ÉTAT-PROVIDENCE À L'ÉTAT-COMPTABLE EN PASSANT PAR LA SOCIÉTÉ-PROVIDENCE RÉJEAN MATHIEU, M. SC. École de travail social, Université du Québec à Montréal
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RÉSUMÉ La conjoncture actuelle invite à redéfinir le rôle de l'État, qu'on parle du « modèle québécois de développement » ou de l'État-providence tous deux issus de la Révolution tranquille des années 1960. Alors que certains voudraient sa disparition, d'autres reprennent le slogan d'un État-providence fort et omniprésent pour assurer une meilleure distribution des richesses dans une société mondialisée. Pour tenter d'y voir plus clair, l'auteur propose un survol de l'État, des sociétés traditionnelles jusqu'aux sociétés postindustrielles ou d'information. En conclusion, il ressort qu'on ne peut pas faire l'économie de redéfinir un État adapté aux nouvelles conditions sociales, économiques et politiques.
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Pendant que certains parlent d'un État pratiquement en voie de disparition (qu'ils le souhaitent ou le déplorent), d'autres affirment au contraire que le rôle de l'État change, qu'il se redéfinit graduellement pour correspondre aux exigences d'une conjoncture nouvelle. Sur ce sujet, même les clivages traditionnels « gauche / droite », « capitalistes / socialistes », etc., ont tendance à se transformer. À partir d'objectifs fort différents, certains en viennent même à des revendications similaires. Ainsi, un Michel Chartrand (syndicaliste de gauche et tribun radical s'il en est) et un Charles Sirois (tête dirigeante de l'entreprise Téléglobe) proposent tous les deux l'instauration d'un revenu minimum garanti (Sirois et Saint-Germain, 1999). Bien sûr, des clivages existent toujours. Mais ils prennent des formes différentes, se glissent à travers des alliances imprévues, correspondent objectivement à d'étranges rapprochements. C'est dans ce contexte que nous tentons de décrire certains éléments d'une configuration sociale nouvelle où l'État se retrouve tour à tour honni ou glorifié, aussi bien que déploré ou imploré, et ce, parfois par les mêmes acteurs. La société actuelle constitue un beau défi à relever, tant pour l'adapter à de nouvelles réalités que pour la comprendre dans sa mouvance même. Dans cette perspective, nous commencerons par rappeler certains aspects de l'évolution de la société et nommerons, en bout de ligne, un certain nombre d'éléments de la profonde mutation qui caractérise la société actuelle. Nous parlerons ensuite des nouveaux acteurs sociaux (mouvements sociaux et autres) qui donnent à la société civile un rôle historique renouvelé et transforment ainsi la dynamique actuelle par la création de solutions nouvelles qui ne portent pas la totalité de l'avenir, mais contribuent à le modeler autrement. Puis nous rappellerons certaines approches théoriques de l'État. Enfin, en guise de conclusion, nous aborderons quelques enjeux nés des nouveaux rapports à l'État et, parmi quelques grandes tendances qui tentent d'analyser le mouvement social actuel et d'y intervenir, nous indiquerons le « sens » qui nous apparaît souhaitable, voire nécessaire. PREMIÈRE PARTIE : DE LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE À UNE SOCIÉTÉ EN PROFONDE MUTATION DES SOCIÉTÉS TRADITIONNELLES... Certains disent que depuis un siècle, au Québec, nous sommes passés de la société préindustrielle (ou traditionnelle) à une société industrielle, puis à une société de masse et de consommation. En fait, jusqu'au
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XIXe siècle, la plupart des sociétés pouvaient être qualifiées, du moins en grande partie, de « traditionnelles ». Même les villes étaient essentiellement, au XVIIIe siècle, des « villes préindustrielles », intermédiaires entre la société traditionnelle et la société technologique. Ces villes étaient de moindre importance que nos villes modernes et avaient une organisation sociale très hiérarchisée, l'instruction ainsi que les pouvoirs économique, politique et religieux reposant entre les mains de la classe dominante. Sur le plan économique, ces villes vivaient de fabrication artisanale et de commerce. Le pouvoir politique était généralement autoritaire et non démocratique. Il était très étroitement lié au pouvoir religieux souvent ostracisant, limité qu'il était à une seule religion « détentrice de la vérité ». ... À DES SOCIÉTÉS INDUSTRIELLES... Mais c'est aussi dans ces villes que naîtront la société industrielle et la ville moderne, résultant de la révolution technique, scientifique et intellectuelle caractéristique de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, avec aussi les effets de cette révolution sur la culture (idées, moeurs), l'organisation économique (industrialisation, organisation du travail, etc.) et les structures politiques. Graduellement, le passage des sociétés traditionnelles vers la modernité s'est fait, pour la majorité des sociétés industrialisées, dans un stade de développement du capitalisme qui en est venu à constituer un véritable modèle de développement pour le reste du globe. Mais, en même temps, d'autres sociétés ont opté pour un autre « mode de modernisation » (Touraine, 1999), celui du socialisme, lequel devenait en même temps un contre-modèle, entraînant à sa suite un autre bloc de pays. ... PUIS À DES GUERRES DE CONQUÊTE ÉCONOMIQUE... Ce clivage entre deux modes de modernisation a contribué à créer les conditions qui ont conduit à deux grandes guerres mondiales. Les choix fondamentaux qui se sont partagé le monde ont évolué, chacun selon sa logique propre : d'une part, un libéralisme sauvage s'est peu à peu transformé en « démocratie industrielle », puis après la guerre, en État providence (Touraine, 1999) ; d'autre part, un socialisme qui se voulait pourtant le champion de la véritable démocratie, soucieux de se préserver des influences extérieures, a culminé dans des systèmes totalitaires qui ont fini par « imploser » en raison de leurs contradictions.
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... JUSQU'AUX ORIGINES PROCHAINES DES MUTATIONS ACTUELLES Les mutations que nous reconnaissons aujourd'hui ne sont donc pas liées uniquement à l'avènement des nouvelles technologies. En effet, après la Deuxième Guerre mondiale, le capitalisme a subi des transformations majeures qui l'ont conduit à la société de consommation qu'on connaît maintenant. Ce sont les « trente glorieuses », ces trente années d'après-guerre qui ont vu l'émergence de l'État providence, sorte de synthèse entre le libéralisme sans frein prôné par les uns et la rupture radicale antilibérale préconisée par les autres. C'est dans ce contexte qu'au Québec en particulier les conditions générales de travail, mais aussi les conditions de vie ont évolué de façon très nette. Pendant que les centres-villes se modifiaient pour faire place aux nouvelles exigences du développement commercial, financier et administratif, les campagnes se vidaient, les fermes familiales ne correspondant plus aux diktats des nouvelles lois du développement capitaliste. Nous avons alors connu notre Révolution tranquille, période de conception de notre modernité. SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE OU SOCIÉTÉ D'INFORMATION ? Dans la deuxième moitié du XXe siècle sont apparus les signes d'une nouvelle transformation que certains ont qualifiée de « postindustrielle ». Sans entrer dans ce débat complexe, soulignons que d'autres parlent de postmodernité pour en caractériser certains aspects fondamentaux. Touraine, pour sa part, dans son livre le plus récent (1999), remplace l'appellation « société postindustrielle » qu'il préconisait lui-même il y a trente ans par celle de « société d'information ». Cette société serait caractérisée, notamment, par une certaine augmentation du temps de loisir, et donc des « industries » reliées au loisir, ainsi que par une prédominance du secteur tertiaire, dont le travailleur typique serait un « col blanc », à qui on demande d'être « expert » en électronique, en informatique, en communication, etc. Une certaine démocratisation de l'éducation ainsi qu'un développement majeur des communications de masse et de l'informatisation caractérisent également ce type de société, largement représenté par le monde qu'on connaît : frontières éclatées à plusieurs égards, interdépendances culturelles et économiques, échanges instantanés d'informations, d'idées et d'argent, technicisation dominante, absence ou rareté des débats sur des valeurs et des projets, etc.
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Sur le plan sociopolitique, les effets de ces transformations sont énormes. Dans les sociétés traditionnelles, l'intégration sociale se faisait en grande partie par des structures comme les métiers, les professions, les associations volontaires, etc., reproduisant avec netteté les classes sociales « classiques ». Dans la société postindustrielle, par ailleurs, [...] l'action politique s'appuie désormais sur de vastes organisations ou mouvements de masse auxquels les individus ne peuvent plus participer que d'une manière anonyme, impersonnelle et en définitive très isolée. Une nouvelle forme d'aliénation est en train de caractériser cette société, celle de « la foule anonyme ». Le pouvoir politique risquerait alors de tomber exclusivement entre les mains des professionnels de la politique, des technocrates et d'un certain nombre de spécialistes en manipulation de l'opinion publique (Rocher, 1969, p. 242). L'arrivée de cette société de masse a sonné la naissance de nouveaux mouvements sociaux que certains auteurs ont eu tendance à identifier, dans les débuts, à des tendances « extrémistes de contestation et d'opposition » venues « briser les règles du jeu démocratique ». Mais la plupart des analyses faites depuis ont montré que ces mouvements, à quelques exceptions près, étaient beaucoup plus des lieux de prise de conscience collective nouvelle pour des classes ou groupes sociaux « laissés-pour-compte » dans le développement industriel (Rocher, 1969, p. 242). C'est ce contexte nouveau de la société de masse qui a suscité l'éveil de nouvelles solidarités, que ce soit chez les Noirs américains, les pauvres en général (le mouvement de « guerre à la pauvreté ») ou les assistés sociaux québécois. La société de masse aurait donné une plus grande visibilité aux inégalités socioéconomiques, ce qui aurait entraîné le développement des mouvements divers qui ont marqué cette période. Là où le nivellement culturel dominait dans un grand nombre de sociétés, l'avènement de la société de masse ouvrait la porte aux différences dans les idées et à leur droit de s'exprimer, aux contestations, à la recherche d'une plus grande justice sociale, surtout par des couches, des classes qui cherchent à se « donner une voix », à prendre leur place dans la société. Dans le cas du Québec, l'animation sociale et la dimension populaire du mouvement nationaliste s'inscrivent dans cette foulée, avec la création des comités de citoyens, puis, par la suite, avec leur transformation ou leur remplacement par des groupes populaires ou communautaires, ou encore avec la prise de parole politique par le FRAP, le RCM et au moins en partie par le PQ et d'autres groupes politiques des années 1970. Nous en sommes donc là, dans ces années charnières de la fin des années 1960 et du début des années 1970, alors que se développent les mouvements populaire et communautaire.
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LES ANNÉES 1970 ET 1980 Les années 1970 et 1980 sont témoins à leur tour de profondes mutations dans les sociétés industrialisées. En effet, en conséquence de la mondialisation de l'économie et de l'émergence prédominante de nouvelles technologies de l'information, diverses crises traversent ces sociétés : crise de l'emploi, crise des finances publiques, crise de l'État-providence, crise de la culture, etc. (Favreau et Lévesque, 1996) De ces crises naît une aggravation majeure de problèmes avec la rareté et la précarité des emplois, le chômage, l'exclusion, etc. Ces changements nous amènent donc à repenser les rapports sociaux : rapports de travail, rapports de consommation, rapports entre le social, l'économique et la culture, rapports entre la société civile et l'État, rapports de classes, nouvelles alliances, rapports internationaux, rapports interculturels, etc. Ces crises baignant dans un contexte de mutation majeure de nos sociétés (mondialisation de l'économie, endettement massif des États, développement rapide de nouvelles technologies, économie axée davantage sur les échanges boursiers et les systèmes financiers et de moins en moins sur l'industrie, etc.), « les coûts sociaux du chômage apparaissent de plus en plus élevés et on assiste à un affaiblissement significatif de la cohésion sociale et de la citoyenneté active notamment chez des groupes sociaux comme les jeunes ou au sein de communautés en déclin (quartiers de ville ou communautés rurales) » (Favreau et Lévesque, 1996, p. 4). Il s'agit donc de beaucoup plus qu'une simple crise économique nous assistons à une véritable crise de société. COMMENT NOMMER LES TRANSFORMATIONS ACTUELLES ? Touraine constate que « dans cette nouvelle société, les acteurs, les enjeux, les rapports sociaux se transforment, se sont déjà profondément transformés » (1999, p. 17). Les conflits entre employeur et employés ont quitté la sphère sociale pour devenir une affaire privée. La modernisation contribue ainsi à dissoudre le sens même des termes « communisme » et « socialisme » (Ibid., p. 19). Face à ces transformations et crises, certaines orientations de société se dessinent 1)
Les entreprises commerciales doivent se redéfinir par rapport au développement : ainsi, dans le secteur industriel, la modernisation - dans le contexte des nouvelles technologies - fait qu'on devient de moins en moins producteur d'emplois et qu'au contraire on produit de l'exclusion. Une conséquence majeure : le chômage s'accroît et les populations peuvent de moins en moins acheter. Qui donc consommera les produits ? Bref, c'est tout le secteur privé qui semble
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de moins en moins apte à développer la société. Pourtant, plus que jamais, il met en avant son approche développementale néolibérale et capitaliste. 2) Les États se voient forcés de redéfinir leurs rapports à la société, étant donné les contradictions accrues entre, d'une part, la mondialisation de l'économie et la montée du chômage sur lesquels les États ont tendance à dire qu'ils ont peu de pouvoir et, d'autre part, leur crise financière (endettement massif, nécessité de réduire les dépenses, etc.). Par conséquent, ils tentent de modifier leurs politiques sociales, d'économiser dans leurs dépenses de redistribution des richesses et des services : éducation, santé, services sociaux, assurancechômage, aide sociale, etc. En même temps, ils cherchent une certaine décentralisation en direction du développement local et régional. 3) Pendant ce temps, les mouvements sociaux redéfinissent aussi leur présence au sein des sociétés en se resituant dans leurs rapports à un ensemble de nouveaux organismes axés sur le développement économique, mais dans une perspective d'utilité sociale et dans une dynamique territorialisée de développement. Les mouvements populaire et communautaire en particulier, dans la logique de leurs préoccupations sociales, se redéfinissent et travaillent à instaurer un plus grand contrôle des usagers (développement de la citoyenneté et démocratisation) sur les services et le développement (empowerment), une approche « plus globale », moins technocratique, dans la prestation des services ainsi, enfin, qu'une plus grande cohésion sociale pour compenser les déchirures sociales de plus en plus marquées, causées par les mutations en cours. Bref, les conditions sont réunies pour s'acheminer vers un nouveau contrat social. S'il est vrai que des risques d'interdépendance, voire de réduction des marges d'autonomie guettent les organismes communautaires qui s'inscrivent dans des cadres partenariaux, il est encore plus vrai que, si les « négociations » en cours étaient laissées entre les mains du secteur privé et de l'État, le nouveau contrat social ne contiendrait aucune solution de rechange au néolibéralisme dominant.
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DEUXIÈME PARTIE : UNE SOCIÉTÉ CIVILE EN EFFERVESCENCE LES MOUVEMENTS SOCIAUX Parmi les « acteurs » principaux de la dynamique sociale, on peut reconnaître ce qu'on a appelé les « mouvements sociaux », c'est-à-dire « des organisations nettement structurées et identifiables, ayant pour but explicite de grouper des membres en vue de la défense ou de la promotion de certains objets précis, généralement à connotation sociale » (Rocher, 1969, p. 421). Ils s'inscrivent donc généralement dans une perspective de revendication, cherchant à faire la promotion d'idées, de valeurs, d'intérêts. Ils peuvent aussi couvrir des champs très disparates. Pour analyser leurs actions et leurs structures, Touraine propose trois principes sur lesquels, selon lui, tout mouvement social doit se fonder. Il s'agit du principe d'identité (qui représente-til, dans le sens de quels intérêts revendique-t-il ?), du principe d'opposition (contre quels obstacles, résistances, opposants lutte-t-il ?) et du principe de totalité (sur la base de quelles valeurs reconnues par l'ensemble de la société agit-il ?). Les mouvements sociaux (Rocher, 1969, p. 425-427) exercent une fonction de médiation, en ce qu'ils tentent de faire connaître à leurs membres en particulier des aspects de la société qu'ils critiquent ou défendent, une fonction de clarification de la conscience collective qui joue ainsi un rôle historique important et, enfin, une fonction de pression souvent assimilée à celle des groupes de pression en général. SITUATION AVANT LE XXE SIÈCLE Dans le processus de la modernisation occidentale, avant le XXe siècle, et se poursuivant partiellement pendant ce siècle, le mouvement social était davantage un mouvement de « polarisation, d'opposition entre dominants / dominés ». Par exemple, toujours selon Guy Rocher, des mouvements sociaux se sont développés en réaction contre l'opposition entre les paysans et les classes dirigeantes, les entrepreneurs et les salariés, les colonisateurs et les anticolonialistes, etc. SITUATION AU XXE SIÈCLE Soulignons d'abord que dans les sociétés modernes les mouvements sociaux sont beaucoup plus nombreux que dans les sociétés traditionnelles. Cela tiendrait (Rocher, 1969, p. 424) à la fois au phénomène de
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« multiplication des élites » et à celui de « l'accélération de l'histoire » qui caractérisent ces sociétés. Plus précisément, le XXe siècle a été marqué par une forme de « recomposition du monde » selon Touraine, de dépassement de ces polarisations entre dominants et dominés. Le sociologue français nomme plusieurs manifestations de ce phénomène, dont la première et la plus importante de ce siècle, le mouvement ouvrier, qui refuse les rapports d'inégalité et exige la participation ouvrière à la production-consommation-gestion. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, « deux grandes formes de recomposition du monde se sont ajoutées aux précédentes », soit l'action écologique et le mouvement des femmes, dont la forme récente passe davantage par le mouvement pour la parité. LES NOUVEAUX MOUVEMENTS SOCIAUX AU QUÉBEC À l'origine des tendances nouvelles en émergence, on retrouve toute la réalité complexe des nouveaux mouvements sociaux qui prennent racine, au Québec, dans la dynamique des années 1960, de la « Révolution tranquille » et de la construction de l'État-providence. Bien sûr, d'autres mouvements sociaux se sont développés ici également, mais nous abordons dans ce texte, à titre d'exemple, les mouvements populaire et communautaire. LES ANNÉES 1960 : ÉMERGENCE D'UN ÉTAT « PROVIDENTIALISTE » À la fois terrain, objet et résultat des pratiques conflictuelles des mouvements sociaux des années 1960 et 1970, l'État-providence constitue le lieu du compromis social entre deux modes de modernisation. En effet, la structuration de la société québécoise en tant que société industrielle avancée a été marquée par des rapports de plus en plus complexes : rapports de classes, articulation entre rapports de classes et nation, rapports de sexes, rapports intergénérationnels, rapports interethniques, rapports de travail, etc. Ces rapports complexes, en plus de donner du fil à retordre aux théoriciens des analyses de classes, feront émerger de nouvelles pratiques sociales, à caractère largement conflictuel dans leurs approches et portées par de nouveaux mouvements sociaux. Bien sûr, ces nouvelles pratiques, axées sur une volonté d'affirmation individuelle et collective et sur des revendications conséquentes, ont rapidement dû faire face aux contraintes et aux refus du monde politique. Elles ont donc posé de façon très marquée la question du rapport à l'État. En effet, l'animation sociale, porteuse de l'idéologie de participation aussi bien que de doléances relatives aux conditions de vie, revendiquera aussi et de multiples façons le développement d'un certain
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contrôle populaire. Cette tendance se traduira par certaines formes de « participation formelle à un mode de gestion étatique et centralisé des services collectifs » (Bélanger et Lévesque, 1987, p. 255). En définitive, cet État de la fin des années 1960, c'est celui de la « Révolution tranquille », celui de l'« État-providence ». Les mêmes mouvements sociaux revendicateurs pousseront largement d'ailleurs dans le sens de cet Étatprovidence, dans le cadre de la redéfinition sociétale du « compromis social » qui s'est faite durant cette période. À cet égard, dans « le compromis que représente l'État-providence, les revendications de participation (dans le sens d'un contrôle populaire) seront traduites en termes de participation formelle à un mode de gestion étatique et centralisé des services collectifs » (Bélanger et Lévesque, 1987, p. 255). Mais en même temps - et ce sera l'une des caractéristiques principales des groupes populaires issus des comités de citoyens au début des années 1970 -, une partie importante du mouvement populaire s'inscrira, au moins partiellement, en faux contre l'État-providence, dans la lancée de la méfiance face à l'État : ce sera particulièrement le cas de plusieurs groupes de services, dont les cliniques populaires qui refuseront longtemps d'être « étatisées » et ne l'accepteront que de guerre lasse. LES ANNÉES 1970 : DES COMITÉS DE CITOYENS AUX GROUPES POPULAIRES ET DE L'ANIMATION SOCIALE À L'ACTION POLITIQUE Devant les limites de l'animation sociale et de la forme organisationnelle « comités de citoyens », le mouvement populaire des années 1970 se réoriente graduellement dans deux directions (Bélanger et Lévesque, 1992, p. 719 à 724) 1) Le mouvement s'oriente vers l'action politique organisée qui s'incarnera dans les comités d'action politique (CAP) et le FRAP (Front d'action politique). D'abord présente au niveau municipal où le FRAP connaîtra l'échec et sera remplacé par le RCM à Montréal, alors que l'équivalent à Québec sera le Rassemblement populaire actuellement au pouvoir, cette tendance jettera en même temps les bases d'une action politique plus large qui mènera, d'une part, aux groupes marxistes-léninistes et, d'autre part, à une action politique plus nationaliste (les « ancêtres » du Parti québécois et le PQ lui-même). 2) Par ailleurs, le mouvement populaire se prolonge dans des groupes populaires de services. La justification sous-jacente à cette orientation demeure, pour l'essentiel, l'un des fondements des mouvements populaire et communautaire actuels : nous faisons mieux que l'État dans les services que nous offrons à la population, soit grâce à l'approche globale que nous développons, laquelle évite la parcellisation de la
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situation vécue, soit par l'approche communautaire telle que nous la préconisons, avec ses effets préventifs et sa dimension d'entraide (ACEF, comptoirs alimentaires, cliniques populaires, « avocats populaires », cliniques juridiques, garderies, coops d'habitation, etc.). Ce mouvement populaire en processus important d'autoaffirmation porte au moins implicitement, au revers de ses propres caractéristiques, un énoncé de sa perception de la nature de l'État et une certaine évaluation des services offerts par le « privé ». Le mouvement populaire s'inscrit dans une démarche de renouvellement des pratiques sociales et de transformation des rapports sociaux par sa recherche : 1) de nouveaux rapports de consommation par l'affirmation d'une qualité unique des services offerts et d'une participation et prise en charge par les gens des organismes fournisseurs de services (approche autogestionnaire dans leur développement) ; 2) de nouveaux rapports de travail (approche cogestionnaire dans un bon nombre d'organismes, recherche de nouvelles normes, d'une conception « alternative » de l'équité relativement à la rémunération et aux conditions de travail. En même temps, ces années fortes du militantisme populaire portent un double message. D'une part, le syndicalisme de la consommation collective et l'extrêmegauche (à partir évidemment d'une problématique différente) exigent des droits et des services de l'État (d'où consolidation du providentialisme et du fordisme). D'autre part, les groupes de services suivent une autre direction, puisqu'ils remettent en cause la gestion étatique de ces services et le contrôle centralisé de l'État (c'est-à-dire justement le providentialisme et le fordisme) en proposant une solution de rechange (Bélanger et Lévesque, 1992, p. 722). En bref, on pourrait dire que le mouvement populaire des années 1970 a tracé le chemin vers la situation actuelle, luttant pour être à la fois subventionné et autonome, stratégie qu'on connaît bien, puisqu'on la retrouve, centuplée, dans les mouvements populaire et communautaire de maintenant. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'une des questions clés des analystes qui se penchent sur cette époque est celle de l'explication d'une situation où l'Etat accepte de subventionner des groupes qui s'inscrivent par ailleurs dans une tendance critique face à lui. Ce compromis social historique est facilité, d'une part, par le recours à des programmes de création d'emplois comme les Projets d'initiatives locales (PIL) et les Perspectives jeunesse (PJ) pour créer des garderies, des médias communautaires, des groupes de services ; d'autre part, ces groupes de services sont utiles pour répondre à de nouveaux besoins sociaux que l'État ne veut ou ne peut pas prendre carrément en charge (par exemple l'analphabétisme, les besoins de regroupement des femmes), et cela, à moindre coût. C'est donc ainsi, nous semble-t-il, que se pose, dans les années 1960
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et 1970, la question du rapport à l'État, engendrant, par le fait même, une certaine conception de la nature même de cet état, caractérisé à cette époque par le providentialisme (État-providence) et le fordisme (centralisation). LES ANNÉES 1980 : UN MOMENT DE RUPTURE DANS NOTRE PERCEPTION DE L'ÉTAT Désengagement partiel et communautarisation C'est à partir des années 1980 surtout qu'on parle de plus en plus du désengagement de l'État, comme on parle aussi de plus en plus de groupes communautaires au lieu de groupes populaires. On parle de crise de l'État-providence (Rosanvallon, 1981), et sa remise en question provient aussi bien de milieux administratifs que d'organismes privés de services, etc. En fait, on cherche, après à la crise économique, à « réinventer la société ». On souhaite remplacer le compromis fordiste par un nouveau compromis ou contrat social. On cherche des mesures de rechange à l'État-providence, on tend à établir un nouveau partenariat, selon lequel les groupes autonomes de services font partie « d'un nouveau modèle de développement [...] faisant appel aux divers secteurs : étatique, privé, syndical et communautaire » (Bélanger et Lévesque, 1992, p. 725). De ce fait, une nouvelle polarisation s'instaure. D'un côté, l'intervention sur le terrain tend à conserver les approches et l'appellation des groupes populaires, avec les références aux classes sociales et aux mouvements sociaux. Et d'un autre côté, mais souvent sur le même terrain, de plus en plus de groupes tendent à répondre (ou même seront créés pour y répondre) aux offres de partenariat de l'État. En fait, c'est un véritable « boum » du communautaire. À Montréal seulement, les groupes sont passés, entre 1973 et 1989, de 138 à 1500 (Favreau, 1989, p. 50). En 1986, on parlait de 3000 groupes communautaires et populaires au Québec (Corporation communautaire des Bois-Francs, 1986) : coopératives d'habitation, groupes d'éducation populaire, centres de femmes, garderies populaires, maisons de jeunes, divers organismes communautaires dans le domaine de la santé, médias communautaires, coopératives de travail, corporations de développement économique communautaire, centres ethniques, etc. Soulignons ici une autre distinction importante : malgré le constat global de l'instabilité du financement de ces organismes, il est important de distinguer les secteurs où l'État a subventionné davantage, alors qu'il a reculé dans d'autres (ce qui donne une mesure relative de son acceptation du nouveau compromis social). Par exemple, dans le domaine du
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social et de la santé, les groupes subventionnés par le programme de soutien aux organismes communautaires du MSSS sont passés de 31 à 547 et les sommes allouées, de 600 000 $ à 43 millions de dollars entre 1974 et 1986 (Bissonnette, cité dans Bélanger et Lévesque, 1992, p. 726). Les CDEC, divers groupes en santé mentale, des groupes axés sur le développement régional ou l'employabilité ont reçu davantage, alors que l'aide de l'État aurait baissé pour d'autres. De semblable manière, les programmes de développement de l'emploi ont vu leurs ressources baisser de façon dramatique en même temps que les orientations de ces programmes devenaient de plus en plus contraignantes, ce qui y a accentué la précarisation de l'emploi (Bélanger et Lévesque, 1992, p. 727-728). Dans ce contexte, trois réalités émergentes sont pour ainsi dire devenues incontournables, même si leurs effets ne seront positifs qu'à condition d'en faire des outils au service de projets innovateurs : 1) La régionalisation. Cette décentralisation, dans la mesure où elle sera réelle et où les communautés locales prendront leurs responsabilités en investissant les lieux de prises de décision, peut permettre de mieux répondre aux besoins locaux. 2) Le partenariat. Cette réalité peut permettre, si l'on s'en sert correctement et en toute autonomie (des « partenaires » doivent être égaux), i) de participer aux orientations de la nouvelle société en construction, ii) de créer de nouveaux liens, de nouvelles alliances, iii) de démocratiser encore plus nos organisations tout en développant davantage nos solidarités communautaires, et iv) de profiter de ces plateformes partenariales pour proposer des orientations alternatives qui répondent mieux aux besoins de la population et à des impératifs de justice sociale. 3) L'économie sociale. C'est une réalité déjà ancienne mais dont l'énorme développement au cours des trois dernières décennies peut permettre - si l'on poursuit sur cette lancée tout en préservant jalousement l'autonomie des groupes et en évitant d'être le jouet de stratégies qu'on ne contrôle pas - de proposer et d'implanter des valeurs autres pour la nouvelle société en émergence et le nouveau contrat social. En même temps, bien investie, l'économie sociale pourrait contribuer à renforcer les forces populaires et communautaires comprises dans ce tiers secteur du développement social et économique. Plus encore, elle pourrait apporter sa part dans le « remodelage » de la société, en particulier en ce qui a trait aux rapports entre la société civile et la société politique, en « régénérant » le tissu social sur des bases plus modernes adaptées aux nouvelles réalités.
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Vers de nouveaux mouvements sociaux? Selon Touraine, actuellement, « les conflits les plus significatifs se sont déplacés du terrain des droits sociaux à celui des droits culturels » (1999, p. 69). « Que signifie cette évolution ? Évidemment pas que les problèmes d'emploi et de salaire ont perdu de leur importance, mais que la formation d'acteurs, et par conséquent la renaissance de la vie publique, passe le plus souvent par la revendication de droits culturels » (p. 71). Or, « pour qu'un mouvement se forme, il ne suffit pas qu'il s'oppose à une domination ; il faut qu'il revendique au nom d'un attribut positif » (p. 72). Concrètement, dans le monde actuel où le nombre des exclus de toutes sortes prend une grande importance, « il ne se formera de mouvements sociaux capables de peser sur l'ensemble de la vie sociale et politique que lorsque la défense des victimes sera clairement reliée à de nouvelles orientations culturelles et sociales. Cette jonction est en cours, et elle constitue la plus forte réponse à la domination capitaliste » (p. 94). À titre d'exemples de ces nouveaux mouvements à dominante culturelle, Touraine parle de la lutte des « beurs » (les Maghrébins vivant en France) avec S.O.S. racisme, de la lutte contre le sida avec l'affirmation homosexuelle, des « sans » de toutes sortes : sans-papiers, sans-logis, sans-emploi, etc. On reconnaît là des luttes qui ne sont pas que françaises. On les retrouve ici aussi sous des formes à peine différentes. TROISIÈME PARTIE L'ÉTAT, C'EST QUOI ? LE MODÈLE CAPITALISTE PUR ET DUR Rappelons d'abord le modèle capitaliste à l'état pur, dont Milton Friedman est le représentant par excellence. Ce défenseur du capitalisme total et de l'invididualisme absolu se caractérise aussi par l'antiétatisme. Friedman, c'est celui qui a peur du socialisme, pas seulement celui de l'ex-URSS ou de la Chine, mais aussi du « socialisme » (entre guillemets) des USA, du Canada, de l'Union européenne, etc. Selon lui, le socialisme progresse dans la mesure où la richesse nationale « transite par l'État » (30 % aux États-Unis et 40 % en France). En fait, pour Friedman, le socialisme désigne toute intervention de l'État en dehors de ses deux domaines « naturels », tels que définis par le père du libéralisme, Adam Smith, c'est-à-dire pour « garantir la défense nationale et la liberté du commerce ». Friedman prétend que, dans les années 1920, l'État ne gérait que 3 % de la richesse nationale et que « nous étions plus pauvres, mais nous étions plus heureux ».
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On retrouve des échos de cette approche « libérale » chez des contemporains. Par exemple, jean Charest, chef du Parti libéral du Québec (PLQ), s'opposait récemment à ce que le gouvernement du Québec, avec la Société générale de financement, cherche à être un partenaire actif dans le développement économique du Québec. Selon lui, « les gouvernements ont prouvé de manière constante qu'ils étaient de très mauvais juges en cette matière » (Le Devoir, ler et 2 mai 1999, « La SGF sous tous les angles », p. A4). Encore selon Friedman, tous les acquis de la modernité (machine à laver, réfrigérateur, etc.) viennent des capitalistes, qui ont « suscité un cadre de vie plus plaisant, des conditions de travail plus agréables, des transports plus confortables, un environnement moins pollué ». Évidemment, selon lui, l'État n'a rien produit d'équivalent. Au contraire, avec sa bureaucratie, il serait le responsable des angoisses accrues de nos contemporains, de la violence criminelle à l'apparition d'une classe de pauvres (créée selon lui par l'assistance sociale qui devient leur prison), en passant par le chômage (qui n'existerait pas sans le salaire minimum et les taxes imposées aux employeurs) et, enfin, les ghettos et le délabrement urbain (causés par le contrôle des loyers). La solution de Friedman : transformer de fond en comble l'institution de l'État pour la « libérer », comme son « élève » Reagan a tenté de le faire, par exemple, en lui enlevant tout droit de regard sur l'éducation (les familles recevaient un coupon donnant droit à une année à la fois d'éducation et les écoles devenaient des entreprises libres pouvant même faire faillite). En résumé, selon Rosanvallon (1984), le « credo » néolibéral se lirait ainsi : pour le libéralisme, il faudrait ne garder que l'État de droit (droits nationaux et droit de commercer librement pour l'essentiel) et évacuer l'État interventionniste. Bref, il faudrait instaurer un État minimal. D'autant plus que l'échange marchand porte en lui-même la justice, puisqu'il se fait dans des termes qui satisfont les deux parties. UN MODÈLE DOMINANT DANS LES ANNÉES 1970 DANS LA « GAUCHE » DE L'ÉPOQUE : L'ÉTAT SELON LA THÉORIE DU CONTRÔLE SOCIAL Dans les années 1970, on peut dire que c'est une analyse plus ou moins marxisante de l'État qui a prédominé dans les milieux de la « gauche » et dans les groupes populaires. En fait, on y retrouve des influences de Marx et de ses disciples, jusqu'à Althusser avec ses appareils idéologiques d'État. Sans voir toutes ces influences, tentons d'en cerner certains éléments clés. Marx ne semble pas avoir élaboré une théorie complète et parfaitement cohérente de l'État. Selon Rosanvallon, on retrouve deux types de critiques de l'État chez lui : une critique libertaire et une critique économique
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et politique. Selon la critique libertaire, Marx voyait dans l'État une « immense organisation bureaucratique et militaire, avec son mécanisme étatique complexe et artificiel » qui devait évidemment tendre à disparaître dans une société où les rapports économiques et sociaux seraient égalitaires, cette société n'ayant alors plus besoin de « machine à redistribuer les revenus ». « La solidarité sera immédiatement exprimée par l'existence de relations sociales de type communautaire » (Rosanvallon, 1984, p. 169). Selon la critique politique et économique de l'État chez Marx, l'État est « une superstructure qui dépend de la société civile, des conflits et des rapports de force, des rapports de classe qui se déroulent à l'intérieur de la structure économique. Ainsi, cette forme d'organisation du pouvoir politique devient un produit de l'histoire qui se transforme selon l'évolution des rapports sociaux. De ce fait, elle est non seulement appelée à se modifier, mais à disparaître avec l'aboutissement de la révolution qui représente le moment ultime de libération des classes opprimées » (Hamel et Léonard, 1981, p. 160). Pour les marxistes « orthodoxes » des années 1970, l'État, plus précisément l'État-providence, est « une béquille du capital », pour modifier la reproduction de la force de travail et maintenir la population non travailleuse dans le capitalisme. Comme le dit Rosanvallon tentant de résumer cette approche, « [il] consiste à faire prendre en charge par l'État, à la place des entreprises capitalistes, une partie des dépenses (santé, culture, etc.) de reproduction de la force de travail. [...] C'est un moyen de régulation structurelle du capitalisme. Sans intervention croissante de l'État, le capitalisme s'effondrerait: c'est la thèse du capitalisme monopoliste d'État » (Rosanvallon, 1984, p. 170171). Cette approche a influencé de façon très marquée les réflexions et les pratiques des années 1970, tant dans les groupes populaires que dans les groupes marxistes-léninistes. Une critique des approches libérales et marxisantes La critique de la position des marxistes orthodoxes a évidemment porté sur son caractère déterministe qui rendait impossibles une analyse sereine et nuancée des conflits idéologiques et, surtout, une action efficace des sujets : le serpent se mordait lui-même la queue. « Le "retour de l'acteur" (Touraine, 1984) a trouvé, dans cette philosophie "sans sujet", une cible privilégiée de critique » (Ansart, 1990, p. 177 ; Touraine, 1984). Touraine est l'un de ceux qui essaient de « remettre Marx sur ses pieds », oserions-nous dire. Touraine démystifie l'État, d'une certaine façon : il remet l'accent sur les acteurs sociaux, particulièrement les mouvements sociaux, et cesse de présenter l'État comme le « terme », l'aboutissement, de quelque relation sociale que ce soit. « La pratique sociale, écrit Touraine,
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tend à placer l'État au centre de sa représentation de la société. L'analyse des systèmes sociaux, au contraire, subordonne l'analyse de l'État à celle de la société et d'abord de son historicité et, par conséquent, celle des luttes pour le pouvoir étatique à celle des mouvements sociaux » (Touraine, 1984, p. 58). Inversement, Touraine réfute aussi les prétentions du libéralisme, qu'il qualifie de pure utopie. L'État demeure essentiel comme acteur social majeur et comme redistributeur des richesses. « Il est dans toutes les sociétés un ensemble de liens établis entre les systèmes qui constituent la société, et donc un acteur important du changement social » (Touraine, 1984, p. 79). En fait, l'État assume diverses fonctions selon les différents types de sociétés. Et s'il a pu être l'« État sacré » dans les sociétés marchandes, s'il peut, dans les sociétés les plus industrialisées, devenir « gestionnaire d'organisations, d'entreprises industrielles parfois, d'hôpitaux, de centres de recherche presque partout, d'appareils scientificomilitaires, partout où ils existent [et ainsi devenir] classe dirigeante, en fait, pas plus que l'État ne peut être réduit au Souverain dans les sociétés marchandes, il ne peut être réduit à la technocratie dans les sociétés post-industrielles » (Ibid.). Fondamentalement, il faut saisir à quel point l'État et le mouvement social sont à la fois diamétralement différents et inextricablement liés. Alors que l'État se veut « réaliste » pour mieux « défendre l'État national par rapport à d'autres [...] et maintenir son unité et son intégration », le mouvement social, pour sa part, « parle directement au nom d'une classe et à l'intérieur d'un type sociétal » (Touraine, 1984, p. 78-79). En résumé, on pourrait dire que Touraine essaie de redonner à l'acteur social et à son « intentionnalité sociale » une place active, seule susceptible, selon lui, de provoquer un réel changement social. Donc, les structures ne sont qu'un des éléments à regarder. Et encore, elles seraient de l'ordre des déterminants de l'action et non l'action sociale elle-même (Ansart, 1990, p. 56). Finalement, Touraine nous apporte une démonstration très « évidente » de la complexité des rapports entre les mouvements sociaux, entre ceux-ci et l'État, etc. On ne peut donc bien saisir l'État et sa nature sans le soumettre à l'éclairage de ses rapports avec les mouvements sociaux. Inversement, ceux-ci ne peuvent être « saisis » dans leur essence sans qu'on les relie entre eux et sans qu'on les étudie dans leurs rapports au pouvoir, et donc à l'État. Des théories qui naissent dans l'évolution sociale Il est important de bien saisir que la critique des approches tant libérale que marxisante s'est peu à peu construite (et se construit encore) non pas dans un vase clos théorique, mais à partir de l'évolution sociale depuis la Deuxième Guerre mondiale. Depuis les années 1950, les sociétés
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occidentales (industrielles sur le plan économique et démocratiques dans leurs institutions politiques) appliquaient grosso modo le compromis keynésien fondé sur le développement de l'État-providence (régissant les rapports entre l'État et la classe ouvrière : dimension sociale et politique) et sur la négociation collective (régissant les rapports « patrons-ouvriers » dimension économique). Comme ces deux fondements ont tendance à s'effriter, en raison de la situation économique instable (déficits en croissance des États, endettement en résultant énorme un peu partout, etc.), le modèle « keynésien » tout entier tend à éclater. Tout change, et donc aussi cet espace social. Selon Rosanvallon (1984, p. 131 et s.), le modèle keynésien est doublement en crise : « essoufflement de l'État-providence et perte de substance des formes classiques de la négociation collective ». Bref, une société en devenir semble surgir de l'ancienne, mais sans paramètres encore précis, sans qu'on sache trop ce qui vient, ce qui disparaîtra, ce qui le remplacera. Des conséquences graves de ce mouvement social touchent les classes populaires : chômage énorme non compensé par certains développements économiques non créateurs d'emplois, incroyable précarisation des emplois existants, dualisation multiple de la société. « Grandes entreprises versus petites entreprises, travail stable versus travail précaire, secteur tertiaire majoritaire versus secteur primaire et secondaire privé en déclin, hommes d'âge moyen versus hommes jeunes et âgés et finalement hommes versus femmes sur le marché du travail » (Favreau, 1989, p. 218). Coexistence de trois modèles de régulation sociale Bref, il semble, toujours selon Rosanvallon, qu'on puisse entrevoir, pour l'instant, une certaine coexistence de trois modèles de régulation sociale : 1) le modèle keynésien « État-patron-syndicat », en perte de vitesse rapide (avec son mode de régulation axé sur l'État-providence et la négociation collective) et dont l'enjeu était l'économique essentiellement ; 2) le modèle autogestionnaire « mouvements sociaux-groupes de base », plus caractéristique des années 1970 (avec son mode de régulation local et global, c'es-à-dire autorégulateur et tendant à l'élargissement de la démocratie par l'autogestion) et dont l'enjeu était et est encore le socio-politique ; 3) et, enfin, le modèle de régulation intro-sociale, dont l'objet principal porte sur les rapports entre individus et sociétés, dont l'enjeu est celui de toute une nouvelle réalité sociétale et dont le mode de régulation est éclaté, « disséminé et encastré dans le tissu social » (Rosanvallon, 1984, p. 135).
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Le « nouveau » Touraine face aux enjeux actuels Dans son livre récent, Touraine (1999) réfléchit aux fonctions régulatrices respectives de l'État et du marché dans le monde actuel. Plus précisément, face aux choix qui s'opposent actuellement entre le libre marché absolu et le retour de l'État, le « nouveau » Touraine se positionne ainsi : « Il y a une immense distance entre dire : "il faut libérer l'économie des interventions maladroites de l'État et de modes de gestion sociale devenus inefficaces" et dire "il faut que les marchés se régulent eux-mêmes, sans intervention extérieure". Cette seconde manière de penser a un nom : le capitalisme [...] Le capitalisme, c'est la société dominée par son économie » (p. 21-22). Ajoutant aux débats qu'on rencontre un peu partout dans le monde entre une droite néolibérale et l'envers de la médaille, c'est-à-dire une « gauche » qui prône la rupture radicale, il conclut : Ces pays qui ne sont pas encore sortis du vieux système de contrôle social de l'économie et qui hésitent à en créer un nouveau sont dans la situation la plus difficile [...] Ils sont menacés de s'enfoncer dans le capitalisme sauvage, alors même qu'ils voient se développer en leur sein une opposition radicale qui rejette la modernisation avec le capitalisme et qui confond la revanche nécessaire des exclus avec le maintien des corporatismes et des intérêts acquis (p. 34). CONCLUSION La rencontre du développement des mouvements populaire et communautaire et de la redéfinition de l'État moderne amène une série d'enjeux nouveaux. Soulignons en particulier les débats importants qui opposent tenants d'une peur de la récupération par l'État des organismes communautaires et ceux qui, au contraire, croient socialement utile d'aller de l'avant vers de nouvelles formes de rapports partenariaux avec l'État, même si cette approche peut présenter des risques réels. Entre autres, la réforme des services sociaux et de santé ainsi que les mouvements en cours en général se prêtent bien à ces débats, posant clairement les enjeux décrits plus haut quant au rôle de l'État et à l'autonomie des organismes communautaires. Ainsi, selon Belhassen Redjeb (1994), [...] la récente réforme des secteurs de la santé et des services sociaux, la réforme Côté, etc., constitue en quelque sorte une part non négligeable de l'exécution de la sentence prononcée contre un État social jugé, somme toute, contreproductif. Se pose alors la question de savoir comment l'État rationnel, figure emblématique de la modernité, doit se redéployer autrement que par le passé afin que ses interventions soient moins onéreuses et plus discrètes tout en continuant à participer à la rationalisation de la vie en société.
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L'auteur ajoute : « La réhabilitation étatique du communautaire n'exclut pas sa récupération, elle la préfigure. » Et il conclut que « la sollicitation conditionnée d'organismes communautaires nés de solidarités autour de causes pour venir à la rescousse du réseau étatique des services pave la voie à la volonté étatique de s'approprier, en le gérant à distance (Gagné et Dorvil, 1993), ce réseau d'acteurs bien plus ancrés dans le monde vécu que ne l'est le réseau des services étatiques ». D'un autre point de vue, Jacques Caillouette (1994) rétorque en nous invitant à dépasser « une analyse strictement économique du rôle du communautaire » et à éviter de réduire le partenariat auquel le communautaire est convié « au modèle néolibéral de développement ». Se positionnant contre le « modèle de réaménagement à la baisse du providentialisme et l'émergence d'un modèle alternatif de l'État partenaire de la société civile », en raison « des processus d'exclusion et de "disempowerment" que génèrent les modèles providentialiste et néolibéral », il propose un modèle de partenariat qu'on pourrait qualifier de « critique », parce que ce contre-modèle « permet une plus grande implication des intervenantes et intervenants comme des populations ». Rappelons d'abord le diagnostic que pose Alain Touraine sur la société actuelle : « On peut donc dire, en première approche, que nous sommes passés dune forme de socialisme à une forme de capitalisme, que le marché a remplacé l'État comme principale force régulatrice de notre société » (Touraine, 1999). Selon lui, le développement capitaliste et les révolutions anticapitalistes qu'il a provoquées ont mené à une sorte de « synthèse dialectique » qui a pris la forme d'une « démocratie industrielle », laquelle, selon Touraine, s'est d'abord transformée « en politique social-démocrate, puis, après la Seconde Guerre mondiale, en État-providence » (Touraine, 1999, p. 9). Comment ce compromis en est-il venu à s'instaurer ? Par la dynamique même des rapports : d'une part, les tenants de la « rupture radicale » (la « gauche extrémiste » ?) ont proposé des révolutions qui ont abouti à des systèmes totalitaires qui ont fini par imploser dans leur totalitarisme même ; d'autre part, « ceux qu'on appelait avec mépris les réformistes, parce qu'ils croyaient à la possibilité que s'affirment de nouveaux acteurs sociaux, donnèrent une nouvelle vie à la démocratie » (p. 10). Touraine nous renvoie au même choix fondamental pour faire face à la situation actuelle, en nous invitant à éviter la croyance en la domination implacable des forces économiques. Ce qui peut conduire soit au pessimisme radical sans issue, soit à la recherche des fameuses « lois scientifiques » qui « gouvernent » l'histoire. Il nous invite au contraire « à la croyance que l'action est possible, et aboutit à des transformations non seulement nécessaires mais efficaces de l'organisation sociale. En d'autres termes, face à la souffrance et à l'exclusion, et pour sortir d'une position
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purement défensive, ou bien il faut s'en remettre à des idéologues qui s'attribuent le monopole de l'analyse et de l'action, ou bien il faut reconnaître que les victimes sont aussi les acteurs, dès lors qu'elles en appellent à des principes généraux comme la justice ou l'égalité, susceptibles de rallier autour d'elles des forces majoritaires. Croyons-nous à la nécessité d'une rupture absolue ou, au contraire, à la possibilité d'un mouvement collectif qui renforcerait la capacité d'action des catégories sociales dominées mais non complètement aliénées (Touraine, 1999, p. 10) ? C'est un peu dans cette perspective que nous comprenons l'évolution du rôle de l'État et de ses rapports avec les mouvements sociaux. Nous pensons que se contenter de revendiquer que l'État revienne au providentialisme que nous lui avons connu n'est pas possible. Cette forme d'étatisme est révolue et la revendication qui exigerait son retour ne serait que l'envers « économiste » de l' « économisme dominant » tant décrié. BIBLIOGRAPHIE ANSART, P. (1990). Les sociologies contemporaines, Paris, Éditions du Seuil. BÉLANGER, P.-R. et B. LÉVESQUE (1987). « Le mouvement social au Québec : continuité et rupture (1960-1985) », dans Paul-R. Bélanger, Benoît Lévesque, Franklin Midy et Réjean Mathieu (dir.), Animation et culture en mouvement: fin ou début d'une époque ?, Sainte-Foy, Presses de l'Université du Québec, p. 253-256. BÉLANGER, P.-R. et B. LÉVESQUE (1992). « Le mouvement populaire et communautaire : de la revendication au partenariat (1963-1992) », dans G. Daigle et G. Rocher, Le Québec en jeu, Montréal, Presses de l'Université de Montréal. CAILLOUETTE, J. (1994). « L'État partenaire du communautaire : vers un nouveau modèle de développement », Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, n° 1, p. 161-175. FAVREAU, L. (1989). Mouvement populaire et intervention communautaire de 1960 à nos jours, continuités et ruptures, Montréal, Le Centre de formation populaire et Les Éditions du fleuve. FAVREAU, L. et B. LÉVESQUE (1996). Développement économique communautaire. Économie sociale et intervention, Sainte-Foy, Presses de l'Université du Québec. FRIEDMANN, J. (1992). Empowerment. The Politics of Alternative Development, Cambridge, MA, Blackwell Publishers, 196 p. GAGNÉ, J. et H. DORVIL (1993). « Les enjeux de la reconnaissance et du partenariat avec le communautaire dans la récente réforme des services sociaux et de santé du Québec ». Conférence prononcée au colloque du Rufuts dans le cadre du 61e congrès de l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS), du 17 au 21 mai 1993 à Rimouski.
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ACTION COLLECTIVE ET NOUVELLE CULTURE POLITIQUE PIERRE HAMEL, Ph. D. Département de sociologie, Université de Montréal
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RÉSUMÉ En introduisant des préoccupations et des valeurs négligées par les acteurs politiques traditionnels, les mouvements sociaux ont contribué à la transformation des rapports de pouvoir et au renouvellement de la démocratie. C'est dans cette perspective que s'inscrit l'action des mouvements urbains qui se sont développés à Montréal, en suivant une trajectoire originale. Même si les acquis de ces acteurs collectifs demeurent fortement marqués par la mondialisation, il n'en reste pas moins que leur engagement a contribué à revoir les conditions d'exercice de la démocratie, en particulier dans son articulation à la démocratie représentative. Il s'agit là d'un apprentissage collectif dont nous mesurons encore mal aussi bien la portée que les limites.
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Depuis l'avènement de la société industrielle, les mouvements sociaux participent d'une manière active à la vie sociale et politique. Toutefois, au cours des trente dernières années, leurs modèles d'organisation, leurs moyens d'action et leurs stratégies se sont diversifiés. Ils ont poursuivi des objectifs de modernisation des structures sociales et politiques tout en défendant l'idée d'une nécessaire démocratisation des modèles et des pratiques de gestion publique. Comme d'autres mouvements sociaux, les mouvements urbains ont moins retenu l'attention des chercheurs, surtout si on les compare aux mouvements verts, aux mouvements des droits sociaux ou aux mouvements des femmes. Les mouvements urbains nous sont familiers à plus d'un titre. Leur engagement sur la scène publique attire constamment l'attention des médias. Leurs revendications par rapport au logement social, à l'amélioration de la gestion des services urbains, à la protection du cadre bâti ou à la mise en valeur du patrimoine, pour ne mentionner que quelques-uns de leurs domaines d'intervention, nous rappellent l'actualité de leur démarche. Comme dans le cas des autres mouvements sociaux, leur engagement déborde les considérations matérielles qui déterminent leur action ; il est aussi lié à des enjeux sociaux et politiques fondamentaux. Les convictions profondes qui animent les acteurs des mouvements sociaux les entraînent sur plusieurs terrains. Mentionnons la remise en question des modèles dominants de gestion publique ou l'introduction de nouvelles préoccupations sociales et culturelles. De surcroît, on peut évoquer leur souci de défendre des principes de justice sociale. À diverses occasions, les mouvements sociaux affirment, au moyen de stratégies spécifiques, une remise en question des modèles dominants d'organisation sociale et culturelle ou tentent d'infléchir les modes établis de décision qui ont cours au sein des institutions (Hamel et Maheu, 2000). L'enjeu de leur action coïncide, en dernière instance, avec une démarche de reconnaissance et l'introduction d'un principe de solidarité dans les modes d'organisation sociale. En cela, ils se distinguent des actions menées par de simples groupes de pression ou par des acteurs qui défendent des intérêts corporatistes. Pour autant, leur action et, surtout, les retombées qu'il est possible d'en attendre ne vont pas de soi. Selon plusieurs, celles-ci demeurent incertaines ou, à tout le moins, difficiles à cerner (Giugni, McAdam et Tilly, 1999). Afin de mieux saisir la portée des mouvements sociaux - donc d'en dégager les effets les plus signigicatifs - nous avons choisi de considérer l'évolution récente des mouvements urbains tels qu'ils se sont exprimés sur la scène locale montréalaise à partir du début des années 1960. Comment ces mouvements ont-ils contribué à la transformation des rapports sociaux
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à partir du thème de la démocratie ? Quels sont leurs revendications, leurs valeurs et leurs buts ? En quoi peut-on dire que leurs stratégies se modifient à partir du milieu des années 1980, empruntant des orientations et des formes qui renouvellent leurs modes d'intervention ? C'est pour apporter quelques éléments de réponse à ces questions que nous passons en revue l'évolution des mouvements urbains montréalais en considérant ce qui a caractérisé leur action au cours des années 1960 et 1970, comparant celle-ci à ce qu'elle est devenue depuis le milieu des années 1980. Notre démarche vise à rendre compte de quelques-uns des défis centraux qu'ont eu à relever les mouvements urbains à l'instar des autres mouvements sociaux récents. Au préalable, il convient de préciser les principaux paramètres théoriques qui alimentent notre réflexion. En conclusion, nous revenons à la question générale de la portée des mouvements sociaux. LA PORTÉE DES MOUVEMENTS SOCIAUX Au cours des trente dernières années, l'étude des mouvements sociaux a donné lieu à de nombreuses controverses. Au-delà des divergences qui ont marqué l'opposition entre, d'un côté, une sociologie partant des problèmes sociaux et, de l'autre, une sociologie élaborée à partir des classes sociales, de leurs conflits et de leurs intérêts divergents (Bash, 1995) - opposition qui s'est prolongée au cours des années 1970 et 1980 dans des visions différentes de l'action collective adoptées par les tenants de la théorie de la mobilisation des ressources et par ceux d'une théorie des nouveaux mouvements sociaux (Farro, 2000) -, ce domaine d'étude s'est distingué par son dynamisme, tant sur le plan théorique qu'empirique. Il en a résulté une préoccupation plus grande de la part des chercheurs pour les problèmes méthodologiques, le partage d'un certain nombre de constats à l'endroit des formes contemporaines qu'emprunte l'action collective (Della Porta et Diani, 1999) et un souci d'inscrire l'étude des mouvements sociaux dans les débats généraux qui traversent la sociologie. De ce point de vue, certains mentionnent qu'il existe une convergence - si ce n'est une synthèse théorique - entre des approches qui, auparavant, faisaient confiance à des orientations diamétralement opposées en s'appuyant dans un cas sur l'action et, dans l'autre, sur les structures (Sztompka, 1993). Néanmoins, les stratégies de recherche et les analyses ne reposent pas toutes sur les mêmes a priori. Entre une sociologie sectorielle - qui met le cap sur les problèmes spécifiques de l'action collective - et une
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problématisation de la société à partir du point de vue des mouvements sociaux, il existe des différences majeures que les convergences théoriques évoquées précédemment ne parviennent pas à effacer complètement. Le point de vue pour lequel nous optons ici est celui d'une problématisation de la société fondée sur de la perspective adoptée par les mouvements sociaux et leurs acteurs. À ce sujet, les mouvements sociaux constituent un reflet des conflits qui traversent les rapports sociaux. Ils sont révélateurs des tensions et des ajustements qui accompagnent la transformation des milieux de vie. En retour, ces mouvements sont interpellés par les changements économiques, sociaux et politiques qui définissent le contexte - notamment les structures d'opportunité sociale et politique de l'action - à l'intérieur duquel ils interviennent. Il n'est pas facile de départager l'action, sa portée et le contexte de l'action dans lequel travaillent les acteurs sociaux. Ces derniers s'ajustent en même temps qu'ils tentent d'influencer les cadres d'interaction. Cependant, en dépit d'une influence réciproque entre les acteurs et les contextes d'action, nous faisons l'hypothèse que les mouvements sociaux jouent un rôle majeur dans les changements sociaux et politiques. C'est ce que confirme, nous semble-t-il, l'action des mouvements verts et des mouvements des femmes au cours des dernières années, en dépit des difficultés internes et des limites importantes contre lesquelles ils ont buté, que celles-ci se posent sur le terrain social, politique ou culturel. C'est aussi ce que nous révèle l'action des mouvements urbains. En ce qui a trait aux mouvements urbains, parmi les thèmes qui ont retenu leur attention, celui de la démocratie locale vient au premier rang. À cet égard, ces mouvements ont contribué à mettre en lumière les ambiguïtés de la démocratie, mais aussi sa portée et ses exigences particulières dans le cadre de la modernité avancée. À partir de demandes sociales de démocratisation de la gestion publique sur la scène locale, les mouvements urbains ont réussi à transformer le rôle social et politique de l'État. Ce faisant, ils ont expérimenté de nouvelles formes de solidarité. L'action des mouvements urbains s'inscrit dans une société en transformation rapide et profonde. L'individualisation grandissante des rapports sociaux, les tendances à la mondialisation, l'importance accrue du multiculturalisme dans un monde en changement nous amènent à revoir les principaux paramètres d'un contexte d'action de plus en plus incertain, où les rapports conflictuels avec les institutions deviennent des occasions d'expérimentation pour les mouvements sociaux et leurs acteurs (Hamel, Maheu et Vaillancourt, 1999 ; Hamel, Maheu et Vaillancourt, 2000). C'est ce qu'il nous faut examiner de plus près.
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LES MOUVEMENTS URBAINS À PARTIR DES ANNÉES 1960 Plus que ce ne fut le cas dans d'autres villes du Québec et du Canada, on peut dire que depuis les années 1960 les mouvements urbains montréalais ont été, à Montréal, à l'avant-scène d'une transformation des représentations du politique et de l'urbain. De ce fait, ils ont contribué d'une manière active à l'élaboration des politiques urbaines et à leur transformation. Depuis le début des années 1960, ces mouvements que l'on peut qualifier d'urbains parce que leurs acteurs sont intervenus à la fois sur la forme et sur le contenu de l'espace et de ses principales composantes - logement, infrastructures, services publics, patrimoine, développement économique local - ont tenté d'infléchir les décisions publiques dans le sens d'une vision patrimoniale de l'urbain. Dans une certaine mesure, à maintes occasions, ils y sont parvenus. Introduisant dans l'espace public des valeurs sociales et culturelles propres à l'identité et aux intérêts de leurs acteurs, se portant à la défense d'une vision progressiste de la justice sociale, ils ont remis en cause les modèles et les processus dominants de gestion de la ville qui avaient un impact négatif sur les modes de vie des populations locales. Sans refaire la petite histoire des luttes et des mobilisations autour desquelles s'est organisée l'action de ces groupes', on doit mentionner que ceux-ci ont contribué d'une manière directe et critique dans les années 1960 et 1970 au développement urbain en abordant plusieurs problèmes connexes : les démolitions de logements, la transformation du cadre bâti des quartiers populaires, les conditions de logement, les droits des locataires, la construction de logements sociaux, etc. Il s'agissait là d'une série d'enjeux fortement reliés à la planification urbaine et au rôle de l'administration municipale par rapport à leur gestion. En même temps, les revendications et les mobilisations de ces groupes allaient au-delà d'une gestion des conflits tournée d'une manière exclusive vers le local. Leur démarche s'inscrivait dans une transformation en profondeur des rapports sociaux à l'espace. Cela peut être établi si l'on considère la contribution de ces mobilisations à la définition et à l'orientation des politiques sociales et, partant, à la construction de l'État-providence dans la forme que celui-ci a revêtue au Québec et au Canada durant ces années. 1. Par exemple, dans l'inventaire que nous avons dressé des mobilisations relatives à la question du logement, une centaine de conflits ayant donné lieu à des actions collectives ont été répertoriés entre 1963 et 1976 sur le territoire de la ville de Montréal (Hamel, 1983).
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Au cours des années 1960 et et 1970, il est indéniable que l'action des mouvements urbains, aux côtés d'autres mouvements sociaux - comme les mouvements pour la défense des droits civiques et le mouvement syndical - et de concert avec des forces politiques progressistes a contribué, du moins dans un premier temps, à l'élaboration de l'État-providence. En d'autres termes, l'action des mouvements urbains était dirigée non seulement contre l'intervention des promoteurs du développement immobilier, mais aussi vers une démocratisation de la gestion publique qui passait alors en priorité par la mise en place d'un État-providence. Dans une large mesure, les luttes auxquelles ces groupes ont participé revêtaient un caractère défensif. Toutefois, dans certains domaines d'action - on peut penser notamment au logement, à l'éducation populaire et à la santé -, leur engagement prenait des allures proactives, soit en demandant l'intervention de l'État, soit en élaborant des approches à la fois complémentaires et « alternatives » par rapport à une prise en charge directe des besoins sociaux par les gestionnaires publics. Aux côtés d'autres acteurs sociaux, les revendications, les démarches des mouvements urbains se sont inscrites dans un premier temps, disons du début des années 1960 jusqu'au milieu des années 1970, dans une trajectoire qui a contribué à conforter la gestion publique des questions sociales par l'État-providence. Par la suite, leur action a dû faire face au caractère bureaucratique de la gestion publique. En ce sens, entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980, l'action des mouvements urbains s'est doublée d'une remise en question des modalités de fonctionnement de la gestion publique et, en particulier, de l'Étatprovidence, afin de réviser le modèle de gestion technocratique élaboré au cours de la période précédente. C'est moins la finalité de l'État-providence qui était alors remise en question par les acteurs sociaux que son mode de fonctionnement. Ce que réclamaient avant tout les mouvements urbains, c'est une transformation de la gestion des politiques publiques afin de réduire les inégalités sociales, faire échec à la pauvreté dans les quartiers populaires de Montréal et redistribuer la richesse en fonction d'un principe de justice sociale. À elle seule, l'idée de faire confiance à l'Étatprovidence, qui a dominé jusqu'au milieu des années 1970, ne suffit plus : il faut de surcroît que les politiques et les programmes à portée sociale atteignent les objectifs établis. C'est ce qui explique la critique de la gestion bureaucratique des politiques en place, la réclamation de ressources supplémentaires pour les acteurs communautaires qui se croient en meilleure position que les fonctionnaires pour répondre aux demandes sociales.
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Du point de vue d'une démocratisation de la gestion locale, en résumé, disons que dans le cas de Montréal, jusqu'au milieu des années 1980, l'action des mouvements urbains s'est déployée en priorité sur deux terrains, à savoir : 1) celui de la transformation de l'espace et de ses principales composantes ; 2) celui de sa gestion, incluant les enjeux sociopolitiques qui s'y rattachaient, à commencer par les compromis inhérents au modèle de solidarité élaboré par l'État-providence. Ce faisant, les mouvements urbains se sont heurtés à une conception élitiste - traditionnelle - de la démocratie locale. Celle-ci était incarnée dans un modèle de gestion centralisée, allant de pair avec une « conception technico-administrative » (Quesnel, 1986, p. 317), qui prévaudra en un sens jusqu'en 1986 grâce à la mainmise du maire Drapeau et de son parti « civique » sur l'administration montréalaise. Les mouvements urbains ont remis en question la représentation traditionnelle de la démocratie. À cette fin, ils ont d'abord contribué à mettre sur pied sur la scène municipale des partis politiques ayant une orientation idéologique social-démocrate, soit le FRAP en 1970 et le RCM en 1974. Ensuite, ils sont intervenus dans l'espace public-politique et ont contribué d'une manière à la fois directe et indirecte, dans un premier temps, à la construction de l'Étatprovidence et, dans un deuxième temps, à sa critique et à sa redéfinition. En outre, notons que l'action des mouvements urbains a pris place à l'intérieur d'un espace social en transformation, celui des quartiers urbains, à partir desquels se sont développées des associations locales et diverses formes de solidarité expérimentées dans les luttes contre la discrimination et les inégalités ou encore dans l'élaboration de formules d'autogestion des services publics, comme cela a été le cas avec les cliniques médicales ou les garderies populaires. Cependant, les remarques qui précèdent laissent dans l'ombre plusieurs aspects de l'évolution des mouvements urbains. On peut penser d'abord à leur portée cognitive en ce qui a trait à la définition de l'urbain et de sa gestion : celleci découle d'une série de conflits et de confrontations avec l'administration municipale qui remonte aux années 1960 et dont l'histoire est mal connue. Dans la même veine, on peut dire que la transformation des pratiques de ces mouvements a donné lieu à différents apprentissages sur le plan de l'action collective du point de vue des acteurs et de leurs stratégies. Enfin, les mouvements urbains ne constituent pas un univers homogène. La multiplicité des domaines d'intervention où ils se sont engagés, les divisions idéologiques qui ont alimenté leurs organisations, la diversité des formes d'expérimentation dans les rapports aux institutions sont des traits marquants de leur réalité sociale, culturelle et politique qu'une analyse empirique plus poussée devrait considérer.
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L'action des mouvements urbains a permis de prendre acte des nombreuses difficultés - si ce n'est des nombreuses limites - inhérentes à la planification urbaine. En outre, c'est de l'ampleur des résistances face à une conception participative de la démocratie qu'on a pris la mesure. À cet égard, l'articulation d'une démocratie représentative et d'une démocratie participative s'est révélée très malaisée, même si cette question est davantage à l'ordre du jour depuis le début des années 1990, à la suite de la mise en place, par l'administration municipale, d'une politique de consultation publique. LES MOUVEMENTS URBAINS DANS LE CONTEXTE POSTFORDISTE Les années 1980 se caractérisent à Montréal par plusieurs changements sur la scène locale. D'abord, dès la fin des années 1970, l'administration de la Ville de Montréal a entrepris une cure de rajeunissement. Cela a conduit ses principaux responsables à mettre sur pied de nouvelles instances d'intervention Commission d'initiative et de développement économique (CIDEM), sociétés d'initiative et de développement des artères commerciales (SIDAC), sociétés paramunicipales - vouées à la relance de l'économie montréalaise. C'est que Montréal a beaucoup de mal - comme d'autres anciennes villes industrielles du nord-est du continent - à se remettre des changements économiques provoqués par la crise du fordisme. À l'instar de ces autres agglomérations, Montréal a dû faire face à un redéploiement industriel qui a entraîné des pertes d'emplois dans les secteurs traditionnels. De plus, l'ensemble de la région se caractérisait par un faible dynamisme sur le plan de l'entrepreneurship, de sorte qu'il était difficile de remplacer les emplois perdus. C'est ce qui explique pourquoi, à la suite des pressions provenant des milieux d'affaires, l'administration municipale a entrepris une démarche de concertation avec les acteurs de la société civile - une forme de néocorporatisme urbain -, en invitant en priorité les représentants des milieux d'affaires. Cette démarche peut être associée à l'idée de modernisation et de rationalisation de l'ensemble de l'administration municipale (Boyer, 1986). Ainsi, certains chercheurs n'hésitent pas à parler de continuité - en opposition à l'idée de rupture - afin de décrire les transformations et les réformes qu'amorce le Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal (RCM) une fois qu'il arrive au pouvoir en 1986 (Léveillée, 1988). La question de la modernisation de l'administration municipale s'est posée à plusieurs reprises depuis le début du XXe siècle. Divers enjeux étaient en cause : clientélisme et corruption des élus, accroissement de la
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performance et de l'efficacité de la bureaucratie municipale, transformation des modèles et des pratiques de gestion (Dagenais, 2000). À la fin des années 1970 et au début des années 1980, la question de la modernisation de l'administration municipale se posait dans des termes un peu différents. Il s'agissait avant tout de soutenir la relance et le dynamisme de l'économie montréalaise, durement touchée par la crise du fordisme. Pour les mouvements urbains, le recul de l'économie montréalaise était tout aussi préoccupant qu'il l'était pour les industriels, les investisseurs ou les commerçants. Il n'apparaissait plus suffisant de soutenir une extension des politiques sociales à de nouveaux secteurs ou encore de réviser la gestion bureaucratique de ces mêmes politiques par l'État providence. Il devenait nécessaire d'étendre les initiatives de l'action collective au développement économique, de soutenir d'une manière proactive la relance du développement local, en particulier dans les anciens quartiers industriels ouvriers, très fortement affectés par les fermetures d'usine, la perte d'emplois et des taux élevés de chômage. En deux mots, disons que les mouvements urbains ajoutaient à leurs préoccupations sociales, culturelles, urbanistiques et politiques des préoccupations économiques. C'est pourquoi, à partir du milieu des années 1980, dans trois des quartiers périphérie du centre-ville (le Sud-Ouest, le Centre-Sud et HochelagaMaisonneuve), des acteurs communautaires2, dont l'action s'inscrivait en continuité avec celle des mouvements urbains des années 1960 et 1970, se sont engagés dans la mise sur pied de corporations de développement économique communautaire (CDEC). En misant sur un partenariat public-privé, ces groupes ont entrepris des démarches de
2. Il est important ici de clarifier la différence qui existe entre le milieu communautaire et les mouvements sociaux, même s'il est vrai que, depuis les années 1960, dans le contexte montréalais, l'action des mouvements sociaux et celle du milieu communautaire ont souvent convergé. C'est que le milieu communautaire a fourni aux mouvements sociaux des ressources organisationnelles, financières, intellectuelles - qui leur ont permis à maintes occasions de soutenir leur action et de s'engager, au-delà de luttes défensives, à l'intérieur de projets collectifs, transformant de ce fait le sens même de leur action. Ainsi, le milieu communautaire a fourni des réseaux et un espace aux mouvements sociaux et notamment aux mouvements urbains sans lesquels ces derniers n'auraient pu élaborer leurs projets avec l'ampleur qu'ils sont parvenus à leur donner. L'exemple de l'engagement des mouvements urbains sur le terrain du développement économique local est significatif à ce sujet. En outre, en s'engageant dans des rapports conflictuels avec l'État ou avec les pouvoirs publics, l'action du milieu communautaire s'est maintes fois associée à celle des mouvements sociaux. Pour autant, cela ne signifie pas que le milieu communautaire doive être assimilé aux mouvements sociaux. A l'inverse du milieu communautaire dont les modes d'expression ne sont pas d'emblée conflictuels - bien qu'ils puissent l'être à l'occasion -, l'action des mouvements sociaux est toujours engagée dans des formes organisationnelles qui remettent en question des pouvoirs sociaux ou les politiques instituées.
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relance économique qui s'inscrivaient dans une problématique de développement économique communautaire en référence à la spécificité sociale de leurs quartiers. Ils ont élaboré des interventions en matière de formation de la maind'œuve et de soutien à l'entrepreneurship. Ils ont aussi entrepris des actions visant l'amélioration du cadre bâti. Par ailleurs, ces groupes ont obtenu un appui à leurs projets de la part des milieux d'affaires et du milieu syndical, tout en comptant sur une mobilisation des ressources publiques. Ils sont surtout parvenus à favoriser une véritable démarche de concertation dans leur milieu, regroupant des représentants syndicaux, des représentants du monde des affaires, des acteurs communautaires et des représentants du secteur public, en fonction d'objectifs de relance économique et à partir d'une vision sociale du développement. Avec la mise sur pied des premières CDEC, il apparaît que la position des autorités locales est bien différente de ce qu'elle avait été au début des années 1960 à l'endroit des comités de citoyens désireux de participer aux programmes de rénovation urbaine dans le sud-ouest de Montréal. A cette époque, l'attitude des autorités consistait en un mélange de condescendance et d'autoritarisme. Dans le nouveau contexte économique et politique des années 1980, elle se révèle plutôt pragmatique, à l'instar du discours des acteurs des CDEC, qui adoptent au départ une position ouverte sur le partenariat public-privé et la négociation avec l'ensemble des acteurs socioéconomiques. Disons, en résumé, que le paradigme de la concertation et du partenariat a clairement remplacé celui de l'affrontement avec les autorités publiques, caractéristique du discours des années 1960 et 1970. Si nous considérons l'importance relative et la croissance rapide des ressources en particulier les montants des subventions - consenties aux CDEC par les trois paliers de gouvernement, de même que les modalités administratives de coordination créées par la Ville de Montréal à leur intention, nous devons parler de leur très forte institutionnalisation. D'ailleurs, en 1997, le gouvernement du Québec s'est inspiré du modèle d'intervention des CDEC afin de définir sa politique de soutien au développement local et régional, créant des centres locaux de développement (CLD) et des centres locaux d'emploi (CLE), y intégrant d'ailleurs les CDEC d'une manière opérationnelle, si ce n'est instrumentale. Ce qui n'a pas été sans infléchir leur orientation initiale, soulevant du même coup des interrogations quant à leur capacité de renouvellement. En portant sur le terrain institutionnel des revendications de nature économique, les CDEC ont réussi à transformer les représentations du développement économique et de la démocratie locale, y introduisant des
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préoccupations sociales qui étaient peu présentes auparavant dans les préoccupations et les représentations des acteurs économiques. Dans le cas du RESO (la CDEC du Sud-Ouest), on est même parvenu à transformer les programmes gouvernementaux de gestion de main-d'oeuvre, afin de mieux tenir compte des besoins des populations locales (Hamel, 1998). Ce virage qu'ont pris les mouvements urbains à partir du milieu des années 1980, élargissant leurs demandes de démocratisation à la sphère économique, correspond à un certain pragmatisme et à une transformation des stratégies d'action de ces acteurs collectifs. D'emblée, ce n'est plus la confrontation avec les adversaires qui est recherchée. On peut parler d'une ouverture plus grande de la part de leurs acteurs - à l'instar de l'attitude des gestionnaires et des élus eux-mêmes - relativement aux possibilités de coopération et de partenariat que renferment les nouveaux modèles de gestion publique. Les actions pour la défense du cadre bâti, les demandes répétées pour la construction de logements sociaux ou encore les mobilisations pour la préservation des milieux de vie ou l'amélioration de la gestion des services publics ne sont pas abandonnées pour autant. Elles se poursuivent. D'ailleurs, avec l'arrivée au pouvoir de Vision Montréal en 1994, l'appui inconditionnel accordé aux promoteurs par l'administration municipale a relancé la mobilisation des citoyens pour la défense de leur voisinage et de leurs quartiers. Cela dit, il est indéniable que, si l'on en juge par l'exemple des CDEC, les mouvements urbains ont acquis une reconnaissance et une légitimité qu'ils n'avaient pas au début des années 1960. Le fait que les mouvements sociaux soient devenus des « phénomènes normaux » de la vie sociale, comme le souligne Klaus Eder (1993), vaut aussi pour les mouvements urbains, comme on peut le constater à partir du cas de Montréal. Quelles sont les implications de ces changements pour la démocratie locale et urbaine ? En quoi les demandes des mouvements urbains qui se sont définis, la plupart du temps, en termes progressistes - démocratisation plutôt que simple respect des règles de la démocratie, accent mis sur la démocratie réelle plutôt que sur la démocratie formelle, pari pris sur la viabilité d'une démocratie participative au lieu de s'en remettre exclusivement à une démocratie représentative - ont-elles contribué à transformer l'espace de la démocratie urbaine ? Que nous révèlent les difficultés éprouvées par ces acteurs dans leurs demandes de participation et de démocratisation de la gestion publique locale par rapport aux nouveaux défis de la démocratie urbaine ?
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LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA DÉMOCRATIE URBAINE Le bilan rapide que nous venons d'esquisser de l'évolution des mouvements urbains montréalais a laissé dans l'ombre plusieurs dimensions de l'action collective tant sur le plan interne - pensons aux différentes tendances qui ont alimenté ces mouvements, en particulier l'opposition entre les tenants d'une vision conflictuelle de l'action collective et ceux qui misaient avant tout sur l'animation sociale et sur une participation active des citoyens à la vie civique que sur le plan externe, en ce qui concerne les rapports de force avec les adversaires. Ce qui est en cause dans ce cas, c'est la contribution significative de ces mouvements à la définition de l'espace public où ils ont pris place. Pour l'instant notre intention était avant tout : 1) de mettre en lumière quelques changements importants dans les pratiques des mouvements urbains qui reflètent, du moins en partie, la transformation des principaux enjeux sociaux et politiques auxquels ils ont été confrontés depuis le début des années 1960 ; 2) de situer la question des transformations économiques et sociales auxquelles ils ont dû faire face et qui se répercutent sur les formes organisationnelles qu'ils empruntent et sur les orientations qu'ils ont privilégiées depuis le milieu des années 1980. Les changements mentionnés concernant l'évolution des mouvements urbains dans le cas de Montréal ne leur sont en rien propres. D'autres chercheurs ont également observé dans d'autres villes et d'autres pays des tendances similaires. Que l'on pense en particulier à leur pragmatisme et à leur présence au sein des institutions (Thomas, 1983). La fragmentation de ces mouvements, leur ambivalence caractéristique, leur forte inscription institutionnelle et les nouveaux défis qui en résultent ont également retenu l'attention des chercheurs. C'est ce que certains ont noté en parlant des nouvelles formes d'expérimentation dans le cas des mouvements urbains en Allemagne (Mayer, 2000). À plus d'un titre, aux côtés des autres mouvements sociaux, les mouvements urbains ont contribué à l'émergence de ce qu'Ulrich Beck (1992) nomme la « nouvelle culture politique », laquelle rompt avec la fiction d'une centralité capable de diriger la société. Misant à la fois sur la décentralisation et sur une participation active des citoyens à la gestion publique, la « nouvelle culture politique » transforme les rapports de pouvoir et invite à une révision en profondeur des formes de régulation politique. C'est l'ensemble du système traditionnel de représentation qui se trouve mis en cause à partir de l'introduction des principes ou des exigences propres à la démocratie de participation.
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C'est aussi ce que prétend Marcel Gauchet (1998) lorsqu'il parle d'une redéfinition en cours des rapports entre l'État et la société civile. Pour lui, ce changement implique également une transformation du système de représentation et des principes qui le sous-tendent : Représenter voulait dire (auparavant) dépasser les différences entre les êtres et entre les groupes afin d'arriver à manifester la vérité du collectif dans l'unité de sa volonté, cela veut dire (maintenant) exhiber les différences, les assurer de leur visibilité dans l'espace public, faire en sorte qu'elles demeurent lisibles à tous les moments du processus politique, qu'elles ne se perdent pas en route dans l'élaboration de la décision collective (Gauchet, 1998, p. 120). Dès lors, le pragmatisme de la représentation et de la décision publique, les acteurs étant plus préoccupés par le respect des procédures que par les buts à poursuivre d'une manière collective, tend à faire prévaloir « la considération des composantes [...] aux dépens de l'unité collective, qui n'en continue pas moins d'exister, mais qui passe dans la pénombre, en quelque sorte, et se soustrait à la prise politique » (Gauchet, 1998, p. 122). On comprendra que dans ce cadre les prérogatives individuelles, qui passent par une valorisation des compétences et des différences personnelles, bouleversent les anciens modèles du militantisme qui refoulaient les préférences particulières au nom d'un idéal lointain auquel chacun et chacune adhéraient pour le bénéfice d'un bien commun abstrait. Les lectures que proposent Beck et Gauchet des changements qui sont survenus dans la culture politique occidentale et dans les sytèmes de représentation ont des répercussions sur l'ensemble des pratiques sociales, y compris celles des mouvements sociaux. Pour les mouvements urbains, cela signifie une transformation de leur répertoire d'action collective et de leur mode d'intervention dans l'espace public-politique. Dans le contexte montréalais, l'action des mouvements urbains a emprunté une trajectoire qui a été marquée par un revirement significatif dans les années 1980. Au départ, en effet, les acteurs de ces mouvements se situaient à l'extérieur de l'État et des institutions et introduisaient sur le terrain de la société civile des démarches de solidarité pour obtenir soit des concessions de la part de la classe politique ou la reconnaissance de nouveaux droits sociaux. C'est un rapport d'extériorité à l'État et aux institutions qui caractérisait, au premier chef, leur action. Les rapports entre l'État et les mouvements sociaux ou entre les mouvements sociaux et les institutions ne se conçoivent plus dans ces termes aujourd'hui. Comme l'ont exprimé les CDEC, à partir du milieu des années 1980, l'action collective se déploie de plus en plus sur le terrain institutionnel, qui devient un espace légitime d'expérimentation, tant pour les acteurs des mouvements que pour leurs adversaires. L'espace
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insitutionnel est devenu pour les acteurs sociaux un enjeu central au regard duquel s'exprime leur demande de reconnaissance et de légitimité. C'est par rapport aux institutions que se redéfinissent de plus en plus les enjeux de l'action collective sur le plan de la reconnaissance sociale, de l'appartenance et du pouvoir de choisir ou encore de la capacité à prendre part aux processus de décision (Hamel, Maheu et Vaillancourt, 2000). L'orientation - la ré-orientation et la finalité des institutions sont devenues l'enjeu principal de l'action. Nous assistons à une véritable transformation des modèles d'action et des contextes que nous pouvons rapprocher de ceux que certains associent à la modernité avancée (Beck, 1992). À l'intérieur de cette problématique, le champ social et politique est non seulement devenu plus flexible et incertain, mais il va de pair avec une instantanéité et une mobilité plus grandes - un retour en quelque sorte du nomadisme (Bauman, 2000) -, que plusieurs facteurs concomitants contribuent à définir : réflexivité, individualisation accrue des rapports sociaux, « informationalisation », mondialisation. Il en découle une redéfinition des rapports de pouvoir, mais surtout une redéfinition du rôle des institutions qui deviennent un espace à la fois de confrontation et d'expérimentation pour les acteurs sociaux. Avec l'avènement de la modernité avancée et des incertitudes fabriquées qui l'accompagnent (Beck, 1992), les rapports sociaux tels qu'ils sont médiatisés par les institutions doivent obéir à de nouvelles règles. Les institutions sont de moins en moins en mesure d'offrir aux acteurs un cadre de représentation, de routinisation, de normalisation, d'apprentissage et d'intégration comme par le passé. Il en résulte ce que nous pouvons appeler un accroissement de la noncorrespondance entre les acteurs et les institutions (voir Lustiger-Thaler, Maheu et Hamel, 1998), ce qui se traduit par une responsabilisation accrue des individus et un nouveau partage des responsabilités entre le public et le privé. C'est ce dont les CDEC ont pris acte, à partir du milieu des années 1980, en misant sur un partenariat public-privé et en parvenant à infléchir, dans une certaine mesure, les politiques publiques en faveur de leur vision sociale du développement économique local. Leur succès a été tel, toutefois, qu'il doivent maintenant faire face à de nouveaux défis, dont celui d'une intégration forte aux politiques gouvernementales, avec les risques d'une subordination de leurs priorités et de leurs objectifs à ceux de l'État et de la classe politique. À peu de chose près, dans leurs rapports à l'État et à l'ensemble des institutions, les mouvements urbains ont suivi une trajectoire analogue à celle qui a été empruntée par les autres nouveaux mouvements sociaux. L'intervention dans l'espace institutionnel a fait suite à un rapport d'extériorité aux institutions que nous qualifions de fort, dans un premier temps,
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et à un rapport que nous qualifions d'ambivalent, dans un deuxième temps - alors que les acteurs jouaient sur deux tableaux, situant la légitimité de leur action aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur des institutions. Les tranformations récentes de l'action collective reflètent les nouvelles exigences d'intégration sociale et politique auxquelles se trouvent confrontées les agglomérations urbaines post-fordistes. Même si les pouvoirs locaux n'échappent pas complètement à l'influence de l'État, à la faveur des nouvelles tendances à la mondialisation et du fait de la compétition accrue entre les villes, voire du rôle important que jouent les villes à l'intérieur des pays et des espaces économiques régionaux, on peut dire que les agglomérations urbaines apparaissent comme des lieux stratégiques pour définir l'intégration des groupes ethniques ou lutter contre l'exclusion sociale (Sandercock, 1999). Ce qui transforme à nouveau notre conception des enjeux et des défis que doivent relever aussi bien les politiques que la démocratie urbaines. Depuis les années 1980, dans le cas de Montréal, la base sociale des mouvements urbains s'est transformée. Les classes moyennes, qui ont quitté en nombre la villecentre pour la banlieue, y sont moins présentes. De plus, dans certains quartiers urbains, les groupes ethniques ont transformé le paysage social d'une manière significative. Enfin, l'appauvrissement de certaines couches sociales a eu des effets dévastateurs sur leurs capacités de mobilisation en accroissant leur dépendance à l'égard des pouvoirs publics. CONCLUSION Jusqu'à maintenant, ce n'est pas une majorité de citoyens qui s'est engagée dans les mouvements urbains. Leur action n'en a pas moins contribué à redéfinir les valeurs de la démocratie locale traditionnelle en introduisant, dans l'espace public, des préoccupations relatives à la participation des citoyens aux affaires urbaines, en référence à des principes de justice sociale. En attirant l'attention sur la nature des enjeux urbains et en élaborant de nouvelles formes d'action et de nouvelles stratégies d'intervention, ces mouvements ont contribué à déplacer vers le local et le global des demandes qui étaient formulées auparavant sur la scène nationale (Jenson, 1996). En se portant à la défense du patrimoine, en défendant l'intégrité des quartiers ou en contribuant à revoir les modèles de gestion du social et de l'urbain, ils sont parvenus à préciser le contenu culturel et politique de la démocratie urbaine. Toutefois, leur action est demeurée tributaire des ressources mises à leur disposition et des limites de la démocratie locale. Ce sont là des contraintes qui risquent d'avoir une signification
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et un poids différents dans les années à venir, c'est-à-dire au fur et à mesure que les enjeux urbains seront infléchis par les nouvelles tendances à la mondialisation. BIBLIOGRAPHIE BASH, H.H. (1995). Social Problems and Social Movements, Atlantic Highlands, NJ, Humanities Press. BADMAN, Z. (2000). Liquid Modernity, Cambridge, Polity Press. BECK, U. (1992). Risk Society. Towards a New Modernity, Londre, Sage. BOYER, R. (1986). « Description des structures politiques et administratives de la ville de Montréal (1984) », dans Guy Bourassa et Jacques Léveillée (dir.), Le système politique de Montréal, Les Cahiers de l'ACFAS, n° 43, SainteFoy et Montréal, Presses de l'Université du Québec et ACFAS, p. 101-140. DAGENAIS, M. (2000). Des pouvoirs et des hommes. L'administration municipale de Montréal, 1900-1950, Montréal et Kingston, McGill-Queen's University Press. DELLA PORTA, D. et M. DIANI (1999). Social Movements. An Introduction, Oxford, Blackwell. EDER, K. (1993). The Institutionalization of Social Movements. Towards a New Theoretical Problematic in Social Movement Analysis ?, Florence, European Institute. FARRO, A.L. (2000). Les mouvements sociaux, Montréal, Presses de l'Université de Montréal. GAUCHET, M. (1998). La religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité, Paris, Gallimard. GIUGNI, M., D. MCADAM et Ch. TILLY (dir.) (1999). How Social Movements Matter, Minneapolis, University of Minnesota Press. HAMEL, P. (1983). Logement et luttes urbaines à Montréal (1963-1976), Montréal, Faculté de l'aménagement, Université de Montréal. HAMEL, P. (1998). « Solidarité communautaire et développement local une nouvelle perspective pour construire des compromis sociopolitiques », dans Forum national sur la santé (dir.), La santé au Canada : un héritage à faire fructifier, Sainte-Foy, Éditions MultiMondes, p. 203-245. HAMEL, P et L. MAHEU (2000). «Beyond new social movements : Social conflicts and institutions », dans Kate Nash et Alan Scott (dir.), Blackwell Companion to Political Sociology, Oxford, Blackwell, p. 261-270. HAMEL, P., L. MAHEU etJ.-G. VAILLANCOURT (dir.) (1999). «Action collective et enjeux institutionnels » (numéro spécial), Recherches sociographiques, vol. XL, n° 3, p. 417-434.
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LA POLICE, UN INTERVENANT DE PREMIERE LIGNE POUR LE RÉSEAU DE LA SANTÉ MENTALE Les renvois de la police aux services de santé et services sociaux dans la communauté de Verdun CHRISTIANE CARDINAL Chercheure boursière du Conseil québécois de la recherche sociale, Institut Philippe Pinel
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RÉSUMÉ Les études sur les renvois de personnes aux services de santé mentale par la police ne portent que sur un seul modèle de renvoi, celui où la police amène elle-même les personnes à une urgence d'un hôpital. Si les policiers du SPCUM ont déjà appliqué ce modèle, celui-ci, avec les années et pour diverses raisons, s'est modifié. De plus, l'orientation du ministère de la Santé et des Services sociaux pour laction intersectorielle, l'orientation du SPCUM dans une pratique de police communautaire, la reconfiguration des services de santé mentale et la déjudiciarisation du processus permettant de reconduire une personne contre son gré à un hôpital ou à un CLSC sont là quelques aspects qui refaçonnent actuellement les rapports entre la police et les services de santé mentale et affectent aussi les modalités de circulation des personnes de la police vers les services de santé mentale. Cette étude de cas présente les caractéristiques de trois modèles de renvoi de la police aux services de santé mentale dans la communauté de Verdun.
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LA POLICE, EN PREMIÈRE LIGNE POUR LE RÉSEAU DE LA SANTÉ MENTALE
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Jusqu'à la fin des années 1960, l'intervention de la police du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (SPCUM) auprès de personnes souffrant de troubles mentaux impliquées dans une situation problème consistait souvent, nonobstant certaines conditions, à reconduire les personnes à l'hôpital'. Mais depuis les années 1970 des transformations importantes ont traversé le secteur de la psychiatrie - accentuation du mouvement de désinstitutionnalisation et de noninstitutionnalisation, resserrement du critère d'internement civil involontaire à celui de la dangerosité, adoption de mesures législatives protégeant les droits des personnes souffrant de problèmes de santé mentale, spécialisation et sectorisation du réseau des services psychiatriques. Ces transformations auront une incidence sur les pratiques de renvoi de la police et sur les relations d'échange de la clientèle entre la police et le réseau de la santé mentale2. « Des interventions policières réglées autrefois par l'acheminement des personnes vers des hôpitaux sont aujourd'hui solutionnées par la judiciarisation3. » Ce revirement dans les pratiques d'intervention de la police tient à diverses raisons : le temps que demande un renvoi pour une hospitalisation volontaire ou involontaire, alors que les policiers doivent s'occuper d'appels le plus rapidement possible ; la complexité des procédures légales qu'entraîne une demande d'hospitalisation involontaire ; la difficulté de répondre au critère de dangerosité ; l'anticipation par les policiers du refus du personnel de prendre en charge les personnes amenées4. 1. D. Béliveau et L. Briores, Rapport dune étude des problèmes psychiatriques au quartier général de la police et à la cour municipale de la ville de Montréal, Montréal, Directeur régional de la psychiatrie et de l'hygiène mentale, 1970. 2. M. Abramson, « The criminalization of mentally disordered behavior : Possible side effect of a new mental health law », Hospital and Community Psychiatry, vol. 23, n° 4, 1972, p. 101-105 ; M.A. Borzecki et J.S. Wormith, « The criminalization of psychiatrically ill people : A review with a Canadian perspective », The Psychiatric Journal of the University of Ottawa, vol. 10, n° 4, 1985, p. 241-247 ; D. Laberge et D. Morin, « The overuse of criminal justice dispositions. Failure of diversionary policies in the management of mental health disposition », International Journal of Law and Psychiatry, vol. 18, n° 4, 1995, p. 389-414 ; L.A. Teplin, « The criminalization of the mentally ill : Speculation in search of data », Psychological Bulletin, vol. 94, n° 1, 1983, p. 54-67. 3. D. Laberge et D. Morin, Les clientèles « psychiatrie-justice » : problèmes de prise en charge et d'intervention, Montréal, Les cahiers du GRAPPP, 1992, p. 8. 4. P. Finn, « Coordinating services for the mentally ill misdemeanor offender » , Social Service Review, vol. 63, n° 1, 1989, p. 127-141 ; T.M. Green, « Police as frontline mental health workers. The decision to arrest or refer to mental health agencies », International Journal of Law and Psychiatry, vol. 20, n° 4, 1997, p. 469-486 ; D. Laberge et Morin, 1995, op. cit. ; L.A. Teplin, « Criminalizing mental disorder : The comparative arrest rate of the mentally ill-, American Psychologist, vol. 39, n° 7, 1984a, p. 794-803 ; L.A. Teplin, « Managing disorder. Police handling of the mentally ill », dans L.A. Teplin (dir.), Mental Health and Criminal. Justice, Sage, Beverly Hills, 1984b, p. 157-175.
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Quelques études sur les renvois policiers aux hôpitaux démontrent, en effet, que les personnes amenées par la police sont sujettes à de nombreux refus de prise en charge. Ces refus s'expliquent en partie par les conditions générales d'accès aux services, mais également par la réticence des professionnels de la santé à traiter des personnes qui sont en contact avec la police et que l'on considère comme étant dangereuses, dérangeantes et non motivées à se faire soigner5. Par ailleurs, au milieu des années 1980, des intervenants des secteurs de la santé et de la justice ont commencé à reconnaître, de plus en plus, l'importance du nombre de personnes souffrant de troubles mentaux aux prises avec le système pénal. Vers la fin des années 1980, divers groupes de travail et tables de concertation se penchent sur ce problème. On constate alors les difficultés d'accès aux services de santé mentale et un manque de programmes de suivi et de soutien social pour ces personnes avant qu'elles entrent en contact avec le système pénal et pendant leur incarcération. Des divers travaux de réflexion des milieux de la justice, de la santé mentale, de la police et de la détention naissent, entre autres, des projets de diversion du système pénal. C'est ainsi que les policiers du centreville de Montréal et ceux de la ville de Québec peuvent recourir, depuis l'automne 1996, à l'Urgence psychosociale justice et à PECH, respectivement. Les policiers de la région de Sherbrooke peuvent, eux aussi, en cas d'infraction mineure, faire appel depuis juin 1998 à Urgence Détresse si la personne a besoin de services psychosociaux urgents et désire être aidée. Ces initiatives contribuent certainement à faciliter le travail de la police auprès de ces personnes tout en favorisant la non-judiciarisation de celles-ci. Mais les régions au Québec sont loin d'être toutes pourvues d'un tel système de collaboration entre le réseau de la santé mentale et les différents corps de police. LA QUESTION À L'ÉTUDE En l'absence de telles collaborations, la littérature, surtout en provenance des États-unis, fait état d'un seul modèle de renvoi, celui où la police amène ellemême, de son propre chef ou à la suite d'une ordonnance 5. Laberge et Morin, 1995, op. cit. ; Y. Lefebvre, 1987 « Chercher asile dans la communauté », Santé mentale au Québec, vol. 12, n° 1, p. 66-78 ; R J. Menzies, « Psychiatrists in blue : Police apprehension of mental disorder and dangerousness », Criminology, An Interdisciplinary journal, vol. 25, 1987, p. 429-453 ; Teplin, 1984a, op. cit. ; L.A. Teplin et N.S. Pruett, « Police as streetcorner psychiatrist : Managing the mentally ill » , International journal of Law and Psychiatry, vol. 15, n° 2, 1992, p. 139-156.
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d'un tribunal civil, la personne à une urgence d'un hôpital psychiatrique ou pourvu d'un département de psychiatrie. On peut toutefois soulever, étant donné la diversité des services de santé mentale au Québec autres que les urgences des hôpitaux, la possibilité que les pratiques de renvoi des policiers aux services de santé mentale rendent comptent de modèles qui soient plus diversifiés et que le processus de renvoi comporterait d'autres conditions, sans nécessairement les exclure, que celles dont il est généralement fait état. C'est dans cette perspective que l'étude de cas6 présentée dans ce chapitre fut entreprise. Elle vise à faire ressortir les modèles de renvoi de la police aux services de santé mentale dans la communauté de Verdun. C'est là une avenue non explorée, tout particulièrement au Québec. Les études, surtout américaines, ont décrit le modèle de renvoi aux urgences, sans pour autant s'attarder aux conditions d'acheminement vers ce service. Partant du point de vue que la police conduit directement les personnes à l'urgence, ces études se centrent davantage sur les déterminants de la réponse du personnel des hôpitaux à l'égard des personnes renvoyées par la police7. Par ailleurs, la littérature sur les interactions entre le système pénal et le système de santé mentale démontre que des transformations majeures dans un secteur affectent nécessairement les pratiques de l'autre secteur. Or, au moment de la formulation de ce projet d'étude, trois axes de transformations relevés dans l'un et l'autre secteur laissaient à penser que ces transformations pouvaient avoir eu ou pourraient avoir des incidences sur les pratiques de renvoi de la police aux services de santé mentale et sur la réception des cas par les services de santé, sans que l'on puisse cependant évaluer exactement qu'elles en étaient ou seraient les impacts. 6. Cette étude de cas s'inscrit dans le contexte d'une recherche plus large qui porte sur les rapports entre la police et les services de santé mentale dans le sud-ouest de Montréal. Elle est réalisée dans le cadre d'un programme de bourse postdoctorale (1998-2000) du Conseil québécois de la recherche sociale. 7. L.W. Reinish et J.R. Ciccone, « Involuntary hospitalization and police referrals to a psychiatric emergency department-, Bulletin of the American Academy of Psychiatry and the Law, vol. 23, n° 2, 1995, p. 289-298; E.P. Sheridan et L.A. Teplin 1981, « Police-referred psychiatric emergencies : Advantages of community treatment », Journal of Community Psychology, vol. 9, 140-147; H. Steadman, J.P. Morrisey, J. Braff et J. Monahan (1986). « Psychiatric evaluations of police referrals in a general hospital emergency room », International Journal of Law and Psychiatry, vol. 8, n° 1, 1986, p. 39-47; B.B. Way, M.E. Evan et S.M. Banks, -An analysis of police referrals of 10 psychiatric emergency rooms », Bulletin of the American Academy of Psychiatry and the Law, vol. 21, n° 4, 1993, p. 389-397.
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Premièrement, les orientations du ministère de la Santé et des Services sociaux pour l'action intersectorielle8 pouvaient avoir eu des retombées sur le plan local quant à l'établissement de nouvelles relations d'échange entre les organismes de chacun des secteurs dont l'action pouvait être dirigée vers la création ou l'amélioration de canaux d'échange pour les personnes entrant en contact avec la police. Deuxièmement, le SPCUM s'est orienté récemment vers un modèle de police communautaire, la police de quartier, qui repose notamment sur le principe d'un développement de partenariat avec les organismes de la communauté et les citoyens afin de favoriser la résolution de problèmes portés à l'attention de la police9. Ce nouveau modèle pourrait aussi participer, sur le plan local, à l'élaboration de nouvelles avenues de collaboration entre la police et les organismes de santé mentale. Enfin, le projet de loi 3910 (1996) annonçait des changements non négligeables du point de vue du rôle de la police auprès des personnes ayant des troubles mentaux. L'article 8 du projet de loi 39 autorise un agent de la paix à amener une personne contre son gré à un CLSC ou un hôpital s'il croit que « l'état mental de cette personne présente un danger imminent pour elle-même ou pour autrui ». L'adoption d'un tel article ne pouvait qu'affecter les pratiques de renvoi de la police et les relations d'échange de celle-ci avec le système de santé mentale. Le projet de loi 39 est devenu la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elle-même ou pour autrui11 qui est entrée en vigueur le ler juin 1998. Des modifications au libellé de l'article 8 furent toutefois apportées avant son adoption, à la suite des critiques et recommandations de divers groupes ayant participé aux débats de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi 39. 8. Ministère de la Santé et des Services sociaux (1992). La politique de la santé et du bienêtre, Québec ; Gouvernement du Québec (1991). Loi sur les services de santé et les services sociaux, Québec, Éditeur officiel du Québec ; Gouvernement du Québec (1989). Politique de santé mentale, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Québec, Les Publications du Québec. 9. J. Duchesneau, G. Cordeau et M. Chalom, « L'approche communautaire au Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (SPCUM) : vers la police de quartier » , dans Une police professionnelle de type communautaire, Tome 2, sous la direction de A. Normandeau, Montréal, Editions du Méridien, 1998, p. 77-102. 10. Gouvernement du Québec (1996). Projet de loi n° 39, Loi sur la protection des personnes atteintes de maladie mentale et modifiant diverses dispositions législatives, Québec, Editeur officiel du Québec. 11. Gouvernement du Québec (1997). Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, Québec, Éditeur officiel du Québec.
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C'est sur cette toile de fond de transformations politique, organisationnelle et législative qu'on a entrepris d'examiner vers quels points de services de santé les policiers de Verdun dirigeaient des personnes souffrant de problèmes de santé mentale et dans quelles conditions se déroulait cette circulation. Ce chapitre présente les caractéristiques de trois modèles de renvoi de la police déterminés à partir des points de services de santé où les policiers de Verdun dirigent des personnes ayant des problèmes de santé mentale. À travers l'illustration de ces modèles, il sera question des situations pour lesquelles les policiers dirigent des personnes vers les services de santé, des procédures d'acheminement des personnes, de même que de la réception des cas par les organismes de santé mentale. UN TERRAIN D'ÉTUDE DANS UN CONTEXTE LÉGISLATIF PARTICULIER La population de Verdun se compose d'un peu plus de 61 000 personnes. Deux postes de quartier du SPCUM desservent les citoyens de Verdun et chacun des postes a cinq équipes de patrouilleurs formées de six policiers. Pour documenter l'intervention des policiers auprès de personnes ayant des problèmes de santé mentale et leurs pratiques de renvoi, des entrevues semi-directives d'une durée moyenne d'une heure ont été menées, entre la mi-juillet et la fin d'octobre 1998, auprès de cinq policiers des deux postes de quartier et auprès de neuf intervenants de huit points de services de santé situés à Verdun. Ces points de services sont: le CLSC de Verdun ; l'équipe de secteur de Verdun-est et celle de Verdun-ouest ; trois organismes communautaires offrant des services exclusifs en santé mentale, l'urgence d'un hôpital général et l'urgence d'un hôpital psychiatrique. Des observations en patrouille avec des policiers de Verdun lors de deux quarts de travail de soir (de 16 heures à 24 heures) au mois de septembre 1998 ont également apporté des informations supplémentaires sur l'intervention des policiers auprès des personnes ayant des problèmes de santé mentale et sur leurs pratiques de renvoi. LE POUVOIR DE RENVOI DE LA POLICE Est-ce que les policiers ont le droit de diriger une personne vers un service de santé mentale ? La question de la légalité d'une telle intervention se pose en fait dans la mesure où les personnes s'opposent à l'idée d'être conduites à un service de santé.
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Jusqu'à l'entrée en vigueur, le ler juin 1998, de la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, aucune règle juridique n'autorisait explicitement les policiers, sauf dans le cas d'une ordonnance du tribunal, à amener contre leur gré des personnes à un hôpita112. Avant cette entrée en vigueur, le milieu de la santé mentale ne reconnaissait pas le droit aux policiers d'exercer une telle action13. Le SPCUM soutient par contre que les policiers pouvaient, avant l'entrée en vigueur de cette loi, amener une personne contre son gré à l'hôpital. Leur pouvoir d'intervention à cet égard se fonde sur la common law et sur leur devoir de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique ainsi que le stipulent la Loi de police et la Loi de la Communauté urbaine de Montréal de même que sur leur obligation, en tant que citoyens, de porter secours à tout être humain dont la vie est en péril, conformément à la Charte des droits et libertés de la personne14. Il va sans dire que la non-reconnaissance, par le milieu de la santé mentale, de la légalité des interventions de la police de diriger des personnes vers les services de santé mentale contre leur gré a marqué des relations d'échange plutôt conflictuelles entre la police et le milieu de la santé mentale et qu'elle a pu servir à ce dernier pour justifier le refus de prise en charge des personnes justement amenées malgré elles. Au moment où les entrevues ont débuté, la Loi venait à peine d'entrer en vigueur. L'article 8 n'était toutefois pas appliqué, parce qu'il sous-tend l'obligation, que l'on ne retrouvait pas dans le projet de loi 39, d'un arrimage entre les différents corps policiers du Québec et les organismes en santé afin que des intervenants désignés assistent les policiers dans leur intervention et évaluent le danger que représente la personne et la pertinence ou non de la diriger vers un établissement de santé. En
12. L'article 8 de cette loi énonce qu'un agent de la paix peut, sans l'autorisation du tribunal, amener contre son gré une personne auprès d'un CLSC ou d'un hôpital à la demande d'un intervenant d'un service d'aide en situation de crise ou à la demande d'une autorité parentale ou autres personnes visées par l'article 5 du Code civil du Québec si l'état mental de la personne présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui. 13. Entrevues avec des intervenants en santé mentale de Verdun, 1998; Débats de la Commission des affaires sociales, 20 février 1997. 14. Entrevues avec des policiers de Verdun, 1998; Débats de la Commission des affaires sociales, op. cit. ; J.-P. Ménard, 1998, « Les grands principes de la nouvelle Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui », dans Développements récents en droit de la santé mentale, Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Won Blais, p. 1-19.
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attendant que l'arrimage entre la police et le réseau en santé mentale se réalise, les policiers de Verdun, faisant partie du SPCUM, ont eu pour directive de ne pas appliquer l'article 8 et d'agir comme auparavant. Les pratiques de renvoi de la police de même que les trois modèles de renvoi identifiés dans cette étude de cas se rapportent donc davantage au contexte de ce qui avait cours avant l'entrée en vigueur de la Loi. LA GESTION DES INTERVENTIONS POLICIÈRES AUPRÈS DE PERSONNES AYANT DES PROBLÈMES DE SANTÉ MENTALE SUR LE TERRITOIRE DE VERDUN QUELQUES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES Lorsqu'une situation d'urgence ou de crise se présente ou lorsqu'un comportement bizarre ou perçu comme menaçant dérange autrui, la police, disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, est souvent l'une des premières agences de contrôle social dépêchées sur les lieux de l'événement. Confrontés à la situation, les policiers doivent alors utiliser leur propre jugement pour trouver une solution au problème porté à leur attention. Il n'existe en effet aucune règle de procédure particulière qui dicte aux policiers la façon dont ils doivent résoudre un problème, peu importe la présence ou non de problème de santé mentale. Cela est laissé à leur propre discrétion ; cependant, si une infraction grave est commise (meurtre, incendie, voie de fait grave, par exemple), les policiers porteront des accusations. LES AVENUES DE SOLUTION DE PROBLÈMES En l'absence d'infraction ou en présence d'infraction mineure, les policiers usent donc de leur pouvoir discrétionnaire pour résoudre le problème. En théorie, les policiers disposent de trois avenues pour résoudre un problème lorsqu'ils interviennent auprès de personnes ayant des problèmes de santé mentale. Ils peuvent régler un problème de façon informelle (conciliation entre les parties, accompagnement de la personne chez elle, demande adressée à la personne de ne plus répéter le comportement problème, ordre qui lui est donné de quitter les lieux). Ils peuvent aussi procéder à l'arrestation de la personne. Les policiers peuvent également accompagner la personne à un service de santé. « Nous autres, il faut trouver une voie. C'est l'accusation, c'est l'amener chez lui ou c'est l'amener à l'hôpital. » (Policier, entrevue 7)
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Le renvoi de personnes aux services de santé mentale peut représenter une mesure qui règle certains problèmes du service de police, mais ce renvoi peut aussi constituer une mesure de rechange à la criminalisation. Mais pour que le renvoi de la personne à un service de santé mentale se présente comme une avenue de solution, il faut d'abord que les policiers reconnaissent la présence d'un problème de santé mentale. Les policiers de Verdun n'ayant aucune formation pour définir une problématique psychiatrique, la reconnaissance de problèmes de santé mentale s'effectue de deux principales façons. Les policiers se basent sur ce qu'ils voient eux-mêmes du comportement de la personne et il est évident, comme l'ont souligné Laberge et Morin15, que « leurs critères de repérage des symptômes psychiatriques se fondent sur des notions de sens commun propres à nos représentations culturelles de la maladie mentale ». Les policiers peuvent aussi s'en remettre à l'avis d'une tierce personne (victime, témoin, famille, la personne en cause elle-même) ou de collègues de travail qui sont déjà intervenus auprès d'une même personne. La décision de recourir à un service de santé mentale plutôt qu'à une autre solution fait aussi intervenir des contingences qui ne sont pas directement liées à l'identité déviante attribuée à la personne. Ces contingences peuvent relever soit du secteur d'activité de la police soit du secteur d'activités du réseau de la santé mentale. Elles peuvent être d'ordre idéologique, politique, administratif, organisationnel ou professionnel16. La disponibilité (nombre, type, heures d'ouverture) et la proximité des ressources de santé et de services sociaux sur le territoire où exercent les policiers peuvent aussi intervenir quant aux mesures retenues. La méconnaissance des divers points de services peut également interférer dans ce choix. Même si un territoire restreint comme celui de Verdun dispose de plusieurs ressources en santé mentale et de services sociaux, les policiers en connaissent peu l'étendue. Ce qu'ils connaissent surtout comme points de services sociaux et de santé, ce sont un refuge situé à proximité de Verdun, le CLSC et les deux hôpitaux, l'un général et l'autre psychiatrique. Par ailleurs, les policiers, à l'usage et grâce aux informations qu'ils échangent entre eux, en viennent à connaître les critères d'exclusion des organismes offrant des services et ils procèdent, dans la résolution de problèmes, à une évaluation des probabilités d'acceptation des personnes en fonction des critères d'exclusion connus. Mais le choix n'est pas toujours simple lorsque les policiers perçoivent, en plus d'un problème de santé
15. Laberge et Morin, 1992, op. cit., p. 7. 16. C. Cardinal et D. Laberge, « Le système policier et les services de santé mentale », Santé mentale au Québec, 1999, vol. 24, n° 1, p. 49-70.
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mentale, la présence d'un autre problème comme la consommation d'alcool, de drogues ou le fait que la personne n'ait aucun endroit pour dormir. Lorsque les personnes ne sont pas trop désorganisées et qu'elles sont sans domicile, les policiers, en raison de la situation, les accompagnent à un refuge. En revanche, si elles sont trop perturbées ou en situation de crise, le refuge ne les accepte pas. En outre, si elles ont consommé de l'alcool, même en très petite quantité, l'urgence psychiatrique refuse de les prendre en charge. DES CONTACTS POUR DIVERSES SITUATIONS Les policiers de Verdun disent rencontrer régulièrement dans leur travail des personnes qui, à leur avis, présentent des problèmes de santé mentale. La majorité des contacts qu'ils ont avec ces citoyens suivent à un appel fait au 911 par des tiers, la famille, des organismes en santé mentale, ou encore par les personnes elles-mêmes. Chaque auto-patrouille intervient sur appel de deux à trois fois par semaine auprès de personnes ayant des problèmes de santé mentale. Les policiers ont mentionné six situations différentes pour lesquelles ils sont généralement appelés à agir. La plus courante concerne des tentatives de suicide ou l'idée de suicide. La seconde se rapporte à des situations de crise qui comporteraient souvent une forme de violence et que l'entourage serait dans l'incapacité de désamorcer. Les policiers de Verdun sont aussi appelés de temps en temps par la famille pour amener, à la suite d'une ordonnance du tribunal, une personne contre son gré à l'hôpital afin qu'elle y subisse un examen psychiatrique. Dans le cas d'une ordonnance du tribunal, le rôle des policiers consiste à s'assurer que la personne pour laquelle un tel mandat a été lancé est effectivement reconduite à l'urgence. De ce point de vue, leur rôle est plus de nature instrumentale que décisionnelle. On se sert de l'autorité qu'ils représentent et du pouvoir qu'ils ont d'utiliser la force si c'est nécessaire pour contraindre la personne à se soumettre à l'ordonnance. Les policiers entrent également en contact avec des personnes qui ont des problèmes de santé mentale, parce qu'elles sont victimes d'événements ou qu'elles se croient victimes. La victimisation non fondée, à cause de symptômes psychiatriques, est un aspect qui a très peu été considéré quant aux retombées qu'elle peut avoir sur le travail de la police notamment en raison de la complexité de certaines situations dans lesquelles les policiers se retrouvent.
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Comme l'expliquait une infirmière de l'urgence psychiatrique, il arrive qu'une personne en état de crise ait l'impression que les voisins veulent la tuer et qu'elle appelle la police. Lorsque les policiers arrivent sur les lieux, ils constatent que la situation ne requiert pas une investigation policière, mais plutôt une évaluation des besoins de la personne qui a fait appel à l'aide. Devant une telle situation, les policiers doivent décider s'ils laissent la personne à elle-même ou s'ils font intervenir un acteur susceptible de lui venir en aide. Dans le cadre de cette décision, les policiers doivent en effet évaluer si les explications qu'ils apporteront à la personne quant à l'impossibilité que de tels événements se produisent suffiront à la rassurer par rapport à une menace qui lui semble bien réelle. S'ils laissent la personne à elle-même, va-t-elle les rappeler parce qu'elle se sent toujours menacée ? Que va-t-elle faire si elle ne parvient pas à gérer sa peur ? Ce sont là des questions auxquelles les policiers doivent parfois répondre pour trouver des solutions aux problèmes qui leur ont été signalés. Les policiers ont également fait référence à deux autres types de situations qui entraînent des interventions policières auprès de personnes ayant des problèmes de santé mentale. Il peut s'agir de personnes qui, se trouvant dans un endroit public, troublent la paix ou encore de personnes qui ont des conflits avec leurs voisins et dans certains cas à de multiples reprises : Il y a des personnes que tous les policiers connaissent et avec lesquelles ils ont eu tous affaires. Il y a entre autres un gars qui reste en logement et dont les voisins sont ben écoeurés et ils ont raison. Il y a plein de choses que l'on a fait. [...] Les policiers, on ne sait plus quoi faire. (Policier, entrevue 7) Les policiers de Verdun interviennent donc régulièrement auprès de personnes présentant des problèmes de santé mentale, et cela, dans de multiples situations. Ils jouent un rôle d'intervenants de première ligne pour le réseau de la santé mentale, alors qu'ils possèdent peu ou pas de connaissances sur les maladies mentales et n'ont aucune formation pour intervenir auprès de personnes aux prises avec de tels problèmes. Les policiers jouent ce rôle en raison de certaines caractéristiques des situations rencontrées, mais aussi et surtout en raison de l'absence d'équipes mobiles en santé mentale pour intervenir dans les situations de crise et autres situations 17. Les policiers de Verdun ont donc pour tous les types de situations mentionné, hormis celles concernant des ordonnances du tribunal, des décisions à prendre. L'une d'elles peut consister à diriger la personne vers un service de santé mentale. 17. D'après des informateurs clés du CLSC Des Faubourgs rencontrés en octobre 1998, l'Urgence psychosociale justice projetait d'étendre son service à la région montréalaise, notamment dans le sud-ouest de Montréal où travaillent les policiers de Verdun. Mais au moment de l'enquête les policiers des deux postes de quartier de Verdun n'y avaient pas accès.
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LES MODÈLES DE RENVOI DE LA POLICE AUX SERVICES DE SANTÉ DE VERDUN Il existe trois points de services de santé à Verdun où les policiers envoient des personnes ayant des problèmes de santé mentale : au CLSC, à l'urgence de l'hôpital psychiatrique et à l'urgence de l'hôpital général. Il existe entre le CLSC et les policiers de Verdun deux types d'ententes, formel et informel, sur lesquels s'appuie la gestion des renvois de la police à ce service. Entre l'hôpital psychiatrique et le poste de quartier 16, un protocole d'entente établit les critères et procédures concernant les renvois de la police à l'urgence psychiatrique. Il n'existe aucune entente particulière entre l'hôpital général et la police de Verdun. LES RENVOIS À L'URGENCE DE L'HÔPITAL GÉNÉRAL Ce point de services reçoit de la police des personnes ayant des problèmes de santé mentale lorsqu'elles sont blessées physiquement ou parce que leur état, au moment de leur contact avec la police, les exclut de l'accès aux ressources de l'urgence psychiatrique. Être sous l'effet d'alcool, de drogues ou de médicaments est un motif d'inaccessibilité à l'urgence psychiatrique que tous les policiers de Verdun connaissent. Dans ces conditions, les personnes sont amenées par Urgences Santé vers l'urgence de l'hôpital général. Elles peuvent être transférées, une fois dégrisées et désintoxiquées, à l'urgence psychiatrique si le personnel médical juge qu'une évaluation s'avère nécessaire. LES RENVOIS AU CLSC Le renvoi de personnes présentant des problèmes de santé mentale au CLSC de Verdun constitue une relation d'échange avec les policiers qui s'est développée à partir de 1992. L'« approvisionnement » du CLSC par la police concerne deux situations types. Les personnes sont soit impliquées dans des situations de violence conjugale18 (victimes), et un bon nombre d'entre elles présentent selon le CLSC des problèmes de santé mentale, soit qu'elles sont impliquées dans des appels répétitifs à la police. 18. Les personnes victimes de violence conjugale envoyées au CLCS par la police le sont en vertu d'un protocole d'entente entre le SPCUM et les CLSC de la Communauté urbaine de Montréal. Ce protocole d'entente a d'abord été expérimenté dans le cadre de projets pilotes entre quelques postes de police et des CLSC dans les années 1992. A partir de 1995, il a été mis en application sur tout le territoire de la Communauté urbaine de Montréal. Le CLSC et les policiers de Verdun participent à ce programme depuis 1992.
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Les appels répétitifs à la police Ce n'est que depuis le printemps 1998 que les policiers de Verdun collaborent avec le CLSC pour qu'il intervienne auprès de personnes qui causent, par leurs appels répétés, un problème pour la police : Nous, notre problème, c'est que la personne crée sept, huit appels par semaine. C'est du temps de réponse à des appels pendant lequel on ne peut pas répondre aux appels urgents. Alors, si à l'analyse on voit que c'est un problème de santé mentale, on doit aller chercher tous les partenaires possibles afin que les appels cessent (Policier, entrevue 9) Ces appels répétitifs peuvent concerner le signalement de fausses situations-problèmes à la police par une même personne. Il peut aussi s'agir d'appels répétitifs parce qu'une personne se croit victime d'un événement, alors qu'aucun indice ne montre une telle possibilité. L'un des exemples types dont ont fait mention le CLSC et les policiers est celui d'une femme qui se plaignait que quelqu'un venait constamment sonner à sa porte la nuit. Des policiers ont surveillé son domicile et n'ont vu aucune personne y rôder. Menant plus avant leur enquête, les policiers ont alors constaté que la femme n'avait pas de sonnette, ce qui suscita un doute quant à l'état mental de la personne qui continuait, malgré les explications apportées par les policiers, à signaler le fait se croyant toujours harcelée. La fréquence des renvois de la police pour appels répétitifs serait sous toute réserve de quatre à cinq personnes par mois. Ces personnes sont, dans la majorité des cas, inconnues du CLSC et plusieurs n'auraient pas de suivi en psychiatrie, soit parce qu'elles ont mis fin à leur suivi, soit parce qu'elles n'ont jamais été signalées ou ressenti le besoin de consulter pour des problèmes de santé mentale. Les procédures de renvoi des personnes au CLSC pour appels répétitifs Cette circulation pour appels répétitifs de la police au CLSC de Verdun ne repose pas sur une entente formelle entre l'organisme et les postes de police. Une entente informelle s'est en effet instaurée entre des intervenants sur le terrain. C'est une professionnelle du CLSC responsable de l'application du protocole d'entente sur la violence conjugale qui a proposé aux policiers de l'appeler s'ils avaient des cas à résoudre et qui a mis au point avec eux des procédures qui permettent de tels échanges. Les policiers pour lui expliquer la du CLSC pourrait ont la responsabilité qu'elle entreprenne
téléphonent d'abord à cette agente d'interface situation. Ils évaluent alors ensemble si une intervention convenir. Si le renvoi est approprié, les policiers de proposer à la personne qui les contacte à répétition une demande de services au CLSC. Les policiers
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peuvent aussi tenter d'obtenir son consentement afin de transmettre des données nominatives la concernant pour que le CLSC la contacte ultérieurement. Pour inciter la personne à recourir au CLSC, les policiers lui proposent parfois de l'y conduire. L'agente d'interface a par ailleurs établi pour les policiers un système de liaison qui leur assure un suivi des dossiers des personnes qu'ils ont dirigées. Elle leur fait part par écrit, comme pour les victimes de violence conjugale, des orientations prises à l'égard des personnes. Les informations peuvent être de trois ordres : la personne a accepté d'être suivie par le CLSC, la personne a été dirigées vers un autre endroit, la personne a refusé l'aide du CLSC ou de tout autre organisme. Des retombées positives Bien que la circulation de personnes ayant des problèmes de santé mentale de la police vers le CLSC pour des appels répétitifs représente une portion minime des renvois que peuvent faire les policiers, l'ouverture du CLSC aux renvois de la police constitue une intervention plus appropriée aux besoins et problèmes de la personne, qui respecte davantage les droits de celle-ci, évite d'utiliser à mauvais escient l'urgence psychiatrique et allège le service de police. De plus, cette ouverture contribue certainement à éviter, dans certains cas, qu'une judiciarisation soit utilisée comme mesure pour résoudre, du moins temporairement, le problème de la mobilisation répétitive de la police. On pense notamment ici aux personnes qui font de faux signalements et qui pourraient être accusées de méfait ou encore d'entrave au travail d'un agent de la paix. Ce sont là des situations qui se sont déjà présentées dans les causes traitées par la cour municipale de Montréal19 et dont les policiers de Verdun ont aussi fait mention comme possibilité dans les cas récurrents et pour lesquels il n'y avait aucune avenue de solution disponible. LES RENVOIS À L'URGENCE PSYCHIATRIQUE L'urgence psychiatrique est le service de santé mentale vers lequel les policiers des deux postes de quartier de Verdun disent le plus souvent diriger des personnes. D'après l'estimation ponctuelle des policiers, les deux postes de quartier achemineraient selon les périodes de 40 à 50 personnes par mois et, pour certaines d'entre elles, cela se produisait à quelques reprises. 19. C. Cardinal. La construction des identités d'infracteur et de malade mental à travers le processus pénal, Thèse de doctorat, Montréal, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal, 1995.
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Par ailleurs, les infirmières à l'accueil de l'urgence affirment recevoir tous les jours des personnes envoyées par la police et amenées le plus souvent par Urgences Santé : « Ça des ambulances où les policiers sont intervenus avant, j'en ai à tous les jours. [...] Moi, j'en ai eu trois rien qu'aujourd'hui. » (Urgence psychiatrique, entrevue 6) Il faut prendre note que la perception des infirmières à l'accueil des renvois de la police et des rapports d'échange que le personnel a avec celle-ci ne concerne pas que les policiers de Verdun, puisque l'hôpital peut recevoir des personnes renvoyées par des policiers de diverses localités du Sud-Ouest. Mais, d'après les infirmières à l'accueil, les renvois de la police proviennent surtout des postes de quartier de Verdun et de celui de Pointe-Saint-Charles et Saint-Henri (poste de quartier 18). De l'avis des intervenants de l'urgence psychiatrique, les policiers leur renvoient surtout des personnes qui sont socialement isolées et économiquement défavorisées. Plusieurs ont des problèmes de toxicomanie et de consommation d'alcool. Ce sont des gens qui sont dans la majorité des cas suivis en psychiatrie ou qui devraient l'être mais qui ne seraient pas fidèles à leur traitement et qui arrêteraient de prendre leur médicament. « Des gens qui n'acceptent pas le traitement souvent » (Urgence psychiatrique, entrevue 6). Les procédures de transport des personnes à l'urgence psychiatrique À un moment donné, indique le personnel de l'hôpital psychiatrique, les policiers étaient « carrément retournés de l'urgence ». À l'été 1997, l'hôpital psychiatrique et le poste de quartier 16 s'entendent sur un protocole établissant certaines règles quant à l'acheminement des personnes à l'urgence psychiatrique. À l'automne 1998, l'hôpital a entrepris des démarches pour élargir ce protocole aux autres postes de quartier de la région du sud-ouest de Montréal. Bien que l'entente ne fût en vigueur qu'avec le poste 16 au moment de l'enquête menée à Verdun, les policiers du poste de quartier 17 connaissaient dans les grandes lignes son contenu. Le protocole d'entente énonce des critères à partir desquels les policiers peuvent ou ne peuvent pas faire de renvois à l'urgence. Il y a deux catégories de critères qui excluent la possibilité d'envoyer les personnes à l'urgence. Premièrement, si la personne est sous l'effet de l'alcool, de drogues ou de médicaments, elle doit être dirigée vers l'urgence de l'hôpital général et non vers l'urgence psychiatrique. Deuxièmement, « lorsque le policier fait face à une personne [...] qui commet ou a commis un acte criminel, le policier doit porter les accusations qui s'imposent et éviter de conduire l'individu à l'hôpital » (Protocole d'entente, 1997).
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Une seule catégorie de situations permet aux policiers d'envoyer la personne à l'urgence. Elle repose sur une double condition : la personne est en crise et elle peut comporter un danger pour elle-même ou pour autrui. En plus de ces critères d'accès à l'urgence psychiatrique, des mécanismes de liaison afin de soutenir les policiers dans leur prise de décision ont été mis en place par l'hôpital. Les policiers peuvent contacter les psychiatres traitants des personnes et leur demander un avis quant à la pertinence, sur description de la situation, de renvoyer la personne à l'urgence. Les policiers peuvent aussi, en l'absence du psychiatre ou parce que la personne n'est pas suivie par l'hôpital, prendre contact avec le personnel infirmier de l'urgence. Si les informations retransmises par téléphone ne s'avèrent pas suffisantes pour juger de l'à-propos d'un renvoi, les policiers se font suggérer d'appeler Urgences Santé pour que les ambulanciers évaluent la situation. Les policiers des deux postes de quartier ont fait mention de ces mécanismes de soutien, mais il semble qu'ils les utilisent très peu, faisant plutôt directement appel aux ambulanciers. Un agent de relais Le recours généralisé à Urgences Santé par les policiers de Verdun pour conduire les personnes à l'hôpital, comme le font en général les autres policiers du SPCUM, tient en partie aux pressions exercées par le personnel de l'urgence qui ne reconnaissait pas le droit aux policiers, avant l'entrée en vigueur de la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour ellesmêmes ou pour autrui, d'amener des gens contre leur gré à l'hôpital. Mais ce recours tient aussi en partie des expériences mêmes des policiers quant au refus de leur renvoi et des avantages qu'ils en tirent. Les policiers obtiennent des ambulanciers un avis sur l'état de la personne et sur la pertinence de l'amener à l'urgence psychiatrique, ce qui leur évite d'emmener des cas qui ne seraient pas jugés pertinents par le personnel de l'urgence. En ne se rendant pas sur les lieux, les policiers économisent du temps pendant lequel ils seraient mobilisés et s'évitent aussi de documenter les situations et les raisons du renvoi. D'après le personnel de l'urgence, les explications apportées par les policiers s'avèrent dans bien des cas très limitées et insuffisantes pour aider le personnel à orienter son intervention, de même qu'inappropriées du point de vue de la justification du renvoi : « Souvent Urgences Santé, c'est plus étoffé au niveau de la réflexion en ce qui concerne la raison pour laquelle elle avait besoin de soins d'urgence psychiatrique qu'au niveau des policiers » (Urgence psychiatrique, entrevue 14). Urgences Santé joue donc à Verdun un rôle important dans la gestion des renvois de la police à l'urgence de l'hôpital psychiatrique. Il fait fonction d'agent de relais
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entre les deux secteurs et temporise des relations d'échanges qui semblent quelque peu difficiles entre les intervenants de la santé mentale et ceux de la police. Les conditions d'acheminement des personnes à l'urgence psychiatrique Les personnes envoyées à l'urgence par la police sont toujours directement amenées sur les lieux et, la plupart du temps, c'est Urgences Santé qui les transporte. Les personnes amenées à l'urgence peuvent se trouver dans quatre conditions différentes qui recoupent un continuum qui va d'un refus systématique à l'acceptation. L'une des conditions se caractérise par le fait que la personne est amenée contre son gré à l'hôpital et qu'elle s'y oppose totalement. Cette opposition amène les policiers à user de la force pour contraindre la personne à monter dans l'ambulance, à l'attacher sur la civière et à accompagner les ambulanciers jusqu'à l'intérieur de l'urgence. Il peut s'agir de cas où il y a eu une ordonnance de cour ou encore de cas où la personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui et refuse d'aller à l'hôpital. Une deuxième condition concerne aussi des cas où les personnes sont amenées contre leur gré à l'hôpital mais se plient malgré tout à la décision prise par un tribunal ou par des policiers en raison de la présence d'un danger pour la personne ou pour autrui. D'après les policiers de Verdun, la majorité des personnes visées par des ordonnances du tribunal ou par d'autres situations analogues monteraient dans l'ambulance sans qu'il soit nécessaire de les contraindre physiquement et sans qu'il soit nécessaire d'accompagner les ambulanciers jusqu'à l'établissement : Je peux vous dire que, dans les cinq dernières années, le nombre de fois où un policier a eu à embarquer dans le même véhicule qu'Urgences Santé, c'est arrivé très rarement. Règle générale, les personnes coopèrent bien (Policier, entrevue 10). Les policiers réussiraient la plupart du temps à convaincre les personnes lorsqu'elles sont réticentes. En fait, la symbolique reliée au rôle et à l'autorité de la police peut suffire à convaincre la personne de se plier à cette décision. De plus, les policiers peuvent aussi contraindre les gens à coopérer en leur indiquant qu'ils n'ont pas le choix et que, si c'est nécessaire, ils les amèneront de force, disposant des ressources et du pouvoir pour le faire. Une troisième condition est liée au fait que les personnes sont amenées à l'urgence au moyen de la ruse. La ruse des policiers consiste à leur dire qu'ils vont les raccompagner chez elles ou chez leur famille, alors qu'ils les amènent directement à l'urgence. C'est une situation qui, de
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l'avis du personnel de l'urgence et celui des policiers, se présenterait rarement, mais lorsque cela arrive les personnes sont très « fâchées et cela nuit à la relation thérapeutique » (Urgence psychiatrique, entrevue 14). Bien que cette pratique d'user de la ruse soit peu fréquente, la décision de transporter des personnes à l'urgence équivaut à une détention20. En utilisant la ruse, les policiers dérogent aux obligations qu'ils ont d'informer la personne des motifs de sa détention conformément à l'article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés et à l'article 29 de la Charte des droits et libertés de la personne. Une dernière condition se caractérise par le fait que la personne accepte volontairement d'être amenée à l'urgence. Parfois, ce sont les personnes ellesmêmes qui le demandent. Parfois, ce sont les policiers qui le proposent. Les personnes qui acceptent de leur plein gré d'aller à l'urgence peuvent se trouver dans une situation qui comporte un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, mais pas nécessairement. Lorsque le danger n'entre pas dans la justification du renvoi, les policiers font généralement valoir trois arguments au personnel de l'urgence : la personne est bizarre ou incohérente, elle est une patiente de Douglas et elle voulait venir à l'hôpital. La réception des cas Bien que les policiers aient dû, par le passé, essuyer dès l'étape de l'accueil des refus de prise en charge des personnes dirigées par le personnel de l'urgence, il semble que ce problème d'accès à l'étape du tri se soit amenuisé. L'intervention des ambulanciers dans ce processus en constitue un des facteurs explicatifs. De plus, d'après les policiers, le recours à Urgences Santé bonifierait le temps d'intervention du personnel hospitalier auprès des personnes renvoyées : « Quand elles sont amenées par Urgences Santé, on ne les revoit pas cinq minutes après » (Policier, entrevue 9). Malgré tout, les policiers croient que plusieurs personnes envoyées par la police à l'urgence psychiatrique sont retournées trop rapidement dans la communauté, généralement le lendemain de leur admission, étant donné les conditions dans lesquelles elles y ont été amenées. Ils ont aussi l'impression que les personnes ne ressortent qu'avec une médication, qu'elles sont laissées à elles-mêmes, sans suivi et sans soutien et que, dans ces conditions, une nouvelle intervention de la police est inévitable. Or, une mobilisation répétitive de la police auprès d'une même personne peut
20. M.-M. Daigneault, (1998). « Le projet de loi 39 : trop ou pas assez ? L'intervention policière auprès de personnes présentant un danger pour elles-mêmes ou pour autrui », dans Développements récents en droit de la santé mentale, Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 43-76.
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être une incitation pour les policiers à envisager parfois, lors d'une nouvelle intervention, des poursuites judiciaires21. Cela pourrait d'autant plus survenir que, dans le cadre du partenariat qui s'est développé entre l'hôpital psychiatrique et le poste de quartier 16, il y a une tendance qui s'exprime par la criminalisation des cas cycliques. Les cas cycliques, ce sont des personnes qui sont amenées par les policiers à l'urgence, qui ressortent peu de temps après et qui sont retournées par les policiers, car ils interviennent à nouveau auprès d'elles parce qu'elles dérangent encore les voisins. Un cas cyclique est désigné par le personnel comme étant récalcitrant, ne collaborant pas au traitement et affichant des troubles de comportement plutôt que des troubles psychiatriques. Par ailleurs, les policiers et le personnel de l'urgence psychiatrique n'ont pas la même conception de ce qu'est une situation de crise pouvant comporter un danger. D'ailleurs, le protocole d'entente ne définit pas ce qu'est une situation de crise ni le danger que peut représenter une personne pour elle-même ou pour autrui. Ces conceptions divergentes à propos de la violence et de son rapport à l'état mental de la personne sont l'un des points de conflit les plus importants dans le cadre de la prise en charge des personnes par l'urgence psychiatrique et constituent aussi un critère d'exclusion des autres ressources en santé mentale établies à Verdun. Selon les policiers, les situations de crise comporteraient souvent une forme de violence susceptible de se manifester contre autrui ou contre l'environnement matériel. Pour les policiers, la manifestation de violence est un indice que la personne est en crise, ce qui n'est pas le point vue du personnel de l'urgence, comme l'explique un policier : Quand le policier intervient et que la personne est en train de tout casser dans la maison, lui il dit let's go, j'ai pas de temps à perdre, il faut l'amener à l'urgence. Là le médecin va dire au policier, cette personne-là est pas en crise, pourquoi vous me l'avez amené ? Le policier dit oui il est en crise y était en train de tout casser dans la maison. Non, dit le médecin, y a juste un comportement violent, y est pas en crise mentale. Si c'est pas à l'urgence qu'il faut les amener, il faut les amener où alors ? (Policier, entrevue 8) De l'avis du personnel de l'urgence, lorsque les personnes passent à l'acte, c'est-à-dire agressent ou menacent quelqu'un ou causent des bris matériels, les policiers devraient les diriger vers le système pénal et non les reconduire à l'hôpital. 21. Cardinal, 1995, op. cit.
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CONCLUSION
Malgré le recours à Urgences Santé et les diverses modalités d'entente entre la police et le milieu de la santé et des services sociaux, il reste quelques zones grises par rapport à l'intervention des différents secteurs en cause auprès de personnes présentant des problèmes de santé mentale. Ces zones grises soulèvent des interrogations et sont matière à réflexion relativement à ce qui se produire dans le cadre des mesures mises en place en vertu de l'article 8 de la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Trois points seront relevés. Premièrement, cet article 8 prévoit que des intervenants en situation de crise assistent les policiers dans leur intervention auprès des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Cette assistance pourrait se faire soit par communication téléphonique, soit par déplacement d'intervenants sur les lieux. Il reste que, dans un cas (les policiers seront les seuls acteurs sur les lieux) comme dans l'autre forme de collaboration (les policiers devront attendre l'arrivée des intervenants), les policiers auront inévitablement à interagir auprès des personnes. A cet égard, il conviendrait alors que les policiers soient mieux formés qu'ils ne le sont présentement quant aux maladies mentales et aux différentes techniques d'intervention en situation de crise. Deuxièmement, on a vu qu'il existe des conceptions différentes du danger que peut représenter une personne pour elle-même ou pour autrui selon le milieu d'intervention des acteurs. Corps policiers et milieu de santé interprètent différemment la dangerosité des cas de violence dirigée contre des personnes ou des biens. Or, la décision d'amener une personne contre son gré à l'hôpital repose justement sur cette notion de danger. Comment cette notion sera-t-elle interprétée par les intervenants appelés à collaborer avec les policiers dans le cadre de l'article 8 ? L'interprétation se limitera-t-elle au danger que représente la personne pour elle-même (tentative de suicide, idée de suicide, automutilation) et exclura-t-elle toute manifestation de violence dirigée vers autrui ou vers les biens ? Cela risque d'occasionner certains conflits dans l'action entre les policiers et les intervenants et de déboucher sur des luttes de pouvoir quant au choix de la réponse considérée comme étant la plus appropriée. Mais, en supposant que les intervenants désignés et les différents corps policiers s'entendent sur une définition commune qui engloberait ces situations de violence contre autrui ou les biens, les renvois pourraient alors buter contre les services chargés de recevoir ces cas, en raison de la réticence du milieu de la santé à s'occuper de ces comportements violents que l'on considère comme relevant de la responsabilité du système pénal plutôt que du système psychiatrique.
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Enfin, dans le cadre de l'application de l'article 8, qui aura le dernier mot en cas de désaccord sur le renvoi de la personne à l'hôpital ? Est-ce que ce sont les policiers ou les intervenants ? Le libellé de l'article 8 ne répond pas clairement à cette question et suscite des interprétations divergentes selon que l'on est de la police ou du réseau de la santé mentale. Me Daigneault22, de la Division des affaires juridiques du SPCUM, mentionne à ce propos que « si l'intention du législateur était de subordonner l'action policière à la demande d'un intervenant, il s'agit là d'une exigence qui ne tient pas du tout compte de la réalité et qui sera, en quelque sorte, inapplicable. Ainsi, de quelle autorité un intervenant pourra-t-il donner des ordres au personnel policier ? » Le ministère de la Santé et des Services sociaux a un autre point vue à ce sujet : « Le policier n'a le pouvoir d'amener l'individu que si l'intervenant est d'avis que la personne présente un danger grave et immédiat. Autrement, le policier n'a aucun pouvoir d'intervention. [...] Si le policier refuse, malgré la recommandation de l'intervenant, d'amener la personne, il serait bon de faire signer par le policier une simple note à l'effet qu'il ne veut accéder à cette demande23. » BIBLIOGRAPHIE ABRAMSON, M. (1972). « The criminalization of mentally disordered behavior : Possible side effect of a new mental health law », Hospital and Community Psychiatry, vol. 23, n° 4, p. 101-105. BORZECKI, M.A. et J. S. WORMITH (1985). « The criminalization of psychiatrically ill people : A review with a Canadian perspective », The Psychiatric Journal of the University of Ottawa, vol. 10, n° 4, p. 241-247. CARDINAL, C. et D. LABERGE (1999). « Le système policier et les services de santé mentale », Santé mentale au Québec, vol. 24, n° 1, p. 49-70. DAIGNEAULT, M.-M. (1998). « Le projet de loi 39: trop ou pas assez ? L'intervention policière auprès de personnes présentant un danger pour elles-mêmes ou pour autrui », dans Barreau du Québec (dir.), Développements récents en droit de la santé mentale, Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., p. 43-76. FINN, P. (1989). « Coordinating services for the mentally ill misdemeanor offender », Social Service Review, vol. 63, n° 1, p. 127-141. 22. M.M. Daigneault, 1998, op. cit., p. 61. 23. J. Auger, « Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui », lettre de correspondance avec la Régie régionale de MontréalCentre, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Direction générale de la planification et de l'évaluation, 4 mars, 1999.
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LES DÉSASTRES Source de problèmes pour les individus, les intervenants et les communautés
DANIELLE MALTAIS, Ph. D. Département des sciences humaines, Université du Québec à Chicoutimi SUZIE ROBICHAUD, Ph. D. Département des sciences humaines, Université du Québec à Chicoutimi ANNE SIMARD, M. SC. CLSC du Centre de santé des Nord-Côtiers
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
RÉSUMÉ Ce texte présente les résultats d'une recension exhaustive des écrits scientifiques sur les conséquences des catastrophes naturelles, technologiques ou causées par le désespoir humain sur la santé biopsychosociale des individus, des intervenants et des communautés. Les informations fournies permettent de constater que les conséquences des catastrophes peuvent être tragiques et s'étendre sur de nombreuses années, perturbant ainsi le fonctionnement social des victimes et des membres de leur famille immédiate. Si certains individus sinistrés et les intervenants peuvent voir leur santé biopsychosociale et leurs habitudes de vie bouleversées, les communautés, pour leur part, peuvent être aux prises avec des problèmes sociaux qui risquent de compromettre leur développement.
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LES DÉSASTRES
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Ayons devant les yeux la condition humaine sous toutes ses facettes et n'imaginons pas les accidents en fonction de leur fréquence avérée, mais de leur intensité possible. [...] Il faut envisager la Fortune sous tous ses aspects. (SÉNÈQUE) Au cours des dix dernières années, plusieurs régions du Québec ont été marquées par des catastrophes naturelles ou technologiques qui ont causé de graves dégâts aux biens matériels des personnes et aux infrastructures locales. Soulignons, notamment, les inondations du Saguenay dont les eaux et la boue ont balayé des quartiers entiers et ont détruit ou lourdement endommagé des milliers de maisons. Pensons également à la tempête de verglas qui, en janvier 1998, a paralysé pendant plusieurs semaines la moitié de la population du Québec, mettant en alerte des centaines d'intervenants rémunérés et bénévoles. À l'été de 1999, des vents violents et des tornades ont également fait des ravages dans plusieurs municipalités du Québec, troublant à tout jamais le sentiment de sécurité de plusieurs familles. Tous ces événements, par leur caractère inhabituel et dévastateur, ont surpris les individus, les intervenants et les experts. Comme le souligne Dufour (1998), le réchauffement global de la planète peut être à l'origine des plus récents désastres « soit directement, par le biais des processus météorologiques associés au changement climatique, soit indirectement, par suite du relèvement du niveau moyen des mers » (Dufour, 1998, p. 201). McKay et Hengevelt (1990) soulignent, pour leur part, que l'urbanisation de plus en plus étendue des grandes villes est un autre facteur expliquant la multiplication des désastres et des tempêtes (Dufour, 1998, p. 201). D'ailleurs, à ce sujet, John Mulvihill, directeur national des services aux sinistrés de la Société canadienne de la Croix-Rouge, déclarait dans un article récent paru dans la presse nationale : L'on prévoit que la combinaison de problèmes écologiques, tels le réchauffement planétaire et le déboisement, ainsi que les problèmes sociaux causés par l'aggravation de la pauvreté et la prolifération des bidonvilles déclenchera des réactions en chaîne dévastatrices qui aboutiront à des catastrophes d'une dimension nouvelle (Noël, 1999). Plusieurs traumatismes collectifs sont malheureusement dus à la négligence humaine, à des manquements technologiques et au désarroi d'une ou de plusieurs personnes. L'incendie des barils de BPC de Saint-Basile-le-Grand, l'écrasement d'un avion à Peggy's Cove, les tueries à l'École polytechnique et dans les écoles primaires et secondaires sont également des événements traumatisants qui ont causé de nombreuses pertes de vie ou des blessures physiques ou psychologiques graves aux survivants, tout en perturbant les communautés locales pour des périodes plus ou
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moins longues. Soulignons également que les médias écrits et visuels diffusent régulièrement des images de massacres ou d'exodes involontaires de minorités ethniques qui agitent même les coeurs les plus endurcis. Quoi qu'il en soit, tous les chercheurs s'entendent pour dire que les sinistres, les catastrophes naturelles ou technologiques et les traumatismes collectifs' causent des problèmes individuels, collectifs ou sociaux. L'état de santé biopsychosociale des individus ainsi que leur vie familiale, sociale ou récréative sont fortement perturbés, ce qui n'est pas sans conséquences sur les interactions communautaires. Les réactions associées à ces événements s'installent, et ce, pour des périodes pouvant varier de quelques semaines à plusieurs années. Les individus et les collectivités touchés par un sinistre sont donc fragilisés par un ensemble de circonstances stressantes qui exigent de leur part de nombreux efforts d'adaptation. Pour mieux saisir l'ampleur des conséquences des désastres sur la population touchée, il y a lieu, dans un premier temps, d'apporter des précisions sur les différents concepts utilisés. Par la suite, des informations sur les conséquences que ces catastrophes entraînent sur la santé biopsychosociale des individus, des intervenants et des communautés seront amenées. PRÉCISONS LES CONCEPTS Au cours des vingt-cinq dernières années, plusieurs chercheurs se sont intéressés aux conséquences des sinistres sur la santé des individus et sur l'organisation de leur communauté. Les événements qui ont le plus attiré l'attention sont les inondations, les tremblements de terre, les tornades, les écrasements d'avion, les feux de forêt et les crimes de guerre. Chacun de ces événements provoque des réactions de stress, de la détresse psychologique et des problèmes de santé physique qui varient tant par leur intensité que par leur durée. Les auteurs abordent ces faits selon différentes perspectives : physiques, psychologiques ou sociologiques. C'est ainsi que, pour Belter et Shannon (1993), un désastre naturel, technologique ou causé par la négligence humaine est un événement exceptionnel qui affecte un grand nombre de personnes et qui cause des dommages assez sérieux, forçant les individus à utiliser des ressources et des habiletés inhabituelles. Pour sa part, Bolin
1. Aux fins de cet article, les mots sinistre, catastrophe ou traumatisme collectif sont compris comme synonymes de désastre.
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(1989) souligne que les désastres constituent des événements environnementaux qui, périodiquement et avec des degrés d'intensité variables, exposent les humains et leurs systèmes à une variété de stress et de ruptures. Au Québec, la Loi sur la protection des personnes et des biens en cas de sinistre (chapitre P 38.1) définit un sinistre comme suit : Un événement grave, réel ou attendu prochainement, causé par un incendie, un accident, une explosion, un phénomène naturel ou une défaillance technique, découlant d'une intervention humaine ou non, qui, par son ampleur, cause oau est susceptible de causer la mort de personnes, une atteinte à leur sécurité ou à leur intégrité physique ou des dommages étendus aux biens (Gouvernement du Québec, 1993). En se référant à la sociologie, Sjoberg (1962), Barton (1969) et Kinston et Rosser (1974) définissent un désastre comme une sévère perturbation relativement soudaine et inattendue des structures du système social. Les catastrophes, en tant que stress collectif, provoquent des conditions de vie difficiles, des perturbations et des menaces pour la société ou pour une sous-division autosuffisante de celle-ci. Lechat (1979) a, pour sa part, associé les désastres à des perturbations qui excèdent la capacité d'ajustement ou d'adaptation des communautés affectées par de telles situations. Certains auteurs comme Norris (1990) et Murphy (1986) utilisent davantage l'expression « événement traumatisant » lorsqu'ils parlent des catastrophes. Murphy (1986) soutient d'ailleurs que les désastres doivent être considérés non pas comme des épisodes uniques, mais comme une série d'événements catastrophiques dont l'aspect cumulatif est producteur de stress. Cela étant dit, il s'agit à présent d'examiner les principaux effets que produisent ces sinistres sur différentes catégories d'acteurs sociaux concernés. CONSÉQUENCES SUR LA SANTÉ DES INDIVIDUS Les conséquences des désastres sur la santé des individus sont nombreuses et diversifiées. Elles varient selon l'ampleur et la durée des événements traumatisants, puis selon l'état de santé avant et après le désastre des individus affectés par le sinistre. Sur le plan de la santé psychologique, le problème le plus couramment étudié est l'état de stress post-traumatique (Côté, 1996). Cet état est caractérisé par un ensemble de symptômes spécifiques, dont la présence de souvenirs et rêves répétitifs de l'événement, d'un sentiment de détresse psychique, d'hypervigilance, de réactions de sursauts exagérées, de difficulté à dormir, de perte d'intérêt pour les activités jugées jusqu'alors
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importantes (American Psychiatric Association, 1996). Les symptômes de l'état de stress post-traumatique débutent généralement dans les trois premiers mois qui suivent le sinistre. Les spécialistes parlent d'un état de stress post-traumatique aigu si la durée des symptômes est de trois mois ou moins et d'un état chronique si les comportements et sentiments perturbateurs persistent plus longtemps. McFerlane (1989) soutient que ce problème de santé psychologique est fréquemment mal diagnostiqué parce que les intervenants éprouvent des difficultés à reconnaître ou à envisager la présence de ce syndrome. Les effets des désastres sur la santé psychologique se manifestent également sous d'autres formes de pathologies ou de problèmes psychologiques. À ce sujet, plusieurs écrits scientifiques rapportent qu'après une catastrophe l'incidence des maladies dépressives et névrotiques augmente, tandis que la détresse émotionnelle des sinistrés est plus marquée (Ollendick et Hoffman, 1982 ; Lima et al., 1989 ; Baum et al., 1992). La présence de pensées dérangeantes, les troubles de mémoire, les signes d'anxiété et de dépression sont aussi des problèmes de santé mentale fréquemment diagnostiqués chez les victimes de désastres (Green et al., 1992). L'apparition de phobies, le sentiment de mort imminente, la peur de s'endormir, la présence de cauchemars répétitifs sont aussi des exemples de séquelles psychologiques dont peuvent être affectés les sinistrés (Lifton et Alson, 1976). Green et al. (1994) mentionnent également que les victimes de catastrophes peuvent connaître des troubles de panique tout comme des changements importants de leur caractère. L'abus de médicaments et de substances alcoolisées et illégales a également été rapporté par plusieurs auteurs (Côté, 1996 ; Green et al., 1994 ; Titchener et Kapp, 1976). En ce qui concerne la santé physique, plusieurs chercheurs ont noté que les sinistrés ont tendance à souffrir de problèmes d'hypertension et d'ulcères duodénaux ainsi que d'arthrite, de bronchites, de migraines et de problèmes d'ordre gynécologique (Titchener et Kapp, 1976 ; Bennet, 1970 ; Raphael, 1986 ; Hovanitz, 1993 ; Hall et Landreth, 1975). Les blessures aux muscles et aux os, les nausées et les douleurs à la poitrine sont également des problèmes de santé physique couramment rencontrés chez les sinistrés (Thomas, 1993). D'ailleurs, plusieurs recherches menées auprès de ceux-ci ont démontré qu'à la suite d'une catastrophe l'utilisation des services de santé ambulatoires et médicaux augmente, tout comme la morbidité hospitalière (North et al., 1989 ; Friedman et Schnurr, 1995). Soulignons aussi que les victimes de catastrophes se déclarent généralement en moins bonne santé que la population en général (Melick, 1985).
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Les témoignages suivants, recueillis 18 mois après les inondations de juillet 1996 auprès de 69 sinistrés ayant perdu leur maison et tous leurs biens au Saguenay-Lac-Saint-jean, illustrent les propos des chercheurs : - Mon mari est suivi en psychothérapie [...] pour des idées suicidaires [...], moi en psychiatrie [...] . - Mon conjoint a développé une phobie [...] il se lève la nuit et regarde s'il y a de l'eau. -Je faisais des scènes de colère devant tout le monde [...] . - Mon mari est devenu plus agressif et amer [...] . - On a eu des problèmes de santé, du stress, de l'hypertension, de l'angoisse [...]. -J'ai maigri de trente livres. - Je suis devenue très fatiguée, complètement épuisée et j'ai dû être hospitalisée. Les répercussions des catastrophes sont aussi visibles dans la vie familiale et sociale des individus. Alors que certains chercheurs comme Ollendick et Hoffman (1982) et Robins et al. (1986) énoncent que les sinistres contribuent au renforcement des liens familiaux et à l'émergence de solidarités, la plupart des chercheurs ont aussi noté que les traumatismes collectifs sont associés à une détérioration des relations conjugales et familiales (Erickson et al., 1976 ; Powell et Penik, 1983). L'accroissement des tensions entre les adultes, puis entre les parents et les enfants ainsi que l'augmentation du nombre des ruptures et des divorces sont les problèmes les plus couramment rencontrés. Certains sinistrés ont également déclaré éprouver des problèmes de vitalité (Lifton et Olson, 1976), tandis que d'autres soulignent que le plaisir de vivre n'est plus au rendez-vous (Raphael, 1986 ; Maltais et al., 1999). L'irritabilité et les sautes d'humeur sont aussi présentes chez les victimes de désastres, tout comme la difficulté de profiter des temps libres (Green et al., 1990). La poursuite des rôles sociaux et la réalisation des activités de la vie quotidienne peuvent également devenir des obstacles majeurs pour les victimes. Le travail, les loisirs, les activités de socialisation perdent alors de leur importance et deviennent des sources de stress supplémentaires (Yates, 1992 ; Canino et al., 1990). Les pertes d'emploi, les congés de maladie, la diminution du rendement scolaire ou professionnel et la diminution du temps consacré aux loisirs sont aussi largement documentés dans les recherches sur les conséquences des catastrophes (Baum et al., 1992 ; Crabbs et Black, 1984). Dans une recherche récente, Maltais, Robichaud et Simard (1999) ont démontré que les nombreux déplacements au moment de l'évacuation des victimes, ainsi que les changements subséquents et temporaires représentent également des contraintes au bien-être des victimes de désastres. La perte ou l'altération majeure du domicile et de son environnement
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non seulement provoque un état de désorganisation et de désorientation chez les sinistrés, mais correspond aussi à l'anéantissement d'un projet de vie, à une façon de vivre et à la construction d'un univers social. Changer involontairement de domicile et de quartier, c'est aussi entrer dans un processus d'adaptation difficile et douloureux qui modifie à tout jamais la conception que l'on a de son chez-soi. Les sentiments d'étrangeté, la lourdeur du recommencement, la nostalgie et le regret de l'autre demeure ainsi que l'endettement sont des facteurs qui expliquent l'existence de sentiments douloureux que les sinistrés éprouvent à l'égard de leur nouveau domicile. L'intégration à un nouveau quartier et à un nouvel environnement physique, social et spatial constitue donc un déracinement, voire un choc, qui exige des changements dans son organisation personnelle et sociale. Plusieurs variables interviennent dans le degré de détérioration physique, psychologique ou sociale des individus. Qui plus est, certaines caractéristiques sociodémographiques comme le sexe, l'âge, le statut matrimonial et le revenu sont des facteurs de risque importants dans le recouvrement ou non de la santé. Côté (1996) mentionne également que le risque que les personnes connaissent ou non des problèmes de santé biopsychosociaux varie en fonction de l'état de santé, des habitudes de vie, des antécédents psychiatriques et des traits de la personnalité des sinistrés avant leur exposition aux événements traumatisants. Des éléments contextuels comme la gravité des dommages enregistrés au domicile (Pickens et al., 1995), la perte de ressources et de biens matériels, financiers ou personnels (Freedy et al., 1994), l'insatisfaction face à l'aide financière reçue (Abrahams et al., 1976) ainsi que les dommages subis à la communauté sont également des éléments importants à considérer lorsque l'on étudie la détresse des victimes. Le fait de perdre sa maison et d'être déplacé dans plusieurs autres endroits constitue également un événement traumatisant qui force les sinistrés à faire des efforts supplémentaires d'adaptation (Maltais et al., 1999 ; Fried, 1963). La nature du désastre (ampleur, intensité, durée, nombre de pertes de vie, importance des blessures, etc.) ainsi que des facteurs personnels et sociaux après désastres comme le soutien social reçu, les processus d'adaptation utilisés de même que la perception que l'on a des événements traumatisants, jouent également un rôle important dans le maintien ou la détérioration de l'état de santé post-désastre chez les enfants, les adultes et les personnes âgées (Kaniasty et Norris, 1993 ; Krause, 1987 ; Wood et al., 1992).
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CONSÉQUENCES SUR LA SANTÉ DES INTERVENANTS Lorsqu'on tente d'aborder les conséquences des sinistres sur la santé des intervenants ou des aidants rémunérés ou bénévoles, il faut avant tout préciser que les recherches dans ce domaine sont relativement récentes. Les stéréotypes relatifs aux intervenants ont grandement contribué à l'occultation des conséquences des sinistrés sur ces derniers (Alexander, 1990 ; Gibbs, Drummond et Lachenmeyer, 1993). La dévastation des communautés, le découragement des victimes relèguent également à l'arrière-plan le stress et le désarroi que peuvent vivre les intervenants qui procurent du soutien moral et physique aux victimes (Casseta, 1994). Soulignons aussi que la présence d'échantillons non homogènes d'intervenants dans les recherches et le faible recours à des échelles communes rendent difficiles les comparaisons entre les études réalisées (Fullerton et al., 1992 ; Gibbs et al., 1993). La rareté d'études empiriques, l'absence de groupes témoins et l'utilisation fréquente de rapports anecdotiques minimisent également la rigueur des données recueillies et la richesse de l'information dans ce domaine de recherche. De plus, une grande diversité d'intervenants rémunérés ou bénévoles sont appelés à agir lors d'un désastre. Certains, comme les pompiers ou les policiers, possèdent une formation spécifique en mesures d'urgence ; d'autres intervenants sont par contre peu préparés à faire face à des stress intenses. Nombreux sont donc les auteurs qui ont soulevé la nécessité d'approfondir les connaissances dans ce domaine en soulignant entre autres choses que les intervenants comme les sinistrés sont appelés à vivre les mêmes perturbations et les mêmes problèmes émotionnels que les victimes (Gibbs et al., 1993 ; Kenardy et al., 1996 ; Laube-Morgan, 1992). En effet, des études récentes démontrent clairement que les désastres, en raison des demandes surabondantes qu'ils imposent aux intervenants, peuvent provoquer une usure physique et émotionnelle très lourde chez certains d'entre eux (Mitchell et Everly, 1995 ; Williams, Solomon et Bartone, 1988). Les désastres constituent donc des événements comportant un potentiel traumatique élevé pour les intervenants, d'autant plus que pour plusieurs aidants leur implication dans de telles circonstances représentera le pire événement vécu pendant leur vie (Ersland, Weisaeth et Sund, 1989). Les réactions émotionnelles peuvent être de courte durée et apparaître dès le début du sinistre, mais elles peuvent aussi se développer plusieurs jours ou plusieurs semaines après l'événement traumatisant. Certaines réactions ou certains symptômes psychopathologiques peuvent même devenir chroniques. Les problèmes physiques les plus communément rapportés par les intervenants sont ceux de l'épuisement physique, émotionnel et psychologique (Lamontagne, 1983). Gibbs et al. (1993) suggèrent pour leur part
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que les réactions psychologiques des intervenants varient en fonction du travail réalisé. Ainsi, les intervenants qui côtoient les sinistrés en dehors des lieux du sinistre (par exemple en centre d'hébergement) ont plutôt tendance à manifester de la dépression liée au sentiment d'impuissance, tandis que l'état de stress posttraumatique est plus perceptible chez les aidants exposés à des scènes d'horreur et de désolation sur les lieux mêmes du sinistre. Certains auteurs, comme Raphael et Wilson (1994), soulignent que des intervenants négligent leurs propres besoins en situation d'urgence et nient leur fatigue. Ces derniers deviennent alors hyperactifs et travaillent jusqu'à ce qu'ils s'effondrent. Il semble aussi que les intervenants ont de la difficulté à reconnaître leurs propres réactions psychologiques et qu'ils vont rarement chercher de l'aide (Gibbs et al., 1993 ; Lamontagne, 1983). Gibbs et al. (1993), dans une recension des écrits sur les conséquences des désastres sur la santé des intervenants, mentionnent que les problèmes de santé physique sont nombreux après être intervenu en situation d'urgence. Les rhumes, la perte d'appétit, les migraines, les maux d'estomac, les douleurs au cou et au dos ainsi que la présence de problèmes cutanés demeurent les problèmes de santé physique les plus fréquemment rencontrés. Shepherd et Hodgkinson (1990) soulignent aussi que plusieurs chercheurs ont noté chez les intervenants des changements dans les habitudes de sommeil et d'alimentation, des niveaux d'énergie altérés et un accroissement des accidents et des problèmes de santé physique. Une grande fatigue, l'épuisement, des difficultés à se concentrer et la présence de cauchemars et de problèmes gastriques font également partie des réactions physiologiques rencontrées chez plusieurs intervenants (Mitchell, 1998). En ce qui concerne l'état de santé psychologique, plusieurs chercheurs ont démontré que les répercussions émotionnelles et cognitives sont nombreuses chez les intervenants à la suite de leur implication auprès de sinistrés (Bradford et John, 1991). Lamontagne (1983) souligne que la présence de tels problèmes peut affecter certaines facultés mentales ou intellectuelles des aidants, comme la mémoire, la créativité, l'élocution et l'objectivité. Parmi les symptômes psychopathologiques les plus fréquemment rencontrés, les chercheurs mentionnent l'état de stress post-traumatique (Green, 1991), l'anxiété, la dépression, l'angoisse, la culpabilité, la colère, l'irritabilité ainsi que les sentiments d'impuissance et de désespoir (Bradford et John, 1991). Lamontagne (1983) a également démontré que l'étonnement, l'incrédulité et l'engourdissement émotionnel font partie des réactions des intervenants. Ces réactions se manifestent dès le début du sinistre. D'autres émotions de courte ou de moyenne durée peuvent
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également apparaître, comme la peur, le sentiment de vulnérabilité, la tristesse, le sentiment de solitude ainsi que l'instabilité et l'irritabilité émotionnelle (Raphaël et al., 1980 ; Lamontagne 1983). Les intervenants qui apportent un soutien aux sinistrés voient donc leur propre fardeau émotionnel alourdi devant le désarroi des victimes, exposés qu'ils sont à leurs plaintes. La confrontation à la mort, aux blessures physiques et psychologiques fragilisent ainsi les intervenants, bien souvent des victimes directes ou indirectes du traumatisme collectif. Le symptôme d'identification avec les victimes constitue également un problème fréquemment rencontré, l'empathie pouvant contribuer à une plus grande vulnérabilité et détresse chez les intervenants (Robinson et Mitchell, 1993). Le fait de connaître les victimes et de s'y identifier ainsi que d'être confronté à plusieurs décès ou à de la violence extrême augmente les risques pour les intervenants de souffrir de problèmes de santé. L'absence de formation, une préparation inadéquate ainsi qu'une expérience limitée dans l'application des mesures d'urgence contribuent également à augmenter le stress des intervenants (Werner, Naud et Kellogg, 1998). S'inquiéter pour ses proches, sa famille et ses enfants ainsi que devoir faire face à l'incompréhension des membres de son réseau intime et social augmentent les risques de développer des psychopathologies et de connaître des problèmes de santé physique (Laube, 1973). L'absence de contrôle sur la situation, l'ambiguïté quant aux rôles et aux fonctions à assumer ainsi que les longues heures de travail sont également des facteurs de risque non négligeables dans l'apparition de problèmes de santé chez les intervenants (Talbot et al., 1992). Le fait de travailler loin de sa demeure et de vivre dans des endroits non familiers est générateur de stress chez les aidants (Armstrong et al., 1991), tout comme le sont l'absence de matériel adéquat, le manque d'information et des communications déficientes (Bartone et al., 1989 ; Laube, 1973). Certaines autres causes de stress relèvent des caractéristiques organisationnelles, soit celles d'une tâche trop lourde à accomplir, des responsabilités trop importantes à assumer ou des fonctions mal définies (Dingman, 1995). Des attentes trop élevées des superviseurs et des responsables pendant et après le sinistre constituent également des facteurs de risque à ne pas négliger. L'acharnement des journalistes peut aussi être nuisible à l'accomplissement des tâches des intervenants et créer de l'irritabilité (Dyregrov, Kristofferson et Gjestad, 1996). Les conséquences de l'intervention en situation de catastrophes sont également visibles dans la vie personnelle, familiale, sociale et professionnelle des aidants. Par exemple, la surcharge de travail peut rendre les
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intervenants irritables et non réceptifs aux doléances de leurs proches. De plus, l'incapacité à partager ses sentiments avec les membres de sa famille ou avec ses amis peut provoquer de l'isolement (Shepherd et Hodgkinson, 1990). Le retrait social ainsi que la perte d'intérêt pour les activités quotidiennes et récréatives peuvent être également remarqués chez certains intervenants. L'usage inadéquat de matières illicites comme la drogue ainsi que l'abus de cigarettes et de caféine peuvent être aussi des conséquences néfastes de l'intervention en situation d'urgence (Mitchell et Dyregrov, 1993). Les intervenants tout comme les sinistrés ne sont donc pas à l'abri des conséquences néfastes d'une catastrophe. Les lourdes charges de travail, les longues heures de présence, les attentes élevées de la population et des responsables ainsi que les pressions médiatiques font partie de l'univers quotidien des intervenants qui agissent dans le cadre de l'application des mesures d'urgence. Bien souvent, ils dépassent leurs limites et doivent faire face à des réactions diverses qui varient en intensité et en durée. Parce que le stress éprouvé par les aidants n'est pas souvent reconnu par les autorités, les intervenants peuvent devenir des victimes cachées, ignorées ou méconnues des désastres (Alexander, 1990; Fullerton et al., 1992). Dans les prochaines années, au Québec, il faudra se pencher particulièrement sur cette question afin de documenter les effets néfastes des désastres sur la santé des intervenants rémunérés et bénévoles. LA SANTÉ DES COMMUNAUTÉS Des trois domaines d'investigation abordés dans ce présent chapitre, la santé des communautés est le moins bien documenté dans la littérature. Les contributions des chercheurs dans ce domaine portent surtout sur la problématique de la gestion de la crise ou du sinistre. Toutefois, aux États-Unis, plusieurs chercheurs ont porté une attention particulière à la communauté de Buffalo Creek, vaste territoire détruit après l'effondrement d'un barrage (Rangel, 1976 ; Church, 1974; Gleser et al., 1981; Green et al., 1990 a, b ; 1994). Fut alors démontrée l'existence du syndrome du survivant, phénomène associé à une situation de désespoir et de dépression chronique constatée dans une communauté (Lifton et Olson, 1976). Un sinistre peut donc provoquer des perturbations profondes dans une communauté, voire sa dislocation (Titchener et Kapp, 1976). L'indifférence, l'apathie et le retrait social des membres de la communauté sont alors observés. Le
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bouleversement des habitudes de vie contribuerait aussi à l'adoption de modes de vie dépressifs généralisés dans les communautés durement touchées par un sinistre. Tierney et Baisden (1979) ont également constaté que, lorsqu'une communauté est profondément marquée par une catastrophe naturelle, les relations interpersonnelles se dégradent et l'apparition de problèmes de consommation d'alcool et de difficultés familiales est répandue. Erickson et al. (1976) ont pour leur part mentionné que la perte de la communauté correspondait à un traumatisme collectif qui implique bien souvent l'abandon des lieux, des gens familiers et des réseaux sociaux établis depuis de très longues périodes. Certains sentiments négatifs peuvent aussi s'installer, comme la méfiance et l'isolement. Des répercussions néfastes telles que l'effondrement des standards moraux, la désorganisation sociale et la perte du sentiment d'appartenance ont été aussi reconnus comme des atteintes à des communautés touchées par des catastrophes. Steinglass et Gerrity (1990) ont mentionné l'existence de différences marquantes entre les communautés rurales et urbaines en ce qui a trait aux conséquences des catastrophes sur la santé des communautés. Les modèles et les symptômes de l'état de stress post-traumatique étant différents d'une communauté à l'autre, Tierney et Baisden (1979) ont aussi souligné que les communautés rurales étaient désavantagées pour les raisons suivantes : plus grande proportion de citoyens à faible revenu, éloignement des centres de décision gouvernementaux, insuffisance de professionnels, acceptabilité moindre de la maladie mentale, tendance à rejeter ce qui est non familier ou spécialisé et désir d'indépendance et d'auto-efficacité. De plus, comme le mentionne Farberow (1985), l'orientation communautaire a aussi des aspects négatifs qui renvoient au manque de confiance et au rejet de ce qui provient de l'extérieur. Ces derniers points de vue vont toutefois à l'encontre des résultats de Perry, Silber et Black (1956) qui ont démontré que le caractère rural d'une communauté était un facteur positif pour le rétablissement familial. Mentionnons également que la signification d'un sinistre est culturelle et que les caractéristiques sociodémographiques des communautés sont reconnues comme l'un des facteurs de risque qui facilitent ou non le rétablissement des individus (Phifer, 1990). Selon Golec (1983), d'autres facteurs facilitent le rétablissement d'une communauté. Un avertissement bref et adéquat, un taux peu élevé de mortalité et de blessures, une population hautement intégrée, homogène et autonome, des interventions efficaces, un réseau de soutien de relations personnelles et sociales puis des compensations financières adéquates favorisent un rétablissement plus rapide.
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Green et Solomon (1995) énoncent, quant à elles, que les facteurs sociaux facilitant ou non le rétablissement d'une communauté incluent la réaction de la communauté au désastre, la solidité et la disponibilité des réseaux de soutien social et le contexte socioéconomique et culturel. La cohésion de la communauté peut aussi se manifester par l'émergence de groupes supportants et solidaires qui minimisent les perturbations des individus et des communautés (Baum, 1987, 1991). Lorsqu'une communauté locale doit faire face à un désastre dont l'ampleur dépasse ses capacités d'adaptation et que des lacunes sont présentes sur le plan des ressources sociales et politiques, le stress et les conflits entre les acteurs augmentent, entraînant une hausse des problèmes collectifs (Warheit, 1985). Des discordes exprimées par les décideurs sur les moyens à prendre pour rétablir la situation ainsi que des retards dans la prise en charge des responsabilités nuisent également à l'adaptation post-désastre d'une communauté (Ibid.). Au regard de ces observations, il est important de souligner que le soutien aux communautés touchées par une catastrophe est aussi important que l'appui aux individus et aux intervenants. Les trois entités sociales sont donc interreliées et le rétablissement de l'une ne peut se réaliser sans celui des deux autres. CONCLUSION Les productions colligées dans cette recension des écrits font ressortir que les catastrophes naturelles, technologiques ou causées par la négligence humaine peuvent occasionner des problèmes sérieux chez les individus, les intervenants et les communautés. En effet, le stress et les difficultés reliés aux désastres (pertes de vie, destruction de l'environnement, déplacements involontaires, etc.) ébranlent le moral des personnes et des intervenants, puis causent de graves préjudices aux communautés. Puisqu' « il nous faut envisager la Fortune sous tous ses aspects », comme le dit Sénèque ([63-64] 1996, p. 114), il est impérieux de concevoir et de mettre en oeuvre un ensemble de mesures préventives contre les coups que provoquent les catastrophes. Parallèlement à ce souci de prévention, des études doivent être menées auprès des personnes qui subissent un traumatisme collectif. Les conséquences des désastres peuvent être nombreuses et s'étendre sur de très longues périodes. Aussi les chercheurs, tout comme les différents acteurs sociaux, doivent-ils être attentifs aux doléances que formulent les individus, les intervenants et les communautés sinistrées.
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LES FORMES DE L'ÉCHANGE BÉNÉVOLE
SUZIE ROBICHAUD, Ph. D. Département des sciences humaines, Université du Québec à Chicoutimi VINCENT LEMIEUX, Ph. D. Département de science politique, Université Laval
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RESUMÉ L'année internationale du bénévolat constitue un moment meilleur que tout autre pour examiner l'évolution des groupes bénévoles qui, dans le remodelage de leurs relations avec l'État, passent par une série de transformations. Face à une tentative de redistribution sociale où l'individu est appelé à être providentiel pour son voisin, ce que l'État ne peut plus être lui-même, le bénévolat montre une remarquable capacité d'adaptation qui n'en comporte pas moins des enjeux importants. En outre, afin de relever les nombreux défis qui se posent, plusieurs groupes modifient leur organisation et glissent vers une structure plus hiérarchisée. Alors, qu'est-ce qui pointe à l'horizon ? Ces changements menacent-ils d'entraîner la disparition de certains groupes bénévoles ? Si oui, quelle attitude faudrait-il adopter? Voilà quelques-unes des questions auxquelles cette réflexion tente de répondre.
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[...] les deux plus belles choses qui existent dans la société humaine [...]: l'âme reconnaissante et le bienfait. (SÉNÈQUE ) Le contexte de la mondialisation et des changements sociaux crée une interdépendance entre les collectivités locales et politiques. Dans cette optique, plusieurs études permettent d'observer une réduction de l'écart entre ce qui caractérise les institutions publiques et les groupes bénévoles qui oeuvrent dans le domaine de la santé et des services sociaux (Robichaud, 1998 ; Lamoureux, 1991 ; Laforest et Redjeb, 1989 ; etc.)1. Qui plus est, les groupes réalisent que le développement du rôle de service leur donne un certain contrôle, leur permet de réaliser plusieurs activités et d'en créer de nouvelles. Ces groupes bénévoles qui oeuvrent dans le domaine de la santé et des services sociaux se sont alors taillé une place stratégique dans la prestation de services à la collectivité. Leur originalité dans le panorama social contemporain réside moins dans la prétention de pouvoir contribuer à des changements que dans le soutien actif des individus en difficulté2. Ils doivent alors faire face à un double défi : se doter de structures pour offrir des services et orienter continuellement ces mêmes structures sur leur mission qui est celle de secourir autrui. C'est dans cette perspective qu'il convient d'apprécier l'évolution des groupes bénévoles au Québec qui, dans le remodelage de leurs rapports à l'État, passent par une série progressive de transformations. Devant une économie qui s'essouffle et un gouvernement qui n'est plus à même d'assurer à lui seul tous les services à la collectivité, le bénévolat montre une remarquable capacité d'adaptation qui n'en comporte pas moins des enjeux importants. Notre réflexion vise donc à éclairer les changements apportés par la médiation politique dans l'espace social et à analyser les enjeux du bénévolat comme activité supplétive, sinon complémentaire aux mécanismes formels de l'État. C'est du moins l'orientation privilégiée dans cette réflexion menée à travers trois champs d'analyse : institutionnel, organisationnel et individuel. Ces perspectives permettent de caractériser successivement les notions d'institutionnalisation, de quasi-appareil et de désaffection. Faut-il préciser au point de départ que l'observation dégagée dans ces pages n'est pas simplement un questionnement sur le phénomène étudié, mais qu'elle se fonde sur deux longues enquêtes (Robichaud, 1998, 2000). Par des recherches effectuées dans une région du Québec -
1. Certaines données présentées dans cet article se retrouvent dans l'ouvrage intitulé : Le bénévolat. Entre le coeur et la raison (Robichaud, 1998) et la revue Intervençao social (Robichaud et Lemieux, 2000). 2. Ici la ligne n'est pas tranchée. Il faut simplement y voir une accentuation de tendance.
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le Saguenay - on a tenté d'observer les groupes bénévoles à vocation sociale qui sont subventionnés par l'État et soutenus par l'Église. La technique de stratégie utilisée repose sur une méthodologie de type qualitatif et son corpus est issu de l'interrogation d'une soixantaine de personnes (23 dirigeants et 38 bénévoles)3. Mais, pour la clarté du propos, il convient avant tout de présenter le cadrage de ce texte. Tout d'abord, les faits relatifs à l'évolution du bénévolat au Québec nous permettent d'éclairer, de manière nouvelle, les relations entre la société civile et l'État. Ensuite, trois autres étapes peuvent servir de relais. Puisque le fondement de cette réflexion est centré sur les notions de réseau et d'appareil, ces concepts sont définis afin de pouvoir analyser et comprendre les différentes formes de l'action bénévole, en ce début de siècle. Ensuite, il convient d'étudier les conséquences de l'institutionnalisation et de la bureaucratisation qui s'y rattache sur les groupes subventionnés par l'État et sur ceux soutenus par l'Église, puis de vérifier si le glissement vers une forme plus hiérarchisée touche d'autres groupes. Enfin, il y a lieu d'examiner si les changements observés menacent de faire disparaître certains groupes bénévoles. Quelle attitude faudrait-il alors adopter ? Question qui se pose avec acuité dans le cadre de l'année internationale du bénévolat. UN PEU D'HISTOIRE Depuis des siècles, l'organisation sociale révèle des formes d'aide entre les individus, et le bénévolat au Québec n'échappe pas à cette riche tradition de fraternité, de solidarité et d'entraide. Ainsi, les mouvements ouvriers ont joué un rôle prépondérant dans la réponse à apporter aux besoins sociaux et ont été les initiateurs de diverses activités bénévoles. L'Église et la famille ont aussi exercé un rôle primordial en venant en aide de façon spontanée à chacun de ses membres et en prêtant secours aux gens du voisinage. Héritage du passé, élan de passion, bref, ces associations et ces deux institutions assumaient la responsabilité des problèmes de l'heure, et le bénévolat a connu son apogée dans la première partie du XXe siècle. Les mouvements bénévoles sont, en quelque sorte, reliés aux événements
3. Après une sélection faite dans le répertoire des organismes communautaires de la région du Saguenay et celui du diocèse de Chicoutimi, 23 groupes ont été retenus. Le choix s'est opéré selon une longévité minimale de trois ans. Les responsables de chacun de ces groupes ont été rencontrés. La désignation des bénévoles s'est faite selon les critères suivants : la durée de l'engagement et la participation active. La technique d'échantillonnage par choix raisonné aussi appelée non probabiliste et jugée, par plusieurs auteurs, acceptable en recherche qualitative, est par la suite arrêtée (Ferréol et Deubel, 1993 ; Beaud, 1993 ; Deslauriers, 1991).
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particuliers de la société. Crises, désastres, débalancements sociaux génèrent la mobilisation de réseaux d'entraide4. Mais au Québec comme dans certains pays d'Europe, la France par exemple, la notion de justice sociale a remplacé le bénévolat de « charité » par une forme de satisfaction personnelle bien légitime, et l'action bénévole sera considérée comme un instrument de changement dans la société. Après la prise en charge progressive de l'assistance par l'État, le bénévolat devient supplétif. Il prend alors le nom de volontariat. Ainsi, l'action bénévole se détache de l'action charitable et se rapproche du courant anglo-saxon, généralement plus développé, qui utilise déjà cette dénomination. Toutefois avec l'intervention étatique la population prend conscience qu'une quantité de plus en plus grande de décisions affectant la vie de tous les jours lui échappe. Les individus sont placés devant des appareils bureaucratisés dans lesquels les services sont souvent définis en fonction de la rationalité administrative plutôt que des personnes dans le besoin (Beaudoin, 1977, p. 254). L'aspiration, qui traverse tous les mouvements du quotidien, traduit le rêve utopique d'une société réconciliée, de même qu'elle manifeste le désir d'imaginer d'autres modes de vie en société. Cependant, la différence est grande entre la traditionnelle dame patronnesse, qui occupait ses heures de loisir au sein d'oeuvres charitables5, et les bénévoles militants qui souhaitent une égalisation des conditions de vie. Le bénévolat exprime donc, à travers ses configurations, le renouvellement des formes du social. En l'occurrence, la dernière décennie voit introduire le rêve d'un retour à des solidarités moins coûteuses, sur un mode néanmoins plus organisé qu'autrefois. Les groupes bénévoles sont ainsi appelés à s'insérer dans le grand dessein des institutions publiques. Tout en respectant la prise en compte des compressions financières, ils doivent offrir une multitude de services. Les groupes sont alors appelés à coopérer avec l'État et ses appareils, d'une part, et avec la population d'autre part. Cette tâche de suppléance relative et ponctuelle risque toutefois de modifier la capacité structurelle et organisationnelle de ces groupes fondés sur des réseaux sociaux. À l'horizon de ce paysage bénévole en mutation pointent alors les répercussions du rôle sociopolitique du bénévolat au Québec. Dans le contexte de la valorisation de la gratuité,
4. Ces initiatives sont encore présentes dans notre société, comme en font foi les actions de mobilisation observées lors des désastres naturels (inondations et tempête de verglas) qu'ont connus trois provinces du Canada: le Québec, l'Ontario et le Manitoba en 1996 et en 1997. En effet, au cours de ces catastrophes, les communautés sinistrées sont devenues de véritables laboratoires de solidarité humaine. 5. Les femmes de milieu aisé n'avaient pas accès au travail rémunéré, socialement inacceptable. Le bénévolat était une manière honorable d'occuper leurs loisirs (Cellier, 1995, p. 178).
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
de la montée du chômage et de l'appauvrissement d'une partie de la population, comment évoluent les solidarités bénévoles ? Sont-elles enclines à se transformer en organisations plus hiérarchisées ? Mais avant de répondre à cette question, il y a lieu d'apporter quelques précisions sur la structure des relations sociales. LES STRUCTURES DE LA SOCIALITÉ : RÉSEAUX ET APPAREILS La socialité renvoie au caractère premier de la relation chez les êtres humains. Elle s'exprime dans deux types d'associations, les réseaux et les appareils, qui peuvent prendre des formes strictes ou des formes mitigées. Entre les formes extrêmes de réseau intégral et d'appareil intégral, il y a les formes intermédiaires de quasi-réseau et de quasi-appareil (Lemieux, 1999). Dans les réseaux intégraux chacun des participants est en relation directe avec chacun des autres. La principale finalité poursuivie, sinon la seule, est la mise en commun dans le milieu interne. On peut penser à une famille élargie faite des grands-parents, des parents et des petits-enfants. La mise en commun concerne des normes de conduite, des informations, le sentiment d'appartenance à une entité sociale commune. À l'extrême opposé, il y a des appareils intégraux. On pense aux organisations administratives ou militaires. Elles sont orientées vers leur environnement externe, même si les dirigeants se préoccupent aussi du milieu interne, de façon à le faire servir aux finalités externes. Il n'y a pas de relation directe entre chacun des participants, mais une organisation hiérarchique où la distinction est nette entre ceux qui dirigent et ceux qui sont dirigés. Ce sont les formes intermédiaires de quasi-réseau et de quasi-appareil qui nous intéressent dans cet article. Dans les quasi-réseaux, il n'y a plus de relation directe dans chacune des paires de participants, mais la possibilité demeure pour un membre donné de rejoindre, même si ce n'est que de façon indirecte, chacun des autres. La mise en commun est plus restreinte que dans les réseaux intégraux, mais elle reste la préoccupation principale des participants. Il n'en est plus ainsi dans les quasi-appareils. Des préoccupations de mise en commun subsistent, mais elles deviennent secondaires par rapport à celles qui touchent aux relations avec l'environnement externe. La distinction entre les dirigeants et les dirigés s'installe, et plusieurs traits concernant l'organisation et le fonctionnement du groupe manifestent ces transformations. Dans le cas des groupes de bénévoles, l'évolution vers une
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forme de quasi-appareil se traduit par une plus grande spécialisation des activités et une segmentation des services, selon des règles qui tendent à devenir officielles. Le recrutement des bénévoles s'officialise lui aussi, au lieu d'être laissé au hasard des relations personnelles entre proches ou « connaissances ». Le maintien de l'organisation devient une fin en soi, bien qu'il soit subordonné à celles qui concernent l'environnement externe. C'est l'appui indispensable de l'État ou de l'Église, avec les contrôles concomitants exercés sur les groupes de bénévoles, qui est à l'origine des transformations que nous venons de noter. Des garanties doivent être données aux organisations étatiques ou ecclésiales pour que l'appui de celles-ci demeure. Parmi ces garanties, il y a l'évaluation des activités accomplies. Elle a pour but de démontrer que les subventions ou les autres modalités de soutien ont été utilisées de façon efficace. À cet égard, il est intéressant de comparer les groupes bénévoles subventionnés par l'État et ceux qui sont soutenus par l'Église afin de pouvoir apprécier les différences qui marquent leur évolution. LES DIVERSES FORMES DE L'ÉCHANGE BÉNÉVOLE : UNE DIFFÉRENCE QUI S'ATTÉNUE Institutionnalisation. L'évolution des relations entre l'État et les groupes bénévoles entraîne ces derniers dans une logique d'institutionnalisations. Le changement qui s'opère de façon graduelle et progressive se remarque de la façon suivante : les pratiques non organisées par des règles tendent à le devenir. Propulsés à l'avant-scène des services de santé et des services sociaux, les groupes déploient alors des stratégies et un ensemble d'activités coordonnées dans le but de répondre aux demandes d'aide qui leur sont adressées. Avec un dynamisme certes renouvelé mais qui commande de nouvelles exigences. Cependant, l'intervention de l'État est-elle essentielle pour permettre aux groupes d'offrir des services et d'assurer leur maintien, voire leur survie ? Dans le but de se doter d'un point de comparaison pour mieux cibler la portée et l'efficacité des subventions consenties aux groupes, il s'est avéré utile d'en rencontrer qui ne bénéficiaient pas de subsides étatiques, tels les groupes soutenus par l'Église. 6. Le mouvement d'institutionnalisation peut être entraîné par plusieurs dynamiques. Une dynamique externe comme les pressions exercées par les populations afin de recevoir plus de services, une dynamique interne telle une plus grande organisation, par exemple. Cependant, ici le phénomène étudié l'est sous l'angle spécifique des réaménagements corrélatifs des rapports entre l'État et les groupes bénévoles et fait ressortir les enjeux que cette transformation occasionne.
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Au Québec, l'Église catholique ne participe aucunement à l'administration des services sociaux et les groupes bénévoles qu'elle soutient reçoivent un appui financier des gens d'affaires, des entreprises industrielles ou commerciales et recourent aux profits réalisés aux comptoirs vestimentaires ou aux ateliers de menuiserie, par exemple. Qui plus est, la majorité des groupes font appel à différents programmes d'insertion à l'emploi mis sur pied par l'Etat7. Si cette ressource ne constitue que 10% de leur budget et des équipes de services, pourquoi y font-ils appel ? C'est que le contexte actuel les oblige à élargir leur sphère d'intervention. En effet, depuis le début des années 1990, les groupes sont de plus en plus sollicités par les institutions publiques afin d'offrir une gamme variée de services. Les conséquences de ce changement sont prévisibles : a) le débat sur la professionnalisation des services ; b) les difficultés liées à la cohabitation des permanents et les bénévoles ; c) l'inclination à multiplier les liens avec les autres acteurs publics de l'environnement. Malgré cela, les responsables expriment une volonté ferme de conserver leur indépendance « Nous voulons prendre part à des projets du milieu, tout en gardant notre autonomie, notre liberté et notre identité. » Et ils semblent réussir puisque pour la majorité d'entre eux la pratique bénévole est moins assujettie à des règles explicites que celle des groupes subventionnés.
Le présent tableau montre que les groupes soutenus par 1'Église semblent moins entraînés dans une logique d'institutionnalisation. Mais face aux appels de plus en plus incessants des institutions publiques et des populations, pourront-ils résister à l'adoption d'une organisation plus structurée ? En d'autres termes, pourront-ils continuer d'être des réseaux ? 7. Ces programmes sont offerts aux prestataires de la sécurité du revenu. Selon le Ministère, ils visent à favoriser chez les participants l'acquisition d'attitudes et d'habitudes de travail, afin de maintenir ou de développer leur employabilité tout en permettant l'acquisition de notions et d'expériences sur le marché du travail (voir Robichaud, 1995).
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Quasi-réseaux et quasi-appareils. Les groupes bénévoles subventionnés cherchent à s'officialiser et à obtenir une reconnaissance de l'État et de ses appareils. L'atteinte de tels objectifs suppose, au préalable, la mise en place de règles qui conduisent à l'adoption d'une structure permanente. Celle-ci appelle la spécialisation des acteurs dans des rôles précis, voire dans des postes d'autorité, ce qui n'est pas sans effet sur le fonctionnement des groupes en dehors de l'organisation comme au-dedans. Ainsi, de l'extérieur s'observent une tendance à l'officialisation et, au surplus, un désir d'accroître l'efficacité. Effectivement, pour continuer à offrir des services, les groupes bénévoles mettent en place de meilleures conditions de stabilité et procèdent à l'évaluation de leurs activités avec une acuité sans précédent. Ces facteurs constituent un atout précieux lorsque l'existence même de l'organisation devient une fin à atteindre. De plus, le rôle de sous-traitants que les groupes doivent remplir n'est pas étranger à la segmentation des services. En effet, la somme et la diversité des problèmes rencontrés conduisent ceux-ci à diviser l'aide à apporter : soutien psychologique, réconfort téléphonique, accompagnement, soins personnels, intégration à des activités de loisirs ou d'éducation de groupe. Dans le paysage des groupes soutenus par l'Église, l'enquête n'a pas permis de déceler des conflits opposant les membres puisque peu d'entre eux relèvent d'un permanent salarié. Cependant la complicité qui existe n'élimine pas les obligations qui apparaissent et les problèmes que pose l'intensification des demandes qui proviennent tant du sommet (organisations étatiques) que de la base (populations). Et la spécialisation des tâches tout comme la segmentation des services commencent à se faire sentir. Ainsi, la cause de ces groupes, souvent mal écoutés, commence à soulever des remises en question face à un engagement social délicat et exigeant. La volonté d'une plus grande reconnaissance par le milieu se manifeste aussi, de même que le rendement devient un facteur de préoccupation. Quoi qu'il en soit, c'est la demande d'utilisation des services par les professionnels des institutions qui confirme, selon eux, une certaine qualité des services8. Les données exposées révèlent que les groupes soutenus par l'Église résistent davantage à l'adoption d'une structure plus hiérarchisée. Pourtant, l'étude menée a permis de dégager certaines variables qui rendent compte d'un événement particulier : le glissement, à tout le moins le désir,
8. En ce qui concerne la place occupée par les bénévoles dans le travail social, les auteurs Claude Bovay et Jean-Pierre Tabin soulignent que des études réalisées tant en Suisse que dans différents pays permettent de dégager trois tendances dominantes : le développement de l'action sociale orienté vers la professionnalisation ; les activités des bénévoles soumises à un encadrement professionnel ; l'orientation des activités du bénévolat social au service des intérêts des pouvoirs publics (1998, p. 47).
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d'une forme d'organisation plus structurée - pas chez tous les groupes mais chez la moitié du moins. Le mouvement se manifeste ainsi : désir de recourir aux subventions gouvernementales, aspiration à offrir des services plus spécialisés, recherche d'une plus grande reconnaissance et visibilité. Mais présentement c'est trop dire, sans doute, qu'ils choisissent la forme d'un quasi-appareil. Il faudrait parler davantage d'une structure de quasi-réseau. Alors, face aux enjeux que pose cette phase de transition, réussiront-ils à garder dans leurs rangs ceux-là mêmes qui sont essentiels à la réalisation de leur vocation sociale : les bénévoles ? Désaffection. La majorité des groupes subventionnés par l'État ont connu, au cours des trois dernières années précédant l'enquête, une diminution de 20 % de leurs membres. Qui plus est, ces groupes ne pourraient répondre à l'ensemble des demandes d'aide qui leur sont adressées sans la présence de participants (prestataires de la sécurité du revenu) aux programmes d'employabilité mis sur pied par l'État. Dénouement surprenant, puisque plusieurs études révèlent des signes évidents de la montée spectaculaire du bénévolat (augmentation des effectifs bénévoles, accroissement des subventions gouvernementales aux organismes bénévoles, multiplication des centres d'action bénévole, etc.). Ainsi, le renouvellement des membres et la pratique de recrutement posent problème. À long terme, une extrapolation de tendance laisse entrevoir de sérieuses difficultés pour les groupes si cette question n'est pas résolue dans les prochaines années. Il faut peut-être comprendre qu'il existe une relation entre la désaffection et l'institutionnalisation, du fait que les groupes gagnent en organisation ce qu'ils perdent dans les possibilités d'assumer la relève.
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Les groupes soutenus par l'Église ne vivent pas le problème avec autant d'acuité, puisque la moitié d'entre eux peuvent assurer leur action grâce à la continuité de leurs membres9. Ils présentent certaines particularités a) liberté dans l'action ; b) règles réduites ; c) durée de l'engagement non imposée ; d) reconnaissance manifeste envers les membres ; e) disponibilité des dirigeants ; f) durée de l'engagement non contrôlée ; g) frais minimes. De plus, à l'inverse des quasi-appareils où la responsabilité du recrutement relève de la permanence, les groupes soutenus par l'Église font appel aux bénévoles eux-mêmes. Ceux-ci transforment cette responsabilité en lien d'appartenance, c'est-à-dire que le recrutement se fait sur la base du circuit intimiste. Comme il n'y a pas d'activités officielles de recrutement, l'énergie nécessaire à cette tâche est alors partagée par l'ensemble des membres10. Néanmoins, on ne peut passer sous silence que l'autre moitié de ces groupes vit un tiraillement et souscrit à d'autres manières de faire, comme le montre le prochain tableau.
La complexification de la problématique sociale incite les bénévoles à prendre part à des sessions de formation afin d'accroître leur habileté en relation d'aide. Une plus grande professionnalisation est souhaitée dans 9. Deux caractéristiques sont toutefois propres à ces groupes. Tout d'abord, les bénévoles offrent des services dans un lieu précis et n'ont pas à se déplacer chez les bénéficiaires, contrairement à ceux qui oeuvrent dans les groupes subventionnés par l'État. De ce fait, ils sont appelés à côtoyer les responsables régulièrement et à entretenir des liens plus soutenus avec les autres bénévoles de l'organisme. Par la suite, les responsables possèdent majoritairement un statut de bénévole, ce qui évite les relations de subordination entre ceux qui ont un statut de salariés et les autres membres. 10. Cette façon de procéder semble porteuse d'avenir si l'on tient compte des données recueillies par la dernière enquête de Statistique Canada sur le don. En effet, celle-ci révèle que la possibilité de se joindre à ses amis à l'intérieur d'un groupe représente un facteur de motivation pour 25 % des bénévoles (1999, p. 40).
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le but d'accroître l'efficacité des services rendus. En outre, une certaine division du travail se dessine, dans le respect des compétences de chacun des membres. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les groupes bénévoles soutenus par l'Église, considérant les nouvelles nécessités qui se présentent dans l'aide à autrui, sont à repenser leur fonctionnement ou, plus encore, sont à modifier leurs pratiques. Dans ces circonstances, il devient de plus en plus difficile de se maintenir dans une structure de réseau. À preuve, une relance faite auprès de quelques-uns de ces groupes au cours du mois de juin 1999 a permis de constater ce qui suit. Afin d'accroître leur capacité d'accueil, deux groupes ont dû emménager dans de plus grands espaces tout en doublant les participants à des programmes d'employabilité. L'augmentation de personnes salariées assure une stabilité et une plus grande efficacité. Quoi qu'il en soit, selon les responsables, il n'était plus possible de faire reposer le fonctionnement du groupe uniquement sur des ressources bénévoles. Les nombreuses exigences semblaient éloigner celles-ci de leur engagement. Essoufflées par la tâche à accomplir, plusieurs personnes avaient d'ailleurs déserté. Cela étant, ces deux groupes font maintenant appel à la Régie de la santé et des services sociaux afin d'obtenir des subventions tout en orientant le travail des bénévoles vers des tâches moins spécialisées, tels l'accompagnement et l'écoute. Les contacts avec le réseau institutionnel se sont accentués et cela a accru la crédibilité auprès de la communauté. En d'autres mots, ces groupes ont glissé vers une structure de quasi-appareil. GROUPES PHILANTHROPIQUES, GROUPES D'ENTRAIDE Les résultats antérieurement exposés jettent un éclairage sur le mouvement qui anime les groupes soutenus par l'Église depuis quelques années. Ils nous permettent d'avancer que la pratique bénévole, pour la moitié de ces groupes, subit le même type de transformations que chez les groupes subventionnés par l'État, bien qu'on puisse relever plusieurs particularités. Dans le souci d'élargir notre univers de référence, il semblait pertinent d'appliquer la même grille d'analyse à d'autres formes de pratique bénévole. Cette initiative, conduite en parallèle avec la démarche centrale de notre propos, permet de montrer comment elles fonctionnent et si elles diffèrent de celles qu'on trouve dans les groupes subventionnés par l'État ou soutenus par 1 Eglise. Bien qu'on ne puisse envisager, de toute évidence, l'établissement d'une comparaison exhaustive, ce qui reviendrait à faire une autre recherche pour vérifier celle que l'on présente dans ces pages, l'examen de quatre groupes, deux philanthropiques et deux d'entraide,
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permet de mieux cerner la valeur relative de la démonstration. Commençons par relater certaines différences et ressemblances entre les termes de la comparaison. L'institutionnalisation. D'entrée de jeu, il faut signaler que trois de ces groupes ont une histoire riche et longue de plusieurs décennies et que, au regard de ce premier critère, ils présentent certaines similitudes avec les résultats relatifs aux deux formes de pratique bénévole ci-avant exposées. Depuis leur origine, ils oeuvrent tous à l'intérieur d'une structure incorporée. Néanmoins, l'un d'eux (groupe d'entraide) connaît des pressions et vit des tensions relatives à la question de la transformation de sa structure de fonctionnement dans une forme plus organisée11. En ce qui regarde les bénéficiaires, les activités des groupes ne sont pas conditionnées par les priorités ministérielles, puisque ceux-ci ne reçoivent aucune subvention de l'État. Cependant, la multiplication des liens avec les acteurs publics de l'environnement pousse deux de ces groupes (un philanthropique, un d'entraide) à adopter certaines orientations propres aux appareils. Sur ce plan, ils mettent en place des activités qui témoignent d'une certaine institutionnalisation. Par exemple, un groupe d'entraide, dont l'expertise était traditionnellement réservée au soutien parental, augmente sa présence dans le milieu par des collaborations diverses avec un groupe de policiers, un centre de prévention du suicide, la direction de la protection de la jeunesse et un centre hospitalier. Pour l'autre, les nouveaux liens se traduisent depuis trois ans par des protocoles d'ententes formelles avec les autorités municipales afin d'offrir des services à la communauté : implication dans des résidences pour personnes âgées, soutien financier à différents organismes, transfert de cas aux centres locaux de services communautaires. Les deux autres groupes, pour leur part, résistent à l'accroissement des interactions avec l'environnement en précisant qu'ils souhaitent demeurer maîtres de leurs actions et de leurs décisions. Leurs contacts avec l'extérieur sont de nature informationnelle et se limitent au partage de renseignements ou de connaissances touchant certains problèmes sociaux. Pour ces deux groupes, il appert que ni la fréquence, ni la nature des relations n'ont subi de changements au cours des dernières années. Transformation en quasi-appareil. Les deux groupes philanthropiques connaissent une structure beaucoup plus rigide que celle des groupes d'entraide : les règles constitutionnelles et institutionnelles débouchent sur un fonctionnement très hiérarchique et le maintien de l'organisation devient une fin en soi. Ces deux caractéristiques ne sont pas apparues dans
11. La personne responsable de ce groupe évoque la présence d'un climat de confrontation lors des dernières assemblées générales.
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les groupes d'entraide. Toutefois, une similitude avec les groupes subventionnés par l'État s'observe sur le plan d'un critère précis. En effet, pour ces quatre groupes, la régulation des frontières est l'objet de mesures spécifiques par lesquelles les nouveaux membres sont introduits. Ces derniers doivent se soumettre à une série de procédures d'adhésion. De plus, deux d'entre eux (un d'entraide, un philanthropique) connaissent une évolution sur le plan de la spécialisation des acteurs et la segmentation des services les touche progressivement. Cependant, aucune évaluation des activités, ni aucune tendance à l'officialisation n'est remarquée à l'intérieur des quatre groupes. Désaffection. Tous les groupes rencontrés ont un processus de sélection clairement défini et pour deux d'entre eux, les groupes philanthropiques, ce processus est considérablement ritualisé12. De plus, la majorité (trois sur quatre) multiplient les activités de formation offertes aux bénévoles : ateliers animés par des professionnels de la santé, colloques, conférences, congrès, etc. Ainsi, pour deux des groupes (un philanthropique, un d'entraide), la professionnalisation des interventions et la division du travail sont bien présentes. Par ce changement, ces groupes cherchent à accroître la compétence de leurs membres. Mais qu'en est-il au juste du recrutement ? La majorité des groupes connaissent des difficultés à cet égard. Chez le premier, ce sont les critères de sélection qui empêchent de nouvelles arrivées. Un représentant du second groupe croit, d'une part, que le contexte économique actuel rend plus inaccessible l'accès à son groupe et que, d'autre part, la mission même du groupe ne paraît plus attirer les jeunes. Selon ce responsable, ces derniers seraient plus séduits par une implication concrète et précise dans leur communauté et moins friands de prestige social que certains de leurs aînés13. Pour le troisième groupe, les difficultés de recrutement sont étroitement liées à l'alourdissement de la problématique sociale. Les bénévoles se disent actuellement dépassés par l'ampleur des problèmes auxquels ils sont confrontés (toxicomanie, délinquance et criminalité, problèmes de santé mentale, etc.). Selon eux, ce sont l'épuisement et l'essoufflement qui empêchent l'engagement social. Et, plus que jamais, les membres de ce groupe envisagent de recourir aux ressources institutionnelles afin d'accroître l'efficacité de leurs services. 12. Ce critère est en révision pour un de ces groupes qui a de plus en plus de difficulté à recruter des membres. 13. À cet égard, la dernière enquête de Statistique Canada (1999, p. 43) est éclairante. Elle montre que les motivations des jeunes se révèlent différentes de celles des bénévoles en général. Les jeunes ont ainsi fortement tendance à pratiquer le bénévolat dans le but d'augmenter leurs chances de trouver un emploi (54 %), d'explorer leur propres capacités (68 %) et de mettre à profit leurs compétences et leurs capacités (82 %).
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Au-delà de cet examen, une question importante est soulevée : malgré l'augmentation du nombre de bénévoles au Canada depuis une dizaine d'années (5,3 millions en 1987 ; 7,5 millions en 1997), comment expliquer que les groupes, qu'ils soient subventionnés par l'État ou soutenus par l'Église, vivent de sérieuses difficultés de recrutement ? Cette situation peut être observée aussi bien chez les groupes d'entraide que chez les groupes philanthropiques. Comment interpréter cette absence momentanée de pulsion du coeur ? Plusieurs facteurs qui, selon toute vraisemblance, pourraient expliquer le ralentissement de l'action bénévole dans le domaine de la santé et des services sociaux. Outre les exigences reliées à la pratique du bénévolat elle-même et la complexification des problèmes sociaux, le manque de temps est maintes fois évoqué par les personnes rencontrées. Les pressions exercées par le marché de l'emploi, les exigences que commandent l'éducation des enfants, l'éclatement des familles, le soin à apporter aux parents malades sont d'autres motifs souvent exprimés. « Le temps que je consacre aux miens m'éloigne des étrangers qui pourraient sonner à ma porte », raconte une femme qui s'investit dans les soins auprès de sa mère atteinte de la maladie d'Alzheimer14. Dans le contexte du vieillissement de la population, du virage ambulatoire, puis de la reconfiguration des services de santé et des services, cette donnée prend tout son sens. C'est pourquoi il faut être attentif pour jauger la pertinence de confier au secteur bénévole la mission autrefois dévolue aux institutions publiques. Le bénévolat demeure un geste volontaire, mais aussi temporaire, et il serait illusoire d'utiliser cette pratique sociale pour répondre d'une manière continue à toutes les nouvelles catégories de population en difficulté. Certes, les groupes peuvent apporter une aide à autrui mais, de quelque manière que ce rôle leur soit conféré, il importe d'en fixer les limites, limites que la signification même du bénévolat suggère. Ces limites doivent être telles qu'elles permettent aux groupes bénévoles de demeurer des réseaux, en évitant qu'ils se transforment en quasi-appareils au service des appareils étatiques. Rappelons à ce propos les caractéristiques des réseaux : ils comportent des relations directes ou indirectes entre tous les membres pris deux à deux, l'action dans l'environnement externe demeure subordonnée à la
14. La dernière enquête de Statistique Canada sur le don montre bien que le nombre annuel moyen d'heures fournies par les bénévoles a diminué au cours des dix dernières années. En 1997, chaque bénévole a donné en moyenne 149 heures au cours de la période de référence, comparativement à 191 heures en 1987 (1999, p. 29).
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mise en commun dans le milieu interne, le recrutement se fait par des relations personnelles et non selon des règles officielles, la dépendance à l'égard des ressources financières qui viennent de l'extérieur est limitée. Quand ces caractéristiques s'atténuent, les groupes de bénévoles tendent à se transformer en quasi-appareils, avec les conséquences négatives que cela entraîne sur les motivations des membres et sur le maintien de leur participation au groupe. On peut avoir deux attitudes face à ces transformations qui menacent d'entraîner la disparition de certains groupes de bénévoles. La première est de penser qu'elles importent peu, puisque de nouveaux groupes succéderont à ceux qui auront disparu, tellement sont grandes les réserves de bénévolat qui existent dans la population. La seconde consiste à envisager des mesures qui viendraient restreindre la subordination des groupes aux appareils étatiques. Ainsi, au lieu que les subventions aux groupes soient données directement par les appareils étatiques, elles pourraient être décentralisées aux mains de conférences régionales, dirigées par des personnes compétentes et crédibles, indépendantes des groupes et de l'État. Ces conférences qui se chargeraient de la distribution des fonds aux groupes de bénévoles joueraient un rôle de tampon entre les appareils étatiques et les groupes. Elles seraient susceptibles d'atténuer les pressions étatiques qui entraînent les groupes à devenir des quasi-appareils. Cette seconde attitude semble préférable à la première. Si elle avait les effets escomptés, elle permettrait d'ailleurs que surgissent de nouveaux groupes, encouragés par la diminution des menaces à leur autonomie. CONCLUSION À l'entrée dans ce nouveau millénaire, la pratique bénévole s'effectue dans de nouvelles conditions marquant une rupture avec le système de référence (le réseau) qui les encadrait il y a quelques années. Les exigences qui entourent le bénévolat s'accommodent alors mal de la liberté que les individus y réclament. À un point tel que la majorité des groupes qui oeuvrent dans le domaine de la santé et des services sociaux connaissent une diminution de leurs effectifs et que le recrutement pose problème. Ce constat interpelle. En effet, l'adoption d'une forme plus hiérarchisée permettra-t-elle aux groupes bénévoles de conserver les caractéristiques qui leur sont propres, tels un enracinement dans le milieu, une approche intimiste et holistique, la gratuité des services, puis une souplesse dans
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l'intervention ? Car le danger qui guette les organisations plus structurées n'est-il pas de reproduire en elles-mêmes les défauts des institutions qu'elles contestent (Lemieux, 1982) ? Quoi qu'il en soit, la situation présente crée une impasse, même si les groupes ont le mérite d'offrir des services et de prêter attention à la condition des plus démunis. Aussi, dans le paysage québécois, la position des groupes oscille entre ceux qui, désespérés, décrètent une récupération et ceux dont l'inclination première consiste à surnager entre la liberté et la contrainte. « Nous ne savons pas comment traverser cette crise, dira une dirigeante. Les exigences d'efficacité, de rentabilité, de spécialisation des tâches ne sont pas toujours compatibles avec la réalité communautaire. » Confrontés à un financement toujours incertain, à une diminution de leurs effectifs bénévoles alors que paradoxalement les demandes de services sont en progression constante, les groupes déchantent. Entre la vitalité et l'adaptabilité, le coeur finit par s'épuiser. En conséquence, impuissance, appréhension et accablement marquent leur discours. Bref, pour plusieurs personnes rencontrées l'avenir autorise peu d'espoir. Toutefois, malgré les pressions exercées par le milieu, certains groupes réussissent à garantir et à élargir leurs pratiques. En effet, ceux qui parviennent à conserver les caractéristiques propres aux réseaux (solidarité, complémentarité des relations humaines, sentiment d'appartenance) et à vivre l'absence de rupture entre celui qui donne le service et celui qui le reçoit, pour reprendre un mot de Jacques T. Godbout (1992, p. 105)15, semblent avoir plus de facilité à maintenir et à développer une structure d'encadrement et de recrutement des bénévoles. Ces groupes orientent leurs membres vers la mission même qui les unit tout en leur apportant une attention particulière. Liberté dans le travail, plaisir d'être ensemble, possibilité de nouer des liens colorent leur engagement. De plus, ils affirment avec persistance leur vocation de réussir dans la recherche d'une société plus juste, en se rappelant ce qu'a dit le poète : « L'univers nous aide toujours à nous battre pour nos rêves. » 15. À ce propos, dans son beau livre Le don, la dette et l'identité (2000), Godbout montre bien comment le don se nourrit des liens primaires.
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LES PRATIQUES DES INTERVENANTS BÉNÉVOLES ET DES INTERVENANTS PROFESSIONNELS EN PRÉVENTION DU SUICIDE
DIANE CHAMPAGNE, Ph. D. Département des sciences humaines et sociales, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
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RÉSUMÉ Ce texte rend compte de la contribution des intervenants bénévoles et professionnels dans la construction du suicide en tant que problème social. Il vise également à cerner la réalité des pratiques des intervenants et à susciter la réflexion sur ces pratiques. Une recherche qualitative a permis d'identifier différents éléments du processus d'intervention ainsi que les idéologies dominantes de la pratique en prévention du suicide.
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LES PRATIQUES DES INTERVENANTS EN PRÉVENTION DU SUICIDE
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L'intervention de l'État relative au problème du suicide a été tardive. Ce problème a été officiellement reconnu par l'État canadien en 1974 avec la parution de Nouvelle perspective de la santé des Canadiens à l'époque du ministre Lalonde (Groupe d'étude national sur le suicide au Canada, 1987, p. 5). Les statistiques ont révélé qu'en 1971 le suicide était la cinquième cause de décès prématuré. Cette réalité a créé une urgence d'agir pour l'État dans sa préoccupation de vies perdues à cause du suicide. Quelques années plus tard, l'Etat québécois est venu à son tour reconnaître ce nouveau problème social, et manifester son intention d'élaborer une politique en prévention du suicide. L'un des moyens alors retenus pour maîtriser le problème du suicide réside dans la formation des intervenants bénévoles. Ceuxci sont donc formés et supervisés par des professionnels et leur travail correspond à celui que privilégient les centres d'intervention d'urgence, où les services d'écoute téléphonique représentent la forme d'intervention la plus connue. L'évolution des dernières années montre avec éloquence que le bénévolat subit actuellement des transformations importantes (voir notamment Lamoureux, 1991 ; Laforest et Redjeb, 1989). Le bénévolat en prévention du suicide, comme dans d'autres domaines connexes, s'inscrit dans la réalité d'un contexte où l'État, par ses règles, force à adopter une logique de plus en plus professionnelle et institutionnelle. C'est dans ce nouveau contexte de rapports avec l'État et les professionnels que la pratique actuelle des bénévoles en prévention du suicide s'accompagne d'obligations qui encadrent leur façon d'intervenir. C'est dans cette évolution du bénévolat qu'il convient de s'interroger sur l'impact du renouveau de cette pratique et la signification de l'action bénévole dans ce contexte. Il est utile de préciser, au point de départ, que la réflexion proposée ici se fonde sur une étude récente (Champagne, 1997) où nous avons tenté de comprendre la contribution des intervenants bénévoles et professionnels dans la construction du suicide en tant que problème social. Le premier objectif de cette recherche était de porter une réflexion théorique sur la construction du suicide défini comme problème social par les intervenants bénévoles et professionnels et de saisir la nature des significations entourant l'objet du suicide. Le deuxième objectif était de rendre compte de la réalité des pratiques des intervenants et de susciter la réflexion sur ces pratiques. Cette étude a été conduite dans la région de l'Abitibi-Témiscamingue. La stratégie de recherche utilisée repose sur une méthodologie de type qualitatif. Fondée sur des récits de pratique, elle a permis de documenter l'expérience de pratique de 40 intervenants bénévoles et professionnels (25 bénévoles, 15 professionnels) qui exercent leur action dans le cadre de la prévention du suicide depuis un an et plus. Afin de définir les modèles de pratique mis en place pour prévenir le suicide, les éléments suivants
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seront considérés : le contexte de la pratique, la formation dispensée, les significations du suicide et de l'intervention, les mécanismes motivationnels conduisant à l'entrée dans le bénévolat ainsi que l'agir des intervenants en situation d'intervention. Enfin, cet article tente de répondre à la question suivante : malgré les contraintes imposées, bénévoles et professionnels arrivent-ils à développer une certaine complicité au regard de la production d'un nouveau savoir sur l'objet du suicide ? MISE EN CONTEXTE DE LA PRATIQUE Au Québec et au Canada, c'est l'étude de Campagna en 1976 qui est venue stimuler les efforts d'organisation pour prévenir le suicide. Jusqu'à cette date, la prévention du suicide comme principale préoccupation au Québec était presque inexistante. Le premier centre de prévention du suicide au Canada a été fondé en 1979 à Québec. Dès le début des années 1980, les bénévoles assument un rôle de leadership au niveau de la conscientisation et de la modification des conceptions du suicide. Ces groupes ont réussi à mettre en place des organisations un peu partout au Québec. Ils ont demandé publiquement, par divers moyens (colloques, médias, etc.), le soutien et l'implication de l'État. Ils ont ainsi obtenu une reconnaissance publique et l'appui financier de l'État. Le mouvement de prévention du suicide prend sa dynamique dans le contexte des réformes institutionnelles qui favorisent l'action communautaire et le partenariat avec le réseau public. Ce projet se situe également dans le contexte de la privatisation de l'État qui se retire graduellement des programmes sociaux pour s'appuyer de plus en plus sur les structures émergeant des groupes du milieu. Deux types d'intervenants sont impliqués dans la pratique en prévention du suicide, soit des intervenants bénévoles et des intervenants professionnels. Les intervenants professionnels regroupent principalement les intervenants des CLSC affectés au dossier de prévention du suicide, par l'intermédiaire du programme de santé mentale, les formateurs, les superviseurs et coordonnateurs du programme de prévention du suicide au niveau de la Régie régionale de la santé et des services sociaux et de la Table de concertation régionale en prévention du suicide. Comment se distingue leur façon d'intervenir ? Il existe dans les écrits différents avis à ce sujet. Les intervenants bénévoles réussissent-ils à développer une pratique singulière ou leur pratique s'apparente-t-elle à celle de la logique des professionnels ?
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CONCEPTION DU BÉNÉVOLAT La notion de bénévolat a été examinée par plusieurs auteurs. Pour Godbout (1992, p. 109), le terme bénévole renvoie à un « [...] acte volontaire, librement accepté, gratuit au sens de libre [...] ». Ces activités se situent en dehors du monde du travail et de la production, en dehors de la rupture créée par le rapport salarial. Par ailleurs, Guay (1984) nous offre une définition du bénévolat plus proche du monde professionnel en disant qu'il s'agit de la forme la moins naturelle d'aide non professionnelle, parce que c'est essentiellement un travail, même s'il n'est pas rémunéré. L'auteur rejoint cependant Godbout en décrivant le bénévolat comme un geste libre qui exprime une conscience humanitaire et communautaire et le sens des responsabilités sociales. Nous pouvons situer les intervenants bénévoles de prévention du suicide dans ce que Guay et Lapointe (1985) nomment l'aide formelle. La formation des bénévoles en prévention du suicide est donc fortement empreinte du modèle des professionnels. Les bénévoles s'entendent pour dire que l'intervention est très exigeante et s'apparente davantage à un travail. Voici la réflexion de l'un d'entre eux : « J'ai vérifié, l'an passé. J'ai donné au-dessus de 600 heures de bénévolat en prévention du suicide. Être sur un conseil d'administration, dans un sous-comité, plus la ligne d'intervention téléphonique. J'avais l'impression que c'était un travail à temps plein. » Ces perceptions du travail bénévole montrent que nous nous écartons de plus en plus du bénévolat traditionnel, plus spontané et inspiré par des valeurs morales et des pratiques de dévouement. Le bénévolat actuel correspond à ce que Redjeb (1991) a nommé le « néo-bénévolat », qui s'inspire du mode d'organisation des services parapublics. Ainsi, le bénévolat des temps modernes est marqué par une division du travail qui s'apparente à celle des bureaucraties modernes. « On a beaucoup de documents au niveau gouvernemental qu'on doit remplir, ça demande encore plus de temps, il faut aller chercher l'information, comment remplir nos affaires, comment fonctionner. » Une autre difficulté importante soulevée dans les discours des intervenants est la précarité des ressources financières. Cette précarité oblige à concentrer l'énergie pour aller chercher des sources de financement au détriment du développement des services à la population. « Quand tu es bénévole, on s'essouffle à aller chercher du financement, puis tout ce qui est matériel et on est plus capable de répondre parce que toutes nos énergies vont pour le fonctionnement, sur la paperasse. C'est exactement ce qu'on est en train de faire. » Cette précarité s'inscrit dans une diminution constante du soutien financier de l'État qui devient de plus en plus indifférent au développement social des personnes et de plus en plus soucieux de l'aspect économique.
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Une autre difficulté importante est liée au mouvement des bénévoles. En effet, la capacité de conserver les bénévoles et de s'assurer un renouvellement est une préoccupation inhérente à toute organisation bénévole. Pour conserver l'intérêt des bénévoles, Guay (1984) affirme que ceux-ci doivent être occupés de façon régulière, mais sans être surchargés. On ne doit pas non plus leur confier des tâches trop difficiles. Toutefois la meilleure façon de maintenir l'intérêt du bénévole est de pouvoir satisfaire le besoin personnel qui les a poussés à devenir bénévoles. Il apparaît donc important d'établir aussi rapidement que possible le lien entre la motivation et l'intervention bénévole. Le consensus largement répandu dans le discours des intervenants bénévoles de notre étude fait émerger principalement deux grandes motivations, soit le besoin de croissance personnelle et l'importance d'établir des contacts avec les autres. Qu'ils soient intervenants bénévoles ou professionnels, il existe peu de différence quant à l'image qu'ils se font de l'intervention en prévention du suicide. Ils utilisent davantage un discours qui est représentatif de leurs conditions d'intervenants dans le contexte de cette problématique. Selon les intervenants, l'importance accordée à la protection de la vie se dégage nettement dans les discours, en suivant une variation quant à l'intensité des croyances. D'entrée de jeu, prévenir le suicide, c'est opter pour la promotion de la vie. À cette protection de la vie s'ajoute la croyance que la meilleure façon d'intervenir en prévention du suicide est de diversifier l'intervention parce que beaucoup de personnes en détresse suicidaire n'utilisent pas la ligne d'intervention téléphonique. Toutefois, on ne remet pas en cause le bien-fondé de la ligne d'intervention téléphonique ; celle-ci offre un espace à des personnes qui n'iraient pas nécessairement chercher le soutien ailleurs. LA FORMATION DES BÉNÉVOLES Bien que la formation des bénévoles en prévention du suicide soit nettement inspirée par le modèle des professionnels, on ne peut présumer que les connaissances professionnelles reçues sont intégrées telles quelles. La formation des bénévoles comporte des notions théoriques sur le suicide, la crise suicidaire, la dépression, de même que sur l'intervention de crise et l'évaluation du potentiel suicidaire. Dans le cadre des programmes de formation, les bénévoles sont appelés à développer la capacité de reconnaître le risque suicidaire et l'urgence d'intervenir. Dans les différentes régions du Québec, nous retrouvons surtout des services d'intervention téléphonique auprès de la personne suicidaire, de même que des services
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LES PRATIQUES DES INTERVENANTS EN PRÉVENTION DU SUICIDE
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de sensibilisation au problème du suicide. L'objectif central est de désamorcer la crise suicidaire et d'orienter la personne vers des services d'aide extérieure auprès d'un organisme ou d'un professionnel. Les programmes de prévention du suicide au Québec et au Canada s'inspirent largement du modèle de Los Angeles, où se trouve le premier centre spécialisé en prévention du suicide en Amérique du Nord. La perspective qui ressort avec évidence des discours des intervenants et des écrits sur la formation en prévention du suicide est d'abord et avant tout une formation qui emprunte grandement aux théories professionnelles. La structure d'intervention, telle qu'elle est connue à travers le processus de formation, se présente avant tout comme la protection de la personne suicidaire. Les intervenants rencontrés semblent parfaitement conscients de l'importance de bien évaluer le risque et l'urgence suicidaire. Il se montrent toutefois plus désemparés et démotivés face à un appelant dit « fréquent » qui présente un risque moyen et une urgence faible. Voici la perception d'une intervenante qui résume bien l'opinion des intervenants. J'ai fait la remarque à des superviseurs que durant la formation, ils devraient nous dire que c'est pas des cas de « revolver » à toutes les fois qu'on a au bout de la ligne là, tu sais. Puis qu'il y a beaucoup d'appelants fréquents, puis qu'il faut se mettre dans la tête que c'est pas axé là-dessus. Ils ne nous le disent pas assez dans la formation. Les appelants désignés comme appelants fréquents représentent une importante source de démotivation pour les intervenants bénévoles, ainsi qu'en témoigne cet intervenant. « Avec les appelants fréquents, c'est moins valorisant sur le moment, t'as pas l'impression d'avoir sauvé une vie. On se sent moins important. » Dans l'ensemble, les intervenants bénévoles et professionnels se sentent plus à l'aise et plus valorisés d'intervenir lorsqu'il s'agit d'une situation de crise. La formation semble en effet mettre peu l'accent sur les appelants dits fréquents. Toutefois, on trouve les consignes suivantes : 1. Limiter dès le départ le temps à un maximum de trente minutes ; 2. Clarifier l'attente de l'appelant ; 3. Centrer l'appel sur le présent et l'évaluation de l'urgence ; 4. Mettre l'accent sur un thème précis et des moyens concrets de résolution de problème ; 5. Si l'appelant refuse de collaborer, limiter l'appel et l'inviter à rappeler quand il se sentira prêt. La formation initie également à l'apprentissage de techniques d'intervention en relation d'aide professionnelle. Malgré le discours sur l'importance de l'utilisation du potentiel d'aidant naturel, la formation donnée nous met en présence de pratiques dans lesquelles on retrouve les mêmes constantes que dans l'intervention professionnelle. Les notions les plus fréquemment utilisées par les intervenants bénévoles sont celles
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME Il • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
de l'écoute, du soutien, du respect, du non jugement, de la ventilation, du reflet et de l'authenticité. Mentionnons également que s'ajoutent à la formation de base des formations spécifiques sur des thèmes particuliers. De plus, les intervenants bénévoles bénéficient d'un encadrement et d'un suivi réguliers. Les bénévoles se disent en majorité satisfaits du soutien qu'ils reçoivent des professionnels. Ils souhaiteraient toutefois se rencontrer plus souvent au niveau régional dans le cadre de colloques ou d'activités sociales, afin d'échanger leurs points de vue. Les éléments les moins satisfaisants sont ceux qui se rapportent à l'aspect plus bureaucratique. Un autre aspect est l'absence de reconnaissance sociale particulièrement liée au statut de travail invisible de ce genre de bénévolat. En résumé, la formation en prévention du suicide, tout en favorisant la reconnaissance et la valorisation des aidants naturels, emprunte largement à l'expertise professionnelle. L'encadrement de l'intervenant bénévole doit également être rigoureux et soumis à des règles précises tout en étant démocratique. Le modèle proposé est de type plutôt autoritaire, établi selon des normes, des techniques, une codification précises. LE MODÈLE PROFESSIONNEL De manière générale, les modèles de pratique professionnels sont guidés par des règles bureaucratiques qui favorisent la compartimentation et l'individualisme. Dans le modèle professionnel, l'intervenant doit se plier à une vision individualisée des problèmes et même à une fragmentation de l'individu. On fragmente la personne en partageant entre plusieurs spécialistes les services à offrir à un même individu. Le professionnel est de plus soumis aux normes et aux critères de l'institution. Il doit respecter une procédure standardisée. Le professionnel n'est cependant pas complètement assujetti à l'application mécanique des exigences de l'institution. Son univers conceptuel est aussi influencé par sa formation scolaire, sa propre expérience de pratique et son expérience de vie personnelle. Il demeure qu'avec un tel fonctionnement il est peu probable qu'une relation significative puisse s'établir entre le professionnel et la personne en demande d'aide. Ainsi ficelées par les règles bureaucratiques, les qualités personnelles et humaines, de même que l'expression de la créativité, sont fortement étouffées. Comme motivation, le professionnel tire sa gratification de son statut social et de la satisfaction qu'il éprouve à trouver une réponse aux problèmes d'une autre personne.
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Les modèles utilisés pour intervenir auprès des personnes suicidaires peuvent en fait se répartir en deux grandes catégories. Signalons d'abord les interventions de type analytique, auxquelles s'ajoute souvent une médication antidépressive, et les interventions que l'on qualifie d'interventions en situation de crise. Dans les interventions de premier type, les recherches de Lesse (1962) montrent l'importance de l'expression de l'agressivité. On insiste également sur la nécessité d'amener les patients à prendre conscience que leurs problèmes résultent d'une mauvaise adaptation à leur entourage. Le deuxième type d'intervention préconise plutôt l'action en situation de crise. Farberow (1967), l'un des fondateurs du premier centre de prévention du suicide aux États-Unis, donna le ton à ce type d'approche qui est aujourd'hui adopté par la plupart des centres de prévention du suicide. Selon cette approche, l'intervention auprès d'une personne suicidaire doit être active, autoritaire et elle doit mettre à contribution les personnes significatives de l'entourage de la personne. Contrairement à ce qui se fait dans d'autres types d'interventions, le thérapeute doit intervenir rapidement et avec peu d'information. Nous savons que l'attitude des personnes qui côtoient la personne suicidaire a un impact important sur la suite des idées suicidaires et peut aussi agir comme facteur précipitant du suicide (Schneidman et Farberow, 1957 ; Lester et Lester, 1971). De ce fait, les attitudes des différents intervenants professionnels et bénévoles méritent d'être examinées. Plusieurs études démontrent l'incapacité d'un bon nombre de professionnels (omnipraticiens, infirmières, thérapeutes, etc.) à comprendre la souffrance vécue par le suicidaire. Les résultats révèlent que le suicide demeure un geste stigmatisé et honteux dans notre société (Stengel et Farberow, 1968). Shein (1976) relève deux sources à cette incapacité, soit le manque d'information sur la problématique du suicide et l'anxiété personnelle vécue face au suicide. D'autres études, comme celles de Bloom (1975), illustrent l'impact de la réaction affective de rejet du thérapeute face aux patients suicidaires. Ces réflexions sur les modèles d'intervention des intervenants bénévoles et professionnels nous indiquent que l'intervention demeure fortement dominée par le paradigme médico-scientifique axé sur le traitement individuel du problème, autant chez les professionnels que chez les bénévoles. Un autre constat est que l'interdit social du suicide qui frappe les sociétés occidentales est encore fort. Bien souvent le suicide effraie et est perçu comme le résultat d'une folie. Que ce soit par anxiété ou par manque de formation, les patients suicidaires éveillent un malaise chez les intervenants. Par ailleurs, il semblerait que les bénévoles soient plus à l'écoute des suicidaires, qu'ils leur
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accordent plus de temps pour exprimer leurs sentiments de désespoir. Le facteur temps doit donc être retenu, car il pourrait expliquer les différences dans les attitudes adoptées par les bénévoles et par les professionnels auprès des suicidaires. ÉVOLUTION DES CONCEPTIONS DE LA NOTION DU SUICIDE Afin de mieux saisir le cadre dans lequel s'inscrivent l'action des intervenants bénévoles et professionnels et la contribution de ces derniers à la construction du suicide en tant que problème social, nous allons tracer un bref historique de l'évolution des conceptions de la notion de suicide. Le comportement du suicidaire a été construit comme un problème social par les discours moral, légal, scientifique et politique des différents acteurs. L'évolution des conceptions se situe également à l'intérieur de périodes et de contextes sociopolitiques spécifiques (Spector et Kitsuse, 1977). La recension des ouvrages portant sur l'histoire du suicide en Occident nous amène à retenir trois grandes périodes à travers lesquelles nous tenterons de dégager les principales conceptions du suicide. Dans l'Antiquité, première grande période, avait cours une conception plutôt permissive. A cette époque, l'école de pensée stoïcienne prônait que le devoir de l'homme est d'obéir aux dieux, d'agir selon la raison, de suivre la nature (Veyne, 1980). Le suicide devient donc sujet d'admiration si la décision a été prise de façon raisonnable et en pleine liberté. Cette assertion ne vaut cependant pas pour n'importe quel individu. La morale stoïcienne était en effet différente pour les esclaves et pour les soldats qui ne pouvaient être considérés comme ayant des motifs raisonnables et ne pouvaient bénéficier de la liberté intérieure réservée à l'aristocratie. Ces suicidés étaient vus comme une perte économique pour leurs maîtres et pour les droits de l'État. À la seconde grande période, celle de la chrétienté occidentale, on se prononce avec autorité contre le suicide, en invoquant qu'il représente un crime et un péché contre Dieu et la société. Cette logique religieuse répressive engendre la peur et la culpabilité par rapport au suicide. La classification des types de suicides était beaucoup plus simple que la nôtre et visait à déterminer à qui seraient confiés les biens du suicidé, et quel sort serait réservé à son corps. Lorsque le suicidé était jugé atteint de folie, donc irresponsable de son acte, ses héritiers pouvaient conserver ses biens et son corps pouvait recevoir une sépulture en terre chrétienne. Le deuxième type de suicidé, celui qui se tue pour toute autre raison que la folie, était déclaré responsable de son acte ; ses biens étaient alors confisqués et son corps privé de sépulture chrétienne (Schmitt, 1980).
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Le christianisme, à cette époque, constitue une force politique importante qui a particulièrement fondé et façonné notre culture occidentale. C'est sous son influence que le suicide entre dans le domaine du droit. Forts de leur pouvoir, l'Église et l'État font alliance contre le suicide en adoptant une logique répressive qui dominera jusqu'au XXe siècle. La troisième grande période est celle de la société moderne, qui pose le suicide en termes de problème et de maladie attribuables à la personne même. Les intérêts de la collectivité ont lentement cédé la place à la promotion de ceux de l'individu. Le mouvement humaniste vient appuyer cette montée de l'individualisme où la vie représente la valeur dominante. Nous comprenons qu'avec la prédominance de la valeur accordée à la vie le suicide cause problème. Dans une perspective de progrès et de rendement, la mort naturelle et la mort volontaire n'ont pas leur place. C'est dans cette logique de gestion de la vie que le suicide a été soustrait du Code criminel et qu'on en a fait une maladie. Il ne semble pas y avoir d'autre explication justifiant le transfert du suicide du pénal au médical, sinon la force du pouvoir médical. Szasz (1980, p. 120) affirmera : « On n'a pas découvert que le suicide était une maladie : on a décidé que c'en était une. » L'apparition des premières statistiques et la formulation des premières théories imposent la notion de suicide pathologique et fournissent un principe d'explication à l'intérieur de la personne. Cette domination de la psychiatrie contribue largement à stigmatiser le suicidé dans nos sociétés. Foucault (1975) avance que si le suicide n'est plus puni par la loi, il est puni autrement. Ainsi, au nom de la préservation de la vie, la médecine et ceux qui se donnent pour mission de prévenir le suicide n'hésitent pas à utiliser des moyens coercitifs comme l'internement obligatoire pour protéger une personne jugée dangereuse pour ellemême. Les études des experts médicaux et professionnels ont eu une incidence sur la formulation des politiques sociales. En s'associant aux experts, l'État a permis de maintenir leur pouvoir d'expertise et leur mainmise sur l'étude du suicide. Les intervenants bénévoles, à notre connaissance, n'y ont pas participé. Ces études ont légitimé les positions de l'État et justifié les définitions des comportements suicidaires. Pourtant, il n'existe pas de définition universelle du suicide. La définition la plus commune (Tousignant et Mishara, 1987) suppose que la victime doit avoir manifesté l'intention de se suicider. La question de l'inférence des intentions n'est pas toujours simple, puisqu'on ne précise pas les critères pour établir cette intentionnalité. Si la définition du suicide et des comportements suicidaires n'est pas neutre et objective, elle suscite de nombreuses questions et controverses. Il en est de même pour les données statistiques concernant la mortalité
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par suicide. Pour Maxwell et Atkinson (1971) les mortalités sont en fait définies par les contextes sociaux où elles prennent place. L'étiquette « suicide » sera donc appliquée seulement si les caractéristiques sociales associées au décédé sont en accord avec les idées de la personne qui applique cette définition aux types de facteurs qui ont causé le suicide. L'émergence du suicide comme problème social et scientifique entraîne la mobilisation de plusieurs groupes dont l'objectif est de prévenir le suicide. C'est au nom de la valeur de la vie humaine que différents groupes (bénévoles, professionnels, clergé, policiers, etc.) veulent se donner un mandat de surveillance de la vie en tentant de dissuader et d'aider les suicidaires. LES THÉORIES EXPLICATIVES Plusieurs théories explicatives ont été élaborées pour tenter de comprendre le phénomène du suicide. Les plus souvent retenues comme cadres conceptuels sont: l'approche sociologique (Durkheim, 1879) l'approche médicopsychiatrique (Freud, 1910, 1917, 1920), l'approche biologique (Roy, 1983 ; Asberg, 1975), l'approche stratégique (Baechler, 1975), l'approche psychologique (Léonard, 1967 ; Ringel, 1953 ; Quidu, 1970 ; Menninger, 1938 ; Shneidman, 1960). Ces auteurs sont cités dans Grégoire, Phaneuf et Perron (1979). Dans la perspective du constructivisme, les différentes théories qui se sont développées pour étudier le suicide représentent en fait les différents discours, les croyances de la société à son égard. Cette perspective a eu un impact important sur la façon de définir ce qu'est un problème social. À ce sujet, Mayer et Laforest (1990, p. 34-38) ont montré le point de vue de plusieurs auteurs qui s'inscrivent dans la perspective du constructivisme. Nous retenons ici particulièrement le point de vue de Spector et Kitsuse (1977, p. 75) qui mettent l'accent sur les processus de construction sociale des problèmes sociaux. Dans cette perspective, les problèmes sociaux sont abordés à partir des activités des individus qui réussissent à les faire émerger en tant que problèmes. Le processus de définition des problèmes sociaux est également relié aux intérêts des individus ou des groupes qui cherchent à s'approprier un champ d'intervention. Pour les constructivistes, les faits ou les conditions qui constituent les problèmes sociaux sont inséparables des acteurs sociaux. Dans cette étude, nous avons voulu cerner le point de vue d'un groupe important dans la définition du suicide en tant que problème social, soit celui des intervenants bénévoles et professionnels. La perspective du constructivisme permettra de mieux comprendre comment s'est
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construite la connaissance du suicide par l'analyse des rapports entre les raisons données par les intervenants pour intervenir et les significations personnelles qu'ils donnent à la situation du suicide. TRAJECTOIRE SOCIALE DES INTERVENANTS BÉNÉVOLES ET PROFESSIONNELS OU MÉCANISMES MOTIVATIONNELS CONDUISANT À L'ENTRÉE DANS LE BÉNÉVOLAT La décision d'intervenir en prévention du suicide implique des représentations et des modes de pratique qui sont construits socialement et culturellement par les individus qui en font l'expérience personnelle. Ainsi s'impose la nécessité de consulter ceux-là mêmes qui vivent l'expérience d'intervenir en prévention du suicide, ceux qui possèdent selon Geertz (1983) un savoir local. C'est donc à partir du regard que les personnes portent sur leur motivation à agir et sur le phénomène du suicide que l'on prendra connaissance de la trajectoire qui les a conduits à légitimer leur choix d'intervenir en prévention du suicide. Ces motivations renferment une diversité de sens construits à partir d'éléments du passé et s'appuyant sur une projection dans l'avenir. L'analyse des pratiques et des discours véhiculés par les intervenants bénévoles et professionnels dans les récits de vie s'articulent principalement autour de quatre types de motivations. Le premier type concerne ce que nous appellerons le rapport à soi et le rapport à l'autre, le deuxième porte sur le rapport à la responsabilité sociale et à la valeur accordée à la vie, le troisième renvoie au travail et le quatrième, à la dimension religieuse. Ces types de motivations ont été énumérés dans l'ordre des discours les plus souvent formulées par les intervenants. Afin d'en arriver à une compréhension éclairée, nous allons confronter les propos des intervenants aux principales études ayant traité de ces questions. RAPPORT À SOI, RAPPORT À L'AUTRE L'importance du rapport à soi, du développement personnel est le thème qui touche le plus grand nombre de personnes rencontrées. Dans plusieurs récits, c'est la proximité d'expériences de vie difficiles qui éveille et fait s'interroger sur le sens à donner au suicide. Comme Romeder (1981, p. 12) nous avons pu constater que la recherche d'une satisfaction à ses besoins de croissance personnelle est aussi fondamentale que les besoins de l'aide aux autres. De plus, Caplan, Mason et Kaplan (1977) observent que la recherche active d'information constitue un élément important d'adaptation à des situations difficiles en permettant une compréhension plus
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grande et une meilleure maîtrise d'une situation donnée. Pour certaines personnes interrogées, ce sont des situations de deuil qui les ont conduites au bénévolat, deuil lié à une séparation, à la perte d'un être cher. Ce peut être aussi le fait d'avoir soi-même vécu un processus suicidaire ou d'avoir perdu quelqu'un de son entourage à la suite d'un suicide. En s'engageant dans une action de bénévolat, certains voulaient oublier leurs problèmes personnels ou mieux en comprendre le sens. Plusieurs retombées positives sont relatées dans les récits. Il s'agit d'éléments se rapportant au sens de cette expérience dans la vie des participants. Ces différents éléments sont l'acquisition d'une reconnaissance personnelle, d'une ouverture à l'autre, particulièrement aux personnes qui sont proches de soi. L'implication en prévention du suicide répond également au besoin du rapport à l'autre. Pour les intervenants bénévoles et professionnels, le groupe d'intervenants constitue un espace qui permet de rejoindre l'autre, de tisser des relations interpersonnelles, de vivre une expérience d'appartenance. Ce même scénario se répète dans plusieurs récits. Pour certains, le groupe agit comme un groupe d'entraide permettant de faire face aux difficultés éprouvées et de partager son vécu. Plusieurs rapportent avoir connu des épisodes suicidaires sans avoir pu en parler ou sans avoir pu compter sur des personnes proches. D'autres ont reçu un appui de l'entourage, ils ont pu en profiter et veulent à leur tour apporter une écoute aux autres. D'autres encore ont vécu un fort sentiment de culpabilité à la suite du décès par suicide d'un proche ou d'un client. Ces opinions exprimées dans les récits correspondent aux résultats d'une étude menée par Domino et Limbacher (1986) selon laquelle les personnes qui ont ellesmêmes expérimenté une situation suicidaire ou qui ont été en contact avec des suicidaires démontrent des attitudes plus empathiques et sont plus à l'écoute d'autres personnes éprouvant le même genre de difficultés. Ces motivations qui surgissent de l'expérience de vie des personnes semblent venir agir comme moyen de protection et ouvrir la relation avec l'autre et avec soi. LA RESPONSABILITÉ SOCIALE L'analyse du contenu des entrevues révèle que la question de la responsabilité sociale au regard de la valeur accordée à la vie sert de toile de fond au désir d'intervenir tout en donnant un sens à l'action des intervenants bénévoles. Ces valeurs motivationnelles s'inscrivent bien en accord avec les valeurs de la société occidentale moderne où la protection de la vie représente une valeur dominante et la mort, une ennemie à combattre (Morin, 1970). Cette valeur accordée à la vie est particulièrement manifeste en ce qui concerne la jeunesse. La mort par suicide représente un
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tabou encore plus fort que dans le cas de la mort naturelle. Les intervenants sont sensibles à l'importance de venir en aide aux personnes qui connaissent des difficultés dont l'issue peut être la mort. L'ENGAGEMENT PROFESSIONNEL Les motivations liées au travail doivent se comprendre comme une croyance dans le travail communautaire, principalement chez les intervenants professionnels et les étudiants. Certains professionnels agissent comme bénévoles et leur intervention s'inscrit ainsi en continuité avec leur travail professionnel en relation d'aide. Pour d'autres intervenants bénévoles, leur action s'inscrit en rupture avec leur travail quotidien en apportant la dimension des rapports humains qui est absente de leur travail rémunéré. Certains récits nous ont appris que le bénévolat en prévention du suicide a été l'occasion d'une remise en question sur le plan de leur trajectoire professionnelle, puisqu'ils ont fait le choix d'une réorientation de carrière dans une profession de relation d'aide. LES CROYANCES RELIGIEUSES La dernière motivation invoquée est issue de croyances religieuses particulièrement marquantes chez deux intervenants bénévoles. Le levier n'est pas ici une question de charité mais constitue une référence importante qui incite à faire profiter les autres du soutien qu'ils ont reçu dans la dimension spirituelle. En fait, le fil conducteur qui mène à l'intervention bénévole revêt une diversité de sens et est lié au sens de cette expérience dans la vie des intervenants. De plus, les retombées heureuses sur la vie personnelle et interpersonnelle des intervenants démontrent l'intérêt personnel qu'on y trouve. Ainsi, l'intervention bénévole semble s'articuler au double besoin de donner et de recevoir en retour. La motivation à intervenir bénévolement renvoie à diverses réalités. Les uns insisteront sur des valeurs altruistes comme le mieux-être de la société dans laquelle ils vivent. D'autres s'inspireront de la notion de charité chrétienne en invoquant l'oubli de soi ou le don aux autres. Pour Romeder (1981, p. 12), si de telles motivations peuvent animer les personnes qui interviennent bénévolement, ces deux pôles ne sont pas la motivation essentielle de la majorité des bénévoles. En général, l'être humain doit être capable, dans ses activités bénévoles ou professionnelles, de satisfaire autant ses besoins personnels que ceux des autres, de recevoir et de donner. N'est-ce pas là l'essence même de l'aide ? Maslow (1970) fait la distinction entre ce qu'il appelle la thérapie profane et la thérapie technique. Il définira la thérapie profane comme étant plus simple, plus
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courte et visant la satisfaction de besoins fondamentaux comme la sécurité, l'appartenance, l'amour et l'estime de soi. En ce qui concerne la thérapie technique, il la décrira comme étant plus longue, allant plus en profondeur et visant une certaine compréhension (insight). Cette forme de thérapie requiert une formation professionnelle. C'est à la thérapie profane que correspond l'action des intervenants bénévoles : thérapie appliquée à eux-mêmes et thérapie appliquée aux autres. Le discours des intervenants bénévoles dégage un principe fondamental voulant que l'aide apportée à une personne soit en même temps l'occasion de s'aider soi-même, de se développer. LES REPRÉSENTATIONS ENTOURANT L'OBJET DU SUICIDE Comme l'indique Douglas (1966), les actes sociaux sont causés ou motivés d'une certaine façon par des significations que leur attribuent les individus et que partagent les membres de la société. Ainsi, les représentations sociales constituent des éléments importants pour la compréhension du sens d'un acte social comme le suicide. Pour comprendre et décrire le phénomène du suicide, les intervenants font référence à deux grands facteurs explicatifs. Il s'agit des éléments reliés à l'individu et des éléments reliés à l'environnement social. ÉLÉMENTS RELIÉS À L'INDIVIDU En ce qui concerne les éléments reliés à l'individu, la grande majorité des participants à l'étude insiste sur des déficits des personnes : le manque d'estime de soi, le manque d'amour, un état de souffrance intense, un manque de solutions de rechange, les valeurs qui s'écartent du choix de la majorité et l'accumulation des problèmes. Ces représentations rejoignent le modèle dominant qui insiste sur les lacunes des personnes et sur leur responsabilité de les combler. Par-dessus tout, ces représentations illustrent que l'acte du suicide se présente non pas comme un simple lien de cause à effet, mais se situe plutôt dans un système d'interactions et d'interrelations qu'il faut comprendre en termes de mutations difficiles à réaliser ou à accepter. En fait, l'acte du suicide est peut être indissociable d'une recherche de reconnaissance sociale et du rapport à l'autre qui peut-être lu comme l'expression intense d'un désir de vivre différemment. La littérature (Durkheim, 1990 ; Freud, 1917 ; Baechler, 1975) nous indique qu'il existe une diversité de sens
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ou de motivations au fait de vouloir s'enlever la vie. Ces différents sens nous incitent à écarter l'idée d'une représentation unique pour expliquer le développement d'un processus suicidaire. ÉLÉMENTS RELIÉS À L'ENVIRONNEMENT SOCIAL Les informations recueillies auprès des intervenants montrent que ces derniers prennent également en considération l'explication sociale de la désorganisation de la société, laquelle se traduit par des représentations touchant la situation économique, les pressions sociales, les conditions de vie, l'absence d'un projet de société, la pauvreté. Elles renvoient également à un réseau d'entraide affaibli sur le plan de l'entourage plus immédiat de la famille, de l'éducation et des ressources privées et publiques. C'est par la rupture entre le lien social et l'économie, de même que par les multiples pressions sociales, que basculent les destins des individus. Nous pouvons établir le parallèle ici avec le concept de l'anomie élaboré par Durkheim, montrant que le taux de suicide augmente inversement du degré d'intégration des individus. Ce concept semble pertinent dans la société actuelle où semble exister une inégalité sociale devant le suicide. En effet, contrairement à ce que soutenait Durkheim (1897), la misère ne semble plus protéger du suicide. Au contraire, la pauvreté économique et sociale apparaît déterminante si l'on considère le nombre de plus en plus grand d'exclusions conduisant à un état d'isolement des personnes des réseaux de solidarité. Cette étude rapporte également la prévalence de valeurs culturelles très traditionnelles, essentiellement rapportées à l'espace familial, qui servent à départager deux types de familles les familles dites normales et les familles marginales. C'est à ces conditions qu'il devient possible d'avoir une place dans l'espace social des interrelations. L'effet protecteur de la vie familiale est remis en cause par les intervenants devant l'augmentation considérable des suicides chez les jeunes. Ces perceptions et les études scientifiques (Tousignant, Hamel et Bastien, 1988 ; Pronovost et al., 1995) menées sur les dimensions reliées à la communication et au soutien parental viennent souligner l'importance de l'intervention auprès des familles. Toutefois, la réalité de l'intervention se limite le plus souvent à des actions individuelles auprès des jeunes. Les intervenants font davantage référence ici à la relation du suicidaire à son entourage. Nous pouvons extrapoler cette compréhension, également, aux relations déficientes des personnes âgées et des exclus de la société. Dans le contexte de ces représentations, on peut penser que le suicide s'inscrit dans une stratégie d'appel aux interrelations à autrui.
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En résumé, les représentations exprimées laissent à penser que les raisons d'ordre personnel et social s'entremêlent au point qu'il est inutile de chercher à les saisir à l'aide d'une méthode objective. Il est donc plus important de faire porter l'analyse au niveau d'une introspection subjective pour saisir les compréhensions du suicide. Cette analyse nous permet de constater que l'acte du suicide peut revêtir plusieurs sens pour les intervenants. Toutefois, le fait de vouloir mourir, de renoncer à la vie, est considéré comme un problème social majeur, puisque le suicidaire suscite autour de lui une inquiétude envahissante quant à la valeur accordée à la vie et au rejet de la mort. Finalement, nous sommes à même de constater le lien d'interinfluence entre la motivation à intervenir et la façon dont on se représente le suicide. LE PREMIER MODÈLE DE PRATIQUE : LA PRATIQUE PARAPROFESSIONNELLE UN DISCOURS ET DES PRATIQUES AXÉS SUR LA CRISE La pratique d'intervention en prévention du suicide a besoin, pour s'exercer, d'une organisation des connaissances. Les intervenants bénévoles satisfont à cette exigence par une formation de base de 45 heures. Cette formation vise à leur fournir une grille de lecture commune pour qu'ils puissent intervenir de façon uniforme sur les éléments jugés essentiels. Elle comporte des notions théoriques sur le suicide, la crise suicidaire, la dépression et l'évaluation du potentiel suicidaire. La formation montre également des techniques d'intervention en relation d'aide professionnelle. Ce type de bénévolat, aussi nommé « paraprofessionnel » est ainsi défini par Guay (1984, p. 168) : « Le bénévole rémunéré qui a été entraîné pour une tâche spécifique, surtout dans le domaine de la santé physique et mentale, qui travaille sous une supervision professionnelle étroite ou dans un encadrement institutionnel s'appelle un paraprofessionnel. » En excluant la dimension de la rémunération, cette définition correspond bien au bénévolat qui s'exerce en prévention du suicide. En effet, la personne bénévole est soumise aux exigences suivantes : formation de base, formation continue, supervision, code d'éthique, grille d'évaluation et recommandations. Ce fonctionnement s'apparente aux structures institutionnelles et bureaucratiques où nous retrouvons des procédures et des politiques standardisées et un pouvoir centralisé. Ce bénévolat actuel correspond à ce que Redjeb (1991) a nommé le « néo-bénévolat », qui
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s'inspire du mode d'organisation des services parapublics. Ce modèle de pratique est imprégné des schémas professionnels et exige une rigueur proche de celle du professionnel. LE DEUXIÈME MODÈLE : LA PRATIQUE D'AIDANT NATUREL UN DISCOURS ET DES PRATIQUES AXÉS SUR UN DIALOGUE AMICAL Bien qu'il soit soumis à une formation spécifique, l'intervenant bénévole définit son rôle et lui donne un sens en puisant également dans les connaissances de son expérience personnelle. La rencontre de ces deux types de connaissances amène les intervenants à une certaine redéfinition de leur intervention qui semble s'éloigner de la formation officielle ou du moins la diluer. Dans ce modèle d'intervention, la référence au vécu quotidien et au rapport chaleureux à l'autre est présente. Voici à ce sujet deux exemples de perceptions d'intervenants C'est peut-être pas la même façon d'approcher. C'est peut-être un peu plus naïf, plus long, plus mitigé, plus poli, moins rébarbatif et, jusqu'à un certain point, moins confrontant aussi... c'est comme avoir une conversation privée avec quelqu'un. Je ne recherche rien, puis à un moment donné, à force de parler, puis d'y faire confiance, on va en venir à des confidences. C'est vibrer à l'autre, l'aimer. C'est surtout la bonté qu'on va mettre là-dedans et que l'autre ressent qu'on fait ce travail-là par amour pour l'autre : les personnes en détresse. Nous retrouvons donc chez les aidants naturels des valeurs et des attitudes qui sont davantage de l'ordre de l'être, c'est-à-dire des attitudes qui se caractérisent par la capacité de vibrer, de sentir l'autre, de partager son vécu, d'être disponible à l'autre. Ainsi, contrairement à l'approche professionnelle, l'aidant naturel va se permettre comme l'appelant de ressentir et d'exprimer des émotions. Cette expression des émotions est indicatrice d'une position sociale différente dans le rapport à l'intervention. BÉNÉVOLES ET PROFESSIONNELS : COMPLICES DANS LA PRODUCTION DE SAVOIRS D'EXPÉRIENCE Les travaux de Schôn (1994) proposent une avenue intéressante pour comprendre l'intervention autrement que comme l'application de savoirs préalables à l'action. En effet, ces travaux laissent de la place à l'intervenant dans la construction de ses savoirs. Comme Schôn, plusieurs autres
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auteurs (Argyris, Putman, McLain Smith, 1987 ; Saint Arnaud, 1992) ont réfléchi aux limites que représente la science appliquée comme fondement de l'intervention psychosociale en tentant d'élaborer une nouvelle épistémologie de la pratique. Comme professionnels, nous avons intégré une façon de connaître qui est basée sur l'objectivité, la vérité et la rationalité. Toutefois, là comme ailleurs, nous nous heurtons à d'autres manifestations de la vie qui sont de l'ordre de la relativité et de la subjectivité. Ces diverses manifestations renferment de l'imprévu, des situations complexes, la résistance des personnes qui viennent ébranler nos constructions de départ. Devenir intervenant en prévention du suicide veut dire construire avec les autres. Il s'agit d'une tout autre forme de rapports entre nous, entre intervenants bénévoles et professionnels. Cela signifie un rapport plus égalitaire entre les acteurs dans un projet commun qui implique des décisions en commun. Le premier postulat de Schôn (1994) est que les intervenants produisent des savoirs. L'auteur a montré comment la réflexion en cours d'action et sur l'action est productrice de savoirs. Il a utilisé l'expression « conversation avec la situation » pour représenter l'aller et retour entre un intervenant et une situation à laquelle il tente de donner un sens. C'est en agissant et en réfléchissant sur les résultats de son action que l'intervenant teste et valide les solutions à un problème. Cette opération de reconstruction qu'implique la réflexion sur l'action se fait à la fois à partir des savoirs antérieurs de l'intervenant et de la nouveauté que représente la situation à laquelle il est confronté. C'est cette dynamique entre le particulier et le général qui permet l'élaboration d'un corpus de connaissances fondé sur l'expérimentation dans la pratique. Le deuxième postulat de Schön (1994) est que l'apprentissage est un acte social où l'être humain construit, incorpore et structure son expérience à travers ses interactions avec d'autres, eux aussi engagés dans une action commune avec ce que cela signifie d'interprétations intersubjectives de l'expérience et des apprentissages qu'on en tire. Cette confrontation des savoirs personnels avec les savoirs de l'expérience collective des intervenants ajoute une autre voix à ce dialogue. Cette double dynamique modifie et transforme les savoirs et les stratégies d'action de l'intervenant mais aussi du groupe. La confrontation continuelle d'idées oblige l'intervenant à se décentrer par rapport à sa réponse initiale. De ces échanges avec d'autres peuvent alors émerger de nouvelles façons de comprendre une expérience, de nouveaux savoirs. Ainsi, une même situation sera observée
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par des personnes dont les cadres conceptuels ne sont pas nécessairement les mêmes (professionnels, bénévoles). Les conceptions d'un problème mises en avant peuvent ainsi être interrogées, remises en question. CONCLUSION L'implication en prévention du suicide prend un sens pour les intervenants. Bien que le sens soit propre à chaque personne, certains traits caractéristiques ressortent. Au départ, la trajectoire personnelle et sociale suivie par les intervenants montre qu'avant même de s'impliquer dans l'intervention les personnes construisent un sens à donner à la situation du suicide. Les motivations évoquées par les intervenants se rapportent à leur propre développement personnel. Par l'engagement bénévole, ces personnes ont souvent trouvé un soutien à l'intérieur du groupe, un nouveau rapport à l'autre, un espace de protection. Les discours de plusieurs bénévoles permettent d'établir un lien entre ce qui se passe dans le tissu social actuel animé par l'idéologie néolibérale prônant l'individualisme et la rentabilité économique au détriment de la reconnaissance de l'individu. Dans ce contexte où les rapports sociaux perdent de leur importance par rapport à l'individualisme et à la logique économique, l'action bénévole semble contribuer à remplir le vide des solidarités collectives. Par son implication, la personne bénévole s'intègre à des rapports sociaux valorisants où la dimension humaine est essentielle. L'action réalisée dans le rapport à l'autre conduit à une revalorisation des bénévoles et, par conséquent, à une construction ou reconstruction d'une identité trop souvent affaiblie par le sentiment d'inutilité. Les représentations qui entourent l'objet du suicide conduisent à la formulation de deux grands constats. D'abord, la majorité des personnes croient que ce sont des éléments reliés à l'individu qui conduisent au suicide. Ces représentations s'inscrivent à l'intérieur du modèle dominant où la transformation des individus prime sur celle de la société. Cette vision individualisante des problèmes est difficile à dépasser et à mettre en lien avec les changements sociaux qui se traduisent par une fragilisation et un isolement des individus les uns des autres. Le deuxième constat a trait à l'explication sociale de la désorganisation de la société qui se traduit par un manque de responsabilité de cette société à pourvoir aux besoins de l'ensemble de ses membres. Les opérations liées à l'accomplissement de la pratique bénévole se révèlent empreintes d'une idéologie fortement inspirée du modèle professionnel. En effet, l'action d'intervention est structurée et planifiée par
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une formation et un suivi bien encadrés. Les habiletés de base de la relation d'aide professionnelle sont favorisées et principalement, l'écoute de la personne. Dans ce modèle, les intervenants bénévoles sont au départ invités à une mise à distance d'un rapport trop personnalisé avec l'appelant. Toutefois, une pratique centrée sur une logique d'aidant naturel réussit à s'imposer chez quelques intervenants. Dans ce modèle, les rapports sont plus chaleureux et plus familiers. Ces observations sur les modèles de pratique doivent nous inciter au questionnement et à la prudence devant un contrôle et une évaluation trop rigides de l'intervention des bénévoles qui risquent d'avoir pour effet négatif de récupérer le dynamisme et la spontanéité propres au bénévolat. Ainsi, il apparaît que la construction de la réalité du suicide et de son intervention serait envisagée et gérée différemment chez les intervenants bénévoles et chez les intervenants professionnels. Cette nouvelle conception du savoir issue de la rencontre de bénévoles et de professionnels pourra-t-elle faire place à une façon nouvelle d'envisager l'intervention ? BIBLIOGRAPHIE ARGYRIS, C., R. PUTNAM et D. McLAIN SMITH (1987). Action Science, chapitres 1 et 11, San Francisco, Jossey-Bass. BAECHLER, J. (1975). Les suicides, Paris, Calman-Levy. BLOOM, V. (1975). « An analysis of suicide at a training center », American Journal of Psychiatry, 123, p. 918-925. CAMPAGNA, J.L. (1976). Implementation and Evaluation of a Suicide Prevention Program in Québec. Thèse de doctorat inédite, California School of Professional Psychology. CHAMPAGNE, D. (1997). Contribution des intervenants bénévoles et professionnels à la construction du suicide en tant que problème social. Thèse de doctorat, Université de Montréal. CAPLAN, G., E.A. MASON et D.M. KAPLAN (1977). « For studies of crisis in parents of prematures », dans J.L. Schwartz et L.H. Schwartz, Vulnerable Infants. A Psychosocial Dilemma, New York, McGraw-Hill, p. 89-107. DOMINO, G. et M. LIMBACHER (1986). « Attitudes toward suicide among attempters, contemplators and non attempters », Omega, vol. 16, n° 4, p. 325-333. DOUGLAS, J.D. (1966). -The sociological analysis of social meanings of suicide », European Journal of Sociology, p. 249-298. DURKHEIM, E. (1990). Le suicide, Paris, Presses universitaires de France. FARBEROW, N.L. (1967). « Crises disaster and suicide : Theory and therapy », dans E.S. Shneidman (dir.), Essays in Self Destruction, New York, Science House, p 373-399.
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SOUTENIR LES PARENTS POUR LE MIEUX-ÊTRE DES ENFANTS1,2
CAMILLE MESSIER SEM-Connexion, Mouvement Sensibilisation pour une enfance meilleure
1. Extrait du Rapport synthèse d'une recherche évaluative de l'action de SEMConnexion dans le cadre du Programme d'action communautaire pour les enfants (PACE) 2. Programme subventionné par Santé Canada dans le cadre du Programme d'action communautaire pour les enfants (PACE) en accord avec la province de Québec. Les points de vue exprimés dans les présentes sont uniquement ceux des auteurs et ne représentent pas nécessairement la politique officielle de Santé Canada ou de la province de Québec.
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RÉSUMÉ L'intervention sociale s'enrichit avec les groupes communautaires, acteurs très engagés dans leur milieu, tels que le Mouvement SEM (Sensibilisation pour une enfance meilleure). L'article rend compte d'une recherche évaluative sommative qui analyse les résultats de cette intervention. Trois moments de l'intervention sont étudiés : avant SEM, pendant l'intervention et après la fermeture du dossier L'action intensive de SEM, auprès des mères « jugées négligentes » et de leurs enfants, se traduit par au moins un suivi hebdomadaire à domicile d'environ deux heures. Les résultats de la recherche montrent que : 1) les cas suivis sont lourds ; 2) les mères ayant eu un premier enfant à 18 ans ou moins (42 % du groupe étudié) sont, comme leurs enfants, les plus vulnérables ; 3) les conjoints, quand il y en a un, sont aussi vulnérables que les mères et les relations de couple sont souvent des plus problématiques ; 4) la vulnérabilité actuelle des mères et des conjoints est reliée à un lourd passé datant de l'enfance et / ou de l'adolescence ; 5) ces familles ont de toute évidence besoin d'une aide proche d'elles, régulière et d'une durée suffisamment longue, telle celle de SEM (10 à 12 mois, en moyenne) dont profitent aussi bien les mères que les enfants ; 6) en conclusion du suivi des familles, il y a eu plusieurs placements d'enfants, quelques adoptions et des transferts à l'autre parent (mais plusieurs mères avaient aussi été placées au cours de leur enfance et / ou leur adolescence). Les variables d'analyse retenues sont : l'âge des mères à leur demande de services à SEM, le nombre d'enfants présents à la maison à ce moment-là, l'âge des mères au premier enfant et la référence à SEM.
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PRÉSENTATION DU MOUVEMENT SEM ET DE SON PROGRAMME CONNEXION Le programme Connexion est une réalisation importante du Mouvement SEM, sigle signifiant Sensibilisation pour une enfance meilleure (autrefois Sensibilisation à l'enfance maltraitée). Le Mouvement SEM est situé dans an quartier ouvrier de la ville de Saint Jean-sur-Richelieu (Québec) et oeuvre sur le territoire du Haut-Richelieu. Un premier programme Connexion a vu le jour en septembre 1989 ; Il a duré près de trois ans : de septembre 1989 à mai 1992. Ce premier projet comprenait une recherche-action subventionnée par Santé Canada, ce qui a permis la formation continue des intervenantes et leur rémunération tout au long du projet, de même qu'une recherche évaluative de type principalement formatif qui a nourri l'action des intervenantes. Un deuxième projet Connexion a duré d'avril 1994 à mars 1997. Grâce aux subventions du Programme d'action communautaire pour les enfants (PACE), l'expérience et les compétences acquises au cours du premier projet ont continué à se développer et à servir dans la communauté tout en s'inscrivant dans le courant actuel « d'économie sociale » axée sur le développement d'emplois rémunérés en action communautaire. Le programme actuel poursuit le même travail dans la communauté d'avril 1997 jusqu'à mars 2000, toujours grâce, en partie, au programme PACE. Ce bref historique situe SEM-Connexion dans la continuité de ses services dans la communauté. DESCRIPTION DE L'ACTION Les objectifs Quatre objectifs généraux sont poursuivis par ce programme ; dans les Familles participantes : 1) prévenir et / ou faire cesser, ou du moins réduire la négligence à l'égard des enfants ; 2) améliorer la qualité des relations mère-enfants et / ou père-enfants ; 3) développer et / ou améliorer les capacités parentales des mères et ainsi améliorer la qualité des soins accordés aux enfants ; 4) à long terme : briser le cycle de reproduction de la négligence subie durant l'enfance.
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Les familles participantes Les services de SEM-Connexion s'adressent aux familles considérées négligentes ou à risque de négligence à l'égard de leurs enfants. Ces familles sont référées à SEM-Connexion par le Centre jeunesse, les centres locaux de services communautaires (CLSC), les écoles, les centres hospitaliers, les familles ayant déjà participé au programme, divers services communautaires et même des juges du Tribunal de la jeunesse (Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec). La négligence envers les enfants peut être de divers types et prendre plusieurs formes envers le même enfant : affective, éducative, sécuritaire, hygiénique, vestimentaire, alimentaire, médicale et dans la tenue de maison. Si la négligence affective peut se rencontrer dans tous les milieux socioéconomiques, les autres types de négligence sont principalement le lot des enfants pauvres : les recherches en ce domaine sont unanimes, car la pauvreté, surtout quand elle devient chronique, engendre la démoralisation, la dépression et la démission chez les parents, ce qui entraîne la négligence. S'il n'est pas vrai de conclure que tous les enfants pauvres sont négligés - ce qui serait une aberration et une abomination -, il est par ailleurs constaté que les enfants négligés se recrutent parmi les enfants pauvres et ces derniers sont souvent membres de familles monoparentales dont le chef est une femme vivant de l'aide sociale. Les enfants négligés constituent une grande part de la clientèle des services sociaux à la jeunesse et à la famille (au Québec, toutes les commissions d'enquête à ce sujet le confirment: les rapports Boucher, le Castonguay, Batshaw, Gendron et, tout dernièrement, le rapport Bouchard-Fortin). Une fois grands, ces enfants continuent de former la clientèle des services sociaux, des centres de ré-éducation et des tribunaux de la jeunesse présentant des troubles sérieux du comportement et / ou de la délinquance. Ainsi, ils coûtent cher à la société durant leur enfance et leur jeunesse en plus de coûter cher à eux-mêmes et à leur famille en vies brisées, en potentiels non développés et, très souvent, en reproduction dans leur vie adulte et leurs rôles parentaux des mêmes comportements qui ont miné leurs débuts dans la vie. Description de la clientèle La clientèle de SEM-Connexion participant au programme PACE se compose de familles reconnues négligentes ou à risque de négligence à l'égard de leurs enfants. D'une année à l'autre, cette clientèle se ressemble passablement par ses caractéristiques sociodémographiques. Les familles sont surtout composées de un, deux ou trois enfants ; cependant, les plus petites familles sont proportionnellement un peu plus nombreuses.
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Les mères sont plutôt jeunes avec un âge moyen d'environ 30 ans. Les jeunes enfants de 0 à 5 ans sont plus nombreux que ceux des autres catégories d'âge. Les revenus des familles proviennent plus souvent de l'aide sociale que d'une autre source. Les familles monoparentales sont plus représentées que les familles biparentales. L'action dans les familles L'identification précoce des enfants négligés durant leur petite enfance (de 0 à 5 ans) et l'investissement dans un suivi intensif immédiat auprès de leurs parents et principalement auprès de leur mère lorsqu'il s'agit de familles monoparentales sont essentiels à la restauration des situations. Toutefois, les services sociaux et les centres jeunesse n'ont pas les ressources nécessaires pour répondre à ce besoin de suivi intensif et immédiat, c'est pourquoi d'autres compétences sont nécessaires pour que les organismes officiels y réfèrent ces familles pour recevoir des services complémentaires aux leurs. Déjà, en 1972, les docteurs Kempe et Heifer surnommés aux États-Unis « les pères des enfants maltraités et délaissés » conseillaient ce genre de prise en charge : [...] dans la grande majorité des cas, l'analyse conclut « au maternage insuffisant » et il n'est pas toujours besoin alors d'autant de qualification professionnelle pour obtenir d'excellents résultats... Nous obtenons d'excellents résultats avec des auxiliaires que nous formons « sur le terrain », le meilleur thérapeute étant celui qui est prêt à participer pendant huit à douze mois au moins, à la vie difficile d'un père ou d'une mère de famille. Il lui faut effectuer une à deux visites par semaine, offrir une écoute neutre et bienveillante, encourager, dans les premiers temps, une relation de dépendance, témoigner son affection et son intérêt par un cadeau d'anniversaire ou une carte postale, être disponible ou, à tout le moins, accessible par téléphone, le soir et pendant les week-ends, ou avoir prévu quelqu'un pour le remplacer. Il faut, en d'autres termes, être toujours prêt à une opération de sauvetage [...]3 Cette citation des docteurs Kempe et Heifer décrit tout à fait le travail des intervenantes de SEM-Connexion auprès des mères considérées négligentes ou à risque de négligence à l'égard de leurs enfants. Le besoin et la pertinence d'un tel travail sont évidents. Le groupe cible du travail de Connexion est celui des enfants de 0 à 5 ans des familles à faibles revenus et leurs frères et soeurs d'âge scolaire, principalement dans des familles monoparentales dirigées par une
3. C. Herry Kempe et Ray Helfer. Helding the Battered Child and His Familly, J.B. Lippincott Company, 1972. (Traduction : L'enfant battu et sa famille. Paris, Editions Fleurus, 1977. Chapitre 3: Nouvelles approches thérapeutiques, p. 55-68.)
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femme, lorsque ces enfants sont considérés négligés et / ou maltraités, présentent des retards de développement, des difficultés d'apprentissage scolaire, des problèmes socioaffectifs et / ou des troubles du comportement. Même si le travail de Connexion vise la sécurité et le développement des enfants, l'action des intervenantes est centrée sur la mère de famille. Le suivi d'une famille s'adresse donc à la mère ; il est constitué d'au moins une visite à domicile par semaine. C'est la mère qui est visitée et elle le sait. La visite se compose d'un entretien à domicile ; elle est souvent complétée d'une promenade à pied ou en auto pour des commissions, une simple marche, un café au restaurant, une sortie chez un membre du réseau familial ou chez des amis, ou encore, un accompagnement dans une démarche auprès d'un organisme, d'une ressource communautaire ou d'une compagnie créancière (comme Hydro-Québec, par exemple). La présence de SEM-Connexion, auprès des familles participantes, est assurée par des intervenantes non professionnelles, c'est-à-dire ne possédant pas de qualifications collégiales ou universitaires spécifiques en intervention sociale. Les principales qualifications des intervenantes sont, tout d'abord, d'avoir fait l'expérience de la vie conjugale et d'avoir elles-mêmes élevé des enfants et, ensuite, de faire preuve d'ouverture et de tolérance, d'avoir des dons « d'aidantes naturelles » qui ne se laissent pas facilement démonter devant des situations difficiles, de présenter un sain équilibre et une forte dose « de bon sens commun ». Avec le temps, un service s'est ajouté au suivi des visites hebdomadaires : - l'aide aux devoirs pour des enfants d'âge scolaire par des bénévoles répondant aux besoins non seulement scolaires mais aussi à ceux d'attention individuelle, l'expérience ayant démontré que les enfants vont mieux quand la mère va mieux mais aussi que la mère va mieux quand les enfants vont mieux. La durée de l'intervention est variable selon les besoins. Quelques mères abandonnent après un suivi de un à cinq mois, cependant, la plupart des participantes demeurent dans le programme plus de six mois (15,5 mois en moyenne, d'après les évaluations du premier projet). Ce qui détermine le moment de fermer ou non un dossier est le maintien d'une qualité des soins envers les enfants. Pour la fermeture d'un dossier, les points d'analyse sont les suivants la qualité de la relation parents-enfants ; l'état émotif et physique des parents ; les problèmes de comportements des parents ; le soutien dans la famille au moment de terminer ; les relations avec l'entourage (parenté, amis, etc.) ; l'autonomie des parents, etc.
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S'il s'agit d'une situation où les parents ne démontrent pas une volonté d'amélioration, nous signalons la situation au Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ). De plus, les parents sont avisés qu'ils peuvent de nouveau nous contacter lors de situations difficiles après la fermeture. Contenu de l'intervention au cours des visites à domicile Pour obtenir de l'information sur le contenu de l'intervention, deux entrevues de groupe ont été tenues avec les intervenants et complétées par une entrevue individuelle avec une intervenante absente lors de la rencontre avec les autres. Dix sujets ont alors été discutés 1) ce qui oriente le contenu de l'entretien à domicile ; 2) des exemples du souci d'éducation au rôle parental ; 3) répondre aussi aux besoins matériels ; 4) s'occuper des personnes et non de la situation matérielle ; 5) les contacts physiques ; 6) les sorties et les rencontres avec les réseaux familiaux et d'amitié ; 7) l'accompagnement dans les ressources et les organismes officiels et l'interprétation de la famille aux professionnels et des professionnels à la famille ; 8) le partenariat avec la protection de la jeunesse ; 9) la responsabilité des enfants ; 10) la durée du suivi et la préparation à la fermeture. Entretien avec les intervenants de SEM-Connexion sur leur intervention Première question : Lorsque vous arrivez chez la famille suivie, qu'est-ce que vous dites ? Comment décidez-vous du contenu de votre entretien à domicile ? Le climat à l'arrivée Il n'y a pas vraiment de préparation ; rien n'est décidé à l'avance. En fait, tout dépend du climat trouvé à l'arrivée et comment on se sent soi-même. C'est plutôt : « Bonjour, comment ça va ? As-tu passé une bonne semaine ? Qu'est-
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ce que tu as fait de bon avec les enfants ? » Si ça crie et qu'on entend de la dispute avant même d'avoir sonné à la porte, je dis: «Ho, il y a de l'orage dans l'air, ce matin... » Des fois, on entend gueuler après les enfants, avant d'être entré. «Qu'est-ce qui se passe ?... t'as l'air fatiguée, ce matin... » La mère répond, explique la situation, on embarque, et c'est parti... Mais aussi, ça dépend des maisons. Par exemple, dans une famille, la bataille est toujours prise entre les conjoints. Alors, je rentre, m'assois, ne dis rien, les regarde... si l'enfant vient se coller, je le prends sur mes genoux... Il y a toujours un adulte qui finit par demander : « Tu dis rien, qu'est-ce que tu en penses ? ... Bien, ce n'est pas Ma chicane... C'est la Vôtre... je me demande comment vous vous sentez là-dedans... et comment votre enfant se sent... Il y a certainement moyen de trouver une solution au problème sans que ça tourne à la violence. » Je ne donne mon opinion que s'ils la demandent ; ou encore, je leur en demande la permission. Je ne cherche pas à les calmer je respecte leur chicane, parce que, dans cette famille-là, c'est leur façon de communiquer. Il vient toujours un moment où ça devient plus parlable, alors je leur fais exprimer comment chacun se sent et quel a été le déclencheur pour cette fois. Mais, dans cette maison, c'est vraiment spécial. Le souci d'éducation au rôle parental Premier exemple : En entrant dans la famille, la mère est fâchée, crie après l'enfant de trois ans qui a fait un dégât, pendant qu'elle était couchée : il a vidé le sac de sucre par terre. Explication que l'enfant a peut-être faim et cherche à manger en se levant et suggestion que la mère se lève en même temps que lui pour lui donner son déjeuner et déjeuner avec lui, et qu'elle se repose plutôt l'après-midi, en faisant une sieste en même temps qu'elle couche l'enfant pour son dodo d'après-midi. «Et l'après-midi, avant de te coucher en même temps que lui, prépare-lui quelque chose à manger que tu places sur la table en lui disant que c'est pour lui, s'il se réveille le premier, il aura quelque chose à manger Je le comprends que tu es fatiguée, c est fatiguant d'élever un enfant et tu dois te reposer pour être en forme, essaie ça pendant une semaine et on en parle la semaine prochaine pour voir comment cela a marché. » Puis je fais parler la mère d'elle-même, comment elle se sent, pour l'entourer, lui donner beaucoup d'attention et ne pas centrer la visite seulement sur l'enfant. Deuxième exemple : La mère crie après l'enfant: « Monte pas sur l'armoire, c'est dangereux de tomber, ôte-toi de là. » Elle répète cela, puis répète encore et encore. Elle me dit: « Tu vois cet enfant-là n'écoute pas quand on lui parle, c'est comme si je parle au mur » Je comprends que cela te fâche, c'est énervant et puis c'est fatigant pour
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toi de répéter comme cela 25 fois la même chose ; essaie une autre façon. Je te donne un truc et tu l'essaies cette semaine, puis on en parle la semaine prochaine : Tu le regardes dans les yeux en le tenant près de toi; maman t'a dit de ne pas monter sur l'armoire parce que c'est dangereux de tomber, je ne te répéterai pas une autre fois ; si tu montes encore, maman va te mettre assis sur la chaise en punition. Comme maman a été obligée de répéter, va sur la chaise... » La mère essaie le truc et elle est toute surprise de voir son enfant aller s'asseoir sur la chaise l'air penaud. Elle dit : « C'est parce que c'est toi qu'il écoute. » « Peutêtre que oui peut-être que non, mais essaie cette semaine et tu me donnes des nouvelles. » Troisième exemple : Dans plusieurs familles, on joue avec les enfants et on invite la mère à jouer aussi. C'est une bonne façon d'avoir du plaisir ensemble et de montrer qu'on peut avoir du plaisir et de la joie de vivre avec des enfants, car c'est un besoin de la mère et de l'enfant que de s'amuser et d'avoir du plaisir ensemble. Trois exemples au sujet des bébés : 1) Dans une famille, le bébé pleure dans son lit, depuis déjà un moment estime l'intervenante qui le prend, le calme puis le passe à la mère.: « Il doit avoir besoin de quelque chose, qu'est-ce que tu penses que c'est ? » Si la mère ne semble pas trop consciente du besoin, on fait des suggestions : « Si on lui donnait son bain, le savonnait comme il faut, qu'est-ce que tu en penses, on lui mettrait des vêtements propres, une couche propre, tu lui donnerais son repas, son lait ; je t'aide, on le fait ensemble. » Puis on refait son lit, change le lit s'il est mouillé ou souillé. Quand l'enfant est consolé, on suggère à la mère de le prendre sur elle et on lui explique qu'un bébé a besoin de compagnie pour se développer, besoin qu'on lui parle, lui chante des chansons, qu'on le prenne parce qu'un enfant a besoin de contacts physiques, besoin d'être rassuré qu'il y a quelqu'un avec lui, qu'il n'est pas abandonné parce que le sentiment d'abandon peut entraîner de la dépression même chez un bébé de six mois. « Quand il ne dort pas, tu peux l'amener avec toi d'une pièce à l'autre et quand tu le couches, tu fais du bruit dans la maison, tu laves la vaisselle et tu chantes des chansons, ou bien tu ouvres la radio, tu tousses, tu t'organises pour qu'il entende ta voix. » Dans les familles, une telle situation amène souvent une bonne discussion sur la « peur de gâter » son bébé. 2) Dans une autre famille, un bébé est laissé seul longtemps dans son lit, il ne pleure pas, ne crie pas. « Va le chercher, garde-le sur toi un peu, cajole-le ; tu sais ton bébé me semble déprimé et c'est grave le dépression chez les bébés: aimerais-tu ça être laissée seule dans ton lit si longtemps et pleine
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de pipi ; tu me dis que tu l'aimes, il faut lui montrer et le lui dire. Tu sais les jeunes mamans ont beaucoup besoin d'apprendre à s'occuper de leur bébé, moi, quand j'avais ton âge et que mon fils avait l'âge du tien, c'est ma soeur aînée qui m'expliquait comment faire et quand j'avais un problème je l'appelais. Toi, tu n'as personne... mais tu m'as, moi, et ne te gêne pas pour me demander: je suis là pour cela et j'aime ça parce que ça me rappelle mon jeune temps de jeune maman qui ne savait pas comment faire avec son bébé. » 3) Dans une autre famille, un bébé rit tout seul dans son lit ; la mère va le voir et lui dit : « fais dodo », et comme il rit, elle dit que son bébé rit d'elle et que ça la fâche de faire rire d'elle par un enfant si jeune. Comme pour les enfants qui pleurent et crient, il faut beaucoup expliquer que les enfants ne peuvent pas avoir des intentions de contrarier leur mère, soit en riant soit en pleurant, que de telles intentions ne se peuvent pas chez de jeunes enfants, mais que ce qu'ils expriment ce sont leurs propres besoins et leurs sentiments soit d'être bien, soit de ne pas être bien, soit leur besoin qu'on s'occupe d'eux. Répondre aussi aux besoins matériels Dans chaque famille suivie, ce que je me demande toujours à chaque visite, c'est quels sont leurs besoins, dans le moment. Il y a plusieurs sortes de besoins : besoin d'attention, d'avoir de meilleures relations avec les enfants, avec le conjoint quand il y en a un, avec le réseau familial, avec les voisins, ou besoin d'encouragement, de support, de maternage, de renforcement de l'estime de soi, besoin de liquider un passé négatif qui souvent remonte à l'enfance, besoin d'un modèle et de conseils dans son rôle parental, mais aussi besoins matériels de toutes sortes. Il est évident qu'on ne peut répondre à tous les besoins en même temps ; il faut donc rester à l'écoute de ceux qui sont exprimés verbalement ou autrement et pour cela, il suffit d'observer. Par exemple, dans une famille, le linge traînait partout et il y en avait toujours à tremper dans le bain ; j'ai bien vu qu'il n'y avait pas de laveuse ni de sécheuse ; j'ai donné de l'information sur la SaintVincent-de-Paul et leurs meubles usagés, remis l'adresse et le numéro de téléphone, demandé si elle avait besoin de moi pour y aller, mais c'était tout près et elle a décidé de faire elle-même sa démarche. La semaine suivante, elle avait une laveuse et une sécheuse bien installées et deux commodes pour ranger le linge, et il n'y avait plus de linge à la traîne, et le bain pouvait servir à toute la famille pour se laver. Je l'ai félicitée pour tout son rangement et son recours aux ressources. Elle était très fière d'avoir réussi à surmonter sa gêne et d'avoir été capable d'aller à la Saint-Vincent-de-Paul.
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Dans une famille, j'étais allée le soir, après en avoir demandé la permission puisque c'était en dehors des heures régulières de mes visites et que je ne voulais pas que cela dérange cette mère. Après le bain, je demande : « Quand est-ce qu'on se brosse les dents ? » Mais j'ai bien vu que personne n'avait de brosse à dents et qu'il n'y avait pas de dentifrice. Dans la chambre des enfants, il n'y avait pas de draps dans les lits et les matelas avaient l'air complètement pourris. Après le coucher des enfants, on en a parlé, la mère et moi, et on a décidé ensemble qu'il était nécessaire d'y voir. Je lui ai parlé des Petites Soeurs, que c'était une bonne ressource pour trouver de la literie et des vêtements usagés mais encore propres et que je l'y amènerais bientôt. Ce que j'ai fait un autre jour. Elle a pu se procurer des matelas et des draps et de retour à la maison, on a fait les lits ensemble pour elle et pour les enfants. Et puis, j'ai apporté des brosses à dents, du dentifrice et montré à se brosser les dents. Dans une famille, un jour, à mon arrivée, les enfants avaient faim, ils n'avaient pas mangé et l'heure du dîner était passé. J'ai demandé la permission de les faire manger, j'ai regardé dans l'armoire et le frigo pour voir ce qu'il y avait et je leur ai fait un lunch avec ce qu'il y avait, parce que ce jour-là, la mère n'allait pas bien du tout. Dans une famille, la mère ne savait pas faire la cuisine et je lui ai donné des cours. Ensemble, on a préparé des pâtés au poulet, du poulet chasseur avec de la sauce, fait de la soupe, des hamburgers, du jello, des desserts, des sandwiches, du pâté chinois, etc. Je lui ai enseigné les bases de l'alimentation, comme un jeu à faire ensemble, parce qu'elle était très seule, qu'elle est rejetée par sa mère et qu'elle essaie vraiment de faire de son mieux, mais ne sait pas comment. Un autre besoin matériel, c'est le budget. C'est difficile pour nos petites mères de s'occuper de tout : payer le loyer, se chauffer, voir à l'alimentation, aux vêtements, et les vêtements d'hiver qui coûtent si cher, alors qu'elles n'ont souvent qu'un tout petit budget, c'est pourquoi elles ont besoin de ressources et d'aide et qu'on doit les conseiller à ce sujet; il n'est pas étonnant qu'elles se découragent et laissent tout aller. À ce sujet, on peut aussi consulter l'ACEF pour une planification budgétaire, le paiement des dettes, etc. Deuxième question : Qu'est-ce que vous faites quand vous allez dans une maison où tout est sale, les enfants sont sales, le bébé n'a pas été lavé, ni changé, ça ne sent pas bon, tout est à la traîne, etc. ?
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S'occuper des personnes et non de la situation matérielle Ce n'est pas de la situation matérielle dont on s'occupe, mais des personnes qui la vivent et on cherche à comprendre comment chacun se sent en donnant de l'importance à chacun. On cherche à entourer la mère pour qu'à son tour elle entoure ses enfants. Il est important aussi de resituer la mère au temps de son enfance : « Toi, quand tu avais 5-6 ans, avais-tu à prendre soin de tes frères et soeurs plus jeunes, comment te sentais-tu avec cette responsabilité ? » « Toi, quand tu étais petite, comment c'était pour toi ? » Et là les émotions sortent. Si on a touché à quelque chose de sensible, je l'embrasse, la cajole, la dorlote, lui montre que je suis sensible à sa peine. Je ne pars jamais à ce moment-là, je ne la laisse pas comme ça, parce que les enfants n'ont pas à en vivre les contrecoups ; je reste et on parle. Si elle ne veut pas en parler : « On en parlera quand tu voudras, je sais que tu as une souffrance à ce sujet et j'ai de la peine pour la petite fille que tu as été et qui reste en toi et qui continue d avoir de la peine... on en parlera quand tu seras prête. » Une mère qui s'accuse d'être méchante avec son enfant, je lui explique que ce n'est pas la mère actuelle qui est méchante, mais l'enfant en elle qui a trop manqué d'amour et avec qui les adultes ont été méchants : « C'est le modèle de parents que tu as eu et tu répètes ça parce que c'est ça que tu connais. » En parler permet de liquider ou de moins ventiler un passé négatif. Il y a beaucoup de souffrance chez nos petites mères. Ça m'est arrivé de suggérer qu'on ramasse et fasse du ménage ensemble et qu'on le fasse vraiment, tel que suggéré. «Ha... comme tu as de la vaisselle, si tu veux, tu laves et moi j'essuie. » Dans une maison, même après deux ou trois essais d'aider au ménage, à la visite suivante, c'était toujours tout à l'envers et la mère attend que quelqu'un d'autre qu'elle fasse l'entretien. « Ma fille, mon gars vont le faire. » Mais les enfants n'ont pas à assumer cette responsabilité parce que trop jeunes. J'ai abordé le sujet de front, parce que cela devenait sérieux.: « Comment tu te sens dans un fouillis pareil, et en plus c'est sale et ça sent mauvais... Comment c'était chez ta mère quand tu étais petite ? » Mais j'ai vu que c'était un manque d'organisation et qu'elle ne savait pas. Alors, j'ai demandé au CLSC l'aide d'une auxiliaire familiale qui y est allée un jour par semaine pendant un certain temps et elle lui a donné des trucs d'organisation. Ensuite, la petite mère s'était habituée à avoir une maison propre où c'était plus agréable de vivre et elle a fait des efforts. Ce n'était pas parfait, mais elle essayait; alors, je l'encourageais : « Ho ! ... tu as fait cela, c'est donc beau ; ho !... toute ta vaisselle est lavée et rangée dans l'armoire, comme tu dois te sentir bien. »
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Dans une famille où j'ai donné des cours de cuisine, j'ai aussi montré à mettre la table et à asseoir tous les membres de la famille autour de la table pour un repas ensemble ; dans cette maison-là, chacun se prenait une assiette, s'organisait tout seul et mangeait où il se trouvait un coin en regardant la télé. Troisième question : Vous parlez de becs aux enfants, de les prendre sur vous. Il y a donc des contacts physiques entre vous et les membres de vos familles ? Les contacts physiques Moi, je suis très physique : des becs aux enfants, à la mère, à tout le monde. La mère, je la serre dans mes bras... « Comment ça va ? » Et quand je pars, c'est pareil. « Passe une bonne semaine. » Les enfants qui viennent se coller, je les prends sur mes genoux. Si je veux qu'elle donne des marques d'affection à ses enfants, je me dis qu'il faut qu'elle en reçoive elle aussi et qu'elle voit quelqu'un en donner à ses enfants ; et puis, ça ne me force pas. Comme je l'ai dit, je suis très physique. Moi, quand j'arrive, si les enfants s'approchent, je les embrasse, je donne une accolade à la mère ; les becs à tout le monde, c'est plus à mon départ. Et un enfant qui veut se faire prendre je le prends en lui disant : Je te prends quelques minutes. » Une petite mère quand je l'ai prise dans mes bras la première fois, elles s'est mise à pleurer. On le sent, s'il y a une résistance, un recul, on sait que, dans cette maison, il ne faut pas trop de contacts physiques avec la mère, une poignée de mains, une tape sur l'épaule, et c'est assez. Avec les enfants, c'est naturel. Ça dépend des maisons, des gens et comment on se sent. Quatrième question : Est-ce que vous faites des sorties avec les mères de vos familles ? Les sorties et les rencontres avec les réseaux familiaux et d'amitié Les sorties, pour moi, ce n'est pas fréquent ; ça arrive à l'occasion, pour rendre un service, accompagner à une ressource et alors j'amène aussi les enfants. Je ne fais pas le taxi : le but ce n'est pas de faire une sortie, mais ça peut être un moyen de faire connaître une ressource, de dépanner à l'occasion.
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Dans une famille, cela a été la seule façon de travailler pendant trois mois : à chaque visite, la mère m'attendait avec une liste de commissions, je ne pouvais pas entrer dans cette maison-là. À la longue, sa résistance a fini par tomber et c'est à sa fête, comme je lui apportais une carte de souhaits et une fleur, alors elle m'a fait entrer. Dans cette maison, c'était spécial, il y avait eu un signalement d'abus sexuel pour l'aînée, une adolescente qui avait aussi une lourde charge dans la maison auprès de sa mère et de ses frères et soeurs plus jeunes. Après le dévoilement de l'abus sexuel, la fille a été référée à un groupe thérapeutique et la mère était comme jalouse du service accordé à sa fille ; elle voulait de l'aide elle aussi, du support moral. Elle était très ambivalente : voulait... voulait pas. Après cela, après toutes ces sorties et sa fête, j'ai pu faire mes visites comme dans les autres familles et surtout voir les enfants et m'intéresser à eux. Moi, je profite des circonstances, par exemple, comme c'est l'été, dernièrement j'ai fait un pique-nique avec la famille, on a fait des jeux et on est allé se baigner tous ensemble. Une autre fois, on est allé au parc faire jouer les enfants. Ça m'est arrivé d'amener un grand de 11-12 ans chez McDonald's, pour sa fête, avec la permission de sa mère bien entendu. Une fille de huit ans, je l'ai aussi déjà amenée luncher seule au restaurant avec la permission de sa mère, pour lui donner de l'attention à elle seule. Les rencontres avec le réseau familial, c'est assez fréquent dans nos familles. Par exemple, la rencontre d'un père pour l'encourager à jouer son rôle de père, à prendre sa place de père auprès d'un enfant; il faut, bien sûr, lui expliquer qu'on ne prend pas partie dans la dispute entre les conjoints ou ex-conjoints, mais qu'on prend partie pour l'enfant qui a droit à ses deux parents et a besoin de ses deux parents et qu'ils répondent tous les deux à ses besoins. Il y a aussi parfois des rencontres avec les grands-parents, les oncles et tantes, les cousins et cousines, les parrains et marraines et avec les voisins, etc. C'est parce que le réseau social joue un rôle important dans une famille qu'il nous faut encourager nos mères à y prendre une place positive. Il nous faut souvent dédramatiser des situations, servir d'interprète dans le réseau, atténuer les jugements négatifs : « Voyons, il a dit cela pour rire, je suis sûre qu'il t'aime beaucoup, mais qu'il est maladroit dans sa façon de te le dire. » « Tu sais, tes parents ont fait ce qu ils ont pu avec ce qu'ils avaient comme ressources dans le temps. »
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L'accompagnement dans les ressources et les organismes officiels et l'interprétation de la famille aux professionnels et des professionnels à la famille Une sortie importante peut être celle qu'on fait dans les organismes officiels et les ressources. A domicile, à l'école, à l'hôpital ou dans les bureaux des travailleurs sociaux, médecins, psychologues, thérapeutes ou autres professionnels, lorsqu'on y accompagne nos petites mères, on encourage ces dernières à communiquer et on les aide à s'y préparer, parce que c'est souvent une de leurs faiblesses que de ne pas savoir s'expliquer, mais de se fâcher et de crier, ou encore, de se taire, de ne pas répondre aux questions. Réagir ainsi de façon négative ou se fermer, c'est se mettre dans son tort, alors que s'expliquer leur permet d'être mieux perçues en plus de mieux faire comprendre leur situation. Mais c'est difficile pour elles, car elles ont souvent l'impression d'être jugées et condamnées d'avance, d'ailleurs, c'est difficile pour tout le monde de rencontrer un professionnel; ainsi, dans le bureau du médecin, si on n'a pas préparé les questions à lui poser, alors on peut oublier quelque chose d'important. Nos petites mères ont souvent l'impression que tout le monde est contre elles, alors notre présence à leur côté à ces rencontres est leur sécurité, parce qu'elles savent qu'on les connaît bien, qu'on connaît la famille, qu'on sait leurs difficultés mais aussi leurs efforts et qu'on est leur ami, qu'elles sont certaines d'être en sécurité avec nous : « T'avais pas une deuxième question ? » « ... tu ne voulais pas lui dire quelque chose à propos de... » « ... tu voulais aussi raconter ce qui s est passé le dimanche soir... » et souvent il nous faut compléter les informations transmises par la mère ou les interpréter pour qu'elles soient prises en compte et surtout bien comprises. Mais on sert aussi d'interprète dans l'autre sens, pour que la mère comprenne bien ce que le professionnel a dit, ce qu'il a décidé, parce que souvent trop insécure et trop stressée, elle peut avoir compris de travers ou rien compris du tout. Alors, on lui réinterprète cela dans son langage à elle. Après la rencontre, on en reparle, on se calme. Il y a aussi les accompagnements dans les cours, cour de la jeunesse, cour civile dans les cas matrimoniaux pour la garde des enfants, la pension alimentaire, etc., cour criminelle, par exemple, dans un cas d'inceste. C'est stressant tout cela pour une petite mère obligée de se débrouiller là-dedans toute seule, ou avec quelqu'un de sa famille aussi stressé qu'elle ou qui a pris parti pour ou contre et cherche à l'influencer. Dernièrement, j'ai accompagné une mère d'un de mes anciens cas, c'est maintenant un cas fermé, mais c'est à la demande du travailleur social et de la mère que j'y suis allée et j'ai dit à la mère : « Ne t'inquiète pas, je te donne toute ma journée et je vais rester avec toi. » À la cour de la jeunesse, les gardes s'amenaient autour d'elle, parce que la fois précédente, ils
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s'étaient mis à plusieurs pour la sortir pendant qu'elle faisait une crise ; là tout le monde avait l'air d'avoir peur d'elle. Le juge m'a demandé : « Qui êtes-vous ? » J'ai dit mon nom et que je suis du Mouvement SEM (c'est toujours ainsi que cela se passe, parce qu'à la cour de la jeunesse, le juge est tenu au huis-clos et doit faire sortir ceux qui ne sont pas directement mêlés à la cause). Le juge a dit : « Ha oui... le Mouvement SEM ! » Il a eu l'air content de me voir. J'ai demandé aux gardiens de s'éloigner, qu'on n'aurait pas besoin d'eux et que tout se passerait très bien. Au tribunal de la jeunesse, les juges nous connaissent, et c'est une sécurité pour eux aussi de nous savoir là, car ils savent que notre présence dédramatise et réconforte la mère, car au tribunal, tout ce qui est rapporté est négatif puisqu'on cherche à prouver que la santé et la sécurité de l'enfant sont compromis. Ce matin-là, on n'a pas eu besoin des gardiens, personne n'a fait de crise et tout s'est bien passé. Cinquième question : Vous avez parlé d'utiliser les ressources du milieu, comme la SaintVincentde-Paul, les Petites Soeurs, l'hôpital, qu'arrive-t-il dans les familles suivies également par le Centre jeunesse, par le Directeur de la protection de la jeunesse ? Le partenariat avec la protection de la jeunesse Plusieurs de nos familles sont aussi des cas de protection de la jeunesse. Il peut alors arriver que la mère ait fait une demande de suivi à SEM-Connexion seulement pour éviter le placement de ses enfants, et que cela ne la motive pas trop à coopérer. Dans ce cas, quand je vois qu'une mère s'est sentie comme « obligée » de venir à SEM-Connexion comme si on lui avait tordu un bras, j'aborde directement le sujet : « Je sais que ce n'est pas amusant pour toi, mais fais-le pour toi et pour tes enfants, profites-en et dépêche-toi de te prendre en mains et, pour cela, je peux t'aider ; tu vois, c'est ton choix maintenant. » Dans plusieurs familles, cela aide beaucoup, parce que la protection de la jeunesse garde une responsabilité envers les enfants et que cela motive les parents ; ils veulent garder leurs enfants, mais en même temps, il faudrait que les enfants ne les dérangent pas. Mais c'est dérangeant d'élever des enfants, on est clair là-dessus et c'est un bon point de départ. Ce qui est important, c'est la concertation avec l'organisme. J'ai même déjà demandé de garder un signalement ouvert parce que cela motivait la mère qui s'était fait couper les cheveux, avait fait couper les cheveux des enfants, s'en occupait un peu mieux de peur de les perdre.
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Dans les familles suivies, je me sens responsable des enfants et si un enfant est en danger dans son milieu, je me sens responsable de faire un signalement ou d'amener la mère à signaler elle-même sa situation à la protection de la jeunesse. Il y a d'autres organismes avec qui on travaille en coopération, pour une désintoxication, par exemple, avec Source-des Monts, ou encore, pour une petite mère trop renfermée sur elle-même et très isolée, je l'ai référée à joie de Vivre qui s'occupe des personnes seules (veuves, divorcées, etc.), je lui ai donné l'adresse et le numéro de téléphone et lui ai dit: «Donne-toi trois chances et vas-y trois fois pour voir si tu as le goût de continuer avec eux et les connaître un peu. » Sixième question : Comme cela, vous vous sentez responsables des enfants de vos familles ? La responsabilité des enfants Certainement que je me sens responsable des enfants des familles suivies. Sauf dans les cas où il y a aussi la protection de la jeunesse, car cette responsabilité leur revient et c'est moins lourd pour nous, mais comme au Centre jeunesse on se fie beaucoup sur nous et sur notre suivi pour savoir ce qui se passe dans la famille et si les problèmes sont en voie de solution, cette responsabilité se trouve partagée. Dans un cas, la travailleuse sociale est finalement venue chercher les trois enfants et les a tous placés, car malgré tous les efforts, le chum continuait à consommer et la mère ne protégeait pas ses enfants ; j'étais d'accord avec le placement. Nous, on a fermé le dossier, car on ne pouvait plus rien faire, mais la mère est enceinte et attend un quatrième enfant. Dans une autre famille, la mère consommait beaucoup de médicaments et sa fille n'était pas du tout en sécurité avec elle ; j'ai pris contact avec le père qui prenait sa fille la fin de semaine. J'ai suivi la mère et le père et j'ai compris la demande de la fille (11 ans) d'aller vivre avec son père qui est beaucoup plus responsable et meilleur éducateur que son ex-femme, c'est toujours lui qui allait au bulletin à l'école, etc. Pendant quelque temps, la fille allait chez sa mère la fin de semaine, mais elle ne s'y sentait pas en sécurité à cause des « drôles de gens » que recevait sa mère ; alors tout le monde a accepté que le père amène sa fille à son ex-femme le samedi seulement, mais qu'elle n'y reste pas dormir. J'ai suivi encore toute la famille pendant une couple de mois et constaté que la fille est beaucoup plus heureuse ainsi, que ça va mieux à l'école. Je reste
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en contact avec eux, même si le cas est fermé ; j'ai référé la fille à un camp de vacances, je vois la mère de temps en temps, mais elle est assez perdue et ne pourrait vraiment pas garder sa fille et je crois qu'on ne peut pas grand-chose pour elle. Dans une famille, la négligence était très grave, la mère était alcoolique et ne se souciait pas des enfants. Après quelque temps de suivi, c'est moi qui ai fait un signalement à la protection de la jeunesse. J'ai rencontré la travailleuse sociale à qui j'ai fait part de mes observations. En apprenant la décision du placement des enfants, je les ai préparés au placement et j'ai aussi préparé la mère. Après quelques temps, on a fermé le dossier. Dans une autre famille aussi, j'ai fait un signalement à cause de la violence du père alcoolique et de l'incapacité de la mère de protéger ses enfants. J'ai demandé une discussion de cas à la protection de la jeunesse, les enfants ont été placés et on a fermé le dossier. Dans une famille, la mère était malade, elle était maniacodépressive et suivie en psychiatrie. La situation devenait de plus en plus difficile pour le garçon de 11 ans et la mère se disait elle-même de moins en moins capable de s'occuper du garçon qui présentait des troubles de comportement à l'école. Comme le garçon maintenait des contacts avec son père et voulait aller vivre chez lui, j'ai encouragé cela en disant à la mère : « Tu l'as élevé pendant 11 ans, c'est beaucoup et c'est le temps que son père le prenne à son tour » Je les ai ensuite suivis quelques temps, le garçon chez son père, et la mère seule pour l'aider à accepter cela, puis j'ai fermé le dossier. Dans au moins deux familles, le signalement à la protection de la jeunesse a amené une décision pour l'adoption d'un bébé. La présence de SEM a aidé à l'acceptation de cette décision et que l'adoption se fasse en douceur. Septième question (durée de l'intervention) : Après le placement des enfants, ou encore, après le transfert d'un enfant de la mère chez le père, vous fermez les dossiers. Mais dans les autres cas, qui décide de la fermeture des dossiers et comment procédez-vous ? La durée des suivis En arrivant dans une famille, au tout début du suivi, je dis tout de suite : « Je ne sais pas combien de temps on va prendre ensemble; dans la vie, c'est comme ça : les chemins se croisent puis se décroisent. » Comme ça, dès le début, la mère sait que le suivi est pour un certain temps seulement. La durée du suivi dépend des familles. Des fois, c'est la mère qui se rend compte que ça va
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bien, qu'elle arrive à bien gérer la maison et que les enfants vont bien, alors je prépare ma sortie, j'y vais aux deux semaines, puis moins souvent. À la fin, je lui dis : « Je pars, mais le téléphone est là, et si tu as besoin tu peux m'appeler et laisser un message, c'est sûr alors que je te rappelle dès que j'ai une minute. » Une mère qui a peur de l'abandon, je continue à la voir à l'occasion ; quand je passe dans son coin, j'arrête quelques minutes pour voir comment ça va. Puis j'espace ces rencontres. Quand ça va bien dans une famille, c'est certain qu'on est à la veille de fermer le dossier. Quand ça va, j'avertis qu'à l'avenir je viendrai moins souvent: aux deux semaines au lieu de toutes les semaines. C'est le moment de préparer mon départ de cette famille. Je leur dis : « Quand on se casse une jambe, on a besoin de béquilles et quand on est mieux et que la jambe est guérie, on n'a plus besoin de béquilles ni de plâtre. Disons que j'ai été comme une béquille pour toi et que maintenant tu es capable de bien t organiser toute seule. » Après un ou deux mois aux deux semaines, j'y vais une fois par mois pendant quelque temps. Puis je leur dis que d'autres familles ont besoin de moi, mais que je reste disponible et qu'elle peut m'appeler au besoin. Des fois, c'est la mère qui a besoin de digérer tout ce qui a été brassé avec elle et qui demande un arrêt, ce qu'il faut accepter, aussi on s'assure qu'il n'y a plus de danger pour les enfants. C'est souvent un dossier qui est rouvert au bout de trois à six mois. D'ailleurs, le volontariat de la mère est une condition à l'acceptation au suivi de SEM-Connexion. La durée du suivi n'est jamais déterminée à l'avance : au début des visites, on ne sait pas combien de temps on viendra dans cette famille. Aux discussions des cas, car il y a un suivi des cas avec la direction à toutes les semaines, il y a une analyse des situations. S'il y a progrès ou stagnation, si c'est le temps de préparer notre sortie soit parce que cela va bien, soit parce qu'on a assuré la protection des enfants par un signalement et un placement ou un transfert chez le père. C'est à ce moment de l'analyse des cas, en équipe et avec la direction qu'on confirme qu'il est temps de fermer, on décide aussi alors comment on va préparer cette famille à notre départ. Si, par exemple, il y a stagnation, nous discutons en équipe de la meilleure stratégie pour inviter le parent à avancer et progresser, ou si c'est nécessaire de confronter le parent. PRÉSENTATION DE LA RECHERCHE Une recherche évaluative a été demandée par les responsables du Programme d'action communautaire pour les enfants (PACE) de Santé Canada qui subventionne le programme Connexion du Mouvement SEM. En plus de
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rendre compte à l'organisme bailleur de fonds du travail accompli par leur intervention, cette recherche évaluative est utile aux intervenantes de Connexion pour les encourager dans la poursuite de leur action auprès des familles et, s'il y a lieu, pour modifier certaines de leurs opérations. Pour les aspects méthodologiques de cette recherche évaluative voir le document original. LES CONSTATATIONS DE LA RECHERCHE Premièrement De l'analyse des données recueillies, il ressort tout d'abord que les familles suivies par SEM-Connexion sont, pour la plupart, des cas lourds. Ces cas sont lourds à cause de la négligence des enfants et de la dépression des mères. Dans plusieurs de ces familles, les enfants sont gravement négligés et n'obtiennent pas les réponses adéquates à leurs besoins élémentaires et fondamentaux pour leur développement. Pour quelques-uns de ces enfants, la négligence est détectée plutôt tardivement par l'école où ils ne s'ajustent pas, car ils y arrivent avec des retards de développement qui les font se classer, dès leurs premiers apprentissages scolaires, parmi les mauvais élèves, et ce, quel que soit leur potentiel véritable. La perception négative de ces enfants par l'école leur envoie une pauvre image d'eux-mêmes, et les mauvaises notes obtenues à l'école renforcent cette image dans leur famille, ce qui contribue à culpabiliser davantage les mères, en plus d'hypothéquer sérieusement les enfants en raison de l'image négative qu'ils ont d'eux-mêmes. Pour ces enfants, l'aide aux devoirs avec les bénévoles de SEM ne peut donc que favoriser une meilleure adaptation scolaire. Les mères sont dépassées et souvent déprimées. La dépression cyclique, ou même devenue chronique, est une donnée importante chez plusieurs mères. Certaines de ces mères dépressives sont suivies en clinique psychiatrique. Deuxièmement C'est une donnée importante de la recherche : les mères ayant eu un premier enfant à 18 ans ou moins sont, comme leurs enfants d'ailleurs, les plus vulnérables. Il y a de très jeunes mères encore adolescentes à leur demande de services à SEM-Connexion. Il y a aussi, parmi les mères plus âgées à l'ouverture de leur dossier, plusieurs mères ayant eu leur premier enfant à 18 ans ou moins. Ces mères n'ont pas eu d'adolescence et elles ont été projetées trop tôt dans la vie adulte avec tout de suite la responsabilité d'autres êtres encore plus vulnérables qu'elles-mêmes. Autrefois, l'adoption de l'enfant était quasi systématique ; maintenant, l'avortement
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est offert aux femmes enceintes et, lorsqu'elles n'y ont pas recours, elles doivent assumer, souvent seules, leurs décisions de garder leur enfant, s'illusionnant peutêtre sur la vie avec un enfant et l'amour qu'il lui apportera. Troisièmement Les conjoints sont tout aussi vulnérables que les mères, et les relations de couple sont problématiques. Toutefois, lorsqu'on demande aux mères ce qui va bien ou ce qui ne va pas aussi bien, souvent leurs premières réponses concernent leurs amours. Le besoin d'amour, d'où qu'il vienne et quelle que soit la façon dont ce besoin est comblé et avec quels types de personne, est une donnée importante chez les mères. Il leur est difficile de comprendre et peut-être au-dessus de leur force d'acquiescer à une demande de rompre avec un conjoint inadéquat et de se libérer de leur dépendance affective à son égard, car cela signifie pour elles se retrouver encore une fois seules, sans amour, avec en plus la charge d'un / des enfants. Quatrièmement La vulnérabilité actuelle des mères est reliée à un lourd passé remontant à l'enfance et / ou à l'adolescence. Cette réalité est bien connue des intervenant(e)s de SEM-Connexion. La majorité des mères ont en effet connu l'inceste ou une autre forme d'abus sexuel, des abus physiques, une famille dysfonctionnelle. Plusieurs sortaient à peine d'une adolescence de drogues et de prostitution. Cinquièmement Il est évident que ces familles ont besoin d'aide et plus précisément de l'aide de SEM-Connexion, à cause de l'assiduité et de l'intensité du suivi, du renforcement positif et du soutien dans leur rôle parental, ce dont la plupart profitent vraiment. Parfois, les résultats ne semblent pas tout de suite évidents, car au fil des mois de suivi, certaines familles paraissent déconcertantes ou même décourageantes à leurs intervenant(e)s ; mais, avec du recul, certaines de ces familles ont apprécié et intégré les services rendus. Deux exemples des effets à retardement : « Je ne pouvais plus rien pour cette mère qui refusait totalement de se prendre en mains, de changer quoi que ce soit à sa vie et à sa dépendance au conjoint violent et inadéquat avec de grands adolescents », a dit l'intervenant. «Pendant les visites de l'intervenant, les enfants parlaient, il y avait du dialogue dans la maison; il a beaucoup aidé mon grand garçon et mon conjoint pour qui il était un ami et un modèle », a dit la mère.
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« Après le placement des enfants, je me suis retirée, car cette mère refusait mon aide », a dit l'intervenante. «J'ai réagi à retardement, je me suis inscrite en désintoxication et, même si c'est dur, je tiens le coup dans les deux thérapies, une individuelle et l'autre de groupe », a dit la mère. Sixièmement En conclusion du suivi des familles, il y a eu beaucoup de placements d'enfants. Mais près d'une mère sur deux a aussi été placée pour sa protection au cours de son enfance et / ou son adolescence. QUELQUES SUGGESTIONS Les données de la recherche sont autant de pistes de réflexion et de retour sur le travail accompli. De là peuvent aussi être tirées quelques suggestions pour l'avenir. Pour les mères Il serait intéressant de regrouper les mères de jeunes enfants (0 à 5 ans) pour suivre des cours sur le développement normal d'un jeune enfant ; elles apprendraient ainsi et pourraient en discuter entre elles et avec l'animateur (trice) que le bébé a besoin de contacts physiques, qu'à deux ans l'enfant passe par une phase de crises et de négativisme et qu'il dit toujours non, ce qui est la base de son autonomie future, qu'à quatre ans, les crises de colère sont fréquentes et font partie de son développement, et c'est alors aussi que les premières peurs sont exprimées. D'autres types de cours pratiques pourraient être intéressants pour les mères : cours de puériculture et de soins aux bébés, des cours sur l'alimentation, l'organisation et la préparation des repas, etc. Il pourrait être également très profitable de former avec et pour les mères des groupes de thérapie du genre survivantes à l'inceste, comme dans les CALACS ou chez Parents-Unis ; ou encore, des groupes pour le développement de l'estime de soi, comme le fait PIF ; des groupes de discussion et de mise en commun des problèmes et des solutions, comme le font certains CLSC ; des groupes sur l'amour, la sexualité et les relations de couple, avec un (e) sexologue ou conseiller matrimonial. Pour les intervenant(e)s Les intervenant(e)s de SEM-Connexion sont des parents qui travaillent avec d'autre parents. Comme principaux outils de travail ils disposent de leurs expériences personnelles, de leur bon jugement, de leur savoir-faire,
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de leur entregent et de leur sociabilité, de même que de leur capacité de leadership pour motiver et aider les familles à se faire une meilleure vie pour elles et leurs enfants. Plusieurs intervenant(e)s ont maintenant de nombreuses années de pratique de ce travail avec SEM-Connexion et leur compétence est précieuse pour toute l'équipe. De leur propre initiative, pour répondre à leurs besoins de formation, certains sont allés chercher des crédits universitaires en intervention sociale. En complément de ce souci de réponses à un besoin de formation, deux sujets pourraient être retenus pour des ateliers d'études avec des professionnels : 1. Les maladies mentales et surtout la dépression, ou comment aider les mères à sortir de la dépression qui devient cyclique ou chronique, et comment aider les familles dont la mère est malade mentale et fait de fréquents courts séjours en clinique psychiatrique. 2. Les relations tumultueuses entre conjoints ou comment aider les mères, et surtout celles qui ont été éveillées à la sexualité très jeunes par l'inceste ou un autre type d'abus sexuel, pour comprendre leurs besoins et apprendre à les satisfaire sans victimisation ni autopunition. Pour aider les enfants placés Une inquiétude subsiste pour ces enfants. Elle peut s'expliquer du fait que, dans les familles participantes à la recherche, près d'une mère sur deux et plusieurs conjoints ont aussi été placés pour leur protection pendant leur enfance ou leur adolescence et que ces placements n'ont pas donné de résultats qui s'exprimeraient plus tard en maturité et en responsabilité parentales. Le placement ne semble donc pas toujours tout régler. Les familles d'accueil ne paraissent pas toujours recevoir le suivi solide et substantiel nécessaire à la vérification et au contrôle d'une bonne adéquation entre l'enfant placé et la famille qui l'héberge, suivi nécessaire également au soutien de la famille dans ses difficultés avec l'enfant placé chez elle, et suivi individuel de l'enfant pour son adaptation et sa sécurité. Une suggestion de solution pourrait être celle d'une entente entre SEMConnexion et le DPJ pour continuer un suivi de quelques mois auprès de ces enfants après leur placement. Ce suivi - non de la famille d'accueil, ce qui est la responsabilité du DPJ - mais celui de l'enfant connu de SEM depuis de longs mois. Ainsi, le lien s'établirait avec sa vie passée et apporterait une garantie supplémentaire à la sécurité de l'enfant.
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EN GUISE D'ÉPILOGUE : DEUX COMMENTAIRES SUR LES SERVICES REÇUS DE SEM-CONNEXION En complément à leur questionnaire, deux mères ont résumé ainsi les services reçus : « Ils étaient là, m'écoutaient, me soutenaient, me donnaient des conseils et me montraient que je n'étais plus toute seule... » « SEM a été pour moi comme ma mère aurait dû être, parce que ma mère et moi, ça ne marche pas... après l'accouchement, j'étais tellement basse, j'avais le goût de noyer le bébé en lui donnant son bain et de me tuer après, parce que mon chum et moi, on était tous les deux trop jeunes pour être parents ; même avec mon chum, je me sentais seule et j'avais 17 ans... »
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ANNEXE 1 LE CODE D'ÉTHIQUE DE SEM-CONNEXION Au fil des ans et de l'expérience acquise, un code d'éthique s'est peu à peu imposé de lui-même à toute l'équipe de SEM-Connexion, c'est-à-dire au conseil d'administration, à la direction, au personnel de tous les services et aux bénévoles. Douze principes composent ce code d'éthique : 1) le volontariat de la clientèle ; 2) l'anonymat des clients ; 3) le respect des personnes ; 4) l'égalité des personnes ; 5) le non-jugement; 6) la disponibilité des intervenants(es) ; 7) le souci d'éducation aux rôles parentaux; 8) la responsabilité des enfants ; 9) la complémentarité en concertation avec les organismes communautaires et les établissements du milieu ; 10) le soutien, l'encadrement et la formation continue du personnel et des bénévoles ; 11) la visibilité de SEM-Connexion dans la communauté ; 12) l'affirmation d'une identité indépendante sans alliances politiques ou religieuses. 1) Le volontariat de la clientèle: Il n'y a pas d'acceptation de famille au programme SEM-Connexion sans une demande parentale expresse en ce sens. Il n'y a donc pas de suivi familial sans volontariat de la famille. C'est la première règle d'éthique de SEM-Connexion. 2) L'anonymat: À SEM-Connexion, à l'acceptation d'un dossier, un pseudonyme est donné à la famille, pseudonyme choisi par la famille ellemême, afin que soit préservé l'anonymat de la famille même dans les discussions internes des cas. Les dossiers courants portent donc le nom du pseudonyme. Les dossiers officiels, qui contiennent les noms réels, les fiches documentaires et la correspondance avec d'autres organismes, sont conservés dans une filière gardée sous clé dans le bureau de la direction. L'anonymat est la deuxième règle d'éthique de SEM-Connexion. 3) Le respect des personnes : La troisième règle d'éthique du personnel de SEM-Connexion est le respect de toutes les personnes composant les familles participantes au programme, et ce, quel que soit leur âge et quelles que soient leurs conditions de vie. Chaque personne rencontrée, enfant ou adulte, est donc considérée comme étant unique et irremplaçable et possédant ses forces et ses faiblesses comme tout le monde. Les forces découvertes seront la base de la relation famille-intervenante et serviront au renforcement positif des personnes pour augmenter leur confiance en ellesmêmes et leur estime de soi. Le respect des personnes implique leur acceptation telles qu'elles sont.
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4) L'égalité des personnes : La quatrième règle d'éthique du personnel de SEM-Connexion est de traiter les membres des familles participantes sur un pied d'égalité, car il n'y a pas de distinction de classes : les familles et les intervenantes font partie du même monde. D'ailleurs, le caractère communautaire de SEM-Connexion favorise cette relation égalitaire. 5) Le non-jugement : Si la famille a demandé de l'aide et que SEM-Connexion l'a acceptée pour participer à son programme, c'est que des problèmes ont été identifiés dans la relation parents-enfants et dans les soins donnés aux enfants. Cette conscience des problèmes et le désir de s'améliorer est le point de départ de la relation d'aide pour recréer un climat familial plus sain. Ainsi, l'intervenante ne juge pas les problèmes mais le désir de s'améliorer. Le non jugement, ou plutôt le jugement positif, est la cinquième règle d'éthique de SEM-Connexion. 6) La disponibilité des intervenantes : Il est évident que les intervenantes sont disponibles et accessibles aux familles suivies, selon un horaire prévu et accepté dans le cadre des heures de bureau. Des rencontres situées exceptionnellement hors des horaires prévues peuvent toutefois s'organiser ; des messages téléphoniques peuvent être laissés en tout temps. Toutefois, cette disponibilité n'est pas illimitée et reste encadrée. 7) Un souci d'éducation aux rôles parentaux : La demande d'aide et le désir de s'améliorer ainsi que le souci de l'intervenante de répondre à ces besoins se rencontrent et se fondent dans une recherche partagée de solutions. Pour sa part, l'intervenante fait sien le souci d'éducation populaire inscrit au programme. 8) La responsabilité des enfants : En entrant dans l'intimité des familles suivies, les intervenantes partagent avec les parents la responsabilité de veiller à la sécurité des enfants. Ainsi, si la sécurité et le développement des enfants leur paraissent compromis dans leur milieu les intervenantes s'engagent à signaler la situation aux autorités compétentes, en continuant d'accompagner la famille lors d'un placement, ou de procédures d'adoption. 9) La complémentarité en concertation avec les organismes communautaires et les établissements du milieu : Le suivi d'une famille fait nécessairement prendre conscience de nombreux besoins que SEM-Connexion pourra satisfaire en recourant aux ressources communautaires et en fournissant l'information sur ces ressources disponibles dans le milieu. Plusieurs familles suivies seront également clientes d'autres organismes ; la concertation deviendra alors la règle dans le
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SOUTENIR LES PARENTS POUR LE MIEUX-ÊTRE DES ENFANTS
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partage du travail et des responsabilités. Toutefois, SEM-Connexion n'agit pas en organisme de sous-traitance des services accordés par des organismes et établissements officiels mais travaille en complémentarité avec eux par la concertation. 10) Le soutien, l'encadrement et la formation continue du personnel et des bénévoles relèvent de SEM-Connexion : La direction de SEM-Connexion assure un suivi régulier du personnel et des bénévoles, fait participer à des journées d'information, organise des rencontres avec certains experts dans les domaines psychosociaux, participe aux réunions hebdomadaires de l'équipe d'intervention et aux discussions régulières des cas pour assumer sa responsabilité des suivis de la clientèle, du personnel et des bénévoles. 11) La visibilité de SEM-Connexion dans la communauté : C'est également une règle de l'organisme par la concertation entre les organismes, des témoignages de possibilité d'amélioration et d'espérance, des articles dans les journaux locaux, des rencontres d'étudiants, etc. Ainsi, SEM-Connexion se fait un devoir de transmissions des connaissances acquises. 12) Enfin, il convient également de signaler que SEM-Connexion est un organisme communautaire indépendant sans alliances politiques ou religieuses.
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BIBLIOGRAPHIE BOUCHARD, C. (1991). Un Québec fou de ses enfants. Rapport du groupe de travail pour les jeunes, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Direction des communications, Gouvernement du Québec, Québec, 179 pages. KEMPE, C.H. et R.E. HELFER (1977). Nouvelles approches thérapeutiques dans L'enfant battu et sa famille, comment leur venir en aide; Éditions Fleurus, Paris. (Traduction de Helping the Battered Child and His Family, Lippincott Company, 1972.) 368 pages. LABRECQUE, R. et M.-C. GUÉDON (1998). Rapport de l'expérimentation auprès des familles en difficulté, Mouvement SEM (Sensibilisation pour une enfance meilleure) Connexion, septembre. MAYER-RENAUD, M. et M. BERTHIAUME (1985). Les enfants du silence. Revue de la littérature sur la négligence à l'égard des enfants, Montréal, CSSM. MESSIER, C. et G.M. MARTIN (1981). L'enfance maltraitée... ça existe aussi au Québec. Comité de la protection de la jeunesse, Étude et recherches, Cahier synthèse, mai, 59 pages. MESSIER, C. (1996-1997). Que sont devenues les familles amies de SEMConnexion des années 1989-1992 ? Mouvement SEM, 59 pages. MESSIER, C. (2000). Soutenir les parents pour le mieux-être des enfants. Rapport d'une recherche évaluative de l'action de SEM-Connexion dans le cadre du Programme d'action communautaire pour les enfants (PACE). 2e trimestre 2000, 155 pages. TARD, C., A. BEAUDOIN, D. TURCOTTE et H. OUELLET (1997). L'évaluation de l'action des organismes dans le cadre du PACE (Programme d'action communautaire pour les enfants), trois volumes : 1) manuel d'introduction; 2) outils d'évaluation pour l'amélioration de la qualité des programmes; 3) présentation des guides d'évaluation. Centre de recherche sur les services communautaires, Faculté des sciences sociales, Université Laval, mai.
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LE SOUTIEN À UN PROCHE ATTEINT DE SCHIZOPHRÉNIE Perspectives de l'aidant familial
HÉLÈNE PROVENCHER, Ph. D. Sciences infirmières, Université Laval Centre de recherche, Université Laval - Robert-Giffard HENRI DORVIL, Ph. D. École de travail social, Université du Québec à Montréal Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP / FCAR, Université de Montréal)
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RÉSUMÉ Les aidants familiaux sont des acteurs de premier plan dans la réadaptation de leurs proches atteints de troubles mentaux. Le traitement efficace des personnes souffrant de troubles mentaux repose, entre autres choses, sur une bonne compréhension de la situation de soutien familial. À partir de résultats empiriques, le présent chapitre décrit les principales composantes de la situation de soutien familial et discute des enjeux liés à la transformation des services de santé mentale pour les personnes atteintes de troubles mentaux et pour leur famille. Des suggestions sont proposées sur le plan clinique afin d'accentuer le rôle central des intervenants dans la promotion du bien-être des aidants familiaux.
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LE SOUTIEN À UN PROCHE ATTEINT DE SCHIZOPHRÉNIE
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La présence d'un trouble mental chez une personne entraîne de nombreuses répercussions sur les membres de sa famille. Le présent chapitre propose un survol des multiples défis que doivent relever les familles côtoyant un proche atteint d'un trouble mental. Bien que l'accent soit mis sur un type spécifique de trouble mental, soit la schizophrénie, le texte suivant demeure dans l'ensemble pertinent au regard de l'expérience vécue par des familles dont un membre est atteint d'autres troubles mentaux graves. Lorsque la discussion ne concerne que la schizophrénie, nous le mentionnons clairement dans le texte. Le chapitre est divisé en trois sections. La première section propose un bref retour sur la schizophrénie. Trois thèmes y sont traités, soit les manifestations cliniques et les modalités de traitement s'appliquant à la schizophrénie, de même que les deux principales façons de conceptualiser le rôle de la famille lorsqu'un de ses membres est atteint de schizophrénie. La deuxième section se rapporte au fardeau lié au soutien familial, de même qu'aux ressources pouvant être utilisées pour faire face à des situations problématiques de soutien. La troisième section s'intéresse à la perception des familles relativement aux services de santé mentale offerts à leur proche. Les transformations en cours dans le réseau des services en santé mentale au Québec suggèrent de traiter de façon distincte cet important volet du soutien familial. UN BREF RETOUR SUR LA SCHIZOPHRÉNIE a) Manifestations cliniques : Le diagnostic de schizophrénie repose sur un ensemble de critères spécifiés dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders1 . La version française de ce manuel est disponible2, de même qu'une version abrégée3. Les critères de diagnostic tiennent compte de la présence de certains symptômes et du niveau de fonctionnement de l'individu dans les activités courantes de la vie quotidienne. Les critères sont évalués à partir d'entrevues avec la personne. Son entourage peut être également consulté afin de recueillir des renseignements additionnels sur son comportement. Il
1. American Psychiatric Association, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4e éd., Washington, DC, APA, 1994. 2. American Psychiatric Association, DSM-IV. Critères diagnostiques, 4e éd., J.-D. Guelfi et al., Trad. Paris, Masson, 1996a. Ouvrage original publié en 1994. 3. American Psychiatric Association, Mini DSM-IV Critères diagnostiques, 4e éd., J.-D. Guelfi et al., Trad. Paris, Masson, 1996b. Ouvrage original publié en 1994.
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importe de souligner qu'il n'existe pas actuellement de tests précis de laboratoire (par exemple, prise de sang, rayons x) permettant de diagnostiquer ce trouble spécifique. En général, la schizophrénie est caractérisée par des périodes d'exacerbation et de rémission. Au cours des périodes d'exacerbation, des symptômes psychotiques apparaissent sous forme de délires (c.-à-d. de fausses croyances comme se sentir poursuivi par la mafia, avoir la conviction de détenir des pouvoirs surnaturels) ou d'hallucinations (c.-à-d. de fausses perceptions comme entendre des voix). Ceux-ci peuvent induire un état de désorganisation, rendant l'hospitalisation nécessaire ou requérant, du moins, un réajustement de la médication. Les périodes de rémission sont des moments d'accalmie qui permettent une certaine reprise des activités régulières. Des symptômes psychotiques peuvent persister, mais sous forme atténuée, de même que d'autres symptômes typiques de la schizophrénie souvent confondus avec des traits de la personne comme la perte d'expressivité, la difficulté à établir une conversation, de même que le manque d'énergie et d'intérêt. b) Modalités de traitement: Le traitement de choix de la schizophrénie est de type à la fois pharmacologique et psychosocial. Le traitement pharmacologique vise à diminuer les symptômes et à prévenir les rechutes pouvant conduire à l'hospitalisation. Les médicaments les plus souvent utilisés dans le traitement de la schizophrénie sont les antipsychotiques (aussi appelés neuroleptiques). Une nouvelle génération d'antipsychotiques, les atypiques (par exemple clozapine, olanzapine, risperidone, quétiapine), possèdent un mécanisme d'action différent des antipsychotiques classiques (par exemple halopéridol) et produisent moins d'effets secondaires indésirables. Tout changement dans le dosage des médicaments ou l'arrêt de la prise de médicaments doit faire l'objet d'une consultation médicale. Lorsque la personne a eu deux épisodes ou plus d'aggravation des symptômes, il est recommandé qu'elle prenne de façon régulière et continue une médication antipsychotique. Le traitement psychosocial vise à diminuer les déficits cognitifs et fonctionnels, à améliorer la qualité de vie et à promouvoir le rétablissement (recovery) de la personne. La réadaptation cognitive4,
4. A.S. Bellack, J.M. Gold et R.W. Buchanan, « Cognitive rehabilitation for schizophrenia Problems, prospects, and strategies », Schizophrenia Bulletin, n° 25, 1999, p. 257-274.
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l'entraînement aux habiletés sociales5 et les activités psychoéducatives0 sont des interventions utilisées dans le traitement de la schizophrénie. D'autres types d'intervention sont particulièrement ancrées dans le milieu de vie de la personne, tels les modèles de suivi dans la communauté7, le soutien au logement8, le soutien à l'éducation9 et le soutien à l'emploi10. Le périodique Schizophrenia Bulletin est un excellent outil de consultation pour prendre connaissance des plus récents développements en matière de recherche sur l'intervention. c) Conceptualisations de l'influence de la famille : Dans le contexte de la schizophrénie, la famille manifeste surtout deux types d'influence11. Le premier concerne le stress que peut exercer la famille sur le bienêtre de la personne atteinte de schizophrénie. Certaines attitudes négatives de la famille (par exemple, attitudes critiques ou hostilité) ont été reconnues comme étant particulièrement stressantes pour la personne ayant la schizophrénie. Ces attitudes négatives sont couramment désignées sous le nom d'émotions exprimées (EE) de la famille. La présence de telles attitudes est clairement associée à une exacerbation de symptômes psychotiques, pouvant même conduire à l'hospitalisation de la personne souffrant du trouble mental12. Des travaux sont en cours pour expliquer de façon plus précise pourquoi certaines familles adoptent ces attitudes négatives alors que d'autres ne les manifestent pas. Demandant à être davantage confirmée est l'hypothèse selon laquelle les familles présentant de façon prédominante des attitudes critiques ou de l'hostilité auraient une certaine incompréhension du trouble mental et de ses manifestations. Par exemple, devant des comportements comme le manque d'intérêt à entreprendre des activités ou le retrait social, ces familles auraient une forte tendance à les expliquer principalement par des traits de
5. R.K. Heinssen, R.P. Liberman et A. Kopelowicz, « Psychosocial skills training for schizo phrenia : Lessons from the laboratory », Schizophrenia Bulletin, n° 26, 2000, p. 21-46. 6. L. Dixon, C. Adams et A. Lucksted, « Update on family psychoeducation for schizophrenia », Schizophrenia Bulletin, n° 26, 2000, p. 5-20. 7. K.T. Mueser, G.R. Bond, R.E. Drake et S.G. Resnick, « Models of community care for severe mental illness : A review of research on case management », Schizophrenia Bulletin, n° 24, 1998, p. 37-74. 8. P.J. Carling, « Housing and supports for persons with mental illness : Emerging approaches to research and practice », Hospital and Community, n° 44, 1993, p. 439-449. 9. C.T. Mowbray, « The benefits and challenges of supported education : A personal perspective-, Psychiatric Rehabilitation journal, n° 22, 1999, p. 248-254. 10. J.A. Cook, et L. Razzano, « Vocational rehabilitation for persons with schizophrenia : Recent research and implications for practice », Schizophrenia Bulletin, n° 26, 2000, p. 87-103. 11. H.L. Provencher, J.- P. Fournier et N. Dupuis. « Schizophrenia revisited », Journal of Psychiatric and Mental Health Nursing, n° 4, 1997, p. 278-285. 12. D. J. Kavanagh, « Recent developments in expressed emotion and schizophrenia », British journal of Psychiatry, n° 160, 1991, p. 601-620.
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caractère de la personne (par exemple paresse, manque de volonté), alors qu'ils font partie intégrante des manifestations cliniques du trouble mental. Dans ce contexte particulier, la personne ayant le trouble mental subirait davantage de pressions pour changer ses comportements, puisque ceux-ci seraient considérés comme étant sous « son contrôle ». Ces pressions amèneraient la personne à vivre un niveau plus élevé de stress, lequel serait propice à une recrudescence des symptômes13. Contrastant avec la première influence, la deuxième se rapporte au rôle de soutien joué par la famille en ce qui regarde la réadaptation du proche. Les tâches de soutien de la famille sont variées. De façon générale, ces tâches correspondent à de l'aide concrète ou à de la surveillance relativement à une diversité de besoins comme l'hygiène corporelle, la prise de médicaments, l'exécution de tâches ménagères (lavage, ménage...), l'achat de divers articles (vêtements, épicerie...), la gestion du budget et le transport d'un endroit à l'autre. De plus, le soutien affectif que la famille offre au proche constitue un autre important volet de son rôle de soutien, de même que l'information qu'elle partage avec le proche concernant les façons de gérer le trouble mental. Le fait que le proche vive ou non avec sa famille peut aussi influencer les tâches de soutien. Par exemple, lorsque le proche ne réside pas à la maison, la famille est habituellement plus impliquée dans l'aide au transport. LA SITUATION DE SOUTIEN FAMILIAL Le présent chapitre met l'accent sur le rôle de soutien de la famille dans la réadaptation du proche atteint de schizophrénie. La reconnaissance de ce rôle à l'intérieur de la Politique de santé mentale au Québec14 est aussi une incitation à préciser davantage les particularités et les conséquences qui lui sont reliées. De façon sommaire, nous présentons dans cette section quelques-uns des nombreux défis associés à la situation de soutien familial. Premièrement, nous discutons, à partir du concept de fardeau, la lourdeur occasionnée par la situation de soutien familial. Deuxièmement, nous abordons des ressources pouvant être utilisées par l'aidant familial pour faire face au stress de la situation de soutien familial. 13. C. Barrowclough, M. Johnston et N. Tarrier, « Attributions, expressed emotion, and patient relapse : An attributional model of relatives'response to schizophrenic illness », Behavior Therapy, n° 25, 1994, p. 67-88 ; C.R. Brewin, B. MacCarthy, K. Duda et C.E. Vaughn. « Attribution and expressed emotion in the relatives of patients with schizophrenia », Journal of Abnormal Psychology, n° 100, 1991, p. 546-554. 14. Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Politique de santé mentale, Québec, Gouvernement du Québec, 1989 ; (MSSS), Orientation pour la transformation des services de santé mentale: Document de consultation, Québec, Gouvernement du Québec, 1997.
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LE FARDEAU Le concept de fardeau s'accorde bien avec la transformation actuelle des ressources de santé mentale. Devant actuellement faire face au manque d'accessibilité et de continuité des services de santé mentale offerts à leurs proches, les familles ne peuvent tolérer un plus grand alourdissement de leurs fonctions de soutien15. Le fardeau représente donc un concept central à la compréhension des enjeux entourant la réadaptation du proche dans la communauté. Au cours de la présente section, deux types de fardeaux sont abordés, soit le fardeau objectif et le fardeau subjectif. TYPES DE FARDEAUX De façon générale, le concept de fardeau se rapporte aux conséquences négatives vécues et rapportées par les membres d'une famille qui côtoie un proche atteint de trouble mental. Il est à noter que ce concept est aussi utilisé dans d'autres situations de soutien, particulièrement des situations qui sont susceptibles de perdurer. À titre d'exemple, mentionnons le soutien offert à un membre de la famille qui soufre de la maladie d'Alzheimer, d'un cancer à évolution chronique ou de la sclérose en plaques. La plupart des travaux empiriques évaluent le fardeau à partir de la perspective d'un membre précis de la famille, c'est-à-dire celui qui assume la majeure partie des responsabilités liées au soutien familial. On désigne généralement cette personne comme étant l'aidant familial principal, ou tout simplement l'aidant familial. Dans le contexte de la schizophrénie, cette personne est très souvent la mère, et celle-ci offre le plus souvent du soutien à son fils. Cette situation s'explique partiellement par le fait que la schizophrénie apparaît plus tôt chez l'homme que chez la femme16 et que les fonctions de soutien sont fréquemment assumées par les femmes, et cela, tout au long des différents stades de développement de la vie de famille17. On sait en effet que ces femmes constituent la
15. Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFA PAMM), Commentaires sur les orientations pour la transformation des services de santé mentale, Québec, FFAPAMM, 1997. 16. H. Hâfner, W. Loffler, B. Fatkenheuer, W. an der Heiden, A. Riecher-Rossler, S. Behrens et W.F. Gattaz. « The epidemiology of early schizophrenia : Influence of age and gender on onset and early outcome », British Journal of Psychiatry, n° 164 (suppl. 23), 1994, p. 2938; H. Hâfner, W. an der Heiden, S. Behrens, W.F. Gattaz, M. Hambrecht, W. Lôffler, K. Maurer, P. Munk Jorgensen, B. Nowotny, A. Riecher-Rôssler et A. Stein (1998). « Causes and consequences of the gender difference in age at onset of schizophrenia », Schizophrenia Bulletin, n° 24, p. 99113. 17. J.A. Cook. « Who "mothers" the chronically mentally ill ? » , Family Relations, n° 37, 1988, p. 42-49.
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cheville ouvrière des aidants naturels dans l'entourage familial, d'autant plus que l'État en fait une prescription que les femmes sont forcées d'appliquer18. Bien qu'il n'existe pas de consensus clair autour d'une définition « universelle » du fardeau, la majorité des auteurs reconnaissent que ce concept est de nature multidimensionnelle, c'est-à-dire composé de plusieurs éléments variés pouvant être regroupés en certaines catégories19. En général, les auteurs ont établi une distinction entre le fardeau objectif et le fardeau subjectif. Fardeau objectif : Le fardeau objectif correspond à un ensemble de conséquences négatives découlant de la situation de soutien. Ces conséquences sont celles que vit l'aidant familial et celles qu'il perçoit chez les autres membres de la famille. Le terme « objectif » est ici utilisé afin de souligner que les conséquences négatives sur l'entourage du proche sont observables par une personne extérieure à la situation. Une diminution dans les activités sociales et de loisirs de l'aidant familial, une perturbation dans sa vie professionnelle ou un dérangement dans la routine de la famille sont des exemples d'éléments appartenant au fardeau objectif20. Les problèmes de santé physique ou de santé mentale de l'aidant familial sont tantôt retenus en tant qu'éléments du fardeau objectif21 ou tantôt retenus comme conséquences de celui-ci22. Certains comportements de la personne ayant le trouble mental (violence, retrait social, idées bizarres, par exemple) et les tâches concrètes que l'aidant familial effectue dans le cadre du soutien (aide pour le transport, surveillance de la prise de médicaments, par exemple) sont parfois vus comme faisant partie du fardeau
18. F. Saillant. « Virage ambulatoire : négocier le partage entre la sphère publique et la sphère privée », La Gazette des femmes, vol. 18, n° 6, 1997. 19. A.H. Schene, R.C. Tessler et G.H. Gamache. «Instruments measuring family or caregiver burden in severe mental illness », Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, n° 29, 1994, p. 228-240. 20. Ibid. 21. S.D. Platt, A. Weyman et S. Hirsch. Social Behaviour Assessment Schedule (SBAS) : The schedule, 3e éd., 1983, Windsor, Berkshère. NFER-Nelson. 22. S. Noh et R J. Turner. « Living with psychiatric patients : Implications for the mental health of family members » , Social Science & Medicine, n° 25, 1987, p. 263-271 ; S.C. Reinhard. « Living with mental illness : Effects of professional support and personal control on caregiver burden », Research in Nursing and Health, n° 17, 1994, p. 79-88.
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LE SOUTIEN À UN PROCHE ATTEINT DE SCHIZOPHRÉNIE
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objectif23, bien qu'en général ils soient considérés comme étant des concepts distincts24. De façon générale, les aidants familiaux rapportent très souvent des perturbations dans leurs activités sociales et professionnelles. De plus, ils soulignent très fréquemment qu'un climat de tension règne dans la famille et que la présence du trouble mental a des répercussions négatives sur la vie des autres membres de la famille25. Fardeau subjectif : De façon générale, le fardeau subjectif consiste en un ensemble de réactions émotionnelles qui peuvent être difficiles à tolérer et qui sont reliées à la situation de soutien. Des sentiments d'anxiété, de peur, de culpabilité et d'inquiétude sont des exemples d'éléments qui appartiennent au fardeau subjectif. Les aidants sont très souvent préoccupés par ce que l'avenir réserve à leurs proches, et cela s'applique particulièrement à une catégorie d'aidants, soit les parents âgés du proche26. Vieillissant et réalisant qu'ils n'ont plus la même énergie que dans le passé, ces parents s'inquiètent face aux conditions de vie que connaîtront leurs proches lorsqu'eux ne seront plus là pour les soutenir. Les aidants sont de plus en plus incités à recourir à des services notariés afin de consolider le plus possible l'avenir de leurs proches, y compris l'avenir financier de ceux-ci. Un guide est maintenant disponible pour les aidants qui désire plus de renseignements sur ce sujet27. RESSOURCES DE L'AIDANT FAMILIAL Les aidants familiaux font appel à des ressources internes et externes afin de pouvoir s'adapter de façon efficace aux multiples demandes de la situation de soutien social. Le texte suivant discute des stratégies adaptatives
23. J. Hoenig et M.W. Hamilton. « The burden on the household in an extramural psychiatric service », dans H. Freeman (dir.), New Aspects of Mental Health Services, Londres, Pergamon Press, 1967, p. 612-635; S. Noh et R J. Turner, 1987, op. cit. ; R. Tessler, G.A. Fisher et G.M. Gamache, The Family Burden Interview Schedule, Massachusetts, Social and Demographic Research Institute, University of Amherst, 1992. 24. Platt et al. 1983, op. cit. ; Reinhard, 1994, op. cit. 25. H.L. Provencher, . « Objective burden among primary caregivers of persons with schizophrenia,,, Journal of Psychiatric and Mental Health Nursing, n° 3, 1996, p. 181-187; Reinhard, 1994, op. cit. ; Tessler et al., 1992, op. cit. 26. J.A. Cook, B J. Cohler, S.A. Pickett et J.A. Beeler. « Life-course and severe mental illness Implications for caregiving within the family of later life », Family Relations, n° 46, 1997, p. 427-436; H.P. Lefley. « Aging parents as caregivers of mentally ill adult children : An emerging social problem,,, Hospital and Community Psychiatry, n° 38, 1987, p. 1063-1070. 27. Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFAPAMM). Guide pratique sur les droits en santé mentale : Réponses aux questions des familles et membres de l'entourage de la personne ayant des problèmes de santé mentale, Gouvernement du Québec / MSSS et FFAPAMM, 1999, 106 p.
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en tant que ressources internes de l'aidant, alors que l'aide offerte par les parents et les amis, le soutien apporté par les groupes d'entraide et les interventions familiales axées sur la gestion du trouble mental y sont abordés en tant que ressources externes. STRATÉGIES ADAPTATIVES Mis à part les stratégies spécifiquement dirigées vers des stresseurs particuliers de la situation de soutien familial, comme les comportements problématiques du proche, d'autres stratégies d'ordre plus global sont également utilisées par les aidants familiaux28. Ces stratégies peuvent être regroupées en trois grandes catégories. La première catégorie se rapporte au développement d'une attitude positive face à l'ensemble de la situation de soutien familial. Elle comprend des stratégies telles qu'avoir un esprit ouvert lors de l'analyse de situations difficiles, restructurer les fonctions de soutien comme des occasions de croissance personnelle et gérer la présence d'un trouble mental chez le proche en tant que défi. Ce premier type de stratégies d'ordre général repose, en grande partie, sur le développement de la résilience chez l'aidant. La résilience correspond à la capacité de « rebondir » face au stress, c'est-à-dire d'y réagir de façon proactive plutôt que passive. Bien que la comparaison soit un peu boiteuse, on peut associer la résilience à la résistance que certaines bactéries développent face aux antibiotiques. À la suite du contact avec des antibiotiques, certaines bactéries amorcent d'importantes transformations dans leur propre constitution, ce qui les amène à devenir résistantes aux antibiotiques. Bien que cela soit dommageable pour l'organisme, la nouvelle résistance acquise par les bactéries reflète une adaptation réussie aux antibiotiques (stresseurs). Dans le contexte du soutien familial, certains aidants perçoivent l'accroissement de leurs responsabilités comme étant une occasion d'enrichissement personnel. Également, ils ont tendance à interpréter les conséquences négatives du trouble mental sur leur vie comme étant des épreuves les incitant à se surpasser et à mener une existence plus riche en spiritualité. Des études sur le concept de résilience29 ont permis de relever une série de transformations positives chez les aidants familiaux de personnes ayant des troubles
28. D.T. Marsh. Families and Mental Illness: New Directions in Professional Practice, New York, Praeger Publishers, 1992. 29. D. Marsh, H.P. Lefley, D. Evans-Rhodes, V Ansell, B. Doerzbacher, L. LaBarbera et J. Paluzzi, « The family experience of mental illness : Evidence for resilience », Psychiatric Rehabilitation journal, 20, 1996, p. 3-12; E. Mannion, « Resilience and burden in spouses of people with mental illness », Psychiatric Rehabilitation journal, 20, 1996, p. 13-23.
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mentaux. Parmi celles-ci se retrouvent une compréhension élargie des troubles mentaux ; la rencontre d'individus riches en qualités personnelles au sein d'activités organisées par des groupes d'entraide ; le développement d'un sentiment de compassion à l'égard de la souffrance humaine en général ; une révision de leurs valeurs personnelles amenant un renouveau spirituel dans leur vie ; et le développement d'une plus grande confiance en eux-mêmes. Ces résultats de recherche montrent que la situation de soutien familial peut être un terrain propice au développement de la résilience chez l'aidant. Cependant, son émergence est souvent la résultante d'un long processus d'adaptation à la situation de soutien familial. Les mécanismes favorisant l'accroissement de la résilience demeurent mal compris, et de futures recherches demandent à être effectuées afin d'éclaircir les facteurs qui y sont reliés. C'est très important sur le plan clinique, puisque la compréhension de ces facteurs permettra de cibler les interventions cliniques favorisant la résilience chez l'aidant, et cela, le plus tôt possible dans son rôle de soutien. La deuxième catégorie de stratégies adaptatives porte sur l'assainissement du climat familial. Des exemples de telles stratégies sont: mettre un accent sur les forces du proche et celles des autres membres de la famille ; chercher à atteindre un équilibre dans la satisfaction des besoins de chaque membre de la famille ; et encourager le partage de renseignements, de sentiments et de stratégies d'intervention face à la gestion du trouble mental entre les membres de la famille. Il importe ici de souligner que la présence au sein de la famille d'un proche ayant un trouble mental n'est pas uniquement une source de stress. Ce peut être aussi une source de gratifications. Des résultats empiriques30 ont permis de démontrer que le proche pouvait contribuer de façon positive à la vie familiale, et cela en étant impliqué dans les activités à l'intérieur (p. ex. tâches ménagères) et à l'extérieur de la famille (p. ex. magasinage) et en devenant le confident de certains membres de la famille. Par ailleurs, la qualité de la relation entre les membres de la famille et le proche atteint d'un trouble mental sert à rythmer la réciprocité des échanges entre eux. Les proches collaborent avec les aidants en fonction du soutien qu'ils reçoivent de ces derniers, et vice versa31. De plus, les aidants familiaux sont plus susceptibles
30. J.S. Greenberg, J.R. Greenley et P. Benedict, « Contributions of persons with serious mental illness to their families » , Hospital and Community Psychiatry, n° 45, 1994, p. 475480. 31. A.V Horwitz, S.C. Reinhard et S. Howell-White, « Caregiving as reciprocal exchange in families with seriously mentally ill members », Journal of Health and Social Behavior, n° 37, 1996, p. 149-162.
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d'établir une relation gratifiante avec un proche de sexe féminin32. Le fait que ces personnes soient plus disposées à participer aux différentes tâches de la vie de famille peut partiellement expliquer ce résultat. Finalement, la troisième catégorie de stratégies adaptatives concerne le développement de ressources permettant à l'aidant de maintenir son ouverture sur le monde extérieur. Les stratégies suivantes y sont représentées entretenir des relations significatives avec des personnes extérieures à la famille (p. ex. amis) ; rechercher de l'information sur le trouble mental et sur les services sociaux et de santé s'y rapportant ; se renseigner sur l'existence d'un groupe d'entraide dans la région et s'interroger sur la pertinence d'y adhérer en tant que membre ; tenter d'établir des liens de collaboration avec les professionnels de la santé qui participent au traitement du proche ; et contribuer à l'amélioration des conditions de vie des familles et des proches ayant des troubles mentaux en soutenant l'action politique reliée à la défense de leurs droits. AIDE DES PARENTS ET AMIS Plusieurs études33 ont révélé un appauvrissement de l'environnement social chez de nombreux aidants familiaux. Trois facteurs peuvent partiellement expliquer cette situation. Premièrement, les responsabilités liées à la gestion du trouble mental peuvent restreindre le temps précédemment dévolu aux activités sociales et à l'entretien des liens d'amitié. Deuxièmement, l'imprévisibilité du comportement du proche peut rendre les contacts plus hasardeux avec les amis ou autres parents. Troisièmement, la discrimination sociale dont sont souvent victimes les personnes ayant des troubles mentaux peut également se répercuter sur leurs familles. 32. S.A. Pickett, J.A. Cook, B j. Cohler et M.L. Solomon, « Positive parent/adult child relationships : Impact of severe mental illness and caregiving burden », American Journal of Orthopsychiatry, n° 67, 1997, p. 220-230. 33. M.L. Oldridge et I.C.T. Hughes, « Psychological well-being in families with a member suffering from schizophrenia: An investigation into long-standing problems», British Journal of Psychiatry, n° 161, 1992, p. 249-251 ; N. Ricard, « État de santé et réseau de soutien social de soignantes naturelles d'une personne atteinte de trouble mental », Revue canadienne de santé mentale communautaire, n° 10, 1991, p. 111-131; M. St-Onge et F. Lavoie, « The experience of caregiving among mothers of adults suffering from psychotic disorders : Factors associated with their psychological distress », American Journal of Community Psychology, n° 27, 1997, p. 73-94.
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De façon générale, l'aide offerte par les autres membres de la famille et celle provenant des amis ont des effets bénéfiques sur l'aidant. Elles contribuent à diminuer son sentiment de détresse émotionnelle34. Cependant, l'aide des parents et des amis peut également avoir un impact négatif sur l'aidant. En dépit de la meilleure volonté des parents et amis de la personne, l'aide offerte peut interférer avec ses valeurs personnelles, devenir sources de conflits et rendre les relations plus tendues. Une récente étude québécoise35 a permis de mettre en relief le côté négatif du soutien social chez les aidants. Les auteures ont trouvé que certains aidants entretenaient des relations conflictuelles avec leurs confidents, et ce climat de tension avait un impact négatif sur leur détresse émotionnelle. En résumé, les études sur le soutien social renforcent la pertinence clinique de procéder à l'identification des personnes qui font partie du réseau immédiat de l'aidant familial. De plus, elles soulignent l'importance d'évaluer le niveau d'entente qui existe entre l'aidant et les personnes significatives du réseau. GROUPES D'ENTRAIDE Les groupes d'entraide représentent un autre type de ressource externe qui peut être utilisé par l'aidant familial. Au cours des deux dernières décennies, ces associations se sont multipliées au Québec. Elles couvrent une très grande variété de réalités sociales (p. ex. monoparentalité, pauvreté) et de problèmes de santé (p. ex. dystrophie musculaire, diabète). Les groupes d'entraide sont composés de personnes directement aux prises avec la situation problématique ou de parents et amis apportant un soutien à ces personnes. À titre d'exemple, la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFAPAMM) regroupe une quarantaine de groupes d'entraide répartis dans 15 régions administratives du Québec. Ces associations apportent un soutien émotionnel et éducatif aux parents et amis d'une personne atteinte d'un trouble mental. Ce sont des lieux d'échange pivotant autour d'une situation partagée par l'ensemble des membres, soit le soutien d'un proche ayant un trouble
34. Noh et Turner, 1987, op. cit. ; S.C. Reinhard, Living with Mental Illness: Effects of Professional Contacts and Personal Control on Caregiver Burden, Thèse inédite, Rutgers The State University, New Jersey ; L. Song, D.E. Biegel et S.E. Milligan, « Predictors of depressive symptomatology among lower social class caregivers of persons with chronic mental illness », Community Mental Health journal, n° 33, 1997, p. 269-286; E.L. Struening, H. Stueve, P. Vine, D. Kreisman, B.G. Link et D.B. Herman, « Factors associated with grief and depressive symptoms in caregivers of people with serious mental illness », dans J.G. Greenley (dir.), Research in Community and Mental Health: The Family and Mental Illness, Greenwich, CT, JAI Press, 1995, p. 91-124. 35. St-Onge et Lavoie, 1997, op. cit.
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mental. Parmi les nombreuses thématiques abordées lors de rencontres organisées par les groupes d'entraide, se retrouvent le processus d'acceptation du trouble mental chez le proche, la structure du réseau des services en santé mentale et l'utilisation optimale de ces services afin de promouvoir la réadaptation du proche (p. ex. services occupationnels) et de favoriser le bien-être de sa famille (p. ex. services de répit). Des séances d'information sur une variété de troubles mentaux et sur les moyens de les gérer dans le quotidien sont aussi au programme de ces associations. Renforcer la capacité de composer efficacement avec la situation de soutien familial demeure une priorité pour elles, que ce soit par un appui émotionnel ou un soutien éducatif aux membres. Un autre rôle important des groupes d'entraide est de défendre les droits des familles en tant que ressources essentielles à la réadaptation de leurs proches dans la communauté. Par l'intermédiaire d'une action politique, les associations et la FFAPAMM plaident en faveur de l'accessibilité et de la continuité de services sociaux et de santé pour les personnes ayant des troubles mentaux, accentuent les efforts afin de démystifier les troubles mentaux et la discrimination sociale qui leur est associée, revendiquent une législation qui protège à la fois les droits de leurs proches et les leurs, et militent pour une reconnaissance « réelle » du rôle des familles dans le processus de réadaptation du proche. Même si, théoriquement, le rôle central de la famille dans la réadaptation du proche est reconnu, par exemple à l'intérieur de la Politique de santé mentale du Québec, il n'en demeure pas moins que, dans la réalité, les groupes d'entraide demeurent sous-financés par les instances gouvernementales ou paragouvernementales. Les aidants familiaux qui appartiennent à des groupes d'entraide ont des caractéristiques qui leur sont propres. Le profil type d'un membre d'un groupe d'entraide est celui d'une mère âgée d'une cinquantaine d'années, instruite, issue d'un milieu socioéconomique relativement moyen ou élevé et qui est la principale source de soutien d'un fils atteint de schizophrénie. Demandant à être davantage confirmée est la possibilité que la gravité du trouble mental soit plus grande chez les proches dont les aidants font partie de groupes d'entraide que chez ceux dont les aidants n'en font pas partie36. Il est aussi possible que les aidants qui sont
36. C.F. Brady, C.R. Goldman et A. Wandersman, « Similarities and differences in caregiver adaptation : Focus on mental illness and brain injury », Psychosocial Rehabilitation Journal, n° 18, 1994, p. 35-48 ; T. Heller, J.A. Roccoforte, J.A. Cook, « Predictors of support group participation among families of persons with mental illness », Family Relations, n° 47, 1997, p. 437-442; E. Mannion, P.M. Meisel, S. Draine et J. Draine, « A comparative analysis of families with mentally ill adult relatives : Support group members versus nonmembers », Psychiatric Rehabilitation journal, n° 20, 1996, p. 43-50; M. St-Onge, F. Lavoie et H. Cormier, « Les difficultés perçues par des mères de personnes atteintes de troubles psychotiques face au système de soins professionnels », Santé mentale au Québec, n° 20, 1995, p. 89-118.
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membres de groupes d'entraide soient plus perturbés par les lacunes du réseau de services en santé mentale en matière de suivi thérapeutique et de traitement pharmacologique, d'accessibilité aux services de loisirs et d'information concernant le bilan de santé de leurs proches37. Étant donné que les membres de groupes d'entraide sont plus informés sur l'éventail de services sociaux et de santé pouvant être offerts au proche, il est plausible qu'ils soient plus en mesure de noter les écarts entre ce que le proche reçoit et ce qu'il devrait recevoir. Les intervenants en santé mentale encouragent de plus en plus les aidants familiaux à profiter des services offerts par les groupes d'entraide. Cependant, les aidants familiaux consultent rarement les groupes d'entraide durant les premières années d'apparition du trouble mental38. Des sentiments de gêne et de culpabilité ainsi qu'une réaction de deuil à retardement peuvent retarder l'adhésion à un groupe d'entraide. Les intervenants doivent donc être à l'écoute de ces réactions et soutenir les aidants dans leurs efforts d'adaptation au trouble mental. INTERVENTIONS FAMILIALES La mise en oeuvre et l'évaluation d'interventions cliniques destinées aux proches atteints de troubles mentaux et à leur famille ont suscité un grand intérêt au cours des vingt dernières années. Les premiers modèles d'interventions familiales visaient davantage à promouvoir le bien-être du proche atteint de trouble mental que celui des autres membres de la famille. L'objectif principal était centré sur la prévention de la rechute chez le proche, et cela, par l'intermédiaire de techniques d'intervention permettant d'abaisser le niveau élevé d'émotions exprimées chez les aidants concernés. Ainsi, les interventions familiales ont été initialement développées afin de modifier le rôle stressant de la famille sur la trajectoire du trouble mental. Faisant suite à la reconnaissance grandissante du rôle de la famille dans la réadaptation du proche et à la promotion d'une saine adaptation de la famille à ce rôle, d'autres types d'interventions familiales ont été élaborés. Ces interventions étaient plus axées sur le bien-être de la famille, et cela, en réduisant le fardeau familial et en favorisant l'acquisition de compétences dans la gestion du trouble mental. Les plus récents
37. Ibid. 38. M. Rousseau, (1998) Portrait de famille: Étude exploratoire sur les variables associées au vécu des membres d'associations de familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale, Québec, Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale, 1998.
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modèles d'interventions familiales visent à promouvoir autant le bien-être de la personne atteinte d'un trouble mental que celui des autres membres de sa famille39. L'ensemble des modèles d'interventions familiales qui sont actuellement disponibles reposent sur trois composantes. Il s'agit de l'éducation sur le trouble mental, de l'enseignement sur les habiletés de communication et des habiletés reliées à l'application de la méthode de résolution de problèmes40. Les techniques d'intervention axées sur les deux dernières composantes diffèrent selon certains modèles. Ainsi, le modèle d'Anderson41 privilégie une approche systémique, alors que les modèles de Barrowclough et Tarrier42 ainsi que de Falloon43 se démarquent par l'importance qu'ils accordent aux techniques behaviorales. Quant à Mueser et Gingerich44, ils ont élaboré une approche didactique mettant l'accent sur l'acquisition de connaissances qui se rapportent à une variété de situations problématiques liées à la gestion de la schizophrénie et sur une panoplie d'exercices permettant l'application pratique de ces connaissances. Une partie de ce matériel d'autoapprentissage a fait l'objet d'une adaptation française, et cela sous la forme d'un recueil d'information et d'exercices45 Les résultats de recherche démontrent très clairement que les interventions familiales axées sur la gestion du trouble mental sont efficaces pour réduire le taux de rechute chez le proche. Elles auraient également un impact positif sur le fonctionnement social du proche, bien que cela demande à être davantage confirmé46. En ce qui concerne les autres membres de la famille, les interventions familiales contribueraient à la diminution du fardeau chez les aidants. Cependant, d'autres études sont nécessaires afin
39. Dixon et al., 2000, op. cit. ; D.L. Penn et KT. Mueser, « Research update on the psychosocial treatment of schizophrenia », American Journal of Psychiatry, n° 153, 1996, p. 607617. 40. A.S. Bellack et KT. Mueser, « Psychosocial treatment for schizophrenia » , Schizophrenia Bulletin, n° 19, 1993, p. 317-336. 41. C.M. Anderson, G.E. Hogarty et D J. Reiss, « Family treatment of adult schizophrenic patients : A psycho-educational approach », Schizophrenia Bulletin, n° 6, 1980, p. 490-505. 42. C. Barrowclough et N. Tarrier, « Interventions with families », dans M. Birchwood et N. Tarrier (clin), Innovations in the Psychological Management of Schizophrenia, Chichester, John Wiley & Sons, 1992, p. 79-101. 43. I.R.H. Falloon, M. Laporta, G. Fadden et V. Grahm-Hole, Managing Stress in Families: Cognitive and Behavioural Strategies for Enhancing Coping Skills, Londres, Routledge, 1993. 44. KT. Mueser et S. Gingerich, Coping with Schizophrenia : A Guide for Families, Oakland, CA, New Harbinger, 1994. 45. K.T. Mueser et S. Gingerich, Vivre avec la schizophrénie: un recueil d'information et d'exercices destiné aux familles (H.L. Provencher, adaptation et traduction), Québec, Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFAPAMM), 2000. Ouvrage original publié en 1994. 46. Penn et Mueser, 1996, op. cit.
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d'appuyer plus clairement cette tendance. En dépit de la valeur thérapeutique des interventions familiales, les mécanismes permettant d'expliquer leur efficacité demeurent encore imprécis. Les explications sont aussi restreintes en ce qui concerne le fait que certaines familles profitent de ce type d'interventions alors que d'autres n'en retirent pas de bénéfices. Finalement, l'efficacité des interventions familiales n'est pas concluante auprès des familles provenant de groupes ethniques qui ne souscrivent pas nécessairement ou entièrement aux valeurs de la société occidentale47. Les différents stades du processus d'acculturation des membres de la famille doivent être plus pris en considération lors de l'implantation et de l'évaluation des interventions familiales. LES SERVICES DE SANTÉ MENTALE POUR LES PERSONNES SOUFFRANT D'UN TROUBLE MENTAL : PERSPECTIVES DE L'AIDANT FAMILIAL Les services de santé mentale offerts au proche ayant un trouble mental permettent d'assister l'aidant dans ses fonctions de soutien48. Une équipe multidisciplinaire est très souvent engagée dans le traitement de la personne ayant un trouble mental. De façon générale, cette équipe est composée de médecins généralistes ou de psychiatres, d'infirmières, de travailleurs sociaux, d'ergothérapeutes et de psychologues. Le traitement pharmacologique vise à pallier la vulnérabilité psychobiologique de la personne. La prescription des médicaments est la responsabilité du médecin, alors que le suivi de la médication (p. ex. présence d'effets secondaires) peut être effectué par d'autres intervenants. Le traitement psychosocial vise à développer chez la personne une série d'habiletés servant à promouvoir son autonomie et sa qualité de vie. Les habiletés sont liées à une variété de domaines, comme la gestion des symptômes, de la médication et des activités de la vie quotidienne (p. ex. ménage, magasinage) ; l'établissement et le maintien de relations interpersonnelles ; l'application de la méthode de résolution de problèmes à diverses situations ; et la performance de rôles sociaux (p. ex. travail). Les multiples visées du traitement psychosocial impliquent très souvent une étroite collaboration entre plusieurs intervenants et même entre plusieurs ressources de santé mentale, d'où
47. Ibid. 48. J.S. Greenberg, J.R. Greenley et R. Brown, « Do mental health services reduce distress in families of people with serious mental illness ? » , Psychiatric Rehabilitation journal, n', 21, 1997a, p. 40-50.
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l'importance de veiller à la continuité des services offerts à la personne, de même qu'à leurs actions coordonnées en vue de l'atteinte des objectifs du plan de traitement. L'actuelle transformation des services de santé mentale au Québec accentue l'importance de discuter des nombreuses difficultés éprouvées par les aidants familiaux au regard de l'accessibilité et de la coordination des services de santé mentale destinés à leurs proches. La collaboration que les aidants entretiennent avec les intervenants face aux objectifs de traitement de leurs proches est un autre sujet d'intérêt. La secton qui suit traite des enjeux liés à la transformation des services, et cela, dans le cadre des services actuellement offerts lors de situations de crise, lors du retour du proche dans la communauté après une hospitalisation et dans le contexte général de la réadaptation du proche. LES SITUATIONS DE CRISE Les situations de crise sont particulièrement difficiles à gérer pour les aidants familiaux. Ces moments sont marqués par une désorganisation importante du comportement du proche, laquelle met souvent sa vie en danger ou celle de son entourage. En plus d'avoir à faire face à ce stress considérable, les aidants familiaux ont rapporté des problèmes d'accès à des services pouvant répondre rapidement et efficacement à une situation de crise. Une plus grande accessibilité à des services de crise (p. ex. urgence psychiatrique, équipe mobile d'intervention de crise, centre de crise) est donc souhaitable dans toutes les régions du Québec, et cela, pour le bien-être des personnes atteintes d'un trouble mental et de leurs aidants familiaux49. LE RETOUR DANS LA COMMUNAUTÉ APRÈS UNE HOSPITALISATION Lorsqu'une hospitalisation s'avère nécessaire afin de stabiliser l'état symptomatique du proche, le retour de celui-ci dans la communauté doit faire l'objet d'une planification détaillée, laquelle vise à maximiser ses opportunités de réadaptation dans son milieu de vie. La famille étant une ressource essentielle dans la réadaptation du proche, la collaboration familles-intervenants a tout avantage à être étroite, et cela, pendant toute la trajectoire du trouble mental. Cependant, la planification du congé de l'hôpital représente un moment privilégié pour renforcer les liens de collaboration familles-intervenants. D'ailleurs, les professionnels sont de plus en plus encouragés à intégrer les aidants familiaux dans le processus de traitement, en valorisant leur rôle de collaborateur et de consultant au
49. FFAPAMM, 1997, op. cit.
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sein de l'équipe traitante50. Malgré cela, plusieurs familles rapportent un manque de collaboration entre elles et les intervenants en ce qui concerne l'élaboration et l'évaluation du plan de traitement du proche51. À partir d'un échantillon de 359 aidants familiaux de personnes ayant des troubles mentaux, environ le tiers de ces personnes ont déclaré n'avoir eu aucun échange avec des professionnels de la santé participant au traitement de leur proche52. Cette situation est d'autant plus regrettable qu'il existe une forte relation entre la perception d'un manque de collaboration avec les intervenants et la détresse émotionnelle de l'aidant53. Un enjeu important de la présente transformation des services est donc la consolidation de la collaboration familles-intervenants. LES SERVICES DE RÉADAPTATION Offerts en milieu hospitalier ou communautaire, les services surspécialisés se concentrent très souvent sur le traitement d'un trouble mental spécifique comme la schizophrénie, les troubles de personnalité, les troubles affectifs ou les troubles alimentaires. La durée de fréquentation de ces services est fixée en fonction des besoins de la personne, mais elle exclut normalement le traitement à long terme. Lorsque le traitement offert par une ressource surspécialisée se termine, le suivi de la personne dans la communauté est alors assuré par une autre équipe traitante ou par un autre intervenant (p. ex. omnipraticien). Il arrive également que la personne continue d'être suivie par son intervenant habituel, tout en ayant été momentanément dirigée vers une ressource surspécialisée. Au Québec, l'accessibilité à des services surspécialisés demeure très limitée dans les régions administratives à l'extérieur des agglomérations urbaines de Montréal et de Québec. Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas de problèmes d'accessibilité dans ces grandes régions métropolitaines, mais que ces services sont encore plus difficilement disponibles dans les autres régions du Québec. Trois autres types de services demeurent très peu accessibles pour les personnes ayant des troubles mentaux au Québec et, particulièrement pour celles ayant des troubles mentaux graves. En tout premier lieu, les
50. C.A. Peternelj-Taylor et V .L. Hartley, «Living with mental illness : Professional/family collaboration», Journal of Psychosocial Nursing, n° 31, 1993, p. 23-28; E.J. Pfeiffer et M. Mostek, « Services for families of people with mental illness », Hospital and Community Psychiatry, n° 42, 1991, p. 262-264. 51. FFAPAMM, 1997, op. cit. 52. N. Ricard et F. Fortin, Étude des déterminants du fardeau subjectif et de ses conséquences sur la santé des soignants naturels d'une personne atteinte de trouble mental, Rapport de recherche présenté au Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS), 1993, 224 p. 53. Greenberg et al., 1997a, op. cit. ; Struening et al., 1995, op. cit.
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personnes ayant à la fois un trouble mental et un trouble d'abus d'alcool ou de drogues ont très peu accès à des ressources qui offrent un traitement combinant les techniques d'intervention utilisées en toxicomanie et en psychiatrie54. Ces personnes se retrouvent trop souvent coincées dans un réseau où les services en toxicomanie et les services psychiatriques demeurent deux entités parallèles ou séparées. Alors que les services en toxicomanie ont tendance à exclure ces personnes à cause de leur troubles mentaux, les services psychiatriques ont tendance, eux aussi, à les exclure, mais à cause de leurs problèmes de toxicomanie. Dès lors, une réflexion sur la comorbidité devrait s'amorcer pour mieux accueillir cette réalité de plus en plus courante. Les deux autres parents pauvres du réseau de services sociaux et de santé mentale concernent le logement et la réinsertion professionnelle des personnes atteintes de troubles mentaux. Les récentes approches américaines en matière de soutien au logement55 et à l'emploi56 ont reçu peu d'échos au Québec. De nouveaux services doivent donc être développés dans ces trois domaines, et cela, en optimisant le pouvoir d'appropriation des personnes ayant des troubles mentaux et en misant sur des interventions cliniques de plus en plus effectuées dans le milieu de vie de ces personnes57. Enfin, des problèmes de coordination entre les ressources de réadaptation sont fréquemment rapportés par les aidants familiaux58. Un tel manque de coordination entraîne des interruptions dans la circulation de l'information se rapportant au plan de traitement du proche, oblige le proche à répéter les mêmes renseignements d'une ressource à l'autre et rend difficile l'atteinte des objectifs prévus dans le plan de traitement. Étant donné que les personnes atteintes de schizophrénie doivent souvent lutter contre des symptômes d'apathie et de manque de motivation, la
54. R.E. Drake et KT. Mueser, « Psychosocial approaches to dual diagnosis-, Schizophrenia Bulletin, n° 26, 2000, p. 105-118. 55. P.J. Carting, 1993, op. cit. 56. D.R. Becker et R.E. Drake, « Individual placement and support: A community mental health center approach to vocational rehabilitation » , Community Mental Health journal, n° 30, 1994, p. 193-206; J.A. Cook et L. Razzano, -Vocational rehabilitation for persons with schizophrenia : Recent research and implications for practice,,, Schizophrenia Bulletin, n° 26, 2000, p. 87-103. 57. W.A. Anthony, « Recovery from mental illness : The guiding vision of the mental health service system in the 1990s », Psychosocial Rehabilitation journal, vol. 16, n° 4, 1993, p. 1123; D.L. Noordsy, W.C. Torrey, S. Mead, M. Brunette, D. Potenza et M.E. Copeland, « Recoveryoriented psychopharmacology : Redefining the goals of antipsychotic treatment », Journal of Clinical Psychiatry, 61 (suppl. 3), 2000, p. 22-29; L. Spaniol, M. Koehler et D. Hutchinson, The Recovery Workbook : Practical Coping and Empowerment Strategies for People with Psychiatric Disability, Boston, MA, Center for Psychiatric Rehabilitation, Sargent College of Health and Rehabilitation Sciences, Boston University, 1994. 58. FFAPAMM, 1997, op. cit.
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coordination insuffisante des ressources peut devenir un facteur iatrogénique dans leur réadaptation et un fardeau additionnel pour les aidants familiaux. Certains modèles de suivi dans la communauté59 offrent différentes solutions de rechange au manque de continuité dans les ressources et les services de santé mentale. BIBLIOGRAPHIE ANTHONY, W.A. (1993). « Recovery from mental illness : The guiding vision of the mental health service system in the 1990s », Psychosocial Rehabilitation Journal, vol. 16, n° 4, p. 11-23. BECKER, D.R. et R.E. DRAKE, (1994). « Individual placement and support A community mental health center approach to vocational rehabilitation », Community Mental Health journal, n° 30, p. 193-206. COOK, J.A., B. J. COHLER, S.A. PICKETT et J.A. BEELER (1997). « Life-course and severe mental illness : Implications for caregiving within the family of later life », Family Relations, n° 46, p. 427-436. COOK, J.A. et L. RAZZANO (2000). «Vocational rehabilitation for persons with schizophrenia : Recent research and implications for practice », Schizophrenia Bulletin, n° 26, p. 87-103. DIXON, L., C. ADAMS et A. LUCKSTED (2000). « Update on family psychoeducation for schizophrenia-, Schizophrenia Bulletin, n° 26, p. 5-20. DRAKE, R.E. et KT. MUESER (2000). « Psychosocial approaches to dual diagnosis », Schizophrenia Bulletin, n° 26, p. 105-118. MARSH, D.T. (1992). Families and Mental Illness : New Directions in Professional Practice, New York, Praeger Publishers. MUESER, K.T, G.R. BOND, R.E. DRAKE et S.G. RESNICK (1998). « Models of community care for severe mental illness : A review of research on case management-, Schizophrenia Bulletin, n° 24, p. 37-74. MUESER, K.T. et S. GINGERICH (1994). Coping with Schizophrenia : A Guide for Families, Oakland, CA, New Harbinger. MUESER, K.T. et S.M. GLYNN (1999). Behavioral Family Therapy for Psychiatric Disorders, 2e éd., Oakland, CA, New Harbinger. NOORDSY, D.L., W.C. TORREY, S. MEAD, M. BRUNETTE, D. POTENZA et M.E. COPELAND (2000). « Recovery-oriented psychopharmacology Redefining the goals of antipsychotic treatment », Journal of Clinical Psychiatry, n° 61 (suppl. 3), p. 22-29. PENN, D.L. et K.T. MUESER (1996). « Research update on the psychosocial treatment of schizophrenia-, American Journal of Psychiatry, n° 153, p. 607617.
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RÉINSERTION SOCIALE ET REGARDS DISCIPLINAIRES
HENRI DORVIL1, Ph. D. École de travail social, Université du Québec à Montréal Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention, GRASP / Centre FCAR, Université de Montréal
1. Merci en pile à Luc Turnier, médecin psychiatre et pharmacologue, pour la précision des catégories diagnostiques, et à Dominique Robert, professionnelle de recherche au GRASP, pour le repérage des définitions des champs disciplinaires et des professions.
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
RÉSUMÉ La réalité biopsychosociale que constituent les troubles mentaux a attiré l'attention non seulement du droit et de la médecine, mais aussi celle de la plupart des sciences sociales et humaines : histoire, anthropologie, psychologie, service social, sociologie. Ce chapitre présente l'apport de ces différentes sciences aux problèmes des troubles mentaux sur un aspect bien particulier: la réinsertion sociale des personnes atteintes de ces troubles.
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RÉINSERTION SOCIALE ET REGARDS DISCIPLINAIRES
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Dans la littérature scientifique, nous entendons habituellement par personnes ayant des troubles mentaux celles qui répondent aux diverses catégories diagnostiques décrites dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (APA, 1994) et dans la Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement (OMS, 1993). Cependant, tout en tenant compte des caractéristiques neuropsychologiques définies dans ces ouvrages savants, le ministère de la Santé et des Services sociaux véhicule depuis dix ans environ (MSSS, 1989, 1997 ; Potvin et al., 1997 ; Dorvil et al., 1998) une définition plus opérationnelle, collée aux réalités vécues par ces personnes. Cette définition met l'accent sur l'impact d'un trouble mental donné sur la vie quotidienne, de même que sur le fonctionnement social de l'individu. Ainsi, le Ministère évalue la gravité de ces troubles à l'aune de leur durée, de leur chronicité, de leur impact dévastateur ou non sur la conduite de l'être humain en interaction sociale. Ces troubles [voir encadré] habituellement graves (schizophrénie, psychoses affectives, troubles de la personnalité, dépression majeure), à hauteur de 80 % des journées d'hospitalisation au Québec en 1995, ont des conséquences importantes sur l'organisation des services : centres de crise, urgences, soins aigus, réinsertion sociale, à savoir négociation du retour à la société, apprentissage des normes et des habiletés sociales, exercice à la citoyenneté active. Ces troubles ont fait l'objet de recherches cliniques et fondamentales, qui en proposent une explication en termes de jeu interactif des neurotransmetteurs dans le cerveau, de stratification complexe des sables bitumineux de l'appareil psychique ou encore d'épaisseur des rapports de classes et de pouvoir impliquant les facteurs d'intégration sociale. Mais la maladie mentale est aussi une forme de perturbation discursive et comportementale qui se définit par l'écart à la norme et se trouve en contravention avec les règles de l'ordre social établi. De fait, le processus de catalogage et de diagnostic psychiatriques ne commence pas au bureau du psychiatre, mais au sein de la communauté d'appartenance, affirme une anthropologue (Scheper-Hughes, 1987). En effet, ce sont la famille, les collègues de travail, les voisins qui procèdent à la première évaluation de la conduite du présumé malade mental, décèlent chez lui des signes de folie et forcent l'individu en question à consulter un médecin psychiatre. Comme le soutient Keating (1993), les médecins asilaires ont simplement accepté la distinction entre la folie et la normalité telle que définie par la communauté. Autrement dit, en acceptant d'intervenir sur tous ceux que la communauté excluait, soit par intolérance, soit par nécessité, les médecins épousaient implicitement une définition non médicale de l'aliénation mentale. Les codes culturels utilisés pour évaluer l'anormalité d'une conduite constituent en
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II e ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
fait la bible d'une collectivité donnée. Les différentes éditions2 revues, augmentées et corrigées du DSM et du CIM peuvent être considérées comme un ajustement de la science au changement des normes culturelles, une adaptation à la mouvance du regard social, une justification de postulats à travers un dialogue avec la culture. C'est ce qui expliquerait la disparition de la mélancolie, de l'homosexualité (Thuilier, 1989), et non du syndrome prémenstruel, et l'apparition du syndrome de l'épuisement professionnel (burn out) et des troubles de déficit de l'attention (TDA) dans la nosographie psychiatrique récente. C'est pourquoi aussi le vocable maladie mentale ne constitue pas un fait brut, pur, objectif, mais un fait institutionnel daté historiquement (Foucault, 1971), une étiquette, une catégorie culturelle, une construction sociale, d'où l'expression personnes classées malades mentales. Ainsi, cette réalité biopsychosociale, enjeu de luttes professionnelles féroces, ne saurait être la chasse gardée d'une seule discipline. Elle a fait l'objet d'une attention particulière de la part du droit, de la médecine, certes, mais aussi de la plupart des sciences sociales et humaines. Schizophrénie trouble caractérise par une détérioration de la pensée (incohérence du discours), des délires (idées fausses, logique erronée), des hallucinations, surtout auditives (fausses perceptions des sens), un comportement manifestement désorganisé et un affect aplati. Ce qui se traduit par un dysfonctionnement social ou professionnel qui se caractérise par un certain retrait et une pauvreté du discours. Psychoses affectives : troubles graves de l'humeur habituellement périodiques constitués surtout par la dépression et l'anxiété, mais qui se manifestent également par l'euphorie et l'excitation. La personne qui en est affectée ne se rend plus compte qu'elle dépasse les nonnes ou encore elle souffre tellement qu'elle en est paralysée et hantée par des idées suicidaires. Son jugement est perturbe. Cet état amène des problèmes avec la famille, au travail, des problèmes financiers, parfois judiciaires (p. ex. vol à l'étalage). Troubles de la personnalité : modes' de comportement inadaptés profondément enracinés, habituellement reconnaissables au moment de l'adolescence ou plus tôt et persistant pendant la plus grande partie de la vie adulte. La personnalité est anormale soit dans l'équilibre, la qualité ou l'expression de ses composantes, soit globalement. Cette altération est cause de souffrance pour la personne affectée ou son entourage, a des conséquences nocives pour l'individu et la société. 2. DSM-I/106 catégories diagnostiques, 1952 ; DSM-II/182 cd, 1968 ; DSM-III/265 cd, 1980 ; DSM-III-R/298 cd, 1987 ; DSM-IV/297 cd, 1994, dans Villeneuve (1998).
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Dépression majeure: se caractérise par une modification importante de l'humeur accompagnée de sentiments profonds de tristesse, d'impuissance ou de désespoir, une baisse d'estime de soi, un sentiment de culpabilité manifeste ou latent, une douleur morale intense, une perte d'intérêt pour les activités quotidiennes, un manque d'entrain et la fatigabilité. DE L'HISTOIRE a) Histoire Reconstitution du déroulement des événements de la vie d'un peuple, d'une société (J.-C. Gehanne, Dictionnaire thématique de sciences économiques et sociales. Principes et théories I. Acteurs et structures, Paris, Dunod, 1995, p. 3) b) Historien, historienne Personne qui effectue des recherches en vue de reconstituer et d'interpréter les faits (sociaux, humains, économiques, politiques) qui ont marque 1'histoire d'une collectivité humaine et son évolution au cours d'une période plus ou moins longue (D Pelletier, dir., Dictionnaire Septembre des métiers et des Professions, Sainte-Foy, Les Éditions Septembre, 1997, p. 109) Femmes, juifs, Noirs, homosexuels (Mayer, 1994), d'une part, bossus, boiteux, itinérants, fous, déficients physiques et intellectuels, d'autre part, font figure, à travers l'histoire, de personnages exclus, marginaux happés par la dynamique de la peur dans laquelle les collectivités et les civilisations se sont engagées pendant des siècles. Dans une grande fresque historique, Jean Delumeau (1978) retrace avec éloquence la peur que l'Occident a toujours nourrie non seulement à l'égard des femmes, des juifs et des Noirs, mais aussi à l'égard des corps différents de tout acabit. Pour ce qui est des fous, toutefois, de même que de quelques catégories de marginaux, dont les Bohémiens (Asseo, 1994), l'histoire relate des périodes de variation dans les attitudes. Michel Foucault (1971) souligne que la folie était perçue comme faisant partie intégrante du paysage culturel, et ce, durant toute l'époque de la Renaissance (La nef des fous de Bosch) : dans les textes savants (l'Éloge de la folie d'Érasme en 1509), au théâtre, un peu partout où la raison côtoyait les chimères. Mais dès le milieu du XVIIe siècle, l'Occident met brusquement fin à l'hospitalité qu'il avait accordée jadis à la folie. Le monde de la folie devient donc le monde de l'exclusion sociale, rendu possible vu l'émergence de certaines conditions d'organisation de la société. Ainsi, les hôpitaux généraux et les asiles deviennent des institutions d'État où, pour des raisons économiques et morales, on entasse chômeurs, mendiants, gueux, fous, etc. Le nouvel ordre bourgeois perçoit la folie à travers une condamnation éthique de l'oisiveté, et quiconque n'entre pas dans le schéma de la rationalité et de l'efficacité est reconnu déviant et
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envoyé à l'asile. Comme les léproseries d'autrefois, les asiles, abris pour la folie, sont construits en périphérie des agglomérations urbaines, à l'écart de la demeure des gens normaux. Les villes sont ceinturées de murs, avec des gardiens aux portes (Delumeau, 1978). En fait, les portes des villes occidentales (Berlin, Paris, Québec, Rome, Perugia, York, etc.) ont longtemps servi de remparts dans un sens militaire, mais aussi de filtre urbain à l'égard des fous, des itinérants, des mendiants, bref, des déviants en général. Cette pratique a existé également en Orient. Ainsi, la ville de Xian (centre), l'ancienne capitale de Chine, était ceinturée de remparts vieux de six siècles datant de la dynastie Ming, qui la protégeaient des pillards, des gens de mauvaise vie et de mauvaises moeurs. L'esprit, voire la réalité de cette tradition, se maintient jusqu'au XXIe siècle où, pour préserver la quiétude des milieux de vie des normaux, les patients psychiatriques, aussi bien que les prisonniers, les pauvres et les personnes prostituées, sont refoulés dans l'arrière-pays, dans les banlieues à risque, dans les red-light districts. Cette mise à distance des éléments éventuellement « perturbateurs » de l'ordre social s'avère encore de mise comme le montrent les ceintures de béton qui entourent aujourd'hui les villes : l'autoroute périphérique à Paris, la « North Circular Road » et la « South Circular Road » à Londres, le boulevard Métropolitain, le boulevard Décarie et l'autoroute Ville-Marie à Montréal. De là, aujourd'hui, la localisation des personnes désinstitutionnalisées dans des zones précises de l'espace social : le Centre-Sud, l'Est de Montréal, la ville de Verdun, le quartier Saint-Roch au centre-ville de la ville de Québec, de Beauport à Saint-Pascal-de-Maizerets. Mais, comment expliquer cette peur du fou qui se matérialise si souvent en une mise en quarantaine ? L'émergence de la modernité dans notre Europe occidentale, souligne Delumeau (1978), s'est accompagnée d'une incroyable peur du diable. Cette peur du diable, ajoutent Quetel et Morel (1979), n'est pas du tout réservée au peuple. Les élites l'éprouvent, qui la diffusent à leur tour en des centaines de milliers d'exemplaires d'ouvrages traitant du monde démoniaque en Europe aux XVIe et XVIIe siècles. En fait, ce ne serait qu'une renaissance d'idées (Paradis, 1994, 1992) qui foisonnaient dans la plus haute antiquité. Le fou était considéré comme un suppôt, un médium, la manifestation du sacré, des entités transcendantes invisibles d'où les incantations, les rituels pour le préserver de ces esprits mal intentionnés, pour apaiser son esprit tourmenté par les morts ou pour le mettre en transe afin que les dieux s'en saisissent et le raisonnent. Plus tard, avec les débuts de la société marchande, le décloisonnement des frontières nationales et les conquêtes, les conceptions religieuses se marginalisent pour laisser la place à l'apprentissage des lois naturelles et des rudiments de la physiologie du corps humain ; à la folie,
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comme maladie au sens médical selon Hippocrate et Gallien. L'ellébore remplace tranquillement les bûchers. Mais, au Moyen Âge, le déclin des institutions romaines amène la résurgence des croyances populaires. On recommence à vouloir expulser le diable du corps des fous en escortant ces derniers en grandes pompes à l'église et au tribunal pour les exorcismes et les aveux de folie. Le prototype de cette pratique est le pèlerinage à Gheel en Belgique pour le culte à sainte Dymphne. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, c'est le triomphe d'une vision binaire : d'un côté la moralité, c'est-à-dire la capacité de raisonner, de l'autre la folie, c'est-à-dire la perte de la faculté de raisonner de l'essence humaine, la régression vers l'animalité. Cette vision négative de la folie porte les communautés à se débarrasser des fous comme on le fait pour les pauvres et les mendiants. Et c'est la disparition des fous des circuits sociaux habituels et leur refoulement dans les salles arrière des hôpitaux, dans les refuges, dans les camps de travail, voire dans des péniches au fil de l'eau. Ce nettoyage du corps social s'avère nécessaire à l'instauration de la paix publique, condition première du progrès. La mise à l'ombre de la folie-oisiveté, considérée comme un danger, un crime, laisse la voie libre à l'épanouissement des nouvelles valeurs bourgeoises : travail salarié, productivité, profit, rentabilité, propriété privée, compétitivité. Folie égale imagination débridée, idées fixes, libertinage, menace pour la sécurité. C'est l'époque où les paysans, trop nombreux sur les terres et appauvris par les « royalties » qu'ils ne peuvent payer, déferlent sur les villes, grossissant le nombre des sans-abri de toutes sortes (Vigne, 1982; Delumeau, 1978). C'est dans cette atmosphère de désordre appréhendé que Louis XIV, le Roi Soleil, met la folie à l'ombre. Et, de 1650 à 1750, des refuges et des asiles comme Saint Lazarre, Saint-Vincent-de-Paul, Bicêtre, la Salpêtrière vont passer d'un effectif de 700 à 8000 pensionnaires. L'ère des aliénistes coïncide en quelque sorte avec la Révolution française de 1789 et ses réformes institutionnelles. La folie, qui relevait de la religion et du droit, passe sous la coupe de la médecine, qui réduit la vie mentale à l'activité du cerveau et des organes des sens. La folie devient donc un ensemble de pathologies du système nerveux. Pinel et les autres aliénistes (Quetel et Morel, 1979) firent coïncider la création de l'asile d'aliénés avec le désir de s'engager sur la voie du traitement moral, c'est-à-dire interaction avec le patient, individualisation ou traitement, en tout cas des thérapeutiques nouvelles assez différentes des procédés physiques habituels. La Révolution française ainsi que la symbolique humaniste de la libération des chaînes à Bicêtre ont exercé une influence majeure dans l'éclosion du mouvement des colonies agricoles et familiales au cours du XIXe siècle et, par la suite, dans une recherche permanente de stratégies alternatives à l'enfermement. On voit ici le lien de parenté avec le courant
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humaniste de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas et de la Scandinavie qui s'intéresse de près à l'expérience du village de Gheel en Belgique où le malade mental trouve sa place dans cette communauté accueillante, expérience de convivialité qui dure depuis le Moyen Âge. À la fin des années 1950, l'enthousiasme de l'après-guerre, la résistance de plus en plus ouverte aux médicaments neuroleptiques, l'optimisme des thérapies de tendance psychanalytique, le vent des réformes sociales favorisent l'ouverture de l'asile psychiatrique sur le monde extérieur. Mais c'est surtout la contreculture d'origine américaine qui, imaginant une société différente sous l'égide de l'alternative, a le plus d'impact sur l'épanouissement et la défense des minorités de tout acabit : groupes ethniques, gai(e)s, personnes handicapées physiques et mentales. Sur le plan de la santé mentale plus spécifiquement, cette voie alternative signifie aussi disparition graduelle des hôpitaux psychiatriques et création de centres de prévention au sein de la communauté. Au Québec, Les fous crient au secours, écrit par un ex-patient psychiatrique décrivant les conditions de vie intolérables à Saint-Jean-de-Dieu et le rapport de la commission Bédard-Lazure-Roberts sur les hôpitaux psychiatriques donnent une impulsion nouvelle à l'appareil psychiatrique interdiction de construction de nouveaux asiles, création de départements de psychiatrie au sein des hôpitaux généraux, psychiatrie communautaire, sectorisation des soins de santé mentale, croissance spectaculaire du nombre de psychiatres. Tout cela se traduit par une baisse radicale du nombre de malades dans les hôpitaux psychiatriques de 1963 à 1978 et conduit, par le fait même, à une augmentation du nombre de « fous » vivant dans la communauté. La réorganisation du système psychiatrique va tendre vers trois objectifs : favoriser l'accessibilité à des services psychiatriques diversifiés à proximité du milieu de vie des patients, assurer le suivi des patients au sortir de l'hôpital et établir des programmes visant leur réinsertion dans la communauté. D'ailleurs, tous les auteurs consultés (Aird et Amyot, 1981 ; Cellard, 1989 ; Wallot, 1998) mettent plus ou moins l'accent sur la prise en charge communautaire de la folie avant la période asilaire du milieu du XIXe siècle. Pour plusieurs raisons d'ailleurs. D'abord, à cause du degré du développement de l'industrialisation et de l'urbanisation au Québec, les conditions socioéconomiques propices à l'érection d'asiles n'existaient pas. Ensuite, environ 80 % de la population québécoise résidait en milieu rural où les solidarités familiales, paroissiales et de voisinage parvenaient à résorber toutes sortes d'états d'indigence : pauvreté, incapacité physique, incapacité intellectuelle, folie, etc. En outre, les Canadiens français
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refusèrent durant très longtemps d'envoyer leurs fous à l'asile dirigé par les Britanniques. En effet, les premiers asiles du Québec étaient sous le contrôle des médecins anglophones. Ce n'est qu'à l'ouverture de Saint-Jean-de-Dieu (1875) que les communautés religieuses francophones posséderont et administreront la presque totalité des institutions psychiatriques. Les asiles une fois sous la gouverne du clergé catholique, les Canadiens français commencent à y envoyer leurs insensés (Cellard, 1991 ; Dorvil, 1988 ; Courteau, 1989). C'est dire que, du début de la colonie jusqu'à cette date, les personnes présentant des troubles mentaux ont avant tout été prises en charge par la communauté. Pour diverses raisons économiques, politiques, ethniques et religieuses. DE L'ANTHROPOLOGIE a) Anthropologie : Étude des groupes humains au travers des races et des origines de l'homme (Gehanne, 1995, op. cit., p. 3). b) Anthropologue : Personne qui fait des recherches sur les cultures et sociétés humaines. Elle étudie et observe leur histoire, leur transformation et leur évolution (mode de vie, caractéristiques physiques, fonctionnements sociaux, système de valeurs) afin de connaître, comprendre et expliquer les divers aspects de l'évolution humaine (Pelletier, 1997, op. cit., p. 29). La balkanisation ou l'exclusion des fous constitue un phénomène universel. Claude Lévi-Strauss [1955], après de multiples investigations menées dans diverses contrées, avait déjà décelé un choix, un parti pris en faveur des normaux, des formes pures et concomitamment une méfiance, une peur envers les déviants conçus comme porteurs du mal. Ainsi, des sociétés qui pratiquent l'anthropophagie, c'est-à-dire qui voient dans l'absorption de certains individus détenteurs de forces redoutables le seul moyen de neutraliser celles-ci et même de les mettre à profit, il distingue celles qui, comme la nôtre, adoptent ce qu'on pourrait appeler l'anthropémie (du grec emein, vomir) et qui, placés devant le même problème, choisissent la solution inverse consistant à expulser les « anormaux » hors du corps social en les tenant temporairement ou définitivement isolés, sans contact avec l'humanité, dans des établissements destinés à les recevoir. À la plupart des sociétés que nous appelons primitives, cette coutume inspirerait une horreur profonde, elle nous marquerait à leurs yeux de la même barbarie que nous serions tentés de leur imputer en raison de leurs coutumes symétriques. Le symbolisme derrière cette absorption dans un cas et d'une mise en quarantaine dans l'autre explique en partie le sentiment de répulsion qui animait la communauté à l'égard de la désinstitutionnalisation (déshospitalisation, décarcération) vécue au début un peu comme l'invasion
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des barbares. Cette manière de traiter les corps différents ne constitue guère un acte isolé, mais fait partie d'un appareillage des us et coutumes régissant le fonctionnement des sociétés, la vie, la mort. Comme le soutiennent plusieurs auteurs (Corin, Bibeau et Uchôa, 1993), toute maladie mentale est intrinsèquement traversée par la culture, dans ses modalités d'expression, dans son évolution et dans l'ensemble des réactions personnelles et sociales qu'elle suscite. La réinsertion sociale des personnes classées malades mentales ne saurait être réalisée sans que l'on comprenne les signes de la maladie mentale partagés par une communauté donnée et les réactions de cette communauté vis-à-vis des individus étiquetés. Le retour d'un individu banni d'une communauté doit être précédé d'un processus de négociation, d'amende honorable pour les normes qui ont été violées, d'un stage de réapprentissage des conduites valorisées, stage dont la durée varie selon le temps de l'exclusion. L'objectif étant d'éliminer l'anxiété causée par la menace que la maladie fait peser sur l'ordre moral et l'ordre social. Tout cela, au nom de la survie de l'espèce. Et la culture exerce une influence déterminante sur les réponses et les attitudes de la population à l'égard de ces personnes en réhabilitation. Elle distingue (Geertz, 1973) les désordres psychologiques qui sont acceptables socialement et ceux qui sont stigmatisés par la population ; elle définit le seuil de tolérance de l'individu qui peut en toute légitimité expérimenter des dysfonctions dans ses rôles sociaux, familiaux et économiques. Par ailleurs, la notion de système de significations culturelles nous apprend que l'existence humaine est régie par les significations et les signes que partagent les membres d'une même société, d'un même groupe. Ces derniers s'échangent des signes pour en dégager des significations implicites, souvent cachées même. Ces significations (D'Andrade, 1984) structurent l'ensemble de l'expérience humaine, en ce sens qu'elles affectent non seulement la pensée mais aussi les émotions et les actions. Ce sont en fait des théories, des représentations sociales, moteurs invisibles des manières de penser et d'agir de chaque individu. Selon l'anthropologie médicale, la maladie (Fassin, 1996) recouvre trois réalités distinctes, trois ordres de réalité mises en relation : l'expérience subjective de quelque chose d'anormal (illness) ; un état d'altération biophysique objectivement attestable de l'organisme (disease) et le rôle social de malade (sickness). Le sens de la maladie doit se trouver dans tous les régistres de la vie sociale. Plutôt qu'une réalité dérivée de définitions biologiques médicales ou philosophiques, la santé apparaît donc simultanément comme une notion et comme un espace définis par les rapports entre le corps physique et le corps social. Selon Fassin, la santé est une construction, culturelle comme notion et politique comme espace, qui ne peut être appréhendée que de manière relationnelle, comme un produit
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du monde social. À la forme élémentaire de l'événement que constitue la maladie, poursuit l'auteur, il faut donc opposer la réalité complexe de la santé comme notion culturellement déterminée et comme espace politiquement structuré : notion dans laquelle sédimentent des signifiants élaborés tant par le sens commun que par la connaissance savante, espace qui met en relation un ensemble d'agents : malades, professionnels ou administrateurs. Il en est de même de la déficience intellectuelle qui, durant longtemps, a été considérée comme un phénomène purement physiologique. Ce n'est que depuis trois décennies environ qu'une nouvelle épistémologie (Desjardins, 1994) en a reconnu les déterminants psychoaffectifs, sociaux et culturels. Cette méthode anthropologique a été utilisée dans l'étude des problèmes de santé mentale dans la région de l'Abitibi (Corin et al., 1990). Les perceptions, les représentations relatives aux problèmes de santé des habitants étaient prises en compte au même titre que les points de vue des intervenants et des décideurs. Cette façon de procéder s'impose pour que les programmes et les services répondent aux attentes et aux desiderata de la communauté en question. Cette démarche consiste essentiellement en une quête systématique d'indices, de traces, de signes des dynamiques qui structurent les sociétés et les cultures. Selon les tenants de cette méthode, trois principes doivent guider cette entreprise interprétative établir un dialogue avec le milieu dans une écoute attentive des membres de la communauté ; partager étroitement la vie quotidienne de la population ; maintenir, au cours de ces relations, cette distance optimale qui permettra de faire surgir le sens en élargissant les interprétations mises en avant par les gens eux-mêmes. Tout cela suppose une connaissance de l'organisation sociale à partir de laquelle se structurent l'ordre cognitif des représentations et l'ordre pragmatique des actions, une identification de la dynamique sociocommunautaire propre au milieu à l'étude. Il va sans dire que les systèmes de signes, de sens, d'actions d'un milieu axé sur la production des mines peuvent différer de ceux des milieux où l'activité économique dominante est la foresterie ou l'agroforesterie. Peuvent différer aussi les types de problèmes dominants (violence, alcool, suicides, accidents, isolement, négligence envers soi ou autrui), les manières de les vivre (alcool, drogue, troubles mentaux, problèmes familiaux). Les lieux d'expression, les valeurs, les réactions, l'utilisation des services publics, de l'aide informelle s'avèrent différents d'une localité à l'autre, et ce, même à l'intérieur d'une sous-région. Il en est de même des caractéristiques macrosociologiques : l'ouverture / fermeture pour les villages agroforestiers, l'intégration / désintégration pour les localités forestières et l'autonomie / dépendance pour les milieux miniers. Toutes ces considérations doivent être prises en compte pour des soins et des services culturellement adaptés.
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La désinstitutionnalisation de personnes classées malades, étrangères à une région donnée, ne va pas non plus sans heurts si l'on ne tient pas compte des modèles de penser et d'agir qui y ont cours. L'Annonciation (Dorvil, 1988), alors un petit village d'à peine 1000 habitants, a hérité d'un gigantesque hôpital de 778 lits, devant servir de déversoir pour le trop-plein des hôpitaux urbains du Québec. À cause des aléas du marché capitaliste - augmentation des coûts de production de l'industrie du bois, baisse internationale de la demande de papier journal, inexistence de l'industrie de transformation dans la zone de Labelle, éloignement des marchés, agriculture non rentable - l'État-providence a dû intervenir pour colmater cette brèche dans l'organisation socioéconomique du pays. La paupérisation et la prolétarisation des cultivateurs dans les pays d'En-haut, leur exclusion de l'activité économique exerçaient de trop fortes pressions sur l'État. Les populations, en effet, dépendaient des programmes gouvernementaux de bien-être (assistance sociale, assurance-chômage, etc.). La pénurie d'emplois aggravait une situation déjà fort précaire et provoquait la croissance de dépenses au titre du bien-être social. D'où l'intervention de l'État pour réduire l'écart des revenus de ces agriculteurs avec la moyenne nationale. L'économie de la sous-région est progressivement axée sur des services publics : hôpital, hébergement carcéral, etc., et les élites locales jouent un rôle de premier plan dans cette réorientation de l'économie sous-régionale. La saignée démographique qui affligeait ce territoire est arrêtée avec l'ouverture du centre hospitalier des Laurentides en 1963. Pour la sous-région de L'Annonciation / Labelle, l'hébergement du malade mental était le prix à payer pour bénéficier d'investissements publics d'une certaine ampleur. Ce cadeau électoral de l'ancien premier ministre Duplessis doit être drapé dans les ambivalences, les quiproquos, les sous-entendus, les surprises qui entourent généralement le don (Mauss, 1980). C'est pourquoi le désir latent d'avoir un hôpital général, lieu de prestige, a toujours eu le pas, dans l'imaginaire collectif, sur l'hôpital des aliénés dont il n'a jamais été question dans la communauté. Ainsi, les habitants de L'Annonciation se trouvent écartelés entre cette manne économique toujours désirée et la dangerosité appréhendée des patients. Et cette double vision imprègne les données sur les mécanismes de surveillance et, ultimement, la représentation sociale des troubles mentaux. Faut-il rappeler que l'arrivée des patients psychiatriques au village par autobus, précédés et suivis par des voitures de la police provinciale, a créé un traumatisme : c'est le désordre de la ville qui entrait dans une paroisse bucolique blottie autour de son clocher. Les rues étaient désertes et les habitants regardaient le convoi à travers les persiennes. Une fois les fous internés, la période de l'appréhension se termine et celle de la résistance commence. L'apport économique potentiel de l'hôpital ne fait pas perdre de vue aux élites locales les dangers que représente la venue des fous au
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village. Elles feront tout pour contrôler la menace que représentent ces marginaux. Les édiles municipaux exigent de l'administration hospitalière la construction d'une clôture métallique de 18 pieds. Les démarches se multiplient pour avoir un poste permanent de la Police provinciale en renfort des policiers municipaux. Des résolutions du conseil municipal sont acheminées au conseil d'administration de l'hôpital pour qu'on restreigne la liberté des patients. De plus, des arbres centenaires sont abattus sans ménagement pour éliminer les coins d'ombre, et ce, sur tout le territoire du village. L'éclairage des rues est renforcé. Mais le Québec était à l'heure de la Révolution tranquille, de la psychiatrie communautaire qui prêchait l'ouverture des asiles et la cohabitation avec les patients psychiatriques dans la communauté. En dépit d'une valse-hésitation intense, faite d'acceptations et de rejets, l'heure de la coexistence pacifique entre normaux et anormaux arrive après quinze ans. La majorité des habitants travaillent à l'hôpital, côtoient les patients sur les lieux de travail, au village. Ils ont appris à se familiariser avec eux. La peur du fou étranger s'estompe. Les préposés aux bénéficiaires ont été, pour ainsi dire, mandatés par la communauté pour entrer en contact avec ces nouveaux venus. Ils agissent en tant que guérisseurs. Leur rôle est d'apaiser les forces redoutables de la folie, de les exorciser et de négocier une place pour ces déviants dans les structures d'accueil de la communauté. D'autres faits mériteraient d'être signalés. Mais contentonsnous de noter que la forte densité de population (208 hab. / km2) augmente la tension lors des rencontres, de même que la visibilité des marginaux. Il s'agit en plus d'une communauté isolée des grands centres urbains. Les patients développent entre eux une véritable police des moeurs, un genre de surveillance de groupe qui vient seconder l'autosurveillance imposée. Les psychiatrisés s'enrôlent dans la croisade pour faire régner la norme mentale. Comme tout néophyte, ils incarnent de façon irréprochable les idéaux de la normalité, pour prouver leur bonne foi aux normaux majoritaires. On compte désormais sur le psychiatrisé pour fustiger les conduites déviantes de ses congénères. La communauté des normaux fait surtout beaucoup de pression sur les patientes femmes, plus craintives, plus respectueuses des normes, pour faire entendre raison aux patients mâles, plus portés à passer à l'acte. Mais ces patientes plus normalisées sont mal vues, jugées coupables de trahison, de collaboration, assez souvent accusées de faire le jeu des normaux, voire ridiculisées à la manière des autochtones trop acculturés que l'on surnomme apple, c'est-à-dire blancs à l'intérieur, rouges à l'extérieur ; ou des Noirs qu'on appelle noix de coco, c'est-à-dire blancs à l'intérieur, bruns à l'extérieur; ou encore des étudiantes téteuses de profs.
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Dans les paragraphes précédents, nous avons montré la fonction économique du centre hospitalier des Laurentides et son rôle dans la transformation de la représentation sociale de la maladie mentale. Mais, à la lumière des données recueillies, se dégage une autre fonction, moins matérielle, mais non moins importante : une fonction idéologique. Dans l'imaginaire social, l'institution psychiatrique appartient à ces grandes institutions sociales qui, comme la police, l'armée, le système judiciaire, l'éducation, expriment à des degrés divers les valeurs d'une société, entretiennent les loyautés individuelles à l'égard de la norme collective, stigmatisent et rejettent l'individu opposé aux intérêts et aux normes du groupe légitime. Ce code collectif intériorisé revient également au niveau de la conversation, de l'humour, comme pour refléter sans cesse l'ordre des choses, les barrières à ne pas franchir. Pour rire entre eux, un certain nombre de répondants utilisent des expressions comiques pour identifier la maladie mentale d'une personne. Mais, même sous le couvert de la plaisanterie, ces expressions renvoient l'image de déséquilibre, de désorientation, d'incohérence, de désorganisation qui caractérise la folie. On dira : « il capote, il est capoté ». Ou encore : « il est en train de capoter, il mouille dans sa grange, il a un bardeau de parti, il a perdu le Nord, c'est un de la "gang" de l'hôpital, ça fait longtemps qu'il est ici, il est prêt pour la grosse bâtisse en haut, il est mûr pour l'asile, il est mûr pour à l'autre bout, la grosse bâtisse ». D'autres réflexions, d'autres tournures d'esprit servent carrément de mise en garde, d'interdit, de rappel à l'ordre à tout le monde, et renvoient parfois à des catégories sociales spécifiques. En ce sens, les entrevues menées auprès de la population sont éloquentes : Je sais que des fois, lorsque les gens font des folies, ils disent : « On va t'envoyer en haut de la côte, on va t'envoyer à l'hôpital si tu continues. » Mais lorsqu'il y a des patients qui sont là, on dit malade mental. Mais souvent on dit « si tu continues comme ça, on va t'envoyer en haut de la côte » ou « la grosse bâtisse n'est pas loin » (Entrevue n) 5). Ah ! bien ici, ils vont dire par exemple : « T'es mûr pour en haut ! » Mais les femmes des fois vont dire : « Si ça continue, moi je vais aller me ramasser en haut. » Il y a bien des femmes qui des fois ont beaucoup de responsabilités, beaucoup d'ouvrage, des enfantsproblèmes ou un mari-problème, elles vont dire : « Bien, moi, si ça continue, je vais aller me ramasser en haut. » Parfois, les parents font des mises en garde à leurs jeunes qui font trop de folies, les enfants qui sortent beaucoup, les adolescents qui prennent de la drogue ou font des choses pas correctes : « Bien toi, si tu continues comme ça, tu vas te ramasser direct en haut. » (Entrevue n° 2) « Il est mûr pour l'hôpital ». J'ai déjà entendu dire ça, mais ils vont plutôt dire ça d'une femme, je ne sais pas pourquoi. Si une femme fait une dépression, fait une gaffe, une folie quelconque, on va dire « elle est mûre pour l'hôpital » (Entrevue n° 10).
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« Attention, fais pas le fou, la grosse bâtisse n'est pas loin » (Entrevue n° 20). Voilà le message. L'hôpital joue clairement dans le milieu le rôle d'un panneau indicateur d'ordre moral. Il y a toujours une place qui attend celui qui s'écarte trop de la norme. Comme le disait Goffman (1975), la proximité d'une institution psychiatrique est pour beaucoup dans la décision de mettre en asile. Plusieurs répondants, aussi bien de contact passager que de contact permanent avec le patient, n'ont pas manqué de souligner que la présence de l'hôpital, la présence des patients constituent une aide, un avertissement: « Fais attention, tu peux devenir comme eux » (Entrevue n° 16). « On en a regagné avec la venue de l'hôpital ici », renchérit un autre répondant (Entrevue n° 14). « On fait des efforts pour être "smart". Ça nous sépare d'eux autres. » Un ancien infirmier psychiatrique d'ajouter : « Nous autres, les infirmiers, quand on descendait au village avec un groupe de malades, on mettait un sarrau blanc pour se distinguer de la gang » (Entrevue n° 32). Et, un préposé aux malades journaliste conclut : « Parce qu'être hospitalisé à L'Annonciation pour quelqu'un qui n'est pas sensibilisé à la maladie mentale, c'est effrayant, parce que c'est être fou et on ne veut pas être fou. On se protège d'être fou » (Entrevue n° 18). Voilà bien des stratagèmes qui sont mis à contribution pour se démarquer de la foule. Dans cette communauté, on se garde d'être fou, on fait attention à sa conduite. Cette image de la folie fait surface à bien d'autres niveaux. Au niveau des injures. « Quand on s'insulte très fort au village, on se dit : « Va donc te faire enfermer en haut de la côte, maudit écoeurant » ou bien « Écoute donc, serais-tu en congé par hasard, je me demande quel psychiatre qui est assez fou pour te laisser en liberté » (Entrevue n° 20). Comme partout ailleurs au Québec et dans le monde, dès la maternelle, les enfants saisissent la signification d' « être un mental », d' « être un débile ». Mais à L'Annonciation les enfants d'âge scolaire introjectent par inversion l'image de la norme que leur envoie la présence de nombreux patients au village, la déviance de ces derniers n'étant pas le modèle à imiter. Ainsi, des expressions typiques du milieu émaillent les chicanes d'écolier: « Toi, on sait bien, t'es chaviré comme Adrien » ou bien « T'es ding, ding, comme Georgette » ou encore « T'es coco dans la tête pareil comme René ». Le fait de personnifier la déviance semble amplifier l'effet de mise en garde et l'invitation au retour à la norme. L'image de la folie poursuit les gens de L'Annonciation partout où ils passent : « Souvent, quand on fait des compétitions sportives inter-villages et puis, il y a des moments de violence où quelqu'un d'une autre
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localité vient narguer les gens de L'Annonciation » : « Est-ce qu'ils ont encore clôturé le village ? » (Entrevue n° 8). Assez souvent, ils sont obligés de revenir à la charge pour réaffirmer leur santé mentale, question de se démarquer des malades mentaux qui les entourent : « Je ne suis peut-être pas fin, fin, mais je ne suis pas fou » (Entrevue n° 25). Ce sont là des éléments susceptibles de renforcer l'attitude d'une fraction des habitants du village qui veulent se distancier du malade mental, le modèle à ne pas imiter. Situation qui risque de nourrir les préjugés et de retarder indûment une plus grande acceptation du psychiatrisé. Juché majestueusement au milieu de la forêt comme un baobab3, le centre hospitalier des Laurentides4 règle les tabous et les devoirs particuliers de cette population comme le totem pour d'autres peuples. Les gens règlent leur conduite en regardant l'hôpital. Bref, sur le registre de la moralité publique, cet hôpital totem sert de panneau de signalisation pour la conduite humaine. Et pour une communauté qui a choisi pour devise « Annuntio Bonum », « J'annonce le bien », cet hôpital revêt encore plus de sens. Planté dans la communauté, cet « arbre de vie » joue aussi le rôle de police des moeurs qui rappelle à l'ordre. La présence de ce panneau indicateur suffit pour infléchir les choix de vie dans le sens prescrit et pour imprimer aux consciences individuelles une trajectoire spécifique. On dirait que les choses se passent différemment du fait de la présence de cet opérateur qui symbolise la conscience de la règle dans cette communauté. Donc, à la fonction économique de l'hôpital s'ajoute la fonction politique de l'intégration à la norme. Cet affermissement de la norme par le recours au spectacle de la marginalité constitue un mécanisme d'une portée plus large, plus universelle. La psychiatrie tend à remplacer d'une manière plus efficace la Famille, l'Église, la Police, la justice dans la socialisation des gens à la norme de conduite, dans le respect de la Loi. De jour en jour, L'Annonciation gagne en popularité comme symbole de sanction des conduites, et ce, pour toute la région. Avec la mise en place de cette structure psychiatrique, c'est tout le processus de contrôle social du milieu qui se trouve transformé, de Saint Jérôme dans les Basses-Laurentides jusqu'à Senneterre en Abitibi. 3. Le baobab, c'est l'arbre de vie, l'arbre de la sagesse sous les branches duquel le sage du village disait le Bien et le Mal. En Afrique et en Australie, seul au milieu de la brousse, cet arbre témoigne de la richesse et de la fertilité du sol. Voir aussi de jean Georges, Le plaisir des mots, Dictionnaire poétique illustré, Paris, Gallimard, 1983, 352 p., p. 41. Enfin voir Le Petit Larousse illustré, 1982. 4. Le centre hospitalier et de réadaptation Antoine-Labelle, nouveau nom de l'hôpital des Laurentides, le fait dans une moindre mesure aujourd'hui.
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DE LA PSYCHOLOGIE a) Psychologie Étude du comportement humain et des influences que les individus subissent en fonction de leur environnement social et culturel (Gehanne, 1995, op. cit., p. 3). b) Psychologue : Personne; qui aide les gens à résoudre des difficultés personnelles et à s'adapter a différents changements (Pelletier, 1997, op. cit., p. 189). La contribution de la psychologie à la réinsertion sociale est marquée par trois approches. Tout d'abord, celle qui consiste à mener des investigations sur le mécanisme qui sous-tend les attitudes des gens dits normaux à l'égard des corps différents. Ensuite, celle de la réadaptation psychosociale dans le fonctionnement en société des personnes désinstitutionnalisées. En dernier lieu, l'approche cognitive behaviorale sur la participation active du patient au traitement. Il existe chez l'être humain une tendance à assimiler fréquemment le mal à l'autre et, dans certains cas pathologiques, ce mal peut être assimilé à soi-même (Dhoquois, 1989). Dès les débuts de la psychanalyse, Freud (1985)5 a été vivement frappé par la haine viscérale que l'être humain voue au différent, à l'autre. Pourquoi, s'écriait-il, refusons-nous avec autant de force ce qui n'est pas... nous ? À ce propos, il parle de cette inquiétante étrangeté selon laquelle ce qui susciterait alors la peur ne serait pas seulement le non-familier, mais aussi l'intime, le très familier, les relents plus ou moins refoulés de notre inconscient. « L'étranger serait alors ce qui a été rejeté hors de soi, qui avant même de m être étranger, m'a été identique. » Dans cette même veine, Régine Dhoquois écrit : « plus nous sommes proches de quelqu'un, plus l'expression de la moindre différence nous est insupportable». En somme, nous pouvons dire que le corps différent nous tend un miroir et constitue une menace à notre identité. Cette notion se rapproche du concept d'hétérophobie (Memmi, 1982) selon lequel « l'Autre fait peur et à la peur répond l'agression ». Elle fait également référence à la théorie du bouc émissaire qui a sa source dans la propension des individus, notamment en période de crise, à se créer des victimes, dans une stratégie d'affirmation de soi. Le bouc émissaire, le fait de la persécution est un principe structurel de tout ordre social qui constitue une grande constante dans les sociétés humaines. Partant de ce principe, Girard (1972) propose l'universalisation de la crise sacrificielle, cette croisade contre le mal, symbolisé par le déviant (patient psychiatrique, personne handicapée, étranger, révolutionnaire,
5. Voir aussi «L'Étranger-crise représentation », dans Actes du colloque, Paris, 15-16 octobre 1983, Collectif Événement Psychanalyse, 1985.
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etc.), qui joue un rôle capital dans la fabrication de la conscience commune. La victime émissaire n'a sans doute rien fait de ce qu'on lui reproche, ne représente pas tout le mal avec lequel on la confond, mais tout en elle ne cesse de la désigner comme un exutoire à l'angoisse et à l'irritation des normaux. Il en est de même pour les minorités culturelles ou religieuses, la folie, les cas de déficiences génétiques et de difformités physiques, les mutilations accidentelles, qui tendent à polariser les persécutions. Le même auteur apporte à ce sujet un commentaire probant : [...] le corps humain est un système de différences anatomiques. Si l'infirmité, même accidentelle, inquiète, c'est parce qu'elle donne une impression de dynamisme déstabilisant. Elle paraît menacer le système en tant que tel. On cherche à la circonscrire mais on ne peut pas ; elle affole autour d'elle les différences qui deviennent monstrueuses, elles se précipitent, se télescopent, se mélangent, à la limite menacent de s'abolir. La différence hors système terrifie parce qu'elle suggère la vérité du système, sa relativité, sa fragilité, sa mortalité (Girard, 1982). C'est peut-être là une des explications à l'ostracisme dont on frappe les corps différents, car il ne semble y avoir aucune commune mesure entre les traitements discriminatoires, victimaires dont font l'objet les personnes handicapées et le trouble que leur présence pourrait apporter à la fluidité des échanges sociaux. La réadaptation psychosociale, une approche relativement nouvelle, vise à aider les personnes aux prises avec des handicaps émotionnels, souvent avec des troubles mentaux graves, à « réapprendre » la vie dans la communauté. Selon une définition établie, [...] la réadaptation psychosociale facilite la réintégration de l'individu dans la communauté et l'aide à remplir ses fonctions sociales de la meilleure façon possible. La nature du processus de réapprentissage et les méthodes utilisées peuvent différer d'un milieu à l'autre. Ce type de réadaptation sollicite la participation des personnes impliquées dans la poursuite d'objectifs de santé mentale et de compétence sociale. Dans plusieurs établissements, les participants sont appelés membres. Ce processus met aussi l'accent sur la globalité, le bien-être de l'individu et applique une approche intégrée qui assure des services d'adaptation professionnelle, d'adaptation sociale, éducative et personnelle (Cnaam et al., 1988 ; traduction libre). En d'autres termes, la réadaptation psychosociale est une approche thérapeutique basée sur le développement maximal des capacités personnelles, au moyen de processus d'apprentissage et du soutien de l'entourage (Bachrach, 1992).
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La pratique de la réadaptation psychosociale repose sur huit concepts interreliés : - Une rupture avec des termes impersonnels équivoques comme « patient », « client ». Elle plaide pour des interventions individuelles taillées sur mesure. - La modification du paysage social, juridique et physique par les interventions individuelles en vue de favoriser l'adaptation au milieu. Ce point de vue, se révèle, d'ailleurs, tout à fait conforme aux énoncés de la sociologie du handicap que l'Organisation mondiale de la santé (1980) véhicule sur la scène internationale, énoncés selon lesquels il faut abattre les barrières de toutes sortes qui empêchent les personnes handicapées de remplir des rôles signifiants. - L'appel aux forces de l'individu, à la partie saine de son ego. Même au coeur de la psychopathologie la plus coriace, il y a toujours une portion intacte de l'ego, susceptible de répondre au traitement. - L'importance de garder l'espoir, ingrédient essentiel à la réussite. Sans l'espoir, toute volonté de se réaliser se trouve paralysée. - La valorisation des capacités professionnelles pour maintenir l'optimisme. Le travail, en effet, fournit un outil indispensable pour structurer le temps et l'espace, dimension importante pour la réussite du traitement des troubles mentaux chroniques. Ainsi, des maisons de réadaptation de grande renommée, comme Fountain House, accordent une grande place au travail. - L'impossibilité pour le travail - aussi important soit-il - de combler tous les besoins de l'être humain. Une place de choix est donc accordée au loisir, au logement, au réseau communautaire, voire à l'entrepreneurship. - La participation active du malade dans l'élaboration du protocole de réadaptation. Celui-ci doit être bien informé de la nature de ses symptômes et des conséquences qui en découlent. - L'aspect continuité de traitement de la réadaptation. Lorsque l'on considère ces huit éléments qui ressortent de l'approche de la réadaptation psychosociale, force est de constater qu'en théorie comme dans la pratique cette discipline, distincte, répond largement au principe de l'interaction des facteurs (sociologiques, psychologiques et biologiques) influençant la vie de celui qui a recours aux services de santé mentale.
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Les succès rapportés par plusieurs chercheurs6 auprès des personnes ayant des troubles psychiques aussi graves que la schizophrénie en témoignent, et cela, tant aux Etats-Unis qu'en Europe. Les conclusions des recherches sont éloquentes : des personnes handicapées par des troubles graves peuvent apprendre des habiletés ; les habiletés de personnes psychiatriquement handicapées sont le résultat des mesures de réadaptation ; les interventions visant l'accroissement des habiletés conduisent à une meilleure réadaptation des personnes psychiquement handicapées ; le développement des ressources environnementales améliore le processus de réadaptation des personnes aux prises avec des troubles mentaux graves. Deux autres éléments méritent d'être soulignés. Tout d'abord, la réadaptation psychosociale voue une confiance absolue aux capacités intrinsèques des êtres humains, et même ceux qui sont aux prises avec des troubles mentaux graves bénéficient de cette confiance. Ensuite, cette discipline transmet un message clair à la société : celle-ci doit faire une place à ses membres fragiles qui sollicitent une autre chance. Qu'on le veuille ou non, le handicap est un produit de la société et renvoie aux obstacles institués par elle, obstacles qui bloquent l'intégration des personnes handicapées et les empêchent de remplir le rôle qu'on attend de tout être humain. Les personnes classées malades mentales doivent faire face à toutes sortes de difficultés, particulièrement des difficultés à gérer des émotions, à s'affirmer en communiquant avec autrui, à soutenir ou à diriger l'attention, à concevoir ou à entreprendre une activité quelconque, à percevoir des erreurs, à s'adapter à des situations pour le moins imprévisibles, mais non vraiment stressantes. Un lien peut aisément être établi entre ces déficits cognitifs et leurs répercussions sur le fonctionnement de la personne en société. À partir du moment où le patient quitte le milieu asilaire, aliénant certes, mais sécurisant à certains égards, les occasions sont multiples, dans le cadre désinstitutionnel, où elle perd pied, se déstabilise, menace de régresser. C'est là que l'approche cognitive peut être un atout précieux, à même d'inscrire le psychiatrisé dans la trajectoire de la réinsertion sociale. Il s'agit d'une méthode active (Young et Klosko, 1995) qui enseigne aux patients comment maîtriser leurs émotions en contrôlant leurs pensées. Les praticiens de la thérapie cognitive, ce faisant, utilisent certaines techniques behavoristes telles que la relaxation, l'affirmation de soi, le contrôle de l'anxiété, la résolution des problèmes, la gestion du temps et l'entraînement aux habiletés sociales. Les attitudes, les modes habituels de
6. Voir entre autres Anthony et Liberman (1986), Lehman (1995), Penn et Mueser (1996), Lehman, Carpenter, Goldman et Steinwachs (1995), Lehman, Thompson, Dixon et Scott (1995), Scott et Dixon (1995).
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fonctionnement reposent sur des schémas précoces d'inadaptation. On entend par schéma une disposition (croyances profondes sur nous-mêmes et sur le monde) qui prend sa source dans l'enfance et influence toute une vie. Qu'on ait été abandonné, critiqué, surprotégé, victime d'abus, de rejet, de privations, ce sont des situations qui entraînent des traumatismes. Le schéma, au bout d'un certain temps, s'intègre intimement à la personnalité. Et l'être humain recrée inconsciemment des circonstances où il revit systématiquement ces expériences douloureuses qui l'empêchent de réaliser ses aspirations les plus chères. Les schémas exercent leur influence sur la façon de penser et d'agir, et sur les relations avec autrui. Qu'il s'agisse de schéma de carence affectivité / vulnérabilité, d'assujettissement, de méfiance / abus, de sentiment d'abandon, d'imperfection, de sentiment que « tout nous est dû », de dépendance, qu'il s'agisse de sentiment d'échec, d'exigences élevées, de sentiment d'exclusion, la thérapie cognitive indique les moyens à prendre pour les déceler, pour en déterminer les origines et pour les modifier. Cette approche constitue une contribution importante de la psychologie cognitive (Briand et al., 1999)7 aux déficits dans le traitement de l'information des personnes atteintes de troubles mentaux graves, dont la schizophrénie. DU SERVICE SOCIAL OU TRAVAIL SOCIAL a) Service social : Ensemble de connaissances et de moyens de divers ordres mis en oeuvre afin de fournir des services de bien-être personnel à des individus dans le besoin incluant le pauvre, la personne handicapée physique, intellectuelle, mentale, les personnes âgées ; les enfants, etc. Le service social inclut également le travail auprès des personnes délinquantes, criminelles, par exemple dans les services de probation (D. Jary et J. Jary, Dictionnary of Sociology Glasgow, Harper Collin, 1991, p. 599). b) Travailleur social, travailleuse sociale : Personne qui travaille auprès de particuliers, de couples, de familles, de groupes et de collectivités en vue d'aider à résoudre ou à prévenir des problèmes d'ordre personnel, familial ou social comme la violence, la délinquance, le suicide, le placement en foyer d'accueil et l'adoption (Pelletier, 1997, op. cit., p. 238). 7. Voir aussi Santé mentale au Québec, 1999, Dossier schizophrénie, délires et thérapie cognitive, vol. XXIV, n° 1.
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Le 11 février 2000, le Bureau de l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec (OPTSQ) a adopté la définition du champ évocateur de la profession de travail social : fournir des services sociaux, communautaires et psychosociaux aux personnes, aux familles, aux groupes et aux collectivités, en procédant notamment à l'évaluation psychosociale et à l'intervention sociale, dans le but de favoriser, par l'interaction avec l'environnement, le développement personnel et social ainsi que l'amélioration ou la restauration du fonctionnement social. Dans cette optique, « l'acte professionnel du travailleur social aurait pour objet le fonctionnement social, c'est-à-dire les interactions des individus, des familles, des groupes et des collectivités avec leur environnement, dans un but mutuel de développement humain et social ». À l'analyse de ce champ évocateur, on se rend bien compte que le service social s'intéresse surtout au maintien du bon fonctionnement social (Alary, 1967) des individus, des familles, des groupes, des collectivités, à la resocialisation des groupes de clientèles en vue de faciliter leur réinsertion sociale. En fait, à travers l'histoire des institutions de type carcéral (prison, asile, écoles de réforme, centres d'accueil), on a couramment fait appel à l'expertise du service social pour aider des personnes temporairement isolées du corps social. Il en était de même au XIXe siècle (Jary et Jary, 1991) quand les premières formes d'aide du service social étaient fournies par des notables et des organismes bénévoles à des individus et à des familles aux prises avec des problèmes générés par une forte croissance industrielle. Cette même constante se retrouve au début du XXe siècle à l'époque de l'école de Chicago (Kuklick, 1979) : le service social s'est professionnalisé en devenant une matière enseignée à l'université et dispensé par des agences publiques. Quant au service social psychiatrique proprement dit, il est étroitement lié au mouvement des soins communautaires prodigués aux personnes classées malades mentales. Alors que durant le XIXe siècle les psychiatres étaient préoccupés par la gestion des soins institutionnels, dès l'aube du XXe siècle l'intérêt change et vise désormais le contrôle et la prévention des troubles mentaux dans la communauté. Aussi trouvent-ils chez les professionnels du service social des alliés naturels pour la croisade de l'hygiène mentale. Dans cette optique, il s'agissait pour William L. Russell (cité dans Stuart, 1997), psychiatre, [...] to extend the activities of the hospital itself beyond the present limits, so as to deal with mental disorders in closer relation with the conditions in which they arise and which they interfere with the social welfare [...] the state hospital [...] can contribute most to the advancement of the aims of the mental hygiene movement. Cependant, à cette époque, 1920, le service social ne saurait se réduire uniquement à une association stratégique avec les psychiatres. Si les activités quotidiennes des travailleurs sociaux consistaient à fournir de
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l'assistance à des personnes perturbées psychiquement pour qu'elles tirent le maximum d'avantages d'une variété de ressources disponibles (se trouver un emploi, une résidence d'accueil, des services de formation, des services de loisir, de travail auprès des familles), leur paradigme demeurait la connaissance des facteurs environnementaux (plus que celle de la personnalité) pour comprendre la conduite individuelle. Le mouvement d'hygiène mentale, par ses tentatives de prévention des troubles mentaux et son souci de garder ces personnes dans la communauté, apporte une crédibilité au paradigme des déterminants environnementaux. Des programmes d'après-cure et des programmes de soins communautaires étaient mis sur pied, question d'offrir des méthodes de traitement alternatives, et ce, en dépit d'une ignorance des ressources communautaires de la part des psychiatres et de leur manque de disponibilité pour visiter les patients à domicile. Beaucoup d'organisations bénévoles, des cliniques externes, des infirmières visiteuses, voire des médecins de psychiatrie communautaire, comme Aldof Meyer, multiplient les formes d'aide, de surveillance, de soutien, pour garder les patients au sein de la communauté. Cet intérêt - qui se manifeste de par le monde - pour les composantes sociales des troubles mentaux donne naissance à toute une panoplie d'initiatives pour améliorer la vie des personnes psychiatrisées. Tout au long du XXe siècle, des recherches sont menées pour cerner les conditions du logement, du travail ; pour se familiariser avec les types de traitements ; pour planifier l'aide aux familles pendant le traitement ; pour mettre sur pied les services de prévention pour les personnes qui n'ont jamais été hospitalisées ; pour préparer l'éducation des médecins généralistes ainsi que celle du public. Dans cette même foulée du mouvement de l'hygiène mentale, les psychopathic hospitals sont créés pour des séjours de courte durée et des soins communautaires. Des efforts sont concertés pour garder un certain équilibre entre le travail intra muros et le travail extra muros, question d'avoir à l'esprit, dès la première rencontre, le retour du patient dans sa communauté. Mais, la pièce de départ essentielle à la prise en compte des composantes sociales des troubles mentaux demeure l'histoire sociale que le travailleur social brosse dès l'arrivée du patient dans la structure des soins. Nécessaire pour un diagnostic psychiatrique précis, cette pièce sert de base également aux travailleurs sociaux dans la communauté. Ainsi, l'histoire sociale fait un relevé des faits concernant la famille d orientation, de procréation du patient; elle note les amis, les références, les expériences de travail; elle consigne des renseignements sur l'école fréquentée, sur la maison de résidence, sur le voisinage ; sans oublier le développement psychodynamique. Après avoir recueilli suffisamment d'informations pour alimenter et faciliter le diagnostic du psychiatre, après avoir apporté les changements nécessaires dans l'environnement des patients, encouragé
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ces derniers à maintenir des habitudes propices à une bonne santé mentale, les travailleurs sociaux chargés de mener l'enquête dans la communauté appliquent dans un nouveau champ les principaux principes de base du social casework tels que décrits dans plusieurs écrits (Jarrett, 1921 ; Groulx, 1993). Contrairement au médecin qui s'occupe d'abord des maladies et des blessures d'un individu et secondairement de l'individu qui en est porteur, la spécificité du travailleur social l'amène à s'occuper des rapports entre les individus et leur milieu (Meloche, 1985). Cette même spécificité se retrouve lorsque le service social connaît une expansion et une transformation à la fin de la Première Guerre mondiale. Il s'agissait de tailler sur mesure des services pour les vétérans (Stuart, 1997 ; Black, 1991) : emplois, ressources valables, interprétation de la maladie aux membres de la famille, comment gérer cette maladie. Il en est de même de l'intérêt manifesté pour l'environnement social (Stuart, 1997) qu'on retrouve dans le case management utilisé à des fins de réinsertion sociale des personnes ayant un long passé institutionnel. Les case managers (Stuart, 1997) évaluent les besoins des clients vivant dans la communauté, planifient pour eux des services ou des programmes de traitement répondant à ces besoins, les dirigent vers des ressources appropriées diverses et assurent un suivi constant pour vérifier si les services ont été fournis et utilisés. Étant donné la discontinuité des soins qui caractérise la désinstitutionnalisation, il est indispensable de favoriser la congruence dans les interventions, d'obtenir le soutien des partenaires du milieu et d'accroître la participation du client (Poirier et al., 1998). D'où le Pact. Le Programme of Assertive Community Treatment (Pact) ne tire pas son origine de la tradition du travail social, même si selon Test (1998) il partage des méthodes et des valeurs communes avec cette discipline. Le Pact ou le Suivi intensif en milieu naturel (Simn) ou le Sic, c'est-à-dire le Suivi intensif en communauté, part des échecs des traitements psychiatriques intra et extra muros. L'intense vulnérabilité de la personne, associée au rachitisme de son environnement social, menait très souvent à une décompensation et à une réactivation des troubles latents quelque temps après le congé de l'institution psychiatrique. De là un va-et-vient perpétuel de la personne entre la communauté et l'asile, va-et-vient connu sous le nom de revolving door syndrom ou syndrome de la porte tournante. Devant la flambée des coûts économiques pour l'État et des contrecoups affectifs pour l'estime de soi qu'entraîne ce syndrome, un psychiatre (Stein) et une psychologue (Test) conçoivent un plan pour combler le fossé entre la richesse professionnelle de l'asile et la pauvreté des moyens thérapeutiques de la communauté. Il consistait à déplacer (Gélinas, 1997) le cadre du traitement psychiatrique et du suivi psychosocial dans le milieu de vie de la personne, à concrétiser le potentiel de croissance par l'entraînement
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des habiletés sociales sur des situations vécues, à réaliser à la fois la réadaptation psychosociale et la réinsertion sociale par l'accès direct à toutes les ressources disponibles dans la société. Il s'agit là d'une intervention directe, intensive de seize heures par jour, parfois vingt-quatre heures, qui utilise les diverses spécialités de l'équipe avec un ratio assez faible intervenant patient. Au cours du dernier quart de siècle, des variantes ont été apportées au modèle original de base. Mais, dans la pratique, il existe un Simn très professionnalisé axé strictement sur la médication et la réadaptation appliquée à une série de patients de profil sémiologique semblable. Tout est pensé sans la participation du patient, donc de manière anonyme, avec pour objectif le rendement économique à court terme. À l'opposé, il existe un autre modèle de Simn que l'on peut appeler soutien à des projets personnels de vie, où le critère premier est la qualité de vie de la personne. Alors se pose la question de savoir jusqu'à quel point l'intervenant peut imposer ses volontés, ses priorités. Qu'est-ce qui est irrationnel du point de vue du sujet souffrant ? Comme le dit Freud (1930) : « il n'y a pas ici de conseil qui vaille pour tous ; chacun doit essayer de voir lui-même de quelle façon particulière il peut trouver la béatitude ». Dans ce genre de Simn, tous les points de vue sont sollicités et discutés - ceux de la personne souffrante, ceux des différents membres de l'équipe multidisciplinaire et ceux des partenaires communautaires - pour trouver le côté positif, exemplaire de chaque position. Il n'y a pas de nombre fixe d' « amis formels » à rencontrer par semaine, de trois visites d'intervenant par jour, ni un nombre de fois de pilules à avaler entre 7 et 21 heures. Le retrait social (Corin, 1990) est accepté comme moyen efficace pour refaire ses forces psychiques, contrairement aux théories dominantes de la désinstitutionnalisation qui mesurent l'intégration sociale à l'aide de gradients. Il s'agit d'un repli stratégique salvateur. Le premier modèle du Pact est coercitif. La formule déjà lancée dans la région de Québec pour le caractériser est assez juste : « déployer une toile d'araignée métallique autour du patient pour qu'il reste tranquille ». Ainsi conçu, ce n'est ni plus ni moins qu'une prescription de contention. Parfois le Pact s'avère tellement coercitif (fouille systématique dans les réfrigérateurs, les chambres à coucher, etc.) que certains patients préfèrent demeurer à l'hôpital, de peur de tomber dans les mailles de ce modèle. Des détenus préfèrent aussi rester en prison au lieu de bénéficier de certaines formes de libération conditionnelle. Plusieurs psychiatres et travailleurs sociaux se plaignent d'ailleurs de l'embrigadement systématique de leurs patients dans ce modèle dont la pression les fait décompenser, alors qu'ils fonctionnaient très bien depuis six ans environ dans la communauté, et ce, à l'aide des méthodes courantes de clinique externe rencontres mensuelles ou trimestrielles avec le médecin, visites à domicile
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de la travailleuse sociale, discussions périodiques sur chaque cas, etc. Rappelons aussi que le Pact n'a jamais été indiqué pour toutes les catégories diagnostiques du DSM. Quant au deuxième modèle, plus ouvert, plus économique à long terme, il respecte en tous points les valeurs fondamentales du travail social : le respect de la dignité humaine, l'autonomie, l'acceptation inconditionnelle d'autrui, l'unicité. Il ne faut guère confondre ou réduire le service social au Pact, une profession qui a apporté une contribution exemplaire à plusieurs approches de la psychiatrie communautaire. Dans les années 1970 et 1980, bien des modèles ont été expérimentés avec succès au Québec (Blanchet et al., 1985 ; Dorvil, 1979) « qui resituent la plupart des problèmes portés par une personne souffrante là où ils se posent réellement, et là où les solutions doivent logiquement émerger, c'est-àdire dans l'espace socioaffectif occupé par son réseau primaire ». L'idée de déplacer l'équipe multidisciplinaire de l'hôpital vers le milieu de vie du patient dans la communauté, les visites à domicile du travailleur social remontent aux années 1920. Plusieurs types de prises en charge en psychiatrie ont utilisé et utiliseront dans l'avenir ces modalités éprouvées qui constituent des atouts précieux pour la réinsertion sociale. DE LA SOCIOLOGIE a) Sociologie Elle a pour objet l'approche multidimensionnelle des sociétés humaines et apparaît comme une science de synthèse elle englobe aussi toutes les autres disciplines dont le champ d'investigation serait plus étroit, plus spécialisé... du moins en théorie (Gehanne, 1995, op. cit, p. 3). b) Sociologue : Personne qui effectue des recherches en vue de décrire, analyser, expliquer ou résoudre des phénomènes sociaux relatifs à l'organisation de la vie en société ainsi qu'à l'interaction des personnes au sein des diverses structures sociales ; (famille, parenté, communauté d'appartenance scolaire, urbaine, ethnique, professionnelle, politique, etc.) (Pelletier, 1997, op. cit., p. 205). Dans cette ville où, bien que les fous y fourmillent, il n'y a pas d'asile de fous, ni d'hôpital acceptant de les accueillir, on voit un jeune homme, trente ans au maximum, nu comme le fut, dit-on, le premier homme au jardin de l'Eden, déambuler le jour dans les rues populeuses du grand port, ou s'absorber dans un soliloque zébré de sourires sporadiques et incohérents, tandis qu'il fourrage mécaniquement et en gloussant dans les ordures où il se nourrit. Les habitants se souviennent qu'il arbora longtemps une sorte de casaque charbonneuse, rêche et poisseuse à la
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fois. Il surgit aujourd'hui partout, sur les squares où rêvent les amoureux, sur les trottoirs où s'agitent les foules distraites, aux carrefours où la circulation des automobiles est dense, comme l'illustration vivante et réaliste d'un cours d'anatomie. Il témoigne une fidélité obstinée pour le quartier des affaires et le grouillement des jeunes employés bien habillés et indifférents. Il est grand, athlétique, mais plus maigre à mesure que les jours passent, parce que la pâture arrachée aux immondices est ingrate. Tapi dans une pilosité touffue et crasseuse, son regard, habituellement morne et incertain, se réveille parfois, frissonne et scrute la foule, comme il le faisait il y a si longtemps déjà dans l'autre métropole de... (L'histoire du fou, roman de Mongo Beti, 1994, Paris, Editions Julliard, 212 p.) Les descriptions parmi les plus apocalyptiques de la désinstitutionnalisation ne pourront faire oublier les effets aliénants de ce monde kafkaïen / concentrationnaire qu'était (et qu'est encore) l'asile que Goffman (1968) a scientifiquement étudié. Cette étude est, à mon avis, l'une des contributions les plus importantes de la sociologie à la psychiatrie et à la santé mentale, puisque c'est le point de départ des réformes qui ont amené à la libéralisation des structures hospitalières et à l'humanisation des soins. Ainsi, au cours des quarante dernières années (Dorvil, 1997), il y a eu de par le monde un large mouvement en vue de renverser les effets dépersonnalisants des vastes hôpitaux surpeuplés en introduisant des programmes de désinstitutionnalisation et de réadaptation. Il existe une multitude de théories qui explorent le champ de la déviance en portant une attention spéciale au crime. Mais aucune de ces théories ne fournit une explication complète de tous les aspects de la déviance, écrit un auteur britannique (Giddens, 1993). Seule une combinaison de plusieurs théories est à même de nous fournir une compréhension recevable des aspects majeurs de la conduite déviante. L'étude de la conduite déviante constitue l'une des préoccupations les plus fascinantes de la sociologie. Il s'agit d'un domaine complexe à analyser, parce qu'il existe autant de normes, de valeurs, de règles que de types de violation. De plus, les normes varient à travers le temps, à travers les lieux et les groupes de personnes. Ce qui est normal dans une aire culturelle donnée est déviant dans l'autre. Fumer de la marijuana en GrandeBretagne s'avère une activité déviante, alors que consommer de l'alcool ne l'est pas. C'est tout à fait l'inverse dans les pays musulmans. C'est ce qu'on appelle couramment le relativisme culturel. La déviance n'est pas seulement une qualité de l'acte commis (Becker, 1985), mais le résultat de l'interaction entre la personne fautive et ceux qui réagissent par des sanctions au nom des normes qui ont été violées. On comprend dès lors l'importance de cette interaction, puisque la relation avec autrui constitue un aspect fondamental de la maladie mentale et de la réinsertion sociale des individus affectés. Alors que l'approche structuro-fonctionnaliste de Parsons considère les troubles mentaux comme une situation définie objectivement, les
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tenants de l'école interactionniste postulent que les définitions socialement acceptées de ces troubles sont subjectives et non universelles, rationnelles et objectives. Les théoriciens de la labelling theory interprètent la déviance non pas comme un ensemble de caractéristiques d'individus ou de groupes, mais comme un processus d'interaction entre les déviants et les non-déviants, ce qui n'est pas étranger aux structures du pouvoir dans la société. Ainsi, les riches vont définir les règles à suivre pour les pauvres ; les hommes, pour les femmes ; les adultes, pour les plus jeunes et les ethnies majoritaires pour les minorités ethniques. Selon les interactionnistes, les réactions de la société à l'égard de la déviance ne sont pas toujours uniformes dans la mesure où certains comportements peuvent être perçus comme déviants par certaines personnes, certains groupes sociaux, mais non par d'autres. De plus, ces réactions sociales à la déviance peuvent varier selon le moment précis de la transgression des normes et selon le statut du transgresseur. Ainsi, un comportement inapproprié peut être perçu comme une excentricité si la personne impliquée est très riche, et comme un trouble mental si elle appartient aux classes démunies. Mentionnons également que la désignation d'une personne comme déviante entraîne une accentuation, un renforcement de sa déviance. Elle perd donc son identité sociale pour se draper dans un nouveau rôle qu'on attend d'elle. Ce sont les professionnels, les institutions et ultimement la société qui, voulant contrôler les comportements pathologiques, concourent à les produire. L'assignation du statut de déviant à une personne entraîne par la suite la perte de ses droits et privilèges, sa stigmatisation et son exclusion des réseaux sociaux. On comprend dès lors l'importance de l'éclairage de la sociologie dans la compréhension du vécu de la déviance mentale au sein de la société. L'acceptation des personnes psychiatrisées au sein de la communauté constitue l'une des conditions sine qua non de leur intégration sociale et s'inscrit au coeur même de la Politique de santé mentale. Au fond, cette considération rejoint l'un des trois grands courants de la sociologie de la santé et de la maladie mentales (Pilgrim et Rogers, 1993), soit la societal reaction, les deux autres étant la social causation et le social constructivism. Et il convient de se demander, dans un contexte interactionnel, comment on peut catégoriser la déviance et y réagir. Suivant les théories de l'étiquetage, lorsque les individus dévient de la conduite que l'on attend d'eux une première réaction consiste à nier la déviation afin de préserver leur rôle social habituel. Ainsi, assez souvent, l'entourage immédiat du patient psychiatrique va attendre assez longtemps avant de demander l'aide des professionnels. Cela veut donc dire que l'incidence des symptômes au sein de la population serait plus grande que celle suggérée par les diagnostics formels. A un tout autre niveau, à côté de cette déviance primaire, la déviance secondaire prend place, déviance dont l'expression
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dépend des facteurs de contingence. Une même conduite pourrait être tolérée dans certaines circonstances et dirigée en psychiatrie dans d'autres, surtout lorsque cette conduite est visible et menaçante. La culture joue à cet égard un rôle prépondérant : plus la société est conformiste, plus le niveau d'admission en institution psychiatrique est élevé. Par exemple, dans une société conformiste, une jeune mère avec des enfants en bas âge sera admise en psychiatrie beaucoup plus rapidement qu'une femme plus âgée avec moins de responsabilités. Et une fois l'étiquette de perte de la raison apposée, l'identité et le statut de la personne sont altérés pour longtemps. Ainsi, la déviance secondaire est négociée et construite socialement dans l'optique des théories de l'étiquetage, ce qui va dans le sens de la théorie constructiviste, selon laquelle toute déviance, même primaire, est socialement construite. Dans une société donnée, il existe des prescriptions récurrentes qu'il faut exécuter pour répondre aux normes de fonctionnement social. Ce sont le travail, une valeur fondamentale, l'idéal de fixation dans les lieux de résidence (adresse), un responsable à qui l'on doit répondre de ses actes (Geremek, 1980). C'est cette relation qu'on appelle solidarité de l'interconnaissance. Or, les personnes suivies en psychiatrie sont en flagrant délit avec ces idéaux, ce qui les marque définitivement et les étiquette comme déviantes. Signe des temps, c'est justement sur les conditions préalables à l'intégration sociale que porte aujourd'hui une partie de la pensée et de la production sociologiques. Pouvoir se loger et avoir accès au marché de l'emploi joue un rôle fondamental dans la survie de l'homme. Ces deux situations sont importantes pour la sécurité et la cohésion de la société. La croissance constante du PIB dans des pays riches comme le Canada s'accompagne d'une diminution aussi constante de la part de cette richesse consacrée au logement, notamment pour les plus défavorisés. Des populations marginalisées comme les gagne-petit, les personnes toxicomanes, les personnes classées malades mentales ou déficientes intellectuelles y consacrent parfois jusqu'à 45 % de leur revenu quand ils veulent sortir du cadre de l'hébergement traditionnel. Et, alors que l'importance du travail pour le maintien du bien-être psychologique est reconnue depuis longtemps (Pilling, 1988), moins de 15 % des usagers des services de santé mentale occupent un emploi (Becker et Drake, 1994). Le logement ou plus largement l'habitat ainsi que le travail constituent donc un laboratoire idéal pour examiner l'équilibre entre les impératifs de rentabilité, de compétitivité et les impératifs d'inclusion, de cohésion et de justice sociale y compris l'accessibilité aux loyers modiques et à l'emploi. Le courant qui met l'accent sur les déterminants sociaux de la santé implique que des actions menées en dehors du champ médical (revenu, logement, études, formation de la main-d'oeuvre, travail, entraide, etc.)
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peuvent avoir des impacts bénéfiques majeurs sur la santé des populations. Si cette assertion se révèle juste pour les gens dits normaux, elle devrait l'être autant sinon plus pour les gens dont la santé est hypothéquée par des troubles mentaux. Étant donné que le logement et le travail sont des véhicules qui ont assuré et assurent encore la santé et le bien-être des gens dits normaux, ne devraient-ils pas être mis à la disposition des populations marginalisées ? Autrefois, les psychiatres considéraient le logement comme un prolongement naturel de l'action des psychothérapies. Plus encore, il y en avait même qui disaient qu'un bon foyer pouvait, dans certains cas, remplacer diverses thérapies. Ces affirmations s'avèrent encore plus dans le contexte désinstitutionnel d'aujourd'hui. Avoir une adresse, travailler, c'est acquérir une identité sociale, c'est prendre part à l'aventure humaine. C'est la condition de départ dans la conquête de la citoyenneté pour les personnes classées malades mentales. L'absence de logement constitue un premier pas vers la marginalisation : on n'existe nulle part, on n'est rien (Dorvil et al., 1997). Le logement fait partie intégrante, en effet, des services nécessaires dans ce passage progressif des pratiques de prise en charge institutionnelle à une volonté de maintenir les personnes dans leur milieu naturel (Morin, 1994). Il s'agit donc de mettre en place les conditions (accès au logement, soutien) permettant à toute une catégorie de personnes aux prises avec des incapacités fonctionnelles, différentes les unes des autres, de vivre en logement. Cette manière de voir est en étroite symbiose avec les courants du capital humain (attributs personnels) de Becker (1964), du capital social (réseau de contacts) de Bourdieu (1986), de Coleman (1990), de Sullivan et Bélanger (1998), de la solidité du tissu social, du soutien social. Comme le dit si bien Marc Renaud (1998), le niveau d'entraide qui existe dans une communauté peut expliquer pourquoi dans cette communauté on est en meilleure santé que dans une autre ; le nombre d'amis qu'on a peut avoir un impact sur la santé, etc. Loin de jouer un rôle passif de « patient », le fait d'être locataire, de signer un bail et de travailler devient une occasion de développer son capital humain (capacités personnelles) et une rampe de lancement pour bénéficier du capital social (ensemble de richesses collectives). C'est une démarche de réappropriation du pouvoir sur sa vie (empowerment) qui se définit (Le Bossé et Lavallée, 1993 ; McLean, 1995 ; Deagan, 1997) à la fois comme un processus et un résultat. D'une part, c'est le processus par lequel on acquiert le sentiment qu'on peut exercer un contrôle plus grand sur sa réalité par des actions contrètes, dans des conditions de vie incapacitantes et, d'autre part, le résultat de ce même processus qui s'exprimerait en une augmentation des sentiments d'estime de soi, d'efficacité, de contrôle ou de pouvoir, tant sur un plan
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individuel, organisationnel que communautaire. Voilà une approche indispensable pour contrer l'impuissance inculquée aux personnes psychiatrisées et pour reconstruire leur estime de soi et leur compétence. Le logement et le travail qui sont au coeur de la vie de tout individu demeurent cependant encore largement inconnus en ce qui concerne le domaine des personnes désinstitutionnalisées. Il importe donc de saisir les principaux paramètres de succès ainsi que leurs limites, et ce, dans la perspective d'outiller les individus, les proches, les différents paliers de gouvernement, les communautés locales pour développer des services et des façons de faire correspondant aux aspirations des personnes concernées. C'est à cette tâche de réflexion que la sociologie s'emploie depuis quelques années. La contribution de cette dernière à la santé et au bien-être des personnes malades mentales est loin d'être terminée avec les travaux de Goffman. L'institution psychiatrique profite déjà du mouvement de désinstitutionnalisation pour redéployer ses rites et ses agents de contrôle, question de quadriller, de minuter les faits et gestes des patients psychiatriques au sein de la communauté. C'est la panoptique, cette innovation du pouvoir de surveillance poussé à la perfection (Foucault, 1975). C'est maintenant au tour des programs of assertive community treatment (Pact) de prendre le relais en vue de maintenir la discipline asilaire sur ces corps psychiatrisés, d'assurer les fonctions traditionnelles de l'asile et le pouvoir tentaculaire de la psychiatrie au sein même de la vie civile. Il s'agit d'une offensive des hôpitaux en vue de conserver le monopole du commerce lucratif de la folie maintenant que la désinstitutionnalisation semble irréversible. Après vingtcinq ans de pratique du Pact aux États-Unis, des voix s'élèvent pour critiquer les nombreuses affirmations selon lesquelles ces programmes d'intervention à intensité élevée produisent, d'une part, une réduction des taux d'hospitalisation, de la symptomatologie clinique, des coûts généraux et, d'autre part, une amélioration de la satisfaction des clients ainsi que de leur fonctionnement social et professionnel. Une nouvelle analyse assez récente (Gomory, 1999) des études expérimentales, menée avec des groupes témoins, ne trouve de support empirique pour aucune de ces affirmations. Au contraire, l'évidence indique que les Pact sont des programmes coercitifs et potentiellement néfastes. Plusieurs catégories de patients, incapables de subir le stress de ce contrôle permanent, finissent par décompenser. Et l'auteur de cette analyse, après une revue exhaustive des écrits, conclut que la promotion actuelle des Pact semble reposer davantage sur un enthousiasme professionnel à l'égard du modèle médical que sur l'existence de bénéfices qu'ils apportent aux patients. Le Pact ne prévient pas le suicide, selon cette revue de littérature. Il ne prévient pas non plus la mort par hypothermie dans les rues de Montréal de Gino Laplante, un
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patient affligé d'une maladie affective bipolaire (Bureau du coroner, 2000) pourtant traité par une équipe de suivi intensif du Douglas Hospital (Perreault, 2000). À force de vouloir arriver à des résultats chiffrés, le Pact pousse parfois des patients à se responsabiliser trop vite. Alors que le Pact est de plus en plus remis en question aux États-Unis où il a pris naissance, alors qu'aucun pays de la Communauté économique européenne (CEE), pas même le Royaune-Uni, ne s'est montré enthousiaste à essayer ce modèle, ici des lobbys médicaux et paramédicaux font des pressions énormes sur le MSSS, les Régies régionales de la santé et des services sociaux, le Comité de la santé mentale du Québec (CSMQ), l'Association des hôpitaux du Québec (AHQ) pour qu'ils acceptent de « pacter» les services de santé mentale au Québec. Pourquoi tout ce tam-tam autour d'une formule de soins aussi inefficace suivant une revue récente de littérature scientifique ? Essentiellement, pour maintenir le moral des troupes au beau fixe devant le peu de succès thérapeutiques, et ce, en dépit des efforts héroïques, et pour garder l'espoir de connaître des lendemains qui chantent. Parfois ce sont les médicaments psychotropes de la deuxième génération qui sont à l'honneur, parfois, dans une moindre mesure, c'est le Pact. Pourquoi ne pas expérimenter aussi au Québec le modèle de traitement Soteria (mot grec qui signifie salut, délivrance) né également aux États-Unis et qui donne, avec des patients schizophrènes, de meilleurs résultats cliniques à moindres coûts que les autres formules alternatives ? À Berne, en Suisse, Luc Ciompi, psychiatre, se fait le promoteur de ce type de traitement. Il s'agit d'une intervention interpersonnelle d'ordre phénoménologique avec une équipe déprofessionnalisée (Mosher, 1999), non centrée principalement sur les médicaments psychotropes, et qui se déroule dans une ambiance tolérante et chaleureuse à l'intérieur d'une maison. Ces expériences Soteria existent depuis 1984. Pourquoi Pact et non Soteria ? Pour deux raisons principalement. Parce que le Pact, centré avant tout sur le contrôle de la médication, est conforme à l'idéologie médicale dominante en psychiatrie. Ici, les enjeux sont très importants. Il s'agit, dans le contexte de la désinstitutionnalisation, d'avoir un mécanisme de contrôle fiable de la prise des médicaments, condition essentielle pour garder cette clientèle dans le giron de la médecine, de contenir le plus possible les réadmissions, source de déficit, et aussi d'assurer les profits faramineux des actionnaires de trusts pharmaceutiques, alliés naturels des médecins et des nurses. Le Pact offre cette garantie. Pas Soteria. Deuxième raison, parce que le Pact est dans l'air du temps : le néolibéralisme. Selon Gilles Dostaler (2000), cette idéologie met en avant l'idée de l'efficacité absolue du marché et du caractère naturel des lois économiques. Le néolibéralisme le plus actuel, selon ce même auteur, se singularise par le fait qu'il applique à tous les comportements humains, dans les domaines politique,
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juridique, familial, sexuel, criminel et autres, le postulat de la rationalité de l'agent qui maximise son utilité sous contrainte. Dans ce sens, le modèle coercitif du Pact, à tout le moins, se révèle nettement néolibéral et de plus en étroite filiation avec les formes de violence les plus connues de la psychiatrie : les bains glacés, la psychochirurgie, les électrochocs, l'isolement, la contention physique, la médication invasive. Violence attribuable à trois causes principalement : le comportement du patient psychiatrique présentant un danger pour lui-même et pour autrui, la philosophie des soins ou le niveau d'expérience de l'intervenant, la surpopulation hospitalière. Il faut reconnaître toutefois que la violence, qui n'est pas à banaliser, se retrouve aussi dans les familles, dans les écoles et dans d'autres secteurs de la vie civile. Par exemple, la cabine de pilotage des avions est munie d'attaches d'immobilisation, de menottes de l'air qu'on enfile au besoin à des passagers turbulents et violents. Mais, dans la croisade du Pact, il y a des spécialistes bien formés : en plus des psychiatres, des gardes-malades, des psychoéducateurs, des économistes, quelques travailleurs sociaux dont certains viennent du service social en contexte d'autorité. À l'aide de leur pouvoir économique, les monopoles hospitaliers psychiatriques financent la formation au modèle Pact et le déplacement de ces spécialistes à travers toute la province pour porter « la bonne nouvelle ». Pourquoi ne pas utiliser ces largesses financières pour promouvoir aussi l'intervention en situation de crise en tout temps, le case management, le réseau intégré à l'horizontale de services en pédopsychiatrie, l'appropriation du pouvoir par les personnes usagères des services de santé mentale, voire Soteria ? Pourquoi cette idolâtrie d'une pensée unique ? Ne l'oublions pas : les médecins, secondés des gestionnaires hospitaliers ont réussi à freiner le processus désinstitutionnel (datant du rapport Bédard / Lazure / Roberts de 1962) jusqu'à ce qu'ils soient en mesure de le contrôler. La désinstitutionnalisation ou le virage ambulatoire en santé mentale suppose l'investissement progressif par le patient psychiatrique des milieux d'insertion sociale comme le logement, le travail, les loisirs. D'ailleurs, du côté médical, il n'y a pas de guérison. Il faut plutôt parler de gestion quotidienne de la chronicité, puisque nous retrouvons dans les troubles mentaux graves les caractéristiques inhérentes aux pathologies chroniques : incertitude, durée, absence de traitement garanti telles que définies par Baszanger (1986). Actuellement, la désinstitutionnalisation a été pervertie, vidée de son contenu premier, c'est-à-dire social, et se trouve réduite à une pure logique administrative de coupures de lits, de leur transfert à une autre adresse dans la communauté, mais toujours sous contrôle hospitalier. Ce n'est plus la désinstitutionnalisation, mais l'hôpital sans murs (Lesage, 1999). Au lieu de miser sur les habiletés sociales
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nouvellement acquises de l'usager, sur ses compétences, bref sur son autonomie, la plupart des professionnels s'accrochent à son incapacité, alors que l'heure est à l'empowerment processus, à l'empowerment résultat. Actuellement, on est en train de recréer sournoisement de multiples mini-asiles avec les mêmes effets dépersonnalisants et aliénants déjà dénoncés en 1962 par Goffman dans Asylums. Comme le dit une travailleuse sociale et psychologue de Grande-Bretagne : [...] continuer d'augmenter le nombre d'unités dites de sécurité à l'intérieur de l'asile comme dans la communauté ne fait que traduire l'échec de nos interventions auprès de ces usagers et la rigidité des solutions aux problèmes existentiels vécus (Ramon, 2000). Maintenant que le patient psychiatrique vit dans la communauté, il faut désinstitutionnaliser aussi les services de réadaptation psychosociale (logement, formation de la main-d'oeuvre / travail, loisirs, etc.). Plus encore, ces services devraient relever partiellement des offices municipaux d'habitation (OMH), des centres locaux d'emploi (CLE) ou globalement des centres locaux de services communautaires (CLSC), établissements ancrés sur un territoire donné, flexibles, ouverts à l'innovation. Du fait de la complexité des troubles mentaux, aucun secteur ne saurait prétendre leur apporter une solution complète. Il faut l'action de plusieurs secteurs. D'où un appel pressant à l'État pour une politique intersectorielle de santé mentale. Les services de santé mentale devraient être un système à pouvoirs et à frais partagés entre le ministère de la Santé et des Services sociaux, le ministère des Affaires municipales (Société d'habitation du Québec) et le ministère de l'Emploi et de la Solidarité. Un livre (White et al., 2001), trace les contours théoriques de ce modèle ainsi que les modalités d'application. DU DROIT ET DE LA MÉDECINE Depuis la codification médico-psychiatrique officielle de la folie au XIXe siècle, le fou, par sa conduite déviante, a eu affaire à la fois au système de santé et au système pénal. Au cours des temps, le système pénal a adopté diverses modalités pour gérer cette clientèle spécifique juridiquement « non responsable ». Qui pourrait s'en étonner, puisqu'avant même que la folie ne fasse l'objet d'un discours spécifique elle était à la croisée de plusieurs discours, ceux de la littérature, certes, mais aussi ceux des trois grandes « sciences » universitaires : le droit, la médecine, la théologie (Fritz, 1992). Plus encore, de longue date, la médecine entretient des plages d'interférence avec le droit. Si, dans le discours médical, le corps du fou est à
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soigner, à pénétrer ou à dévoiler, dans le discours juridique, il s'agit d'un corps à maîtriser, à emprisonner, parfois à réhabiliter au sein de la société. Nous nous attarderons ici à examiner la place de deux systèmes - psychiatrique et pénal - et leur rôle respectif dans la réinsertion sociale du fou. DU DROIT a) Droit : Ensemble des lois et des règlements qui déterminent les rapports entre les membres d'une société (Gehanne, 1995, op cit., p. 3). b) Avocat, avocate Personne qui engage la procédure nécessaire pour défendre les droits et les intérêts de ses clients auprès de personnes, de l'État, d'institutions ou d'entreprises privées ainsi que devant les tribunaux lorsqu'une cause (familiale, commerciale, criminelle, etc.) le requiert (Pelletier, 1997, op. cit., p. 35). La maladie mentale constitue, après le crime, le domaine majeur de la conduite déviante impliquant historiquement l'utilisation d'institutions de type carcéral. L'idée que des fous soient considérés comme des malades mentaux date seulement de deux siècles environ. Avant, ils étaient considérés comme des possédés du démon, des rebelles, des rêveurs. De toute manière, les premiers signes de folie ont toujours pris la forme de perturbation discursive, comportementale, en rupture de ban avec l'ordre public, en contravention avec le droit. Aussi, ces individus ont, dès le départ, eu affaire avec les forces policières, la justice. Ils étaient gardés à vue comme fauteurs de troubles, ne respectant pas les prescriptions récurrentes devant répondre aux normes de fonctionnement social. Le fou est apparenté à ce Béasse (Foucault, 1975) qui n'a pas d'habitat et qui peut vagabonder, errer là où il veut ; qui n'a pas de maître, pas de père - et il se considère comme autonome -, qui n'a pas de travail, est libre de son emploi du temps et conserve la plénitude de ses jours et de ses nuits (comme il l'explique au juge). Le juge tente d'envelopper cette indiscipline dans la majesté de la loi. Mais, comme l'explique Foucault, c'est l'état de cette civilisation, son ordre et son système de coercition qui font saillie. C'est à dire que chacun - pour être dans la normalité - doit avoir un lieu, une localisation, un état, une identité fixée, reconnaissable, un état stable, continu, des pensées d'avenir, un maître, être à l'intérieur d'une hiérarchie, être serviteur. Avez-vous un domicile ? Avez-vous un travail ? une profession, des parents ? C'est ce que le juge demande régulièrement au fou pour assurer la protection de la société.
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Gardés à vue au début, ensuite entreposés dans les loges des hôpitaux généraux, dans les asiles, il fallait des législations spécifiques pour les lieux d'exclusion de cette catégorie de déviants. Si la France légifère en 1838, l'Angleterre et les États-Unis (Forget, 1995) au milieu des années 1840, la loi concernant les hôpitaux pour le traitement des maladies mentales au Québec (Gouvernement du Québec, 1950) voit le jour en 1950, abrogeant du coup la loi des asiles d'aliénés de 1941. On y parle de réception, de garde, d'entretien de malades dont le désordre mental constitue l'élément prépondérant. On y parle aussi de la protection de la vie d'un malade mental, de sécurité, de décence, de tranquillité publique, de l'ordonnance de transport dans un hôpital. Il est question de cure libre, de cure fermée, de l'ordonnance de réintégration (après fuite) exécutée par un huissier, par un constable ou un autre agent de la paix. Ce type de législation frileuse, punitive, protectrice de la société des gens dits normaux demeura intransigeante jusqu'au dégel provoqué dans les années 1960, particulièrement aux États-Unis, par le mouvement de défense des droits des minorités de tout genre : groupes ethniques, groupes de femmes, homosexuels / lesbiennes, handicapés physiques. Ce courant a eu des retombées positives sur les personnes classées malades mentales qui décident de se libérer des chaînes asilaires pour vivre dans la communauté, surtout après les écrits de Goffman (1968) décrivant les effets dépersonnalisants de ces milieux institutionnels et la contestation antipsychiatrique. Depuis, les droits des personnes souffrant de troubles mentaux font l'objet d'une attention croissante de la société, au même titre que ceux d'autres groupes marginaux, tels les déficients intellectuels, les personnes âgées. Mais en dépit d'une profusion de textes de loi, de chartes, de comités, de recours de toutes sortes, les personnes handicapées mentales jouissent-elles de leurs droits au même titre que les gens dits normaux ? Sontelles assez intégrées dans la société pour espérer retrouver le plein exercice de leur citoyenneté (Robatel, 1992) dans le cadre désinstitutionnel ? Plusieurs chercheurs ont essayé de répondre à ces épineuses questions. Tout d'abord, un avocat spécialisé (Ménard, 1992a) dans les causes impliquant les personnes inaptes a passé en revue les dispositions des principales pièces législatives en les confrontant avec les conditions de vie. Selon lui, il ne semble pas nécessaire, pour le moment à tout le moins, d'élargir l'assiette des droits dont sont titulaires l'ensemble des citoyens, y compris les personnes vulnérables ; de proposer la création de nouveaux organismes publics de protection des droits. Le problème se situerait plutôt au niveau de l'exercice des droits. Les personnes vulnérables ainsi que les patients psychiatriques n'exercent pas ou exercent très peu les droits qu'ils possèdent, et ce, même dans des situations hautement préjudiciables. Par exemple, elles sont très peu informées de leurs droits et recours. Leurs aptitudes sont soit trop limitées, soit même inexistantes pour pouvoir
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exprimer leur volonté et prendre les moyens pour en assurer le respect. D'où leur isolement social, puisque l'entourage aurait une perception erronée ou abstraite de leurs droits et de leurs besoins. Étant donné leur grande dépendance à l'égard de leur famille et de leurs intervenants, les personnes vulnérables vivent dans la crainte de leur déplaire et de subir des représailles. Des moyens particuliers de soutien et d'assistance s'avèrent donc nécessaires pour assurer la promotion, le respect et la protection des droits de ces personnes. En effet, il existe déjà des mesures telles que le traitement accéléré des plaintes au niveau régional, les comités d'usagers, la modification du Code civil ayant trait au consentement, l'élargissement du mandat du protecteur des citoyens, l'attribution de nouveaux pouvoirs au curateur public à l'égard des régimes de protection. Mais c'est le renforcement des comités d'usagers et surtout le renforcement des ressources communautaires de défense (advocacy), d'aide et d'accompagnement bien formées et bien pourvues financièrement qui devraient amener les changements les plus prometteurs. Il ne fait aucun doute que le XXe siècle, sur le plan juridique, considère la personne classée malade mentale comme une personne à part entière, qui a des droits que la société se préoccupe de sauvegarder, et ce, en dépit de la vulnérabilité que lui causent ses troubles mentaux. Dans plusieurs causes marquantes, les cours de justice (Cour d'appel) privilégient parfois la liberté de ces personnes plutôt que la sécurité de la société (Cloutier c. CHUL), parfois même rétablissent le droit de vote aux personnes sous tutelle ou sous curatelle ou en cure fermée, qu'il s'agisse d'élections fédérales, provinciales ou municipales (Cour fédérale du Canada, première instance). Récemment, d'autres chercheurs (McCubbin et Cohen, 1998) sont arrivés au même diagnostic. Ils prétendent que, pour les usagers qui en ont le plus besoin, les « droits » restent aussi symboliques que le changement de terminologie. Les droits reconnus par la loi sont sans substance si ceux à qui elle les accorde n'ont pas les moyens de les exercer. Selon eux, une préoccupation pour les droits des usagers devrait se pencher inévitablement sur le manque de pouvoir des usagers à l'intérieur du système de santé mentale et du système juridique. Ces droits, pour être effectifs, doivent être enracinés dans le fonctionnement quotidien du système de santé mentale et de la société tout entière. Il est vrai que d'autres avancées sur le plan législatif peuvent être nécessaires pour accompagner les personnes classées malades mentales dans la voie de la réinsertion sociale. Par exemple, leur droit de consentir ou non à un traitement en toute connaissance de cause, l'enjeu de leur protection vs celle d'autrui et celle de la société (Gamache et Millaud, 1999 ; Trudeau et al., 1998). La législation actuelle concernant les personnes classées malades mentales
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ne tient pas assez compte de la nouvelle donne désinstitutionnelle. Elle a été pensée plutôt pour les institutions psychiatriques inventées au XVIIIe siècle. Si la loi consacre le refus d'un traitement médicohospitalier, les mêmes dispositions devraient prévaloir pour d'autres formes de prise en charge en milieu ouvert, trop harassantes ou coercitives. Sans cette équivalence juridique intra et extra muros, le retrait préventif d'une relation thérapeutique présentant des signes d'altération pour la santé de ces personnes serait purement symbolique. Toutefois, les lois ayant trait à la santé mentale sont de moins en moins revanchardes, sont plus respectueuses des droits de la personne affectée de troubles mentaux. Autre exemple de cette mouvance du regard social : la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elle ou pour autrui, en vigueur le ler avril 1998 (réformant la loi sur la protection du malade mental de 1990). Cette loi traduit une nouvelle vision (Gendreau, 1996) que la société souhaite refléter dans l'intervention et dans le traitement des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Il existe une nette amélioration de la protection des droits, surtout l'information, une déjudiciarisation du processus de garde en établissement (Ménard, 1992b). Mais il faudrait trouver un espace de compromis entre le respect de la Charte des droits et libertés et le traitement obligatoire dans les rares situations où l'individu représente vraiment un danger pour lui-même et pour autrui. De plus, le curateur public doit s'impliquer davantage dans le processus désinstitutionnel pour que l'horreur qui a été instituée et dénoncée dans le monde asilaire (isolement, coercition physique et psychique, négation flagrante des droits humains les plus élémentaires, etc.) ne puisse se reproduire dans la société civile. Toutefois, les personnes classées malades mentales doivent compter tout d'abord sur leurs propres moyens. La réalité de la désinstitutionnalisation a permis de constater l'existence de grandes divergences entre les intérêts de la psychiatrie, des compagnies pharmaceutiques, des experts, des familles, des foyers d'hébergement et ceux des personnes vivant avec des handicaps psychiques (McCubbin et Cohen, 1996). Aussi, ces personnes misent de plus en plus sur le mouvement social des psychiatrisés Consumer / Survivor (Biais, Mulligan-Roy et Camirand, 1998) pour défendre leurs intérêts. Selon Touraine (1992), les mouvements sociaux rassemblent des individus qui agissent collectivement pour modifier leur environnement matériel et social en mettant en cause les modes de décision, les rapports de domination et les valeurs d'une société. Par exemple, le mouvement des consommateurs-survivants cherche à inventer des pratiques à même d'insérer dans la glaise du réel les besoins, les aspirations des personnes aux prises avec des troubles mentaux. Notons que ces mouvements sont animés par des personnes qui ont vécu une expérience directe de troubles mentaux. Ces personnes sont consultées par les gouvernements, les décideurs, les intervenants;
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elles ont accès aux espaces publics où elles peuvent s'exprimer à bon escient, contrairement à une époque pas trop lointaine où leur parole était nulle et non avenue. En dépit des barrières, des embûches, d'un manque de confiance, elles réussissent à participer aux mécanismes de consultation et de décision. Le champ de la santé mentale s'est donc trouvé enrichi d'un autre savoir, d'un vécu de l'intérieur des troubles mentaux, bref, d'une autre forme d'expertise que celle des penseurs et des intervenants. Ainsi, ces personnes sont devenues de véritables acteurs et moteurs du changement vers l'ailleurs et l'autrement dans des secteurs clés comme la défense des droits, le logement, le travail, la gestion des initiatives alternatives à la psychiatrie. Le droit s'avère un levier des plus importants dans la reconstruction de l'identité et des liens sociaux de la personne psychiatrisée. Tant que la personne classée malade mentale vivait à l'asile, elle était considérée comme mineure, sous tutelle juridique. Elle était comme en pénitence dans un purgatoire, parfois un enfer, en tout cas dans les limbes du social. De retour dans la communauté, bénéficiant du mouvement d'inclusion de l'altérité que la société manifeste à l'égard des marginaux de tout acabit, la personne psychiatrisée est désormais en position de reconquête de tous ses droits confisqués lors de son admission forcée à l'institution psychiatrique. Il faudrait au moins que la société civile lui assure les conditions nécessaires à l'exercice quotidien de ces droits. DE LA MÉDECINE a) Médecine : Ensemble des connaissances et des moyens de tous ordres mis en oeuvre pour la prévention, la guérison et le soulagement des maladies, blessures ou infirmités (A. Domart et J. Bourneuf, dira, Nouveau Larousse médical Paris, Librairie Larousse, 1981). b) Médecin généraliste ou omnipraticien : Personne qui, en tant que médecin, offre un éventail de services médicaux tels que le diagnostic, le traitement et le suivi à des personnes de tout âge en vue de prévenir ou de soigner les maladies. À cette fin, elle examine la personne, fait effectuer des tests ou analyses s'il y a lieu, pose un diagnostic, prescrit des médicaments ou traitements et donne des conseils pour maintenir, améliorer ou recouvrer la santé. Elle pratique' dans différents milieux comme les CLSC, les services des urgences, les cliniques médicales, les établissements de soins prolongés (D. Pelletier, dir., 1997, op. cit., p. 157). Le psychiatre est un médecin qui évalue et traite les personnes classées malades mentales.
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Considérer l'apport de la médecine psychiatrique à la réinsertion sociale nous jette de plain-pied dans un débat d'écoles de pensée qui agite cette profession depuis un siècle et demi, précisément depuis 1856. Ce débat, qui connaît des pointes d'euphorie et de dépression, existe encore aujourd'hui et a été inauguré par deux éminents psychiatres : Emil Kraepelin et Sigmund Freud. Le premier prône (Postel, 1970) une perspective de sémiologie médicale neurologique cherchant des entités morbides derrière les signes et les symptômes psychiatriques. Il s'est toujours refusé à écouter le malade. Il disait que l'ignorance de la langue du malade est, en médecine mentale, une excellente condition d'observation à travers des troubles psychiques divers. Seule la manifestation d'un processus morbide sous-jacent doit être retenue. C'est au futur cadavre du malade qu'il faut s'adresser. Seul l'intéresse l'état terminal. Un examen approfondi révèle que les distinctions les plus profondes au début n'empêchent pas la maladie d'imprimer à la démence terminale son même sceau uniforme. Ainsi n'y a-t-il qu'un moyen de résoudre ce problème (du diagnostic) aussi délicat qu'important : c'est d'expliquer les phases intérieures du mal par sa période terminale. Voilà en gros ce que dit Emil Kraepelin dans la leçon sur l'état terminal de la démence précoce. Son système de classification sur lequel repose encore tout l'appareil diagnostique psychiatrique n'est finalement qu'une magnifique nécropole où chaque forme morbide est un sépulcre. Et la psychiatrie kraepelinienne, aussi monumentale qu'elle soit, n'est qu'une construction pour les morts, fermée sur elle-même et ne pouvant fonctionner que dans un espace clos qui peut s'appeler aussi bien asile que zoo, jardin botanique que cimetière. À l'inverse, dans une démarche de l'ordre de l'herméneutique, Freud découvre que les symptômes psychiatriques ont un sens. Ils ne sont pas tant les signes d'une maladie que le message à interpréter d'un malade qui ne peut s'exprimer que par eux. Le psychiatre est désormais impliqué dans la relation autant que son malade. Il ne peut plus éviter de se sentir compris dans l'aliénation de ce dernier. Il s'adresse à un vivant, et non plus à une maladie dont la pleine présence ne se manifesterait que sur un cadavre. L'approche de Freud s'avère radicalement différente de celle de Kraepelin. Cependant, même si la démarche freudienne a encore de l'avenir, elle doit compter avec l'oeuvre kraepelinienne qui restera longtemps le fondement du diagnostic et de la pratique psychiatriques. D'ailleurs, Freud lui-même n'a pas hésité à créer une entité morbide nouvelle comme la névrose obsessionnelle. Un siècle plus tard, en 1950, ces deux écoles de pensée se sont de nouveau affrontées à travers les positions respectives de deux spécialistes de la médecine psychiatrique : Paul Guiraud et Henri Ey. Les hostilités
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durèrent jusqu'aux années 1970. Pour Paul Guiraud8, la psychiatrie est seulement une science des maladies mentales avec le cerveau comme objet de recherche unique. Pour Henri Ey, la psychiatrie, est la médecine du sujet souffrant qui doit emprunter à des registres différents leur savoir et leurs outils thérapeutiques. C'est la clinique des soins, non réductrice, qui reconnaît certes les symptômes biologiques des troubles mentaux, mais du même souffle interroge le sens de ces symptômes propres à un sujet déterminé par d'autres référents et d'autres moyens que ceux de la psychiatrie biologique. Dans une troisième dimension, cette forme de psychiatrie considère les facteurs environnementaux. Comme le dit un psychiatre contemporain (Zarifian, 1998), l'être humain n'est pas seul au monde, il tisse un réseau de communications avec ceux qui l'entourent, c'est-à-dire que le milieu agit sur le patient et vice versa. On retrouve donc le même écart entre la position humaniste de Ey et l'hypothèse de l'organicité cérébrale de Guiraud que celui qui existait au XIXe siècle entre Freud et Kraepelin. Ces deux points de vue expliquent les attitudes des protagonistes de ces deux écoles de pensée à l'égard de l'utilisation des médicaments psychotropes. Les disciples de Henri Ey reconnaissent l'importance des médicaments neuroleptiques, par exemple, qui permettent l'atténuation rapide des mécanismes hallucinatoires dans les délires et provoquent une sédation dans les états d'excitation. Ils reconnaissent aussi l'efficacité des antidépresseurs qui régularisent l'humeur des grands déprimés, celle des anxiolitiques de type benzodiazepin qui contribuent à faire fondre la tension « épouvantable » des anxieux. Mais faut-il bien que le médecin traitant utilise une posologie personnalisée à l'intérieur d'une stratégie globale de contacts et d'interventions thérapeutiques ! Les disciples de Guiraud, quant à eux, se limitent à ces médicaments et à l'action vs réaction, en plus de faire des ordonnances comme en médecine physique. Ce qui entraîne une hypermédicalisation de la psychiatrie. Ces deux écoles de pensée débouchent sur deux types de prise en charge dans le cadre désinstitutionnel : les cliniques de secteur et les cliniques spécialisées. Les premières sont nées dans les années 1960 - en rupture avec les effets dépersonnalisants des asiles surpeuplés ; elles privilégient le contact personnalisé avec l'usager et favorisent la prévention. Les structures prennent donc racine dans le courant français de Psychiatrie de secteur et dans le courant anglo-saxon du Community psychiatry ou du Community mental health care. Ancrées dans un territoire donné, elles doivent répondre aux demandes de services psychiatriques de la communauté, participer à l'oeuvre de démystification des troubles mentaux et d'acceptation des usagers par la coopération avec diverses ressources
8. Entretien avec Édouard Zarifian sur les psychotropes, Production CECOM, Hôpital Rivière-desPrairies et Centre national audiovisuel santé mentale, 1996 (24 minutes).
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locales. Il s'agit d'une psychiatrie de type généraliste devant traiter sans discrimination tous les troubles mentaux, du plus grave au moins grave. Et comme il existe des spécialistes divers au sein de chaque équipe multidisciplinaire de secteur, chaque usager devrait théoriquement trouver chaussure à son pied. Quant aux cliniques spécialisées, elles ne sont arrivées en force dans le paysage des soins psychiatriques qu'au cours des années 1980, même si l'idée de l'approche par diagnostic était déjà présente dans la classification des troubles mentaux des premiers asiles. Ces initiatives doivent leur apparition au bouillonnement d'idées et aux essais cliniques, d'ordre pharmacologique surtout, qui ont suivi la période de contestation dite de l'antipsychiatrie. Contrairement aux cliniques de secteur ayant pignon sur rue, ces cliniques spécialisées logent habituellement au rez-de-chaussée des hôpitaux avant de s'installer éventuellement dans les quartiers résidentiels des cités et villes. Nous trouvons ainsi toute une kyrielle de cliniques : clinique de l'hyperactivité, clinique des jeunes adultes schizophrènes, clinique des psychotiques chroniques, clinique du lithium ou de l'humeur, clinique « Les axes 2 » (c.-à-d. les troubles de personnalité en référence au DSM-III-R), clinique du trouble de personnalité limite, clinique des phobies, etc. Les caractéristiques précises de ces pathologies servent de frontières ou plutôt de critères d'admission. Chacune des deux formules de clinique a été attaquée par les tenants de l'autre. Pour certains (Borgeat, 1994), les cliniques de secteur ont failli à leur mission première de prévention. Si la prévention dite tertiaire qui consiste à mieux traiter les patients chroniques a été effectuée avec succès, la prévention primaire et la prévention secondaire ont été par contre illusoires. De plus, l'équipe de secteur s'est substituée à l'omnipraticien qui, traditionnellement, servait de première ligne médicale. Ce qui a «balkanisé » la psychiatrie, rompant ainsi la communication avec les autres branches de la médecine en l'isolant dans une sous-culture tricotée serré. Pour d'autres (Renaud, Bouchard et Guertin, 1995), l'organisation de cliniques de secteur a le mérite d'offrir une gamme de services variés et adaptés le plus souvent aux besoins de la clientèle. Contrairement au ton triomphaliste des tenants de l'hypothèse biologique dominante dans les cliniques spécialisées, ces thérapeutes font preuve de plus de retenue. Ils déclarent qu'on n'a qu'à circuler dans les unités de soins et les salles d'attente des départements de psychiatrie pour se rendre compte qu'on est loin d'avoir trouvé tous les remèdes à la maladie mentale. De plus, l'équipe de secteur travaille en étroite collaboration avec des partenaires du territoire desservi : omnipraticien, CLSC, travailleurs de rue, ressources d'hébergement en vue de maintenir une qualité de vie chez les usagers. Mais la collaboration commence d'abord à l'intérieur même de l'équipe
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qui partage ses compétences pour un meilleur service à l'usager (Guérette, 1996) : le médecin ne fait pas que prescrire, l'infirmière que piquer, la travailleuse sociale que placer, le psychologue que tester ni l'ergothérapeute qu'animer des travaux manuels. De plus, chaque intervenant est responsable entièrement de ses cas en fonction de son expérience et va aisément solliciter, si c'est nécessaire, l'expertise de collègues qu'il fait également bénéficier de ses propres compétences. Toute autre formule comporte un coût prohibitif en argent comme en matériel humain. À notre avis, les deux formules de cliniques comportent un risque certain d'exclusion. Certains usagers peuvent se retrouver entre deux secteurs pour toutes sortes de raisons. Quant aux cliniques spécialisées, elles rejettent assez souvent les cas réputés difficiles ou qui ne présentent aucun intérêt pour leurs hypothèses de recherche ; sans oublier évidemment les situations de double diagnostic. Ce qui constitue dans les deux situations un handicap pour le droit du patient à choisir son thérapeute. Dans le réseau intégré des soins et des services de santé mentale, réseau qui représente la nouvelle tendance, une harmonisation des cliniques spécialisées avec les cliniques de secteur en concertation avec les ressources communautaires est toujours possible. Le principe d'une psychiatrie humaniste, citoyenne demeure cependant intangible, étant donné qu'on ne saurait fragmenter les troubles mentaux en rondelles de saucisson et diviser ainsi l'intégrité de la personne humaine. Pourtant, un doyen de la psychiatrie biologique française, Édouard Zarifian, se montre on ne peut plus explicite sur la spécificité de la souffrance psychique : [...] la maladie somatique, c'est une pathologie d'organe ou de système, avec des lésions, des signes objectifs quantifiables et une rupture par rapport à la norme. La souffrance psychique n'implique aucun organe ou système (du moins d'une manière formellement démontrée à ce jour) ; aucune lésion n'a pu être mise en évidence, il n'existe aucun signe objectif et la distinction entre le normal et le pathologique reste floue et variable. La folie est un terme qui est toujours défini par l'autre et jamais par soimême, et c'est ce qui lie indiscutablement la folie et le social. Sans référent social, la folie n'existerait pas. Selon Zarifian (1994), on est toujours le fou des autres, de la société ou de son mandataire, le psychiatre. La psychiatrie a le rôle de définir la folie, mais on peut se demander si, dans une certaine mesure, la psychiatrie ne serait pas un instrument qui entrave la liberté d'expression. En effet, les pressions sociales affectent la pratique du psychiatre, et celui-ci n'a d'autre choix que de traiter l'individu qui est amené à son bureau pour avoir, de quelque façon que ce soit, perturbé l'ordre social. On peut dire que ce qui caractérise la folie, c'est la singularité qu'elle occasionne chez l'individu qui doit, pour faire partie intégrante de la société, éviter les dangers de la différence. Or, l'individu
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qui se démarque de son groupe social (bien souvent sa famille) constitue un élément perturbateur, un danger qui ne peut être évité que par le passage de l'individu en question dans l'appareil psychiatrique. En fait, il est impossible de définir la folie. On n'a, à ce jour, obtenu aucun consensus sur la définition de la folie. On ne connaît encore aucune reconnaissance universelle des nombreuses spécificités des maladies mentales, et pour cause : en santé mentale, le diagnostic se situe dans le registre du subjectif. Si en médecine somatique la normalité s'articule autour de moyennes, on ne peut appliquer cette façon de faire en santé mentale, puisque divers facteurs influencent cette normalité, notamment diverses valeurs culturelles. Il n'y a donc pas de diagnostics absolus en santé mentale comme il y en a en biomédecine. « Toute maladie mentale est d'abord une maladie de la pensée. Les comportements jugés anormaux ne sont que l'expression d'une pensée déviante ou l'extériorisation d'une erreur de jugement » (Zarifian, 1998). Tout cela fait poser la question de la normalité en ce qui a trait à la pensée et nous oblige à définir ce qu'il faut entendre par pensée. La pensée implique la conscience, le raisonnement, le jugement et un système de valeurs. On peut l'évaluer soit par rapport à l'individu lui-même - nous l'avons déjà vu -, soit par rapport au groupe social qui définit la normalité. Notons toutefois que, dans l'évaluation de la pensée de l'individu par rapport à lui-même, l'intervention de l'autre doit être prise en compte. Il en résulte que l'influence de l'extérieur est une dimension nécessaire de la pensée normale. Cet état de choses nous amène à considérer la mince ligne qui, en psychiatrie, sépare le normal du pathologique. La pathologie dérive-t-elle de la norme ou bien se situe-t-elle à l'inverse de celle-ci ? Alors que la normalité peut difficilement être considérée comme un état stable, doiton considérer que la folie fait partie intégrante de cette normalité ? Étant donné que diverses circonstances peuvent modifier la pensée et le comportement (médicaments, alcool, colère, démence passagère, etc.), il devient de plus en plus difficile de tracer cette ligne entre le normal et le pathologique. Le diagnostic de maladie mentale constitue une étiquette quasi permanente pour « caser » un individu dans certaines sphères sociales « à part » (Castel, 1981), distinctes de ce qui est socialement acceptable. Zarifian affirme que : Tout homme « normal » porte en lui le germe de la folie, tout homme, sans exception, peut, à la seconde, basculer dans un autre monde. Parfois, il ne s'agit pas d'un homme mais d'un peuple tout entier. Mais une telle idée est tellement insupportable, tellement peu compatible avec la dignité des notables, que des étiquettes existent pour que l'on sache tout de même à qui l'on a affaire.
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Tout ce qui a été dit précédemment revêt une importance d'autant plus grande que cela met en lumière le rôle prépondérant que joue le psychiatre dans l'encadrement des personnes classées malades mentales lors de la désinstitutionnalisation. Le psychiatre n'est pas un médecin comme les autres : il peut décider de faire enfermer quelqu'un, les pouvoirs publics l'utilisent comme gardien de la cité, comme agent de contrôle des « têtes qui dépassent la norme », comme policier de l'âme qui donne des réponses individualisées à des questions sociales. Cela dit, la contribution de disciplines diverses à la réinsertion sociale mérite d'être retenue. On doit souligner le rapport entre les mesures de désinstitutionnalisation (Mercier, 1997) et les politiques gouvernementales qui ont mené à la transformation du système asilaire en un système centré sur la primauté de la personne et sur le partenariat entre divers acteurs, ainsi qu'à la mise en place de services le plus proches possible de la vie quotidienne. L'histoire enseigne que les fous ont été longtemps confinés dans des asiles en bordure des villes, loin de la demeure des « normaux ». L'anthropologie nous met en garde contre une réduction des troubles mentaux à leur symptomatologie. Les troubles mentaux ont un sens, ils envoient un message à l'environnement collectif qu'il faut décoder. La psychologie, quant à elle, remet en question les mécanismes parfois inconscients qui poussent l'être humain à garder une distance à l'égard des corps différents et spécialement à l'égard du fou qui en est le prototype. Le service social, né de l'interaction individu-société et des problèmes générés par le monde techno-urbain, a toujours eu le visage tourné vers le maintien du fonctionnement social et la réinsertion sociale des individus, des groupes, des familles et des collectivités. La sociologie, de son côté, circonscrit l'exclusion du fou en affirmant que la déviance n'est pas tant dans le comportement de l'individu stigmatisé que dans la réaction de la société à son égard. Rendre égal en droit ce qui ne l'est pas en fait. Cette définition de la civilisation par Jean-Jacques Rousseau témoigne bien de la contribution du droit à la marche vers la citoyenneté active de ces personnes aux prises avec un handicap mental, bref, à la démocratie pour toute forme de vie9. En médecine psychiatrique, la normalité telle qu'elle est définie par la société semble être le barème de mesure de la folie, barème qui est incarné par le système de psychiatrie. Le psychiatre est ici considéré comme un décideur de la normalité et de la pathologie de l'individu, décision prise en fonction des valeurs socialement acceptables dans le milieu de vie de l'individu concerné. 9. M. Mies et V. Shiva, Ecofeminism, New Delhi, Kali for Women, 1993, p. 265; cité dans I. Wallerstein, 1998.
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PROBLÈMES SOCIAUX ET SCIENCES SOCIALES
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Dans les sciences sociales et humaines, les problèmes sociaux constituent sans nul doute un champ de réflexion et de recherche qui a marqué la fondation même de la pensée scientifique. En effet, si en 1920 l'École de Chicago a jeté les balises de ce territoire, les phénomènes de déviance et d'exclusion constituent depuis le XIXe siècle l'un des thèmes centraux de la pensée sociologique. Les premiers sociologues, Quételet avec principalement la statistique morale, Tarde avec la criminalité comparée, Comte avec le positivisme, Saint-Simon avec son socialisme planificateur et technocratique, Durkheim avec Le suicide se sont d'abord préoccupés de moralité, de criminalité, de pauvreté et de santé. C'est le flot et la complexité des problèmes sociaux de l'ère industrielle qui ont donné naissance au travail social comme profession. Le concept de problèmes sociaux est typiquement nord-américain. A preuve, tous les dictionnaires anglo-saxons en donnent une définition assez exhaustive avec force références historiques, alors que les dictionnaires français de sciences sociales, même les plus récents, n'en font guère mention. Selon le dictionnaire des Social Sciences, un problème social se définit comme une situation touchant un nombre significatif de personnes et qui est considérée par elles ou par une portion significative de la société comme une source de difficultés ou de désagréments, susceptible d'être changée. Wirth va un peu dans le même sens. Pour lui, il y a problème social lorsqu'une situation existante diverge d'une autre situation qui est préférée par la majorité parce qu'elle est en accord avec certaines valeurs d'une société donnée. Un problème social existe alors seulement lorsque certaines personnes considèrent une situation existante comme un problème, que ces personnes soient des acteurs ou des spectateurs. Derrière ces définitions se profilent deux corps théoriques. Selon l'approche consensuelle, un problème social se définit comme l'écart entre la réalité sociale et les standards sociaux, ou entre ce qui est et ce qui devrait être. L'approche conflictuelle, en revanche, considère les problèmes sociaux comme des conséquences de la structure économique du capitalisme et des relations de pouvoir existantes, relations qui résultent d'un système d'exploitation par une minorité qui ne désire pas vraiment les résoudre, voire qui en bénéficie assez directement. En France, pour couvrir cette réalité, on parlera de rupture du lien social, de fracture sociale, de marginalité / marginalisation, de désaffiliation, d'exclusion. Un expert d'origine française qui enseigne la gérontologie sociale au Québec depuis deux décennies semble avoir réuni les deux traditions en proposant pas moins de quatre définitions de problèmes sociaux.
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QU'EST-CE QU'UN PROBLÈME SOCIAL ? 1. Un problème qui trouve son origine ou son explication dans les rapports sociaux d'exploitation ou de domination, et qui entraîne un défaut d'intégration ou une sous-utilisation des ressources des divers milieux de vie. 2. Un problème qui remet en cause les rapports sociaux (de classes, de sexes, d'ethnies, de générations, de cultures, etc.), les positions ou histoires sociales qui en sont les effets et leur imbrication complexe dans la dynamique sociale concrète. 3. Un problème dont la solution durable nécessitera (ou nécessiterait) la mise en place d'un nouveau projet global d'orientation de la société, à travers ses organisations, ses institutions, ses mouvements sociaux, projet visant à plus d'égalité, plus de liberté, plus de citoyenneté. 4. Un problème dont n'est pas responsable la personne qui l'affronte ou le subit, et qui n'a rien à voir avec ses attitudes et comportements, son histoire de vie personnelle ou les vicissitudes de celle-ci. Par ailleurs, alors que les États-Unis boudent encore le terme exclusion, voire en font un terme tabou, le nouveau parti travailliste de Grande-Bretagne' vient d'adopter le terme Social Exclusion pour désigner les 2030 % de la population qui, ne disposant pas des qualifications nécessaires pour mener une vie décente, se trouvent rivés à un état de pauvreté relative et d'immobilité sociale. Au Québec, terre française, juxtaposée à une Amérique du Nord essentiellement anglophone, à l'exception du Mexique hispanophone, l'expression exclusion a droit de cité et voisine avec une tradition américaine de problèmes sociaux. Un survol de quelques annuaires2 des cours dispensés dans les écoles de service social et dans les départements de sociologie suffit à nous en convaincre. À l'Université Laval, l'Ecole de service social dispense le cours Pauvreté et sousdéveloppement qui présente une double problématique de la pauvreté et du sousdéveloppement; d'un côté, le vécu des populations concernées ; et les mécanismes sociaux de production et de reproduction de ces phénomènes, de l'autre. Déviance, délinquance et criminalité explore des connaissances théoriques et des concepts associés à la nature, au sens, à la portée des agirs déviants et délinquants ainsi que les effets personnels et sociaux de ces comportements. Analyse des problèmes sociaux est consacré exclusivement à l'étude de diverses problématiques sociales, objet de l'intervention du service social. La notion de problème social y occupe d'ailleurs une place de choix. 1. « Britain - Back to class war ? », The Economist, 3 juin 2000, p. 58. 2. Université Laval, Université de Montréal, Université du Québec à Montréal et McGill University.
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À l'École de service social de l'Université de Montréal, les problèmes sociaux font l'objet d'une approche envisagée sous trois angles différents les acteurs sociaux, l'identité et l'institution. Le premier volet étudie des phénomènes collectifs tels que la pauvreté, l'exclusion, le chômage et la population à risque ; il en identifie les facteurs et explore des stratégies d'adaptation des acteurs sociaux concernés. Le deuxième volet aborde le processus d'individualisation à l'origine du malaise identitaire dans les sociétés d'aujourd'hui ainsi que les formes de gestion sociale et des enjeux de l'action collective. Quant au troisième volet, il analyse le rôle des idéologies professionnelles et des mécanismes institutionnels dans la représentation et la reproduction des problèmes sociaux. Au Département de sociologie de cette même université, les processus de stigmatisation, d'exclusion et d'étiquetage font l'objet de débats dans le cours Déviance, exclusion et contexte social qui adopte une perspective voisine de celle de l'École de service social. Populations exclues ou marginalisées, comportements considérés aberrants ou hors normes sont abordés sous l'angle de l'intégration, de la régulation sociale et de la production sociale de conduites et de statuts marginaux. Dans une tout autre perspective, Culture, déviance et psychopathologie au Département d'anthropologie fait une étude comparative de ces réalités dans diverses sociétés. Leurs rapports à la culture sont analysés à la lumière des courants de l'anthropologie, en général, et de l'ethnomédecine, en particulier. À l'Université du Québec à Montréal, Dynamique des problèmes sociaux, cours obligatoire pour les étudiants en travail social est assumé par le Département de sociologie. Ce cours étudie les rapports de force qui découlent des problématiques sociales contemporaines et les enjeux sur les plans politique, économique et juridique. Il analyse les principaux problèmes sociaux vécus par les classes populaires comme la pauvreté, le chômage, le logement, l'oppression nationale et l'immigration. Il examine les solutions proposées à ces problèmes par différents groupes : gouvernement, syndicats, organisations populaires, etc. Quant au cours Déviance sociale, marginalités, inclusionexclusion, anciennement Déviance sociale 1 à l'École de travail social, il présente l'étude épistémologique des notions de normalité, de déviance, de marginalité, de handicap, de santé mentale, de stigmatisation, de criminalité, d'exclusion, d'intégration, d'institutionnalisation, de désinstitutionnalisation et d'aliénation. Il explore la fonction sociale du professionnalisme en regard du contrôle de la normalité et de la déviance. Il analyse également quelques types de déviance vus comme des phénomènes tant sociaux qu'individuels fondamentalement interreliés tels que la violence, la délinquance, la marginalisation des groupes, l'excision, l'alcoolisme, le tabagisme et le suicide. Mais revenons au concept d'aliénation traité dans ce cours qui se définit comme « l'état de l'individu dépossédé de lui-même par la soumission de son existence à un ordre de choses auquel il participe mais qui le domine ». Caractérisé en cinq dimensions par Melvin Seeman : impuissance, perte de sens, anomie, isolement social
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et sentiment d'être étranger à soi-même, il symbolise la situation des individus aux prises avec des problèmes sociaux, écartelés entre la dépossession d'euxmêmes par quelque chose « ne venant de nulle part ailleurs que d'eux-mêmes », pour reprendre les propos de Gauchet et Swain, et la puissance des forces occultes qui contrôlent sa société d'appartenance. Cependant, dans certains cas, cette condition d'aliéné peut servir de tremplin permettant à des groupes marginalisés de se trouver des niches d'empowerment, d'autonomie, de créativité en dépit des contraintes économiques et sociales du milieu. D'où l'importance de l'utilisation de ce concept phare pour l'étude des problèmes sociaux contemporains. À l'instar de l'Université du Québec à Montréal, à l'Université McGill, le cours appelé Social Problems fait partie des 12 crédits que les étudiants de service social doivent suivre dans le champ des sciences sociales. Le cours intitulé Poverty and Social Work, inscrit au baccalauréat en service social, analyse divers problèmes sociaux : le vieillissement, la conduite criminelle, les enfants abusés et le patient du système de santé. Ces problèmes sociaux sectorisés se retrouvent également dans le répertoire des cours des écoles francophones de travail social. Cet ouvrage collectif est le fruit de la collaboration de professeurs et de chercheurs oeuvrant dans des institutions universitaires (l'Université internationale de la Floride, deux universités de France, deux universités de l'Ontario, neuf universités du Québec), dans deux collèges d'enseignement général et professionnel, dans quelques centres et instituts de recherche, dans des groupes communautaires et dans des centres locaux de services communautaires (CLSC). Cet ouvrage est multidisciplinaire : les textes qui y sont colligés sont rédigés par un criminologue, une historienne, un philosophe, deux anthropologues, trois infirmières, trois médecins, trois politologues, huit psychologues, des sociologues et des travailleurs sociaux. Cette particularité multidisciplinaire est positive puisque nous sommes convaincus qu'aucune discipline ne saurait fournir, à elle seule, l'expertise suffisante pour expliquer la genèse, le vécu et la prospective des problèmes sociaux. De là, une combinaison d'approches conceptuelles différentes et de méthodologies diverses. Le propos de l'ouvrage est donc de présenter, de façon synthétique, des recherches menées sur de multiples objets reliés à la notion de problèmes sociaux tout en prenant le recul nécessaire à une rigueur scientifique. Et, faire une synthèse de l'ensemble de ces contributions serait une tâche impossible, chacune d'entre elles constituant déjà un résumé de recherches réalisées ou de recherches en cours. Néanmoins, nous pouvons faire ressortir les grandes orientations qui s'en dégagent, particulièrement celles qui constituent un apport appréciable pour l'enseignement, la recherche et l'intervention. Aussi, au-delà des approches théoriques - approches qui ont acquis leur lettre de noblesse dans l'étude des problèmes sociaux -, au-delà des instruments méthodologiques - si précieux pour la compréhension de ces problèmes - et
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au-delà de l'approche propre à la discipline de chacun des auteurs, nous pouvons distinguer trois grands axes qui se recoupent de manière dialectique l'axe enfancefamille-jeunesse, celui de la place et du traitement des groupes marginalisés et celui de l'intervention. Ces axes ne sont pas nouveaux : il s'agit plutôt de nouvelles configurations de problèmes sociaux qui sont depuis longtemps constitutifs du champ des sciences sociales. ENFANCE-FAMILLE-JEUNESSE La famille, institution fondamentale de toute société, présente ou passée, se définit comme une unité sociale composée de personnes en interaction. Elles prennent des engagements, assument des responsabilités les unes envers les autres, elles se socialisent, se transmettent des valeurs culturelles et religieuses, elles partagent leurs ressources. Dans cette dynamique, la fonction de socialisation est prédominante. C'est en effet le processus par lequel l'enfant s'humanise et adopte ses principaux comportements sociaux. C'est par la famille, admet-on, que l'enfant fait son entrée dans le monde, dans la vie tout court. Le devenir des êtres humains est donc influencé par les premières expériences de la petite enfance. Et, toute privation, qu'elle soit matérielle ou affective, risque d'être catastrophique pour l'identité et la confiance en soi, leviers de la réussite sociale. D'autant plus que troubles affectifs et difficultés d'adaptation se vivent aussi bien dans les familles biparentales que dans les familles monoparentales, reconstituées ou homosexuelles. Dans famille et société, Marie-Thérèse Lacourse fait état de plusieurs valeurs susceptibles de perturber la vie de la cellule familiale. Elle mentionne, entre autres, l'individualisme narcissique, la performance, la rationalisation et le relativisme des valeurs. Sans oublier la crise de l'Étatprovidence qui remet en question les solidarités étatiques avec les familles dans les politiques sociales. De là l'importance et le caractère novateur des programmes d'actions communautaires auprès des enfants (Pace), des initiatives communautaires visant à améliorer leur santé, leur bien-être, leur performance scolaire avec la collaboration des parents et des ressources locales (Naître égaux et grandir en santé, 1,2,3, GO ! Projet jeunesse montréalais, mères avec pouvoir, ProsPère, PrinsiP, etc.). Bref, tous ces investissements dans les quartiers défavorisés des grandes villes et des municipalités de région seront rentables en termes de prévention de troubles comportementaux. Selon un auteur, la fin de l'adolescence est « une période de tumulte » au cours de laquelle le jeune consolide son identité par l'exploration et l'expérimentation de nouveaux rôles sociaux. Quant à la jeunesse, cette période intermédiaire entre l'état de dépendance de l'enfant et l'autonomie, signe d'une certaine maturité, elle se prolonge de plus en plus. Cet allongement de la jeunesse, appelé néoténie qui date des années 1950 est associé à l'entrée tardive de cette catégorie sociale dans la vie active et à ses réticences à fonder une famille. Et, selon François Dubet, il est accentué par le chômage, qui la frappe plus particulièrement, et par
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les problèmes d'insertion de divers ordres. Si l'on décèle un affaiblissement du contrôle social et des rites initiatiques, c'est à l'école que les jeunes construisent leur statut d'adulte. Il arrive que ces épreuves préparatoires à l'entrée dans la vie et à la formation de soi s'accompagnent de détresse psychologique3, de déviance, de délinquance, et ce, parfois, sous les formes les plus violentes (violence contre soi, contre autrui et contre les objets). LA PLACE ET LE TRAITEMENT DES GROUPES MARGINALISÉS Groupes marginalisés, c'est-à-dire marqués par le processus de marginalisation, production sociale qui, selon Castel, trouve son origine dans les structures de base de la société, l'organisation du travail et le système des valeurs dominantes à partir desquels se répartissent les places et se fondent les hiérarchies attribuant à chacun sa dignité ou son indignité sociale. Lorsqu'on examine la place et le traitement réservés aux personnes marginalisées, deux caractéristiques ressortent : permanence et mouvance. Comme bien des auteurs l'ont déjà souligné, le repérage des différences, la stigmatisation4, l'exclusion des corps différents, la gestion des exclus
3. Rapport de l'enquête Santé Québec 1987, Et la santé, ça va ?, Gouvernement du Québec, 19921993. 4. Un des stigmas les plus coriaces et les plus tabous est le Racial Profiling (sélection raciale), profil statistique construit à même des banques de données. Ce marqueur social construit sur un phénotype racial donne lieu à un genre de harcèlement policier qui consiste à contrôler et arrêter d'une manière intempestive les gens de race noire ou les hispanophones jusqu'à deux fois par mois, cinq fois plus souvent que les Blancs. Une jolie voiture conduite par un Noir, c'est une voiture de dealer Même si 80% des consommateurs de cocaïne aux États-Unis sont blancs, la police cherche de la drogue en priorité chez les Noirs et les Latinos-Américains, en conformité avec le Drug Courrier Profile. D'ailleurs, c'est maintenant connu. Quand les policiers se mettent en parallèle des autoroutes, ils contrôlent la conduite automobile à même les plaques d'immatriculation. Quand ils garent leur voiture en retrait et de manière perpendiculaire à la circulation automobile, ils contrôlent avant tout le profil racial. Si les gens des ghettos en pâtissent, se résignent, des pasteurs, des acteurs de race noire, des professionnels du jeu (tennis, basket-ball, golf, etc.) et surtout les gens d'affaires, principalement ceux du consortium Ebony dénoncent, se plaignent en haut lieu et investissent le parti démocrate. Autrefois (1964-1975) à Montréal, plusieurs psychiatres d'origine haïtienne se faisaient arrêter pour identification de leur BMW ou de leur Mercedes-Benz comme s'ils n'avaient pas le même salaire que les médecins blancs. Cette pratique a perdu du terrain à cause des pressions exercées sur les autorités de la police de Montréal par les surintendants médicaux de divers hôpitaux, le président du Collège des médecins d'alors. Toutefois, les Haïtiens de Montréal-Nord, du quartier Saint-François à Laval, de Saint-Hubert continuent de se faire humilier par les policiers préposés à la circulation routière : il s'agirait d'une question de classe sociale avant d'être une question d'ethnicité. Tout en reconnaissant que l'immigration est une expérience qui bouleverse la vie d'un être humain, le moment est venu en ce début de XXIe siècle, d'engager un combat arc-en-ciel contre la pauvreté qui affecte un nombre grandissant de citoyens de toutes origines. Cependant, il faut toujours tenir la bride haute à ces associations de termes fétiches (péril jaune, nouvelles classes dangereuses, sida / étranger, minorités visibles, vote ethnique) dérivées du stigma racial profiling à forte portée ethnocidaire sous-entendant que les immigrants sont des groupes à risque porteurs de menace potentielle pour la sécurité collective, qu'ils sont des personnes moins valables que les natifs du pays, dits de souche ou natif-natal.
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constituent un invariant de tous les temps et de tous les espaces sociaux. Seuls changent, avec le temps, la forme, la formalité, les lieux et les idéologies des groupes d'individus. Les pauvres, les individus itinérants, les personnes classées malades mentales, déficientes intellectuelles, handicapées physiques, les enfants trisomiques, les personnes d'orientation homosexuelle, pour ne citer que ceux-ci, sont mis à l'écart, méprisés, discriminés aux yeux de la majorité. Pourquoi ? Parce qu'ils ne sont pas ce qu'ils devraient être au regard des dominants. Parce qu'ils ne correspondent pas au canon de la conformité, de la norme : pour nonrespect de l'éthique du travail, absence d'adresse et de domicile stable, trouble de comportement, quotient intellectuel en deçà de la moyenne, corps non équilibré, affront à une certaine image de l'esthétisme, anomalie sexuelle. Par exemple, les enfants infirmes, les mésadaptés socioaffectifs sont traités de manière différente et sous des motifs divers. Dans la Rome antique, ils étaient lapidés, pour des raisons d'ordre religieux ou fantasmatique. Par la suite, dans le but d'aider la famille et pour la promotion de l'institution, on les confia à des experts en milieu fermé. Dans le contexte de dévalorisation institutionnelle d'aujourd'hui et pour des raisons d'économie, la famille est promue au rang de milieu-thérapie pour cette catégorie d'enfants et l'on ne parle plus de milieu pathogène, de concept de la mauvaise mère. Des raisons d'ordre psychologique sont invoquées pour expliquer le bannissement des corps différents : inconscient collectif, mécanismes de projection, exorcismes, bouc émissaire, soupape de sûreté. Des raisons d'ordre politique aussi sont à l'œuvre : une image de l'ordre, une division du territoire en aires du bien et du mal, l'idéal de la perfection, la peur de l'autre, de l'étranger, considéré comme un adversaire, un ennemi représentant un danger commun à affronter. L'organisation de l'espace économique joue un rôle de premier plan dans la balkanisation des récalcitrants au monde du travail réglé et surveillé. Les fous, les vagabonds, les prostitués, les délinquants sont sommés de se conformer à la rentabilité du temps, de rentrer dans le rang de la morale bourgeoise. Étudiant la situation des vagabonds, José Cubero arrive au même constat et décèle, à l'égard de ces derniers, une réaction à la fois double et paradoxale : la compassion et la peur. Parfois aumône, accueil et tentative d'insertion, parfois galère, bagne, enfermement et refoulement. La situation actuelle des sans domicile fixe (SDF) pose le même problème de ces éternels exclus, mais sous des jours différents. L`INTERVENTION SOCIALE Les problèmes sociaux constituent une atteinte à la dignité de l'être humain, un frein dans la marche vers la citoyenneté. Les différents auteurs de cet ouvrage se sont montrés sensibles à cette problématique. Ils ont
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analysé les politiques sociales, examiné les expériences novatrices tentées pour enrayer ce phénomène au Québec et dans d'autres pays. Les organismes subventionnaires de recherche tant au Québec qu'au Canada ont de plus en plus un souci de prévention et d'intervention. Il s'agit d'une question d'éthique découlant des droits humains tels qu'ils figurent dans la Déclaration universelle des droits de l'homme dont on a fêté le cinquantenaire en 1998. Les personnes marginalisées ne subissent pas seulement cette situation d'inégalité sociale que leur imposent les dominants au niveau de la jouissance des biens matériels et symboliques : elles agissent, résistent aux discriminations et obtiennent le statut de sujet ou d'acteur social. Que ce soit dans le domaine du vieillissement, de l'employabilité, de l'assurance-emploi, de l'appropriation par les jeunes des espaces publics comme perche identitaire, voire des consommateurs survivants (consumer survivor) des soins psychiatriques, etc., les personnes marginalisées concourent à faire changer les lois, les politiques sociales, à réinventer des formules gagnantes d'insertion à l'emploi, à formuler un autre type d'expertise, le savoir expérientiel, bref, à réaménager l'espace cognitif, à faire bouger les structures stables de la société, à déployer de nouveaux rapports sociaux, voire à regénérer l'épicentre du système social. Comme nous l'avons déjà établi ailleurs, c'est à partir des zones grises, des désintégrations périphériques que l'on éclaire le coeur de la société. L'histoire de la folie de Michel Foucault n'a-t-elle pas apporté une foule de renseignements sur la raison même de l'âge classique ? L'ordre ne va pas sans le conflit. On étudie les normes, l'intégration sociale par le biais de la criminalité. En d'autres termes, une société se définit, s'identifie par ce qu'elle exclut, rejette, refoule et liquide. C'est dans la marge aussi que le système trouve les comportements de demain. Par exemple, la maternité hors mariage, autrefois ostracisée en chaire par le clergé catholique, ridiculisée dans le public sous le vocable de fille-mère, punie là où l'on a péché par des accouchements sans droit à l'anesthésie (pratiqués à l'hôpital de la Miséricordes), est devenue aujourd'hui une pratique courante qui gagne de jour en jour en prestige faisant parfois l'envie de gens mariés qui en empruntent le vocabulaire mon chum, mon compagnon, mon copain au lieu de conjoint, de mari, d'époux. Dans certains milieux, divorcer, parler de son «ex» avec détachement est devenu le mot de passe, un sauf-conduit, un rite de passage, 5. Selon une professeure de travail social de l'Université du Québec à Montréal, Michèle Bourgon, cet hôpital obstétrique était littéralement divisé en deux sections: une section réservée aux femmes mariées, des gens de bien et une autre réservée aux filles-mères, les dépravées... Il va sans dire que les cris de douleur étaient plus retentissants dans la section des parturientes privées de gaz anesthésiant.
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voire un droit de péage en quelque sorte pour entrer au club select du Women's Lib. De toute façon, l'expression monoparentale est beaucoup plus prestigieuse que celle de fille-mère utilisée autrefois. L'homosexualité, hier une maladie figurant dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux est aujourd'hui pratique presque normale, puisque les couples gais sont en voie de bénéficier des mêmes privilèges d'assurance-sociale que les couples hétérosexuels. Rappelons tout de même le curriculum vitae de l'homosexualité : un vice, un péché, un crime, une maladie mentale, enfin une condition et / ou un choix de vie. L'alcool, autrefois prohibé, est aujourd'hui lubrifiant social, ingrédient de convivialité, voire de santé. Le destin du tabac est tout autre. Sans oublier les jeux de hasard devenus aujourd'hui jeu compulsif et pathologique. Il en est ainsi. Il y va de la sécurité même du système social. La société a besoin d'une bonne période de latence pour une évaluation du potentiel de dangerosité, pour un exorcisme, éventuellement, avant d'accorder un certificat de navigabilité, un permis de séjour, voire d'existence, à une pratique donnée. Dans les sociétés dites développées, les droits libertés autant que les droits créances (indemnisation) ne suffisent plus pour soutenir l'impératif de justice sociale. La lutte contre l'exclusion invite ainsi à explorer les droits d'intégration, leviers principaux d'appartenance au corps social. Être exclu, c'est ne compter pour rien, ne pas être considéré comme utile à la société, être écarté de la participation. Le revenu minimum d'insertion en France (le RMI) ainsi que les programmes de retour au travail pour les assistés sociaux au Québec constituent un droit, en ce sens qu'ils sont accessibles à tous et traduisent la reconnaissance du fait que les exclus ont droit à un minimum de ressources pour leur permettre de retrouver une place dans la société. Cette idée de dette sociale est présente dans la réforme en profondeur de l'assistance sociale de Grande-Bretagne (Social Benefits) : nous allons donner du travail à ceux qui peuvent travailler et de la sécurité à ceux qui ne peuvent pas travailler. En fait, les Britanniques ne font que reprendre la coupure séculaire de l'Ancien Régime entre indigents valides et nécessiteux invalides réservant le travail aux premiers et l'assistance aux seconds. Ce contrat lie deux parties : la responsabilité de la société, d'une part, et l'engagement personnel du bénéficiaire dans une démarche d'insertion, d'autre part. Cette manière de penser rejoint les fondements éthiques de la responsabilité individuelle et de la solidarité entre personnes partageant les risques d'une vie en société. Comme les individus vivent des situations singulières, ils doivent être traités de façon particulière pour qu'une véritable équité soit atteinte. Après le droit à la subsistance, c'est le droit à l'utilité sociale, c'est l'articulation du secours économique et de la participation sociale, bref, c'est le droit de vivre en société : la citoyenneté.
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Pour réaliser cette citoyenneté, encore faut-il que le Social reprenne de la vigueur sur le terrain comme dans les écrits et que de plus en plus de voix s'élèvent pour faire contrepoids aux fondamentalistes monétaires6, c'est-à-dire les bureaucrates du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale, de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), des maisons de cote de crédit Moody's investors, etc.), bref, les croisés de la mondialisation obsédés par le déficit zéro, la dette, l'inflation et la déréglementation complète de l'économie qui obligent tout gouvernement élu à sabrer dans les programmes sociaux. Les groupes marginalisés dont il est question dans ce livre sont généralement perdants dans ce type d'économie néolibérale qui évalue d'abord les gens selon leur taux de réussite économique. Cette société marchande et individualiste se développe dans un contexte social et idéologique où le gène, l'hérédité, les déterminismes naturels, c'est-à-dire l'inné, tiennent le haut du pavé tout en gardant dans la pénombre la socialisation, l'éducation, bref, l'environnement plurifactoriel, c'est-à-dire l'acquis. Et pourtant, au niveau des problèmes sociaux, voire au niveau des troubles mentaux, la science se fait précise [...] biology is a pre-disposing, rather than a pre-determining, factor in explaining mental disorder. According to this theory, whether a person who is pre-disposed biologically will actually develop a mental disorder will depend on the conditions in which she or he lives. A nurturing environment may protect the individual against the biological pre-disposition, just as a stressful environment may activate the same pre-disposition, and in so doing produce a mental disorder. Quoi qu'en disent les partisans d'une économie sociale, cette forme d'économie n'arrive pas à compenser les effets socialement destructeurs de la pure logique du marché. Mais, à notre avis, elle peut introduire l'économie, entre autres, dans la sphère civique des solidarités de proximité. Il faut donc ramener les forces de la mondialisation sous le contrôle humain dans une perspective de développement social pour que la croissance économique soit inclusive, intégrée, durable et profitable à tous. Car au départ, il existe une relation entre l'égalité et l'inégalité ou du moins un état de moindre inégalité puisque l'égalité complète entre les êtres humains n'a jamais été atteinte si l'on se fie aux écrits consignés depuis la Grèce et la Rome antiques. Il demeure une ligne de démarcation entre la possession et la privation des droits, terrain fertile de contestation entre ceux qui ont intérêt à restreindre, à limiter cet état de droit à certains groupes - les hommes, les Blancs, les propriétaires de capital - et les exclus - les femmes, les peuples de couleur, les travailleurs à gages qui luttent
6. Allocution de Giovanni Berlinguer, le père de la politique de santé en Italie, recevant le doctorat honoris causa de l'Université de Montréal en présence de jean Rochon, ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, mai 1996.
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME Il - ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
pour obtenir le droit de vivre dignement. À l'ère de la mondialisation, il y a risque de déficit de citoyenneté, d'apparitions de formes d'inégalité insidieuses plus ou moins visibles à court terme, voire de retour en arrière sous forme de nivellement par le bas puisque d'une frontière à l'autre les États-nations ne sont pas tous au même diapason relativement aux droits acquis : assurance-maladie, revenu minimum d'insertion, aide financière généreuse aux étudiants à défaut de l'éducation gratuite universelle, équité salariale pour les groupes minoritaires et les femmes, liberté d'association syndicale, tolérance zéro à l'égard de la violence sous toutes ses formes, interdiction de la traite des femmes et des enfants, droit au transport adapté, possibilité de voies alternatives quand l'institution inventée pour résoudre un problème social donné faillit à sa tâche, reconnaissance de la citoyenneté et de la diversité culturelle, protection de l'environnement, etc. La menace est d'autant plus réelle que les États-Unis, la seule super-puissance mondiale, hésitent encore à choisir entre une idéologie avouée d'égalité et d'inclusion, c'est-à-dire le credo américain, l'idéal démocratique, et un désir viscéral et courant d'exclure et de rejeter plusieurs catégories d'êtres humains. De là, l'impératif de vigilance et d'organisation de luttes pour une moins grande inégalité et une participation sociale de tous à la société civile, et ce, par-delà les frontières nationales. L'effort social, c'est-à-dire le développement des politiques sociales, des institutions sociosanitaires et des initiatives publiques ou privées mises sur pied au cours des siècles pour résoudre divers problèmes sociaux dont celui de la pauvreté, doit être maintenu avec conviction dans tous les pays. Ainsi, l'existence, la persistance même de ces problèmes, au cours de l'histoire de l'humanité témoigne des incontournables contradictions des sociétés. L'effort social contre la pauvreté à l'ère de la mondialisation demeure le meilleur moyen pour qu'une société qui avance ne soit par une société qui appauvrit, qui exclut. Au cours des deux dernières décennies, la lutte contre les inégalités sociales semblait léthargique. La revue Possibles sonne le réveil de la pensée critique avec un numéro spécial au thème évocateur « Sortir de la pensée unique ». Les sociologues du centre de communication avancée Havas Advertising annoncent pour l'an 2000 aussi bien une explosion extraordinaire d'émotion qu'un regain de tonicité sociale après quinze ans de dépression collective. Il faut avoir la foi... Pour notre part, jamais l'espérance n'aura été aussi proche de la croyance.
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CONCLUSION
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A accompagnement clinique, 362, 363, 365, 369-373, 384 action collective, 429-445 adolescence, 47 aide sociale, 209-235 ambivalence du sociocentrisme, 395 396 assistance sociale, 209-235
désastre, 471-484 désengagement paternel, 83-102 désinstitutionnalisation psychiatrique, 188, 191, 192, 193, 197, 198, 200 développement des enfants, 287-313 économique communautaire, 438, 439 droit, 584, 586, 589, 610, 616-621, 625, 627 dualité du sociocentrisme, 395-396
B bénévolat, 491-507 bénévole, 509-530
E
C centration culturelle, 388, 392, 392 393,394,401 conditions de vie, 50-51 conséquences, 472, 474, 475-482, 483, 484 criminalisation, 189, 190
D décentration culturelle, 388, 392, 394 démédicalisation, 188, 194, 194-196, 197-198, 200, 201 démocratie, 430, 432, 433, 436, 437, 439 440 441-444
école, 155-182 écologie du développement humain, 322 économie sociale, 418 éducation au rôle parental, 539, 540 542 emploi(s), 204-207 employabilité, 209-235 empowerment, 338, 339, 344, 345, 347, 351-355, 356, 357, 358 enfant(s), 83-102 négligés, 536, 537 équité salariale, 203-207 espace urbain, 104, 109, 112, 112-113, 116, 117, 118, 126
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État, 492, 493, 494, 495, 497, 498, 499, 500, 501, 502, 503, 504, 505, 506 État-providence, 405-426, 434, 435, 436,438
F famille(s), 339, 340, 341, 345, 346, 347, 348, 349, 350, 353, 354, 356, 357, 561-581 monoparentale(s), 28, 29, 32, 34, 35,42-43 occidentale(s), 28, 29 québécoise(s), 29, 32, 33, 43 recomposée(s), 27-44
G gai, 129-148 gérontologie, 244, 245, 246, 248 groupe communautaire, 417
H homosexualité, 129-148
I identité, 47-53 insertion professionnelle, 212, 235 institutionnalisation, 493, 494, 497, 498, 500, 503 intégration, 103-126 interaction individu-environnement, 322 intervention, 131, 132, 134, 137, 139, 148, 447-468, 509-530 communautaire, 321, 328-332
J jeunes adultes, 103-126 mères, 70 judiciarisation, 187-201, 449, 450, 461
L lesbienne(s), 129-148 lien social, 361-384
M maternité, 47-53 mauvais traitements psychologiques, 55-73 médecine, 584, 586, 589, 614, 616 617, 621-627 migration, 103-126 milieu familial, » 48-49, 53 modèle écologique, 56, 66 mouvements sociaux, 407, 410, 412, 413, 414, 415, 417, 419, 421, 422, 423,426
P paix, 170, 176, 180 paternité, 86, 87, 89, 90, 91, 94, 95, 99, 100, 101 pauvreté, 288, 289, 293, 293-299, 301, 301-302, 303, 304, 311, 313, 337 358 penser l'autre selon soi, 392-393 personnes classées malades mentales, 586, 592, 602, 604, 611, 612, 618, 619, 620, 621, 627 perspective écologique, 320, 321-327, 330-332 petite enfance, 289, 291, 302, 303, 305, 308, 311 placement, 534, 548, 549, 550, 551, 554, 555, 558 police, 447-468 politiques, 288, 291, 293, 300, 301 304,311 pratique (s) parentales, 56, 66-72 relationnelle et symbolique, 363 prévention, 157, 160, 175 professionnel, 509-530 projet, 344, 347, 348-349, 350, 351, 352, 353, 354, 355, 356, 357 promotion de la santé, 288, 300-301, 311, 312
R rapport hommes / femmes, 203-207 réadaptation, 562, 564, 566, 567, 574, 575, 578, 579-581
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INDEX
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régulation sociale, 423 réhabilitation psychosociale, 194 réinsertion sociale, 583-627 relativité salariale, 203-207 retraite, 237-248 rupture, 84, 85, 86, 88, 88-99, 100, 101
S santé des communautés, 482-484 des individus, 474, 475-478 des intervenants, 479-482 sciences humaines, 584, 586, 591, 599, 608 sociales, 584, 586 séparation conjugale, 29, 38, 41, 43 service (s) de santé mentale, 448, 450, 451, 454,456 social, 266 société de l'information, 255, 270
sociocentrisme, 397 cognitif, 395 déformant, 388, 395, 397 pratique uniformisant, 395, 397 stress, 565, 566, 570, 571, 578 structures d'accueil, 125-126 suicide, 509-530 sujet, 337-358 système juridique, 99, 101
T télécommunications, 254, 257 travail de rue, 361-384 social, 251-272 troubles mentaux, 562, 563, 570, 571, 572, 574, 575, 579, 580 tueries, 156, 157, 174
V vieillissement, 237-248 violence, 155-182
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Yao Assogba, docteur en sociologie, est professeur titulaire au Département de travail social de l'Université du Québec à Hull. Chercheur membre du Groupe d'étude et de recherche en intervention sociale (GÉRIS) et de la Chaire de recherche en développement communautaire (CRDC), il est aussi responsable du programme de maîtrise en travail social de l'UQAH. Ses recherches actuelles approfondissent des questions relatives à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes, à la migration des jeunes et à l'économie sociale au Nord et au Sud. Louise Bouchard a été chercheure-boursière (1998-2000) du Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS), professeure sous octroi à l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Actuellement, elle est professeure au Département de sociologie de l'Université d'Ottawa et et chercheure au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST). Elle a obtenu un baccalauréat en communication en 1980 à l'UQAM, une maîtrise en sociologie en 1990 à l'Université de Montréal et un Ph. D en sociologie en 1996 à l'Université de Montréal. Elle a poursuivi, de 1996 à 1998, un stage postdoctoral à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM-U379) en France et au Conseil d'évaluation des technologies de la santé au Québec. Son mémoire de maîtrise a porté sur l'institutionnalisation de la procréation artificielle. Sa thèse de doctorat traitait de la dynamique sociale de la diffusion d'une innovation médicale : le diagnostic prénatal. Ses activités de recherche sont axées sur les changements technologiques. Christiane Cardinal, sociologue, est stagiaire postdoctorale à la Division psychosociale du Centre de recherche de l'hôpital Douglas. Elle a mené (1998-2000) une étude, dans le cadre d'un programme de bourse post-
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
doctorale (1998) du Conseil québécois de la recherche sociale, qui porte sur les rapports entre la police et les services de santé mentale dans la région du sud-ouest de Montréal dans le contexte de la circulation, entre ces deux agences, des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Ses activités de recherche et sa formation se centrent depuis quelques années sur les pratiques et les politiques pénales et sur les interactions entre le système pénal et le système de santé mentale. Elle a fait sa maîtrise (Police et comparution devant le tribunal : différenciation sociale, légale et sexuelle) et son doctorat (La construction des identités d'infracteur et de malade mental à travers le processus pénal) au Département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal. Elle est actuellement chercheure boursière du Conseil québécois de recherche sociale à l'Institut Philippe-Pinel. Jean Carette est professeur à l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Sociologue de formation, il travaille depuis plus de trente ans avec des collectifs de préretraités et de retraités, soit dans le cadre d'interventions de prévention des effets accélérés du vieillissement, soit au niveau de la conscientisation et de l'organisation de collectifs de retraités. Commissaire aux audiences du Bureau québécois de l'Année internationale de l'ONU des personnes âgées, il concentre sa réflexion sur les solidarités intergénérationnelles. Il vient de publier, aux éditions Boréal, L'âge dort ? où il propose aux retraités de nouvelles formes de production sociale à la retraite. Claire Chamberland détient un Ph. D. en psychologie (volet recherche) de l'Université du Québec à Montréal. Elle enseigne à l'École de service social de l'Université de Montréal depuis 1980 où elle est professeure titulaire. Depuis 1995, elle dirige l'Institut de recherche pour le développement social des jeunes (IRDS) qui est affilié au Centres jeunesse de Montréal (organisme qui donne des services aux jeunes 0-18 ans en difficulté) ainsi qu'aux deux universités francophones de Montréal. Elle est également codirectrice scientifique du nouveau Centre d'excellence pour la protection et le bien-être des enfants ainsi que du Groupe de recherche sur la victimisation des enfants (GRAVE). Ses domaines d'analyse et d'action sont l'enfance, la jeunesse et la famille. Ses intérêts personnels de recherche sont les perspectives théoriques et interdisciplinaires du développement des enfants, des jeunes et des familles (avec une emphase pour le modèle écologique). Ses intérêts de recherche portent sur la violence familiale (physique et psychologique ; violence envers l'enfant, envers le parent et entre conjoints) ; les approches préventives et promotionnelles; le développement et l'évaluation de programmes, en particulier sur les théories d'implantation et le développement des processus sociaux à la base de l'innovation sociale (conditions de succès et partenariat) ; la continuité et la coordination des pratiques ; la socialisation et l'analyse des problématiques sociales selon le genre. Elle prépare un livre sur la violence privée.
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NOTICES BIOGRAPHIQUES
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Diane Champagne est professeure au Département des sciences humaines et sociales de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Elle a obtenu un baccalauréat en travail social en 1981 (Université du Québec en AbitibiTémiscamingue), une maîtrise en service social en 1984 (Université de Sherbrooke) et un Ph. D. en sciences humaines appliquées en 1997 (Université de Montréal). Son mémoire de maîtrise portait sur l'analyse des relations de pouvoir dans un CSS. Sa thèse de doctorat s'intitulait Contribution des intervenants bénévoles et professionnels à la construction du suicide en tant que problème social. Ses activités d'enseignement sont axées sur l'intervention personnelle et familiale en travail social et ses activités de recherche concernent l'analyse des pratiques sociales au sens large, ainsi que la question des problèmes sociaux. Chantal Cheval a obtenu un diplôme de maîtrise en service social de l'Université de Montréal et a exercé alternativement en France et au Québec. Elle s'intéresse particulièrement aux problématiques identitaires et elle a de ce fait développé une pratique d'accompagnement clinique avec des personnes en situation de rupture sociale, familiale ou professionnelle. Christine Colin a fait ses études à l'Université de Nancy en France où elle a obtenu un diplôme de docteur en médecine et des certificats de médecin spécialiste en médecine préventive et en santé au travail. Elle a poursuivi ses études à l'Université de Montréal au Québec, où elle a complété sa maîtrise en santé publique. En 1985, elle a obtenu un double certificat de médecin spécialiste en santé communautaire de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Après avoir travaillé au Département de santé communautaire (DSC) de l'Hôpital Saint-Luc et au CLSC Centre-Sud à Montréal, la docteure Colin a été directrice de 1989 à 1993 du Département de santé communautaire de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, dans l'Est de Montréal. De 1993 à 1998, elle a exercé les fonctions de sous-ministre adjointe et de directrice générale de la Santé publique au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Depuis 1998, elle est directrice générale du Secrétariat à l'adoption internationale du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Elle est aussi professeure de clinique en médecine sociale et préventive à l'Université de Montréal et associée à la Direction de la santé publique de Montréal-Centre. Depuis près de vingt ans, les travaux de recherche de Christine Colin portent sur le lien entre les inégalités socioéconomiques et la santé, particulièrement en périnatalité et sur la promotion de la santé, domaines au sujet desquels elle a prononcé de nombreuses conférences, publié des articles et des livres et reçu plusieurs prix et distinctions.
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Dominique Damant, Ph. D. en service social, est professeure adjointe à l'École de service social de l'Université Laval. Elle enseigne l'intervention auprès des individus et des familles. Directrice d'un centre de recherche sur la violence familiale et conjugale (le CRIVIFF), elle est particulièrement préoccupée par le bien-être des enfants et des femmes vivant dans des situations de pauvreté. Elle participe à l'évaluation du projet 1,2,3 GO ! ; elle est responsable de l'évaluation des impacts sur les enfants et les parents ainsi que de la vérification du modèle théorique. Danielle Desmarais est docteure en anthropologie et professeure à l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Ses champs de recherche portent sur de nombreux aspects de la réalité actuelle des jeunes adultes et de leur construction identitaire : analphabétisme, exclusion par le travail, migration et santé mentale. Elle a coordonné le Groupe d'étude sur la détresse psychologique des jeunes adultes mis sur pied par le Comité de la santé mentale du Québec et vient de publier avec cette équipe : Détresse psychologique et insertion sociale des jeunes adultes aux Publications du Québec. Henri Dorvil est professeur à l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal et chercheur au Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP / Centre FCAR) de l'Université de Montréal. Il est aussi attaché à la section de psychiatrie sociale du Centre de recherche FernandSeguin de l'hôpital Louis-H.-Lafontaine. Il a obtenu un baccalauréat en service social en 1970, une maîtrise en service social en 1973 et un Ph. D. en sociologie en 1986 à l'Université de Montréal. Titre suggéré du mémoire de maîtrise : Fou-thèses ou thèses sur le fou. Titre accepté par les autorités universitaires : Psychiatrie et antipsychiatrie: un même couple idéologique. Titre suggéré de la thèse de doctorat : Autour d'un hôpital psychiatrique du Québec: la représentation sociale de la maladie mentale. Titre accepté par les autorités universitaires : La représentation sociale de la maladie mentale dans une région voisine d'un hôpital psychiatrique. Ses activités d'enseignement et de recherche sont axées sur la déviance sociale, la marginalité, le handicap, les services psychiatriques en milieu institutionnel et les services de santé mentale en milieu communautaire. Auteur de la seule « étudeterrain » du monde francophone sur les patients du Revolving Door Syndrom, il est actuellement titulaire d'une équipe de recherche CRSH dans le cadre du programme La société, la culture et la santé des canadiens II intitulée Le logement et le travail comme déterminants sociaux de la santé pour les personnes usagères des services de santé mentale. Renée Dufour détient un baccalauréat en service social et une maîtrise en santé communautaire. Elle travaille actuellement comme agente de planification et de programmation sociosanitaire à la Direction de la santé publique, de la planification et de l'évaluation de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de la Montérégie.
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Danielle Durand travaille en recherche à la Direction de la santé publique de Montréal-Centre. Elle a surtout collaboré avec d'autres chercheurs, universitaires et de santé publique, à la mise en oeuvre et à l'évaluation de programmes qui s'adressent aux familles et aux tout-petits vivant dans la pauvreté. Actuellement, elle participe à l'évaluation sur l'intégration des services dans le cadre du Projet Jeunesse montréalais. Lucie Fréchette est professeure titulaire au Département de travail social de l'Université du Québec à Hull. Coordonnatrice du Groupe d'étude et de recherche en intervention sociale (GÉRIS) et membre de la Chaire de recherche en développement communautaire (CRDC), madame Fréchette détient un doctorat en psychologie auquel s'ajoute une formation en travail social. Elle mène présentement des recherches dans les domaines de la prévention sociale, de l'intervention auprès des enfants et des familles, de la migration des jeunes et des pratiques sociales Nord-Sud. Suzanne Garon a une formation en sociologie. Elle a obtenu un doctorat en sociologie de l'Université de Francfort en Allemagne. Elle est professeure agrégée au Département de service social de l'Université de Sherbrooke. Elle s'intéresse aux différentes approches en évaluation de programme, particulièrement au développement des modèles d'évaluation participative. Elle a dirigé une quinzaine de mémoires de maîtrise surtout dans le champ de l'évaluation de programme. Elle est professeure associée à l'Institut universitaire de gérontologie et de gériatrie de Sherbrooke. Elle est aussi membre de l'équipe de recherche du programme national en périnatalité « Naître égaux et grandir en santé ». Pierre Hamel est professeur au Département de sociologie de l'Université de Montréal et directeur du programme de doctorat en sciences humaines appliquées. Ses recherches portent sur les mouvements sociaux, les politiques urbaines et les théories de la planification. Il vient de faire paraître chez Routledge en décembre 2000 à titre de codirecteur avec Henri Lustiger-Thaler et Margit Mayer un ouvrage sur les mouvements urbains : Urban Movements in a Globalising World. Jacques Hébert est professeur à l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Il a obtenu un baccalauréat (1978), une maîtrise (1982) et un Ph. D. (1991) en service social à l'Université de Montréal. Son mémoire de maîtrise visait à dégager des indicateurs pour évaluer des programmes de prévention pour jeunes délinquants à partir d'une recension d'écrits. Sa thèse de doctorat, La prévention de l'agression juvénile: un projet pilote, consistait à implanter et à évaluer deux programmes de prévention de la violence en milieu scolaire. Ses activités d'enseignement, de recherche et de services à la collectivité touchent la prévention sociale dans les champs de la jeunesse, de la violence, de la non-violence, de l'évaluation des pratiques et de l'émergence des savoirs chez les intervenants sociaux.
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Gérald Larose est professeur invité à l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Il a obtenu une maîtrise en service social en 1973 et une maîtrise en théologie en 1974 à l'Université de Montréal. Travailleur social au CLSC Hochelaga-Maisonneuve, il a assumé des charges de cours aux universités de Sherbrooke et de Montréal. Après avoir exercé des responsabilités syndicales à la Confédération des syndicats nationaux pendant vingt ans, dont celle de président pendant près de seize ans, Gérald Larose est revenu à l'enseignement et à la recherche. Ses activités sont axées sur le développement de l'intervention en économie sociale. Il participe à la mise en place de la concentration en économie sociale dans le cadre de la maîtrise en intervention sociale de l'UQAM et dirige également le projet de coopération France-Québec en économie sociale et solidaire. Il est actuellement président de la Commission des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec. Il vient d'être nommé rédacteur en chef de la revue Nouvelles pratiques sociales. Vincent Lemieux est maintenant à la retraite, mais demeure associé à l'Université Laval qui lui a conféré le titre de professeur émérite. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les partis politiques, les politiques publiques, la décentralisation, les coalitions et les réseaux sociaux. Les deux derniers livres qu'il a publiés sont Les réseaux d'acteurs sociaux (Presses universitaires de France, 1999) et À quoi servent les réseaux sociaux ? (Presses de l'Université Laval, 2000). Sophie Léveillé détient une maîtrise en psychologie de l'Université du Québec à Montréal. Actuellement intégrée à des équipes de recherche de l'Institut de recherche pour le développement social des jeunes (IRDS) à titre de professionnelle de recherche, elle travaille dans le domaine de la violence envers les enfants et les femmes depuis 1992. Maurice Lévesque est professionnel de recherche au Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP / centre FCAR) de l'Université de Montréal et docteur en sociologie à la même université. Il est titulaire d'un baccalauréat et d'une maîtrise en sociologie de l'Université du Québec à Montréal. Son mémoire de maîtrise analysait l'utilisation de l'enquête par questionnaire par les groupes de pression comme outil de gestion des conflits sociaux. Sa thèse de doctorat est centrée sur l'analyse et le développement du concept de capital social appliqué à la dynamique de la sécurité du revenu. Ses intérêts de recherche sont orientés vers le rôle du capital social dans les problématiques de la santé, de la pauvreté et du développement social. Claire Malo détient un Ph. D. en psychologie de l'Université du Québec à Montréal. Depuis 1995, elle est chercheure à l'Institut de recherche pour le développement social des jeunes (IRDS). Elle est affiliée à l'École de
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service social de l'Université de Montréal depuis 1996 ainsi qu'au Groupe de recherche sur la victimisation des enfants (GRAVE) de même qu'au nouveau Centre d'excellence pour la protection et le bien-être des enfants. Ses domaines d'analyse et d'action sont l'enfance, la jeunesse et la famille. Ses intérêts de recherche portent plus spécifiquement sur les mauvais traitements psychologiques envers les enfants ainsi que sur le décrochage scolaire et social des adolescents. Avec des collègues, elle travaille actuellement à l'élaboration d'un outil de dépistage des mauvais traitements psychologiques envers les enfants. Danielle Maltais, Ph. D. en sciences humaines appliquées est professeurchercheur au Département des sciences humaines de l'Université du Québec à Chicoutimi. Depuis les inondations de juillet 1996 du Saguenay-Lac-Saint-Jean, elle a entrepris un ensemble d'études sur les conséquences des catastrophes sur la santé des individus, des intervenants et des communautés. Elle a obtenu de nombreuses commandites et subventions du Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS), du Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR ), du Conseil de la recherche en sciences humaines (CRSH) et de la Fondation de l'Université du Québec à Chicoutimi (FUQAC) pour analyser les conséquences à court et moyen termes des inondations de juillet 1996 et de la tempête de verglas de 1998 sur la santé biopsychosociale des individus, des intervenants et des communautés vivant en milieu urbain comme en milieu rural. Elle est présentement responsable d'une étude portant sur les conséquence à long terme des catastrophes et elle est également coauteure de deux ouvrages traitant des conséquences des catastrophes sur la santé des individus et des intervenants : Sinistres et individus et Sinistres et intervenants. Réjean Mathieu est sociologue, professeur régulier à l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal et membre du Laboratoire de recherche sur les pratiques et les politiques sociales (LAREPPS). En plus d'assumer ses fonctions en tant que professeur, il s'est impliqué depuis plus de trente ans dans divers organismes communautaires, d'abord dans l'Outaouais (comités de citoyens, Conseil de développement social et deux CLSC), puis à Montréal, dans Hochelaga-Maisonneuve (Collectif en aménagement urbain) et dans Centre-Sud et Plateau-Mont-Royal (la FOHM et le Groupe L'Itinéraire encore actuellement). Robert Mayer est professeur titulaire à l'École de service social de l'Université de Montréal. Il détient un doctorat en sociologie (Université Laval). Il a publié, seul ou en collaboration avec des collègues, de nombreux ouvrages, notamment La pratique de l'action communautaire (en collaboration, Presses de l'Université du Québec, 1996), et Méthodes de recherche en intervention sociale (en collaboration, Gaëtan Morin éditeur, 2000). Il a aussi participé à la publication de deux livres intitulés La
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recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques (Gaëtan Morin éditeur, 1997) et La recherche qualitative. Diversité des champs et des pratiques au Québec (Gaëtan Morin éditeur, 1998). Ses champs de recherche sont les politiques sociales et l'analyse des problèmes sociaux, les pratiques sociales et la recherche appliquée à l'intervention. Camille Messier est présentement à la retraite. Diplômée de l'Université de Montréal en psychopédagogie de l'enfance inadaptée (1957) et en sociologie (maîtrise, 1971), elle a travaillé pendant plusieurs années comme psychopédagogue et comme aide-sociale dans différentes agences de service social de Montréal et de la Rive-Sud de Montréal. Par la suite, elle a réalisé, seule ou en collaboration, plusieurs recherches sociales pour divers organismes. Pour le Conseil de développement social du Montréal métropolitain, elle a produit les recherches suivantes : L'intégration urbaine des migrants de l'Est du Québec ; Les Gaspésiens de la ville, 1971 ; Une problématique des vacances des familles ouvrières de trois quartiers populaires de Montréal : Balconville, 1970. Pour la Commission de protection des droits de la jeunesse : L'enfance maltraitée, ça existe aussi au Québec, 1981 ; L'inceste, une histoire à trois ou plus, 1982 ; La protection sociale des enfants victimes d'abus sexuel, où en sommes-nous au Québec ?, 1984 ; Le traitement des cas d'inceste père-fille, une pratique difficile, 1986 ; Les troubles de comportement à l'adolescence et leur traitement en centre de réadaptation, 1989 ; Profil pluraliste des jeunes en difficulté d'adaptation, 1992 ; La clientèle multiethnique des centres de réadaptation, 1994. Au cours des dernières années, elle a collaboré au Mouvement Sensibilisation à l'enfance maltraitée (SEM). Jacques Moreau, Ph. D., est professeur à l'École de service social de l'Université de Montréal ; il possède un doctorat en psychologie du développement de l'enfant. Ses recherches portent sur les jeunes enfants en situation de défavorisation et / ou de maltraitance et la famille en difficulté. Il est chercheur associé à l'Institut de recherche pour le développement social des jeunes et au Groupe de recherche et d'action sur la victimisation des enfants. Anselme Mvilongo est professeur agrégé à l'École de service social de l'Université Laurentienne depuis 1991. Il a obtenu une licence en philosophie à l'Université de Paris (France, 1958), une licence en théologie à l'Université de Fribourg (Suisse, 1963), une maîtrise en travail social à l'École de service social de l'Université de Montréal (1974), une maîtrise en science politique (Relations internationales) à l'Université du Québec à Montréal (1982) et un Ph. D. en psychopédagogie-andragogie à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal (1990), avec une thèse de doctorat intitulée Étude du mode d'intervention éducative
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NOTICES BIOGRAPHIQUES
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caractérisant l'Esuan camerounais. Ses activités d'enseignement et de recherche sont axées sur la famille en changement : développement et éducation de l'enfant, toxicomanie et interculture. Francine Ouellet est agente de recherche à la Direction de la santé publique de Montréal-Centre. Elle s'est particulièrement attachée à comprendre les préoccupations et les aspirations des jeunes familles vivant en milieux d'extrême pauvreté. Avec des collègues de la santé publique, elle a mené en ce domaine différentes recherches, puis conçu et mis en oeuvre des programmes et outils d'intervention et de formation. Ses autres champs de recherche et de pratique ont été la santé des jeunes et la promotion de la santé. Elle a notamment donné plusieurs formations et produit un document vidéo sur l'action intersectorielle. Depuis quatre ans, elle travaille au sein d'équipes universitaires avec lesquelles elle conçoit des interventions et mène des recherches sur la paternité. Marie-Andrée Poirier, Ph. D. en service social, est chercheure postdoctorale. Elle possède un baccalauréat et une maîtrise en psycho-éducation. Ces principales activités de recherche sont en lien avec l'intervention auprès des parents en difficulté, la protection de la jeunesse et le placement d'enfant en milieu substitut. Elle s'intéresse également à la méthodologie de la recherche et à l'évaluation. Elle collabore à la vérification du modèle théorique du projet 1,2,3 Go !. Hélène Provencher est professeure agrégée à la Faculté des sciences infirmières de l'Université Laval et chercheure au Centre de recherche Université LavalRobert-Giffard. Elle a obtenu un baccalauréat en sciences infirmières en 1979 (Université Laval), une maîtrise en sciences infirmières en 1984 (Université de Montréal) et un Ph. D. en sciences infirmières en 1993 (University of Pennsylvania). Son mémoire de maîtrise se rapportait à l'utilisation de l'immédiateté dans la relation thérapeutique. Sa thèse de doctorat s'intitulait The relationship of the perceived severity of behavioral disturbance and responsibility for behavioral disturbance to burden among primary caregivers of persons with schizophrenia. Anne Quéniart est professeure agrégée au Département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal. Elle a d'abord obtenu, à cette même université, un baccalauréat en 1980 puis une maîtrise en 1982. Son mémoire s'intitulait L'avortement : un acte individuel à portée politique. Elle y a aussi obtenu un Ph. D. en 1987 pour une thèse portant sur l'expérience de la maternité, publiée aux Éditions Saint-Martin sous le titre Le corps paradoxal. Regards de femmes sur la maternité. Depuis plus de dix ans, elle partage ses activités d'enseignement et de recherche entre la méthodologie et le champ de la famille. Après avoir travaillé sur les représentations et pratiques de la maternité, elle s'intéresse maintenant à la paternité.
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
Jean-François René est professeur à l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Docteur en sociologie de l'Université de Montréal, il est également travailleur social et psycho-éducateur de formation. Depuis plusieurs années, il s'intéresse aux questions touchant à la précarité socioéconomique, à la pauvreté et à l'exclusion, tout particulièrement chez les jeunes adultes avec ou sans enfants. Étant donné les multiples situations d'exclusion qui semblent dominer l'actuelle structuration du social, il a été amené à examiner de plus près les diverses formes d'actions et d'interventions qui visent à transformer le social, entre autres par des actions collectives et des pratiques communautaires portées par différents mouvements sociaux. Nathalie Ricard travaille comme infirmière au Centre local de services communautaires Notre-Dame-de-Grâce - Montréal-Ouest. Elle est titulaire d'un baccalauréat en sciences infirmières de l'Université de Montréal, d'une maîtrise en intervention sociale et d'une concentration de deuxième cycle en études et en recherches féministes de l'Université du Québec à Montréal. Son mémoire lui a valu le prix du meilleur mémoire de l'Institut de recherches et d'études féministes (IREF). Elle a publié Maternités lesbiennes, aux Éditions du Remue-ménage en collaboration avec l'IREF, en 2001. Marie Robert est chercheure-boursière du Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS) et chercheure adjointe à l'École de service social de l'Université de Montréal. Ses études doctorales et postdoctorales l'ont amenée à développer une expertise sur certaines formes d'exclusion sociale, notamment l'itinérance et la santé mentale ainsi que sur les dispositifs sociaux qui sont appelés à gérer ces problèmes. Ses récents travaux de recherche portent sur les jeunes qui éprouvent des difficultés personnelles, familiales et sociales et qui vivent des périodes d'itinérance. Elle s'attarde tant aux mécanismes de désaffiliation sociale qu'aux composantes de la résilience qui dynamisent leur trajectoire de vie et leurs expériences d'itinérance. Suzie Robichaud, détentrice d'un doctorat en science politique de l'Université Laval, ainsi que d'une maîtrise et d'un baccalauréat en travail social de l'Université de Sherbrooke, est professeure au Département des sciences humaines de l'Université du Québec à Chicoutimi et directrice des études de deuxième cycle en intervention sociale. Les travaux de recherche qu'elle mène actuellement sont issus d'un désir de comprendre l'influence et la transformation des réseaux sociaux. Ses réflexions portent également sur les nouveaux retraités, puis sur les effets psychosociaux des désastres naturels sur les populations et les communautés touchées. Elle a déjà publié des articles dans des revues scientifiques européennes et canadiennes, et elle est l'auteure de l'ouvrage intitulé : Le Bénévolat. Entre le coeur et la raison. Ce livre fut amorcé par une volonté de saisir l'évolution
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NOTICES BIOGRAPHIQUES
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des rapports entre l'État et les groupes bénévoles au Québec. De plus, elle est coauteure de deux ouvrages qui paraîtront dans une collection appelée « Au coeur des catastrophes » : Les désastres et les sinistrés. Les désastres et les intervenants. Catherine Roy est étudiante au doctorat en service social à l'Université de Montréal. Elle détient une maîtrise en service social de l'Université de Montréal. Elle collabore depuis 1997 à divers projets de recherche qui sont menés à l'Institut de recherche pour le développement social des jeunes (IRDS), d'abord comme assistante de recherche puis comme professionnelle de recherche. Ses intérêts de recherche portent notamment sur la maternité précoce, la violence familiale et les interactions parent-enfant. Marie-Christine Saint-Jacques est titulaire d'un doctorat en sciences humaines appliquées de l'Université de Montréal. Travailleuse sociale, elle est professeure à l'École de service social de l'Université Laval où elle enseigne la méthodologie de la recherche. Anne Simard détient une maîtrise en études régionales. Elle a travaillé pendant plusieurs années à titre d'assistante de recherche et de chercheure à l'Université du Québec à Chicoutimi sous la direction de Danielle Maltais et de Suzie Robichaud. Elle a collaboré à de nombreux travaux et publications portant sur les effets des désastres sur la santé des individus et des intervenants ainsi que sur les impacts de la relocalisation à la suite de tels événements. La formation des intervenants travaillant auprès des personnes âgées vivant en résidences privées et la redynamisation des petites communautés ont aussi été au centre de ses intérêts. Elle est aujourd'hui coordonnatrice du CLSC du Centre de santé des NordCôtiers. Deena White, sociologue, a fait sa maîtrise à l'Université Concordia et son Ph. D. à l'Université de Montréal. Elle est actuellement professeure agrégée au Département de sociologie de l'Université de Montréal et directrice du Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP / centre FCAR) à la même université. Ses intérêts de recherche sont tournés vers l'exclusion sociale, les politiques sociales et les dynamiques des processus de réforme. Ses publications portent notamment sur les processus de réforme dans les domaines de la santé mentale et de l'aide sociale, ainsi que sur le secteur communautaire et son implication dans le système de santé et dans les processus de réforme en général. Ses recherches actuelles portent sur le développement social et les politiques d'insertion professionnelle dans le contexte de la réorientation de l'État-providence.
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REMERCIEMENTS ..................................................................................... vii LISTE DES FIGURES ..............................................................................xxiii LISTE DES TABLEAUX ........................................................................... xxv INTRODUCTION ...........................................................................................1 Henri Dorvil et Robert Mayer PARTIE
1
LES APPROCHES THÉORIQUES ................................................................ 15 Henri Dorvil et Robert Mayer LES ANNÉES 1960 ........................................................................................ 17 Le fonctionnalisme ................................................................................. 17 Le culturalisme, les conflits de valeurs et la culture de la pauvreté ...................................................................... 18 L'interactionnisme et les théories de la réaction sociale et de l'étiquetage ..................................................................................... 19 LES ANNÉES 1970 ........................................................................................ 20 L'approche du féminisme ........................................................................ 20 L'approche de la sociologie de l'action et des mouvements sociaux .................................................................... 21 L'approche du conflit social .................................................................... 21
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
LES ANNÉES 1980 .......................................................................................... 22 L'approche du constructivisme ............................................................ 22 L'approche de la gestion des populations cibles .............................. 22 LES ANNÉES 1990 ...........................................................................................23 L'approche écologique ..........................................................................23 PROBLÈMES SOCIAUX ET CADRES THÉORIQUES .................................24 CONTENU DE LA PREMIÈRE PARTIE ........................................................25 CHAPITRE
1
PROBLÈME SOCIAL Concept, classification et perspective d'analyse ....................................................31 Belhassen Redjeb, Robert Mayer et Marcelle Laforest RÉSUMÉ ...........................................................................................................32 LE CONCEPT DE PROBLÈME SOCIAL .......................................................33 LA CLASSIFICATION DES PROBLÈMES SOCIAUX ...................................40 LES PERSPECTIVES D'ANALYSE DES PROBLÈMES SOCIAUX ...............43 CONCLUSION .................................................................................................51 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................53 CHAPITRE
2
LA SOCIOLOGIE AMÉRICAINE ET LES PROBLÈMES SOCIAUX Les années 1940-1970 .....................................................................................57 Robert Mayer et Henri Dorvil RÉSUMÉ ...........................................................................................................58 LA PERSPECTIVE DE LA PATHOLOGIE SOCIALE ...................................59 LA CRITIQUE DES « SOCIAL PATHOLOGISTS » PAR C.W. MILLS .............................................................................................61 L'analyse critique ....................................................................................61 LA PERSPECTIVE FONCTIONNALISTE ...........................................................65 La perspective fonctionnaliste et l'analyse des problèmes sociaux ............................................................................65 L'analyse fonctionnaliste des problèmes sociaux .................................67 La perception sociale des problèmes sociaux ......................................68 Deux classes de problèmes sociaux la désorganisation sociale et le comportement déviant ......................69
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TABLE DES MATIÈRES DU TOME I
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LES THÉORIES DE L'ORDRE ET DU CONFLIT ET LES PROBLÈMES SOCIAUX .................................................................72 Le modèle de l'ordre ...............................................................................73 Le modèle du conflit ...............................................................................73 CONCLUSION ................................................................................................74 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE .....................................................................76 CHAPITRE
3
D'UNE CONCEPTION CONSTRUCTIVISTE DE LA DÉVIANCE À L'ÉTUDE DES CARRIÈRES DITES DÉVIANTES Retour sur la sociologie interactionniste et sur le courant de la réaction sociale ......................................................... 79 jean Poupart RÉSUMÉ ..........................................................................................................80 LA DÉVIANCE ET LE CRIME COMME RÉALITÉS SOCIALEMENT CONSTRUITES ..................................................................85 LA RÉACTION SOCIALE ET LES PROCESSUS INFORMELS ET FORMELS DE CONSTITUTION DE LA DÉVIANCE ............................90 RÉACTION SOCIALE, MARGINALISATION ET AMPLIFICATION DE LA DÉVIANCE : LES NOTIONS DE STIGMATISATION ET DE DÉVIATION SECONDAIRE .....................99 L'ÉTUDE DES ACTIVITÉS ET DES CARRIÈRES « DÉVIANTES »....... 102 CONCLUSION ..............................................................................................106 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................ 108 CHAPITRE
4
LE CONSTRUCTIVISME ET LES PROBLÈMES SOCIAUX ............. 111 Robert Mayer RÉSUMÉ .......................................................................................................112 LA PERSPECTIVE CONSTRUCTIVISTE ET L'ANALYSE DES PROBLÈMES SOCIAUX LE MODÈLE SPECTOR ET KITSUSE .......................................................114 Insatisfactions théoriques menant à une nouvelle perspective ............. 114 Définition constructiviste des problèmes sociaux théorie et concepts ................................................................................ 115 ILLUSTRATIONS D'ANALYSES CONSTRUCTIVISTES ........................ 122 Le cas de la prostitution juvénile .......................................................... 122 Le cas des abus sexuels d'enfants au Québec ....................................... 123 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : Problèmes sociaux - Tome I1, Sous la direction d’henri Dorvil et Robert Mayer, ISBN 2-7605-1127-8 • D1127N Tous droits de reproduction, de traduction ou d’adaptation réservés
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
La violence conjugale au Québec ..........................................................125 Le problème social de l'ivresse au volant et celui du troisième âge .......................................................................126 ÉLÉMENTS D'ÉVALUATION : FORCES ET FAIBLESSES DU CONSTRUCTIVISME ...........................................................................127 CONCLUSION ..............................................................................................130 BIBLIOGRAPHIE .........................................................................................131 CHAPITRE
5
LA CONSTRUCTION D'UN PROBLÈME SOCIAL EN MALADIE Le cas de l'alcoolisme en Amérique du Nord .............................................135 Amnon Jacob Suissa RÉSUMÉ ...................................................................................................... 136 LA CONSTRUCTION SOCIALE DE LA MALADIE DE L'ALCOOLISME : QUE NOUS RÉVÈLE L'HISTOIRE ? ................... 137 LE PIONNIER DE LA MÉDICALISATION DE L'ALCOOLISME DR BENJAMIN RUSH ................................................................................ 139 MOUVEMENT DE LA TEMPÉRANCE ET CONTEXTE SOCIAL .......... 140 LA DÉPENDANCE À L'ALCOOL MALADIE OU PROBLÈME PSYCHOSOCIAL ? ......................................142 DU CONCEPT DE DÉPENDANCE À UN PHÉNOMÈNE MULTIFACTORIEL .................................................144 DU CONCEPT DE MALADIE .....................................................................147 DU CONCEPT D'ALCOOLISME ................................................................149 CONCLUSION ..............................................................................................150 BIBLIOGRAPHIE .........................................................................................151 CHAPITRE
6
LA PRÉVENTION DES PROBLÈMES PSYCHOSOCIAUX ET LA PROMOTION DE LA SANTÉ ET DU BIEN-ÊTRE Un champ d'intervention commun ............................................................ 155 Luc Blanchet RÉSUMÉ .......................................................................................................156 PRÉVENTION ET PROMOTION ................................................................157 CHAMP D'INTERVENTION .......................................................................159 L'appropriation du pouvoir ....................................................................160 L'action sur les déterminants de la santé et du bien-être ........................161
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TABLE DES MATIÈRES DU TOME I
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Les stratégies et les méthodes d'intervention ..........................................166 L'action intersectorielle ........................................................................ 169 IMPLICATIONS POUR L'INTERVENTION ............................................. 171 Modifier les pratiques d'intervention .................................................... 171 Agir sur les déterminants de la santé et du bien-être ............................. 171 Souligner la nécessité de l'action intersectorielle ................................. 172 Augmenter les budgets consacrés aux activités de prévention et de promotion ..................................................................................... 172 Développer une nouvelle perspective ................................................... 172 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ...................................................................173 CHAPITRE
7
LA CONSTRUCTION ANTHROPOLOGIQUE DES PROBLÈMES SOCIAUX L'exemple de la déficience intellectuelle .....................................................175 Michel Desjardins RÉSUMÉ .......................................................................................................176 LA DÉFICIENCE INTELLECTUELLE EST UN CONSTRUIT CULTUREL .............................................................178 LA SOUFFRANCE EN TANT QUE FAIT SOCIAL ...................................180 L'APPRENTISSAGE DE LA DÉFICIENCE INTELLECTUELLE ............183 LA RÉÉDUCATION SOCIALE COMME RITE DE PURIFICATION ......................................................................................186 CONCLUSION ..............................................................................................189 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ...................................................................189 CHAPITRE
8
LE HANDICAP Origines et actualité d'un concept .............................................................. 191 Henri Dorvil RÉSUMÉ .......................................................................................................192 LES ORIGINES DU CONCEPT ...................................................................193 L'ACTUALITÉ D'UN CONCEPT .................................................................202 IMPLICATIONS POUR L'INTERVENTION ..............................................211 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ...................................................................214
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
CHAPITRE
9
LA MÉDICALISATION ............................................................................ 217 David Cohen RÉSUMÉ ....................................................................................................... 218 LA MÉDICALISATION DE LA DÉVIANCE ............................................. 219 LE DSM ET LA MÉDICALISATION ......................................................... 222 LES NOUVEAUX PROBLÈMES MÉDICALISÉS ..................................... 223 LES CONTEXTES ET LES DÉTERMINANTS DE LA MÉDICALISATION ........................................................................ 226 LES CONSÉQUENCES DE LA MÉDICALISATION ................................ 227 LES LIMITES DE LA MÉDICALISATION ............................................... 229 IMPLICATIONS POUR L'INTERVENTION PSYCHOSOCIALE ............ 230 CONCLUSION ............................................................................................. 230 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE .................................................................. 231 CHAPITRE
10
LA QUESTION SOCIALE EN FRANCE De l'injustice à la formulation de nouveaux idéaux ................................... 233 Isabelle Astier et, jean François Laé RÉSUMÉ ....................................................................................................... 234 UN PAYSAGE SOCIAL DÉCHIRÉ ............................................................ 236 LA POLITIQUE DE LA VILLE ................................................................... 238 L'INSERTION : ENTRE LE SOCIAL ET L'ÉCONOMIQUE ..................... 239 DE L'AUTRE CÔTÉ DU MIROIR ............................................................... 240 VERS UNE MEILLEURE PROTECTION DE L'INDIVIDU ...................... 241 BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................... 242 CHAPITRE
11
MONDIALISATION, EXCLUSION ET INTERVENTION Essai d'interprétation .................................................................................. 243 Daniel Holly RÉSUMÉ ....................................................................................................... 244 LA MONDIALISATION : UN ESSAI D'APPRÉHENSION ....................... 246 UNE GRANDE COLLUSION ..................................................................... 252
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TABLE DES MATIÈRES DU TOME I
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DES CONSÉQUENCES SOCIALES GLOBALEMENT NÉGATIVES ..................................................................254 DES INTERVENTIONS CIBLÉES ..............................................................258 CONCLUSION ..............................................................................................262 BIBLIOGRAPHIE .........................................................................................262 PARTIE
2
PROBLÈMES SOCIAUX ET RECHERCHES SOCIALES ....................................................................265 Henri Dorvil et Robert Mayer ÉVOLUTION DE LA RECHERCHE SOCIALE ..........................................266 TROIS GRANDES TRADITIONS MÉTHODOLOGIQUES ET THÉORIQUES DANS L'ANALYSE DES PROBLÈMES SOCIAUX..........269 INTRODUCTION À LA DEUXIÈME PARTIE .......................................... 272 CHAPITRE
12
LE SOUTIEN SOCIAL Mise à jour et raffermissement d'un concept ........................................... 277 Normand Carpentier et Deena Mite RÉSUMÉ .......................................................................................................278 LES CRITIQUES DU CONCEPT DE SOUTIEN SOCIAL .........................281 L'APPORT DE L'ANALYSE DES RÉSEAUX SOCIAUX ..........................284 La notion de structure ...........................................................................285 Caractéristiques des liens ......................................................................288 Le contenu des liaisons .........................................................................291 Les fonctions du réseau ........................................................................293 Le concept de cohésion des réseaux .....................................................298 CONCLUSION ..............................................................................................301 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ...................................................................304 CHAPITRE
13
LA THÉORISATION ANCRÉE POUR PROPOSER UNE EXPLICATION DU SUICIDE DES JEUNES .................................305 Francine Gratton RÉSUMÉ .......................................................................................................306 LE SUICIDE DES JEUNES DU QUÉBEC EN TANT QU'OBJET D'ÉTUDE .................................................................................. 307
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
CHOIX ÉPISTÉMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES ....................308 GRANDES LIGNES DE LA THÉORISATION ANCRÉE ..........................313 EXPLIQUER LE SUICIDE EN APPLIQUANT LA THÉORISATION ANCRÉE ...................................................................318 CONCLUSION ..............................................................................................332 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ...................................................................333 CHAPITRE
14
LA STRUCTURATION DES STRATÉGIES DU MOUVEMENT ASSOCIATIF L'émergence et la diffusion du développement économique communautaire (DÉC) ............................................................................................................ 335 Yvan Comeau RÉSUMÉ .......................................................................................................336 PROBLÉMATIQUE THÉORIQUE ..............................................................339 MÉTHODOLOGIE .......................................................................................340 L'ÉMERGENCE DU DÉC ............................................................................342 LA DIFFUSION DU DÉC .............................................................................347 CONCLUSION : DES PRINCIPES POUR L'INTERVENTION .................350 BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................354 CHAPITRE
15
L'INCONTOURNABLE QUANTITATIF Les études relatives à l'installation des immigrants au Québec................357 Jean Renaud RÉSUMÉ ....................................................................................................... 358 LES DEUX ENQUÊTES .............................................................................. 359 LES DIMENSIONS À L'ÉTUDE ET LES QUESTIONNAIRES ............... 361 LES CAPACITÉS DESCRIPTIVES DES DEUX ENQUÊTES ................... 362 LES CAPACITÉS ANALYTIQUES ............................................................ 368 L'INCONTOURNABLE MÉTHODOLOGIE ............................................... 370 BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................... 371
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TABLE DES MATIÈRES DU TOME I
CHAPITRE
675
16
PRÉCARITÉ ET NOUVEAUX RAPPORTS DE TRAVAIL DANS LES ANNÉES 1980 ET 1990 ..............................................................373 René Potvin, André Bernier, Paul Bernard et Johanne Boisjoly RÉSUMÉ ..........................................................................................................374 LES SIGNES INDICATEURS DE LA PRÉCARITÉ DU TRAVAIL .............375 DES TENTATIVES DE DÉFINITION DE LA PRÉCARITÉ ........................378 UNE DÉFINITION RELATIONNELLE DE LA PRÉCARITÉ DU TRAVAIL ...............................................................380 UNE MESURE DE LA PRÉCARITÉ DU TRAVAIL .....................................382 L'ÉVOLUTION DE LA PRÉCARITÉ DU TRAVAIL DANS LES ANNÉES 1980 ET 1990 ...............................................................386 CATÉGORIES SOCIALES ET PRÉCARITÉ DU TRAVAIL ........................387 CONCLUSION .................................................................................................393 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................395 CHAPITRE
17
L'ANALYSE QUANTITATIVE DES DONNÉES HIÉRARCHIQUES AVEC LES MODÈLES MULTINIVEAUX ............ 397 Alain Marchand RÉSUMÉ ..........................................................................................................398 UN EXEMPLE APPLIQUÉ À UN PROBLÈME DE SANTÉ-SÉCURITÉ DU TRAVAIL .........................................................401 COMPARAISON DE TROIS APPROCHES ..................................................407 CONCLUSION ................................................................................................409 ANNEXE I .......................................................................................................410 BIBLIOGRAPHIE ...........................................................................................410 CHAPITRE
18
L'ÉVALUATION DE PROGRAMME Notions de base ...............................................................................................413 Céline Mercier et Michel Perreault RÉSUMÉ .........................................................................................................414 UN PROGRAMME, C'EST QUOI ? ...............................................................415 L'ÉVALUATION DE PROGRAMME : UNE DÉFINITION .........................416
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
LES TYPES D'ÉVALUATION ....................................................................418 DIFFÉRENTES APPROCHES EN ÉVALUATION ....................................421 LES ÉTAPES D'UNE ÉVALUATION DE PROGRAMME ........................426 CONCLUSION .............................................................................................427 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ..................................................................429 CHAPITRE
19
SUR L'APPROCHE ÉPIDÉMIOLOGIQUE EN SCIENCES SOCIALES ET HUMAINES ..............................................431 Richard Boyer RÉSUMÉ .......................................................................................................432 LA MÉTHODE ÉPIDÉMIOLOGIQUE ........................................................434 Les méthodes qualitatives vs les méthodes quantitatives .....................434 LA FIABILITÉ ET LA VALIDITÉ DES DONNÉES ..................................437 LES DEVIS DE RECHERCHE ....................................................................439 LES POPULATIONS ET LEUR ÉCHANTILLONNAGE ...........................441 LES ANALYSES STATISTIQUES ..............................................................443 LES ASSOCIATIONS, L'EFFET OU LA CAUSE ......................................444 Exemple d'une étude .............................................................................445 CONCLUSION .............................................................................................446 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ..................................................................447 CHAPITRE
20
TROUBLES MENTAUX ET SUICIDE AU QUÉBEC ................................ 449 Alain Lesage RÉSUMÉ ....................................................................................................... 450 AMPLEUR DU PHÉNOMÈNE DU SUICIDE AU QUÉBEC ..................... 452 TROUBLES MENTAUX ET SUICIDE ....................................................... 455 VERS UN MODÈLE ÉLARGI ..................................................................... 458 VERS UNE PRÉVENTION DU SUICIDE PAR LES SERVICES SOCIAUX ET DE SANTÉ ........................................................................... 460 LA PRÉVENTION DU SUICIDE IMPLICATIONS POUR L'INTERVENTION .............................................. 464 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIONNÉE .......................................................... 464
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TABLE DES MATIÈRES DU TOME I
CHAPITRE
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21
L'ESPACE DE « LA ZONE » .......................................................................467 Paul Morin RÉSUMÉ ..........................................................................................................468 ASPECTS THÉORIQUES ...............................................................................469 LES POPULATIONS MARGINALISÉES ......................................................472 SPÉCIFICITÉS DE LA GHETTOÏSATION DANS LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL ...........................473 LES RÉSEAUX DE SERVICES ......................................................................475 LA CONFIGURATION SOCIOSPATIALE DE LA GHETTOÏSATION ..............................................................................476 DES STATISTIQUES TROUBLANTES ........................................................477 LA SPÉCIFICITÉ MONTRÉALAISE .............................................................479 CONCLUSION .................................................................................................482 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................485 CHAPITRE
22
L'EXCLUSION DES PERSONNES ATTEINTES DE MALADIE MENTALE: ANCIENNE PROBLÉMATIQUE, NOUVELLES RÉALITÉS L'étude des décisions de révision de cure fermée de la Commission des affaires sociales ..........................................................489 Michèle Clément RÉSUMÉ ..........................................................................................................490 CONTEXTE DE L'ÉTUDE ..............................................................................492 CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE .........................................493 RÉSULTATS ....................................................................................................497 Les décisions de maintien de la cure repérage du processus d'exclusion ..........................................................498 Les décisions de levée de la cure repérage du processus d'exclusion ..........................................................498 CONCLUSION ET IMPLICATIONS POUR L'INTERVENTION..................505 BIBLIOGRAPHIE ...........................................................................................508
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PROBLÈMES SOCIAUX - TOME II • ÉTUDES DE CAS ET INTERVENTIONS SOCIALES
CHAPITRE
23
COLONISATION ET PROBLÈMES SOCIAUX UNE INTERVENTION MÉDICALE L'expérience de l'Indochine française, 1860-1954 ............................................511 Laurence Monnais-Rousselot RÉSUMÉ .........................................................................................................512 REPÈRES HISTORIQUES ET HISTORIOGRAPHIQUES POUR UNE PROBLÉMATIQUE AJUSTÉE .................................................513 L'INTERVENTION COLONIALE SOCIALE SERA MÉDICALE ...............517 LE PERSONNEL MÉDICAL EN INDOCHINE FRANÇAISE OU L'INTERVENANT IDÉAL .......................................................................520 MODES D'INTERVENTION ET APPROCHES DE PROBLÈMES SOCIAUX INDOCHINOIS ...............................................525 LA RÉALITÉ DE L'INTERVENTION SOCIALE : UN REGARD NUANCÉ ET UNE RÉFLEXION À POURSUIVRE ......................................531 AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS D'UNE POLITIQUE SANITAIRE ET SOCIALE URBAINE ..........................................................532 D'INÉVITABLES CARENCES ? ....................................................................534 UNE ACTION SOCIALE DONT ON PERÇOIT LES VESTIGES .................537 CONCLUSION ................................................................................................539 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE .....................................................................540 CHAPITRE
24
HÉRITAGE PHILOSOPHIQUE La division entre l'empirisme et le rationalisme exprime-t-elle une exigence méthodologique ou une aporie métaphysique? ...........................541 Jean Dragon RÉSUMÉ ..........................................................................................................542 COMPARAISON ENTRE LA MÉTHODE SCIENTIFIQUE ET LA MÉTHODE DE DESCARTES ............................................................546 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE .....................................................................547
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TABLE DES MATIÈRES DU TOME I
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CONCLUSION ............................................................................................ 549 Henri Dorwil et Robert Mayer INDEX .......................................................................................................... 567 NOTICES BIOGRAPHIQUES .................................................................. 571 TABLE DES MATIÈRES DU TOME II .................................................. 581
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