Changes flexibles ou étalon international : les leçons de l'histoire
OUVRAGES DE RÉFÉRENCE CHEZ LE MÊME ÉDlnUR c Économie P. AGHION, P. HOWIlT La Théorie de la croisSélnce endogène K. AAAOW Théorie de l'information et des organiSéltions A. COURNOT Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses G. DEBREU Théorie de la valeur J.-J. DROESBEKE, L. LEBART et al. Enquêtes, modèles et applications D. M. KREPS Théorie des jeux et modéliSéltion
~conomique
A. REBEYROL La Pensée économique de Walras P. SRAFFA Production de marchandises par des marchandises
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Sciences des organisations L. VON BERTALANFFY Théorie générale des systèmes J.-L. LE MOIGNE La ModéliSéltion des systèmes complexes J.G. MARCH, H.A. SIMON Les OrganiSéltions F. PETIT, M. DUBOIS Introduction à la psychologie des organiSéltions J.-c. SCHEID Les Grands Auteurs en organiSéltion H.A. SIMON Sciences des systèmes, sciences de J'artificiel J. Thépot et al. Décision, prospective, auto-organiSéltion. Mélanges en l'honneur de Jacques Lesourne
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Société J.-L. BEAUVOIS Traité de la servitude libérale H. BOYER, G. LOCHARD Notre écran quotidien P. Carré, P. Caspar et coll. Traité des sciences et des techniques de la formation P. CHARAUDEAU, R. GHIGLIONE La Parole confisquée. Un genre télévisuel: Le talk show
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Architecture, Urbanisme P. BOUDON Introduction à l'architecturologie K. LYNCH L'Image de la cité
R. VENTURI De l'ambiguïté en architecture
MILTON FRIEDMAN
Changes flexibles ou étalon international : les leçons de l'histoire Traduction de l'anglais par Guy Millière et Henri Bernard
Introduction de Marie-Thérèse Boyer-Xambeu et Ghislain Deleplace
DUNOD
Conseillers éditoriaux pour cet ouvrage: Carlo Benetti, Marie-Thérèse Boyer-Xambeu, Jean Cartelier, Ghislain Deleplace, Antoine Rebeyrol
établissements d'enseignement supérieur, Ce pictogramme mérite une explication. provoquant une baisse brutale des achats Son obiet est d'alerter le lecteur sur de livres et de revues, au point que la la menace que représente pour l'avenir possibilité même pour les auteurs de l'écrit, particulièrement dans le domaine de l'édition techDANGER de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement nique et universitaire, le dévelopest auiourd'hui menacée. pement massif du photocopillage. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou Le Code de la propriété !fue~ totale, de la présente publication intellectuelle du 1·' iuillet 1992 est interdite sans autorisation du interdit en effet expressément la Centre français d'exploitation du photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, droit de copie (CFC, 20 rue des Grandscene pratique s'est généralisée dans les Augustins, 75006 Paris).
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© Dunod, Paris, 2002 ISBN 2 10 005026 5 © Éditions Litec, 1995, pour les chapitres 1 et 2 © 1953 by the University of Chicago, pour les chapitres 1 et 2 © Dunod, Paris, 1993, pour les chapitres 3, 4 et 5 © 1992 by Milton Friedman pour les chapitres 3, 4 et 5, dont l'édition originale a été publiée aux États-Unis par Harcourt Brace Jovanovich Publishers, New York, dans l'ouvrage Money Mischief
Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite selon le Code de la propriété intellectuelle (Art L 122-4) et constitue une contrefaçon réprimée par le Code pénal. • Seules sont autorisées (Art L 122-5) les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, ainsi que les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, pédagogique ou d'information de l' œuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve, toutefois, du respect des dispositions des articles L 122-10 à L 122-12 du même Code, relatives à la reproduction par reprographie_
TABLE DES MATIÈRES
Introduction (par Marie-Thérèse Boyer-Xambeu et Ghislain Deleplace)
IX
1. Logique et actualité de l'ouvrage 1.1 La structure de l'ouvrage 1.2 L'actualité de l'ouvrage 1.3 Deux mondes différents, mais deux variantes d'un même principe 1.4 Idéalisme et pragmatisme 2. Les thèmes de l'ouvrage 2.1 Les ajustements de balance des paiements 2.2 Étalon-marchandise international ou étalons fiduciaires nationaux ? 2.3 Retour sur le x/xe siècle: étalon-or ou bimétallisme 3. Quelques interrogations théoriques 3.1 Monétarisme et flexibilité 3.2 Les ambiguïtés de l'étalon-marchandise 3.3 Les ambiguïtés de l'étalon fiduciaire 4. Quelques interrogations historiques 4.1 Le rôle des arbitrages 4.2 Le bimétallisme international
X X XI
XIV XV XVII XVII XVIII XXI XXIV XXIV XXVII XXX XXXI XXXII XXXIII
Partie 1 Théorie du change et de l'étalon
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Chapitre 1- Défense des taux de change flexibles
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1. Méthodes alternatives d'adaptation aux changements affectant
les paiements internationaux 1.1 Modifications des taux de change 1.2 Modifications des prix ou des revenus intérieurs
5 7 10
VI
CHANGES FLEXIBLES
1.3 Les contrôles directs 1.4 L'utilisation des réserves monétaires 1.5 Une comparaison 2. Objections aux taux de change flexibles 2.1 Taux de change flexibles et incertitude 2.2 Les taux de change flexibles et les prix intérieurs 2.3 Les taux de change flexibles et le temps d'ajustement 3. Problèmes spécifiques liés à 1'instauration et à la mise en œuvre d'un système de taux de change flexibles 3.1 Le rôle des États sur le marché des changes 3.2 Le rôle de l'Union européenne des paiements et du Fonds monétaire international dans un système de changes flexibles 3.3 Le rôle de l'or dans un système de taux de change flexibles 3.4 La zone sterling 4. Quelques exemples de l'importance d'un système de taux de change flexibles 4.1 Un commerce international sans restrictions 4.2 L' harmonisation des politiques monétaires et fiscales intérieures 4.3 Le processus de réarmement 5. Conclusion
Chapitre 2 - La supériorité des étalons fiduciaires nationaux sur l'étalon marchandise international 1. Les étalons marchandise en général 1.1 Les étalons marchandise stricts 1.2 Étalons marchandise stricts alternatifs 1.3 Étalons marchandise partiels 2. L'étalon à réserve de marchandises 2.1 Caractéristiques générales 2.2 La composition du panier monétaire 2.3 Le comportement des prix du panier monétaire 2.4 L'élasticité de l'offre 2.5 Stipulations pour une croissance durable 2.6 Le commerce international 3. Comparaison de la réserve de marchandises avec d'autres étalons 3.1 L'étalon-or 3.2 La monnaie fiduciaire pure 4. Conclusion
12 14 17 17 18 23 25 29 29 31 33 34 37 38 39 41 42 45 46 47 51 54 59 59 61 67 69 72
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82
VII
Table des matières
Partie 2 Épisodes en histoire monétaire Chapitre 3 - Le crime de 1873 1. 2. 3. 4.
Le contexte historique Y a-t-il eu « crime» ? Les conséquences du Coinage Act de 1873 De l'argent ou de l'or, lequel aurait été préférable?
Chapitre 4 - La cc libération )) de l'argent contre la déflation par l'or 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
La désignation de Bryan et sa carrière politique ultérieure Le triomphe de l'étalon-or La déflation et la production d'or par cyanuration La déflation et le mouvement en faveur de l'argent Un rapport de 16 pour 1 était-il une idée saugrenue? La cyanuration et le déclin politique de Bryan Conclusion
Chapitre 5- À nouveau sur le bimétallisme 1. 2. 3. 4.
Le bimétallisme dans l'histoire Le bimétallisme dans la pensée économique Partisans et adversaires du bimétallisme Les propositions bimétallistes de l'époque et ce qu'on en pensait 5. Monométallisme-or contre monométallisme-argent 6. Conclusion
87 88 94 96 101 107 108 III 112 113 115 120 120
123 126 130 132 134 138 143
Bibliographie
145
Index des auteurs
149
Index des notions
151
AVERTISSEMENT
Les chapitres 1 et 2 de la présente édition sont repris de l'édition française (Litec, 1995 ; épuisé) de Essays in Positive Economics (1953). Les chapitres 3 à 5 sont repris de l'édition française (Dunod, 1993 ; épuisé) de Money Mischief. Episodes in Monetary History (1992). Les chapitres 1 et 2 ont été traduits de l'anglais (États-Unis) par Guy Millière, les chapitres 3 à 5 par Henri Bernard. MTBXetGD
INTRODUCTION Par Marie-Thérèse Boyer-Xambeu* et Ghislain Deleplace**
Cet ouvrage est la réunion de divers essais publiés auparavant par Milton Friedman dans des éditions françaises qui, bien que récentes, sont aujourd'hui épuisées (1). Deux raisons nous ont conduits à réunir des textes à caractère théorique écrits au début des années 1950 et d'autres à caractère historique écrits au début des années 1990. La première est qu'ils nous semblent représentatifs de la conception défendue par Friedman depuis un demi-siècle des systèmes monétaires qui « se développent et évoluent assez librement. Ils ne sont jamais, et ne peuvent être, construits sans références à des données antérieures. Mais [ ... ] ils peuvent être modifiés et affectés de toutes les façons par une action délibérée : c'est la raison pour laquelle une bonne compréhension des phénomènes monétaires a un grand intérêt potentiel» (2). La seconde justification de cette édition est que ces essais concernent une question centrale dans les débats d'aujourd'hui sur le système monétaire international : l'alternative entre des changes flexibles librement déterminés par les transactions privées et une discipline monétaire adoptée en commun par les États. Nous insisterons d'abord sur la structure de l'ouvrage et son actualité, puis nous en présenterons les principaux thèmes, avant de soulever quelques interrogations dé nature théorique ou historique.
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* Université Paris 7, LED-EPEH. E-mail:
[email protected] ** Université Paris 8, LED-EPEH. E-mail:
[email protected] (1) Essais d'économie positive, Paris: Litec, 1995; La monnaie et ses pièges, Paris: Dunod, 1993. Ces ouvrages sont les traductions de, respectivement, Essays in Positive Economics, Chicago: University of Chicago Press, 1953; Money Mischief Episodes in Monetary History, New York: Harcourt Brace Jovanovich, 1992. (2) Préface à Friedman (1993),p. 14-15.
X
CHANGES FLEXIBLES OU ÉTALON INTERNATIONAL
1. LOGIQUE ET ACTUALITÉ DE L'OUVRAGE 1.1
La structure de l'ouvrage
La première partie, composée des chapitres 1 et 2 publiés en 1953, a pour point de départ la condamnation des «arrangements monétaires internationaux» (p. 45) issus de Bretton Woods, qui combinent l'existence de taux de change fixes entre les monnaies nationales et le refus de la convertibilité complète de ces monnaies en un étalon commun. En conservant du système de l'étalon-or la fixité des changes tout en disposant « d'une liberté considérable dans l'élaboration des politiques monétaires nationales» (ibid), les pays occidentaux ont ainsi « mélangé les pires caractéristiques de l'une et des autres -la rigidité d'une norme internationale et l'incertitude des normes nationales» (ibid). La rupture avec ces « normes hybrides présentes» (ibid) prend la forme d'une alternative: soit la restauration d'une discipline internationale réellement contraignante, en fondant à nouveau les changes fixes sur la convertibilité complète des monnaies nationales en un étalonmarchandise ; soit la libre détermination de taux de change flexibles entre des monnaies à étalon purement fiduciaire, assortie d'une discipline nationale dans la définition des politiques monétaires. Friedman se prononce pour cette dernière solution. L'objet du chapitre 1 est alors d'établir la supériorité des changes flexibles, non seulement sur les changes fixes, mais sur toute autre méthode d'ajustement des balances des paiements. Cette supériorité tient à ce que les changes flexibles offrent « la possibilité d'atteindre deux buts majeurs: un commerce multilatéral sans restrictions, et la liberté pour chaque pays de rechercher sa stabilité intérieure selon sa propre voie» (p. 43). Le chapitre 2 vise à montrer qu'il serait vain de vouloir fonder les changes fixes au plan international sur l'adoption au plan national d'un étalon-marchandise, même élargi par rapport à l'étalon-or, car « sous tous les aspects importants, la monnaie à réserve de marchandises est techniquement inférieure à la monnaie fiduciaire» (p. 84). Celle-ci n'exclut pas pour autant une discipline dans son émission, mais qui devrait s'exercer selon Friedman au niveau national, grâce à l'adoption d'un «cadre monétaire et fiscal pour la stabilité économique» (1), contrepartie d'un système monétaire international dans lequel les taux de change flexibles sont déterminés librement par les seules transactions privées (2). Ainsi se trouve exclu, non (1) C'est le titre du chapitre 5 de Friedman (1953), qui n'est pas reproduit ici puisqu'il concerne le régime monétaire interne. Ses dispositions principales sont résumées par Friedman dans le chapitre 2 du présent ouvrage, aux pages 77-81. (2) «La contrepartie intérieure logique des taux de change flexibles est une monnaie fiduciaire stricte changeant quantitativement en fonction de règles conçues pour susciter la stabilité intérieure » (p. 33).
Introduction
XI
seulement tout étalon international, mais encore toute discipline monétaire adoptée en commun par les États. La seconde partie, composée des chapitres 3 à 5 publiés en 1990-1992, semble avoir un tout autre objet, pour plusieurs raisons : c'est une étude de caractère historique (et non plus théorique), centrée sur l'histoire monétaire américaine (et non celle du système monétaire international), et Friedman y marque sa faveur pour un régime d'étalon-marchandise (le bimétallisme) plutôt qu'un autre (l'étalon-or). Mais à quarante ans de distance, c'est bien la même question : comment, dans des circonstances définies, articuler un régime monétaire interne et un système monétaire international pour atteindre un double objectif, la stabilité des prix au plan national· et celle des taux de change au plan international ? Et l'adhésion au bimétallisme ne doit pas tromper: l'important n'est pas qu'il implique une monnaie marchandise (ce qui pour Friedman est aujourd'hui dépassé), mais qu'il introduise par rapport au monométallisme une flexibilité plus à même de garantir l'atteinte de ces objectifs supérieurs. En cela, ces études historiques relatent une expérience dont les enseignements ont une portée actuelle.
1.2
L'actualité de l'ouvrage
Un paradoxe de cet ouvrage est que la conjonction d'analyses théoriques vieilles d'un demi -siècle et d'études historiques récentes sur une période encore plus éloignée conduise le lecteur au cœur des débats actuels sur ce qu'on a pris l' habitude d'appeler «la nouvelle architecture financière internationale ». Citons trois thèmes récurrents dans l'ouvrage qui en sont l'illustration.
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D'abord, l'objectif de tout système monétaire international est selon Friedman de favoriser un commerce multilatéral et sans entraves; la condition de son bon fonctionnement est la libre convertibilité des monnaies, et le mécanisme principal d'ajustement est la mobilité internationale des capitaux. Alors que les restrictions à celle-ci étaient le complément délibéré du système de changes fixes prévu à Bretton Woods, le plaidoyer du chapitre 1 pour les changes flexibles s'appuie sur une confiance absolue en la spéculation stabilisatrice. Les mouvements de capitaux à court tenne ont pour Friedman le même effet positif dans un système moderne de changes flexibles qu'ils avaient au XIX e siècle dans le système de changes fixes fondés sur l'étalon-or. On sait que les travaux théoriques sur le « surajustement », issus de Dornbusch (1976) et suscités par la généralisation des changes flexibles à partir des années 1970, ont jeté un doute sur ces vertus attribuées à la mobilité internationale des capitaux, doute renforcé par la répétition des crises monétaires et financières internationales depuis les années 1990.
XII
CHANGES FLEXIBLES OU ÉTALON INTERNATIONAL
Ensuite, les deux régimes de changes étudiés par Friedman d'un point de vue théorique et historique (et, comme on le verra plus loin, défendus l'un et l'autre pour des époques différentes) sont ceux entre lesquels l'opinion dominante considère que les pays peuvent choisir selon les circonstances, à condition qu'ils soient pratiqués de manière extrême: les changes fixes couplés à des règles rigoureuses dans l'émission monétaire (grâce à un currency board voire à la dollarisation), ou les changes flottants libérés de toute intervention des banques centrales. Cette opinion rejoint la condamnation par Friedman des formules «hybrides» ; d'autres auteurs comme Krugman (1992), Bergsten, Davanne et Jacquet (1999), Williamson (2000) jugent au contraire que des régimes intermédiaires (tels que des «zones cibles », des «bandes glissantes» ou des « règles de gestion de la flexibilité») sont préférables à des solutions « en coin ». Enfin, en discutant du rôle que pourraient jouer le FMI ou la Zone sterling dans le système de changes flexibles qu'il propose, Friedman prend position sur la place d'institutions monétaires internationales dans un tel système. Le FMI peut au plus être un « conseiller en matière de politique monétaire et fiscale », mais non un « pourvoyeur international de fonds à court terme» (p. 1. 146), ce qui est à l'opposé du « prêteur international en dernier ressort» à la Fischer (1999). Quant aux arrangements régionaux de changes fixes, leur compatibilité avec des changes flexibles vis-à-vis du reste du monde « requiert l'harmonisation des politiques fiscales et monétaires intérieures, et une volonté et une capacité de répondre aux modifications substantielles des conditions extérieures par le biais d'ajustements dans la structure intérieure des prix et des salaires» (p. 35), ce qui est contradictoire avec une politique de plein emploi (voir infra). Comme on le sait, cette question a été depuis au centre des débats sur le Système monétaire européen puis sur l'unification monétaire en Europe. L'actualité de la question du choix entre «étalon-marchandise» et «étalon fiduciaire », qui fait l'objet du chapitre 2, est moins évidente. Cette question peut sembler aujourd'hui dépassée, car enfermée dans la perspective d'un système monétaire international - celui de Bretton Woods - qui demeurait ancré à l'or, tout en conférant dans la pratique un rôle central à la seule monnaie convertible en or, le dollar américain. Les critiques adressées à ce système dans les années 1950 pouvaient conduire à plaider aussi bien le retour à l'étalon-or intégral (ce fut par exemple le cas en France de Jacques Rueff) ·que l'adoption d'un étalon-marchandise élargi aux produits exportés par les pays en développement (thèse soutenue par John Kenneth Galbraith, Nicholas Kaldor ou Jan Tinbergen). Le chapitre 2 du présent ouvrage contient des arguments invalidant par avance dans un même mouvement ces deux positions qui, bien qu'antagoniques, défendaient toutes deux la nécessité d'un étalon-marchandise international; il affirme en contrepoint la supériorité d'un système d'étalons fiduciaires nationaux reliés par des changes flexibles.
Introduction
XIII
La démonétisation de l'or corrélative de l'abandon dans les années 1970 du système de Bretton Woods (1) n'a fait cependant disparaître cette question qu'en apparence, comme en témoignent les débats relatifs aux régimes de change souhaitables ou à de nouvelles conceptions de la monnaie. Les premiers renvoient à une autre vision de la fixité des changes que celle mise en œuvre par la décision délibérée d'un État ou des accords inter-étatiques: lorsque l'on dit de l'étalon-or avant 1914 qu'il était un système de changes fixes, on entend généralement que les pays qui définissaient légalement leur monnaie en or se soumettaient à une discipline monétaire internationale, du seul fait que, en l'absence de tout accord inter-étatique, la majorité des pays étrangers adoptaient eux aussi l'or comme étalon monétaire. Cette discipline non seulement contraignait la croissance de la masse monétaire nationale, l'avantage attendu étant une plus grande stabilité monétaire interne, mais aussi constituait un signal de rigueur financière (un « good housekeeping seal of approval » selon Bordo et Rockoff, 1996), l'avantage attendu étant ici un accès plus facile au capital étranger. C'est la même logique qui a inspiré la doctrine propagée par le FMI dans les années 1990: l'ancrage rigide au dollar des monnaies des «pays émergents» était supposé discipliner leurs politiques monétaires et encourager l'entrée des capitaux, et les modèles lointains des currency boards ou de la dollarisation sont à trouver dans le Bank charter Act anglais de 1844 ou l'attachement de la grande majorité des économistes du XIX e siècle à la circulation d'espèces d'or(2).
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Depuis les années 1980, les débats théoriques autour de la « Nouvelle économie monétaire» (<< New Monetary Economics ») ont également réactualisé la question de l'étalon-marchandise. L'application à la monnaie des principes du laissezjaire a conduit des auteurs (à la suite de Greenfield et Yeager, 1983) à suggérer une réforme radicale des systèmes nationaux de paiements, dans lesquels il n'y aurait plus de monnaie émise par la banque centrale mais des monnaies concurrentielles, dont la valeur (variable) serait mesurée dans un panier donné de marchandises et qui seraient remboursables en n'importe quel(s) actif(s) réel(s) ou financier(s) décidé(s) par les banques. La différence avec l'étalon-or « classique» serait l'absence de convertibilité à taux fixe, mais ce type de système monétaire reposerait néanmoins sur des « réserves de marchandises », physiques ou immatérielles (des titres). On peut observer que dans les années récentes Friedman a marqué son opposition constante aux formules d'ancrage rigide pour les changes et manifesté
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(1) Avec la fermeture du« guichet de l'or» par l'aqministration américaine le 15 août 1971, la suppression de la convertibilité du dollar à taux fixe pour les banques centrales a complété au niveau international une démonétisation de l'or commencée au niveau national dans les années 1930. L'or conservé par les banques centrales est un simple actif de réserve, sans conséquence pour les conditions légales d'émission et de circulation de la monnaie; sa justification est d'ailleurs de plus en plus discutée. (2) Une exception notable est Ricardo (cf Deleplace, 1999).
XIV
CHANGES FLEXIBLES OU ÉTALON INTERNATIONAL
de grandes réticences vis-à-vis de la « Nouvelle économie monétaire ». Cette attitude s'inscrit dans la ligne des chapitres 1 et 2 du présent ouvrage, où il s'oppose aux changes fixes et à l'étalon-or (même reformaté en «monnaie à réserve de marchandises»), et défend les changes flexibles et les étalons fiduciaires (contraints par des règles monétaires nationales).
1.3
Deux mondes différents, mais deux variantes d'un même principe
Les mondes dont parlent les deux parties de l'ouvrage ne sont pas les mêmes; mais dans les deux cas, l'analyse qu'en donne Friedman conjugue un diagnostic sur la situation observée et des remèdes pour en corriger les défauts. La première partie traite du monde du début des années 1950. La situation est celle créée au plan national par le rôle que joue l'État dans l'absence de flexibilité des prix et des revenus et dans la recherche du plein emploi, et au plan international par la fixation des taux de change selon une procédure inter-étatique mise en place dans les accords de Bretton Woods de 1944. Si Friedman ne remet pas en cause le premier aspect (avec des nuances, comme on le verra plus loin), il critique fortement le second et plaide en faveur de changes flexibles déterminés sur les marchés par les seuls agents privés. La seconde partie de l'ouvrage traite du monde du dernier quart du XIXe siècle. La situation est celle créée aux États-Unis par le ralliement à l'étalon-or en 1873, et l'étude déborde du strict cadre américain, car ce ralliement à un régime monétaire déjà adopté en Grande-Bretagne depuis plus d'un demi-siècle intervient simultanément dans ces autres puissances mondiales que sont l'Allemagne et la France ; en dehors de tout accord interétatique, cela conférait de facto à l'étalon-or le caractère d'un système monétaire international. Quand Friedman écrit à la fin du Xxe siècle, l'histoire a fait son œuvre, et tant l'or que l'argent ont été démonétisés; son questionnement peut seulement être contra-factuel: le bimétallisme aurait-il alors offert un meilleur fondement au système monétaire que l'étalon-or(l) ? Bien qu'il s'agisse de deux exercices différents sur deux mondes différents, leur rapprochement dans le présent ouvrage nous est apparu justifié, non seulement par l'actualité des questions posées, mais encore par l'unité qu'il révèle dans la pensée de Friedman. Il n'y a pas contradiction chez lui entre la défense des changes fixes pour la seconde moitié du XIXe siècle (fondés sur le bimétallisme plutôt que sur le seul étalon-or) et celle des changes flexibles pour la seconde moitié du Xxe siècle (fondés sur des étalons fiduciaires nationaux) (2). Les deux systèmes monétaires internationaux ont en commun la libre convertibilité des monnaies. Dans le monde de la seconde moitié du (1) Le chapitre 4 (non reproduit ici) de Friedman (1992) s'intitule: « Un exercice contrafactuel: l'estimation de l'effet d'une poursuite du bimétallisme après 1873 ». (2) On se reportera à la p. Il pour une illustration de ce point.
xv
Introduction
siècle, celle-ci était selon Friedman compatible avec les changes fixes pour deux raisons: la liberté des échanges était plus recherchée que l'intervention des États (la fixité des changes ne venait donc pas de l'action de ceux-ci) ; le commerce international multilatéral était préféré à la stabilité intérieure des prix, des revenus et de l'emploi (la discipline de l'étalonmarchandise était donc acceptée, et c'est elle qui engendrait les changes fixes). Dans le monde de la seconde moitié du xxe siècle, la libre convertibilité des monnaies n'est compatible selon Friedman qu'avec les changes flexibles, également pour deux raisons: parce qu'ils réduisent la tentation de contrôles directs par des États dont l'interventionnisme est à présent la règle ; et parce que leurs variations se substituent à celles des prix, des revenus et de l'emploi devenues socialement et politiquement intolérables. XIXe
Avec l'accord de Friedman, nous avons intitulé cet ouvrage Changes flexibles ou étalon international,' les leçons de l'histoire. Ces deux modes de fonctionnement du système monétaire international sont à l'évidence alternatifs : la libre détermination des changes sur les marchés par les seuls agents privés exclut tout ancrage légal fixe des monnaies nationales à un même étalon (1) ; et réciproquement un étalon international ne peut exister durablement sans que les décisions monétaires des États interfèrent avec les marchés des changes (2). Mais les leçons que Friedman tire de l'histoire le conduisent à défendre l'un ou l'autre pour des époques différentes, dès lors qu'ils garantissent dans ces contextes la même liberté des transactions privées sur les monnaies au niveau international. Il y a donc chez lui à la fois constance dans la défense d'un même principe fondamental et adaptation aux circonstances historiques.
1.4 Idéalisme et pragmatisme
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Une des caractéristiques de la première partie de l'ouvrage est la distinction entre deux cas de figure pour lesquels Friedman fournit des prescriptions normatives : un cas de figure idéal, conforme à ses vœux, et un cas de figure réaliste prenant en compte certains aspects de la situation concrète, qui ne sont pas, de son point de vue, nécessairement désirables, mais qu'il considère comme donnés dans le futur immédiat. Dans ses analyses, la position pragmatique est mise en avant, la position idéale restant en retrait, sous la forme d'interrogations relatives à une situation envisageable dans le futur. On observera que les prescriptions normatives de caractère pragmatique ne sont pas
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XVI
CHANGES FLEXIBLES OU ÉTALON INTERNATIONAL
justifiées par le fait qu'elles facilitent la transition vers un cas de figure idéal. La survenance de ce dernier est envisagée comme la conséquence de changements exogènes susceptibles d'intervenir dans le futur, non comme le résultat de la mise en œuvre du cas de figure pragmatique pendant un temps suffisant. On peut donc considérer que la méthode de Friedman dans cette première partie est pragmatique. Cette démarche n'est pas démentie par la seconde partie à caractère historique: les situations contra-factuelles envisagées (que se serait-il passé si... ?) ne correspondent pas à des hypothèses illustrant un cas de figure jugé préférable dans l'absolu, mais sont celles qu'une décision pragmatique prise à tel ou tel moment dans le passé aurait engendrées. On en a pour preuve la prudence avec laquelle Friedman envisage les conséquences indirectes qu'aurait eues ce genre de décision(1). Ce pragmatisme ne signifie pas pour autant une démarche cherchant à concilier des aspects opposés ou qui relèvent seulement d'une logique différente. On a vu que Friedman critique les «normes hybrides» du système de Bretton Woods ; ce type de rejet est une constante de l'ouvrage, et il s'applique au « système mixte» constitué par des' changes fixes à l'intérieur d'une zone et des changes flexibles avec le reste du monde (p. 34), au mélange des genres entre monnaie fiduciaire étatique et crédit bancaire privé(2), ou entre étalon marchandise et étalon fiduciaire (3), à la confusion entre les deux objectifs d'une monnaie à réserve de marchandises (4), au « compromis incommode» adopté en 1879 entre l'étalon-or et le soutien public du prix de l'argent (p. 101).
(1) « L'étalon de change-or fut adopté après la Première Guerre mondiale en raison d'une crainte de pénurie d'or, et le bimétallisme aurait apaisé cette crainte. Mais ce genre de réflexion ne peut guère être utile, car il s'éloigne trop de l'histoire, notre point de départ» (p. 120). (2) « Le fait qu'une partie du médium de circulation soit créé sur la base des activités de prêt et d'investissement des "banques" a engendré une situation où l'État, en tentant de contrôler le médium de circulation, est intervenu dans ces activités. L'État a ainsi étendu son contrôle à des activités qui auraient pu être laissées à la concurrence si elles n'avaient pas été mêlées à la création de monnaie» (p. 56). (3) « Les étalons marchandise partiels [avec une composante fiduciaire] conduisent à deux maux majeurs: l'intervention de l'État dans les activités de prêt et d'investissement, qu'il vaut mieux laisser au marché, et une instabilité inhérente au système monétaire» (p. 58). (4) « Les défenseurs de la monnaie à réserve de marchandises sont quelque peu hypocrites lorsqu'ils affirment que la disponibilité des stocks de marchandises pour répondre à des besoins spéciaux [la stabilisation de leurs prix] est un avantage du plan. Ou bien le plan est une partie essentielle d'un système monétaire conçu pour être stable et pour fonctionner dans le cadre de règles définies, auquel cas les stocks de marchandises doivent être déterminés par des considérations monétaires seules, ou il constitue une excuse pour des interventions gouvernementales ad hoc. On ne peut servir deux maîtres en même temps» (p. 64). On observera que dans la même note Friedman mentionne Hayek comme défenseur d'un tel « avantage ».
Introduction
XVII
2. LES THÈMES DE L'OUVRAGE 2.1
Les ajustements de balance des paiements
La question posée dans le chapitre 1 est la suivante : comment la balance des paiements d'un pays peut-elle s'adapter à une perturbation (d'origine réelle ou monétaire) qui l'affecte, de façon à restaurer une égalité entre l'offre et la demande de la monnaie de ce pays (p. 5-7) ? Friedman envisage quatre types d'adaptation. Le premier repose sur les taux de change, avec deux variantes : l'ajustement de taux de changes flexibles par le marché, ou des modifications officielles de taux de change fixes. Le deuxième type d'adaptation repose sur les prix et les revenus intérieurs, le troisième sur les contrôles directs des mouvements de marchandises et de capitaux ; et le quatrième sur les réserves de change (permettant d'éviter les modifications de taux de change fixes). La préférence de Friedman va à l'ajustement de taux de changes flexibles par le marché. Les arguments avancés pour écarter les méthodes reposant sur des interventions étatiques (qu'elles concernent les taux et réserves de change ou les flux internationaux) combinent le plus souvent le souci de respecter une norme supérieure (le développement d'un commerce international multilatéral et sans entraves) et le constat de l'inefficacité de certains dispositifs. Mais ils peuvent aussi s'appuyer sur une raison mise en avant pour écarter la flexibilité généralisée: l'inadaptation à une situation présente marquée par un consensus social et politique favorable à l'absence de flexibilité des prix et des revenus, au plein emploi et à l'intervention de l'État (p. 10-12). Certes, changes fixes et libre convertibilité des monnaies pouvaient se combiner au XIXe siècle, mais cette situation n'est plus socialement tolérable depuis la fin des années 1920, ce qui exclut par exemple la stérilisation des variations des réserves de change (p. 15-16) et un retour à la « rude discipline de l'étalon-or» (p. 23). La nouvelle situation (qu'on pourrait qualifier aujourd'hui, même si le terme n'est pas alors utilisé par Friedman, de «consensus keynésien») n'est pas aux yeux de ~
Friedman désirable pour elle-même: ainsi, en répondant à un désir de sécu-
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rité, elle peut être en fait «une source majeure d'insécurité », car elle «suscite des mesures qui réduisent l'adaptabilité de notre système économique» (p. 29). Si Friedman l'accepte, c'est en réservant l'avenir: « en attendant, mieux vaudrait reconnaître la nécessité que les taux de change s'ajustent aux politiques intérieures et non l'inverse» (p. 23, souligné par nous, BX-D).
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La position de Friedman vis-à-vis de la flexibilité est résumée très clairement vers la fin du chapitre 1 : celle des changes se justifie selon lui dans les circonstances d'alors, contre l'attachement dominant aux adaptations de changes fixes, qui est le résultat regrettable de la conjonction entre les libéraux nostalgiques de l'étalon-or et les adversaires (keynésiens, bien que le
XVIII
CHANGES FLEXIBLES OU ÉTALON INTERNATIONAL
mot ne soit pas écrit) de tout ajustement de prix (p. 42-43). Mais le rejet de la flexibilité des prix, des revenus et de l'emploi n'est selon Friedman que la conséquence compréhensible de « la dure expérience du passé récent et, pour le moment au moins, [elle] correspond aux conditions économiques prévalentes» (p. 39). On sent bien qu'il n'est que provisoirement résigné à cette situation, et que sa faveur va pour l'avenir à l'ajustement des prix, des revenus et de l'emploi intérieurs.
2.2
Étalon-marchandise international ou étalons fiduciaires nationaux?
La question posée dans le chapitre 2 est la suivante : plutôt que les « normes hybrides» fournies par la juxtaposition de changes fixes sans étalon international et de politiques monétaires nationales discrétionnaires, faut-il fonder la fixité des changes sur un étalon-marchandise international (étalon-or ou «étalon à réserve de marchandises») ou au contraire adopter des changes flexibles entre des étalons fiduciaires nationaux indépendants ? Cette question peut être reformulée comme suit: si en matière monétaire l'on rejette le cocktail d'imperfection dans la contrainte internationale et de facilité dans les politiques nationales, faut-il opter pour une discipline internationale stricte ou l'autodiscipline nationale ? La préférence de Friedman sur ces deux questions va à la seconde option: l'étalon fiduciaire national permet de combiner l'efficacité technique et la liberté des échanges, à condition qu'iL soit mis en œuvre à travers un mécanisme stabilisant automatiquement l'émission monétaire. Cette argumentation est menée en trois temps. En premier lieu, Friedman examine les propriétés de l'étalon-marchandise en général, dont l'étalon-or est l'exemple historiquement le plus connu. Elles dépendent de son caractère strict ou partiel, et selon le cas de la marchandise choisie comme étalonmarchandise strict ou du mécanisme d'émission fiduciaire conçu pour le compléter. S'il est strict, l'étalon-marchandise permet selon Friedman une émission monétaire automatique et indépendante de toute intervention de l'État. En contrepartie, cette émission est coûteuse, et son insuffisante flexibilité peut engendrer des variations inopportunes des prix et des revenus (1). Aucune marchandise particulière ne permet de surmonter ces inconvénients, et, à la suite d'Alfred Marshall qui considérait en 1887 le « symétallisme » comme supérieur au monométallisme (or ou argent) et au bimétallisme, on (1) «Tous les étalons marchandise stricts partagent des vertus et des vices communs. Leur
vertu la plus importante est sans doute l'automaticité et l'impersonnalité: nul d'entre eux ne requiert de prévision et de décision politique, administrative ou législative. [00'] Les vices des étalons marchandise stricts sont la contrepartie de leur vertu. Étant automatiques, ils ne peuvent produire une flexibilité ou une adaptabilité suffisante pour prévenir des fluctuations substantielles des prix ou des revenus » (p. 50).
Introduction
XIX
pourrait imaginer de constituer un étalon-marchandise composite à l'image du produit intérieur brut. Le coût de l'émission monétaire serait considérable (Friedman le chiffre à «environ 1,5 % des ressources des États-Unis », p.54), et la stabilité des prix ne serait améliorée qu'à court terme, car un étalon à composition fixe - condition pour qu'il soit étalon - refléterait progressivement de moins en moins une structure de la production totale en évolution. Les inconvénients de l'étalon-marchandise strict ont conduit historiquement à la mise en œuvre d'étalons partiels: «les étalons or ou argent ont inclus, ainsi, une proportion importante d'éléments fiduciaires» (ibid). La fiduciarisation intervient dès lors que l'émission monétaire n'est pas gagée à 100 % sur le stock de l'étalon-marchandise. «L'introduction d'éléments fiduciaires dans les réserves monétaires soulève immédiatement une question: qui doit créer la monnaie fiduciaire et contrôler son émission?» (p. 54-55). Friedman« partage l'idée [ ... ] selon laquelle la création d'une monnaie fiduciaire devrait être un monopole d'État» (p. 56), mais il observe que sa juxtaposition avec un étalon-marchandise « conduit à deux maux majeurs: l'intervention de l'État dans les activités de prêt et d'investissement, qu'il vaut mieux laisser au marché, et une instabilité inhérente au système monétaire» (p. 58) (1). Ces maux peuvent être évités « par le recours à l'un ou l'autre de deux étalons monétaires extrêmes» (ibid) ; ayant écarté l'étalon-marchandise strict, Friedman se prononce pour «un médium de circulation consistant entièrement en un seul type, ou en des types strictement équivalents, de monnaie fiduciaire» (ibid), avec monopole d'émission par l'État. Dans un deuxième temps, Friedman discute les avantages et les inconvénients de «l'étalon à réserve de marchandises », qui «constitue une tentative d'aller aussi loin que possible dans la direction du symétallisme» (p. 59). Cette formule serait intermédiaire entre l'étalon-or, où l'étalon-marchandise se réduit à un seul bien, et « un étalon-marchandise presque idéal» (p. 53) composé à l'image du PIB, dont on a vu qu'il est impossible techniquement à mettre en œuvre(2). La « monnaie à réserve de marchandises» pourrait, soit remplacer la C
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(1) Le premier inconvénient est la conséquence du rôle historique confié par l'État aux banques (dont l'activité est d'abord de prêter et d'investir) dans l'émission de monnaie fiduciaire, et le second s'explique par le fait que toute «formule hybride» est source d'instabilité: « L'existence de plusieurs types de monnaie dans le cadre d'un système de réserve fractionnaire, et le maintien de la convertibilité dans la monnaie marchandise, ne peuvent qu'impliquer une "instabilité intrinsèque" dans le volume total de la monnaie: une modification de laforme sous laquelle le public désire garder sa monnaie tend à modifier le volume total de monnaie. La raison en est qu'une unité de la monnaie marchandise en "réserve" sert de "garantie" à plusieurs unités du médium de circulation » (p. 57 ; souligné par Friedman). (2) Dans ce système d'étalon à réserve de marchandises, « les autorités monétaires offriraient d'acheter et de vendre des quantités illimitées d'un assortiment défini de marchandises (ou peut-être des certificats de dépôt représentant des quantités définies de marchandises) à des prix fixes en termes d'unités monétaires nominales » (p. 59).
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totalité de la monnaie en circulation (y compris les dépôts à vue), avec couverture à 100 % par des unités du panier de biens choisi, soit seulement se substituer dans le système actuel à la monnaie de base émise par la banque centrale. Selon Friedman, la première formule serait seule à même d'éliminer les deux maux mentionnés supra, mais elle «impliquerait une reconstruction du système monétaire» (p. 61) dont l'opportunité n'est pas garantie au vu des nombreuses difficultés suscitées par la formule. Celles-ci concernent la composition du panier monétaire (la nécessité de le stocker le conduirait à ne représenter que 6 à 8 % de la production de l'ensemble des biens), la tendance à engendrer une instabilité des prix (la stabilisation du prix du panier pouvant s'accompagner d'une variabilité des prix des biens qui n'en font pas partie, soit plus de 90 % de la production totale), la limitation de son rôle contra-cyclique (l'offre des biens composant le panier étant insuffisamment élastique), le coût croissant en termes de ressources du gonflement inévitable de la réserve si la quantité de monnaie doit accompagner une croissance durable, les «conflits considérables» (p. 74) auxquels conduirait toute tentative d'accord pour mettre en œuvre un même panier étalon au plan international. Le troisième temps de l'argumentation consiste enfin à comparer l'étalon à réserve de marchandises avec l'étalon-or et avec «la pure monnaie fiduciaire ». Entre les deux types d'étalon-marchandise, la supériorité technique de l'un sur l'autre n'est pas clairement décidable, mais l'étalon-or a l'avantage (lorsque Friedman écrit en 1953) d'exister déjà, et ainsi « semble être plus à même [que l'étalon à réserve de marchandises] de constituer une monnaie internationale possible» (p. 77). Mais la préférence de Friedman va à des étalons fiduciaires, pourvu qu'ils fonctionnent dans « un cadre monétaire et fiscal» national conçu pour engendrer une plus grande stabilité des prix et un effet contra-cyclique plus marqué que tout étalon-marchandise (1). Au niveau international, ces étalons fiduciaires indépendants seraient reliés par des changes flexibles, et cette flexibilité serait elle aussi préférable à la rigidité de l'étalon à réserve de marchandises, car «ce qui est souhaitable n'est pas des taux de change rigides et fixes, mais des taux de change stables» (p. 79). La conclusion de Friedman est sans ambages : « En ce qu'elle a pour but de conserver les avantages contra-cycliques d'un étalon fiduciaire tout en conservant la base physique d'un étalon-or, la monnaie à réserve de marchandises me semble rester au milieu du gué, et, comme tant de compromis, me semble pire que les extrêmes entre lesquels elle se tient. Elle ne peut disposer ni du pouvoir d'attraction émotionnelle de l'étalon-or d'une part, ni de l'efficacité technique de la monnaie fiduciaire d'autre part» (p. 84). (1) «Ce cadre prévoit une monnaie fiduciaire pure émise par l'État, couplée à des réserves bancaires de 1()() % et à l'élimination de tout contrôle discrétionnaire de la quantité de monnaie
par une banque centrale ou d'autres autorités monétaires. Les modifications de la quantité de monnaie seraient produites entièrement par le biais du budget de l'État» (p. 77).
Introduction
2.3
XXI
Retour sur le XIXe siècle: étalon-or ou bimétallisme
La seconde partie de l'ouvrage comporte trois chapitres, réunis en 1992 avec d'autres articles dans Money Mischief. Episodes in Monetary History. Les chapitres 3 et 4 traitent de deux épisodes de l'histoire monétaire américaine : le premier, intervenu en 1873, concerne la démonétisation de l'argent et l'adoption de l'étalon-or, qu'une partie des pamphlets de l'époque ont baptisées « Le crime de 1873»; le second est la campagne infructueuse menée par William Jennings Bryan en 1896 en faveur du rétablissement de la frappe de l'argent, c'est-à-dire du retour au bimétallisme. Le chapitre 5, inattendu sous la plume d'un critique des régimes « hybrides », est un plaidoyer pour le bimétallisme, qui selon Friedman aurait pu engendrer dans les conditions du XIXe siècle une plus grande stabilité des prix et des taux de change que le monométallisme-or généralisé dans les années 1870. Plusieurs lignes de force se dégagent de ces trois chapitres. La première est que l'évolution historique des régimes monétaires ne relève pas d'une fatalité dictée par le progrès mais dépend en grande partie des circonstances. Ainsi Friedman note-t-il le « parallélisme» (p. 92) entre les situations de la Grande-Bretagne et des États-Unis, qui connurent successivement (mais avec un décalage dans le temps) le bimétallisme, l'inconvertibilité imposée par les guerres (révolutionnaires puis napoléoniennes pour l'une, de Sécession pour les autres), la démonétisation de l'argent et l'adoption de l'étalon-or « un peu [par] accident» (ibid, et p. 143).
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Une autre idée-force - qu'il convient de souligner en raison de l'hostilité bien connue de Friedman à l'inflation ---:- est que l'adoption de l'étalon-or par les États-Unis fut « une faute qui a eu de très fâcheuses conséquences» (p. 106), à savoir la déflation durable qu'elle provoqua dans ce pays et qu'elle entretint dans le reste du monde placé sous le même étalon - c'est-à-dire, à partir des années 1870, la plupart des pays industrialisés, de fait sinon en droit(l). On retrouve là une position affirmée dès les chapitres théoriques évoqués supra : ce qui importe pour Friedman est moins l'absence d'inflation que la stabilité du niveau général des prix. Et son plaidoyer rétrospectif en faveur du retour au bimétallisme en 1873 s'explique par cette préoccupation : « un étalon
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(1) «En se joignant au courant favorable à l'or, les États-Unis ajoutèrent à la hausse du rapport or-argent une nouvelle impulsion, à la fois en absorbant de l'or qui aurait pu servir à des usages monétaires dans le reste du monde, et en n'absorbant plus d'argent. [ ... ] L'or étant plus rare relativement à la production mondiale, son prix en termes de biens a augmenté et le niveau des prix nominaux (dans un régime d'étalon-or, le niveau des prix en termes d'or) s'est abaissé. [ ... ] Il en est résulté une déflation entre 1875 et 1896, au rythme d'environ 1,7 % par an aux États-Unis et de 0,8 % par an en Grande-Bretagne (donc dans le monde vivant sous l'étalon-or). Aux États-Unis, cette déflation a succédé à celle, plus importante encore, qui était survenue après la guerre civile. Cette dernière déflation était absolument nécessaire au bon déroulement de la conversion en or des greenbacks à la parité d'avantguerre entre le dollar américain et la livre anglaise » (p. 98-99).
XXII
CHANGES FLEXIBLES OU ÉTALON INTERNATIONAL
bimétallique - en fait [dans les circonstances de 1873] un étalon-argent aurait stabilisé le niveau des prix beaucoup mieux que ne l'a fait l'étalon-or qui fut adopté» (p. 104). Si les circonstances - dont on a vu l'importance dans l'évolution des régimes monétaires - étaient favorables au retour des États-Unis au bimétallisme en 1873, ce n'était plus le cas en 1896, lorsque le candidat démocrate à la présidence William Jennings Bryan fit « la prom"esse de "libérer l'argent" à "16 pour 1"» (p. 107). Cette campagne pour revenir au bimétallisme, avec un rapport monétaire or/argent favorable à l'argent (le rapport des prix de marché des deux métaux était alors supérieur à 30), appelle cette remarque de Friedman : « Bryan a tenté de fermer la porte de l'écurie .. mais on avait déjà volé le cheval» (p. 106). Non seulement il était trop tard, mais encore « une mesure qui aurait été très bénéfique à la fois aux États-Unis et au reste du monde en 1873 aurait été très néfaste pour les deux après 1896» (p. 116). Pourquoi ? Parce que « le danger en 1896 était l'inflation, et non la déflation. [... ] Quel qu'ait été le rapport [or/argent], son effet aurait été de relever le taux de croissance de la quantité de monnaie aussi bien aux États-Unis, qui auraient accumulé de l'argent, que dans le reste du monde, qui aurait reçu l'or sorti des États-Unis. L'inflation aurait été plus forte qu'elle n'a été en fait» (p. 117). Cette argumentation met en lumière la place qu'occupe l'évolution de la quantité de monnaie dans l'analyse historique de Friedman. Ce n'est pas une surprise chez l'auteur avec Anna Schwartz en 1963 de A Monetary History of the United States, 1867-1960, mais, comme nous le soulignerons plus loin, cette vision « quantitativiste » était absente des deux premiers chapitres de la présente édition, publiés initialement en 1953. Entre-temps, la publication en 1956 des Studies in the Quantity Theory of Money avait signalé l'importance pour Friedman de cette théorie quantitative de la monnaie, qui imprègne ici autant ses observations sur la déflation (cf p. 99, 113) que sur l'inflation (cf p. 114, 129). Dans cette optique, la supériorité du bimétallisme sur le monométallisme (qu'il soit d'or ou d'argent) pour la stabilisation du niveau général des prix tient à sa capacité à amortir les effets sur l'offre de monnaie des chocs d'offre affectant les deux métaux précieux. Contrairement à une opinion répandue au XIXe siècle et aujourd'hui, Friedman soutient que le bimétallisme pouvait fonctionner, dans les conditions antérieures à 1914, sans dégénérer en un « monométallisme alternatif », c'est-à-dire un régime où, de fait, c'est l'un ou l'autre étalon qui domine selon les périodes, les pièces de l'autre métal disparaissant de la circulation. Si ce faux bimétallisme s'observe aux États-Unis avant 1873, la viabilité du biméülllisme véritable est attestée par « le fait que la France ait pu conserver pendant soixante-dix ans un étalon bimétallique qui a bien fonctionné malgré d'amples variations des productions relatives d'argent et d'or» (p. 130). Friedman insiste longuement (cf p. 97, 102, 111, 119, 126-129) sur cet exemple français, dont la disparition n'est pas selon lui
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XXIII
à attribuer à des défauts internes au bimétallisme, mais, comme souvent dans l'histoire monétaire, à un événement exogène: la défaite militaire contre la
Prusse en 1871. L'explication de cette viabilité, malgré les variations inévitables dans la production de l'or et de l'argent, réside dans la possibilité de maintenir le rapport de leurs prix dans une certaine marge, grâce à un arbitrage entre les deux métaux comparable à celui existant entre le change et un métal dans le mécanisme dit « des points d'or» (1). Ainsi, « l'expérience française montre qu'il existe, autour du rapport officiel de prix entre les deux métaux, une marge de tolérance assez large pour absorber sans difficultés des variations mineures du rapport des prix de marché» (p. 139). Et Friedman de conclure: « les États-Unis auraient pu, après 1873, jouer pour la stabilisation du rapport de prix or/argent le rôle que la France avait joué avant 1873. Il en serait résulté une plus grande stabilité du niveau général des prix aux ÉtatsUnis et dans les pays en régime d'étalon-or» (p. 130). L'évocation des effets du bimétallisme dans un pays sur les pays en monométallisme conduit au dernier point important : la contribution du bimétallisme à la stabilisation du système monétaire international. Sur ce point, Friedman rejoint la position défendue à la fin du XIXe siècle par l'économiste américain Francis Walker (cf. Walker, 1896) : l'adoption par plusieurs pays d'un étalon bimétallique avec le même rapport légal de prix entre l'or et l'argent aurait démultiplié les effets stabilisateurs de ce régime monétaire. Les exemples historiques, en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle et aux États-Unis aux XVIIIe et XIXe siècles, de dégénérescence du bimétallisme en « monométallisme alternatif» ne s'expliquent pas selon Friedman par une instabilité intrinsèque à ce régime, mais par un rapport or/argent inapproprié, car trop différent de celui adopté par la puissance bimétallique de référence (la France) (2).
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(1)« Exactement de la même façon [que dans le mécanisme des points d'or], dans un régime
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d'étalon bimétallique, la conversion en métal des pièces sous-évaluées et la vente de ce métal sur le marché entraînent des coûts. Ces coûts déterminent les points haut et bas du rapport de prix or-argent entre lesquels le rapport des prix de marché peut fluctuer sans que l'un des deux métaux soit totalement remplacé par l'autre. L'étendue de la marge de fluctuation dépend de l'importance du seigneuriage, du coût de la fonte des pièces et de l'assurance, de la rapidité de l'opération et de la perte d'intérêts qui y est associée, etc. »
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(p. 128).
(2)« L'adoption d'un rapport officiel [entre les prix de l'or et de l'argent] semblable par un ou plusieurs grands centres financiers contribue de façon significative à stabiliser le rapport des prix de marché. Les difficultés que la Grande-Bretagne d'abord, et les États-Unis au même moment puis plus tard, éprouvèrent pour conserver un étalon dualiste, proviennent du fait que ces deux pays avaient établi leur rapport officiel à un niveau différent de celui de la France, à une époque où ce dernier faisait sentir son poids sur le rapport des prix de marché » (p. 139).
XXIV
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3. QUELQUES INTERROGATIONS THÉORIQUES Bien qu'ils soient de nature différente, on a vu que ces écrits rédigés à quarante ans de distance véhiculent des interrogations communes. Il est donc tentant de se demander s'ils témoignent d'une évolution dans le cadre d'analyse utilisé par l'auteur, en particulier pour la placé qu'y occupent deux notions généralement associées à Friedman : le monétarisme et la flexibilité. Par ailleurs, un intérêt de cet ouvrage est d'aborder de front une question sous-jacente aux débats actuels sur la norme de stabilité des prix au plan interne ou l'ancrage nominal des monnaies au plan international : celle de l'étalon monétaire. Cette question, aussi ancienne que la théorie monétaire elle-même, ne concerne en effet pas seulement les régimes à monnaie métallique(l). On verra que son traitement par Friedman n'est pas exempt d'ambiguïtés, qu'il s'agisse de l'étalon-marchandise ou de l'étalon fiduciaire.
3.1
Monétarisme et flexibilité
Des positions bien connues chez Friedman parcourent l'ouvrage: la responsabilité ultime des autorités monétaires dans la hausse générale des prix (2), la nécessité de se garantir contre une émission excessive de monnaie grâce à l'adoption de règles (3), l'attachement à la stabilité du niveau général des prix (4). Mais s'agit-il de monétarisme? Tout dépend de la définition qu'on en donne. Ce terme ne recouvre pas simplement la reconnaissance que l'émission de monnaie doit obéir à des règles : cette proposition est commune à tous les économistes depuis au moins Henry Thornton et David Ricardo au début du XIXe siècle (5) ; comme on le verra plus loin, l'identification de règles d'émission va de pair avec la définition (1) Pour plus de précisions sur la question de l'étalon monétaire, cf Deleplace (1996).
(2) «Une hausse générale des salaires - ou une hausse générale des prix intérieurs - ne devient possible que si les autorités monétaires créent la monnaie supplémentaire requise pour financer la hausse du niveau des prix» (p. 24). (3) «L'émission excessive de monnaie détruirait tôt ou tard l'étalon à réserve de marchandises, comme elle détruirait l'étalon fiduciaire proposé [par MF]. Dans l'un et l'autre cas, la parade ne pourrait être que la volonté de se soumettre à des règles préalablement acceptées, ce qui impliquerait donc une acceptation pleine et entière des règles et le développement d'une tradition favorisant l'adhésion à celles-ci» (p. 79). (4) «La préservation d'un rapport de prix de marché [de l'or en argent au XIXe siècle] ou d'un autre n'a en soi pas une grande importance (sauf peut-être pour les producteurs d'argent ou d'or). Ce qui importe, sur un plan général, est l'évolution du niveau des prix. Quel est le système monétaire, le bimétallisme, le monométallisme-or ou le monométallisme-argent, qui assure dans le temps la plus grande stabilité des prix, c'est-à-dire de la valeur réelle de l'unité monétaire?» (p. 131). (5) Sur la théorie monétaire de Thomton, cf Boyer-Xambeu (1994) ; sur celle de Ricardo, cf Deleplace (1999).
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xxv
d'un régime monétaire. Le monétarisme est stricto sensu une conception automatique de la politique monétaire anti-inflationniste, qui s'appuie sur les deux conclusions de la « théorie quantitative de la monnaie» : au plan interne il existe une relation causale entre la quantité de monnaie en circulation et le niveau général des prix, et au plan international les balances de paiements s'ajustent via un mécanisme de vases communicants entre les masses monétaires nationales. Plusieurs indices suggèrent que le monétarisme ainsi défini est absent de la première partie de l'ouvrage et n'apparaît que dans la seconde. Au plan interne, tout d'abord, Friedman reconnaît en 1953 aux «étalons marchandise stricts» une supériorité (et une seule) sur les «étalons fiduciaires»: leur «automaticité» et leur «impersonnalité» (1). Quelques années plus tard, c'est la monnaie fiduciaire que Friedman cherchera à doter de ces qualités, grâce à une règle d'émission constante, indépendante de toute décision politique et découlant de la croissance réelle anticipée. De même, la plus grande stabilité des prix permise par l'étalon fiduciaire n'est pas alors attribuée à la possibilité de réguler la valeur de la monnaie par sa quantité, mais à celle de stabiliser une moyenne de prix individuels en faisant varier l'émission monétaire à travers une «politique budgétaire stabilisatrice» (p. 75)(2). Cette position contraste avec l'explication de la déflation après 1873 donnée dans l'ouvrage de 1992, qui privilégie la croissance moins rapide de la quantité de monnaie que de la production globale (3). Dans le même chapitre 4 mais au plan international cette fois, l'expérience contra-factuelle de réintroduction de l'étalon-argent aux États-Unis en 1896 fait reposer l'évolution des taux de change sur les différentiels d'inflation engendrés par les variations dans les masses monétaires
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(1) «Leur vertu la plus importante est sans doute l'automaticité et l'impersonnalité : nul d'entre eux ne requiert ni prévision, ni décision politique, administrative ou législative» (p. 50) ; cette «possibilité d'une automaticité et d'une liberté complètes par rapport au contrôle politique [ ... ] constitue le plus grand, et sans doute l'unique avantage d'un étalon marchandise strict par rapport à un étalon fiduciaire pur» (p. 73). (2)« Le panier des marchandises et des services achetés par l'État est très varié; par conséquent, son prix relatif ne devrait pas fluctuer grandement. Pour dire les choses autrement, la « base» de l'étalon fiduciaire est, en quelque sorte, une moyenne complexe et pondérée des revenus sujets à prélèvement fiscal ou à ajouts par le biais de paiements redistributifs, et des prix des marchandises et des services achetés par l'État. Cette base est en général plus large et plus représentative que celle d'un étalon à réserve de marchandises. On pourrait s'attendre dans ces conditions à ce que l'étalon fiduciaire soit la source de moins d'instabilité des prix que l'étalon à réserve de marchandises» (p. 80). (3)« La baisse des prix n'a pas empêché une croissance économique rapide aux États-Unis; c'est au contraire cette croissance qui fut, après la guerre civile, le principe actif de la déflation. Le désir de revenir à l'étalon métallique poussait à restreindre l'augmentation de la masse monétaire [ ... ]. La baisse des prix fut rapide parce que la production augmentait plus vite que la quantité de monnaie» (p. 113).
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nationales (1). Dans le chapitre 1 au contraire, les ajustements de balances des paiements n'étaient pas portés au crédit de cette hydraulique quantitativiste mais des mouvements de capitaux, que ce soit sous l'étalon-or ou en changes flexibles. Tout le poids de l'argumentation en faveur de ceux-ci y repose ainsi sur l'hypothèse d'une spéculation stabilisatrice sur les marchés des changes (2), dont l'effet favorable est assimilé à celui observé à l'époque de l'étalon-or (3). On peut critiquer cette assimilation: si, comme le souligne Friedman en un raisonnement non-quantitativiste (voir p. 11-12), le solde extérieur avait bien une influence sur le marché de la liquidité et par là sur les différentiels d'intérêt entre pays, ceux-ci engendraient des arbitrages, non de la spéculation (4). L'absence de raisonnement monétariste dans les écrits de 1953 est à rapprocher de ce que nous avons appelé supra une résignation provisoire au consensus keynésien. Une étude plus précise en histoire de la pensée économique serait nécessaire pour déterminer si « la reformulation de la théorie quantitative de la monnaie» (titre de Friedman, 1956) a été utilisée comme arme contre les adeptes d'une Théorie générale de Keynes qui critiquait cette théorie, ou si Friedman a promu des règles· monétaires «automatiques» et « impersonnelles» à partir du moment où il a entrevu la possibilité de faire accepter, contre le consensus keynésien, ce qu'elles impliquaient: la flexibilité des prix, des revenus et de l'emploi (5). Aujourd'hui cette flexibilité a acquis le rang de nouvelle norme politique et sociale, tandis que le monéta(1) «Quel qu'ait été le rapport [entre les prix de l'or et de l'argent], son effet aurait été de relever le taux de croissance de la quantité de monnaie aussi bien aux États-Unis, qui auraient accumulé de l'argent, que dans le reste du monde, qui aurait reçu l'or des États-Unis. L'inflation aurait été plus forte qu'elle n'a été en fait. Et la transition aux États-Unis aurait été rien moins que progressive. La communauté financière avait raison de penser qu'il en serait résulté immédiatement une forte dépréciation du taux de change entre le dollar et les monnaies des autres pays en régime d'étalon-or» (p. 117). (2) «Le taux de change est dans ces conditions un prix potentiellement très sensible. Les modifications qui l'affectent surviennent rapidement, automatiquement et continuellement, et tendent à produire des mouvements correcteurs avant que les tensions ne puissent s'accumuler et qu'une crise ne puisse se développer» (p. 8). Voir aussi p. 18-21. (3) «La spéculation dans un cadre de taux de change flexibles produit donc le même effet que le recours explicite à l'emprunt par un pays dont la monnaie se déprécie, ou que le recours explicite au prêt par un pays dont la monnaie s'apprécie. [ ... ] La perspective d'appréciation d'une monnaie équivaut à un taux d'intérêt plus élevé pour des prêts au pays et joue le même rôle de moyen d'attraction de capitaux vers le pays que la hausse des taux d'intérêt qui s'opérait sous l'étalon-or lorsqu'un pays perdait de l'or» (p. 27). (4) Malgré l'absence de change à terme, ces arbitrages étaient permis par la juxtaposition d'un «change court» (à quelques jours) et d'un «change long» (à trois mois) dont les lettres étaient escomptables. Les arbitrages étaient donc à la fois effet et cause de la stabilité des changes dès le milieu du XIX· siècle. Pour plus de précisions, cf Boyer-Xambeu, Deleplace et Gillard (2001). (5) Ces deux motivations peuvent aller ensemble puisqu'elles visent des cibles différentes, les économistes professionnels pour la première et l'opinion publique éclairée pour la seconde.
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risme semble sur le déclin ; deux questions au moins sont alors posées par ce type d'ajustement que Friedman appelait de ses vœux en 1953 tout en l'écartant provisoirement. En premier lieu, les variations des prix, des revenus et de l'emploi, en réponse à un changement dans les conditions extérieures à un pays, n'ont aucune raison de se faire d'une manière homothétique. Peut-on continuer comme Friedman à accorder« peu d'attention» (p. 5) (1) aux changements dans la structure des prix relatifs ? En second lieu, les changes flexibles sont-ils encore justifiés lorsque la flexibilité devient tolérée pour l'ensemble des variables intérieures ? Il semble que ce soit une des difficultés posées par le monde d'aujourd'hui, où se conjuguent le désordre monétaire international engendré depuis vingt-cinq ans par les changes flexibles et le désarroi social qui accompagne la flexibilité des prix, des revenus et de l'emploi.
3.2 Les ambiguïtés de l'étalon-marchandise
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Selon Friedman, un régime à étalon-marchandise se définit par le fait que « le moyen d'échange consiste soit en une marchandise (ou un groupe de marchandises) sous sa forme physique - « pièces» de monnaie marchandise - soit en des titres à des quantités physiques d'une marchandise (ou d'un groupe de marchandises)>> (p. 46). Cette identification entre le moyen d'échange et (directement ou indirectement) une marchandise physique suscite une ambiguïté qui apparaît bien dans la définition du bimétallisme au début du chapitre 5. Cette ambiguïté ne concerne pas à proprement parler le « régime bimétalliste» (p. 123), mais tout régime métalliste, dont le bimétallisme n'est qu'une variante. Friedman en donne deux définitions « strictement équivalente[s] » (p. 124) : -l'une par un principe de monnayage: la «frappe libre» du métal (ou des deux métaux, en cas de bimétallisme) (p. 123) ; -l'autre par un principe d'achat du métal (ou des métaux) par l'État, « à un prix fixe en une monnaie indiquée comme monnaie légale» (p. 124).
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L'équivalence entre ces deux définitions vient de ce que, dans les deux cas, il
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cela se traduit par l'existence d'un rapport métallique officiel (rapport entre les prix légaux d'un même poids d'or et d'argent). La seconde définition est 9 seulement plus générale: elle implique qu'il peut exister un moyen légal de " circulation autre que l'espèce métallique, avec lequel l'État peut acheter le ..c! métal à prix fixe, tandis que la première définition paraît signifier que le seul _ moyen légal de circulation est l'espèce métallique. Que l'on adopte l'une ou ~
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(1) Sauf quand cela renforce la critique de la monnaie à réserve de marchandises ; voir par exemple p. 67, 82, 63.
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l'autre définition, on est conduit curieusement à la conclusion que les ÉtatsUnis sont encore en 1991 en étalon métallique, puisqu'il existe un prix officiel de 42,22 $ l'once d'or auquel, non seulement sont évalués les avoirs officiels (p. 124), mais encore un agent privé peut vendre le métal à la Monnaie et même le faire frapper librement en pièces de 20 $ (comme il peut faire frapper une pièce de 1 $ d'argent au prix fixe de 1,2929 $ l'once de ce métal) (p. 93, n.l). Comment réconcilier cette conclusion surprenante avec l'affirmation par Friedman que depuis 1971 « tous les grands pays vivent dans un régime d'étalon-papier non convertible, étalon purement fiduciaire» (p. 125), régime monétaire qu'il appelait d'ailleurs de ses vœux dès 1953 ? Il n'y a pas là de contradiction. Friedman observe à propos du XIxe siècle que « bien que l'argent ou l'or puissent légalement être utilisés comme monnaie l'un et l'autre, dans la pratique il pouvait se faire que l'on n'utilisât que l'un de ces deux métaux» (p. 124). Le chapitre 3 montre que l'histoire monétaire des États-Unis de 1792 à 1862 est ainsi celle d'un bimétallisme de jure qui prend successivement la forme d'un monométallisme-argent de facto (de 1792 à 1834) et d'un monométallisme-or de facto (de 1834 à 1862). Sur la base des définitions de Friedman, on peut donc interpréter le régime monétaire actuel des États-Unis comme un régime de jure d'étalon-or (et même de bimétallisme) et de facto d'« étalon fiduciaire », puisque, bien que légale, on ne constate pas de circulation d'espèces d'or ou d'argent, éliminées par le papier (1). Mais s'il n'y a pas contradiction, on peut douter de la pertinence d'une définition de l'étalon métallique muette sur les conditions effectives de la circulation monétaire. Pour le dire autrement : si la définition adoptée de l'étalon métallique conduit, sans contradiction, à qualifier de métalliste le régime monétaire des États-Unis aujourd'hui, à quoi peut-elle servir pour étudier ce qu'il était au XIXe siècle? L'origine de cette ambiguïté vient selon nous de ce que, si l'existence d'un prix légal d'achat du métal par l'État est une condition nécessaire de l'existence d'un régime monétaire à étalon métallique, elle n'en est nullement une condition suffisante. En effet, elle renseigne sur la définition de l'unité de compte dans un tel régime (le poids de métal qui définit officiellement l'unité monétaire), mais non sur le (ou les) moyen(s) de circulation. Pour cela, il faut nécessairement compléter l'une ou l'autre définition de Friedman par le principe d'émission du (ou des) moyen(s) de circulation. Par exemple, la première définition peut être complétée par la stipulation que seules sont autorisées à circuler légalement les pièces issues du monnayage ; cette (1) Comme le note Friedman:« Aujourd'hui, apporter de l'or ou de l'argent à la Monnaie ne présente aucun intérêt, car l'un et l'autre métal ont été remplacés par une monnaie moins chère, le papier. Mais il existe encore, dans les textes, des prix officiels (1,2929 $ pour l'argent, 42,22 $ pour l'or). [000] Cependant personne n'envisagerait d'employer une pièce d'argent marquée 1 $ ou une pièce d'or marquée 20 $ comme monnaie pour ces valeurs faciales» (po 93 nol)o
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définition n'est alors applicable qu'à un régime métalliste strict, où ne circule légalement aucune «monnaie représentative» telle que le papier. Ou l'on peut compléter la seconde définition par la stipulation que sont autorisés à circuler légalement des billets convertibles en métal à des conditions définies. On observera que dans les deux cas, la définition du régime monétaire métalliste suppose deux principes légaux articulés l'un à l'autre, qui définissent respectivement l'unité de compte et le moyen de circulation (1). Il ne s'agit donc pas de qualifier la définition de jure d'un régime monétaire par des aspects concrets qui la rendraient applicable à une situation defacto (une telle démarche conduirait, on l'a vu, à la conclusion absurde que les États-Unis sont aujourd'hui de jure en étalon métallique et de facto en étalon fiduciaire). On est bien face à un problème conceptuel de définition du régime monétaire métalliste. Ce problème n'est pas nouveau. Il a été longuement débattu lors de la « controverse sur le bullion » en Grande-Bretagne au début du xrxe siècle. La suspension de la convertibilité des billets de la Banque d'Angleterre en 1797 conduisait à s'interroger sur la véritable nature du régime monétaire en vigueur. Encore la question centrale était-elle alors bien reconnue comme celle du principe d'émission d'un billet devenu inconvertible (2). Cette question de la convertibilité est complètement laissée de côté par Friedman dans ses trois chapitres historiques, sans doute parce que le problème qui l' intéresse dans la situation monétaire des États-Unis au XIXe siècle est celui de l'étalon monétaire et non celui de la convertibilité des billets, mais peut-être aussi pour une raison théorique plus profonde : l'absence de distinction entre l'étalon monétaire et la monnaie elle-même. Dans un régime monétaire métalliste, le métal n'est pas le moyen d'échange, même quand ce régime est strict, c'est-à-dire que le moyen d'échange se limite aux espèces métalliques. Le métal est certes l'étalon de la monnaie, en un double sens: l'unité de compte est définie légalement comme un poids de métal, et il existe un principe légal d'émission qui garantit la convertibilité réciproque entre le métal et le moyen de circulation. Ce principe légal d'émission a pour corollaire un principe d'exclusion du métal lui-même de la circulation. L'utilisation du métal non monnayé (le bullion) est interdite dans les paiements intérieurs : il '" ,Il QJ
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(1) L'absence du principe légal d'émission dans la définition par Friedman du régime à étalon-
marchandise est le corollaire de l'identification du moyen d'échange à la marchandise physique. Cette conception s'applique alors aussi bien « [aux] perles de verroteries utilisées par les Indiens d'Amérique, aux cigarettes et au cognac utilisés en Allemagne après la Seconde Guerre mo~diale » qu'aux pièces d'or ou d'ar~ent frappées par l'État, puisque « l'intervention de l'Etat n'est pas nécessaire, bien que l'Etat puisse certifier la qualité et la quantité de monnaie-marchandise, délivrer ou garantir les certificats de dépôts, ou désigner la marchandise (ou les marchandises) à utiliser au titre de monnaie » (p. 46). (2) Il ne s'agissait pas seulement d'une question académique, comme le montrent les discussions autour de la prétention de Lord King à se faire payer ses rentes foncières en or et non en billets devenus inconvertibles.
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n'a pas cours légal comme la monnaie (le métal monnayé ou le billet convertible) mais, comme marchandise, il a un prix légal à l'hôtel des monnaies et un prix de marché dans les transactions privées. La question centrale de la théorie monétaire est alors celle de la relation entre le cours légal du métal monnayé ou du billet convertible et le prix de marché du métal non monnayé, car tout écart entre le premier et le second indique une appréciation (s'il est positif) ou une dépréciation (s'il est négatif) de la monnaie. Cette question, familière aux auteurs « classiques» anglais du début du XIXe siècle, ne peut être posée dans l'approche de Friedman, où« le moyen d'échange consiste en [la] marchandise ». Du coup, la définition de l'étalon fiduciaire - opposé à l'étalon-marchandise - est également ambiguë.
3.3
Les ambiguïtés de l'étalon fiduciaire
Friedman utilise le terme «fiduciaire» en référence non seulement à la monnaie (1), mais aussi à l'étalon de la monnaie: le «cadre monétaire et fiscal» proposé « fournit un étalon monétaire national conçu pour favoriser la stabilité intérieure» (p. 78). Quel sens exact donner à cet « étalon fiduciaire [qui serait] la source de moins d'instabilité des prix que l'étalon à réserve de marchandises» (p. 80)? On vient de voir que dans un régime à étalonmarchandise, la monnaie a besoin pour exister d'un principe légal d'émission; ce n'est donc pas le caractère étatique de l'émission fiduciaire qui peut faire la différence entre les deux régimes, mais le principe d'émission lui-même. Avec quoi une monnaie fiduciaire peut-elle être réciproquement convertible? Justement avec rien puisqu'elle est réputée inconvertible. Dès lors, le sens que prend la notion d'étalon est singulièrement affaibli. L'« étalon fiduciaire» ne fournit pas une définition légale de l'unité de compte (celle-ci est purement nominale), et il n'est pas échangeable à taux fixe et sur demande avec la monnaie de papier (inconvertible) ; c'est un simple panier de marchandises dont le prix (calculé comme moyenne pondérée des prix des marchandises individuelles) sert à mesurer le pouvoir d'achat réel de la monnaie. La composition de ce panier peut varier selon le principe d'émission. Dans les textes de 1953, «l'étalon fiduciaire allant de pair avec une politique budgétaire stabilisatrice» (p. 75), «l'État produit, pour ainsi dire, les marchandises appartenant au panier monétaire fiduciaire» (p. 80 ; voir la citation p. 81, n.2). Deux interprétations sont alors possibles. Si ces biens publics peuvent être achetés et vendus par les agents privés à prix fixes (1) «J'utiliserai le terme "fiduciaire" pour désigner tout à la fois la monnaie émise par le gouvernement, mais non convertible (la monnaie à laquelle le terme renvoie selon le dictionnaire), et d'autres types de monnaie qui ont un trait essentiel en commun avec la monnaie susdite: le fait que ce sont des reconnaissances de dette plutôt que des reconnaissances de l'existence de quantités physiques bien précises de marchandise monétaire» (p. 54).
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et sur demande à l'État, l'étalon «fiduciaire» n'est alors rien d'autre que l'étalon-marchandise particulier d'une monnaie en fait convertible; s'il n'y a pas convertibilité réciproque de la monnaie et des biens publics, ceux-ci servent seulement à calculer un indice de prix. Dans les textes ultérieurs inspirés par le monétarisme, il ne reste plus que cette dernière interprétation, puisque la quantité globale de monnaie doit être réglée de façon à stabiliser l'indice du niveau général des prix calculé sur l'ensemble des biens de consommation. En conclusion sur ce point, il semble ne rester que l'alternative suivante : soit il y a stricto sensu étalon-marchandise, et la monnaie n'est pas fiduciaire (puisque convertible) ; soit la monnaie est fiduciaire, et elle n'a pas d'étalon, juste un indicateur de sa valeur réelle. Dans ce dernier cas, cette caractéristique est commune avec l'étalon-marchandise, dont le prix de marché est aussi un indicateur de la valeur réelle de la monnaie (ainsi la hausse du prix de marché de l'or à Londres indiquait-elle au XIXe siècle une dépréciation de la livre sterling) ; mais, faute de convertibilité, il n'existe pour le panier fiduciaire aucun prix légal auquel comparer son prix de marché. Il ne peut donc être étalon monétaire.
4. QUELQUES INTERROGATIONS HISTORIQUES L'histoire du bimétallisme a fait récemment l'objet d'un regain d'intérêt (cf. Flandreau, 1995, Redish, 2000, Wilson, 2001), et il serait trop long d'examiner ici les différentes thèses en présence, tant sur les expériences nationales aux XVIIIe et XIXe siècles que sur les raisons de son déclin international face à l'étalon-or après 1870. Comme Friedman dans le présent ouvrage, toutes ces études ont en commun de considérer le bimétallisme dans la perspective du système monétaire international qui est devenu, à tort ou à raison, la référence historique en la matière, c'est-à-dire l'étalon-or généralisé des années 1870 à 1914. Autrement dit, la question sous-jacente est ~ toujours la suivante: la stabilité monétaire interne (appréhendée par l'évoluc ~ tion du niveau général des prix) et externe (appréhendée par celle des taux de " change) a-t-elle pu (avant 1873) ou aurait-elle pu (après cette date) être ~ assurée aussi bien, sinon mieux, par le bimétallisme que par l'étalon-or ? Cette démarche a conduit à transposer au bimétallisme deux traits de g l'analyse traditionnelle de l'étalon-or: d'une part, l'accent mis sur les effets .~ supposés stabilisateurs des ajustements dans le volume de la circulation monétaire interne permis par les flux internationaux de métal précieux ; d'autre part, la compréhension du système monétaire international comme j résultant d'une généralisation d'un même régime monétaire national. Ces "8 c· deux traits ont des fondements théoriques bien établis dans l'approche tradit5 © tionnelle de l'étalon-or : la théorie quantitative de la monnaie et la théorie de
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la parité des pouvoirs d'achat dérivent l'analyse de l'équilibre international des conditions de formation de l'équilibre interne dans chaque pays, et elles s'appuient sur l'interdépendance entre trois éléments : les masses monétaires dans les différents pays, l'état de leurs balances commerciales et les mouvements de métal précieux entre eux. L'étude historique de la spécificité du système monétaire international antérieur à 1873 suggère cependant deux autres directions de recherche: d'une part, l'étude des limites imposées aux variations du change par l'existence de multiples formes d'arbitrage; d'autre part, la compréhension de ce système comme un véritable bimétallisme international.
4.1
Le rôle des arbitrages
L'arbitrage est présent dans l'analyse traditionnelle de l'étalon-or: au plan interne, il opère entre la circulation des pièces et billets convertibles et le marché du lingot; au plan international, le« mécanisme des points d'or» est mis en œuvre par l'arbitrage effectué dans les paiements internationaux entre le transfert d'une lettre de change (qui suscite seulement un coût d'intermédiation) et le transport du métal précieux (dans lequel s'ajoutent à ce coût ceux du transport et de l'assurance, ainsi que la perte d'intérêt pendant sa durée(l). Mais il n'a en définitive qu'un rôle secondaire: l'important réside moins dans les conditions de prix qui déclenchent l'arbitrage que dans ses effets sur les quantités de monnaie en circulation dans les différents pays. On a vu supra que, selon Friedman, un avantage du bimétallisme était de surajouter un arbitrage national entre les deux métaux à l'arbitrage national entre la monnaie et le métal et à l'arbitrage international entre celui-ci et la lettre de change. Mais, ici aussi, ce qui importe est l'effet de cet arbitrage sur le volume de la circulation monétaire, qui se trouve ainsi régularisé en cas de variation dans la production de l'un ou de l'autre métal. Une étude détaillée des conditions de la stabilisation du change entre les deux grandes places d'avant 1873, Londres et Paris, montre que le rôle des arbitrages est encore plus développé que ne le suggère Friedman. L'arbitrage international entre le marché du change « court» (à quelques jours) et les marchés de chacun des deux métaux, l'or et l'argent, stabilise mieux le change que s'il concerne le seul métal-or, à la fois en statique (en raison d'une réduction de la marge de variation du change entre les points d'entrée et de sortie quand ils sont d'un métal différent) et en dynamique (en raison de la résistance opposée au mouvement du taux de change par l'existence d'un « switching» d'un métal à l'autre) (cf. Boyer-Xambeu, Deleplace et Gillard, 1994, 1997). Un autre arbitrage international opère entre les marchés anglais (1) Pour une étude détaillée des modalités de calcul des
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points d'or », cf Officer (1996).
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et français de l'escompte, ainsi qu'entre chacun d'eux et le marché du change « long» (où se négocient les lettres de change à échéance de trois mois) ; les mouvements de capitaux suscités par ces arbitrages ont un rôle déterminant dans l'explication de la dynamique des changes, en particulier lors des crises de 1857 et 1865-66 (cf Boyer-Xambeu, Deleplace et Gillard, 2001). L'analyse théorique qui transparaît dans ces études historiques s'écarte ainsi significativement de l'approche habituelle. On constatait déjà chez Friedman (cf p.96-97, 119, 127) qu'un facteur institutionnel, la nature des régimes monétaires en vigueur, a plus d'influence sur le change et les prix des métaux précieux que le facteur technologique des variations (même fortes) dans la production de ceux-ci. L'importance des facteurs institutionnels s'accroît à présent du fait de la prise en compte des modalités d'organisation des marchés des changes (<< court» et « long»), des métaux (avec le rôle des intermédiaires dans la formation des prix) et de l'escompte (avec le rôle de la Banque d'Angleterre et de la Banque de France). Surtout, l'explication de la stabilisation des changes ne requiert plus aucune hypothèse sur les quantités d'équilibre de la monnaie en circulation dans les différents pays ou sur l'état des balances commerciales et les volumes des flux de métaux et de capitaux entre eux. Pour l'étude historique d'une période où les statistiques sur le volume des transactions internationales, quelles qu'elles soient, sont beaucoup moins satisfaisantes que celles sur les prix des changes et des métaux, cette focalisation théorique sur les arbitrages, à l'exclusion de toute hypothèse particulière relative à l'équilibre interne ou externe des économies, peut être bienvenue.
4.2
Le bimétallisme international
Comme l'étalon-or, le bimétallisme est d'abord un régime monétaire interne, dans lequel l'unité de compte légale est définie par des poids respectifs de deux métaux au lieu d'un seul. En monométallisme, la définition de l'unité de compte revient à fixer un prix légal du métal-étalon (par exemple, en Angleterre au XIxe siècle, 3 livres 17 shillings 10 pence et demi l'once d'or à :::> = 916,66 millièmes de fin). La viabilité de ce régime monétaire dépend alors de '" ,as" la capacité des règles de monnayage à éviter que le prix de marché du métal'E étalon ne s'écarte trop de son prix légal, et son effectivité se vérifie par 9:::> '" l'observation statistique de la faiblesse de cet écart. En bimétallisme, il existe o= c deux prix légaux, un pour chaque métal-étalon (par exemple, en France au 'g"o XI xe siècle, 3444,44 francs le kilogramme d'or fin et 222,22 francs le kiloj gramme d'argent fin), et donc un rapport monétaire légal entre les deux Co métaux (dans ce cas 15,5). La viabilité de ce régime monétaire dépend de la ~ capacité des règles de monnayage à éviter que le rapport des prix de marché § des deux métaux ne s'écarte trop du rapport monétaire légal, et son effectivité ~ se vérifie par l'observation statistique de la faiblesse de cet écart. On a vu
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CHANGES FLEXIBLES OU ÉTALON INTERNATIONAL
que, selon Friedman, ce critère conduit à considérer que le bimétallisme a été effectif en France pendant les soixante-dix ans qui ont précédé sa disparition avec la défaite militaire de 1871.
À partir de cette définition du bimétallisme comme régime monétaire interne, la notion de bimétallisme international peut être comprise de plusieurs façons. Comme pour l'analyse du régime monétaire, la première est dérivée de l'étalon-or. Celui-ci devint un système monétaire international lorsque, comme ce fut le cas à partir des années 1870, une majorité de pays adopta ce régime. La définition de chaque unité de· compte nationale par un poids (différant d'une unité à l'autre) du même métal-étalon conduisait en effet à l'existence d'un système de taux de change de référence, les pairs-or légaux (par exemple, entre l'Angleterre et la France, 25,225 francs par livre sterling), malgré l'absence d'accords internationaux visant à établir des changes fixes (1). En stabilisant les prix de marché nationaux de l'or, les règles de monnayage (différant elles aussi d'un pays à l'autre) contribuaient alors à la stabilisation des taux de change de marché en suscitant les multiples arbitrages évoqués supra. Il est alors tentant d'imaginer ce qu'aurait pu être au XIXe siècle un système monétaire international fondé sur le bimétallisme. Sur ce point, on l'a vu, Friedman soutient que l'adoption par plusieurs pays d'un étalon bimétallique avec le même rapport légal de prix entre l'or et l'argent aurait renforcé les effets stabilisateurs internes de ce régime monétaire. Mais il observe aussi que le bimétallisme pouvait contribuer à la stabilité du système monétaire international en étant le régime monétaire dans un seul pays, pourvu que celui-ci fût économiquement puissant (la France avant 1871, les États-Unis après). Cette idée implique une deuxième conception du bimétallisme international, fondée non plus sur sa généralisation (comme ce fut le cas historiquement pour l'étalon-or), mais sur sa centralité dans un système monétaire international comportant par ailleurs des zones monétaires monométalliques (or ou argent). Cette idée a été en particulier développée par Flandreau (1995) à propos du rôle international du bimétallisme français au XIXe siècle, et elle s'appuie sur la capacité de la circulation conjointe d'espèces d'or et d'argent en France à approvisionner les autres zones monétaires selon les besoins en tel ou tel métal, et ainsi à amortir les conséquences internationales des variations dans leur production. Cette conception s'inscrit donc, comme chez Friedman, dans une vision hydraulique du système monétaire international où la stabilisation des changes résulte des effets de la redistribution internationale des métaux précieux sur les masses monétaires nationales. (1) Bien qu'il soit souvent désigné dans la littérature comme un exemple de changes fixes, ce système monétaire international se distinguait donc substantiellement de ceux observés dans la seconde moitié du xxe siècle, tels que le système dit de Bretton Woods ou le Système monétaire européen.
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On observera que ces deux premières conceptions du bimétallisme international l'appréhendent à partir du bimétallisme national, qu'il soit généralisé à une majorité de pays ou qu'il ait un rôle de pivot vis-à-vis des pays monométalliques. Mais si certains des arbitrages évoqués supra ont bien un caractère interne et relèvent donc du régime monétaire (c'est le cas pour l'arbitrage entre la circulation des pièces et billets convertibles et le marché du lingot, ou celui entre les marchés des deux métaux), d'autres sont spécifiquement internationaux : c'est le cas pour l'arbitrage entre le marché du change «court» et ceux de l'un ou l'autre métal, ainsi que pour celui entre les marchés nationaux de l'escompte, ou celui entre chaque marché national de l'escompte et le marché du change « long ». Ce qui importe ici pour le fonctionnement du système monétaire international n'est pas que toutes les zones monétaires ou l'une d'entre elles soient en bimétallisme interne, mais que coexistent des zones à étalon monétaire différent. Autrement dit, le bimétallisme est international, non par extension du bimétallisme national- c'est-àdire internationalisation d'un régime monétaire interne - mais par complémentarité entre deux étalons monétaires nationaux différents : il est un véritable système monétaire international. Cette troisième conception du bimétallisme international conduit à une autre interprétation du système antérieur à 1873. L'étude du change de la livre sterling en francs le montre corrélé à la fois au prix de marché de l'argent à Londres et au prix de marché de l'or à Paris; ce résultat est plus significatif avant 1851 qu'après, et donc lorsque la stabilisation du prix de marché de l'or à Londres s'accompagnait de celle du prix de l'argent à Paris. Entre 1821 et le milieu de 1851, le rapport international entre les prix de marché de l'or et de l'argent(l), calculé sur des observations deux fois par semaine, fut en moyenne égal à 15,55 (à comparer avec le rapport monétaire légal en France de 15,5), avec un écart type de 0,11, soit sept pour mille(2) (pour tous ces résultats, cf Boyer-Xambeu, Deleplace et Gillard, 2002). L'ancrage bimétallique du change entre les deux principales monnaies de l'époque fut ainsi permis par une division implicite du travail entre deux régimes monétaires nationaux, chacun avec un étalon différent, et la remarquable stabilité du rapport or/ argent entre Londres et Paris atteste que le bimétallisme était alors effectivement international. L'actualité aujourd'hui d'une étude approfondie du bimétallisme international au XIXe siècle s'en trouve renforcée, puisqu'il fournit un exemple de système monétaire international fondé sur le polycentrisme.
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(1) Comme dans le rapport interne à la France, les prix de marché des deux métaux sont mesurés en francs, mais le rapport international est celui du prix de marché de l'or à Paris au prix « arbitré» de l'argent à Londres, ce dernier étant le produit du prix de marché de l'argent à Londres (en f) par le taux de change de la livre en francs. (2) Du milieu de 1851 à 1873, ce rapport international fut en moyenne égal à 15,27, avec un écart type de 0,14, soit neuf pour mille.
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CHANGES FLEXIBLES OU ÉTALON INTERNATIONAL
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Partie 1
THÉORIE DU CHANGE ET DE L'ÉTALON
Chapitre 1
DÉFENSE DES TAUX DE CHANGE FLEXIBLES*
Les pays occidentaux semblent attachés à un système de paiements internationaux basé sur des taux de change entre leurs monnaies nationales fixés par les États et maintenus rigides, sauf en cas de passage occasionnel à de nouvelles parités. Ce système est incarné par les statuts du Fonds monétaire international qui stipulent que les modifications de parité par les États peuvent être effectuées sans l'approbation du Fonds si elles sont inférieures à 10 %, et uniquement avec l'approbation du Fonds si elles sont supérieures à 10 %; il est implicite dans l'Union financière européenne, et il est considéré comme un acquis dans presque tous les débats de politique économique internationale. Quels que puissent avoir été les mérites de ce système pour une autre époque, il est peu adapté aux conditions économiques et politiques actuelles. Ces conditions font qu'un système de taux de change flexibles ou flottants - de taux de change librement déterminés sur un marché libre, essentiellement par le biais de transactions privées, et comme tout autre prix de marché, à même de varier au jour le jour - est absolument essentiel à l'accomplissement de notre objectif économique fondamental: l'émergence et l'instauration durable d'une communauté mondiale libre et prospère pratiquant un commerce multilatéral sans restrictions. Il n'existe pas de secteur de la politique économique internationale dans lequel le système de taux de change rigides ne crée pas des difficultés sérieuses et inutiles. Les programmes de réarmement, la libéralisation du commerce, la volonté d'éviter les contrôles
* Cet article trouve son origine dans un mémorandum rédigé pendant l'automne
1950 alors que j'étais consultant à la Finance and Trade Division of the Office of Special Representative for Europe, United States Economic Cooperation Administration. Inutile de dire que les conceptions qui y sont exprimées sont strictement les miennes. Je tiens à remercier Joel Bernstein et Maxwell Ob st pour leurs remarques concernant le mémorandum original et Earle J. Hamilton et Lloyd A. Metzler pour leurs remarques concernant une version ultérieure de celui-ci. L'article doit beaucoup aussi à de longues discussions avec différents amis, en particulier Aaron Director, James Meade, Lloyd Mints et Lionel Robbins. Malheureusement, ces discussions ne sont pas parvenues à susciter un accord suffisant pour qu'il ne me soit pas nécessaire de dégager leur responsabilité.
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directs à l'intérieur et à l'extérieur, l'harmonisation des politiques monétaires et fiscales intérieures, toutes ces questions prennent une forme différente et trouvent plus facilement leur réponse dans un monde où existent des taux de change flexibles et leur corollaire, la libre convertibilité des monnaies. Plus tôt un système de taux de change flexibles sera établi, plus vite le commerce multilatéral et sans restrictions deviendra une réelle possibilité. Sans que cela implique interférence avec la poursuite de la stabilité économique intérieure par chaque pays selon ses propres voies (1). Avant d'en venir à défendre cette thèse en détail, peut-être devrais-je souligner quelques points aux fins d'éviter les incompréhensions. D'abord, défendre des taux de changes flexibles n'équivaut pas à défendre des taux de change instables. L'objectif final est un monde dans lequel les taux de change, tout en étant libres de varier, seraient en pratique très stables. L'instabilité des taux de change est un symptôme d'instabilités dans la structure économique sous-jacente. L'élimination de ce symptôme par le gel administratif des taux de change ne remédie à aucune des difficultés cachées, et rend simplement les ajustements à celles-ci plus douloureux. Ensuite, par commerce multilatéral sans restrictions, j'entends un système dans lequel il n'y a pas de contrôle quantitatif direct sur les importations et sur les exportations, dans lequel les tarifs douaniers ou les aides à l'exportation sont globalement stables et non discriminatoires et ne sont pas sujets à des manipulations susceptibles d'affecter la balance des paiements, et dans lequel une fraction substantielle du commerce international est entre des mains privées (non étatiques). Bien que vague et porteuse d'une ambiguïté considérable, cette définition conviendra pour ce que j'ai à dire. Je tiendrai pour acquis sans examen détaillé que le commerce multilatéral sans restrictions conforme à cette définition (2) est un objectif désirable de la politique économi que (3). Nombre des arguments en faveur des taux de change flexibles restent, cela dit, valides même si ce préalable n'est pas accepté.
(1) En fait, j'ai affirmé ailleurs que des taux de change flexibles sont la contrepartie internatio-
nale logique du cadre monétaire et fiscal pour la stabilité économique qui me semble le plus prometteur. Voir Essais d'économie positive, chap. 5. (2) Et en pratique, dans le sens plus extrême encore de commerce libre de toute barrière, y compris les taxes à l'importation et les aides à l'exportation. (3) En bref, il est désirable par lui-même en tant que l'une des libertés fondamentales que nous chérissons; il facilite l'usage efficace des ressources par le biais d'une division internationale du travail adéquate et accroît le bien-être des consommateurs en élargissant l'éventail des solutions dans le cadre desquelles ceux-ci peuvent dépenser leur revenu; il renforce l'amitié politique internationale en abolissant de nombreuses sources de conflit entre les gou vernement.
Défense des taux de change flexibles
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1. MÉTHODES ALTERNATIVES D'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS AFFECTANT LES PAIEMENTS 1NTERNATIONAUX Des changements affectant le commerce international et la balance des paiements de différents pays ne cessent de se produire. Certains relèvent des conditions « réelles» déterminant le commerce international, ainsi le climat, les conditions réelles de production, les goûts des consommateurs et ainsi de suite. D'autres relèvent des conditions monétaires, ainsi les divergences en termes d'inflation ou de déflation entre différents pays. Ces changements affectent certaines marchandises plutôt que d'autres, et tendent à susciter des modifications de la structure des prix relatifs - la décision des États-Unis de mener une politique de réarmement a ainsi des conséquences sur les matières premières concernées, et tend à faire monter leur prix relativement aux autres prix -. De tels effets sur la structure des prix relatifs sont à même d'être très similaires, que les taux de change soient rigides ou flexibles, et de poser dans l'un et l'autre cas pour l'essentielles mêmes problèmes d'ajustement; c'est pourquoi ils se verront accorder peu d'attention dans la suite de cet article.
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Au-delà de leurs effets sur certaines marchandises et sur les prix de celles-ci, les changements en question affectent la balance des paiements de chaque pays globalement considérée. Les détenteurs de devises étrangères veulent les échanger contre les devises d'un pays donné de façon à acheter des marchandises produites dans ce pays, acheter des titres ou des actifs immobilisés dans ce pays, payer des intérêts ou rembourser des dettes à ce pays, faire des cadeaux à des citoyens de ce pays, ou simplement détenir les devises pour les consacrer à l'un de ces usages ou pour les revendre. La quantité de la monnaie d'un pays donné qui est dem.andée par unité de temps pour chacune de ces fins dépendra, bien sûr, d'abord du taux de change - le nombre d'unités d'une monnaie étrangère qu'il faut payer pour acquérir une unité de la monnaie du pays concerné -. Toutes choses égales par ailleurs, plus chère est une monnaie donnée, c'est-à-dire plus élevé est son taux de change, moins en général cette monnaie est demandée pour chacune de ces fins. D'une .même façon, les détenteurs de la monnaie du pays concerné veulent échanger cette monnaie contre des monnaies étrangères pour les mêmes fins et le montant qu'ils désirent échanger dépend là encore d'abord du prix des monnaies étrangères. Les changements qui affectent continuellement le fonctionnement du commerce international modifient le « toutes choses », et donc la désirabilité de l'utilisation des monnaies de différents pays pour chacune des fins susdites. Leur effet global est tantôt d'augmenter, tantôt de diminuer la quantité de la monnaie d'un pays demandée à un taux de change donné relativement à la quantité offerte à la vente à ce taux. Bien sur, après coup, la
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quantité d'une monnaie achetée est obligatoirement égale à la quantité vendue - c'est une simple question d'écriture comptable -. Mais, à l'avance, la quantité que les gens veulent acheter n'est pas obligatoirement égale à la quantité que les gens veulent vendre. L'égalité ex post implique une conciliation de ces désirs divergents, que celle-ci passe par le biais de modifications des désirs eux-mêmes ou qu'elle passe par le biais de leur frustration. Il n'est pas possible d'éviter cette conciliation; des désirs incompatibles ne peuvent être simultanément satisfaits. La question politique cruciale sur ce plan est donc celle des mécanismes par lesquels elle peut être menée à bien. Supposons que l'effet agrégé des changements dans les conditions affectant les paiements internationaux ait été de faire que la quantité de la monnaie d'un pays que des individus veulent acheter avec de la monnaie étrangère soit supérieure à la quantité que d'autres gens veulent vendre pour acheter des monnaies étrangères au taux de change préexistant - de créer, donc, un début d'excédent de la balance des paiements -. Comment les désirs incompatibles ainsi apparus peuvent-ils être conciliés? 1) La monnaie du pays peut voir son prix augmenter. Cet accroissement du taux de change tendra à rendre la monnaie moins désirable relativement à la monnaie d'autres pays, et éliminera ainsi l'excès de demande tel qu'il existait au taux précédent(l). 2) Les prix à l'intérieur du pays peuvent monter, ce qui rendra les marchandises du pays moins désirables par comparaison avec les marchandises d'autres pays, ou les revenus à l'intérieur du pays peuvent augmenter, ce qui accroitra la demande de monnaie étrangère. 3) Les contrôles directs sur les transactions impliquant des échanges avec l'étranger peuvent empêcher les détenteurs de devises étrangères d'acquérir autant de monnaie du pays qu'ils voudraient le faire; ils peuvent par exemple les empêcher d'acheter des marchandises du pays en rendant impossible pour eux l'obtention d'une licence d'exportation. 4) La quantité de monnaie du pays demandée qui excède l'offre peut être tirée des réserves monétaires, la monnaie étrangère acquise ainsi se trouvant ajoutée aux réserves en monnaies étrangères ~ les autorités monétaires (ou le (1) Il est concevable que, sous certaines conditions et pour un certain ensemble de taux de change, une hausse de taux de change accroisse l'excès de demande. Bien que cette possibilité ait été souvent étudiée, elle sera laissée de côté dans ce qui suit dans la mesure où elle a peu de pertinence pratique. En théorie, il y aura toujours un certain ensemble de taux qui permettront d'équilibrer le marché et, dans le voisinage d'au moins un de ces 'ensembles de taux, une hausse du taux signifiera une diminuation de l'excès de demande (c'est-à-dire un excès de demande négatif) ; une baisse du taux, un accroissement de l'excès de demande. Les taux de change ne peuvent rester dans une zone au sein de laquelle cela n'est pas vrai que s'ils ne sont pas libres de bouger et si certains mécanismes qui ne sont pas de l'ordre des prix sont utilisés pour rationner la monnaie nationale ou étrangère. En pratique, les conditions nécessaires pour qu'tin taux de change ait la propriété qu'une hausse accroisse l'excès de demande ne me semblent pas à même d'être réunies. Mais si elles devaient l'être, cela signifierait simplement qu'il peut y avoir deux positions d'équilibre possibles, l'une au dessous du taux contrôlé existant. Si la plus haute est considérée comme préférable, la politique à mener devrait d'abord consister à apprécier le taux contrôlé, ensuite à le libérer.
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fonds d'égalisation des changes, ou toute autre institution semblable) peuvent manifester le« désir» d'acheter ou de vendre la différence entre les quantités demandées et les quantités offertes -. L'effet des changements étant de créer un déficit naissant, chacune de ces quatre méthodes a une contrepartie évidente : outre les frustrations purement frictionnelles de désirs (l'impossibilité pour un acheteur de trouver un vendeur en raison des imperfections du marché), il n'y a fondamentalement que quatre façons de faire qu'une divergence ex ante entre la quantité offerte et la quantité demandée de la monnaie d'un pays soit convertie en l'égalité ex post qui finit nécessairement par prévaloir. Considérons chacune de ces façons.
1.1
Modifications des taux de change
Deux mécanismes différents susceptibles de permettre d'utiliser les taux de change pour maintenir l'équilibre dans la balance des paiements doivent être distingués. a) Les taux de change flexibles tels que définis plus haut, et b) les modifications officielles de taux temporairement rigides.
a) Les taux de change flexibles Dans un cadre de taux de change flexibles librement déterminés par les marchés ouverts, le premier impact de toute tendance à un excédent ou à un déficit dans la balance des paiements concerne le taux de change. Si un pays connaît un début d'excédent des recettes par rapport aux paiements - un excès de demande pour sa monnaie - le taux de change de sa monnaie tend à s'élever. S'il connaît un début de déficit, le taux de change tend à baisser. Si les conditions responsables de la hausse ou de la baisse du taux de change sont considérées comme temporaires, les détenteurs potentiels ou effectifs de la monnaie du pays tendent à modifier leur stratégie aux fins de modérer la fluctuation du taux de change. Si, par exemple, s'opère une hausse du taux de change considérée comme temporaire, les détenteurs de la monnaie du pays ~c sont incités à vendre une partie de ce qu'ils détiennent pour acheter des ~ devises étrangères et à racheter de la monnaie du pays ultérieurement à un ~ prix plus bas. Ce faisant, ils offrent un supplément de monnaie du pays à .~ même de permettre de répondre partiellement à l'excès de demande responli! sable de la hausse initiale du taux de change, ce qui veut dire qu'ils absorbent g une partie de ce qui aurait été un excédent de recettes en devises étrangères au taux de change antécédent. Si, à l'inverse on s'attend à une baisse temporaire, - une incitation existe à acheter de la monnaie du pays pour la revendre à un -8. prix plus élevé. De tels achats de monnaie du pays fournissent la monnaie j "8c· étrangère qui permet de répondre à ce qui aurait été un déficit de monnaie étrangère au taux de change antécédent. Des transactions «spéculatives» 8 fournissent au pays par ces biais les réserves permettant d'absorber les @ :::1
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excédents temporaires ou de combler les déficits passagers. Si, enfin, la modification du taux de change est considérée comme étant le fruit de facteurs fondamentaux susceptibles de se révéler permanents, les incitations se situent à l'inverse de celles dont la liste a été établie plus haut, et les transactions spéculatives accélèrent la hausse ou la baisse du taux de change, rendant plus rapide l'atteinte d'une position finale. Cette position finale dépend des effets que les modifications du taux de change ont sur la demande et l'offre de la monnaie d'un pays non détenue au titre de soldes, mais pour d'autres fins. Une hausse du taux de change produite par une tendance à l'excédent rend les marchandises étrangères moins chères en termes de monnaie nationale, même si leur prix reste inchangé en termes de monnaie étrangère, et les marchandises nationales plus chères en termes de monnaie étrangère, même si leur prix reste identique en termes de monnaie nationale. Ce qui tend à accroître les importations et à réduire les exportations, et donc à compenser l'excédent naissant. A l'inverse, une baisse du taux de change produite par une tendance au déficit rend les importations plus chères pour les consommateurs nationaux et les exportations moins chères pour les étrangers, et tend donc à compenser le déficit naissant. Parce que la monnaie implique le pouvoir d'achat général et est utilisée pour une grande diversité de fins à l'étranger aussi bien que dans le pays, la demande et l'offre de la monnaie de tout pays sont très répandues et émanent de nombreuses sources. En conséquence, des marchés des changes actifs et presque parfaits se sont développés partout où ils ont été autorisés - et en général, même où ils ne l'ont pas été -. Le taux de change est dans ces conditions un prix potentiellement très sensible. Les modifications qui l'affectent surviennent rapidement, automatiquement et continuellement, et tendent à produire des mouvements correcteurs avant que les tensions ne puissent s'accumuler et qu'une crise ne puisse se développer. Si, par exemple, l'Allemagne avait eu un taux de change flexible en 1950, la crise survenue pendant l'automne de cette année là n'aurait jamais suivi le cours qu'elle a suivi. Le taux de change aurait été affecté dès juillet et aurait commencé immédiatement à produire des adaptations correctrices. L'ensemble de l'affaire n'aurait jamais pris des proportions importantes, et tout se serait achevé par un glissement relativement mineur dans le taux de change. Dans la mesure où tout s'est passé dans un contexte de taux de change rigides, la menac~ de troubles a été indirecte et retardée, et l'État n'a entrepris aucune action avant que trois mois ne se soient écoulés, temps pendant lequel le déséquilibre a grandi jusqu'à prendre les dimensions d'une crise requérant une action drastique à l'intérieur, des consultations internationales, et une aide de l'étranger. Les crises des changes récurrentes qu'a connues le Royaume-Uni dans la période d'après-guerre sont peut être un exemple encore plus frappant du type de crise qui ne pourrait pas se développer au sein d'un système de taux
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de change flexibles. Dans chaque cas, aucune décision correctrice significative n'a été prise jusqu'à ce que des déséquilibres importants se trouvent accumulés, les décisions ont alors dû être drastiques. u~s rigidités et les discontinuités que le remplacement des forces du marché par l'intervention administrative peut produire ont rarement été mises au jour d'une manière aussi claire et aussi impressionnante.
b) Les modifications officielles des taux de change Ces exemples laissent apercevoir la forte différence qui sépare les taux de change flexibles des taux de change maintenus temporairement rigides, mais sujets à modifications par décision de l'État aux fins de répondre à des difficultés substantielles. Si les modifications étatiques des taux de change ont les mêmes types d'effets sur le commerce des marchandises et ce qui s'y rattache que celles s'opérant automatiquement au sein d'un système de taux de change flexibles, elles ont des effets très différents sur les transactions spéculatives. En partie parce qu'il s'agit de spéculation, en partie en raison de la discontinuité impliquée, chaque modification étatique des taux de change tend à devenir l'occasion d'une crise. Il n'existe pas de mécanisme susceptible de produire des modifications des taux de change de l'ampleur requise ou à même de corriger les écarts, et d'autres mécanismes doivent être utilisés pour maintenir l'équilibre pendant les périodes séparant les modifications des taux de change - des modifications des prix et des revenus intérieurs, des contrôles directs, ou l'accumulation de réserves monétaires Même si une modification étatique des taux de change ne constituait pas en soi l'occasion d'une crise, des mouvements spéculatifs seraient tout à fait susceptibles d'en créer une, car le système garantit en pratique un maximum de spéculation déstabilisatrice. Dans la mesure où le taux de change n'est modifié que rarement, et seulement pour répondre à des difficultés substantielles, une modification tend à s'opérer longtemps après le début des difficultés, à être retardée aussi longtemps que possible, et à n'être effectuée qu'après que des pressions importantes sur le taux de change se soient accumulées. Aucun doute n'existe donc concernant la direction dans laquelle les ~c taux de change seront modifiés s'ils doivent l'être. Dans l'intervalle entre le : moment où on soupçonne qu'une modification des taux est probable et la ~ modification effective, tout incite à vendre la monnaie du pays concerné (à ~ exporter des «capitaux» hors du pays) si on s'attend à une dévaluation, ou à acheter cette monnaie (à importer des «capitaux») si on s'attend à une g réévaluation; vente et achat peuvent être effectués sans pertes de change et .~ permettent des gains quand les taux se trouvent modifiés. Cette situation est ;;c..~ très différente de celle existant dans le cadre de taux de change flexibles où la baisse ou la hausse des taux de change s'opère en conséquence immédiate j des ventes ou des achats d'une monnaie, et décourage ou pénalise ainsi les ventes ou les achats. Avec des taux rigides, si les taux de change ne sont pas ~ modifiés, le seul coût pour les spéculateurs est une perte possible d'intérêts
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découlant d'un différentiel de taux d'intérêt. Dire que les flux de capitaux peuvent être limités par des contrôles directs ne constitue pas une réponse à ce que nous venons d'écrire dans la mesure où l'objectif final de nos propositions est précisément d'éviter de telles limitations. En bref, le système de modifications étatique de taux de change temporairement rigides me semble être le pire : il ne fournit ni la stabilité que des taux de change réellement rigides pourraient fournir dans un contexte de commerce sans restrictions, ni la volonté et la capacité d'ajuster la structure intérieure des prix aux conditions extérieures, ni la sensibilité continue de taux de change flexibles.
1.2
Modifications des prix ou des revenus intérieurs
En principe, les modifications des prix intérieurs peuvent produire le même effet sur le commerce que les modifications des taux de change. Une baisse de 10 % de tous les prix intérieurs en Allemagne (y compris les salaires, les loyers, etc.) avec un prix du mark en dollars inchangé aurait, par exemple, le même effet sur le coût relatif des marchandises intérieures et étrangères en Allemagne qu'une baisse de 10 % du prix du mark en dollars, tous les prix intérieurs restant inchangés. De telles modifications de prix pourraient en outre avoir les mêmes effets sur les transactions spéculatives. Si on s'attend à ce qu'elle soit temporaire, une baisse des prix stimulerait les achats spéculatifs de marchandises destinés à éviter des prix plus élevés dans le futur, et limiterait ainsi la fluctuation des prix. Si les prix intérieurs étaient aussi flexibles que les taux de change, le fait que les ajustements soient créés par des modifications des taux de change ou par des modifications équivalentes des prix intérieurs ferait, économiquement parlant, peu de différence. Mais ce n'est pas le cas. Les taux de change sont potentiellement flexibles pour peu qu'aucune intervention administrative ne vienne les geler. Dans le monde moderne au moins, les prix intérieurs sont très rigides. Ils sont plus flexibles vers le haut que vers le bas, mais, même dans un cas de mouvement vers le haut, ils ne sont pas tous également flexibles. La non-flexibilité des prix, ou l'existence de degrés différents de flexibilité, implique des distorsions dans l'ajustement aux modifications des conditions extérieures. L'ajustement prend surtout la forme de modifications de prix dans certains secteurs, surtout la forme de modifications de production dans d'autres. Les taux salariaux font partie des prix les moins flexibles. En conséquence, un déficit naissant qui se trouve contré par une politique incitant à la baisse des prix est à même de produire du chômage plutôt qu'une baisse des salaires. La baisse subséquente du revenu réel réduit la demande intérieure pour les marchandises étrangères, et donc la demande pour la monnaie étrangère permettant d'acheter ces marchandises. Elle compense, certes, le déficit
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naissant. Mais il s'agit d'une méthode très inefficace d'adaptation aux modifications extérieures. Si les modifications extérieures persistent et s'installent, le chômage produit une pression forte vers le bas sur les prix et les salaires, et l'ajustement n'est pas accompli jusqu'à ce que la déflation ait suivi tout son cours. En dépit de ces difficultés diverses, l'utilisation des modifications des prix intérieurs pourrait ne pas être indésirable s'il n'y était recouru que rarement, et seulement à la suite de modifications dans les conditions réelles sous-jacentes du commerce. De telles modifications sont à même dans tous les cas de requérir des modifications considérables des prix relatifs de marchandises et de services donnés, et seulement des modifications d'un ordre de grandeur beaucoup plus faible dans le niveau général des prix intérieurs. Or, aucune de ces conditions n'est susceptible d'être satisfaite dans le monde moderne. Des ajustements sont requis de façon continuelle, et nombre d'entre eux sont exigés par des phénomènes essentiellement monétaires qui, s'ils étaient rapidement compensés par un mouvement dans les taux de change, n'impliqueraient aucune modification de l'allocation présente des ressources. Les modifications des taux d'intérêt pourraient sans doute être classées dans la catégorie des modifications des prix intérieurs. Elles ont joué autrefois un rôle particulièrement important dans l'adaptation aux modifications extérieures, en partie parce qu'elles étaient susceptibles d'être directement influencées par les autorités monétaires et en partie parce que, sous un étalon-or, l'impact initial d'une tendance à un déficit ou à un excédent équivalait à une perte ou à un gain d'or, et à un fléchissement ou à un renforcement subséquent du marché monétaire. La hausse des taux d'intérêt suscitée par un déficit naissant accroissait la demande pour la monnaie à des fins de capital, et compensait tout ou partie du déficit. Cela réduisait le taux auquel le déficit devait se trouver compensé par une baisse des prix intérieurs, qui était elle-même enclenchée par la perte d'or et la diminution associée du stock monétaire responsable de la hausse des taux d'intérêt. Inversement, un excédent naissant accroissait le stock d'or et tranquillisait le marché monétaire. La baisse résultant des taux d'intérêt réduisait la demande pour la monnaie à des fins de capital et compensait ainsi tout ou partie de l'excédent, abaissant le taux auquel l' excédent devait se trouver compensé par la hausse des prix intérieurs enclenchée par le gain d'or et l'augmentation associée du stock monétaire. Ces mouvements de capital induits par les taux d'intérêt sont une partie désirable d'un système s'appuyant essentiellement sur les modifications des prix intérieurs, dans la mesure où ils tendent à adoucir les processus d'ajustement. On ne peut néanmoins s'appuyer sur eux seuls dès lors qu'ils n'entrent en jeu que de manière accessoire par rapport à l'ajustement des prix intérieurs. Le recours privilégié aux modifications des prix et des revenus intérieurs était tolérable au XIXe siècle, dans la mesure où les pays clés du monde occidental accordaient plus d'importance à la liberté par rapport à l'interférence de l'État
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à l'intérieur et au commerce multilatéral sans restrictions à l'extérieur qu'à la stabilité intérieure. Cela impliquait que leur objectif était des politiques économiques intérieures dominées par les exigences de taux de change fixes et de libre convertibilité des monnaies. Cela impliquait aussi la possibilité pour les détenteurs de capitaux d'avoir confiance dans la pérennité du système et leur permettait de laisser les petites différences dans les taux d'intérêt déterminer la monnaie dans laquelle ils détenaient leurs capitaux. L'importance accordée à la liberté par rapport à l'interférence de l'État à l'intérieur laissait, en outre, moins de latitude à la gestion monétaire intérieure et faisait que la plupart des changements affectant le commerce international reflétaient des changements réels dans les conditions sous-jacentes, ou des changements monétaires, tels que les découvertes d'or, plus ou moins communs aux principaux pays. Les conditions modernes où l'accent se trouve mis sur le plein-emploi et l'intervention de l'État dans les affaires économiques sont très différentes et beaucoup moins favorables à cette méthode d'ajustement.
1.3
Les contrôles directs
En principe, les contrôles directs sur les importations, les exportations et les mouvements de capitaux pourraient avoir les mêmes effets sur le commerce et la balance des paiements que les modifications des taux de change, ou les modifications des prix et des revenus intérieurs. L'ajustement final impliquera après tout un changement dans la composition des importations et des exportations, ainsi que des transactions de capital bien précises. 'Si ce changement pouvait être prédit à l'avance et s'il était techniquement possible de contrôler de manière sélective chacune des catégories impliquées - importations, exportations et transactions de capital -, les contrôles directs pourraient être utilisés pour produire l'ajustement requis. Il est clair néanmoins que ce changement ne peut être prédit; le fait par exemple que chaque nouvelle crise des changes dans un pays comme la Grande-Bretagne soit officiellement considérée comme un événement imprévu constitue une preuve claire et nette à l'appui de ce que nous écrivons. Même si le changement pouvait être prédit, le contrôle direct des importations, des exportations et des transactions de capital par des techniques autres que le système des prix (1) signifierait de toute façon (1) Notons qu'un tarif douanier d'un pourcentage uniforme sur toutes les importations utilisé pour payer une subvention d'un pourcentage uniforme pour toutes les exportations équivaut à une dépréciation du taux de change du pourcentage correspondant; et identiquement, une subvention d'un pourcentage uniforme sur toutes les importations financée par une taxe d'un pourcentage uniforme sur toutes les exportations équivaut à une appréciation du taux de change du pourcentage correspondant. Des instruments tels que ceux-ci devraient être classifiés par conséquent sous la catégorie « modifications des taux de change» plutôt que sous celle de « contrôles directs ».
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nécessairement l'extension du contrôle direct à de nombreux autres domaines, et une interférence subséquente avec l'efficacité de la répartition et de la production des biens - certains moyens devraient être trouvés pour limiter les importations dont la quantité doit diminuer ou pour écouler les importations supplémentaires, pour réallouer des exportations réduites ou pour trouver un débouché à des exportations accrues-.
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Outre le fait, maintenant attesté, que des décisions de cet ordre ont toujours des résultats malheureux, on doit noter qu'elles ont toujours des effets pervers dans le domaine des règlements internationaux lui-même, surtout si on recourt à elles, comme cela a été souvent le cas, pour compenser un déficit effectif ou naissant. Le déficit apparent qu'il faut compenser par le contrôle direct est toujours plus important que le déficit qui émergerait au même taux de change sans contrôle direct et pourrait être éliminé entièrement, voire transformé en excédent, si le contrôle direct se trouvait aboli. Le contrôle direct, par sa simple existence, rend la monnaie moins désirable pour de nombreuses fins en raison des limites qu'il trace à ce que les détenteurs de monnaie peuvent faire avec la monnaie dont ils disposent, et ce simple fait est susceptible de faire baisser la demande pour la monnaie au-delà de la baisse qui serait produite par les fluctuations des taux de change ou d'autres mécanismes d'adaptation à même d'être substitués au contrôle direct. Ce à quoi on peut ajouter que les importations sous licence sont en général distribuées à des prix inférieurs à ceux qui permettraient d'équilibrer le marché, et sont donc utilisées de manière gaspilleuse etaux mauvais emplacements, ce qui accroît les « exigences» apparentes d'importation, la composition des importations, elle, est déterminée par des décisions administratives qui tendent à avoir le même effet. Ces deux phénomènes entnlvent gravement les exportations dans la mesure où les industries d'exportation ne sont pas en position d'obtenir en ce contexte une fraction des importations aussi importante que celle qu'elles obtiendraient sur un marché libre, même si l'État prétend favoriser les industries d'exportation, et ce dans la mesure où elles ne peuvent faire sentir pleinement leur influence dans la détermination de la composition des importations; les contrôles directs ont de surcroît une tendance à rendre les incitations à exporter moins fortes qu'elles ne seraient sans cela (1).
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(1) Vendre les licences d'importation à un prix qui équilibrerait le marché éliminerait le premier effet; cela n'éliminerait pas le deuxième et le troisième à moins que les licences ne concernent pas des marchandises spécifiques mais des devises étrangères utilisables de toutes les façons désirées. Même cela n'éliminerait pas le quatrième effet, à moins que les profits ne soient utilisés pour payer une subvention pour les exportations et pour financer d'autres transactions conduisant à l'acquisition de devises étrangères. Ce dernier système, comme cela est indiqué dans la note précédente, équivaut à une modification du taux de change. Si le prix des permis octroyant le droit d'utiliser des devises étrangères et les subventions permettant d'acquérir celles-ci étaient déterminés sur un marché libre de façon telle que les recettes totales soient égales aux paiements totaux, le résultat serait équivalent ou identique à un système de taux de change flexibles.
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Les considérations mentionnées dans le paragraphe précédent peuvent contribuer à réconcilier - et, dirai-je, trouvent leur origine dans mon désir de réconcilier - les impressions ressenties par des visiteurs occasionnels en Grande-Bretagne et les conclusions tirées par certains chercheurs, selon lesquelles la livre est aujourd'hui (1952), vues les pressions récurrentes pesant sur elle et les mesures restrictives qui semblent requises pour la maintenir à son taux actuel, sous-évaluée en terme de pouvoir d'achat. Elles montrent qu'il n'y a pas obligatoirement incompatibilité entre les deux assertions suivantes: 1) la valeur de marché de la livre se situerait au-dessus de 2,80 dollars si toutes les restrictions pesant sur le change et tous les contrôles annexes se trouvaient abolis, et si les taux de change pouvaient être déterminés par des transactions essentiellement privées sur un marché libre; 2) étant donné l'existence d'un taux de change officiel et d'un système de restrictions des changes et de contrôles associés, un relâchement des restrictions créerait une pression sur le taux de change et requerrait un taux inférieur à 2,80 dollars pour que les réserves de change ne risquent pas l'épuisement. Les deux affirmations peuvent, en pratique, ne pas se révéler exactes; mais il n'existe pas entre elles une contradiction aussi évidente qu'il y paraît à première vue. Enfin, quelle que soit la désirabilité des contrôles directs, il existe des limites politiques et administratives à la possibilité de les imposer et de les mettre en œuvre. Ces limites sont plus étroites dans certains pays que dans d'autres, mais elles sont présentes dans tous les pays. Dès lors qu'existent des incitations suffisantes, des façons de contourner ou d'éviter les contrôles sont découvertes. Une compétition se développe entre les officiels qui cherchent à combler les vides juridiques et à déceler et punir les infractions aux contrôles, et les individus nombreux qui, en raison de possibilités de profits importants, ou parce que le respect qu'ils ont pour la loi et la peur du châtiment qui les habite se trouvent surpassés par ces mêmes possibilités, consacrent leurs talents à la découverte de nouveaux vides. Et la compétition ne tourne pas toujours à l'avantage des officiels, même lorsqu'ils sont honnêtes et capables. Il s'est ainsi révélé extrêmement difficile dans tous les pays d'empêcher ou de limiter les mouvements de capitaux grâce à des contrôles directs.
1.4 l'utilisation des réserves monétaires Étant donné des réserves adéquates, les tendances à un excédent ou à un déficit peuvent se voir autorisées à produire un excédent ou un déficit effectif dans les transactions autres que celles menées par les autorités monétaires (ou le fonds de compensation, ou toute autre institution jouant le même rôle) sans une modification des taux de change, des prix ou des revenus intérieurs, ou sans contrôles directs, la monnaie étrangère ou nationale supplémentaire demandée étant alors fournie par l'autorité monétaire. Ce procédé est utilisable, et n'a rien d'indésirable, pour des mouvements faibles et temporaires,
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encore que, s'il est clair que les mouvements sont faibles et temporaires, il soit fondamentalement inutile dans la mesure où, avec des taux de change flexibles, les transactions spéculatives privées fourniront la monnaie nationale ou étrangère supplémentaire demandée sans que s'opère autre chose que des mouvements mineurs dans les taux de change. L'usage exclusif des réserves est beaucoup moins désirable, peut-être même impossible, pour des mouvements d'une grande ampleur et d'une longue durée. Si le problème est un déficit, l'aptitude des autorités monétaires à répondre au déficit se trouve immédiatement limitée par la dimension de leurs réserves en monnaie étrangère (à quoi s'ajoutent les sommes supplémentaires qu'ils peuvent ou désirent emprunter ou acquérir par ailleurs auprès de détenteurs de monnaies étrangères). Si le niveau des prix intérieurs (ou le niveau de l'emploi) doit être maintenu stable, le produit des ventes des réserves de change ne doit pas, qui plus est, être confisqué ou utilisé de façon déflationniste. Cela suppose, bien sur, que le déficit n'est pas lui-même créé par une politique intérieure inflationniste, mais survient en dépit d'un niveau de prix intérieur stable. Le produit doit être utilisé pour combler la dette ou pour financer un déficit budgétaire du niveau nécessaire pour que la baisse des prix soit évitée. Si le problème est un excédent, les autorités monétaires doivent être prêtes à accumuler des devises étrangères d'une manière indéfinie, et à fournir à cette fin toute la monnaie nationale demandée. Qui plus est, si le niveau des prix intérieurs doit être maintenu constant, elles doivent créer la monnaie nationale qu'elles vendent pour acheter de la monnaie étrangère de manière non inflationniste. Elles ne peuvent imprimer ou créer de la monnaie que dans la limite compatible avec des prix stables. Pour le reste, elles doivent obtenir la quantité requise en empruntant aux taux d'intérêt nécessaires pour que les prix intérieurs restent stables, ou à partir d'un excédent budgétaire du montant approprié. Indépendamment des problèmes techniques de gestion monétaire impliqués, la société n'est pas à même de vouloir échanger indéfiniment une partie de son produit contre une accumulation improductive de monnaie, particulièrement si la source de l'excédent est l'inflation monétaire à l'étranger, et si la monnaie étrangère perd de sa valeur réelle. Traditionnellement, les réserves monétaires n'ont pas été utilisées en tant que moyen d'ajustement aux conditions extérieures, mais en tant qu'absorbeur de choc dans l'anticipation de modifications des revenus et des prix intérieurs. c o c Un déficit se trouve d'abord absorbé par les réserves monétaires, mais le 'g"o produit, voire un multiple du produit se trouve en quelque sorte confisqué; ce ~ qui veut dire que le stock de monnaie a diminué en résultat de la baisse des -aj réserves monétaires, entraînant une hausse des taux d'intérêt et une pression à la baisse sur les prix intérieurs. De même, la monnaie intérieure échangée pour un excédent de monnaie étrangère se trouve, en quelque sorte, créée et autorisée à accroître les réserves monétaires du même montant ou d'un
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multiple de ce montant, avec une baisse subséquente des taux d'intérêt et une pression vers le haut sur les prix intérieurs (1). Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, les différents pays du monde ont de moins en moins utilisé les réserves de cette façon, et ont permis que les effets se transmettent directement et immédiatement aux conditions monétaires et aux prix intérieurs. Dès les années 20, les États-Unis, pour citer un exemple crucial et éminent, ont refusé que leur excédent, qui prenait la forme d'importations d'or, fasse monter les prix intérieurs de la façon requise par la règle supposée de l'étalon or et ont préféré« stériliser» les importations d'or. Après que la Grande Dépression eut fait accéder le plein-emploi au statut de but essentiel de la politique économique, aucun pays n'a plus voulu que les déficits puissent exercer le moindre effet déflationniste. L'utilisation des réserves monétaires en tant que moyen unique de réponse aux tensions faibles et temporaires sur la balance des paiements, et le recours à d'autres moyens pour répondre aux tensions plus larges, plus longues ou plus fondamentales est un objectif compréhensible de politique économique et constitue l'essentiel de la philosophie sous-tendant l'action du Fonds monétaire international. Malheureusement, il ne s'agit pas d'une politique réaliste, utilisable ou désirable. Il est rarement possible de savoir à l'avance, ou même peu de temps après les événements, si une tension dans la balance des paiements est à même d'être inversée rapidement ou non; c'est-à-dire si elle résulte de facteurs temporaires ou de facteurs permanents. Si elles devaient être le seul moyen de répondre aux modifications des conditions extérieures jusqu'à ce que l'ampleur et la durée problable des modifications puissent être diagnostiquées de manière sûre et jusqu'à ce que des actions correctrices plus fondamentales puissent être entreprises sur la base du diagnostic, les réserves devraient, qui plus est, être très importantes, beaucoup plus importantes que si elles jouaient simplement le rôle qu'elles jouaient sous l'étalon-or classique. À l'exception peut-être des États-Unis, et même aux États-Unis seulement aussi longtemps que l'or restera une monnaie internationale acceptable, les réserves n'ont nulle part cette importance. Dans ces circonstances, une tendance existe à accumuler des réserves trop importantes pour le simple confort de l'esprit, mais pas assez importantes pour mener une action raisonnée. Des mesures correctrices sont retardées dans l'espoir que les choses se corrigeront par elles-mêmes, et ce jusqu'à ce que l'état des réserves rende obligatoires des procédures drastiques très souvent mal conçues.
(1) Dans le cadre d'un pur étalon or, ces effets suivraient immédiatement, dans la mesure où toute revendication internationale non réglée autrement se trouverait réglée par l'or qui, en cas de déficit, se trouve extrait physiquement du stock monétaire et en cas d'excédent, ajouté physiquement à celui-ci.
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1.5
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Une comparaison
L'une ou l'autre des méthodes d'ajustement que nous venons de décrire doit être utilisée pour répondre aux modifications des conditions affectant le commerce extérieur; c'est inévitable, sauf à prévoir l'élimination complète du commerce extérieur, et même cette élimination ne serait en fait qu'une forme extrême de contrôle direct sur les importations et les exportations. Sur la base des analyses menées jusqu'ici, des taux de change flexibles semblent clairement la technique d'ajustement la mieux adaptée aux conditions courantes; le recours aux réserves n'est pas en lui-même un instrument utilisable ; les contrôles directs sont inefficaces, et, je me risque à le prédire, se révéleront toujours inefficaces dans une société libre; les modifications des prix et des revenus intérieurs sont indésirables en raison des rigidités des prix intérieurs, tout spécialement des salaires, et de l'installation du pleinemploi - ou de l'indépendance de la politique monétaire intérieure - en position d'objectif essentiel de l'action politique. Les arguments en faveur des taux de change flexibles sont, ce qui est étrange à dire, presque identiques aux arguments en faveur de l'heure d'été. N'est-il pas absurde de changer l'heure sur les pendules et les montres pendant l'été alors que le même résultat pourrait être atteint en incitant chaque individu à changer ses habitudes ? Tout ce qui serait requis serait que tout le monde accepte de venir à son bureau une heure plus tôt, de prendre son repas une heure plus tôt, etc. Or, à l'évidence, il est beaucoup plus simple de changer l'heure sur les pendules et les montres qui guident tous les hommes que de voir chaque individu modifier lui-même son modèle de réaction aux pendules et aux montres, et ce même si chacun d'eux se déclare prêt à le faire. La situation est exactement la même sur le marché des changes. Il est beaucoup plus simple de permettre à un prix de se modifier, en l'occurrence le prix des monnaies étrangères, que de s'appuyer sur les modifications des multiples prix qui, tous ensemble, constituent la structure des prix intérieurs. ~
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2. OBJECTIONS AUX TAUX DE CHANGE FLEXIBLES
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Trois objections majeures ont été émises à l'encontre de la proposition
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ensuite, que les taux de change flexibles ne fonctionneront pas parce qu'ils provoqueront des modifications compensatoires des prix intérieurs ; enfin, .§. que les taux de change flexibles ne produiront pas le meilleur rythme d'adap~ tation. La première objection prend de nombreuses formes différentes, et § mieux vaudra pour des raisons de clarté aborder certaines de celles-ci séparé~ ment, quand bien même cela impliquera divers recoupements.
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2.1
THÉORIE DU CHANGE ET DE ~ÉTALON
Taux de change flexibles et incertitude
1. Les taux de change flexibles signifient l'instabilité plutôt que la stabilité
Au niveau simple auquel cette objection est fréquemment énoncée, elle implique l'erreur d'ores et déjà mentionnée qui consiste à confondre le symptôme des difficultés avec les difficultés elles-mêmes. Un taux de change flexible n'est pas obligatoirement un taux de change instable. Si c'est le cas, c'est essentiellement parce qu'il existe une instabilité sous-jacente aux conditions économiques régissant le commerce international. Et un taux de change rigide peut, tout en étant lui-même nominalement stable, perpétuer et accentuer d'autres éléments d'instabilité dans l'économie. Le simple fait qu'un taux de change officiel rigide ne change pas alors qu'un taux flexible le fait n'est pas une preuve que le premier implique en quoi que ce soit une plus grande stabilité. Ce pour les raisons examinées dans le point qui suit. 2. Les taux de change flexibles empêchent les exportateurs et les importateurs d'être certains des prix qu'ils auront à payer ou du montant qu'ils recevront dans les échanges avec l'étranger
Dans un cadre de taux de change flexibles, les négociants peuvent presque toujours se protéger contre les modifications des taux en se couvrant sur le marché à terme. Des marchés à terme de devises étrangères se développent immédiatement lorsque les taux de change sont flexibles. Toute l'incertitude concernant les profits se trouve alors supportée par les spéculateurs. Le maximum qu'on puisse dire concernant cet argument à partir de' là est que les taux de change flexibles imposent un coût de couverture aux commerçants, en l'occurrence, le prix qui doit être payé au spéculateur pour qu'il assume les risques de modifications futures des taux de change. Mais c'est là dire encore beaucoup trop. La substitution de taux de change flexibles aux taux de chance rigides modifie la forme sous laquelle l'incertitude se manifeste sur le marché des changes; elle ne peut pas augmenter l'incertitude et peut même la faire décroître. Par exemple, les conditions qui pourraient conduire à une baisse dans un cadre de taux de change flexibles produiraient une pénurie de devises avec un taux de change rigide. Cela en retour conduirait ou bien à des ajustements intérieurs d'un caractère incertain, ou à une distribution administrative des devises. Les commerçants seraient alors certains du taux, mais incertains concernant les conditions internes ou la disponibilité de devises. L'incertitude pourrait être abolie pour certaines transactions par des promesses faites à l'avance par les autorités dispensant les devises ; elle ne pourrait être abolie pour toutes les transactions étant donné l'incertitude concernant le montant total de devises disponibles; la réduction de l'incertitude pour certaines transactions impliquerait par conséquent une incertitude accrue pour d'autres transactions dans la mesure où tous les risques seraient désormais concentres sur celles-ci. Qui plus est, les distributions administratives de devises sont toujours entourées d'une incertitude concernant la politique qui sera suivie.
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Rien ne pennet de dire laquelle de l'incertitude associée à un taux flexible ou de celle associée à un taux rigide est susceptible d'être la plus perturbatrice pour le commerce. 3. La spéculation sur les marchés des changes tend à être déstabilisatrice
Cet argument est, bien sûr, étroitement relié à l'argument précédent. Il est communément avancé que les spéculateurs considéreront une baisse présente des taux de change comme le signal d'une baisse destinée à se poursuivre, et auront donc tendance à rendre les mouvements dans les taux de change plus amples qu'ils ne l'auraient été en l'absence de spéculation. Ce qui est craint, sur ces bases, est qu'une fuite des capitaux ne vienne répondre à l'incertitude politique ou aux mouvements dans les taux de change. Même si l'avis contraire prévaut, je ne pense pas que la spéculation sur le marché des changes soit déstabilisatrice. Les données qu'on peut tirer de certaines expériences précédentes et des marchés monétaires libres existant aujourd'hui en Suisse, à Tanger et ailleurs, quand bien même elles n'ont pas encore été analysées avec suffisamment de précision pour que des conclusions définitives en soient tirées, semblent montrer que, d'une manière générale, la spéculation est plutôt stabilisatrice. Ceux qui affinnent que la spéculation est déstabilisatrice discernent rarement que, dans la mesure où la spéculation ne peut être déstabilisatrice que si les spéculateurs en moyenne vendent lorsque la monnaie est à un prix bas et achètent lorsqu'elle est à un prix élevé, cela équivaut à dire en substance que les spéculateurs perdent de l'argent(l). Il ne s'ensuit pas, bien sur, que la spéculation ne peut jamais avoir d'effets déstabilisateurs ; les spéculateurs professionnels peuvent en moyenne gagner de l'argent alors qu'à côté d'eux, les amateurs perdent régulièrement des sommes importantes. Mais si une déstabilisation est possible, on ne peut dire qu'elle est probable. Et mieux vaut dire qu'elle est improbable.
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Pour énoncer les mêmes choses d'une manière différente, disons que si la spéculation avait le plus souvent un effet déstabilisateur, une institution étatique telle le fonds d'égalisation des changes en Grande-Bretagne dans les années 30 aurait pu gagner beaucoup d'argent en spéculant sur les changes et éliminer ainsi presque complètement la spéculation déstabilisatrice. Supposer que la spéculation par les États serait profitable équivaudrait par ailleurs globalement à supposer que les agents de l'État risquant des fonds qui ne sont pas les leurs sont de meilleurs juges de la probabilité des fluctuations sur les marchés des changes que les individus privés risquant leurs propres fonds.
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(1) Peut-être faut-il dire là qu'il s'agit d'une généralisation simple d'un problème complexe.
Une analyse pleine et entière sépare difficilement les transactions «spéculatives» des autres transactions, a du mal à définir précisément et de manière satisfaisante la « spéculation déstabilisante », et tout autant de mal à distinguer les effets de la simple existence d'un système de taux flexible des effets de transactions spéculatives menées au sein d'un tel système.
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La croyance largement répandue que la spéculation est potentiellement déstabilisatrice est sans aucun doute l'une des justifications essentielles du rejet du système de changes flexibles dans l'immédiat après-guerre. Cette croyance ne semble néanmoins pas fondée sur la moindre analyse systématique des données empiriques disponibles (1). Elle me semble reposer plutôt sur une interprétation beaucoup trop simple des mouvements de la monnaie dite « chaude» au cours des années trente. À cette époque, tout mouvement spéculatif qui faisait craindre la dépréciation d'une monnaie (c'est-à-dire qui faisait craindre une modification des taux de change) était considéré comme déstabilisateur, et était donc traité ainsi. Si on réexamine la situation aujourd'hui, il est clair que les spéculateurs avaient« raison» ; que des forces étaient à l' œuvre qui rendaient inéluctable la dépréciation de la plupart des monnaies européennes par rapport au dollar indépendamment de l'activité spéculative; que les mouvements spéculatifs anticipaient cette dépréciation, et qu'il y a donc au moins autant de raisons de les dire « stabilisateurs» que de les dire « déstabilisateurs ». L'interprétation des données sur ces plans s'est en outre trouvée brouillée par une incapacité à comprendre la différence entre un système de taux de change temporairement rigides, mais sujet à des modifications périodiques par intervention de l'État, et uIi système de taux de change flexibles. Nombre des mouvements de capitaux considérés comme montrant que la spéculation dans (1) La tentative la plus ambitieuse de résumer les données est peut-être celle de Ragnar Nurkse, International Currency Experience, Genève, Ligue des nations, 1944, p. 117-22. Nurkse conclut de l'expérience de l'entre-deux-guerres que la spéculation peut être généralement considérée comme déstabilisatrice. Néanmoins, les données qu'il cite sont suffisantes pour justififier une conclusion. Nurkse n'examine qu'un seul épisode de manière véritablement détaillée: la dépréciation du franc français de 1922 à 1926. Pour le reste, il se contente de dresser la liste des épisodes au cours desquels les taux de change étaient flexibles et affirme que dans chaque cas la spéculation a été destabilisatrice. Ces épisodes peuvent peut-être venir à l'appui de sa conclusion; il est impossible de le dire à partir de l'analyse qu'il en fait; et la liste est très sélective puisqu'elle exclut certains cas qui semblent de prime abord aller dans la direction opposée. Même en ce qui concerne l'épisode français, les données présentées par Nurkse ne justifient pas la moindre conclusion ferme. En fait, vues les connaissances dont on dispose, cet épisode lui-même me semble clairement favorable à la conclusion tirée par Nurkse, la spéculation était déstabilisatrice, qu'à la conclusion opposée, la spéculation était stabilisatrice. D'une manière générale, l'analyse menée par Nurkse des effets de la spéculation est très insastisfaisante. En certains passages, il semble considérer toute transaction qui ébranle la valeur existante d'une monnaie comme déstabilisatrice, même si les forces sous-jacentes sont en position de produire une modification de valeur en l'absence de spéculation. Dans un paragraphe, il affirme que des transactions déstabilisatrices peuvent toucher tout à la fois et simultanément le compte de capital et le compte courant, ce dans un contexte dans lequel ces deux comptes épuisent la balance des paiements, ce qui fait que son affirmation est une impossibilité arithmétique (p. 210-211). Le fait que l'analyse de Nurkse soit si souvent citée comme « le » fondement ou la « preuve» de ce que la spéculation est déstabilisatrice ne peut que mener à s'interroger avec tristesse sur les fondements scientifiques de certaines conceptions économiques pourtant très répandues.
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les changes est déstabilisatrice ont été stimulés par l'existence de taux rigides sujets à modifications par intervention de l'Etat et doivent être attribués essentiellement à l'absence de flexibilité des taux, et donc à l'absence de toute incitation à éviter les mouvements de capitaux. Cela est également vrai de l'expérience de l'après-Deuxième Guerre mondiale et des mouvements importants de va-et-vient dans les positions de paiements étrangers. Pour les raisons notées plus haut, cette expérience n'a rien à nous apprendre concernant le caractère des mouvements spéculatifs à même de survenir dans un cadre de taux de change authentiquement flexibles. 4. Les taux de change flexibles impliquent une incertitude accrue au sein de l'économie intérieure Dans de nombreux pays, est-il affirmé, la peur de l'inflation est grande, et les gens en sont venus à considérer les taux de change comme un indicateur d'inflation, ce qui les rend très sensibles aux fluctuations susceptibles d'affecter ceux-ci. Les crises monétaires à même de survenir dans un cadre de taux de change rigides passent inaperçues, continue l'argument, excepté pour les gens directement impliqués dans le commerce international, alors qu'une baisse des taux de change attirerait l'attention, serait considérée comme le signal d'une inflation à venir, et susciterait des mouvements anticipatoires dans la population en général. Des taux de change flexibles sont donc susceptibles non seulement de modifier la forme sous laquelle l'incertitude se manifeste, mais de produire une incertitude supplémentaire. Cet argument n'est pas totalement dépourvu de fondements, mais il ne me semble pas constituer une raison substantielle pour éviter des taux de change flexibles. Ses implications sont plutôt qu'en une période où les taux de change des monnaies européennes par rapport au dollar sont susceptibles de varier modérément, et en certains cas de monter, il serait souhaitable de procéder à une transition vers des taux flexibles. Il serait désirable, en outre, d'accompagner la transition par une intervention monétaire prompte destinée à contrer toute réaction intérieure. Une crainte de l'inflation ne risque guère de produire de l'inflation, sauf dans un environnement monétaire favorable. Une démonstration de ce que la crainte de l'inflation est sans fondement, et une expérience de l'absence de relation directe et immédiate entre les mouvements au jour le jour des taux de change et les prix intérieurs, ramèneraient très rapidement à des proportions négligeables tout accroissement de l'incertitude sur les marchés intérieurs susceptible de résulter de taux de change flexibles et néanmoins relativement stables. La dissémination large de l'idée ,!,! go selon laquelle une baisse substantielle du taux de change est un symptôme ou g un catalyseur d'inflation ne serait pas, en ce contexte, radicalement mauvaise. Elle signifierait que des taux de change flexibles fourniraient une forme de j garde-fou à l'encontre d'une politique intérieure très inflationniste.
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~ Un argument qui se situe presque à l'opposé de celui-ci se trouve lui aussi " quelquefois énoncé à l'encontre des taux de change flexibles. Cet argument
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dit qu'avec des taux de change flexibles, les États seront moins incités, et en moins bonne position pour prendre des mesures fermes aux fins de lutter contre l'inflation. Des taux de change rigides, poursuit l'argument, donnent à l'État un emblème de combat -l'État peut porter haut l'oriflamme d'un taux de change donné et résister au nom de la défense du taux de change aux pressions politiques incitant à agir de manière inflationniste -. Les crises monétaires, lorsqu'elle surviennent, créent une atmosphère en laquelle une action drastique mais impopulaire est possible. Avec un taux de change flexible, il n'y a par contre pas de base à défendre; l'action inflationniste implique simplement une baisse du taux de change mais pas de crise dramatique, et les gens sont peu affectés par une modification d'un prix, le taux de change, sur un marché qui ne conceme directement qu'un petit nombre de personnes. Il n'est pas impossible, bien sûr, que les deux arguments soient valides -le premier pour des pays comme l'Allemagne qui ont récemment connu des situations d'hyperinflation et de fluctuations violentes du taux de change, le second pour des pays comme la Grande-Bretagne qui n'ont pas connu de situation de ce genre -. Mais même dans des pays comme la Grande-Bretagne, rien n'indique vraiment que des taux de change rigides sont beaucoup plus à même que des taux de change flexibles de conduire, dans les conditions présentes, à une politique économique intérieure non inflationniste. Des taux de change rigides étouffent toute manifestation immédiate de la détérioration de la position du pays dans les paiements internationaux à même de résulter d'une politique intérieure inflationniste. Avec un étalon monétaire indépendant, la perte de réserves de change ne fait pas automatiquement baisser les réserves monétaires ou n'interdit pas qu'elles continuent à croître; elle réduit temporairement néanmoins la pression inflationniste intérieure en fournissant des marchandises contre les réserves de change sans création simultanée de revenus intérieurs. La détérioration ne se manifeste qu'un peu plus tard, dans les statistiques décrivant l'état des réserves monétaires. Même en ce cas, les dirigeants dans le monde moderne ont l'alternative - ou pensent qu'ils ont l'alternative -, de supprimer un déficit par des contrôles directs plus draconiens et de retarder un peu plus longtemps encore la nécessité de prendre les mesures intérieures appropriées; et ils peuvent toujours trouver des raisons autres que leur politique intérieure pour expliquer la détérioration. Si les possibilités d'utiliser les contrôles directs ou de trouver des excuses plausibles sont également présentes avec des taux de change flexibles, au moins la détérioration dans la position des paiements se révèle-t-elle plus rapidement, et d'une façon plus immédiatement compréhensible, sous la forme d'une baisse des taux de change et aucune urgence, aucune baisse soudain révélée des réserves monétaires à un niveau dangereux, n'est alors présente pour justifier que soient imposés des contrôles directs qualifiés d'« inévitables ». Ces arguments sont les versions modernes d'un argument qui n'a plus guère de fondement, mais qui fut autrefois une objection valide et puissante aux taux de change flexibles, à savoir les plus grandes possibilités qu'ils offrent à
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l'État de« trafiquer» la monnaie. Lorsque les taux de change rigides étaient pris au sérieux, et lorsque l'arsenal des contrôles directs sur le commerce international n'avait pas encore été mis en œuvre, le maintien de taux rigides laissait peu de latitude pour mener une politique monétaire intérieure indépendante. C'était la grande vertu de l'étalon or, et la source cachée, mais essentielle, de son pouvoir émotionnel; cela constituait un garde-fou efficace contre l'hyperinflation, contre les interventions de l'État du type de celles qui avaient de nombreuses fois conduit à la dépréciation et à la dévaluation de monnaies autrefois fortes. Cet argument peut toujours être une source de résistance émotionnelle aux taux de change flexibles ; il est néanmoins clair qu'il n'a plus lieu d'être. Les États des pays « avancés» ne veulent plus se soumettre à la rude discipline de l'étalon or ou de tout autre étalon impliquant des taux de change rigides. Ils contournent cette discipline en recourant à des contrôles directs sur le commerce, et préfèrent en cas de nécessité devoir modifier les taux de change plutôt que d'abandonner le contrôle sur leur politique monétaire intérieure. Peut-être que quelques inflations modernes créeront un climat dans lequel de tels comportements ne pourront plus être qualifiés d'« avancés» ; en attendant, mieux vaudrait reconnaître la nécessité que les taux de change s'ajustent aux politiques intérieures et non l'inverse.
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Les taux de change flexibles et les prix intérieurs
Si je viens d'utiliser la primauté de la politique intérieure comme un argument en faveur des taux de change flexibles, cette même primauté a aussi été utilisée comme un argument en leur défaveur. Comme nous l'avons vu, les taux de change flexibles favorisent les ajustements aux modifications des circonstances extérieures en produisant des modifications dans les relations entre les prix des marchandises étrangères et les prix des marchandises intérieures. Une baisse du taux de change produite par un déficit naissant dans la balance des paiements tend à rendre les prix des marchandises étrangères libellés en monnaie nationale plus élevés qu'ils ne l'auraient été sans cela. Dans la mesure où les prix intérieurs ne sont pas affectés - ou moins affectés - il en résulte un prix plus élevé des marchandises étrangères par rapport aux marchandises intérieures, ce qui stimule les exportations et décourage les importations. La hausse des prix des marchandises étrangères, est-il affirmé sur ces bases, signifie une hausse du coût de la vie, et celle-ci donne naissance à des revendications de hausse des salaires, ce qui enclenche le processus nommé «spirale prix-salaires» - un terme suffisamment impressionnant pour dissimu 1er le vide de l'argumentation -. En ces conditions, le prix des marchandises intérieures s'élève autant que les prix des marchandises étrangères, les prix relatifs restent inchangés, et il n' y a pas de forces de marché
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fonctionnant vers l'élimination du déficit qui a, à l'origine, provoqué la baisse du taux de change. Des baisses ultérieures du taux de change sont dès lors inévitables jusqu'à ce que des forces extérieures au marché entrent en jeu. Mais celles-ci auraient fort bien pu avoir été utilisées avant plutôt qu'après la baisse du taux de change. Cet argument, dirai-je, ne s'applique qu'à des circonstances très spéciales. Au mieux, il peut constituer une objection valant pour un pays donné permettant à un moment donné à sa monnaie de flotter; il ne constitue pas une objection générale à un système de taux de change flexibles en tant que structure à long terme. Il ne s'applique pas aux circonstances favorisant l'appréciation d'une monnaie et s'applique seulement à certaines circonstances favorisant une dépréciation. Supposons, par exemple, que la tendance au déficit dans un pays soit produite par une déflation monétaire survenant dans d'autres pays. La dépréciation de la monnaie empêcherait que la chute des prix extérieurs se trouve transmise au pays en question; elle empêcherait les prix des marchandises étrangères de se trouver tirés vers le bas en termes de monnaie intérieure. S'ils ne conduisent pas de façon absolue à éliminer les effets d'une baisse du revenu «réel» dans d'autres pays, les taux de change flexibles interdisent que ces effets se trouvent amplifiés par des perturbations monétaires. De même, l'argument est peu approprié si la baisse du taux de change reflète un mouvement inflationniste enclenché à l'intérieur du pays ; la dépréciation de la monnaie est alors le résultat évident de l'inflation bien plus que sa cause. L'argument est peut-être plus approprié dans deux cas seulement: une situation où l'inflation est réprimée par des contrôles directs, ou une situation où la dépréciation de la monnaie se trouve produite par une modification des conditions «réelles» du commerce. Même dans ces cas cependant, l'argument ne peut être considéré comme pleinement valide. L'erreur essentielle en lui tient à la soi-disant « spirale prix-salaires ». La hausse des prix des marchandises étrangères peut s'ajouter à la liste toujours longue des prétextes à même de justifier les hausses de salaires; elle ne crée pas par elle-même les conditions économiques d'une hausse des salaires - en tout cas d'une hausse des salaires sans chômage -. Une hausse générale des salaires - ou une hausse générale des prix intérieurs - ne devient possible que si les autorités monétaires créent la monnaie supplémentaire requise pour financer la hausse du niveau des prix (1). Or, si les autorités monétaires sont prêtes à valider ainsi toute hausse de prix ou de salaires spécifiques, la situation est fondamentalement instable sans une modification des taux de change dans la mesure où une hausse des salaires (1) En principe, il existe d'autres possibilités, liées à la «vitesse de circulation» de la
monnaie, que je laisse ici de côté pour simplifier l'argumentation; ces possibilités ne changent rien à l'essence de celle-ci.
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pour quelque motif que ce soit aurait des conséquences similaires. Le postulat de base est qu'en une telle situation, le demandeur se verra toujours donner ce qu'il demande, et il n'y a jamais pénurie de demandes dans ce genre de situations. Certains répondront qu'une instabilité intérieure de cet ordre peut se trouver maîtrisée par divers types de compromis politiques et que ces compromis se trouveraient perturbés par la modification des taux de change. Ce type de propos est un sous-produit de l'argument général examiné plus haut selon lequel l'État est plus à même de résister aux pressions politiques incitant à des actions inflationnistes s'il brandit l'oriflamme d'un taux de change rigide que s'il laisse le taux de change flotter. Et on pourrait rétorquer que les forces conduisant à ùne modification du taux de change ne sont pas éliminées par le gel du taux de change ; les devises étrangères devront se trouver acquises ou économisées d'une manière ou d'une autre. L'ajustement «réel» devra s'effectuer d'une manière ou d'une autre; la question est seulement de savoir comment. Pourquoi l'ajustement par la modification des taux de change serait-il plus nuisible aux compromis politiques que d'autres? Et si même cela se révélait exact à un moment donné et dans des circonstances données, pourquoi devrait-on en déduire que cela pourrait être exact encore au-delà de ce moment et de ces circonstances? Si, comme nous l'avons affirmé, les taux de change flexibles sont la façon la moins coûteuse d'effectuer l'ajustement, d'autres méthodes ne seraient-elles pas plus à même encore de détruire des compromis politiques fragiles?
2.3
Les taux de change flexibles et le temps d'ajustement
L'ajustement final à une modification des circonstances extérieures consiste en une modification de l'allocation des ressources productives et en une modification de l'assortiment des marchandises disponibles pour la consommation. Mais cette seconde modification ne se réalise pas immédiatement. Il faut du temps pour passer de la production de marchandises pour la consommation intérieure à la production de marchandises pour l'exportation, ou ,~ l'inverse; il faut du temps pour établir de nouveaux marchés à l'étranger ou o§ pour persuader les consommateurs de substituer une marchandise étrangère à ~ une marchandise intérieure à laquelle ils sont habitués; et ainsi de suite à § ~ l'infini. Le temps requis peut varier grandement: certains types d'adaptation 0g. peuvent s'opérer de manière instantanée (par exemple, la baisse des achats de § fromage importé en raison d'une hausse du prix, encore que la hausse de prix -aj requise pour que s'opère une baisse des achats donnée sera plus importante dans un premier temps qu'après que les gens aient eu la possibilité d'adapter leur structure habituelle de consommation aux nouveaux prix), d'autres types d'adaptation peuvent prendre une génération (par exemple, le développement
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d'un nouveau secteur industriel intérieur destiné à produire des marchandises auparavant importées). Supposons qu'une modification substantielle des circonstances extérieures (réelles) survienne et, pour ne pas compliquer les choses, que ces circonstances ensuite restent inchangées pour une longue période, de sorte qu'on puisse (conceptuellement) isoler l'adaptation à cette seule modification. Supposons en outre que les taux de change soient flexibles et que les transactions internationales de « capital» ou de « spéculation» soient impossibles, de sorte que le paiement des comptes courants doive être équilibré - une condition difficile à définir précisément par rapport à la réalité observable -. Il est clair que la modification initiale du taux de change sera plus importante que la modification ultime requise, car tous les ajustements devront dans un premier temps être supportés par les secteurs dans lesquels un ajustement rapide est possible et relativement facile. À mesure que le temps passera, les ajustements lents s'opéreront aussi, ce qui permettra au taux de change de rebondir vers une position finale qui se situera entre la position précédant la modification extérieure et la position immédiatement après la modification extérieure. Il s'agit là, bien sûr, d'une image très simplifiée des choses: la marche effective vers l'ajustement pourra impliquer qu'on vise au-dessus ou au-dessous de la position finale, ce qui donnera naissance à une série de cycles autour de celle-ci ou à divers autres traits. On entre là dans une zone de l'économie où nos connaissances sont très limitées, et il est heureux qu'une analyse précise du processus ne soit pas essentielle pour notre propos. Dans de semblables circonstances, il pourrait être dans l'intérêt de la société de payer pour éviter certains des ajustements temporaires initiaux: si le taux de change se déprécie, d'emprunter à l'étranger au taux d'intérêt courant de façon à payer l'excès d'importation survenant pendant que les ajustements prennent place plutôt que de procéder aux ajustements immédiats pleins et entiers en réduisant les importations qui peuvent être immédiatement réduites et en accroissant les exportations qui peuvent être immédiatement accrues; si le taux change s'apprécie, d'emprunter à l'étranger au taux de change courant de façon à financer l'excès d'exportation survenant pendant que les ajustements lents prennent place plutôt que procéder aux ajustements immédiats pleins et entiers en augmentant les importations qui peuvent être immédiatement augmentées et en réduisant les exportations qui peuvent être immédiatement réduites. Il serait néanmoins néfaste de procéder ainsi indéfiniment, même si c'était possible. Car si ce type d'opération était mené jusqu'au point où le taux de change resterait inchangé, aucun autre ajustement ne pourrait s'opérer. Les modifications des circonstances extérieures impliquent une nouvelle allocation de ressources productives et un nouvel assortiment de marchandises qui sont optimaux pour le pays concerné. Ce qui veut dire qu'il existe un rythme optimal d'ajustement par le biais des modifications induites par les taux de
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change qui ne se situe ni à l'extrême constitué par l'ajustement immédiat plein et entier, ni à l'autre extrême, la tentative d'éviter complètement l'ajustement.
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Sous un système de taux de change flexibles, à condition qu'existe un marché des changes libre et relativement important et que les prévisions des spéculateurs soient correctes, un tel rythme d'ajustement se trouve produit, même s'il n'y a pas négociation explicite de prêts étrangers. Si par exemple le taux de change se déprécie, la tendance à ce que le taux de change se déprécie davantage dans un premier temps qu'ultérieurement offre une possibilité de faire du profit en achetant de la monnaie immédiatement et en la revendant plus tard à un prix plus élevé. Ce qui est l'équivalent précis des prêts faits par les spéculateurs à un pays dont la monnaie se déprécie. Le profit possible pour les spéculateurs est égal au taux auquel la monnaie qu'ils détiennent s'apprécie, et sur un marché libre avec des prévisions correctes, ce profit possible pour eux tend, compte tenu des coûts mineurs d'achats ou de vente de devises étrangères, à approcher le taux d'intérêt qu'ils pourraient gagner autrement. Si la monnaie s'apprécie de davantage que ce taux, les spéculateurs ont une incitation à augmenter leurs avoirs; si elle s'apprécie de moins que ce taux, cela coûte plus aux spéculateurs en intérêts dus pour maintenir l'équilibre que ce qu'ils gagnent dans l'appréciation du taux de change. La spéculation dans un cadre de taux de change flexibles produit donc le même effet que le recours explicite à l'emprunt par un pays dont la monnaie se déprécie, ou que le recours explicite au prêt par un pays dont la monnaie s'apprécie. En pratique bien sûr, il y aura tout à la fois des prêts et des emprunts implicites et des prêts et des emprunts explicites par le biais de la spéculation sur les changes. La perspective d'appréciation d'une monnaie équivaut à un taux d'intérêt plus élevé pour des prêts au pays et joue le même rôle de moyen d'attraction de capitaux vers le pays que la hausse des taux d'intérêt qui s'opérait sous l'étalon-or lorsqu'un pays perdait de l'or. Il y a cependant une différence importante: dans le cadre de taux de change flexibles, l'incitation offerte à des prêteurs étrangers n'a pas à impliquer de modifications des taux d'intérêt pour les prêts intérieurs; alors que c'est le cas sous l'étalon-or - ce qui montre bien l'indépendance de la politique monétaire intérieure dans le cadre de taux de change flexibles -.
Le rythme d'ajustement ainsi atteint dans un cadre de taux de change flexi'"oc: bles est-il une approximation de l'optimum? C'est une question à laquelle il c: est extrêmement difficile de répondre, la réponse dépendant du fait de savoir -go si le taux d'intérêt implicitement payé sous la forme de l'appréciation ou de la dépréciation de la monnaie reflète les coûts entiers d'ajustement trop - rapides ou trop lents.Tout ce qu'on peut dire sans procéder à une analyse plus j approfondie est que rien ne permet de penser que le rythme de l'ajustement dans les conditions supposées puisse s'écarter fortement de l'optimum, et que rien ne permet de penser non plus que d'autres techniques d'adaptation .9 ::l
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- modification des prix intérieurs, contrôles directs, ou utilisation des réserves monétaires dans le cadre de taux de change rigides - conduiraient à un rythme d'ajustement plus proche de l'optimum. Ce que nous venons d'écrire serait probablement reconnu par la plupart des personnes qui considèrent que les taux de change flexibles conduiraient à un rythme d'ajustement indésirable. Mais ces personnes maintiendraient que le marché des changes n'est pas aussi parfait ou la prévision des spéculateurs aussi bonne que nous le supposons. L'argument d'ores et déjà examiné, selon lequel la spéculation dans les changes est déstabilisatrice constitue une forme extrême de cette objection. Dans le cas présent, la modification immédiate des taux de change doit aller assez loin pour produire une adaptation immédiate permettant non seulement d'équilibrer les transactions courantes, mais aussi de fournir des paiements monnaie étrangère pour les soldes de la monnaie nationale que les spéculateurs tentent de liquider lorsque le taux de change s'abaisse, ou de fournir la monnaie nationale pour les soldes que les spéculateurs persistent à accumuler lorsque le taux de change s'élève. Le pays, pourrait-on dire, prête lorsqu'il devrait emprunter, et emprunte lorsqu'il devrait prêter. Sans aller aussi loin, certains disent que la spéculation peut être stabilisatrice dans l'ensemble, et que néanmoins le marché des changes est si étroit, la prévision si imparfaite et la spéculation privée si dominée par des considérations politiques sans pertinence sociale que l'aplanissement du processus d'ajustement tel qu'il s'opère est insuffisant. Pour que ce soit un argument valable contre les taux de change flexibles, encore faudrait-il qu'existe une alternative à même de permettre un meilleur rythme d'ajustement. Nous avons d'ores et déjà examiné plusieurs autres possibilités. Nous avons vu que les contrôles directs, les taux de change rigides et l'utilisation par l'État des réserves monétaires ont des défauts qui leur sont propres, au moins dans les conditions actuelles: ils sont à même de produire un rythme d'ajustement très erratique où alterneraient lenteur inutile et vitesse excessive; les contrôles directs sont en outre à même de produire le mauvais type d'ajustement. Les mouvements de capitaux privés s'opérant en réponse au différentiel de taux d'intérêt ont à une époque constitué une alternative réelle, mais la réticence des autorités monétaires à autoriser les modifications requises des taux d'intérêt, la perte de confiance dans le maintien durable de taux de change fixes, et la peur de restrictions imposées à l'utilisation du change les ont rendus inutilisables. Ils restent, cela dit et comme nous l'avons vu, disponibles, et tout aussi susceptibles de se produire dans le cadre de taux de change flexibles. L'acceptation large de la conception selon laquelle la spéculation dans les changes privés produit un aplanissement trop faible des fluctuations des taux de change dérive essentiellement, je pense, de la tendance implicite à considérer tout ralentissement du processus d'ajustement comme une amélioration; autrement dit de la propension à considérer qu'une absence d'ajuste-
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ment indéfiniment prolongé serait l'idéal (1). Cette acceptation est la contrepartie de la tendance à croire que la politique monétaire internationale peut et doit éviter tout ajustement intérieur dans le niveau de revenu (2). Et l'une et l'autre me semblent être les manifestations du désir de sécurité qui caractérise le monde moderne. Pourrait-on dire que ce désir de sécurité, dans la mesure où il suscite des mesures qui réduisent l'adaptabilité de notre système économique aux modifications sans éliminer les modifications elles-mêmes, est une source majeure d'insécurité?
3. PROBLÈMES SPÉCIFIQUES LIÉS À L'INSTAURATION ET À LA MISE EN ŒUVRE D'UN SYSTÈME DE TAUX DE CHANGE FLEXIBLES 3.1
Le rôle des États sur le marché des changes
L'argument selon lequel la spéculation dans les changes privés ne produira pas un aplanissement suffisant des fluctuations de change est quelquefois utilisé pour justifier non pas des taux de change rigides, mais une intervention large des États ou des agences internationales sur les marchés des changes aux fins d'éliminer les fluctuations mineures des taux de change et de contrer les fuites de capitaux (3). De telles interventions, il faut le noter, ne sont pas nécessaires au fonctionnement d'un système de taux de change flexibles; la question est donc uniquement de savoir si elles sont souhaitables. Des
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(1) On pourrait citer ici à titre d'exemple une argumentation en faveur des réserves bancaires de 100 % dans le cadre d'un étalon-or, présentée par James E. Meade dans The Balance of Payments, vol. 1 de The Theory of International Economic Policy, Oxford, Oxford University Press, 1951, p. 185. Meade soutient à juste titre qu'avec une réserve de 100 %, les adaptations intérieures qui suivraient une modification extérieure, quelle que soit son importance, s'opéreraient à un rythme plus lent qu'avec un taux de réserve plus bas. Sur cette base, dit-il, les réserves de 100 % sont meilleures que les réserves fractionnaires. Mais cette conclusion ne vaut que si tout ralentissement du rythme d'adaptation interne est une amélioration, auquel cas des réserves de 200 % ou leur équivalent «< la stérilisation» des importations et des exportations d'or) seraient meilleures que des réserves de 100 %, et ainsi de suite indéfiniment. Étant donné qu'il y a un taux optimum d'ajustement, tout ce qu'on peut dire est qu'i! existe des taux de réserves qui tendraient à produire ce taux d'ajustement et donc à être optimaux sur ces bases seules; je ne vois aucune possibilité de savoir sur la base des considérations que Meade énonce si ce taux devrait être 5 % ou 500%. (2) Voir Essais d'économie positive, chap.4, pour une analyse plus détaillée du problème formel impliqué dans la politique intérieure et la politique extérieure, et pour certains exemples de cette tendance. (3) Voir Meade, op. cit., p. 218-31.
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négociants privés, dirons-nous, pourraient acheter et vendre des devises à des prix déterminés entièrement par l'offre et la demande privées. Les arbitragistes aligneraient les taux croisés. Des marchés à terme apparaîtraient qui fourniraient des moyens de se couvrir. Des marchés de ce genre existent dès aujourd'hui partout où ils sont autorisés, et l'expérience montre qu'ils pourraient se développer rapidement au fur et à mesure que les zones dans lesquelles ils sont autorisés s'élargiraient. Évaluer la désirabilité de l'intervention de l'État implique que soient posées deux questions distinctes (1): d'abord, quelles restrictions à l'action des États peut-on considérer comme désirables dans le cadre d'un accord international censé instaurer un système de taux de change flexibles; ensuite, quel est sur ce plan pour un pays individuellement considéré, le comportement le plus désirable et le plus conforme à ses propres intérêts? D'un point de vue international, l'exigence essentielle est que les États n'utilisent pas les restrictions sur le commerce de quelque façon que ce soit pour protéger leurs taux de change. S'ils désirent utiliser leurs réserves pour spéculer sur le marché des changes, c'est essentiellement leur affaire, à condition qu'ils n'utilisent pas les armes du contrôle des changes, des restrictions sur le commerce et de quoi que ce soit qui y ressemble pour protéger leur activité spéculative. S'ils gagnent de l'argent dans la spéculation sur les changes sans utiliser de telles armes, ils jouent un rôle social utile dans la mesure où ils atténuent les fluctuations temporaires. S'ils perdent de l'argent, ils font des cadeaux à d'autres spéculateurs ou négociants, et le coût essentiel - même si ce n'est pas le coût total - est à leur charge. D'un point de vue national, il me semble indésirable qu'un État s'engage dans des transactions sur le marché des changes aux fins d'affecter le taux de change. Je ne vois pas de raisons d'attendre que les agents de l'État soient meilleurs juges que les spéculateurs privés pour ce qui concerne les mouvements à même de survenir dans les conditions sous-jacentes du commerce, et par conséquent pas de raison d'attendre que les spéculations étatiques soient plus à même que la spéculation privée de favoriser l'émergence d'un rythme d'ajustement désirable. Tout permet de s'attendre par contre à ce qu'un marché des changes très large se développe et à ce que la participation de l'État ne soit pas nécessaire à l'existence d'une spéculation suffisante. Un des désavantages de la spéculation de l'État est le danger que les autorités de l'État, opérant sous des pressions politiques fortes, essaient de stabiliser le taux de change, et transforment donc un système de taux de change flexibles en un système de taux rigides sujet à des modifications périodiques par intervention officielle. Même si cela ne se produisait pas, le simple fait que ce soit possible serait à même d'entraver le plein développement d'un marché privé. (1) Je dois cette distinction à Robert Triffin.
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On ne peut néanmoins pas être dogmatique sur cette question. Il se peut que la spéculation privée soit parfois déstabilisatrice pour des raisons qui ne mèneraient pas la spéculation étatique à être déstabilisatrice, par exemple, les agents de l'État peuvent avoir accès à des informations qui ne peuvent être immédiatement mises à la disposition des spéculateurs privés pour des raisons de sécurité, ou d'autres raisons du même ordre. Dans tous les cas, le fait qu'une agence de l'État spécule sur le marché des changes n'aurait rien de négatif pourvu qu'elle s'en tienne à l'objectif d'adoucir les fluctuations temporaires et de ne pas interférer avec les ajustements fondamentaux. Et il pourrait y avoir un critère simple de succès - savoir si l'agence gagne ou perd de l'argent. Une nuance peut-être apportée à cette conclusion globalement négative concernant la désirabilité de l'intervention de l'État: on peut défendre l'idée d'une spéculation de l'État venant répondre à une fuite des capitaux suscitée par une menace d'invasion couronnée de succès d'un pays par un autre, et cela même si les individus privés évaluent correctement la menace. Supposons que tout le monde s'accorde sur le fait qu'il existe, disons, une chance sur quatre que l'invasion soit couronnée de succès. Les individus pris séparément auront une forte incitation à retirer leurs capitaux du pays. Ils ne peuvent, bien sûr, dans l'ensemble procéder ainsi que s'ils peuvent envoyer des biens physiques hors du pays pour les stocker ailleurs ou s'ils peuvent obtenir d'étrangers qu'ils -leur achètent du capital physique (ou des titres à celui-ci) à l'intérieur du pays. En vendant à des étrangers, ils feront baisser le taux de change. Supposons maintenant que l'État possède des réserves en devises étrangères. Il peut transférer celles-ci à ses citoyens en rachetant sa propre monnaie et le taux de change à son niveau. Si l'invasion ne survient pas, les réserves en devises étrangères se trouveront rapatriées, l'État gagnera de l'argent. Si par contre l'invasion survient et est couronnée de succès, l'État perdra au sens comptable du terme, et la perte attendue sera plus grande que le gain attendu. L'État pourra considérer néanmoins que, tout étant perdu, s'il n'avait pas transféré ses réserves à ses citoyens, il serait forcé désormais de les donner à l'ennemi. 'al
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L'incitation pourra en ces conditions être différente pour l'État et pour ses citoyens individuellement considérés. Encore qu'il soit difficile de trancher. S'il Y a un espoir de résistance, l'État voudra mobiliser toutes les devises étrangères qu'il peut mobiliser pour les mettre au service de l'effort de guerre.
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3.2 Le rôle de l'Union européenne des paiements et du Fonds monétaire international dans un système de changes flexibles
B ~ -g:3 La transition vers des taux de change flexibles peut être organisée par étapes § et commencer d'abord avec l'introduction de taux de change flexibles et la ~ libre convertibilité à l'intérieur de l'Europe, accompagnées d'une séparation
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d'avec le dollar, pour continuer ultérieurement avec la libre convertibilité avec le dollar. Si on procédait ainsi, l'Union européenne des paiements garderait la fonction extrêmement importante de contrôler la séparation qui marque le premier stade. Lorsque la séparation se trouverait abolie, l'UEP perdrait sa fonction. Si elle n'était pas supprimée, le seul rôle qui pourrait lui rester serait celui d'institution de compensation de chèques et de corps consultatif susceptible de donner des conseils aux États et de préparer des rencontres internationales. On pourrait par ailleurs souligner qu'il n'y a rien dans les statuts de l'UEP qui pourrait vraiment faire obstacle à des taux de change flexibles. Les débits et les crédits pourraient parfaitement être calculés en termes de taux de change fluctuant au le jour le jour. Le seul coût serait la complication des calculs arithmétiques. Ces remarques peuvent s'appliquer aussi au Fonds monétaire international, avec cependant une différence importante. Les statuts du FMI sont conçus pour un monde où les taux de change sont déterminés par l'action de l'État et ne peuvent subir des modifications importantes qu'après consultation et discussion (des modifications de 10 % sont autorisées sans consultation). La décision d'adopter cette technique de détermination des taux de change est, me semble-t-il, l'erreur la plus importante de l'après-guerre dans le domaine de la politique économique internationale. L'adoption explicite d'un système de taux de change flexibles pourrait impliquer en ces conditions une réécriture des statuts du FMI. Des signes montrent, cela dit, que le FMI laisse de côté son insistance initiale sur le respect des parités annoncées. Il a ainsi très récemment accepté la décision du Canada de laisser flotter le dollar canadien - en stipulant, il est vrai, que cette décision devait être considérée comme un expédient temporaire dans l'attente qu'un taux de parité satisfaisant puisse être déterminé -. Si la volonté existe, il se peut fort bien que certains moyens puissent être trouvés permettant d'interpréter les présents statuts de telle façon qu'ils ne fassent plus obstacle à un système de taux flexible. Le succès apparent de l' expérience canadienne peut aider à forger cette volonté. Reste la question de savoir quelle fonction le FMI pourrait avoir dans un monde de taux flexibles. Comme on l'a laissé entendre plus haut, certains de ceux qui proposent des taux flexibles verraient bien le FMI jouer le rôle de fonds international d'égalisation des changes, spéculant sur le marché des changes avec pour objectif de gagner autant d'argent que possible. Cela ne me semble pas désirable; les doutes qu'on peut avoir quant à l'utilité d'un fonds d'égalisation national se trouvent multipliés lorsqu'il s'agit d'un fonds international, inéluctablement soumis à des pressions politiques émanant de nombreux États. Un tel fonds pourrait-il par exemple être en position de vendre de la monnaie se dépréciant d'un pays important sur la base de la
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certitude qu'une politique intérieure mal conçue est susceptible de conduire à une dépréciation plus forte encore? S'il ne se voit pas donné cette fonction, celles qui peuvent lui rester sont celle de pourvoyeur international de fonds à court terme sur la base de critères commerciaux, encore que je ne voie pas l'utilité d'une telle institution dans un monde où les monnaies sont pleinement convertibles ; celle de conseiller en matière de politique monétaire et fiscale; et, éventuellement, celle d'agence de compensation.
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Le rôle de l'or dans un système de taux de change flexibles
Un système de taux de change flexibles est incompatible avec l'existence dans plus d'un pays d'un prix nominal fixe de l'or et de la libre convertibilité de la monnaie en or et de l'or en monnaie. La contrepartie intérieure logique des taux de change flexibles est une monnaie fiduciaire stricte changeant quantitativement en fonction de règles conçues pour susciter la stabilité intérieure(1). L'or peut être utilisé en tant que «base» d'une telle monnaie, pourvu qu'il ne soit pas acheté et vendu à un prix fixe ; son rôle monétaire serait en ces conditions purement fictionnel et psychologique, et aurait pour seule finalité de susciter la « confiance ». Un prix fixe de l'or pourrait cependant se trouver maintenu dans un pays sans qu'il y ait interférence avec les taux de change flexibles. Les États-Unis aujourd'hui ont un tel prix fixe et pourraient le conserver. S'ils le font, d'autres pays pourraient utiliser l'or pour les paiements internationaux dans la mesure où cela équivaudrait à l'utilisation de dollars. Si les États-Unis achetaient de l'or d'une manière nette, ils seraient en position de fournir des dollars à d'autres pays, obtenant en retour de l'or qui s'ajouterait à celui conservé à Fort Knox; et inversement s'ils vendaient de l'or. Il semble qu'il n'y ait pas de raison pour que les États-Unis suivent cette politique. Il semble plus avantageux que toute l'aide dispensée en dollars puisse être donnée directement et ouvertement sur la base d'une autorisation législative explicite, sans que d'autres pays soient obligés d'utiliser leurs ressources pour acquérir de l'or, et finissent par l'extraire du sol seulement pour qu'il puisse être réenterré à Fort Knox .
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Une bien meilleure solution serait d'avoir un marché libre de l'or. Aucune raison ne justifie que les individus qui veulent détenir de l'or se voient de le " faire et que la spéculation sur l'or soit découragée. En pareil cas, l'or perdrait ':~§ sa position particulière dans les systèmes monétaires officiels et deviendrait ::. une marchandise comme les autres. Pendant quelque temps cependant, il ..5 resterait une marchandise plutôt spéciale, considérée comme un moyen très
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(1) Voir Essais d'économie positive, chap. 5, et infra. p. 45-83.
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sûr de garder une réserve de disponibilités - plus sûr en termes de valeur réelle que la plupart des monnaies nationales -. Son utilisation à cette fin permettrait de dissuader le recours à l'émission inflationniste de monnaie, la contrepartie étant néanmoins l'introduction d'un élément supplémentaire d'instabilité. Toute peur de l'inflation conduirait en effet à remplacer la monnaie par l'or, ce qui accélérerait l'inflation, mais diminuerait aussi les ressources susceptibles d'être acquises grâce à l'inflation monétaire, et donc l'incitation à recourir à celle-ci. Ce sont là, dirai-je, des affirmations trop simples pour une question si complexe. Elles sont transcrites ici bien plus pour indiquer les problèmes impliqués que pour prétendre leur apporter une solution.
3.4
La zone sterling
La zone sterling pose un problème spécial pour ce qui concerne la création de taux de change flexibles dans la mesure où elle inclut un certain nombre de monnaies différentes reliées par des taux de change fixes et convertibles les unes par rapport aux autres. Le sterling pourrait être intégré dans un monde de change flexibles de deux façons différentes: 1) des taux de change flexibles pourraient être institués à l'intérieur de la zone sterling d'une part, et entre le sterling et d'autres monnaies d'autre part, ou 2) des taux de change fixes pourraient être conservés à l'intérieur de la zone sterling. L'analyse d'un monde de taux de change flexibles donnée ci-dessus s'applique intégralement à la première façon de traiter de la zone sterling Néanmoins, pour des raisons tout à la fois financières et politiques, il est vraisemblable que les Britanniques manifesteront une préférence forte et compréhensible pour la seconde méthode. En tant que centre de la zone sterling, la Grande-Bretagne, pour ne mentionner que les plus évidentes de ces raisons, peut, bénéficier de ses réseaux bancaires et de son expérience, disposer d'un crédit relativement bon marché et exercer une influence commerciale et politique considérable. Rien ne s'oppose en principe à un système mixte de taux de change fixes à l'intérieur de la zone sterling, et de taux librement flexibles entre le sterling et les autres monnaies, à condition que les taux fixés à l'intérieur de la zone sterling puissent être maintenus sans restrictions commerciales. Il y a eu dans le passé de nombreux exemples de systèmes mixtes de ce genre (1). Et l'installation d'un tel système mixte en position d'objectif politique immédiat pour(1) En un sens, tout système de taux de change flexibles est un système mixte dans la mesure où il existe des taux rigides entre les différentes parties d'un pays - ainsi, entre les différentes états des États-Unis -. La différence clé pour notre présent propos entre les différents états des États-Unis, d'une part, et les différents membres de la zone sterling de l'autre est que les premiers, pas les seconds, sont tous effectivement assujettis à une seule autorité
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rait être souhaitable. Atteindre cet objectif permettrait d'abolir les obstacles que représentent les taux de change fixes à la libéralisation du commerce dans les pays d'Europe continentale, et permettrait en outre d'observer le fonctionnement de deux systèmes différents côte à côte. Les obstacles auxquels se heurterait l'avancée vers un tel objectif politique doivent, cela dit, être nettement soulignés. Ils sont de deux ordres: 1) un système mixte de ce genre pourrait ne pas être viable dans les conditions économiques et politiques actuelles, et 2) la Grande-Bretagne pourrait être réticente à l'idée d'accepter un système mixte dans la mesure où elle pourrait pressentir que libérer les taux de change de la livre sterling accroîtrait les difficultés du maintien de la zone sterling. Le problème du maintien de taux de change fixes à l'intérieur de la zone sterling sans restrictions commerciales ne diffère que partiellement du problème correspondant tel qu'il se pose pour le monde globalement considéré. Dans les deux cas, la zone concernée inclut un certain nombre d'unités politiques souveraines disposant chacune d'un pouvoir fiscal et monétaire indépendant. Dans les deux cas par conséquent, le maintien permanent d'un système de taux de change fixes sans restrictions commerciales requiert l'harmonisation des politiques fiscales et monétaires intérieures, et une volonté et une capacité de répondre aux modifications substantielles des conditions extérieures par le biais d'ajustements dans la structure intérieure des prix et des salaires. Les différences sont néanmoins notables. La dimension plus étroite de la zone sterling a des effets contrastés. D'une part, elle amoindrit le problème de l'harmonisation de politiques potentiellement divergentes; d'autre part, elle implique que la zone est soumise à des pressions extérieures plus importantes. La composition de la zone a elle aussi une importance, et compte peut-être plus encore que sa simple dimension. La zone inclut des unités politiques qui ont une longue tradition de coopération et de confiance mutuelle, nombre de ces unités sont des unités dépendantes dont les politiques intérieures peuvent être assez bien contrôlées depuis le centre, les relations financières entre les membres de la zone existent enfin depuis longc
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centrale fiscale et monétaire - le gouvernement fédéral - qui dispose en dernière instance des pouvoirs monétaires et fiscaux. En supplément, les premiers, pas les seconds, ont effectivement abandonner le droit d'imposer entre eux des restrictions sur les mouvements de marchandises, de gens ou de capitaux. C'est une explication essentielle de la possibilité pour une autorité monétaire centrale de fonctionner sans créer de sérieuses tensions. Bien sûr, il s'agit là de questions de faits économiques, pas de forme politique, et de degré, non de type. Un groupe de pays politiquement indépendants qui adhéreraient tous fermement à, disons, l'étalon-or, pourrait ainsi se soumettre à une autorité monétaire centrale, même si celle-ci est impersonnelle. Si en outre, ils adhéraient fermement à la liberté complète de mouvement des marchandises, des gens et des capitaux, et si les conditions économiques facilitaient de tels mouvements, ils consitueraient une unité économique pour laquelle une monnaie unique - qui est l'équivalent de taux de change rigides - serait appropriée.
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temps, et ont connu et surmonté de nombreux chocs. La préservation de ces relations est considérée comme extrêmement importante par ces mêmes membres, et il existe par conséquent chez eux une volonté réelle de continuer à adapter leurs politiques intérieures aux besoins communs. La zone a, en outre, des réserves monétaires relativement importantes qui peuvent être utilisées pour répondre aux chocs, et ses membres ont montré leur volonté d'accumuler des réserves de monnaie des autres membres. Nombre de ces différences sont, bien sûr, elles-mêmes le produit de l'existence antérieure de taux de change fixes et stables. Quelle que soit leur cause, il me semble évident que, tout bien pesé, elles montrent qu'un système de taux de change fixes a plus de chances de survivre sans restrictions commerciales dans la zone sterling que dans le monde dans son ensemble. Même si on tient pour acquis que les perspectives sont meilleures sur ce plan pour la zone sterling que pour le monde dans son ensemble, il ne s'ensuit pas, cela dit, qu'elles sont très bonnes. De fortes tensions sont déjà survenues à l'intérieur de la zone sterling, notamment la fuite de liquidités censées être gelées et les tensions ponctuelles qui ont fait partie des raisons premières de la dévaluation de 1949. Des restrictions commerciales quantitatives directes ont été imposées par certains membres sur les importations de produits venant des autres membres, et des restrictions indirectes se sont fait jour par le biais de certains aspects des relations commerciales entre États et de politiques sélectives ayant pour but l'équilibre de la balance commerciale. Il est difficile de voir comment d'autres tensions sérieuses peuvent être évitées dans le futur. Les membres de la zone sterling ne désirent sans doute pas accumuler indéfiniment des liquidités dans les monnaies des autres membres. De surcroît, les réserves, quelle que soit leur ampleur, ne peuvent éliminer la nécessité de s'adapter aux modifications fondamentales des conditions extérieures. Néanmoins le Royaume-Uni et la plupart des autres membres de la zone sterling continuent à privilégier une politique de pleinemploi, laquelle limite fortement la possibilité d'utiliser la structure intérieure des prix et des salaires comme un moyen de s'ajuster aux modifications des conditions extérieures. En ces conditions, et si les adaptations des taux de change sont exclues, il en ira à l'intérieur de la zone sterling comme dans le reste du monde: des tensions surviendront qui conduiront tôt ou tard à des contrôles directs sur le commerce international. Je suis donc enclin au pessimisme quant à la viabilité à long terme d'une zone sterling avec des taux de change fixes sans restrictions commerciales. Reste la question de savoir si la libération de la livre serait globalement susceptible d'être plutôt favorable ou plutôt défavorable au maintien de la zone sterling. La réponse qui sera apportée à cette question en GrandeBretagne ne pourra que jouer un rôle majeur dans la volonté britannique de libérer la livre. La libération du taux de la livre accompagnée de l'abrogation des restrictions sur les changes et des contrôles intérieurs directs qui s'y rattachent ferait
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diminuer les tensions touchant la zone sterling sous certaines incidences, mais les accroîtrait sous d'autres incidences. Elle ferait diminuer les tensions en protégeant la zone sterling dans son ensemble des perturbations extérieures (et l'expérience des années trente montre à quel point cela peut être important) ; en suscitant une utilisation plus efficace des importations et une meilleure répartition des ressources entre production de marchandises pour l'exportation, et production de marchandises pour l'usage intérieur; et en faisant du sterling une monnaie plus désirable et plus utile, ce qui augmenterait la volonté de détenir des liquidités en sterling. Elle accroîtrait par ailleurs les tensions, au moins au départ, dans la mesure où les détenteurs de liquidités importantes en sterling aujourd'hui pourraient chercher à les convertir en dollars ou en d'autres monnaies et dans la mesure où la substitution d'un taux de change flexible à un taux de change nominalement fixe pourrait diminuer la volonté de détenir des liquidités davantage que l'élimination des restrictions à l'utilisation des liquidités n'augmenterait la volonté d'en détenir. S'il se dessinait un grand mouvement révélant que les gens veulent se débarrasser du sterling, le taux de la livre pourrait chuter de manière drastique, sauf si la Grande-Bretagne utilisait une grande partie de ses réserves pour contrer la chute. Il s'agit là d'un problème excessivement complexe qui mériterait une analyse mieux étayée et plus approfondie. Les remarques très spéculatives que nous avons énoncées ici peuvent néanmoins suffire à justifier que nous disions que si le problème immédiat de la transition peut être surmonté, l'effet à long terme d'un taux flottant de la livre serait une diminution des tensions dans la zone sterling, et par conséquent l'ouverture pour celles-ci de meilleures perspectives de survie sans restrictions commerciales - quand bien même ces perspectives sont loin d'être certaines-.
4. QUELQUES EXEMPLES DE L'IMPORTANCE D'UN SYSTÈME DE TAUX DE CHANGE FLEXIBLES On ne saurait trop fortement souligner que la structure et la méthode de détermination des taux de change ont un impact crucial sur presque tous les problèmes inhérents aux relations économiques internationales. On pourra illustrer cette proposition fondamentale, et en même temps mettre au jour c o certaines des implications de l'analyse précédente, en examinant de plus près c .go les liens entre les taux de change flexibles et trois problèmes spécifiques ~ d'une grande importance: l'avancée vers un commerce multilatéral sans -§.. restrictions (4.1), l' harmonisation des politiques monétaires et fiscales inté'" rieures (4.2); le processus de réarmement (4.3). -l <1.)
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4.1
THÉORIE DU CHANGE ET DE ~ÉTALON
Un commerce international sans restrictions
Nous avons vu que les taux de change flexibles vont dans le sens de la logique d'un commerce multilatéral sans restrictions. L'absence de taux de change flexibles est, elle, presque certainement incompatible avec un commerce multilatéral sans restrictions. Dans un cadre de taux de change rigides, les modifications des conditions du commerce ne peuvent trouver de réponse que par des modifications des réserves, des modifications des conditions monétaires et des prix intérieurs, ou l'instauration de contrôles directs sur les importations, les exportations et les autres modes d'échange. À de rares exceptions près, les réserves des pays européens sont faibles, et en tout cas, l'utilisation des réserves n'est un outil utilisable que pour des mouvements mineurs et temporaires. Le recours à des modifications du niveau des prix intérieurs est indésirable et a fait l'objet d'une grande réticence politique. L'Allemagne, la Belgique et l'Italie seraient peut-être prêtes à aller dans cette direction. La Grande-Bretagne, la France, la Norvège et certains autres pays sont à l'évidence très réticents à l'idée de permettre que les niveaux intérieurs des prix et de l'emploi se trouvent déterminés essentiellement par les fluctuations du commerce extérieur. La seule alternative aux fluctuations des taux de change est le contrôle direct du commerce extérieur. Ce contrôle ne peut qu'être, dès lors, la technique principale adoptée pour répondre aux modifications substantielles des conditions du commerce international et le restera aussi longtemps que les taux de . change seront maintenus rigides. La reconnaissance implicite ou explicite de ce fait est l'une des sources essentielles des difficultés auxquelles se heurte la libéralisation du commerce en Europe; cela se reflète dans les clauses de sauvegarde figurant dans tous les accords internationaux récents, cela se trouve illustré de manière frappante par les pressions, couronnées de succès, qui ont incité les Allemands à utiliser les contrôles directs pendant la crise monétaire de l'automne 1950 alors même qu'il était évident pour tout le monde que la crise était temporaire et serait surmontée en quelques mois. Cela explique en partie les pressions en faveur de contrôles directs suscitées par le processus de réarmement. Supposons que par un heureux concours de circonstances, une libéralisation complète du commerce et une libre convertibilité des monnaies puissent être mises en œuvre dès demain, et que le résultat soit un équilibre de la balance des paiements de tous les pays européens au taux de change existant sans aucune aide américaine. Supposons par conséquent que l'aide et la pression américaines soient abolies d'une manière permanente. Je n'hésite pas à prédire que, étant doimé le système de détermination des taux de change existant et l'environnement économique et politique général actuel, les contrôles directs sur les importations et les exportations se trouveraient réinstaurés à une grande échelle dans un délai de deux à trois ans au plus.
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Mais ce que je viens d'écrire sous-estime encore le problème créé par les taux de change fixes. Non seulement la libéralisation pleine et entière du commerce est presque obligatoirement incompatible avec des taux de change fixes et rigides dans l'état présent du monde, mais, ce qui est tout aussi important, le chemin susceptible de mener vers cet objectif s'en trouve rendu plus pénible. Il n'est pas possible de prédire à l'avance les effets économiques précis de réductions significatives des barrières commerciales. Ce qui est clair pourtant est que ces effets varieront de pays à pays et de secteur à secteur, et que nombre d'entre eux seront indirects et ne se feront pas sentir directement là où la libéralisation a eu lieu. La libéralisation ajoutera donc des pressions substantielles et imprévisibles sur la balance des paiements qui se superposeront à celles qui se feraient jour de toute façon. Ces pressions feront que tout système de taux de change rigides adéquat à la position initiale sera presque certainement inadéquat à la position finale et aux positions intermédiaires. Et il semble qu'il soit impossible de déterminer à l'avance quels seront les taux de change appropriés; ceux -ci n'apparaîtront que dans la pratique, au travers d'un processus d'essais et d'erreurs. Même si le but ultime était un nouveau système de taux de change rigides, il semblerait donc essentiel de disposer d'une flexibilité dans la période intermédiaire. En l'absence de cette flexibilité, la libéralisation est à même d'être conduite à une fin prématurée par les conséquences mêmes des succès initiaux.
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La réticence politique actuelle à utiliser des modifications des niveaux intérieurs des prix et de l'emploi pour répondre aux modifications extérieures va de pair avec la réticence politique à utiliser les modifications des taux de change. Mais je pense que la réticence à utiliser les modifications des taux de change se situe à un niveau différent et a une base différente que la réticence à utiliser les modifications des niveaux intérieurs des prix et de l'emploi. La réticence à utiliser les modifications des taux de change reflète un décalage culturel, la survivance d'une croyance dont les fondements ont disparu, elle est une conséquence de la tradition et d'un manque de compréhension. La réticence à utiliser les modifications des niveaux intérieurs des prix et de l'emploi est, elle, un nouveau facteur, un produit de la dure expérience du passé récent et, pour le moment au moins, correspond aux conditions économiques prévalentes.
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l'harmonisation des politiques monétaires et fiscales intérieures
L'aspect positif de la réticence à utiliser des modifications des niveaux intérieurs des prix et de l'emploi pour répondre aux modifications extérieures est le renforcement de la stabilité monétaire intérieure - la volonté d'éviter l'inflation ou la déflation -. Il s'agit là, à l'évidence, d'un objectif très
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désirable pour chaque pays pris individuellement. Mais dans le cadre d'un système de taux de change rigides et de commerce sans restrictions, aucun pays ne peut atteindre cet objectif si tous les autres pays importants avec lesquels il est lié directement ou indirectement par les liens du commerce ne vont pas dans le même sens. Si un pays, par exemple, recourt à l'inflation, cela tendra à augmenter ses importations et à diminuer ses exportations. D'autres pays tendront en conséquence à accumuler des devises du pays concerné. Ou ils accepteront d'accumuler des liquidités de ce pays d'une manière indéfinie - ce qui signifiera qu'ils veulent continuer à exporter des marchandises avec un flux bénéficiaire, et qu'en pratique ils subventionnent le pays en situation d'inflation - ou ils devront recourir à l'inflation eux-mêmes (ou imposer des contrôles à l'importation). D'où l'existence d'une forte pression en faveur de l'harmonisation des politiques monétaires intérieures. Or, cette pression n'est pas, ce qui est compréhensible, allée de pair avec une volonté de tous les pays de soumettre leur politique intérieure à des contrôles extérieurs. Pourquoi un pays devrait-il se soumettre à de tels contrôles, alors que si un autre pays refusait de coopérer ou de se conduire de manière « adéquate », cela détruirait la structure globale elle-même et permettrait au pays qui refuse de transmettre ses difficultés à ses voisins? Une « coordination» réellement efficace requerrait ou bien que tous les pays adoptent un étalon monétaire marchandise commun tel que l'or, et se mettent d'accord pour se soumettre sans possibilité d'exception à sa discipline, oui bien que des institutions internationales contrôlent l'offre de monnaie dans chaque pays, ce qui impliquerait pour le moins un contrôle sur la politique des taux d'intérêt et la politique budgétaire. La première solution n'est ni vraiment praticable et ni vraiment désirable si on se réfère à l'expérience passée de l'étalon-or(\). La seconde solution, qu'elle soit praticable ou non, pose la question de savoir s'il est désirable que des pouvoirs aussi étendus soient consentis à une autorité autre qu'un gouvernement démocratiquement élu et responsable devant son électorat. Un système de taux de change flexibles fait qu'une coordination à long terme des politiques monétaires et fiscales intérieures de ce genre n'est plus nécessaire pour que chaque pays séparément suive une politique monétaire intérieure stable. Si dans un système de taux de change flexibles, un pays recourt à l'inflation, l'effet essentiel ne peut être qu'une baisse du taux de change de sa monnaie. Cette baisse compense l'effet de l'inflation intérieure sur la position du pays dans le commerce international, et affaiblit ou élimine le risque que l'inflation soit transmise à ses voisins ; et inversement avec la déflation. L'inflation ou la déflation dans un pays n'affecte donc d'autres pays que pour (1) Voir infra, p. 45-83, pour une analyse plus approfondie des avantages et des désavantages d'un étalon marchandise.
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autant qu'elle affecte la position du revenu réel du pays d'origine. Quasiment aucun effet ne passe par les circuits purement monétaires. En fait, les taux de change flexibles sont un moyen de combiner l'interdépendance commerciale entre les pays et un maximum d'indépendance monétaire intérieure; ils sont un moyen de permettre à chaque pays de rechercher la stabilité monétaire selon ses propres voies, sans imposer ses erreurs à ses voisins ou sans voir ceux-ci lui imposer leurs erreurs. Si tous les pays y recouraient, le résultat serait un système de taux de change relativement stables; l'harmonisation effective serait réalisée en substance, sans les risques d'une harmonisation formelle mais inefficace. Les chances que tous les pays réussissent sont bien plus grandes avec un système de taux de change flexibles qu'avec un système de taux de change rigides qui ne serait pas aussi un système à étalon marchandise strict. Cela non seulement dans la mesure où, dans un système de taux de change rigides, les retardataires tendent à donner le ton en contaminant les autres pays avec lesquels ils sont liés, mais dans la mesure aussi où l'existence même de ce lien donne à chaque pays une incitation à prendre des décisions inflationnistes qu'il ne prendrait pas sans cela. Au stade initial au moins, l'émission inflationniste de monnaie permet en effet à ceux qui émettent la monnaie d'acquérir des ressources non seulement à l'intérieur du pays, mais aussi à l'extérieur: les taux rigides impliquant, comme nous l'avons vu, que d'autres pays accumulent des réserves de devises du pays inflationniste. Dans un système de taux relativement stables mais non rigides, cette incitation disparaît pour l'essentiel dans la mesure où les taux ne restent stables qu'aussi longtemps que les pays évitent les décisions inflationnistes. Sitôt ils prennent ce type de décisions, une baisse du taux de change de leur monnaie se substitue à l'accumulation de liquidités qui devrait s'opérer pour que le taux reste rigide.
4.3
Le processus de réarmement
On pourrait trouver une illustration spécifique du problème précédent dans le processus de réarmement tel qu'il s'opère aujourd'hui. Un processus de réar,al mement de quelque ampleur ne peut que créer des pressions inflationnistes "~ qui différeront en degré de pays à pays en raison des différences séparant les ~ structures fiscales, les systèmes monétaires, les tempéraments des individus, ~ le niveau de l'effort consenti, etc. Avec des taux de change rigides, ces pres"g. sions divergentes susciteront des tensions susceptibles de jouer sur le ré arj mement lui-même. Imaginons que le pays A connaît davantage de pressions ~ inflationnistes que le pays B, et le pays B plus que le pays C. B en ces condi~ tions verra ses exportations vers A croître tandis que ses exportations vers C § chuteront et que ses importations venant de C se développeront. B pourra ~ connaître une situation globalement équilibrée, mais il aura des déséquilibres
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dans certains domaines spécifiques. Il sera soumis à de fortes pressions impliquant que soient imposés des contrôles à l'exportation sur les produits qu'il exportera vers A et des contrôles à l'importation sur les produits qu'il importe de C. Dans un cadre de taux de chance flexibles, aucun de ces contrôles n'apparaîtrait nécessaire, la monnaie de B s'apprécierait par rapport à la monnaie de A et se déprécierait par rapport à la monnaie de C, ce qui annulerait les deux distorsions affectant le fonctionnement commercial de B distorsions dans la mesure où les déséquilibres postulés sont essentiellement le fruit de différences dans les taux de croissance monétaire. Ce type de phénomène est, je pense, l'une des causes importantes de la résistance à l'abolition des contrôles à l'importation et des demandes incessantes de contrôles à l'exportation, quand bien même d'autres facteurs jouent aussi. Le processus de réarmement requerra, bien sûr, des modifications de la structure commerciale pour des raisons techniques et physiques, et pas seulement pour des raisons monétaires. Il est essentiel pour l'efficacité de l'effort d'armement que des modifications de cet ordre soient autorisées. Dans un cadre de taux de change flexibles, celles-ci joueraient un rôle essentiel. La croissance monétaire dans tout pays suscite une hausse générale de la demande d'importations et une baisse générale de l'offre d'exportations, et avec des taux de change flexibles, cela se reflète essentiellement dans les taux de change. Par ailleurs, l'effort de réarmement implique un glissement de la demande de certains produits vers d'autres produits, et ne nécessite aucune modification de la demande globale de monnaie. En conséquence, des prix donnés s'élèvent relativement à d'autres prix, fournissant ainsi l'incitation aux modifications requises dans la production et le commerce. Et même si l'effort de réarmement est financé d'une manière qui implique une demande globale de monnaie accrue, il signifie un accroissement beaucoup plus important de la demande pour certains produits que pour d'autres, et peut donc conduire encore aux modifications requises des prix relatifs.
5. CONCLUSION Les divers pays du monde ne peuvent interdire que des modifications s'opèrent dans les circonstances affectant les transactions internationales, et ils n'y parviendraient pas s'ils le voulaient. Nombre de ces modifications sont des modifications naturelles, celles touchant les conditions météorologiques par exemple; d'autres naissent de la liberté d'innombrables individus de mener leur vie comme ils l'entendent, liberté qui est par excellence ce que nous entendons préserver et faire croître; d'autres encore peuvent être les fruits inattendus du progrès et du développement. La prison et le cimetière seuls permettent de disposer d'une certitude définitive.
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La finalité essentielle de la politique n'est pas d'empêcher que ces diverses modifications surviennent, mais d'instaurer un système efficace permettant de s'adapter à celles-ci - d'utiliser leurs potentialités positives tout en atténuant leurs effets négatifs -. Il existe un large consensus, au moins dans le monde occidental, sur le fait qu'un commerce relativement libre et sans restrictions est, outre ses avantages politiques, un composant majeur d'un tel système. Les tentatives répétées d'éliminer ou de réduire les restrictions nombreuses et complexes pesant sur le commerce international qui ont proliféré pendant et immédiatement après la Seconde Guerre mondiale se sont néanmoins toutes soldées par des échecs retentissants. L'échec continuera à marquer les tentatives de ce genre aussi longtemps que nous permettrons que la mise en avant d'un but secondaire - des taux de change rigides - entrave la possibilité d'atteindre deux buts majeurs: un commerce multilatéral sans restrictions, et la liberté pour chaque pays de rechercher sa stabilité intérieure selon sa propre voie. Il n'y a en fait que quatre façons de répondre aux pressions sur la balance des paiements susceptibles de résulter des modifications des circonstances qui entourent les transactions internationales: 1) le recours à des modifications compensatoires dans les réserves monétaires; 2) le recours à des ajustements dans le niveau général des prix et des revenus intérieurs; 3) le recours à des ajustements dans les taux de change; 4) le recours à des contrôles directs sur les transactions impliquant des échanges avec l'étranger. La pénurie de réserves monétaires aujourd'hui fait que la première n'est et ne sera praticable que pour des mouvements très mineurs tant que certains moyens d'accroître considérablement les réserves monétaires planétaires n'auront pas été trouvés. La faillite de plusieurs expériences allant dans ce sens est un témoignage des difficultés existantes. La prééminence partout accordée à la stabilité intérieure fait que la seconde façon ne pourrait se voir autorisée à fonctionner; les rigidités institutionnelles dans les structures de prix intérieurs rendent improbable qu'elle puisse devenir un instrument essentiel. c:: '" La troisième - au moins sous la forme d'un système global de taux flexibles-
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a été écartée au cours des récentes années sans avoir jamais été précisément et explicitement prise en compte, pour partie en raison d'une interprétation douteuse de données historiques limitées, pour partie, je pense, parce qu'elle a été condamnée au même instant par les traditionalistes dont l'idéal reste un étalon-or fonctionnant ou par lui-même ou par le biais des banques centrales nationales (mais dans tous les cas déterminé par la politique intérieure), et par les principaux réformateurs, qui n'ont pas une confiance générale et absolue dans le système des prix - une curieuse coalition des adeptes les plus farouches du système des prix dans tous ses autres rôles, et de ses adversaires les plus extrêmes-.
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Le quatrième façon - les contrôles directs sur les transactions impliquant des échanges avec l'étranger - est ainsi, par défaut plutôt que par choix, devenue le seul moyen de répondre aux pressions sur la balance des paiement. Il n'est pas étonnant en ces conditions que ces contrôles aient résisté de manière si obstinée à l'élimination, et ce en dépit des déclarations incessantes disant qu'ils seraient éliminés. Cette façon de faire est néanmoins, de mon point de vue, la moins désirable des quatre. Il n'y a pas d'obstacles économiques majeurs s'opposant à la création rapide par divers pays, séparément ou conjointement, d'un système de taux de change librement déterminés sur des marchés ouverts, essentiellement par des transactions privées, et à l'abandon simultané des contrôles directs sur les transactions de change. Un mouvement dans cette direction est le préalable fondamental à l'intégration économique du monde libre par le biais du commerce multilatéral.
Chapitre 2
LA SUPÉRIORITÉ DES ÉTALONS FIDUCIAIRES NATIONAUX SUR L'ÉTALON MARCHANDISE INTERNATIONAL *
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Les arrangements monétaires internationaux ont fréquemment connu les bouleversements et la confusion, mais rarement au degré atteint au cours de la période qui s'est écoulée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. D'une part, les pays occidentaux se sont, par le biais du Fonds monétaire international, accordés pour instituer une monnaie internationale en maintenant des taux de change essentiellement rigides entre les monnaies nationales. D'autre part, ils ont refusé de rendre leurs monnaies nationales pleinement convertibles en un médium commun tel que l'or à des taux fixes et à la demande. Ils ont voulu le maintien d'une liberté considérable dans l'élaboration des politiques monétàires nationales. Le système résultant de normes monétaires - si on peut parler de « système» - n'a créé ni l'environnement favorable au commerce international qu'offre une monnaie réellement internationale, ni l'indépendance par rapport aux perturbations monétaires extérieures dont disposent les monnaies réellement nationales. Il a mélangé plutôt les pires caractéristiques de l'une et des autres -la rigidité d'une norme internationale, et l'incertitude des normes nationales-. L'absence de normes monétaires satisfaisantes a été un obstacle important - selon moi l'obstacle le plus important - à l'élimination des contrôles directs sur les échanges internationaux et à l'essor d'un commerce multilatéral libéré des interventions étatiques. Les solutions disponibles vont de la restauration d'un « réel» étalon-or d'un côté, à un système de monnaies nationales liées entre elles par des taux de change flexibles librement déterminés sur des marchés privés de l'autre. Le recours à l'étalon-or a souvent été qualifié de «démodé»; néanmoins, de
* Ce texte a été antérieurement publié dans le Journal of Political Economy, LIX, juin 1951, 203-32; il a été repris dans Friedman ([1953] 1995) sous le titre « Monnaie à réserve de marchandises ».
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manière paradoxale, et malgré la disparition presque complète de la libre convertibilité des monnaies en or, le prestige de l'or a rarement été aussi grand qu'aujourd'hui. Le système de monnaies nationales va directement à l'encontre des accords passés sous l'égide du Fonds monétaire international et, ce qui est plus important, subit le discrédit résultant d'expériences répétées de dépréciation des étalons fiduciaires. Ces circonstances expliquent tout à la fois les normes hybrides présentes, et le nombre des dispositifs théoriques élaborés aux fins de concevoir un cadre monétaire satisfaisant. L'un des dispositifs les plus étudiés et les plus souvent recommandés est le système monétaire à réserve de marchandises proposé par Benjamin Graham et Frank D. Graham (1). Ce système appartient à la même grande catégorie que l'étalon-or (section 1), mais a des caractéristiques propres qui méritent une attention particulière (section 2). On peut douter, cela dit, que ces caractéristiques le rendent préférable à l'étalon-or ou à l'étalon fiduciaire auxquels on le comparera dans la section 3 ci-dessous.
1. LES ÉTALONS MARCHANDISE EN GÉNÉRAL La caractéristique essentielle d'un étalon marchandise est que le moyen d'échange consiste soit en une marchandise (ou un groupe de marchandises) sous sa forme physique - « pièces» de monnaie-marchandise - soit en des titres à des quantités physiques d'une marchandise (ou d'un groupe de marchandises). On peut dire que l'étalon est un étalon marchandise strict s'il n'est pas utilisé de titres, ou si les titres utilisés sont des certificats de dépôt (1) Voir Benjamin Graham, Storage and Stability, New York, McGraw-Hill Book Co., 1937 et World Commodities and World Currency, New York, McGraw-HiIl Book Co., 1944.Frank D. Graham, Social Goals and Economic Institutions, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1942, p. 94-219. Il faut noter que Benjamin et Frank Graham ont adopté la proposition pour des raisons quelque peu différentes. Pour Benjamin Graham, les aspects monétaires de la réserve de marchandises étaient secondaires, l'essentiel était le « problème des matières premières » et des « excédents » quels qu'ils soient. Pour Frank Graham, les aspects monétaires étaient primordiaux. Une étude récente menée par le Stanford Food Research Institute et qui examine en détails la proposition de Benjamin Graham, contient deux chapitres - rédigés par Edward S. Shaw - concernant la méthode de financement des achats de marchandises (M.K. Bennett et associés, International Commodity Stock Piling as an Economic Stabilizer, Stanford, Californie, Stanford University Press, 1949). Néanmoins, Bennett et ses associés s'en tiennent strictement à la question du ·stockage. Ils considèrent que la proposition s'ajoute simplement aux dispositifs monétaires existants, et ne la prennent pas en compte au titre de réforme monétaire fondamentale possible. Le présent article, lui, est consacré presque entièrement à la dimension monétaire de la proposition. Par conséquent, bien qu'il ait été écrit sans que j'aie eu connaissance de l'étude de Stanford, il se révèle ne pas dupliquer et ne pas contredire cette étude, mais occuper par rapport à elle une position de complément.
La supériorité des étalons fiduciaires nationaux sur l'étalon marchandise international
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correspondant aux quantités désignées de la monnaie marchandise. On peut dire que c'est un étalon marchandise partiel si des titres sont utilisés qui ne sont pas des certificats de dépôt. En général, les titres en question prennent alors la forme de titres à la monnaie marchandise émis par des institutions publiques ou privées, qui en garantissent le remboursement par la détention de « réserves» de la monnaie marchandise plus faibles en quantité que le total des titres. L'histoire monétaire révèle que - des perles de verroteries utilisées par les Indiens d'Amérique aux cigarettes et au cognac utilisés en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale - une très grande diversité de marchandises ont servi de moyen d'échange. Les étalons marchandise stricts ont néanmoins été rares dans les temps modernes; les médias de circulation utilisés ont été pour l'essentiel des reconnaissances de dette prenant en général la forme de titres à des réserves inexistantes de monnaie marchandise.
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Les étalons marchandise stricts
Dans un cadre d'étalon marchandise strict, l'offre de monnaie et les prix des autres marchandises en termes de monnaie marchandise sont déterminés sur le marché par la demande de la marchandise aux fins d'utilisation monétaire ou autres, et par l'offre de la marchandise, qui dépend en dernier ressort des coûts de production de celle-ci. L'intervention de l'État n'est pas requise, bien que l'État puisse certifier la qualité et la quantité de monnaie marchandise, délivrer ou garantir les certificats de dépôt, ou désigner la marchandise (ou les marchandises) à utiliser au titre de monnaie. En pratique, des monnaies marchandise strictes ont quelquefois émergé en raison de l' effondrement de la monnaie officielle (ainsi, la monnaie en cigarettes dans l'Allemagne d'après-guerre). Dans une situation d'équilibre, le coût de production d'une unité de la monnaie marchandise est égal, à la marge, à une unité de la marchandise. L'équilibre peut être perturbé par tout ce qui modifie le coût (en termes de monnaie m;rrchandise) de production de la monnaie marchandise. Pour les besoins de l'analyse, on peut placer d'un côté les modifications qui résultent de transformations des techniques de production, et d'un autre côté les autres modifications. Les transformations des· techniques de production tendent à produire des modifications permanentes du niveau des prix des produits finis si elles modi.~ fient le rapport entre le coût de production de la monnaie marchandise et le ~ coût de production des autres marchandises. Si, par exemple, une découverte -a ou une invention rend la production de la monnaie marchandise relativement j bon marché, le coût de production de celle-ci peut tomber en dessous de son "Cc~ prix, sa production se trouve stimulée, et l'offre de monnaie tend à s'accroître ~ à un taux plus élevé que celui requis pour que les prix restent stables. @
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L'équilibre se trouve restauré lorsque l'offre supplémentaire de monnaie marchandise a fait monter les prix des autres marchandises, et par conséquent le coût de production de la monnaie marchandise, à un niveau suffisant pour que la production de monnaie marchandise revienne à la normale. Les transformations techniques ne laissent le niveau des prix des produits finis inchangé que si elles affectent de la même manière le coût de production de la monnaie marchandise et celui des autres marchandises. Si, par exemple, les coûts de production de toutes les marchandises baissent, les prix des marchandises autres que la monnaie marchandise baissent dans un premier temps ; et la production de la monnaie marchandise croît jusqu'à un niveau supérieur à la normale. L'équilibre est restauré lorsque l'accroissement de l'offre de monnaie a reconduit les prix à leur niveau originel. Les modifications du coût de production de la monnaie marchandise qui naissent de changements des prix résultant de modifications de la demande, ou de modifications de la vitesse de circulation de la monnaie, mettent en mouvement des forces contre-cycliques correctrices. Une hausse des prix des autres marchandises augmente le coût de production de la monnaie marchandise, et tend ainsi à réduire le taux de production courant de celle-ci ; elle rend aussi la monnaie marchandise relativement bon marché pour des usages non monétaires, et tend donc à diminuer la proportion du stock existant utilisé à des fins monétaires. Les deux phénomènes tendent à stopper ou à inverser la hausse des prix initiale. De même, une baisse des prix des autres marchandises tend à accroître le taux de production de la monnaie marchandise et à augmenter la proportion du stock existant utilisée à des fins monétaires, et les deux phénomènes tendent à stopper ou à inverser la baisse des prix initiale (1). Dans la mesure où la production courante de la monnaie marchandise ne représente généralement qu'une faible proportion du stock existant de celle-ci, les écarts par rapport à l'équilibre peuvent être substantiels; et un temps relativement long peut se révéler nécessaire pour les corriger. Des fluctuations considérables du niveau des prix peuvent donc survenir, même en l'absence de tout changement dans les conditions techniques. Plus l'élasticité à court terme de l'offre de la monnaie marchandise est importante, et plus la sensibilité des dépenses aux modifications de la quantité de monnaie est grande, plus les forces d'équilibre sont puissantes. Les effets contra-cycliques d'une monnaie marchandise stricte peuvent se répartir en deux catégories : les effets directs sur le flux de revenu, et les effets indirects sur le stock monétaire. Une baisse des autres prix ne trouvant (1) Les affinnations sur le sujet figurant dans ce paragraphe et dans le paragraphe précédent ne sont exactes que si l'industrie produisant la marchandise monétaire est une industrie à coûts constants (dans le long tenne). Sinon, les modifications de la demande tendraient aussi à modifier le niveau des prix en modifiant l'emplacement de la « marge ». Ces complications ne changeraient pas la substance de l'argument, et sont donc laissées de côté ici.
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pas ses origines dans des bouleversements techniques implique ou reflète une diminution du flux de revenu. Le recours à des ressources supplémentaires pour produire la monnaie marchandise implique un accroissement direct du flux de revenu, et compense dans une certaine mesure la diminution initiale. À l'inverse, une hausse des autres prix implique un accroissement du flux de revenu qui se trouve directement compensé, dans une certaine mesure, par une diminution des versements aux facteurs de production servant à produire la monnaie marchandise. Les effets indirects tiennent aux modifications du stock monétaire résultant des modifications tout à la fois de la proportion des réserves existantes utilisée à des fins monétaires et du taux de production en vigueur. Les dépenses, sans aucun doute, dépendent du stock monétaire, ne serait-ce que parce que la monnaie est considérée comme une partie de la richesse réelle de la société. Une augmentation du stock de monnaie marchandise stimule les dépenses, et accroît donc indirectement le flux du revenu, et vice versa.
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Dans un cadre de monnaie marchandise stricte, l'État ne peut, c'est clair, financer la moindre dépense par la création de monnaie. Il doit maintenir son budget en équilibre, ou bien financer tout déficit par des fonds empruntés sur le marché ou prélevés sur les réserves monétaires accumulées auparavant, et utiliser tout excédent pour rembourser sa dette ou pour accumuler de nouvelles réserves monétaires. De même, la seule politique monétaire à la disposition de l'État consiste dans la vente de titres monétaires et l'utilisation des . réserves monétaires accumulées pour acheter les titres. Des ventes ou des achats de ce type peuvent avoir des effets considérables sur de courtes périodes. Ils peuvent modifier les prix, et donc susciter des expansions ou des contractions dans la production de la monnaie marchandise, de sorte que leur effet majeur dans le long terme concerne l'offre de la monnaie marchandise. La liberté des États serait plus limitée encore si plusieurs d'entre eux prenaient pour étalon la même marchandise. L'unité économique pertinente serait alors le groupe d'États, et l'analyse ci-dessus s'appliquerait à l'unité économique dans son ensemble. Les taux de change entre les États (ou, en l'occurrence, à l'intérieur du groupe d'États) pourraient fluctuer dans des limites déterminées par le coût de transport des médias de circulation; des mouvements plus importants seraient impossibles aussi longtemps que les États conserveraient le même étalon. Dans les textes autrefois publiés sur le sujet, les analyses menées concernant
~ les mérites relatifs des diverses monnaies marchandises ont insisté sur les g Q)
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caractéristiques physiques requises d'un médium de circulation - pour citer White «on peut exiger d'une bonne monnaie qu'elle soit maniable, homogène, durable, divisible, qu'elle puisse être reconnue et avoir une valeur stable» _(1). De nos jours, pour juger d'un étalon monétaire, nous prêtons (1) H. White, Money and Banking, 3e éd., Boston, Ginn and Co., 1908, p. 15.
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peu d'attention à ces exigences, sauf à la dernière nous nous focalisons plutôt sur les conséquences économiques plus larges - fluctuations possibles du niveau des prix, implications pour le comportement cyclique, et ainsi de suite -. Sous cette incidence, tous les étalons marchandise stricts partagent des vertus et des vices communs. Leur vertu la plus importante est sans doute l'automaticité et l'impersonnalité: nul d'entre eux ne requiert de prévision ou de décision politique, administrative ou législative. Chacun d'eux tend automatiquement à fonctionner de manière contra-cyclique - à accroître le revenu lorsque celui-ci est relativement bas, et à le diminuer lorsqu'il est relativement élevé -. L'existence de coûts physiques de production limite la quantité de monnaie, et un emballement de l'inflation est impossible aussi longtemps qu'on adhère à un étalon marchandise. Les vices des étalons marchandise stricts sont la contrepartie de leur vertu. Étant automatiques, ils ne peuvent produire une flexibilité ou une adaptabilité suffisante pour prévenir des fluctuations substantielles des prix ou des revenus. Le coût physique de production de la monnaie ne rend impossibles ni une inflation modérée, ni une déflation importante; ce qui veut dire que des modifications de prix peuvent être produites par des modifications techniques du coût relatif de production de la monnaie marchandise, et que certaines ressources doivent être consacrées à la création de monnaie. Ce dernier aspect est sans aucun doute la raison majeure pour laquelle les étalons marchandise stricts ont eu tendance à disparaître. La nécessité d'épargner les ressources qu'ils requièrent constitue une indéniable incitation à la recherche d'un médium de circulation moins coûteux. Par exemple, il aurait fallu accroître d'environ 3 % par an le médium de circulation aux États-Unis au cours des cinquante dernières années pour que, à vitesse de circulation inchangée, les prix restent stables. Dans la mesure où la vitesse de circulation a diminué à un taux légèrement supérieur à 1 % par an, il en découle qu'un accroissement de 4 % par an du médium de circulation aurait été nécessaire à la stabilité des prix (1). Le médium de circulation proprement dit (monnaie plus dépôts à vue) représente environ la moitié du revenu national. Il s'ensuit que, même si on laisse de côté les modifications de vitesse, environ 1,5 % du revenu national aurait dû être consacré à la production de monnaie marchandise pour que les prix soient restés stables dans le cadre d'un étalon marchandise strict. Notons que ce chiffre est le même quelle que soit la marchandise utilisée en tant qu'étalon monétaire. La limitation qu'un étalon marchandise strict impose à la politique économique ou monétaire nationale est une caractéristique que certains considéreront comme un avantage, d'autres comme un inconvénient.
(1) Voir Clark Wharburton, « The Secular Trend in Monetary Velocity of Economics, LXIII, février 1949,68-91.
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Quarterly Journal
La supériorité des étalons fiduciaires nationaux sur l'étalon marchandise international
1.2
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Étalons marchandise stricts alternatifs
La désirabilité relative de l'utilisation de différentes marchandises au titre d'étalon monétaire dépend pour partie de la fluctuation du niveau de prix considérée comme acceptable, et pour partie de l'importance accordée aux diverses réactions contra-cycliques dans un cadre de monnaie marchandise stricte. Si, comme nous le supposerons pour des raisons pratiques, l'objectif est une stabilité des prix des produits finis, la marchandise la plus désirable sera une marchandise que les innovations techniques affecteront au même titre que les autres marchandises, donc une marchandise immunisée contre toute modification des coûts relatifs de production due à la technique. Même avec une marchandise de ce type, les innovations techniques, en ce qu'elles touchent les conditions sous-jacentes affectant la demande ou l'offre de la marchandise, pourront, cela dit, produire des écarts transitoires importants par rapport au niveau de prix d'équilibre, à moins que, soit en raison de l'existence d'une offre non monétaire importante susceptible de glisser immédiatement vers des usages monétaires, soit en raison d'une élasticité de la courbe d'offre de la production courante, l'offre monétaire de la monnaie marchandise soit très élastique. L'aptitude de l'étalon à contrer les fluctuations cycliques du revenu dépend de l'importance des effets contra-cycliques automatiquement produits par ces fluctuations. Si des modifications de la proportion des actifs totaux détenus sous forme de monnaie ont un effet puissant sur les dépenses, un étalon aura un effet stabilisateur pour autant qu'il en existe un stock important à même de glisser au-dedans ou au-dehors des circuits monétaires en réaction à de petites modifications des prix des autres marchandises; une forte élasticité de la courbe d'offre de la production courante ne sera pas nécessaire. Si des modifications de la proportion des actifs totaux détenus sous forme de monnaie n'ont pas un effet puissant sur les dépenses, mais que des modifications du volume total des actifs ont cet effet, l'existence d'un stock important à même de glisser aura une importance moindre, et une forte élasticité de la courbe d'offre de la production courante sera requise. Enfin, si les modifica'" tions touchant les actifs sont faibles, l'effet stabilisateur de l'étalon devra ,al" venir essentiellement de sa contribution directe au flux de revenu. Cela impli"~ que ra que la courbe d'offre de la production courante soit très élastique, et ~ que les entreprises produisant la monnaie marchandise représentent une frac~ tion notable de la production économique, de sorte que le volume des "g. ressources utilisées pour la production de monnaie marchandise et le flux de ~ paiement de revenus correspondant puissent varier substantiellement. Au .c 0. cours des récentes décennies, la théorie économique - à tort ou à raison - a j accordé plus d'importance aux effets de revenu directs qu'aux effets des modifications des actifs, et aux effets des modifications du volume total des actifs qu'aux effets des modifications de la composition des actifs. En
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conséquence, les économistes soulignent souvent la nécessité d'une offre courante très élastique émanant d'entreprises d'une taille suffisante. Si on les évalue dans les termes de ces critères, l'or et l'argent -les marchandises les plus largement utilisées au titre de monnaie - ne semblent pas très adéquats. La découverte de nouvelles mines et l'impact spécifique d'innovations techniques ont modifié leurs coûts de production de manière fréquente et parfois brutale. L'élasticité de leur offre courante, tout en n'étant pas négligeable, n'est pas substantielle, en tout cas dans le court terme. Une part importante de la production des entreprises qui les offrent est consacrée à l'usage monétaire, ce qui a pour implication que ces entreprises ne représentent qu'une petite fraction de la production économique totale. L'ampleur indéniable des réserves à même de glisser relativement vite de l'usage monétaire aux usages non-monétaires constitue un argument plus net en leur faveur. La raison pour laquelle or et argent occupent une position dominante tient essentiellement, on peut le supposer, à leurs vertus les plus ordinaires - ils sont «maniables, homogènes, durables, divisibles », ils peuvent être « reconnus et avoir une valeur stable» -. En termes de critères économiques plus vastes, ils ne pourront sembler satisfaisants qu'à quiconque accorde une importance essentielle à l'effet sur les dépenses de la fraction des actifs totaux détenue sous forme de monnaie. Au-delà, ce qui permet de les conseiller est essentiellement la symbolique qui s'attache à eux, et qui leur a permis de constituer un réel rempart contre les « manipulations» de l'État. Par contraste, Charles O. Hardy avait coutume de dire que les briques étaient peut-être la meilleure monnaie marchandise disponible. Le fait que les briques ne possèdent pas les vertus ordinaires exigibles d'un médium de circulation, écrivait-il, peut se trouver compensé par l'utilisation de certificats de dépôt qui possèdent ces vertus à un très haut degré. Les briques possèdent par contre les vertus minimales requises d'une marchandise susceptible d'être utilisée comme monnaie - elles peuvent être assez précisément évaluées et voir leurs qualités physiques définies, elles peuvent être stockées -, etc. Leur offre est de surcroît extrêmement élastique, et elles peuvent être fabriquées à peu près partout - Hardy notait que des briques sont fabriquées dans chacun des 31000 comtés des États-Unis et que leur fabrication implique relativement peu d'investissements en capital et peu de savoir-faire - ; ce qui fait que leur taux de production peut augmenter ou diminuer rapidement. Un stock de briques important - pour partie intégré dans les immeubles - existe qui peut glisser immédiatement d'un usage non monétaire à un usage monétaire, et inversement. Dans un cadre d'étalon-brique, toute baisse du prix d'autres marchandises qui tendrait à rendre profitable la production de briques pour un usage monétaire aurait un effet rapide et substantiel sur les taux de production et d'emploi dans l'industrie de la brique. Ce qui compenserait tout risque de baisse du revenu. Toute tendance à la hausse des prix tendrait de la même manière à se trouver compensée par une baisse rapide des taux de production et d'emploi dans
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l'industrie de la brique. Le défaut essentiel de l'étalon brique, concluait Hardy à juste titre, est que personne ne pourrait sérieusement considérer les briques comme une monnaie. Impressionnés par les défauts de l'or et de l'argent pris séparément, nombre d'économistes, dont Marshall, ont proposé à la fin du XIXe siècle que l'un et l'autre soient combinés dans ce qui a été appelé le « symétallisme »(1). Dans le cadre ainsi tracé, l'unité monétaire aurait été un poids défini d'argent augmenté d'un poids défini d'or - on peut, si on veut, penser à une combinaison physique des deux en une seule barre -. Le prix de l'argent relativement à l'or pourrait varier dans une certaine mesure, mais pas le prix d'une combinaison donnée des deux (2). L'élargissement de la base monétaire qu'était censé permettre le symétallisme était censé amoindrir l'influence des inventions ou des découvertes affectant un seul métal, et permettre de moindres variations du niveau des prix.
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Le principe du symétallisme poussé à son extrême pourrait mener à concevoir l'inclusion dans l'étalon de toute marchandise et service produit dans une économie en proportion de la quantité produite (mesurée vraisemblablement sur la base de la « valeur ajoutée» dans la production). Cela ne serait pas matériellement réalisable en raison de problèmes de stockage; mais si cela l'était. l'unité serait un panier de marchandises et de services représentant microcosmiquement le panier national total, et on aurait un étalon marchandise presque idéal. Dans la mesure où le prix du panier serait l'indice des prix, la stabilité de l'indice des prix serait atteinte de manière immédiate et parfaite, bien qu'en raison des problèmes généraux liés au chiffrage des indices, peut-être pas la stabilité du « niveau des prix ». Les innovations techniques ne pourraient pas, initialement au moins, affecter l'unité monétaire sur un mode différent de celui dont elles affectent la production globale. L'élasticité de l'offre courante de monnaie en réaction à toute modification du revenu monétaire serait, au moins initialement, infinie dans la mesure où toute réduction proportionnelle de la production à des fins non monétaires aurait la forme requise pour l'augmentation du stock monétaire: de sorte que l'impact majeur de toute modification concernerait la destination de la production, non son montant ou sa composition.
" Même à cet extrême, à l'évidence impossible, subsisteraient cependant les difficultés suggérées par l'expression « au moins initialement ». La composi(1) Voir Alfred Marshall, « Remedies for Fluctuations of General Priees », 1887, réimprimé
dans Mernorials of Alfred Marshall, éd. A.c. Pigou, Londres, Macmillan and Co., 1925, p. 188-211, spécialement p. 204-6. Il faut noter que Marshall ne recommandait le symétallisme que dans la mesure où il était supérieur à l'or et à l'argent pris isolément ou au bimétallisme; il ne pensait pas qu'il leur était très supérieur, et prétërait d'autres moyens, tels que les étalons tabulaires, aux étalons marchandise. (2) Ce schéma devrait être nettement distingué du bimétallisme - l'usage en tant qu'unité monétaire d'un poids défini d'argent ou d'un poids défini d'or.
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tion de la production totale changerait au fil du temps. Une unité monétaire à composition fixe tôt ou tard ne représenterait plus d'une manière appropriée la production totale, la fraction de la production consacrée à l'utilisation monétaire varierait de marchandise à marchandise, les innovations techniques auraient des effets différentiels sur l'unité monétaire, et l'élasticité de l'offre courante s'en trouverait amoindrie. Étant donné la petite fraction de la production courante de chaque produit qui devrait être consacrée à l'usage monétaire, aucun de ces phénomènes ne prendrait des proportions importantes avant qu'un laps de temps considérable ne se soit écoulé. Ils n'en indiquent pas moins l'impossibilité d'apporter une solution complète au problème de l'indice numérique. J'ai parlé de cet extrême essentiellement en raison du fait qu'il constitue l'idéal sous-jacent à l'idée de réserve de marchandises, et parce qu'il est ce qui lui donne son pouvoir d'attraction. L'idée de réserve de marchandises est porteuse de la volonté d'aller aussi loin dans la direction de cet idéal que la réalité le permettra. Sa valeur et sa pertinence dépendent avant tout du degré auquel il est possible d'aller dans cette direction.
1.3
Étalons marchandise partiels
Comme nous l'avons vu, dans un monde au sein duquel la production totale croît sur la base des innovations techniques ou autres et dans lequel la vitesse de circulation est relativement constante, un étalon marchandise strict implique pour que les prix restent stables l'utilisation régulière d'un volume considérable de ressources aux fins d'accroître le stock monétaire. Pour reprendre l'exemple donné plus haut, environ 1,5 % des ressources des États-Unis devraient être consacrées à la production de marchandises à usage monétaire. Il n'est pas surprenant en ces conditions que les pays occidentaux n'aient pas utilisé d'étalon marchandise strict(I). Les étalons or ou argent ont inclus, ainsi, une proportion importante d'éléments fiduciaires. Dans la plupart des cas, l'or (ou toute autre marchandise monétaire) a été « économisé» grâce au recours à des réserves fractionnaires pour des médiums de circulation ayant forme de liquidités et, plus largement, de dépôts à vue. Ce qui veut dire que la convention ou la loi a autorisé l'émission de titres à une quantité d'or plusieurs fois supérieure à la quantité effectivement disponible à des fins (1) J'utiliserai le terme « fiduciaire» pour désigner tout à la fois la monnaie émise par le
gouvernement, mais non convertible (la monnaie à laquelle le terme renvoie selon le dictionnaire), et d'autres types de monnaie qui ont un trait essentiel en commun avec la monnaie susdite: le fait que ce sont des reconnaissances de dette plutôt que des reconnaissances de l'existence de quantités physiques bien précises de marchandise monétaire. En ce sens, nous pouvons considérer la dimension « fiduciaire » d'une monnaie marchandise partielle comme équivalant à la différence entre la quantité totale de monnaie et la valeur monétaire des réserves de la marchandise monétaire.
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monétaires. Plus rarement, notamment dans l'English Banking Act de 1844, l'or a été« économisé» par la couverture d'une émission fiduciaire fixe et par l'exigence que tous les titres nominaux à la monnaie marchandise excédant cette émission soient des certificats de dépôt. Les conditions sous lesquelles l'une ou l'autre de ces procédures « économise» l'or, et les significations qu'on peut donner à cette expression sont des sujets qui n'ont pas encore été analysés en profondeur; mais nous devrons ici laisser de côté ces questions fascinantes pour nous pencher plutôt sur les conséquences de l'utilisation d'une monnaie marchandise partielle (1). L'introduction d'éléments fiduciaires dans les réserves monétaires soulève immédiatement une question: qui doit créer la monnaie fiduciaire et contrôler son émission? La monnaie fiduciaire est pratiquement sans coût, alors que la monnaie marchandise ne l'est pas. Dans un cadre de concurrence, une tendance existera à ce que chaque monnaie soit produite jusqu'au point où sa valeur sera égale à son coût de production. Si cela pose une limite à la quantité possible d'une monnaie marchandise, cela peut signifier un accroissement indéfini de la quantité d'une monnaie fiduciaire et une baisse indéfinie de sa valeur. Aucun équilibre stable n'est concevable sur ce plan, sauf si la monnaie
(1) L'idée naïve selon laquelle on peut« économiser» de l'or de manière directe et immédiate
en faisant de l'or une simple fraction du médium de circulation total est à l'évidence fausse. Supposons une quantité initiale fixe d'or dans la réserve monétaire d'une économie fermée. Le seul effet d'une réserve fractionnaire plus faible serait une quantité de monnaie plus importante et un niveau de prix plus élevé. Supposons ensuite que la quantité totale de monnaie doive augmenter de 3 % par an pour que les prix restent stables; quelle que soit la réserve fractionnaire, aussi longtemps que la fraction ne change pas, la réserve d'or doit elle aussi s'accroître de 3 % par an pour que les prix restent stables. Si, en ces conditions, la réserve d'or initiale était la même, il n'y aurait pas d'économie directe ici non plus si suffisamment d'or se trouvait ajouté pour que les prix restent stables. Mais le raisonnement doit être compliqué et prendre en compte les forces déterminant la production d'or. Supposons une monnaie d'or à 100 % en équilibre au sens où la production annuelle d'or est juste suffisante pour permettre l'ajout annuel aux réserves monétaires nécessaire à la stabilité des prix - disons 3 % par an -. Soit le ratio de réserve passant à 50 %. Si nous ne supposons temporairement aucun glissement des réserves monétaires d'or vers des utilisations non monétaires, la quantité nominale de monnaie doublerait, et on peut supposer que les prix doubleraient aussi. Cela ferait décroître la production d'or. La production annuelle d'or serait donc inférieure à 3 % du stock; l'or serait «économisé » en ce que moins de ressources seraient consacrées à sa production, mais au prix d'une chute des prix. À mesure que les prix chuteront, la production d'or se trouvera encouragée, et un nouvel équilibre émergera. Le rapport entre la production d'or dans la nouvelle position et la production d'or initiale dépendra des conditions d'offre à long terme dans l'industrie de l'or. Si, par exemple, la courbe d'offre est horizontale, l'équilibre final impliquera la production de moitié moins d'or que l'équilibre initial. Des glissements de l'or stocké des usages monétaires aux usages non monétaires, l'introduction d'un certain nombre d'unités nationales et la possibilité de réserves fractionnaires différentes dans des pays différents font naître des complications supplémentaires. Comme cette analyse simple le montre, la technique la plus efficace et la plus « économe » est celle qui a été utilisée dans la pratique: une forte diminution de la fraction de réserve requise.
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fiduciaire perd tant de sa valeur qu'elle devient elle-même une monnaie marchandise, la marchandise étant le papier et les services utilisés pour produire la monnaie. La concurrence ne peut permettre de déterminer la quantité d'une monnaie fiduciaire. La production de monnaie fiduciaire est, pourrait-on dire, un monopole naturel: ce qui explique pourquoi l'État a si souvent exercé un contrôle en ce domaine, pourquoi le privilège d'émettre de la monnaie a suscité tant de batailles, et pourquoi des défenseurs de la concurrence et de la libre entreprise comme Henry Simons, ont défendu l'idée - que je partage - selon laquelle la création d'une monnaie fiduciaire devrait être un monopole d'État. Le problème du contrôle apparaît clairement lorsque les éléments fiduciaires se trouvent introduits dans un cadre lui-même fiduciaire, comme dans le Peel Act de 1844. Il est moins évident dans le cadre d'un système de réserve fractionnaire où la production d'éléments fiduciaires s'opère d'une manière continue, en conjonction avec des modifications de la monnaie marchandise, et se mêle à d'autres activités. Presque partout, la mise en circulation des éléments fiduciaires dans le système monétaire a été prise en charge par les « banques» et a été considérée comme une activité indissociable de leurs activités de prêts et d'investissement. Ce type d'assimilation n'est pas inévitable. Dans un cadre de monnaie marchandise stricte, les activités d'emprunt et de prêt existeraient toujours. Il n'est, pour autant, pas fortuit que, dans tous les pays avancés, les institutions financières aient mis en circulation, au moins en partie, le médium de circulation tout en accomplissant ce qu'elles considéraient comme leur fonction essentielle: servir d'intermédiaires entre les prêteurs et les emprunteurs. Les prêteurs peuvent avoir des préférences diverses quant aux titres et aux valeurs qu'ils veulent détenir. Certains entendent garder tout ou partie de leurs actifs sous une forme immédiatement disponible, et sujette à des risques de perte de capital (nominal) nuls ou quasi nuls. Les emprunteurs ne veulent que rarement provisionner des titres ou des valeurs ayant ces caractéristiques; ils veulent en général l'assurance que le remboursement ne sera pas exigé avant une date précise. Il existe en ces conditions des possibilités de profit pour une institution qui prêtera sur demande et remboursera à temps. L'institution ne pourra efficacement prêter sur demande que si elle peut convaincre des prêteurs qu'elle sera à même de répondre à leurs exigences lorsque celles-ci s'exprimeront. Si elle peut réussir à convaincre un nombre relativement important de prêteurs, elle aura créé sur la base de sa volonté de répondre au désir des prêteurs, une reconnaissance de dette à même de servir de médium de circulation. En l'absence d'alternative satisfaisante ou d'interdiction directe, il est presque inévitable que le pas soit franchi et que l'institution financière cherche à rendre les titres qu'elle offre aux prêteurs plus attractifs encore en les transformant en médium de circulation. Le fait qu'une partie du médium de circulation soit créé sur la base des activités de prêt et d'investissement des « banques» a engendré une situation où l'État, en tentant de contrôler le médium de circulation, est intervenu dans ces
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activités. L'État a ainsi étendu son contrôle à des activités qui auraient pu être laissées à la concurrence si elles n'avaient pas été mêlées à la création de monnaie. L'introduction d'éléments fiduciaires dans le système monétaire, tout spécialement l'introduction d'éléments fiduciaires par le biais d'institutions financières privées, entraîne presque nécessairement l'existence de différents types de médiums de circulation. Ce qui pose le problème de l'interconvertibilité. Le moyen essentiel qui a été utilisé pour solutionner ce problème a consisté à assurer la convertibilité de tous les autres types de monnaie dans la marchandise constituant l'étalon monétaire. Ainsi, dans le cadre de l'étalon-or du XIXe et du début du Xx e siècle, l'État ou l'une de ses agences offrait d'acheter ou de vendre de l'or en quantité illimitée, à un prix fixé en une catégorie donnée de monnaie (en général des certificats de dépôt ou de la monnaie fiduciaire d'État), et les institutions financières délivrant des médiums de circulation devaient faire que le médium soit convertible ou en or lui-même, ou en cette catégorie de monnaie. Dans ce contexte, le volume potentiel de titres à la monnaie marchandise ainsi créé était égal à un multiple du volume physique de monnaie marchandise disponible. Comme Bagehot l'a bien souligné, le maintien d'un tel système requiert une agence qui n'agisse pas dans son intérêt propre immédiat, mais garde une « réserve» d'urgence. Cette agence doit être constituée par l'État ou un agent de l'État, et exercer un contrôle sur les institutions qui créent la monnaie.
Q.)
L'existence de plusieurs types de monnaie dans le cadre d'un système de réserve fractionnaire, et le maintien de la convertibilité dans la monnaie marchandise, ne peuvent qu'impliquer une « instabilité intrinsèque» dans le volume total de la monnaie: une modification de la forme sous laquelle le public désire garder sa monnaie tend à modifier le volume total de monnaie. La raison en est qu'une unité de la monnaie marchandise en « réserve» sert de «garantie» à plusieurs unités de médium de circulation. Pour dire les choses différemment, le type de monnaie constitué par la monnaie marchandise physique elle-même ou par les certificats de dépôt au sens littéral du terme requiert une réserve de 100 %, d'autres monnaies ne requièrent qu'une réserve fractionnaire; et les diverses catégories de monnaie ont différentes exigences de réserves fractionnaires. Un simple glissement entre ces catégories modifie le volume total de médium de circulation qui peut être émis, étant donné le volume total de marchandise monétaire. De tels glissements sont inévitables. Lorsque c'est le cas, le système monétaire devient lui-même une source d'instabilité.
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L'une des façons d'éliminer cette instabilité intrinsèque consiste à interdire
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été prises pour l'or aux Etats-Unis en 1933, sans que l'instabilité ait été
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éliminée dans la mesure où la troisième décision était absente (1). L'action menée a impliqué l'abandon de l'usage, même partiel, de la monnaie marchandise et son remplacement par une monnaie strictement fiduciaire, un programme d'achat d'une marchandise particulière, et l'instauration de règles relativement souples liant la quantité totale de monnaie fiduciaire à la quantité de la marchandise en réserve. Les étalons marchandise partiels conduisent donc à deux maux majeurs: l'intervention de l'État dans les activités de prêt et d'investissement, qu'il vaut mieux laisser au marché, et une instabilité inhérente au système monétaire. Ces maux peuvent être éliminés par le recours à l'un ou l'autre de deux étalons monétaires extrêmes: 1) un médium de circulation consistant entièrement en marchandise monétaire physique ou en certificats de dépôt (autrement dit une monnaie marchandise stricte), ou 2) un médium de circulation consistant entièrement en un seul type, ou en des types strictement équivalents, de monnaie fiduciaire. Le second étalon n'éliminerait les deux maux que si l'État monopolisait l'émission de monnaie fiduciaire. Si l'État préférait autoriser les banques privées à créer de la monnaie dans le cadre de règles strictes préservant l'uniformité du médium de circulation, l'instabilité inhérente serait éliminée, mais pas l'intervention de l'État dans les activités de prêt et d'investissement. Dans le cadre d'un étalon marchandise strict ou d'un étalon fiduciaire strict, l'élimination des deux maux implique essentiellement la séparation pour les banques des activités de dépôt et de compensation des chèques des activités d'investissement et de prêt, autrement dit ce qu'on appelle« la proposition de réserve de 100 % ». Il s'agit là de la seule proposition qui permettrait que les activités bancaires de prêt et d'investissement restent libres de tout contrôle par l'État. Elle constitue en outre, même si elle n'est pas la seule, une façon satisfaisante d'éliminer l'instabilité inhérente au système monétaire: la meilleure façon d'éliminer cette instabilité - permettre aux banques de délivrer tout à la fois de l'argent liquide et des certificats de dépôt dans le cadre des mêmes exigences de réserve fractionnaires - n'ayant la faveur ni des économistes, ni des banquiers, ni du public. Comme un étalon marchandise strict, un étalon marchandise partiel limite la liberté de l'État en termes de politique économique et monétaire. L'État peut, bien sûr, financer certaines de ses dépenses par la création de monnaie et conserve donc un certain degré de liberté sur ce plan, tout spécialement si ses réserves de monnaie marchandise sont relativement importantes. Sa liberté n'en est pas moins limitée par la nécessité de préserver la convertibilité en la marchandise utilisée au titre d'étalon monétaire. La marge de liberté dont il (1) L'action des États-Unis laissa encore en circulation différents types de médiums avec des
exigences de réserve différentes (entre autres, les billets de la Réserve fédérale et les dépôts à vue dans les banques commerciales). Ce n'était pas nécessaire. Il aurait mieux valu que les exigences de réserve eussent été rendues uniformes.
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dispose peut être plus faible si le même étalon prévaut dans plusieurs pays que s'il prévaut dans un seul pays, et elle peut être quasi nulle si le pays en question ne représente qu'une petite fraction des activités économiques de la zone monétaire concernée, et est engagé fortement dans le commerce international.
2. L'ÉTALON À RÉSERVE DE MARCHANDISES 2.1
(1)
Caractéristiques générales
Comme on l'a déjà noté, la proposition d'une monnaie à réserve de marchandises constitue une tentative d'aller aussi loin que possible dans la direction du symétallisme. L'unité monétaire de base serait un panier de marchandises: tant d'unités de la marchandise X, tant d'unités de la marchandise y, etc. Pour dire les choses autrement, les autorités monétaires offriraient d'acheter et de vendre des quantités illimitées d'un assortiment défini de marchandises (ou peut-être des certificats de dépôt représentant des quantités définies de marchandises) à des prix fixes en termes d'unités monétaires nominales - disons d'acheter l'assortiment défini à $95 000 et de le vendre à $105 000, la différence représentant les charges impliquées. Si le prix total de l'assortiment de marchandises était maintenu ainsi à l'intérieur de limites étroites, le prix de chaque élément au sein de l'assortiment serait libre de varier et, le nombre des éléments étant important, de varier énormément. Chacun des éléments ou ensembles d'éléments pourrait voir son prix monter ou baisser aussi longtemps que les prix des autres éléments monteraient ou baisseraient eux aussi. La nécessité d'accumuler des assortiments de marchandises - ou des assortiments de certificats de dépôts - dans des proportions définies ne poserait pas de problèmes pour autant que les marchandises se vendent librement sur des :g marchés relativement importants. Dans de telles circonstances, des spéciac listes émergeraient qui accumuleraient des assortiments pour les vendre aux .,'"" autorités monétaires lorsque la valeur marchande de l'assortiment tomberait en dessous du prix d'achat officiel, et achèteraient des assortiments aux
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(1) Voir W.T.M. Beale Jr, M.T. Kennedy et W.J. Winn, « Commodity Reserve Currency : A Critique» : Journal of Political Economy" L , août 1942, 578-94, pour un examen critique de la proposition. Cet article est réimprimé dans B. Graham, World Commodities, p. 151-63, de même que la réponse de B. Graham à l'article initialement publiée dans le Journal of Political Economy, février 1943, p. 66-69.- ED. Graham a lui aussi écrit une réponse publiée dans le Journal of Political Economy, février 1943. Voir aussi Lloyds T. Mints, Monetary Politicy a Competitive Society, New York, McGraw-Hill Books and Co., 1950, p. 159-67 - Bennett et associés, op. cit.
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autorités monétaires lorsque la valeur marchande de l'assortiment dépasserait le prix de vente officiel. De façon à ce que la couverture de l'assortiment de marchandises soit aussi large et représentative que possible, il serait probablement souhaitable de procéder à des révisions périodiques. Dans la mesure où il serait difficile d'introduire un principe rigide de révision, la nécessité de celles-ci découlerait de l' automaticité du schéma et de son indépendance par rapport aux autorités politiques; Les ajustements requis pour que la composition des réserves corresponde à l'assortiment de marchandises révisé pourraient à certains moments entraîner des perturbations importantes sur des marchés spécifiques. La monnaie à réserve de marchandises peut se voir assigner différents rôles dans le système monétaire globalement considéré; et l'évaluation de ses mérites dépend du rôle qui lui est assigné. À une extrémité, la monnaie à réserve de marchandise pourrait simplement s'ajouter au système monétaire existant. Elle serait alors essentiellement un instrument permettant de soutenir le prix moyen d'un groupe de marchandises et de répondre aux déficits et aux excédents du budget de l'État à différents stades du cycle économique. Toute analyse de son fonctionnement devrait prendre en compte les caractéristiques de la structure monétaire associée et de la politique monétaire de l'État concerné. Sous cette ferme, le schéma de réserve de marchandises peut être considéré bien plus comme un gadget contra-cyclique parmi d'autres, ou comme un moyen pour l'État de subventionner un groupe donné de producteurs, que comme la base d'une réforme monétaire fondamentale. C'est pourquoi nous n'irons pas plus loin dans cette direction (1). Une possibilité intermédiaire serait la substitution de la monnaie à réserve de marchandises à ce qui a parfois été appelé la « monnaie de base» (le type de monnaie susceptible d'être utilisé en tant que réserve de garantie pour un médium de circulation). Aux États-Unis, cela signifierait sa substitution aux billets de banque et aux certificats de dépôt de la Réserve fédérale et à la monnaie émise par le Trésor, ou peut-être à l'or et à la monnaie émise par le seul Trésor, ou plus généralement à la monnaie fiduciaire émise par la banque centrale ou l'État et aux réserves en marchandises qui la garantissent. Cela signifierait l'instauration d'un étalon marchandise partiel, et vraisemblablement le maintien de la réserve bancaire fractionnaire existante. Il découle de nos analyses précédentes que cela ne permettrait de remédier ni aux interventions de l'État dans les activités de prêt et d'investissement, ni à l'instabilité inhérente au système monétaire. Pour avoir une certaine idée des quantités impliquées, on pourrait noter que la monnaie de base aux États-Unis repré(1) Il faut noter que c'est là le rôle envisagé par Benjamin Graham, ce qui explique pourquoi
ses écrits sur les réserves de marchandises sont pour l'essentiel sans pertinence pour notre propos. C'est aussi le rôle examiné en détail par Bennett et ses associés, op. cit.
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sente en général entre un tiers et une moitié du total de la monnaie et des dépôts à vue, ou entre un sixième et un quart du revenu national. À l'autre extrémité, la monnaie à réserve de marchandises pourrait être adoptée au titre d'étalon marchandise strict. Sous cette forme, la monnaie à· réserve de marchandises remplacerait toute la monnaie existante (y compris les dépôts à vue). Elle irait de pair avec la réserve bancaire de 100 % : de sorte que les deux maux constitués par l'intervention de l'État dans les activités de prêt et d'investissement et par l'instabilité inhérente se trouverait simultanément éliminés. Ce serait là l'utilisation la plus radicale du schème, et cela impliquerait une reconstruction du système monétaire (1). Que la monnaie à réserve de marchandises soit censée remplacer la monnaie de base actuelle ou toute la monnaie existante, son introduction serait compliquée par la présence au sein du système d'une monnaie d'un type qu'elle est censée remplacer. Éliminer la monnaie existante et repartir de zéro ne serait pas souhaitable; il n'en reste pas moins que si le système de réserve de marchandises avait été en place dès le début, cette monnaie aurait été appariée à des stocks de paniers de réserve de marchandise. La solution la plus évidente du problème réside dans le principe du Peel Act: une émission fiduciaire fixe d'un montant égal à la quantité initiale de la monnaie qu'elle est censée remplacer. Si, au départ, le panier de réserve de marchandises était légèrement surévalué, une réserve se trouverait rapidement accumulée, et, dans une économie en croissance, continuerait à s'accumuler.
2.2
La composition du panier monétaire
Pour pouvoir être incluses dans le panier, les marchandises devraient pouvoir faire l'objet d'une cotation de prix précise - ce qui signifie qu'elles devraient pouvoir être définies et standardisées précisément. Il serait très souhaitable, voire essentiel, qu'elles se vendent sur des marchés relativement importants, ce qui permettrait que les transactions concernant les paniers de marchandises puissent être menées rapidement et à un faible coût. Elles devraient être ~ offertes dans des conditions de relative concurrence, dans la mesure où, sans § cela, tout mouvement vers le bas des prix du panier pourrait être absorbé par 1;; ,~ des hausses des prix des articles monopolisés plutôt que par les ventes aux ·ê agences monétaires à partir d'une production accrue. Elles devraient à 9 [il l'évidence être stockables, au sens économique et au sens physique du terme, g ce qui veut dire qu'il devrait être possible de préserver sans frais importants .~ non seulement leurs caractéristiques physiques, mais aussi leur valeur économique. Par exemple, il est sans doute techniquement concevable de préserver
1
(1) Frank D. Graham aurait apparemment préféré cet usage du plan, même s'i! considérait
qu'une limitation de l'usage de celui-ci était préférable à son abandon (voir Social Goals and Economic Institutions).
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longtemps des automobiles de 1951 contre la détérioration matérielle; néanmoins, des automobiles de 1951 pourraient difficilement être considérées comme « stockables » au sens global que nous donnons à ce terme dès lors que, dans un contexte où les modèles changent, leur valeur est susceptible de décliner rapidement. Ces exigences élémentaires excluent tous les services, sauf s'ils sont incorporés dans la valeur de marchandises stockables, pratiquement tous les produits manufacturés, de nombreux produits miniers (le charbon, tout spécialement le charbon bitumineux se détériore vite une fois extrait, le pétrole et le gaz naturel seraient extrêmement chers à stocker) (1), et de nombreux produits agricoles (par exemple, les denrées périssables et le bétail). Restent les produits agricoles stockables tels que le maïs, le blé, le coton, les minerais, et certains produits manufacturés très standardisés tels que les tissus de coton, les rails d'acier, le papier journal, les produits chimiques stockables, etc. Mais tous ces éléments eux-mêmes ne pourraient faire l'affaire. D'autres exigences, qui concernent surtout les conditions de l'offre, excluent quasiment tous les produits agricoles. La production agricole saisonnière n'est pas très contrôlable dans le court terme. La période de pousse est relativement longue, et les hasards de la météorologie y jouent un rôle substantiel. L'inélasticité subséquente de l'offre courante réduirait fortement l'efficacité contre-cyclique à court terme de l'étalon à réserve de marchandises. En supplément, cela confronterait le schéma de réserves de marchandises à d'autres difficultés qui pourront mieux apparaître au travers d'un exemple. Supposons que le schéma de réserve de marchandise soit en place, que le blé soit l'une des marchandises de l'unité monétaire, et qu'un mouvement déflationniste général survienne qui coïncide avec une très faible moisson de blé. La déflation tendrait à rendre profitable la vente de paniers de marchandises à l'agence monétaire en échange de monnaie à réserve de marchandises. Chaque panier devrait inclure une quantité définie de blé. Dans la mesure où le blé ne serait que l'un des différents composants de l'ensemble, une petite baisse du prix des autres marchandises pourrait justifier que le blé à inclure (1) Benjamin Graham inclut tout à la fois le pétrole et le charbon dans ses exemples les plus récents d'unités de marchandises. En fait, les deux pris ensemble représentent 21,5 % de la valeur totale de l'unité, et plus de la moitié de son composant non agricole (voir World
Commodities, p. 43-45). Le pétrole, mais pas le charbon, était inclus dans ses exemples d'unités précédents (Storage and Stability, p. 57). Il estimait néanmoins alors que le coût de stockage du pétrole équivalait à 22 % de son prix moyen par an (ibid, p. 108). Dans son livre le plus récent, la seule justification à l'inclusion du charbon est une référence à un article de Frank Thome, « Supemormal Granary » : Science Newletter, 21 janvier 1939 où, selon B. Graham, il est montré« que le charbon et le bois peuvent être stockés sous l'eau avec un minimum de détérioration» (World COmmodities, p. 148). Bennett et associés (op. cit., p. 106-7) excluent tout à la fois le pétrole et le charbon de leur unité proposée en ce qu'ils sont très coûteux à stocker. Ils excluent aussi sur les mêmes bases la fonte, qui est incluse dans son exemple d'unité par B. Graham.
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dans les ensembles de marchandises soit payé un prix très élevé. La demande de blé résultant pourrait représenter une part importante de l'offre totale qui pourrait donc voir son prix s'élever bien au-dessus du niveau qui prévaudrait sans cela (1). Si un produit alimentaire de base se trouvait d'ores et déjà en situation d'offre anormalement basse, la société pourrait-elle tolérer qu'une quantité importante soit prélevée sur cette offre aux fins d'augmenter le stock non disponible pour la consommation, et que survienne la hausse subséquente du prix du produit? Ne demanderait-elle pas plutôt, et à juste titre, l'utilisation à des fins de consommation des stocks de produit antérieurement accumulés ?(2). On pourrait affirmer pour répondre que si le volume des moissons individuellement considérées varie substantiellement pour des
(1) supposons par exemple qu'il y ait un étalon à réserve de marchandises strict, que l'assortiment de marchandises couvre 10 à 20 % de la production totale (ce qui serait concevable si les produits agricoles pouvaient être inclus), et que la déflation provoque le doublement de l'accroissement habituel de monnaie. L'accroissement de monnaie équivaudrait alors à environ 3 % du revenu national, ou à 15 à 30 % de l'offre monétaire habituelle des marchandises du panier, ou à 14 à 26 % de l'offre totale habituelle des marchandises du panier. Avec une faible récolte de blé, cela pourrait aisément représenter 20 à 35 % de la récolte. (2) Benjamin Graham a proposç un moyen ingénieux rendant possible l'utilisation des stocks de marchandises accumulés dans ces circonstances. Ce moyen consiste à permettre (ou à requérir) que toute marchandise dans les stocks ou les unités vendues à l'agence monétaire soient remplacées par des contrats futurs de fourniture de cette marchandise dès que les prix futurs ont une relation définie au prix comptant (dans la proposition concrète de Graham, dès que les prix futurs sont inférieurs au prix comptant). En général, bien sûr, les prix futurs excéderont les prix comptants d'un montant égal au coût du stockage. La relation inverse est une indication claire de ce que l'offre courante et les stocks privés se situent à un niveau anormalement bas, et donc une bonne justification du prélèvement de marchandises sur les A stocks. F.A. Hayek souligne ce trait dans l'article qu'il a rédigé en faveur du plan Commodity Reserve Currency » : Economic Journal, juin-septembre 1943, p. 176-84). Dans l'ensemble, cet instrument est le mécanisme concevable le plus sûr pour cette fin, et pourrait fort bien être un trait désirable d'un système de réserve de marchandises non conçu comme une réforme monétaire fondamentale. Je ne considère pas qu'il s'agit d'un expédient désirable pour une monnaie à réserve de marchandises dans la mesure où il fait passer la monnaie du statut de certificat de dépôt à celui de reconnaissance de dette. Une unité monétaire représentée en partie par des contrats à terme est logiquement équivalente à un billet promettant de payer de l'or émis dans le cadre d'une réserve d'or fractionnaire. Dans les deux cas, une fraction de la monnaie est essentiellement de la monnaie fiduciaire, constitue un titre à des réserves inexistantes et dépend pour sa convertibilité de la confiance ou de la bonne foi. L'élément fiduciaire serait « créé» par les individus privés qui vendent les éléments à terme. L'incapacité de rembourser de la monnaie marchandise stricte est impensable sauf en cas de fraude; l'incapacité de rembourser une monnaie marchandise dans laquelle les éléments à terme pourraient remplacer les marchandises est possible. Dans une version, B. Graham suggère qu'une fraction de la monnaie correspondant à celle nominalement couverte par les contrats à terme ne devrait pas être émise avant la livraison de la marchandise en tant que garantie de résultat (Storage and Stability, p. 70). Cela équivaudrait logiquement à l'élimination de la marchandise en question de l'unité et plus tard à sa restauration, et signifierait donc des modifications répétées du nombre de marchandises dans l'unité et dans sa composition.
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raisons météorologiques, les statistiques permettent de prévoir une production agricole totale relativement stable. Il n'empêche que c'est la moisson individuellement considérée qui est importante pour le schéma de réserve de marchandises (1). Ces considérations justifient l'exclusion des produits alimentaires, et probablement aussi l'exclusion de produits agricoles non . alimentaires tels que le coton et le lin (2). Ces considérations s'appliquent, il faut le souligner, seulement aux fluctuations à court terme de la production, non à l'absorption régulière d'une fraction de la production aux fins d'accroître régulièrement le stock monétaire: dans le long terme, l'agriculture comme les autres secteurs impliqués, croîtrait de manière plus importante qu'en l'absence de demande monétaire. L'élimination des produits agricoles pour ces raisons techniques non seulement réduit fortement l'ampleur potentielle de couverture de l'unité monéUn certain nombre d'autres considérations s'opposent elles aussi à l'incorporation de cet instrument dans une monnaie à réserve de marchandises: 1) le blé de l'année suivante n'est pas le même que celui de cette année; dès lors, quelle que soit la façon dont on la prend, la substitution de marchandises à terme implique des modifications répétées de la composition de l'ensemble; 2) la relation de prix suggérée pour déterminer quand les marchandises à terme peuvent être remplacées est essentiellement arbitraire. Ce serait aussi sensé de permettre la substitution lorsque le prix au comptant est inférieur au prix à terme d'un montant inférieur au coût estimé de stockage. Cet instrument introduit donc le type d'élément arbitraire et discrétionnaire qu'il est très important d'exclure d'un schéma monétaire dont la vertu majeure est censée être le caractère automatique et impersonnel; 3) il en découle que l'instrument implique une interférence avec une relation de prix spécifique, celle entre le prix immédiat et le prix à terme d'une marchandise donnée, détruisant ainsi l'un des intérêts du plan: le fait qu'il n'implique pas obligatoirement d'interférences avec les prix relatifs. Il faut noter que la question n'est pas quantitativement insignifiante. Des substitutions très importantes de marchandises à terme pourraient être parfois requises pour que les prix à terme soient égaux aux prix comptants. Et rien n'interdit que de telles substitutions puissent survenir pour plusieurs marchandises en même temps. D'une manière plus générale, les défenseurs de la monnaie à réserve de marchandises sont quelque peu hypocrites lorsqu'ils affirment que la disponibilité des stocks de marchandises pour répondre à des besoins spéciaux est un avantage du plan. Ou bien le plan est une partie essentielle d'un système monétaire conçu pour être stable et pour fonctionner dans le cadre de règles définies, auquel cas les stocks de marchandises doivent être déterminés par des considérations monétaires seules, ou il constitue une excuse pour des interventions gouvernementales ad hoc. On ne peut servir deux maîtres en même temps. (1) Le principe du bimétallisme pourrait, si on entend éviter les problèmes analysés plus haut, fort bien être utilisé pour certains groupes de moissons. Mais cela impliquerait une modification fondamentale du schéma, modification consistant essentiellement en la fixation des prix ou la limitation des prix des marchandises individuelles. (2) Plus de 60 % de la valeur des deux unités de marchandises proposées par B. Graham et plus de 80 % de la valeur de l'unité proposée par Bennett et ses associés consiste en produits agricoles. Mais il me faut rappeler que leur point de vue n'est pas le mien. Pour citer un commentaire tiré d'un livre précédent de B. Graham: « Le plan Réservoir peut être considéré dans une certaine mesure comme une proposition d'aide et de soutien à l'agriculture» (Storage and Stability, p. 169).
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taire, mais a aussi des implications politiques importantes. Les producteurs de produits agricoles sont un groupe de pression politique puissant et bruyant. Ils pourraient se déclarer favorables à une monnaie à réserve de marchandises si les produits agricoles devaient être inclus dans l'unité monétaire ; et pourraient être indifférents ou hostiles à une monnaie à réserve de marchandise dans le cas contraire. Leur poids politique, plutôt que d'être un facteur favorable serait en ces conditions un handicap dans la mesure où il se ferait sentir essentiellement aux fins que le schéma de réserve de marc han dises prenne une forme techniquement indésirable. Le soutien politique en faveur du schéma est important, on doit le noter, non seulement pour qu'il soit adopté au départ, mais peut-être plus encore pour que les éventuelles « manipulations» ultérieures soient impossibles. L'élimination des produits agricoles ne laisse subsister que les minerais et les produits manufacturés standardisés. Je ne connais aucune étude détaillée de la valeur de la production annuelle des biens appartenant à ces catégories qui seraient susceptibles d'être inclus dans le panier de réserve de marchandises, et on ne peut indiquer un ordre de grandeur qu'en recourant à une estimation globale (1). La valeur des minerais extraits aux États-Unis en 1947 était d'approximativement 3 milliards de dollars, soit environ 1,5 % du revenu national (2). Certains des minerais concernés devraient être exclus parce qu'ils ne se vendent pas sur des marchés suffisamment libres et importants (par exemple, l'aluminium). Il est plus difficile encore de procéder à une estimation raisonnable des produits manufacturés; des données brutes et approximatives suggèrent que la valeur des produits manufacturés susceptibles de faire l'affaire était probablement inférieure à dix milliards de dollars en 1947, soit environ 5 % du revenu national (3).
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(1) Les données présentées dans B. Graham, World Commodities et dans Bennett et associés, op. cit., ne répondent pas à nos besoins parce qu'elles ont été collectées essentiellement en fonction de l'importance des marchandises dans le commerce international, et en vue d'un objectif différent. (2) US Department of Commerce, Statistical Abstract of the United States, 1949, p. 759. (3) Pour avoir une idée globale de l'ampleur impliquée, j'ai additionné les valeurs ajoutées par la fabrication en 1947 dans les secteurs dont une fraction substantielle des produits sont - pour autant qu'un non-spécialiste puisse en juger - susceptibles d'inclusion. J'ai pris en compte les secteurs suivants: les usines sucrières, les usines de traitement de la laine et de la laine peignée; les filatures; les fabriques de tissu de coton et de rayonne; les menuiseries industrielles; les fabriques de papier; les tanneries et les peausseries; les cimenteries; les fabriques de produits d'argile et les entreprises de métallurgie lourde (hauts-fourneaux, fonderies de fer et d'acier, fonderies de métaux non-ferreux, lieux de laminage des métaux et diverses autres entreprises de métallurgie lourde). La valeur ajoutée totale en 1947 dans ces secteurs était de 13,4 milliards de dollars (ibid., p. 933-43). 1) C'était là, à l'évidence, une surestimation de la valeur ajoutée par la fabrication dans les secteurs indiqués dans la mesure où probablement plus de la moitié des produits concernés ne pourraient être inclus. Deux milliards de dollars au sein du total concernent, par exemple, les tissus de coton et de rayonne. L'essentiel concerne des produits stylisés qui ne peuvent guère être standardisés ou stockés. Les raisons justifiant l'exclusion du coton de la
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Il semble raisonnable de considérer en ces conditions que les marchandises appartenant à l'unité monétaire représenteraient environ 3 à 6 % de la production courante du pays. En incluant le pétrole et le charbon et les produits importés, on pourrait aller jusqu'à environ 6 à 8 %, mais c'est un chiffre maximum (1).
liste des produits éligibles justifient en outre aussi l'exclusion des tissus de coton. Six milliards de dollars au sein du total concernent les entreprises de métallurgie lourde. Or, une fraction importante de la production de ces entreprises est composée de produits non standardisés. De nombreux produits standardisés devraient eux-mêmes se trouver exclus dans la mesure où ils ne se vendent pas sur des marchés suffisamment libres. 2) De nombreux produits fabriqués dans d'autres secteurs de production seraient susceptibles d'être inclus. L'examen des secteurs restants suggère cependant que la sous-estimation impliquée est bien moindre que la surestimation évoquée au point 1, ce dans la mesure où j'ai inclus dans ma liste aussi bien les secteurs pleinement incluables que ceux qui soulevaient de légers doutes. 3) Une autre source d'erreur tient au fait que la valeur ajoutée n'est pas le chiffre adéquat pour nos fins. Ce qui nous concerne ici est plutôt (a) la valeur totale du produit, moins (b) la valeur de toute partie de celui-ci utilisée dans la production de produits milliers métalliques - dans la mesure où cette valeur a d'ores et déjà été comptabilisée dans la valeur totale des produits miniers métalliques -, et moins (c) la valeur de tout produit minier métallique utilisé dans la production des produits manufacturés figurant dans la liste - dans la mesure où cette valeur a elle aussi déjà été comptabilisée -. De longues recherches seraient nécessaires pour obtenir des estimations précises et détaillées sur ces plans. Nous savons, cela dit, que la valeur totale représente en général un peu moins que la moitié de la valeur ajoutée. La valeur (b) est faible et pourrait être laissée de côté, la valeur (c) est, elle, importante pour les secteurs sélectionnés: l'essentiel des trois milliards de dollars assignés aux produits miniers métalliques seraient utilisés dans les entreprises de métallurgie lourde incluses dans notre liste. Eliminer les produits de coton du chiffre de la valeur ajoutée, multiplier le résultat par deux pour tenir compte de 3 (a), et corriger les résultats pour prendre en compte 3 (b) et 3 (c) aboutirait à une valeur totale inférieure à 20 milliards de dollars. Les 10 milliards de dollars cités tiennent compte de la surestimation évoquée en 1 et de la sous-estimation évoquée en 2. (1) 1) L'ajout du charbon et du pétrole, inclus par B. Graham dans son unité de marchandises, ajouterait deux à trois points de pourcentage. 2) Les articles figurant dans l'unité pourraient, bien sûr, inclure les marchandises importées. Les marchandises intérieures exportées pour l'achat des marchandises importées incluables dans l'assortiment de réserve de marchandises seraient alors l'équivalent intérieur de celles-ci et devraient être ajoutées. Cela à d'ores et déjà été fait implicitement pour les exportations consistant en articles considérés comme incluables dans le panier de réserve de marchandises. L'ordre d'ampleur des ajouts potentiellement impliqués peut se trouver indiqué par le fait que les importations de matières premières ont représenté environ 1 à 2 % du revenu national au cours des dernières décennies (les catégories d'importations exclues sont les produits alimentaires bruts, les produits alimentaires manufacturés et semi-manufacturés et les produits manufacturés finis), Statistical Abstract of the United States, 1948, p. 909.
La supériorité des étalons fiduciaires nationaux sur l'étalon marchandise international
2.3
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Le comportement des prix du panier monétaire
L'ampleur de couverture susceptible d'être atteinte dans le cadre d'un étalon à réserve de marchandises est substantielle, sans aucun doute bien plus importante que celle susceptible d'être atteinte dans le cadre d'un étalon or ou argent ou dans le cadre d'un étalon symétallique. Elle n'en est pas moins très éloignée de l'idéal d'une couverture de 100 %. Qui plus est, les marchandises susceptibles d'être incluses immédiatement dans le panier monétaire sont très spécifiques, et aucunement représentatives de l'essentiel de l'activité économique. Il s'agit en fait surtout de minerais et de produits manufacturés fabriqués à partir de minerais. On peut par conséquent s'attendre à ce que leurs coûts de production relatifs soient sujets à des influences particulières et puissent fluctuer fortement. La stabilité du prix nominal des marchandises constituant le panier pourrait aussi aller de pair avec une instabilité substantielle du prix d'autres marchandises. Cette hypothèse peut être testée, au moins dans les grandes lignes, par le biais des indices des prix de gros aux États-Unis. Les chiffres disponibles couvrent une longue période, ce qui permet de décrire tout à la fois le comportement des prix de «toutes les marchandises» et de différentes sous-catégories. L'une des sous-catégories, «métaux et produits métalliques» correspond à un ensemble de marchandises proche du panier de réserve de marchandises tel qu'il nous est apparu concevable. La seule différence notable est que les véhicules à moteur ont été inclus, depuis leur apparition, dans la sous-catégorie. Cette différence interdit la moindre déduction précise concernant ce qu'aurait pu être le comportement des prix dans le cadre d'un étalon de réserve de marchandises. Mais elle n'interdit pas de déduire des indices de la sous-catégorie ce que pourraient être les modifications du niveau des prix dans le cadre d'une monnaie à réserve de marchandises. Un panier monétaire concevable ne serait pas beaucoup plus représentatif, et ne couvrirait pas un segment beaucoup plus large de l'activité économique que la sous-catégorie, et les éléments communs aux deux groupes constituent sans doute l'essentiel de chacun d'eux.
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La sous-catégorie « métaux et produits métalliques» a vu, au cours des cent
"" cinquante dernières années, ses prix baisser par rapport à ceux des autres ,al
marchandises. Un schéma de réserve de marchandises avec un panier moné-
o~ taire identique aurait produit une stabilité des prix nominaux du panier, et par
conséquent une hausse substantielle des autres prix. Le tableau 1 montre l'ampleur de l'instabilité du niveau général des prix qui aurait résulté. Pour 0g. chaque décennie de 1800 à 1940, et chaque année de 1940 à 1949, il donne ~ un indice du ratio des prix de gros de toutes les marchandises au prix de gros -a des métaux et produits métalliques. L'indice hypothétique ainsi calculé consj titue une approximation de l'indice des prix de gros qui aurait prévalu si le ~:; schéma de réserve de marchandises avait été en place pendant cette période, ~ si le panier de réserve de marchandises avait été identique au panier couvert il § ~
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THÉORIE DU CHANGE ET DE L'ÉTALON
par l'indice des « métaux et produits métalliques », et si les mouvements des prix relatifs des métaux et des produits métalliques n'avaient pas été substantiellement affectés par la demande monétaire supplémentaire les concernant. Tableau 1 : Indice numérique des prix de gros (1910 -14 = 100): indice hypothétique dans un cadre d'étalon à réserve de marchandises et indice réel, années sélectionnées, 1800-1949 (Unité de réserve de marchandises supposée composée de métaux et de produits métalliques) Année
Indice hypothétique des prix de gros
Indice réel des prix de gros (BLS)
1800 1810 1820 1830 1840 1850 1860 1870 1880 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1941 1942 1943 1944 1945 1946 1947 1948 1949
40 40 39 44 47 57 62 68 60 67 71 103 129 117 102 109 119 124 125 126 131 131 126 113
129 131 106 91 95 84 93 135 100 82 80 103 226 126 115 128 144 151 152 155 177 222 241 226
• Sources et dérivations du tableau: de 1800 à 1880, basées sur Warren et Pearson, chiffres de l'indice des prix de gros; à partir de 1890, basées sur les chiffres de l'indice des prix de gros du Bureau of Labor Statistics. Les indices Warren et Pearson sont sur une base 1910-14; en conséquence, les chiffres transcrivant dans le tableau l'indice hypothétique à partir de 1880 sont équivalents à 100 fois le ratio de l'indice pour" toutes les marchandises" à l'indice pour les" métaux et produits métalliques ". Les chiffres de l'indice BLS sont sur une base 1926 ; de sorte que les chiffres transcrivant dans le tableau l'indice hypothétique à partir de 1890 sont équivalents à 100 fois le ratio de l'indice BLS pour" toutes les marchandises" à l'indice BLS pour les" métaux et produits métalliques" multiplié par un facteur pour faire passer la base à 1910-14. Ce facteur est égal à l'inverse du ratio de la valeur moyenne de l'indice BLS pour" toutes les marchandises" pour les années 1910 à 1914 à la valeur moyenne correspondante pour les" métaux et produits métalliques ". L:indice réel est tiré directement des sources indiquées, sinon que la base de l'indice BLS passe de 1926 à 1910-14. Pour les données de base, voir US Department of Commerce, " Historical Statistics of the United States ", 1789-1945, Ser. L2, L9, L15, et L21, Federal Reserve Bulletin, mai 1950, p. 577.
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Selon ce tableau, les prix dans le cadre d'une monnaie à réserve de marchandises auraient augmenté de 75 % de 1800 à 1870, auraient chuté de 10 % au cours de la décennie suivante, auraient plus que doublé de cette période jusqu'aux années 20, et auraient chuté à nouveau de plus de 20 % de 1920 à 1940. Pendant la décennie qui s'achève en 1949, les prix auraient d'abord monté d'un peu plus de 30 % et auraient ensuite diminué d'environ 15 %. Pour l'ensemble de la période, l'éventail des fluctuations de prix aurait été plus grand dans le cadre du schéma de réserve de marchandises que cela n'a été le cas en réalité. Sur des périodes plus courtes, l'indice hypothétique ne montre des fluctuations plus faibles que l'indice réel que dans les phases d'inflation en temps de guerre où l'étalon aurait presque certainement été abandonné. Si ces phases sont omises, l'indice hypothétique ne montre pas une stabilité plus grande que l'indice réel, même sur de courtes périodes, il montre au contraire une stabilité à long terme nettement inférieure. Les données statisitiques confirment donc le raisonnement général. On ne peut s'attendre à ce qu'une monnaie à réserve de marchandises permette une stabilité des prix dans la mesure où l'unité monétaire ne peut, au mieux, couvrir qu'une fraction faible et atypique de la production économique.
2.4
L'élasticité de l'offre
L'élasticité de l'offre du stock monétaire dans le cadre d'une monnaie à réserve de marchandises dépend: a) des glissements possibles entre les stocks monétaires et les stocks non-monétaires, et b) de l'élasticité de l'offre courante du panier de réserve de marchandises.
a) Les glissements possibles entre les stocks monétaires et les stocks non
monétaires Le stock total de minerais et de produits manufacturés métalliques conservés à des fins non monétaires ne représente en général qu'une faible fraction de la production annuelle - les frais de stockage font que des stocks plus importants seraient indésirables, et l'élasticité de la production courante les rend inutiles -. Supposons, pour aller à l'extrême, qu'ils soient équivalents à la production d'une demi-année, et que l'offre monétaire totale soit elle-même égale au revenu national d'une demi-année, comme c'est en général le cas aux États-Unis. La proportion des stocks non monétaires des marchandises c: oc: composant l'unité monétaire par rapport à l'offre de monnaie serait alors .!l g. identique à la proportion de la production pes mêmes marchandises à des fins ~ non monétaires par rapport à la production nationale. Nous avons évalué cette ..c: ;; seconde proportion comme située entre 3 et 6 %, ce chiffre pourrait donc ~ constituer aussi une estimation du pourcentage de la quantité totale de § monnaie représenté par des stocks non monétaires normaux. C'est le chiffre ~ adéquat dans le cadre d'un étalon marchandise strict ou d'un étalon marchan-
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THÉORIE Dl) CHANGE ET DE L'ÉTALON
dise partiel avec émission fiduciaire fixe. Dans le cadre d'un étalon à réserve fractionnaire, le chiffre adéquat serait plus élevé d'un facteur égal au ratio de l'offre de monnaie totale à la monnaie de base. Le chiffre est en général inférieur à 3 % aux États-Unis. Même dans ce cas donc, l'expansion maximale possible de l'offre de monnaie susceptible de résulter de l'usage de stocks non monétaires se situerait entre 9 et 18 %. Ces chiffres sont trop élevés, non seulement parce que nous avons probablement surestimé la dimension globale des stocks, mais aussi parce que nous n'avons pas pris en compte leur composition. Les stocks non monétaires ne peuvent être transformés en stocks monétaires que par la constitution de paniers d'une composition adéquate, une limite se trouve tracée par la marchandise dont les stocks permettent le moins grand nombre de paniers. Les modifications possibles de l'offre de monnaie par le biais de glissements des stocks non monétaires aux stocks monétaires ne peuvent être en ces conditions que très limitées. Les limites existant à la possibilité de modifier l'offre de monnaie par l'ajout ou le retrait aux stocks non monétaires signifient que toute modification du ratio désiré du volume de monnaie au flux de revenu ou à la réserve totale de richesse se refléterait à court terme surtout dans le niveau des prix et des revenus ; elle ne permettrait une modification du stock monétaire que dans le long terme, et à mesure que le taux des ajouts courants au stock se trouverait accéléré ou ralenti en réaction aux modifications des prix. La réaction contre-cyclique automatique produite, dans un cadre d'étalon marchandise, par des glissements des stocks monétaires aux stocks non monétaires serait . inefficace dans un cadre d'étalon à réserve de marchandises - un défaut dont l'importance dépend, bien sûr, du degré de sensibilité des dépenses à la fraction des actifs totaux détenus sous forme de monnaie -. Dans un cadre d'étalon marchandise strict, ce défaut ne peut être compensé dans la mesure où des glissements vers ou hors des stocks non monétaires n'ont pas de conséquences directes sur la stabilité monétaire. Dans un cadre d'étalon à réserve de marchandise fractionnaire, les limites aux possibilités de glissement des stocks monétaires aux stocks non monétaires représentent un mal indéniable dans la mesure où chaque unité transférée peut impliquer la destruction ou la création de plusieurs unités de monnaie pour que la réserve fractionnaire reste identique, et peut donc menacer la structure monétaire tout entière. Pour dire les choses autrement, une source d'instabilité essentielle inhérente à un système de réserve fractionnaire disparaît si la monnaie de réserve ne peut être détournée vers des usages non monétaires.
b) L'élasticité de l'offre courante On peut s'attendre à ce que les minerais et les produits manufacturés métalliques qui sont les composants essentiels d'un panier de réserve de marchandises aient une élasticité d'offre courante relativement importante. Le volume
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physique de production des minerais a chuté des trois quarts aux États-Unis de 1929 à 1932, a quadruplé de 1932 à 1937, a chuté d'un tiers de 1937 à 1948, et a plus que doublé de 1938 à 1947. Parallèlement, le volume physique de l'ensemble de la production manufacturière a été divisé par deux de 1929 à 1932, a plus que doublé entre 1932 et 1937 et a doublé à nouveau de 1938 à 1947(1). Bien sûr, ces fluctuations allaient de pair avec des modifications de prix substantielles; les fluctuations les plus importantes correspondent, qui plus est, à des périodes longues; et les fluctuations annuelles sont beaucoup plus modérées. Il semble néanmoins clair que les modifications du flux de revenu qui ont tendu à modifier la valeur relative du panier de réserve de marchandises ont pu susciter des modifications importantes dans la production globale des industries produisant les marchandises du panier. Encore une fois, il faut tenir compte non seulement de la production globale, mais aussi de sa composition, dans la mesure où le panier devrait être disponible dans les proportions adéquates. Si les flux possibles vers la réserve de marchandises ne représentaient qu'une petite fraction de la production globale de chaque marchandise prise séparément, cette précision serait sans importance. Tous les éléments dont l'offre globale serait relativement inélastique pourraient être obtenus sans que leur prix n'augmente substantiellement, et sans que l'incitation à la croissance ne soit réduite par le retrait de quantités normalement requises pour d'autres usages. Mais cette condition ne peut être satisfaite pour un panier de marchandises dont la production non monétaire ne représente que 3 à 6 % de la production globale - elle ne peut l'être en tout cas si des effets de revenu significatifs doivent être produits. Le flux vers les réserves de marchandises pourrait représenter parfois une large fraction de la production totale des marchandises prises séparément, et la nécessité de produire le panier dans la proportion adéquate pourrait réduire substantiellement l'élasticité de son offre courante. La contribution contra-cyclique directe d'une monnaie à réserve de marchandises au revenu dépend non seulement de l'élasticité de son offre courante, mais aussi de l'importance des industries produisant les marchandises du panier. Ces industries seraient, bien sûr, plus importantes dans le cadre d'un étalon à réserve de marchandises dans la mesure où elles devraient croître pour assurer l'accroissement à long terme des stocks de réserve de marchanil ,il dises. Même ainsi néanmoins, elles représenteraient difficilement plus de 4 à .~ 8 % de la production globale. Un exemple pourrait montrer la signification de ~ ce que nous venons d'écrire. Supposons que dans des conditions de g plein-emploi, le revenu monétaire, et donc les prix des autres marchandises, .~ monte rapidement de 10 %, et que par conséquent le prix relatif du panier de
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1 Cl
(Q)
(1) Ces affirmations sont basées sur une déflation de la valeur totale des minerais et du revenu issu de leur extraction. Pour les chiffres utilisés, voir Statistical Abstract of the United States, 1949, p. 283, 302, 304 et 759 ; National Income Supplement to the Survey of Current Business, juillet 1947, p. 26.
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réserve de marchandises baisse de 10 %. Supposons que cette baisse suscite une baisse de la production du panier de 25 % (c'est-à-dire une élasticité de l'offre d'approximativement 2,5) et une diminution correspondante des stocks monétaires. Cela signifierait une baisse du flux de revenu représentant 1 à 2 % du revenu global. Ce qui veut dire que des baisses de production dans les industries de réserve de marchandises compenseraient 10 à 20 % de la hausse initiale supposée du revenu. De même, dans le cadre des conditions supposées, les flux de revenu supplémentaires vers les industries de réserve de marchandises compenseraient le même pourcentage de toute baisse du revenu global qui se serait reflétée d'abord dans les prix (dont les salaires) plutôt que dans l'emploi. Une compensation de revenu contra-cyclique représentant 10 à 20 % du mouvement initial du revenu est substantielle, et suggère qu'une monnaie à réserve de marchandises pourrait être un facteur de stabilisation relativement puissant. Cette conclusion peut néanmoins fort bien surestimer la dimension de la compensation dans la mesure où nous avons probablement situé l'élasticité de l'offre courante et la fraction de la production représentée par les industries de réserve de marchandises à un niveau trop élevé. Qui plus est, le caractère très particulier des marchandises composant le panier monétaire ferait que les variations compensatoires de revenu seraient très localisées, industriellement et géographiquement.
2.5
Stipulations pour une croissance durable
Dans une économie en croissance, une augmentation durable de la quantité de monnaie est nécessaire si on entend éviter une baisse durable du niveau des prix. Dans le cadre d'un étalon à réserve de marchandises strict ou dans le cadre d'une émission fiduciaire fixe, c'est-à-dire d'une émission fiduciaire qui implique des réserves de 100 % derrière tous les accroissements quantitatifs du médium en circulation, la croissance durable correspondante des réserves de marchandises devrait être égale à l'accroissement global de la quantité de monnaie. On a d'ores et déjà souligné que pour les États-Unis au cours des cent cinquante dernières années, cela aurait requis l'utilisation d'un peu plus de 1,5 % des ressources globales pour la production des marchandises à ajouter à la réserve(l). En grandeur absolue, au niveau courant du (1) La quantité totale de monnaie pourrait représenter une plus petite proportion du revenu national dans le cadre d'un étalon marchandise strict que dans le cadre présent dans la mesure où il serait alors plus coûteux de détenir du médium de circulation en raison des frais que les institutions de dépôt auraient à faire payer dans un système de réserve de 100 %. Le chiffre de 1,5 % ne tient pas compte de la baisse tendancielle observée de la vitesse de circulation, qui ferait passer le chiffre à plus de 2 %. Une diminution du ratio des réserves de monnaie au revenu national d'environ 25 % serait requise pour compenser ce facteur.
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revenu national aux États-Unis, les ajouts annuels moyens à effectuer à la réserve de marchandises équivaudraient à environ 3,5 milliards de dollars, compte non tenu des frais de stockage. Si les industries de 'réserve monétaire croissaient aux fins de fournir cette quantité annuelle supplémentaire, leur part dans la production globale passerait des 3 à 6 % estimés ci-dessus à environ 4 à 8 %, et un cinquième à un tiers de leur production totale serait en moyenne destiné aux ajouts à la réserve de marchandises. Comme on l'a noté plus haut, le coût de fourniture requis pour une croissance durable serait essentiellement le même dans le cadre de tout étalon marchandise strict. En conséquence, la nécessité de payer le prix n'est pas un argument contre la monnaie à réserve de marchandises si on la compare à un autre étalon marchandise strict. Et ce serait un faible prix à payer si cela permettait la stabilité monétaire, et si c'était la seule ou la meilleure façon de parvenir à celle-ci. Si même, ce qui est fort loin d'être sûr, cela permettait la stabilité monétaire, ce n'est néanmoins ni la seule ni la meilleure façon d'y parvenir. Il existe à l'évidence des alternatives moins coûteuses. Il est donc difficile de croire qu'un pays pourrait décider délibérément de consacrer une part aussi importante de ses ressources à l'accumulation de réserves de marchandises utiles en prévoyant qu'elles ne seront jamais utilisées. Cette considération suffit à exclure presque complètement le recours à un étalon à réserve de marchandise strict ou un étalon avec émission fiduciaire fixe. Différents moyens peuvent être utilisés pour éviter une accumulation à long terme de réserves de cette ampleur. Peut-être le meilleur pourrait-il consister à procéder à un accroissement annuel régulier de l'émission fiduciaire d'un montant ou d'un pourcentage fixé à l'avance auquel on se tiendrait. Le pourcentage devrait être sujet à des révisions périodiques aux fins de corriger les erreurs éventuelles dans sa détermination. L'accroissement de l'émission . fiduciaire pourrait être utilisé pour rembourser la dette de l'État, ou pour payer ·une partie des dépenses courantes de l'État. En dehors de cela, le système serait identique à un étalon marchandise strict. Ce moyen pourrait permettre d'éviter des accroissements réguliers et importants de la réserve de marchandises, et abaisserait donc le coût annuel moyen à un niveau modéré. Le revers de la médaille serait l'anéantissement de la possibilité d'une autoc: ::> maticité et d'une liberté complètes par rapport au contrôle politique, alors que '" cette possibilité constitue le plus grand, et sans doute l'unique avantage d'un étalon marchandise strict par rapport à un étalon fiduciaire pur. 0)
Le coût annuel serait très réduit si la monnaie à réserve de marchandises n'était utilisée que pour remplacer la réserve existante ou la monnaie de base, .!l g. et si le système actuel de réserve fractionnaire continuait à être utilisé. Mais il Ë resterait significatif. Comme on l'a noté, la monnaie de base aux États-Unis .§. représente couramment entre un tiers et un quart de la monnaie totale et des dépôts à vue; en ces conditions, l'accroissement à long terme requis impli.,; oc: querait aux États-Unis l'usage d'une moitié à trois quarts de 1 % du revenu ::> Ci national, ou de un à deux milliards de dollars par an au niveau courant du ©l
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THÉORIE DU CHANGE ET DE L'ÉTALON
revenu national. Ce coût lui-même pourrait être évité si on procédait à un accroissement régulier de l'émission fiduciaire. L'une ou l'autre technique signifierait l'intervention politique dans les activités de prêt et d'investissement, et une instabilité intrinsèque du système monétaire.
2.6
Le commerce international
La monnaie à réserve de marchandises pourrait être adoptée par un seul pays ou par plusieurs. Si elle était adoptée par un seul pays, le taux de change entre la monnaie de ce pays et d'autres monnaies pourrait varier. Il serait déterminé sur le marché ou, vues les circonstances présentes, plus probablement par une combinaison des forces du marché et de l'intervention de l'État. Pour que le schéma de réserve de marchandises soit adopté par plusieurs pays, le panier initial et les révisions subséquentes devraient faire l'objet d'un accord, celui-ci pouvant résulter de négociations ou de l'adoption par d'autres pays d'un panier initialement adopté par un pays. La composition du panier serait un objet d'une grande importance pour les pays concernés, et on pourrait s'attendre à ce que le choix des proportions dans lesquelles les marchandises devraient être combinées, comme celui des marchandises à inclure, fasse l'objet de conflits considérables. L'intégration du système monétaire à la politique commerciale poserait un problème plus important encore. Les critères monétaires communs supposés seraient une pure fiction si les pays concernés entravaient les libres mouvements des marchandises du panier par des barrières douanières, des aides à l'exportation, des taxes ou des contrôles quantitatifs. Un commerce complètement libre des marchandises du panier entre les pays impliqués serait la condition essentielle du fonctionnement effectif du système à l'échelle internationale. Cette condition serait essentielle aussi pour les libéraux, et elle pourrait les mener à fortement recommander le schéma de réserve de marchandises si un mouvement en direction de la monnaie à réserve de marchandises pouvait conduire à surmonter les réticences envers l'abolition des barrières commerciales. Il semble clair, hélas, que la situation est plutôt l'inverse: le refus d'accepter une pleine liberté du commerce fait que la possibilité que la monnaie à réserve de marchandises devienne l'étalon monétaire international n'est pas prise en considération. Des problèmes proches se poseraient par rapport à la politique monétaire et économique globalement considérée. Le schéma de réserve de marchandises, comme tout autre étalon à réserve de marchandises, imposerait sa discipline sur la politique monétaire et économique tout entière des pays qui l'ont adopté; et il ne pourrait fonctionner que si tous acceptaient cette discipline. Mieux vaudrait penser en ces conditions en termes d'adoption du schéma par un seul grand pays. D'autres pays pourraient adhérer ensuite s'ils le veulent.
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Si le schéma était adopté par plusieurs pays en même temps que le principe du libre commerce entre leurs frontières des marchandises faisant partie du panier, les taux de change entre les monnaies des différents pays ne pourraient fluctuer qu'à l'intérieur des limites posées par le coût de transport du panier. La stabilité des taux de change stimulerait et faciliterait sans doute le commerce international. Ce serait néanmoins une erreur de considérer la stimulation du commerce international comme une vertu propre au schéma de réserve de marchandises. La stimulation du commerce international serait une simple conséquence de l'adoption par les différents pays de politiques intérieures requises pour empêcher l'effondrement de l'étalon de réserve de marchandises; les politiques en question auraient des résultats identiques si les pays concernés avaient des étalons fiduciaires indépendants (voir 3.1, ci-dessous). Si elle était effectivement adoptée par plusieurs pays, la fourniture de monnaie en échange de paniers de marchandises ou de paniers de marchandises en échange de monnaie pourrait être pratiquée par chaque pays séparément ou par une autorité internationale. La démarche adoptée n'importerait que dans l'éventualité d'un effondrement final de l'étalon, auquel cas la localisation physique des réserves ou des titres à celle-ci pourrait déterminer qui peut les utiliser pour d'autres fins.
3. COMPARAISON DE LA RÉSERVE DE MARCHANDISES AVEC D'AUTRES ÉTALONS On ne peut parvenir à un jugement définitif concernant l'étalon à réserve de marchandises qu'en procédant à des comparaisons avec d'autres étalons utilisables. Pour que les problèmes impliqués apparaissent clairement, j'utiliserai à cette fin deux solutions très différentes: l'étalon-or (3.1) et un étalon fiduciaire pur allant de pair avec une politique budgétaire stabilisatrice (3.2).
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3.1
l'étalon-or
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De tous les étalons marchandise, l'étalon-or est celui qui représente l'alternative la plus attrayante à l'étalon à réserve de marchandises. Il a un long passé g derrière lui; de nombreux pays déclarent fonctionner dans un cadre .!:! d'étalon-or, de nombreux autres vouloir revenir à l'étalon-or ou vouloir l'adopter. L'or est largement utilisé en tant que moyen de circulation, et des ..c _ dizaines de millions de gens à travers le monde le considèrent comme une j « monnaie », voire comme la seule « vraie» monnaie. 9
a
f l (Q)
La différence technique essentielle entre l'étalon-or et l'étalon à réserve de marchandises est que, dans la mesure où la production non monétaire
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normale d'or représente une proportion beaucoup plus faible de la production globale que la production non monétaire normale des marchandises qui pourraient être incluses dans le panier de réserve de marchandises, la base sur laquelle repose l'étalon-or est beaucoup plus étroite. On pourrait par ailleurs s'attendre à ce que le fait que l'étalon à réserve de marchandises repose sur une base plus large signifie un niveau de prix plus stable. Rien ne permet de penser que cette attente correspond à la réalité. Les prix des marchandises en général auraient au cours des cent cinquante dernières années fluctué au moins autant qu'ils l'ont fait si, plutôt que de l'être dans les termes d'une unité monétaire basée sur l'or, ils avaient été exprimés dans les termes d'une unité monétaire basée sur les composants principaux du panier de réserve de marchandises -les métaux et les produits métalliques -. La base plus large sur laquelle repose la monnaie à réserve de marchandises ferait probablement de celle-ci un instrument contra-cyclique plus efficace que l'étalon-or. Il en irait sans doute ainsi pour ce qui concerne les flux de revenu directs créés par l'expansion et la contraction des secteurs produisant la monnaie marchandise, et par conséquent pour l'expansion ou la contraction associée de l'offre de monnaie. Ce n'est pas aussi certain pour ce qui concerne l'effet indirect des glissements entre réserves monétaires et réserves non monétaires. Sous d'autres aspects, l'étalon-or et l'étalon à réserve de marchandises seraient essentiellement identiques si on partait de rien. L'un et l'autre permettent une automaticité presque complète et une liberté par rapport aux contrôles politiques pour peu que toutes les modifications de l'offre monétaire prennent la forme de monnaie marchandise ou de certificats de dépôt au sens littéral du terme. Dans un cadre comme dans l'autre, la croissance à long terme de l'offre monétaire exigerait l'utilisation de ressources importantes. Si la société hésitait à consacrer les ressources exigées, l'un et l'autre tendraient à devenir des étalons marchandise partiels, probablement du type « réserve fractionnaire ». L'un et l'autre tomberaient alors sous le coup de l'intervention politique et deviendraient des éléments d'un système monétaire instable. L'un et l'autre peuvent être des monnaies internationales, et permettre des taux de change fixes entre les pays pour peu que les politiques intérieures appropriées soient adoptées par les pays concernés. Bien que les deux étalons soient identiques sous cet angle si on partait strictement de rien, l'étalon-or est nettement supérieur si la situation existante est prise en compte. L'étalon à réserve de marchandises ne suscite aucun attrait puissant et ne bénéficie pas d'un soutien populaire important. Aucun mythe ne l'accompagne. Le soutien dont il pourrait bénéficier devrait être construit à partir de zéro ou presque. Une fois adopté, il serait à l'essai pendant une période de temps considérable, et nul n'hésiterait le cas échéant à le rejeter. Il pourrait facilement devenir la base de rivalités politiques plutôt qu'un garde-fou contre l'intervention politique. L'étalon-or, lui, bénéficie d'ores et déjà d'un soutien important et d'un attrait puissant. Aussi dilué qu'il soit
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aujourd'hui, il a incontestablement contribué à réfréner les velléités de «manipulations» monétaires. On peut concevoir - même si, je l'admets, c'est difficile - que des pays décident de se soumettre de nouveau à sa rude discipline. Je ne parviens pas à concevoir que des pays puissent décider de se soumettre à la discipline, pourtant plus souple, de la monnaie à réserve de marchandises. Il existe d'ores et déjà des réserves monétaires d'or, de sorte que l'instauration d'un étalon-or strict - accompagné d'une émission fiduciaire fixe pour éviter un fort accroissement du prix nominal de l'or - serait plus facile que l'instauration d'une monnaie à réserve de marchandises. L'activité consistant à collecter de l'or dans une partie du monde pour l'enterrer en une autre, bien qu'elle fasse parfois l'objet de plaisanteries ou de commentaires sarcastiques, est assez largement acceptée, même si elle n'est pas comprise. La production d'une grande variété de marchandises à l'évidence utiles aux fins de les conserver de manière permanente dans des entrepôts, bien qu'elle ne soit pas plus aberrante, ne serait ni acceptée ni comprise. Les chances, aussi négligeables soient-elles, qu'un étalon-or strict puisse fonctionner sont bien plus fortes comparées à celles qu'un étalon à réserve de marchandises strict puisse fonctionner. Enfin, un commerce international nominal libre de l'or existe déjà, et une effective liberté du commerce pourrait plus facilement se réaliser pour l'or que pour les marchandises qu'il serait souhaitable d'inclure dans la monnaie à réserve de marchandises. L'accord sur l'or serait de surcroît plus simple à atteindre que l'accord sur le contenu du panier constituant la réserve de marchandises. Sur l'un et l'autre plans, l'or semble être plus à même de constituer une monnaie internationale possible.
3.2
La monnaie fiduciaire pure
Le type de monnaie fiduciaire avec lequel j'entends comparer la monnaie à réserve de marchandises est celui proposé dans un cadre monétaire et fiscal que j'ai décrit et analysé en détail ailleurs (1). Ce cadre prévoit une monnaie '" fiduciaire pure émise par l'État, couplée à des réserves bancaires de 100 % et " :~ à l'élimination de tout contrôle discrétionnaire de la quantité de monnaie par ~ une banque centrale ou d'autres autorités monétaires. Les modifications de la § quantité de monnaie seraient produites entièrement par le biais du budget de ~ l'État. Les déficits seraient financés par l'émission de monnaie fiduciaire .~ supplémentaire, et les excédents seraient utilisés pour retirer de la monnaie. ] La quantité de monnaie en ces conditions augmenterait du montant de tout j déficit et se contracterait du montant de tout excédent. Les déficits et les -0 o c
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(1) Voir Essais d'économie positive, chap. 5.
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THÉORIE DU CHANGE ET DE L'ÉTALON
excédents eux-mêmes seraient engendrés automatiquement par les modifications des conditions économiques. Le niveau des dépenses de l'État, le programme de transferts sociaux et la structure fiscale seraient cycliquement stables. Ils ne seraient modifiés qu'en réponse à des modifications de l'éventail des activités que la société entendrait voir menées par l'État, et non pas pour répondre aux fluctuations cycliques de l'économie. Par conséquent, avec un système de taxation progressif et un programme de transferts sociaux, les augmentations cycliques du revenu tendraient à générer des excédents, et les baisses cycliques du revenu à générer des déficits. Dans le cadre ainsi dessiné, les modifications du niveau de services publics et de transferts sociaux que la société choisit d'avoir impliqueraient des transformations correspondantes de la structure fiscale. Les transformations en question seraient calculées sur la base d'un niveau hypothétique de revenu correspondant à une situation de plein-emploi à un niveau de prix défini plutôt que sur la base du revenu réel. Le principe de l'équilibre des dépenses et des recettes à un niveau de revenu hypothétiquement stable serait remplacé par le principe de l'équilibre des dépenses et des recettes réelles. Pour répondre aux nécessités de l'accroissement durable et graduel de la quantité de monnaie, le budget pourrait inclure la possibilité de rentrées annuelles régulières dérivées d'une augmentation de l'offre de médium de circulation. Ce cadre fournit un étalon monétaire national conçu pour favoriser la stabilité intérieure. Les monnaies des différents pays seraient reliées par le biais de taux de change flexibles librement déterminés sur les marchés des changes, si possible par le biais de transactions privées. L'étalon fiduciaire inhérent à ce cadre présente un grand avantage par rapport .à l'étalon à réserve de marchandises: il est, pour l'essentiel, sans coût, et ne requiert ni le maintien d'une réserve de marchandises utiles, mais destinées à n'être jamais utilisées, ni lé détournement de ressources pour la production de marchandises devant être ajoutées aux réserves. L'étalon à réserve de marchandises a, semble-t-il, deux avantages potentiels immédiats. D'abord, dans la mesure où un étalon à réserve de marchandises strict serait complètement autonome par rapport au budget de l'État et ne requerrait, une fois en place, aucune décision législative ultérieure, il serait moins à même d'être détruit ou ébranlé par des actions malencontreuses de l'État, et prêterait moins le flanc à la tentation de recourir à l'expansion de la monnaie pour financer les dépenses de l'État. Ensuite, un étalon à réserve de marchandises pourrait permettre l'émergence d'une monnaie internationale à taux de change fixe. Ces deux avantages potentiels sont, cela dit, essentiellement illusoires. Comme on l'a d'ores et déjà noté, le coût d'un étalon à réserve de marchandises strict ne peut que conduire à l'adoption de moyens de fournir sans coûts une partie au moins de l'ajout devant être effectué annuellement au médium de circulation pour satisfaire les exigences de la croissance. Le moyen le plus
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désirable serait un ajout annuel régulier à une émission fiduciaire initiale, l'ajout étant utilisé pour financer les dépenses de l'État. Mais cela lierait la monnaie à réserve de marchandises au budget de l'État sur le même mode que la monnaie fiduciaire proposée, impliquerait la même nécessité de révision périodique, et susciterait la même tentation de financer des dépenses excessives par l'émission de monnaie. L'émission excessive de monnaies détruirait tôt ou tard l'étalon à réserve de marchandises, comme elle détruirait l'étalon fiduciaire proposé. Dans l'un et l'autre cas, la parade ne pourrait être que la volonté de se soumettre à des règles préalablement acceptées, ce qui impliquerait donc une acceptation pleine et entière des règles et le développement d'une tradition favorisant l'adhésion à celles-ci. Les problèmes que pose la possibilité d'obtenir l'acceptation des règles et de voir une telle tradition se développer sont essentiellement les mêmes pour les deux étalons. Il me serait difficile de dire lequel des deux serait le plus facile à vendre (1). De façon à présenter les choses sous l'angle le plus favorable à la monnaie à réserve de marchandises, je supposerai que le seul instrument utilisé est un ajout annuel fixe à l'émission fiduciaire. Mais il faut noter que l'utilisation de réserves fractionnaires sera peut-être le résultat, plus vraisemblable et beaucoup moins satisfaisant, de la volonté d'éviter les coûts d'un étalon strict à réserve de marchandises. Cette utilisation impliquerait l'intervention de l'État dans les activités de prêt et d'emprunt, et donc l'instabilité du système monétaire. Le système bancaire à réserves fractionnaires ne pourrait pas être éliminé non plus dans le cadre de l'étalon fiduciaire. Son maintien ne se trouverait pas favorisé par une incitation à créer plus d'un type de moyen de circulation aux fins de réduire les coûts impliqués par les ajouts nécessaires à l'offre de monnaie. Pour ce qui concerne les arrangements internationaux, ce qui est souhaitable n'est pas des taux de change rigides et fixes, mais des taux de change stables. Si un certain nombre de pays adoptaient l'étalon fiduciaire proposé, la stabilité des prix internationaux et des conditions économiques qui en résulterait produirait automatiquement des taux de change relativement stables, comme l'adoption de l'étalon à réserve de marchandises. L'incapacité de tout pays ayant adopté l'étalon fiduciaire à mener une politique intérieure stable se refléterait essentiellement dans les taux de change et n'aurait que des effets :~ mineurs sur le commerce international et sur les autres pays. L'incapacité ~ d'un pays ayant adopté l'étalon à réserve de marchandises de mener une poli§ tique intérieure stable serait, par contre, la source de difficultés intérieures .~ pour d'autres pays ayant adopté le même étalon et menacerait la survie de gg- celui-ci. Le pays politiquement instable finirait probablement par être exclu de l'étalon; le commerce international pourrait néanmoins se révéler avoir -ao été sérieusement perturbé, et des tentatives de restreindre la liberté du (1) Sous cet angle, l'étalon-or est en avance sur chacun des deux étalons.
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commerce international pourraient avoir émergé. Sous cet angle aussi, les avantages semblent se situer du côté de la flexibilité de l'étalon fiduciaire plutôt que du côté de la rigidité de l'étalon à réserve de marchandises, sans même parler des difficultés qu'il y aurait à parvenir à une adoption internationale effective de l'étalon à réserve de marchandises. Les deux autres incidences sous lesquelles il est important de comparer l'étalon à réserve de marchandises et l'étalon· fiduciaire sont le comportement du niveau des prix, et l'efficacité des réactions contre-cycliques. Les composants « absolus» de l'étalon fiduciaire, ceux qui déterminent le niveau des prix, sont la structure fiscale fixe, avec ses exemptions et ses taux, exprimés en unités monétaires nominales, et le programme de redistribution fixe, lui-même exprimé en unités monétaires nominales. La relation entre les recettes de ce système fiscal, déduction faite des paiements redistributifs, et le coût des services fixes de l'État détermine si le budget de l'État tire les prix vers le haut ou vers le bas. Ce qui signifie que l'étalon sera lui-même une source d'instabilité si des modifications surviennent dans le rendement de la structure fiscale et redistributive fixe pour un revenu par tête donné (1), ou dans les coûts relatifs des services de l'État. Des modifications de ce rendement pourraient survenir surtout en raison de changements dans l'inégalité de la répartition des revenus, et ces modifications ont en général été très faibles. Le panier des marchandises et des services achetés par l'État est très varié; par conséquent, son prix relatif ne devrait pas fluctuer grandement. Pour dire les choses autrement, la « base» de l'étalon fiduciaire est, en quelque sorte, une moyenne complexe et pondérée des revenus sujets à prélèvement fiscal ou à ajouts par le biais de paiements redistributifs, et des prix des marchandises et des services achetés par l'État. Cette base est en général plus large et plus représentative que celle d'un étalon à réserve de marchandises. On pourrait s'attendre en ces conditions à ce que l'étalon fiduciaire soit la source de moins d'instabilité des prix que l'étalon à réserve de marchandises. Le comportement à long terme possible du niveau des prix des produits finis dans le cadre de l'étalon fiduciaire dépend des dispositions prises pour répondre à la croissance à long terme et est plus difficile à prédire (2). Mais le comportement à long terme du niveau des prix dans le cadre d'un étalon à réserve de marchandises est plus imprévisible encore dans la mesure où il dépend du comportement futur des.coûts relatifs de production. Dans le cadre de l'étalon fiduciaire, il n'y a pas de modification possible de l'offre de monnaie par le biais de glissements des stocks monétaires vers les stocks non monétaires cette réaction contre-cyclique possible est donc absente. Bien qu'elle y soit faible, elle est présente, par contre, dans le cadre (1) On peut s'attendre à ce que les modifications de population affectent dans la même propor-
tion les recettes fiscales et les dépenses. (2) Voir supra, p. 41-42.- Mints, op. cit., p. 215-19.
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de l'étalon à réserve de marchandises. Avec les deux étalons, la réaction contra-cyclique dominante est néanmoins celle produite par les modifications compensatoires du flux de revenu et par la création ou la destruction de monnaie qui résulte. Dans le cadre de l'étalon à réserve de marchandises, les modifications compensatoires s'opèrent dans les industries produisant les marchandises du panier monétaire. Dans le cadre de l'étalon fiduciaire, elles s'opèrent par le biais de modifications du budget de l'État -l'État produisant, pour ainsi dire, les marchandises appartenant au panier monétaire fiduciaire -. Comme nous l'avons vu, le flux de revenu induit dans le cadre de l'étalon à réserve de marchandises peut au mieux compenser 10 à 20 % de la modification initiale de revenu. Diverses estimations suggèrent qu'aux ÉtatsUnis, le flux induit de revenu dans le cadre de l'étalon fiduciaire compenserait en général au moins un quart, et peut-être plus qu'un tiers, de la modification initiale de revenu (1). En ces conditions, l'effet de revenu contra-cyclique direct et l'effet indirect associé qu'est la modification des réserves d'actifs et de monnaie de la société seraient environ deux à trois fois plus importants dans le cadre de l'étalon fiduciaire que dans celui de l'étalon à réserve de marchandises (2). Les problèmes de transition liés à l'introduction des deux étalons seraient, sous de nombreuses incidences, les mêmes. L'un et l'autre étalons impliqueraient les mêmes réformes bancaires, le même abandon de l'autorité discrétionnaire actuelle, et l'adoption des mêmes règles fiscales. Le schéma de réserve de marchandises exigerait en supplément un accord sur la composition et le prix du panier de marchandises, l'accumulation d'une réserve initiale, et la conservation des stocks. L'étalon fiduciaire exigerait, lui, le choix d'un niveau hypothétique de revenu et d'un principe budgétaire. Il n'exigerait aucune modification de la structure fiscale dans la mesure où une flexibilité intrinsèque importante existe déjà dans le budget de l'État. Dans l'ensemble, les problèmes de transition semblent, donc, moins importants pour l'étalon fiduciaire.
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(1) Cela repose sur R.A. Musgrave et M.H. Miller, « Built-in Flexibility » : American Econo-
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mic Review, XXXVIII, mars 1948, 122-28 et d'autres éléments de preuve disséminés. (2) Un effet plus important ne conduit pas nécessairement à une stabilité plus grande. Il existe un certain optimum au-delà duquel des réactions anti-cycliques supposées plus grandes peuvent augmenter, et non diminuer, l'instabilité. Je doute que l'étalon fiduciaire puisse aller au-delà de cet optimum, mais je ne peux véritablement étayer cette affirmation. Voir Milton Friedman, « Rejoinder to Philip Neff » : American Economic Review, XXXIX, septembre 1949,950-51 et note 2 ; M. Friedman, Essais d'économie positive, 1995 [1953], chap.4.
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4. CONCLUSION Le schéma de réserve de marchandises ne permet de franchir que quelques pas en direction de l'idéal symétallique de couverture universelle de la production d'une économie. La nécessité que les marchandises de l'unité monétaire soient standardisées, mises en vente sur des marchés importants, offertes dans de bonnes conditions de concurrence, et stockables physiquement et économiquement, limite le nombre de marchandises susceptibles d'être incluses essentiellement aux produits céréaliers, aux minerais et aux produits manufacturés très standardisés. L'impossibilité de maîtriser le volume de la production des produits céréaliers sur des périodes courtes et le fait que la production agricole globalement considérée dépende de forces erratiques en font des composants indésirables du panier. Les produits restants - les métaux, certains produits métalliques et quelques autres produits manufacturés standardisés - ne représentent probablement pas plus que 3 à 6 % de la production normale d'un pays tel que les États-Unis. Cette étroitesse de couverture signifie qu'on ne peut s'attendre à ce que l'étalon à réserve de marchandises suscite une stabilisation des prix, que ce soit dans le long terme ou le court terme. Des modifications des coûts relatifs de production des monnaies marchandise pourraient elles-mêmes constituer une source importante d'instabilité des prix. Les stocks non monétaires normaux disponibles pour la conversion en stocks monétaires seraient faibles, et la quantité de monnaie changerait essentiellement par le biais d'ajouts extraits de la production courante ou de retraits destinés à l'utilisation courante. Les réactions contra-cycliques d'un schéma de réserve de marchandises opéreraient donc surtout par le biais de variations du taux de production des industries produisant les marchandises qui constituent la réserve. Dans la mesure où ces industries ont une production courante relativement élastique, toute baisse des autres prix conduirait à une augmentation substantielle de leur production, ce qui conduirait tout à la fois à une augmentation des réserves monétaires et à une augmentation du flux de revenu courant; toute hausse des autres prix aurait l'effet inverse. Le flux de revenu compensatoire pourrait être équivalent à 10 à 20 % de la modification initiale. Les modifications corollaires de la quantité de monnaie affecteraient tout à la fois le volume total des actifs réels détenus par la société et la fraction des actifs totaux détenus sous la forme de monnaie, et cela aurait des effets contra-cycliques supplémentaires sur les dépenses et les revenus. La monnaie à réserve de marchandises pourrait donc être un instrument contra-cyclique. Le schéma de réserve de marchandises aurait pour vertus une automaticité presque complète et une liberté par rapport aux contrôles politiques si elle devenait le seul moyen de modifier l'offre du médium en circulation, autrement dit, si elle allait de pair avec une réserve bancaire de 100 % et si tout
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autre moyen d'émettre de la monnaie était éliminé. Mais en ce cas, une accumulation rapide de stocks de marchandises serait nécessaire pour assurer la croissance durable des stocks de monnaie, et cela impliquerait l'usage d'importantes quantités de ressources à cette fin. Les moyens à même de permettre la réduction de ce coût ne pourraient être adoptés qu'au détriment de la liberté par rapport aux contrôles et à l'intervention politiques. Le schéma de réserve de marchandises ne pourrait opérer internationalement et permettre des taux de change stables que si les différents pays concernés étaient prêts à autoriser la liberté complète du commerce des marchandises appartenant au panier et à soumettre leur politique économique et monétaire intérieure à la discipline impliquée. Comparée avec un étalon-or, la monnaie à réserve de marchandises a un avantage technique significatif - son aptitude potentielle plus grande à compenser les mouvements cycliques de revenu, de production et d'emploi-. Pour le reste, les deux étalons sont techniquement équivalents. L'un et l'autre reposent sur une base relativement étroite et non représentative, et peuvent constituer la source de fluctuations du niveau des prix. Bien que sa base soit un peu plus large, les données montrent qu'un étalon à réserve de marchandises serait aussi peu satisfaisant sous cet angle qu'un étalon-or. L'un et l'autre requièrent des ressources pour la croissance durable du stock de monnaie, et incitent donc à l'introduction de monnaie fiduciaire. L'un et l'autre peuvent être des étalons internationaux autorisant des taux de change fixes entre pays. Les avantages techniques possibles de la monnaie à réserve de marchandises sont, de mon point de vue, annihilés par l'inconvénient majeur représenté par le fait qu'à la différence de l'or, il semble presque impossible qu'elle fasse l'objet d'une adhésion immédiate et sans questions. Les seuls aspects véritablement désirables d'un étalon marchandise sont les limites qu'il peut imposer à des interventions politiques déraisonnables et les possibilités qu'il peut ouvrir en vue d'une monnaie internationale. S'il n'existe aucun risque d'intervention politique déraisonnable, que ce soit parce que les décisions prises sont universellement sages, ou parce que d'autres limites existent, il n'y a pas de raison de gaspiller des ressources en accumulant des réserves "" monétaires plutôt que d'adopter l'alternative essentiellement non coûteuse représentée par l'étalon fiduciaire. Une monnaie marchandise ne peut constituer un rempart contre l'intervention politique et ne peut être acceptée par de nombreux pays que si elle bénéficie d'un soutien populaire suffisamment large et puissant pour que 1'« intervention» apparaisse politiquement dange.~ reuse et pour que les divergences d'intérêts nationaux soient surmontées. L'or g a bénéficié et peut toujours bénéficier de ce type de soutien. La monnaie à ~o.0 réserve de marchandises ne le peut pas. On ne peut s'attendre à ce que le soutien en faveur d'une monnaie à réserve de marchandises puisse émerger comme a émergé le soutien en faveur de l'or -l'acceptation de l'or en tant qu'étalon a été le fruit d'une évolution acciden-
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telle plutôt que celui d'une décision, le fruit d'un long usage et de constatations répétées du maintien de la valeur de l'or malgré les effondrements de la monnaie fiduciaire, le fruit aussi des avantages dont semblaient jouir les personnes qui préféraient détenir de l'or plutôt que d'autres formes de monnaie, et plus globalement du long processus historique dont est issue la mythologie de l'or -. Le soutien en faveur d'une monnaie à réserve de marchandises ne pourrait naître que de la persuasion, de la conviction se répandant au sein de la société qu'il s'agit du meilleur étalon monétaire disponible. Il n'est, bien sûr, pas impossible que la société puisse acquérir semblable conviction, mais la comparaison à laquelle nous avons procédé entre l'étalon à réserve de marchandises et un strict étalon fiduciaire couplé à un budget de l'État se stabilisant automatiquement montre que la conviction ne pourrait se fonder sur la supériorité technique de la monnaie à réserve de marchandises, mais sur des arguments irrationnels. Sous tous les aspects importants, la monnaie à réserve de marchandises est techniquement inférieure à la monnaie fiduciaire. Elle impliquerait des coûts substantiels d'accumulation de stocks de marchandises, alors que la monnaie fiduciaire serait essentiellement sans coût; elle inciterait par conséquent au maintien ou à l'extension de dispositifs monétaires intrinsèquement instables et d'une intervention étatique inutile dans les activités de prêt et d'investissement; elle serait la source d'une plus grande instabilité des prix et des conditions économiques que l'étalon fiduciaire; elle serait probablement moins efficace pour contrer l'instabilité susceptible de naître d'autres sources; dans des conditions où un groupe de pays accepterait de se soumettre pleinement à la discipline de l'un ou l'autre étalon, elle ne serait pas plus favorable au commerce international que la monnaie fiduciaire; et dans des conditions inverses, elle provoquerait des perturbations du commerce international beaucoup plus importantes que la monnaie fiduciaire. En ce qu'elle a pour but de conserver les avantages contra-cycliques d'un étalon fiduciaire tout en conservant la base physique d'un étalon-or, la monnaie à réserve de marchandises me semble rester au milieu du gué, et, comme tant de compromis, me semble pire que les extrêmes entre lesquels elle se tient. Elle ne peut disposer ni du pouvoir d'attraction émotionnelle de l'étalon-or d'une part, ni de l'efficacité technique de la monnaie fiduciaire d'autre part.
Partie 2
ÉPISODES EN HISTOIRE MONÉTAIRE
Chapitre 3
LE CRIME DE 1873*
Je suis persuadé que l'histoire s'en souviendra [du Coinage Act de 1873] comme du plus grand crime législatif et de la plus stupéfiante conspiration contre le bien-être des peuples des Etats-Unis et de l'Europe, dont la présente génération - ou d'autres - ait pu être le témoin. Sénateur John Reagan (1890) [La démonétisation de l'argent] ... a été le crime du XIX e siècle. Sénateur William Stewart (1889) Nous constatons en 1873 une simple reconnaissance légale de ce [la démonétisation de l'argent] qui avait été le résultat immédiat de la loi de 1853. James Laurence Laughlin (1886) Nous ne presserons pas sur le front des travailleurs cette couronne d'épines. Vous ne crucifierez pas l'humanité sur une croix d'or. William Jennings Bryan (1896) La loi de 1873 a été une décision heureuse, qui a sauvé notre crédit sur le plan financier et protégé l'honneur de l'État. C'est une œuvre législative dont nous ne pourrons jamais être assez reconnaissants. James Laurence Laughlin (1886)
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* J'exprime
ma reconnaissance, pour leurs commentaires très utiles sur des versions antérieures de ce chapitre, à Michael Bordo, Conrad Braun, Philip Cagan, Joe Cobb, Harold Hough, David Laidler, Hugh Rockoff et, comme toujours et très particulièment, à Anna Schwartz. En outre, David Friedman et un lecteur anonyme pour le compte du Journal of Political Economy ont formulé, lors de la révision du texte, un certain nombre de suggestions très utiles.
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Le Coinage Act de 1873 (loi sur la frappe des monnaies) auquel se rapportent ces citations fut voté à la Chambre des représentants par 110 voix contre 13, et au Sénat par 36 voix contre 14, après de longues et néanmoins superficielles auditions et discussions. À l'époque, il attira peu l'attention, même de la part de ceux des membres du Congrès (y compris le sénateur Stewart) qui d'abord le votèrent pour ensuite l'attaquer en termes violents: «grave faute », «conspiration» suite à des «tractations corrompues », «erreur qui. .. est pire qu'un crime », « grave fraude législative» et, enfin, « le crime de 1873» (voir Bamett, 1964, p. 178-181)(1). Comment une mesure législative, apparemment inoffensive, a-t-elle pu provoquer des réactions aussi vives et aussi contrastées de la part de personnalités célèbres, intellectuels, hommes d'affaires, hommes politiques, pendant aussi longtemps? Comment en est-elle venue au centre des débats dans une campagne présidentielle qui se déroulait plus de vingt ans après qu'elle eût été votée (on en trouvera l'histoire dans le chapitre 4). Était-elle un crime, dans un sens ou dans un autre? Quelles ont été ses véritables conséquences? Il faut, pour répondre à ces questions, rappeler quelques notions d'histoire et de théorie monétaires.
1. LE CONTEXTE HISTORIQUE La Constitution américaine donne au Congrès le pouvoir de «frapper la monnaie, d'en fixer la valeur, et de fixer la valeur des monnaies étrangères », et interdit aux États d'autoriser l'usage de «quelque autre chose que les pièces d'or et d'argent comme monnaie pour le paiement des dettes ». Quand il a pour la première fois exercé ce pouvoir, le Congrès, suivant la recommandation d'Alexander Hamilton, vota le Coinage Act du 2 avril 1792. Cette loi a édicté que l'unité monétaire de base des États-Unis était le dollar, et que les monnaies divisionnaires seraient définies sur une base décimale: le centime, le « demidime » (devenue le « nickel»), le « dime », « le quart», etc. Elle a défini aussi le dollar comme étant égal à 371,25 grains (24,057 grammes) d'argent pur ou 24,75 grains 0,603 gramme) d'or pur, elle a autorisé lafrappe libre des pièces d'or et d'argent selon le rapport de 15 pour 1, et précisé la part d'alliage qui pourrait être associée au métal pur dans la frappe des pièces (2). (1) Selon Paul M. O'Leary (1960, p.390), «la première personne qui a employé le mot "crime" a été George Weston, secrétaire de la Commission monétaire américaine de 1876 ... dans son rapport spécial joint au rapport de la Commission» publié en 1877. Bamett (1964, p. 180) attribue le premier emploi de l'expression « le crime de 1873 » au sénateur Henry Teller, du Colorado, le 10 juillet 1890. (2) Cette loi disait que « le métal ainsi présenté [pour être frappé selon les termes de la loi] devra être vérifié et frappé aussi rapidement que possible après sa réception, et cela sans débours pour la personne ou les personnes qui l'auront apporté » (Jastram, 1981, p. 63). La frappe était donc doublement libre: ouverte à tous en quantités illimitées, et gratuite.
Le crime de 1873
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J'ai écrit en italique deux termes qui sont essentiels pour la compréhension du «crime de 1873 ». Lafrappe libre est essentielle parce qu'elle concrétise la mise en pratique d'un étalon-métal lorsqu'elle indique que l'Hôtel des monnaies de l'Etat convertira tout métal précieux que les individus lui présentent en monnaie légale exprimée en dollars (à l'origine, uniquement en pièces, plus tard s'y sont ajoutés des certificats) pour un poids de métal équivalent. La mention expresse des deux métaux, l'or et l'argent, est essentielle, parce qu'elle signifie que les États-Unis adoptent effectivement un étalon bimétallique, c'est-à-dire un étalon monétaire qui autorise la frappe libre, donc l'emploi comme monnaie de l'un ou l'autre de deux métaux, l'argent ou l'or. Ces deux dispositions de la loi équivalaient à dire que le gouvernement des États-Unis achèterait tout l'argent et tout l'or qui lui serait offert aux prix de 1,2929 ... dollar par once troy (31,135 grammes) d'argent pur et de 19,3939 ... dollars par once troy d'or fin; en d'autres termes, 15 fois plus pour une once d'or que pour une once d'argent d'où un rapport de 15 pour 1 (I). Bien que légalement l'or ou l'argent aient été utilisables comme monnaie, en fait l'argent seul fut utilisé jusqu'en 1834, pour une raison simple. Il y avait, et il y a encore, un marché de l'argent et de l'or extérieur à l' Hôtel des monnaies, pour la joaillerie, les usages industriels, la frappe de pièces dans les autres pays, etc. En 1792, le rapport des prix sur le marché de l'or et de l'argent était presque exactement de 15 pour 1, soit le rapport recommandé par Hamilton. Mais peu après, sur le marché mondial, le rapport dépassa 15 pour 1 de façon durable (voir Jastram, 1981, p. 63-69). En conséquence, ceux qui possédaient de l'or et voulaient le convertir en monnaie avaient intérêt à l'échanger d'abord contre de l'argent sur le marché, puis à présenter cet argent à la frappe, au lieu d'apporter directement leur or. Pour présenter cela autrement, on peut voir l'Hôtel des monnaies comme une voie à double sens avec un rapport de 15 pour 1. Une façon évidente de s'enrichir serait d'apporter 15 onces d'argent à l'Hôtel des monnaies, obtenir 1 once d'or, vendre cette once d'or sur le marché, acheter avec le produit de cette vente plus de 15 onces d'argent, empocher le bénéfice, et recommencer. Il est clair que, rapidement, l'Hôtel des monnaies regorgerait d'argent et n'aurait plus d'or. C'est pourquoi l'engagement officiel dans ce régime bimétalliste portait seulement sur l'achat d'argent et d'or (c'est-à-dire de transformer le métal en
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Cette gratuité de la frappe est exceptionnelle. Normalement, une faible redevance, appelée seigneuriage, est prélevée pour couvrir le coût de l'opération. Mais ce seigneuriage a parfois été manipulé et a servi à d'autres fins que la couverture du coût de la frappe: par exemple les seigneurs, autrefois, y voyaient un revenu, et le président F.D. Roosevelt a utilisé ce moyen pour stabiliser le prix de l'argent. (1) Les décimales (1,2929 ... et 19,3939 ... ) peuvent se poursuivre indéfiniment parce qu'une once troy équivaut à 480 grains. Étant donné que 1 dollar est défini comme équivalent à 371,25 grains d'argent pur ou 24,75 grains d'or fin, une once d'argent vaut 480 divisé par 371,25, soit 1,2929 ... dollar, et une once d'or vaut 480 divisé par 24,75, soit 19,3939 ... dollars.
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pièces, sans limitation), quoique l'Hôtel des monnaies puisse, à sa convenance, vendre (rembourser en métal) l'un ou l'autre des deux métaux ou les deux. En fait, les États-Unis ont vécu sous un régime d'étalon-argent de 1792 à 1834. L'or n'était utilisé comme monnaie que compte tenu de sa prime, et non pour sa valeur faciale. Il était trop précieux. La loi de Gresham jouait à plein: la monnaie la moins chère faisait disparaître la monnaie chère (1). En 1834 fut votée une nouvelle loi sur la frappe des monnaies, car le rapport des prix de l'or et de l'argent sur le marché mondial était passé à 15,625 pour 1. Ce rapport fut, à plusieurs reprises, recommandé par le Select Committee on Coins de la Chambre des représentants entre 1832 et 1834, sous le prétexte de «faire quelque chose pour l'or », dont on venait de découvrir des gisements en Virginie, en Caroline du Nord et du Sud, et en Georgie, et qui était dorénavant « de la plus grande importance pour ces quatre états du sud» (O'Leary, 1937, p. 83). Mais le Select Committee modifia assez brusquement son attitude et recommanda un rapport de 16 pour 1, non pas pour faire quelque chose pour l'or - ce qu'il a fait néanmoins - mais pour faire quelque chose contre la Bank of the United States de Nicholas Biddle (2). Cela a été le point culminant de la célèbre «guerre des banques» entre le président Andrew Jackson et Biddle, qui se termina par le refus opposé à celui-ci d'obtenir pour sa banque une nouvelle charte lorsque la première charte fédérale expira en 1836. Comme le dit Paul O'Leary (1937, p. 84), le rapport de 16 pour 1 «était une massue dorée ... employée par Jackson et ses partisans pour rosser l'ennemi qu'ils haïssaient, la banque ». L'état peu satisfaisant de la monnaie en circulation - un mélange de pièces d'argent américaines et étrangères, auquel s'ajoutait du papier monnaie émis par certaines banques à charte d'état dont quelques unes étaient douteuses - avait entraîné un regain de confiance, en tant qu'instrument d'échanges, en faveur des billets émis par la banque de Biddle. On espérait que la loi de 1834 affaiblirait celle-ci en substituant à ses billets des pièces d'or. Dans cette affaire, deux points méritent une mention spéciale. Tout d'abord, en 1834, le rapport de 16 pour 1 constituait une massue d'or; dans la décennie de 1890, c'était une massue d'argent. Ensuite, dans les deux cas, cette massue a été l'instrument du même groupe de forces politiques contre le même (ou presque) groupe: les partisans d'Andrew Jackson en 1834 et de (1) V ne bonne formulation de cette loi devrait être beaucoup plus précise, comme l'ont montré Rolnick et Weber (1986). (2) Alors que ce rapport est dit de 16 pour l, il n'est qu'une approximation. Dans la loi de 1834, le poids du dollar d'or a été fixé à 23,2 grains (1,509 gramme) d'or fin, ce qui donnait un rapport or-argent très peu supérieur à 16 pour 1. La loi fut amendée en 1837 pour porter le poids à 23,22, ce qui donnait un rapport très légèrement inférieur à 16 pour 1. Cette modification fut introduite pour permettre, dans les pièces, exactement 10 % d'alliage. On trouvera une bonne documentation sur les premières lois relatives à la frappe des monnaies aux États-Vnis dans le National Executive Silver Committee (1890), ainsi que dans US Commission on the Role of Gold (1982, vol. l, chap. 2).
Le crime de 1873
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William Jennings Bryan en 1896, composé surtout de paysans, de petites et moyennes entreprises, et de catégories sociales défavorisées du sud et de l'ouest, contre les banquiers, les financiers, les grandes affaires, et les classes urbaines riches de l'est et du nord-est. En tout état de cause, l'adoption du rapport de 16 pour 1 - qui déterminait un prix officiel de 20,671835 ... dollars (soit 480/23,22) par once d'or fin concrétisa la fin du règne de l'argent. De cette date à la guerre civile, la frappe de pièces d'argent se limita presque exclusivement aux pièces de faible valeur. Ces pièces étaient, elles aussi, surévaluées selon le nouveau rapport légal de 16 pour 1, jusqu'à ce que le Congrès décide de réduire leur teneur en argent. Mais la différence fut si faible, et tant de pièces étaient d'un poids inférieur au poids légal, qu'il ne valait pas la peine de les faire fondre (au moins jusqu'à l'inflation de dollars-papier durant la guerre civile) (Carothers, 1930, p.98101). Les pièces d'or circulèrent à partir de 1834, et l'or était l'étalon de fait. Malgré l'accroissement de la demande d'or à usage monétaire, le rapport de prix entre l'or et l'argent sur le marché s'abaissa à la suite des découvertes d'or en Californie et en Australie dans les décennies de 1840 et de 1850. La position de l'or en tant que monnaie bon marché semblait assurée. La guerre civile a temporairement clos le règne de l'or. Les besoins de financement de la guerre ont entraîné la création de papier-monnaie - les greenbacks - émis sans couverture d'or ou d'argent et sans promesse de paiement en l'un ou l'autre métal (1).
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En fait, le papier était devenu la monnaie bon marché. L'or continua cependant à circuler, notamment sur la Côte ouest, ·mais non plus, naturellement, suivant un rapport de un pour un avec les greenbacks. Un marché se créa sur lesquelle «prix de l'or en greenbacks» s'éleva au-dessus du cours officiel, et même audessus du double de ce prix. Le Gouvernement exigea le paiement en or des droits de douane et de certaines taxes, et les banques imaginèrent pour leurs clients des dépôts différents pour l'or et les billets. En résumé, l'or et les greenbacks circulèrent côte à côte selon un taux de change flottant déterminé par le marché, mais les greenbacks étaient de toute évidence la monnaie dominante pour la majorité des transactions et dans la plupart des régions.
5 Arrivons enfin à 1873. L'opinion commençait à demander la fin des greenri backs et le retour à un étalon métallique. C'était le moment pour le Congrès de ,al .19 mettre au net la législation sur la frappe des monnaies. La loi de 1873 établit la
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(1) Signalons un détail très intéressant à propos des greenbacks: Salmon Chase était secrétaire au Trésor quand les premiers greenbacks furent émis en 1862. Huit ans plus tard, il était Premier Juge de la Cour suprême, lorsque celle-ci eut à juger du premier cas portant sur la constitutionnalité de leur émission. Non seulement Chase ne s'abstint pas mais, en tant que Premier Juge, il se joignit à la majorité de la Cour pour déclarer inconstitutionnel ce qu'il avait fait en tant que secrétaire au Trésor. Un peu plus d'un an plus tard, après que deux membres de la Cour furent remplacés, la décision - dans la seconde affaire portant sur des greenback - fut inversée, et cette fois le Premier Juge Chase fut l'un des juges dissidents.
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liste des pièces qui devraient être frappées, celle-ci comprenait les monnaies d'or et les monnaies divisionnaires d'argent, mais ne parlait pas du dollar d'argent - qui appartenait à l'histoire - de 371,25 grains troy d'argent pur. Une autre mise à jour de la loi intervint en 1874(1); elle fut suivie du Resumption Act en 1875 et du rétablissement couronné de succès d'un étalon métallique basé sur l'or le 1er janvier 1879(2). L'évolution qui a trouvé son point culminant dans la conversion de 1879 a un parallèle exact dans ce qui s'était passé en Grande-Bretagne six décennies plus tôt: un étalon bimétallique avant 1797, puis un étalon-papier inconvertible, la démonétisation de l'argent en 1816, et la conversion en 1821 sur une base-or (alors que, sans la législation de 1816, la conversion se serait faite sur une base argent)(3). Ce parallélisme n'est pas pure coïncidence. La première étape - fin de la convertibilité et adoption d'un étalon-papier - fut, dans les deux pays, une réaction aux difficultés financières de la guerre(4). Comme aux États-Unis, la décision britannique de revenir à un étalon métallique traduisait le désir de posséder une monnaie solide, désir qui se manifestait dans le mécontentement de la communauté financière, des détenteurs de titres d'État, et de quelques économistes, devant l'inflation provoquée par l'abandon d'un étalon métallique; l'inflation était cependant extrêmement modérée, comparée aux normes actuelles: au plus 5 à 10 % par an. Le choix par la Grande-Bretagne de l'or de préférence à l'argent fut un peu un accident, mais ce fut une des principales raisons pour lesquelles les États-Unis choisirent la même solution près de 60 ans plus tard (5). (1) La loi de 1873 portait la création d'un dollar d'argent plus lourd, le« dollar commercial »,
(2) (3) (4)
(5)
pour être utilisé dans les échanges avec le Mexique et l'Extrême-Orient, où régnait l'étalon-argent. Ce dollar commercial fut monnaie légale jusqu'en juin 1874, lorsque le Congrès vota un texte (les «Revised statutes ») aux termes duquel aucune pièce d'argent ne pouvait être légalement acceptée au-delà de 5 dollars, et les pièces étrangères ne pouvaient plus servir de monnaie (voir Bamett, 1964, p. 178). Selon Nugent (1968, p. 98,134), la loi sur le monnayage fut introduite d'abord par le sénateur John Sherman en 1868, et la loi qui fut votée fut rédigée à l'origine en 1869 (et modifiée par la suite) ; elle fut présentée pour la première fois au Sénat en avril 1870. On trouvera une étude détaillée de la période des greenbacks et de leur conversion dans Friedman et Schwartz (1963, chapitre 2). En 1819, le prix de l'or sur le marché était tombé jusqu'au cours légal, mais la Banque d'Angleterre ne fut pas, jusqu'en 1821, tenue de racheter ses billets contre de l'or. Ce n'était pas la seule réaction possible, bien que de nombreux historiens tendent à considérer comme inévitable ce qui s'est passé. La France s'est trouvée dans des difficultés financières encore plus graves que la Grande-Bretagne, et cependant « tout au long de vingt ans de guerre, parfois contre la moitié de l'Europe [Napoléon] ne s'est jamais permis de recourir à une monnaie de papier inconvertible» (Walker, 1896b, p. 87). Nous étudierons cela plus en détail au chapitre 5. David Ricardo, l'un des partisans les plus ardents du rachat en Grande-Bretagne, fut d'abord en faveur de l'argent mais non du bimétallisme ([1816], 1951, p. 63). Puis, dans une déclaration faite en 1819 devant un comité parlementaire, Ricardo prit parti pour l'or parce que «"j'ai compris que ce mécanisme convient particulièrement aux mines d'argent
Le crime de 1873
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Si aux États-Unis la conversion des greenbacks était intervenu sous le régime de monnayage prévalant avant la guerre civile, l'argent serait devenu le métal bon marché chaque fois que le rapport or-argent s'élevait nettement au-dessus de 16 pour l, comme cela se produisit en 1875. Les producteurs d'argent auraient alors eu avantage à apporter leur métal à l'Hôtel des monnaies, plutôt qu'à le vendre sur le marché, et les possesseurs de pièces d'or auraient eu avantage à fondre leurs pièces et à vendre l'or sur le marché plutôt que d'utiliser les pièces comme monnaie pour leur valeur faciale (1). Dans la pratique, ni la conversion du métal en pièces, ni la fonte de pièces d'or ou d'argent ne sont gratuites. Il est normal que soit prélevé un petit droit de seigneuriage pour couvrir les dépenses de l'Hôtel des monnaies, et l'opération de fonte implique un certain coût. De plus, une perte d'intérêts est encourue, eh raison des délais de frappe, et la vente ou l'achat de métal entraîne un coût. La tendance à considérer le rapport légal comme un chiffre précis, impliquant qu'un seul des deux métaux puisse circuler à un moment donné, est donc une illusion. Dans un système d'étalon-or, les «points d'or» permettent aux taux de change de fluctuer entre certaines "limites sans entraîner des sorties ou entrées d'or; de même, dans un régime bimétalliste, des «points de rapport de prix or-argent» permettent à ce rapport de fluctuer entre certaines limites sans provoquer soit une prime sur l'un des deux métaux, soit son remplacement total par l'autre (2). L'omission, dans le Coinage Act de 1873, de toute mention d'un dollar d'argent a entraîné légalement la fin du régime bimétalliste aux États-Unis. Si la loi n'avait pas omis cette référence décisive, il est presque certain que le rachat des greenbacks en 1879 se serait fait sur la base de l'argent, et non de l'or. C'est cela qui, aux yeux des partisans de l'argent, constitue le « crime de 1873 ».
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et peut par conséquent entraîner un accroissement de la quantité de ce métal et une altération de sa valeur, alors que cette cause ne jouera sans doute pas sur la valeur de l'or ([1819a], 1952, p. 390-191; voir également [1819b], 1952, p. 427). Cette thèse, comme tant de celles qui sont fondées sur l'opinion de techniciens «experts », s'est révélée très éloignée de la vérité. On trouvera au chapitre 5 une étude détaillée de ce point. (1) Aujourd'hui, apporter de l'or ou de l'argent à la Monnaie ne présente aucun intérêt, car l'un et l'autre métal ont été remplacés par une monnaie moins chère, le papier. Mais il existe encore, dans les textes, des prix officiels (1,2929 dollar pour l'argent, 42,22 dollars pour l'or). Les avoirs en or du gouvernement américain sont toujours évalués au prix officiel. Cependant personne n'envisagerait d'employer une pièce d'argent marquée 1 dollar ou une pièce d'or marquée 20 dollars comme monnaie pour ces valeurs faciales. Ces pièces ont respectivement une valeur numismatique de 8 et 475 dollars. Je suis redevable à Conrad Braun pour les estimations de la valeur actuelle des pièces d'argent et d'or. (2) C'est la situation qui a prévalu en France de 1803 à 1873. Pendant toute cette période, l'or et l'argent ont circulé conjointement, en dépit de rapports de prix de marché qui s'écartaient du rapport légal de 15,5 pour 1. Parfois cependant l'argent tendait à remplacer l'or, et inversement (Walker, 1896b, chap. 4 et 5, en part. p. 121). On trouvera au chapitre 5 une analyse plus détaillée d'un étalon bimétallique.
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Ces événements soulèvent deux questions. La moins importante, mais celle à laquelle il est le plus facile d'apporter une réponse, est: «y a-t-il eu crime », autant qu'on puisse le dire raisonnablement? La seconde, beaucoup plus importante, mais aussi à laquelle il est beaucoup plus difficile de répondre, est celleci: que se serait-il passé si cette malheureuse phrase n'avait pas été omise?
2. Y A-T-IL EU « CRIME)}? En 1877, The Nation, dans un éditorial, écrivait ceci: « M. Ernest Seyd, bullioniste intrigant et agent secret de porteurs étrangers d'obligations américaines, arriva aux États-Unis en 1873, venant de Londres, et parvint à soudoyer certains membres influents du Congrès et des fonctionnaires importants du gouvernement pour les amener à proposer la démonétisation de l'argent. On dit qu'il apporta avec lui 500 000 dollars pour acheter certains parlementaires et le contrôleur de la monnaie» (cité dans Bamett, 1964, p. 178). Si cela avait été vrai, il y aurait effectivement eu crime dans tous les sens du terme. Mais aucune preuve n'a jamais été avancée pour corroborer cette affirmation. En réalité, Seyd n'avait rien d'un «bullioniste intrigant ». C'était un anglais partisan du bimétallisme qui était très opposé à la démonétisation de l'argent par les États-Unis (Nugent, 1968, p. 153, 166). Aucun soupçon de corruption n'a jamais été évoqué, ni encore moins prouvé, contre aucun membre du Congrès ou fonctionnaire, à propos du vote du Coinage Act de 1873. Cette loi fit l'objet de longs débats aussi bien en comité qu'en séance pleinière du Congrès et fut aisément votée par une forte majorité, quoique par la suite certains critiques aient soutenu que la disposition essentielle à laquelle ils s'opposaient ait été à peine mentionnée et discutée en séance pleinière(l). Au sens littéral du mot « crime» - à savoir « un acte punissable par la loi, parce que interdit par un texte ou néfaste au bien-être public» - il n'y a pas eu crime. Par contre, si on considère le sens « plus général» de ce mot que donnent les dictionnaires - « un acte mauvais ou nuisible, une offense, un péché» - le fait qu'il y ait ou non eu crime est une question d'opinion. Ce qui n'est pas douteux est que l'omission du dollar d'argent parmi les pièces dont la frappe était prévue, a été intentionnelle et prise en pleine connaissance des conséquences probables, avec la conviction que ces conséquences étaient souhaitables. Cela a été exposé clairement par H.R. Linderman, directeur de la Monnaie des ÉtatsUnis à l'époque où la loi a été votée, dans un ouvrage publié peu de temps après (1877, chapitre 9). Dans son rapport adressé au secrétaire au Trésor en (1) Ils ont même cité, pour appuyer leurs dires, un de leurs adversaires: «Comme le dit le Professeur Laughlin ... "le Sénat a passé une grande partie de son temps à des questions de seigneuriage et d'usure des pièces, et la Chambre à discuter des salaires des fonctionnaires". » (National Executive Si/ver Commitee, 1890, p. 22).
Le crime de 1873
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novembre 1872, alors que la loi était en discussion devant le Congrès, il écrivait ceci: « Les fluctuations de la valeur relative de l'or et de l'argent pendant les cent dernières années n'ont pas été très fortes, mais plusieurs causes sont maintenant à l'œuvre qui tendent toutes à accroître l'offre d'argent par rapport à la demande, donc à la dépréciation de ce métal» (1877, p. 48). Sur les effets à attendre de la loi, Linderman écrivait ceci: «La déclaration incluse dans le Coinage Act de 1873, selon laquelle l'unité de valeur sera désormais le dollar d'or, et l'omission du dollar d'argent parmi les pièces dont la frappe est prévue par cette loi, ont mis les États-Unis sous le régime du seul étalon-or... Le poids de l'opinion en Europe et en Amérique va à l'encontre de la possibilité pratique de conserver un double étalon, quelle que soit la base choisie, et favorise un étalon unique, l'or. » (p. 44.) Dans un des chapitres suivants, il écrit que « les partisans du retour à l'ancien dollar d'argent... semblent penser que l'arrêt de la frappe de cette pièce a été une erreur, sinon une injustice; et ils désirent que celle-ci soit réparée, sans se préoccuper de savoir s'il serait possible de conserver, après le rachat de 1879, une circulation conjointe de pièces d'or et d'argent» (p. 100-1Ol). En outre, comme Walter Nugent le montre abondamment, le sénateur John Sherman, président du comité financier du Sénat, était, au moins depuis 1867, décidé à démonétiser l'argent, et il avait fait préparer un projet de loi à cet effet à la fin de 1869. À partir de cette date, le sénateur Sherman, Linderman, John Jay Knox (vice-contrôleur, puis contrôleur de la monnaie) et le secrétaire au Trésor George Boutwell ont collaboré à l'élaboration d'une loi sur la frappe des monnaies prévoyant la démonétisation de l'argent (1968, p. 80, 88,99, 103, 105). Nugent se demande si« Knox, Linderman, Boutwell, Sherman, et d'autres, avaient conscience de ce qu'ils faisaient en projetant de supprimer le dollar d'argent ». Et il répond qu'il est «inconcevable qu'ils n'en aient pas eu conscience ... Mais ont-ils insisté dans ce sens parce qu'ils craignaient une chute des cours de l'argent? Aucun d'eux ne l'a dit explicitement, mais c'était sans nul doute le cas» (p. 137). De plus, comme Francis Walker l'a écrit vingt ans plus tard, « cette loi a été votée au terme d'une discussion si brève que le fait de cette démonétisation n'a pas été perçu par le grand public avant un an ou deux ». Il ajoute en note que« l'auteur était en 1873 professeur d'économie politique à Yale, engagé à l'époque dans un cours sur la monnaie. Il était aussi un lecteur attentif des journaux et, de par sa position et ses relations personnelles, en contact étroit avec des représentants du commerce et de la banque de la cité voisine de New York. Ce n'est cependant que bien après le vote de la loi de 1873 qu'il entendit pour la première fois parler de la démonétisation du dollar d'argent» (1893, p. 170-171). Paul O'Leary résume de la façon suivante ce débat: «On peut tout simplement penser que l'omission du dollar d'argent dans le Coinage Act de 1873 se fondait, non sur la connaissance des faits économiques existants, mais plutôt sur une hostilité raisonnée à l'encontre de l'argent dans le régime monétaire
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envisagé. Cette loi était faite pour l'avenir. Elle avait un objectif précis dans l'esprit de l'homme [Nugent pensait plutôt "des hommes"] qui a élaboré ce texte et a poussé à son vote au Congrès. En ce sens, les partisans de l'argent ont raison de dire que cette loi fut le produit d'une "habile prévision". On attendait d'elle - et on a effectivement constaté - des conséquences dépassant de beaucoup un simple "dépoussiérage" des lois et des procédures relatives à la frappe des monnaies. » Et O'Leary continue: « Pendant les vingt-sept années suivantes la question de l'argent a empoisonné la politique et les finances des États-Unis. L'argent n'a jamais regagné la place qu'il aurait eue si la loi de 1873 n'avait pas omis de prévoir la frappe du dollar d'argent. Si la frappe libre et illimitée du dollar d'argent avait été permise, il en serait résulté d'importantes conséquences pour la vie financière, économique et politique des États-Unis par la suite. Mais cela est une autre histoire. » (1960, p. 392.) (1) Une histoire que nous allons examiner maintenant.
3. LES CONSÉQUENCES DU CO/NAGE ACT DE 1873 La suppression de la frappe libre de l'argent eut des conséquences très vastes en raison d'un fait essentiel prévu par Linderman: la baisse probable du prix mondial de l'argent par rapport à celui de l'or. Si cette baisse du rapport de prix argent-or n'avait pas eu lieu - ou, comme on le dit plus généralement, s'il n'y avait pas eu de hausse du rapport de prix or-argent - la querelle de l'inclusion ou de l'omission de cette malheureuse phrase dans la loi de 1873 aurait été sans intérêt. En tout état de cause, le régime d'étalon-or effectif d'avant la guerre civile serait demeuré inchangé lorsque les États-Unis ont repris les remboursements en métal. Mais, en réalité, le rapport de prix or-argent avait commencé à s'élever bien avant que le Congrès ne vote la loi de 1873, et cette hausse battait son plein au moment où, en 1879, les États-Unis ont repris les remboursements en (1) Dans une étude passionnante, Hugh Rockoff (1990) prétend, de façon convaincante, que
l'ouvrage de Frank Baum, Le magicien d'Oz, n'est pas seulement un conte pour enfants, mais aussi un commentaire très poussé des débats politiques et économiques de la période populiste (p. 739), c'est-à-dire de cette agitation à propos de l'argent provoquée par ce qu'on appelle le crime de 1873. «Le pays d'Oz », selon Rockoff, «est l'Orient [dans lequel] règne à la plus haute place l'étalon-or et où une once (Oz) d'or a une signification presque mystique » (p. 745). Rockoff identifie la méchante sorcière de l'Orient à Grover Cleveland, le démocrate partisan de l'or qui, en tant que président, « a mené (avec succès) l'attaque contre le Sherman Sil ver Purchase Act de 1893 » (p. 746). Dans la même veine, Rockoff parvient à assimiler de nombreux autres lieux et personnages, et une bonne part de l'action, à des lieux, des personnes et des événements qui ont joué un rôle notable dans les dernières années du mouvement pour la liberté de l'argent.
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métal. Cette opération, faite en or, a été le dernier clou du cercueil où gisait l'argent. Le rapport de prix or-argent, qu'indique la figure 1, a fhictué autour de 15,5 (c'était le rapport officiel en France) pendant plusieurs dizaines d'années avant les découvertes d'or en Californie en 1848 et en Australie en 1851. Il tomba ensuite à près de 15 en 1859, puis entama une hausse irrégulière mais plus ou moins constante (1). Cette hausse s'accéléra vivement après 1870, lorsqu'un pays après l'autre en Europe passa d'un étalon argent ou bimétallique à l'étalon-or (ce qui était un hommage rendu à la GrandeBretagne reconnue alors comme puissance économique dominante). L'Allemagne passa à l'étalon-or en 1871-1873, après sa victoire sur la France et l'imposition à celle-ci d'une très forte indemnité de guerre payable en fonds convertibles en or. De son côté la France, qui avait conservé un étalon bimétallique depuis 1803, malgré les importantes découvertes d'argent puis d'or, démonétisa l'argent en 1873-1874, en même temps que les autres membres de l'Union monétaire latine (l'Italie, la Belgique et la Suisse). L'Union scandinave (le Danemark, la Norvège et la Suède), les Pays-Bas et la Prusse suivirent en 1875-1876, puis l'Autriche en 1879. Dans les dernières années de la décennie de 1870, l'Inde et la Chine étaient, parmi les grands pays, les seuls où fonctionnait encore un véritable étalon argent. 40 35 30 x
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Figure 1: Rapport du prix de l'or au prix de l'argent, 1800-1914 (chiffres annuels)
(1) Bien que la France ait certainement adopté le rapport de 15,5 pour 1 parce que c'était approximativement le rapport prévalant sur le marché en 1803, elle est parvenue à conserver un régime bimétalliste, et cela a, sans aucun doute, facilité la stabilisation de ce rapport (voir Walker, 1986b, p. 87; Fisher, 1911, p. 136).
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Ce vaste mouvement provoqua une augmentation de la demande d'or en même temps qu'une offre accrue d'argent à usage non monétaire, et en conséquence le rapport de prix or-argent s'éleva fortement. De 15,4 en 1870, il passa à 16,4 en 1873, 18,4 en 1879, et 30 en 1896, lorsque le « 16 pour 1 » devint le cri de bataille de Bryan pendant sa campagne. En se joignant au courant favorable à l'or, les États-Unis ajoutèrent à la hausse du rapport de prix or-argent une nouvelle impulsion, à la fois en absorbant de l'or qui aurait pu servir à des usages monétaires dans le reste du monde, et en n'absorbant plus d'argent. Les conséquences n'en furent pas négligeables. Préparant la conversion des greenbacks, le Trésor commença à accumuler de l'or; dès 1879, le stock d'or monétaire des États-Unis (à la fois celui détenu par le Trésor et celui détenu par les agents privés) atteignait près de 7 % du stock mondial. En 1889, cette proportion était montée à près de 20 %. Et ce qui est le plus remarquable encore, l'accroissement du stock d'or monétaire des États-Unis entre 1879 et 1889 dépassa l'accroissement du stock d'or mondial. Les avoirs en or monétaire du reste du monde diminuèrent de 1879 à 1883; ils augmentèrent ensuite, mais ne dépassèrent leur niveau antérieur qu'à partir de 1890. . En ce qui concerne l'argent, la cessation de la frappe libre des pièces fut en partie compensée par plusieurs textes législatifs conçus en faveur des intérêts liés à ce métal. D'après la loi, le Gouvernement fédéral était tenu d'acheter l'argent au prix du marché, et la première mesure à cet effet, avant le rachat des greenbacks, fut le Bland-Allison Act de 1878. Il autorisait le Trésor à acheter chaque mois entre 2 et 4 millions de dollars d'argent au prix du marché, et il entraîna donc des achats réguliers entre 1878 et 1890. Puis ces achats furent fortement accrus, dans le cadre du Sherman Silver Purchase Act, jusqu'à l'abrogation des textes sur l'achat d'argent en 1893. Il est intéressant de noter que le nombre d'onces d'argent achetées dans le cadre de ces textes représente près de 16 fois le nombre d'onces d'or fin ajoutées au stock monétaire d'or du pays. À première vue, il semblerait que les mesures de nature politique ont absorbé presque autant d'argent que ne l'aurait fait la frappe libre. Mais ce n'est pas le cas. Comme on le verra dans ce qui suit, si les États-Unis avaient été en régime d'étalon-argent, le stock de monnaie aurait augmenté plus vite qu'il ne l'a fait, et les onces d'argent présentées à la frappe auraient représenté beaucoup plus de 16 fois le nombre d'onces d'or acquises effectivement(l). La conséquence la plus évidente - mais en aucune façon la plus importante du retour des États-Unis à l'étalon-or de préférence à un étalon bimétallique fut la forte progression du rapport de prix or-argent. L'effet sur les prix (1) Selon certaines estimations que nous analyserons dans la prochaine section de ce chapitre, le nombre d'onces d'argent accumulées aurait été de vingt-six fois le nombre d'onces d'or acquises.
Le crime de 1873
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nominaux des biens et services en général a été une conséquence beaucoup plus sérieuse. L'accroissement de la demande mondiale d'or à usage monétaire s'est produit en même temps que s'abaissait le rythme d'augmentation du stock d'or dans le monde et que la production de biens et de services se développait. Cette conjonction a entraîné une pression à la baisse sur le niveau des prix. En d'autres termes, l'or étant plus rare relativement à la production mondiale, son prix en termes de biens a augmenté et le niveau des prix nominaux (dans un régime d'étalon-or, le niveau des prix en termes d'or) s'est abaissé. Cette pression vers le bas a été quelque peu atténuée par' une vive expansion du système bancaire, qui a accru la quantité de monnaie que chaque once d'or pouvait faire naître. D'un autre côté, la hausse du revenu réel, s'ajoutant à la monétisation croissante de l'activité économique et à la baisse des prix elle-même, ont renforcé la pression à la baisse, car le public se trouvait enclin à détenir des encaisses liquides plus importantes par rapport à son revenu (en d'autres termes, la vitesse de circulation de la monnaie a diminué). Il en est résulté une déflation entre 1875 et 1896, au rythme d'environ 1,7 % par an aux États-Unis et de 0,8 % par an en Grande-Bretagne (donc dans le monde vivant sous l'étalon-or). Aux États-Unis, cette déflation a succédé à celle, plus importante encore, qui était survenue après la guerre civile. Cette dernière déflation était absolument nécessaire au bon déroulement de la conversion en or des greenbacks à la parité d'avant-guerre entre le dollar américain et la livre anglaise. Elle entraîna, en particulier dans les zones rurales, malaise et mécontentement qui conduisirent à la formation, en 1876, du « Parti des greenbacks »: ce parti avait pour objectif de poursuivre l'agitation sociale qui avait régné antérieurement et de faire émettre des billets en plus grand nombre, pour remplacer la déflation par l'inflation. Cette agitation politique mit fin au retrait des greenbacks, qui avait commencé après la guerre civile, et entraîna l'adoption en 1878 du projet de loi Bland Allison, qui autorisait le Trésor à acheter un certain volume d'argent-métal aux prix du marché.
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Bien que cet argent fut acheté aux prix du marché, sa valeur monétaire fut fixée au prix légal, plus élevé, la différence étant considérée comme un seigneuriage. L'argent-métal était, pour l'essentiel, transformé en pièces de un dollar. Mais ces pièces furent, en majorité, stockées au Trésor où elles
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tenaient lieu de réserves gageant ce qu'on appelait les « certificats d'argent »,
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titres qui furent appelés « billets du Trésor de 1890» après cette date. Ces certificats étaient nominalement convertibles en argent, mais ils étaient ~ également monnaie légale convertible en or. Il était donc plus avantageux de ~ se procurer de l'argent-métal en l'achetant sur le marché avec le papier'g. monnaie, que de convertir ce papier monnaie en argent au cours légal, qui § n'était qu'une fiction. En réalité, les certificats d'argent étaient purement -aj fiduciaires; ils ne différaient des greenbacks que parce que le rôle historique de l'argent en tant que monnaie permettait plus facilement aux pouvoirs publics d'accroître la masse monétaire en achetant de l'argent qu'en émettant ouvertement de la monnaie fiduciaire. L'accroissement de la masse monétaire
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par cette méthode avait aussi une conséquence d'ordre politique: il liait les intérêts des partisans de l'argent au thème populiste de l'inflation. Le stock d'argent du Trésor de cette époque est le pendant du stock de blé que le Gouvernement américain détient aujourd'hui en raison de sa politique de soutien des cours. Une baisse des prix de 1,7 % par an peut paraître trop faible pour engendrer une agitation comme celle qui a affligé le pays pendant les vingt années qui vont du rachat des greenbacks à latin du siècle. Mais il en va tout autrement en réalité. En premier lieu, ce chiffre de 1,7 % concerne un indice des prix qui couvre tous les biens et services (c'est le déflateur implicite des prix). Il est certain que les prix de gros des produits agricoles et autres produits de bàse ont diminué"à un rythme plus élevé (3 % par an, selon un indice particulier). Ce qui est au moins aussi important est le fait que chacun souhaite voir monter, et non baisser, le prix de ce qu'il vend; les vendeurs de biens et services sont presque invariablement partisans de l'inflation. Il est vrai aussi que chacun souhaite voir baisser le prix de ce qu'il achète. Mais, en tant que consommateurs, nous achetons beaucoup de choses, dont les prix évoluent de façon différente, et cela nous rend nettement moins conscients de ce qu'il advient du niveau général des prix que de l'évolution des prix de ce que nous vendons. Et cela était beaucoup plus vrai au XIXe siècle qu'aujourd'hui, car à cette époque les données globales sur l'économie étaient peu nombreuses et disparates. En outre, à toutes les époques, les vendeurs sont relativement peu nombreux et tendent à s'organiser, de sorte qu'ils ont plus de poids politique que les consommateurs individuels qui tirent avantage de la baisse des prix. Cela était vrai des producteurs d'argent en particulier, qui avaient évidemment beaucoup à gagner à l'adoption d'un étalon-argent. Bien que peu nombreux, ils étaient influents sur le plan politique parce que les états producteurs, dont la population était faible, avaient au Sénat le même nombre de représentants que les états urbanisés très peuplés. Il faut noter aussi que les agriculteurs étaient le plus souvent, sur le plan monétaire, en position débitrice nette. De ce fait, toute baisse des prix leur est préjudiciable. car elle relève la valeur réelle de leur dette, et inversement toute hausse leur est favorable car elle en abaisse la valeur réelle. En tant que débiteurs, ils étaient particulièrement sensibles à la propagande qui présentait le « crime de 1873» comme la sinistre machination d'une coalition entre les capitalistes étrangers et ceux de la Côte est: c'était« Wall Street contre Main Street (*)>> (1). Un résultat paradoxal de cette agitation en faveur de l'inflation par le canal de l'argent-métal est qu'elle explique pourquoi la déflation a été plus sévère aux États-Unis que dans le reste du monde soumis à l'étalon-or (1,7 % contre 0,8 %). Comme Anna Schwartz et moi-même l'avons écrit (1963, p. 133(*) « Main Street » symbolise la petite ville américaine typique. (1) Je dois cette remarque à Hugh Rockoff.
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134), «toute cette affaire de l'argent-métal est un exemple fascinant de l'importance que peut prendre parfois l'opinion des gens au sujet de la monnaie. La crainte que l'argent puisse provoquer une inflation suffisamment grave pour forcer les États-Unis à abandonner l'étalon-or a nécessité le recours à une déflation sévère pour pouvoir rester en régime d'étalon-or. Avec le recul du temps, il semble clair qu'il eut été préférable de s'engager assez tôt soit en faveur de l'argent, soit en faveur de l'or, plutôt que vers le compromis difficile que l'on a dû conserver avec ses conséquences incertaines et les larges fluctuations qu'il a entraînées pour la valeur de la monnaie ».
4. DE L'ARGENT OU DE L'OR, LEQUEL AURAIT ÉTÉ PRÉFÉRABLE? Étant donné que l'une ou l'autre des deux solutions radicales eût été préférable à ce compromis incommode, laquelle aurait été la meilleure: l'adoption, dès le début, de l'argent comme étalon unique avec une valeur monétaire de 1,2929 ... dollar l'once, ou celle de l'or? Ou apparemment comme un troisième choix entre ces deux extrêmes, la continuation du bimétallisme? Il faut, pour répondre à cette question, étudier soigneusement les conséquences quantitatives des trois options possibles. En fait cette étude montre clairement que, avec la poursuite du bimétallisme, la conversion des greenbacks aurait été en argent et non en or, et aurait eu lieu en 1876, un an après le vote du Resumption Act. Le rapport de prix or-argent aurait en conséquence évolué bien autrement qu'il ne l'a fait. La figure 2 montre à la fois le rapport officiel de prix entre l'or et l'argent (16 pour 1), le rapport des prix sur le marché, et une estimation du rapport de prix hypothétique qui aurait prévalu si le bimétallisme avait encore existé. Le rapport des prix de marché s'est envolé, notamment après 1980 : il est passé de façon durable au-dessus de 30. Tout au contraire, le rapport hypothétique estimé ne s'écarte beaucoup du rapport officiel qu'entre 1891 et 1904. Avant :g c cette période, il fluctue étroitement autour du niveau 16 pour 1. De 1906 à 1913, il se tient entre 17 et 18. Les années pendant lesquelles le rapport '" ,il" s'écarte fortement de 16 pour 1 ne sont pas le fruit du hasard. Sa hausse très "§ au-dessus de 16 pour 1 survient pendant les années de forte agitation politi~ que à propos de la frappe libre de l'argent qui ont marqué la campagne élec§ ~ torale de Bryan en 1896, et la période de retour au calme qui l'a suivie. Si "80 cette phrase fatidique sur l'argent avait figuré dans le Coinage Act de 1873, cette agitation n'aurait jamais eu lieu, car les États-Unis auraient été au régime d'étalon-argent. Le rapport de prix hypothétique s'abaisse au cours de j -g la période où la production mondiale d'or, qui a commencé à progresser rapic dement à partir de 1897, a atteint son maximum, ce qui a tendu à faire baisser cS (Q) le prix réel de ce métal. :::l
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102
ÉPISODES EN HISTOIRE MONÉTAIRE
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Figure 2 : Rapport de prix or-argent: officiel, effectif, et hypothétique, 1865-1914
Ces estimations tiennent compte (autant que je l'ai pu) du contexte économique nouveau qui aurait régné en cas de continuation du bimétallisme officiel: niveau mondial des prix plus élevé et prix réel de l'or plus faible, diminution du volume d'argent-métal disponible pour des usages non monétaires, etc. Mais je n'ai pas été en mesure de tenir c~mpte de certains des effets prévisiblçs, en particulier des variation de revenu réel et de la production d'argent et d'or, sans parler de la modification du climat politique. Il n'est pas douteux que le vide politique créé par la disparition du problème de la frappe libre de l'argent aurait pu être comblé par d'autres questions d'actualité - très problablement par une campagne en faveur du passage à un étalon-or - mais il n'est pas possible d'imaginer l'effet que ces questions auraient eu sur le rapport orargent. Toute tentative 'à cette fin donnerait un caractère fantaisiste à ce qui est une recherche dans le domaine de l'histoire. Je pense, en définitive, que l'adoption de l'argent aurait, en fait, donné pendant toute la période des rapports fluctuant dans une zone proche de 16 pour 1, et qui auraient même moins fluctué avant 1891 et après 1904 que les éva~uations hypothétiques de la figure 2. En résumé, je crois que les États-Unis auraient pu stabiliser le rapport de prix or-argent après 1873 comme la France l'a fait avant cette date (1). Si mon (1) Entre 1803 et 1873, la France a su conserver un étalon bimétallique avec un rapport officiel or-argent de 15,5 pour 1; le rapport des prix du marché le plus bas a été 15,19 en 1859, et le plus élevé 16,25 en 1813. La plupart du temps la portée des fluctuations a été beaucoup plus étroite (Warren et Pearson, 1933, tableau 25, p. 144).
Le crime de 1873
103
raisonnement est juste, les craintes des adversaires du bimétallisme, selon lesquelles un étalon bimétallique aurait ent;!aîné des passages incessants d'un métal à l'autre, n'étaient pas fondées. Les Etats-Unis étant dans les faits rattachés à l'argent, et la Grande-Bretagne et les autres grands pays l'étant à l'or, toute variation du rapport or-argent se serait directement traduite dans le taux de change entre le dollar et les autres monnaies. Une hausse du rapport aurait entraîné une dépréciation du dollar, et sa baisse une appréciation du dollar. Ici encore, un rapport or-argent relativement fixe se serait traduit par des taux de change relativement stables, s'éloignant peu du niveau de 4,86 dollars pour une livre sterling en vigueur à cette époque (ces questions seront étudiées plus en détail au chapitre 5). Le rapport de prix or-argent n'a pas une grande importance en soi - sauf pour ceux qui font commerce de ces deux métaux - mais il est d'une importance vitale pour les niveaux de prix qui se seraient établis dans les pays pratiquant l'étalon-argent (y compris, par hypothèse, les États-Unis) et dans les pays d'étalon-or. La figure 3 montre le niveau de prix effectif des États-Unis et les niveaux alternatifs hypothétiques correspondant aux rapports de prix or-argent de la figure 2. L'évaluation simpliste suppose que le rapport de prix or-argent et le prix réel de l'argent auraient été ce qui a été effectivement constaté. En partant de cette hypothèse, le calcul du niveau des prix est aisé. Il suffit de multiplier le niveau effectif des prix par le rapport entre le prix officiel de l'argent (1,2929 dollar) et son cours sur le marché. Mais il est évident que cette évaluation simpliste surestime largement la hausse des prix qui se serait produite. L'évaluation basée sur le rapport 16 pour 1 va à l'extrême en sens opposé; elle sous-estime l'effet sur le niveau des prix de l'adoption d'un étalon-argent, car elle suppose que le rapport aurait été précisément 16 pour 1 tout au long de la période. L'évaluation hypothétique se situe entre les deux, mais pour la plus grande partie de la période elle est beaucoup plus proche de l'évaluation basée sur 16 pour 1 que de l'évaluation simpliste. Cependant, l'évaluation basée sur 16 pour 1 donne probablement une vision plus exacte du mouvement annuel des prix que ne le font les deux autres évaluations. Celle qui est simpliste et celle qui est hypothétique sont ~ biaisées par des imperfections pûrement statistiques. De plus, un bimétal5 lisme aux États-Unis aurait incité à une spéculation stabilisatrice sur l'argent ;;; à l'échelle mondiale, qui aurait éliminé les mouvements erratiques. ,al II.)
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Le niveau effectif des prix aux États-Unis s'est abaissé au rythme de 1,5 % an de 1876 à 1896, puis s'est relevé au rythme de 2 % par an jusqu'en g par 1914. Le niveau de prix basé sur le rapport 16 pour 1 s'abaisse d'abord de .~ 0,7 % par an jusqu'en 1896 puis s'élève de 2,3 % par an jusqu'en 1914. Le ~ niveau de prix hypothétique s'abaisse au rythme de 0,2 % par an de 1876 à -a.j 1887, puis s'élève de 1,1 % par an jusqu'en 1914. L'une ou l'autre de ces deux options aurait réduit de moitié le rythme initial de baisse. L'option 16 ~ pour 1 implique une hausse ultérieure un peu plus rapide, et l'option hypothé8 tique une hausse beaucoup plus faible. Si mes calculs ne sont pas trop @) fi
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104
ÉPISODES EN HISTOIRE MONÉTAIRE
éloignés de la vérité, un étalon bimétallique - en fait un étalon-argent - aurait stabilisé le niveau des prix beaucoup mieux que ne l'a fait l'étalon-or qui fut adopté. . 160~------
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Figure 3 : Niveau des prix aux États-Unis: effectifs, et niveaux éventuels dans un régime d'étalon-argent, 1865-1914.
De plus, un étalon-argent aurait presque certainement permis d'éviter ce que Anna Schwartz et moi-même avons, dans notre Histoire monétaire ... appelé « les années troubles de 1891 à 1897 » (1963, p. 104): ce sont les années au cours desquelles on rencontre la très forte baisse d'activité économique de 1892 à 1894; puis une reprise faible et peu durable de 1894 à 1895, suivie d'une nouvelle baisse de 1895 à 1896(1) ainsi que de nombreuses faillites de banques, une panique bancaire en 1893, et une ruée de l'étranger sur les réserves d'or américaines, suscitée par la crainte que l'agitation au sujet de l'argent n'oblige les États-Unis à se détacher de l'or. La confiance revint, et l'abandon de l'étalon-or fut évité grâce à un syndicat privé dirigé par J. P Morgan et August Belmont, après accord aveç le Trésor. « Les termes - que l'on disait très onéreux - de l'accord conclu secrètement par l'intermédiaire d'agents supposés, dans la littérature populiste, représenter "la conspiration· des banquiers internationaux", devinrent un des thèmes de la campagne de 1896» (Friedman et Schwartz, 1963, p. 112). Ces effets ne se seraient naturellement pas limités aux États-Unis. Je n'ai pas pu, pour le reste du monde, les étudier de façon aussi approfondie que je l'ai (1) Années de référence indiquées dans Friedman et Schwartz (1982).
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Le crime de 1873
fait pour les États-Unis. Cependant, en effectuant ces recherches, il m'a fallu évaluer l'effet sur le niveau des prix dans le monde soumis à l'étalon-or, représenté en quelque sorte par la Grande-Bretagne. La figure 4 montre les niveaux des prix, effectifs et hypothétiques, dans ce pays. L'effet estimé, bien que plus faible qu'aux États-Unis, est néanmoins considérable. Les prix auraient été continuellement supérieurs aux prix américains. Leur baisse en Grande-Bretagne de 1875 à 1895 aurait été ramenée de 0,8 % à 0,5 % par an, et la hausse qui l'a suivie aurait été de 1,1 % par an au lieu de 0,09 %. Ici aussi, cependant, divers effets autres que ceux que révèlent nos calculs simples se seraient fait sentir. Les changements intervenus aux États-Unis auraient sans doute eu des échos ailleurs. Une économie américaine en meilleur état aurait impliqué une économie plus saine dans le reste du monde. Par ailleurs, le prix réel de l'or ayant baissé et demeurant plus faible, la production du métal eût été découragée. Cela aurait peut-être retardé la découverte du procédé de traitement par cyanuration des minerais à basse teneur, qui fut responsable après 1896 de l'afflux d'or qui déclencha une inflation mondiale. Je n'ai pas tenu compte de ces divers effets. Il n'est pas certain que la décision de 1873 eût pu être qualifiée de criminelle par un vrai tribunal, mais elle peut assurément être jugée ainsi par le tribunal de l'histoire. L'omission de la funeste phrase a eu des conséquences très importantes pour la suite de l'histoire monétaire des États-Unis et, dans une certaine mesure en vérité, pour celle du reste du monde. Le débat verbal fut excessif, mais l'importance du problème n'a pas été surestimée. 70
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Figure 4 : Niveau des prix en Grande-Bretagne: effectif et hypothétique, dans un régime d'étalon-argent aux États-Unis, 1865-1914.
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ÉPISODES EN HISTOIRE MONÉTAIRE
La véritable question était celle de l'étalon monétaire, le bimétallisme or-argent, qui avait toujours signifié aux États-Unis, dans les faits, une alternance dans l'emploi des deux métaux. La loi de 1873 a fait apparaître un étalon-or, ce qui explique son importance. En outre, alors que la thèse couramment admise est, selon Laughlin, que « la loi de 1873 fut un événement heureux» ([1886] 1895, p. 93), j'estime quant à moi qu'elle a été le contraire: une faute qui a eu de très fâcheuses conséquences. Je m'empresse d'ajouter que cette opinion porte sur 1873, et non 1896. Il était trop tard à cette date pour réparer les dégâts, pour des raisons que nous avons étudié ailleurs (1). Bryan a tenté de fermer la porte de l'écurie, mais on avait déjà volé le cheval. Je me hâte aussi d'ajouter que je ne veux, en émettant cette opinion, ni dénigrer ni louer les intentions ou la bonne foi des divers intervenants dans cette controverse déjà ancienne. Le groupe des partisans de l'argent comptait en son sein des producteurs du métal, qui cherchaient à protéger leurs intérêts propres, des partisans de l'inflation ardemment désireux de trouver le moyen de la faire naître, et des bimétallistes sincères qui ne souhaitaient ni inflation ni déflation, mais étaient persuadés que le bimétallisme était plus propice à la stabilité des prix que le monométallisme. De même, on trouvait dans le groupe des partisans de l'or des producteurs du métal, des avocats de la déflation (dénoncés par les tenants de l'argent comme les banquiers de Wall Street), et des gens sincères qui pensaient que l'étalon-or était le seul pilier sur lequel, en toute sécurité, pouvait reposer une société stable financièrement. Les motivations et les intentions importent beaucoup moins que les résultats. Et ici, comme dans tant d'autres circonstances, le résultat a été très différent de ce que souhaitaient, dans leur bonne volonté, les partisans du Coinage Act de 1873.
(1) M. Friedman, La monnaie et ses pièges, 1992. Les calculs du chapitre 4 montrent que le
rapport des prix de marché aurait été d'environ 24 pour 1 en 1896 si les États-Unis avaient conservé un étalon bimétallique. Mais, comme l'indique le texte, je crains qu'il n'y ait là une surestimation considérable.
Chapitre 4
LA « LIBÉRATION» DE L'ARGENT CONTRE LA DÉFLATION PAR L'OR*
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En 1896, William Jennings Bryan fut choisi comme candidat à la présidence par les démocrates, les populistes et le Parti national pour l'Argent. Dans son programme figurait la promesse de «libérer l'argent» à « 16 pour 1 », c'està-dire l'adoption d'un étalon monétaire bimétallique dans lequel les prix de l'or et de l'argent pour le monnayage seraient tels que 16 onces d'argent auraient la même valeur qu'une once d'or. Le programme de son adversaire républicain William McKinley comportait l'engagement de conserver un étalon-or monométallique. McKinley l'emporta sur Bryan par moins de 10 % des voix. Cet épisode a été le grand moment du mouvement pour la « liberté» de l'argent. À deux reprises, Bryan fut de nouveau le candidat des démocrates, mais il fut battu avec des écarts de plus en plus importants. En 1887, trois chimistes écossais - John MacArthur, Robert et William Forrest - avaient découvert, pour extraire l'or à partir de minerais à basse teneur, un procédé par cyanuration exploitable commercialement. Ce procédé se révéla particulièrement bien adapté aux vastes zones aurifères trouvées en Afrique du Sud à peu près à la même époque. La production d'or en Afrique, nulle en 1886, représentait 23 % de la production mondiale en 1896; elle s'éleva pendant le premier quart du xxe siècle, à plus de 40 % (1). Aussi curieux que cela puisse paraître, ces deux séries d'événements survenus sur des points très éloignés du globe sont étroitement liées. Peu après le déclenchement de la guerre civile, les États-Unis avaient remplacé leur étalon bimétallique, dans lequel l'or et l'argent, ou des billets convertibles en or et argent, servaient de monnaie, par un étalon billet-vert (les greenbacks) dans lequel la monnaie légale était le papier-monnaie inconvertible. L'inflation qui en résulta pendant la guerre amena le niveau des prix au double de ce qu'il
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* Dans l'édition originale, ce chapitre s'intitule:
«William Jennings Bryan et la production d'or par cyanuration ». (1) Le chiffre de 1896 est cité dans l'Encyclopaedia Britannica (Ile éd., 1910); celui du premier quart du xxe siècle est tiré de Warren et Pearson (1935, p. 122).
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ÉPISODES EN HISTOIRE MONÉTAIRE
était auparavant. À la fin de la guerre, l'opinion publique souhaitait que l'on revint à un étalon métallique. Mais y revenir aux prix officiels d'avant-guerre des métaux précieux - ce qui impliquait le taux de change antérieur entre le dollar et la livre anglaise - obligeait à abaisser de plus de moitié le niveau des prix. Cela demanda quatorze années. Comme on l'a vu au chapitre 3, le Coinage Act de 1873 fut voté en vue de la conversion des greenbacks, mais il a servi en réalité à remplacer l'étalon bimétallique d'avant la guerre civile par un monométallisme-or. L'étape ultérieure importante fut le Resumption Act de 1875, qui prévoyait qu'à partir du 1er janvier 1879 les paiements pourraient de nouveau être effectués en métal, autrement dit que le papier-monnaie serait librement convertible en or, et inversement. Le retour à l'or s'effectua comme prévu en 1879. À peu près à la même époque, la plupart des pays d'Europe adoptèrent un étalon-or; il en résulta dans le monde entier une déflation qui persista pendant les décennies de 1880 et 1890. C'est cette déflation, particulièrement sévère aux États-Unis, qui a donné de la vigueur au mouvement de « l'argent libre », né après la démonétisation de l'argent, et qui, en fin de compte, a conduit en 1896 à la candidature de Bryan sur un programme comportant la liberté pour l'argent. La déflation des prix a accru la valeur de l'or en termes des autres biens, de ce fait, elle a favorisé la découverte du procédé de cyanuration. Et l'emploi, couronné de succès, de ce procédé en Afrique du Sud, entraîna la défaite et le déclin politique de Bryan et des partisans de l'argent, car il fut à l'origine d'un afflux d'or considérable qui réalisa par d'autres moyens ce que souhaitaient par dessus tout les partisans de l'argent: l'inflation.
1. LA DÉSIGNATION DE BRYAN ET SA CARRIÈRE POLITIQUE ULTÉRIEURE La convention nationale démocrate de 1896 se réunit à Chicago, dans des tentes dressées sur un terrain plat entre la 63 e rue et Cottage Grove. Cet endroit était proche du terminus du chemin de fer surélevé récemment construit, ce qui permettait aux délégués d'aller rapidement de leurs hôtels du Loop à la cité de tentes (cette partie de Chicago s'est beaucoup développée et a acquis une réputation plutôt mauvaise. Dans les années trente, quand j'étais étudiant à l'université de Chicago, pas très loin de là, le carrefour de la 63 e rue et de Cottage Grove était appelé « Sin Corner », le « coin du péché»). C'est lors de cette Convention que William Jennings Bryan, l'un des délégués et excellent orateur, électrisa son auditoire par son célèbre discours au cours duquel il déclara: « vous n'allez pas presser cette couronne d'épines sur le front des travailleurs, vous ne crucifierez pas l'humanité sur une croix d'or ». L'action que Bryan avait menée auparavant en faveur de la frappe libre de l'argent, selon un rapport de 16 onces d'argent pour une once d'or, l'avait
La « libération » de l'argent contre la déflation par l'or
109
naturellement désigné comme l'un des principaux candidats à la nomination pour le Parti démocrate. Avant la Convention, les démocrates du sud et de l'ouest, partisans de l'argent, avaient réussi à arracher le contrôle de l'administration du Parti des mains des partisans de l'or de la côte est, qui l'avaient longtemps détenu. Mais Bryan n'était que l'un des candidats possibles parmi les partisans de l'argent. C'est son vibrant discours - dont l'historien Richard Hofstadter (1966, vol. 2, p. 573) a dit qu'il était « probablement le discours le plus réussi de toute l'histoire des partis politiques aux États-Unis» - qui emporta la décision en sa faveur et fit de lui, à trente-six ans, le candidat du Parti démocrate à l'élection présidentielle. Il devint aussi le candidat des populistes et du Parti national pour l'Argent. Après une campagne difficile et sans concessions, Bryan fut battu par son adversaire républicain William McKinley, qui obtint 271 mandats contre 176 à Bryan. Bien que le mécanisme des élections entraîne une surestimation de la marge entre les candidats, la victoire de McKinley fut très nette. Dans le grand public, son avance fut proche, de 10 %, ce qui était remarquable étant donné les circonstances. 1896 fut une année de forte dépression, succédant elle-même à plusieurs années difficiles. Le chômage était élevé et s'accroissait; la production industrielle était faible et diminuait; les prix agricoles étaient bas et continuaient à baisser. La situation économique ressemblait à celle de 1932, bien qu'elle fût nettement moins grave. Mais la situation politique était très différente. Le président sortant était Grover Cleveland, un démocrate partisan de l'or qui avait organisé le rejet du Sherman Si/ver Purchase Act (Timberlake, 1978). Le Parti démocrate était divisé sur la question de l'argent; les démocrates favorables à l'or créèrent un «Parti démocrate national» qui présenta son propre candidat mais ne recueillit pas un grand nombre de mandats. Il est plus vrai de dire, comme le fait James Barnes dans une excellente étude sur la campagne de Bryan, que celui-ci « a été battu par cette crainte de quelque chose que nous ignorons, car la seule évocation de la liberté de l'argent dans la bouche des partisans de l'or évoquait des malheurs plus formidables même que ceux qui existaient [ ... ] Bryan [ ... ] a été pour une part l'artisan de sa défaite lorsqu'il a laissé les '0 -:; partisans de l'or l'attirer sur leur propre terrain et l'assassiner avec une : unique épée. Une brillante offensive qui, en juillet, avait commencé en terrain ,al" découvert au cri de "Nous leurs jetons un défi" s'était, en novembre, transfor'§ mée en défense sur un étroit front monétaire. Mark Hanna [le directeur de la '5 ~ campagne de McKinley] était dans le vrai quand il disait "il ne fait que parler ~ de l'argent, et c'est là que nous l'avons attiré", car l'armée qui s'était 'g. préparée à la lutte au milieu de l'été ne pouvait rester rassemblée autour de j l'unique question d'un étalon de valeur» (1947, p. 397, 402). Bames ajoute 0.. ceci en note: «Au début, ils s'en prenaient aux privilèges des gens bien j placés, aux monopoles, aux prix élevés, aux exactions des prêteurs de monnaie, à la corruption au sein du gouvernement, et à un ordre social et économique qui avait négligé la masse de la population. En novembre, ils ne
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ÉPISODES EN HISTOIRE MONÉTAIRE
se battaient plus que sur une seule question, dollar-argent contre dollar-or, et nombre d'entre eux étaient à la fois effrayés et stupéfaits.» (p. 399-400.)(1) Bryan fut de nouveau désigné comme candidat à la présidence en 1900 et en 1908. A chaque fois, la majorité qui s'est portée contre lui, aussi bien en nombre de mandats que lors de l'élection finale, fut plus forte qu'en 1896. Il conserva une certaine influence au sein du Parti démocrate, et fut secrétaire d'état de Woodrow Wilson de 1913 à 1915, puis il démissionna. Pacifiste convaincu, il s'éleva contre ce qu'il considérait, de la part de Wilson, comme un manquement à une neutralité totale; c'est là un des exemples trop rares de démission d'un ministre pour une question de principe. Quoi qu'il en soit, 1896 fut sans aucun doute le sommet de sa carrière politique, qui ne cessa de décliner après cette date. Il mourut en 1925, quelques jours après sa dernière grande bataille, le célèbre procès Scopes, dans lequel le fondamentaliste Bryan, défendant une loi du Tennessee qui interdisait l'enseignement de l'évolutionnisme, s'opposait au moderniste Clarence Darrow, qui voyait dans cette loi une violation de la liberté d'expression. Bryan gagna cette bataille (le défendeur, John Scopes, fut déclaré coupable de violation de la loi et condamné à une amende), mais il perdit la guerre (car le jugement fut ultérieurement cassé). Et, l'aspect juridique mis à part, ce fut Darrow et non Bryan qui fit figure de héros au tribunal de l'opinion publique. Si l'on a coutume d'assimiler Bryan et la campagne de 1896 presque entièrement au mouvement en faveur de l'argent, celui-ci n'était pas, comme le suggère Barnes (1947), le seul thème du programme du Parti démocrate; beaucoup d'autres thèmes ont, par la suite, connu un bien meilleur sort. Comme Henry Commager l'a écrit en 1942, peu d'hommes d'État ont été aussi pleinement justifiés par l'histoire. Article après article, le programme que Bryan avait constamment soutenu, depuis le début des années 90 jusqu'à une date déjà avancée dans le xxe siècle, se trouva peu à peu incorporé dans les lois, et par ceux-là même qui l'avaient combattu et tourné en dérision. Voyons la liste de toutes les réformes mises en place: contrôle de la monnaie et des banques par le Gouvernement, réglementation des chemins de fer, du télégraphe et du téléphone, réglementation anti-trust, journée de travail de huit heures, lois sociales, interdiction des réquisitions dans les conflits du travail, impôt sur le revenu, réforme douanière, anti-impérialisme, droit d'initiative des citoyens, référendum, vote des femmes, lois contre l' alcoolisme, arbitrage international (p. 99). J'ai personnellement beaucoup plus de sympathie pour le soutien apporté par Bryan au bimétallisme que ce qu'on lui accorde communément, et beaucoup moins pour la plupart des autres réformes qu'il a défendues. (1) Comme l'indique la note de la page 96 du chapitre 3, Hugh Rockoff (1990) prétend que Le
magicien d'Oz est un récit romancé de l'agitation faite à propos de l'argent, et de cette campagne électorale.
La « libération» de l'argent contre la déflation par l'or
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La carrière de McKinley a été très différente; réussie sur le plan politique, elle a été tragique sur le plan personnel. Il fut assassiné par un anarchiste en 1901, mais il était en fonctions lors de la guerre contre l'Espagne; il fut réélu en 1900 avec une majorité beaucoup plus large que celle qu'il avait obtenue en 1896, et il assista à une reprise économique rapide, assez proche d'un boom, aux États-Unis.
2. LE TRIOMPHE DE L'ÉTALON-OR Le mouvement en faveur de la frappe libre de l'argent, de même que les motifs qui ont poussé au développement et à la mise en œuvre de l'extraction de l'or par cyanuration, ont leurs origines dans les événements monétaires de la décennie de 1870, ou même plus tôt en Grande-Bretagne, dans l'adoption en 1816, après les guerres napoléoniennes, de l'étalon-or et du retour à la convertibilité en métal, sur la base de l'or, en 1821. La GrandeBretagne devint par la suite la première puissance économique mondiale, et cela a sans aucun doute contribué à donner à l'étalon-or la réputation d'un régime meilleur que les autres, et incité d'autres pays à imiter l'exemple britannique. À partir de 1803, la France est parvenue à conserver un étalon bimétallique avec un rapport de 15,5 pour l. Elle a dû cependant l'abandonner en 1873, après sa défaite dans la guerre francoprussienne. L'Allemagne exigea le paiement d'une énorme indemnité, qui lui servit à financer l'adoption d'un étalon-or. Elle vendit en même temps de grandes quantités d'argent, ce qui simultanément poussait à la baisse les cours de ce métal et à la hausse ceux de l'or. Il en résulta pour la France l'impossibilité de conserver le rapport de 15,5 pour 1. La France et la plupart des autres pays d'Europe durent abandonner un étalon bimétallique ou un étalon-argent et adopter un étalon-or. '0 "0
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À l'époque, les États-Unis étaient encore dans un régime d'étalon-papier, «l'étalon-greenback» - adopté peu de temps après le commencement de la guerre civile. Le chapitre 3 explique en détail l'évolution qui a amené les États-Unis à autoriser, en 1879, la reprise des paiements en métal sur la base de l'or. Cette décision américaine fut l'étape finale - une étape fondamentale - du passage du monde occidental à un étalon-or.
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La forte augmentation de la demande d'or à usage monétaire qui en résulta se conjugua avec un ralentissement de l'offre, car l'afflux d'or califomien et Ë australien venant des gisements découverts dans les décennies de 1840 et ~ 1850 commençait à se tarir.
Inévitablement, la déflation s'installa dans le monde (la figure 1 montre l'évolution du niveau des prix aux États-Unis et en Grande-Bretagne de 1865 à 1914).
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1865 1870 1875 1880 1885 1890 1895 1900 1905 1910 Figure 1 : Niveaux des prix aux États-Unis et en Grande-Bretagne, 1865-1914 (chiffres annuels) Sources: Friedman et Schwartz (1982, tableaux 4.8 et 4.9) pour les États-Unis à partir de 1869 et pour la Grande-Bretagne à partir de 1868. Pour les années antérieures, chiffres calculés à partir de divers indices disponibles.
La baisse des prix fut particulièrement sévère aux États-Unis à cause de l'inflation due aux greenbacks qui l'avait précédée, pendant la guerre civile. En 1879, quand les paiements en métal reprirent, les prix étaient déjà inférieurs de plus de moitié à ce qu'ils étaient à la fin de la guerre civile. Cette forte baisse est l'élément qui a permis de revenir à la parité d'avant-guerre entre le dollar et la livre anglaise, ce qui a pallié temporairement la baisse. Cependant, au bout de quelques années la déflation a repris, et elle s'est accélérée après 1889 lorsque, avec l'agitation politique croissante à propos de la frappe libre de l'argent, des doutes se sont élevés quant à la possibilité pour les Etats-Unis de rester en régime d'étalon-or.
3. LA DÉFLATION ET LA PRODUCTION D'OR PAR CYANURATION La déflation signifiait une baisse des prix exprimés en or. Elle équivalait à une hausse du prix réel de l'or, c'est-à-dire à une augmentation de la quantité de biens qu'une once d'or permettait d'acheter sur le marché. On peut dire aussi que, parmi les prix qui baissaient, figuraient ceux qui entraient dans le coût de production de l'or, de sorte que cette production devenait plus rentable. Les prix-or mondiaux, tels qu'ils sont exprimés par l'indice des prix britanniques, baissèrent de plus de 20 % de 1873 à 1896, et la baisse du coût d'extraction
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de l'or était de même ampleur. Cette baisse du coût a probablement multiplié plusieurs fois la marge bénéficiaire antérieure de la production de métal. En d'autres termes, elle justifiait que l'on dépensât jusqu'à 20 % de plus pour produire davantage d'or. Les découvertes en Afrique du Sud, le développement et l'utilisation industrielle de la cyanuration, auraient vraisemblablement eu lieu en tout état de cause. Mais elles furent accélérées, et peut-être de façon significative, par le stimulant supplémentaire découlant de la déflation.
4. LA DÉFLATION ET LE MOUVEMENT EN FAVEUR DE L'ARGENT La baisse des prix n'a pas empêché une croissance économique rapide aux États-Unis; c'est au contraire cette croissance qui fut, après la guerre civile, le principe actif de la déflation. Le désir de revenir à un étalon métallique poussait à restreindre l'augmentation de la masse monétaire, mais cette prudence n'alla pas assez loin, car la quantité de monnaie existant en 1879 était supérieure à ce qu'elle était en 1867 (première année pour laquelle nous ayons des données satisfaisantes). La baisse des prix fut rapide parce que la production augmentait beaucoup plus vite que la quantité de monnaie. Les chiffres relatifs à cette période « permettent de penser qu'il Y a eu peu de variations significatives du taux de croissance pendant cette période [18791914] dans son ensemble, mais plutôt un ralentissement marqué de 1892 environ à 1896, suivi d'une forte accélération de 1896 à 1901 qui ne fit que compenser le retard pris antérieurement. Si cela est exact, la baisse ou la hausse générale des prix a eu peu d'effets sur le rythme de la croissance, mais la période de grande incertitude monétaire des premières années de la décennie 90 a entraîné de fortes déviations par rapport à la ligne de tendance de long terme» (Friedman et Schwartz, 1963, p. 93). La baisse des prix a néanmoins provoqué de graves mécontentements tant
~ aux États-Unis (comme on l'a vu avec quelque détail au chapitre 3) que dans :
le reste du monde soumis à l'étalon-or. Cela est dû en partie à ce que les économistes appellent «l'illusion monétaire », c'est-à-dire la tendance des 'C: individus à prêter attention davantage aux prix nominaux qu'aux prix réels ou ~.. au rapport entre les prix et leurs revenus. L'essentiel des revenus provient de g la vente d'un nombre relativement faible de biens et de services. Les indivi'[ dus sont particulièrement bien informés des prix de ceux-ci; ils considèrent - qu'une hausse de ces prix est la juste récompense de leur action et qu'une .,g "'" baisse est une malchance causée par des forces qui leur échappent. Ils sont j beaucoup moins bien informés des prix des nombreux biens et services qu'ils achètent en tant que consommateurs, et beaucoup moins sensibles à l'évolu~ tion de ces prix. Ainsi s'explique que l'inflation, tant qu'elle reste modérée, ~
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donne dans l'opinion publique un sentiment général de prospérité, alors que la déflation, même modérée, provoque un certain. pessimisme. Un autre motif d'insatisfaction, tout aussi important, est que la déflation - comme l'inflation - n'affecte pas tous les individus de la même façon, et tout particulièrement les débiteurs par opposition aux créanciers. Cela fut notamment le cas aux États-Unis, dans le contexte de l'agitation politique créée a~tour des greenbacks, de la frappe libre de l'argent, et des thèses populistes. A l'époque, la plupart des agriculteurs et des petits industriels étaient débiteurs, et leurs dettes étaient pour l'essentiel exprimées par un montant fixe de dollars, à des taux d'intérêt nominaux bien précis. Du fait de la baisse des prix, à un certain nombre de dollars correspondait un volume de biens plus élevé. Lors d'une déflation, les débiteurs sont en général perdants, et les créanciers y gagnent(l). Barnes (1947, p. 371) écrit que « le mouvement en faveur de l'argent, qui connut son point culminant au cours de la campagne de Bryan en 1896, a eu pour cause première ... la loi de 1875 sur la reprise des paiements en métal. Au fond, le public voulait davantage de monnaie, et la loi qui lui retirait le papier l'a fait se tourner vers l'argent. » Dans les premières années de la baisse des prix qui a suivi la guerre civile, le public voulait que l'on créât davantage de greenbacks, et non qu'on les retirât c'est de là que vient le nom de «parti des greenbacks », né en 1875, disparu en 1885). Mais dès que le vote du Resumption Act eut conforté l'opposition - relativement importante au papier-monnaie et l'idée, largement répandue elle aussi, qu'un étalon métallique était dans l'ordre naturel des choses, les populistes, comme l'a écrit Barnes, se tournèrent vers l'argent comme le moyen d'obtenir l'inflation. Ce faisant, ils trouvèrent à la fois un allié puissant - les producteurs d'argent de quelques états peu peuplés de l'ouest, qui jouissaient d'une influence politique sans commune mesure avec leur nombre - et un bouc émissaire bien commode, Wall Street et les banquiers de la côte est, qui furent accusés du « crime de 1873 ». Ils réclamèrent le retour à ce qu'ils appelaient «la monnaie légale de la Constitution », l'or et l'argent dans le rapport de 16 pour 1 d'avant la guerre civile. La baisse des prix de la décennie 1870 que montre la figure 1 a concerné l'argent comme les autres biens. En 1876, le cours de l'argent en dollars était inférieur au prix officiel. Comme l'explique le chapitre 3, si la frappe libre de l'argent avait été prévue par le Coinage Act de 1873, les paiements en métal auraient repris aux États-Unis en 1876 sur la base de l'argent, et non de l'or. Les prix en dollars auraient cessé de baisser ou auraient baissé plus lentement et, dans une large mesure, l'agitation monétaire des décennies suivantes ne se (1) Strictement parlant, cela n'est vrai que dans le cas d'une déflation non anticipée. Si elle est prévue, le taux d'intérêt peut être modifié pour en tenir compte. Cependant, les faits montrent clairement que, durant le XIX e siècle, déflation et inflation ne furent qu'imparfaitement anticipées, et elles le furent avec un retard considérable (voir Fisher, 1894).
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serait pas produite (1). En fait, le niveau des prix a continué à baisser et l'agitation à s'aggraver. Il en résulta un certain nombre de projets de lois dans les dernières années 1870, qui ont abouti au Bland-Allison Act de 1878, prévoyant l'achat chaque mois par le Gouvernement d'une certaine quantité d'argent; c'était un os à ronger pour les producteurs. Une brève période de hausse des cours après la reprise des paiements en métal calma temporairement l'agitation, qui s'aggrava de nouveau dès que les cours recommencèrent à baisser. Cette agitation aboutit au vote du Shennan Silver Purchase Act en juillet 1890 « par un congrès républicain comme une concession accordée en connaissance de cause aux états de l'ouest pour avoir soutenu la McKinley Tarif! Act de 1890, protectionniste et demandé par les états industriels de l'est» (Friedman et Schwartz, 1963, p. 106). Comparé au Bland-Allison Act, le Shennan Act doublait à peu près la quantité d'argent que le Gouvernement devait acheter. «On a vu apparaître [aussi] en 1890 dans les programmes politiques des étàts un grand nombre de revendications visant à la frappe libre ... Après 1890, le mouvement en faveur de l'argent prit l'allure d'une véritable marée montante. » (Bames, 1947, p. 372.) Cette vague d'agitation explique pourquoi les prix ont baissé tellement plus aux États-Unis qu'en Grande-Bretagne après 1888. «La panique désastreuse de 1893 ... fut bénéfique car elle a, dans la nation en état de choc, stimulé le désir de frappe libre de l'argent. » (Barnes, 1947, p. 372.) Dès 1896, il était évident que les démocrates allaient embrasser la cause de l'argent - et se scinderaient en deux groupes, ceux de l'est, partisans de l'or, entrant en dissidence.
5. UN RAPPORT DE 16 POUR 1 ÉTAIT-IL UNE IDÉE SAUGRENUE? Tout au long des décennies de 1870, 80 et 90, le cours de l'argent ne cessa de baisser. L'étalon-or avait fixé le prix du métal à 20,67 dollars. En conséquence, le ràpport de prix or-argent passa d'environ 16 pour 1 en 1873 - date de l'omission de cette malencontreuse phrase dans le Coinage Act - à 30 pour 1 lorsque la candidature de Bryan fut décidée. Si un rapport officiel de 16 pour 1 avait pu apparaître comme acceptable en 1873, il sembla en 1896 à la ,gs ,19 communauté financière être le préalable à un désastre. Son adoption, esti~ mait-elle, entraînerait une très grave inflation. Bryan et ses partisans propogc saient de doubler - ou presque - le prix de l'argent et de le faire passer de '13.. 68 cents l'once, cours du marché à l'époque, au prix officiel toujours théori~ quement en vigueur de 1,29 dollar. Il semblait évident à la communauté ~ financière que les autres prix, et notamment celui de l'or, devraient monter à C ::l
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(1) Le chapitre 4 dans M. Friedman, La monnaie et ses pièges, donne des évaluations du
niveau hypothétique des prix dans ce contexte.
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due concurrence. Mais cela entraînerait la rupture du lien monétaire entre le dollar et les autres monnaies basées sur l'or, provoquerait une grave dépréciation du taux de change entre le dollar et ces monnaies et, aux yeux de la communauté financière, perturberait gravement le commerce international. Quelle idée saugrenue! Cette conclusion - mais pas nécessairement le raisonnement lui-même - est aujourd'hui communément admise par les historiens, ceux des faits économiques et d'autres; il en va de même de l'idée selon laquelle la fin de la frappe libre de l'argent, selon le Coinage Act de 1873, fut, comme James Lawrence Laughlin l'a écrit en 1886, « une décision heureuse, qui a sauvé notre crédit financier et protégé l'honneur de l'État. C'est une œuvre législative dont nous ne pourrons jamais être assez reconnaissants» (1895, p. 93). J'ai montré dans le chapitre 3 que Laughlin se trompait, que cette loi, loin d'être« une décision heureuse », était« le contraire, une faute qui a eu de très fâcheuses conséquences» à la fois pour les États-Unis et pour le reste du monde. J'ai montré que le maintien du bimétallisme avec un rapport de 16 pour 1 comme étalon monétaire officiel aurait fortement réduit l'ampleur de la déflation aux États-Unis et évité l'agitation et l'incertitude monétaire et politique qui en a résulté. Il aurait aussi, dans une moindre mesure, réduit l'ampleur de la déflation dans le reste du monde. Dans ce contexte, le génie de Bryan en tant qu'orateur et homme politique lui aurait encore conféré la célébrité, mais sous une bannière très différente. Mais cette opinion porte sur 1873, époque où le Coinage Act a été voté, et sur 1879, époque où ont été repris les paiements sur la base de l'or. N'était-il pas trop tard, en 1896, pour réparer les dommages subis? Bryan n'essayait-il pas de fermer la porte de l'écurie alors que le cheval avait déjà été volé? Bien que le raisonnement que je prête à la communauté financière soit sommaire, je pense que sa conclusion fondamentale était juste. Une mesure qui aurait été très bénéfique à la fois aux États-Unis et au reste du monde en 1873 aurait été très néfaste pour les deux après 1896, en partie précisément parce qu'elle n'avait pas été adoptée en 1873. Pour des raisons que j'exposerai avec quelque détail dans le chapitre 5, j'estime qu'un étalon bimétallique est un meilleur régime monétaire qu'un monométallisme-or. Cela était vrai en 1896 comme en 1879. Cependant, les cas diffèrent selon les circonstances. Dans le nouveau contexte de 1896, le rapport de prix or-argent - avec lequel le bimétallisme aurait été un bienfait plutôt qu'un désastre - aurait dû être égal ou supérieur, mais non inférieur, au rapport des prix de marché. Le bimétallisme avec un rapport de 16 pour 1 aurait été un bienfait en 1879 parce qu'il aurait prévenu ou rendu moins sévère le danger de déflation que faisait peser le passage généralisé à l'or. De plus, cela se serait fait sans discontinuité. Le rapport de prix or-argent n'était en 1873 que très légèrement inférieur à 16 pour 1, il a atteint ce niveau en 1875 ou 1876, et en 1879 il ne le dépassait que très légèrement: la transition aurait donc été aisée et rapide.
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Le danger en 1896 était l'inflation, et non la déflation. Le stock de monnaie dans les pays d'étalon-or s'accroissait grâce à l'afflux de métal en provenance d'Afrique du Sud, et le seul élément qui pouvait y faire contrepoids était l'accroissement continu de la production de biens et de services. ~n 1914, le niveau des prix était de 17 % en Grande-Bretagne, et de 44 % aux Etats-Unis, supérieur à ce qu'il était en 1896. La hausse plus forte aux États-Unis était la contrepartie de la baisse plus accentuée qui y avait sévi au début de la décennie de 1890. L'adoption par les États-Unis en 1896 du bimétallisme avec un rapport de 16 pour 1 aurait fortement accru la demande d'argent relativement à la demande générale de biens et aurait entraîné une sortie d'or des États-Unis. Le rapport des prix de marché or-argent n'aurait pas pu se maintenir au niveau de 30 pour 1. Il ne serait peut-être pas redescendu jusqu'à 16 pour 1, bien que cela ne puisse être totalement exclu. Les calculs, exposés dans le chapitre 4 de La monnaie et ses pièges (M. Friedman, 1992), du rapport hypothétique de prix or-argent qui aurait prévalu si les États-Unis avaient conservé un étalon bimétallique permettent de penser que ce rapport aurait teridu à fluctuer autour de 16 pour 1 tout au long de la période 1873-1914. D'après ces calculs, le niveau le plus élevé aurait été atteint en 1896 : environ 24 pour 1. Je pense cependant qu'il y a là, très probablement, une surestimation aussi bien du niveau que ce rapport aurait atteint dans ces circonstances hypothétiques que de celui où il serait tombé si le programme de Bryan avait été mis en œuvre(I). Quel qu'ait été le rapport, son effet aurait été de relever le taux de croissance de la quantité de monnaie aussi bien aux États-Unis, qui auraient accumulé de l'argent, que dans le reste du monde, qui aurait reçu l'or sorti des ÉtatsUnis. L'inflation aurait été plus forte qu'elle n'a été en fait. Et la transition aux États-Unis aurait été rien moins que progressive. La communauté financière avait raison de penser qu'il en serait résulté immédiatement une forte dépréciation du taux de change entre le dollar et les monnaies des autres pays en régime d'étalon-or, dépréciation qui, effectivement, aurait pendant cette période, entraîné de grandes difficultés pour l'activité commerciale et financière internationale des États-Unis. D'un autre côté, supposons que le bimétallisme ait été adopté en 1896 avec un rapport de, par exemple, 35 pour 1. L'effet immédiat aurait été négligea(1) Les causes de cette surestimation ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Mes calculs
concernant le maintien de la frappe libre de l'argent utilisent nécessairement des données qui sont affectées par des troubles monétaires qui ne se seraient pas produits si la frappe libre avait persisté. Mais cela ne rend pas ces calculs applicables aux circonstances de l'époque. La raison en est que, dans mes calculs, j'ai supposé un processus antérieur d'accumulation de l'or et de l'argent très différent de celui qui s'est déroulé en fait. Si la frappe libre sur la base de 16 pour 1 avait été votée par exemple en 1897, ily aurait eu une modification immédiate des conditions de la demande et de l'offre d'argent et d'or beaucoup plus forte que la modification progressive que j'ai postulée. J'en conclus que cela aurait conduit à un rapport de prix de marché inférieur à mon estimation de 24 pour 1.
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ble. Les États-Unis seraient restés en fait sur un étalon-or. Il n'y aurait pas eu dans l'immédiat de demande supplémentaire d'argent ni d'offre additionnelle d'or. Le seul effet sur les prix de l'un ou de l'autre métal aurait concerné les anticipations de leurs évolutions éventuelles. La réaction aux années difficiles de la décennie de 1890 aux États-Unis, et à l'inflation dans le reste du monde, aurait été, au début, ce qu'elle a été en fait. L'adoption hypothétique du bimétallisme avec un rapport de 35 pour 1 n'aurait pas eu d'effet très sensible avant environ 1901 ou 1902, lorsque le rapport des prix de marché or-argent aurait dépassé sensiblement et durant un certain temps le niveau de 35 pour 1. Ce ratio est resté au-dessus de 35 pour 1 jusqu'en 1905, est retombé audessous de 35 pour 1 pendant quelques années, puis a de nouveau dépassé ce niveau presque continuellement jusqu'en 1914. À partir de 1902, le bimétallisme américain aurait sans doute maintenu le rapport au niveau de 35 pour 1. Cependant, si l'on considère ce qu'a été en fait l'évolution de ce rapport, on peut penser que cette situation n'aurait entraîné, pour les États-Unis, ni d'importants achats d'argent, ni de fortes sorties d'or; elle n'aurait pas impliqué de modification du taux de change du dollar en termes des monnaies des pays en régime d'étalon-or, et aurait permis une plus grande stabilité du taux de change en termes des monnaies des quelques pays à régime d'étalon-argent, dont le principal était la Chine. Vue avec le recul du temps, l'augmentation mineure de l'inflation aux ÉtatsUnis et dans le monde de l'étalon-or, qui aurait pu se produire, eût été un petit prix à payer pour bénéficier d'un très bon système monétaire.
Malheureusement, l'atmosphère politique agitée qui a entouré le problème de l'argent a empêché que l'on étudie sérieusement une quelconque formule alternative au rapport 16 pour 1. Comme Simon Newcomb, mathématicien et astronome de renommée internationale en même temps que l'un des meilleurs économistes et théoriciens de la monnaie de l'époque, l'a écrit en 1893 dans un article, « l'auteur ne fait pas d'objection de principe au bimétallisme, s'il est convenablement et correctement mis en œuvre. L'un des aspects fâcheux de la situation monétaire est que le bimétalliste logique et cohérent semble avoir disparu du champ de bataille, ne laissant que des monométallistes argent ou or. Chacun doit savoir que la frappe libre de l'argent sur les bases actuelles signifie monométallisme-argent. La frappe libre avec le rapport actuel de 16 pour 1 serait en ce moment tout simplement un cataclysme, et il est peu probable qu'un rapport de 20 pour 1 donnerait des résultats bien meilleurs. » (p. 511) Un de ces «bimétallistes logiques et cohérents» fut le général Francis Walker, que le dictionnaire New Palgrave présente comme «l'économiste américain le plus connu et le plus estimé au plan international de sa génération », et qui fut successivement professeur d'économie politique et d'histoire à l'université de Yale puis président du Massachusetts Institute of Technology, Il prônait un bimétallisme international, c'est-à-dire un accord entre plusieurs pays sur l'adoption d'un étalon bimétallique avec le même
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rapport de prix or-argent, mais il s'opposait à l'adoption du bimétallisme par un seul pays et, de ce fait, il n'approuvait pas la proposition de frappe libre de l'argent émise par Bryan. Je ne sais s'il s'est opposé activement à ce dernier pendant la campagne de 1896 mais, dans son « discours sur le bimétallisme international» prononcé quelques jours après les élections, il a parlé de la défaite de Bryan comme de « la fin d'une grande tempête» ([1896a] 1899, vol. 1, p. 251). Autant que je sache, il n'a jamais préconisé l'adoption unilatérale du bimétallisme avec un autre rapport que 16 pour 1 ; il a plutôt continué à plaider pour un bimétallisme international, même avec un rapport de 15,5 pour 1, celui que la France avait su conserver (1896b, p. 212-213). Si les États-Unis avaient adopté le bimétallisme en 1896, que ce soit avec un rapport de 16 pour 1 ou de 35 pour 1, il n'est pas impossible que d'autres pays les eussent suivis et adopté le même rapport. En 1896, les États-Unis étaient probablement, vis-à-vis du reste du monde, une plus grande puissance que la France ne l'avait été au début du siècle. Et cependant la France avait été capable de maintenir le rapport de 15,5 pour 1 de 1803 à 1873, malgré les grandes découvertes d'argent d'abord, puis les grandes découvertes d'or. Le bimétallisme était vu avec beaucoup de faveur dans de nombreux pays d'Europe. L'Inde venait d'abandonner la frappe libre de l'argent, et la Chine allait conserver un étalon-argent jusqu'à ce que, avec son programme d'achat d'argent pendant la décennie de 1930, Franklin Roosevelt la force à l'abandonner (il est intéressant de constater là, comme au XIXe siècle, une satisfaction de nature politique donnée aux producteurs d'argent; voir M. Friedman, La monnaie et ses pièges, 1992, chapitre 7). Nous sommes aujourd'hui si habitués à considérer l'or comme le métal monétaire normal que nous avons oublié que, pendant des siècles, l'argent a été un métal monétaire beaucoup plus important que l'or; il n'a perdu sa prééminence qu'après la décennie de 1870. Si d'autres pays s'étaient joints aux États-Unis en adoptant également le rapport de 16 pour 1, les dégâts auraient été plus grands encore. Mais, avec un rapport de 35 pour 1, à long terme les conséquences auraient fort bien pu être bénéfiques. Du fait du déclenchement en 1914 de la Première Guerre mondiale, peu de temps seulement après le moment où s'étaient rejoints le rapport des prix de marché et le rapport officiel, ces conséquences - s'il ,~ devait y en avoir, auraient été mineures jusqu'après la guerre. Après 1915, le .~ "'oc:" rapport des prix de marché s'abaissa, atteignant moins de 16 pour 1 en 1920, puis s'éleva fortement jusqu'à plus de 35 pour 1 en 1927. L'évolution c: "go d'après-guerre aurait sans doute été différente si le bimétallisme était devenu ~ le régime officiel dans plusieurs pays, y compris les États-Unis. L'étalon de -a change-or fut adopté après la Première Guerre mondiale en raison d'une :l crainte de pénurie d'or, et le bimétallisme aurait apaisé cette crainte. Mais ce genre de réflexion ne peut guère être utile, car il s'éloigne trop de l'histoire, notre point de départ. 0)
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6. LA CYANURATION ET LE DÉCLIN POLITIQUE DE BRYAN La dernière phase de notre histoire concerne les conséquences de l'emploi de la cyanuration sur la carrière politique de Bryan. Elle sera brève. Comme on l'a vu, l'important afflux d'or d'Afrique du Sud a entraîné l'inflation que Bryan et ses partisans espéraient obtenir grâce à l'argent, « mais quand ces partisans, comme le sociologue E.A. Ross, firent remarquer à Bryan que les nouvelles entrées d'or avaient pallié la pénurie de monnaie et affaibli la cause de l'argent, le "bourgeois" resta indifférent» (Hofstadter, 1948, p. 194). La conséquence ne faisait pas de doute. La carrière politique de Bryan ne pouvait plus que décliner.
7. CONCLUSION Bryan a intitulé le compte-rendu qu'il a donné de la campagne de 1896 « la Première bataille ». Dès le début, il s'était vu comme un général à la tête d'une armée engagée dans une guerre - ou une croisade - pour une cause sainte. Il commença son grand discours de la Convention démocrate de 1896 par ces mots: «Il n'y a pas ici de querelle de personnes. Le plus humble citoyen de ce pays, lorsqu'il est revêtu de l'armure d'une juste cause, est plus fort que toutes les phalanges de l'erreur. je m'adresse à vous pour défendre une cause aussi sainte que celle de la liberté: la cause de l'humanité ». Et l'emphase continue de se dérouler: «l'ardeur qui inspira les croisés qui suivirent Pierre l'Ermite », « notre guerre n'est pas une guerre de conquêtes », « couronne d'épines », «crucifier », « croix d'or ». Comme dans tout mouvement politique à base populaire, il y avait toutes sortes de gens parmi les croisés qui suivirent Bryan. Les producteurs d'argent avaient leurs intérêts propres, bien précis. Les réformateurs agraires se référaient au vieux conflit entre la campagne et la ville, et les populistes au conflit aussi ancien entre les masses et les classes possédantes: Main Street contre Wall Street. Il n'est pas douteux que, parmi les partisans de Bryan, nombreux étaient ceux qu'inquiétaient les évidentes difficultés économiques de la précédente décennie, et qui voyaient dans l'expansion monétaire un remède possible, sinon le seul. Il y avait malheureusement parmi eux peu - si même il y en avait - de « bimétallistes logiques et cohérents ». Les adversaires de Bryan étaient, eux aussi, très divers: certains avaient des intérêts dans les mines d'or; on y trouvait des partisans de la déflation vilipendés par les défenseurs de la frappe libre de l'argent - et avec quelque raison - sous l'étiquette de Wall Street; des monométallistes convaincus qui voyaient dans la prééminence économique de la Grande-Bretagne le témoi-
La « libération)} de l'argent contre la déflation par l'or
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gnage des vertus d'un étalon-or et dans le passage, vers 1870, de nombreux pays d'Europe du bimétallisme à l'or le témoignage de la fragilité du bimétallisme; et enfin des personnes dont l'argent n'était pas le souci majeur, mais qui n'étaient pas d'accord avec d'autres parties du programme populiste. Il y avait aussi sans doute, parmi ses opposants, beaucoup d'électeurs qui étaient aussi inquiets que ses partisans devant les difficultés économiques du pays dans le passé récent mais qui - à juste titre selon moi - considéraient le remède proposé (le rapport 16 pour 1) comme devant aggraver encore la maladie. En définitive, le résultat final ne dépendit d'aucune des questions soulevées pendant la campagne, ni des arguments présentés de part et d'autres dans cette chaude bataille politique. Il fut le fruit d'événements lointains, survenus en Écosse et en Afrique du Sud, et qui ne furent jamais mentionnés dans le débat. C'est là un exemple très frappant des conséquences très vastes et souvent inattendues que peut provoquer un événement monétaire apparemment mineur.
Chapitre 5
À NOUVEAU SUR LE BIMÉTALLlSME*
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Tout au long de l'histoire telle que nous pouvons la lire, les systèmes monétaires ont eu généralement pour base un bien physique, le plus souvent un métal, et plus particulièrement deux métaux précieux, l'or et l'argent. Des deux, c'est « l'argent qui formait la quasi-totalité de la monnaie métallique circulant en Europe» jusqu'au moins la fin du XIXe siècle (Martin, 1977, p.642), ainsi qu'en Inde et dans d'autres parties de l'Asie. L'or, beaucoup moins employé, servait surtout dans les transactions portant sur des montants élevés. Le taux de change entre l'argent et l'or était parfois fixé par les autorités, et parfois laissé au libre jeu du marché. S'il existait un taux officiel, on se trouvait en régime bimétalliste (tel que décrit au chapitre 3) dans lequel un atelier de monnayage autorisé était prêt à convertir de l'or ou de l'argent, pour quiconque en faisait la demande, en pièces d'une certaine valeur faciale et d'un poids et degré de fin spécifiés par la loi, au gré du demandeur (c'était la frappe libre). Normalement était prélevé un seigneuriage faible, pour couvrir le coût du monnayage; mais ce n'était pas le cas en Grande-Bretagne, ni aux États-Unis. Le rapport officiel de prix était celui des poids assignés aux pièces d'argent et d'or. Par exemple, de 1837 jusqu'à la guerre civile, le dollar-or était défini comme étant égal à 23,22 grains (1,504 gramme) d'or fin, et le dollar-argent à 371,25 grains (24,057 grammes) d'argent fin; il y avait donc dans le dollar-argent 15,988 fois plus de grains d'argent que de grains d'or dans un dollar-or; on parlait couramment d'un rapport de 16 pour 1. Une autre façon, strictement équivalente, de définir un étalon bimétallique consiste, pour un gouvernement, à s'engager à acheter soit l'or, soit l'argent à un prix fixe en une monnaie indiquée comme monnaie légale. Dans le cas des États-Unis, les prix officiels étaient 20,67 dollars par once d'or fin et
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* Je remercie vivement Angela Redish, Hugh Rockoff et Anna Schwartz pour leurs remarques. De plus, j'ai grandement bénéficié de commentaires détaillés des rédacteurs du Journal of Economic Perspectives.
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1,29 dollar par once d'argent fin(l). Le prix officiel de l'or resta inchangé jusqu'en 1933, lorsque le président Franklin Roosevelt le releva en plusieurs étapes pour le fixer à 35 dollars l'once au début de 1934. Il demeura à ce niveau jusqu'à ce qu'il soit porté à 42,22 dollars au début de 1973; c'est le prix auquel sont, encore aujourd'hui, évalués les avoirs officiels en or du gouvernement américain, bien que le prix sur le marché soit (en 1991) près de neuf fois plus élevé que ce prix officiel. Bien que l'argent ou l'or puissent légalement être utilisés comme monnaie l'un et l'autre, dans la pratique (comme on l'a vu au chapitre 3) il pouvait se faire que l'on n'utilisât que l'un de ces deux métaux. Outre leur emploi comme monnaie, l'argent et l'or servent à de nombreux usages non monétaires - ils ont un marché - en joaillerie et dans l'industrie. Quand le rapport des prix de marché s'écartait fortement du rapport officiel, seulle métal dont le prix relatif sur le marché était inférieur à son prix relatif officiel était présenté au monnayage. Si, par exemple, une once d'or valait sur le marché autant de dollars que 15,5 onces d'argent alors que le rapport officiel était de 16 pour 1, celui qui possédait de l'argent avait intérêt, au lieu de porter son argent au monnayage, à l'échanger contre de l'or sur le marché, et à porter cet or à la Monnaie. C'est à peu près ce qui s'est passé aux États-Unis de 1837 à la guerre civile : le rapport officiel des prix était de 16 pour 1, et celui de marché de 15,5 pour 1. Il en résulta qu'en fait les États-Unis étaient en régime d'étalon-or. On utilisait encore l'argent pour les pièces de faible valeur et contenant moins de métal que ce qui, au prix officiel, correspondait à leur valeur faciale, ainsi que dans les transactions monétaires avec l'étranger (mais avec une prime, et non au pair). Dès les premières années de la décennie de 1870, la plupart des pays développés, y compris les États-Unis en 1879, adoptèrent un étalon-or monométallique, c'est-à-dire un régime dans lequel seul le prix de l'or avait une définition officielle. L'Inde et la Chine restaient les deux seuls grands pays utilisant principalement l'argent. Ailleurs, ce métal n'existait plus que sous la forme des petites pièces. Après la Première Guerre mondiale, le lien entre la monnaie et l'or se relacha peu à peu, lorsque l'étalon-or au sens strict - qui était jusque là la norme - fut remplacé par l'étalon de change-or, c'est-à-dire par l'engagement des gouvernements à racheter leur propre monnaie, soit en or, soit en une monnaie étrangère elle-même convertible en or. Après la Seconde Guerre mondiale, l'accord de Bretton Woods créant le Fonds monétaire international a encore réduit le rôle de l'or, car il ne prévoit la convertibilité en or que dans le cas des États-Unis, et seulement vis-à-vis de l'extérieur. Ce dernier lien fut lui-même rompu par le président Richard Nixon le 15 août (1) Ce sont là des chiffres arrondis. Il y a 480 grains (31,104 grammes) dans une once d'or fin,
aussi le prix officiel de l'or était exactement 480/23,22, soit 20,6711835 ... dollars, et celui de l'argent 480/371,25, soit 1,2929 ... dollar.
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1971, lorsque - pour employer le jargon monétaire - il « ferma le guichet de l'or» en refusant d'honorer la promesse américaine, incluse dans l'accord du FMI, de vendre de l'or aux banques centrales étrangères au prix de 35 dollars l'once. Depuis cette date, tous les grands pays vivent dans un régime d'étalon-papier non convertible, étalon purement fiduciaire; ce régime n'est pas une mesure temporaire d'urgence, mais est destiné à durer. L'histoire ne connaît aucun précédent à un tel système fiduciaire à l'échelon mondial. Jusqu'à présent, ce système fiduciaire a été caractérisé par de grandes fluctuations des niveaux des prix, des taux d'intérêt et des taux de change, car les grands pays se sont efforcés d'apprendre à naviguer dans ces eaux inexplorées, et de trouver pour y ancrer le niveau de leurs prix, autre chose que la conversion d'une monnaie en une marchandise. Il est impossible de dire si ce système purement fiduciaire donnera - et dans quel délai - des résultats acceptables. C'est pourquoi une analyse du bimétallisme - qui a peut-être été dans le monde d'autrefois le système le plus répandu - peut présenter un intérêt autre qu'historique. En 1936, dans un article intitulé «Bimetallism Reconsidered », Lewis Froman écrivait ceci: «Les économistes dans leur ensemble s'accordent presque unanimement à penser que le bimétallisme n'est pas un système monétaire satisfaisant. » (p. 55.) J'ai, jusqu'à une époque récente, partagé cette opinion qui, me semble-t-il, reste généralement admise chez les théoriciens de la monnaie: le bimétallisme est un système monétaire instable et peu satisfaisant, qui entraîne des passages fréquents d'un monométallisme à un autre; le monométallisme est préférable, et l'or est préférable à l'argent (I). En effectuant les recherches sur l'histoire monétaire des États-Unis au XIX e siècle, j'ai découvert, à ma grande surprise, que la thèse ordinairement (1) Il n'est pas facile de montrer que c'est là une opinion très répandue, car peu de manuels
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contemporains traitant de la monnaie ou de la macroéconomie mentionnent le bimétallisme. Presque tous font allusion à l'étalon-or, mais ils considèrent comme allant de soi qu'un étalon-or est le seul type d'étalon marchandise qui vaille la peine d'être envisagé. J'ai examiné sept manuels connus de théorie monétaire et de macroéconomie, publiés entre 1968 et 1986. Deux seulement parlent d'un étalon bimétallique; seul le plus ancien procède à une analyse raisonnée de ses avantages et de ses inconvénients, et cela dans une note en bas de page, qui remarque que « la critique de ce système [le bimétallisme] a sans doute été excessive» (Culbertson, 1968, p. 133n). J'ai aussi examiné sept manuels d'histoire économique des États-Unis, publiés entre 1964 et 1987. Tous étudient l'emploi comme étalon monétaire de diverses marchandises, le bimétallisme, et le passage à un étalon-or. Mais leur analyse est en général limitée au strict exposé des faits et, à une exception près, classique. Par exemple, le plus récent d'entre eux (et, je crois, le plus largement utilisé) affirme platement que « le bimétallisme n'est pas un bon système métallique parce que les prix des deux métaux fluctuent constamment l'un par rapport à ['autre, ce qui a des conséquences curieuses », et que «l'augmentation de la production d'or dans les décennies de 1840 et 1850 a entraîné le déclin de la circulation de l'argent. .. C'est pourquoi le Coinage Act de 1873 n'a pas prévu la reprise de la frappe des dollars-argent » (Hughes, 1987, p. 175-176, 360).
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acceptée est douteuse, sinon totalement fausse, aussi bien en ce qui concerne la supériorité du monométallisme sur le bimétallisme que celle du monométallisme-or sur le monométallisme-argent.
1. LE BIMÉTALLISME DANS L'HISTOIRE Alexander Hamilton, dans son « Treasury Report on the Establishment of the Mint» de 1791 ([1791] 1969, p. 167-168) où il recommandait l'adoption d'un étalon bimétallique, écrivait ceci: «On peut peut-être dire que, de quelque façon, l'or possède une plus grande stabilité que l'argent: comme il est de plus grande valeur, on a pris avec lui moins de libertés dans les lois des différents pays. Son aloi est demeuré plus uniforme et il a, à d'autres égards, subi moins de changements; étant moins un objet de commerce, ... il n'est pas susceptible au même degré d'être influencé par les circonstances de la demande commerciale. » Hamilton opta néanmoins pour le bimétallisme, pour des raisons purement pragmatiques qui sont que l'argent était le métal dont l'usage était le plus répandu, que dans les treize états d'origine les pièces en circulation étaient le plus souvent des monnaie~ d'argent étrangères, et que l'or était peu abon- . dant. Il choisit un rapport de 15 pour 1 parce que c'était le rapport des prix de marché à l'époque, tout en admettant que ce rapport était sujet à des variations et qu'il fallait «veiller à régulariser la proportion entre [les métaux] pour leur assurer, autant que possible, une valeur commerciale moyenne stable» ([1791] 1969, p. 168). Mais très rapidement le rapport des prix de marché s'éleva, suivant en cela le rapport officiel en France, qui était de 15,5 pour l. Le Congrès ne suivit pas le conseil de Hamilton, et laissa jusqu'en 1834 le rapport officiel au niveau de 15 pour 1. En conséquence, l'argent devint l'étalon de fait jusqu'en 1834, année où le Congrès porta le rapport officiel à 16 pour 1, et l'or devint l'étalon de fait de ce moment jusqu'à la guerre civile. En 1862, la conversion de la monnaie en métal fut suspendue, et une monnaie purement fiduciaire, appelée communément greenback, fut émise pour financer la guerre. Le Coinage Act de 1873 fit cesser la frappe libre de l'argent et limita son statut de monnaie légale, de sorte que, quand la conversion des greenbacks (c'est-à-dire la conversion de la monnaie légale en métal) fut réalisé en 1879, il se fit sur la base de l'or. Cela déclencha alors dans les décennies de 1880 et 1890, le mouvement en faveur de l'argent, qui connut son heure de gloire, sous la bannière de 16 pour 1, lors de la campagne présidentielle de William Jennings Bryan en 1896. Cette expérience américaine a sans doute contribué à la formation de la thèse couramment admise, telle que l'énonce par exemple Ludwig von Mises
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(1953, p. 75), selon laquelle « l'étalon bimétallique ... est devenu, non pas un étalon dualiste, comme le voulaient les législateurs, mais un étalon alternatif ». Bien que cet étalon alternatif soit possible était été souvent une réalité, comme ce fut le cas avant la guerre civile et en Grande-Bretagne durant plusieurs siècles jusqu'aux guerres napoléoniennes, il n'est nullement inévitable. Comme le fait remarquer Irving Fisher (1911, p. 132) : « l'histoire de la France et celle de l'Union latine pendant la période qui va de 1785 - et plus particulièrement, de 1803 - à 1873, est instructive. Elle illustre dans la pratique la théorie selon laquelle, quand les conditions sont favorables, l'or et l'argent peuvent demeurer liés pendant une très longue période grâce au bimétallisme. Pendant tout ce temps, le public n'a été en général nullement conscient d'une quelconque disparité de valeur, et n'a remarqué que les passages d'une prééminence relative de l'or à la prééminence relative de l'argent, et vice-versa. » Plusieurs facteurs expliquent que la France ait pu, pendant une aussi longue période, maintenir simultanément en circulation des pièces d'or et des pièces d'argent de valeur élevée. Le premier résidait dans le poids économique de la France dans le monde, poids beaucoup plus élevé qu'aujourd'hui. Le second était la propension exceptionnellement forte des Français à utiliser les métaux pour leur monnaie, soit directement sous la forme de pièces, soit indirectement comme réserves garantissant monnaie de papier et dépôts (l). Ces deux facteurs faisaient de la France un partenaire très important sur le marché de l'argent et de l'or, assez lourd pour être en mesure de stabiliser le rapport de prix en dépit des grandes variations des productions relatives de l'argent et de l'or(2). Comme le dit Fisher (1911, p. 133-134), «De 1803 à environ 1850, l'argent a eu tendance à remplacer l'or ... Vers 1850, ... le bimétallisme aurait pu disparaître au profit du monométallisme argent... si l'on n'avait pas, comme pour sauver le système, découvert à ce moment de l'or en Californie. La conséquence de cette nouvelle et plus importante production d'or fut un mouvement en sens inverse, un afflux d'or vers la monnaie française et une sortie d'argent. Il paraissait probable que la France perdrait toute sa monnaie d'argent et s'appuierait sur l'or. .. Mais les nouvelles mines d'or s'épuisèrent .&j
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(1) En 1880, les pièces d'or et d'argent formaient en France plus de 70 % de toutes les encaisses de transactions (pièces + papier-monnaie + dépôts bancaires) ; le chiffre correspondant aux États-Unis était d'environ 15 % - d'après Saint-Marc (1983, p. 23-33) pour la France, et Friedman et Schwartz (1963, p. 131, 174) pour les États-Unis. (2) Pour illustrer cette importance de la France, en 1850 et en 1870, la quantité d'argent monétaire dans le pays s'élevait à plus de 10 % de la production totale d'argent dans le monde depuis 1493 ; en 1850 l'or monétaire en France représentait près du tiers du stock mondial d'or monétaire, et en 1870 plus de la moitié. (Je n'ai pas pu trouver d'estimations du stock mondial d'argent monétaire, et j'ai pour cette raison comparé le stock existant en France à la production totale.) D'après Saint-Marc (1983, p.23-33) pour la France, et d'après Warren et Pearson (1933, p. 78-79) pour le stock d'or mondial.
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peu à peu, alors que la production d'argent augmentait, et il en résulta une nouvelle inversion du mouvement. » Entre 1850 et 1870, le stock de monnaie de la France a absorbé plus de la moitié de la production mondiale d'or, alors que la quantité d'argent qu'elle détenait demeurait à peu près constante (1). En conséquence, le rapport des prix de marché, qui était de 15,7 en 1850, n'est jamais tombé au-dessous de 151,2 (en 1859) et est remonté à 15,6 vers 1870 (Warren et Pearson, 1933, p.144). La thèse communément admise suppose implicitement que le rapport officiel de prix or-argent ressemble à une balance de précision, de telle sorte que le moindre écart du rapport de marché face au rapport officiel doit rapidement envoyer à la fonte toutes les pièces frappées dans le métal qui est devenu le plus cher, pour vendre ce métal sur le marché. Ce n'est pas ce qui s'est passé en France. Une telle situation est comparable à celle des taux de change entre les monnaies dans un régime d'étalon-or au sens strict. Les quantités de métal officiellement contenues dans les monnaies nationales déterminent une parité de change (par exemple, entre 1875 et 1914,4,86649 ... dollars pour une livre anglaise)(2). Si le taux de change du marché s'écarte de la parité, il y a alors une possibilité d'arbitrage: la monnaie la moins chère est échangée contre de l'or, qui est expédié dans l'autre pays et converti dans la monnaie de celui-ci ; cette dernière est alors utilisée sur le marché pour acheter la monnaie la moins chère. Pour que cet arbitrage permette de réaliser un profit, il faut que la différence entre le taux de change du marché et le pair soit assez grande pour couvrir les coûts de l'assurance et de l'expédition de l'or, et les autres frais éventuels. La parité de change, plus ou moins ces coûts et frais, définit ce qu'on appelle les «points d'or» entre lesquels le taux de change du marché peut fluctuer sans entraîner d'expédition d'or dans l'un ou l'autre sens. Exactement de la même façon, dans un régime d'étalon bimétallique, la conversion en métal des pièces sous-évaluées et la vente de ce métal sur le marché entraînent des coûts. Ces coûts déterminent les points haut et bas du rapport de prix or-argent entre lesquels le rapport des prix de marché peut fluctuer sans que l'un des deux métaux soit totalement remplacé par l'autre. L'étendue de la marge de fluctuation dépend de l'importance du seigneuriage, (1) Dans son stock monétaire, et exclusivement par suite des entrées d'or, le rapport du
nombre d'onces d'argent à celui des onces d'or est tombé de 41 à 8. (2) La livre sterling était définie par un poids de 113 grains (7,322 grammes) d'or fin, et le dollar par un poids de 23,22 grains (1,504 gramme) ; le rapport de ces deux nombres indiquait la parité de change. Une histoire bien connue donne une bonne idée de l'esprit de clocher britannique a l'époque victorienne; un Américain prend un Anglais à partie à propos de la complexité de la monnaie anglaise: « 12 pence par shilling, 20 shillings par livre, 21 shillings dans une guinée! » - Réponse de l'anglais: «De quoi vous plaignez-vous, vous les Américains? Regardez votre affreux dollar ... 4,8665 dollars par livre! »
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du coût de la fonte des pièces et de l'assurance, de la rapidité de l'opération et de la perte d'intérêts qui y est associée, etc. (1) En France, c'est la guerre franco-prussienne de 1870-1871 qui entraîna la fin du bimétallisme. La France subit une grave défaite et dut verser à l'Allemagne une énorme indemnité de guerre, payable en fonds divers convertibles en or. L'Allemagne utilisa cette indemnité au financement de son passage d'un étalon-argent à un étalon-or; c'était là un hommage rendu à la Grande-Bretagne, dont la monnaie avait été rattachée à l'or depuis 1821 ; les dirigeants allemands voulaient désespérément surclasser la puissance économique anglaise. L'Allemagne déversa sur le marché une grande partie de l'argent retiré de la circulation. Mais la France ne pouvait accepter la grave inflation (en termes d'argent) qu'allaient provoquer simultanément les sorties d'or et l'afflux d'argent. Elle fut donc obligée d'interdire la frappe libre de l'argent, puis elle passa à l'étalon-or (2).
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L'histoire du bimétallisme en France a ceci de remarquable que « tout au long de vingt années de guerre - parfois contre la moitié de l'Europe - pas une seule fois [Napoléon] ne se permit de recourir à l'expédient trompeur du papier-monnaie inconvertible» (Walker, 1896b, p.87). Cela était certainement un hommage rendu, non pas à une supériorité quelconque du bimétallisme sur le monométallisme, mais plutôt à une prudence née de l'expérience de l'hyperinflation des assignats (White, 1896), qui avait facilité l'accession au pouvoir de Napoléon. Après cette expérience, toute tentative de celui-ci pour émettre du papier-monnaie inconvertible, avec la promesse de revenir ensuite au métal, aurait été mal acceptée par la population, et une fuite devant la monnaie, sur une grande échelle, se serait produite. Il n'y a jamais eu dans l'histoire, autant que je sache, une seule autre guerre importante qui ait été menée sans recourir à une dépréciation de la monnaie (dans les temps anciens, on dénaturait la monnaie, on changeait la valeur nominale des pièces, et autres expédients du même genre; plus récemment, les paiements en métal étaient suspendus et on recourait au papier-monnaie inconvertible). La France s'est comportée tout autrement que la Grande-Bretagne. Celle-ci, qui officiellement était bimétalliste mais en fait se trouvait en régime d'étalon-or, mit fin aux paiements en métal en 1797, et ne les reprit qu'en 1821. Mais son engagement de revenir au métal était crédible, car elle avait pendant longtemps maintenu l'existence d'un étalon métallique.
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(1) Dans une conversation privée du 24 avril 1989, Angela Redish a estimé que, compte tenu des frais encourus à l'Hôtel des monnaies et de coûts de transaction de 1 %, la marge la plus étendue pouvait être comprise entre 15,3 et 15,89. Les limites citées plus haut du rapport des prix de marché sont des évaluations imparfaites, et ne contredisent donc pas sérieusement celles que donne Angela Redish. (2) On trouvera dans Walker (1896b, chapitres 4, 5 et 6) une excellente analyse de ces événements et de l'expérience française antérieure.
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Pendant la décennie de 1870, de nombreux pays, outre l'Allemagne et la France, passèrent du bimétallisme à l'étalon-or, jusqu'au retour des ÉtatsUnis au métal en 1879. Il en résulta une baisse rapide et de larges fluctuations du prix de marché de l'argent relativement à l'or, et le rapport des prix de marché entre les deux métaux avait presque doublé vers 1896, lorsque Bryan prononça son célèbre discours sur la« Croix d'or» et fit du« 16 pour 1 » son cri de guerre. Dans La monnaie et ses pièges au chapitre 4, j'ai fait une estimation du niveau hypothétique des prix aux États-Unis et du rapport hypothétique de prix or-argent que l'on aurait pu constater si, après la guerre civile, les ÉtatsUnis étaient revenus au bimétallisme antérieur. Ces estimations montrent que le rapport des prix de marché or-argent serait demeuré assez proche de 16 pour 1 au moins jusqu'en 1914, lorsque commença la Première Guerre mondiale. Le fait que la France ait pu conserver pendant 70 ans un étalon bimétallique qui a bien fonctionné malgré d'amples variations des productions relatives d'argent et d'or, renforce la confiance que j'ai dans ces estimations. Si je puis, en quelque point, avoir vu juste, « les États-Unis auraient pu, après 1873, jouer pour la stabilisation du rapport de prix or-argent le rôle que la France avait joué avant 1873» ainsi que je l'ai écrit au chapitre 3. Il en serait résulté une plus grande stabilité du niveau général des prix aux ÉtatsUnis et dans les pays en régime d'étalon-or.
2. LE BIMÉTALLISME DANS LA PENSÉE ÉCONOMIQUE Pas plus que l'histoire, la réflexion des théoriciens ne vient appuyer les idées communément admises. Au contraire, comme Schumpeter l'écrit dans son Histoire de l'analyse économique (1954, p. 1076) : « le bimétallisme était le terrain de chasse favori des monomaniaques de la monnaie. Néanmoins il est de fait que ces élucubrations semi-pathologiques et aussi la victoire du parti de l'or tendent à dissimuler qu'au plus haut niveau, c'est la thèse bimétalliste qui a été le plus brillamment soutenue dans la controverse, même si on ne tient pas compte du soutien que nombre de savants éminents ont accordé à la cause du bimétallisme. » Schumpeter ajoute en note que « parmi les travaux d'analyse pure, le plus remarquable est celui de Walras (Éléments, leçons 31 et 32) » (1954, p. 1076)<1). Comme l'a écrit Walras (1954, leçon 32, p. 359) en des termes soigneusement pesés, « en somme, le bimétallisme se confie au (1) Schumpeter dit clairement qu'il range parmi les «monomaniaques de la monnaie» les
«hommes d'argent », et non les «partisans de l'or ». Il partage là les idées courantes. Je pense personnellement, comme Francis Walker - dont Schumpeter apprécie l'œuvre comme étant de« haute valeur scientifique, incontestablement» - que la cause de l'or a eu aussi sa part de monomaniaques de la monnaie.
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hasard, tout comme le monométallisme, au point de vue de la fixité de valeur de l'étalon monétaire ; il a seulement quelques chances de plus en sa faveur. » Schumpeter juge peut-être correctement la qualité de l'analyse de Walras. Mais celle d'Irving Fisher est aussi rigoureuse et beaucoup plus accessible. Sa conclusion succincte (1911, chapitre 7, p. 123-124) est que le «bimétallisme, inapplicable avec un certain rapport [officiel entre les prix des deux métaux monétaires], est toujours applicable avec un autre rapport. Il existe toujours deux rapports limites entre lesquels le bimétallisme est possible. » Il faut noter que les rapports limites de Fisher ne sont pas ceux que nous avons cités plus haut, ceux qui déterminent la marge de fluctuations des rapports de prix de marché correspondant à un rapport de prix officiel et fixe. Les rapports limites de Fisher définissent la marge des rapports officiels de prix entre lesquels il serait possible de garder en circulation ensemble l'or et l'argent dans des conditions données de demande et d'offre des deux métaux. À chaque niveau du rapport officiel correspondrait une certaine répartition des productions respectives d'or et d'argent. Au rapport limite de prix le plus bas, l'essentiel de la production nouvelle d'or irait vers des usages non monétaires, et l'étalon bimétallique serait près de se transformer en un monométallisme argent - au rapport limite supérieur, l'essentiel de la production nouvelle d'argent irait vers des usages non monétaires, et l'étalon bimétallique serait près de se transformer en un monométallisme or. La préservation d'un rapport de prix de marché ou d'un autre, n'a en soi pas une grande importance (sauf peut-être pour les producteurs d'argent ou d'or). Ce qui importe, sur un plan général, est l'évolution du niveau des prix. Quel est le système monétaire, le bimétallisme, le monométallisme-or ou le monométallisme-argent, qui assure dans le temps la plus grande stabilité des prix, c'est-à-dire de la valeur réelle de l'unité monétaire? À cette question, Fisher répond (1911, chapitre 7, p. 126-127) que, quand le rapport officiel des prix des deux métaux est établi au bon niveau, alors « sur une série d'années, le niveau bimétallique [de la valeur réelle de l'unité monétaire] reste situé entre les niveaux fluctuants que les deux métaux atteindraient séparément. Le bimétallisme étale les effets de toute fluctuation de l'un ou de l'autre sur l'ensemble des deux marchés de l'or et de l'argent. Il faut noter que cet effet c: égalisateur assuré n'est que relatif. On peut concevoir que l'un des deux "~ métaux soit plus stable quand il est seul que quand il est associé à l'autre. »(1) :~ En d'autre termes, un étalon bimétallique engendre toujours un niveau de ~ prix plus stable qu'au ,moins l'un des deux étalons métalliques possibles et g'" peut engendrer un niveau de prix plus stable que chacun des deux. C'est ce '~ que Walras entendait par « quelques chances de plus en sa faveur. » 15
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(1) Cette analyse avait été avancée bien plus tôt par Fisher (1894, p. 527-37).
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3. PARTISANS ET ADVERSAIRES DU BIMÉTALLISME En 1896, en pleine époque d'agitation en faveur de la frappe libre de l'argent, Francis Walker (l896b, p. 217-219) donnait une excellente description des trois catégories de personnes qui ont été enclines à s'appeler bimétallistes. Nous avons d'abord les habitants des états qui produisent de l'argent. Ces citoyens ont ce qu'on appelle un intérêt privé, par opposition à une participation à l'intérêt général. .. Leur intérêt au maintien de l'argent comme métal monétaire a été de même nature que celui des habitants de la Pennsylvanie pour les droits de douane sur la fonte ... Bien que la production d'argent du pays ne soit pas très importante, elle a cependant su acquérir un grand pouvoir dans notre vie politique, grâce en partie à notre système d'égale représentation au Sénat, et en partie aussi grâce à l'ardeur et l'intensité avec lesquelles leur objectif a été poursuivi. La seconde de ces trois catégories ... est composée de ceux qui, sans aucun intérêt propre dans la production d'argent, sont cependant, en matière économique, favorables à une monnaie surabondante et bon marché. Parmi les dirigeants de cette tendance, on trouve ceux-là même qui, entre 1868 et 1876, étaient les plus favorables à cette hérésie des greenbacks (qui, il vaut la peine de le noter, est devenue l'orthodoxie d'aujourd'hui). Battus sur la question de l'inflation des greenbacks, ils ont attaqué sur celle de l'inflation par l'argent... Ils plaident pour une dépréciation de l'argent parce que, selon eux, c'est ce qu'il y a de mieux (nous dirions que c'est ce qu'il y a de pire) après les greenbacks. Ceux-là ne sont pas de vrais bimétallistes [ce sont les « monomaniaques monétaires» de Schumpeter] . Le troisième élément... se compose des bimétallistes convaincus de notre pays ; des hommes qui, comme Alexander Hamilton et les fondateurs de la République, pensent que la meilleure formule est de baser la circulation sur les deux métaux précieux. Ils ne sont pas des partisans de l'inflation, quoique ... ils réprouvent nettement la contraction. (1) Les personnes qui se qualifiaient de monométallistes ou de partisans d'une monnaie forte et étaient en faveur de l'étalon-or formaient trois groupes parallèles: ceux qui avaient des intérêts dans les mines d'or; les déflationnistes, dénoncés - avec quelque raison - par les partisans de la frappe libre de l'argent comme « représentants de Wall Street» ; et les monométallistes convaincus, qui voyaient dans la prééminence économique de la Grande-Bretagne la preuve des vertus d'un étalon-or et dans le passage, après 1870, de nombreux pays d'Europe du bimétallisme à l'or, la preuve de la fragilité du bimétallisme. (1) Francis Walker, volontaire pendant la guerre civile, fut promu général après la fin de la guerre. Il mena ensuite une carrière brillante de statisticien, d'économiste, et d'administrateur de l'enseignement.
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La controverse n'était pas cantonnée aux États-Unis. Elle faisait rage en Grande-Bretagne, en France et, en réalité, dans le monde entier; elle a entraîné, selon la remarque de Massimo Roccas, « les discussions théoriques les plus animées parmi les économistes, et les débats de politique ésonomique les plus vifs dans le "monde civilisé" » (1987, p. 1). Comme aux EtatsUnis, les participants à ces débats se répartissaient en trois groupes, analogues aux groupes américains sauf sur un point: parmi les partisans du bimétallisme, le premier groupe comportait non seulement les producteurs d'argent mais aussi, en particulier en Grande-Bretagne, ceux qui commerçaient avec l'Inde (qui vécut sous un régime d'étalon-argent avec frappe libre jusqu'en 1893) et, partout, ceux qui commerçaient avec la Chine (qui vécut sous un régime d'étalon-argent jusqu'aux dernières années de la décennie de 1930). Ces négociants prônaient le bimétallisme comme aujourd'hui les exportateurs prônent les taux de change fixes, et pour la même raison : pour réduire les inconvénients et les risques associés aux taux de change flexibles. Les distinctions entre ces groupes ne sont pas sans failles. C'est ce que montre bien, pour les États-Unis, l'exemple de James Laurence Laughlin, qui fut le premier - et demeura longtemps - président du département d'économie de l'université de Chicago. Son ouvrage de 1886, The History of Bimetallism in the United States a, sans conteste, représenté une très importante et savante contribution au débat, et a été cité aussi bien par des partisans que par des adversaires du bimétallisme. Mais Laughlin était aussi l'un des très actifs dirigeants de l'opposition au parti de l'argent, opposition qui prônait une monnaie forte. Sur ce terrain, il était dogmatique et démagogue. Des théoriciens comme Francis Walker et Irving Fisher partageaient presque certainement son opposition à certains arguments populistes en faveur de l'argent, mais ils étaient gênés par son dogmatisme et par ses raisonnements économiques qu'ils considéraient - à juste titre, selon moi - comme médiocres; ils se désolidarisèrent de lui. Pour la Grande-Bretagne, l'exemple est celui de Sir Robert Giffen, immortalisé par le « Paradoxe de Giffen » cité par Alfred Marshall. Divers articles de vulgarisation sur le sujet, écrits par Giffen entre 1879 et 1890, ont été réédités dans un ouvrage intitulé The Case Against Bimetallism ([1892] 1896). Quelle c que soit l'origine de la grande réputation de Giffen, ce livre montre ample::> '"" ment qu'elle ne se trouve pas dans sa maîtrise de la théorie monétaire (1).
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(1) On trouve une preuve de la réputation de Giffen dans le langage diplomatique par lequel
EY. Edgeworth (1895, p. 435), un des véritables grands économistes de l'époque, préface sa réfutation de l'une des idées fallacieuses de Giffen: «Les arguments avancés par M. Giffen ... ne prêtent en général pas le flanc à la critique. C'est avec beaucoup d'hésitation que nous proposons l'opinion contraire qui suit. »
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4. LES PROPOSITIONS BIMÉTALLISTES DE L'ÉPOQUE ET CE QU'ON EN PENSAIT La majorité des universitaires qui étaient persuadés que le bimétallisme est en principe préférable au monométallisme, se sont cependant opposés aux propositions concrètes allant dans le sens du bimétallisme, qui étaient au centre du débat politique. Ils ont agi ainsi pour deux séries de raisons : l'attrait pour des réformes meilleures encore, et certaines considérations pratiques.
a) Le mieux ennemi du bien W. Stanley Jevons ([1875] 1876, p.328-33) souhaitait l'instauration d'un étalon tabulaire, dans lequel l'unité monétaire serait - au moins pour les contrats à long terme - modifiée en fonction des variations du niveau général des prix; c'est le système que nous appelons aujourd'hui indexation. Alfred Marshall, qui prônait aussi un étalon tabulaire, le considérait cependant comme un idéal irréalisable, sauf pour les contrats à long terme. Il approuvait ce que F. Y. Edgeworth a appelé « symétallisme » car il y voyait une différence moins extrême d'avec l'étalon-or classique que ne l'était un étalon tabulaire, mais cependant préférable au bimétallisme (Marshall, 1926, p.12-15, 26-31)(1). Un étalon symétallique est celui dans lequel l'unité monétaire est la combinaison de deux métaux, «une unité d'or plus tant d'unités d'argent, un lingot d'alliage sur lequel une monnaie de papier peut être basée» (Edgeworth, 1895, p. 442). Dans un étalon bimétallique, le prix relatif des deux métaux est fixe, mais les quantités relatives employées comme monnaie sont variables. Dans un étalon symétallique, les quantités relatives des métaux employés comme monnaie sont fixes, et le prix relatif est variable; il n'y a donc aucun danger qu'un étalon symétallique officiel se transforme en un étalon monométallique de fait. Léon Walras (1954, p. 361) préconisait un étalon-or avec un «régulateur argent» géré par les autorités monétaires en vue de la stabilité des prix. Irving Fisher (1913, p.495) souhaitait un «dollar compensé », c'est-à-dire un système dans lequel le contenu officiel du dollar en or varierait afin de maintenir constant le niveau d'un indice de prix à base large; en d'autres termes, le poids or du dollar serait modifié« pour compenser la [variation] du pouvoir d'achat de chaque grain d'or ». (1) Francis Walker (1893, p.175, n. 1) a écrit: «Le professeur Alfred Marshall, de Cambridge, reconnu sans conteste comme le plus grand des économistes anglais, m'a dit plus d'une fois que, ayant à choisir entre bimétallisme et monométallisme-or, il était bimétalliste. »
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Francis Walker était opposé à l'adoption unilatérale par les États-Unis du bimétallisme, mais il était partisan d'un bimétallisme international, c'est-àdire d'un accord entre un grand nombre de pays sur l'adoption d'un même rapport de prix or-argent officiel (1). La quasi-totalité des partisans sérieux du bimétallisme, même ceux qui acceptaient qu'il soit adopté unilatéralement par un pays, préféraient le bimétallisme international. Cette attitude entraîna une série de conférences internationales sur le sujet, dont aucune n'eut de résultats concrets.
b) Considérations pratiques Le rapport officiel de prix or-argent à envisager était une considération pratique importante. Comme Fisher le faisait remarquer, il existe toute une gamme de rapports officiels qui permettent le fonctionnement satisfaisant d'un étalon bimétallique. Cependant, si plusieurs pays adoptent des rapports différents, il est clair qu'un seul de ceux-ci peut être le bon. Je pense que 16 pour 1 était acceptable pour les États-Unis en 1873, mais j'ai montré dans le chapitre 5 qu'en 1896 il était trop tard, presque certainement, pour réparer les dégâts. Certains auteurs de l'époque ont exprimé le même avis. En 1896, Walker (1 896b, p. 212-2l3) écrivait ceci: « Bien que je ne veuille pas discuter du rapport qui pourrait permettre, d'une manière quelconque, de rétablir un bimétallisme international, je n'hésite pas à dire que tout le bavardage visant à adopter le rapport de marché existant aujourd'hui, par exemple 30 pour 1, comme base de notre système bimétallique, est tout simplement stupide. L'argent est tombé à un rapport de 30 pour 1 vis-à-vis de l'or, à cause de sa démonétisation. Une remonétisation, même dans un petit nombre de pays, ferait nécessairement et instantanément revenir le rapport à un niveau antérieur et l'y maintiendrait contre vents et marées, sauf à envisager une révolution ... "Le facteur de sécurité" sera plus faible avec l'ancien rapport [15,5 pour 1] qu'il ne le serait avec un nouveau rapport un peu plus favorable à l'or, par exemple 18 ou 20 pour 1. Mais, malgré cela, ce "facteur de sécurité" pourrait encore être suffisant... pour permettre au [bimétallisme] de jouer son rôle benéfique comme avec l'ancien rapport. » Apparemment, Walker ne considérait pas les États-Unis agissant seuls comme équivalant à « un petit nombre de pays », puisqu'il s'est élevé contre la proposition de Bryan visant à faire adopter unilatéralement par les ÉtatsUnis le bimétallisme avec un rapport de 16 pour 1. Dans 1'« Address on International Bimetallism », qu'il prononça quelques jours après l'élection de 1896, Walker parla de la défaite de·Bryan comme de «la fin d'une grande (1) «Bien que bimétalliste de l'espèce internationale jusqu'au tréfonds de moi-même, j'ai
toujours considéré les efforts faits par ce pays, et pour lui seul, en vue de réhabiliter l'argent comme tout autant préjudiciables à nos intérêts nationaux qu'à la cause du véritable bimétallisme international. » (Walker, l896b, p. IV.)
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tempête» ([1896a] 1899, vol. 1, p. 251). Dans International Bimetallism, écrit en 1896, il émet l'idée que les États-Unis «ne sont pas et n'ont jamais été en mesure d'exercer une influence égale [à celle de la France à elle seule] sur le marché des métaux monétaires» (1896b, p. 220). Comme on l'a déjà vu, l'analyse que j'ai faite des données de l'époque fait penser que sa formule: «n'ont jamais été» est excessive, mais que «ne sont pas» est probablement juste. En 1888, J. Shield Nicholson, l'un des plus compétents des partisans britanniques du bimétallisme, considérait ([1888] 1895, p.270-288) le rétablissement d'un rapport de 15,5 pour 1 comme parfaitement réalisable en cas d'accord international; il rejoignait là Walker. Autant que je sache, Nicholson ne s'est pas exprimé à propos de l'adoption unilatérale de ce rapport par la Grande-Bretagne ou les États-Unis. Jevons est peut-être le meilleur exemple d'un économiste qui ait reconnu en théorie les avantages du bimétallisme, mais qui s'y soit vigoureusement opposé pour des raisons pratiques. Il a, dans une lettre écrite en 1868 à un partisan du bimétallisme (1884, p. 306 ; l'italique est de Jevons), résumé son opinion de la façon suivante: «je dois reconnaître que, en théorie, vousmême et les autres partisans de ce que l'on peut appeler l'autre étalon avez raison. Mais, dans la pratique le sujet apparaît très différent, et je suis enclin à souhaiter l'extension du seul étalon-or. » Les principales considérations pratiques qu'il cite dans cette lettre (p. 305-306) sont les suivantes: « Je ne peux envisager aucune perspective de forte hausse de la valeur des métaux précieux ... En conséquence, le danger d'une hausse du prix de l'or, et d'un alourdissement de la charge supportée par les nations, est de nature incertaine ... Par ailleurs, les avantages que présente un étalon d'un seul métal, l'or, sont tangibles et certains. Le poids de la monnaie est alors le plus faible possible, mis à part l'usage de la monnaie de papier représentative. Il y a dans ce régime une simplicité et une commodité qui l'ont recommandé aux Anglais pendant le demi-siècle qui s'est écoulé depuis l'émission des nouveaux souverains. L'application de notre loi de 1816 a, en effet, eu de si heureux résultats à presque tous les égards que je désespérerais totalement du peuple ou du gouvernement anglais s'il était jamais amené à adopter, à sa place, le double étalon. J'ai donc été heureux que la loi monétaire ait opté pour un étalon d'un seul métal, l'or. »(1) (1) La démonstration théorique la meilleure et la plus concise par Jevons des avantages du bimétallisme se trouve dans son ouvrage Money and the Mechanism of Exchange ([1875] 1890, p. 137-38). Fisher y fait référence dans «The Mechanics of Bimetallism» (1894), où il présente une analyse définitive, beaucoup plus approfondie. Fisher note qu'il a découvert, après avoir préparé son article, que Walras avait « traité presque le même sujet et était parvenu fondamentalement aux mêmes conclusions » que lui dans une partie de son article (1 894, p. 529, n. 1).
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Ici et dans d'autres ouvrages, Jevons insiste beaucoup sur les inconvénients de la monnaie d'argent pour les pays riches, car elle pèse, à valeur égale, beaucoup plus lourd que la monnaie d'or. Cette réflexion implique qu'une large part des transactions se fait à l'aide de pièces. Cela était peut-être vrai à l'époque de Jevons, mais devint rapidement beaucoup moins important, car l'emploi se développait de pièces subsidiaires de faible valeur, de papiermonnaie, et des dépôts bancaires. Mais même à cette époque, l'une des raisons de cet état de choses était que la Banque d'Angleterre ne pouvait émettre de billets de moins de cinq livres; une telle restriction n'existait pas aux États-Unis. Jevons a, dans des travaux ultérieurs, renouvelé ces objections de manière plus ferme encore. En 1875, après la suppression de la frappe libre de l'argent en France et l'adoption de l'étalon-or par l'Allemagne, il s'exprimait ainsi: « le prix de l'argent a baissé à la suite des réformes de la monnaie allemande, mais il n'est nullement certain qu'il continuera à baisser. Quant à savoir si le pouvoir d'achat de l'or augmentera réellement beaucoup [c'est-à-dire si le niveau des prix en termes d'or baissera], il est impossible de le prévoir. .. Je pense pour ma part, mais sans aucune certitude, qu'il n'augmentera probablement pas.» ([1875] 1876, p. 143.) Puis, en 1877 (1884, p. 308, 309, 311 ; les italiques sont de Jevons), il écrivait ceci: « Il n'est pas de domaine où la nation anglaise soit aussi conservatrice qu'en ce qui touche la monnaie ... Si les États-Unis adoptaient le bimétallisme, ils jetteraient la confusion dans les relations monétaires des grands pays commerçants, et le bimétallisme universel nécessaire à la réussite des projets de M. Cernuschi serait plus éloigné que jamais ... (1)
Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'aujourd'hui la valeur de l'argent est moins stable que celle de 1'0r. .. Il est probable que, dans ces conditions, le double étalon ou, comme il faudrait l'appeler, l'étalon alternatif, aura en vérité une valeur moins stable que l'étalon fait d'un seul métal, l'or. »
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Malgré sa réputation méritée de pionnier en matière de statistiques économiques, Jevons s'est presque constamment trompé dans ses prévisions. Le prix de l'argent en termes d'or a fortement baissé, le prix réel de l'or a monté (autrement dit, le niveau des prix nominaux a baissé) et la production d'or a été plus instable que celle de l'argent (2).
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Le journaliste Walter Bagehot, célèbre contemporain de Jevons, a écrit en 1876 dans The Economist une série d'articles sur les problèmes de l'argent. g Peu de temps après la mort de leur auteur en 1877, ces articles ont été rassem.~ blés et publiés sous la forme d'une monographie intitulée « La dépréciation g de l'argent ». Dans ces articles, Bagehot étudie notamment les problèmes que
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(1) Cernuschi était un bimétalliste français bien connu. (2) Il est intéressant de noter que Jevons (1865) s'est encore lourdement trompé dans un autre domaine, celui de la production et du rôle futurs du charbon.
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soulève la dépréciation de l'argent pour le commerce de la Grande-Bretagne avec l'Inde, ce qui le conduit inévitablement à une étude du bimétallisme, régime auquel il est opposé. Bien que l'analyse théorique de Bagehot soit beaucoup moins poussée que celle de Jevons, les arguments concrets qu'il énumère pour s'opposer au bimétallisme sont les mêmes, y compris quand ils sont erronés: il en est ainsi de la prévision selon laquelle la « baisse» du prix de l'argent en 1876 n'était «qu'un accident momentané survenant sur un marché nouveau et peu actif, et non l'effet permanent de causes durables» (Bagehot [1877] 1891, vol. 5, p. 523). Comme Jevons, Bagehot attache une grande importance au fait que « l'Angleterre a désormais une monnaie reposant exclusivement sur l'étalon-or, ce qui correspond exactement à ses besoins, est reconnu comme caractéristique de ce pays dans tout le monde civilisé, et est très étroitement lié à toutes ses pratiques commerciales et bancaires. Quelles raisons pourrait-on faire admettre à un Parlement anglais pour qu'il soit amené à changer cela? »(1) J'ai longuement cité les considérations pratiques mises en avant par Jevons et Bagehot parce que ces deux auteurs ont été parmi les premiers à insister sur des arguments qui, sans aucun doute, ont joué un rôle majeur dans l'opposition ou le soutien sans conviction manifesté à l'égard du bimétallisme par presque tous les auteurs anglais qui, ultérieurement, ont étudié cette question, y compris Marshall et Edgeworth. Parallèlement, les contextes très différents dans lesquels se trouvaient la France et les États-Unis expliquent pourquoi on a trouvé dans ces deux pays - et non seulement chez les «monomaniaques de la monnaie» de Schumpeter, mais aussi chez des auteurs célèbres - un soutien très vigoureux du bimétallisme.
5. MONOMÉTALLISME-OR CONTRE MONOMÉTALLISMEARGENT L'adoption par la Grande-Bretagne en 1816 d'un étalon monométallique-or, puis la reprise dans ce pays, à la suite de l'Acte de Peel de 1819, de la convertibilité de la monnaie légale en métal sur la base de l'or le 1er mai 1821, ont sans aucun doute déterminé la reconnaissance de l'or comme le métal monétaire dominant dans le monde (Feavearyear, 1963, p. 212-213). Cela a été dû en partie au fait que la prééminence économique de la Grande-Bretagne dans le monde, qui s'affirma progressivement, a été largement attribuée, à tort ou à raison, au strict respect des règles de l'étalon-or, et en partie au fait que cette prééminence même conférait une importance particulière aux taux de change entre le sterling et les autres monnaies. (1) Bagehot exprime aussi quelques doutes sur le fait que les Français soient prêts à démonétiser l'argent, ce qu'ils ont fait très peu de temps après.
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Pourquoi la Grande-Bretagne a-t-elle adopté un étalon monométallique au lieu de revenir à son bimétallisme d'antan? Et pourquoi avoir choisi l'or de préférence à l'argent? Dans une étude récente, Angela Redish écrit ceci: « Les historiens expliquent généralement par un concours de circonstances l'émergence de l'étalon-or: les textes de 1816 n'ont fait qu'entériner l'étalon-or de facto qui existait en Angleterre depuis la surévaluation "involontaire" de l'or par Newton au début du XVIIIe siècle. » (1990, p. 789-790.) Elle n'est pas d'accord avec cette explication, et pense plutôt (p. 805) que « l'Angleterre a abandonné le bimétallisme en 1816 parce qu'un étalon-or complété par des pièces d'argent de faible valeur faciale offrait une gamme d'instruments d'échange faite de pièces de dénomination élevée et faible circulant concurremment. L'étalon-or s'est imposé parce que la nouvelle technologie employée par la Monnaie permettait de fabriquer des pièces [d'or, et d'argent de faible valeur] que les faux-monnayeurs ne pouvaient copier qu'à grands frais, et parce que la Monnaie acceptait de garantir la convertibilité des pièces de faible valeur. » Le système monétaire que décrit Redish était bien une conséquence de la réforme monétaire. Comme l'a dit Feavearyear (1963, p. 226), «l'Acte de Peel avait fondé la livre sur une base qui la rapprochait d'un étalon métallique totalement automatique de façon plus étroite que ce ne fut jamais le cas dans l' histoire, ni avant cette date ni après. Depuis longtemps avaient été abolis le seigneuriage et les autres frais à payer lors de la frappe des monnaies ... La mise en œuvre d'un meilleur équipement à la Monnaie, en même temps qu'une lutte plus efficace contre la criminalité, commençaient à gêner les faux-monnayeurs. L'or était plus difficile à contrefaire que l'argent. »
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Je crois cependant que la difficulté d'émettre de façon satisfaisante des pièces d'argent n'aurait pas été une raison suffisante pour justifier le retour à l'or plutôt qu'à l'argent, bien que ce fut à l'évidence une conséquence de cette réforme monétaire, et peut-être en partie la cause de son adoption. Dans le système bimétallique français qui donnait satisfaction, des pièces de plein aloi de valeurs diverses, forte et faible, ont circulé conjointement pendant soixante-quinze ans, bien que la proportion de l'un et l'autre métal ait varié dans le temps. Redish ne pense pas que des pièces de dénomination diffé-
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éprouvèrent pour conserver un étalon dualiste, proviennent du fait que ces deux pays avaient établi leur rapport officiel à un niveau différent de celui de la France, à une époque où ce dernier faisait sentir son poids sur le rapport des prix de marché. Personnellement, je partage l'opinion de Frank Fetter (1973, p. 16), selon laquelle« avec le recul de l'histoire, il est stupéfiant qu'une décision [l'adoption d'un seul métal étalon, l'or] d'une telle importance pour l'Angleterre et, à l'exemple de l'Angleterre, pour le reste du monde, ait pu être prise sans le préalable d'une analyse sérieuse et, dans une large mesure, en fonction de détails tenant à la commodité d'emploi des pièces de faible valeur et non en considération de questions plus vastes de politique économique. C'est de cette façon qu'a été officiellement instauré l'étalon-or, qui est devenu effectif lors de la reprise en 1821 des paiements en métal, et qui a duré quatre-vingttreize ans. »(1) Redish rejoint Jevons dans l'explication de la préférence accordée à l'or sur l'argent: dans un régime d'étalon-argent, les pièces de valeur élevée sont trop lourdes et peu commodes. L'or aurait pu être utilisé dans les transactions importantes, mais si la valeur faciale des pièces d'or était inférieure à leur valeur marchande, elles n'auraient pas circulé au pair. Si la valeur faciale dépassait la valeur marchande, les pièces d'or auraient pu demeurer convertibles en argent en limitant leur frappe à la demande. Ces pièces surévaluées auraient rempli les mêmes fonctions qu'ont remplies, à l'époque et ultérieurement, les pièces d'argent et la monnaie de papier surévaluées. Elles auraient évidemment été les cibles d'une éventuelle contrefaçon, mais celle-ci aurait été beaucoup moins rentable que la contrefaçon du papier et, d'après les (1) Le retour aux paiements en or en 1821 n'a pas mis fin à la bataille des étalons en GrandeBretagne, pas plus que la même décision aux États-Unis en 1879 n'y a mis fin dans ce pays. « Les attaques les plus persistantes et les plus continues contre la loi de 1821 sont venues des avocats de l'étalon-argent ou du bimétallisme. » (Fetter, 1973, p. 17.) Fetter intitule un passage de son livre sur l'orthodoxie monétaire «Un nouveau soutien au bimétallisme », par référence aux réactions à la crise de 1825 ; un autre passage est intitulé «Des commentaires favorables à l'argent et au bimétallisme », où on peut lire ceci: «Au Parlement, la dernière initiative sérieuse en faveur d'un étalon-argent ou du bimétallisme est intervenue en 1835, mais dans la période qui s'est écoulée entre cette date et 1844, diverses suggestions tendant à donner à l'argent une place plus durable dans le système monétaire émanèrent de personnes professant des opinions très diverses sur d'autres aspects de la politique monétaire et bancaire. » Plus tard encore, dans les décennies de 1870 et 1880, après que le retour à l'or des États-Unis et le passage à l'étalon-or de la France, de l'Allemagne et d'autres pays européens eurent entraîné une chute rapide du prix-or de l'argent, «des difficultés pour l'Angleterre provoquées par les fluctuations du taux de change de l'Inde, une pression des États-Unis en faveur du bimétallisme, et les problèmes économiques internes découlant de la baisse des prix-or, ont conduit à une étude sérieuse de la possibilité du bimétallisme international » (1973, p. 19.) «Une commission non unanime [créée en 1887] recommanda le bimétallisme, mais le Gouvernement ne soutint pas cette proposition et le mouvement ne se développa jamais au niveau politique international. »(Fetter, 1973, p. 19.)
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remarques de Feavearyear, techniquement plus difficile que celle de l'argent; il est donc difficile de voir là un argument décisif. Que ce soit sous l'or ou l'argent, ou encore sous le bimétallisme, on a besoin de pièces de faible dénomination. Dans un régime d'étalon-or, les pièces de plein aloi et de faible valeur sont excessivement petites. Redish montre que les Anglais ont résolu ce problème en employant des pièces d'argent surévaluées dont la convertibilité était garantie par la Monnaie pour leur valeur nominale. Cela pouvait également se faire dans un régime d'étalon-argent; ce fut le cas aux États-Unis, de 1837 à la guerre civile, dans un régime officiellement bimétallique mais en fait d'étalon-or. Quels que soient les mérites de l'ingénieuse argumentation de Redish tendant à rationaliser l'action britannique, il n'était certainement pas envisagé de façon nette à l'époque que l'or serait préféré à l'argent, bien qu'il semble que l'on ait tenu pour acquis que l'on reviendrait à une base monométallique. David Ricardo a par exemple écrit ceci dans son pamphlet The High Priee of Bullion ([1811] 1951, p. 65) : «On peut dire qu'il n'existe aucune mesure stable de valeur dans un pays où l'instrument d'échange utilisé consiste en deux métaux, car ils sont constamment susceptibles de changer de valeur l'un par rapport à l'autre ... M. Locke, Lord Liverpool, et de nombreux autres auteurs, ont sérieusement étudié sujet, et tous ont convenu que le seul remède aux maux dont souffre la monnaie de ce fait consiste à faire de l'un seulement de ces métaux l'étalon des valeurs. » En ce qui concerne l'or par opposition à l'argent, dans sa brochure - qui a eu une grande influence - intitulée Proposais for an Economical and Secure Currency ([1816] 1951, p. 63) Ricardo se prononçait en faveur de l'argent et écrivait ceci : « L'emploi de deux métaux comme étalon de notre monnaie a beaucoup d'inconvénients; on discute depuis longtemps pour déterminer lequel, de l'or ou de l'argent, devrait devenir officiellement le principal ou le seul étalon de la monnaie. En faveur de l'or, on peut dire que sa valeur plus grande sous un poids plus faible le désigne éminemment pour être l'étalon d'un pays riche; ~ mais cette qualité elle-même le rend susceptible de plus grandes variations de ~ valeur en temps de guerre, ou pendant les périodes de crise du commerce, car ,al souvent il est alors collecté et thésaurisé : cela peut être un argument contre "§ son emploi. La seule objection à l'utilisation de l'argent comme étalon est g son poids, qui le rend impropre aux gros paiements nécessaires dans un pays g riche; mais cette objection est entièrement balayée par l'emploi de la "~ monnaie de papier comme instrument d'échange général dans le pays. De plus, la valeur de l'argent est beaucoup plus stable, car sa demande et son - offre sont plus régulières ; et comme tous les pays étrangers déterminent la valeur de leur monnaie d'après celle de l'argent, on ne peut douter que, dans l'ensemble, l'argent est préférable à l'or en tant qu'étalon, et devrait être durablement choisi à cette fin. »
j
142
ÉPISODES EN HISTOIRE MONÉTAIRE
Un peu plus tard, dans une déposition faite en 1819 devant un comité du Parlement, Ricardo ([1819a] 1952, p. 390-391 ; voir aussi [1819b] 1952, p. 427) devenait partisan de l'or parce que, disait-il, «j'ai compris que les équipements mécaniques sont particulièrement applicables aux mines d'argent; il peut donc très facilement en résulter une quantité accrue de ce métal et une altération de sa valeur, alors qu'il est peu probable que le valeur de l'or soit affectée par la même cause ». Il est normal de préférer un métal à un autre si sa valeur est plus stable, mais la prévision d'ordre technique qui conduisit Ricardo à penser que l'or serait probablement plus stable que l'argent se révéla inexacte. La production d'argent diminua par rapport à celle de l'or jusqu'à la découverte en 1860 de la mine de Comstock Lode, et l'utilisation de l'équipement mécanique se répandit tout autant dans les mines d'or que dans les mines d'argent. Néanmoins, l'affirmation selon laquelle l'or aurait une valeur plus stable que l'argent devint une prophétie «auto-réalisatrice », lorsque l'or fut choisi comme étalon. La décision britannique provoqua d'importantes variations de la demande d'or et d'argent dans l'immédiat, et ultérieurement lorsque d'autres pays suivirent l'exemple de la Grande-Bretagne. Progressivement l'argent remplaça l'or dans la circulation monétaire en France, jusqu'à l'ouverture de nouvelles mines d'or en Californie et en Australie et, au cours du siècle qui a suivi, le prix réel de l'or a été beaucoup plus stable que le prix réel de l'argent. Cependant, si la Grande-Bretagne avait choisi l'argent en prévision d'une plus grande stabilité de sa valeur, cette prévision, là aussi, se serait probablement réalisée d'elle-même. L'argent n'aurait pas été l'objet d'une aussi vaste démonétisation et on aurait assisté, soit à une démonétisation de l'or, soit au maintien, au moins dans quelques pays, d'un bimétallisme effectif. L'une ou l'autre éventualité aurait sans doute stabilisé davantage le prix réel de l'argent que celui de l'or et, si le bimétallisme avait été maintenu, le niveau général des prix aurait sans doute été plus stable que dans un régime monométallique Il est très intéressant d'imaginer ce qui se serait passé si le technicien qui informait Ricardo lui avait fait savoir que« l'équipement mécanique convient particulièrement» aux mines d'or plutôt qu'aux mines d'argent - comme, en définitive, ce fut effectivement le cas. Étant donné l'immense influence et le grand prestige de Ricardo à l'époque où les principales décisions furent prises, il n' est nullement déraisonnable de supposer que la Grande-Bretagne aurait rétabli les paiements en argent et non en or, ce qui aurait modifié profondément, d'une façon que nous ne pouvons qu'entrevoir, toute l'histoire économique du XIXe siècle. En fait, les événements ont montré que l'exemple donné par la GrandeBretagne et par sa prééminence économique ultérieure s'est révélé décisif. Cet exemple a été le facteur essentiel des décisions de l'Allemagne d'abord, puis des États-Unis, d'adopter un étalon-or. Qu'elle résulte ou non d'un concours de circonstances, la décision britannique, il y a près de deux cents
À nouveau sur le bimétallisme
143
ans, de restaurer la convertibilité sur la base de l'or est fondamentalement à l'origine de l'idée très généralement admise aujourd'hui de la supériorité de l'or sur l'argent comme base d'un étalon monométallique.
6. CONCLUSION Bien qu'il existe encore aujourd'hui des «monomaniaques de la monnaie»presque tous des partisans de l'or -l'adoption quasi-universelle dans le monde d'étalons de monnaie-papier inconvertible donne pour l'instant un intérêt surtout historique à l'analyse des étalons métalliques, qu'ils soient d'argent, d'or, bimétallique ou symétallique. Cette situation peut évoluer mais, quoiqu'il advienne, il paraît utile de présenter quelques arguments contraires à la thèse admise par la plupart des spécialistes de la monnaie concernant le bimétallisme(l). Loin d'être une solution fallacieuse totalement discréditée, le bimétallisme a beaucoup d'avantages à faire valoir, aussi bien sur les plans théorique et pratique que sur le plan historique; il est préférable au monométallisme, sinon au symétallisme ou à un étalon composite. En fait, les progrès techniques du xxe siècle ont réduit la portée des arguments pratiques qui, au XIXe siècle, étaient opposés au bimétallisme. En particulier, l'emploi plus fréquent des dépôts bancaires et du papier-monnaie enlève presque tout son intérêt au souci exprimé par Jevons concernant le poids de l'argent, ainsi qu'au problème souvent évoqué de la nécessité, dans un régime bimétallique, d'une frappe fréquente de nouvelles pièces. D'un autre côté, l'usage moins intensif des pièces a incontestablement affaibli le mythe de la monnaie forte selon lequel il n'y a de vraie monnaie que métallique. Ce mythe a, dans le passé, affermi le soutien populaire accordé à un étalon métallique et inspire encore les partisans de l'or dans le monde. Lorsqu'il était beaucoup plus fort qu'il n'est aujourd'hui, ce mythe rendait politiquement dangereuse toute tentative visant à s'écarter de la convertibilité illimitée de la monnaie légale en métal, et il lui reste encore assez de force pour inciter les banques centrales du monde entier à continuer à comptabiliser l'or selon un prix monétaire officiel sans lien avec la réalité. C Disons enfin que nous voyons en tout ceci un autre exemple frappant des vastes, mais involontaires, conséquences d'un événement dû presque au ,:l ·ë hasard. Le caillou qui a déclenché une avalanche a été la décision de la ~ Grande-Bretagne de revenir à la convertibilité sur la base de l'or. L'histoire § économique du monde depuis cette date eut été très différente si la Grande<=: " Bretagne avait décidé de conserver le bimétallisme ou de revenir à la convertibilité sur la base de l'argent, bien qu'il nous soit impossible d'expo.c _ ser en détailla façon dont les événements auraient évolué. ::l
l
(1) Deux études récentes sur le bimétallisme montrent peut-être que la situation est en train
d'évoluer (Roccas, 1987 et Dowd, 1991).
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INDEX DES AUTEURS
B Bagehot w., 57, 137, 138, 138n Barnes 1., 109, 110, 114, 115 Barnett, 88, 88n, 92, 94 Beale Jr W.T.M., 59n Bennett M.K. et associés, 46n, 59n, 60n, 62n,64n,65n Bergsten, XII Bordo M., XIII, 87n Boyer-Xambeu M.T., XXXII, XXXIII, XXIV n, XXXV, XXV In Bryan W.J., XXI, XXII, 87, 91, 98, lOI, 106, 107,108, 109, 110, 114, 116, 117, 119, 120, 126, 130, 135 C Carothers N., 91 Commager H., 110 Culbertson J.M., 125n
'"'"
E
G Galbraith J.K., XII Giffen R., 133, 133n Gillard, XXVln, XXXII, XXXIII, XXXV Graham B., 46, 46n, 59n, 60n, 62n, 63n, 64n,65n,66n Graham ED., 46, 46n, 59n, 61n Greenfield R.L., XIII H Hamilton A., 88, 89, 126, 132 Hardy C.O., 52, 53 Hayek EA., XVln, 63n Hofstadter R., 109 Hughes J., 125n
D Davanne O., XII Deleplace G., XIIIn, XXIVn, XXXII, XXXIII, XXXV Dornbusch R., XI Dowd K., 143n
Fischer S., XII Fisher 1., 97n, 114n, 127, 131, 133, 134, 135, 136n Flandreau M., XXXI, XXXIV Friedman M., 45n, 81n, 104n, 113,115 Froman L., 125
XXVln,
J Jacquet P., XII Jastram R.w., 88n, 89 Jevons W.S., 134, 136, 137, 138, 140, 143
Edgeworth E Y. 133n, 134, 138
F FeavearyearA., 138, 139, 141 Fetter E, 140, 140n
K Kaldor N., XII Kennedy M.T., 59n Keynes J.M., XXVI Krugman P., XII
150
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L
Laughlin J .L., 87, 94n, 106, 116, 133 Linderman H.R., 94, 95, 96
RockoffH., XIII, 87n, 96n, lIOn, 123n Rolnick AJ., 90n Rueff 1., XII
s
M Marshall A., XVIII, 53, 53n, 133, 134, 134n, 138 Martin D.A., 123 Meade J.E., 3n, 29n Miller M.H., 81n Mints L.T., 3n, 59n, 80n Mises L. von, 126 Musgrave R.A., 81n
N Newcomb S., 118 Nicholson J.S., 136 NugentW., 94,95, 96, 92n Nurkse R., 20n
o Officer L.H., XXXIIn O'Leary P.M., 88n, 90, 95, 96 p
Pearson F.A., 68n, 102n, 107n, 127n, 128
R RedishA., XXXI, 123n, 129n, 139, 140, 141 Ricardo D., XIIIn, XXIV, XXIVn, 92n, 141, 142 Roccas M., 133, 143n
Saint-Marc M., 127n Schumpeter J., 130, 130n, 131, 132, 138 Schwartz A., XXII, 87n, 92n, 100, 104, 112n, 113, 115, 123n, 127n Shaw E.S., 46n
T Thome F., 62n Thomton H., XXIV Timberlake R.H., 109 Tinbergen J., XII Triffin R., 30n
w Walker F., XXIII, 92n, 93n, 95, 97n, 118, 129, 129n, 130n, 132, 132n, 133, 134n, 135, 135n, 136 Walras L., 130, 131,134, 136n Warren G.F., 68n, 102n, 107n, 127n, 128 Weber W.E., 90n Wharburton C., 50n White H., 49, 49n, 129 Williamson J., XII Wilson T., XXXI Winn W.J., 59n y
Yeager L.B., XIII
INDEX DES NOTIONS
A Acte de Peel (1819), 138-9 Acte de Peel (1844), 56, 61 Ajustement de balance des paiements, XVII, XXVI, 5, 25 Ancrage, XIII, XXXV Arbitrage, XXVI, XXXII, 128 Argent-métal,99, 101 Assignats, 129 Automaticité, XXV, 76, 82
- des billets convertibles, XXXII Coinage Act, 88, 93, 94, 95, 96, 106, 108, 114, 116, 126 Commerce, X, XI, 3, 38, 43, 45, 74, 84 - international, XV Consensus keynésien, XVII, XXVI Contrôles directs, XVII, 3, 6, 9, 12,22,68 Convertibilité, XIV, XV, XXIX, 4, 33, 38, 46, 57, 111, 143 Croissance, 72, 80 - économique, 113 Currency board, XII-XIII
B Banques centrales 43, 143 « Bataille des étalons », 140n Bimétallique, 92, 97, 111 Bimétallisme, XIV, XXI, XXIII, XXXI, 126 - en France, XXXIV, 93n, 97, 102n, III, 119,127-9,139 - en Grande-Bretagne, 92, 139, 142 - aux États-Unis, 89,101,117, 119, 126 - international, XXXIII, XXXV, 118, 119, 135 - national, XXXV Bland-Allison Act, 98-99, 115 Bretton Woods, X, XI, XII, XIII, XIV, XVI, 124 Bullion, XXIX
c "g."
j_
Changes fixes (ou rigides), XIV, XVII, 9, 35, 43, 45,83,133 - flexibles (ou flottants), XIV, XVII, 3, 7 Circulation - conjointe d'espèces d'or et d'argent, XXXIV
-
D Déficit, 15,24,49,78 Déflation, XXI, XXII, XXV, 5, 99, 100, 108, 112,113,116,117 Démonétisation, 108 - de l'argent, XXI, 92, 95 Discipline, X, 23, 77, 83 Dollar (cours du -),21, 101, 103, 116 Dollar compensé, 134 Dollarisation, XII, XIII
E Étalon - à réserve de marchandises, XIX, 59, 83 - alternatif, 127, 137 - argent, XXII, XXV, 67, 90, 97 - bimétallique, XXI, 89, 97, 123, 126, 131, 134 - de change-or, 119, 124 - fiduciaire (ou papier), XII, XVIII, XXV, XXX, 58, 78, 80, 83,125 - marchandise, XXV, 46, 58 - métallique, XXVIII, 92, 108, 143
152
CHANGES FLEXIBLES OU ÉTALON INTERNATIONAL
- or, XIV, XX, XXI, 23, 27, 40, 43, 45, 57,67,75,83,97,105, III, 124, 140 - papier, 92, III - symétallique, XIX, 53, 67, 134, 143 - tabulaire, 53n, 134
F Flexibilité, XXIV, 50 - des prix, des revenus et de l'emploi, XXVI, XXVII, 10 - généralisée, XVII Fonds monétaire international (FMI), XII, XIII, 3, 16,32,45,46, 124, 125 Frappe libre, XXVII, 88, 89, 96, 108, Ill, 114, 137 G Greenbacks, 91, 93, 98, 99, 101, 107, 114, 126,132 Guerres, XXI, 16, 43, 45, 47, 91, 92, 119, 124, III, 127, 129 H
Hasard de l'histoire, 143 Heure d'été, 17
1 Illusion monétaire, 113 Incertitude, 18, 21 Inconvertibilité, XXX Inflation, XXII, 5,15,21,92,101,117,132 - causes, XXII, XXIV, 21, 34, 41, 92, 101,117 - effets, 24, 40 Interventionnisme étatique: XV, 9, 20, 23, 29-31,58,79 L
Laissez-faire, XV, 3, 37-39, 73 Livre sterling, XXXV, 14, 112, 138 Loi de Gresham, 90
Monnaie - à réserve de marchandises, XXVII, 54, 59-61 - de base, 70, 73 - émission de -, XVIII, XXIX, 49, 58, 73, 79 - fiduciaire (papier), XIX, XXX, 54, 84, 129 - légale, XXVII, 99, 138, 143 - marchandise, 46-49, 52 - «monomaniaque de la - », 130, 132, 138,143 - pouvoir d'achat de la -,60, 112, 137 - quantité de -, 6, 56, 72, 113 - vitesse de circulation de la -, 24, 48, 50,99 Monnayage, XXVII Monométallisme - alternatif, XXII, 89, 91, 125, 127 - aux États-Unis, XIV, 108 - en Allemagne, XIV, Ill, 129, 137, 140n
-
en Chine, 118, 119, 124 en France, XIV, III, 129, 140n en Grande-Bretagne, III, 138 en Inde, 119, 123, 124, 133 N
New Monetary Economies, XIII Niveau général des prix - aux États-Unis, 69, 99, 103-104, 112 - en Grande-Bretagne, 99, 105, 112 Normes hybrides, X, XVI
o Or-métal - avoirs des banques centrales, XIII, 33 - cyanuration, III, 120 - demande monétaire, 91, 93, III - demande non monétaire, 53,124,126 - pénurie, XVI, 119 - prix mondial, 77, 90 - production, 52, 55n, 75, 91, 113, 137, 142 - stock mondial, 98, 99, 117, 127
M Main street vs Wall street, 100, 120 Médium de circulation, 50, 52, 54, 56, 57, 58,60,78 Mobilité des capitaux, XI, 28 Monétarisme, XXV, XXI,
p
Parité des pouvoirs d'achat, XXXII Plein emploi, XII, 12, 16 Points bimétalliques, XXXII, 93, 128 Points d'or, XXIII, 93, 128
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Index des notions
Politique budgétaire, XXV, 78, 81 Politique monétaire, 17,23,27,40,49,74 Prêteur en dernier ressort, XII Prix relatif de l'or et de l'argent - commercial, 96-98, 101-103, 115-119, 125, 141 - légal (rapport monétaire), XXIII, XXXIII,90, 117, 123, 128, 135, 139 - «rapport limite », 131 Producteurs d'argent, 93, 100, 106, 132, 133
R Régime de change, XII Régime monétaire, XXVIII, 125 Règles d'émission, XXVIII, 123, 139 Reprise des paiements métalliques, 92, 108, 111, 114, 138, 140n, 142 Réserves de change, XVII, 15,22 Resumption Act (1875),92, 101
s Sherman Silver Purchase Act (1893), 96n, 98, 109, 115
Spéculation, XXVI, 7, 9,19-21,27,30, 103 Stabilité - du niveau général des prix, XI, XXI, XXII, 51, 69,80,82,131,134 - du change, XI, XXXII, 75, 83,118 Système monétaire international, XI, XXIII, XXXI,XXXV
T Taux d'intérêt, Il, 15,27, 125 Théorie quantitative de la monnaie, XXII, XXVI U
Union européenne des paiements, 32 Unité de compte, XXVIII, XXXIII
z Zone monétaire, 34n Zone sterling, XII, 34-37
045026-(1)-( 1,2)-OSB 80°-DES-JME STEDI, 1, boulevard Ney, 75018 Paris Dépôt légal, Imprimeur, nO 7687 Dépôt légal: novembre 2002 Imprimé en France