Collection
FUSION La collection Fusion des Presses de l’Université du Québec est issue de constatations et de préoccupations associées aux besoins d’innovation, à la possibilité de transposer des idées de formation et à la nécessité d’implanter des changements, et ce, dans plusieurs domaines. Cette collection, dirigée par Louise Lafortune, propose des ouvrages à portée générale qui, axés sur la formation et l’accompagnement, visent à approfondir un thème, une théorie, une réflexion ou une perspective théorique ou pratique.
compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Collection
FUSION Un modèle d’accompagnement professionnel d’un changement Pour un leadership novateur Louise Lafortune 2008, 264 pages, isbn 978-2-7605-1590-1
Guide pour l’accompagnement professionnel d’un changement Louise Lafortune 2008, 112 pages, isbn 978-2-7605-1592-5
Presses de l’Université du Québec Le Delta I, 2875, boulevard Laurier, bureau 450 Québec (Québec) G1V 2M2 Téléphone : (418) 657-4399 • Télécopieur : (418) 657-2096 Courriel :
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Prologue inc. 1650, boulevard Lionel-Bertrand Boisbriand (Québec) J7H 1N7 Téléphone : (450) 434-0306 / 1 800 363-2864 FRANCE AFPU-Diffusion Sodis
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compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement un référentiel Louise Lafortune Avec la collaboration de Chantale Lepage et Franca
Préface de Sylvie
Persechino
Turcotte Rioux-Dolan
Postface de Margaret
Avec la participation de Avril Aitken, Kathleen Bélanger, Nicole Boisvert, Karine Boisvert-Grenier, Bernard Cotnoir, Bérénice Fiset, Sylvie Fréchette, Grant Hawley, Carine Lachapelle, Nathalie Lafranchise, Reinelde Landry, Carrole Lebel, France Plouffe et Gilbert Smith
2008 Presses de l’Université du Québec Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bur. 450 Québec (Québec) Canada G1V 2M2
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Lafortune, Louise, 1951 Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement : un référentiel (Fusion) Comprend des réf. bibliogr. ISBN 978-2-7605-1578-9 1. Changement organisationnel - Gestion. 2. Accompagnement en entreprise. 3. Analyse des pratiques professionnelles. 4. Enseignement - Réforme. I. Titre. HD58.8.L33 2008
658.4’06
C2008-941131-5
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIE) pour nos activités d’édition. La publication de cet ouvrage a été rendue possible grâce à l’aide financière de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).
Mise en pages : Infoscan Collette-Québec Couverture : Richard Hodgson
1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2008 9 8 7 6 5 4 3 2 1 Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés © 2008 Presses de l’Université du Québec Dépôt légal – 3e trimestre 2008 Bibliothèque et Archives nationales du Québec / Bibliothèque et Archives Canada Imprimé au Canada
PRÉFACE
Au cours de la dernière décennie, plusieurs pays d’Europe, d’Afrique et des Amériques ont apporté des changements importants à leur système éducatif. Le Québec s’est également situé dans cette perspective. Les attentes de la société québécoise, exprimées lors des états généraux du milieu des années 1990, ainsi que les recherches les plus récentes en éducation incitaient à revoir les conceptions du milieu scolaire relatives à l’enseignement, à l’apprentissage et à l’évaluation. Ces changements étaient perçus nécessaires dans un contexte où la société attend de l’école qu’elle prépare les élèves à vivre dans un monde qui évolue constamment et à relever des défis qui sont de plus en plus exigeants. Pour les organisations, un changement de cette envergure comporte des défis stimulants. Changer ou modifier ses conceptions et ses pratiques demande du temps et les personnes impliquées ont besoin d’accompagnement pour cheminer dans ce processus complexe, car un changement, même s’il est prescrit et orienté, ne peut s’imposer. C’est pourquoi il importe d’aider le personnel à se l’approprier et à en mieux comprendre les effets positifs. C’est dans ce contexte que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport a soutenu, pendant six ans, le projet accompagnement-rechercheformation (2002-2008) pour la mise en œuvre du Programme de formation de l’école québécoise, projet dont le référentiel de Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement présenté dans cet ouvrage est issu. Ce référentiel a été élaboré en grande partie à partir des résultats de recherche obtenus dans le cadre de ce projet, mais il s’inspire également de celles qui ont été menées ailleurs dans le monde.
viii
Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Même si les compétences professionnelles pour l’accompagnement dont il est question dans cet ouvrage sont associées à la mise en œuvre d’un changement prescrit en éducation, elles peuvent facilement être transposées à d’autres contextes organisationnels lorsque des changements majeurs doivent avoir cours. En plus de rendre compte et de faire état des résultats et des retombées du projet accompagnement-recherche-formation, ce référentiel peut servir d’outil de réflexion et d’intervention autant en formation initiale du personnel scolaire qu’en formation continue, et ce, dans le but de permettre un approfondissement de certains concepts liés au développement d’une culture pédagogique essentielle pour l’accompagnement du personnel scolaire. Cela signifie qu’il faut que les personnes en charge d’accompagnement développent notamment des pratiques professionnelles cohérentes avec les fondements du changement à mettre en œuvre. Dans le projet accompagnement-recherche-formation, l’équipe de projet a joué un rôle d’accompagnement alors qu’elle même était en train de se former à une démarche d’accompagnement socioconstructiviste. Dans ce contexte, la nécessité de préciser la nature des « compétences professionnelles pour l’accompagnement » s’est rapidement imposée. Ce référentiel s’est donc inspiré des interventions menées par ces femmes et ces hommes, issus du milieu scolaire et du milieu universitaire, qui ont sillonné une grande partie du réseau scolaire québécois et qui ont pu observer en situation les gestes et les actions professionnelles favorables à l’accompagnement d’un changement. Sans leur grand engagement, ce projet n’aurait pu se poursuivre aussi longtemps et avec autant de créativité. Je tiens également à souligner le travail absolument remarquable de la professeure Louise Lafortune, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, qui a coordonné le projet durant les six années de sa mise en œuvre. C’est sa rigueur, sa détermination, son leadership, son attention et son écoute non seulement auprès des membres de son équipe, mais également auprès des personnes de toutes les régions du Québec qu’elle a aidées, encouragées et à qui elle a donné des outils pour en faire des personnes significatives dans leur milieu, qui ont fait de ce projet une réussite dont nous sommes fiers de vous présenter une partie des résultats dans cet ouvrage. Bonne lecture. Sylvie Turcotte1 Directrice de la formation et de la titularisation du personnel scolaire Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport 1.
Sylvie Turcotte a été directrice de la formation et de la titularisation du personnel scolaire tout au long de la réalisation de ce projet.
REMERCIEMENTS
L’accompagnement-recherche-formation de la mise en œuvre du Programme de formation de l’école québécoise est un projet d’envergure étalé sur six années (2002-2008) qui suppose un changement majeur en éducation. Ce projet a exigé un appui financier important et la collaboration d’un grand nombre de personnes. Je tiens particulièrement à remercier le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport pour son appui financier, mais aussi pour avoir permis à plusieurs personnes œuvrant dans le milieu scolaire d’agir comme personnes accompagnatrices au plan provincial de groupes répartis à travers le Québec. Je remercie messieurs Robert Bisaillon, sous-ministre adjoint au début de ce projet, et Pierre Bergevin, son successeur, d’avoir autorisé sa réalisation. Je remercie également mesdames Sylvie Turcotte et Margaret Rioux-Dolan, représentantes du Ministère, pour leur soutien et leur encouragement indéfectible. Un merci particulier au personnel de la direction de la formation et de la titularisation des personnels scolaires et à sa directrice, Sylvie Turcotte, pour avoir mis des ressources essentielles à la disposition de l’équipe du projet, pour son implication régulière lors des rencontres et pour ses commentaires toujours pertinents. Je remercie l’Université du Québec à Trois-Rivières d’avoir encouragé ce partenariat et d’avoir mis à ma disposition et à celle de l’équipe du projet les ressources matérielles et humaines nécessaires à sa bonne marche et à sa réalisation dans un contexte facilitant.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
De nombreuses personnes ont participé à la réalisation de ce référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement. Leur contribution a mené à l’énoncé des compétences professionnelles, à leur clarification et leur validation. Je remercie particulièrement Chantale Lepage et Franca Persechino qui ont collaboré étroitement avec moi pour élaborer la structure et le contenu de ce référentiel à partir des données de recherche, des rencontres de discussion de l’équipe accompagnatrice et de rencontres de discussion entre nous pour tenir compte des commentaires et des réflexions des participantes et participants. Je remercie les membres de mon équipe accompagnatrice qui ont terminé ce projet et qui ont pu commenter et critiquer de façon constructive les dernières versions de ce référentiel. Leur apport s’est révélé essentiel à la réalisation de ce projet. Je pense alors à Avril Aitken, Nicole Boisvert, Grant Hawley, Carrole Lebel, France Plouffe et Gilbert Smith. Je remercie également les autres personnes accompagnatrices qui ont contribué à un moment ou à un autre à notre réflexion. Il s’agit de Simone Bettinger, Bernard Cotnoir, Ginette Dubé, Jean-Marc Jean, Reinelde Landry et Doris Simard. Des remerciements s’adressent aussi aux professionnelles et professionnels, assistantes et assistants ou auxiliaires de recherche qui ont contribué de façon particulière et régulière au projet accompagnementrecherche-formation : à Kathleen Bélanger, Karine Boisvert-Grenier, Bérénice Fiset, Sylvie Fréchette, Carine Lachapelle et Nathalie Lafranchise ; ou de façon plus sporadique : à Karine Benoît, Lysane Blanchette-Lamothe, Marie-Pier Boucher, Marie-Ève Cotton, Moussadak Ettayebi, Élise Girard, Lysanne Grimard-Léveillé, Marie-Claude Héroux, David Lafortune, Bernard Massé, Vicki Massicotte, Geneviève Milot, Jean Paul Ndoreraho, Andrée Robertson et Caroline Turgeon. Enfin, tout au long de ce projet, j’ai éprouvé un immense plaisir à travailler avec les intervenantes et intervenants du milieu scolaire à savoir des directions d’établissement, des conseillères et conseillers pédagogiques, des enseignantes et enseignants… qui se sont engagés dans un processus de coconstruction permettant, entre autres, de concevoir ce référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement. Toutes ces personnes ont su partager leur expertise pour me faire réfléchir, m’amener à clarifier ma pensée, mais aussi à faire cheminer l’équipe accompagnatrice provinciale. Je sais pertinemment que ce projet n’aurait pu voir le jour sans leur participation et leur engagement. Je tiens à les remercier chaleureusement. Louise Lafortune
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE .................................................................................................
vii
REMERCIEMENTS .................................................................................
ix
INTRODUCTION Un leadership d’accompagnement pour la mise en œuvre d’un changement prescrit ...................................................................
1
À qui s’adresse le référentiel ......................................................
2
Huit compétences professionnelles pour l’accompagnement ..............................................................
3
Utilité du référentiel ....................................................................
4
Moyens d’utiliser le référentiel ..................................................
5
Structure et organisation du référentiel ...................................
7
Dimension conceptuelle associée au référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement...........
9
Contexte d’émergence du référentiel ........................................
10
Une perspective socioconstructiviste de l’accompagnement ..................................................................
11
xii
Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Orientations d’un changement ................................................... 1re orientation – Le développement d’un leadership d’accompagnement ............................................................. 2e orientation – L’engagement dans une pratique réflexive-interactive ........................................................... 3e orientation – La collaboration professionnelle.......... 4e orientation – Le développement du jugement professionnel ....................................................................... 5e orientation – L’enrichissement de la culture associée au domaine visé par le changement ................ 6e orientation – Le passage à l’action dans une perspective réflexive-interactive......................
19 19 21 22 22 23 24
Principes associés à la complémentarité de la réflexion et de l’action dans l’accompagnement .....................................
25
COMPÉTENCE 1 Adopter une posture visant à réaliser une démarche d’accompagnement d’un changement ..............................................
27
Contexte conceptuel de la compétence 1 .................................
30
Pour la compréhension des gestes professionnels associés à la compétence 1 ........................................................................ S’engager dans une démarche d’accompagnement socioconstructiviste ............................................................ Comprendre les fondements associés au changement ... Adopter une posture critique et réflexive à propos du changement ................................................................... Construire, expliciter et justifier une vision du changement........................................................... Mobiliser et enrichir sa culture en fonction des fondements du changement .......................................
33 34 36 37 37 38
Questions de réflexion associées à la compétence 1 ..............
41
COMPÉTENCE 2 Modeler une pratique réflexive dans l’accompagnement d’un changement ..................................................................................
43
Contexte conceptuel de la compétence 2 .................................
46
Table des matières
xiii
Pour la compréhension des gestes professionnels associés à la compétence 2 ........................................................................ Adopter et susciter une pensée et une posture réflexives ........................................................ Intégrer la pratique réflexive à son modèle de pratique.................................................. Dégager son modèle de pratique ......................................
53
Questions de réflexion associées à la compétence 2 ..............
60
COMPÉTENCE 3 Prendre en compte la dimension affective dans l’accompagnement d’un changement ......................................
61
Contexte conceptuel de la compétence 3 .................................
64
52
54 57
Pour la compréhension des gestes professionnels associés à la compétence 3 ........................................................................ Agir en tenant compte de la dimension affective dans une perspective cognitive ........................................ Se connaître sur le plan affectif en situation d’accompagnement ............................................................. Reconnaître les réactions affectives................................. Comprendre le rôle de la dimension affective et amener les autres à le comprendre ......................... Mettre en œuvre des stratégies liées à la compréhension du rôle de la dimension affective en situation d’accompagnement....................................... S’engager dans une pratique réflexive liée à la dimension affective de l’accompagnement .............
77
Questions de réflexion associées à la compétence 3 ..............
79
COMPÉTENCE 4 Maintenir une communication réflexive-interactive dans la préparation et l’animation du processus de changement ........
81
Contexte conceptuel de la compétence 4 .................................
84
Pour la compréhension des gestes professionnels associés à la compétence 4 ........................................................................ Diffuser les orientations, les fondements, les enjeux et les effets du changement ..............................................
71 71 72 73 74
76
85 86
xiv
Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Manifester une attention soutenue aux personnels engagés dans le processus de changement ..................... Utiliser des moyens réflexifs-interactifs selon la perspective socioconstructiviste de la communication ......................................................... S’exprimer clairement en utilisant la terminologie associée au changement ....................................................
87
91 97
Questions de réflexion associées à la compétence 4 .............. 100 COMPÉTENCE 5 Mettre en place une collaboration professionnelle pour cheminer dans un processus de changement ........................ 101 Contexte conceptuel de la compétence 5 ................................. 104 Pour la compréhension des gestes professionnels associés à la compétence 5 ........................................................................ Créer un partenariat avec les personnels engagés dans un processus de changement .................................. S’engager dans un esprit de collaboration, de coopération et de concertation ............................... Développer individuellement et collectivement des compétences professionnelles pour l’accompagnement ............................................. Construire une vision partagée du changement............. Faire connaître les ressources, les actions et les contributions entre les personnels engagés dans le processus de changement .................................... Développer des réseaux de partage et de communication entre les personnels engagés dans le processus de changement ....................................
106 106 107
108 109
111
111
Questions de réflexion associées à la compétence 5 .............. 114 COMPÉTENCE 6 Mettre en place des projets d’action pour accompagner un processus de changement.............................................................. 115 Contexte conceptuel de la compétence 6 ................................. 118 Pour la compréhension des gestes professionnels associés à la compétence 6 ........................................................................ 122
Table des matières
Discuter de la nature du changement dans une perspective d’action .......................................... Préparer des tâches ou des situations visant à mettre en œuvre le changement.................................... Favoriser la mobilisation et le développement d’une culture liée au champ d’expertise des milieux accompagnés .................................................. Choisir des processus, des contenus, des moyens, des outils ou du matériel d’accompagnement qui facilitent une posture de développement professionnel ....................................................................... Cibler des approches ou des pratiques cohérentes avec la mise en œuvre du changement ........................... Soutenir l’élaboration, la mise en action, l’analyse et la régulation de projets d’action .................................
xv 123 124
126
127 128 129
Questions de réflexion associées à la compétence 6 .............. 135 COMPÉTENCE 7 Mettre à profit des pratiques évaluatives dans un processus de changement ...................................................................................... 137 Contexte conceptuel de la compétence 7 ................................. 140 Pour la compréhension des gestes professionnels associés à la compétence 7 ........................................................................ Questionner les personnels sur leur perception du changement et sa progression dans le milieu de travail ............................................................................. Observer l’évolution du changement................................ Analyser l’évolution du changement et son degré de mise en œuvre ............................................................... Réguler son action au cours de l’intervention ............... Faire des bilans analytiques de son action et de celle des personnels accompagnés .........................
147
147 148 149 150 151
Questions de réflexion associées à la compétence 7 .............. 154
xvi
Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
COMPÉTENCE 8 Exercer un jugement professionnel en agissant de manière éthique et critique................................................................................. 155 Contexte conceptuel de la compétence 8 ................................. 158 Pour la compréhension des gestes professionnels associés à la compétence 8 ........................................................................ Connaître son modèle de pratique et être en mesure de l’expliquer ........................................... Faire preuve d’ouverture dans l’exercice d’un jugement critique ...................................................... Justifier ses prises de décision et ses actions ................ Reconnaître et respecter les valeurs et les représentations ......................................................... Éviter toute forme de discrimination, de jugements hâtifs, de paroles ou de gestes inappropriés.................. Adopter un fonctionnement démocratique ................... Connaître et utiliser judicieusement le cadre dans lequel s’inscrit le changement ................................ Lier les jugements professionnel, critique et éthique pour la prise en compte des dimensions cognitive, métacognitive, affective et sociale ...................................
162 162 163 164 165 165 168 168
169
Questions de réflexion associées à la compétence 8 .............. 171 POSTFACE............................................................................................... 173 GLOSSAIRE ............................................................................................ 177 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................... 201 NOTICE BIOGRAPHIQUE...................................................................... 209
INTRODUCTION Un leadership d’accompagnement pour la mise en œuvre d’un changement prescrit
Dans un monde en changement, les organisations, qu’elles soient associées à l’éducation, à la santé, au communautaire ou au domaine du travail en général, sont appelées à apporter des modifications sur divers plans. Elles ont même à entrevoir des changements de façon continue pour aider les différents personnels à apprendre à comprendre le changement et à l’intégrer graduellement à leur pratique. Cela permet d’éviter de fortes réactions de résistance qui freinent le changement jusqu’à l’empêcher, mais aussi de trop grands enthousiasmes chez certaines personnes, qui peuvent susciter une insécurité chez d’autres qui en viennent à refuser le changement. De façon générale, les changements mis de l’avant dans les organisations ont une orientation et sont prescrits même s’il y a de la souplesse dans la prescription et si on laisse place à la responsabilisation, à l’autonomie, à la collaboration et à la discussion. Dans ce contexte, un changement prescrit constitue un véritable tour de force pour les organisations et les individus qui en font partie. Un des moyens de mettre en œuvre un changement majeur consiste à accompagner les personnes qui ont à l’appliquer dans leur pratique quotidienne. Cela signifie de mettre à contribution des ressources, autant humaines que matérielles et financières, pour favoriser le changement. Cela implique de construire collectivement une démarche de mise en œuvre du changement pour assurer la formation nécessaire, mais aussi
2
Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
tenir compte des réactions affectives que peuvent susciter les exigences du changement. Un accompagnement suppose qu’il y a des personnes pour le réaliser, des personnes qui ont elles-mêmes à s’approprier le changement, même si elles y sont engagées et qu’elles y croient. En effet, les personnels qui accompagnent la mise en œuvre d’un changement en incitent d’autres à adhérer au changement proposé. Encouragés à renouveler leurs pratiques, ces derniers cherchent à préserver un équilibre et peuvent même accepter de vivre un certain déséquilibre cognitif si ce dernier reste sécurisant au plan affectif. La réalisation d’un changement comporte une grande part d’insécurité et fait émerger toutes sortes de résistances. Il bouscule souvent les pratiques et peut donc être déstabilisant pour certaines personnes alors que pour d’autres, il représente un défi stimulant, une occasion de modifier les pratiques, de faire avancer l’organisation et leur propre travail. C’est en considérant le contexte d’un changement majeur en éducation qu’un projet d’accompagnement-recherche-formation a été réalisé au Québec. C’est en cours de projet que la nécessité de produire un référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement a émergé. Même si les compétences professionnelles présentées et décrites dans ce livre sont issues du domaine de l’éducation, elles peuvent être transposées à d’autres contextes de changement, plus particulièrement s’il s’agit d’un changement orienté. Il s’agit d’un référentiel de compétences à développer et à exercer par les personnes qui désirent accompagner dans une perspective qui considère que ce sont les personnes accompagnées qui structurent elles-mêmes leur pensée, ce sont elles qui peuvent s’approprier les principes du changement, elles sont les seules à pouvoir modifier leur pratiques dans le sens du changement. Une telle perspective issue de la théorie socioconstructiviste (explicitée dans le chapitre suivant) sous-tend le référentiel de compétences présenté dans ce livre.
À QUI S’ADRESSE LE RÉFÉRENTIEL Le référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement s’adresse aux personnes qui accompagnent un processus de changement. Il est la résultante d’une construction collective qui s’est forgée à coup de réflexions, de discussions et de remises en questions à l’intérieur de groupes accompagnés ou d’un groupe à l’autre. Il s’appuie sur l’action d’une équipe qui a sillonné une grande partie du réseau scolaire québécois et qui a su observer en situation les gestes associés à l’accompagnement d’un changement. La transposition de ce référentiel à diverses situations d’accompagnement d’un changement peut se faire par des
Introduction
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personnes accompagnatrices désignées pour réaliser cette tâche. Une telle tâche peut difficilement s’effectuer sous pression et avec obligation de s’engager dans le changement. Des personnes qui accompagnent devraient elles-mêmes apprécier les fondements du changement à réaliser, même si elles ont à se former en cours d’action pour aider d’autres personnes à le mettre en œuvre.
HUIT COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES POUR L’ACCOMPAGNEMENT Le référentiel proposé dans ce livre comporte huit compétences professionnelles pour l’accompagnement. Elles s’exercent en situation, en interaction avec d’autres et en fonction d’un milieu qui a sa culture et ses habitudes. Dans l’intervention, elles se manifestent de manière intégrée et complémentaire en tenant compte du modèle de pratique de la personne accompagnatrice tout en considérant les adaptations que cette personne apporte à son propre modèle selon son interprétation des fondements du changement. Voici les huit compétences professionnelles pour l’accompagnement présentées dans ce livre. ! Compétence 1 Adopter une posture visant à réaliser une démarche d’accompagnement d’un changement ! Compétence 2 Modeler une pratique réflexive dans l’accompagnement d’un changement ! Compétence 3 Prendre en compte la dimension affective dans l’accompagnement d’un changement ! Compétence 4 Maintenir une communication réflexiveinteractive dans la préparation et l’animation du processus de changement ! Compétence 5 Mettre en place une collaboration professionnelle pour cheminer dans un processus de changement ! Compétence 6 Mettre en place des projets d’action pour accompagner un processus de changement ! Compétence 7 Mettre à profit des pratiques évaluatives dans un processus de changement !
Compétence 8 Exercer un jugement professionnel en agissant de manière éthique et critique
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Dans le contexte d’un changement orienté comprenant des éléments de prescription il devient nécessaire de définir les compétences professionnelles requises pour accompagner sa mise en œuvre. Les prochains chapitres constituent le cadre dans lequel se situe le référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement. Les gestes professionnels associés à ces compétences sont énoncés et explicités à l’aide d’actions et de moyens. Ce référentiel constitue un système intégré et cohérent. Il décrit les compétences et les gestes professionnels qui permettent d’accompagner et de mettre en œuvre un changement en s’appuyant sur un système qui influence, oriente, guide et confronte l’ensemble des jugements, des décisions et des actions posés par les personnes qui accompagnent ce changement, de manière à favoriser l’adhésion des personnels visés (voir Blay, Castel, Engel et Lenclud, 2006). Le développement de l’ensemble de ces compétences suppose l’adaptation d’une posture que la personne accompagnatrice met en œuvre par des actions et des gestes professionnels associés aux différentes compétences. En plus d’être intégrées à la démarche d’accompagnement, les compétences constituent un système où les réflexions et interactions influencent le contexte d’intervention et visent à actualiser le changement.
UTILITÉ DU RÉFÉRENTIEL Les compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement deviennent une référence. Ce référentiel précise comment adopter une posture d’accompagnement et de pratique réflexive qui en découle. Il incite les personnes qui accompagnent un changement à développer et à poursuivre le développement de leurs compétences professionnelles. Cependant, susciter ce développement exige une utilisation particulière de ce référentiel : une utilisation dans une perspective d’autoévaluation, d’autoobservation, d’autoréflexion, d’autoformation. Cela veut également dire que l’on peut en tirer parti au plan pratique en se servant de la théorie pour nourrir la réflexion et continuer à se développer professionnellement. Ce référentiel a été élaboré dans le but d’approfondir une réflexion autour d’un changement axé sur le cheminement des pratiques professionnelles. Il sert à offrir un soutien à l’accompagnement d’équipes de collègues, de pairs. Lors d’échanges avec différents partenaires, il peut servir de base aux échanges à propos de l’accompagnement à réaliser pour le renouvellement des pratiques exigé par le changement, mais aussi pour l’engagement à passer à l’action.
Introduction
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Ce référentiel permet de sensibiliser le milieu visé à un accompagnement qui s’inscrit dans une perspective socioconstructiviste ainsi qu’aux bénéfices de la démarche pour progresser vers un changement et un renouvellement des pratiques. La diffusion de ce référentiel offre une meilleure compréhension de la démarche. En mesurant les retombées associées au développement des compétences professionnelles, les gestionnaires pourront évaluer leur importance dans l’accompagnement de leur personnel. Ce référentiel permet de situer l’orientation des actions à poser et de les inscrire dans la perspective d’un changement prescrit. Il fournit les balises nécessaires à l’analyse des pratiques d’un milieu et une aide pour la régulation des actions au regard du développement de compétences pour l’accompagnement. La prise en compte de ce référentiel aide les personnes accompagnatrices à mieux comprendre l’importance de leur rôle. En s’inspirant du référentiel, elles peuvent modéliser leur intervention et effectuer des ajustements en se situant dans une perspective socioconstructiviste tout en bonifiant leurs compétences. En consultant ce référentiel, elles approfondissent leur culture théorique et pratique pour la mettre à profit plus efficacement dans une démarche d’accompagnement. Ce référentiel peut finalement servir d’outil de réflexion ou d’intervention en formation initiale et continue pour approfondir certains concepts liés notamment au développement d’une culture particulière associée à l’accompagnement des personnels d’une institution, d’une organisation ou d’une entreprise et au développement de compétences professionnelles. Cela exige d’avoir des pratiques professionnelles cohérentes avec les fondements du changement à mettre en œuvre.
MOYENS D’UTILISER LE RÉFÉRENTIEL Le référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement s’adresse à toute personne engagée dans la formation, la consultance, l’enseignement et l’accompagnement ; à toutes personnes jouant des rôles d’accompagnement professionnel dans leur milieu, organisation ou établissement qui désirent améliorer leur manière d’intervenir, continuer à développer leurs compétences, à questionner leur modèle de pratique ou à améliorer leur action professionnelle. Ce référentiel, un outil de réflexion mais aussi d’intervention, balise le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement. Il répond aux besoins d’accompagnement des
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
personnels qui, confrontés eux-mêmes au changement, ont à accompagner d’autres personnes pour les aider à changer. Ce passage n’est pas nécessairement facile à réaliser ; c’est pourquoi l’accompagnement se réalise sur plusieurs rencontres et en continuité avec des personnes qui peuvent soutenir d’autres personnes dans ce processus. Selon la nature et l’importance du changement proposé, la remise en question d’un ou de modèles de pratique demande du temps et des personnes compétentes pour guider la démarche dans l’esprit du changement à réaliser. Voici des exemples précisant à quoi peut servir le référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement. Les explications fournies tout au long du livre approfondissent ce qui sous-tend ces moyens pour aider à les mettre en action de façon cohérente et intégrée. ! Le référentiel est structuré pour aider à s’autoévaluer au plan du développement de ses compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement. Une grille d’autoévaluation ou des points à intégrer à une grille pourraient être proposés au début, en cours et à la fin de la démarche et pourraient s’inspirer des gestes professionnels proposés pour chacune des compétences afin de favoriser le passage à l’action. Par exemple, une grille peut contenir les énoncés de compétences professionnelles ainsi que la liste des gestes professionnels qui y sont associés. Il s’agit de faire en sorte que les personnes accompagnées puissent autoévaluer le degré de développement déjà acquis et se donner des intentions quant au niveau de compétence à atteindre. ! Le référentiel peut aider à évaluer les personnes accompagnées dans le développement de leurs compétences professionnelles pour l’accompagnement en considérant une perspective d’aide au développement de compétences. Des adaptations en ce sens de la grille précédente pourraient être proposées. Par exemple, la grille précédente peut mener à ce que chaque personne accompagnée fournisse ce qu’elle entrevoit réaliser pour relever certains défis. ! Le référentiel peut être utilisé pour montrer comment susciter des remises en question des pratiques et croyances en lien avec les fondements du changement, pour montrer les avantages du changement ou de la réflexion sur le changement de pratiques. ! Le référentiel peut aider à la production d’un portfolio professionnel qui consiste à se poser des questions sur ses pratiques, sur ses forces, mais aussi sur des aspects à améliorer.
Introduction
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! Le référentiel peut donner un moyen d’animer un groupe de discussion sur les ressources (externes et internes) pour développer l’une ou l’autre des compétences, pour reconnaître, par exemple, les connaissances nécessaires pour agir dans le sens du changement. ! Le référentiel peut fournir un moyen de regarder les précisions à apporter à chacune des compétences en fonction de différents contextes, mais aussi des rôles à jouer et des tâches à réaliser dans une organisation (par exemple, une position enseignante, de conseillance pédagogique ou de direction d’établissement ou de gestionnaire de commission scolaire…). ! Le référentiel fournit des ensembles de questions pour susciter des échanges et de saines confrontations des idées nécessaires à l’ébranlement des croyances et des pratiques. ! Le référentiel peut servir à réaliser, à la fin d’une démarche d’accompagnement, une autoévaluation de ses compétences en précisant ce qui a permis de les développer et pour spécifier ce qui est visé dans le futur et comment y parvenir. ! Le référentiel peut aider une organisation à modéliser sa propre conception du changement et de l’accompagnement et ainsi, l’aider à créer son propre modèle (voir Lafortune, 2008b).
STRUCTURE ET ORGANISATION DU RÉFÉRENTIEL Dans la suite du livre, le premier chapitre présente des aspects conceptuels associés au référentiel. Par la suite, chaque chapitre correspond à une des huit compétences professionnelles. La compétence dans son ensemble est d’abord présentée à l’aide d’un schéma avec les gestes professionnels et les principales actions qui lui sont associés. La compétence est mise en contexte à l’aide d’éléments conceptuels et de certaines définitions qui la situent dans la perspective d’un accompagnement socioconstructiviste. Ils sont suivis des gestes professionnels à poser. La présentation de chaque compétence se termine par une conclusion qui fait un retour sur certains aspects de la compétence pour les mettre en relation. Viennent finalement deux séries de questions pour susciter la réflexion : une première série, proposée au début, vise à activer des connaissances et expériences antérieures. En cours d’action, elles invitent à des temps d’arrêt pour réfléchir, faire le point, clarifier, etc. Une autre série de questions favorise l’approfondissement de la compréhension des gestes professionnels à mettre en œuvre. La figure qui suit présente la structure organisationnelle du référentiel.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Figure 1
Structure organisationnelle du référentiel pour chaque compétence LIBELLÉ DE LA COMPÉTENCE
GESTES PROFESSIONNELS
ACTIONS
Comme personne accompagnatrice
Pour agir auprès des personnes accompagnées
CONTEXTE CONCEPTUEL DE LA COMPÉTENCE
POUR LA COMPRÉHENSION DES GESTES PROFESSIONNELS
QUESTIONS DE RÉFLEXION
Dimension conceptuelle associée au référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement
Le référentiel de compétences proposé dans le présent livre a émergé de la réalisation d’un projet d’accompagnement d’un changement en éducation axé sur le renouvellement des pratiques professionnelles. Un tel changement, même s’il comporte des éléments de prescription, suppose une souplesse qui favorise le processus de changement chez les personnels visés par le changement. En ce sens, ce référentiel est ancré dans une pratique, même si des bases conceptuelles faisaient partie des fondements du projet et qu’elles ont été alimentées en cours de projet. Même s’il a émergé dans un projet du domaine de l’éducation, il est rédigé pour pouvoir servir dans divers domaines et différentes situations de changement. Une brève explication du contexte d’émergence du référentiel aide à comprendre son point d’ancrage. La suite ajoute des explications de l’accompagnement socioconstructiviste d’un changement prescrit. Ces explications sont complétées par des orientations à donner à un changement et par des principes à mettre de l’avant. Des clarifications conceptuelles sont intégrées aux orientations et principes.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
CONTEXTE D’ÉMERGENCE DU RÉFÉRENTIEL Les huit compétences professionnelles présentées dans ce livre sont issues d’un projet d’accompagnement-recherche-formation (PARF) réalisé pour la mise en œuvre du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) (2002-2008). Il s’agit donc d’un projet de recherche où des données ont été recueillies auprès de groupes de personnes accompagnées à l’échelle provinciale dans le milieu scolaire québécois (Lafortune, 2008b). Ces données ont été recueillies de différentes façons : fiches de réflexion complétées par les personnes accompagnées, rapport des personnes accompagnatrices, enregistrement des rencontres, comptes rendus des rencontres des groupes de discussion… Les résultats ont été synthétisés à plusieurs reprises en cours de projet pour être retournés aux personnes accompagnées afin de les confronter, de les ajuster et de les soumettre à nouveau à la discussion. C’est d’un processus de théorisation émergente dont il est question ici (Lafortune, 2004c). Le référentiel a été enrichi par le référentiel de compétences professionnelles à l’enseignement (MEQ, 2001) et par des expériences et des recherches (Boucher et Jenkins, 2004 ; Charlier, Dejean et Donnay, 2004 ; Dionne, 2004 ; Gather Thurler, 2004 ; Lafortune et Deaudelin, 2001 ; L’Hostie et Boucher, 2004 ; Paul, 2004 ; Pelletier, 2004, Savoie-Zajc, 2004) portant particulièrement sur l’accompagnement. Les compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement présentées dans cet ouvrage sont associées à la mise en œuvre d’un changement ; elles reflètent une partie des résultats et des retombées de ce projet. Dans le contexte de ce projet, la nécessité de préciser la nature des « compétences professionnelles pour l’accompagnement » s’est rapidement imposée. Pour accompagner un changement prescrit, orienté, les personnes accompagnatrices ont cheminé pour se donner une représentation partagée du sens du changement souhaité. La redéfinition des rôles ou l’adaptation des modèles individuels de pratique a créé des moments d’incertitude. Le fait d’accepter une certaine part de risques dans la démarche est apparu nécessaire pour montrer une ouverture au changement et donner une crédibilité à la démarche car, pour faire face au changement souhaité, les personnes accompagnatrices, à l’image des personnes qu’elles accompagnent, se placent elles-mêmes dans une posture apprenante. Même si les compétences professionnelles présentées et décrites dans ce livre sont associées à l’éducation, elles sont élaborées pour être transposées à d’autres contextes de changements, plus particulièrement
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s’il s’agit d’un changement orienté. Il s’agit d’un référentiel de compétences à développer et à exercer par les personnes qui désirent accompagner un changement dans une perspective socioconstructiviste.
UNE PERSPECTIVE SOCIOCONSTRUCTIVISTE DE L’ACCOMPAGNEMENT La mise en œuvre d’un changement suppose des exigences comme celles d’établir une perspective théorique qui assure une cohérence, de dégager une vision collective de ce changement, de remettre en question certaines pratiques professionnelles et de comprendre l’accompagnement selon la perspective théorique adoptée. Le référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement proposé ici s’inscrit dans une perspective socioconstructiviste. Le choix d’un accompagnement socioconstructiviste pour favoriser l’engagement dans la mise en œuvre d’un changement suppose le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement où les personnes accompagnatrices comprennent et s’approprient le changement jusqu’à l’approfondir afin de soutenir d’autres personnes dans cette démarche. Ces personnes accompagnatrices jouent un rôle de précurseur. Elles posent des gestes professionnels qui favorisent et actualisent le changement. Elles montrent à d’autres qu’elles le font elles-mêmes, mais les aident aussi à le faire. Le défi est d’autant plus difficile à réaliser parce qu’elles sont au cœur d’une démarche alors qu’elles doivent aussi la faire en accompagnant d’autres personnes à le faire. Dans ce contexte, le modelage (se donner en exemple et non pas donner un exemple) s’avère un moyen privilégié pour développer leurs compétences professionnelles et celles de personnes accompagnées. Ce moyen a permis la démonstration en action de l’importance d’une cohérence entre la pensée et l’action, entre les croyances et les pratiques. Essentielle à la formation, cette cohérence donne de la crédibilité aux personnes accompagnatrices puisqu’elles intègrent ellesmêmes ces changements dans leur modèle de pratique. Elle a pour effet de favoriser l’engagement des personnes qu’elles accompagnent. Dans un contexte de changement majeur, les pratiques professionnelles sont remises en question. Si le changement s’inscrit dans une logique de développement de compétences et dans une perspective socioconstructiviste, l’accompagnement devient une mesure de soutien axé sur la construction de connaissances et le développement de compétences des personnes accompagnées, qui le font en interaction avec leurs pairs. La dimension socioconstructiviste suppose, entre autres choses, une
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planification des interventions avec l’intention, d’une part, de susciter des conflits sociocognitifs et, d’autre part, de les reconnaître dans l’action et de faire en sorte que les personnes accompagnées développent une certaine distanciation par rapport à leurs apprentissages. Ces conflits sociocognitifs provoquent un état de déséquilibre cognitif provenant d’interactions sociales (Lafortune et Deaudelin, 2001). Une perspective socioconstructiviste de l’accompagnement nécessite également un processus de coconstruction qui permet à chaque personne, à partir de son propre modèle, de participer au développement d’un modèle collectif. Les personnes vont se réapproprier le modèle collectif ainsi développé pour l’adapter à leur manière de faire dans l’action (adapté de Lafortune et Deaudelin, 2001). Les contributions et les différents rôles des personnes engagées viennent enrichir la démarche d’accompagnement ; elles participent à l’élaboration d’une vision partagée du changement d’où l’importance d’établir un véritable partenariat. L’accompagnement d’un changement, particulièrement s’il est prescrit, exige une forme de partenariat. Il ne s’agit pas d’imposer une vision du changement, mais plutôt d’exercer un leadership, un processus d’influence, auprès des personnels accompagnés pour les soutenir dans la coconstruction d’une vision partagée du changement et de sa mise en œuvre dans les milieux. À l’image du changement, la construction d’une vision collective demande de l’ouverture, une certaine tolérance à l’incertitude et à l’ambiguïté (voir Vallerand, 2006a, b) face à ce qui cherche à s’organiser et qui se caractérise souvent par des moments d’instabilité et de flottement, une recherche de sens, une période de tâtonnements, d’essais et d’expérimentation. Cette mouvance, évoquée par l’expression « laisser flotter les morceaux de casse-tête », suppose l’acceptation de moments de recherche et d’incertitude qui favorisent la réflexion collective, la recherche de solutions en équipe et le changement d’idées. Elle exige de faire de multiples allers et retours entre la théorie et la pratique et de reconnaître l’expertise individuelle et collective développée sur le terrain, en considérant que les pratiques participent également au développement d’une théorisation qui se fait sur un changement en cours de réalisation. Une transition vers le changement suscite beaucoup d’interrogations, certaines personnes en viennent parfois à douter de leurs capacités ou de leurs compétences, d’autres vont remettre en question leurs croyances et leurs pratiques. Le changement provoque certaines secousses qui font vivre un sentiment d’insécurité qui peut même aller jusqu’à une perte de confiance, un sentiment d’incompétence. Devant le caractère « intrusif ou obligatoire » du changement, les personnels visés cherchent à s’en donner une meilleure compréhension, ils essaient de transposer les
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nouveaux repères à leurs pratiques professionnelles et tentent de les intégrer à leurs propres modèles. Ces moments de transition demandent à être accompagnés, car face à l’insécurité et à la tension, les personnes veulent être rassurées, soutenues, guidées, suivies…. Pour se construire une vision du changement, les personnels visés ont à conserver un niveau de confiance et d’engagement pour aider les autres à développer une confiance et à susciter l’engagement. L’adoption d’une posture réflexive pour susciter l’interaction et le passage à l’action est une exigence de l’accompagnement socioconstructiviste. Les gestes professionnels dégagés de la pratique d’accompagnement pour mettre en œuvre un changement font référence aux actions, aux objets, aux valeurs, aux attitudes nécessaires à l’accompagnement d’un changement. Agir avec compétence suppose une connaissance des partenaires engagés dans le changement et une sollicitation des expertises du milieu pour les mettre au service de la communauté de pratique associée au changement. En s’engageant dans ce processus, les personnes accompagnatrices cheminent et se développent professionnellement, elles continuent à structurer leur identité professionnelle en l’affirmant davantage. Et la mise à profit de pratiques évaluatives contribue également à la progression du changement, au renouvellement des pratiques et au développement de compétences professionnelles. Ces pratiques évaluatives supposent une connaissance des orientations et des principes qui animent ce changement. L’accompagnement suppose donc une compréhension des fondements du changement ainsi qu’une connaissance approfondie des moyens et des stratégies pour assurer la mise en œuvre de ses orientations. Changement prescrit axé sur le renouvellement des pratiques professionnelles Un changement prescrit axé sur le renouvellement des pratiques professionnelles est une proposition orientée de modifications à apporter aux actions professionnelles posées dans le contexte de son travail. Un tel changement comporte des fondements qui lui donnent une cohérence pour aider les personnes visées à respecter les différentes facettes du changement. L’idée de changement prescrit sous-tend une certaine obligation. Tout en sachant qu’il y a prescription, le travail avec des personnes considérées comme étant des professionnelles exige une souplesse, même si une certaine rigueur est nécessaire. Cela s’oppose à une rigidité et explique la nécessité d’un accompagnement d’un changement prescrit.
Un changement qui comporte des éléments de prescription est relativement difficile à réaliser seul. Il suppose un accompagnement pour aider à comprendre le changement lui-même et sa dimension prescriptive.
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L’accompagnement, incluant une formation, devient donc nécessaire pour mener à bien l’entreprise en respectant les fondements de ce changement tout en tenant compte des résistances. Un tel changement ne peut se réaliser « par la force » ; cela compromettrait la cohérence à atteindre dans une démarche pour l’appliquer à court, moyen ou même à long terme. Accompagnement d’un processus de changement prescrit axé sur le renouvellement des pratiques professionnelles L’accompagnement d’un processus de changement prescrit suppose un soutien apporté par des personnes accompagnatrices qui offrent un modèle de pratique – qui peut différer d’une personne accompagnatrice à l’autre – mais qui respecte les fondements du changement visé. En ce sens, une personne accompagnatrice d’un changement ayant une orientation a une représentation du changement qu’elle accepte de partager et de discuter et même de modifier. Une telle personne connaît les fondements, les visées et les orientations du changement qu’elle a intégrés ou qu’elle est en voie d’intégrer à son modèle de pratique. Le modèle de pratique guide l’ensemble des décisions qu’elle prend et des gestes professionnels qu’elle accomplit en situation d’accompagnement. Elle travaille à susciter l’engagement de personnes accompagnées qui appliquent le changement tout en continuant à transformer et à adapter leur propre modèle de pratique. Plusieurs dimensions de la personne sont à prendre en considération dans l’accompagnement d’un processus de changement prescrit axé sur le renouvellement des pratiques professionnelles : les dimensions cognitive, affective, métacognitive et sociale en lien avec la culture liée à un champ d’expertise, la communication, la collaboration et l’évaluation.
La dimension de l’accompagnement d’un processus de changement, comportant des éléments de prescription, est un ensemble plutôt complexe. Cela suppose de bien saisir la signification de l’option en faveur de l’accompagnement comme mode de formation, plutôt que de maintenir la formation au sens habituel du terme (activités plus ou moins ponctuelles de ressourcement/perfectionnement en rapport avec des thèmes, des problématiques, des pratiques, etc.). On peut mieux comprendre le passage de la formation à l’accompagnement en prenant la perspective socioconstructiviste en considération. Celle-ci suppose une préparation des interventions avec l’intention de susciter des conflits sociocognitifs. Outre cette préparation, il s’agit de pouvoir les reconnaître dans l’action, mais d’en tirer également parti (voir aussi, Lafortune et Deaudelin, 2001). Cette mise à profit suppose que les personnes accompagnées prennent conscience de ce qui se passe au cours de l’action tout en prenant une certaine distance au regard de l’action. Au début, cette mise à distance est créée par la personne accompagnatrice qui guide les personnes qui
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prennent peu à peu le relais en intériorisant cette façon de faire et en l’effectuant avec de plus en plus d’autonomie. Cette mise à distance permet de voir l’action en train de se faire et sensibilise les personnes aux moyens utilisés pour transposer cette action dans leurs propres gestes d’accompagnement. La perspective socioconstructiviste adoptée sous-tend une démarche comprenant des réflexions partagées, des interactions, des actions analysées collectivement pouvant conduire à des régulations avant de passer à d’autres actions. Le sens donné à l’accompagnement suppose que la formation est intégrée à l’accompagnement ce qui favorise le développement d’aspects théoriques liés à la pratique, et inversement. Elle fournit des exemples, des explications et des comparaisons, et apporte des éléments d’analyse ; elle incite à tenter des expériences et à élaborer du matériel ; elle permet la compréhension d’une variété d’approches pédagogiques et théoriques. La formation associée à une démarche d’accompagnement vise à ce que les
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Processus de l’accompagnement socioconstructiviste
Connaissances antérieures Expertise professionnelle
Processus d’accompagnement
Prises de conscience
Dans l’action
La personne accompagnatrice s’engage dans la démarche d’accompagnement avec ses croyances à propos des fondements, visées et orientations du changement en lien avec ses pratiques professionnelles
Planification Anticipation Observation Analyse Évaluation Ajustements
Selon l’analyse de sa démarche d’accompagnement, la personne accompagnatrice ajuste ses croyances et ses pratiques
Le processus de l’accompagnement socioconstructiviste amène la personne accompagnatrice à poursuivre cette démarche ou à en entreprendre une autre à partir d’une prise de conscience de ses constructions personnelles ou à partir des interactions avec les personnes accompagnées.
Source : Lafortune et Martin, 2004, p. 53, inspiré de Lafortune et St-Pierre, 1996.
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personnes accompagnées, qui deviennent accompagnatrices, développent des habiletés d’adaptation et de transposition de ce qui est vécu dans les rencontres pour des situations et des contextes différents. En d’autres mots, le développement de l’autonomie professionnelle dans l’accompagnement pour des répercussions à long terme de la mise en œuvre d’un changement dont les fondements sont différents des orientations des pratiques antérieures devient une préoccupation majeure de l’accompagnement. Le sens d’un accompagnement socioconstructiviste, comme tout accompagnement, englobe à divers degrés et selon les circonstances, les concepts d’aide, de soutien, de conseil, de communication, de formation, d’ouverture à l’autre, d’interaction, de médiation, de cheminement, de modelage, pour ne nommer que ceux-là. De même, il comprend des pratiques, des moyens et des stratégies liés à ces concepts. Un accompagnement socioconstructiviste revêt un sens inclusif et complémentaire à travers les concepts de réflexivité, de coconstruction, de métacognition,
Accompagnement socioconstructiviste d’un changement axé sur le renouvellement des pratiques professionnelles L’accompagnement socioconstructiviste d’un changement comportant des éléments de prescription et axé sur le renouvellement des pratiques professionnelles est une mesure de soutien visant la construction des connaissances des personnes accompagnées en interaction avec les pairs. Ce type d’accompagnement suppose un suivi et une continuité. Dans une optique métacognitive et réflexive, ce type d’accompagnement vise à susciter l’activation des expériences antérieures afin de favoriser la construction des connaissances, le développement de compétences et d’une culture particulière au domaine associé au changement, à susciter des conflits sociocognitifs et à profiter de ceux qui émergent des réflexions et discussions, à coconstruire dans l’action, à mettre en évidence les croyances (conceptions et convictions) et à profiter des prises de conscience de certaines constructions. Il présuppose une interaction entre la personne accompagnatrice et celles qui sont accompagnées. Les différents rôles qu’elles y tiennent viennent enrichir la démarche qui s’instaure sous l’égide d’un véritable partenariat. Cet accompagnement prend en compte différentes dimensions de l’individu : cognitive, métacognitive, affective et sociale. Sur le plan du contenu, l’accompagnement allie théorie et pratique, réflexion et action, de façon intégrée et complémentaire. L’accompagnement socioconstructiviste suppose la mise en œuvre d’une certaine culture associée aux fondements du changement qui se manifeste à travers cinq composantes : les attitudes, les connaissances, les stratégies, les habiletés et les expériences, mais aussi par le développement et l’exercice de compétences professionnelles associées à l’exercice d’un leadership d’accompagnement (inspiré de Lafortune et Deaudelin, 2001 ; Lafortune et Martin, 2004).
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de pratique réflexive et de suivi. Ainsi, on assiste à une redéfinition de la formation continue telle qu’on l’entend habituellement dans le milieu de l’éducation par l’intégration de la formation/animation à l’accompagnement. L’intégration des aspects pertinents de l’accompagnement aux aspects particuliers d’un accompagnement socioconstructiviste dans une structure à la mesure de la complexité de la mise en œuvre d’un changement comportant des éléments de prescription, met principalement l’accent sur le processus sans pour autant que les contenus, les objets d’accompagnement soient mis en veilleuse. Au contraire, c’est le dynamisme de l’accompagnement qui induit la cohésion des parties et la cohérence de l’entreprise. Pour compléter l’idée de l’accompagnement socioconstructiviste d’un processus de changement comportant des éléments de prescription, un modèle de suivi propose une démarche au cours de laquelle plusieurs groupes de personnes sont accompagnées ou en accompagnent d’autres. À première vue, bien que la figure 3 puisse sembler montrer une hiérarchie entre les niveaux 1 à 4, ce n’est pas ce qui est voulu ; c’est l’interaction entre les niveaux qui est importante. Cela aide à réaliser le processus de coconstruction. D’un niveau à l’autre, l’intervention ne se fait pas sur le groupe de personnes directement visées, mais bien sur le processus d’accompagnement proprement dit et donc sur les interactions entre deux groupes de personnes. De plus, certaines personnes jouent un double rôle : accompagner et être accompagnées. C’est pour assurer une cohérence entre ces deux rôles que les personnes accompagnatrices agissent avec des personnes accompagnées comme ces dernières devraient le faire pour accompagner d’autres personnes. Pour permettre une meilleure compréhension de cette idée, voici un exemple. Ainsi, pour mettre en place une démarche d’accompagnement d’équipes de collègues de travail, il apparaît nécessaire de former une équipe accompagnatrice pouvant être composée d’une direction ou une équipe de direction, d’une personne ou équipe accompagnatrice (provenant de l’intérieur ou de l’extérieur de l’entreprise) (I) qui travaillera en partenariat avec des personnes représentant les équipes de collègues (II), tout en considérant le travail d’accompagnement que ces équipes réalisent auprès d’autres collègues (III) qui font de même auprès de personnes accompagnées de leur milieu de travail (IV). L’intervention de la première équipe accompagnatrice (I) ne se fait pas uniquement auprès de personnes représentantes (II) des équipes de collègues, mais elle tient compte de ce qui se passe entre ces personnes représentantes (II) et l’ensemble des personnes que ces dernières accompagnent (III). Cela exige donc que la première équipe
Interformation Discussion Coformation Échange
Confrontation ...
Personne ou équipe accompagnées pouvant jouer un rôle de personnes accompagnatrices
Personne ou équipe accompagnées pouvant jouer un rôle de personnes accompagnatrices
PERSONNE OU ÉQUIPE ACCOMPAGNATRICE (de l’interne ou de l’externe) ou équipe de direction
INTERACTION
III
II
I
Comprendre l’interaction. Faciliter l’accompagnement. Connaître et reconnaître les personnes accompagnées des deux niveaux.
Comprendre l’interaction. Faciliter l’accompagnement. Connaître et reconnaître les personnes accompagnées des deux niveaux.
Dynamique de l’interaction dans l’accompagnement
Figure 3
PERSONNE ACCOMPAGNÉE
IV
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accompagnatrice (I) se rende dans les groupes accompagnés pour comprendre les interactions, faciliter l’accompagnement, connaître et reconnaître les personnes accompagnées des deux groupes (II et III). Cela permet aussi d’entendre ce qui est dit à propos de ces interactions. Les interactions supposent qu’il y a interinfluence, interformation, coformation, coconstruction, discussion, échange, partage, confrontation… De plus, il n’est pas nécessaire qu’il y ait quatre groupes de personnes. Par exemple, dans un établissement, une organisation ou une entreprise, une équipe de direction (I) peut accompagner les responsables d’équipes de travail (II) qui accompagnement des individus ou équipes de travail (III). L’équipe de direction peut être remplacée par une personne externe experte ou être accompagnée par une telle personne. Pour respecter le type d’accompagnement préconisé, l’équipe de direction ou la personne externe (I) assiste à quelques rencontres entre les responsables (II) et les équipes accompagnées (III) toujours pour comprendre l’interaction et favoriser l’accompagnement. Ce qui compose l’accompagnement socioconstructiviste d’un processus de changement et les interactions à prendre en compte dans le suivi à fournir est précisé dans les orientations données au changement.
ORIENTATIONS D’UN CHANGEMENT Dans le contexte d’un changement comportant des éléments de prescription pour lequel un accompagnement a été prévu, voici six orientations possibles associées aux compétences du présent référentiel.
1re orientation – Le développement d’un leadership d’accompagnement Une première orientation consiste à développer un leadership particulier qui se concrétise par la mise en place d’un d’accompagnement professionnel qui suppose le développement de compétences pour l’accompagnement. Exercer un leadership d’accompagnement socioconstructiviste dans le contexte d’un changement vise un partage des responsabilités avec les personnes accompagnées et l’instauration d’une démarche rigoureuse et cohérente. Ces considérations représentent un défi important. Ce leadership s’exerce autrement que celui auquel on a été habitué et qui est souvent valorisé dans les organisations : un individu qui exerce un ascendant sur d’autres individus qui décident de le suivre. Ce type de
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leadership s’exerce à la « verticale » alors que le type de leadership recherché dans l’accompagnement mise plutôt sur la somme et la qualité des interactions entre les individus d’un groupe. Cette force individuelle et collective sert de vecteur au changement. Elle table sur la collaboration des individus au sein d’un groupe ou d’une organisation. Ces derniers mettent le résultat de leur réflexion et de leur discussion au service d’une vision partagée. Il suppose un travail collectif, une compréhension des conceptions, une autonomie, une solidarité et l’exercice d’une créativité qui sont nécessaires à l’exécution de projets élaborés collectivement (Amherdt, Dupuich-Rabasse, Emery et Giauque, 2000). Au lieu d’imposer une vision du changement, ce leadership cherche plutôt à développer une compréhension et une vision partagées du changement avec et pour les personnels visés par le changement de manière à mieux les soutenir dans ce processus, dans le renouvellement de leurs pratiques ou dans le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement. Leadership d’accompagnement Un leadership d’accompagnement est un processus d’influence des pratiques professionnelles dans le sens des orientations à donner au changement. Il s’exerce et se développe par la réflexion individuelle et collective et en interaction avec les personnels visés par le changement. Ce type de leadership suscite des prises de conscience menant à des actions qui sont élaborées, réalisées, analysées, évaluées, ajustées, réinvesties dans une perspective de collaboration professionnelle. Ce processus s’inscrit dans une pratique réflexive où la réflexion et l’analyse des pratiques permettent aux personnes de développer leur modèle de pratique et leurs compétences professionnelles pour l’accompagnement.
Les concepts de leadership et d’accompagnement sont jumelés pour montrer que le processus d’influence qui mène à un changement des pratiques professionnelles exige la mise en place d’une pratique réflexive (réflexion sur les pratiques, analyses de ces pratiques et développement de son modèle de pratique). Cette pratique réflexive se fait de façon individuelle et collective (Lafortune, 2005b). Cet aspect collectif de la réflexion suppose des interactions qui peuvent mener à des remises en question, à des confrontations, à des conflits sociocognitifs. Cette dimension réflexive-interactive s’inscrit dans une perspective socioconstructiviste considérant que les personnes accompagnées structurent leurs connaissances et compétences en interaction avec les autres à partir de leurs représentations du changement et de leurs conceptions de leurs rôles et tâches. Ce leadership d’accompagnement socioconstructiviste
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suppose un passage à l’action, l’établissement de liens entre la théorie et la pratique, le développement d’une pratique réflexive-interactive et d’une culture associée aux fondements du changement ainsi que la formation de réseaux. Le tout suppose que les personnes accompagnées réinvestissent les résultats des discussions ou les éléments de formation, et ce, sur une période assez longue pour démontrer une intégration des changements et des nouvelles façons de faire et pour indiquer un réel passage à l’action.
2e orientation – L’engagement dans une pratique réflexive-interactive La deuxième orientation suppose un engagement dans le changement et la formation de communautés réflexives-interactives de pratique. L’engagement dans une démarche de pratique réflexive-interactive vise des changements dans les pratiques et des remises en question pour réfléchir, analyser et réguler ses pratiques en se demandant si elles visent, par exemple, le développement de compétences – celles qui sont prévues par le changement. La réflexion sur les pratiques peut, en partie, se faire individuellement, mais elle suppose particulièrement un travail collectif et collaboratif ce qui explique le volet interactif de la pratique réflexive. Dans cette deuxième orientation qui suppose un engagement dans une pratique réflexive-interactive, autant les personnes accompagnatrices que celles qui sont accompagnées s’engagent à réfléchir à leur pratique mais aussi à celles qui ont cours dans leur milieu pour les soumettre à la discussion au regard de pratiques associées au changement. Dans un tel processus de changement, il devient nécessaire que les partenaires soient engagés pour que l’interaction soit productive. Dans un premier temps, il peut y avoir des échanges d’idées, mais ce qui est visé, c’est l’acceptation de soumettre à la discussion ses actions professionnelles dans le but d’aller vers un changement de pratique. Le tout réside dans l’analyse des actions réalisées ou à réaliser, dans l’optique d’avoir à peut-être les remettre en question, de confronter les croyances (conceptions et convictions) en vue de faire des changements plus ou moins majeurs selon les pratiques antérieures, et ce, dans le respect des autres. Ainsi, les personnes réfléchissent et examinent leur pratique qu’elles confrontent à celles des autres mais aussi à celles qui sont associées à la mise en œuvre du changement. Cette réflexion vient nécessairement remettre en question certaines pratiques et peut même modifier les façons
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de faire des personnes accompagnées et même celles des personnes accompagnatrices ou les amener à ajuster leur modèle de pratique. Les régulations se font souvent graduellement par touches successives puisque le modèle évolue au fil de la réflexion qui se construit avec d’autres, mais aussi à l’aide des adaptations que les personnes font entre la démarche d’accompagnement et les actions qu’elles posent dans leur milieu, entre les rencontres. Elles peuvent ainsi expérimenter, analyser et ajuster certains aspects associés à l’accompagnement de la mise en œuvre du changement. Elles sont en mesure d’observer et de discuter des problématiques et des questions posées en relation avec les fondements du changement et peuvent ainsi se l’approprier davantage pour mieux accompagner les personnels visés. Le développement d’une pratique réflexive-interactive favorise les prises de conscience qui font évoluer les modèles de pratique qui sont transformés, voire améliorés. L’engagement dans une telle démarche devient un moyen privilégié pour favoriser un changement de pratiques.
3e orientation – La collaboration professionnelle Dans cette troisième orientation, l’accompagnement de la mise en place d’une collaboration professionnelle passe par le soutien du travail en équipes de collègues. Cette collaboration professionnelle est intimement liée à la création de réseaux. La collaboration professionnelle met en place des interactions qui supposent une coordination d’efforts collectifs, des discussions qui mènent à des prises de décisions collectives et à des interventions concertées. Ces interventions sont analysées et régulées collectivement. Cela mène à une responsabilité partagée de l’accompagnement de collègues jusqu’au développement de compétences des personnes accompagnées. Cette collaboration professionnelle se manifeste dans un travail en équipe de collègues qui suppose des actions collectives comme discuter de décisions à prendre, échanger pour résoudre un problème professionnel, établir des problématiques pour rechercher des solutions…
4e orientation – Le développement du jugement professionnel Cette quatrième orientation montre la pertinence du développement du jugement professionnel autant pour prendre des décisions relatives à l’accompagnement que pour la mise en œuvre du changement. Ce
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jugement ne s’applique donc pas seulement à l’évaluation de l’efficacité du changement ou des moyens de le mettre en œuvre. Dans la perspective adoptée dans ce référentiel, une avenue à privilégier consiste à exercer et à développer le jugement professionnel dans diverses situations de prises de décisions dont l’évaluation. Cette avenue a été explorée en considérant que le jugement professionnel peut s’exercer seul devant une décision à prendre, mais il se développe en équipe en tirant profit du regard de l’autre. Le jugement professionnel a également été envisagé, dans le contexte du développement de compétences professionnelles et de celui où les divers personnels font face à des problématiques complexes, inhabituelles, voire inédites. Ces problématiques ne peuvent donc pas être résolues à l’aide de procédures, de recettes ou de techniques préalablement éprouvées et pouvant être utilisées telles que proposées. Ce contexte oblige les professionnels et professionnelles à faire appel à leurs expertises (expériences et formation), à rechercher des solutions qui méritent d’être soumises à la discussion pour être validées, remises en question, améliorées…, ce qui aide à développer un sentiment de compétence relativement à ces solutions et ainsi, à pouvoir, lorsque cela est nécessaire, s’ajuster dans l’action en faisant référence aux commentaires de collègues. L’approfondissement du concept de « jugement professionnel » est considéré comme essentiel à réaliser dans le contexte du développement et de l’évaluation de compétences.
5e orientation – L’enrichissement de la culture associée au domaine visé par le changement Cette cinquième orientation vise un rehaussement culturel autant des personnes accompagnatrices qu’accompagnées. La mise en œuvre d’un changement prescrit et majeur suppose un enrichissement de la culture liée à un champ d’expertise. Cet enrichissement aide à comprendre les fondements du changement et le développement de l’autonomie nécessaire pour faire les adaptations à sa pratique. Dans un monde en changement, ce rehaussement culturel est associé à la formation continue et aux adaptations continues à sa pratique. Pour être ou devenir une personne accompagnatrice dans ce contexte, l’enrichissement de la culture liée à un champ d’expertise devient nécessaire ; il aide les personnes accompagnées à établir des liens entre la théorie et la pratique. Il est nécessaire de développer une culture associée au domaine visé par le changement à mettre en œuvre parce que cela contribue à assurer la cohérence, la pertinence et les assises théoriques à une démarche
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
d’accompagnement. Des questions se posent toutefois sur l’étendue et la profondeur à donner à cette culture. Selon Lafortune et Martin (2004), cette culture ne se limite pas seulement à un répertoire de connaissances. C’est un ensemble constitué d’attitudes, de connaissances, de stratégies, d’habiletés, de compétences et d’expériences qui permettent de développer le sens critique, la créativité, une mise à distance et l’assurance de la personne accompagnée. Cette culture est active dans le sens ou la personne accompagnatrice mobilise ses ressources et son répertoire d’exemples dans la démarche d’accompagnement. Cela suppose qu’il existe des liens entre les différentes propositions d’actions et les fondements théoriques mis de l’avant (adapté de Lafortune et Martin, 2004). L’enrichissement de la culture liée à un champ d’expertise et à un milieu aide à offrir un accompagnement qui comprend des éléments de formation nécessaires à la compréhension des fondements qui ont guidé le renouvellement et de pouvoir ainsi partager avec le milieu une lecture plus éclairée du changement en se donnant la possibilité de formuler des arguments crédibles à proposer à ceux et à celles qui manifestent de la résistance. Il ne s’agit pas de « convertir » ou d’« endoctriner » les personnes accompagnées, mais bien plutôt de les amener à réfléchir aux objets et à la portée du changement ainsi qu’aux raisons associées à ses fondements pour faire cheminer la pensée des personnes accompagnées au-delà des moments de rencontre en les amenant à changer graduellement.
6e orientation – Le passage à l’action dans une perspective réflexive-interactive Cette sixième orientation suppose qu’un processus de changement passe inévitablement par des actions posées selon les visées du changement. Le passage à l’action est une étape charnière, souvent difficile à réaliser, car l’arrivée d’un changement, surtout s’il est majeur, oblige les personnes à faire des ajustements à leur modèle d’intervention. Ces ajustements sont plus ou moins majeurs selon les individus, car certains iront même jusqu’à remettre en question en profondeur leurs pratiques professionnelles. Le passage à l’action est essentiel pour s’assurer de la mise en place de pratiques associées aux fondements théoriques du changement. Deux phases peuvent animer ce passage à l’action : 1) des récits ou témoignages de pratiques ou d’expériences qui vont dans le sens du changement et qui bénéficient de rétroactions réflexives-interactives pour connaître ce qui se fait dans les milieux, pour s’en inspirer et pour apprendre à rétroagir à d’autres expériences ; 2) l’accompagnement en groupe ou
Référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement
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personnalisé de projets d’action élaborés par les personnes accompagnées et expérimentés par elles. Ces phases servent à inciter les personnes à tenter des actions ou des expériences dans le sens du changement ou de son accompagnement et de soutenir le processus de changement. Un tel passage à l’action suppose : a) un projet pensé collectivement, b) des expériences tentées ou actions réalisées, c) un suivi, d) une analyse individuelle et collective, e) des ajustements, f) des traces à garder. La perspective réflexive-interactive traverse l’ensemble de ces orientations ce qui signifie que la réflexion et l’action sont complémentaires. Et cette complémentarité se traduit par des principes inspirés de Lafortune et Deaudelin (2001) et de St-Germain (2002).
PRINCIPES ASSOCIÉS À LA COMPLÉMENTARITÉ DE LA RÉFLEXION ET DE L’ACTION DANS L’ACCOMPAGNEMENT Huit principes permettent d’illustrer ce qu’on entend par la complémentarité de la réflexion et de l’action dans l’accompagnement. ! Une prise en compte des connaissances, des compétences et des expériences antérieures des personnels visés par le changement. Cette prise en compte permet de faire cheminer les personnes accompagnées à partir de ce qu’elles sont, tout en suscitant des réflexions pour un changement de pratiques. ! Un regard critique sur les cohérences (et incohérences) entre croyances et pratiques, entre pensées et actions (Lafortune, 2004b ; Lafortune et Fennema, 2003 ; Thagard, 2000). Ce regard critique peut aider à susciter, à reconnaître et à tirer profit des déséquilibres provoqués par le changement tout en cherchant à sécuriser les personnels qui sont déstabilisés. Il suppose également une ouverture à la diversité, ce qui mène à reconnaître les innovations et à faire preuve de créativité. ! La réalisation d’ajustements dans l’action. Ces ajustements permettent de faire face à l’inédit ; ils exigent de porter plusieurs regards sur ce qui se fait, comment cela se fait, comment cela est en lien avec le changement voulu… De plus, ces ajustements visent à tirer profit des prises de conscience pour qu’elles mènent à des actions pour le développement des personnes accompagnées.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
! La prise en compte de ce qui émerge des idées, réactions, questions du groupe. Cela suppose une acceptation de l’imprévu, ce qui ne peut être évité dans un contexte de changement. Cela comprend aussi la considération et l’intégration d’idées, de réflexions, de discussions à la réflexion collective. ! L’amorce d’un processus d’autoréflexion. Proposer un changement et viser à ce qu’il s’applique suppose que la personne s’engage dans une démarche d’autoréflexion à propos de ses pratiques professionnelles pour en venir à une cohérence entre ce que qu’elle vise (ses intentions), ce qu’elle fait et ce qu’elle dit à d’autres de faire. ! L’amorce d’une démarche de réflexion collective. La démarche d’autoréflexion est alimentée par une démarche de réflexion collective qui peut mener à une analyse des pratiques et à des échanges mutuels de commentaires critiques. ! Le développement d’un sens éthique. Ce sens éthique suppose un espace de réflexion sur la conduite à adopter envers les autres (Gohier, 2005), « une prise de distance et une capacité théorique d’analyse de la pratique, [une] attitude qui ouvre la voie de la critique de la morale et du choix personnel » (Ottavi, 2004, p. 54). ! La création d’un climat de confiance, d’un contexte propice à la coconstruction. Pour créer un tel climat et un tel contexte, on ne peut se limiter à discuter ensemble ; il est nécessaire de mettre à contribution des idées pour en ressortir avec une construction collective qui prend en compte ce que les autres ont apporté. Un certain nombre de caractéristiques permettent de reconnaître une personne qui exerce un leadership d’accompagnement. Certaines de ces caractéristiques comprennent ce qui est habituellement associé au rôle de leader comme la communication, la résolution de problèmes, la gestion de conflits et la mobilisation vers un engagement. D’autres caractéristiques renvoient au développement de qualités personnelles comme la tolérance à l’ambiguïté et la capacité de soutenir les déséquilibres et de favoriser l’ouverture aux autres (voir St-Germain, 2002). Ces caractéristiques favorisent le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement dont les huit compétences présentées dans les chapitres qui suivent.
COMPÉTENCE
1
Adopter une posture visant à réaliser une démarche d’accompagnement d’un changement
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
1 ADOPTER UNE POSTURE VISANT À RÉALISER UNE DÉMARCHE D’ACCOMPAGNEMENT D’UN CHANGEMENT
GESTES PROFESSIONNELS 1. S’engager dans une démarche d’accompagnement socioconstructiviste. 2. Comprendre les fondements associés au changement. 3. Adopter une posture critique et réflexive à propos du changement. 4. Construire, expliciter et justifier une vision du changement. 5. Mobiliser et enrichir sa culture en fonction des fondements du changement.
ACTIONS
Posture d’accompagnement
COMME PERSONNE ACCOMPAGNATRICE ! ! ! ! ! ! !
Prendre des risques. Approfondir sa compréhension du changement. Avoir conscience des actions posées. Poser un regard réflexif et critique sur ses actions. Adopter une posture d’apprentissage. Partager et expliciter sa vision du changement. Développer sa culture en fonction des fondements du changement et la réinvestir.
POUR AGIR AUPRÈS DE PERSONNES ACCOMPAGNÉES ! ! ! ! ! ! !
Interagir et construire collectivement. Susciter des remises en question. Discuter du changement. Confronter les croyances et les pratiques. Analyser le changement. Mettre en relation les constituantes du changement. Développer un discours et des arguments en faveur du changement. ! Agir dans le sens du changement.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
CONTEXTE CONCEPTUEL DE LA COMPÉTENCE 1 Lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre un changement prescrit, l’accompagnement ne peut s’improviser ; il incite à la réflexion dans et sur l’action pour une continuité et une cohérence au regard des orientations du changement. Enrichi d’une formation et de suivis, l’accompagnement offert s’inscrit dans un continuum de plusieurs rencontres. Cette démarche s’inscrit dans un processus de changement, de renouvellement des pratiques et de développement de compétences professionnelles dans une perspective socioconstructiviste. Ainsi, les personnes accompagnées s’habilitent à accompagner d’autres personnels qui évoluent aussi dans ce processus de changement. Cet accompagnement favorise une pratique réflexive et un renouvellement des pratiques lorsqu’il suscite un regard critique, des remises en question et une analyse des actions. Il s’inscrit dans une perspective socioconstructiviste lorsque la démarche comprend une réflexion et des interactions où les personnes confrontent les pratiques ainsi que les croyances (conceptions et convictions). La démarche suscite aussi des conflits sociocognitifs. Ces derniers favorisent la cohérence, car les personnes prennent conscience de leurs incohérences en les verbalisant, en les partageant et en les discutant avec d’autres. L’acte d’accompagner exige un développement professionnel. La culture liée à un champ d’expertise et les valeurs des individus qui la composent influencent la manière d’accompagner et par le fait même, contribuent à leur développement professionnel. Le choc des idées, les échanges et les partages, avec différents personnels scolaires peuvent susciter certains conflits et parfois même aller jusqu’à des remises en question, mais ils sont nécessaires à l’évolution des milieux et éventuellement, au partage d’une vision collective du changement. Au cours d’une démarche d’accompagnement socioconstructiviste, les personnes accompagnatrices et accompagnées confrontent leur modèle de pratique professionnelle à celui proposé par le changement. La confrontation des pratiques stimule la réflexion individuelle et collective. Une fois rassemblés, les aspects discutés peuvent comprendre des éléments de théorisation qui témoignent des pratiques en cours mais qui reflètent aussi leur évolution dans le processus de changement. Cet accompagnement peut être qualifié de « professionnel ». Cet accompagnement axé sur un processus de professionnalisation n’en est pas un qui vise à aider les personnes à mieux faire ce qu’elles ont le goût de mettre en pratique ; il vient plutôt soutenir la mise en œuvre de changements de pratiques qui exigent parfois des remises en question, des doutes et des inquiétudes.
Posture d’accompagnement
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Accompagnement professionnel Un accompagnement professionnel est un soutien axé sur un processus de professionnalisation qui suppose une cohérence entre ce qui est réalisé par les personnes accompagnatrices auprès des personnes accompagnées et ce que l’on voudrait que ces dernières fassent auprès des personnes qu’elles accompagnent. Cet accompagnement prend la forme d’un modelage, en fournissant un exemple en action, à transposer dans l’accompagnement des milieux. Cet accompagnement professionnel vise les personnes qui ont à mettre en œuvre un changement exigeant des changements de pratiques professionnelles ce qui suppose des remises en question, des appréhensions, des incertitudes, des ambiguïtés, des prises de risques. Cet accompagnement suppose l’engagement dans une pratique réflexive-interactive des personnes accompagnatrices et accompagnées.
L’accompagnement professionnel a avantage à se réaliser en collaboration avec les milieux accompagnés. Les personnes accompagnées qui deviennent à leur tour accompagnatrices transposent le modèle d’accompagnement professionnel en adaptant la démarche à leur contexte d’intervention. Pour ce faire, elles sont invitées à garder des traces de leur démarche d’accompagnement ainsi que des expériences réalisées dans leur milieu. Cette façon de faire permet de suivre l’évolution des personnes et des groupes accompagnés. Cet accompagnement professionnel suppose l’exercice d’un leadership d’accompagnement d’un changement qui exige un contexte et des conditions propices. Sur le plan organisationnel, ce contexte et ces conditions répondent à certaines caractéristiques importantes décrites dans les paragraphes qui suivent. L’accompagnement sous-jacent à ce référentiel est un accompagnement de groupe. Il se fait sur plusieurs journées et se poursuit généralement sur plus d’une année. La durée et la continuité dans le temps consacré à l’accompagnement favorisent le processus de changement et l’intégration de ses fondements et contenus. Elles incitent à passer à l’action en offrant un soutien aux personnes accompagnées qui vont aussi s’engager dans une démarche en accompagnant d’autres groupes, ce qui suppose des suivis plus ou moins importants pour soutenir le passage à l’action. Les rencontres sont entrecoupées de suivis, d’échanges par courriel ou d’appels téléphoniques, mais les personnes peuvent aussi parfois être rencontrées individuellement ou en sous-groupes. Les suivis aident à la clarification des contenus abordés lors des rencontres ; ils permettent la planification de moyens d’actions et facilitent la diffusion d’outils ou de matériels utiles à l’accompagnement. Liés aux rencontres, les suivis favorisent le passage à l’action, tout en s’assurant que ce passage se fasse.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
L’accompagnement en dyade suggéré exploite la complémentarité des expertises. Il préserve la démarche d’accompagnement en assurant sa continuité ainsi que la stabilité des groupes en cas de renouvellement de personnel. Statuer sur la forme de l’accompagnement souhaitée au début du processus est essentiel pour l’engagement dans la démarche. On facilite ainsi la préparation (planification et anticipation) de la formation en priorisant les actions souhaitées. Cette planification écarte les choix spontanés ou la juxtaposition de formations éparses qui n’iraient pas dans le sens des fondements du changement1. Démarche d’accompagnement La démarche d’accompagnement est un processus dynamique qui incite à l’action et conduit au changement. Elle met en œuvre un ensemble de gestes professionnels et d’actions qui sont planifiés et structurés dans une perspective socioconstructiviste, selon une intention ciblée et en fonction d’un partenariat avec un milieu donné. Dans l’action, la démarche comprend des stratégies relatives à l’animation, à la formation et à l’accompagnement et fait appel à différents moyens (questionnement, interaction, coconstruction, réflexion, analyse, modelage, etc.). Il s’agit d’une mesure d’aide, de soutien et de médiation qui vise le cheminement des individus dans un groupe et le développement de leur autonomie professionnelle en prenant en considération les dimensions cognitive, métacognitive, affective et sociale. Sur le plan du contenu, la démarche allie, de manière intégrée et complémentaire, théorie et pratique, réflexion et action. La mise en œuvre de ce processus suppose une culture ; elle se manifeste à travers les attitudes, les connaissances, les stratégies, les habiletés et les expériences, mais aussi par le développement et l’exercice de compétences professionnelles associées au leadership d’accompagnement. La durée et la continuité dans le temps consacré à la démarche favorisent le changement donc l’intégration durable de ses fondements, de ses orientations et de ses contenus. De manière globale, la démarche incite aux activités de maillage pour la formation de réseaux basés sur l’entraide, la collaboration professionnelle et la communication du changement (voir également Lafortune et Deaudelin, 2001 ; Lafortune et Martin, 2004).
1.
À partir de l’expérience réalisée dans le contexte du projet à la source de ce référentiel, on peut déduire que les rencontres de groupe peuvent généralement compter entre 16 et 24 personnes. Les rencontres devraient être étalées sur plus d’une année pour soutenir le passage d’une année à l’autre et le changement de personnel. Le nombre et la durée des rencontres peuvent varier, mais globalement, il importe de rencontrer les personnes pour l’équivalent de 4 à 8 journées durant une même année. Un minimum de 6 à 8 journées pouvant aller de 12 à 16 jours permet d’assurer une intégration du processus et du contenu ainsi qu’un passage à l’action. Des rencontres par blocs de deux jours peuvent faciliter le cheminement, surtout au début de la démarche.
Posture d’accompagnement
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Saisir les enjeux du changement à mettre en œuvre et comprendre la nécessité d’un accompagnement est crucial. Cela suppose de s’interroger, avec les personnes accompagnées, sur les origines et la nature du changement, sur les résistances qu’il peut générer, sur les conditions, les moyens nécessaires et le contexte d’accompagnement à mettre en place. Réaliser une démarche d’accompagnement suppose l’adoption d’une posture particulière qui considère qu’une personne accompagnatrice : ! peut également être accompagnée ; ! modifie son modèle de pratique en interaction avec des personnes accompagnées ; ! agit en cohérence avec ce que les personnes accompagnées ont à réaliser ; ! accepte de se former aux plans théorique et pratique pour comprendre le changement, se l’approprier et pour lier théorie et pratique dans ses propos et actions.
POUR LA COMPRÉHENSION DES GESTES PROFESSIONNELS ASSOCIÉS À LA COMPÉTENCE 1 Adopter une posture visant à réaliser une démarche d’accompagnement d’un changement suppose des gestes professionnels et des actions. Voici les principaux gestes professionnels ainsi que certaines actions qui permettent de mieux circonscrire cette compétence : ! s’engager dans une démarche d’accompagnement socioconstructiviste ; ! comprendre les fondements associés au changement ; ! adopter une posture critique et réflexive à propos du changement ; ! construire, expliciter et justifier une vision du changement ; ! mobiliser et enrichir sa culture en fonction des fondements du changement.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
S’engager dans une démarche d’accompagnement socioconstructiviste S’engager et susciter l’engagement sont des conditions essentielles à l’accompagnement d’un changement. Selon la perspective abordée, différents sens sont donnés à l’engagement. Certains concepts tels que la motivation, la participation et l’implication sont parfois employés comme des synonymes de l’engagement. Même s’il s’agit de notions semblables, elles se prêtent cependant à certaines distinctions. Dans la démarche d’accompagnement, la personne s’engage par choix, c’est une décision volontaire et consciente. La personne définit, témoigne et rend compte de son engagement par ses actions. Pour Kiesler (1971), la notion d’engagement est liée aux actes qu’une personne pose consciemment et librement. Ces actes permettent de distinguer l’engagement de la motivation (Kiesler, 1971, rapporté dans Pirot et De Ketele, 2000). Par ailleurs, il est possible d’observer des manifestations de l’engagement chez une personne entre autres par ses attitudes et ses actions, ce qui permet à autrui de percevoir un certain niveau d’engagement, de l’interpréter et de le qualifier. Pour plusieurs auteurs (Goodell, 1969, et Pauchant, 1996, rapportés dans Duchesne, 2004, et HardyLapointe, 2001), l’engagement est un acte professionnel. Dans la démarche d’accompagnement, l’engagement se traduit par des actions individuelles et collectives telles que le travail en équipe de collègues, le partage d’expériences, la prise de décision, l’exercice d’un leadership, etc. L’engagement professionnel repose sur l’intention et la volonté de l’individu de mettre en œuvre son pouvoir d’action, selon un fil conducteur qu’il s’est donné vers le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement. Être engagé, c’est donc se mettre en situation de développement professionnel.
Dimensions de l’engagement Il y a plusieurs dimensions à l’engagement ainsi que différents types et niveaux d’engagement. Présenté dans sa perspective socioconstructiviste, l’engagement se développe et se transforme au contact des autres et de l’environnement, ce qui suppose une considération des dimensions affective, cognitive, métacognitive et sociale dans l’engagement ainsi que des conditions et des facteurs qui lui sont favorables ou défavorables et qui peuvent influencer sa qualité et sa profondeur.
Posture d’accompagnement
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Types d’engagement En ce qui a trait aux types d’engagement, il est possible de parler d’engagement individuel, mais également d’engagement collectif. Ce dernier constitue un processus de construction de sens et sous-tend le concept de responsabilité collective. La responsabilisation collective suppose la concertation, l’interinfluence et la collaboration professionnelle. La personne peut alors se demander jusqu’à quel point elle est engagée dans le travail en équipe ou dans le changement alors que l’équipe peut se demander jusqu’à quel point, elle est engagée dans ce même changement.
Engagement réflexif L’importante responsabilité d’engager les personnels scolaires dans un processus de changement suppose un engagement réflexif. Les personnes sont amenées à voir l’engagement non seulement en termes de temps, mais également en termes de qualité de réflexion. L’engagement dans une pratique réflexive suppose une réflexion, un examen et une analyse de ses pratiques professionnelles au regard du changement à mettre en œuvre.
Engagement professionnel Les interactions avec ses collègues, la reconnaissance de certaines valeurs communes, les investissements réalisés dans des tâches liées au processus de changement favorisent le passage d’un engagement personnel à un engagement collectif et professionnel, qui se manifestera à travers l’ouverture aux autres et par une participation à la mobilisation des effectifs vers l’action. Charlier (2006, p. 170, citant Wenger) pour aborder des dynamiques menant à la construction d’une communauté de pratiques, définit l’engagement comme « une implication active dans un processus mutuel de construction de sens ».
Caractéristiques de la personne engagée Dans le contexte particulier de l’accompagnement d’un changement, la personne engagée prend des initiatives, va au-delà de ce qui est prescrit, s’accomplit aux plans personnel et professionnel (apprécie ce qu’elle fait, y croit et trouve du plaisir à le faire), adopte une attitude positive face aux défis quotidiens, manifeste une ouverture vis-à-vis de la profession, réalise des projets d’action, participe activement à la réalisation de projets
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
collectifs, est une ressource pour son milieu. Aussi, elle démontre une confiance en elle qui l’amène à exercer son leadership ainsi que son pouvoir d’action auprès de ses collègues, est proactive, développe ses compétences, prend des risques, se remet en question, exerce son autonomie professionnelle, fait preuve d’une capacité d’adaptation, est ouverte au changement et adopte une posture de développement professionnel. Toutes ces caractéristiques ne peuvent être adoptées à un même niveau par une même personne. Reconnaître ses forces et les aspects à améliorer dans son engagement peut être considéré comme la caractéristique principale de la personne engagée dans un changement.
Rôle de la personne accompagnatrice dans l’établissement de conditions favorables à l’engagement Les personnes accompagnatrices restent à l’affût et ne perdent pas de vue que changer des façons de faire, qui parfois sont fortement ancrées, ne se produit pas spontanément ni sur le simple décret d’un changement. Comment tenir compte des obligations légales, morales et éthiques pour susciter l’engagement intrinsèque des personnels scolaires ? Le défi et le rôle de la personne accompagnatrice sont alors d’amener les personnes accompagnées à saisir le besoin, la nécessité, l’importance de considérer ces obligations et responsabilités en se comportant comme des professionnelles et des professionnels. Ainsi, la personne accompagnatrice crée un terrain fertile à l’engagement où les personnels accompagnés peuvent prendre conscience de l’importance de renouveler leurs pratiques professionnelles.
Comprendre les fondements associés au changement L’accompagnement d’un changement exige une connaissance, une appropriation, une analyse et un approfondissement des fondements, des concepts et des composantes associés au changement, surtout lorsque ce dernier comporte des éléments de prescription. La compréhension du changement contribue largement à l’enrichissement de la culture liée à un champ d’expertise et d’un milieu. Pour enrichir cette culture, il s’agit de se donner et de donner les moyens de connaître, de comprendre et d’analyser ce qu’il y a à mettre en œuvre, de s’approprier le contenu d’autres textes, d’en discuter avec des collègues, de confronter les représentations, d’échanger des points de vue, de consulter différentes ressources, etc. Discuter des fondements de ce qui est à mettre en œuvre, de ses constituantes et de son rayonnement dans les pratiques mène à
Posture d’accompagnement
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les approfondir (par exemple, cognitivisme, constructivisme et socioconstructivisme) et facilite la mise en relation des diverses composantes du changement (par exemple, compétences à développer, pratiques professionnelles à mettre en place…).
Adopter une posture critique et réflexive à propos du changement Faire preuve de compétences professionnelles pour l’accompagnement dans l’exercice d’un leadership d’accompagnement et garder en tête la nécessité de poursuivre le développement des compétences chez soi et de pouvoir aider des personnes accompagnées à le faire suppose un passage à l’action et une prise de conscience des actions posées. L’exercice d’un leadership d’accompagnement oblige à réfléchir et à porter un regard réflexif et critique sur ses forces, ses limites et ses défis au regard de ses actions et gestes professionnels. Cela se traduit par des défis à se donner, par des projets d’action à mettre en œuvre, par des moyens efficaces à mobiliser, par des réflexions à faire seul et en collaboration. Cela suppose une « posture d’apprentissage » où des moments d’incertitude sont liés à des conflits sociocognitifs. La perspective socioconstructiviste de l’accompagnement favorise l’interaction, mais aussi la confrontation liée aux diverses expertises, représentations et expériences professionnelles. Cette interaction permet l’analyse tout en étant critique des objets de la culture liée à un champ d’expertise et du milieu associé au changement, au renouvellement des pratiques et au développement de compétences professionnelles. À travers les lectures, les échanges, les discussions et les confrontations, les personnes s’approprient graduellement et de manière critique le changement et les objets de sa culture tout en approfondissant la compréhension de ses constituantes. Le développement d’une culture favorise l’adoption d’une posture critique pour alimenter une argumentation, pour discuter de diverses positions, pour contrer ou soutenir des points de vue et pour garder une distance critique vis-à-vis du changement.
Construire, expliciter et justifier une vision du changement L’accompagnement dans un processus de changement, de renouvellement des pratiques et de développement de compétences professionnelles, suppose d’avoir une représentation du changement afin de communiquer à
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
d’autres sa vision du changement pour aider à formuler et à confronter les différentes représentations, croyances (conceptions et convictions) des personnels visés par le changement. Cela consiste à faire émerger les conceptions à l’aide de discussions suscitant l’explicitation des différentes conceptions. À titre d’exemple en éducation, il s’agit de faire émerger les conceptions à propos de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’évaluation. Ces discussions peuvent également conduire à l’examen des cohérences, des incohérences et des écarts entre les croyances et les pratiques si elles sont réalisées dans l’intention de susciter des prises de conscience et des ajustements dans les pratiques. Essentielle à l’intervention, cette connaissance des conceptions facilite le choix des situations d’accompagnement tout en permettant de respecter la « zone proximale de développement » des personnes accompagnées et de créer ainsi des « déséquilibres sécurisants » (déséquilibres au plan cognitif, sécurisants au plan affectif). Il est nécessaire que les personnes qui accompagnent la mise en œuvre du changement connaissent la culture associée au changement à mettre en place. En s’appropriant le discours sur le changement, il est possible d’expliciter sa vision du changement en l’illustrant à l’aide d’exemples et en fournissant des justifications et des arguments qui favorisent sa compréhension. L’enrichissement de la culture liée à un champ d’expertise et à un milieu ou de la culture de l’organisation permet d’offrir un accompagnement qui comprend des éléments de formation nécessaires à la compréhension des fondements théoriques qui ont guidé ce renouvellement. Il est ainsi possible de partager avec le milieu une lecture plus éclairée du changement en se donnant la possibilité de préparer des arguments crédibles à proposer à ceux et à celles qui manifestent une résistance à ce changement. Une culture élargie relative aux fondements du changement aide à exercer un regard critique à propos des pratiques appliquées ou proposées. Les personnes peuvent ainsi mieux comprendre et aider à comprendre le changement prescrit et développer un discours et une argumentation qui viendront alimenter les échanges lors de discussions (Lafortune et Lepage, 2007).
Mobiliser et enrichir sa culture en fonction des fondements du changement La mobilisation et l’enrichissement de sa culture en fonction des fondements du changement s’imposent dans la mise en œuvre d’une démarche d’accompagnement. En plus de développer sa propre culture,
Posture d’accompagnement
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l’accompagnement exige de savoir amener les autres à développer la leur. Cette culture associée à la réflexion et à l’action dynamise les interactions. L’accompagnement intégré à la formation suppose le réinvestissement d’une culture associée aux fondements du changement. Pour y arriver, des discussions et des réflexions collectives peuvent mener à suggérer des transpositions à divers contextes d’accompagnement jusque dans la pratique quotidienne. Par ailleurs, dans l’accompagnement, le rapport existant entre la théorie et la pratique est resserré, car la théorie alimente la pratique et la pratique génère des éléments de théorisation émergente qui puisent leur inspiration dans les pratiques du milieu visé par le changement. Pour alimenter leur culture, les personnes font des lectures, tissent des liens entre les concepts associés au renouveau à réaliser, leurs expériences professionnelles et les différentes formations déjà reçues. Cela aide à construire avec d’autres, à fournir des explications et des justifications vers une vision partagée du changement. Cette culture aide à prendre conscience des réinvestissements possibles de la démarche en s’auto-observant en situation d’accompagnement, en réfléchissant de manière interactive avec des collègues et en se préparant à intervenir dans le milieu (Lafortune et Lepage, 2007). Le développement d’une culture associée au changement donne de l’assurance aux personnes accompagnatrices ; elle leur permet d’avoir une petite longueur d’avance sur les personnes accompagnées. Elles s’habilitent ainsi à améliorer la pertinence des interventions, car elles participent à l’accompagnement d’une formation pour l’accompagnement en expérimentant aussi une expérience d’accompagnement (Lafortune et Lepage, 2007). L’affirmation de la nécessité d’une culture élargie pour assurer la cohérence, la pertinence et des assises théoriques à une démarche d’accompagnement est une idée à approfondir, particulièrement en ce qui concerne le contenu de cette culture selon les fonctions et rôles des personnes accompagnatrices. La réflexion et l’action menées autour de thèmes aussi diversifiés que la pratique réflexive, les entretiens d’accompagnement, la transversalité de certaines compétences, l’évaluation, le travail en équipe de collègues et le jugement professionnel, l’accompagnement de l’évaluation, la prise en compte de la dimension affective dans l’accompagnement, etc. au regard de la mise en œuvre d’un changement enrichissent les interventions des personnes accompagnées. Le choix de ces thèmes favorise un passage à l’action menant à adapter, à transposer ou à modifier les différentes interventions pilotées pour agir dans le sens du changement prescrit.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Pour conclure, la compétence « adopter une posture visant à réaliser une démarche d’accompagnement d’un changement » est essentielle, car on ne peut penser accompagner un changement sans qu’une démarche pensée et structurée soit mise en application. Cela exige des habiletés à développer, des gestes professionnels à poser et des conditions à mettre en place. Enfin, il est nécessaire de comprendre le changement, d’y adhérer et d’agir en fonction des exigences et des orientations fondamentales de ce changement.
Posture d’accompagnement
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QUESTIONS DE RÉFLEXION associées à la compétence 1
En début ou en cours d’action
! Que veut dire comprendre les fondements associés à un changement orienté et comprenant des éléments de prescription ? ! Qu’est-ce qu’analyser de manière critique et réflexive les objets de la culture associés au changement ? ! Que signifie confronter les différentes croyances et pratiques ? ! En quoi les pairs peuvent-ils jouer un rôle important dans la construction d’une vision éclairée du changement à mettre en œuvre ? ! Quels gestes ou actions permettent de constater qu’une personne est engagée professionnellement ? ! Quelles pourraient être les caractéristiques d’une personne engagée au plan professionnel ? ! À quel niveau d’engagement peuvent se situer les personnes qu’on accompagne dans un processus de changement ?
En cours ou en fin d’action
« Adopter une posture visant à réaliser une démarche d’accompagnement d’un changement »
! En quoi l’engagement des personnes accompagnatrices et accompagnées est-il essentiel dans une démarche d’accompagnement d’un changement orienté et comprenant des éléments de prescription ? ! Quels liens peut-on faire entre une connaissance des fondements du changement et avoir une culture liée à son champ d’expertise et au milieu accompagné ? ! Quels peuvent être les contenus de la culture (connaissances, habiletés et attitudes) selon les fonctions occupées dans la mise en œuvre du changement ? ! En quoi le fait d’adopter une posture critique peut-il favoriser une ouverture au changement ?
COMPÉTENCE
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Modeler une pratique réflexive dans l’accompagnement d’un changement
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
2 MODELER UNE PRATIQUE RÉFLEXIVE DANS L’ACCOMPAGNEMENT D’UN CHANGEMENT
GESTES PROFESSIONNELS 1. Adopter et susciter une pensée et une posture réflexives. 2. Intégrer la pratique réflexive à son modèle de pratique. 3. Dégager son modèle de pratique.
ACTIONS
Pratique réflexive
COMME PERSONNE ACCOMPAGNATRICE ! ! ! !
Réfléchir sur sa pratique et l’analyser. S’ouvrir à de nouvelles pistes de réflexion et d’action. Réguler sa pratique. Dégager les caractéristiques de son modèle en utilisant la pratique réflexive. ! Ajuster son modèle d’intervention.
POUR AGIR AUPRÈS DE PERSONNES ACCOMPAGNÉES ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
Susciter la réflexion sur sa pratique et sur les pratiques. Confronter son regard critique avec celui des autres. Remettre en question les idées, les croyances, les représentations et les pratiques. Ouvrir à de nouvelles pistes de réflexion et d’action. Susciter le doute, ébranler les idées, les croyances, les représentations et les pratiques. Susciter des conflits sociocognitifs. Réinvestir les éléments de réflexion dans des actions. S’engager dans l’action à partir de la réflexion, s’engager dans la réflexion à partir de l’action. Interagir et analyser en questionnant les idées, les croyances, les représentations et les pratiques. Favoriser et susciter la pratique réflexive.
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CONTEXTE CONCEPTUEL DE LA COMPÉTENCE 2 Plusieurs expressions sont utilisées pour désigner une réflexion sur sa pratique et une analyse de celle-ci. Donnay et Charlier (2006) semblent utiliser dans le même sens les expressions « analyse de pratiques », « démarche réflexive » et « pratique réflexive ». Perrenoud (2003) utilise quant à lui l’expression « pratique réflexive ». Dans le milieu scolaire, une même expression semble pouvoir avoir différents sens et deux expressions différentes peuvent être utilisées dans des sens assez semblables. Il n’est certes pas aisé de s’y retrouver. Dans ce référentiel, c’est l’expression « pratique réflexive » qui est privilégiée ; c’est celle qui apparaît la mieux définie dans les écrits (Lafortune et Deaudelin, 2001 ; Schön, 1994 ; St-Arnaud, 1992) et qui représente le mieux ce qui est visé par cette deuxième compétence professionnelle pour l’accompagnement. Elle comporte trois composantes : une composante de réflexion et d’analyse de sa pratique, une autre liée au passage à l’action et enfin, une dernière faisant référence à la construction de son modèle de pratique en évolution (inspirées de Lafortune et Deaudelin, 2001). Ces trois composantes exigent des actions ou expériences et des ajustements issus des analyses individuelles et collectives. Pratique réflexive Une pratique réflexive est une mise à distance et un regard critique sur son propre fonctionnement, mais aussi une analyse tant individuelle que collective des actions et décisions prises en cours d’action. Ce regard critique suppose des prises de conscience de ses cohérences et incohérences, de ses pensées et actions, de ses croyances et pratiques. La pratique réflexive comporte trois composantes : une composante de réflexion et d’analyse de sa pratique, une autre liée au passage à l’action et enfin, une dernière faisant référence à la construction de son modèle de pratique en évolution.
Un cheminement de pratique réflexive se développe tout au long de la pratique professionnelle et à travers différentes expériences vécues. Un tel cheminement suppose une progression par une réévaluation constante de ses objectifs, de ses buts, de ses croyances, de ses valeurs… Cela suppose d’entrer dans une boucle continue en théorisant sa pratique individuellement ou en interaction avec une équipe (inspiré de Perrenoud, 2003). En fait, la réflexion devient partie intégrante de la pratique professionnelle des personnels qui en acceptent les principes.
Pratique réflexive
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Donnay et Charlier (2006), qui parlent principalement d’analyse de pratiques, en proposent trois fonctions : 1) comprendre sa pratique, 2) changer sa pratique, et 3) accroître la professionnalité. Pour ces auteurs, l’analyse de pratiques permet de comprendre sa pratique dans le sens qu’elle favorise la construction de connaissances théoriques et pratiques à partir de différentes situations vécues afin d’être en mesure d’expliquer le sens de ses actions. Elle permet aussi de changer sa pratique puisqu’à la suite d’une analyse des situations vécues et d’une confrontation avec des collègues, la personne concernée ajuste ses actions ou prend des décisions différentes pour une prochaine fois. Enfin, une telle analyse contribue à accroître la professionnalité des personnels visés par le changement parce qu’elle leur offre « une meilleure prise sur les situations de travail [… et] l’analyse réflexive [de leur] pratique [rend] possible […] le transfert de l’expérience acquise à d’autres situations » (Donnay et Charlier, 2006, p. 88). Dans le contexte conceptuel proposé ici, une démarche de pratique réflexive comporte trois composantes : 1) réfléchir sur sa pratique et l’analyser ; 2) transposer les apprentissages faits dans des actions futures et des retours sur les expériences ; 3) développer son modèle de pratique en constante évolution.
1re composante – Réfléchir sur sa pratique et l’analyser La réflexion sur sa pratique consiste à pouvoir décrire sa pratique de sorte que les autres puissent comprendre ce qui est réalisé au point de pouvoir en utiliser des éléments à partir de cette description. L’analyse suppose des mises en relation, des comparaisons, des justifications ou explications tout en acceptant les questionnements, les remises en question, les confrontations avec les autres. Cela veut dire que réfléchir sur sa pratique et l’analyser ne peut se limiter à discuter de ce qui est fait avec un groupe de personnes accompagnées. Une telle réflexion et une telle analyse présupposent une intention de changement des pratiques sinon, elles ne s’avéreraient d’aucune utilité. Analyser sa pratique, incluant la réflexion sur celle-ci, consiste à examiner les différents aspects de sa pratique, c’est-à-dire les actions posées antérieurement ou à poser (interventions, approches, stratégies, etc.), les compétences et habiletés développées, les connaissances construites et les attitudes adoptées. Cela veut également dire qu’il est nécessaire de pouvoir faire des liens entre ces aspects. Par exemple en éducation, des liens peuvent être faits, mais aussi discutés, entre les
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différentes approches pédagogiques adoptées comme l’apprentissage coopératif, la pédagogie de projets, l’enseignement stratégique, etc. Il s’agit également de comprendre ces liens en tentant de décrire ces approches, les raisons faisant en sorte qu’on choisit telle approche plutôt qu’une autre et la façon dont on les met en œuvre soi-même ; de pouvoir préciser les réactions des personnes accompagnées, de discuter les causes de ces réactions, mais aussi les conséquences ; de pouvoir cerner et expliquer les difficultés rencontrées tout autant que les réussites pour soi et pour les personnes apprenantes. Enfin, on pourrait ajouter que l’analyse de sa pratique a avantage à être réalisée avec des collègues afin de la confronter à d’autres analyses, de connaître d’autres façons de faire ainsi que d’autres manières d’analyser sa pratique. Toutes ces actions permettent de construire son modèle de pratique, mais aussi de s’en donner une représentation dans une visée de cohérence entre croyances et pratiques, entre pensées et actions (Lafortune et Fennema, 2003 ; Lafortune, 2004a ; Thagard, 2000). Ainsi, réfléchir et analyser ses actions conduisent à des modifications dans les pratiques dans le sens des fondements du changement à mettre en œuvre.
2e composante – Passer à l’action Dans une démarche de pratique réflexive, le passage à l’action est nécessaire pour traduire le niveau de réflexion et la pertinence de l’analyse. Le passage à l’action suppose des prises de conscience approfondies au point de susciter des changements qui perdurent. Ce passage à l’action est lié au processus de transposition issu de la réflexion et de l’analyse et mène à des retours sur les actions autant individuellement que collectivement afin de susciter des interactions, des confrontations (et non des affrontements) et des régulations pour des actions ultérieures. Au cours de réflexions et d’analyses à propos de sa pratique, la praticienne ou le praticien réflexif se pose des questions sur ses pratiques antérieures et envisage des changements qui pourraient se traduire par des actions au cours de sa prochaine intervention. Plusieurs personnes en viennent à dire : « je ne peux pas croire que je n’ai pas fait cela auparavant » ou « je vais utiliser ce qui a été fait ou élaboré aujourd’hui pour le transposer dans ma pratique ». Cependant, dans la pratique, des impératifs font oublier ce qui était prévu et les réflexions et analyses ne se traduisent pas toujours dans des actions. À d’autres moments, certaines prises de conscience se traduisent en changements dans les actions à court terme, mais ne sont pas viables à plus ou moins long terme. En considérant ces constatations dans l’accompagnement d’une pratique réflexive, il devient
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nécessaire de prévoir des actions et surtout des retours sur ces actions. C’est une façon de se donner des défis réalistes, de les réaliser et de s’interroger sur ces réalisations. De plus, si les actions n’ont pu être réalisées, cela aide à examiner les facteurs qui ont freiné le passage à l’action. Cependant, il est nécessaire de ne pas juger le contenu des actions prévues et encore moins le fait qu’elles n’ont pas été réalisées. Il est nécessaire de procéder à plusieurs reprises à ces phases de réflexion, d’analyse ainsi que de transposition pour des passages à l’action et des retours, avant de passer à la troisième composante qui suppose le développement de son modèle de pratique et l’explicitation de ses conceptions liées à son activité professionnelle ou à l’accompagnement de personnes intervenantes ou accompagnatrices. Un modèle qui décrit l’état de sa pratique réflexive a avantage à être présenté à des collègues. Ce modèle évolue au fil du cheminement professionnel en étant réexaminé à différents moments pour analyse, remise en question et régulation, si nécessaire.
3e composante – Développer son modèle de pratique La pratique réflexive consiste aussi à construire ou à adapter son propre modèle de pratique (voir Lafortune et Deaudelin, 2001). Cette construction ou adaptation comprend trois éléments : concevoir et élaborer une description et une explicitation de sa pratique ; pouvoir présenter les aspects théoriques et pratiques menant à des actions particulières ; s’inspirer de modèles existants et les adapter pour les réorganiser dans une représentation cohérente (texte, schéma, tableau, dessin, catégorisation, énumération de caractéristiques, de principes, etc.). Ce type de travail de construction et de représentation exige une réflexion approfondie sur sa pratique ainsi qu’une analyse de ses croyances (conceptions et convictions) qui soient en lien avec les actions posées. L’aspect inhabituel et complexe de ce processus exige un accompagnement de groupe et un engagement de la part de la personne accompagnatrice à effectuer ellemême un tel processus et à développer une expertise pour une telle forme d’accompagnement (Lafortune, 2005a, b, 2007a).
MODÈLE
DE PRATIQUE
En éducation, par exemple, le modèle de pratique correspond en quelque sorte à la vision qu’un professionnel ou une professionnelle se fait de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’évaluation. Dans l’accompagnement d’un processus de changement comportant des éléments de prescription, le modèle de pratique comprend non seulement la représentation que la personne se fait de l’accompagnement de ce changement mais aussi les
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fondements théoriques, les visées et les orientations du changement qu’elle a intégrés ou qu’elle est en voie d’intégrer à son modèle de pratique. Le modèle de pratique guide l’ensemble des décisions qu’elle prend et des gestes professionnels qu’elle accomplit lorsqu’elle accompagne des personnes. En élaborant son modèle de pratique d’accompagnement d’un changement, la personne organise les représentations, les valeurs, les attitudes et les savoirs qui vont orienter son action professionnelle. Elle organise son modèle à partir de connaissances théoriques, mais aussi à partir de son expertise (formations et expériences), des difficultés rencontrées dans l’accompagnement et de l’analyse qu’elle en fait (CohenAzria, Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2007).
MODÉLISATION La modélisation (modéliser) traduit le processus de construction réalisé par la personne accompagnatrice, qu’elle ajuste ou modifie en fonction de sa culture, liée à son champ d’expertise, et de son expérience d’accompagnement. En s’engageant dans un processus de changement, la personne accompagnée va également continuer à transformer et adapter son propre modèle de pratique. Il constitue en quelque sorte le point de départ (connaissances antérieures) à partir duquel, elle va aborder et comprendre le changement.
MODELAGE Dans l’accompagnement, ce processus de construction se fait en interaction avec la personne accompagnatrice, mais aussi avec les autres personnes du groupe. La personne accompagnée va observer la conduite de la personne accompagnatrice qui, par sa manière d’intervenir, « se donne en exemple ». Elle actualise, en paroles et en actions, son modèle de pratique. Lorsqu’elle verbalise son processus en action (réflexions, stratégies, ajustements) ou souligne certaines actions aux personnes qu’elle accompagne, la personne accompagnatrice « fait du modelage », elle fournit un exemple en action. Elle réfléchit à voix haute dans l’action, se pose des questions, annonce ses intentions, motive ses décisions ou ses choix d’action. Elle rend ses stratégies visibles pour en favoriser la compréhension, mais aussi pour éventuellement inciter d’autres personnes à les utiliser. Enfin, elle aide les personnes accompagnées à voir comment les stratégies utilisées peuvent se transposer à de nouvelles situations d’accompagnement ou avec différents personnels visés par le changement (Raynal et Rieunier, 1997).
Pratique réflexive
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Idéalement, la modélisation aurait avantage à être antérieure au modelage, car pour fournir un exemple en action, il est préférable d’avoir construit son modèle de pratique ou d’être en voie de le faire ou d’en avoir intégré les gestes professionnels en développant ses compétences et sa culture liée à son champ d’expertise. Dans la pratique, la personne accompagnatrice ne précise pas toujours quel modèle guide son action. Cela peut mener à un exemple en action qui ne présente pas toujours une cohérence entre ce qui est présenté dans cette mise en exemple et ce qui est fait par la suite. Cependant, la démarche d’accompagnement, grâce à sa perspective interactive, favorise la construction d’un modèle de pratique à partir des actions par les questions et réactions des personnes accompagnées. Ce modèle, même s’il repose sur des assises relativement bien affirmées, va continuer à se transformer tout au long de la vie professionnelle. Dans le contexte d’un changement majeur et prescrit, ces fondements sont souvent remis en question, c’est pourquoi l’accompagnement professionnel suscite des déstabilisations à cause des exigences du changement alors que certaines personnes vivent le passage plus facilement puisqu’elles peuvent s’inscrire, à des degrés divers, dans le mouvement initié par le changement. La réussite de la mise en place d’une pratique réflexive est influencée par plusieurs facteurs en relation avec les personnes accompagnées, la ou les personnes accompagnatrices et les circonstances particulières de l’accompagnement. Les personnes accompagnatrices : ! leur propre engagement dans une pratique réflexive ; ! leur façon de mener l’accompagnement ; ! leurs attitudes vis-à-vis des personnes accompagnées, la vision de leur pratique et du changement ; ! les situations d’accompagnement choisies. Les personnes accompagnées : ! leur degré d’engagement ; ! leur intention de passer à l’action ; ! leur façon d’envisager le changement de leurs pratiques ; ! leurs priorités personnelles ou professionnelles. Les circonstances particulières : ! les exigences de l’institution, de l’organisation, de l’entreprise ; ! les exigences de la direction ;
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! les exigences des personnes accompagnatrices et accompagnées ; ! les situations ou dispositions personnelles d’ordre affectif, social, professionnel, etc. des personnes accompagnatrices et accompagnées ; ! les structures organisationnelles ; ! les ressources matérielles et humaines ; ! le temps accordé à la pratique réflexive. Pour accompagner la pratique réflexive, la personne accompagnatrice s’engage elle-même dans une réflexion sur ses pratiques professionnelles, les analyse et est en mesure d’élaborer son propre modèle de pratique, qu’elle peut situer au regard du changement. La pratique réflexive facilite le processus de changement, le renouvellement des pratiques et le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement. Elle soutient l’organisation des idées, la structuration de la pensée, mais aide aussi à la préparation (planification et anticipation) ainsi qu’à l’évaluation de l’action. En passant d’un mode intuitif à un mode plus réflexif, les personnes instaurent une relation dialogique entre ce qu’elles font, comment elles le font et ce qu’elles ont à construire pour changer, renouveler leurs pratiques et développer leurs compétences professionnelles. Cet engagement dans la pratique réflexive suppose une mise à distance et un regard critique sur son propre fonctionnement, mais aussi une analyse tant individuelle que collective des actions et des décisions prises en cours d’action. Ce regard critique suppose des prises de conscience de ses cohérences, ses incohérences et des écarts qui peuvent exister entre ses pensées et ses actions, ses croyances et ses pratiques.
POUR LA COMPRÉHENSION DES GESTES PROFESSIONNELS ASSOCIÉS À LA COMPÉTENCE 2 Modeler une pratique réflexive dans l’accompagnement d’un changement suppose des gestes professionnels et des actions. Voici les principaux gestes professionnels ainsi que certaines actions qui permettent de mieux circonscrire cette compétence : ! adopter et susciter une pensée et une posture réflexives ; ! intégrer la pratique réflexive à son modèle de pratique ; ! dégager son modèle de pratique.
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Adopter et susciter une pensée et une posture réflexives L’engagement vers le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement se traduit dans le rapport qu’on entretient avec soi-même, auprès des personnes accompagnées, mais aussi auprès de collègues. Les autres deviennent un « miroir réfléchissant ». Ils remettent en question les idées, nuancent les propos, mènent à entrevoir de nouvelles pistes de réflexion et d’action. Leurs réflexions soulèvent des questions, suscitent le doute ; elles peuvent même aller jusqu’à ébranler ses idées, croyances, représentations et pratiques professionnelles. Cette opération de mise à distance – de confrontation et de remise en question – conduit à la précision ainsi qu’à la clarification de sa pensée. Cette dernière devrait idéalement s’arrimer à ses actions en régulant sa pratique en conséquence, mais au-delà de certaines contradictions que ce cheminement peut amener, la personne qui se place dans un processus d’apprentissage ou de changement va vivre des déséquilibres importants. Ces derniers peuvent mettre en relief des incohérences ou creuser un écart entre ce que la personne pense et ce qu’elle fait. Pourtant, si elle ne prend aucun risque, elle ne peut pas modifier sa pensée ni ses pratiques. Ces errements sont même une condition préalable au changement. Dans une démarche d’accompagnement, autant les personnes accompagnatrices que celles qui sont accompagnées s’engagent à réfléchir à leur pratique, mais aussi à celles qui ont cours dans leur milieu pour les soumettre à la discussion au regard des pratiques associées au changement. En effet, les personnes échangent parfois des idées, mais il n’est pas habituel d’accepter de soumettre à la discussion ses actions professionnelles dans le but d’aller vers un changement de pratique. L’innovation de la démarche réside également dans l’analyse des actions réalisées ou à réaliser dans l’éventualité d’avoir peut-être à les remettre en question, d’avoir à les confronter à des croyances (conceptions et convictions) en vue de faire des changements plus ou moins majeurs par rapport aux pratiques antérieures. C’est plutôt rare d’avoir à vivre ce genre de situation et encore plus de le faire en respectant les autres. Les régulations se font souvent graduellement, par touches successives, puisque le modèle évolue au fil de la réflexion. Cette réflexion se construit avec d’autres mais aussi à l’aide des adaptations que les personnes font entre la démarche d’accompagnement et les actions qu’elles posent dans leur milieu entre les rencontres. Elles peuvent ainsi expérimenter, analyser et ajuster certains aspects associés à l’accompagnement du changement à mettre en œuvre. Elles sont en mesure d’observer, de
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discuter des problématiques et des questions posées et peuvent s’approprier davantage le changement pour mieux réaliser leur accompagnement. Le développement d’une pratique réflexive suppose des prises de conscience qui font évoluer les modèles professionnels ainsi que les pratiques vers une transformation qui devrait normalement mener à une amélioration. Ces actions mènent à l’adoption d’une pensée et d’une posture réflexives qui, dans l’accompagnement, suppose le fait de mener les autres à le faire.
Intégrer la pratique réflexive à son modèle de pratique L’accompagnement peut favoriser le développement de communautés de pratique et d’apprentissage. La fréquence et la continuité des rencontres amènent les personnes à mieux connaître leurs forces, leurs intérêts, mais aussi leurs limites. Elles échangent aussi des stratégies, des moyens d’action et des expertises. Un tel accompagnement suppose des moments d’observation et de réflexion. Cette réflexion sert à l’action et, inversement, l’action peut aussi faire réfléchir les personnes. Elles peuvent également dégager des amorces de théorisation à partir de leur réflexion. À chaque fois qu’on aborde la question du temps accordé à la réflexion, les interrogations fusent de toutes parts. Des expressions comme « prendre le temps de… » ou « se donner le temps de… » méritent de remplacer une expression comme « perdre son temps » à cause de la réflexion. En accompagnement, la réflexion n’est pas nécessairement un frein à l’action. La réflexion peut mener à l’action et l’action est souvent issue de la réflexion. La réflexion peut se faire en cours d’action ou après. La réflexion et l’action sont présentes, complémentaires et contribuent à la démarche d’accompagnement. La complémentarité entre réflexion et action est utile pour la mise en œuvre d’un changement comme celui qui mène au développement de compétences. On peut considérer que pour développer un savoir-agir compétent permettant de mobiliser des ressources de divers ordres, de les mettre en relation, de les utiliser efficacement dans différentes situations plus ou moins inédites ; de faire des ajustements en action et de réinvestir ce savoir-agir pour devenir compétent ou démontrer son niveau de développement de compétence, il devient nécessaire d’entretenir un dialogue entre la réflexion et l’action en effectuant des moments d’arrêt, en réfléchissant, en prenant du recul, en faisant des échanges, des confrontations, en discutant. L’accompagnement socioconstructiviste peut favoriser le développement de ce rapport dialogique.
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Susciter des conflits sociocognitifs, les reconnaître dans l’action et savoir en tirer parti peut également nourrir la réflexion et l’action associées au changement. La perspective socioconstructiviste suppose une préparation (anticipation et planification) des interventions avec l’intention de susciter des conflits sociocognitifs. Outre cette préparation, il s’agit de pouvoir les reconnaître dans l’action, mais d’en tirer également parti. Cette mise à profit suppose que les personnes accompagnées prennent conscience de ce qui se passe au cours de l’action tout en conservant une certaine distance au regard de l’action. Au début, cette mise à distance est créée par la personne accompagnatrice qui guide les personnes qui prennent peu à peu le relais en intériorisant cette façon de faire et en l’effectuant avec de plus en plus d’autonomie. Cette mise à distance permet de voir l’action en train de se faire et sensibilise les personnes aux moyens utilisés pour transposer cette action dans leurs propres gestes d’accompagnement (Lafortune et Lepage, 2007). Un conflit cognitif survient lorsque de nouvelles informations sont en contradiction avec ou différentes de celles qui faisaient partie du répertoire cognitif d’un individu. Ces nouvelles données mènent à remettre en question les connaissances construites, car elles apportent de nouveaux éléments de compréhension ou des précisions qui amènent des modifications dans les représentations. Ce nouvel éclairage oblige à faire des ajustements, à nuancer ses idées, ses croyances, ses représentations, ses pratiques à propos d’un objet d’apprentissage. L’accompagnement aide à apprendre à susciter des déséquilibres cognitifs qui ébranlent les croyances et les pratiques. Il aide également à apprendre à reconnaître ses propres conflits cognitifs et à faire vivre des expériences de tels déséquilibres. Apprendre à négocier avec ce type de conflit aide à ne plus éprouver de malaise lorsqu’on en fait vivre à d’autres personnes. Apprivoiser ce malaise permet de mieux comprendre comment on apprend et de percevoir le conflit comme une expérience positive qui favorise l’apprentissage. Faire vivre des conflits cognitifs exige d’avoir une certaine dose de confiance en soi pour être capable de recevoir les réactions des personnes placées en état de déséquilibre cognitif. En parlant du processus d’apprentissage, certains auteurs parlent de conflits cognitifs (Piaget, 1974), alors que d’autres parlent plutôt de débats sociocognitifs (Favre, 2001), de dialogue cognitif (Barth, 1993) ou de conflits sociocognitifs (Bednarz et Garnier, 1989). Il s’agit là de façons de favoriser l’apprentissage qui ouvrent la voie à la construction de nouvelles connaissances qui peuvent faire progresser les personnes dans leur processus de changement. Le dialogue cognitif suppose l’établissement d’une relation dialogique entre ce qui est connu déjà (ressources internes) et de
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nouvelles connaissances (ressources externes) et qui peuvent provenir de différentes ressources (humaines ou matérielles). Sans être placée en situation déstabilisante, la personne effectue de multiples allers et retours entre ses connaissances antérieures et nouvelles. Elle régule ses connaissances au rythme de la construction qui s’échafaude dans l’acte d’apprentissage. Cela favorise un approfondissement ou une modification de ses représentations par petites touches successives ; l’apprentissage se fait donc par un effet intégratif. Avec le débat sociocognitif, la contribution de l’autre ou des autres se fait de façon encore plus percutante. En effet, la personne qui cherche à s’exprimer de manière cohérente pour se faire comprendre des autres, s’expose à différents avis et s’attend à entendre des avis qui peuvent être très différents du sien ; elle s’engage dès lors « à les accepter comme des hypothèses provisoires » (Favre, 2001, p. 14). Le débat sociocognitif est un espace de discussion ouvert à la confrontation des idées qui reposent sur une argumentation et une justification des points de vue. Selon la qualité de l’échange et le caractère convaincant de l’argumentaire, la personne peut décider de consolider ou non son hypothèse personnelle. Elle peut aussi changer d’idée, de croyances et de représentations ou encore continuer à y réfléchir si elle a été passablement ébranlée, mais que la preuve n’est pas tout à fait satisfaisante. Si le déséquilibre est trop grand, elle peut aussi décider d’y penser et de reporter sa décision à plus tard. Ce délai lui permet d’intégrer les nouvelles données et de reconstruire ses connaissances sur de nouvelles assises. Pour susciter la pratique réflexive et l’engagement, les personnes accompagnatrices développent l’art du questionnement : elles planifient des moments de réflexion, font des entretiens d’accompagnement et des retours réflexifs. Elles soulignent l’importance de garder des traces pour témoigner de la démarche, des prises de conscience réalisées, mais aussi pour voir la progression des groupes dans la mise en œuvre du changement. Elles développent leur manière de questionner pour susciter des prises de conscience et guider les personnes vers l’action et le changement. Analyser ne se limite pas à se demander ce qui a été réalisé, mais aussi à se demander comment cela s’est passé ? Quelles réactions ont été observées ? Pourquoi y a-t-il eu ces réactions ? Quels ont été les apprentissages réalisés ? Qu’est-ce qui pourrait être fait une prochaine fois ? Pourquoi faire ces changements ? L’analyse suppose de garder des traces rassemblées peu de temps après l’action afin que l’action se reflète dans l’analyse.
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La pratique réflexive suppose un réel engagement dans la démarche, mais aussi un respect des trois composantes de la pratique réflexive : 1) réfléchir sur sa pratique et l’analyser ; 2) passer à l’action et 3) développer son modèle de pratique. En plus de réfléchir sur sa pratique professionnelle, il s’agit de porter un regard analytique sur sa pratique. L’analyse suppose l’examen d’un objet ou d’un sujet en le décomposant en ses éléments essentiels afin de comprendre les liens, les manifestations, les causes, les conséquences, les difficultés, les réussites et de pouvoir se donner une représentation de l’ensemble. Appliquer les principes de l’analyse à sa pratique professionnelle consiste à examiner ses actions (interventions, approches, stratégies, formations, etc.), ses compétences, habiletés, connaissances, attitudes, valeurs… pour comprendre les liens, les manifestations, les causes, les conséquences, les difficultés, les réussites… et pouvoir ainsi se donner une vision de sa pratique et d’assurer sa cohérence. Analyser sa pratique est une habileté de pensée complexe qui va au-delà de la description ou d’un échange de pratiques. Dans une démarche d’accompagnement, il peut être intéressant d’analyser des pratiques en se servant de mises en situation. Ces mises en situation permettent aux personnes de se dégager de leur propre pratique et de porter un regard critique sur des pratiques proposées.
Dégager son modèle de pratique La démarche d’accompagnement vise à intégrer la réflexion à son modèle de pratique. En guidant la réflexion des personnes accompagnées, cette démarche cherche à rendre les interventions toujours plus réflexives. Elle entend également assurer le réinvestissement de certains aspects réflexifs dans l’accompagnement et le suivi des groupes. Il s’agit par exemple d’animer des rencontres en proposant une structure qui suscite la réflexion sur sa pratique auprès des adultes qui cheminent dans le processus de changement, auprès de personnes qui résistent au changement ou auprès d’individus qui pensent autrement, etc. Par la pratique réflexive, poser et amener les autres à poser ou à se poser des questions peuvent inciter à l’action et faire progresser le processus de changement. Pour intégrer la pratique réflexive à son modèle de pratique professionnelle, il s’agit de réfléchir, d’observer, d’examiner, d’analyser et de réguler sa manière d’intervenir en situation : avant, au début, pendant, à la fin et après l’action. Ces actions demandent de porter attention à sa pratique professionnelle, à ce qui est fait et à sa manière de le faire.
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Par exemple, s’observer, se questionner, questionner les autres, examiner sa façon de donner la parole, se demander comment on reçoit la critique, observer sa façon de s’ajuster dans l’action, etc. La mise en œuvre d’un changement qui vise le développement de compétences est synonyme d’un renouvellement de pratiques. Pour certaines personnes, le changement soulève beaucoup de questions. Il peut aussi générer beaucoup d’incertitudes jusqu’à remettre en question le leadership des personnels qui accompagnent d’autres personnels. L’accompagnement fait émerger toute l’importance et la richesse de la pratique réflexive. Elle favorise le renouvellement nécessaire des pratiques, le développement du jugement professionnel, l’analyse de stratégies et de moyens utilisés dans l’accompagnement, le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement. C’est pourquoi, il importe d’encourager et de susciter la pratique réflexive. La pratique réflexive est une démarche individuelle qui conduit à un niveau élevé d’engagement. Elle incite à se dépasser, à approfondir une réflexion et à porter un regard réflexif sur sa pratique professionnelle ce qui mène à une présence dans l’action, à ce qui se fait, aux réactions des autres, à d’autres façons de faire. L’accompagnement de la pratique réflexive suppose que la personne accompagnatrice est elle-même engagée dans cette pratique. Le modelage qui fournit un exemple en action est un moyen pour en inciter d’autres à adhérer à la pratique réflexive. La réflexion sur ses pratiques professionnelles et leur analyse aident la personne à dégager son propre modèle de pratique. Ce modèle fournit une conceptualisation de sa vision de l’agir professionnel puisqu’il en dégage les principales caractéristiques, explique ces caractéristiques et donne des exemples d’actions qui le rendent concret. Il peut prendre la forme d’un schéma, d’un texte, d’un réseau de concepts… Cependant, toute représentation graphique de sa pratique mérite des explications pour préciser les liens avec le changement à mettre en œuvre. Fournir un modelage de son intervention par la pratique réflexive signifie être en mesure de se donner en modèle – et non pas de fournir un modèle – afin d’aider les personnes accompagnées à s’engager dans une telle pratique. Développer et susciter une pensée et une posture réflexives suppose l’utilisation de moyens comme la rétroaction, apprendre à garder des traces et à donner la pratique de garder des traces ; la pratique du questionnement autant sur des aspects conceptuels et matériels qu’organisationnels ; l’amélioration de la culture liée à son champ
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d’expertise. Dans l’accompagnement, il s’agit d’utiliser des moyens pour soi, mais aussi de faire émerger l’utilité, voire la nécessité, pour les autres de le faire. En conclusion, « modeler une pratique réflexive dans l’accompagnement d’un changement » s’avère nécessaire pour deux raisons principales. D’abord, demander à des personnes accompagnées de s’engager dans une pratique réflexive sans le faire soi-même comporte un risque d’incohérence, car il peut y avoir un écart entre ce que la personne pense et ce qu’elle fait, et cela finit par transparaître dans les gestes professionnels qu’elle pose. Cela signifie qu’il est nécessaire de modeler (de fournir un exemple en action) une pratique réflexive. Ensuite, ce modelage permet d’accompagner l’engagement dans une pratique réflexive des personnes accompagnées, de les soutenir dans la réflexion, le passage à l’action et l’analyse, mais aussi dans l’élaboration du modèle de pratique de chaque personne accompagnée en respectant leur cheminement, leurs pensées et actions différentes des siennes tout en questionnant les pratiques en fonction des orientations du changement prescrit.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
QUESTIONS DE RÉFLEXION associées à la compétence 2
En cours ou en fin d’action
En début ou en cours d’action
« Modeler une pratique réflexive dans l’accompagnement d’un changement » ! ! ! !
Que signifie avoir son modèle de pratique professionnelle ? Que signifie modéliser une pratique réflexive ? Que signifie modeler sa pratique réflexive ? Que signifie accompagner une pratique réflexive ?
! En quoi une pratique réflexive est-elle nécessaire à la mise en œuvre d’un changement ? ! En quoi modeler une pratique réflexive peut-il être favorable à l’engagement des personnes accompagnées dans cette démarche ? ! Comment le fait de s’engager dans une pratique réflexive peut-il favoriser le développement de compétences professionnelles à l’accompagnement ? ! Comment susciter l’engagement dans une pratique réflexive lorsque le changement est prescrit et qu’il est de grande envergure ? ! Qu’est-ce qui permet de s’assurer de son engagement et de l’engagement des autres dans une pratique réflexive ? ! Quels sont les avantages de modéliser sa pratique et de rendre compte de son modèle de pratique à des collègues ? Aux personnes accompagnées ?
COMPÉTENCE
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Prendre en compte la dimension affective dans l’accompagnement d’un changement
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
3 PRENDRE EN COMPTE LA DIMENSION AFFECTIVE DANS L’ACCOMPAGNEMENT D’UN CHANGEMENT
GESTES PROFESSIONNELS 1. Agir en tenant compte de la dimension affective dans une perspective cognitive. 2. Se connaître sur le plan affectif en situation d’accompagnement. 3. Reconnaître les réactions affectives en cours d’action. 4. Comprendre le rôle de la dimension affective et amener les autres à le comprendre. 5. Mettre en œuvre des stratégies liées à la compréhension du rôle de la dimension affective en situation d’accompagnement. 6. S’engager dans une pratique réflexive liée à la dimension affective de l’accompagnement.
ACTIONS
Dimension affective
COMME PERSONNE ACCOMPAGNATRICE ! ! ! !
Anticiper les réactions affectives. Faire des choix qui favorisent le succès dans la démarche. Reconnaître les causes des réactions affectives. Faire montre d’ouverture et d’empathie face aux réactions affectives. ! Planifier des stratégies pour rétroagir à la dimension affective. ! Développer son modèle de pratique en considérant l’influence de la dimension affective dans le cheminement des personnes et des groupes.
POUR AGIR AUPRÈS DE PERSONNES ACCOMPAGNÉES ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
Comprendre les réactions affectives associées au processus de changement. Réagir à ce qui se passe en situation d’accompagnement. Accueillir et comprendre les réactions affectives. Agir en fonction des réactions affectives. Utiliser la dimension affective comme un levier pour accompagner le changement. Reconnaître les manifestations de réactions affectives. Cerner les causes de ces réactions. Entrevoir des solutions et des moyens pour réguler ces manifestations. Utiliser un vocabulaire approprié aux manifestations de la dimension affective. Interpréter les réactions au regard de sa culture professionnelle.
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CONTEXTE CONCEPTUEL DE LA COMPÉTENCE 3 La prise en compte de la dimension affective dans l’accompagnement d’un changement est nécessaire pour comprendre les réactions affectives qui émergent en situation de changement, surtout si ce dernier suscite des déséquilibres cognitifs et des remises en question qui peuvent être fondamentales. Dans la mise en œuvre d’un changement et dans l’accompagnement qui se veut une relation professionnelle, la prise en compte de la dimension affective est abordée dans une perspective cognitive. Cela signifie comprendre ce qui se passe dans l’action, en évitant de se laisser envahir par les réactions affectives qui émergent, exercer une certaine mise à distance afin de réagir en faisant des choix éclairés qui gardent une continuité et une cohérence à l’ensemble de la démarche. Cette perspective suppose une connaissance de soi en situation émotionnelle intense, une anticipation des réactions affectives lors de la préparation d’une intervention et une prévision d’ajustements possibles dans l’action. Comprendre les réactions affectives implique autant la dimension cognitive que la dimension affective. C’est une expertise qui se développe en situation, tout en y alliant la théorie. La compréhension des réactions affectives en cours d’action et la reconnaissance des manifestations (les siennes et celles des autres) permettent de mieux comprendre les résistances des personnes qui sont accompagnées et de réguler son action en conséquence (Lafortune et Lepage, 2007). Une pratique réflexive liée à la dimension affective de l’accompagnement favorise l’engagement tant des personnes accompagnatrices que des personnes accompagnées dans l’accompagnement d’un processus de changement. Dans une démarche d’accompagnement, la personne accompagnatrice joue différents rôles pour favoriser la mise en œuvre du changement. Ces différents rôles l’amènent à agir, à observer ce qu’elle fait, à réguler ses interventions dans l’action, à fournir un exemple en action, à susciter des prises de conscience de ce qu’elle fait et à montrer des façons de transposer ce modelage dans les actions des personnes accompagnées. Ces rôles influencent les actions d’accompagnement. Une démarche d’analyse des interventions réalisées dans un projet d’accompagnement (Lafortune, 2004b) fait ressortir trois niveaux (pour plus d’explications, voir Lafortune, St-Pierre et Martin, 2005) liés à la prise en compte de la dimension affective : 1) la présence affective ; 2) le modelage affectif ; 3) l’instrumentation affective. Ces trois niveaux s’expliquent comme suit :
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1. Présence affective : Tenir compte de la dimension affective auprès des personnes formées à l’accompagnement ou des personnes accompagnées. Ce premier niveau fait référence aux interventions menées dans la démarche d’accompagnement qui font en sorte que la dimension affective de l’expérience vécue par ces personnes est prise en compte directement. Par exemple, s’ajuster dans l’action lorsque des résistances ou des plaisirs sont observés. 2. Modelage affectif : Montrer qu’on tient compte de la dimension affective dans l’intervention auprès des personnes accompagnées. Ce deuxième niveau fait référence à une mise à distance effectuée dans l’action afin que les personnes accompagnées prennent conscience que la dimension affective est prise en compte et pour que ces personnes puissent mieux en tenir compte dans l’accompagnement qu’elles réalisent dans leur milieu. Par exemple, montrer que l’on est en train de s’ajuster dans l’action compte tenu de ce que l’on perçoit des interactions qui ont cours dans le groupe. C’est une sorte de verbalisation de ses actions pour les expliquer, pour permettre aux personnes accompagnées d’en prendre conscience. 3. Instrumentation affective : Donner des idées pour tenir compte de la dimension affective dans des actions ultérieures. Ce troisième niveau fait référence à des idées d’intervention fournies dans l’action en faisant des liens avec ce qui est réalisé dans la démarche d’accompagnement en cours. Par exemple, donner des moyens de s’ajuster dans l’action lorsque l’on perçoit des résistances ou des ouvertures. C’est en quelque sorte fournir des moyens de tenir compte de la dimension affective en s’assurant que ces derniers aient du sens et soient rattachés à ce qui s’est passé ou se passe. Ces trois niveaux montrent qu’il n’est pas simple d’accompagner des personnes qui ont à mettre en œuvre un changement qui comporte un contenu (par exemple, un programme défini en termes de compétences), mais qui suscite des émotions autant de crainte que de plaisir, incitant au retrait, à la curiosité ou à l’engagement. Certains moyens précis peuvent aider à accompagner la réflexion à propos de la prise en compte de la dimension affective dans une perspective cognitive. Voici des exemples de moments de réflexion ou des bases de discussion qui peuvent servir à interagir avec les personnes accompagnées.
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! Demander de décrire une situation où l’accompagnement du changement a fait émerger ou pourrait faire émerger des émotions. Préciser les émotions en cause, donner les manifestations observées et préciser les causes possibles de l’émergence de ces émotions. ! Demander de préciser ce qui, dans l’accompagnement d’un changement, pourrait faire émerger des réactions affectives agréables, des réactions désagréables. Se poser des questions comme les suivantes : en quoi une réaction affective désagréable peut-elle favoriser l’accompagnement ? En quoi une réaction affective agréable peut-elle être défavorable à l’accompagnement ? ! Dans la perspective d’une intervention où différentes expériences passées, liées à un contexte semblable, permettent de penser que ce sera très difficile, demander quelles réactions affectives pourraient émerger ? Demander de nommer trois stratégies considérées comme étant efficaces ou comme étant inefficaces, pour tenir compte de la dimension affective dans une telle circonstance. ! À la suite d’une intervention considérée comme un échec, quelles réactions affectives ont émergé ? Demander de nommer trois stratégies considérées comme pouvant être efficaces ou inefficaces, pour tenir compte de la dimension affective dans ce genre de circonstances. ! Des questions comme les suivantes peuvent être intégrées à un questionnaire introduit par la description de l’intervention : Quelles réactions affectives sont en cause (reconnaissance) ? Quels aspects ont fait émerger ces réactions affectives (causes) ? De quelle façon l’émergence de ces réactions affectives a-t-elle été prévue (anticipation) ? Pourquoi ces réactions affectives ontelles émergé (causes) ? Comment ces réactions affectives ont-elles influencé l’intervention (conséquences) ? De quelle façon les réactions affectives ont-elles été prises en compte (solutions) ? Ces propositions s’inscrivent dans une perspective cognitive de la prise en compte de la dimension affective. Cette vision est sous-jacente à ce référentiel et à cette compétence. Pour tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive, il est nécessaire de connaître ce qu’est cette dimension affective et ses composantes : les attitudes, les émotions, le concept de soi, les croyances attributionnelles de contrôle, l’engagement et les croyances. Ces composantes sont expliquées et adaptées à l’accompagnement d’un changement.
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Tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive Tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive suppose d’exposer la situation, de la décrire, de reconnaître les composantes de la dimension affective en cause, de pouvoir énoncer les causes et conséquences de ce qui se déroule ou s’est déroulé dans l’action. Bien reconnaître ce qui se passe mène à se donner des moyens de prendre en compte les réactions affectives qui émergent et à tirer profit de l’expérience afin d’adapter les solutions à d’autres contextes en fonction de ses propres réactions affectives, de celles des autres et de celles qui émergent de l’interaction. Tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive suppose une compréhension de l’ensemble de la situation qui permet une mise à distance et une action adéquate pour favoriser le changement.
Attitudes La notion d’attitude fait référence à une prédisposition à agir de manière positive ou négative ; elle dépend souvent des expériences antérieures de la personne apprenante ou intervenante, qui peuvent ici être liées à des expériences de travail, vécues autant dans un cadre professionnel que dans la vie personnelle. Cette conception de l’attitude rejoint la définition de Legendre (2005, p. 138) où une attitude est un « état d’esprit (sensation, perception, idée, conviction, sentiment, etc.), [une] disposition intérieure acquise d’une personne à l’égard d’elle-même ou de tout élément de son environnement (personne, chose, situation, événement, idéologie, mode d’expression, etc.) qui incite à une manière d’être ou d’agir favorable ou défavorable ». Par exemple, certaines attitudes concernent la perception que l’on a de la nature ou de la valeur d’un changement à mettre en œuvre. Ces attitudes peuvent correspondre à une prédisposition d’attirance ou de répulsion, de croyances en l’utilité ou l’inutilité de ce changement.
Émotions Pour Legendre (2005, p. 555), une émotion est une « réaction affective intense ». Citant Davidson et Ekman (1994) et Frijda (1986), Niedenthal, Dalle et Rohmann (2002, p. 146) définissent l’émotion comme « une réaction aiguë et brève, provoquée par un stimulus particulier connu, et caractérisé par un ensemble cohérent de réponses cognitives et physiologiques ». Ils soulignent que « bien que les théoriciens ne s’accordent pas sur le nombre d’émotions de base, cinq émotions [ressortent] : il s’agit de la tristesse, la colère, la joie, le dégoût et la peur » (p. 148).
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À l’occasion de la mise en œuvre d’un changement, différentes émotions peuvent émerger. Par exemple, l’anxiété peut se manifester à trois degrés différents : 1) l’inquiétude, 2) le malaise et 3) la peur. 1) L’inquiétude montre une préoccupation pour le changement à réaliser dans les pratiques ; des interrogations peuvent alors limiter l’engagement à passer à l’action. On peut dire qu’il s’agit d’une prédisposition intérieure (une attitude) plutôt négative qui démontre une certaine appréhension. Cette inquiétude est construite à partir d’expériences antérieures plus ou moins positives ou de croyances et de préjugés à propos du changement et de la valeur qu’on lui accorde. 2) Le malaise émerge au cours de la mise en œuvre du changement, il se manifeste par des tensions qui peuvent même parfois être difficiles à supporter, ce qui peut mener à peu d’engagement et à éviter certaines modifications. Le malaise peut survenir en situation de discussion ou d’élaboration d’expériences à réaliser et peut rappeler des moments difficiles déjà vécus. 3) La peur, quant à elle, est de plus grande intensité et mène à l’évitement ; elle crée des tensions insupportables. La crainte de changer, lorsqu’elle est intense, est difficile à surmonter ou à accompagner afin de mener à une collaboration1. Des émotions peuvent être plutôt agréables et relever du plaisir à changer. Ce plaisir fait référence à la satisfaction, au contentement qui peuvent être ressentis, en éducation par exemple, à élaborer des situations d’apprentissage-évaluation, à analyser une expérience, à discuter de pédagogie… Ce plaisir peut se traduire par un bien-être ressenti au cours d’une expérience collective. Par exemple, ce plaisir peut mener à exprimer spontanément son appréciation du travail de collaboration, du résultat du travail d’équipe ou de l’apport des collègues dans la réalisation collective (Lafortune, Mongeau, Daniel et Pallascio, 2000).
Concept de soi Legendre (2005, p. 266) définit le concept de soi comme l’« ensemble des perceptions et des croyances qu’une personne a d’elle-même, ainsi que les attitudes qui en découlent ». Le concept de soi correspond à la représentation que l’individu a de lui-même par rapport à sa capacité d’accomplir une tâche. C’est une notion reliée à l’estime de soi et des auteurs et auteures considèrent que ces deux expressions font référence à une même réalité. 1.
Cette réflexion sur les émotions provient principalement de Lafortune (1992a, b) où l’anxiété à l’égard des mathématiques a été étudiée selon trois degrés comme l’inquiétude, le malaise et la peur. Ces trois degrés ont été transposés au travail en équipes de collègues selon les observations et les résultats de Lafortune (2004a) (voir Lafortune, 2007b, c). Ici, ils sont adaptés aux réactions affectives à l’égard de la mise en œuvre d’un changement.
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Legendre (2005, p. 617) les distingue : il définit l’estime de soi comme « la valeur qu’un individu s’accorde globalement ». Selon Ruel (1987), le concept de soi se construit à travers les expériences quotidiennes et les comparaisons que l’on fait entre soi et les autres. Les expériences sont perçues d’une certaine façon, interprétées en succès ou en échec, confrontées aux caractéristiques que l’on s’attribue, influencées par les perceptions des autres (ou plutôt par l’idée que l’on se fait des perceptions des autres) et comparées avec ce que l’on perçoit des expériences des autres. On aboutit ainsi à une sorte de synthèse, une image de soi dans un champ d’expérience donné, selon le jugement plus ou moins positif que l’on porte sur cette image (Ruel, 1987). Le concept de soi se manifeste dans la confiance qu’une personne a en sa capacité de réussir une tâche (voir Lafortune et St-Pierre, 1996). Dans la mise en œuvre d’un changement complexe comme le passage de la transmission de connaissances au développement de compétences, le concept de soi fait référence à l’image que l’on a de soi quant à sa capacité de changer et de se donner les moyens de comprendre ce changement. Un certain sentiment de compétence se dégage et il peut être plus ou moins positif quant à la perception de pouvoir répondre aux exigences de cette situation complexe.
Croyances attributionnelles de contrôle En éducation, les résultats d’études à propos des croyances attributionnelles de contrôle indiquent que les élèves qui réussissent mieux attribuent davantage leur succès à leurs propres actions et à des caractéristiques personnelles (Bouffard et Bordeleau, 1997). Cette notion de contrôle exercé sur son apprentissage est implicite dans divers modèles théoriques et appellations (Bouffard et Bordeleau, 1997) : sentiment d’autoefficacité (Bandura, 1977), impuissance apprise (Abramson, Seligman et Teasdale, 1978), contrôlabilité des croyances attributionnelles (Harter, 1982), perception des compétences (Harter, 1982) et croyances de contrôle (Skinner, Chapman et Baltes, 1988). Il peut sembler plus difficile de transposer le concept de croyances attributionnelles de contrôle à la mise en œuvre d’un changement prescrit, surtout si on considère ne pas pouvoir exercer de contrôle sur les éléments du changement à appliquer. Dans ses travaux, Weiner (1979) favorise des situations où les attributions causales sont plutôt contrôlables et internes, ce qui n’est pas le cas de toutes les personnes accompagnées dans la mise en œuvre d’un changement. On peut dire que la personne accompagnatrice devrait relever les problématiques à partir de ce qui peut être changé par les personnes accompagnées (contrôle de causes internes) et non de ce qui ne dépend que de la direction d’un établissement, d’une entreprise ou d’un ministère (causes
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externes). Cela permet de trouver des solutions possibles et réalistes, sans oublier qu’un contexte, des conditions, des ressources favorables sont essentiels pour le passage à l’action.
Engagement L’engagement fait référence au goût ou à l’intérêt manifesté dans les expériences individuelles et collectives à réaliser. Selon l’intérêt manifesté pour le changement à mettre en place, l’engagement pourra être « plutôt faible » ou « très élevé ». Si cet engagement est élevé, les obstacles au changement sont rapidement levés et des solutions sont facilement envisagées. S’il est plutôt faible, les obstacles mènent facilement au retrait, au découragement et à un moindre engagement dans la recherche d’une solution (Lafortune, Mongeau, Daniel et Pallascio, 2000).
Croyances Une croyance à l’égard de l’enseignement et de l’apprentissage, par exemple, est un énoncé ou une opinion qui est tenu pour réel, vraisemblable ou possible. Une croyance peut être une conception ou une conviction. Si elle est une conception, elle réfère alors davantage à la dimension cognitive. Une affirmation de ce type relativement au changement pourrait être : « le changement demandé est irréaliste ». Si une croyance est une conviction, elle fait alors référence à la dimension affective. Un énoncé de ce type pourrait être : « je ne peux m’engager dans un changement que je juge irréaliste ». Il n’est pas nécessairement facile de préciser si une croyance est une conception ou une conviction. Plusieurs croyances réfèrent à ces deux composantes (cognitive et affective) (Lafortune et Fennema, 2003). Une croyance peut être empreinte de préjugés ou d’idées préconçues et ainsi orienter la perception du changement et les attitudes adoptées dans la perspective de le réaliser. Agir en tenant compte de la dimension affective dans une perspective cognitive est en soi un geste professionnel2. Cette expertise se développe en situation. En ce sens, la compréhension des réactions affectives en cours d’action et la reconnaissance des manifestations, les siennes et celles des autres, permettent de mieux comprendre les résistances des personnes qui sont accompagnées et de réguler sa propre action en consé2.
L’idée de tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive dans l’accompagnement d’un changement prescrit est inspirée de Saarni (1999), qui aborde le concept de compétence émotionnelle, et de Pons, Doudin, Harris et de Rosnay (2002), qui traitent de la métaémotion.
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quence. Une pratique réflexive liée à la dimension affective de l’accompagnement favorise l’engagement tant des personnes accompagnatrices que des personnes accompagnées dans un processus de développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement.
POUR LA COMPRÉHENSION DES GESTES PROFESSIONNELS ASSOCIÉS À LA COMPÉTENCE 3 Prendre en compte la dimension affective dans l’accompagnement d’un changement suppose des gestes professionnels et des actions. Voici les principaux gestes professionnels ainsi que certaines actions qui permettent de mieux circonscrire cette compétence : ! agir en tenant compte de la dimension affective dans une perspective cognitive ; ! se connaître sur le plan affectif en situation d’accompagnement ; ! reconnaître les réactions affectives en cours d’action ; ! comprendre le rôle de la dimension affective et amener les autres à le comprendre ; ! mettre en œuvre des stratégies liées à la compréhension du rôle de la dimension affective en situation d’accompagnement ; ! s’engager dans une pratique réflexive liée à la dimension affective de l’accompagnement.
Agir en tenant compte de la dimension affective dans une perspective cognitive Dans l’accompagnement, la prise en compte de la dimension affective dans une perspective cognitive est nécessaire pour comprendre les réactions affectives qui émergent en situation de changement, surtout si ce dernier déstabilise et suscite des remises en question fondamentales. Agir en tenant compte de la dimension affective dans une perspective cognitive signifie comprendre et réagir à ce qui se passe dans l’action, en évitant de se laisser envahir par les réactions affectives. Il s’agit d’exercer une certaine mise à distance afin de réagir en faisant des choix éclairés pour maintenir le cap et assurer une continuité et une cohérence à l’ensemble de la démarche. Cela aide à éviter une réaction qui entraînerait un changement radical sans avoir eu le temps de mesurer l’impact dans
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la progression globale de l’accompagnement. Cette perspective suppose une connaissance de soi lorsque survient une situation difficile. Se préparer à une telle situation peut se faire à partir d’une anticipation des réactions affectives et émotives lors de la préparation d’un entretien, par exemple, et par une prévision d’ajustements possibles à réaliser dans l’action.
Se connaître sur le plan affectif en situation d’accompagnement Accompagner un changement, particulièrement lorsqu’il est prescrit, exige de se connaître sur le plan affectif surtout lorsque des réactions affectives plus ou moins intenses émergent. Se connaître sur le plan affectif réfère à la capacité de reconnaître ses réactions affectives qui se manifestent en situation d’accompagnement et à la capacité de faire des liens avec les événements qui sont la cause de ses réactions affectives. En situation d’accompagnement, la personne accompagnatrice a intérêt à avoir conscience de ses propres réactions affectives dans l’action. Cette prise de conscience lui permet de faire des choix qui favorisent une progression dans la démarche ; elle lui donne également la possibilité de pouvoir s’ajuster dans l’action afin de tenir compte de ses propres réactions affectives ou de celles des personnes accompagnées. De plus, cette prise de conscience favorise la recherche de moyens pour gérer les réactions plutôt que de les nier et d’agir comme si aucune réaction affective n’était en cause. Cette connaissance aide à accueillir les expériences affectives et améliore le sentiment de compétence, ce qui permet de mieux soutenir les personnes accompagnées. Par exemple, accepter que le changement de pratiques professionnelles puisse faire émerger des émotions comme l’anxiété ou le plaisir contribue à l’augmentation du sentiment de compétence à pouvoir vivre les remises en question qui s’avèrent essentielles au passage à l’action dans le changement. Se connaître au plan affectif peut se manifester de deux manières différentes. Dans le premier cas, le sujet reconnaît sa ou ses réactions sans toutefois être capable de cerner la nature ou la cause d’une réaction qui s’est manifestée dans l’action. Alors que, dans l’autre cas, la personne analyse les réactions affectives qui émergent au cours de l’action. L’analyse peut déboucher sur une véritable prise de conscience où la personne va faire des relations entre la réaction et ce qui a pu la provoquer. En plus de dédramatiser la situation et d’éviter que la situation ne dégénère, cette analyse permet de s’ajuster de façon pertinente. Une telle
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analyse se situe à un second niveau. Le premier niveau est caractérisé par le fait que le sujet reconnaît qu’il peut avoir des réactions affectives sans pouvoir déterminer la nature des réactions affectives en cause. À un second niveau, la personne analyse les réactions affectives qui émergent. Cette analyse peut déboucher sur une véritable prise de conscience qui entraînera des mises en relation et le développement de ressources internes pouvant être réinvesties dans d’autres situations.
Reconnaître les réactions affectives Pour accompagner un changement, à la connaissance de soi au plan affectif s’ajoute la connaissance des personnes avec lesquelles on interagit. Cette connaissance aide à anticiper les réactions des personnes et du groupe selon les interventions réalisées. La pratique montre l’importance de bien se connaître au plan affectif. Cette connaissance ne peut cependant être du même ordre lorsqu’il s’agit de bien connaître les autres, car cette connaissance des autres relève davantage d’une interprétation des réactions affectives qui se manifestent avec plus ou moins d’intensité. Cette interprétation peut être plus ou moins juste ou biaisée par d’autres facteurs. Elle exige une certaine mise à distance pour reconnaître les réactions, ce qui se cache derrière ces réactions et y réagir de façon adéquate. L’expérience de mise à distance dans diverses situations, les échanges avec des collègues et l’accueil des réactions affectives aident à comprendre ce qui se passe et à faire des choix d’actions éclairés. Certaines personnes manifestent des réactions affectives intenses en exprimant leur rapport au changement. Ces manifestations vont parfois susciter un malaise dans le groupe, car certaines personnes gèrent avec difficulté les situations qui pourraient devenir conflictuelles. Mais, malgré l’intensité de leurs réactions, celles qui s’expriment ne s’opposent pas nécessairement au changement ou pas plus que d’autres qui ne manifestent pas ouvertement leurs émotions ou leurs résistances. Par ailleurs, les personnes silencieuses pourraient laisser croire qu’elles adhèrent au changement alors qu’elles ne font que taire leurs émotions ou leurs résistances. Cette réaction peut être aussi improductive qu’une réaction affirmée. La personne qui accompagne des individus dans un groupe vise à décoder ce qu’il y a derrière les réactions et elle se donne le moyen d’aller vérifier ses intuitions, en cherchant à connaître, au-delà des manifestations, ce que les personnes pensent ou comprennent du changement. En exprimant leur pensée, les personnes confirment qu’elles se sentent interpellées. Si on va les chercher sur leur terrain, elles perçoivent une ouverture et elles ont le sentiment d’être entendues. Exposer leur point de vue les oblige à prendre position et les amène à s’engager davantage dans la démarche.
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La reconnaissance des réactions affectives en cours d’action suppose de savoir nommer les composantes de la dimension affective qui sont en cause, de préciser les manifestations observées, de clarifier les causes et les conséquences de ces réactions affectives pour entrevoir des solutions à mettre en action. Une meilleure compréhension de ces manifestations facilite le cheminement des personnes et du groupe. Il s’agit de préserver un climat de travail basé sur la confiance et le respect afin de prévenir les décrochages ou les dérives. Contrer l’effet d’entraînement que pourrait exercer certaines réactions négatives et miser plutôt sur les réactions qui font avancer le processus de changement sont des stratégies qui aident à montrer une vision positive et avantageuse du changement.
Comprendre le rôle de la dimension affective et amener les autres à le comprendre Comprendre le rôle de la dimension affective dans l’accompagnement exige la compréhension des réactions affectives des autres comme étant complémentaires à la compréhension de ses propres réactions affectives. Connaître les réactions affectives qui émergent chez les autres aide à comprendre ses propres réactions affectives. Cela montre qu’il importe de se pencher sur le processus de construction des réactions affectives afin d’accepter les limites non seulement de la construction de ses propres réactions affectives, mais aussi de celles des autres. Cet aspect est particulièrement utile dans le contexte d’un changement prescrit, car certaines personnes (à tort ou à raison) soutiennent que ce qui était fait auparavant était très valable. Elles veulent maintenir le statu quo en affirmant que le changement n’est pas nécessaire. Elles résistent de façon « plus ou moins passive » face au changement demandé. Reconnaître qu’il peut émerger chez l’autre des réactions affectives dans un contexte de changement favorise et maintient la communication, ce qui a pour effet de diminuer l’influence négative de la résistance qui traduit la peur de l’inconnu, un sentiment d’incompétence, le désir de ne pas changer ses pratiques, etc. Cette reconnaissance et cette compréhension des réactions affectives des autres mènent à des interventions qui aident les personnes accompagnées à se sentir moins isolées dans ce qu’elles vivent. En maintenant la communication avec celles qui résistent au changement, la personne accompagnatrice les incite à se questionner sur les causes de leur résistance. Lorsqu’elles reconnaissent les raisons ou les causes de leur résistance, ces personnes manifestent une plus grande ouverture au changement. Cette ouverture ne veut pas dire qu’elles acceptent d’emblée le changement, mais elles acceptent au moins d’en discuter avec d’autres. Cependant, une
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meilleure conscience de ses propres réactions affectives est essentielle pour que les comparaisons avec les réactions affectives des autres soient pertinentes et non dévalorisantes. Les réactions des personnes accompagnées ne devraient pas entraver leur cheminement ni nuire à la communication et encore moins à la progression de l’accompagnement. Comprendre le rôle de la dimension affective dans l’accompagnement suppose la reconnaissance et l’interprétation des causes qui ont fait émerger les réactions affectives ainsi que de leurs conséquences. Ce travail d’interprétation peut déboucher sur des prises de conscience qui viennent éclairer le fonctionnement des individus ou du groupe auquel ils appartiennent. Il s’agit de développer des attitudes à l’égard des réactions affectives de l’autre et des autres, ce qui mène la personne à faire preuve d’empathie dans ses relations avec les autres. L’empathie des personnes accompagnatrices à l’égard de celles qui sont accompagnées exige la reconnaissance des réactions affectives des autres (sans qu’il y ait nécessairement verbalisation) pour en favoriser l’explication ou la compréhension par une démarche de questionnement, par exemple. Cela favorise la communication et la compréhension des réactions affectives sans qu’il y ait jugement hâtif de la part de la personne accompagnatrice. Cette empathie peut aider à créer un climat de respect, d’écoute et d’ouverture. L’état affectif interne d’une personne ne correspond pas nécessairement à ce qu’elle exprime. L’empathie permet de comprendre ou d’être sensible à l’écart qui peut exister entre le discours et l’expérience. La personne n’exprime donc pas toujours extérieurement ou clairement ce qu’elle pense ou ressent. Elle agit ainsi parce qu’elle ne peut anticiper une réaction de la part de l’autre ou des autres. Elle peut croire que ce qu’elle pense pourrait avoir des effets négatifs sur elle-même ou sur les autres. Elle peut aussi avoir peur de blesser l’autre ou les autres ou penser que ce qu’elle pense ne va rien changer au processus de changement, etc. Le fait de comprendre ce phénomène ou les enjeux qui sont en présence permet d’améliorer grandement les relations interpersonnelles. Dans une situation d’accompagnement, il y a avantage à porter attention à la différence entre ce que les personnes expriment et ce qu’elles ressentent puisqu’il existe généralement une différence entre les deux. Par exemple, en éducation, cela peut également se remarquer entre les croyances et pratiques liées à l’enseignement, à l’apprentissage et à l’évaluation. Cette différence entre pensées et actions n’est pas dramatique si la personne en a une certaine conscience, même si elle peut parfois nuire aux échanges et occasionner certains blocages. En ce sens,
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l’habileté à comprendre la différence entre l’état affectif exprimé et celui qui est ressenti permet de susciter des prises de conscience par des moyens cohérents et pertinents. La nature des relations et de la communication est souvent influencée par des réactions affectives et particulièrement par le degré de réciprocité et par l’équilibre dans la relation. Les personnes ne communiquent pas toujours leurs réactions et elles ne le font pas toutes de la même façon. Ces différences interfèrent dans leurs relations avec les autres, car elles facilitent ou entravent la communication, c’est pourquoi comprendre les facteurs affectifs en cause et ajuster son intervention en conséquence aide à se rapprocher des personnes accompagnées et à les soutenir pour s’engager dans la démarche. Si la démarche d’accompagnement est basée sur une relation de confiance mutuelle, la dimension affective peut se révéler un levier important pour progresser vers le changement. Dans l’accompagnement, une telle prise de conscience favorise l’écoute des personnes accompagnées et le développement de moyens pour observer l’influence des réactions affectives dans les interactions. Il est vrai que cette prise de conscience oblige à une démarche qui suppose plusieurs regards sur l’accompagnement : ce qui se passe, les réactions affectives en cause, l’influence de ces réactions dans l’interaction, l’explication de leur émergence, la recherche de moyens pour accompagner ces réactions. Et tout cela dans le but de passer à l’action. Une telle démarche suppose de multiples ajustements et permet de garder le cap sur les intentions d’accompagnement.
Mettre en œuvre des stratégies liées à la compréhension du rôle de la dimension affective en situation d’accompagnement Connaître et mettre en œuvre des stratégies supposent l’anticipation et la planification des interventions à réaliser ainsi que des réactions affectives qui peuvent se manifester et des rétroactions à mettre en œuvre dans des situations où des réactions affectives peuvent émerger. À cela s’ajoutent les processus de contrôle (évaluation de ce qui se passe) et de régulation (ajustements dans l’action) de ses propres réactions affectives et de celles des autres dans ce type de contexte. De manière plus particulière, la capacité de réagir à des réactions affectives notamment d’aversion, d’anxiété, de refus ou de détresse en utilisant des stratégies d’autorégulation permet
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de supporter des réactions affectives de grande intensité et pour une assez longue durée. L’exercice de cette capacité suppose le développement de stratégies d’autorégulation qui incitent à des ajustements pendant que les réactions affectives sont ressenties. On peut penser que la capacité de porter un regard sur soi en cours d’expériences affectives est nécessaire pour comprendre ce qui est en train de se passer. Ce regard permet de voir ce qui émerge en cours d’action et d’agir en fonction de ce qui est observé (Lafortune et Martin, 2004). Il devient alors possible de faire ressortir les aspects positifs de réactions affectives supposément négatives comme l’anxiété (Lafortune et Pons, 2004). Dans l’accompagnement, au lieu de nier la présence de réactions affectives (les siennes ou celles des autres), il est préférable de voir l’influence positive de ces réactions affectives ou de collaborer à chercher des moyens d’ajuster son intervention afin d’accepter de s’engager dans une démarche de changement en démontrant soi-même son propre engagement dans cette démarche. Pour mieux choisir les stratégies à utiliser lorsque des réactions affectives émergent, il est important de tenter de comprendre quelles sont les composantes de la dimension affective en présence. Il importe également de cerner les causes et les conséquences de cette manifestation affective, ainsi que de formuler des solutions à envisager afin d’accompagner la dimension affective dans un processus de changement et de susciter l’engagement. La reconnaissance de cette dimension incite les personnes accompagnées à s’engager dans la démarche d’accompagnement ; elle désamorce souvent leurs résistances et contribue à lever les barrières affectives qui nuisent au cheminement de la personne, mais aussi à celui du groupe.
S’engager dans une pratique réflexive liée à la dimension affective de l’accompagnement S’engager dans une pratique réflexive liée à la dimension affective de l’accompagnement d’un changement suppose l’habileté à utiliser le vocabulaire associé aux réactions affectives en s’aidant de mots, d’images, de symboles ou autres pour communiquer son expérience affective aux autres et pour avoir accès aux représentations de ses propres expériences affectives, ce qui aide à les situer dans un contexte et à les comparer aux représentations des autres. Ce vocabulaire favorise la description d’expériences mettant en cause des réactions affectives (agréables ou désagréables) dans une démarche d’accompagnement. Il favorise également les discussions et le partage des réactions affectives. Se limiter à nommer les émotions ressenties, par exemple, ou à les
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
banaliser en les présentant sous forme d’anecdotes n’aide pas à chercher à les expliquer pour mieux les comprendre. Pour favoriser l’expression des réactions affectives dans un vocabulaire approprié, il s’avère nécessaire d’explorer collectivement des moyens d’y réagir dans l’action. Dans une démarche d’accompagnement, ces moyens sont directement associés aux réactions affectives vécues (Quelles réactions affectives ont été vécues lors de telle intervention ?) ou déduits d’un traitement conceptuel des réactions affectives (Quelles réactions affectives pourraient émerger dans tel type de situation ?). Dans une intervention où la dimension affective est en cause et pour comprendre son propre fonctionnement affectif et celui d’autrui, la personne accompagnatrice a avantage à posséder des connaissances théoriques, une expérience pratique et une culture liée à son champ d’expertise suffisamment riche. Cette culture lui fournit des outils, des concepts et des modèles nécessaires pour mener à bien son travail d’interprétation et d’explication. S’engager dans une pratique réflexive consiste à analyser son propre fonctionnement au plan de la dimension affective et celui d’autrui dans des situations où des réactions affectives sont en cause et à développer son modèle de pratique. Cet aspect de la compétence est essentiel. Il permet à la personne accompagnatrice de répondre à des questions telles que : Y a-t-il une différence entre ce qui est exprimé et ce que je pense qui est ressenti ? Y a-t-il une émotion cachée, dissimulée ? Suis-je en train de faire une interprétation abusive des réactions affectives exprimées ou non ? À quel degré, l’émotion est-elle exprimée par rapport à la situation ? Quelles réactions affectives me dérangent le plus ? Pourrais-je intervenir différemment ? Comment pourrais-je être plus efficace, si une situation analogue se présentait ? En conclusion, dans un processus de changement, les personnes accompagnatrices sont souvent confrontées aux effets de la dimension affective dans l’accompagnement. Elles composent avec leurs réactions, mais aussi avec celles des personnes accompagnées. Ces situations s’avèrent souvent déstabilisantes, mais elles ne peuvent cependant pas être ignorées, car elles finissent toujours par influencer, positivement ou négativement, le cheminement des personnes dans la démarche d’accompagnement. En ce sens, le développement de cette compétence professionnelle « Prendre en compte la dimension affective dans l’accompagnement d’un changement » s’avère essentiel surtout dans le cas d’un changement prescrit, orienté, planifié.
Dimension affective
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QUESTIONS DE RÉFLEXION associées à la compétence 3
En début ou en cours d’action
! Qu’entend-on par la prise en compte de la dimension affective dans une perspective cognitive ? ! Que faire pour se connaître sur le plan affectif en situation d’accompagnement d’un changement ? ! Quelle influence peut avoir une réaction affective en situation d’accompagnement d’un changement prescrit ? ! Que signifie s’engager dans une pratique réflexive liée à la dimension affective de l’accompagnement d’un changement ?
En cours ou en fin d’action
« Prendre en compte la dimension affective dans l’accompagnement d’un changement »
! Comment peut-on tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive ? ! En quoi comprendre ses réactions affectives et celles des autres favorise-t-il un accompagnement professionnel ? ! Quelles sont les réactions affectives qui peuvent le plus contrecarrer l’engagement d’une personne dans la mise en œuvre d’un changement prescrit ? Expliquer. ! Comment une pratique réflexive liée à la dimension affective de l’accompagnement peut-elle favoriser l’engagement dans la mise en œuvre d’un changement ? ! En quoi avoir une culture liée à son champ d’expertise peut-il aider à comprendre l’influence de la dimension affective lors de l’accompagnement d’un changement ?
COMPÉTENCE
4
Maintenir une communication réflexive-interactive dans la préparation et l’animation du processus de changement
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
4 MAINTENIR UNE COMMUNICATION RÉFLEXIVE-INTERACTIVE DANS LA PRÉPARATION ET L’ANIMATION DU PROCESSUS DE CHANGEMENT
GESTES PROFESSIONNELS 1. Diffuser les orientations, les fondements, les enjeux et les effets du changement. 2. Manifester une attention soutenue aux personnels engagés dans le processus de changement. 3. Utiliser des moyens réflexifs-interactifs selon une perspective socioconstructiviste de la communication. 4. S’exprimer clairement en utilisant la terminologie associée au changement.
ACTIONS
Communication réflexive-interactive
COMME PERSONNE ACCOMPAGNATRICE ! ! ! ! ! ! ! !
Exprimer ses idées, ses intentions et sa compréhension du changement. Partager sa compréhension et sa vision du changement. Intégrer la terminologie appropriée à son discours, à son action. S’ouvrir aux idées, aux représentations et à la vision que les autres ont du changement Exercer une écoute active basée sur le respect et la confiance mutuelle. Interpréter adéquatement les propos et les besoins exprimés par le milieu. Faire des suivis sur les échanges, le partage et la discussion. Collaborer, consulter pour la préparation et l’animation de tâches ou de situations d’accompagnement.
POUR AGIR AUPRÈS DE PERSONNES ACCOMPAGNÉES !
! ! ! ! ! !
Suggérer des contenus, des processus, des moyens et des outils qui vont faciliter la compréhension du changement, encourager le renouvellement des pratiques et l’enrichissement d’une culture liée à un champ d’expertise. Discuter des orientations, des fondements, des enjeux et des effets du changement. Se donner des définitions ou s’approprier le sens des termes et des concepts associés au changement. Aider les personnes à intégrer ces mots et ces concepts pour parler de leur pratique. Favoriser le développement d’une vision partagée du changement. Travailler au développement de l’expertise professionnelle du milieu au regard du changement Questionner, rétroagir, faire des synthèses, réfléchir, susciter des moments de réflexion, etc., pour faire émerger des contenus, favoriser les échanges et la communication.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
CONTEXTE CONCEPTUEL DE LA COMPÉTENCE 4 Quels gestes professionnels nécessitent la maîtrise d’une communication réflexive-interactive ? En quoi une communication réflexiveinteractive s’avère-t-elle si importante dans l’accompagnement du processus de changement ? À l’image du changement, la communication est un phénomène éminemment complexe, qui est influencé par diverses variables (Raynal et Rieunier, 1997). Les échanges « ne se font pas de manière séquentielle […], mais sur la base d’interactions permanentes et simultanées qui emprunteraient plusieurs canaux différenciés : attitudes, posture, voix, ton, gestes, mimiques […] » (Raynal et Rieunier, 1997, p. 332). La manière d’être, de dire ou non les choses fait partie de la communication. Il y a d’une part l’objet à communiquer, un changement prescrit et, d’autre part, la manière de le faire pour favoriser le renouvellement des pratiques et le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement. Communiquer pour favoriser un changement exige non seulement de maîtriser son contenu, mais aussi la manière de le communiquer. Les personnes accompagnatrices prennent en considération le contexte dans lequel se fait la démarche d’accompagnement ; elles sollicitent l’engagement des personnels accompagnés en fonction de ce contexte. Loin d’être des récepteurs passifs, ces derniers participent pleinement aux échanges qui se font de manière réflexive et interactive. La personne accompagnatrice n’est pas la seule à détenir de l’information à propos du changement à mettre en œuvre. Les personnes accompagnées ont parfois aussi accès à différentes sources d’information ou ont suivi des formations qui vont dans le sens du changement. Le milieu voudra cependant vérifier la validité des sources et donner la priorité à certaines informations pour éviter la surcharge, les informations parcellaires ou contradictoires ou la désinformation. La démarche d’accompagnement se caractérise par de multiples allers et retours entre différentes sources d’information qui alimentent le processus de changement. Ces sources sont parfois éclairantes, mais pas toujours. La communication réflexiveinteractive n’est pas un échange à sens unique, car tous les membres d’un groupe alimentent de leurs réflexions la compréhension de l’ensemble des personnes qui sont engagées dans la démarche. Pour Morin (cité dans Champy et Étévé, 2005), la communication se fait en interaction entre les personnes et à l’intérieur d’un groupe : l’interaction est une donnée fondamentale de la situation de communication.
Communication réflexive-interactive
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Communication réflexive-interactive La communication réflexive-interactive est un processus qui s’inscrit dans une démarche d’accompagnement d’un changement orienté comportant des éléments de prescription. La personne accompagnatrice fait le lien entre le contenu associé au changement et la relation que les personnes accompagnées entretiennent avec ce contenu et le changement souhaité. Elle accompagne un groupe dans le but de faire connaître le changement, de faire réfléchir sur le changement et les exigences qu’il suppose au regard des pratiques professionnelles. L’accompagnement d’un groupe suppose des interactions et des remises en question. Dans la communication réflexiveinteractive, l’intention est clairement présentée ; il s’agit de proposer un changement à des individus qui interprètent ou décodent cette intention dans le but de se l’approprier ou non et de l’intégrer ou non à leurs pratiques et d’y rétroagir. La rétroaction permet de saisir si l’intention a été bien interprétée, mais elle peut aussi déboucher sur une autre intention, selon la lecture du destinataire. Selon la réceptivité ou les expériences antérieures des personnes, l’interprétation du message peut considérablement varier. Dans une communication réflexive-interactive, la prise en compte des connaissances antérieures et des interprétations est essentielle. Elle suppose cependant du temps pour écouter, observer, remettre en question et discuter, l’utilisation d’un vocabulaire approprié, une distance critique et des moyens qui reflètent une perspective socioconstructiviste.
Une lecture plus ou moins juste de la situation peut entraîner des dérives importantes, c’est pourquoi exprimer clairement ce que l’on désire communiquer aide à la compréhension mutuelle. La réflexion et l’interaction favorisent la régulation des actions pour progresser dans le processus de changement associé à un contexte de communication favorable au changement.
POUR LA COMPRÉHENSION DES GESTES PROFESSIONNELS ASSOCIÉS À LA COMPÉTENCE 4 Maintenir une communication réflexive-interactive dans la préparation et l’animation du processus de changement suppose des gestes professionnels et des actions. Voici les principaux gestes professionnels ainsi que certaines actions qui permettent de mieux circonscrire cette compétence : ! diffuser les orientations, les fondements, les enjeux et les effets du changement ;
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! manifester une attention soutenue aux personnels engagés dans le processus de changement ; ! utiliser des moyens réflexifs-interactifs selon une perspective socioconstructiviste de la communication ; ! s’exprimer clairement en utilisant la terminologie associée au changement.
Diffuser les orientations, les fondements, les enjeux et les effets du changement Dans l’accompagnement, les personnes accompagnatrices font connaître autour d’elles les orientations, les fondements, les enjeux et les effets du changement. Outre la diffusion d’une information qui contribue en quelque sorte à « faire passer le message » à propos du changement, elles prennent en considération le contexte dans lequel il se fait afin de réunir des conditions qui lui soient favorables. Ces conditions ne se rapportent pas uniquement à la clarté du message, à la qualité ou à la quantité d’informations disponibles ; elles se rapportent également aux effets de la communication sur les destinataires. « Ces effets modifiant l’état du destinataire peuvent être cognitifs (savoir), affectifs (états mentaux), et également conatifs, c’est-à-dire stimuler la motivation et la propension à l’action » (Champy et Étévé, 2005, p. 195). Un changement majeur ne peut s’imposer de force ni s’improviser ; c’est pourquoi l’accompagnement suggère des contenus, des processus, des moyens et des outils qui vont faciliter la compréhension du changement, encourager le renouvellement des pratiques et contribuer à l’enrichissement de la culture liée au champ d’expertise. En situation de changement, les personnes accordent de l’importance à leur milieu d’appartenance ; face à l’insécurité générée par le changement, des liens se tissent. Cette reconnaissance prend appui sur leur expérience collective ; elle est aussi liée à l’influence que les personnes peuvent exercer. Le changement offre l’occasion de travailler ensemble au développement d’une expertise professionnelle. Pour comprendre le changement, elles discutent de ses orientations, de ses fondements. Ces discussions permettent le développement d’une vision partagée. Les personnes ne sont pas isolées, elles peuvent ainsi mieux évaluer les enjeux et les effets du changement en le comparant avec les pratiques en cours dans leur milieu. Pour le faire, elles s’appuient sur leurs connaissances du milieu qui réagit au changement, surtout si ce dernier est majeur.
Communication réflexive-interactive
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En prenant un exemple en éducation, inspiré de Coudray (1973) qui parle de la communication pédagogique, on pourrait dire que différents facteurs interviennent dans une situation de communication : les valeurs sociales, culturelles et pédagogiques du milieu scolaire accompagné, les relations entre la personne accompagnatrice et celles qui sont accompagnées, les modèles de pratique et les conceptions de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’évaluation ainsi que la réceptivité au changement communiqué. Avoir une longueur d’avance sur les orientations, les fondements, les enjeux et les effets du changement facilite l’accompagnement. La personne accompagnatrice peut ainsi exercer son leadership en faisant appel à sa capacité d’influencer les personnes accompagnées au regard du changement. Pour les inciter à se l’approprier, la personne accompagnatrice exprime ses idées, partage sa compréhension et sa vision du changement. Pour accompagner d’autres personnes dans ce processus, elle adhère elle-même au changement ; cela n’exclut pas qu’elle puisse adopter une posture critique, mais il n’en demeure pas moins que la communication n’est pas complètement désintéressée. Elle se fait dans une perspective de renouvellement des pratiques et de progression vers un changement. Le leadership d’accompagnement exige pratique réflexive et modelage de cette pratique.
Manifester une attention soutenue aux personnels engagés dans le processus de changement Manifester une attention soutenue dans une démarche d’accompagnement d’un processus de changement se concrétise de diverses manières.
S’ouvrir aux idées des autres, à leurs représentations et à leur vision du changement S’ouvrir aux idées des autres, à leurs représentations ainsi qu’à leur vision du changement incite les personnes accompagnées à dire ce qu’elles connaissent à propos du changement à mettre en œuvre dans leur milieu. Ainsi les personnes accompagnatrices peuvent prendre en compte les expériences et les connaissances antérieures du milieu pour planifier avec les personnes accompagnées une séquence d’activités, de tâches ou de situations d’accompagnement. S’ouvrir aux idées et aux représentations des autres veut aussi dire de le faire avec ses collègues, ce qui permet de
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
mieux connaître leurs conceptions. Cette façon de procéder permet d’évaluer les forces et les défis du groupe et de les situer au regard du changement à mettre en œuvre. Ce positionnement favorise l’engagement des personnes qui évaluent plus facilement le cheminement à faire.
Exercer une écoute active et observer Exercer une écoute active et observer sont des stratégies qui aident à la mise en place d’un climat favorable à la construction des connaissances à propos du changement, et qui permettent aussi de communiquer de manière efficace. Les personnes sentent que ce qu’elles expriment est écouté, pris en considération sans qu’il y ait jugement de valeur. Ce climat de confiance mutuelle qui s’installe graduellement est essentiel pour pouvoir créer des conflits sociocognitifs et en tirer profit en situation d’accompagnement. Au début d’une démarche d’accompagnement, il n’est pas facile de créer des conflits cognitifs qui ébranlent en profondeur les conceptions et qui suscitent des remises en question des pratiques. Accepter de s’exprimer sur ses croyances (conceptions et convictions) même lorsque l’on sait que celles-ci ne sont pas tout à fait en cohérence avec les fondements du changement à mettre en œuvre exige l’instauration d’un climat de confiance mutuelle. Ce climat de confiance est tributaire, en grande partie, du fait que la personne accompagnatrice est consciente que les personnes accompagnées sont sensibles à ce qui se dit et aux jugements de valeur qui peuvent être exprimés. Éviter de tels jugements, tout en considérant que les pratiques ne sont pas nécessairement toutes en cohérence avec les fondements du changement visé par le groupe, est un art qui se développe dans l’action, mais qui exige une intention d’y arriver. Il s’agit de saisir l’évolution des personnes dans le changement et d’observer comment les pratiques évoluent. Certains ajustements se font plus rapidement alors que d’autres demandent beaucoup plus de temps ; ils prennent des mois, voire des années avant de se faire. N’est-il pas irréaliste de croire que toutes les pratiques vont s’arrimer au changement à partir du moment où celui-ci a été « décrété » ? Toutes les personnes n’évoluent pas nécessairement au même rythme, sans compter que certaines personnes ou certains groupes sont plus près que d’autres des pratiques associées au changement souhaité. Elles ont aussi, à leur manière, une longueur d’avance dans le processus de changement. Une posture d’écoute active et d’observation conduit vers une communication réflexive-interactive où les échanges multiples enrichissent les personnes engagées dans un processus de changement. Des confrontations permettent d’asseoir les
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conceptions et les pratiques liées à un champ d’expertise ou à un milieu, de les éprouver au contact des autres, mais aussi de les comparer avec celles proposées dans le cadre du changement prescrit. Une écoute active empreinte de respect des idées émises, sans discrimination, encourage la réciprocité, ce qui permet alors aux personnes accompagnées de s’engager avec un sentiment de confiance dans des discussions qui deviennent des moments de coconstruction où toutes les personnes engagées dans le processus se permettent de remettre en question autant leurs idées que leurs conceptions et leurs pratiques.
Interpréter adéquatement les propos et les besoins Interpréter ou décoder adéquatement les propos et les besoins des personnes accompagnées permet à la personne accompagnatrice de tirer profit de ce qui se passe dans l’action pour soutenir la construction de nouvelles connaissances et le développement de compétences. Il arrive souvent qu’on constate que les personnes accompagnées sont en train de construire des connaissances ou de développer des compétences et qu’elles apportent des ajustements à leurs propres conceptions. Tirer profit de ces moments pour susciter des prises de conscience des constructions, les siennes et celles des autres, ou des façons différentes de structurer les connaissances favorise le développement d’habiletés métacognitives. Si la personne accompagnatrice place la personne accompagnée en situation de verbaliser sa démarche mentale, elle la place dans une condition favorable pour ajuster ses conceptions, structurer de nouvelles connaissances et développer des compétences. Une interprétation adéquate des propos et des besoins des personnes accompagnées suppose que la personne accompagnatrice soit capable de « lire » une situation, d’effectuer une mise à distance dans l’action et de réagir adéquatement en situation. Par exemple, si elle observe qu’un déséquilibre sociocognitif est en train de se créer chez les personnes accompagnées, il est possible, tout en préservant leur sentiment de sécurité, de laisser « vivre » ce moment de déséquilibre. À titre d’exemple, cela suppose parfois de résister à la tentation de « ramasser » les idées dans un exposé magistral et de se placer en situation de transmission de connaissances. Ce moment de flottement aide à regarder ce qui se passe et à réagir en fonction d’une meilleure interprétation des réactions du groupe comparativement à une réaction spontanée qui ne convient pas toujours à ce qui se passe dans l’action en cours. Ces moments permettent également aux personnes accompagnées de reprendre le pouvoir de contrôler leurs
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apprentissages en restant actives cognitivement. Et même si elles ne le prennent pas toujours, elles doivent minimalement avoir la possibilité d’exercer ce contrôle. Doser ces moments de déséquilibres sociocognitifs aide à maintenir le niveau de sécurité nécessaire à l’accompagnement. Les personnes accompagnées en viennent à reconnaître que les remises en question de leurs conceptions ne sont pas jugées, que ces moments de déstabilisation font partie de l’apprentissage et du développement de compétences, qu’à un certain moment elles pourront mieux organiser mentalement leurs connaissances et que d’autres déséquilibres viendront remettre à nouveau en question certaines conceptions. Pour interpréter les propos et les besoins, les personnes accompagnatrices peuvent recourir à différents moyens tels que la synthèse, la reformulation ou le questionnement. Ces moyens aident à reconnaître, à clarifier ainsi qu’à mieux comprendre les propos et les besoins exprimés par le groupe et à les valider en action.
Faire des suivis sur les échanges, le partage et la discussion Il arrive, lors de l’accompagnement, que plusieurs aspects soient traités au cours d’une même rencontre. La discussion de certains aspects peut avoir été amorcée lors d’une rencontre antérieure ou se poursuivre pendant plusieurs rencontres. Il importe d’avoir en tête le fil conducteur de la démarche d’accompagnement pour faire le suivi des échanges et alimenter la communication afin qu’elle soit réflexive-interactive. Certaines questions peuvent cependant demander plus de recherche, exiger davantage de réflexion ou de temps de « maturation », ce qui nécessite parfois plus d’une intervention dans l’ensemble de la démarche. Les personnes n’ont pas toujours tous les préalables nécessaires à la compréhension d’un aspect du changement ; les suivis permettent de vérifier où elles se situent et de faire les ajustements ou les mises à niveau nécessaires. En dehors des amorces de réflexion qui préparent souvent le terrain en vue d’une prochaine rencontre, la personne accompagnatrice veille à ne pas laisser trop de questions en suspens et voit à fermer les boucles qui ont été ouvertes au cours de l’intervention.
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Utiliser des moyens réflexifs-interactifs selon la perspective socioconstructiviste de la communication La communication nécessaire à l’accompagnement d’un changement suppose l’utilisation de moyens en lien avec la collaboration, le questionnement, la réflexion et l’interaction.
Collaborer, se concerter pour la préparation et l’animation de tâches ou de situations d’accompagnement Maintenir une communication réflexive-interactive dans la démarche d’accompagnement s’effectue sur deux plans. Cela se fait préalablement avec les personnes qui collaborent et se concertent pour la planification de l’accompagnement, mais aussi à l’occasion de rencontres avec les personnes accompagnées. L’élaboration et l’animation préparées à deux ou à plusieurs incitent non seulement à la collaboration professionnelle, mais illustrent bien la perspective socioconstructiviste de l’accompagnement, qui se manifeste par le partage et la mise en commun des connaissances et de l’expertise des personnes accompagnatrices au regard du changement à mettre en œuvre. Cela se fait de manière intégrée dans les activités, tâches ou situations à faire vivre. Privilégier cette intégration évite la juxtaposition d’actions isolées qui s’arriment difficilement à un fil conducteur. La préparation vise à mettre les personnes accompagnées dans des situations de réflexion individuelle et collective et de susciter des moments où l’interaction peut mener à des remises en question des pratiques ou des croyances (conceptions et convictions). C’est l’occasion de créer des conflits sociocognitifs, de les aider à faire des liens et d’exploiter des prises de conscience qui favorisent un passage à l’action. La coanimation suppose une responsabilité partagée de l’accompagnement, mais aussi la collaboration, la coopération, l’entraide, le soutien mutuel. L’animation en dyade a l’avantage de favoriser la mise à profit des cultures liées aux champs d’expertise respectifs au bénéfice des personnes accompagnées. Au plan affectif, elle aide les personnes animatrices à reconnaître et à comprendre les moments de tension pour agir en conséquence. Et, selon le type de communication établi par la dyade, cela peut inciter les personnes accompagnées à faire appel à un ou à une de leur collègue et les encourager à collaborer professionnellement avec d’autres. Une animation réflexive-interactive suppose aussi que les personnes accompagnatrices s’engagent dans un processus de modelage, ce qui veut dire « fournir un modèle en action » et non pas « expliquer un
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
exemple ». Ce modelage suppose que les personnes accompagnatrices témoignent de leur démarche en la verbalisant, qu’elles rendent compte de questions qu’elles se posent en cours d’action, de changements qu’elles effectuent et des raisons associées à ces modifications, des doutes qui émergent… Une telle façon de faire aide à rendre crédible la démarche d’accompagnement, car ce qui est proposé est cohérent avec ce qui est fait dans l’accompagnement. L’accompagnement socioconstructiviste fait référence au soutien apporté à des personnes en situation d’apprentissage afin qu’elles puissent cheminer dans la construction de leurs connaissances et le développement de leurs compétences. Cet accompagnement suppose une activation des connaissances, expériences et compétences antérieures ainsi que des mises en relation entre les connaissances et expériences afin de favoriser les transpositions dans diverses situations (voir Lafortune et Deaudelin, 2001). Une animation réflexive-interactive en dyade vient appuyer ce type d’accompagnement, si elle ! établit des relations entre ce qui est fait, le contenu théorique et les fondements du changement ; ! mène à des discussions sur les intentions poursuivies, les façons de les mettre en action, les ajustements et régulations possibles. Il est essentiel d’expliquer les choix effectués pour que les membres de la dyade comprennent comment les ajustements faits en cours d’action tiennent compte du fil conducteur que l’équipe s’est donnée ; ! fait vivre des conflits sociocognitifs sécurisants au plan affectif tout en les mettant à profit pour l’ensemble du groupe ; ! tient compte de la dimension affective, qui peut tout à la fois favoriser l’engagement ou le freiner ; ! aborde les résistances au changement en tenant compte des manifestations, des causes de ces résistances ainsi que de leurs conséquences, tout en visant la recherche de solutions ; ! facilite le partage des apprentissages faits lors des interventions ; ! incite à questionner et à se questionner ; ! tire profit des moments de coconstruction qui émergent en cours d’action ou après l’action avec les collègues, dans un climat de respect mutuel et de professionnalisme.
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Le travail en coanimation poursuit plusieurs visées : assurer une continuité, travailler en complémentarité, tirer profit d’une culture liée à son champ d’expertise élargie par les connaissances antérieures de deux personnes ou plus, mettre à profit un soutien mutuel (dimension affective), s’encourager, utiliser un regard externe pour des analyses, des commentaires, des critiques, partager des tâches, aider à la discussion pour les choix de contenus, les manières d’intervenir et les stratégies à mettre de l’avant. Le travail de coanimation est une forme de collaboration professionnelle. Cette façon de travailler offre aussi un « filet de protection » aux personnes accompagnatrices en apportant un élément de confiance supplémentaire, ce qui peut aller jusqu’à prévenir l’épuisement professionnel (voir Lafortune, 2004d). Il favorise aussi le partage de bases théoriques, ce qui enrichit la culture liée au champ d’expertise de chaque partenaire. Il dynamise le travail en permettant à chaque personne de participer à la construction, à la justification ainsi qu’à la consolidation de son modèle d’intervention, de se rendre ainsi compte de ses croyances par rapport à l’accompagnement en général et de ses croyances par rapport au travail en équipe de collègues. Cette façon de faire concourt, pour chaque partenaire, au développement de compétences professionnelles à travers l’exercice d’un leadership d’accompagnement. Dans la logique de l’accompagnement socioconstructiviste, la concertation et la collaboration s’actualisent dans le travail de coanimation. Dans l’animation comme dans la préparation, les partenaires en viennent à mieux se connaître. En ce sens, des discussions sur divers sujets liés à la problématique, autres que ceux qui sont directement associés à la préparation d’une animation, aident à connaître l’autre pour comprendre ses gestes et pour voir la cohérence des choix qu’il pose dans l’action. Au cours de leurs discussions, ces personnes peuvent évaluer les forces et défis des membres de la dyade. En fonction de leurs connaissances, expériences, habiletés et compétences individuelles et complémentaires, elles peuvent départager les tâches de manière à favoriser l’efficacité de l’équipe d’animation.
Questionner, rétroagir, faire des synthèses, réfléchir, susciter des moments de réflexion, etc., pour faire émerger des contenus, favoriser les échanges et la communication L’utilisation de moyens réflexifs-interactifs comme le questionnement, la rétroaction, la synthèse, les moments de réflexion, l’écriture réflexive en cours d’accompagnement favorisent la communication réflexive-
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
interactive. À des degrés divers, tous ces moyens utilisés aux moments opportuns, permettent tant à la personne accompagnatrice qu’aux personnes accompagnées de vivre des moments où les discussions, les confrontations d’idées, suscitent des prises de conscience susceptibles de mener à des actions de changement.
LE
QUESTIONNEMENT
Le questionnement, par exemple, peut être utilisé pour inciter les personnes accompagnatrices à mettre en mots ce qu’elles font, comment elles le font, comment elles pourraient le faire, comment elles pourraient susciter des prises de conscience chez les personnes accompagnées et susciter des passages à l’action. Le questionnement peut aussi mener les personnes accompagnées à s’interroger elles-mêmes sur le processus de communication réflexive-interactive ; elles sont alors incitées à transposer ce qu’elles vivent dans leur pratique d’accompagnement. C’est une façon de mettre en pratique le modèle qui est proposé.
LA
RÉTROACTION
Utiliser la rétroaction dans le contexte d’un changement prescrit représente un défi pour la personne accompagnatrice, car elle ne peut accepter toutes les expériences et toutes les idées comme étant conformes au changement à mettre en œuvre. Formuler une rétroaction dans un contexte de changement exige d’avoir en tête les intentions suivantes : 1) situer les fondements du changement ; 2) préserver la cohérence de l’ensemble des éléments ; 3) accepter de poser un regard critique qui suppose des remises en question ; 4) tenir compte de la dimension affective, tout en considérant le changement et la relation professionnelle en cause. La personne accompagnatrice qui guide l’action apprend à reconnaître les forces et les défis d’une proposition et à soutenir les personnes pour les aider à cheminer dans leur rôle et à développer de leurs compétences professionnelles. La rétroaction peut être facilitée par des stratégies comme les suivantes : 1) écouter la présentation de l’expérience ou de la proposition en prenant en note quelques mots-clés ; 2) construire la rétroaction à partir des mots ou expressions utilisés ; 3) questionner de manière à ce que l’ensemble du groupe se sente interpellé – éviter les dialogues ou les apartés ; 4) limiter le temps qui est accordé à un témoignage ou à une description d’expérience.
Communication réflexive-interactive
LA
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SYNTHÈSE
La confrontation dans une perspective de partage des représentations au regard d’un même objet, c’est-à-dire la remise en question et non l’affrontement, nécessite des moments d’interaction et de coconstruction. Ces moments de confrontation peuvent rendre difficile la construction d’une synthèse puisque des idées différentes, voire parfois opposées, émergent. Une synthèse construite à partir de ce qui est émis dans un groupe en interaction peut représenter l’idée ou les valeurs de ce groupe, mais peut-être pas l’idée ou les valeurs de chacun des individus qui le composent. Le résultat d’une synthèse n’est pas nécessairement utilisé comme un élément à intégrer dans la démarche, mais peut servir au questionnement collectif et à susciter des prises de conscience. Issue de la confrontation d’idées, la synthèse est une lecture effectuée par une ou plusieurs personnes à l’intérieur d’un groupe à partir de réflexions individuelles et collectives. Cette lecture s’inspire et rend compte d’une diversité de points de vue, mais pas nécessairement de tous les points de vue. Elle est réorganisée et emprunte souvent à une nouvelle forme de proposition. La personne qui fait la synthèse, choisit certaines idées, fait des liens, les associe, hiérarchise et organise l’information selon sa compréhension et la lecture qu’elle fait des aspects discutés. Enfin, la personne peut aussi choisir d’éliminer certaines idées qui ne cadrent pas avec la proposition ou d’en ajouter de nouvelles pour la clarifier. Les aspects traités sont fortement influencés par le modèle de pratique (formations et expériences) de la personne, qui fonctionne comme une grille de lecture lorsqu’elle fait une synthèse. Son modèle fait partie des ressources (acquis antérieurs) à partir desquelles la personne va construire de nouvelles connaissances à propos du changement.
LES
MOMENTS DE RÉFLEXION
Les moments de réflexion sont des pauses données aux personnes accompagnées afin de leur permettre d’activer des connaissances, expériences ou compétences antérieures, d’intégrer des apprentissages, de s’interroger sur différents sujets. Ils sont essentiels au développement de compétences afin de susciter des prises de conscience et ainsi, favoriser le processus d’intégration. Au plan de la communication réflexive-interactive, les moments de réflexion impliquent d’être à l’aise avec les silences pour accorder du temps de réflexion. Accepter les silences et en susciter permet de créer des moments propices à la réflexion et à l’émergence de nouvelles idées. Une réponse réfléchie est souvent plus nuancée, car les idées sont approfondies et évaluées avant d’être livrées aux autres. Même s’ils sont inhabituels, ces moments sont appréciés par les personnes
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
accompagnées ; elles constatent rapidement leur importance. Inciter à prendre un temps pour répondre, s’engager et chercher une réponse favorise la réflexion, l’appropriation, l’approfondissement et l’intégration vers l’autonomie. Les moments de réflexion sont nécessaires, mais cela prend davantage de sens s’ils sont expliqués et si les personnes accompagnées peuvent partager ce qu’elles en retirent.
L’ÉCRITURE
RÉFLEXIVE
La communication peut également se réaliser dans un processus d’écriture réflexive qui exige, selon Morisse (2006), de prendre en considération les éléments suivants : le dépassement des résistances liées à la communication de l’action et à la prise de risques que provoque le passage à l’écriture ; le retour réflexif sur l’action favorisé par les échanges entre pairs et avec les personnes accompagnatrices ou formatrices. Les activités d’autoobservation, d’autoanalyse favorisent le développement de compétences réflexives qui permettent d’appréhender et de maîtriser la complexité de l’action. Dans la mise en œuvre d’un changement, l’écriture réflexive est un dispositif structurant (un moyen) qui permet de réfléchir sur sa pratique professionnelle a posteriori et sur celle à venir. Elle peut être comprise comme source de construction de connaissances, de développement de compétences et comme source de formation et d’autoformation. Elle place la personne dans une situation dynamique où à la fois, elle construit ses connaissances, se forme, s’autoforme tout en développant des compétences et en posant des gestes professionnels. À la fois dans l’action d’écriture et dans les suites de cette action, elle permet à la personne de modéliser sa pratique tout en mettant en pratique son modèle de pratique. Ce processus d’écriture réflexive peut se concrétiser dans un journal d’accompagnement. En cours d’accompagnement, on se rend souvent compte que certaines conceptions qui sont construites ne vont pas tout à fait dans le sens prévu et même, parfois, que ces constructions témoignent de conceptions plus ou moins en cohérence avec les fondements du changement à mettre en œuvre. Pour vérifier le sens des conceptions qui sont en voie de se construire, susciter des questionnements et des interactions peut mener à vivre des situations potentiellement problématiques pour ébranler les conceptions et les ajuster. C’est en utilisant, selon les contextes, le questionnement, la rétroaction, la synthèse, les moments de réflexion ou l’écriture réflexive que les personnes accompagnées parviennent, toujours un peu plus et un peu mieux, à cerner leur pensée, à l’exprimer à d’autres, à se faire comprendre, à saisir la pensée des autres et à construire une vision partagée du changement en cours.
Communication réflexive-interactive
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Si l’on veut vraiment en arriver à accompagner dans une perspective socioconstructiviste, il est nécessaire de faire preuve de souplesse dans la mise à profit de ces divers moyens réflexifs-interactifs. Mais, pour cela, il est nécessaire d’avoir développé des habiletés à questionner, à faire des rétroactions réflexives-interactives, à faire des synthèses, à susciter des moments de réflexion pour en tirer profit, à favoriser la pratique de l’écriture réflexive et professionnelle. Dans cette pratique, l’exercice du jugement professionnel comprenant les dimensions éthique et critique aide à l’interprétation des enjeux de la communication. Cette interprétation permet de mettre en évidence des réactions affectives, des résistances, des plaisirs, des questionnements, des conceptions au regard du changement à mettre en œuvre et de cheminer individuellement et collectivement vers un engagement dans le processus de changement lié au renouvellement des pratiques professionnelles et au développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement. Le développement d’habiletés métacognitives mène les personnes accompagnées à avoir deux préoccupations dans l’accomplissement de leur tâche. On peut parler de deux regards : un regard sur ce qui est fait et un autre sur la démarche entreprise pour mener à terme la tâche ou le projet d’action. Si ces deux regards sont mis à profit en cours d’action, ils permettent une évaluation et des ajustements continus pour tenir compte de cette évaluation. Une telle pratique est utile dans une démarche de communication réflexive-interactive. Par exemple, au lieu de seulement se concentrer sur ce qui est dit dans une situation, il est possible de porter une attention sur les interactions, ce qui favorise une analyse de la communication pour permettre une meilleure régulation tant au plan du contenu que des modalités organisationnelles et un choix de langage adapté au contexte. Dans l’accompagnement, en plus de ces deux regards, un troisième s’ajoute et fait référence à la transposition à ses propres actions professionnelles de ce qui se passe et de la façon dont cela se passe.
S’exprimer clairement en utilisant la terminologie associée au changement Un changement introduit ou revisite de nouvelles idées, de nouveaux concepts, de nouvelles approches, etc. Face à ce renouvellement, les personnes s’engagent dans une quête de sens, elles ont à cœur de comprendre, d’utiliser les bons termes, d’avoir les bonnes expressions, les bonnes définitions, celles qui permettront à tous de se mettre au même
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
diapason, en évitant de semer la confusion, en plus d’améliorer la compréhension. Dans une perspective constructiviste, il apparaît cependant illusoire de rechercher une telle unanimité puisque cette perspective suppose que les personnes structurent leur pensée en fonction de leurs connaissances et de leurs expériences antérieures. En ajoutant une dimension sociale (socioconstructiviste) et en favorisant les interactions, il est possible d’en arriver à comprendre les constructions des autres, à modifier et à ajuster ses propres constructions. Il ne s’agit pas de niveler ou d’uniformiser les représentations afin que tout le monde ait les mêmes. En discutant de leurs représentations et en analysant avec d’autres le sens du changement, les personnes apprivoisent et utilisent plus rapidement la terminologie associée au changement. Ces échanges favorisent la construction d’une vision partagée du changement. Au moment où une communication s’engage avec des personnes accompagnées, elles veulent s’exprimer clairement. En pratique, les expériences montrent cependant que même si on pense être d’une clarté exemplaire, le message n’est pas toujours clair pour les personnes qui le reçoivent. Dans une perspective socioconstructiviste, on considère que ce qui est entendu et écouté est décodé en fonction de ses expériences et connaissances antérieures, mais aussi de son état cognitif et affectif au moment de la réception du message. Susciter l’engagement dans le changement suppose une prise en considération de ces variables dans une démarche d’accompagnement professionnel. De plus, la qualité de la communication peut avoir un impact très important au regard de l’engagement ou du désengagement à l’égard du changement à mettre en œuvre surtout s’il est prescrit ou comportant des éléments de prescription. Pour favoriser cet engagement, rien de tel que de s’exprimer clairement sur les fondements du changement et sur les moyens de le mettre en application. Même si le changement, ses fondements, les concepts sous-jacents et les différentes pratiques professionnelles sont complexes et qu’il y a de nouvelles dénominations, il est possible de rendre le vocabulaire accessible et compréhensible sans lui enlever tout son sens. Cela dit, il est important d’utiliser les mots justes, à expliciter au fur et à mesure de la démarche pour contribuer à l’enrichissement de la culture liée au champ d’expertise des individus et de la collectivité. Plusieurs domaines liés à la santé, aux aspects juridiques, aux technologies comme le monde de l’éducation se créent un vocabulaire pour répondre au monde en devenir.
Communication réflexive-interactive
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L’appropriation du changement passe aussi par la compréhension, l’intégration et la définition de termes ou de concepts nouveaux. Ils traduisent des réalités qui permettent de marquer la différence avec certaines pratiques en cours avec celles qui s’inscrivent davantage dans le sens de la représentation qu’on se fait du changement : ils posent les jalons de sa compréhension. Dans la démarche d’accompagnement, utiliser ces mots, les expliciter, en analyser le sens actualise le changement, le rend plus concret. Ce travail fait partie de la démarche d’accompagnement, il empêche certaines dérives ou un nivellement de l’information. S’approprier les mêmes mots pour parler des mêmes choses aide les personnes à se rapprocher d’une vision partagée du changement. Si les personnes n’arrivent pas à s’entendre sur le sens des mots, la communication peut échouer et créer certaines résistances qui nuisent à la compréhension ou à la progression du changement. Si la communication est réflexiveinteractive, les personnes s’approprient la terminologie et l’intègrent graduellement à leur discours et à leurs pratiques. Au fil de l’accompagnement, les personnes utilisent les mots et les concepts associés au changement avec de plus en plus de facilité. Cette aisance témoigne de leur engagement dans la progression du changement. En conclusion, pour la mise en œuvre d’un changement majeur et prescrit, il devient nécessaire d’en parler, de viser à le comprendre et à comprendre les enjeux et les effets de ce changement sur les pratiques. Cette visée de compréhension suppose le développement de la compétence « maintenir une communication réflexive-interactive dans la préparation et l’animation du processus de changement ». Une communication réflexive-interactive aide à éviter les jugements hâtifs ou les interprétations qui limitent les échanges. Une telle communication suppose l’acceptation des confrontations, des remises en question, mais aussi un regard critique sur ses croyances et pratiques et sur celles des autres.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
QUESTIONS DE RÉFLEXION associées à la compétence 4
En début ou en cours d’action
! En quoi le maintien d’une relation de confiance et de respect peut-il faire la promotion d’une communication réflexive-interactive avec les personnes accompagnées ? ! Pour les personnes accompagnées, que signifie l’expression « s’exprimer dans un vocabulaire accessible » ? ! Comment traduire de façon compréhensible la complexité d’un changement ? ! Que signifie mettre en place une communication réflexive-interactive ? ! Que signifie préparer et animer un processus de changement ?
En cours ou en fin d’action
« Maintenir une communication réflexive-interactive dans la préparation et l’animation du processus de changement »
! Comment peut-on exercer une écoute active empreinte de respect ? ! En quoi l’utilisation des termes justes faisant référence à des théories (socioconstructivisme, métacognition, pratique réflexive, conflits sociocognitifs) peut-elle freiner l’engagement de certaines personnes ? ! En quoi une interprétation des idées d’une personne peut-elle nuire à son engagement et faire surgir des réactions affectives ? ! Comment l’utilisation de moyens réflexifs-interactifs peut-elle rendre la communication plus efficace ?
COMPÉTENCE
5
Mettre en place une collaboration professionnelle pour cheminer dans un processus de changement
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
5 METTRE EN PLACE UNE COLLABORATION PROFESSIONNELLE POUR CHEMINER DANS UN PROCESSUS DE CHANGEMENT
GESTES PROFESSIONNELS 1. Créer un partenariat avec les personnels engagés dans un processus de changement. 2. S’engager dans un esprit de collaboration, de coopération et de concertation. 3. Développer individuellement et collectivement des compétences professionnelles pour l’accompagnement. 4. Construire une vision partagée du changement. 5. Faire connaître les ressources, les actions et les contributions entre les personnels engagés dans le processus de changement. 6. Développer des réseaux de partage et de communication entre les personnels engagés dans le processus de changement.
ACTIONS
Collaboration professionnelle
COMME PERSONNE ACCOMPAGNATRICE ! ! ! !
Connaître les ressources du milieu. S’ouvrir à des visions différentes du changement. Reconnaître l’expertise professionnelle du milieu. Responsabiliser les personnes en les intégrant à la démarche d’accompagnement. ! Partager le leadership, les responsabilités et les tâches.
POUR AGIR AUPRÈS DE PERSONNES ACCOMPAGNÉES ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
! ! !
Travailler en équipe de collègues. Partager sa conception du travail en équipe de collègues. Se donner des conditions qui facilitent la collaboration. Se responsabiliser collectivement au regard du changement. Partager son expertise avec d’autres. Confronter sa vision du changement avec d’autres. Modifier les conceptions au regard du changement. Chercher à se donner une représentation partagée du changement. Inventorier les expertises professionnelles du milieu. Valoriser et diffuser l’expertise et les actions. Favoriser la création de réseaux en misant sur la circulation des informations et le réinvestissement d’expériences et d’actions. Garder des traces de la démarche. Mobiliser la communauté professionnelle. Dégager des éléments de théorisation sur les pratiques du milieu.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
CONTEXTE CONCEPTUEL DE LA COMPÉTENCE 5 La collaboration professionnelle est intimement liée à la création de réseaux. Elle met en place des interactions qui supposent une coordination d’efforts collectifs, des discussions qui mènent à des prises de décision collectives et à des interventions concertées. Ces interventions sont analysées et régulées collectivement. Cela mène à une responsabilité partagée de l’accompagnement de collègues. Cette collaboration professionnelle se manifeste dans un travail en équipe de collègues qui suppose des actions particulières. La collaboration professionnelle peut se développer et se concrétiser sur plusieurs plans. 1) L’accompagnement en dyade modélise la coanimation afin de montrer : a) les avantages de la complémentarité des expertises, b) la nécessité de la continuité lors de mouvements de personnel, c) la dynamique créée par une équipe animatrice-formatriceaccompagnatrice avec diverses façons de faire et d’être. Ces dyades favorisent également les interactions lors de la préparation des rencontres (planification et anticipation). 2) L’utilisation du travail en équipe, lors des rencontres, pour faire émerger des problématiques, pour résoudre des problèmes, pour discuter de mises en situation, pour réaliser des synthèses… Les personnes accompagnées peuvent parfois se regrouper selon leurs affinités ou selon les établissements qui les délèguent ; cependant, à d’autres occasions, elles sont invitées à se regrouper différemment afin de connaître d’autres façons de faire et de s’informer de ce qui se fait dans divers milieux. Les fondements du travail en équipe de collègues supposent une collaboration et un travail de coconstruction, de coformation et d’interformation entre les membres de l’équipe ainsi que la prise en compte de la dimension affective. Dans ce cadre, travailler en équipe de collègues signifie 1) coordonner ses efforts pour favoriser la mise en œuvre d’un changement comme le développement des compétences des personnes accompagnées, et 2) exercer collectivement un contrôle et une régulation des décisions à prendre et des actions à poser (Lafortune, 2004d). Ce type de travail permet de tirer profit d’un regard externe sur son travail et sur le développement de son jugement professionnel. Cependant, il suppose une acceptation de ce regard de l’autre, du fait qu’un collègue puisse rétroagir à ses actions jusqu’à les remettre en question. Cela veut dire permettre à l’autre d’avoir accès, en quelque sorte, à son « intimité professionnelle ». En ce sens, les membres d’une équipe de collègues visent
Collaboration professionnelle
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à développer des qualités dont la principale est le respect des autres, ce qui mène à une confiance mutuelle ainsi qu’à une sécurité personnelle qui permettent de participer à des débats et à des expériences qui peuvent provoquer des confrontations d’idées. Cela suppose un engagement dans des expériences collectives. L’idée de travail en équipe de collègues est souvent associée à la recherche d’un but commun, d’une vision commune ou d’une compréhension commune. Dans une perspective socioconstructiviste, il apparaît difficile d’obtenir une vision ou une compréhension qui soient communes parce que les personnes n’ont pas nécessairement le même cheminement ni la même expertise que leurs collègues. Ces différences sont parfois difficiles à accepter, mais elles peuvent aussi contribuer au développement des autres ; c’est pourquoi il devient nécessaire de rester ouvert à la vision des autres. Cette ouverture permet souvent de mieux comprendre pourquoi des dissensions peuvent s’installer à l’intérieur de certains groupes, mais elle permet surtout de faire valoir la force collective d’un groupe. L’accompagnement socioconstructiviste privilégie une vision partagée qui suppose un échange à propos des conceptions du changement et des débats d’idées qui peuvent susciter des confrontations. Confronter ne veut pas dire affronter, mais reconnaître que les échanges avec d’autres influencent les croyances et les pratiques. Dans l’action, la description de pratiques, les siennes et celles des autres, amène les personnes à examiner ou à se construire une vision de leur modèle d’intervention, à trouver les justifications nécessaires à sa présentation. Cet exercice n’est pas toujours facile à réaliser, mais il aide la ou les personnes à mieux comprendre leur action professionnelle.
Collaboration professionnelle La collaboration professionnelle suppose une coordination d’efforts collectifs, des discussions qui mènent à des prises de décision collectives et à des interventions concertées. Ces interventions sont analysées et régulées régulièrement et collectivement. Cela mène à une responsabilité partagée dans le travail en équipe de collègues pour accompagner la mise en œuvre du changement. Cette collaboration est dite « professionnelle » pour tenir compte du regard que les collègues porte sur les différentes pratiques jusqu’à les discuter et les remettre en question dans un climat de respect et de confiance mutuelle. Cela peut vouloir dire partager une certaine « intimité professionnelle ».
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
POUR LA COMPRÉHENSION DES GESTES PROFESSIONNELS ASSOCIÉS À LA COMPÉTENCE 5 Mettre en place une collaboration professionnelle pour cheminer dans un processus de changement suppose des gestes professionnels et des actions. Voici les principaux gestes professionnels ainsi que certaines actions qui permettent de mieux circonscrire cette compétence : ! créer un partenariat avec les personnels engagés dans un processus de changement ; ! s’engager dans un esprit de collaboration, de coopération et de concertation ; ! développer individuellement et collectivement des compétences professionnelles pour l’accompagnement ; ! construire une vision partagée du changement ; ! faire connaître les ressources, les actions et les contributions entre les personnels engagés dans le processus de changement ; ! développer des réseaux de partage et de communication entre les personnels engagés dans le processus de changement.
Créer un partenariat avec les personnels engagés dans un processus de changement L’établissement d’une relation de partenariat avec des personnels engagés dans un processus de changement favorise la connaissance des ressources de son milieu, le partage du leadership, des responsabilités, mais aussi des tâches. Il permet aussi d’engager davantage les personnes en les intégrant au processus d’accompagnement en plus de les responsabiliser en ce qui a trait à sa mise en œuvre. Ce partenariat suppose la mise en place d’équipes de collègues pour amorcer une collaboration. Cette étape est essentielle à la création d’interactions pour ensuite en arriver, par exemple, à un partage avec une équipe de collègues élargie. Ce partenariat comprend l’ensemble des personnels professionnels, mais il prend également en considération la participation de cadres. Ce partenariat s’inscrit dans les relations que l’organisation entretient avec son milieu de travail. Le travail en équipe de collègues est important pour évoluer dans le sens du changement, sans compter qu’il favorise également le développement du jugement professionnel.
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Travailler avec des collègues à l’élaboration d’interventions pour les analyser collectivement permet de dégager les retombées associées au travail collectif et favorise l’engagement dans le changement, sans compter que le soutien mutuel des autres incite à certaines prises de risque, etc. La description de pratiques, les siennes et celles des autres, amène les personnes à examiner ou à se construire une vision de leur modèle d’intervention, à trouver les justifications nécessaires à sa présentation. Cet exercice aide à mieux comprendre et à justifier ses actions professionnelles. Il permet d’établir une certaine cohérence entre ce qu’une personne pense et ce qu’elle fait. Elle peut ainsi garder un équilibre entre pensées et actions pour rester en accord avec ses pratiques, mais s’ouvrir aussi à celles des autres pour mieux comprendre leurs gestes et leurs choix (Lafortune et Lepage, 2007). Le simple fait de travailler en équipe de collègues ouvre souvent la voie à différents types de partenariats dans l’institution, dans l’organisation ou dans l’entreprise. Ce type de partenariat exige un changement de posture, ce qui n’est pas nécessairement acquis dans certains milieux professionnels.
S’engager dans un esprit de collaboration, de coopération et de concertation La collaboration, la coopération et la concertation favorisent le travail en complémentarité et la synergie des équipes. Collaborer avec différents partenaires exige de connaître ses collègues, mais surtout de croire à d’éventuelles possibilités de collaboration. La complexité des défis de notre monde moderne exige une étroite collaboration entre divers partenaires. Selon l’expertise des personnes, leur champ de compétence, leurs fonctions et l’analyse qu’elles font du changement, chacune peut contribuer à sa mise en œuvre. La réussite d’un changement repose sur la mobilisation et l’engagement de l’ensemble des personnes concernées. Le fait de travailler dans la même direction et de mettre à contribution toutes les forces vives d’un milieu assure une cohésion et une cohérence au projet d’action qu’on entend se donner. Pour favoriser ce type d’engagement, les personnes sont invitées à verbaliser et à partager leur conception du travail en équipe et à mettre en place des conditions qui soient structurantes pour le groupe. Elles réfléchissent à certaines questions ou problématiques et travaillent ensemble à des réalisations concrètes. Cet engagement suppose un sentiment d’appartenance et d’identification au groupe que l’accompagnement
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
contribuera à développer. Face aux exigences d’un changement majeur, les personnels concernés constatent que les personnes ne peuvent plus travailler en vase clos. L’ampleur du changement appelle à une responsabilisation collective. D’où l’importance de travailler avec différents partenaires et de varier la composition des collectifs de travail. Il s’agit de multiplier les activités de maillage pour briser l’isolement des personnes face au changement, tisser des liens entre les personnes associées à ce changement, contribuer à la mise en place et au maintien d’un réseau professionnel. Ce type de partenariat ne se met pas en place de lui-même, il se construit graduellement. Le travail en collégialité ne se fait pas toujours aussi facilement qu’on le souhaiterait, les attentes ne sont pas toujours comblées et les résultats ne sont pas nécessairement visibles à court terme. C’est souvent une question de persévérance et les réussites se gagnent à coup d’expériences réalisées avec des collègues qu’on apprend à mieux connaître. Par exemple, en éducation, l’organisation par cycle est une structure nouvelle à explorer. Dans une entreprise, cela pourrait s’apparenter au travail de différentes équipes où le travail de l’équipe 2 dépend de celui de l’équipe 1. Cela suppose qu’il y a un modèle de travail à instaurer, une occasion à saisir pour établir une forme de travail avec des collègues. En situation de changement, les personnes peuvent vivre un sentiment d’isolement ou d’insécurité, d’où la nécessité de travailler en interaction avec d’autres, de développer un esprit d’équipe en misant sur la complémentarité des rôles et le développement de compétences professionnelles.
Développer individuellement et collectivement des compétences professionnelles pour l’accompagnement En acceptant de développer des compétences professionnelles pour l’accompagnement et une expertise collective, les personnels se rendent compte de l’importance et de la nécessité de le faire pour soi et pour les autres, mais aussi avec les autres. Les personnes s’engagent à partager leurs expertises individuelles tout en profitant de celles de la communauté. Cette posture demande une ouverture à l’autre, elle exige aussi beaucoup d’humilité, de créativité et d’autonomie professionnelle.
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Dans la perspective de mobiliser des équipes de collègues et de mettre en place un processus de collaboration professionnelle, les personnes engagées peuvent être appelées à participer à la formation et au développement des équipes de collègues et de la communauté à l’intérieur de laquelle elles se développent professionnellement. En plus de permettre de partager certaines informations ou formations, la connaissance du travail ou de l’expertise des autres peut inciter les personnes à réaliser de la coformation (une équipe qui se donne une démarche de formation où les membres s’engagent à apporter au groupe un élément de formation) et de l’interformation (une équipe reconnaît l’expertise d’un membre de l’équipe pour se former mutuellement). Cela signifie de mettre à profit les expériences et les expertises des membres d’une équipe ou des personnes accompagnées. Si, par exemple, on demandait à chaque personne d’une équipe de faire une fiche résumant ses expériences professionnelles (formation initiale, formation continue, expériences professionnelles, fonctions occupées, formations données) accumulées au cours de sa carrière, on pourrait avoir un aperçu de l’expertise des personnes avec lesquelles on travaille et, éventuellement, mettre ces expériences professionnelles au service des collègues de la communauté. La reconnaissance des ressources individuelles et collectives de son milieu valorise les personnes accompagnées. En reconnaissant leurs acquis et leur cheminement professionnel, on donne également un sens à toutes les formations offertes aux personnels visés par le changement.
Construire une vision partagée du changement Les rencontres inscrites dans une démarche d’accompagnement sont perçues comme un creuset où les personnes peuvent mettre en commun des expériences, des réflexions et des réalisations individuelles ou collectives. En effet, les personnes partagent des intentions, se donnent des buts et des défis collectifs, elles prennent des décisions et sont appelées à résoudre collectivement des problèmes au regard de la mise en œuvre du changement. Les rencontres sont le lieu d’échanges, de partages, de réflexion et de mises en action. Les personnes coopèrent et construisent en interaction avec d’autres ; elles planifient des expériences ou travaillent à des projets d’action, font des bancs d’essai (mises en situation, études de cas, expérimentations) et vont parfois jusqu’à dégager des éléments de théorisation à partir de leurs pratiques. L’apport du groupe est permanent (débats et confrontations d’idées, travaux individuels et collectifs, rétroaction, évaluation, régulation). Personne ne sait tout mais tout le monde sait
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quelque chose. Chacun s’enrichit au contact des autres et de leurs expériences. Une démarche d’accompagnement dont les rencontres sont étalées dans le temps permet de faire en sorte que ces rencontres soient des moments d’échange d’idées, de confrontations, de partages de moyens ou d’expériences à privilégier. Cette démarche mène à la construction d’une vision partagée du changement, du renouvellement des pratiques et du développement de compétences professionnelles. Dans une perspective socioconstructiviste, il apparaît difficile d’obtenir une vision ou une compréhension qui soient communes parce que les personnes construisent leurs représentations à partir de leurs expériences, de leurs acquis antérieurs et des compétences développées préalablement, mais aussi parce qu’elles n’ont pas nécessairement le même cheminement ni la même expertise que leurs collègues. Une démarche d’accompagnement peut cependant contribuer à la construction d’une vision et d’une compréhension partagées par plusieurs personnes ou du moins à susciter certains rapprochements qui permettent de saisir la vision des autres en continuant à progresser dans le processus de changement. Le partage d’une vision suppose des échanges à propos des conceptions du changement, suppose des débats d’idées qui confrontent sa vision à celles des autres. Cette démarche s’avère importante même si les visions des autres sont parfois différentes, voire opposées et dérangeantes pour soi ou pour les autres (Lafortune et Lepage, 2007). Il arrive que certaines personnes n’arrivent pas à comprendre l’essentiel de la vision à laquelle semble se rallier une majorité de leurs collègues. Elles peuvent y adhérer en partie seulement et même éprouver de la difficulté à cheminer dans le même sens ou au même rythme que les autres. Il importe de le savoir, car ce décalage est préférable à la recherche d’un consensus « obligé » qui serait accepté en paroles, mais qui ne se concrétiserait jamais dans les actions ou les gestes professionnels de la personne. L’adhésion au changement ne s’impose pas. C’est un leurre de croire qu’on peut forcer les personnes à changer sans les amener à le faire graduellement par un accompagnement. Pour aller au-delà de leurs résistances, ces personnes ont besoin d’exprimer librement leurs différences, leurs insécurités et leurs appréhensions. Elles apprennent ainsi à mieux se situer dans l’échelle du changement. Elles évaluent mieux le cheminement à faire et les ajustements à réaliser. La construction d’une vision partagée exige de s’ouvrir à des visions différentes de la sienne quant à l’objet du changement. Le changement à mettre en œuvre ne va pas nécessairement dans le sens de la conception qu’en a chaque individu. Pour y adhérer ou se l’approprier, les personnes s’engagent dans un processus d’apprentissage et de
Collaboration professionnelle
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régulation qui peut les inciter à modifier, au contact des autres et du contenu du changement, leurs conceptions et à renouveler leurs pratiques. Ce processus de régulation se poursuit en boucle puisqu’il est continuellement alimenté par l’ajout de nouvelles données, mais aussi par la compréhension qu’on se fait du changement et de ce qu’il peut modifier dans sa vie professionnelle.
Faire connaître les ressources, les actions et les contributions entre les personnels engagés dans le processus de changement Après avoir dressé un inventaire des ressources du milieu, il est possible de faire connaître plus largement les actions et les contributions au sein d’une organisation. En plus de reconnaître et de valoriser cette contribution, la diffusion permet à l’information de circuler et peut inciter d’autres groupes à faire appel à l’expertise individuelle et collective des personnels concernés. La dimension interactive occupe une place importante dans l’accompagnement. Échanger avec d’autres permet aux personnes d’examiner et de comparer leur évolution avec celle de leurs collègues, avec celle d’autres institutions ou entreprises. La diffusion des échanges et des partages facilite l’accès à d’autres réseaux de pratique, à d’autres sources d’informations, etc. Elle fait découvrir des expertises non connues qui, autrement, n’auraient probablement jamais été découvertes. Cela permet de tirer profit de l’expertise de la collectivité.
Développer des réseaux de partage et de communication entre les personnels engagés dans le processus de changement La mise en place d’un réseau de partage et de communication fait partie des éléments qui facilitent l’engagement dans le processus de changement. La communication virtuelle ou par un site Internet semble un moyen à développer même si les pratiques en ce sens ne sont pas très avancées dans certains milieux. Le réseau est d’autant plus efficace s’il diffuse ce qui a été construit avec les groupes et si le contenu proposé peut être accessible à d’autres personnes ou d’autres groupes. Cet outil favorise la création de liens entre des personnes qui éprouvent de la difficulté à se rencontrer étant donné le manque de temps, les différentes tâches à réaliser et, parfois, les distances entre les lieux de travail.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
La mise en place de réseaux de partage et de communication s’impose rapidement auprès des personnes qui sont engagées dans une démarche d’accompagnement et vise à dépasser la volonté de faire quelques activités de maillage. Ce type de réseau se développe dans le temps, au fil des interactions qui se multiplient, qui engagent différentes personnes ou divers groupes et il s’enrichit grâce aux réinvestissements qui se font d’un groupe à l’autre, avec l’organisation de rencontres faisant appel à des personnes issues de divers groupes, à l’aide d’un site Internet ou avec d’autres moyens de communication qui permettent de savoir ce qui se passe ailleurs, avec un matériel d’accompagnement qui donne accès aux traces laissées par les réalisations et les réactions des personnes accompagnées, etc. Les personnes accompagnées peuvent aussi devenir des personnesressources dans leur milieu en intégrant la démarche expérimentée ou en créant un groupe semblable. Elles peuvent modifier et adapter la démarche d’accompagnement ou modifier la perspective qui leur est proposée dans le matériel de formation ou d’accompagnement, tout en se donnant et en gardant un fil conducteur ; en ayant une ou des intentions d’accompagnement ; en favorisant la construction de nouveaux apprentissages ; en alternant les moments de travail individuel et collectif ; en incitant à des interactions ; en intégrant une part de formation pour l’accompagnement ; en gardant des traces de la démarche ; en amenant les personnes à réguler leur pensée et leur action ; en se préoccupant du réinvestissement dans d’autres contextes d’accompagnement auprès d’autres personnels concernés ; en incitant à l’action, etc. La mobilisation de personnels engagés dans un processus de changement, de renouvellement des pratiques et de développement de compétences professionnelles exige de faire une réflexion sur les rôles des personnes qui décident de s’y engager et de questionner leur rôle dans la formation de collègues ou lorsqu’ils travaillent en équipe. Cela demande aussi de revoir les choix d’actions et la manière de travailler ensemble au sein d’une organisation, d’une institution ou à l’intérieur d’une région, voire d’une région à l’autre ou au plan national. Outre l’attention portée aux rôles des personnes, la mobilisation d’équipes de collègues facilite l’arrimage des activités entre différents secteurs ou niveaux dans l’organisation ou l’institution. Elle assure une plus grande cohérence dans le processus de changement et le renouvellement des pratiques. L’arrivée de nouveaux personnels est souvent perçue comme étant une situation négative, dérangeante pour une équipe ou un groupe. Ce dernier a alors le sentiment de régresser, de faire du « sur place », de
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revenir en arrière, de briser son rythme de travail ou d’altérer la chimie du groupe, etc. Au contraire, l’arrivée de nouvelles personnes peut apporter un nouveau souffle, de nouvelles idées, une nouvelle façon de voir, suggérer de nouveaux outils à l’équipe de collègues. Ces nouvelles ressources obligent le milieu à tenir compte de nouveaux points de vue et génèrent de nouvelles régulations ; elles sont le reflet des mouvements du personnel des institutions, organisations ou entreprises. Mener à prendre conscience de l’apport de nouveaux personnels dans une équipe fait partie de l’accompagnement d’équipes de collègues. En conclusion, la réflexion au regard de la mise en œuvre d’un changement soulève toute l’importance et la pertinence du travail en équipe de collègues. Cela suppose le développement de la compétence professionnelle pour l’accompagnement « mettre en place une collaboration professionnelle pour cheminer dans un processus de changement ». Travailler en équipes de collègues favorise les interactions, suscite des réflexions, invite à réaliser des mises à l’essai collectives, offre des lieux d’échange pour des rétroactions et des analyses de pratiques et d’expériences. En ce sens, la mise en place d’équipes de collègues s’inscrit dans la perspective d’établir une collaboration professionnelle entre différents partenaires. Ce processus complexe ne va pas nécessairement de soi et dépasse largement la signature d’un contrat entre deux parties. Cette relation se construit avec le temps et s’appuie sur la confiance et le respect mutuels des parties. Elle exige une compréhension des exigences de l’accompagnement à réaliser et ne repose pas sur une relation d’autorité. Elle mise plutôt sur les échanges, la souplesse et la réciprocité. Elle se construit avec les forces et les limites des partenaires, mais aussi par la multiplication de réalisations collectives.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
QUESTIONS DE RÉFLEXION associées à la compétence 5
En début ou en cours d’action
! Quel sens peut-on donner à l’expression « collaboration professionnelle » dans le contexte de la mise en œuvre d’un changement prescrit ? ! Que signifie travailler : ! en complémentarité ? ! en concertation ? ! en équipe de collègues ? ! Quel sens donne-t-on à : ! coformation ? ! interformation ?
En cours ou en fin d’action
« Mettre en place une collaboration professionnelle pour cheminer dans un processus de changement »
! Comment peut-on travailler en synergie dans une équipe de collègues ? ! En quoi le travail en équipe de collègues favorise-t-il le développement de compétences professionnelles ? ! En quoi une collaboration professionnelle peut-elle favoriser la mise en œuvre d’un changement prescrit ? ! En quoi le développement d’un réseau de partage et de communication promeut-il le renouvellement des pratiques ?
COMPÉTENCE
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Mettre en place des projets d’action pour accompagner un processus de changement
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
6 METTRE EN PLACE DES PROJETS D’ACTION POUR ACCOMPAGNER UN PROCESSUS DE CHANGEMENT
GESTES PROFESSIONNELS 1. Discuter de la nature du changement dans une perspective d’action. 2. Préparer des tâches ou des situations d’accompagnement visant à mettre en œuvre le changement. 3. Favoriser la mobilisation et le développement d’une culture liée au champ d’expertise des milieux accompagnés. 4. Choisir des processus, des contenus, des moyens, des outils ou du matériel d’accompagnement qui facilitent une posture de développement professionnel. 5. Cibler des approches ou des pratiques cohérentes avec la mise en œuvre du changement. 6. Soutenir l’élaboration, la mise en action, l’analyse et la régulation de projets d’action.
ACTIONS
Projets d’action
COMME PERSONNE ACCOMPAGNATRICE ! ! ! ! ! ! ! ! !
Se donner les moyens d’enrichir sa culture liée à son champ d’expertise. Développer sa sécurité affective face au changement. Se construire une représentation du changement et la partager avec d’autres pour valider sa compréhension. Se demander comment les gens vont réagir aux questions et aux actions proposées. Reconnaître les manifestations, les causes et les conséquences de la résistance au changement. Verbaliser sa démarche mentale. Expliciter son action. Suivre l’évolution du changement. Exercer un leadership d’accompagnement.
POUR AGIR AUPRÈS DE PERSONNES ACCOMPAGNÉES ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
Faire des choix d’actions, prioriser celles qui facilitent la compréhension du changement. Questionner, confronter, remettre en question les idées, les croyances, les représentations et les pratiques. Anticiper les réactions des personnels accompagnés. Choisir des portes d’entrée et un parcours pour progresser dans le processus de changement. Garder des traces de la démarche et des expériences réalisées pour témoigner du parcours et de l’évolution. Planifier collectivement l’accompagnement. Favoriser l’expression d’une prise de parole. Faire appel à des moyens qui favorisent la régulation. Faire des retours critiques sur leurs expérimentations. Se donner des intentions d’apprendre ou de changer. Justifier le choix d’une approche ou d’une pratique en explicitant ses liens avec les intentions poursuivies. Effectuer des allers et des retours réflexifs sur la préparation, l’anticipation, la réalisation, le suivi et l’analyse de l’intervention. Amener les personnes à s’autoévaluer dans une perspective d’autonomie professionnelle. Aider à développer un sentiment de sécurité affective face au changement.
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CONTEXTE CONCEPTUEL DE LA COMPÉTENCE 6 Un changement majeur secoue inévitablement une organisation. Confrontés au changement, les personnes accompagnatrices travaillent à sa mise en œuvre ; elles se mobilisent pour essayer de comprendre la nature du changement en cherchant à se l’approprier pour l’intégrer à leur modèle de pratique afin de le réinvestir de manière à ce que son rayonnement progresse dans leur milieu de travail. Pour faire le changement, elles discutent et réfléchissent à ses enjeux ainsi qu’aux répercussions qu’il aura sur les pratiques professionnelles. Ce temps d’appropriation est une phase importante du processus, car il permet de réagir aux changements, d’anticiper les ajustements que les personnels auront à faire, de planifier avant de passer à l’action. Cette phase permet aux personnes d’accuser le choc du changement, d’en comprendre le sens et d’examiner comment il s’inscrit ou s’arrime à leur modèle de pratique. Elles vont graduellement ajuster leur modèle en fonction du changement à réaliser. Il s’agit d’un cheminement complexe qui donne parfois lieu à des modifications importantes avec lesquelles composer dans la démarche d’accompagnement. Si certaines personnes s’adaptent mieux que d’autres au changement, c’est peut-être parce que le modèle proposé est plus près de leur modèle de pratique, mais dans le contexte d’un changement orienté et prescrit, les personnes n’ont pas le choix de s’engager dans le processus. En ce sens, l’accompagnement propose un soutien utile. Cette phase d’appropriation est nécessaire car elle permet de comprendre pour agir, mais il importe aussi d’aller plus loin en effectuant un passage à l’action. C’est un levier puissant, car il permet la mobilisation d’un ensemble de ressources pour progresser vers le changement. La mise en place de projets d’action favorise le processus de changement, le renouvellement des pratiques professionnelles et le développement de compétences professionnelles. Ces projets d’action supposent un rapport étroit entre planification, anticipation, conception, élaboration, mise en œuvre, évaluation d’un ensemble de tâches, et cela en prenant en compte la culture liée à un champ d’expertise ainsi qu’au milieu accompagné. Il s’agit d’actions réfléchies qui englobent un ensemble de gestes professionnels, d’actions et de moyens qui favorisent le travail en collégialité pour faciliter la mise en œuvre du changement. La personne accompagnatrice (ou la dyade accompagnatrice) s’engage à mettre en place un dispositif réflexif-interactif complexe qui incite les personnes accompagnées à s’engager graduellement, elles aussi, dans le changement. Un tel engagement se fait en interaction, à l’aide de tâches ou de situations d’accompagnement socioconstructiviste. Pour manifester leur désir ou leur intention de changer ou d’apprendre, les personnes
Projets d’action
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s’engagent dans la démarche d’accompagnement, passent à l’action en planifiant et en élaborant des projets d’action ou d’accompagnement, pilotent des expériences dans leur milieu, réinvestissent la démarche, les moyens et les outils expérimentés auprès des personnes qu’elles accompagnent pour le développement de compétences. La réussite d’un changement suppose le passage à l’action ; on peut alors parler de la mise en place de projets d’action. De tels projets dépendent d’une préparation rigoureuse, qui offre des possibilités d’adaptation qui soient réalistes en considérant le cheminement des personnels accompagnés. En structurant des projets d’action pour accompagner le changement, les personnes accompagnatrices se donnent une vision à long terme afin de soutenir les personnes qu’elles accompagnent. Elles se demandent en quoi leur projet d’action va soutenir les personnes engagées dans le développement de nouvelles pratiques professionnelles ? En quoi ce projet va-t-il susciter l’adhésion au changement ? L’élaboration de projets permet la mobilisation de ressources et d’une culture liée à un champ d’expertise favorable au changement ; elle offre un soutien, un suivi, une continuité et favorise un réinvestissement des apprentissages réalisés. Lors de la planification de projets, les personnes accompagnatrices mettent leurs compétences collectives à profit en travaillant avec leurs collègues. Elles établissent des priorités, font des choix d’actions, de stratégies et de moyens qui s’inscrivent dans la perspective du changement. Ces projets d’action sont structurés en cohérence avec ses fondements, ses visées et ses orientations. Au cours de la planification de projets, les personnes accompagnatrices s’interrogent sur l’objet (le quoi) de leur intervention et comment elles comptent s’y prendre pour la réaliser. Elles explorent et discutent de leurs actions et de leurs pratiques dans une visée d’analyse, de remise en question et de régulation, en travaillant en collégialité. Elles portent un regard critique sur les moyens et actions mis en œuvre pour développer et exercer leur leadership d’accompagnement. Le projet d’action est généralement étalé sur plusieurs rencontres qui comprennent des éléments de formation (théorie et pratique) et des suivis. En plus d’approfondir leur compréhension du changement au contact de leurs collègues, les personnes développent une vision partagée du changement. L’élaboration de projets favorise l’analyse et la remise en question de pratiques ; elle incite les personnes à les renouveler en expérimentant certains aspects du changement dans leur milieu et en les discutant avec des collègues. Le partage d’expériences relatives au changement alimente la réflexion individuelle et collective.
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Un projet d’action comporte plusieurs composantes : un fil conducteur, des intentions, des actions et justifications, des anticipations, des ajustements possibles, une réflexion et des moyens pour garder des traces.
Fil conducteur Un fil conducteur est la clarification explicite de l’esprit d’un projet d’action servant à orienter les réflexions et les actions, à établir des liens entre les diverses idées émises et les actions posées et à faire un retour sur les actions pour articuler le sens, les liens et la cohérence de l’accompagnement (Lafortune, 2004c). Le fil conducteur permet de revenir sur le cheminement (individuel et collectif) réalisé en rendant explicite les objets et les processus expérimentés au cours de la démarche d’accompagnement. Il oriente la réflexion et l’action ; il permet de recadrer, d’ajuster et de réguler les actions et la démarche. La mise en contexte du fil conducteur qui s’est mis en place au cours d’une année, par exemple, aide à prendre conscience du cheminement parcouru et permet de faire des liens entres les actions passées et celles à venir. Cela favorise la planification des futures actions. Le fil conducteur aide à clarifier le sens des actions, assure une cohérence à l’accompagnement et permet de saisir comment cette cohérence s’est mise en place. Grâce à ce fil conducteur, la personne accompagnatrice peut inscrire les choix dans une perspective d’accompagnement socioconstructiviste. Enfin, le fil conducteur conduit à de nouvelles pistes de réflexion et d’action et peut même relancer la réflexion et l’action. Le fil conducteur est lié aux fondements théoriques du changement et à la connaissance de ces fondements, aux expériences d’accompagnement et aux ajustements que les personnes accompagnatrices réalisent dans l’action. C’est d’ailleurs un grand défi pour elles de pouvoir s’ajuster dans l’action, sans pour autant perdre de vue le fil conducteur de l’accompagnement, soit celui de la rencontre, sans oublier qu’il s’inscrit également dans un ensemble plus vaste qui comprend plusieurs rencontres au cours d’une période plus ou moins longue.
Intentions En explicitant leurs intentions d’accompagnement, les personnes clarifient les visées de leurs projets d’action. Formulées préalablement à l’accompagnement, les intentions sont en lien avec le projet et elles respectent son ampleur. Dans l’accompagnement, les intentions sont réalistes et prennent en considération le cheminement des personnes et du groupe. Elles peuvent être ajustées à la suite de l’élaboration de projets d’action.
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Actions et justifications L’élaboration d’un projet d’action comprend la description des actions planifiées. Il s’agit d’actions précises, qui vont même jusqu’à l’écriture des questions qui seront soumises aux personnes accompagnées. À partir de sa planification, la personne accompagnatrice peut expliquer et justifier les choix effectués dans le cadre de la démarche d’accompagnement. Elle peut être amenée à le faire en cours d’action. Cet exercice permet de bien camper l’action ; il donne de l’assurance aux personnes accompagnatrices parce qu’elles ont le sentiment de savoir où elles vont et pourquoi elles ont choisi ces actions plutôt que d’autres. Cette assurance est également perçue par les personnes qu’elles accompagnent, et qui ont alors le sentiment d’être entre bonnes mains. Cette description des actions est un excellent moyen de garder des traces de l’accompagnement réalisé. Les personnes peuvent y faire référence pour retracer le fil conducteur de la démarche.
Anticipations L’anticipation permet d’entrevoir certaines réactions prévisibles et de comprendre les raisons et les conséquences de ces réactions dans le cheminement des individus et du groupe, mais aussi pour la progression du changement. Lorsqu’elles élaborent des questions, les personnes accompagnatrices anticipent certains éléments de réponse à leurs questions. Cet exercice permet de valider les questions et aide à prévoir des sousquestions qui serviront à relancer la réflexion ou la discussion en cours d’accompagnement. En essayant de répondre à ses propres questions, la personne accompagnatrice peut réaliser leur niveau de difficulté, de clarté ou de précision. Certaines questions induisent parfois des réponses qui font dériver la réflexion dans toutes sortes de directions. Il ne s’agit pas d’orienter le type de réponses, mais d’être suffisamment clair pour faire avancer la réflexion. L’anticipation favorise les ajustements avant l’action ; elle pare certaines réactions ou réponses qui peuvent ainsi être évitées. Un retour sur les anticipations permet de les vérifier après l’intervention et d’ajuster une action future.
Ajustements possibles Même si on peut anticiper plusieurs aspects de l’accompagnement, certains ajustements sont tout de même apportés au cours de l’action. La personne accompagnatrice s’adapte souvent à ce genre de situation qui l’oblige à modifier certains aspects de sa stratégie d’accompagnement. Même si elle est ouverte à l’idée d’apporter des ajustements, elle va
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cependant évaluer l’impact de ces changements au regard du fil conducteur de l’accompagnement, de manière à pouvoir expliquer et justifier les ajustements apportés.
Réflexion sur les compétences, les croyances et les pratiques Afin de réfléchir sur les compétences, les croyances et les pratiques, il importe de se demander si les projets d’action mettent à contribution les compétences des personnes accompagnatrices et accompagnées, s’ils développent des compétences professionnelles, s’ils permettent d’enrichir leur culture, etc. Certains choix relatifs au déroulement de ces projets se font en fonction des croyances des personnes. Peuvent-elles expliquer ces choix, les situer dans leur modèle de pratique ou encore faire des liens entre leur pratique antérieure et celle qui s’inscrit dans la perspective du changement ?
Garder des traces La conservation de traces est importante pour comprendre l’évolution de la démarche mais aussi pour repérer les éléments d’application plus facile et les difficultés rencontrées. Cela permet les ajustements et l’amélioration de la démarche d’accompagnement. Conserver des traces favorise la réflexion et l’analyse. Ces traces sont également utiles pour effectuer des retours sur les apprentissages réalisés au cours de la démarche, ou lors de bilans. Dans l’élaboration de projets d’action, la personne accompagnatrice précise quel genre de traces elle entend conserver et de quelle manière elle prévoit s’y prendre pour en faire la collecte. Ces traces balisent la démarche d’accompagnement et peuvent donner lieu à un réinvestissement à différents moments de l’accompagnement. Elles servent à faire des amorces, des retours, à mesurer le cheminement parcouru, le parcours emprunté, à faire la synthèse de sa démarche, à faire des liens entre les rencontres, à établir des bilans, etc.
POUR LA COMPRÉHENSION DES GESTES PROFESSIONNELS ASSOCIÉS À LA COMPÉTENCE 6 Mettre en place des projets d’action pour accompagner un processus de changement suppose des gestes professionnels et des actions. Voici les principaux gestes professionnels ainsi que certaines actions qui permettent de mieux circonscrire cette compétence :
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! discuter de la nature du changement dans une perspective d’action ; ! préparer des tâches ou des situations d’accompagnement visant à mettre en œuvre le changement ; ! favoriser la mobilisation et le développement d’une culture liée au champ d’expertise des milieux accompagnés ; ! choisir des processus, des contenus, des moyens, des outils ou du matériel d’accompagnement qui facilitent une posture de développement professionnel ; ! cibler des approches ou des pratiques cohérentes avec la mise en œuvre du changement ; ! soutenir l’élaboration, la mise en action, l’analyse et la régulation de projets d’action.
Discuter de la nature du changement dans une perspective d’action Face à la mise en œuvre d’un changement majeur et prescrit, les personnes sont souvent désorientées puisque leurs repères changent. Sollicitées de toutes parts, elles participent à toutes sortes de formations, reçoivent une quantité impressionnante d’informations en provenance de plusieurs sources. Certaines sources ne sont pas toujours fiables et peuvent même diffuser un contenu qui pourrait être en contradiction avec le changement souhaité. La pression redouble à cause de l’urgence de mettre en branle le processus de changement, ce qui rend encore plus difficile la sélection des gestes à poser et l’établissement de priorités entre les actions. Être proactif dans le changement exige d’avoir réfléchi à ce changement et au sens à lui donner pour éviter les incohérences, les dérives et la dispersion. La cohérence entre les choix effectués, les actions et la mise en œuvre du changement aide à la compréhension du changement et facilite l’adhésion des personnes. Discuter de la nature du changement, susciter des prises de conscience, créer des moments propices aux échanges, questionner pour déstabiliser, sécuriser et soutenir aident à donner une cohérence aux actions. Cette cohérence sera alimentée par des discussions à propos du renouvellement des pratiques et du développement des compétences, ce qui suppose des questionnements, des confrontations, la remise en question des idées, des croyances, des représentations et des pratiques, autant chez les personnes accompagnées que chez celles qui
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les accompagnent. Les décisions qui seront prises privilégient des actions qui s’accordent avec le sens du changement, du renouvellement des pratiques et du développement de compétences professionnelles.
Préparer des tâches ou des situations visant à mettre en œuvre le changement Dans l’accompagnement, la préparation s’avère très importante et elle comprend la planification et l’anticipation de situations d’accompagnement qui s’inscrivent dans une perspective socioconstructiviste. Contrairement à certaines croyances, la préparation est une tâche complexe. Certaines personnes la perçoivent comme une tâche simple ; elles se disent : « Les personnes accompagnées vont construire avec moi et je pourrai alors faire des ajustements en cours d’action. » Cette façon de concevoir l’accompagnement indique que l’approche n’est pas suffisamment structurée, qu’il y a absence de rigueur et qu’on laisse trop de place à l’improvisation. La préparation de projets d’action et de situations d’accompagnement, incluant la planification et l’anticipation, exige un travail d’analyse des situations qui sont les plus pertinentes au regard du contexte d’accompagnement et des personnes accompagnées. Au cours de la préparation, la personne accompagnatrice anticipe les réactions des personnes accompagnées ; elle se donne la possibilité de faire des choix en situation, de faire appel à d’autres moyens. Selon les questions et les réactions des personnels accompagnés, les choix et les moyens permettent de réaliser des ajustements en cours d’action, en fonction des différentes orientations prises dans l’action. La planification de l’accompagnement suppose la mise en place de conditions favorables au changement et au renouvellement des pratiques. Ces conditions peuvent être discutées avec les personnes accompagnées en examinant celles qui sont utilisées dans d’autres contextes d’accompagnement. Planifier la démarche d’accompagnement permet de donner une place aux personnes accompagnées et apprenantes. Au cours de la démarche, les personnes se rendent compte des avantages du travail en équipe et de l’importance des collègues dans leur cheminement professionnel. La planification collective aide à la mise en commun des expériences réalisées, à faire profiter d’autres équipes de ses expériences, mais aussi du matériel et des outils utilisés. Elle favorise la mise en pratique du questionnement, de la rétroaction, de la synthèse, etc.
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L’accompagnement suppose également une adaptation de sa manière d’intervenir à la culture liée au champ d’expertise, au milieu ainsi qu’aux caractéristiques des personnes accompagnées. La prise en compte du fonctionnement des personnes et du groupe peut sembler une évidence. Cependant, ce n’est pas nécessairement facile à réaliser dans l’action, car cette prise en compte suppose parfois d’apporter des ajustements majeurs à la préparation initiale. La personne accompagnatrice peut être amenée à faire certains choix ou à prendre des décisions dans le feu de l’action. Cet « état de veille » exige une grande capacité d’adaptation. La diversité des attentes peut également rendre la tâche difficile, surtout si la personne cherche à rejoindre toutes les personnes accompagnées. Elle va cependant exercer un leadership d’accompagnement dans le choix de ses actions, de manière à faire progresser le groupe sans nécessairement répondre à tous les besoins exprimés, tout en cherchant à répondre aux attentes du groupe. L’adaptation ou la transposition de tâches ou de situations au contexte d’accompagnement en fonction des personnels accompagnés est essentielle. La démarche d’accompagnement peut différer d’un groupe à l’autre selon l’expertise, la composition et l’évolution des groupes. C’est pourquoi il importe de connaître tant les enjeux du changement que les personnes accompagnées, afin de choisir, en partenariat avec elles, la ou les « portes d’entrée » par lesquelles elles souhaitent accéder au changement ainsi que le parcours à privilégier pour le mettre en œuvre, et qu’il faut s’assurer que cette mise en œuvre progresse dans leur milieu de travail. Clarifier le rôle de la personne accompagnée et le prendre en considération lors de la préparation de la démarche d’accompagnement exigent une planification structurée. Malgré cette exigence, cette clarification demeure flexible et ouverte afin d’inclure les contributions des personnes engagées dans la démarche d’accompagnement. Cette planification intègre à la démarche des tâches qui amènent les personnes accompagnées à participer à la planification ainsi qu’à exprimer leurs réflexions, leurs idées, leur façon de voir le changement ou l’accompagnement. Une autre manière de favoriser l’engagement des personnes consiste à les inciter à faire des choix, à faire appel à des moyens qui favorisent la réflexion et la régulation ou à expérimenter des aspects de l’accompagnement à l’intérieur même de la démarche ou encore de leur offrir la possibilité de rendre compte des expérimentations réalisées en dehors des rencontres et de les analyser en effectuant un retour critique sur ces expériences avec le groupe.
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On vise alors un réinvestissement de la démarche d’accompagnement pour faire en sorte que le changement ait des répercussions dans le milieu de travail. Avec les personnes accompagnées, on peut se demander comment adapter ou transposer la démarche expérimentée pour intervenir auprès d’autres collègues. Cette préoccupation facilite la transposition des apprentissages et incite à passer à l’action. Anticiper qu’il y aura un réinvestissement dans la pratique professionnelle aide à faire ce passage à l’action ou à l’accompagnement à l’intérieur même du processus de changement. Chaque groupe accompagné adopte son propre cheminement, ce qui influence les actions posées et les choix à faire. Même si ces actions respectent les fondements théoriques du changement, elles ne peuvent convenir à toutes les situations. Les personnes accompagnées transposent la démarche d’accompagnement en l’adaptant à leur contexte d’intervention, qui fait parfois référence à d’autres contextes d’accompagnement ainsi qu’à d’autres personnels visés. Pour ce faire, elles sont invitées à garder des traces de leur démarche d’accompagnement ainsi que des expériences réalisées dans leur milieu. Cette façon de procéder permet de suivre l’évolution des personnes et des groupes accompagnés et de les aider à comprendre leur propre cheminement dans la démarche.
Favoriser la mobilisation et le développement d’une culture liée au champ d’expertise des milieux accompagnés Les personnes qui s’engagent dans un processus de changement vont nécessairement mobiliser et développer une culture liée à leur champ d’expertise. L’annonce d’un changement majeur oblige les personnes à s’interroger sur les fondements du changement proposé. Ce dernier introduit de nouveaux concepts dont certains ne sont pas toujours clairement établis même pour la communauté scientifique. En effet, ces concepts continuent à évoluer et vont finir par se stabiliser à force d’être questionnés autant par le milieu scientifique que par celui de la pratique. Lors d’un changement, les personnels sont également confrontés à une nouvelle terminologie. L’introduction de nouveaux termes permet de marquer le changement dans le discours, mais encore faut-il que les personnes aient le temps de se les approprier pour mieux les comprendre tout en continuant à progresser dans le changement. Elles sont appelées à faire de nouveaux liens entre leurs connaissances antérieures et les apprentissages qu’elles font au regard du changement à mettre en œuvre.
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Cependant, cette culture liée au champ d’expertise ne peut se limiter aux connaissances ; elle comprend également des habiletés et des attitudes, ainsi que des stratégies à connaître, à savoir utiliser et à pouvoir justifier en lien avec le changement souhaité (voir Lafortune et Martin, 2004). Un accompagnement socioconstructiviste tient compte de la culture liée au champ d’expertise du milieu accompagné, des actions déjà amorcées, du fonctionnement de l’organisation, de l’entreprise, etc. Cela peut se faire en favorisant la clarification des intentions, sans hésiter à les remettre en question si elles sont trop larges, trop ambitieuses, peu en cohérence avec les actions prévues. Cette clarification a avantage à être discutée au regard des projets d’action qui sont en processus d’élaboration dans les milieux accompagnés. Les personnes accompagnatrices contribuent également au développement de la culture des autres en partageant leur expertise et leurs expériences et en incitant à des expériences de coformation et d’interformation auprès des groupes qu’elles accompagnent. Les expériences d’interformation supposent un partage d’expertises ciblées par le groupe et sont préparées par des collègues. Celles qui relèvent de la coformation supposent une décision collective où chaque membre de l’équipe se forme avant d’en faire profiter les collègues. Pour s’approprier le changement, les personnes discutent de ses fondements, elles lisent de nouveaux textes de référence, découvrent de nouveaux auteurs et auteures ou consultent différentes sources d’information, etc. Ce mandat de changement les amène à chercher de nouvelles ressources. Au fil de leur progression dans le processus de changement, les milieux soulèvent de nouvelles questions, sont confrontés à différents problèmes à résoudre. Cette situation génère un effet d’entraînement qui a des répercussions sur tous ceux et celles qui sont liés de près ou de loin au contexte du changement. Le monde de la recherche profite également de ce momentum en publiant des ouvrages qui fournissent souvent des éclairages inspirants sur le changement à mettre en œuvre.
Choisir des processus, des contenus, des moyens, des outils ou du matériel d’accompagnement qui facilitent une posture de développement professionnel Devant l’imminence d’un changement important et au début de la démarche d’accompagnement, les personnes réagissent en exprimant toutes sortes de besoins pour manifester soit leur enthousiasme ou leurs craintes, soit leurs résistances ou leur ouverture au changement. Ces
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besoins peuvent être de différents ordres : personnel, professionnel ou organisationnel. Dans la progression de la démarche d’accompagnement, les personnes qui se sont engagées changent graduellement de posture. Au début de la démarche, elles adoptent plutôt une « posture d’attente » où elles expriment des besoins en formulant des demandes afin que ces besoins soient comblés, puis passent à une « posture de développement professionnel » où elles adoptent une attitude proactive en passant à l’action, en se donnant des intentions d’apprendre ou de changer. Ce changement de posture s’explique probablement par le degré d’engagement des personnes, mais aussi par le fait que dans l’accompagnement socioconstructiviste, on les incite à le faire en étant des partenaires, en faisant des choix, en s’engageant dans des expériences, en sollicitant leurs expériences, leur expertise, etc. Elles se donnent des intentions d’apprendre, de cheminer dans la démarche, de développer des compétences professionnelles, etc. Favoriser le renouvellement des pratiques signifie souvent de prendre le temps de répondre à des besoins qui vont faciliter la mise en œuvre du changement et graduellement amener les personnes à passer d’une « posture d’attente » à une « posture de développement professionnel ». Pour y arriver, les personnes accompagnées sont encouragées à : ! approfondir leur compréhension du changement ; examiner leurs pratiques, les adapter et les réguler au regard du changement prescrit ; ! se former à des aspects du changement (orientations, fondements, approches, etc.) ; ! enrichir leur culture pour aider à comprendre la nature du changement ; ! développer une certaine sécurité affective face au changement (acceptation de l’incertitude, tolérance à l’ambiguïté) (Vallerand, 2006a, b) ; modifier leurs conceptions, se construire une représentation du changement ; ! partager leur vision du changement avec d’autres pour valider leur compréhension de ce qui se passe.
Cibler des approches ou des pratiques cohérentes avec la mise en œuvre du changement Il peut être difficile de déconstruire certaines idées à propos d’approches particulières qui offrent des réponses, mais qui peuvent constituer un leurre et nuire au renouvellement des pratiques en occultant les
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fondements et les visées du changement. La réflexion peut consister à se demander si les approches ou les pratiques proposées sont cohérentes avec la mise en œuvre du changement. Un examen approfondi de ces approches ou de ces pratiques peut mener à justifier le choix d’une ou plusieurs approches en explicitant les liens avec les intentions poursuivies par la situation d’accompagnement. En relation avec une situation d’apprentissage et d’évaluation en éducation, voici un exemple qui illustre l’importance de cibler des approches ou des pratiques cohérentes avec la mise en œuvre du changement. Souvent appréciées par le milieu scolaire, certaines approches ou pratiques professionnelles développent les habiletés et l’autonomie des élèves ou sont centrées sur leur manière d’apprendre. En plus d’être rassurantes pour le personnel enseignant, qui en connaît déjà quelques-unes puisqu’elles font partie des formations offertes, elles peuvent aussi être stimulantes pour les élèves. Toutefois, il serait dommage de cristalliser les changements proposés en éducation autour de l’une ou l’autre de ces approches ou pratiques, qui deviendrait en quelque sorte le porte-étendard du changement proposé.
Soutenir l’élaboration, la mise en action, l’analyse et la régulation de projets d’action Accompagner la mise en place de projets d’action suppose de soutenir leur élaboration. Cela signifie de travailler avec les personnes qui mettront en place ces projets, tout en respectant leur autonomie professionnelle en leur accordant de la latitude en ce qui a trait au contenu et au déroulement du projet. Faciliter l’intégration des projets d’action suppose que ces projets les représentent, ce qui signifie de bien connaître les personnels accompagnés. Cette autonomie favorise la mise en action, l’analyse et la régulation de tâches ou de situations d’accompagnement en cours d’action. La réussite d’un projet d’action dépend grandement de sa préparation. Celle-ci sera rigoureuse, souple et réaliste. En élaborant un projet d’action, la personne accompagnatrice clarifie ses propres intentions, ses propres conceptions et ses valeurs, précise le type d’accompagnement privilégié en fonction du changement souhaité. Il est souhaitable que le projet élaboré soit intégré aux tâches de la personne accompagnée. L’élaboration des projets est planifiée dans une perspective d’aide à l’accompagnement ou d’aide au développement de compétences professionnelles. Loin d’être une surcharge inutile de travail, ces projets d’action s’inscrivent plutôt en complémentarité avec les actions déjà entreprises dans les milieux accompagnés. Il s’agit d’aider les personnes à passer de l’insécurité à une sécurité relative, en ne perdant pas de vue que tout
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changement demande du temps et en considérant que les personnes changent en même temps qu’elles s’habilitent à accompagner le changement dans leur milieu respectif. C’est pourquoi, les projets concrets s’inscrivent déjà dans une perspective d’action dans le milieu et comportent certaines caractéristiques décrites ci-après. La mise en place de conditions favorables au changement, au renouvellement des pratiques et au développement de compétences professionnelles permet de réaliser une démarche d’accompagnement plutôt que de juxtaposer des formations ponctuelles. Offrir le support requis aide à assurer un réinvestissement, une continuité et une cohérence. Ces conditions favorables sont associées à la transposition dans la pratique des apprentissages réalisés au cours de l’accompagnement avec différents personnels visés par le changement.
Anticiper les questions, les réponses et les réactions Pour proposer ou faire émerger des idées de transposition de ce qui est réalisé en cours d’accompagnement et favoriser un réinvestissement, il est nécessaire de faire l’exercice avant d’entrer en action avec les personnes accompagnées afin que les idées émergent facilement, qu’elles soient pertinentes, qu’elles suscitent l’intérêt et qu’elles soient déjà un peu organisées. Dans l’accompagnement, il importe de connaître des éléments de réponse aux questions qu’on présente et d’essayer aussi de prévoir les questions que les personnes vont se poser en cours d’action. Effectuer un travail d’anticipation en se demandant comment les gens vont réagir aux questions et aux actions proposées, prévoir des justifications, des réponses, penser à des exemples, des adaptations, des transpositions à d’autres contextes d’accompagnement ou d’apprentissage sont des moyens privilégiés pour porter un regard sur ce qui se passe dans l’action, mais aussi pour faciliter les ajustements en cours d’action. Prévoir les réactions de résistance au changement en cherchant à en reconnaître les manifestations, les causes, les conséquences et à envisager des pistes de solution pour y faire face, aide à comprendre cette résistance et à y réagir adéquatement. Il est parfois difficile de savoir pourquoi les personnes résistent aux changements et la personne qui accompagne cherche à se donner des moyens de prendre conscience des éléments qu’elle contrôle face à la résistance au changement. Le simple fait de chercher à comprendre cette réaction favorise l’accompagnement. En général, les manifestations sont bien visibles mais les causes sont souvent plus difficiles à cerner ; même les personnes qui refusent le changement ne savent pas toujours pour quelles raisons elles le font. La mise en lumière des
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résistances et leur expression incitent généralement à la recherche de solutions. Amener les personnes à formuler leurs résistances et à les justifier ouvre la voie au dialogue ainsi qu’à une tentative de compréhension mutuelle. Ainsi les personnes sont plus ouvertes à la recherche de solutions. Et il y a de fortes chances qu’elles finissent par accepter la mise en place de certains ou de plusieurs aspects du changement. Écouter et prendre en considération les réactions de résistance au changement peut vouloir dire être à l’écoute des craintes et des appréhensions, essayer de trouver les causes des réactions réfractaires pour pouvoir agir sur ces causes, au moins sur celles à l’égard desquelles on peut exercer un certain contrôle. Comprendre les résistances aide à y réagir positivement. Prendre en considération tant les personnes qui résistent au changement que celles qui l’accueillent favorablement aide à développer une vision partagée du changement. Derrière l’image de la résistance, il y a souvent des personnes qui cherchent à comprendre le changement pour mieux se l’approprier. On peut interpréter leurs réactions comme un obstacle au changement, mais aussi comme une occasion d’avoir à s’expliquer le changement. Ce questionnement peut ainsi se révéler productif, car il oblige à approfondir la compréhension du changement. Ces personnes veulent comprendre pourquoi elles devraient changer et elles adoptent souvent une posture critique face au changement. Certaines questions ou remarques peuvent cependant être perçues comme une menace par les personnes qui adhèrent déjà au changement ; cela peut même aller jusqu’à déstabiliser leur engagement. La démarche d’accompagnement favorise l’expression de points de vue qui sont parfois divergents, mais le choc des idées oblige à expliciter les points de vue, ce qui peut faciliter une progression dans la compréhension du changement.
Passer à l’action en préparant des interventions à réaliser dans le milieu Le changement, même s’il est réfléchi, se concrétise dans l’action. La somme de travail à réaliser peut varier selon son importance et selon le degré de résistance rencontré. Passer de la réflexion à l’action n’est pas un exercice insurmontable. Aider les personnes à progresser graduellement vers un changement de pratique, sans les décourager, consiste à les mener à se donner des défis réalistes qui leur permettront de constater qu’il leur est possible de modifier leurs pratiques professionnelles. Le soutien apporté participe à la construction collective d’idées de transpositions pour les différents contextes, en se donnant le moyen de garder des traces pour pouvoir revoir les actions et en discuter pour les alimenter
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
vers d’autres actions. Même si la « théorie des petits pas » peut sembler une stratégie intéressante, elle mérite d’être discutée afin d’éviter de demeurer dans le statu quo sans susciter des remises en question et un engagement dans le changement. Les personnes accompagnatrices suscitent l’engagement et aident à passer à l’action en utilisant des moyens et en construisant avec d’autres des outils et du matériel d’accompagnement socioconstructiviste. À titre d’exemple, coévaluer des productions d’élèves en éducation afin d’harmoniser les pratiques évaluatives de membres d’une équipe-cycle et de valider des outils d’évaluation peut ébranler les conceptions de l’évaluation et ainsi, aider à comprendre l’évaluation comme aide à l’apprentissage ou comme reconnaissance des compétences. Les outils d’évaluation peuvent alors mieux refléter les fondements du changement prescrit et être en cohérence avec les pratiques professionnelles. La mise en œuvre d’un changement suppose de passer à l’action en préparant des interventions qui supposent des allers et retours sur la préparation, la réalisation, le suivi et l’analyse de l’intervention. Pour assurer le réinvestissement, les personnes accompagnées peuvent graduellement contribuer à la démarche d’accompagnement en se risquant à effectuer certains essais (synthèse, rétroaction, questionnement, etc.), en prenant en charge une partie de l’accompagnement, en planifiant ou en tentant diverses expériences dans leur milieu pour ensuite en témoigner auprès de collègues. Garder des traces de ces actions pour en discuter et recevoir une rétroaction aide à comprendre les liens entre ses interventions et les exigences du changement. Toute action, aussi intéressante et stimulante qu’elle puisse le paraître, a avantage à être examinée en lien avec le développement de compétences ou en lien avec ce qui est visé par le changement.
Fournir un exemple en action de son intervention d’accompagnement Les personnes accompagnatrices sont appelées à exercer un leadership. Elles font réfléchir d’autres personnes sur le changement dans une perspective d’action. Elles assurent le relais entre les instances qui veulent le changement et celles qui l’intègrent à leurs pratiques. Un moyen privilégié est le modelage qui consiste à « se donner en exemple » en explicitant verbalement en quoi consistent le processus et la démarche mentale en cause et en exprimant ses propres doutes, ses remises en question, etc. Ainsi les personnes accompagnées peuvent comprendre, saisir la mise en
Projets d’action
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action et adopter les stratégies, les attitudes, la posture, les compétences démontrées par les personnes accompagnatrices. Ces dernières sont donc amenées à faire ce qu’elles suggèrent à d’autres de faire tout en rendant explicites leur processus et leur démarche : faire, montrer comment que cela est fait, expliquer pourquoi cela se fait ainsi et explorer des idées de transposition. On assure alors une adéquation et une cohérence entre la pensée et l’action, les croyances et les pratiques, entre ce qui est dit et ce qui est fait. Les personnes accompagnatrices rendent visibles aux autres ce qu’elles font, comment elles le font et pourquoi elles le font en offrant leur intervention comme un modèle à transposer.
Rétroagir aux interventions En plus d’avoir une fonction de régulation, les rétroactions apportées aux interventions favorisent la progression et le rayonnement du changement, le renouvellement des pratiques dans le milieu respectif de travail et le développement de compétences. C’est une façon de suivre de près l’évolution du changement et de faire un suivi de sa mise en œuvre. Ces rétroactions supposent une réflexion suscitée par des questions qui aident à la compréhension de l’action, mais qui incitent surtout à expliquer ses choix ; à préciser ce qui développe des compétences, dans quel sens et pourquoi ; à réfléchir sur des ajustements à faire ; à une autoévaluation vers l’autonomie professionnelle.
Tirer profit des interactions au regard des projets d’action L’accompagnement de groupes suppose l’élaboration de différents projets d’action. Dans l’action, il s’agit souvent de trouver des moyens pour susciter l’intérêt de toutes les personnes aux différents projets proposés par leurs pairs. Même si le projet présenté n’est pas le leur, il s’agit alors de servir l’intérêt de la collectivité en continuant à répondre à des besoins particuliers. Apprendre à tirer profit des interactions permet de se rendre compte que l’expertise des autres et leur vision de l’accompagnement peuvent alimenter sa propre expertise. Outre les contenus et les processus abordés, la connaissance des actions des autres influence les manières d’intervenir, les stratégies, et incite au partage de moyens, d’outils et de pistes d’intervention. Cette connaissance place les personnes en action de réfléchir ou d’examiner une ou des pratiques, d’en tirer certains enseignements utiles à l’accompagnement et même, de les intégrer à sa manière d’agir. Il est parfois plus facile de critiquer, de voir les lacunes dans les propositions des autres que dans les siennes. « Un accompagnement
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
socioconstructiviste suppose […] un processus de coconstruction collective [et] sous-tend une démarche balisée par des réflexions, des interactions sociales, des actions analysées collectivement pouvant conduire à des régulations avant de passer à d’autres actions » (Lafortune et Lepage, 2007, p. 37). En conclusion, sans passage à l’action, on ne peut dire qu’un changement est mis en œuvre. C’est pourquoi le développement de la compétence « mettre en place des projets d’action dans l’accompagnement d’un processus de changement » est essentiel. Il peut arriver qu’au début de la mise en œuvre d’un changement, les personnes accompagnatrices s’approprient le changement, modifient leurs pratiques, les analysent et les régulent, s’engagent dans un processus de développement professionnel. Cependant, elles ne peuvent en rester à cette étape. Dans un deuxième temps, c’est le passage à l’action qui importe : ses propres actions et l’accompagnement des actions des personnes accompagnées. L’accompagnement exige donc deux niveaux d’action.
Projets d’action
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QUESTIONS DE RÉFLEXION associées à la compétence 6 En début ou en cours d’action
! Qu’est-ce qu’un projet d’action pour la mise en œuvre d’un changement ? ! En quoi la planification et l’anticipation sont-elles des étapes importantes dans la préparation d’une intervention ? ! Qu’est-ce qui suscite l’engagement à passer à l’action ? ! Comment pourrait-on définir et expliciter le modelage d’une démarche d’accompagnement ?
En cours ou en fin d’action
« Mettre en place des projets d’action pour accompagner un processus de changement »
! En quoi garder des traces de la démarche est-il un geste professionnel ? ! Dans une situation d’accompagnement, en quoi la culture liée à son champ d’expertise est-elle mobilisée ? ! Comment peut-on rétroagir aux interventions dans une perspective socioconstructiviste ? ! En quoi une préparation rigoureuse et souple favorise-t-elle l’accompagnement d’un changement prescrit ? ! Comment une personne accompagnatrice peut-elle aider la personne accompagnée à surmonter ses résistances ? ! Comment peut-on favoriser une posture de développement professionnel ? ! Comment peut-on en arriver à réaliser des projets d’action plutôt que des actions ponctuelles et juxtaposées ?
COMPÉTENCE
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Mettre à profit des pratiques évaluatives dans un processus de changement
138 COMPÉTENCE
Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
7 METTRE À PROFIT DES PRATIQUES ÉVALUATIVES DANS UN PROCESSUS DE CHANGEMENT
GESTES PROFESSIONNELS 1. Questionner les personnels sur leur perception du changement et sa progression dans le milieu de travail. 2. Observer l’évolution du changement. 3. Analyser l’évolution du changement et son degré de mise en œuvre. 4. Réguler son action au cours de l’intervention. 5. Faire des bilans analytiques de son action et de celle des personnels accompagnés.
ACTIONS
Pratiques évaluatives
COMME PERSONNE ACCOMPAGNATRICE ! ! ! ! ! ! !
Prendre conscience de sa propre évolution. Concevoir l’évaluation dans une perspective d’aide à l’accompagnement. Se distancier de l’action pour l’analyser et la réguler. Se donner les moyens d’évaluer le développement de compétences professionnelles. Se donner des intentions d’observation et des critères. Examiner ses pratiques, celles de ses collègues ou celles des personnels accompagnés. Évaluer son cheminement et sa progression dans la démarche.
POUR AGIR AUPRÈS DE PERSONNES ACCOMPAGNÉES ! ! ! ! ! ! !
!
Faire réfléchir aux pratiques d’intervention et d’évaluation. Considérer différentes pratiques évaluatives pour suivre l’évolution du changement. Conserver des traces du cheminement. Situer la progression des personnels accompagnés. Faire part et discuter de ses observations et de sa réflexion. Analyser l’évolution du changement et ajuster l’intervention. Amener les personnels à interagir, à collaborer, à se concerter à différents moments de la démarche pour réfléchir aux ajustements à apporter. Construire collectivement la séquence d’accompagnement en fonction des choix, des besoins, du cheminement dans la démarche et des expertises.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
CONTEXTE CONCEPTUEL DE LA COMPÉTENCE 7 L’évaluation de la progression d’un processus de changement est une opération complexe. Elle l’est encore plus s’il s’agit autant d’évaluer le degré de mise en œuvre du changement que l’évolution des pratiques professionnelles des personnes accompagnatrices et accompagnées. Cette complexité est attribuable à plusieurs facteurs, mais la perspective socioconstructiviste y contribue certainement. Dans l’accompagnement d’un processus de changement, la perspective socioconstructiviste incite les personnes concernées par la progression de la mise en œuvre du changement ou le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement à porter un regard sur le processus de changement, et sur les personnes qui l’implantent. L’évaluation porte alors sur deux aspects : l’évolution du changement, mais aussi du renouvellement des pratiques. Néanmoins, peu importe ce qui est évalué, dans une démarche d’accompagnement du changement, le leadership d’accompagnement s’exerce sur un mode participatif plutôt que hiérarchique. On accorde alors une place importante à la contribution et à l’engagement des personnels accompagnés ; c’est pourquoi l’évaluation prend un sens particulier. Une telle conception de l’évaluation diffère de celle qui est souvent véhiculée. Selon une conception certificative ou hiérarchique, l’évaluation est perçue comme une tâche professionnelle qui incombe à une personne qui va évaluer une autre personne ou un groupe de personnes ou une organisation dans le but de porter un jugement sur les actions de cette ou de ces personnes en fonction de certaines tâches à réaliser, d’attentes de la part de l’employeur, d’objectifs professionnels ou de développement de l’entreprise. Ce type d’évaluation s’inscrit dans la perspective de rendre des comptes dans le cas d’individus, de groupes, d’organisations, d’institutions ou d’entreprises. L’évaluation est la plupart du temps confiée à un cadre supérieur (ou à une personne ou une firme externe) qui ne cherche pas nécessairement à tirer profit du regard des autres et de celui de la ou des personnes évaluées ou des groupes concernés. Dans plusieurs milieux, l’organisation du travail tend cependant à se modifier. Les pratiques collaboratives remplacent de plus en plus les pratiques hiérarchiques et, par conséquent, influencent aussi les pratiques évaluatives. La présente compétence aborde l’évaluation sous deux angles : celui des personnes accompagnées et du renouvellement de leurs pratiques et celui de l’évolution de la mise en œuvre du changement. Cette évaluation se situe dans une perspective d’aide au développement professionnel et d’aide à la mise en œuvre du changement. L’évaluation consiste alors à
Pratiques évaluatives
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considérer les personnes évaluées, tant dans leur cheminement que dans leurs façons d’implanter le changement. C’est une façon de discuter de forces et d’aspects à améliorer en considérant ce que la personne accompagnée veut se donner comme défi tout en n’oubliant pas les objectifs de l’organisation ou de l’entreprise, mais aussi les visées de ce changement. Réaliser une évaluation dans une perspective d’aide au cheminement professionnel exige du temps pour favoriser une intégration des apprentissages à réaliser ou des changements à mettre en œuvre. Elle se répercute sur l’évaluation de la mise en œuvre du changement. D’une part, les personnes cheminent à mesure qu’elles mettent en œuvre le changement et d’autre part, leur progression dans le processus de changement fait en sorte qu’elles renouvellent leurs pratiques professionnelles. Évaluation dans l’accompagnement d’un changement Dans l’accompagnement d’un changement, l’évaluation porte sur deux aspects : l’évaluation du renouvellement des pratiques professionnelles des personnels qui mettent en œuvre le changement et l’évaluation du degré de mise en œuvre de ce changement. En ce sens, l’évaluation est une démarche complexe qui consiste à avoir un regard et une réflexion critiques sur ses pratiques professionnelles pour porter un jugement sur la valeur de sa progression ainsi que sur celle des personnels accompagnés dans un processus de changement ou de développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement. Selon cette conception, les pratiques évaluatives ont une fonction d’aide et de soutien à l’accompagnement d’un changement ; elles sont appliquées dans une perspective de cheminement et de développement professionnel en considérant les éléments de prescription et les orientations du changement à mettre en œuvre dans un milieu de travail. L’évaluation se fait à partir de données recueillies auprès des personnels accompagnés, selon des critères explicitement énoncés. Une fois analysées et interprétées ces données sont discutées avec les personnels, qui peuvent ainsi mesurer et valider la progression du changement ou le développement de leurs compétences professionnelles pour l’accompagnement de ce changement. Selon cette conception, les pratiques évaluatives aident à guider le choix d’actions futures et à décider des mesures à prendre pour poursuivre un cheminement professionnel et pour continuer à progresser dans un processus de changement. Dans l’accompagnement socioconstructiviste d’un changement, l’évaluation est réflexive-interactive, c’est-à-dire qu’elle accorde une place importante à la réflexion, à la contribution ainsi qu’à l’engagement des personnels accompagnés en prenant en considération leurs idées, leurs valeurs, leurs points de vue et leur expertise professionnelle. Cette évaluation aide également à connaître, à analyser et à comprendre le degré de mise en œuvre du changement, ce qui est effectivement implanté, le temps nécessaire pour y arriver et le degré d’autonomie acquis dans le processus de changement.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Selon Hadji (1997, cité dans Legendre, 2005, p. 630) l’évaluation en éducation est une « opération de confrontation, de mise en rapport, entre des attentes et une réalité » ; elle est un « processus systémique de recherche d’information au sujet de l’apprentissage de l’élève et de formation de jugement sur les progrès effectués » (Linn et Grönlund, 1995, rapporté dans Legendre, 2005, p. 630). Dans l’accompagnement, l’évaluation peut remplir une fonction d’aide à l’apprentissage ou au cheminement professionnel, mais aussi de reconnaissance des compétences et de bilan du cheminement (MEQ, 2003). Dans l’accompagnement d’un changement, on pourrait aussi dire que mettre à profit des pratiques évaluatives renvoie à la confrontation des idées à propos du changement, à une remise en question des pratiques : de leur pertinence (celles qui se font et celles qui devraient se faire) ; de leur efficacité (celles qui devraient être modifiées ou améliorées en considérant le changement et ses éléments prescrits) ; et de l’incidence, tant positive que négative, que certaines pratiques pourraient avoir lorsqu’elles sont situées dans la perspective du changement souhaité. La mise à profit de pratiques évaluatives a donc une fonction d’aide pour les personnels qui sont confrontés au changement à appliquer. Elles apportent un soutien à leur cheminement professionnel et conduisent les personnels accompagnés à reconnaître leur propre progression dans le processus de changement. Évaluer est un acte professionnel. Il peut difficilement se réduire à l’application de règles et de modalités ou faire abstraction des autres partenaires qui sont engagés dans le processus. Dans la mise en œuvre d’un changement, l’évaluation va aussi prendre en considération l’ensemble des personnes qui interviennent dans le processus d’accompagnement. Pour tenir compte de la complexité, des exigences et de l’ampleur de la tâche, il y a avantage à se questionner, à discuter des croyances et des perceptions au regard des pratiques évaluatives afin de les mettre en perspective en les comparant avec les exigences du changement et en effectuant des ajustements réfléchis collectivement. L’accompagnement favorise la mise en place d’une organisation en équipe de collègues qui permet et soutient ces discussions autour de l’idée d’évaluer, qui peuvent mener à des remises en question déstabilisantes. Cet accompagnement s’inscrit dans une pratique réflexive qui se veut un regard critique et rigoureux sur ses pratiques évaluatives. Évaluer est un acte qui mène à des prises de décision qui exigent rigueur, cohérence et transparence. Des gestes professionnels sont associés à cette compétence évaluative ; ils portent sur l’évaluation de la démarche d’accompagnement,
Pratiques évaluatives
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ils peuvent être associés au renouvellement des pratiques des personnels visés par ce changement, mais ils peuvent aussi porter sur le degré de mise en œuvre du changement. Pour mettre à profit des pratiques évaluatives dans un processus de changement, l’accompagnement favorise la réflexion dans et sur l’action pour une continuité et une cohérence avec les orientations du changement. Cet accompagnement favorise une pratique réflexive et un renouvellement des pratiques s’il suscite un regard critique, des remises en question, des actions et une analyse de ces actions. Il s’inscrit dans une perspective socioconstructiviste si cette démarche suppose des réflexionsinteractions qui confrontent les pratiques ainsi que les croyances (conceptions et convictions) et qui suscitent des conflits sociocognitifs, lesquels permettent d’avoir plus de cohérence ou de prendre conscience de ses incohérences, de les verbaliser, de les partager et de les discuter (pour un complément, voir Lafortune et Deaudelin, 2001 ; Lafortune et Martin, 2004 ; Lafortune et Lepage, 2006). À l’occasion d’un changement majeur, les pratiques évaluatives antérieures sont passablement remises en question, alors que d’autres sont à revoir afin qu’elles s’inscrivent davantage dans la perspective des fondements du changement prescrit. Avec cette compétence, l’évaluation est abordée dans le sens du renouvellement des pratiques professionnelles ; elle peut remplir deux fonctions : une première fonction sert d’aide au cheminement des personnes accompagnées alors que la deuxième sert à reconnaître le cheminement réalisé et à faire un bilan de la démarche. Pour mettre à profit des pratiques évaluatives dans l’accompagnement d’un processus de changement, la fonction d’aide se rapporte au soutien apporté à des personnes accompagnées. Elle suppose que la personne accompagnatrice va porter un regard sur le cheminement des personnes qu’elle accompagne afin de trouver avec elles des moyens pour les aider à cheminer et à progresser dans la mise en œuvre du changement. Elle considère leur cheminement en les responsabilisant au regard de leur évolution dans le processus. Au cours de la démarche, elle fera appel à l’autoévaluation, à la coévaluation et à l’interévaluation. L’utilisation de ces pratiques évaluatives reste encore à développer en milieu de travail tout en considérant la complexité d’utiliser les résultats de ces types d’évaluation pour faire cheminer les personnes. Les commentaires des personnes accompagnées peuvent aider la personne accompagnatrice et les personnes accompagnées à nuancer leurs propos ou à relativiser certaines interprétations qu’elles pourraient avoir à propos de leur cheminement ou de celui de
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
leurs collègues de travail dans le processus de changement. Ce genre de pratiques évaluatives assure une rigueur, une cohérence, une transparence et une certaine équité. Il importe de discuter de l’évolution du changement avec les personnes accompagnées. Qu’en pensent-elles ? Comment pensent-elles évaluer leur progression dans le changement, celle des personnes qu’elles accompagnent ? En quoi l’évaluation peut-elle être utile à la progression du changement ? Comment se servir du résultat de ces pratiques évaluatives pour aider les personnes à changer ? Qu’est-ce qui les stimule à changer ? À s’engager davantage dans le changement ? L’évaluation du renouvellement des pratiques et du degré de mise en œuvre d’un changement est considérée comme une tâche professionnelle ; cela suppose un accompagnement. Il s’agit d’un acte exigeant puisqu’il s’inscrit dans une démarche de développement professionnel. Les personnes accompagnatrices sont ainsi elles-mêmes transformées par l’accompagnement qu’elles sont appelées à mettre en œuvre. La culture liée à un champ d’expertise, à un milieu ou aux individus qui la composent influence la manière d’accompagner le processus de changement et son évaluation. Les échanges et les partages, mais aussi les confrontations et les remises en questions peuvent susciter certains conflits, résistances et retraits ; cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de discussions à propos de l’évaluation et de la progression des individus dans le processus de changement. La personne accompagnatrice soutient et guide les autres, elle réfléchit sur sa pratique en même temps qu’elle adopte une posture réflexive, laquelle se reflète dans ses gestes d’accompagnement dans sa propre façon de porter des jugements d’évaluation. La personne accompagnatrice cherche avec d’autres à expliciter le sens du changement à réaliser et à réfléchir collectivement aux moyens ainsi qu’aux conditions nécessaires à sa mise en œuvre afin que celui-ci progresse. Pour mettre à profit des pratiques évaluatives dans un processus de changement, la personne accompagnatrice : ! développe et exerce son jugement professionnel tout comme elle accompagne le développement et l’exercice du jugement professionnel d’autrui ; ! comprend ce qui est évalué, c’est-à-dire le degré d’application du changement et le renouvellement des pratiques et aide les personnels accompagnés à le comprendre ; ! maintient un équilibre entre l’action et la réflexion surtout dans ses gestes évaluatifs ;
Pratiques évaluatives
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! fait émerger les croyances et l’explicitation des pratiques à propos du changement, ce qui aide son processus d’évaluation ; ! se donne des moyens pour comprendre les résistances au changement et pour exercer une évaluation pertinente ; ! réfléchit à l’évaluation comme processus d’accompagnement du changement selon le contexte de l’intervention. L’accompagnement qui s’articule autour de l’évaluation du renouvellement des pratiques dans le sens du changement comporte certains principes propres au socioconstructivisme : ! la réflexion sur et dans l’action pour un renouvellement des pratiques professionnelles ; ! la coconstruction d’un modèle collectif de pratiques qui s’inscrivent dans le sens du changement ; ! l’interaction avec les pairs, collègues, etc., qui suscite des remises en question, des prises de conscience et aussi, le partenariat, la collaboration ; ! la contribution du travail en équipe de collègues aux échanges sur l’élaboration de jugements évaluatifs justes, équitables, cohérents, rigoureux et transparents. Ces principes sont pertinents dans la mesure où ils sont transposés et utilisés dans l’action. L’intention est d’accompagner des personnels dans le renouvellement de pratiques professionnelles qui respectent les orientations du changement et qui favorisent sa mise en œuvre. Cela suppose une pratique réflexive (adapté de Lafortune, 2008a). D’autres principes peuvent être mis de l’avant pour réaliser un tel accompagnement. Les trois principes suivants exigent le développement de ce qu’on peut appeler un « regard méta » qui se veut un moyen de retourner aux personnes accompagnées ce qui a été observé sans jugement, avec l’intention qu’il y ait passage à l’action, pour un partage et une analyse collective. Pour la personne accompagnatrice, ces principes supposent des ajustements dans l’action, des prises de risque et l’acceptation de déséquilibres chez les autres, mais aussi chez elle-même. 1. Susciter des échanges d’idées entre collègues, qui peuvent mener à la confrontation, tout en conservant un climat de respect. Cela peut se faire en examinant les pratiques actuelles. Il est possible de partir des pratiques professionnelles des personnes accompagnées. Celles-ci peuvent être étudiées en fonction de leur concordance ou non par rapport aux orientations du changement. À titre de personne accompagnatrice, il est facile de se laisser tenter
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
et d’accepter le statut quo pour ne pas trop ébranler les personnes accompagnées ; cette attitude ne permet cependant pas de faciliter de nouveaux apprentissages ou d’aider à cheminer dans un processus de changement. Cette façon de faire preuve de « sympathie » ne favorise pas le changement et n’incite pas les personnels accompagnés à s’engager dans une démarche qui leur permettra de s’améliorer de manière continue ainsi que de se développer professionnellement. Il s’agit donc de trouver des moyens pour faire surgir les contradictions et susciter des remises en question tout en sachant que, si le déséquilibre est trop grand, la résistance s’installera automatiquement. C’est une question de dosage entre l’acceptation des pratiques et les interrogations à propos de celles qui sont à changer ou à ajuster. Cela exige un sens de l’observation et une ouverture à des ajustements constants ou à une amélioration continue en cours d’accompagnement. 2. Faire émerger la richesse associée aux différentes croyances et pratiques qui contribuent à la mise en œuvre du changement. Cela peut se faire en suscitant la remise en question par l’examen des croyances et des pratiques en mettant l’accent sur la richesse associée aux différences. C’est un moyen, dans un deuxième temps, de mieux faire accepter les incohérences. À cette étape, les opinions diversifiées sont encouragées, mais il est important d’en exiger les justifications. Cela exige une attention centrée sur les aspects positifs relevés, sans pour autant négliger les incohérences que le questionnement suscite. 3. Développer des moyens d’écouter les arguments et les justifications exige de savoir percevoir ce qui se cache derrière une justification. La justification est-elle un prétexte à la résistance au changement ou est-elle basée sur des arguments solides ? Quelle que soit la nature des justifications, celles-ci contiennent souvent de réelles craintes à écouter afin d’intervenir judicieusement pour favoriser une démarche de changement (Lafortune 2008a). Pour favoriser l’adhésion à un changement orienté ou qui comporte des éléments de prescription, la mise à profit des pratiques professionnelles se révèle essentielle pour soutenir les personnels dans leur processus de changement. Avec la sensibilisation au changement dans une perspective d’évolution et de mise en œuvre, les gestes professionnels de cette compétence invitent les personnels à s’y engager, à apporter des améliorations de manière graduelle et continue, à se fixer des défis
Pratiques évaluatives
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individuels et collectifs et à chercher à les atteindre avec l’aide de la personne accompagnatrice, mais avec d’autres personnels qui sont aussi interpellés par le changement à mettre en œuvre.
POUR LA COMPRÉHENSION DES GESTES PROFESSIONNELS ASSOCIÉS À LA COMPÉTENCE 7 Mettre à profit des pratiques évaluatives dans un processus de changement suppose des gestes professionnels et des actions visant à soutenir et à guider les personnels engagés dans ce processus. Même s’il est prescrit, un changement ne peut s’imposer de force. Les personnels sont plutôt amenés à voir le changement comme une possibilité d’améliorer leurs pratiques en continuant à cheminer professionnellement. Voici les principaux gestes professionnels ainsi que certaines actions qui permettent de mieux circonscrire cette compétence : ! questionner les personnels sur leur perception du changement et sa progression dans le milieu ; ! observer l’évolution du changement ; ! analyser l’évolution du changement et son degré de mise en œuvre ; ! réguler son action au cours de l’intervention ; ! faire des bilans analytiques de son action et de celle des personnels accompagnés.
Questionner les personnels sur leur perception du changement et sa progression dans le milieu de travail Favoriser le cheminement des personnels et les faire progresser dans la démarche d’accompagnement suppose réflexion et questionnement à propos de leur perception du changement, du renouvellement des pratiques et du développement de compétences professionnelles. Ces questionnements peuvent porter sur les pratiques d’intervention, mais aussi sur le degré d’application du changement dans un milieu donné. Parmi ces pratiques professionnelles qui aident à questionner et à comprendre le changement et son degré d’application, on peut considérer la rétroaction, les régulations proactives, interactives et rétroactives, l’autoévaluation, la
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
coévaluation et l’interévaluation. Le fait de questionner permet de vérifier où les personnes accompagnées en sont par rapport à l’accompagnement et la mise en œuvre du changement ; de mieux les situer dans l’évolution de la démarche, mais aussi de mieux évaluer la progression ou l’adhésion au changement. Le questionnement suscite certaines prises de conscience qui amènent les personnes accompagnées à suivre leur propre évolution, celle de leurs collègues ou du groupe auquel ils appartiennent et à les examiner en fonction du changement à mettre en œuvre dans un milieu donné.
Observer l’évolution du changement Pour être en mesure d’observer, de faire part de ses observations sur l’évolution du changement et d’en discuter, il est nécessaire d’avoir des contacts fréquents avec des collègues ou avec les différentes personnes associées au changement à mettre en œuvre et faire un suivi des actions ou des pratiques professionnelles. La démarche d’accompagnement suppose l’utilisation de stratégies diverses. L’observation s’avère pertinente. Il peut sembler facile d’observer des personnes accompagnées alors que l’observation exige de mettre en action des situations d’accompagnement planifiées, d’observer ce qui se passe dans l’action, de se demander quelles étaient les réactions auparavant, de tenter de comprendre les attitudes et les réactions qui surgissent pendant qu’on intervient. Elle exige aussi de se donner des critères d’observation afin de ne pas perdre le fil conducteur de la démarche d’accompagnement. Selon les intentions, il peut être nécessaire de faire part aux personnes des intentions d’observation et des critères retenus pour la faire. Dans certaines circonstances, il peut être pertinent de faire participer les personnes accompagnées au processus d’observation en les invitant à faire de l’auto-observation. Une telle démarche exige une bonne connaissance des personnes, du groupe ou du milieu. L’observation demande une grande qualité de présence aux autres et à ce qui se passe dans l’action ; cela exige une attention soutenue et la conservation de traces de ces observations par des prises de notes qui se font au cours de l’observation ou rapidement après l’intervention afin de pouvoir suivre l’évolution et de comprendre des résultats ultérieurs. Les observations alimentent la réflexion ; elles permettent d’apprendre de l’action, de la sienne et de celles des autres, des expériences réalisées, seul ou en équipe de collègues. La réflexion individuelle et collective aide à tirer des leçons de ces expériences en constatant les réactions, les limites, les dépassements, les défis, les forces individuelles et collectives,
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etc. L’observation favorise une mise à distance de l’action pour voir ce qui pourrait être consolidé, amélioré, changé ou exploré davantage, elle permet de faire une analyse de la situation, d’ajuster l’intervention selon le cheminement des personnes et la progression du changement.
Analyser l’évolution du changement et son degré de mise en œuvre L’analyse de l’évolution et du degré de mise en œuvre du changement suppose d’observer ses pratiques, celles de ses collègues ou des personnels accompagnés en utilisant des outils, des processus, des moyens et des critères variés. En plus de favoriser une meilleure compréhension du changement visé, différents processus et moyens permettent d’analyser l’évolution du changement et son degré de mise en œuvre. Parmi les processus et les moyens, on retrouve : ! l’interaction (échanges, partages, discussions, confrontations) ; ! la coconstruction (alternance du travail individuel et collectif en concertation ou en coopération, mais aussi les allers et les retours entre la théorie et la pratique) ; ! le questionnement (moments de réflexion, entretiens d’accompagnement, questionnaire, etc.) ; ! la synthèse (remue-méninges, mise en relation) ; ! la rétroaction (réflexive et interactive) ; ! le modelage (arrimage du discours de la personne accompagnatrice à sa manière d’intervenir pour le rendre visible en offrant un exemple concret de cette cohésion dans l’action) ; ! la pratique réflexive (moments de réflexion, métacognition, observation de ses pratiques, développement de compétences professionnelles) ; ! l’évaluation (autoévaluation, coévaluation, interévaluation, observation, régulation) ; ! la conservation de traces (fiches pour inscrire les apprentissages et les défis qu’on se donne, élaboration de synthèses, consignation d’un journal d’accompagnement, etc.). La rétroaction réflexive-interactive aux expériences vécues lors de la mise en œuvre du changement favorise le suivi et le soutien à cette mise en œuvre. En suivant les personnes de manière assidue et en
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
s’engageant auprès d’elles et du groupe accompagné, on les incite à faire un passage vers l’action. Le modelage peut passer par des pratiques d’autoévaluation en cours d’action. Cela signifie « se donner en modèle », en s’autoévaluant en situation d’accompagnement, en exprimant verbalement ses réflexions en présence des membres du groupe, sans oublier le fil conducteur de la démarche. Dans l’accompagnement d’un changement, l’évaluation est axée sur l’aide au cheminement professionnel ou est proposée comme une aide à l’accompagnement. En ce sens, la rétroaction et le questionnement qui favorisent l’interaction et la réflexion sont considérés comme étant appropriés.
Réguler son action au cours de l’intervention Au cours de la démarche d’accompagnement, les personnes accompagnatrices sont appelées à réguler leur action au cours de l’intervention. Les interactions avec d’autres, la collaboration et la concertation qui prévalent dans la démarche les amènent à prendre en considération la situation d’accompagnement, le cheminement des personnels dans le processus de changement, le renouvellement des pratiques et le développement de compétences professionnelles. Même si la visée de l’accompagnement se situe en cohérence avec le changement à mettre en œuvre, les cheminements des groupes ne sont pas nécessairement les mêmes. En appliquant des pratiques évaluatives, les personnes accompagnatrices réfléchissent aux ajustements et aux modifications à apporter pour améliorer la démarche d’accompagnement. Elles le font en considérant que les personnes accompagnées sont des partenaires engagés qui ont l’intention d’apprendre à propos du changement et qu’elles cherchent à se mobiliser autour d’une vision partagée du changement, mais en considérant aussi que le cheminement de chacun des groupes n’est pas figé dans une séquence prédéterminée ou interchangeable. La séquence d’accompagnement se construit avec les groupes en fonction des choix qu’ils font, des besoins qu’ils expriment, du cheminement dans la démarche et des expertises présentes dans les milieux, tout en considérant leurs actions. Les personnes accompagnées vont également réguler leur action au cours d’une intervention en relation avec la démarche d’accompagnement. Le cheminement et les interactions qu’elles ont avec la personne accompagnatrice et les autres personnes du groupe les amènent à ajuster et à modifier leurs pratiques en cours d’action à mesure qu’elles continuent à progresser dans le processus de changement. Elles mettent leurs expertises (formations et expériences) à contribution et profitent également de celles du groupe. En s’engageant dans la démarche, elles
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participent à la construction d’une vision du changement. Cette construction modifie leur perception du changement, mais aussi les conceptions qu’elles ont déjà élaborées au cours de leurs formations et de leurs expériences professionnelles.
Faire des bilans analytiques de son action et de celle des personnels accompagnés Même si la visée est la même, c’est-à-dire « accompagner la mise en œuvre d’un changement prescrit et orienté », le matériel d’accompagnement, les processus, les moyens et les outils peuvent différer d’un groupe à l’autre (ou d’un individu à l’autre). Les portes d’entrée ne sont pas nécessairement les mêmes ni les intentions d’apprendre ou de changer. Aussi, le fil conducteur de la séquence d’accompagnement peut considérablement varier d’un groupe à l’autre (ou pour chaque personne accompagnée) même si certains aspects sont semblables tels que les processus, les moyens, les thématiques abordées ou la structuration des rencontres. C’est pourquoi il devient utile d’effectuer, à différents moments de la démarche d’accompagnement, des bilans analytiques de l’action réalisée, mais aussi de celles des personnels accompagnés et de réguler l’action en conséquence et selon les intentions d’apprendre, de changer ou d’accompagner et de les inscrire dans le fil conducteur. Penser à aider les personnes accompagnées à se donner des moyens d’évaluer le développement de leurs compétences professionnelles peut les aider à progresser dans le processus de changement. Une façon de le faire consiste à se donner des intentions d’actions à mettre en place, à recueillir des traces du cheminement de ces intentions et d’en analyser l’aboutissement pour mieux poursuivre leur évolution. On peut ainsi mesurer les écarts entre les intentions et les actions engagées. Les personnes peuvent se demander si ce qu’elles font déjà va dans le sens du changement ou reconnaître ce qu’elles pourraient faire pour aller plus dans le sens du changement. Le temps consacré à faire des bilans permet aux personnes d’évaluer leur cheminement et leur progression dans la démarche, mais aussi la démarche de leurs collègues ou de leur équipe en faisant place à la réflexion et à la confrontation des idées. Dans l’accompagnement, il s’agit de ne pas confondre la confrontation (remise en question) et l’affrontement (discussion où c’est l’intention de convaincre l’autre qui prime sur la construction des idées avec d’autres). La première fait évoluer les idées et permet de les construire en interaction alors que l’affrontement n’entretient pas un climat favorable à la construction de connaissances et
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encore moins à la coconstruction d’idées, la recherche de solutions ou la résolution de problèmes. Ici, il s’agit d’une évaluation des pratiques dans une perspective d’aide et de soutien et non pas dans une perspective de reddition de comptes à une direction, à une administration, etc. Les bilans peuvent se faire à propos de différents aspects de l’accompagnement (les apprentissages, les défis, les perspectives, les répercussions de l’accompagnement, les conditions favorables à la mise en œuvre du changement, etc.). Ils peuvent aussi porter sur une séquence plus ou moins longue de la démarche ou encore se faire à des moments stratégiques de l’accompagnement (pour faire le point sur la démarche, pour réaffirmer l’engagement des personnes accompagnées). Ces moments favorisent l’évaluation des actions entreprises dans un groupe, les ajustements en cours d’accompagnement, l’orientation de la démarche, l’amorce d’éléments nouveaux et la planification de tâches ou de situations d’accompagnement à venir. Les personnes accompagnatrices font des bilans analytiques pour mieux se préparer à l’intervention ou pour s’aider à planifier la démarche d’accompagnement en déterminant les besoins du milieu scolaire accompagné, mais en se servant également des expériences et de situations concrètes du milieu pour enrichir la démarche d’accompagnement et les inscrire dans la perspective du changement à mettre en œuvre. La réalisation de bilans facilite également la poursuite de l’action et permet de cibler le ou les suivis à offrir aux groupes en effectuant un retour sur l’intervention réalisée. C’est un moment où les personnes reviennent sur ce qui a été fait en se distanciant de l’action. À la suite d’un bilan, les personnes sont souvent prêtes à relever de nouveaux défis, à entreprendre des actions plus spécifiques, à prendre de nouvelles décisions et à faire un passage vers d’autres actions pour progresser vers le changement visé. Les bilans analytiques favorisent l’engagement et la responsabilisation des personnels qui entretiennent ainsi un meilleur rapport au changement. En suivant sa progression, les personnels accompagnés n’ont pas le sentiment de subir le changement ou de se le faire imposer de force même si ce dernier est prescrit et orienté. Cette façon de voir le changement facilite la démarche d’accompagnement, car les personnes évaluent plus facilement les deuils à faire, les gains associés au changement, mais aussi les effets inattendus du changement. Elles peuvent ainsi mieux canaliser leurs efforts individuels et collectifs. Devant l’ampleur ou le choc du changement, on perd souvent de vue que l’intention première du changement vise l’amélioration d’un système, d’une organisation, d’un contexte de travail ou d’intervention.
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En conclusion, accompagner la mise en œuvre d’un changement suppose une évaluation autant en cours d’action qu’après l’action, autant pour aider au cheminement professionnel que pour évaluer l’évolution ou l’impact du changement. Cela signifie que le développement de la compétence « mettre à profit des pratiques évaluatives dans un processus de changement » s’avère nécessaire pour aider les personnes accompagnatrices et accompagnées à reconnaître l’évolution des pratiques, mais aussi l’influence ou l’impact du changement sur l’organisation, sur le développement des compétences des personnels accompagnés et sur la clientèle auprès de qui ces personnels interviennent.
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QUESTIONS DE RÉFLEXION associées à la compétence 7
En début ou en cours d’action
! Que veut dire observer l’évolution d’un changement ? ! Comment peut-on mettre à profit des pratiques évaluatives dans un processus de changement ? ! Quel rôle peuvent jouer les collègues dans le renouvellement des pratiques professionnelles ? ! Comment peut-on utiliser l’autoévaluation, la coévaluation et l’interévaluation comme des incitations à s’engager dans un processus de changement ? ! Comment peut-on, dans l’accompagnement, mettre à profit les pratiques évaluatives associées au changement en adoptant une perspective socioconstructiviste ? ! Comment le fait de se questionner sur ses perceptions et croyances peut-il soutenir le développement de la compétence professionnelle portant sur la mise à profit de pratiques évaluatives ?
En cours ou en fin d’action
« Mettre à profit des pratiques évaluatives dans un processus de changement »
! Comment est-il possible de remettre en question des pratiques sans créer certaines formes de résistance ? ! En quoi consiste une observation qui mène à des prises de conscience et à des ajustements ou à des renouvellements des pratiques ? ! En quoi le travail en équipe de collègues favorise-t-il la régulation d’actions et de gestes professionnels ? ! Comment accompagner la réalisation d’un bilan analytique lorsque le changement est orienté ou qu’il comporte des éléments de prescription ?
COMPÉTENCE
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Exercer un jugement professionnel en agissant de manière éthique et critique
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8 EXERCER UN JUGEMENT PROFESSIONNEL EN AGISSANT DE MANIÈRE ÉTHIQUE ET CRITIQUE
GESTES PROFESSIONNELS 1. Connaître son modèle de pratique et être en mesure de l’expliquer. 2. Faire preuve d’ouverture dans l’exercice d’un jugement critique. 3. Justifier ses prises de décision et ses actions. 4. Reconnaître et respecter les valeurs et les représentations. 5. Éviter toute forme de discrimination, de jugements hâtifs, de paroles ou de gestes inappropriés. 6. Adopter un fonctionnement démocratique. 7. Connaître et utiliser judicieusement le cadre dans lequel s’inscrit le changement. 8. Lier les jugements professionnel, critique et éthique pour la prise en compte des dimensions cognitive, métacognitive et affective et sociale.
ACTIONS
Jugement professionnel
COMME PERSONNE ACCOMPAGNATRICE ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
Être en mesure d’expliquer son modèle de pratique. Accepter le regard de l’autre, recevoir la critique. Faire preuve de créativité. Démontrer une autonomie réflexive-interactive. Reconnaître ses attitudes et ses croyances. Comprendre le rôle des aspects rationnel et affectif. Exercer une mise à distance permettant une rigueur, une cohérence et une transparence. Faire du modelage, fournir un exemple en action. Prendre conscience de ses incohérences. Accepter l’incertitude, tolérer l’ambiguïté. Prendre des risques. Respecter l’autre en tenant compte de sa « zone proximale de changement ». Contrer les stéréotypes et les préjugés. Éviter la catégorisation, l’étiquetage, la généralisation indue. Tenir compte de la complémentarité des personnels accompagnés.
POUR AGIR AUPRÈS DE PERSONNES ACCOMPAGNÉES ! ! ! !
! ! ! !
Examiner un problème dans son ensemble, en tenant compte de sa complexité. Explorer différents points de vue, justifier le sien, le comparer et le remettre en question. Revoir les décisions, les valider, les confirmer, les remettre en question et les ajuster. Utiliser l’interaction, le questionnement, la réflexion et la rétroaction pour supporter la reconstruction ou l’émergence d’un nouveau système de valeurs. Créer une ouverture à la diversité. Trouver et mettre en action des stratégies adaptées aux réactions observées. Ébranler des positions, créer des incertitudes. Se donner les moyens de préciser les interprétations.
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CONTEXTE CONCEPTUEL DE LA COMPÉTENCE 8 Dans le contexte d’actions visant le développement de compétences professionnelles et l’évaluation de ces compétences, les professionnels et professionnelles font face à des problématiques complexes, inhabituelles, voire inédites. Ces problématiques ne sauraient donc être résolues à l’aide de procédures, de recettes ou de techniques préalablement éprouvées et pouvant être utilisées telles quelles. Ce contexte oblige les professionnels et professionnelles à faire appel à leurs expertises (expérience et formation), à rechercher des solutions qui méritent d’être soumises à la discussion pour être approuvées, remises en question, validées, améliorées…, ce qui aide à développer un sentiment de compétence relativement à ces solutions et, lorsque cela est nécessaire, à s’ajuster dans l’action en tenant compte notamment des commentaires de collègues. Même si l’idée de jugement professionnel fait déjà partie des pratiques dans divers domaines, approfondir le concept même de « jugement professionnel » devient essentiel dans un contexte d’évaluation des compétences ou de développement professionnel. Il est également nécessaire de préciser que l’exercice du jugement professionnel ne se limite pas à l’évaluation des productions, mais fait aussi référence à plusieurs gestes professionnels qui exigent des prises de décision relatives, entre autres, à la façon d’aborder un interlocuteur − par exemple, pour communiquer des informations à propos d’un projet − à la justification des moyens choisis pour favoriser le développement de compétences, à la mise à profit d’expériences professionnelles, au choix de différentes stratégies d’intervention et à leur mise en relation qui précise l’intention visée et la cohérence du fil conducteur, etc. Dans l’évaluation des compétences, il s’agit de rendre des jugements, c’est-à-dire de prendre des décisions relativement à la démarche de réalisation d’un projet, autant en fonction d’une aide à la mise en œuvre d’un changement que pour la reconnaissance de l’efficacité des actions. En ce sens, le jugement sur les compétences ou sur le niveau d’efficacité atteint ne peut être le cumul de jugements. Le jugement professionnel est plus large et traverse l’ensemble des gestes professionnels. On peut se demander pourquoi utiliser l’expression « exercice et développement du jugement professionnel ». Lorsqu’ils sont en position de prendre une décision, les professionnels et professionnelles de différentes sphères d’activité exercent leur jugement professionnel s’ils prennent une décision qu’ils peuvent justifier si nécessaire, s’ils prennent une décision en lien avec les intentions et visées poursuivies et s’ils peuvent préciser les éléments de leur expertise (expérience et formation) mis à contribution lors de cette prise de décision. Ils développent leur jugement
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professionnel s’ils s’appliquent à revoir leurs décisions, à les valider, à les confirmer, à les remettre en question, à les ajuster, etc. En ce sens, les autres contribuent nécessairement à la progression du jugement professionnel. Ainsi, le jugement professionnel devient rigoureux, s’appuie sur des fondements, des politiques, des cadres, des programmes, des normes, des règlements qui correspondent aux balises à l’intérieur desquelles s’exerce le jugement professionnel. On peut donc dire que le jugement professionnel s’exerce seul ou avec d’autres, mais qu’il se développe principalement en interaction avec d’autres qui valident, confirment, ou remettent en question, les jugements lors de situations inédites qui, au fil de l’expérience, peuvent être comparées à un répertoire de situations déjà vécues. Ces considérations mènent à définir le jugement professionnel comme suit (inspiré de Lafortune, 2008a, p. 27-28). Jugement professionnel Le jugement professionnel est un processus qui mène à une prise de décision, laquelle prend en compte différentes considérations issues de l’expertise (expérience et formation) professionnelle. Ce processus exige rigueur, cohérence et transparence. Un jugement professionnel rigoureux s’appuie sur des fondements, des politiques, des cadres, des programmes, des normes, des règlements qui correspondent aux balises à l’intérieur desquelles s’exerce le jugement professionnel. De plus, les prises de décision peuvent être justifiées si nécessaire ; elles sont en lien avec les intentions et visées poursuivies et les éléments de l’expertise (expérience et formation) mis à contribution peuvent être précisés. Le jugement professionnel rigoureux suppose la possibilité de revoir ses décisions, de les valider, de les confirmer, de les remettre en question, de les ajuster, etc. En ce sens, les autres contribuent nécessairement à la progression du jugement professionnel. Pour être cohérent, le jugement professionnel est soumis au regard des autres pour discussion et remise en question. Le jugement professionnel s’exerce seul ou avec d’autres, mais se développe principalement en interaction avec d’autres qui valident, confirment, ou remettent en question les décisions prises lors de situations inédites qui, au fil de l’expérience, peuvent être comparées à un répertoire de situations déjà vécues. Un jugement professionnel exercé dans la transparence suppose une clarification des critères sur lesquels se basent les prises de décision et la possibilité de la mettre à jour si cela s’avère nécessaire.
L’exercice et le développement du jugement professionnel supposent une acceptation de la subjectivité, une prise de conscience de ses croyances et pratiques, un éclairage de la prise de décision à l’aide d’outils pertinents et suffisants ainsi qu’une argumentation des prises de décision. Cette vision du jugement professionnel exige une forme d’accompagnement ou minimalement des échanges au sein d’une équipe de collègues.
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L’accompagnement permet l’émergence de conflits sociocognitifs menant à une réflexion approfondie sur ses croyances et pratiques à propos des fondements du changement. Il peut même être nécessaire pour mettre en place une organisation en équipe de collègues qui favorise des discussions à propos des décisions et des remises en question à propos des pratiques professionnelles. Même si l’exercice du jugement professionnel fait déjà partie des pratiques, l’exercer de manière à expliciter, à justifier et à argumenter certaines décisions exige une réflexion sur les pratiques professionnelles et sur les processus de prise de décision. Cette réflexion a davantage de chances de mener à un changement si elle s’inscrit dans une pratique réflexive (voir la compétence 2) qui favorise la remise en question de ses jugements, l’amélioration de ses stratégies menant à des jugements, la prise de conscience de l’influence de ses préjugés ou idées préconçues. Encore ici, il est sous-tendu que l’exercice du jugement professionnel a avantage à être réalisé avec des collègues pour le développer, l’améliorer, présenter de la rigueur, être valide dans le temps, etc. Le rôle du travail en équipe de collègues pour l’exercice et le développement du jugement professionnel consiste à : ! questionner les décisions ; ! mettre en évidence des préjugés ; ! créer des incertitudes ; ! rendre des décisions équitables ; ! développer une collégialité. Dans une perspective d’accompagnement du développement du jugement professionnel, il peut être intéressant de faire réfléchir les personnes accompagnées à ce qu’est le jugement professionnel dans leur domaine d’expertise et à propos de leur fonction dans l’institution. Pour y arriver, dans une expérience déjà réalisée (en éducation), on a demandé aux personnes participantes de nommer leurs attentes à l’égard d’un professionnel ou d’une professionnelle provenant de n’importe quel domaine. Une analyse des réponses obtenues montre que des liens avec l’évaluation ou l’aspect diagnostic ressortent explicitement. Par ailleurs, d’autres types de prises de décision ressortent plus subtilement (décision d’agir auprès des personnes dans une situation particulière, d’informer ou de consulter des collègues…), et les liens avec le travail en équipe de collègues sont rarement mentionnés. Le regard de l’autre sur son propre travail ne semble pas être essentiel ou nécessaire, et par le fait même, il ne vient pas spontanément à l’esprit d’avoir des attentes précises à cet
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égard vis-à-vis d’une professionnelle ou d’un professionnel. Les attentes qui ressortent sont de trois types : des attentes relationnelles (attitudes, ouverture, écoute, respect…), intellectuelles (rigueur, sens éthique, critique…) et professionnelles (réflexion, compétence, autonomie…). Le type d’attentes qui ressort le plus est celui qui relève des relations que le professionnel ou la professionnelle entretient avec les autres. Certaines équipes de travail ont même fait ressortir uniquement ce genre d’aspects. Dans une démarche d’accompagnement, il apparaît important de rechercher un équilibre entre les aspects relationnels, intellectuels et professionnels. Que peut-on attendre d’un professionnel ou d’une professionnelle qui sait écouter, qui démontre de l’ouverture, mais qui n’a manifestement pas toutes les compétences requises quant à sa connaissance du sujet, par exemple ? Pour cheminer vers le développement du jugement professionnel, il semble important de discuter de ces attentes pour comprendre ce qui est essentiel, nécessaire et utile selon chacune des personnes accompagnées. Une discussion à propos des manifestations qui permettent de reconnaître qu’une personne exerce son jugement professionnel a fait émerger les manifestations suivantes : ! communique et explique sa pensée ; ! reçoit la critique, accepte le regard de l’autre et prend des risques ; ! examine un problème dans son ensemble, en tenant compte de sa complexité ; ! fait preuve de créativité ; ! analyse et réalise des synthèses ; ! fait preuve d’autonomie ; ! fait preuve d’agir éthique ; ! est engagée dans une pratique réflexive. Il ressort donc que le développement du jugement professionnel exige des éléments de formation autant au plan de capacités de synthèse, d’analyse et de critique que d’expériences de créativité, d’autonomie et d’éthique. Il semble aujourd’hui difficile de considérer le jugement professionnel sans faire de liens avec l’éthique, surtout si cette dernière est vue comme un espace de réflexion et une pratique et non pas considérée dans une optique prescriptive. Selon Gohier (2005), l’éthique est un art (combinaison de connaissances, de capacités et d’attitudes) : la connaissance de règles, des savoirs, la capacité de création et de réflexion et la mise en œuvre d’attitudes empreintes d’attention au contexte et de sensibilité
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à l’autre dans la façon d’être et d’agir ; en ce sens, une perspective éthique semble essentielle dans l’exercice du jugement professionnel. Il ressort que la réflexion éthique comporte une part d’incertitude que l’on peut associer à une certaine subjectivité qui existe dans l’exercice du jugement professionnel. Cependant, cette subjectivité peut être exercée avec rigueur, transparence et cohérence si elle est bien comprise, si elle comporte des balises, si elle est confrontée avec des collègues et si elle est fondée sur une expertise (expérience et formation) qui permet des comparaisons avec des cas semblables.
POUR LA COMPRÉHENSION DES GESTES PROFESSIONNELS ASSOCIÉS À LA COMPÉTENCE 8 Exercer un jugement professionnel en agissant de manière éthique et critique suppose des gestes professionnels et des actions. Voici les principaux gestes professionnels ainsi que certaines actions qui permettent de mieux circonscrire cette compétence : ! connaître son modèle de pratique et être en mesure de l’expliquer ; ! faire preuve d’une ouverture dans l’exercice d’un jugement critique ; ! justifier ses prises de décision et ses actions ; ! reconnaître et respecter les valeurs et les représentations ; ! éviter toute forme de discrimination, de jugements hâtifs, de paroles ou de gestes inappropriés ; ! adopter un fonctionnement démocratique ; ! connaître et utiliser judicieusement le cadre dans lequel s’inscrit le changement ; ! lier le jugement professionnel, critique et éthique pour la prise en compte des dimensions cognitive, métacognitive et affective et sociale.
Connaître son modèle de pratique et être en mesure de l’expliquer L’exercice et particulièrement le développement du jugement professionnel supposent des interactions avec les autres afin d’expliquer ses prises de décision. Pour que ces interactions s’inscrivent dans le cheminement
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professionnel des personnes accompagnées, il devient nécessaire de connaître son propre modèle de pratique et d’être en mesure de l’expliquer. Cette connaissance approfondie aide à reconnaître, dans ce modèle, ce qui relève du jugement professionnel et d’examiner sa pratique au regard des manifestations de l’exercice de ce jugement. Cela s’inscrit dans les manifestations d’une personne qui exerce son jugement professionnel qui : ! communique et explique sa pensée ; ! reçoit la critique, accepte le regard de l’autre et prend des risques ; ! examine un problème dans son ensemble, en tenant compte de sa complexité ; ! fait preuve de créativité ; ! analyse et réalise des synthèses ; ! fait preuve d’autonomie ; ! fait preuve d’agir éthique ; ! est engagée dans une démarche de pratique réflexive.
Faire preuve d’ouverture dans l’exercice d’un jugement critique Se montrer ouvert aux échanges, à la discussion, à la pluralité et à la divergence consiste, entre autres, à explorer différents points de vue, à justifier le sien, à le comparer à celui d’autres personnes et à le remettre en question, si nécessaire. Cela consiste également à reconnaître (prises de conscience) ses attitudes et ses croyances (convictions et conceptions) pour comprendre le rôle des aspects rationnel et affectif dans ses prises de décision. Le jugement professionnel comporte une dimension critique qui permet une mise à distance, c’est-à-dire une recherche de rigueur et de cohérence que l’on peut ensuite expliquer. Exercer une mise à distance signifie de se poser des questions relativement à ce qui influence son propre jugement. On peut se demander s’il est possible de le faire sans avoir recours aux autres pour clarifier ses pensées et actions, ses croyances et pratiques (Thagard, 2000). La réflexion, l’analyse et la régulation en interaction avec les autres semblent des éléments-clés pour favoriser la rigueur, la cohérence et la transparence. Le développement du jugement critique est donc essentiel à l’exercice du jugement professionnel ; il permet d’« apprécier les enjeux, considérer les faits, […] évaluer leur exactitude et
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les mettre en perspective de façon à relativiser sa position. Cela demande l’exploration et la confrontation de points de vue diversifiés, la recherche d’arguments et le recours à des critères » (MEQ, 2004, p. 40).
Justifier ses prises de décision et ses actions Dans une démarche d’accompagnement, il ne suffit pas de prendre des décisions ; pour fournir un modèle en action, les personnes accompagnatrices ont avantage à justifier leurs propres décisions. Exercer son jugement signifie prendre une décision en lien avec les intentions et visées poursuivies. Développer son jugement professionnel suppose de revoir ses décisions, de les valider, de les confirmer, de les remettre en question, de les ajuster, etc. En ce sens, les autres contribuent nécessairement à la progression de son jugement professionnel. En ce sens, on peut dire que le jugement professionnel s’exerce seul ou avec d’autres, mais se développe principalement en interaction avec d’autres qui valident, confirment, remettent en question les jugements lors de situations plus ou moins inédites qui, au fil de l’expérience, deviennent comparables à des situations relativement connues. Justifier ses gestes professionnels consiste à les revoir pour les expliquer et en arriver à une compréhension de ce qui permet de développer des compétences. Cela consiste également à ajuster ses pratiques en fonction du changement. Plusieurs gestes professionnels sont posés intuitivement et favorisent le changement alors que d’autres peuvent y nuire, même si ce n’est pas fait intentionnellement. Examiner sa pratique, faire une analyse de diverses interventions peut aider à comprendre pourquoi les personnes accompagnées ont plus ou moins réussi à construire des connaissances ou à développer des compétences. Le développement de compétences exige d’être mis en situation, en action. Ces situations sont complexes et ont un caractère assez inédit en situation d’accompagnement d’un changement. L’accompagnement suppose de se poser en modèle (de fournir un exemple en action). Être mis en situation et se poser en modèle exigent une cohérence entre pensées et actions, croyances et pratiques. Conserver une telle cohérence n’est pas toujours facile et peut même s’avérer impossible dans certains cas. Cependant, une pratique réflexive peut permettre de prendre conscience de ses incohérences, ce qui est déjà une première étape vers plus de cohérence. Enfin, fournir un exemple exige de se mettre en situation d’agir dans le sens du changement, d’accepter l’incertitude, de tolérer l’ambiguïté et de prendre des risques (Vallerand, 2006a, b).
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Reconnaître et respecter les valeurs et les représentations Dans une situation d’accompagnement, les valeurs des personnes sont toujours présentes et elles ne sont pas nécessairement les mêmes pour tout le monde. Elles guident les décisions et les pratiques des personnes ; elles peuvent parfois générer des situations conflictuelles ; c’est pourquoi, il importe de savoir les reconnaître chez soi et chez les autres. Elles sont une sorte de filtre à travers lequel se prennent les décisions ; elles expliquent bien souvent les réactions affectives et les actions des personnes. Lorsqu’elles sont claires et qu’on ne cherche pas à les imposer, les valeurs des uns aident les autres à se situer et à mieux définir leurs propres valeurs. En situation de changement, les valeurs des individus sont souvent interpellées ; les personnes sont parfois amenées à remettre en question certaines valeurs qui avaient jusque-là guidé toute leur action professionnelle. L’accompagnement peut contribuer à faire évoluer les valeurs des individus. Les moyens utilisés (l’interaction, le questionnement, la réflexion, etc.) peuvent soutenir la reconstruction ou l’émergence d’un nouveau système de valeurs. Pour vraiment s’engager, les personnes se mettent parfois en situation de vulnérabilité ; elles prennent certains risques dont les conséquences méritent d’être prises en considération. Cela suppose un scrupuleux respect des personnes accompagnées, de leurs idées, de leur courage. L’accompagnement se construit sur la base du respect envers les individus et grâce à la relation de confiance mutuelle qui s’installe au fil des rencontres.
Éviter toute forme de discrimination, de jugements hâtifs, de paroles ou de gestes inappropriés Éviter de porter des jugements hâtifs, des jugements qui mènent à des attitudes négatives, suppose le respect de l’autre en tenant compte de sa « zone proximale de changement ». Permettre à l’autre d’être entendu, lui fournir l’occasion d’exprimer ce qu’il croit relativement au changement et à sa mise en œuvre, c’est lui offrir un espace de discussion où les idées peuvent être débattues et être mises en perspective. Éviter toute forme de discrimination, de jugements hâtifs, de paroles ou de gestes inappropriés à l’égard des personnes accompagnées suppose un examen de ses
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pratiques tout autant que de ses croyances (conceptions et convictions) qui orientent ses attitudes, paroles, gestes, préjugés, idées préconçues. Certains principes peuvent guider un tel examen : Créer une ouverture à la diversité chez soi et chez les personnes accompagnées suppose une acceptation et même une valorisation tant de ce que sont les individus (attitudes, capacités), que de leurs façons de faire (stratégies, démarches), de leurs idées ou points de vue, mais aussi de leur culture ou de leur ethnie. Cela exige de faire appel à des connaissances, des compétences, de la compréhension, du respect pour que les personnes accompagnées trouvent un enrichissement grâce à la diversité. Considérer l’hétérogénéité comme une aide à l’accompagnement s’inscrit dans le contexte où l’accompagnement est reconnu comme un processus complexe où les personnes accompagnées présentent des caractéristiques diversifiées. En situation d’accompagnement, il peut être utile de clarifier comment les personnes accompagnées définissent homogénéité ou hétérogénéité dans leur pratique. Discuter du rôle de l’homogénéité et de l’hétérogénéité peut être l’occasion de se poser collectivement des questions sur l’accueil et l’ouverture à de nouvelles personnes dans une institution, une entreprise, une organisation, une équipe de collègues. Contrer les stéréotypes et les préjugés chez soi et chez les autres signifie avoir des attitudes, des paroles, des gestes qui démontrent un souci de considérer les autres de façon équitable, mais aussi de réagir aux paroles ou aux gestes qui véhiculent des préjugés vis-à-vis de certains membres du groupe. Contrer ces stéréotypes s’inscrit dans une pratique réflexive. En situation d’accompagnement, il n’est pas simple d’accepter et surtout de partager avec les autres le fait que l’on véhicule des stéréotypes et des préjugés. Cependant, le fait de le reconnaître est le point de départ pour les contrer, pour éviter qu’ils puissent influencer les jugements portés sur les expériences réalisées. Un accompagnement attentif peut aider à comprendre le rôle des stéréotypes et des préjugés sur la façon d’évaluer, par exemple. Éviter la catégorisation, l’étiquetage, la généralisation indue devient nécessaire parce que l’apprentissage est un processus complexe qui ne permet pas vraiment de regrouper les personnes accompagnées pour former un groupe ou des sous-groupes homogènes. D’une part, il est possible d’accompagner une réflexion collective relativement à la propension à créer en pensée des « catégories » d’individus (les novices et les expérimentés, ceux qui résistent au changement et ceux qui l’accueillent ouvertement, les innovateurs et les partisans de la tradition, etc.) pour s’aider à intervenir. D’autre part, l’accompagnement peut aider à recon-
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naître la tendance à généraliser certains comportements, attitudes ou façons d’apprendre à certains types de personnes. Que ce soit pour réfléchir sur la création de « catégories » ou sur la tendance à la généralisation indue, l’accompagnement incite à une autoobservation de ses façons de percevoir les personnes accompagnées, à une prise de parole à ce sujet, à une discussion collective à partir d’observations et à une meilleure compréhension de la portée de ses pensées, paroles ou gestes. Construire l’idée de ce que veut dire accompagner un groupe hétérogène signifie qu’il devient important de s’interroger sur ce que veut dire « accompagner un groupe hétérogène ». Dans l’idéal, il faudrait en arriver à penser à chaque personne, se demander où elle en est rendue, ce qui peut l’aider, prendre des notes d’observation, etc., pour réaliser le meilleur accompagnement. S’ouvrir à la pratique réflexive c’est s’engager dans une analyse de sa pratique qui consiste à examiner ses actions (interventions, approches, stratégies, formations), ses compétences, ses habiletés, ses connaissances, ses attitudes, ses valeurs pour comprendre les liens, les manifestations, les causes, les conséquences, les difficultés, les réussites et pour en arriver à se donner une représentation de sa pratique en vue de l’assumer avec cohérence. Cela signifie non seulement d’examiner ses pratiques, mais aussi d’accepter de les remettre en question et de les ajuster. Vouloir constamment ajouter des pratiques aux pratiques antérieures peut mener à utiliser trop de moyens ou à utiliser des moyens qui ne sont pas nécessairement complémentaires, qui sont plus ou moins cohérents les uns par rapport aux autres, même s’ils peuvent sembler intéressants si on les considère un à un. Accepter de coconstruire en équipe de collègues suppose une réelle concertation pouvant aller à une coresponsabilisation dans l’effort de développement des compétences professionnelles. L’équipe de collègues peut jouer un rôle à l’égard des diverses façons d’appliquer les principes ; elle peut les discuter, les questionner, les remettre en question, mais aussi les valoriser, les imiter. Accompagner une équipe de collègues requiert un certain « doigté » pour favoriser l’engagement des membres de l’équipe dans une démarche qui est susceptible de provoquer des remises en question. Une façon d’y arriver consiste à se demander si un individu est capable d’une objectivité complète ; à se demander comment une équipe peut contribuer à une plus grande objectivité, à une plus grande équité. L’accompagnement se déroule avec différents partenaires. La qualité du rapport qui lie ces partenaires influence l’évolution des personnes et du groupe. Il s’agit d’entretenir la qualité de ce lien. Une façon de le faire
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
consiste à tenter de comprendre où l’autre se situe, à trouver et mettre en action des stratégies adaptées et à ajuster ces stratégies en fonction des réactions observées. Le travail en équipe de collègues suppose une responsabilité collective, des discussions qui permettent des interventions coordonnées ou en collaboration, une coordination d’efforts collectifs, un contrôle, une régulation et des prises de décision collectifs ainsi que des actions concertées (Lafortune, 2004d). Pour y arriver, il est nécessaire de développer et de maintenir une confiance mutuelle même si des discussions et des confrontations (et non des affrontements) sont nécessaires. Cette confiance mutuelle à développer dans le travail en équipe de collègues où l’exercice du jugement professionnel mène à : ! questionner les décisions ; ! mettre en évidence des préjugés ; ! créer des incertitudes ; ! développer une collégialité.
Adopter un fonctionnement démocratique Il s’agit de faire des choix responsables en adoptant un fonctionnement démocratique qui tient compte de la complémentarité des personnels visés par le changement, des dimensions à considérer comme le respect, la recherche de collégialité et la cohérence, qui s’inscrivent dans une posture réflexive. Adopter un fonctionnement démocratique aide à faire des choix éclairés qui supposent un regard critique alimenté par des échanges avec d’autres, par des discussions avec des collègues. Ces interactions permettent d’assurer une plus grande cohérence et des prises de décision plus équitables que si les décisions étaient prises par une seule personne. Ce fonctionnement démocratique est lié à l’exercice d’un leadership d’accompagnement où le processus d’influence est partagé tout en respectant les rôles et fonctions des individus engagés dans le changement.
Connaître et utiliser judicieusement le cadre dans lequel s’inscrit le changement Pour accompagner un groupe, il s’avère nécessaire de connaître le cadre dans lequel les personnes évoluent et avec lequel elles doivent composer tous les jours en fonction des rôles, des tâches et des pouvoirs qui leur
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sont dévolus et qui déterminent leur champ d’intervention. Au-delà de cette connaissance, se donner les moyens de préciser les interprétations que les personnes accompagnées font de ce cadre est encore plus utile pour comprendre les croyances et les pratiques, les pensées et les actions, les réactions et les questions. Cela permet d’intervenir de façon pertinente, dans une perspective critique et éthique.
Lier jugements professionnel, critique et éthique pour la prise en compte des dimensions cognitive, métacognitive, affective et sociale Dans une démarche d’accompagnement, les jugements critique, professionnel et éthique sont liés. En effet, la dimension critique est comprise dans le jugement professionnel, sinon comment la personne accompagnatrice pourrait-elle faire la part des choses, nuancer ses propos, faire des choix, privilégier certaines informations au lieu d’autres, etc. C’est une question de crédibilité. La dimension critique favorise une mise à distance, une rigueur ainsi qu’une perspective éthique qui aide à la transparence, ce qui favorise le processus de responsabilisation. L’exercice du jugement professionnel suppose un travail réflexif, de la cohérence entre croyances et pratiques, pensées et actions et une tolérance face à l’incertitude. Enfin, le jugement professionnel se développe par des interactions avec les autres et une pratique réflexive − afin qu’au contact des autres et en situation, la personne puisse prendre conscience de ses actions et s’ajuster en cours d’action − mais aussi avec l’expérience et l’exercice de ce jugement. En confrontant ses actions et ses décisions à celles des autres, la personne se construit un répertoire d’actions à travers une diversité de situations qui enrichissent sa pratique et affinent son jugement professionnel. Cet ensemble suppose une prise en compte des dimensions cognitive, métacognitive, affective et sociale. En conclusion, « exercer un jugement professionnel en agissant de manière éthique et critique » s’inscrit dans la perspective que le jugement professionnel rigoureux et cohérent, exercé dans la transparence nécessite autant la concertation et la consultation de collègues que certaines confrontations (remises en question qui peuvent se faire sans affrontement). L’acceptation d’une telle perspective mène à rechercher l’expertise de collègues pour s’aider à prendre des décisions éclairées qui peuvent avoir des conséquences importantes sur le cheminement des personnes accompagnées et sur la mise en œuvre du changement. En ce sens, le
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
développement du jugement professionnel favorise une autonomie que l’on nomme réflexive-interactive. Une telle autonomie suppose des interactions et non pas la perspective de travailler seul pour prendre ses décisions ; elle suppose l’acceptation du regard de l’autre sur ses pratiques, jusqu’à les remettre en question tout en demeurant soi-même responsable de ses gestes professionnels.
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QUESTIONS DE RÉFLEXION associées à la compétence 8
En début ou en cours d’action
! Quelles sont les caractéristiques d’une personne qui exerce judicieusement son jugement professionnel ? ! Quelles sont les caractéristiques du jugement professionnel ? ! Quels sont les liens entre éthique et jugement professionnel ? ! Quel est le rôle d’une perspective critique dans l’exercice du jugement professionnel ? ! Que veut dire montrer une cohérence entre pensées et actions ? entre croyances et pratiques ? ! Comment peut-on en arriver à un jugement professionnel rigoureux et cohérent, exercé dans la transparence ?
En cours ou en fin d’action
« Exercer un jugement professionnel en agissant de manière éthique et critique »
! En quoi l’engagement dans une pratique réflexive favorise-t-il l’exercice du jugement professionnel ? ! En quoi pouvoir expliquer son modèle de pratique peut-il aider à développer et à exercer un jugement professionnel ? ! Qu’est-ce qui peut influencer l’exercice du jugement professionnel ? ! Comment peut-on exercer un jugement professionnel de manière éthique au regard de certaines prises de décisions professionnelles ? ! En quoi une équipe de collègues contribue-t-elle au développement du jugement professionnel ?
POSTFACE
Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement – Un référentiel… Un titre riche comportant plusieurs facettes sous lesquelles aborder la réalité scolaire pour en favoriser l’évolution. Commençant par le changement, il est facile d’obtenir un consensus sur le fait que le monde change, et ce, sur bien des aspects. On peut souhaiter ou craindre certaines de ses modifications ainsi faut-il choisir entre résister, faire avec ou influencer l’évolution d’un processus aux répercussions universelles. Effectivement, aucun groupe ou individu n’est à l’abri des remises en question de ses façons de faire. L’école est doublement interpellée par cette nécessaire adaptation : il lui faut changer ses cibles de formation, dans une logique de formation tout au long de la vie, et développer une culture d’amélioration des choses intégrée dans les pratiques de tous et de chacun. Ainsi en éducation, au Québec comme dans bien d’autres communautés et pays, a-t-on cherché à réagir adéquatement aux changements du monde environnant et à faire du changement de pratique un outil évolutif pour l’amélioration des services. À travers le grand chantier collectif de révision des encadrements de l’école québécoise nous avons redessiné les visées éducatives et les balises de l’intervention scolaire pour être en mesure de mieux préparer tous les élèves aux défis d’une société du savoir. Les visées de changement retenues mettent la barre haute, il s’agit d’offrir à tous nos jeunes la possibilité de jouer un rôle actif dans une société toujours plus complexe où les changements sont constants. Tous les jeunes doivent devenir habiles à traiter de l’information, à relever des défis, à s’organiser, à coopérer, à communiquer dans plusieurs langues, et ce, en mettant à profit les technologies de l’information et de
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la communication. En plus d’acquérir les connaissances et compétences des disciplines traditionnelles, ils doivent apprendre à apprendre leur vie durant, car beaucoup des savoirs dont ils auront besoin comme individu, citoyen et travailleur ne seront pas acquis à la fin de leurs études secondaires, il faut même reconnaître qu’une partie de ces savoirs continueront à émerger tout au long de leur vie. Il est heureux que ces ressources de savoir soient en croissance, car les défis à venir eux le seront. Depuis son apparition au Québec, l’école n’a cessé d’élargir son offre de services : d’une école d’alphabétisation à une école de formation classique, professionnelle et citoyenne, d’une école pour quelques-uns, pendant un nombre très limité d’années, à une école obligatoire pour tous jusqu’à 16 ans et même plus. Nous pouvons être fiers des nombreuses étapes franchies. Néanmoins, l’étape actuelle est encore plus exigeante que les précédentes, car il s’agit de faire acquérir par l’ensemble des élèves « Ce que l’on jugeait auparavant comme des compétences cognitives et d’attitudes très avancées, hors de portée du plus grand nombre […]1. » Les sportifs d’élite le savent, il est plus difficile d’améliorer une très bonne performance que d’apprendre les rudiments d’un sport. En somme, en éducation on veut le changement parce qu’on est bon mais que demain il faudra être encore meilleur. Mais comment relever un tel défi : décréter le changement est rarement efficace, attendre qu’il émerge spontanément peut exiger beaucoup de patience. C’est ici que l’approche de l’accompagnement du changement proposé par certains auteurs devient un levier prometteur. Les travaux menés par Louise Lafortune sont, à cet effet, riches d’enseignement. Ils permettent de concevoir le renouvellement de la formation en cours de pratique dans le contexte d’un changement dirigé laissant une large place aux initiatives professionnelles. Le document : Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement. Un référentiel est le fruit du projet accompagnementrecherche-formation pour la mise en œuvre du Programme de formation de l’école québécoise. De l’articulation entre la théorie et la pratique, de la synergie des personnes accompagnatrices et des personnes accompagnées, ont émergé des compétences qui permettent de baliser le développement d’un accompagnement professionnel de personnes ayant
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Organisation de coopération et de développement économiques (2002). Quel avenir pour nos écoles ?, Genève, Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement, – OCDE, p. 71-72.
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à faire face à des changements majeurs et complexes au quotidien. Voilà un exemple concret d’une collaboration significative et féconde entre le milieu de la recherche et le milieu professionnel. Les compétences professionnelles énoncées dans le référentiel permettent de saisir les différentes facettes des attitudes requises pour un accompagnement efficient de personnes en recherche d’amélioration de leurs pratiques. Effectivement, l’habileté à l’accompagnement se construit dans le temps et le document de l’équipe de Louise Lafortune nous éclaire sur les attitudes à développer. On y trouve notamment l’importance de l’ouverture au changement, d’un regard critique sur soi-même, de l’acceptation du regard de l’autre, de la tolérance à l’ambiguïté, d’un rapport différent au savoir et du respect de l’autre. Les huit compétences explicitées dans ce référentiel illustrent les nombreuses dimensions à prendre en compte dans une démarche d’accompagnement. Comment gérer avec pertinence la complexité de situations d’accompagnement inédites ? Comment s’engager dans une pratique réflexive ? En quoi porter un regard critique sur une problématique peut-il aider à trouver des pistes de solution ? C’est à ce type de questions que ce référentiel propose des réponses. Il incite à porter un regard attentif sur la personne, sur ce qu’elle est, sur le processus d’engagement qui lui permet de construire une vision juste de son milieu de travail, de structurer son identité professionnelle et de développer son pouvoir d’action, faisant ainsi écho aux visées même du Programme de formation de l’école québécoise. L’interaction théorie-pratique est à la base d’une culture de formation continue, laquelle est essentielle à un changement éclairé. Les participants au projet accompagnement-recherche-formation en ont fait l’expérience. L’écriture du référentiel de compétences professionnelles pour l’accompagnement est une façon pour eux de donner un plus grand rayonnement à leurs observations. La réflexion, l’analyse et la mise en mots d’actions et de gestes professionnels permet de dégager un véritable référentiel qui servira à celles et ceux qui s’engagent dans l’accompagnement de personnes au prise avec les défis de changements souhaités ou inquiètes de changements dirigés. Effectivement, un accompagnement prometteur de renouvellement de pratique se doit d’être planifié avec rigueur, souplesse et compétence, d’où l’importance d’une formation à cette forme d’accompagnement qui ne peut s’improviser et qui suppose le développement de compétences particulières, ce à quoi ce document apportera une contribution importante.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Je souhaite que l’élan donné par Louise Lafortune et son équipe à cette dynamique de changement se répercute sur l’évolution des pratiques pédagogiques et organisationnelles du réseau scolaire. L’accompagnement des personnes accompagnatrices, l’accompagnement du personnel d’encadrement, l’accompagnement du personnel enseignant et du personnel des services complémentaires, jusqu’à l’accompagnement des élèves dans le développement de compétences et l’acquisition de connaissances intégrées, comme le recommande le Programme de formation de l’école québécoise, devraient servir d’accélérateur à un processus bien amorcé. Margaret Rioux-Dolan Ancienne directrice générale Direction générale de la formation des jeunes (DGFJ) Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport
GLOSSAIRE
Ce glossaire se veut une forme de dictionnaire qui fournit des explications de concepts ou expressions associés au monde de l’éducation ou à d’autres domaines où la mise en place d’un changement suppose un accompagnement professionnel. Il comprend les concepts ou les expressions qui ont été élaborés ou le sens dans lequel ils ont été utilisés dans le cadre d’un projet d’accompagnement-rechercheformation associé à un changement en éducation. Ils constituent les repères collectifs qu’un ensemble de personnes s’est donné pour décrire, situer, circonscrire le changement et ainsi, mieux comprendre les orientations nécessaires à son accompagnement dans une organisation. Ce glossaire participe à l’élaboration d’une vision partagée que les personnels peuvent se faire d’un changement. Son contenu a principalement été tiré des ouvrages suivants : Compétences professionnelles à l’accompagnement d’un changement. Un référentiel (Lafortune, 2008a) et Un Modèle d’accompagnement professionnel d’un changement. Pour un leadership novateur (Lafortune, 2008b). Accompagnement socioconstructiviste d’un processus de changement axé sur le renouvellement de pratiques professionnelles L’accompagnement d’un processus de changement est une mesure de soutien liée à un champ d’expertise professionnelle. Offerte par des personnes qui accompagnent des personnels visés par le changement selon un modèle de pratiques professionnelles, cette mesure vise la construction de connaissances relatives au changement et le développement de compétences professionnelles pour l’accompagnement. Ce modèle de pratiques peut différer d’une personne à l’autre, mais il respecte néanmoins les fondements, les visées et les orientations du changement à mettre en œuvre. Au cours de l’accompagnement, la personne accompagnatrice partage et discute de sa représentation du changement avec les personnels qu’elle accompagne. Ces échanges vont parfois modifier certains aspects de sa représentation qui l’oblige à s’ajuster en situation, tout comme elle va, au cours de l’accompagnement, influencer elle aussi la représentation du changement et le modèle de pratiques des personnes qu’elle accompagne. L’accompagnement suppose une connaissance des fondements, des visées et des orientations du changement qui sont intégrés – ou en voie de l’être – au modèle de pratiques de la
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
personne accompagnatrice. Ce modèle de pratiques oriente l’ensemble des décisions et des gestes professionnels qu’elle accomplit en situation d’accompagnement afin de susciter l’engagement de personnels, de les soutenir et de les guider. La perspective socioconstructiviste adoptée suppose que la personne accompagnée structure ses connaissances au regard du changement et développe des compétences professionnelles pour l’accompagnement en interaction avec la personne accompagnatrice et les autres personnes du groupe. Au cours de la démarche, les personnels confrontent leurs représentations du changement et ajustent leur modèle de pratiques en observant, examinant et analysant les constructions individuelle et collective que les personnes se font à propos du changement, mais elles sont aussi confrontées au modèle de pratiques préconisées par le changement à mettre en œuvre. Les interactions provoquent des conflits (socio)cognitifs et suscitent des prises de conscience au regard des constructions élaborées. Les personnes réfléchissent, posent des questions, font des constats, élaborent des constructions dans l’action, donnent du sens au changement qu’elles cherchent à comprendre pour se l’approprier. Si elles sont significatives, les interactions font évoluer les représentations et peuvent modifier le modèle de pratiques des personnels accompagnés. La complémentarité des personnels et des expertises du milieu enrichit la démarche qui s’instaure alors sous l’égide d’un véritable partenariat. L’accompagnement prend en compte différentes dimensions de l’individu : cognitive, métacognitive, affective et sociale (inspiration de Lafortune et Deaudelin, 2001). Au plan du contenu, cet accompagnement allie théorie et pratique, réflexion et action qui le sont de façon intégrée et complémentaire. L’accompagnement socioconstructiviste suppose la mise en œuvre d’une certaine culture associée aux fondements du changement qui se manifeste à travers cinq composantes : les attitudes, les connaissances, les stratégies, les habiletés et les expériences, mais aussi par le développement et l’exercice de compétences professionnelles qui favorisent l’exercice d’un leadership d’accompagnement (inspiration de Lafortune et Martin, 2004) (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a). Accompagnement professionnel Un accompagnement professionnel est un soutien axé sur un processus de professionnalisation. Il suppose une cohérence entre ce qui est réalisé par les personnes accompagnatrices auprès des personnes accompagnées et ce que l’on voudrait que ces dernières fassent auprès des personnes qu’elles accompagnent. Cet accompagnement prend la forme d’un modelage, en fournissant un exemple en action, à transposer dans l’accompagnement des milieux ou groupes de travail. Cet accompagnement professionnel vise les personnes qui ont à mettre en œuvre un changement exigeant des changements de pratiques professionnelles ce qui suppose des remises en question, des appréhensions, des incertitudes, des ambiguïtés, des prises de risques. Cet accompagnement suppose l’engagement dans une pratique réflexive-interactive des personnes accompagnatrices et accompagnées. Ce type d’accompagnement se réalise en collaboration avec les milieux ou groupes accompagnés qui décident de leur cheminement au regard des besoins exprimés pour l’accompagnement d’un changement. Les choix se font de manière concertée en fonction des ressources, de l’expertise des personnels, de ce qui se fait déjà dans le milieu, des visées et des orientations du changement. Les personnes accompagnées transposent le modèle d’accompagnement professionnel en adaptant
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la démarche à leur contexte d’intervention. Pour ce faire, elles sont invitées à garder des traces de leur démarche d’accompagnement ainsi que des expériences réalisées dans leur milieu de travail. Cette façon de faire permet de suivre l’évolution des personnes et des groupes accompagnés et témoigne de leur propre démarche. L’accompagnement professionnel sous-tend un travail en collégialité qui peut, avec le temps, se transformer en collaboration professionnelle (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a). Anticipation L’anticipation est une démarche qui permet de repérer certaines réactions prévisibles en essayant d’en comprendre les raisons et les conséquences dans le cheminement des individus et d’un groupe, mais aussi pour la progression du changement. L’anticipation est réalisée lors de la préparation d’une intervention. Par exemple, en élaborant des questions, les personnes accompagnatrices anticipent certains éléments de réponse à leurs questions. L’exercice permet une validation des questions et aide à prévoir des sous-questions qui serviront à relancer la réflexion ou la discussion en cours d’accompagnement. En essayant de répondre à ses propres questions, la personne accompagnatrice peut également réaliser leur niveau de difficulté, de clarté ou de précision. L’anticipation peut également se réaliser au regard des réactions vis-à-vis d’une tâche à réaliser ou du contenu théorique à présenter ou de la façon dont l’accompagnement sera mené. Il ne s’agit pas d’orienter le type de réponses, mais d’être suffisamment clair pour faire avancer la réflexion. L’anticipation favorise les ajustements avant et pendant. Un retour sur la justesse des anticipations permet de les valider et d’ajuster une action future (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008b). Autoévaluation Dans une pratique réflexive, l’autoévaluation se veut un processus où le praticien ou la praticienne reconnaît ses forces et les aspects à améliorer dans sa façon de préparer, réaliser, analyser et ajuster une intervention ainsi que dans sa façon d’amener les personnes accompagnées à le faire. L’autoévaluation est « une appréciation ou […] réflexion critique sur la valeur d’idées, de travaux, de situations, de démarches, de cheminements, de processus, d’habiletés, de connaissances en termes qualitatifs à partir de critères déterminés par la personne apprenante » (Paquette, 1988). Pour que l’autoévaluation prenne un sens et soit susceptible de mener à des changements de pratique, utiliser un journal de réfl exion ou d’accompagnement pour clarifier son processus autoévaluatif et en partager des éléments avec des collègues s’avèrent des moyens d’approfondir la pratique réflexive (Saint-Pierre, 2004). Les personnes peuvent aussi s’autoévaluer avant de s’observer en action, c’est-à-dire qu’elles peuvent indiquer comment elles jugent leurs habiletés à réaliser une tâche, par exemple. À la fin de la réalisation de la tâche, il s’agit de revenir sur son autoévaluation pour vérifier si la perception qu’on avait de soi était juste. Bref, l’autoévaluation est pertinente au plan d’une démarche d’accompagnement parce qu’elle permet de poser un regard sur la façon de se préparer, de passer à l’action ou d’agir dans l’action et de faire la synthèse ou la rétroaction après l’action. En résumé, l’autoévaluation sert à porter un jugement sur son travail réalisé. Elle peut se réaliser individuellement, mais elle peut aussi être combinée à une coévaluation afin d’obtenir une rétroaction de ses collègues ou de personnes
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
accompagnatrices. L’autoévaluation peut être réalisée à partir de fiches à compléter à différents moments au cours de l’intervention ou de l’accompagnement. Les questions utilisées dans de telles fiches peuvent être ouvertes ou comporter des cases à cocher (« pas du tout », « un peu », « moyennement », « beaucoup »). Pour que la réflexion soit la plus complète possible, des justifications peuvent être demandées. L’autoévaluation peut avoir lieu avant l’action ; par exemple, indiquer comment on juge ses habiletés à réaliser une tâche. Une fois la tâche réalisée, revenir sur son autoévaluation permet de comparer ses perceptions initiales et finales (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a,b). Autonomie réflexive-interactive L’autonomie réflexive-interactive est une aptitude à réagir de façon relativement indépendante à l’égard de certaines situations d’accompagnement. Une telle autonomie ne signifie pas de travailler seul et s’observe à partir de certaines manifestations telles que : savoir quand et comment aller chercher l’interaction ; accepter que les autres puissent rétroagir à ses idées, à ses actions ; pouvoir présenter les justifications de ses idées, de ses actions ; reconnaître les moments où la réflexion individuelle est nécessaire et les moments où les réflexions des autres peuvent contribuer à la sienne ; ceux où la compréhension théorie-pratique est utile, voir essentielle et enfin, ceux où la réflexion collective est nécessaire pour innover. L’évolution des personnes accompagnées vers une autonomie réflexiveinteractive est liée à ce que les personnels connaissent à propos des fondements du changement, mais aussi à leur compréhension qui s’enrichit et s’approfondit au regard de la formation offerte, mais aussi par la richesse des interactions qu’ils ont avec des collègues ou des personnes expertes (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a,b). Changement prescrit axé sur le renouvellement des pratiques professionnelles Un changement prescrit axé sur le renouvellement des pratiques professionnelles est une proposition orientée de modifications à apporter aux actions professionnelles posées dans le contexte de son travail. Un tel changement comporte des fondements qui lui donnent une cohérence pour aider les personnes visées à respecter les différentes facettes du changement. L’idée de changement prescrit sous-tend une certaine obligation. Tout en sachant qu’il y a prescription, le travail avec des êtres humains considérés comme étant professionnels exige une souplesse, même si une certaine rigueur est nécessaire. Ce qui s’oppose à une rigidité et ce qui explique la nécessité d’un accompagnement d’un changement prescrit (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a). Coanimation La coanimation est une forme de collaboration professionnelle qui s’inscrit dans la foulée d’un accompagnement socioconstructiviste. Elle offre un « filet de protection » aux personnes accompagnatrices qui peuvent ainsi compter sur l’appui d’un ou de plusieurs collègues. En plus de se soutenir mutuellement, les personnes bénéficient du regard de l’autre. Les interactions multiples (échanges, partages, discussion, etc.) au niveau des idées, des actions et des stratégies favorisent une meilleure analyse et une distance critique qui contribuent à faire des choix, à
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prendre de meilleures décisions. La coanimation favorise le partage de bases théoriques qui enrichit la culture liée au champ d’expertise de chaque partenaire qui travaille en complémentarité. Elle dynamise le travail en permettant à chaque personne de participer à la construction, à la justification ainsi qu’à la consolidation de son modèle d’intervention et de se rendre ainsi compte de ses croyances par rapport à l’accompagnement en général et de ses croyances par rapport au travail en équipe de collègues. Elle permet également d’assurer un suivi et une continuité advenant le départ d’une des personnes de l’équipe (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008b). Coconstruction La coconstruction est un processus qui vise à construire de nouvelles représentations à partir de ses représentations en les confrontant avec celles d’autres personnes qui sont elles aussi engagées dans ce processus dans une perspective d’échanges et de partage. Construire ses connaissances à propos du changement à partir de son propre modèle de pratiques qui, dans l’accompagnement, est soumis à une série de régulations successives au fur et à mesure que la personne fait de nouveaux apprentissages ou qu’elle progresse dans le processus de changement où elle fait aussi de nouveaux apprentissages. Au cours d’un accompagnement socioconstructiviste, la personne va confronter cette construction à celles d’autres personnes qui sont également engagées dans une démarche semblable. Par ailleurs, ces personnes confrontent et valident aussi leurs constructions au regard de celles d’auteurs ou d’auteures ou de celles proposées par des modèles théoriques. Les constructions individuelles sont alors façonnées en étant confrontées ou remises en question par diverses influences. Une construction collective d’un modèle de pratiques associées au changement contribue à l’élaboration d’une vision partagée du changement. Les personnels se réapproprient cette construction collective et l’intègre à leur propre modèle en continuant à le confronter ou à l’éprouver au contact de leur réalité professionnelle et quotidienne. Au cours de ce processus complexe, elles effectuent de multiples allers et retours entre la théorie et la pratique. Elles partagent et discutent de leurs représentations a-vec d’autres, elles tirent profit de l’expertise individuelle et collective du groupe avant de recommencer un nouveau cycle avec d’autres personnes ou d’autres groupes (adaptée de Lafortune, 2004d, e ; Lafortune et Deaudelin, 2001a) (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a,b). Collaboration professionnelle La collaboration professionnelle est une mise en commun d’actions professionnelles destinées à la réalisation d’une œuvre ou d’un but qui se rapporte à une collectivité ou à une communauté de pratiques. Elle suppose la coopération, la concertation et la coordination d’efforts collectifs, des discussions qui mènent à des prises de décision collectives et à des interventions concertées. Ces interventions sont analysées et régulées régulièrement et collectivement. Cela mène à une responsabilité partagée dans le travail en équipe de collègues pour accompagner la mise en œuvre du changement. Cette collaboration est dite « professionnelle » pour tenir compte du regard que les collègues porte sur les différentes pratiques jusqu’à les discuter et les remettre en question dans un climat de respect et de confiance mutuelle. Cela peut vouloir dire partager une certaine « intimité professionnelle ». Collaborer avec différents partenaires exige de connaître ses
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collègues, mais surtout de croire à d’éventuelles possibilités de collaboration. Selon l’expertise des personnes, leur champ de compétence, leurs fonctions et l’analyse qu’elles font du changement, chacune peut contribuer à sa mise en œuvre. La réussite d’un changement repose sur la mobilisation et l’engagement de l’ensemble des personnes concernées pour assures cohésion et cohérence (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a). Communication réflexive-interactive La communication réflexive-interactive est un processus qui suppose une relation, un rapport, une liaison, une interaction… entre des personnes. Dans le modèle d’accompagnement professionnel, ce processus peut ce réaliser entre des personnes accompagnatrices et accompagnées, mais aussi dans la mise en relation entre le contenu associé au changement et la relation que les personnes accompagnées entretiennent avec la nature de ce contenu (par exemple, des compétences professionnelles à développer) et avec le changement souhaité (des pratiques à mettre en œuvre). Cette communication vise à faire connaître le changement, à faire réfléchir sur le changement et les exigences qu’il suppose au regard des pratiques professionnelles. Il induit des interactions entre des individus, des remises en question de leurs pratiques professionnelles et un passage à l’action. L’intention de la communication réflexive-interactive est de communiquer un changement à des individus qui interprètent ou décodent cette intention dans le but de se l’approprier ou non et de l’intégrer ou non à leurs pratiques en ayant la possibilité d’y rétroagir. Selon la réceptivité ou les expériences antérieures des personnes, la compréhension du message peut varier considérablement. La rétroaction permet de saisir si le message et l’intention ont été bien interprétés et d’anticiper ce qui peut être fait pour favoriser une meilleure compréhension du changement. Dans une communication réflexive-interactive, la prise en compte des connaissances antérieures et des interprétations est essentielle. Elle suppose cependant du temps pour écouter, observer, remettre en question et discuter, l’utilisation d’un vocabulaire approprié, une distance critique et des moyens qui reflètent les perspectives du changement (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a). Compétences en développement Une compétence en développement suppose la poursuite de son développement. Ainsi une personne peut continuer à développer une ou ses compétences tout au long de sa vie. Peu importe son âge, ses connaissances, ses habiletés ou son expérience, elle cherche à atteindre un niveau de maîtrise d’une compétence chaque fois qu’un nouveau contexte exigeant une action originale se présente. Cette ouverture sur une compétence en développement repose sur l’impossibilité de déterminer tous les contextes d’utilisation que le développement d’une compétence peut exiger. En contrepartie, une personne peut mobiliser correctement et à bon escient certains des éléments qui font partie de ses composantes. Dans ce cas, on peut penser que cette personne maîtrise jusqu’à un certain degré la compétence. En conséquence, afin de faire ressortir l’aspect dynamique de l’appropriation d’une compétence, il est approprié de parler de compétence en développement. Elle est en développement lorsqu’il y a progression dans la maîtrise de ses composantes et que le degré de complexité des composantes sollicitées est croissant selon l’aspect inédit de la situation.
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Le développement d’une compétence consiste à mobiliser des ressources, comme des connaissances et des habiletés, plus ou moins maîtrisées. Si des éléments de composantes sont relativement maîtrisés, cela veut dire que les individus sont au stade d’utilisation d’une compétence pour en compléter la maîtrise. L’utilisation d’une compétence peut se définir comme l’application de connaissances construites et d’habiletés « maîtrisées » permettant de réaliser une tâche ou une production, tandis que le développement d’une compétence fait référence à l’idée de progression dans l’appropriation de celle-ci. Dans le cadre de la mise en œuvre d’un changement, les personnes visées progressent vers l’appropriation de compétences et explorent un terrain qui leur est nouveau, de sorte que le développement d’une compétence revêt un niveau de difficulté plus grand que son utilisation. Ainsi, dans le contexte où le développement d’une compétence n’est jamais entièrement complété puisque toujours en progression, l’utilisation d’une compétence donnée fait référence à son degré d’appropriation tout en considérant la prise de conscience de ses forces et difficultés au regard de celle-ci. Le développement de compétences est stimulé par des déséquilibres cognitifs ou des obstacles qui sèment des doutes, des questionnements et mènent à des essais. De plus, ce développement se fait dans l’action pour faire face à diverses situations, ce qui accroît l’autonomie des personnes accompagnées (Lafortune, 2004d, e). Conservation des traces La conservation de traces est un moyen utile à la collecte d’informations visant à refléter le cheminement ou la progression des personnes à l’intérieur de la démarche d’accompagnement d’un changement, à l’aide de différents outils (questionnaires, fiches, moments de réflexion, synthèse, coconstruction, enregistrements, journal d’accompagnement, etc.). La conservation de traces favorise la réflexion et l’analyse des pratiques professionnelles : celles qui sont en cours dans le milieu et celles qui sont associées au changement. Ces traces sont également utiles pour effectuer des retours sur les apprentissages réalisés au cours de la démarche ou lorsqu’il y a des bilans. Dans l’élaboration de projets d’action, la personne accompagnatrice planifie le genre de traces qu’elle entend conserver et la manière dont elle prévoit s’y prendre pour en faire la collecte ou l’exploitation. Ces traces balisent la démarche d’accompagnement et peuvent être réinvesties à différents moments de l’accompagnement. Elles servent à faire des amorces, des anticipations, des réinvestissements, des retours, des suivis, des bilans ; elles aident à comprendre l’évolution de la démarche, à repérer les facilités et les difficultés rencontrées, à mesurer le cheminement parcouru, le parcours emprunté, à faire la synthèse de la démarche, à faire des liens entre les rencontres, etc. Elles favorisent la régulation de l’action, les ajustements et l’amélioration de démarche d’accompagnement (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008b). Démarche d’accompagnement La démarche d’accompagnement est un processus dynamique qui incite à l’action et conduit au changement. Elle met en œuvre un ensemble de gestes professionnels et d’actions qui sont planifiés et structurés dans une perspective socioconstructiviste, selon une intention ciblée et en fonction d’un partenariat avec un milieu donné. Dans l’action, la démarche comprend des stratégies relatives à l’animation, à la formation et à l’accompagnement et fait appel à différents moyens (questionnement, interaction, coconstruction, réflexion, analyse, modelage, etc.). Il
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
s’agit d’une mesure d’aide, de soutien et de médiation qui vise le cheminement des individus dans un groupe et le développement de leur autonomie professionnelle en prenant en considération les dimensions cognitive, métacognitive, affective et sociale. Sur le plan du contenu, la démarche allie, de manière intégrée et complémentaire, théorie et pratique, réflexion et action. La mise en œuvre de ce processus suppose une culture ; elle se manifeste à travers les attitudes, les connaissances, les stratégies, les habiletés et les expériences, mais aussi par le développement et l’exercice de compétences professionnelles associées au leadership d’accompagnement. La durée et la continuité dans le temps consacrée à la démarche favorisent le changement donc l’intégration durable de ses fondements, de ses orientations et de ses contenus. De manière globale, la démarche incite aux activités de maillage pour la formation de réseaux basés sur l’entraide, la collaboration professionnelle et la communication du changement (voir également Lafortune et Deaudelin, 2001 ; Lafortune et Martin, 2004). Dynamique réflexive-interactive La dynamique réflexive-interactive est un ensemble de moyens (conflits cognitifs ou sociocognitifs, métacognition, déséquilibres, prises de conscience, coconstruction, etc.) mis en œuvre au cours d’une démarche d’accompagnement professionnel afin de favoriser le changement dans une organisation. La dynamique réflexiveinteractive du modèle d’accompagnement professionnel d’un changement dans une perspective socioconstructiviste vise à rendre les personnes participantes actives cognitivement, sur le plan métacognitif et sur le plan réflexif. L’individu actif sur le plan cognitif met en œuvre des processus intellectuels qui peuvent différer (description, explication, analyse, modélisation) ou varier considérablement en termes de complexité (Lafortune et Deaudelin, 2001). La dynamique réflexive-interactive vise également à susciter des conflits sociocognitifs qui sont « un état de déséquilibre cognitif provoqué chez l’individu par des interactions sociales qui le mettent en contact avec une conception ou une construction différente, voire difficilement compatible avec la sienne » (Lafortune et Deaudelin, 2001, p. 201). Un accompagnements réflexif-interactif peut en outre susciter des prises de conscience qui résultent d’une démarche interne ou d’une intervention externe et qui supposent une reconnaissance (verbalisée ou non) de l’issue de la démarche pour soi, soit par une réflexion personnelle ou une interaction avec d’autres (Lafortune, 2007d). Ces prises de conscience sont essentielles à une démarche d’apprentissage visant le développement d’habiletés de pensée complexes et d’habiletés métacognitives. Enfin, cet accompagnement peut habiliter les personnes accompagnées à porter plus d’un regard sur les démarches d’apprentissage : « ce que j’apprends », « comment je l’apprends », « ce qui m’a permis de l’apprendre », « la façon dont je pourrais utiliser cet apprentissage dans un autre contexte »… (Lafortune et Martin, 2004) (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008b). Écriture réflexive qui peut devenir professionnalisante L’écriture réflexive est un dispositif structurant utilisant l’écriture pour réfléchir sur sa pratique professionnelle et l’analyser a posteriori. Elle est source de construction de connaissances, de développement de compétences, mais aussi de formation et d’autoformation. L’action associée à l’écriture réflexive vise la
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modélisation de la pratique professionnelle ; elle cherche donc la conceptualisation passant par un regard sur l’action (une mise à distance) même si celui-ci tire profit du regard posé dans l’action (Lafortune, à paraître en 2009). L’écriture réflexive se distingue de l’écriture narrative où il est question de raconter une histoire, de faire part d’une anecdote, de communiquer des faits d’histoire, d’expériences, de pratiques... de préciser des aspects contextuels, affectifs, etc. Une écriture réflexive émerge d’expériences contextualisées potentiellement transposables. Cette écriture réflexive peut être comprise comme source de construction de connaissances et source de formation, elle a un effet structurant. La personne qui exerce une écriture réflexive entre dans une boucle où à la fois elle construit ses connaissances, se forme et pose des gestes professionnels. Dans l’action d’écriture et dans les suites de cette action, elle conceptualise sa pratique et met en pratique cette conceptualisation – en lien avec le développement de la praticienne ou du praticien réflexif qui crée son modèle de pratiques. La personne se distancie de l’action, elle prend un recul, elle se décentre, elle décontextualise l’action. Elle peut même en venir à faire émerger une théorie, généralisable, communicable… Ce n’est plus le « je » personnel qui écrit, mais le « je » professionnel. La personne écrit pour réfléchir sur le développement de ses compétences professionnelles, pour éventuellement le communiquer à d’autres afin d’en discuter et ainsi, d’améliorer sa pratique. Le développement de ses compétences professionnelles devient objet de réflexion ; cela peut devenir un processus d’autoformation. L’exercice de l’écriture réflexive comporte un aspect professionnalisant à souligner (cela contribue au développement d’une identité professionnelle, à la construction de savoirs d’expérience, etc.). L’écriture réflexive n’est pas innée, elle suppose un apprentissage, une bonne dose d’humilité, de confiance en soi et aux autres. C’est aussi une reconnaissance de l’erreur comme source de formation. Au contraire d’une écriture « libre », l’écriture réflexive, dans l’accompagnement socioconstructiviste, s’exerce à partir d’éléments ou de critères prédéterminés. L’écriture réflexive peut devenir « professionnalisante ». Réflexive, elle contribue à réfléchir sur le développement de ses compétences professionnelles pour éventuellement en discuter avec d’autres et ainsi, améliorer sa pratique. Le développement de ses compétences professionnelles devient donc objet de réflexion. Le processus d’écriture se situe alors dans une perspective de professionnalisation en contribuant au développement d’une identité professionnelle et à la construction de savoirs d’expérience. (Lafortune, à paraître en 2009) (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008b). Engagement Guillemette (2006) définit l’engagement comme un investissement personnel consentant, volontaire, conscient et décidé ou un attachement profond. L’engagement montre qu’une personne croit à l’importance d’un objet ou d’une personne à laquelle elle est liée et il garantit la réalisation d’une tâche dans laquelle cette personne s’était engagée. Kiesler (1971) associe aussi l’engagement à une tâche comme s’il était « le lien qui relie un individu aux actes qu’il réalise consciemment, librement et volontairement. Selon cet auteur, seuls les actes engagent les individus… » (Kiesler, 1971, rapporté dans Pirot et De Ketele, 2000, p. 368-369).
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Dans l’accompagnement d’un changement, l’engagement fait également référence) aux actes en incitant les personnels à passer à l’action, car pour mettre un changement en œuvre, le passage à l’action est nécessaire. Cependant, l’engagement peut aussi préparer le passage à l’action donc une personne peut être engagée sans pour autant être passée à l’action. Dans une démarche d’accompagnement, les personnes ne passent pas nécessairement toutes à l’action au même moment. Une personne peut se dire engagée, mais selon son niveau d’engagement dans le changement, elle va se mettre ou non en mode action. Pour certaines personnes le passage à l’action nécessite plus de temps. À l’inverse, certaines actions peuvent être posées sans qu’il y ait de véritable engagement. Le modèle d’accompagnement suscite néanmoins chez les personnels accompagnés, la prise de conscience de la nécessité d’un passage à l’action pour progresser dans le processus de changement. En d’autres termes, l’engagement se manifeste à travers des actions et des gestes professionnels qui sont observables. La personne engagée le démontre par ses actes et cela même si elle doit le faire dans des situations qui ne sont pas toujours propices ou favorables à la mise en œuvre du changement. « Être engagé » peut ainsi signifier essentiellement subir une contrainte ; c’est l’engagement hétéronome ou l’engagement subi (Jaros et al., 1993 ; Johnson, 1995). Ce type d’engagement hétéronome peut exister simplement parce que le changement est considéré comme impossible. La personne continue alors son engagement parce qu’elle considère qu’elle ne peut pas faire autrement (Adams, 1999 ; Becker, 1964 ; Gérard, 1965 ; Levinger, 1999). Au contraire de cet engagement forcé, l’auto-engagement suppose la liberté accompagnée de contraintes (Strauss, 1992) et la responsabilité ou la croyance que la situation ne dépend pas uniquement des contraintes structurales, mais aussi de soi, de ses choix, de ses actions (Nadot, 1998) […]. [L’]individu peut « être engagé » sans s’être engagé luimême ou sans l’avoir fait consciemment et volontairement (Becker, 1964 ; Lawler et Yoon, 1993 ; Leik et al., 1999 ; Strauss, 1992). En d’autres mots, l’état d’engagement [ou l’engagement-état] peut être la conséquence d’un engagement hétéronome (Guillemette (2006, p. 18-21). Par ailleurs, on peut dire que l’engagement est un processus dynamique et évolutif qui demande à prendre en considération plusieurs dimensions de l’engagement (affective, cognitive, métacognitive et sociale). Ces dimensions s’inscrivent dans une perspective socioconstructiviste, ce qui tend à montrer que l’engagement se développe et se transforme selon les interactions que les personnes entretiennent avec leur environnement professionnel. Cependant, il y a une distinction à faire entre le concept d’engagement (investissement personnel consentant, volontaire, conscient et décidé ou un attachement profond) et le concept d’engagement dans un contexte de changement majeur et prescrit (se remettre en question, réfléchir à ses pratiques, prendre des initiatives, se mettre en action). Par conséquent, l’engagement prend différents sens selon le contexte dans lequel il est traité. Seule la personne peut définir son engagement et s’engager, d’où le « s’ », la forme pronominale signifiant davantage que « le soi est à la fois sujet et objet de l’action et donc qu’il s’agit d’engager soi-même par soi-même. Lorsqu’une action possède cette caractéristique, c’est-à-dire lorsque son sujet et son objet sont identiques, cette action peut être qualifiée d’autonome » (Guillemette, 2006, p. 17). Il est possible d’observer des manifestations de l’engagement chez une personne, entre
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autres, par ses attitudes et ses actions. Dans la perspective d’un accompagnement socioconstructiviste pour la mise en œuvre d’un changement, l’engagement intrinsèque est une façon d’exprimer sa liberté et suppose un choix volontaire. Par l’observation des attitudes et des actions de la personne, il est possible de percevoir son engagement, de l’interpréter et de le qualifier. Dans le sens du modèle d’accompagnement professionnel d’un changement, s’engager c’est se mettre en situation (adopter une posture) de développement professionnel. Les orientations du modèle visent à faire naître un certain niveau d’engagement chez les personnels accompagnés afin qu’ils posent des actions qui soient susceptibles de favoriser la mise en œuvre du changement au sein de leur organisation. Dans le sens du modèle, seule la personne peut définir, témoigner et rendre compte de son engagement par ses actions, qu’elles soient conscientes ou non. Une des caractéristiques de la personne engagée pourrait être que cette dernière prend des initiatives et qu’elle va au-delà de ce qui est prescrit. Une personne qui agit ainsi montre qu’elle aime ce qu’elle fait, qu’elle y croie, et qu’elle éprouve du plaisir à le faire. Elle a un certain intérêt envers la profession et ses actions professionnelles lui permettent de s’accomplir au plan personnel et professionnel. Elle est proactive, est persévérante dans l’action et a le sens des responsabilités. Elle cherche à comprendre ou à poursuivre des actions entreprises dans un contexte donné et elle contribue à ces actions en tenant compte de ses valeurs, de ses croyances… L’engagement peut aussi faire référence au goût ou à l’intérêt manifesté dans les expériences individuelles et collectives à réaliser. Selon l’intérêt manifesté pour le changement à mettre en place, l’engagement pourra être « plutôt faible » ou « très élevé ». Si cet engagement est élevé, les obstacles au changement sont rapidement levés et des solutions sont facilement envisagées. S’il est plutôt faible, les obstacles mènent facilement au retrait, au découragement et à un moindre engagement dans la recherche d’une solution (Lafortune, Mongeau, Daniel et Pallascio, 2000). Il existe divers types d’engagement comme l’engagement professionnel, l’engagement relationnel, l’engagement volontaire, cognitif, réflexif, et autres (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008). Enrichissement de la culture associée au domaine visé par le changement L’enrichissement de la culture associé à un domaine visé par le changement est l’introduction de nouvelles connaissances, de nouvelles pratiques, de nouveaux concepts, sujets, objets ainsi que le développement de nouvelles compétences, de nouvelles stratégies… liés à un champ d’expertise et à un milieu qui aide à offrir un accompagnement qui comprend des éléments de formation nécessaires à la compréhension des fondements qui guident la volonté d’un renouvellement. Il favorise le partage d’une lecture éclairée du changement en offrant une vision du changement appuyée par des arguments crédibles à proposer à ceux et à celles qui manifestent le désir de comprendre le changement ou de la résistance. Il ne s’agit pas de « convertir » ou d’« endoctriner » les personnes accompagnées, mais de plutôt les amener à réfléchir aux objets et à la portée du changement ainsi qu’aux raisons associées à ses fondements pour faire cheminer la pensée des personnes accompagnées ce qui peut les inciter à comprendre ou à accepter graduellement ce changement. La mise en œuvre d’un changement prescrit et majeur suppose l’enrichissement de la culture liée au champ d’expertise visé par le changement dans une organisation ce qui aide à comprendre les fondements du changement et développe
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
l’autonomie nécessaire pour faire des adaptations à ses pratiques professionnelles ou à son modèle de pratiques. Dans un monde en changement, le rehaussement de la culture professionnelle est associé à la formation continue ainsi qu’aux régulations successives apportées à ses pratiques professionnelles. Pour être ou devenir une personne accompagnatrice, l’enrichissement de la culture liée à un champ d’expertise devient nécessaire ; il aide les personnes accompagnées à établir des liens entre la théorie et la pratique. Développer une culture associée au domaine visé par le changement à mettre en œuvre aide à assurer la cohérence, la pertinence et les assises théoriques à une démarche d’accompagnement. Des questions se posent toutefois sur l’étendue et la profondeur à donner à cette culture. Selon Lafortune et Martin (2004), cette culture ne se limite pas seulement à un répertoire de connaissances. C’est un ensemble constitué d’attitudes, de connaissances, de stratégies, d’habiletés, de compétences et d’expériences qui permettent de développer le sens critique, la créativité, une mise à distance et l’assurance de la personne accompagnée. Cette culture est active dans le sens ou la personne accompagnatrice mobilise ses ressources et son répertoire d’exemples dans la démarche d’accompagnement. Cela suppose qu’il existe des liens entre les différentes propositions d’actions et les fondements théoriques mis de l’avant (adapté de Lafortune et Martin, 2004) (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a,b). Évaluation dans l’accompagnement d’un changement L’évaluation est une démarche complexe qui consiste à avoir un regard et à faire une réflexion critique sur le renouvellement de pratiques professionnelles qui mettent en œuvre le changement et sur le degré de mise en œuvre de ce changement dans une organisation. Il s’agit de porter un jugement sur la valeur de sa progression dans un processus de changement ainsi que sur celle des personnels accompagnés. Dans l’accompagnement d’un changement, les pratiques évaluatives ont une fonction d’aide et de soutien à l’accompagnement. Elles se font dans une perspective de cheminement et de développement professionnel en considérant les éléments de prescriptions et les orientations du changement à mettre en œuvre. L’évaluation se fait à partir de données recueillies auprès de personnels accompagnés, selon des critères explicitement énoncés. Une fois analysées et interprétées ces données sont discutées avec les personnels qui peuvent ainsi mesurer et valider la progression du changement ou le développement de leurs compétences professionnelles à l’accompagnement d’un changement. Selon cette conception, les pratiques évaluatives aident à guider le choix d’actions futures et à décider des mesures à prendre pour poursuivre un cheminement professionnel et pour continuer à progresser dans le processus de changement. Dans l’accompagnement socioconstructiviste d’un changement, l’évaluation est réflexive-interactive ; c’est-à-dire qu’elle accorde une place importante à la réflexion, à la contribution ainsi qu’à l’engagement des personnels accompagnés en prenant en considération leurs idées, leurs valeurs, leurs points de vue et leur expertise professionnelle. Cette évaluation aide également à connaître, à analyser et à comprendre le degré de mise en œuvre du changement, à examiner ce qui est effectivement implanté, le temps nécessaire pour y arriver et le degré d’autonomie que les personnels ont intégré dans le processus de changement (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a).
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Fil conducteur Le fil conducteur est la clarification explicite de l’esprit d’une démarche d’accompagnement ou d’un projet d’action. Il sert à orienter les réflexions et les actions, à établir des liens entre les diverses idées énoncées et les actions posées et à faire un retour sur les actions pour articuler le sens, les liens et la cohérence de l’accompagnement (Lafortune, 2004e). Il permet de revenir sur le cheminement (individuel et collectif) réalisé en rendant explicite les objets et les processus expérimentés au cours de la démarche d’accompagnement. Il oriente la réflexion et l’action ; il permet de recadrer, d’ajuster et de réguler les actions et la démarche. La mise en contexte du fil conducteur qui a animé les rencontres au cours d’une année aide à prendre conscience du cheminement parcouru et permet de faire des liens entres les actions passées, celles qui sont à venir, car il favorise la planification des futures actions. Le fil conducteur aide à clarifier le sens des actions, assure une cohérence à l’accompagnement et permet de saisir comment cette cohérence s’est mise en place. Enfin, le fil conducteur conduit à de nouvelles pistes de réflexion et d’action et peut même relancer la réflexion et l’action (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a). Interaction L’interaction se caractérise par une action réciproque entre des personnes visées par le changement et des gestes qu’elles entreprennent pour progresser dans le processus le changement. L’interaction favorise les échanges, le partage, la discussion, la confrontation des idées, des pratiques. Peu importe le rôle ou le statut des personnels dans une organisation, c’est en interagissant les uns avec les autres qu’ils finissent par construire une vision du changement à mettre en œuvre. L’interaction favorise la coconstruction, c’est pourquoi il importe de miser sur la qualité, la fréquence et la diversité des interactions. L’interaction suscite le questionnement individuel et collectif, les remises en question, les prises de consciences, les ajustements, les régulations, les analyses, les évaluations, les constats, etc. Les interactions peuvent amener les personnels à progresser dans le sens du changement et à renouveler leurs pratiques professionnelles ou à adapter leur modèle de pratiques (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a,b). Jugement professionnel Le jugement professionnel est un processus qui mène à une prise de décisions. Cette prise de décision prend en compte différentes considérations issues de l’expertise (expérience et formation) d’un ou d’une professionnelle. Ce processus exige rigueur, cohérence et transparence. Un jugement professionnel rigoureux s’appuie sur des fondements, des politiques, des cadres, des programmes, des normes, des règlements… qui constituent les balises à l’intérieur desquelles s’exerce le jugement professionnel. Si cela s’avère nécessaire, le ou la professionnelle vise à justifier ses prises de décisions au regard des intentions et des visées poursuivies ou à être en mesure de préciser les éléments de son expertise qui ont été mis à contribution dans la prise de décisions. Un jugement professionnel rigoureux suppose la possibilité d’être en position de valider ses décisions, de les confirmer, de les remettre en question, de les ajuster, les revoir, etc.
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
Placée face à une prise de décision, la personne exerce son jugement professionnel. Elle l’exerce seule, mais elle le développe en équipe en tirant profit du regard et de l’expertise des autres qui valident, confirment, confrontent… les décisions prises lors de situations inédites qui, au fil de l’expérience, peuvent être comparées à un répertoire de situations déjà vécues. Le jugement professionnel est également envisagé dans un contexte du développement ou de l’évaluation de compétences professionnelles ou dans d’autres contextes où les personnels abordent des problématiques complexes, inhabituelles, voire inédites. Ces problématiques ne sauraient être résolues à l’aide de procédures ou par l’application de recettes ou de techniques éprouvées. Le contexte oblige les professionnels et professionnelles à faire appel à leur expertise, à rechercher des solutions qui méritent d’être soumises à la discussion pour être remises en question, nuancées, validées, améliorées… Cette façon de faire contribue nécessairement à la progression du jugement professionnel et aide la personne à développer un sentiment de compétence à l’égard de solutions qui sont mieux adaptées au contexte. Elles peuvent ainsi s’ajuster dans l’action en faisant référence si nécessaire aux commentaires de leurs collègues. Enfin, un jugement professionnel transparent suppose une clarification des critères sur lesquels se prennent les décisions et la possibilité de la mettre à jour si cela s’avère nécessaire (Lafortune, 2008a). Leadership d’accompagnement Le leadership d’accompagnement est un processus d’influence des pratiques professionnelles dans le sens des orientations à donner au changement. Il s’exerce et se développe par la réflexion individuelle et collective et en interaction avec les personnels visés par le changement. Ce type de leadership suscite des prises de conscience menant à des actions qui sont élaborées, réalisées, analysées, évaluées, ajustées, réinvesties dans une perspective de collaboration professionnelle. Ce processus s’inscrit dans une pratique réflexive où la réflexion et l’analyse des pratiques mènent au développement de son modèle de pratiques et de ses compétences professionnelles pour l’accompagnement. Le leadership d’accompagnement devrait mener à exercer une influence sur le niveau d’engagement des personnels afin de les amener à se donner les moyens de passer à l’action pour traduire leur adhésion au changement par des gestes, des actions ou de projets d’action ou d’accompagnement. Ce leadership suscite l’innovation et l’initiative et suppose une certaine forme de collégialité, de pouvoirs et de responsabilités partagés avec les différents personnels accompagnés. Ce type de leadership ne se décrète pas. On reconnaît ce leadership à travers des réalisations, à la relation que le leader entretient avec une équipe de travail ou avec les personnels d’une organisation ou d’une entreprise, à la confiance qu’on lui témoigne, etc. Dans le contexte où le changement est prescrit et qu’il donne une orientation, au-delà de l’adhésion, il s’agit de susciter l’engagement. L’accompagnement d’un tel changement peut susciter une grande ouverture, un certain scepticisme, des questionnements ou un refus (Lafortune 2006). Il suppose des interactions, des réflexions collectives, des actions, des analyses collectives, des régulations… Les caractéristiques d’une personne qui exerce un leadership qui s’inscrit dans une démarche d’accompagnement de différents personnels comprennent une
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certaine culture, un agir éthique, la prise en compte de la dimension affective et l’engagement dans une pratique réflexive (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a). Modelage Le modelage signifie se donner en exemple et non pas donner un exemple (Lafortune et St-Pierre, 1996). Il consiste à fournir un exemple en action, à agir de la façon dont on voudrait que cela soit fait dans une démarche d’accompagnement, dans le milieu de travail accompagnée, dans les actions et les gestes professionnels accomplis quotidiennement. La personne accompagnée va observer la conduite de la personne accompagnatrice qui, par sa manière d’intervenir, de « se donner en exemple », de fournir un exemple en action ; en ce sens, elle actualise, en paroles et en actes, son modèle de pratiques. Lorsqu’elle verbalise son processus en action (réflexions, doutes, stratégies, ajustements) ou souligne certaines gestes aux personnes qu’elle accompagne, la personne accompagnatrice « fait du modelage ». Elle réfléchit à voix haute dans l’action, se pose des questions, annonce ses intentions, motive ses décisions ou ses choix. Elle rend ses stratégies visibles pour en favoriser la compréhension, mais aussi pour éventuellement inciter d’autres personnes à les utiliser dans leur milieu. Enfin, elle aide les personnes accompagnées à voir comment les stratégies utilisées peuvent se transposer à de nouvelles situations d’accompagnement ou avec différents personnels visés par le changement (Raynal et Rieunier, 1997). Ainsi, le modelage est plus près de la démonstration d’un processus en action que d’une procédure proposant des étapes à suivre. Comme personne accompagnatrice cela signifie avoir soi-même une ouverture au changement de ses propres pratiques, de démontrer qu’on est soi-même engagé dans une pratique réflexive. Un tel modelage suppose : savoir se remettre en question, s’autoévaluer et s’auto-observer ; savoir mettre les personnes accompagnées dans une telle posture. Demander aux autres de changer, de se remettre en question sans démontrer une ouverture à le faire peut mener à de la frustration, à un manque de confiance de la part des personnes accompagnées. Le modelage peut s’avérer un moyen privilégié pour développer des compétences professionnelles associé à la mise en œuvre d’un changement axé sur le renouvellement des pratiques. C’est un moyen de démontrer une cohérence entre pensées et actions, entre croyances et pratiques. Cette cohérence est essentielle pour la formation, pour l’accompagnement, pour la crédibilité et pour l’engagement. Idéalement, la modélisation (voir sens de modélisation dans ce glossaire) aurait avantage à être antérieure au modelage, car pour « se donner en exemple », il est préférable d’avoir préalablement construit son modèle de pratiques ou être en voie de le faire ou d’avoir minimalement intégré les gestes professionnels en développant les compétences et la culture liée à son champ d’expertise. Dans les faits, le modèle de pratiques n’est pas toujours précisé ou au clair pour les personnes qui forment ou accompagnent des groupes. Ce genre de situation peut cependant générer de la confusion ou certaines incompréhensions, car il peut y avoir des incohérences ou un écart entre ce que la personne pense, ce qu’elle dit ou ce qu’elle donne à voir en exemple, c’est-à-dire ce qu’elle fait. Grâce à sa perspective réflexive-interactive, la démarche d’accompagnement, favorise la construction ou les ajustements d’un modèle de pratiques en action. La confrontation, les questions et réactions des personnes accompagnées amènent les
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Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement
personnes à faire des prises de conscience, à voir les écarts entre leur discours et leurs gestes professionnels. Elles peuvent ainsi évaluer ce qui peut être fait pour faire un arrimage entre ce qu’elles pensent, ce qu’elles disent et ce qu’elles font. En cherchant à comprendre le modèle de pratiques de la personne accompagnatrice, celle par qui arrive le changement, le groupe agit comme un miroir réfléchissant (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a,b). Modèle de pratiques En éducation, le modèle de pratiques correspond en quelque sorte à la vision qu’un professionnel ou une professionnelle se fait de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’évaluation. Dans d’autres domaines, le modèle de pratiques est la vision que les personnels professionnels se font de leur travail, des principales tâches qui y sont associées ou des actions principales à réaliser. Dans l’accompagnement d’un processus de changement comportant des éléments de prescription, le modèle de pratiques comprend non seulement la représentation que la personne se fait de l’accompagnement de ce changement mais aussi les fondements théoriques, les visées et les orientations du changement qu’elle a intégrés ou qu’elle est en voie d’intégrer à son modèle de pratiques. Le modèle de pratiques guide l’ensemble des décisions qu’elle prend et des gestes professionnels qu’elle accomplit lorsqu’elle accompagne des personnes. En élaborant son modèle de pratiques d’accompagnement d’un changement, la personne organise les représentations, les valeurs, les attitudes et les savoirs qui vont orienter son action professionnelle. Elle organise son modèle à partir de connaissances théoriques, mais aussi à partir de son expertise (formations et expériences), des difficultés rencontrées dans l’accompagnement et de l’analyse qu’elle en fait (Cohen-Azria, Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2007). Modélisation La modélisation (modéliser) traduit un processus conceptuel par lequel une personne élabore son modèle de pratiques professionnelles qu’elle ajuste ou modifie en fonction d’une culture liée à son champ d’expertise et à son expérience professionnelle. En s’engageant dans un processus de changement, la personne accompagnée va également continuer à transformer et adapter son modèle de pratiques. Il constitue en quelque sorte le point de départ (connaissances antérieures) à partir duquel, elle va aborder et chercher à comprendre le changement pour se l’approprier. À partir de modèles existants ou d’éléments issus de divers modèles, les personnes accompagnatrices et accompagnées font différents constats à propos de leurs pratiques professionnelles. La mise en relation de ces constats combinés aux gestes professionnels qu’elles accomplissent les aident à dégager un modèle de pratiques (adapté de Lafortune et Deaudelin, 2001, Lafortune, 2005a, b). Passer de la description à l’analyse puis à la modélisation de pratiques est un exercice exigeant qui demande une pratique réflexive. Au début de la démarche d’accompagnement, il est difficile pour les personnels de concevoir une mise en modèle de leurs pratiques, voire même de s’en faire une représentation claire. Ils n’en voient pas toujours l’utilité et le temps consacré à sa représentation est souvent perçu comme une perte de temps. La personne accompagnatrice peut à la fois faciliter la tâche de la personne accompagnée et la sienne, en accordant
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des pauses réflexives, et en faisant faire des rétroactions dans un langage accessible de même que des synthèses de façon régulière sur le processus en cours d’action (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008b). Moments de réflexion Les moments de réflexion sont des pauses qui permettent d’activer des connaissances, expériences ou compétences antérieures, d’intégrer des apprentissages, de s’interroger sur différents aspects du changement ou de son accompagnement. Ils sont essentiels aux prises de conscience ainsi qu’au processus d’intégration du changement ou au développement de compétences professionnelles à l’accompagnement. Les moments de réflexion impliquent d’être à l’aise avec les silences. Accepter les silences et en susciter permet de créer des moments propices à la réflexion et à l’émergence de nouvelles idées ainsi qu’à leur approfondissement. Une réponse réfléchie est souvent plus nuancée, car les idées sont approfondies, soupesées et évaluées avant d’être livrées aux autres. Inciter à prendre un temps pour répondre, s’engager et chercher une réponse favorisent la réflexion, l’appropriation, l’approfondissement et l’intégration du changement vers une autonomie professionnelle. Les moments de réflexion sont nécessaires, mais ils prennent davantage de sens s’ils sont expliqués et si les personnes accompagnées peuvent partager ce qu’elles en retirent (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a,b). Moyens réflexifs-interactifs Les moyens réflexifs-interactifs sont des actions ciblées qui visent à faire émerger une vision partagée du changement tels que le questionnement, l’interaction, la réflexion, la discussion, la rétroaction, les conflits sociocognitifs. Ils favorisent les échanges, la confrontation des idées et la communication réflexive-interactive. Les prises de conscience et les constats suscités à l’aide de ces moyens réflexifsinteractifs incitent les personnels à progresser dans le processus de changement en passant à l’action. Les personnes accompagnées modifient leur modèle de pratiques lorsqu’elles intègrent ces moyens à leurs gestes et pratiques professionnelles (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a). Passage à l’action Le passage à l’action est le moment choisi par une personne ou un groupe de personnes pour initier des actions, des gestes professionnels ou des situations d’accompagnement qui vont dans le sens du changement dans le but de le mettre en œuvre. Il s’agit d’une étape charnière, souvent difficile à réaliser, car l’arrivée d’un changement, surtout s’il est majeur, oblige les personnes à faire des ajustements à leur modèle d’intervention. Ces ajustements sont plus ou moins majeurs selon les individus ou les groupes accompagnés, leurs résistances et leur positionnement face au changement. Le passage à l’action est essentiel pour assurer le renouvellement et la pérennité de pratiques associées aux fondements théoriques du changement. Deux phases peuvent animer ce passage à l’action : 1) des récits ou témoignages de pratiques ou d’expériences qui vont dans le sens du changement et qui bénéficient de rétroactions réflexives-interactives pour connaître ce qui se fait dans les milieux, pour s’en inspirer et pour apprendre à rétroagir à d’autres expériences ; 2) l’accompagnement en sous-groupes de projets d’action élaborés par les personnes accompagnées et expérimentés par elles. Ces phases
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servent à inciter les personnes à tenter des actions ou des expériences qui vont dans le sens du changement ou de son accompagnement et à soutenir le processus de changement. Un tel passage à l’action suppose : a) un projet conçu et planifié collectivement, b) des expériences tentées ou actions réalisées, c) un suivi, d) une analyse individuelle et collective, e) des ajustements, f) des traces à garder. Pratique réflexive Une pratique réflexive est une mise à distance et un regard critique sur son propre fonctionnement, mais aussi une analyse tant individuelle que collective des actions et des gestes posés au cours de son intervention professionnelle. Si elle s’inscrit dans une perspective socioconstructiviste, la pratique réflexive suppose des interactions avec des personnels professionnels et une confrontation des pratiques individuelles et collectives des individus et d’un groupe qui acceptent de confronter leurs croyances (conceptions et convictions), de vivre des conflits cognitifs afin de viser une plus grande cohérence entre ce qu’ils pensent (pensée) et ce qu’ils font (actions), ce qu’ils croient (croyances) et ce qu’ils accomplissent (pratiques) dans leur vie professionnelle. Les interactions permettent de prendre conscience des incohérences, de les verbaliser, les partager et les discuter dans le but d’améliorer son action professionnelle. Le regard sur sa pratique peut se faire sur quatre niveaux : 1) ce qui se passe, 2) comment cela se passe, 3) pourquoi cela se passe ainsi et 4) ce qui peut être fait pour améliorer cette pratique. La pratique réflexive comporte trois composantes : une composante de réflexion et d’analyse de sa pratique, une autre liée au passage à l’action et enfin, une dernière qui fait référence à la construction de son modèle de pratiques en évolution (Lafortune et Deaudelin, 2001. 1) Une réflexion sur sa pratique et son analyse dépasse largement le cadre d’une discussion à propos de son travail avec des collègues. La réflexion et l’analyse supposent une intention d’amélioration, d’ajustement ou de modification des pratiques professionnelles à l’intérieur d’une organisation. Réfléchir à sa pratique consiste à essayer de la décrire de manière objective afin d’utiliser les matériaux de cette description pour examiner, analyser ce qui peut être amélioré, ajusté ou modifié dans ses pratiques. L’observation et la description de ses pratiques deviennent des leviers à partir desquels peut s’amorcer le changement. L’analyse suppose des mises en relation, des comparaisons, des justifications ou explications. Elle exige l’acceptation de questionnements, des remises en question, des confrontations avec des collègues de travail. 2) Le passage à l’action sert à montrer les résultats de la réflexion et la pertinence de l’analyse. Il suppose des prises de conscience assez approfondies – à l’opposé de superficielles – au point de susciter la pérennité du changement. Le passage à l’action est lié au processus de transposition issu de la réflexion et de l’analyse. Il mène à des retours individuel et collectif sur les actions afin de susciter des interactions, des confrontations et des régulations qui conduisent à un renouvellement des pratiques et au changement. 3) Le développement et l’évolution du modèle de pratiques d’un professionnel ou d’une professionnelle est issu de ce processus de réflexion, de confrontation, d’analyse de remise en question et de passages à l’action. Il correspond à la représentation qu’une personne se fait de sa profession et ce qui guide l’ensemble des décisions et des gestes qu’elle pose dans le cadre de ses fonctions. Bref, tout ce qui oriente l’ensemble de son action professionnelle. Le modèle de pratiques se développe tout au long de la vie professionnelle et à travers une diversité de formations et
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d’expériences. Ce cheminement réflexif suppose une progression professionnelle par une évaluation constante de ses intentions, de ses objectifs, de ses buts, de ses croyances, de ses valeurs… Et la pratique réflexive permet d’entrer dans un processus où la personne va se servir et s’inspirer de sa pratique pour continuer à apprendre et à se développer professionnellement (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a,b). Prendre en compte la dimension affective dans une perspective cognitive Prendre en compte la dimension affective dans une perspective cognitive suppose d’exposer la situation, de la décrire, de reconnaître les composantes de la dimension affective en cause, à pouvoir énoncer les causes et conséquences de ce qui se déroule ou s’est déroulé dans l’action. Bien reconnaître ce qui se passe mène à se donner des moyens de prendre en compte les réactions affectives qui émergent et à pouvoir tirer profit de l’expérience afin d’adapter les solutions à d’autres contextes en fonction de ses propres réactions affectives, de celles des autres et de celles qui émergent de l’interaction. Tenir compte de la dimension affective dans une perspective cognitive suppose une compréhension de l’ensemble de la situation afin d’exercer une mise à distance qui permet d’agir de façon adéquate pour favoriser le changement. (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a) Projet d’action Un projet d’action peut prendre la forme d’une séquence d’intervention, d’une intention de poser différents gestes professionnels, une structure proposant des actions à mettre en œuvre… qu’il s’agit de mettre en œuvre dans une démarche d’accompagnement d’un changement. La mise en place de projets d’action favorise le processus de changement, le renouvellement des pratiques professionnelles et le développement de compétences professionnelles. Ces projets d’action supposent un rapport étroit entre planification, anticipation, conception, élaboration, mise en œuvre, évaluation d’un ensemble de tâches, et cela en prenant en compte la culture liée à un champ d’expertise ainsi qu’au milieu accompagné. Il s’agit d’actions réfléchies qui englobent un ensemble de gestes professionnels, d’actions et de moyens qui favorisent le travail en collégialité visant la mise en œuvre du changement. Les personnes accompagnatrices mettent en place un dispositif réflexif-interactif complexe qui incite les personnes accompagnées à s’engager graduellement, elles aussi, dans le changement. Cet engagement se fait en interaction, à l’aide de tâches ou de situations d’accompagnement socioconstructiviste. Pour manifester leur désir ou leur intention de changer ou d’apprendre, les personnes s’engagent dans la démarche d’accompagnement, passent à l’action en planifiant et en élaborant des projets d’action ou d’accompagnement, pilotent des expériences dans leur milieu, réinvestissent la démarche, les moyens et les outils expérimentés auprès des personnes qu’elles accompagnent pour le développement de compétences. La réussite d’un changement suppose le passage à l’action et la mise en place de projets d’action qui exigent une préparation rigoureuse, qui offrent des possibilités d’adaptation qui soient réalistes en considérant le cheminement des personnels accompagnés. En structurant des projets d’action pour accompagner le changement, les personnes accompagnatrices se donnent une vision à long terme afin de soutenir les personnes qu’elles accompagnent. Elles se demandent en quoi leur
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projet d’action va soutenir les personnes engagées dans le développement de nouvelles pratiques professionnelles ? En quoi ce projet va-t-il susciter l’adhésion au changement ? L’élaboration de projets permet la mobilisation de ressources et d’une culture liée à un champ d’expertise favorable au changement ; elle offre un soutien, un suivi, une continuité et favorise un réinvestissement des apprentissages réalisés. Lors de la planification de projets, les personnes accompagnatrices mettent leurs compétences collectives à profit en travaillant avec leurs collègues. Elles établissent des priorités, font des choix d’actions, de stratégies et de moyens qui s’inscrivent dans la perspective du changement. Ces projets d’action sont structurés en cohérence avec ses fondements, ses visées et ses orientations. Au cours de la planification de projets, les personnes accompagnatrices s’interrogent sur l’objet (le quoi) de leur intervention et comment elles comptent s’y prendre pour la réaliser. Elles explorent et discutent de leurs actions et de leurs pratiques dans une visée d’analyse, de remise en question et de régulation, en travaillant en collégialité. Elles portent un regard critique sur les moyens et actions mis en œuvre pour développer et exercer leur leadership d’accompagnement. Le projet d’action est généralement étalé sur plusieurs rencontres qui comprennent des éléments de formation (théorie et pratique) et des suivis. Un tel projet comporte plusieurs composantes : un fil conducteur, des intentions, des actions et justifications, des anticipations, des ajustements possibles, une réflexion et des moyens pour garder des traces (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a). Questionnement Le questionnement consiste à poser un ensemble de questions de manière à susciter la prise de parole, les échanges, le partage, la réflexion, les conflits cognitifs, les remises en question, etc. Il est réflexif s’il mène les personnes à réfléchir à leur pratique professionnelle, à penser aux stratégies ou aux processus mis en œuvre dans la réalisation d’une tâche ou de gestes professionnels. Il est socioconstructiviste s’il favorise la construction des connaissances et de compétences, s’il suscite les interactions et s’il provoque des conflits sociocognitifs (adapté de Lafortune, Martin et Doudin, 2004). Il incite les personnes accompagnées à verbaliser ce qu’elles pensent, ce qu’elles font, comment elles le font, comment elles pourraient le faire, comment elles pourraient susciter des prises de conscience chez les personnes accompagnées ou les encourager à passer à l’action. Le questionnement peut aussi amener les personnes accompagnées à s’interroger sur l’accompagnement du processus de changement, elles sont alors incitées à transposer ce qu’elles vivent dans leur pratique d’accompagnement. Dans une pratique réflexive, le questionnement invite à la prise de parole, à susciter des prises de conscience par rapport aux pratiques, à remettre en question sans susciter trop de résistance tout en n’obligeant pas les personnes à tout accepter. Dans cette perspective, une personne utilise le questionnement pour susciter la réflexion. Elle crée ainsi un déséquilibre qui favorise la remise en question. Le questionnement représente tout en défi, en considérant qu’il a comme rôle et utilité de susciter la réflexion approfondie, de favoriser l’émergence de conflits sociocognitifs, de stimuler les interactions et de mener à se veut une façon d’être où la personne accompagnée ou accompagnatrice réfléchit sur sa des prises de conscience et à une autonomie réflexive-interactive. Ce type d’autonomie pratique, prépare et fait un retour sur ses interventions en se posant des
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questions ou en consultant les autres dans une perspective d’ajustements de ses pratiques et de confrontation et de remise en questions de ses façons de faire (Lafortune, Martin et Doudin, 2004, p. 15). Dans l’accompagnement d’une pratique réflexive, le questionnement exige une préparation de questions, mais aussi une réflexion à propos de la valeur de ces questions qui consiste à anticiper des réponses possibles et à les soumettre aux regards de ses collègues avant de les utiliser. On peut aussi examiner les types de questions posées et s’interroger sur le degré de réflexion exigé par ces questions pour tenter par la suite de les reformuler afin qu’elles exigent un engagement réflexif plus grand. Selon sa pertinence, le questionnement peut favoriser un engagement réflexif des personnes accompagnées surtout s’il fait émerger des prises de conscience qui alimentent la réflexion et qui mènent à l’action. Le questionnement peut devenir un moyen pour susciter la pratique réflexive. En ce sens, « le questionnement lié à une démarche d’accompagnement est grandement lié à la rétroaction fournie sur la planification de l’intervention, sur le déroulement de l’action et sur l’analyse a posteriori de l’action. Cette rétroaction, qu’elle prenne la forme d’un commentaire, d’une communication d’informations, d’un bilan ou d’un questionnement, peut avoir un sens plus large et susciter des réflexions, confrontations ou prises de conscience qui exigent un recadrage, une remise en question ou une régulation dans un but de changement, d’avancement, d’évolution ou d’explication. Elle devient alors réflexive-interactive si elle incite la personne accompagnée à réfléchir sur ses actions, ses productions, ses attitudes ou ses comportements et à envisager une solution pour en discuter avec d’autres afin de recevoir des commentaires critiques ou de répondre à des questions qui suscitent l’approfondissement et l’explicitation » (Lafortune et Martin, 2004, p. 15). Rétroaction Pour Wlodkowski et Ginsberg (1995) la rétroaction est une information fournie à l’apprenant à propos de la qualité de son travail. Elle est probablement le meilleur moyen pour influencer les compétences des personnes en situation d’apprentissage, car elle suscite un recadrage, une remise en question ou une régulation dans un but de changement, d’avancement, d’évolution ou d’explication. Elle a pour but d’informer plutôt que de contrôler tout en favorisant l’efficacité, la créativité et l’autonomie des personnels. La rétroaction semble avoir une influence sur la motivation des personnes apprenantes, car celles-ci peuvent mieux évaluer leurs progrès, comprendre leur performance, maintenir leurs efforts et recevoir des encouragements (Wlodkowski et Ginsberg, 1995). Dans l’accompagnement, la rétroaction peut servir de tremplin à la discussion, à l’analyse d’une situation, à communiquer de l’information ou à faire un bilan. Elle peut avoir un sens plutôt restreint et référer à une information fournie à une personne ou peut avoir un sens plus large et référer à des réflexions, des confrontations ou à des prises de conscience qui suscitent un recadrage, une remise en question ou une régulation dans un but de changement, d’avancement, d’évolution ou d’explication. Les rétroactions privilégiées dans la démarche d’accompagnement se situent sur un continuum considérant des rétroactions peu réflexives à des rétroactions très réflexives, c’est-à-dire des rétroactions qui suscitent de plus en plus la réflexion. « La rétroaction réflexive-interactive […] peut comporter
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un degré plus ou moins grand de réflexivité et être plus ou moins réflexiveinteractive. Lorsqu’elle n’est pas réflexive-interactive ou très peu réflexiveinteractive, elle fournit des informations à propos d’actions, de productions, d’attitudes ou de comportements en apportant des commentaires ou une évaluation de la situation et en donnant des solutions. Si elle est plutôt réflexiveinteractive, elle amène la personne qui reçoit la rétroaction à réfléchir sur ses actions, ses productions, ses attitudes ou ses comportements et à penser à une solution et à en discuter » (Lafortune 2004d, p. 296-297). Utiliser la rétroaction dans le contexte d’un changement prescrit représente un défi pour la personne accompagnatrice qui ne peut accepter toutes les expériences et toutes les idées comme étant conformes au changement à mettre en œuvre. Réaliser une rétroaction dans un contexte de changement exige d’avoir en tête les intentions suivantes : 1) situer les fondements du changement ; 2) s’assurer d’une cohérence de l’ensemble des éléments ; 3) accepter de poser un regard critique qui suppose des remises en question ; 4) tenir compte de la dimension affective tout en considérant le changement et la relation professionnelle en cause. La personne accompagnatrice qui guide l’action apprend à reconnaître les forces et les défis d’une proposition et à soutenir les personnes à cheminer dans leur rôle et le développement de leurs compétences professionnelles. La rétroaction peut être facilitée par des stratégies comme les suivantes : 1) écouter la présentation d’une expérience ou d’une proposition en prenant en note quelques mots-clés ; 2) construire à partir des mots ou expressions utilisés ; 3) questionner de manière à ce que l’ensemble du groupe se sente interpellé – éviter les dialogues ou les apartés ; 4) limiter le temps qui est accordé à un témoignage ou à une description d’expérience (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a,b). Synthèse Issue de la confrontation des idées, la synthèse est une lecture effectuée par une ou plusieurs personnes à l’intérieur d’un groupe à partir de réflexions individuelles et collectives. Cette lecture s’inspire et rend compte d’une diversité de points de vue, mais pas nécessairement de tous les points de vue. Son contenu est structuré et emprunte souvent à une nouvelle forme d’organisation. La personne qui fait la synthèse, choisit certaines idées, fait des liens, les associe, hiérarchise et organise l’information selon sa compréhension et la lecture qu’elle fait des aspects discutés. Enfin, la personne peut aussi choisir d’éliminer certaines idées qui ne cadrent pas avec la proposition ou la demande ou en ajouter de nouvelles pour donner plus de sens à la synthèse. Les aspects traités sont influencés par le modèle de pratiques (formations et expériences) de la personne qui fonctionne comme une grille de lecture lorsqu’elle élabore une synthèse. Son modèle de pratiques fait partie des ressources dont elle dispose et à partir desquelles la personne va construire de nouvelles connaissances à propos du changement. On peut penser que la confrontation des idées peut rendre difficile la construction d’une synthèse puisque des idées différentes, voire même parfois opposées, émergent. Une synthèse construite à partir des interactions d’un groupe peut représenter l’idée ou les valeurs de ce groupe, mais peut-être pas l’idée ou les valeurs de chacun des individus qui le constituent. Le résultat de la synthèse n’est pas nécessairement utilisé comme un élément à intégrer dans la démarche, mais peut servir au questionnement collectif et à susciter des prises de conscience. La synthèse permet d’organiser l’information à un certain moment de la démarche,
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d’expliciter ou de représenter sa compréhension d’une situation, d’un processus ou d’un objet, de situer où l’on est, ce qu’on pense, ce qu’on comprend ou connaît d’une situation. Elle peut aussi permettre aux personnes accompagnatrices de mieux connaître les personnes ou le groupe qu’elles accompagnent, de voir où elles se situent et ce qu’elles comprennent du changement et les liens qu’elles font avec leur pratique professionnelle (pour plus d’explications, voir Lafortune, 2008a,b). Théorisation émergente « La théorisation émergente est une démarche permettant de faire des découvertes théoriques principalement à partir de l’action du milieu étudié qui agit dans sa propre étude. Le milieu contribue à mieux se comprendre et à mieux être compris. Il peut proposer une problématique, réorienter la recherche et l’intervention dans une voie plus féconde ainsi que critiquer et valider les résultats de la recherche. La théorisation émergente est le fruit de l’interaction, des coconstructions des personnes du milieu et de l’équipe de recherche. Elle représente un moyen de coconstruire une théorie portant sur un nouveau concept […], car elle utilise comme énoncés les éléments construits en groupe et retournés au groupe pour confrontation et amélioration tout en s’inspirant de théories existantes. » (Lafortune, 2004d, p. 297-298). Dans une démarche d’accompagnement, les personnes réfléchissent au changement, font certaines prises de conscience, elles effectuent des liens, font des constats, etc. Parmi ces émergences, certains aspects peuvent contribuer à la théorisation, car ils témoignent de l’expérience en cours. Il faut toutefois que ces traces soient recueillies, conservées, examinées, comparer, etc. Elles seront soumises à un processus d’analyse, d’interprétation, de validation avant de conduire à la formulation d’énoncés théoriques (définition de concepts associés au changement ou à l’accompagnement d’un changement) ou à la modélisation d’une expérience (modèle d’accompagnement professionnel d’un changement) ou d’une pratique (Lafortune 2008a). Vision partagée du changement La vision partagée d’un changement c’est la représentation qu’un groupe de personnes va construire au cours d’une démarche d’accompagnement d’un processus de changement. Dans une perspective socioconstructiviste, il apparaît difficile d’obtenir une vision ou une compréhension qui soient communes parce que les personnes construisent leurs représentations à partir de leurs expériences et de leurs acquis antérieurs et des compétences qu’elles avaient développées préalablement, mais aussi parce qu’elles n’ont pas nécessairement le même cheminement ni la même expertise que leurs collègues. Une démarche d’accompagnement peut cependant contribuer à la construction d’une vision et d’une compréhension partagée par plusieurs personnes ou du moins à susciter certains rapprochements qui permettent de saisir la vision des autres en continuant à progresser dans le processus de changement. Le partage d’une vision suppose des échanges à propos des conceptions du changement, suppose des débats d’idées qui confrontent sa vision à celles des autres. Cette démarche s’avère importante même si les visions des autres sont parfois différentes, voire opposées et dérangeantes pour soi ou pour les autres (Lafortune et Lepage, 2007).
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Il arrive que certaines personnes n’arrivent pas à comprendre l’essentiel de la vision à laquelle semble se rallier une majorité de leurs collègues. Elles peuvent y adhérer en partie seulement et même éprouver de la difficulté à cheminer dans le même sens ou au même rythme que les autres. Il importe de le savoir, car ce décalage est préférable à la recherche d’un consensus « obligé » qui serait accepté en paroles, mais qui ne se concrétiserait jamais dans les actions ou les gestes professionnels de la personne. La construction d’une vision partagée exige de s’ouvrir à des visions différentes de la sienne quant à l’objet du changement. Le changement à mettre en œuvre ne va pas nécessairement dans le sens de la conception qu’en a chaque individu. Pour y adhérer ou se l’approprier, les personnes s’engagent dans un processus d’apprentissage et de régulation qui peut les inciter à modifier, au contact des autres ou avec le contenu du changement, leurs conceptions et à renouveler leurs pratiques. Ce processus de régulation se poursuit en boucle puisqu’il est continuellement alimenté par l’ajout de nouvelles données, mais aussi par la compréhension qu’on se fait du changement et de ce qu’elle peut changer à sa vie professionnelle.
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NOTICE BIOGRAPHIQUE
Louise Lafortune, Ph. D., est professeure titulaire au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle est auteure de plusieurs articles et livres portant sur l’affectivité et la métacognition dans l’apprentissage, sur la problématique Femmes et maths, sciences et technos, la pédagogie interculturelle, la perspective d’une équité sociopédagogique et sur la philosophie pour enfants adaptée aux mathématiques, sur la formation continue, sur l’accompagnement socioconstructiviste d’une réforme en éducation ou d’un changement, sur la pensée réflexive, sur le travail en équipe-cycle, en équipe de collègues, sur le jugement professionnel. Ses expertises particulières sont axées sur la dimension affective de l’apprentissage et des mathématiques, sur l’accompagnement socioconstructiviste d’un changement orienté, prescrit. Elle vient de terminer un projet d’accompagnement-rechercheformation de la mise en œuvre du Programme de formation de l’école québécoise (MELS-UQTR, 2002-2008). De ce projet est publié Compétences professionnelles pour l’accompagnement d’un changement : un référentiel et Un modèle d’accompagnement professionnel : pour un leadership novateur (Lafortune, 2008) Elle prépare actuellement des livres portant sur : la dimension affective de l’accompagnement, une écriture professionnelle et professionnalisante pour cheminer dans le changement.