BALZAC SA VIE ET SES OEUVRES D'APRÈS
SA CORRESP01SDANCE
1ère édition,
Librairie
Nouvelle,
@ L'Harmattan, 2005 ISBN: 2-7475-8188-8 EAN:9782747581882
1858
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J..Je (NÉE
DE BALZAC)
BALZAC S..\. VI E
ET SES ŒUVRES D'A
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L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris
FRANCE
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n 1~ S P 0 :'i D AN C E
L'Harmattan Konyvesbolt 1053 Budapest Kossuth L.u. 14-16
HONGRIE
L'Harmattan Italia Via Degli Artisti, 15 10124 Torino
ITALlE
Les Introuvables Collection dirigée par Thierry Paquot et Sylvie Carnet La collection Les Introuvables désigne son projet à travers son titre même. Les grands absents du Catalogue Général de la Librairie retrouvent ici vitalité et existence. Disparus des éventaires depuis des années, bien des ouvrages font défaut au lecteur sans qu'on puisse expliquer toujours rationnellement leur éclipse. Oeuvres littéraires, historiques, culturelles, qui se désignent par leur solidité théorique, leur qualité stylistique, ou se présentent parfois comme des objets de curiosité pour l'amateur, toutes peuvent susciter une intéressante réédition. L 'Harmattan propose au public un fac-similé de textes anciens réduisant de ce fait l'écart entre le lecteur contemporain et le lecteur d'autrefois comme réunis par une mise en page, une typographie, une approche au caractère désuet et quelque peu nostalgique. Déjà parus
GIRAUD Albert, Pierrot lunaire, 2004. HALEVY Ludovic, L'abbé Constantin, 2004. CHERBULIEZ Victor, Meta Holdenis, 2004. IBANEZ V. B., Terres maudites, 2004. MOREAU Hégésippe, Contes à ma soeur, 2004. FLEURIOT Mlle Z., Raoul Daubry, 2004. MONIER René, L'origine de la fonction économique des villes, 2004. LORRAIN Jean, Portraits de femmes, par Pascal Noir, 2004. W.J. LOCKE, Simon l'ironiste, 2003. GOMEZ CARRILLO E., L'évangile de l'amour, 2003. De GONCOURT Edmont et Jules, Armande, 2003 NEGRI A., Les solitaires, 2002. GORKI M., En Gagnant mon pain. Mémoires autobiographiques,2002. REINACH S., Orpheus, 2002. NOIR Pascal, Jean Lorrain: La Dame aux Lèvres rouges, 2001. BAKOUNINE, Confession, 2001. LEFEVRE T., Guide pratique du compositeur et de
l'imprimeur typographes, 1999.
Préface
Née en 1800, un an après son frère Honoré de Balzac, Laure Balzac épouse en 1820 l'ingénieur des Ponts et Chaussées Surville. Cependant, pour la publication de cet ouvrage, elle signe Mme L. Surville, précisant entre parenthèses " née de Balzac". Pourquoi donc la reprise de cette particule accompagnée de son nom de jeune fille? Au commencement étaient les BaIssa, une vieille famille paysanne originaire du Tarn. Aîné de onze enfants, BernardFrançois (1746-1829), clerc de notaire, transforme son nom en Balzac et commence une ascension sociale digne de la Comédie humaine. Naissent Louis-Daniel, qui ne vivra pas (1798), Honoré (1799), Laure (1800), Laurence (1802), au baptême de laquelle son père s'attribue la particule. Honoré fait de même en 1830, affirmant être le descendant des Balzac d'Entragues dont il adopte les armoiries. Pourquoi Mme Surville est-elle amenée à s'abriter derrière l'identité de son mari? Cette démarche estelle motivée par un contexte défavorable à la condition féminine? Laure Surville nous offre là un ouvrage intime basé sur la correspondance de l'auteur de la Comédie humaine. Il est structuré d'une manière chronologique, évoquant successivement l'enfance, les parents, l'adolescence et la naissance de la vocation d'écrivain de Balzac. Mme Surville s'excuse, en revanche, du caractère anecdotique de son témoignage: "Je demande grâce pour les badinages familiers que contiennent les premiers fragments que je vais citer. Leur caractère intime appelle naturellement l'indulgence. Je n'ose les supprimer, parce qu'ils peignent merveilleusement le caractère primordial de mon frère, et que le développement successif d'une telle intelligence me semble intéressant à suivre".
Paradoxalement, c'est cette familiarité qui donne force à ce témoignage. Auteur de contes, elle a notamment publié le Compagnon du foyer. C'est une amie et une confidente qui recueille les soucis, les déceptions et les projets de Balzac. Le titre de l'ouvrage indique avant tout une volonté de témoignage à propos d'un homme, sa vie, son œuvre littéraire. Mme L. SurviIle évite l'erreur de nombreux critiques qui abordent l'œuvre et la vie de Balzac avec des élans trop subjectifs. Ce n'est donc pas un traité d'histoire littéraire. Laure passe très vite sur l'enfance en Touraine (1799-1818) et les années d'apprentissage (1819-1829). Elle insiste beaucoup plus sur les années créatrices (1830-1840) et les années difficiles (1841-1850). Elle n'apporte pas un savoir nouveau mais une perspective familiale. Il s'agit plutôt d'un portrait humain, d'une conversation cœur à cœur entre un frère et une sœur. Laure Surville est de ce point de vue un guide authentique de Balzac en tant qu'homme et en tant qu'écrivain. Donc Mme de Surville continue d'entretenir le prestige de Balzac à partir de souvenirs qui le glorifient: " Ceux qui furent dans le secret de son existence se demandent avec autant d'attendrissement que de respect comment un homme trouva assez de temps, de forces physiques et surtout de forces morales pour suffire à d'aussi grands labeurs!... ". La correspondance de Balzac a longtemps souffert de méconnaissance. Largement considérée en tant que lettres d'affaires, en tant que renvois d'épreuves et signatures de contrats, Mme Surville apporte des nuances à cette correspondance. En effet, elle met en relief l'articulation de cette correspondance avec les relations familiales de l'auteur, avec les femmes qu'il a connues, et aussi avec d'autres écrivains et éditeurs. Laure Surville confie: "Nous vécûmes toujours l'un près de l'autre dans une intimité et une confiance sans bornes. " Ainsi, s'agissant de Balzac, on ne peut concevoir l'étude de l'œuvre sans celle de l'homme. Elles se nourrissent réciproquement à un degré qui se rencontre rarement chez d'autres écrivains. Par ailleurs, la personnalité révélée de II
l'auteur offre un caractère si pittoresque, des contrastes si criants, qu'ils captivent par eux-mêmes l'intérêt des auteurs et des lecteurs. Mme Surville nous dépeint l'âme d'un homme angoissé et révolté. Dans une de ses lettres, Balzac nous fait part de son ressentiment: "- Il faudra que je meure, disait-il amèrement, pour qu'ils sachent ce que je vaux! ". Elle nous explique que cela ne résultait pas tant de sa précarité matérielle ou de ses opinions politiques que de l'ignorance de son potentiel d'écrivain. Il avait de plus la conscience aiguë d'être à la merci d'un système de communication complexe, aléatoire et pervers. Pouvons-nous aller, dès lors, jusqu'à suggérer une parole inquiète chez un homme qu'on imagine trop facilement tonitruant? Balzac utilise donc la transgression. Une transgression limitée, mais, paradoxalement, efficace, car sa liberté de création passe par un jeu avec les codes et les contraintes. Balzac nous donne l'image d'un écrivain qui avance en terrain miné, en butte aux caprices des critiques. Mais son obstination n'avait d'égale que sa puissance de travail: " il travaillait dans un réduit, où il trouvait la liberté et portait de belles espérances, malgré ses premières déceptions littéraires". Balzac a une approche mystique du travail: il croit en la force de l'esprit. Du côté des femmes, Balzac s'entendait très bien avec George Sand; mais sa grande, sa seule véritable amie fut Zulma Carraud (1796-1889), qu'il avait connue par sa sœur Laure. Durant toutes les années 1830, principalement, elle entretint avec lui une correspondance exceptionnelle, tout animée d'un souci moral bien exprimé par cette phrase: " Je me tourmente du désir de vous savoir ce que vous devriez être" (3 mai 1832). Zulma Carraud comptait tellement pour Balzac que lui, l'amant de quelques maîtresses, accepta de n'être que son ami. Il vantait à Laure sa "haute intelligence" et "son sens littéraire" (octobre 1838). Idéalisées par l'auteur, les femmes que Balzac a connues font l'objet des dédicaces de ses romans. Laure Surville peint Balzac dans une posture d'historien philosophe, témoin lucide de son temps. L'auteur de la Comédie humaine choisit la forme romanesque pour s'exprimer. Cela est III
assez nouveau. Elle explique bien des malentendus avec une partie de la critique qui voit encore dans le roman un genre mineur. Mais Balzac revendique le roman comme objet d'études sociales en faveur de ses idées philosophiques. Il en fait le théâtre d'un monde en transformation où se meut une société tout entière. En 1836, il lance la Chronique de Paris. Six mois plus tard, la publication est suspendue. Les années suivantes le voient débordant d'activité: il entre à la Société des gens de lettres qui milite pour la défense des droits des auteurs face au développement de la presse. Il achète une propriété aux " Jardies ", à Sèvres, se rend en Sardaigne où il escompte exploiter d'anciennes mines d'argent (mai à juin 1838) ; prend la défense du notaire Peytel accusé de meurtre (août 1839). Balzac fonde en 1840 une nouvelle revue, la Revue parisienne, qui se solde par un nouvel échec. Après avoir acquis des terrains autour des" Jardies ", il est obligé de vendre la propriété, saisie par un créancier. Certes le style de Mme Surville, à travers ces anecdotes, est une glorification de Balzac. On peut donc s'interroger, à travers cette écriture, sur son statut d' écrivaine. Autrement dit, par-delà cette glorification, dans quelle mesure Mme Surville existe-telle pour elle-même? Comment alors s'affranchir de l'héritage de son frère? Elle ne s'affranchit que dans l'espace de cette correspondance qu'elle réunit et annote. La présente édition est, de fait, une mine de renseignements sur la genèse des lettres de Balzac. Le titre de l'ouvrage indique avant tout une volonté de témoignage à propos d'un homme, sa vie, son œuvre littéraire. Mais Mme L. Surville évite l'erreur de nombreux critiques qui abordent l' œuvre et la vie de Balzac avec des élans trop subjectifs. Or, ici on est en présence d'un éclairage à la fois intimiste et réaliste. Sa démarche est ambivalente: elle met en exergue une vérité émotionnelle et apporte une pierre supplémentaire dans l'édification du grand homme, à travers la part significative accordée au moi. Par ailleurs, ce retour aux sources permet de dissiper trop de légendes pittoresques qui entourent la vie de Balzac. Beaucoup de contemporains ou de biographes à la mémoire IV
défaillante ont en effet pour principal souci de se mettre en valeur aux dépens de l'auteur. L'authenticité est ici respectée grâce à de très nombreuses lettres largement citées, comme celle dans laquelle Balzac montre son premier accès de découragement. Car rien ne peut remplacer la lettre envoyée ou reçue, document qu'il convient de citer. Elle permet la consignation d'un certain nombre de petits faits. Elle joue donc le rôle d'une mémoire tout en affirmant une parole première. C'est la source à partir de laquelle les critiques ont puisé, même si la pertinence du travail de Mme Surville n'a pas été saluée. En effet, elle est victime d'une double disparition, étant à la fois la sœur de Balzac et la secrétaire de ses biographes. Mais le lecteur sera sensible à cet hommage symbolique et universel. Florent Batard et Tarik Hamidouche.
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Je me crois ob1igée envers mOll frère et envers tous, à publier des détails que, seule aujourd'h.ui, je puis donner, et qui permettront d'écrire une biographie
exacte
de l'auteur
de LA COMÉDIE HUl\IAINE.
Les alnÎs de Balzac m'ont pressée de couper court le plus tôt possible à ces légendes qui ne manquent pas de se former alltour des noms illustres, afin de prévenir les erreurs qlli pourraient s'accréditer sur le caractère et sur les circonstances de la vie de mon frère~ J'ai compris qu'il valait mieux dire la vérité, quand bon nombre de personnes pouvaient encore l'attester. LA COl\iÉDIEHUMAINE a suscité presque autant d'attaques que d'admiratiol1s. Tout récemment encore, des critiques l'ont jugée sévèrement au non1 de la religion et de la nlorale, que les adversaires des t
grandes renomrnées tâchent toujours de mettre de leur parti. Je ne sais si, à aucune époque, il y a eu en France un peintre c}emœurs qui n'ait pas été accusé de faire scandale, et quelle littérature sortirait des principes sévères qu'on veut imposer aux écrivains; si ceux qui les professent se mettent à I:œuvre, réussiront-ils à prouver, par l'exemple, que Balzac s'est troll1pécllland il a cru clue le roman de mœurs ne peut se passer de contrastes, et qu'on n'instruit pas les hommes par la seule peinture de leurs vertus?.. Je n'ai ni le pouvoir l1i]a volonté d'appeler de ces arrêts, et je ne prétends pas ici défendre mon frère. Le temps, qui a consacré tant de génies contestés ou insultés à lellr époque, lui assignera sa place dans la littérature française. Rapporto11s-nous-enà ce juge, le seul qui soit impartial et infaillible. L. SURV'ILLE,
Paris, le
i5 janvie.r 18:)6.
NÉE DE BALZAC
BALZAC SA VIE ET SES OEUVRES D'APRÈS
SA
CORRESPONDANCE
l\f011frère est 11éà 1'ours le 16 filai I~799, jour de Saint-Honoré. Ce nom plllt à n1011 père, et qllOiqu'il fût sans précéclents ùans les fan1illes paternelle et ]11aterllelle, il le d011na à son fi]s. Ma mère avait perdu son prelTIler enfant en voulant l'al]aiter. On CllOjsit, 110urle petit Honoré, une belle nourrice qui demeurait à la porte de la ville, dans une maison bien
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aérée et entollrée de jardins. Mon père et fila 111èreftIrent si satisfaits des soins de cette femme, qu'ils me firent élever aussi par elle et lui laissèrent mon frère après son sevrage. Il avait près de quatre ans quand nous revînmes ellsemble à la maÏ50n paternelle. La })elle santé d'Honoré préserva notre mère de tOlItes ces inquiétudes latentes qui éveillent les tendres sollicitudes et inspirent ces gâteries si chères aux enfants; ils ne jouaient pas à cette époque le rôle important qu'on leur impose aujollrd'htli dans beaucoup de falllilles. On ne les mettait pas el1 scène, on les laissait ellfants et on les formait avant tout au respect et à l'obéissance envers lellrs parents. Mlle Delahaye, chargée de nous, eut peut-être trop de zèle à cet endroit, car avec le respect et l'obéissance, elle nOllS imprimait aussi la crainte. Mon frère se souvint longtemps des petits effrois qlli nous saisissaient quand elle nous conduisait le n1atin dire bonjollr à notre mère et quand nOllS entrions dalls S011salon pour hlÎ sou-
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haiter le bonsoir. C'était pour JI0UScomme des cérémonies solennelles, quoiqu'elles se répétassent tous les jours! Il est vré\i que par des signes convenus, ma mère voyait, soidisant Sllr nos visages, les petits 111éfaitsque 110l1Sa,rions pu COffilnettre et qui nous valaient de sévères réprin1andes de sa part, car elle ~eule DOllSpunissail ou nous récompel1sait. HOlloré ne fut donc ni transfoflné en prodige, ni adulé dans cet âge ail l'on ne com~ prend encore l'amour de ses parents que par des baisers et des sOllrires; s'il tra11it de bonne heure qllelqueS-tlnes des qualités qlli devaient le rendre illllstre, 11111 ne le remarqua ni ne s'en souvint. C'était \ln charn1ant enfant: sa joyeuse
hllmeur sa bouche bien dessinée et SOtl~
riante, ses grands ye'ux bruns, à la fois brillants et doux, son front élevé, sa riche cllevelul'e noire, le faisaient relnarquer dans les l)fomenactes où l'on nous conduisait tOllS les clelJx.
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La famille réagit tellement StIr le caractère des enfants et exerce de si grandes influences sur leur sort, qlle qtIelqtleS détails Sllr nos parents me I)araissent ici nécessaires; ils expliqlleront d'aillellrs les IJremiers événen1ents d,e la jeunesse de mon frère. l'Ion père, né en Languedoc e11174.6, étaIt a,Tocat all conseil sous LOllisXVI. Sa profesSiOI},le mit en relation avec les notabilités d'alors et avec des honln1es qlle la Révolution fit surgir et rendit célèbres Ces circonstances 1lli permirent, en 1793, de sauver plus d'un de ses anciens proteeteurs et de ses anciens amis. Ces services dangereux l'exposèrent, et un conventionnel très-influent, qui s'intéressait au citoye1l .Balzac, se 11âta de l'éloigner dll~sOllvenir de Robespierre en l'envoyant dans le Nord organiser le service des VIvres de l'armée. Ainsi jeté dans l'administr'ation de la gtlerre, mon père y resta, et il était chargé des subsistances de la vingt-deuxième di vi-
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sion militaire, lorsqll'il épousa à Paris, en 1797, )a fille d'un de ses chefs, en Inême temps directeur des llô11itaux de 'Paris. Mon père v"écut clix-nellf ans à Tours, où il acheta UIle n1aisOl1et des propriétés près-de la ville. Après dix ans de séjollr, on parla de le nommer maire, mais il refusa cet honneur pOlIr ne pas abandonner la clirection du grand hôpital dont il s'était chargé. Il craignit. de manquer de telnps pour bien remplir ces triples fonctions. Mon p~re tenait à la fois de Montaigne, de Rabelais et de l'oncle Toby par sa philosophie, son originalité et sa b.onté. Comme l'oncle Toby, il avait aussi une idée prédominante. Cette idée c11cz ltli était la santé. Il s'arrangeait si bien de l'existence qll'il voulait vivre le plus JOl1gtemp.s possible. Il avait calculé, d'après les années qu'il faut à l'hoIDll1e pour arriver à l'état pa.rfait, que sa vie (levait aller à cent an.s et plus,. pOlIr atteindre le plt~s, il prenait des soins extraordinaires et veillait sans cesse à établir ce
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qu'il a ppelaiL l'équilibre
des r orees fDitctlé~~.
Grand travail, vraiment!... Sa tendresse paternelle allgmentait encore ce désir de longévité. A quarante-cinq ans, ,n'étant pas marié et ne comptant pas se marier, il avait placé lIne bonne partie de sa fortune en viager, moitié sur le grandlivre, moitié sur la caisse I.Jaféfrge,qu'on fondait alors et dont 'jl était \ln des plus forts actionnaires. (Il touchait en 1829, quand il mourut par accident, à l'âge de qlI3tre-vingt-trois ans, dOllze mille francs d'intérêt. ) J~arédllction des rentes, les gaspillages, qui eurent lieu dans J'administration de la tontine, dilninuèrent ses re,tenus; Inais sa belle et verte vieillesse lui donna l'espoir de partager un jour avec l'État, à l'extinction des concurrents de sa classe, l'.immense capital de Ja tontine; ce qui eût grandement réparé Je lort qu'il avait fait à sa falnille. Cet espoir passa tellement chez IllÎ à l'état de conviction, qu'il reconlmandait sans cesse
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aux siens de conserver leur santé pour jouir des nlillions qu'il leur laisserait. Cette conviction, que chaCtln entretenait, le rendait heuretlx et le consola dans les reve~s de fortune qui l'atteignirent à la fin de sa ,Tie. - Lafarge réparera tout un jour, disait-il. Son originalité, devenue pr'overbiale à rfours, se manifestait aussi bien dans ses discours qlle dans ses actrons; il ne faisait et ne
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en se promenapt par la chambre clans sa dOllillette de soie puce, et la tête enfoncée dans Ja grosse cravate qu'il avait conservée de la mode du D-irectoire; on m'al)pelIerait encore original (ce titre le courrOtlçajt) et it n'y allrait pas un être étiolé ni 11n rachitiqlle de n1oins! Exce-pté Cervantes, qui d011na le C011pde grâce à la chevalerie errante, qllel I)I1ilosop11ea jamais corrigé 1'11umanité, cette patraque toujours jeune, tOlljeurs \7ieillB, qlli va toUjOtlfS... heureusement pour nOllSet nos successeurs! ajoutaitt-il en sOllriant. Il ne raillait tOl1tefois l'humanité (lue 101'8Qll'il ne l)ouvait It11 venir en aid.e, il le prouva en mainte occasion. Des épidémies se déclarèrent à plusieurs-reprises à 1'1108])ice, notamme11t lorsiqlle ]es solclals l'encombrèrent en revenant d''£spagne: I110n père s'installait alors clans l'hôpital, et, Oll-=blj.ant sa santé pOlIr veiller au salllt de tOllS, il déployait un zèle LIlli était pOllr lllÎ du (lévol1ement. Il détruisit beaucolIp d'abus disait
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sa11Sre(1outer le-s initnitiés que ce genre de conrage attire, et introduisit de grandes aTnéliorations dans cet hôpital, entre autres des ateliers de travail pour les vieillarcls valides à qlli il fit allo11er un salaire(> Sa nlémoire, SOIl esprit d'observation et de re}1artie 11'étaie11tpas moins remarqllaJ)les qlle son originalité; il se souvenait, à vingt aIlS de distance, de ))aro]es qll'on lui avait dites. A soixante-dix ans, renCOlltrant inopinément un ami d'enfance, il s'entretint avec lui, sans 3tlCnne hésitation, dans l'idiome de son pays~ où il n'était pas retourné dëpuis l'âge (le quatorze ans! Ses fines remarqlles lui fire11t pIllS cl'Ulle fois prédire les succès Oll les désastres (le gens qu'on appréciait bien autrement qu'il ne Jes jllgeait; ]e tel11pSlui donna SO\l,rent raison dans ses prophéties! tes rép1iq,lles, eIlfin, ne lui faisaient jaJnais défaut en aucune OCC1]rrence. Unjol1f qu'on lisait ùans un journal lIn a.rticle sur un centenairc (atLicle qu'on lle
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passait pas, COinmeon peut croire), contre son habîtude, il interrompit le lecteur pour dire avec enthousiasme: - Celui-là a vécu sagement et n'a pas gaspillé ses forces en toute sorte d'excès-, comme le fait l'imprudente jeunesse... Il se trouva que ce sage se grisait souvent, au contraire, et soupait tous les soirs, llne des plus grandes énormités qu'e l'on pût commettre contre sa santé (selon mon père). - Eh bien! reprit-il sans s'én10nvoir, cet homme a abrégé sa vie, voilà tOllt !... Quand Honoré fut d'âge à comprendre et à apprécier son père, c'était un beau vieillard, fort énergique encore, aux manières courtoises, parlant peu et rarement de lui, jndulgent pour la jeunesse qui lui était sYlnpathique, laissant à tOllSu,ne liberté qu'il voulait pour lui, d'un jugement sain et droit, malgré ses excentricités, d'une humellr si égale et d'un caractère si doux qu'il rendait hellreux tous Ce\IXqui l'entouraient! Sa haute instruction lui faisait sui,rre avec
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bonhellr les progrès des sciences et ]es améliorations sociales', dont, à leur début, il comprenait l'avenir! Ses graves entretie,ns, ses curieux récits avancèrent son fils dans la science de la '7ie et lui fournirent le sujet de plus d'lIn de ses livres. Ma n1ère, riche, belle, et beaucoup plus jeune que son mari, avait une rare vivacité d'esprit et d'irnagination, une activité infatigable, une grande fermeté de décisio11 et un dévouen1ent sans bornes pour les siens. Son amour pour ses enfants planait sans cesse sur eux, mais elle l'exprimait p'lutôt. par des actions que par des paroles. Sa vie entière prouva cet an1our; elle s'oub]ia sans cesse pour nous, et cet oubli lui fit connaître l'inforttlne qu'elle supporta courageusement. Sa (lernière et plus cruelle épreuve fut, à l'âge de soixante-douze ans, de survivre à son glorieux fils et de j'assister dans, ses derniers~ mOlnents; elle pria pour Ilti à son lit de mort, souten(le par la
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foi religieu.se qui remplaçait tOlItes ses espérances terrestres par celles du ciel. Ceux clui ont COnnt1mon père et ma mère attesteront la fidélité de ces esquisses. I.Jes qualités de l'auteur de LA CÛ1\IÉDIE HUMAINE sont certainen1ent la conséquen"ce logique de celles de ses parents; il avait l'originalité, la llléllloire, l'esprit cl'obseryation et le jugeInent cIe son père, !'ilnagÎnati()n, l'activitéyde sa mère, de tous les dnex, enfill, l'énergie et la bonté. Honoré était l'aîné de deux sœurs et d'lIn frère. Notre sœur cadette mourut j-ettne, après cinq années de mariage. Notre frère partit pour les colonies, Oll il se Inaria et resta. A la naissance d'Honoré, tout faisait présager' pour llli un bel avenir. La fortune de notre mère, celle de notre aïeule maternelle qui vint vivre avec sa fille dès ({u'elle ru t veuve, les émolume11ts et les rentes viagères cIe mon père composaient llne ,grande /cxistence à notre ft'l1)i IIG.
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~fa Inère se consacra exclusivement à notre édllcation et se crl1t Ql)ligée d'llser de sévérité envers nous pour neutraliser les effets de l'i11du]geIlce de notre père et de notre aïeule. Cette sé'vérité comprilna les tendres expansions d',Honoré, à qui l'âge et ]a gravité de son père inspirÇ\ient allssi la réserve. Cet état de choses tourna all profit de l'affeçtiOITfraternelle; ce fut certainement le pren1ier sentÎn1ent qui s'épanouit et fleurit dans son cœur. J'étais de deux ans s.eulel11entpIllS jeune CIll'Honoré, et dans la ll1ême situation (lue lui vis-à-vis cIe nos parents; élevés el1semble, nous nOllSaimâmes tendTement; les souvenirs de sa tel1dresse datent cIe loin. Je n'ai pas oublié avec quelle vélocité il accourait à moi pour m'éviter de rouler les trois m,arches hautes, inégales et sans rampes qllÎ conduisaient de la chall1bre de notre 110l1rrice dan~ le jardin! Sé\ tOllchante protection continlla all logis paterl1eI, où pIllS d'une fois ill se laissa punit' pour ITIoi, sans trallir ma c,ulpa])ilité. Quand j'arrivais à telnps pOlll'
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n1'accuser:
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N'avoue donc rien une atltre
fois, me disait-il, j'aime ~,à~être grondé pOllr toi! » On se sOllvient toujours de ces naïfs dévouements! D'11eurenses circonstances protégèrent encore notre affection. Nous vécûmes toujours l'un J)rès de l'alllre dans une intimité et lIne confiance sans bornes. Je connus donc en tout temps les joies et les peines de mon frère, et j'eus toujOllfS le dOllX privilége de le consoler; certitude qui fait aujourd'11ui ma JOIe. Le plus g'rand événeme11t de son enfance fut un voyage à Paris, où ma mère le condllisit, en 1804., pour le présenter à ses grands parents. Ils raffolèrent cIe leur joli petit-fils, qu'ils comblèrent de caresses et de présents. Peu habitllé à être fêté ainsi, Honoré revint à Tours la tête pleine de joyeux souve11irs,le cœlll'arel11plid'affection pOlIr ces chet.s grands parents dont il me parlait sans cesse, les décrivant de son mieux, ainsi que lellr
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maison, leur beall jardin, sans ollblier Mouch,e, le gros chien de garde avec lequel. j I s'était lié illtimement. Ce séjour à Paris servit longtemps d'aliment à son imagination. Notre grand'mère ailnait à raconter les faits et gestes de SOlI ~etit-fils chez elle, et répétait volontiers cette petite scène. Un soir qu'elle avait fait venir pour 111ila lanterne magique, Honoré n'apercevant pas parmi les spectateurs son ami jJ;Iouche, se
lève en criant d'un ton d'aulorité: « Attendez !... » (Il se savait le lnaltre chez SOIl grand-père.) Il sort dtl salon et rentre traî-
nant le bO.nchien, à qlli il dit: toi là, jUollche, et regarde;
« Assieds-
ça l1e te coûtera
rien, c'est bon papa qui paye!
»
Quelclues mois après ce voyage, on changeait la veste de soie brllne et la belle ceinture bleue du petit Honoré l)our des ,Têlenlents de detlil. Son cher gr~nd-pèrte venait de ITIÛUrII",frappé })ar line apoplexie fou(lroyante. Ce fut son premier chagrin; il
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pleura bien fort quand on lui dit qu'il D.e vel-rait plus son aïeul, et son souvenir It1i resta tellement présent à l'esprit que, longtemps après ce jour néfaste, me voyant prise d'lIn malencontreux fOll l'Ire pendant lIne réprilnal1de de notre mère, il s'approche de moi, et pour arrêter cette gaieté intempestive qui menaçajt de tour11er à mal, me dit à l'oreille d'un ton tragique:
-
Pen.se à la Illort de ton grand-papa! SeCO\1fSinefficace, hélas! car je ne l'avais pas connu et ne comprenais pas encore la mort! On ]e voit, ]ef\ sellIes paroles qu'on a retentleS (les premières années d'Honoré révélaient plutôt la bonté que l'esprit. Je file souviens néanmoins qll'illI1ontrait déjà son imagination dans ces jeux de l'enfance que George Sand a si bien décrits dans ses Mé1noi1rtes.Mon frère improvisait de petites COIllédies qui nous an)llSaient (succès que n'ont paB tOlljOllfSles grandes); il écorchait pendant des heures e11ti~res les cordes d'un
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petit violon rouge, et sa physionomie radiellse prouvait qu'il croyait écouter (les mélodies. Aussi ét.ait-il fort étonné quancl je le suppliais de finir cette ffillsique qui ellt fait hurler l'alni ltlo11che_
- l'll n'entends donc pas carnIne c'est joli? Ine disait-il. Il lisait enfin avec passioIl, c.omme la plllpart des enfants, tOlItes ces féeries don tles catastrop11es, plus ou moins dramatiques, les font tant pleurer! Elles ]lli inspiraient sans doute d'autres contes, car à des babilJages étourdissants, succédaient quelquefois (les silences qu'-on n'expliqllait qlle par la fatigue, filais qui pouvaient bien être (léjà des rêveries dans des mondes imaginaIres. Quand il eut sept ans, il passa d'un externat de Tours all collége de Vendôlne, fort célèbre alors. Nous allions régulière1nent le voir chaqlle anl1ée à Pâques et à la distrihution des prix; I11ais fort pell couronné aux conCOtlrS, il rece"iait plus de reproches
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qlle de louanges })endant ces jours qll'il attendait si jmpatiemment, et dont il se faisait à l'avance tant de joie!... Il resta sept années dans ce collége, où il Il'y avait jalnais de vacances. Le souvenir (le ce ten1pS lui inspira la prelllière partie dll livre de Lattis I.a,mbert. Dans cette pren1ière partie, Louis I.Jambert et lui ne font qu'un, c'est Ba1zac en deux personnes. La vie de collége, les petits événements de ses jOllrs, ce qu'il y sOllfl'rit-et y pensa, tout esl vrai, jusqu'à ce traité de la 1)olo.1~té, qu'un de ses professeurs (qu'il nomme) brûla sans le lire, dans sa colère de le trouver au lieu du de\ioir Qll'il demandait. Mon frère regretta toujours cet écrit comn1e lIn monlllllent de son intelligence à cet âge. .11 avait quatorze ans quand M. MareschaI, le directel1r dtl collége, écrivit à 110tre mère, entre Pâques et les prix, de vellir en toute hâte chercher 8011fils. Il était attci11t d'tlne espèce de comel ClllÎ inquiétait (1'allta11tplus ses maîtres, qu'ils n'en voyaient
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pas les causes. l\rlon frère était POUI-'ell x url écolier paresseux; ils ne pouvaient donc attribuer à aucune fatiglle intellectuelle cetle espèce de maladie cérébrale. Devenu maigre et chétif, Honoré ressemblaità ces somnambtlles qui dorment les yeux ouverts, il n'entelldait pas la plupart des questions qu'on lui adressait et ne savait que répondre quand on 1l1i demandait brusquement: « A quoi
pensez-vous? Où êtes-vous?
»
Cet état surprenant, dont plus tard il se rendit comIJte, proven.ait d'une espèce tte congestion d'idées (pour répéter ses expressions); il avait lu, à l'insu de ses professeurs, UIle grande partie de la riche bibliothèqtle du collége, formée par les savants oratorÎells fondateurs et propriétaires de cette vaste Îl1stitution, où plus de trois cents jeunes gens étaient élevés; c'était dans le cacllot, où il se faisait mettre journellement, qrt'il dévorait ces livres sériellx, qui avaient développé s011esprit aux dépensde soncorps, (.Janscet âge orl les forces physÎttues doivent
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être all moins aU.ssiexel:céesque les forces iHtellectueiles. Pérsonne de la famille n'avait oublié l'étonnement ql1e la vue d'Honoré causa lorsque notre lnère le ramena de Vendôme. - Voilà donc, (lisait douloureusement notre grand'rnère, comIne le collége nous renvoie les. jolis enfants qlle nous Itli envoyons! Mon père, fort i11quiet de l'état de son fils, fut bientôt rassuré en voyant que le cllan,gelnent de pays, le grand air et le contact bienfaisant de la famille suffisaient à lui rendr'e la vivacité et la gaieté de l'adolescence qui cOlnme11çait pour' lui. Le classelnent des idées se fit peu à peu dans sa vaste mémoire, Oll il enregistrait déjà les événements et les êtres qui s'agitaient autour de Illi; ces souvenirs 8e1'vire11t plus lard à ses Inerveilleuses peintures de la Vie de province. Mû par une vocation qu'il ne comprenait pas encore, elle ]e portait instinctivement vers des lee-
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tures et des observations qui préparaIRnt ses travaux et qui devaient les relldre si féconds; il an1assait des matériaux sans savoir encore à quel édifice ils serviraient. Quelques
types de LA COlVIÉDIE HUl\IAINEdatent
certainement de ce temps. Dans les longtleS pron1enades que notre n1ère lui faisait faire, il admirait déjà el1 artist(~ ]es doux pa~7sages-de sa chère TOllraine qtl'il décrivit si bien! Il s'arrêtait quelquefois e'nthousiaslné devant ces beaux soleils couchants qUI éclairent si pittoresquement les clocllers gothiques de Tours, les villages épars sur les coteaux, et cette Loire, si majestuetlSe, C011verte alors de voiles de toutes grandeurs. 1\'Iaisnotre mère, plus SOUCIeusepour ItlÎ d'exercices que de rêveries, le forçait à lancer le cerf-"volant de notre jellne frère Oll à c'ourir après ma sœllf et moi; il 011biiait alors le paysage et devenait le plus jellne et le plus gai des quatre e11fants qUI entouraient notre mère.
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Il n'ell était pas ainsi da11sla cathédrale de Sajnt -Gatien, où elle nOllS conduisait régulièrement aux jours de fête. Là, Honoré pouvait songer à loisir, et aUCUlledes poésies et des splendeurs de cette belle église 11'étaient perdlles pour lui. Il ren1arquait tout, depllis les n1erveilleux effets de lumière qu'y produisent les viel1x vitrallX, les nuages d'encel1s qlli enveloppent comme dans des voiles les officiants, jllsq\l'aUX pompes dll service divin, rendues plus. splendides encore, par la présence du cardinal- archevêqlle. Les physio11omies des prêtres, qll'Ïl étu(liait,lllÎ aÎ(leront un jOllf à cOlnposer les abbés Birotteau et Lorall, et ce cllré Bonnet dont ]a tranql1illité d'âule fait un si beau contraste avec les agitations du remords qui torture la repentante Vérollique. Cette église l'avait tant in1pressiol1né, que le 11on1seul de Saint-Gatiea réveillait el1lui des mondes (le 8011'7enirs, où les fraîcl1es et pures sensations de l'adolescence et les sentiments religieux (clui ne l'aba11donnèrent
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jamais), étaient mêlés aux idées d'holnnle qui germaient déjà clans ce puissant cerveau. Il suivait comme externe les cours du coIJége, et recevait chez son père les répétitiollS de ses professellrs, Il commençait il dire clll'on parlerait de lui lIn j01Ir, et ces paroles, qui fâisaient rire, devinrent le texte de plaisanteries illcessantes. Atl nom de cette célébrité future, ()n 1lli fit subir une infinité (le petits tourments, préludes des plus grands C!ll'On devait lui infliger pour l'illustration acquise. L'apprentissage 11'étaÎt pas inlltile! Il acceptait toutes ces lllalices en riant plus que les autres (il riait tOlljOUf5dans cc J)ien11eureux temps). Jamais caractère ne f11tplus ain1able, jalllais non pIllS personne n'eut plus tôt que ltli le désir et l'intuitioll de la renommée. On était loin cependal1t d'exalter Oll (l'encourager ce désir! 1\fon frère, je l'ai déjà dit, lIDpell conlprimé par la crainte, pensait .)
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plus clu'il ne parlait deval1t son père et sa mère; ceux-ci, ne pouvant le juger en toute connaissance de cause, ne voyaient en lUI, comn1e ses Inaîtres, flu'un garçon fort ordinaire qu'il fallait même stimuler pour loi faire faire ses devoirs de grec et de latin. Notre mère, qui s'occupait plus particlllièrenlent de lui, soupçonnait si peu ce qtl'était déjà son fils aîné et ce qu'il deviel1drait un jOUI~,qu'elle attribuait au hasard les réflexions et les remarques sagaces qui Illl
échappaient parfois. « Tll ne comprellds certainement ,pas ce que tu dis là, H011oré"» lui disait-elle alors. Lui, l)our toute. réponse, souflait de ce sourire si fin, si railleur Ollsi bOll dOllt il était doué. Cette protestation à la fois éloquente et muette était taxée (l'ou.... trecuidance quand ma lllère l'apercevait, car Honoré, n'osant pas avoir raison avec elle, ne lui expliq~uait ni ses idées ni S011 sourIre. Les conlpressions qu'on exerce sur le génie, les injustices qui le froissent, les ob-
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stacles qu'OIllui{)ppose, dOllblent peut-êtr',e ses forces et imprinlent plus de vigueur à son essor; on aime du 1110insà le penser. A la fil1de 18;1t, mon père fut appelé à Paris, à la direction des vivres de, la première divisioll militaire. Honoré acheva ses étlldes cl1ez ~f. Lel)itre, J'lle Saint-L'anis, et chez Mi\tl.Sgallzer et Beuzelin, rue de Thorigny , all Marais, où nous clBmeurions. Honoré ne fut pas plus rernarqué dans ces institutioos que dans les colléges de Vendôme et de Tours. En faisant ses discours de rhétorique, il commença à s'éprendre des beautés de la langue française. J'ai conservé l'llne de ses co"mpositions de conCOllrs (le discours de la fenlme de Brutus à son mari après la condan1nation de Ees fils)QLa doulstlr de la 111èrey est peinte avec él1ergie, et cette faClllté ptlissante que possédait lnon frère d'entrer dans l'âme de ses personnages s'y fait cléjà remarquer. Ses classes tern1inées, il rentra llne troisiè,me fois sous le toit l)aterneJ. On était
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en 1816. Jl avait alors dix-sept ans et den1i. ~1a mère faisait dll travail la base de toute éducation et s'entelldait merveilleusement à l'enlploi du temJps; elie ne laissa dOnc pag un il}stant son fils oisif. Il reçllt des ]eçol18 S11rtoutes les sciences 11égligées all collpge et suivit les cours de la Sorbonne. Je me souviens encore cIe l'entho(lSiasme Llue lui causaient les éloquentes imI)rovisations des Villemain, des Guizot, des Cousin. C'était la tête en feu qu'il no Ils les redisait pour nous associer à ses joies et nous les faire romprel1dre. Il courait travailler dans les bibliothèques publiques afin de mieux profiter des enseignements de ses illllstres professeurs. Pendant ses pérégrinations au qllartier latin, il achetait sur les quais des livres rares et précieux qu'il savait choisir. Ce flIt là l'origine de cette belle bibliothèque que ses constantes re]atio11S"avec les libraires rendire11t si complète, et qu'il voulait légller à ~a ,rille natale; 111aisl'i11différence de ses
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COlnpatriotes pour lui lors de ses voya,ges à Tours le blessa si J)rofôndéme'nt, qu'il renonça à ce proJet. M. Brun, préfet actllel d'II1dre-et-Lolre, ancien camarade d'Honoré au coJlége de Vendôme, d'accord avec le maire, M. Marne, frère du célèbre libraire qui édi(a les premières œnvres de Balzac, dont il c'omprit a,ussitôt l'avenir, ont fait placer une inscription sur la maiSO]loù l'auteur de LACO}IÉDIE HUMAINE
est né. Ce n'est toutefois pas celle
Oll il passa son enfance. La maison de mon père 3ppartient aujourd'hui à Mmela comtesse d'Outremont, amie de notre famille, et portait autrefois le numéro 29 de cette rue flui partage la ville et la traverse, depuis Je pont jUSqll'à l'avellue de Grammont. On eût bien étonné les parents et les a'mis de Balzac si on le\lr eût dit, en ~8'17et ll1ème pIns tard, qu'ilmériterait un jour cethonneut' rendll à sa mémoire, si on lellr ellt annoncé ellfln qu'on d011nerait son nOIn à ]a rue qlt'il ]labitait à ParÏs lors (le sa mort, et qll'Ull 2.
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imposant cortége le suivrait à sa dernière clemeure. Ils n'auraient pas en assez (l'incrédulité à opposer 'à de telles prophéties, car, malgré la vivacité d'un esprit qui commenç,ait à se faire jour, nlll "ne croyait encore à la haute intelligence d'Honoré; il est vrai qu'il IJarlait beaucollp, s"amllsait de niaiseries comme les enfapts, et avait lllle bonhomie et parfois des naïvetés qlli le faisaient souvent notl'e dupe. Il eût été facile néanmoins de remarquer l'attrait qu'il avait pour les gens d'esprit et pour les conversations substantielles. Il se plaisait sn'rtout auprès d'une vieille amie de notre grand'Inère, Mlle de R..., qlli avait été liée intime111ent avec Beaunlarchais, et qlli demeul"ait d.ans la même maison qlle nous. l\fon frère la faisait oauser sur cet homme célèbre dont, grâce à ces détails, il connut si bien l'existence, qu'il eût pl1fournir les matériaux de la belle biographie qt1e M. de J.Jon1énie vient de publier sur lui~ l\Ion père VOlllut qu'Honoré fît son droit,
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S11})îttous ses examens, et passât les trois années de son cours chez l'avoué et le notaire, afin d'y apprendre les détails de~la procédure, et la forme et la tenetlr (le tous les actes. L'éducation d'un homme n'était pas cornplète, selon filon père, s'il ne connaissait pas les législations ,anciennes et modernes et surtollt les lois de son pays. Honoré entra daI1s l'étuc}e de 1\1.de Merville, notre ami. 1\1.Scribe venait de la quitter. Après dix-huit IllOis de, séjour chez cet a vOtlé, il fl.ltreçll chez 1\1.Passez, notaire, où il resta le même temps. M. Passez 11abitait la maison où nous demeuriolls et était aussi l'un de 110Sintimes. Ces circonstances explifluent la fidélité (les descriptions d'intérieur (l'études qu'on ren13-rqlle
dans
LA CO~IÉDIEHUMAINE, et la
profoncle Gonnaissance des lois ({u'elle révèle. J'ai trouvé cllez un avoué de Paris Je livre de César lJi1r1otteCl'1l at1lniliell (les œtl'7res (les légistes; il m'aSSltra que cet oll,rrage était excellent à consulter en matière de faillites.
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1\10nfrèr1e étaÏt fort OCCllpé à celte époque,
cap, indépendamment de son cours de droit et des travaux dont le chargeaient ses paleons, il a'~ait encore à Se préparer pour ses ex'amens suecessifs; mais son activité, sa mémoire, sa facilité étaient telles, qu'il trollvait encore le temps d'achever ses soirées à la table de boston ou de whist de ma grand'mère, où cette dOllce et aimable femme 111i faisait gagner, à force d'imprudences Oll de distractions volontaires, l'argent qu'il consacrait à l'acquisition de ses livres. Il aima tOlljours ces jeux en mémoire d'elle; jJ s'y rappelait ses paroles, et un de ses gestes retrouvé lui semblait l1ll bonheur arraché à la tombe! ~fon frère nous accoll1pagnait aussi cluetquefois au bal, mais s'y étant laissé clloil~ malencontreusement, malgré les leçons qu'il recevait d'un maître de danse de l'Opéra, il renoonça à la danse, tant Ie- SOlIrire des femll1es qui sl1ivit sa chllte lui resta sur ]e cœllr; il se promit alors de (laminer la société au-
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f'l'ement que par des grâces et des talents de salon, et devint seulemel1t spectateur de ces fête's dont plus tard il lltilisa les souvefi I1"8.
A vingt et un ans, il avait terminé son droit. et passé ses examens. Mon père ltlÎ confia les l)rojets qu'il avait pour son avenir et qui eussent conduit Honoré à la fort\lne; mais la forttl11e était alors ]e moindre de ses SOUCIS.
l\lon père avait protégé jadis un hOlnn1e (IU'ilavait retrouvé, en 1814, notaire à Paris. Celui-ci, reconnaissant et pour rendre au fils le service qt.l']l avait reçu dll père, offrait de prendre Honoré darts son étude et de la 1llÎ laisser après que)qlles années de stage,; la caution de filon père pour ll4fnel)artie de la charge, lIn bea11l11ariage, des l,rélèvements successifs Sllr les brillants revenus de l'étllde, auraient acqllitté fil0I1 frère en peu d'ànné-es. Mais Balzac, courbé clix ans, peut-être, snI" des C011trats (le venle, des contrats de
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mariage ou Sllr des inventaires !... lui qUI aspirait secrètement à la gloire littéraire! Sa stupéfaction fut grande à cette révélation; il déclara nettement ses désirs, et ce fut au tour de n-otre père d'être stllpéfait. D,ne vive discussion suivit. Honoré combattit éloq\lemmenL les puissantes raisons qu'on lui donnait, et ses regards, ses paroles, son accent révélaient une telle vocation, que mon père lui accorda deux ans pour faire s,es preuves de talent. Cette belle chance perdue explique la sévérité dont on usa envers lui et la rancune {ju'il conserva contre le notariat" ranCUlle qui perce dans quelques-unes de ses œuvres. Mon père, ne céda pas, toutefois, aux désirs d'Honoré sans regrets; des événements fâcheux les augmentaient encore. Il venait d'être mis à la retraite et de subir des pertes d'argent dans deux entreprises. Enfin nous allions vivre dans une maison de campagne qll'il venait d'acheter à six lielles de Paris.
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Les chefs de fan1111ec()nlprent1ront les inquiétudes de nos parents en cette circonstal1ce. Mon frère n'avait encore donné aucune preuve de talent littéraire, et il avait sa fortune à faire; il était donc rationnel de désirer pOlIr lui un état moin~ 'problématique qlle celui de littérateur! PO\lr une vocation telle que celle d'Honoré, vocation qu'il justifia si grandement, que de médiocrités ont été jetées en des voies malheureuses par- une semblable condescendance! Aussi, celle de mon père envers son fils fut-elle traitée de faiblesse et généraJement blâmée par tous ceux qui s'intéressaient à nous. «
On allait faire perdre à ll10n frère un
temps précieux; l'état de littérateur pouvait-il, en aucun cas, mener à la fortune? Honoré avait-il l'étoffe d'un homme de génie? Tous en dOlltaient...» Qu'eût-on dit à mon père, s'il eût mis ses amis dans ]a confidei1ce des offres qUI lui avaient été faites? Un intime, un peu brusque et fort absolu,
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déclara qlle, pour lui, Honoré n'était bon ~lll'à faire un expéditio11naire! Le malheureux avait une belle ma,i1~,selon l'expression dll maître d'écriture qu'on lui avait donné à sa sortie du collége.
-
A votre place, ajouta cet ami, je n'hésiterais IJas à Inettre Honoré dans (Iuelque administration où, avec votre protection, il arriverait promptement à se suffire. Mon père jugeait. alors son fils alltrell1ellt (lue cet intinlC, et, ses théories aidant, il cro~7aità l'Ïntelligence de ses enfant.s; il se contenta donc (Je s011rire à cette sortie, tint bon et passa outre. Il est à présllmer que ses amis se séparèrent, ce soir-là, en déplorant entre eux l'aveuglenlent paternel... ~la mère, 1110insconfiante que son mari, pellsa qll'un peu de Inisère ramènerait promptement -Honoré à la soumission. Elle l'installa d011C,avant notre départ de Paris, dans une n1ansarde qu'il choisit près de ]a bibliotllèque de l'Arsenal, ]a seule qll'il
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lIe COl111l1t pas et où il se proposait d'aller travailler; elle meu}}-la stl"'icteln'entsa chall1l)fe d'un lit, d'une table et de quelques chaises, et la pension qu'elle lui alloua pour y vivre 11'ellt certainement })as suffi à ses besoins les l)lus rigoureux, Bi notre .mère 11'eût}J3Slaissé à Paris une vieille femme, attacllée de~)tlis vingt ans {lU service cIe la fa111ille,qu'elle chargea de veiller Sllr lui. C'est celte felnme qu'il appelle~, dans ses lettres, l' Iris
:lnessagè1~e.
Passer subitement de l'i11térÎeur d'llne lnaison où il trouvait l'abondance, à la solitude d'un grenier où tOllt bien-être lui Inal1-ql1ait, certes la transition était dllre! Il ne se fJlaignit pas toutefois dalls ce rédl1it, où il trouvait]a liberté et portait de belles espé~ rances que ses pl~en1ières déceptiol1S Jittéraires ne pUrel}t éteindre. C'est alors ql18 COffilnence celte correspondal1ce conservée par tendresse et qui (levÎn t s-Îtôt de chers et de précieux SOtlvel11rs. 3
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Je delllande grâce pour les badinages fanliJiers que contiennent les premiers fr'agInents que je. vais citer. Leur cal~act.èTeintimé appelle 11aturellemellt l'jndulgence. Je n'ose les sllpprimer, parce qu'ils peigne11t InerveilletlSement le caractère prImordial (10 l110n frère, et cIlle ]e liéveloppelllent StlCCessif d'une telle ir1telligence llle semble intéressallt à suivre. Dans sa première lettre, après avoir éntln1éré ses frais d'ellllnénagement (détails qUI n'étaient à autres fins qlle de pl~o1ivel"à notre Inère qu'il 'n1anquait (léjà d'argent), il Ille confie qu'il a pris un dOll1estique. «
-
Un domestique!... y penses--t{], mon
frère 1 »)
-
Oui, tlndomestique. Il a un nom aussi
drôle que celui du docteur. Le sien s'appelle l'ranquille, le n1ien s'appelle Moi-1nême. lVlauvaise emplette, vraiment!... NIoi-nlême est paresseux, maladroit, imprévoyant. S011mailre a fai111, a soif; il n'a quelquefois ni pain ni eau à lui offrir; il ne sait l,as Inême le garantir contre le vent qui
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sou1fle à travers fa porte et sa fellêtre, conlme
Tulou dans sa flûte, mais nloins agréable111ent.») Suivent ]('s réprÎJnandes servi tellf : «
.--
Moi-mên1C
(lu maître au
?..
-- Plaît-i), monsieur? » - Regardez cette toile (l'araignée où cette grosse mouche pousse des crjs à m'étourdir? Ces moutons qui se pronlènent sous le IÏt, cette poussière sur les vitres qui In'aveugle ?.. »
»)
Le paresseux regarcle et ne bouge pas! et
nlalgré tous ses défauts, je ne puis me séparer de cet il1intelljgent Moi-même!... »)
Dans sa seconde lettre, il s'excuse de la l)remière, qlle notre nlère avait trouvée fort négligée. Dis fi ill,aUlan que je travaille tant, que YOUS écrire est mon délassement! Alors, sauf 'TOt' respect et le mien, je vais, comIne l'âne de Sanello, par les cllemins broutant tout ce que je rencontre. Je ne fais pas de brouillon (fi donc! lA cœur ne ronnaît pas les brouillons). Si je 11eponctue pas, sj je ne ID.erelis 1185,c'esl pour que vous me relisiez «(
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BALZA.C
et pensiez plus longtemps à Inoi! Je jette ma plume aux bêtes, si ce n'est pas là une tlnrsse (le femme !... ») Vous saurez, mad"emoiselle,qu'on éconolnise pour avojr ici lIn l)iano;' quand fila mère et toi YOtlSviend rez n1Cvoir, vous en trouverez un. J'ai pris files mesures, en reClllant.les murs il tiendra, et si Inon propriétaire ne veut pas entendre à cette }1clilétlépense, je l'ajouterai à l'acqllisition du pjallo, et le Songe de Roussea'u (nlorceall de CraIneI' fort à la mode alors) retentira dans Ina Illansarde, Ollle ]JesoÏl1de songes se fait généralement sen tir. »)
Qlle cIe tl~aVal1X il l11édite !... (les rOl}1allS, (les cOlnédies, des opéras-con1jques) des tragédies SOl1tsur sa liste cl'Ot1vrages à faire. JI ressel11ble à l'etirant qui a tant de paroles à dire cIu'il ne sait par où con1111encer.C'est c1'a]Jord Stella et Coqsigt1le, cIeux livres qUi ne virent jall1ais re jour! De tOllSses IJfojets cIe COll1édiede ee te111ps-,j'e me souvie118des Deux [>hilosophes; qll'il eût certaÎnell1eIlL repris à ses loisirs. Ces prétel1dlls pllilosoplles se mOfll1aie11tl'nn de l'alltre, se (IUerellaieI1t.
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sa11S cesse, eomnle des an1Îs (disait 1110n frère en racontant cette pièce). Ces philosophes, tOllt en n1él)risant les 110cl1ets(le ce n1onde, se les clisputaient sans l)ollvoir les o'f)tenir, insuccès final qui les raccOlnmo(lait et 1erlr faisait mauclire el1 C0111l11unla détestalJle e11gea11ce}1ulnail1e! Pour laquelle (le ces œllvres llli falll-ille Taclt*ede 110tre l)ère clont l'édition Inanqtle (lans la bibliothèque de l'Arsenal1 Ce clésil fait le slljet {=[esa troisième lettre. «(
Il me faut absolllment le Tacile de filon TJrre;
il n'en a pas J)esoin, maintenarlt
CIlioe ou dans la BiJ)le!...
qu'il est Cl~11Sla
»)
lVlonpère, ellthollsiasmé (les Chill0is ([)eulêtJ.~e à callse (le lellr I011gévité con1111e peuple), lisait alors les gros livres des jésllÎtes missionnaires (lui ont £lécrit la Clline les premiers; il annotait allssi cIe préciellses é(litions de la Bil)le qu'il possédait, livre qui, en tout telnps, callsa son admiration. te
Il ne te fatlt l'as I011gtenlpSpour savoir Ollest
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la clef de la bibliothèqllé! Papa 11'e3tpas toujours chez lui, il se promène tous les jours! et le farinier Godard est là pour m'apporter le Tacite! » A propos, Coqsigrue dépasse présentement mes forces, il faut le ruminer et attendre pour l'écrire. » Je n'aime pas, n1a cl1ère, tes travaux tlistorjques et tes tableaux siècle par sjècle. Pourquoi t'amuser (et le mot est 01al cl1oisi) à refairè l'ouvrage de Blair? Prends-le dans la bibliotllèque, il ne doit pas être loin du Tacite, et apprends--Ie par cœur; mais à quoi bon? 'Une jeune fille en sait assez quand elle ne fricasse pas Annibal avec César , ne prend pas le Trasimène pour un général d'armée, et Pharsale pour une dame romaine; lis PJlltarque et deux ou trois livres de ce calibre-là, et tu seras caléepour toute ta vie, sans déroger à ton titre charmant de femme. Veux-tu donc deven irune ») J'ai
sa van te 1 Fi !. .. fi!...
fait cette nuit tIn rêve délicieux; je lisais
Tacite que tu m'avais envo~ré!... »)Talma joue n1aintenant Auguste dans Cinna. J'aj grand'peur de ne pouvoir résister à l'aller voir; mais quelle folie!... mon estomac en trem])le!
...
» Les nouvelles de mon nlénage SOllt désas-
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tl~uSéS, les travaux nllisent à la propreté. Ce coquin de J'loi-même se néglige de plus en pIllS. ]1ne descend que tous les trois ou quatre jours pOlIr les achats, va cllez les marcl1ands les plus voisins et les plus mal a11provisionnés du cluartier; les autres sont trop loin, et le garçon économise au llloins se6 pas; de sorte qlle ton frère (destiné à lant de célébrité) est déjà nourri at)solument comme un grand homme, c'est-à dire qu'il meurt de faim! »)
Autre sinistre: le café fait d'affreux gribouil-
lis par terre; il faut 'be-aucoup.d'eau pour réparer le dégât; or, l'eau ne montant pas naturellement dans ma céleste mansarde (elle y descend seulen1€l1tles jours (l'orage), il faudra aviser, après l'acllat du piano', à l'établissement d'une maclline 11ydraulique,si \e café continue à s'enfuir, pendant que maître et serviteur bayent aux corneilles. »)
Avec le Tacite, n'oublie pas de m'envoyer lI11 couvre-pied; si tu pouvais y joincIre quelque vieil11.ssi1ne châle, il me serait bien utile. 1'u ris? C'est ce qllÎ me manque dans filon costullle nocturne. Il a fallu d'abord penser aux jambes qui souffrent le plus du frojd; je les enveloppe du carrick tou-
rangeau que Grogniart, de boustiquantemémoire,
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B..'\.LZAC
cousillonna. (Grogniart était un petit tailleur de Tours cllargé jadis d'ajuster à la taille dtI fils les llabits du-père, et qui ne s'acquittait pas cIece travail à la-satlsfaction d'Honoré.) » Le susdit carrick n'arrivant qu'à mi-cofl'S, reste le }lalllmal défe11ducontre la gelée, qui Il'a que le tojt et Ina veste de molleton à traverser pour arriver à ma peau fraternelle, trop tendre, hélas! pOlIr le supporter; de sorte que le froid 1ne pipe.
Quant à la tête, je compt(~sur une calotte dantesque,pour qu'elle puisse braver aussi l'aquilon. ~\insi équipé, j'habiterai fort agréaJJlement ., mon pa I3lS.... ))
)
Je finis cette lettre comme Caton finissait ses
discours; il disait: Que Carthage soit détruite! Moi, je dis: Que le Tacite soit pris! et je suis, cl1èrehjstorienne, de vos quatre pieds huit pouces, le très-l1tlmble serviteur. » ,r oici tIne ]ettre (d'août 18-19)que je copie lout entière, après avoir- préalablen1ent dOllné les eXI)lications nécessaires pOlIr la rendre intelligible. Mon père, pour épargner it son fils (les froissen1ents
d'aIllOl1r- pro})re
el1 cas
titi
BA.LZ~;\C
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11011-8uccès (le ses espérances, ]e disait alJSe11tde Paris. C'était d'aillel1fs lIn InoycI1 de le préserver de tOLItetentation IlloncJaÎnc. ~I. de Villers, dont il parle dans cette lettre, éta.it l1n 'Tieil ami de la famille" ancien abbé et comte de Lyon, retiré à Nogent, petit viUage situé })rès de l'Isle-Adalll. 1\1011 frère avait cléjà fait IJ]llsÎellfs séjours chez lui; la spirituelle conversation de ce bOll vieillard, ses curieuses anecdotes sur l'anCIenne cour all il avait otJtenll de grancls Sllccès, les encQUragelnents qtl'il donnait à lllon frère, dont il ét.ait le con-fident, avaient fait naître 1111etelle affection entre eux, clu'Honoré appelait pIllS tard J'Isle-Adam SOl~pc(/reldis in.~piratelt't. (c
Tu veux des nouvelles, il fatlt que je les
fasse; personne ne passe dans mon grenier, je ne peux donc te parler que de moi et t'enVO).E-f autre cllose que des faril)oles; exernple : »)
Le feu a pris rue Lesdiguières,n° 9, à la tête
d'lIn pallvre garçon, et les pompiers n'ont pu l'éteindre. Il a été nlis par U11ebelle feITlme qu'il ne cDnnaît pas: on dit qu'elle demeure aux Quatre:3.
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B..4.LZA.C
Nations, au bout du pont des Arts '; elle s~appelle la Gloire. » Le malheur est que le hrll1é raisonne, et il se dit: » Que j'aie ou ,non du génie, je me prépare dans les deux cas bien des c]1agrjns! })
Sans génie, je suis f1an11Jé! il fûlldra passer la
vie à serltir ùes désirs non satisfaits, de misérables jalousies, tristes peines!... » Si j'ai du génie, je serai persécuté~ caloI11nié;
je sais bien qu'alors
1\'I1le
la Gloire essuîera bien
des pleurs!... » Il serüit temps encore de faire partie nulle et de devenir un M. ***,qui juge tranquillement les autres. sans les connaître, qui jure après les }lommes d'État sans les comprendre, -qui gagne au jeu, même en écartant les atouts, l'heureux 11omme! et qui pourra bien un jOllf devenir député, parce qu'jl est rjclJe, l'llomme parfait I » Si je gagnais demain un quine à la loterie, j'aurais raison comn1e lui, quoi que je fasse Oll dise; mais n'ayant pas d'argent pour acheter cette eS11érance,je n'ai pas celte merveilleuse cllânce pour en imposer aux sols!... Patraque d'hun~anité !... ») Parlons plutôt de mes plaisjrs! J'ai fait hier un
BALZAC
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boston chez mes l)ropriétaires, où, après avoir entassé misères sur piccolos et avoir eu des chances d'innocent (j'avais peut-être songé à M. ***), ., . , . , J al gagne... t rOis sols.... » Maman va dire: ( Anons, Honoré va devenir » jouellf !... » Point, mèr.e, je veille sur mes pasSIons. » J'ai songé qu'après l'lliver laborieux que je viens de passer, quelques jours de campagne me seraient bien nécessaires!... » NOll,n1aman, ce 11'CStpas pour fujr ma bonl1e vache enragée: j'aime ma vac11e; mais quelqu'un près de vous, vous dira q-ue l'exercice et le grand air sont hie11utHes à la santé de l'homme! Or dOllC, con1me Honoré ne peut se montrljI" cIlez son père, llourquoi n'irait-il pas chez le bon IV!.de Villers, qui l'aime jusqu'à soutenir le pauvre re. belle? » Une idée, mère! si vous lui écriviez pour ar.ra11gerce vO_J?age?Allons, c'est comme si c'était fait; VOlISavez beau prendre votre air sévère, on sait que vous êtes bonne au fond, et l'on ne vous craint qu'à derrli ! ») Quand
viendrez-vous Ille voir? boire mo,n
café, manger des œufs bro'uillés, raccommodés sur un plat que vous m'apporterez? car si je succombe
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Bi\LZ~\C
à Cin.na, jl faudra renoncer à mOIlter mon mé... nage et peut-être même au piano et à la mac]1Îne llydralllique. ») L'Iris ITlessagère ne vient. pus! J'achèverai demain cette lettre. DEMAIN. (
Pus d'Iris encore!... Se dérangerait-elle?,.
(Elle avait soixante-dix ans. ) Je ne la vois jamais qu'à la volée et toujours si essoufflée, qu'elle peut il 11eineme rendre compte dl1 quart de ce que je voudrais savoir. Pensez-vous à moi autant que jo pense à vous? Criez-vous quelquefois au ,vI1istOll au bostol1: « Honoré, où es-tu? ») Je ne t'ai pas dit qu'avec l'incendie j"ai eu aussi d'affre'uses rages de dents. Elles ont été suivies ll'une fluxion qui me rend présentement llideux.
Qui dît: Fais arracher?Que diable! on tient à ses dents, et il faut mordre, d'ailleurs, quelquefois dans mon état, quand ce ne serait qu'au travail! ))
») J'entends
Ie-souffle de la déesse. ») All! vous êtes lllaintenant sous le cllarme de
la familleM ; fais un recueil de tous les IJélas de la belle-mère, redis moi bien ce qll'elle soupirera... Je m'en remets à toi pûur rire, tu es mon
D~.\.LZAC
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~IOlnus, mon Ijon ~Iomus, car je mé suis cru il votre diner de féception; tes récits sont la manne de mon.désert. » Merci de vos tendresses et de vos provisions; je t'ai reconnue
fleurs.
)}
Après bien des hésitations, c'est la tragéclie de C'rori~~vell qu'il choisit pour son œuvre de début (tragédie classiqlle, COffi111e on le verra ci-a})rès) «(
.
J'ai CllOisile sujet de Crom,vell, parce qll'jl
est le plus beau de l'histoire moderne. Depuis que j'ai soulevé et pesé ce sujet, je m'y suis jeté à corps perdu. Les idées m'accablent, mais je suis sans cesse arrêté par mon peu de génie pour la versification. Je me mangeraj plus d'une fois les ongles, avant d'avoir achevé mon premier monument. Si tu connaissais les difficultés de pareilles œuvres! LE GRANDRACINE a passé deux ans à IJolÏrPhèdre,le désespoir des poëtes. Deux ans!... cIeuxans! ... Ypenses-tu?.. deux ans!... ») ~lais
qu'il m'est doux, en file consumant nuit
et jour, d'associer mes travallXaux personnes qui me sont chères! Ah J sœur, si le cielln'a doué de q.u.elquetalent, ma plus grande joie s~ra de voir
BALZAC
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ma gloira rejaillir Sllr vous tous! Quel bonlletlf de vaincre l' Oltbli,d'illustI'Pf encore le nom de Balzac! ..A.ces pensées, mon sang ])ouillonne.! Lorsque je tiens tIne belle idée, il me semble entendre ta voix quj ITledit: (cAllons, courage! ») »)Je me délasse en crQq'uignolant Stella, un
gentil petit foman. »)
J'ai décidément abandonné mon opéra-co-
nliC{ue. Je ne puis trouver lIn compositeur dans mon trou, je ne dois pas d'ailleurs écrire pOlIf le goût aettleI, mais faire conlme ont fait les Racine et les Corneille, travailler comnle eux })Ollfla postéri1é !... Le second. acte, au surplus, était faiJJle, et le premier trop brillant de n~usique. (Trop JJrilla11t (le ffitlsiq11e! le caractère de 1'11omme est dans ces quatre mots; jl. voyait, il entendait cet opéra! ...) Et réiléchir pour réfléchir, j'aime rrlieux réi1écllir SlIr Crom,vell. Maisil entre ofclinairemel1t <Jeuxmille vers dans une tragédie, juge que de réflexions I... Plains-moi. Que dis-je? Non, l1e nie plains pas, car je suis heurellx: envie-moi })lutôt, et pense à moi souvent. ») Ses espérances étaient parfois l11êlées d'Î11quiétude. Voici Ul1e (le ses lettres où il les eXl)flme :
BALZAC (t
5f
.t\h! sœur, qtlej'aide to,urments! Je ferai une
pétition au pape pOtIr la première nielle de martyr vacante! Je viens de tlécouvrir à mon régicide un (léfatlt de conforma~tion£t il fOllfmille de mauvais vers! Je Sllis aujollfcl'l1ui tI11vrai Pater clolorosa. Si je SlljSlIn misérable rimailleur, il faut se pendre! Je ressenlble, avec ma pallvre tragédie, à Perrette au lJot au lait., et ma comparaison ne sera peut.. être fIllè trop réelle!... Il faut pourtant réussir eet.te œuvre, et, coÙte que cOtlle, avoir qlIelque chose de fini quand maman me demandera compte de mon tem}ls! Je passe les nuits au travail; ne lui el1 dis rien, car elle s'inquiéterait. Quelles peines (lonnent l'amour de la gloire! Vivent les élliciers, morbleu! ils yend.ent tout le jour, comptent le soir leur gain, se délectent de temps à autre à qUBlque affreux mélodrame, et les v~ilà 11eureux!... Oui, Inais ils passent leur temps entre le gr~yère et le savon. Vivent plutôt les gens de lettres; oui, mais i1ssont tous gueux d'argent et seulement riehes de morgu'e. Bah! laissons faire les uns et les autres, et vive tout le n1onc1e! ») Voici l'état de situation que tu demandes: REAUX-ARTS. ») La musique
me manque!... Tu me parlas peil1--
ture, mécl.lante ! Comment veux-tu que je me pel'-
BALZAC
~2
mette (l'aller au l}lusée, cJuand je suis présente-
ment à Alby? J'attendais hier le tra'ltre D
pour
lui faire rendre gorge sur les tableallx; j'avais apl)rêté sa cllaise, ça nl'a porté mallleur, il ntest p3S
...
yenu !
EXTÉRIEUR.
» J'ai rencontré ~I. de V. et ~I. F. Dites que ce n'est l)a5 moi. Je voudrais cel1endant bien. ne rèssernbler à personne !... INTÉRIEUR. , , . ») J al mange
dellX me lons r
] fa 1es .f' Il lôtl( paJ7er à ferce de 110ix.et de pain sec. PROJETS.
»)Si vous me dOllniez un jour rendez-,vous sur les bords du cana1de l'Ourcq, près de tel .ou tel pont? Il ne faudrait j'arnais que trois lleures de marelle pour aller vous trouver, et trois heures 110urrevenir à ma rnl\'11sarde,et l'Albigeoisattrait Ylltont ce q,u'ila de cher atl monde l .~visez! » Il m'envole le plê1n de sa tragédie, mais en grande- c011fidence, car il veut en réserver la surprIse à la famille. Aussi écrit-il en tête (le sa lettre:
POU1"toi sell le.
BALZAC
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« Ce n'est IJasUllmédiocre cadeau ni une 11etite l)reuve d'amitié que je te donne là, que de te faire assister ainsi à l'enfantement dll génje! (~Iocluetoi! ) »
Comme ce n'est encore qu'un projet, j'ai
laissé une marge, te permettant d'y inscrire tes sublimes observations. »
~Ialgrécette liberlé grande que je vous donne,
n1ademoiselle, lisez avec respect le plan cie 8011110clejeune. )}
Dire qu'on lit en une 11eure ce qui a dépellsé
quelquefois
des années à écrire!... ACTE PRE~IIER.
»)Henriette d'Angleterre, accablée (le fatigue et déguisée SOU3d'humbles vêtements, entre dans \Vestminster, soutenue par le fils de Strafford; elle revient d'un long voyage. Elle a é1é, selon l'ordre de Charles 1er, conduire ses enfants e11 Hollande et solliciter de&-secours à la cour de France. Strafford en larmes llli apprend l€s derniers événements. Le roi prisonnier dans \Veslminster, accusé par le Parlement, attend S011 jugement. Tu comprends l'élan de la reine à ces nouvelles, elle veut partager le sort de son époux. »)
Entrent Crolll,vell et son genclre Ireto,n. Ils
BALZAC
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ont donné rendez-vo.us dans ce lieu aux conjurés. » Lareine, effrayée, se cache derrière une tombe ro~yale. » Les conspirateurs arrivent et elle entenel discuter si on fera mOlJrir 011non le roi. Scène fort vive 0\.1Fairfax (un 110nnête garçon) lléfend les jours (le l'illustre prisonnier et dévoile l'ambition de Crom,vell. Celui-ci rassure tout son montle. Après quoi on conclut à la peine de mort. »
La rei11e se montre et leur fait un fameux
discours!. .. »)
CroID,vell etses amis la laissent parler, enchan-
tés cIe tenir une yictime qlli leur manquait. Il sort avec ses complices 110urassurer le succès de leurs projets, et la reine se rend allprès clu"1)riso'nnier. ACTE SECOND.
»)Charles 1er, seul, repasse dans sa mémoire les événements et les faits de son }"ègne. Quel monologue! »)
La reine arrive. C'est encore là où il faudra
du talent! L'amour conjugal sur la scène pour tout pot~ge I jl faut qu'il embrase la pièce. Il doi t régner dans cetle entrevue douloureuse un ton si mélancoliqlle et si tendre, que c'es-t déjà à clés-
BALZAC espérer; blime.
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il faut tout bOllnement arriver au su-
») Croffi,vellvient Cflerchprle
roi pour la séance.
Scène fort éf)Îneuse encore, où il faut mettre en relief les caractères si différents des trois interlocuteurs (étude l1Îstorique difficile). ») Strafford
vient avertir la reine qU'llne petite arln2e de royalistes s'est emparée des fils de Cron1w~11 revenant cledompter l'Jrlande. En mettant Cromwellentre ses fils et le,trône, on sauvera peut-être le roi. L'acte finit sut cette lueur d'espérance.
»
Je passe les troisièlne et qllatrième actes; ils se traînent lln peu, il faut l'avouer. A la fîn du quatrièmre, Charles 1errend à Croll1,vell ses fils sans condition, abandonnant ainsi toute chance de salut. ACTE CINQUIÈl\fE ET LE PLUS DIFFICILE ~(
DE TOUS.
La sentence n'est pas encore conllue; mais
C~harles1er, qui ne s'abuse pas, elltretient la reine de ses dernières volontés. (Quelle scène! )Strafford sait la condamnation et vient l'annoneer à son filaltra afin qu'il y soit préparé avant d'entendre son arrêt. (Quelle scène!) Ireton arrive c])ercher
D.~LZ.AC
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le roi pour le COl1duiredevant ses jllges. Charles 1er (lit à Straffofll qu'il lui réserve l'honneur de le COI1claire à l'écJlafaud. Adieux du roi et de la reine. (Quelle scène!) FairJax aecourt, il prévipnt la reino de son danger, jl faut qu'elle fuie sur-Ie-chanlp, on veut la retenir priso11nière et lui faire allssi 5011 procès. » La reine, to,ut à son désespoir, n'entend rien (l'abord, puis, elle éclate 'tout à COUI)en irnprécations contre l'Angleterre: elle vivra pour la "fel1geance, ,elle lui soulèvera partout des ennelIlÎs, la France la combatlrtl, la dominera, l'écrasera un jour. ») Ce sera
le fell de joie, et je te répo11lisque ce
sera tapé de mail1 de maître! Puis le parterre, trempé de larrnesj ira se eau. )}
eller
.
» Aurai-je assez de talent? Je veux que 111atragédie soit le bréviaire des peuples et des rois! »)
Il faut délJuter par un chef-d'œuvre ou me
tordre le cou!... J f' te SUPI)lie, IHIrnotre am011r fraternel, de ne jamais me dire: C'est bien. Ne me découvre que les,fautes~; quant aux beautés, je les connais de reste. » Si quelques, pensées t'arrivent cl1eminfaisant, écris-les en marge; laisse les joljes, il ne faut qu,e les suJ)lin1es.
IJA LZAC »)
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Il csl ill1po8sil>leque lu ne trouves pas ce
I)lan superbe! Quelle belle e-xposition! Comme l'intérêt grandit de scène en scène! L'incident des fils de Cron1,vell est adnlirablement trouvé. J'ai aussi jnventé fort lleureusement le caractère du fils de Strafford. La magnanjmité de Cllarles 1erren,lant it Crom,vell ses fils est plus belle que celle d'4~Uguste pardonnnnt à Cillna. ») Il y
a }Jjenencore quelques faules, filais elles
sont légères et je les ferai (lisparatt.re. ») J'ai
tellen1ent I)ris part à tout ce que tu 'nl'é..
cris, qlte je file sentais attendri comme s',il s'agissait d'Utl vers de Crolntvell. » Pourvu que le cllâteau n'aille pas d-éfendrc Ina tragédie ! »)
Si je m'écoutais, je couvrirais une rame de
papier en t'écrivant; qui crie après moj !
mais Croln'well!
Cro'1nwell
» Ce qui me co,ûtele plus, c'est l'exposition. Il
faut que ce luron de Strafford fasse le portrait du régicide, et Bossuet m'épouvante. Cependant j'ai lléjà q,u~lques vers qui ne sont pas mal tournés. 1\11!sœur! sœur! que d'espérances et de décel)t.ionsI... 11eut-être... )) Des t110ÎSpassent à ce travail (tont illn1cn-
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BA.LZ~~C
tretient sans cesse a'7ec de conti11l1e11esalternatives d'espérance ou (l'incIlIiétl1de. Je les Sl11)prin1e C'OlTIll1ereclites.
De-graves pensées se Inêlent déjà d.al1sses lettres à sa juvénile gaieté: « J'ai abandonné le jar(lin (leg Plantes pour le Père-Lachaise. Lejardin (les Plantes est trop triste. Je trouve dans mes pronlenad-es au Père-Lacl}aise de bonnes gro~ses' réflexions inspiratrices, et j'y fais des étlldes de douleur uti1es pour Crornzvell; la douleur vt~aieest si diffieile à l)eindre, il faut tant de simplicité! Décidément, il n'JTa de belles éllitaplles que celles - ci : La J?ontaine, llasséna, lfilolièfe. Un ))
seul nom qui dit tollt et qlli fait rêver !... » Et~il rêve allX grands hOITImeS,il s'attentlrit sur ceux qui flIr'ent victitnes du vlllgaire (.lui ne cOlllprit ni Ie-lll'sidées, ni leurs actions, ni leurs œuvres. Il conclut: « Que la biographie des gl~andsllommes sera e11 tout ten1pS la consolation de ]a médiocrité. »)
Il se plaît particltlièrelnent sur la hauteue (t'où J'on découvre tOllt Paris, où S011Ras-
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BA. L,ZAC
tignac vient s'asseoir après avail' rendll les (lerl1iers devoirs au père Goriot; là lnêlne où Balzac repose aujourd'11ui, il s'y demancla IJlus d'llne fois, ell songeal1t aux ilIllstres morts qlli dormaient 3lltOllI' de llli, si l'on viendrait allssi un jour saluer ~a tOlnbe! Dans ses jOllr's (l'espérance, COl11n1eRastignac, il s'écrie: « A IDOice moncle, que je comprends!...
»)
Pllis il rentre dans sa 11lallSarde, « Oll jl fait nojr comme dans un four, et Oll sans moi Fon l1e verrajt goutte, ») ajoute-t-il plaisan1Inent. COll1111eSOl1Des})leill de let JJle,~sede l'etthee,
Il se plaint que l'1111iled'e sa lampe lui cOl1teplus cher qlle son I)ain; Inais il aime tOlljollrs sa l11ansarde. « Le tenlpS que j'j'" l)aSseraisera pour moi une source de doux souvenirs! Vivre à ma fantaisie, travailler selon mon goût et à ma guise, ne rien faire si je veux, m'endormir sur l'avenir que je faÎs beau, penser à vous en vous sachant heu-
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reux,avoir pour maîtresse la Julie de ROllsseau,]a Fontajne et Molière pour amis, Racine pour maître et le Père- Lachaise pour promenade! All! si cela 110uvaitdurer tOl1jours!...») J..Jej1]gel11ellt (le l'al11Î qui vou-lait faire de lui un expéditioi1naire lui revient. SOlIve11tà la ]1Jénl0ire et l'Ïnqtliète parfois; pu.is il s'el1 il}(lignc et s~écrie : (c
Je uonnerai un démenti à celllon1111e! »
Le démenti donné, il lui dédia, pOllr tOltte vengeance) l'une de ses plus belles œllvres. Il n'oublie pas non plus le sourire des fellllnes qui accueillit sa chute au bal; il espère obtenir d'elles d'autres souril'aes. Ces pensées redollblent son ardeur au travail; les plus petites circonstancp.s mè'netlt SOllYC11t à de grands résultats; elles ne font pas la vocation, mais elles J'aiguillonnent. Dans une autre lettre, assez rClnarqllable pour qt1eje m'en souvie11ne,il cOfil1nençaÎl il entre'~oir les divers horizOl1S(le la vie 80-
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riale, les obst.acles qu'il fall! yaincre en toute cllelnÎn à travers carrière Pour s'v fravel" 1111 la foule qlli ell encombre les abords! Celte Jetlre, écrite évÎllen1111ent!)our nIa nlère, lui fut sans clol1te renlIse, car elle I11anC!Ue à la collection. tJ
y
Il Y ana) ysai tles SOilci8 et les lra\'a llX (JlI1 alte11dent l'avocat, le lnédecin, 1'1101nmede guerre, le 11égociant, les heureux 11a8a1'c18 cIu'il faut encore c[u'ils rencontrent pout' arriver à se Illettre en 1lllnière et IJour réussir; il ne se dissill1ulait pas non l)ll1s les dlfficll1tés et les épines de la profession littéraire; mais il y en avait partout; alors, IJourcluol ne 1)£1slaisser la liberté à celui qtli se sentait une ,'ocation irrésistible? C'était )a 1110rale cIe la lettre. Je transcris tl11clernler fragl11enl de cette correspondance datée de]a Il1ansard-e; jl est cnriellx pour 1'époqlle Oil il fut écrit (avril 1820) et prou've la lllciclité d'lIn esprit qui nléclilaÎt déjà sur tOllSles sujets.
BALZAC
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« Je suis plus engoué que jamais de ma carrjère par une foule de raisons dont je ne déduirai que celles que tu n'aperçois peut-être })a5. N,os révolutions sont loin d'être terJ1linées; à la nlanière dont les clloses s'agitent, je prévois encore bien des orages. Bon Oll mauvais, le système représentatif exige d'immenses talents; les grands écrivains seront nécessairement recherchés dans lesi-crises politiques; ne réunissent-ils pas à la science, respril d'observation et]a profonde connaissance du. cœur humain? ») Si
je suis un gaillard (c'est ce que nous
ne savons pas un jour autre 131'ajouter au grand citoyell, aussi!
_ ..
encore, il est vrai), je puis avoir chose q118 l'illustration liltéraire ; titre de granel écrivain celui de est une aml)ition qui peut tenter
»)
La scè11eva changer; aux premières espérances d'Honoré, vont succéder ses preInières déceptions. A Ja fin d'avril 1820, il arrive chez l110n père avec sa tragédie ache'7ée. ]1 est biel1 joyeux, car il compte stlf un triol11phe ; aussi désire-t-il que qtlelques amis aSsIstent à sa
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lecture. Il n'oublie pas celui qui s'esl si étrangelllent mépris sur son cOlnpte! Les amis arrivent, l'épreuve solennelle commence. L'enthousiasllle du lecteur va toujollrs se refroidissant en remarquant ]e pell d'ilnpressioll CIll'il'procluit et les visages glacés ou atterrés de ceux qlli l'entollrent. J'étais du nombre des atterrés. Ce que je souffris pendant cette lecture était un avantgoût des terreurs que les premières représentatioIlS de TTa11;tril1, et Quir~ola devaient Ine donner. Cromtvell n'était pas encore lIne ,rengeance C011tre~f*.*; celui-ci, brusfll1e conlme à 1'01"dinair'e, dit son Opillion sur la tragédie sans aUCllnménagelIlent. Honoré se récrie, déclille lé jllge; mais les âutres auditeurs, quoique plus doux, s'accordent aussi à trouver l'œuvre fort in1parfaite. MOllpère réunit toutes les opinions en proposant de fajre lire Cromtvell à UIIe alltorité cOlnpétente et ilnpartiale. M. Slll'ville, ingé-
BALZAC
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nieur (Ill oanal de l'Ourcq, qtli devienclra SOIl ])eall-frère, propose son ancien professelll" à ]'(~cole polytechnique. l\1on frère accepte ce cloyen littéraire pOlII"
.
.
Juge SOllveraIl1. Le })on vieillarcl, sciencieuse,
déclare
après
U11e lecture
(Ille l'alltellr
con-
(loit faire
q'lloi q1le ce SOt~t,e.x;ceplé de lct l-ittérctlttre.
HOl1oré reçoit cet .arrêt en pleine poitrine sans broncl1er 'ni se torclre le COtl,parce qtt'il A . ne se reconn'alt 1)38vaIncu. - Les tragétlies ne SOllt l1as mon fait, ,~oilà lOlIt, dit-il; et jl reprenclla pllll11e. NIais qllinze 11)018(le mansarde l'ont tellon1ent alnaigri, qlle ma 111èrene lui perlIlüt 1)<15 (l'y retourner et le repreIlcl all logis, Oll elle le soigne avec so11icitllcle. C'est alors qll'il écrivit, clans l'espace de cinc! années, I)Ius cIe l!Uara11le,rolumes qll'il jllge comn1e (les essais fort il11parfaits; aussi les l)tl])lie-t-il sous des }1seudonYfi1es cliffére11ts,IJar respect pOllr ce nOIl1de Balzac déjà rélè])re, qu'il \~eut illustrer Ul1esecoll(le fOls4
B:\LZ~t\C
(j5
La 111édiocrÎté Il'a 1)38 de si 111odest.es al-
IIIres! ... Je Ine garderai cle citer un selll titre cIe ces l)remiers ouvrages, vŒula11tobéir à sa VOIOllté exrtresse CIlli fut cIe {le jal11ais les a VOller'. 1\lalériellement fort heureux chez son père, il regrette cependant celte cl1ère mansartle Oll il avait la tranquillité qui lui manCltledans celte sphère d'activité où (maîtres et serviteurs compris) <1ixpersonnes s'agitent autollr (le lui, où les petits con1n1e les grands, évél1elnents cie la fal11ille le cléra11gent sans cesse, où enfin_, 111ên1e all tra'Tail, il entcn(l les rouages cIe la machine domestique CIllO l'il1fatigablc et vigilante maîtresse filet en 1110\IVeme11t.
Dix-huit rIlois après sa réinstallalion chez so.n père, j'!labitajs ll10J11e11lanémentBaJrellx, et notre correS})OI1dance recomnlence. ~1011 frère, all milieu (les siens, file parle ])eanrolll) plus d'eux ql1e de lui, et avec la liberté qt1e ltli donne la confial1ce. Il s'y trouve,des scènes 4.
BALZAC
HO
(l'intérieur et des conversations qu',on pourrait prenclre pour des l)ages enlevées à I.A Dal1s l'une rIe ces lettres, il compare son père à ces pyramides d'Égypte imml1ablcs au milieu des tourbillons de sable dll désel-t. Dans 11ne fllltre, il 111'arlnollcele mariage de notre sœllr Lallrel1ce; son portrait, cel11i (le son fia11cé,,1'enthousiasn1e cIe la fan1ille C01UÉDIE IIU)fAl~E
~
110ur ce second gendre, tout est l)eint de l11ainde l11aître, c'est déjà la plume de Balzac. Il termine par ces dellx lignes: «(
Nous SOlnmes tOllS de fiers originaux dans
notre sainte fan1ille. Qllel dommage puisse 110l1Smettre en roma11s!
que je ne
Ces lettres n'al1raie11t pas (l'intérêt {Jour le p11blic, je n'ell extrairai donc que ce qui se rapporte à mon frère. Voici son prelnier accès de découragement; il avance dans la vie et s'aperçoit que le c11ell1i11 est clifficile : « Tu n1e demandes des détails (le fêle et je n'ai
BALZ.t\.C
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aujourd'hui que des tristesses au cœur! Je me trouve le plus malheureu:x des malheureux qui vivotent sous cette belle calotte céleste que l'Éternel a brillantée de ses mains puissanles! ») Des fêtes!,..
c'est une triste litanie que j'ai à
t'enyoyer. ») Mon
père, en revenant dll mariage de Lall-
rence (jl avait été 'Célébré à Paris), a eu dans sa voiture l'œil gallche déchiré par le fouet de Louist triste présage... le fouet de Louis toucher à cette belle vieillesse, notre joie et notre orgueil à tous l Le cœur saigne! On a cru d'abord le mal plus grand qu'il n'est l)eureusement! Le calme apparent de mon père 'me faisait peine, j'aurais préféré des plaintes, je me serais figuré que (les plaintes l'auraient soulagé! mais il est si fier, à bon droit, (lè sa force Inorale, que je n'osais même le consoler, et la douleur du vieillarcl fait autant souffrir que celle d'llne femn1e! »)
Je ne pouvais ni penser ni travailler, il faut
pourtant écrire, écrire tous les jours pour conquérir l'indépendance qu'on me refuse! Essayer de clevenir libre à coups de rom'ans, et quels romans! Ah! Laure, quelle cl1ute de mes projets de
. ., g1Olre »)
Avec quinze cents francs de rente assurés, je
pourrais travailler à ma célébrité, mais il faut le
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B.\LZ.AC
ten1pS pour ùe pilreils travaux, et il faut vivre (l'abord! Je n'ai donc que eel ignoble nlo)ren 110ur m'in.dépendantiser! })
Fais dOllCgémir la presse, mauvais 8l1teur
(et le mot n'a jamais .été si vrai)! ») Si
je 11egagne pas promptement de l'argent,
le spectre de la place reparaîtra, je ne serai pas notaire tOlltefois, car ~1.T... vient de mourir. Mais
je crois que M. *** me c]1ercllesourdement une place, quel terrible Itornrne! Comptez-moi pour mort si on me coiffe de cet éteignoir, je deviendrai un clleVal de manége qui fait ses trente ou quarante tours à l'heure, mange, boit, dort à des instants réglés (l'avance. ») Et
l'on appelle vivre cette rotation machinale, ce perpétuel retour des mêmes clloses!.-.. » Encore si quelqll'un jetait un charme qllelconque sur ma froide existence! Je n"ai pas IBS fleurs de la vie et je suis pOllrlant dans la saison Oil elles s'épanouissent! A quoi bon la fortune ~t les jouissances quand ma jellnesse sera. passée? Qll'import.e des llabits d'actellf si rOll ne jQue plus de rôle? Le vjeillard est un lloulme qui a dîné et qui regarde les autres manger, et moi, jeune, mon assiette est vide el j'ai failTI! Laure, Laure, files deux seuls et immenses désirs, être célèbre et dtre aimé "seront- ils jamais satisfaits?,. »
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Dans la lettre fIlli st1it, nlOI1 frère m'allnonce son troisièn1e et SO'Il cluatrième ro}11an :
« Je t'envoie deux nouveaux ouvrages, jls sont encore fort mallvais et fort peu Iilléraires surtout! Tu trouveras da11sl'un des deux quelques plaisanteries assez drôles et des espèces de caractères, rnajs un plan détestable. »)
Levoile ne toml)e, malheureusement, qu'après
l'impression, et, quant aux corrections, il n'y faut l)as songer, elles cOllteraient l)lus que le livre. Le seul nlérite de ces deux ronlans, fila cllère, eslle I11illier de francs qu'ils file ral)portent, Inais la somIne n'a été réglée qu'en lJillets à longups éclléances. Seront-ils payés? »)
Je comnlence, toutefois, à tâter et recon-
naître Illes forces; sentir ce que je vaux et sacrifier la fleur de ses idées il de !1areilles inepties! Il Y a de quoi pleurer! »)
All! si j'avais ma pâtée, j'aurais bien vite ma
Inicheet.j'écrirais des livres qui resteraient 11eut..
jc1ées cllangcnt tellement que le {aire
cllangerait bientôt! Encore quelque temps, et il J~aura entre le moi (l'aujourd'hui et le moi de
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B~t\LZAC
demain la différence qui existe entre le jeune homme de vingt ans et l'homme (le trente t Je rét1éellis, mes idées mûrissent, je reconnais que la nature m'a traité favorablement et me donnant mon cœur et ma tête. Crois-moi, c11èresœur, car j'ai besoin d'une croyante, je ne désespère pas d'être un jour quelque chose; car je vois aujollrcl'}1uiqlle Crolnwe-il n'avait pas même le mérite d'être un embryon; quant à mes romans, ils ne valent pas le diable, luais ils ne sont pas si tenta-
teurs.
»)
Il se jugeait certes trop sévèrement; ces ollvrages ne contenaient encore, il est vrai, que les gerlnes de son talent, maïs il y faisait de tels progrès d'un ou'vrage à l'autre, qu'il el1t })u signer les clerniers, sans faire tort à sa réputation à venir. HeureuseUlent il passait vite de la 11eineà la joie, car les lettres qui suivent sont plei11es d'entrain et de gaieté. Ses rOI11anslui sont payés plus cher et llli cOtltent moins à faire. « Si tu savais comme le plan d-eces ouvrages-là coûte peu à tracer, les titres des cllapitres à écrire
BA LZ A.C
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et les pages à ren1plir! Tu ell jugeras ll'aillcurs, car, puisque ton mari m'invite, j'irai bien certainement passer trois ])OOSfil0is cllez vous celte
année.
»)
Il fait force projets, il a force espérances; il se voit déjà riclle et IJlarié. Il coml11ellce à désirer la fortune, mais seuleme11t COllllne 111o~Ten de réussite. Il décrit la felTIl11equ'il ,retIt et parle dll ])OnlleUrcOlljugal en homme qui 11enléclite pas encore let l~ltys'iologle d~J; 1naf~age. Pour me distraire du c11agrin qne n1e canse luon éloignen1ent cie Ina farnille, il Ille fait mille COl1tes,Ille gronde de ma tristesse ell citant dl1 Rabelais et términe l')a1' l'éloge (le Roger Bontemps. Un 'atItre jOtlr, il raconte les nOllvelles dlt village avec tIne verve pleine de folie. Chaque voisiI1 se plail1t de son voisin, il fait causer tOlIt le lTI011de.C'est déjà le cl1erc11eurde se-
crets, l'exploratetlr de l'âme; de fines critiqt1eS, de fines ren1arcIlles, de sages réflexions St1rgÎssentlout à COllpau l11ilietlde
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TIr\ LZAC
sa gaieté. Ces spirituelles chro11iques IJfO'~o(Iuent Je rÏre et trahissent déjà cette 'veryc ral)elaisienne Cllli le distil1gue des écrivai11S de son temps. Je l'écris aujOl1l'cl'lluisur des slljels de la plus llaute inlporlance. 1l11e s'agit de rien n10ins que de savoir l'opinion qu'on aura de 11011S. Tll crois peut-être, d'après ce début, que je In'inquiète cle ce qlle Bayeux, Cae~1el la ~ormandie tout entière l)ensent de mes belles œuvJ'es? ~~llbien oui! C'est JJien autrement grave! ») Il est question, ma cllère, dll voyage de notre (
111èrecl)eztoi, et voici les prot)lèmes que tu auras à résoudre dans ta réponse: Qu'est-ce que Bayellx? Fallt-ÎI y porter (les n(~gres, des pag'es, des équipages, des diamants, drs dentelles, des cacllemires, de la cavalerie ou de l'infanterie, c'est-à-diTe des robes décolletéès on colletées? La mise est-elle seria ou butta? ») Sur quelle clef cllantc-t-on? Sur quel pie(l »)
tlan£e-t-on? Sur quel J)ordnlarche-t-on? Sur.quel ton parle-t-on? Quelles pcrsennes yoit-on? n1itaine ton tOt1! ») Il
ne ll1'appartiet1t}J3Sd'e11trerdans les pro..
fo_n(leurs de questions si graves, discute-les, ré-
BALZAC
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sous-les; de lourdes responsabilités pèsent sur tojdans un avenir très-prochain, je ne puis te le dissimuler, et me dis ton serviteur en toules choses, excepté en celle-ci. »
Il va à };Isle-Adam. Il y assi8te au con'~oi (l'un doctellr tel que celui qu'il a décrit (lans son ..Médeei1~de campag1~e.Cet hOll1me, qu.'il a COnfitl dans ses précédents séjollrs, bienfaiteur du pays, aimé et regretté de tous, lui donna l'idée de ce li\rre. Ce mort deviendra un jOllr le 'TÎV311tIVI.Bénassis! Partollt il étudie~ villes, villages, .campagnes", habitants, recueillant les mots qui peignent un caractère ou résument une situation. ]1appelait fort trivialelnent l'albun1 Ollil consignait tout ce qu'il entendait de remarqltable, son g'arde-ma1tge't. Mais, bercé et endQrmi un instant par l'espérance, il t~st bientôt réveillé par la triste réalité. Ses romans non - seulement ne Jc font pas ri~he, mais ne sllffisent même pas all nécessaire. Les (10lItes et les anxiétés de la famille a1':'
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BALZAC
recommencellt; on parle de prendre lIn,parti. RélIssir à faire imprimer ses livres était néanmoins déjà un grand succès, et révélait une habileté llors ligne et des talents de fascination peu communs, car l'éditeur est longtemps un my the pOOf le pauvre débl1tant, ordinairelnent accueilli et éconduit par le libraire avec cette pllrase décourageante: Vous êtes iltCon1~u1,et vous voulez que j'édite reoslivres? Être célèbre avant d'avoir écrit est donc le premier problèm,e à résoudre dans cette carrière, à moins d'elltrer' dans le champ de bataille littéraire à la façon dll b-Quletde canOl1; or, mpn frère ne reconnaissait pas encore à ses œuvres c.ette force d'impulsion; il 11'avait cl'aillellrs aUCUl1eprotection dans les lettres, et sauf un ami cIe collége, e11tré dep1.1isd-ans la magistrat1.11?e et qui a"vaitfait avec lùi son premier roman, personne ne l'aidait ni ne l'enco1.lrageait! Craignant d'être C011traÎnt d'accepter des chaînes, honteux d'aillellfs de la dépendance (lans laquelle on le tenait tOlljours au logis
BALZAC
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il se résoltlt à tenter des SpéClllations qui sellles pOllvaiel1t lui donner sa liberté. On
était en 1823, n10l1 frère avait alors près de vingt-cinq aIlS. lei eOllllnencèrent des désastres qui déciüèrent des 111alheursde SJ1.'vie. Beaucoul) de gens ignorel1t que 111011 frère dépensa autant d'énergie et (l'inlelligence à Jl1tter contre l'infortune,
qu'il lui ell fallut pOl.lr écrire LA
COl\fÉDIE HU~IAII\E, cette œuvre qui, de qllelque façon qtl'011la juge, lui donna cette célébrité, la pIllS arclenle passioll de sa vie. Ceux c!l1ifllrent dans le secret cIe SOIl existence se demandent avec alltallt d'atte'ndrisseIne'nt que de respect conlment un 110111me trollva assez de teml)s, de forces ph~7si([ues et Sllrtout de forces Inorales I)OUI'sllffire à t\'allssÎ grands labeurs!... SiOl1 lui ellt aSSllré alors les Inodestes {luinzc cents francs qu'il dell1a11dait pour gagner son premier succès, qllelles adversités sa famille lle IllÎ elIt-elle pas épargnées, .ainsi qu'à elle-n)ême? QEtelle fortune Balzao
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BA.LZAC
n'eût-il p-as faite avec cette pllllne dont il connaissait la valeur? Énergique et patiel1t. comme tout génie, il ellt retOtlrné dans la solitude, où cette rente lui eût suffi. Extraêtne en ses désirs, il lui fallait ou le palais Ollle grenier; amoureux du luxe, il savait 8'el1 passer. « Le grenier'a
sa l)oésie, » elisait-il SOllvent.
C'était partout où elle. n'existait pas qlt'il était 111alà l'aise. Mais, question qui restera toujours insoluble, n'est-ce pas le malheur qui dé'veloppa son talel1t ? Balzac, riche et heurellx, serailil devenu cet incluisiteur de l'humanité qui surprit tous ses secrets, mit à nu tOtlS ses sentiments et jugea de si hatlt tous seS maux? Cette lucidité de !'homm-e sllpérieur, qui lui fait saisir toutes les faces des idées, ne s'acqlliert-elle pas all prix cIe bien des ùou]eurs et de lnisères ressenties? Lucidité toutefois funeste en ce point, clue cellX q1.1ine comprenne11t pas ces puissantes
BALZAC
'17
facultés (et le nombre en est grand!) doutent cluelqtlefois de la moralité de cellTi qui les })ossède. Les détails arides ((ui suivent, et qlle j'a})régerai le plus possible, sont nécessaires pour explilIuer les malheurs de l'existence de Balzac, Inall]eurs si peu ou si mal C011nu~, (lue ses amis mêmes les attribuèrent à des folies qu'il ne fit pas.. Quand H0110révenait à Paris, il desce11dait d-ans l'appartement ql1e mon père y avait conservé; là, il s'était lié avec un voisil1 à qlli il raconta le chagrin que lui causait sa situation précaire. Ce voisin, homme d'affaires, lui conseilla de chercller, pour' se faire libre, une bonne spéculation, et lui fournit les moyens de l'entreprendre. Balzac, transforn1é en Spéclllalellr, (levait commencer par éditer des livres; ce fut effectiven1ent ce qu'il tenta. Le 11relnier, il ellt J'idée des éditi()ns cOlnpactes, qui enriehirent depllis la librairie, et }Jublia el~ tilt vo11l1neles œtlvres COlllf)lètes cIe l\folièrc et de
"'0 If.)
)a Fontaine.
BA.LZ
A.C
Il nlena de front ces dellx publi-
cations, tant il craignait cIll'on 11e llli enlevât l'une pendallt qu'il ferait l'alltre. Si ces éditions ne réussirellt pas, c'est parce qlle l'éclitet~r, inconllu en lil)rairie, l1e fut 1JaSsoutenll l!ar ses confrères patentés, qui se refusère11t à vendre et à rece\7()ir ces livres; la SOlnrne })rêtée ne pot suffire poru" les nonlbreuses annonces qrti allraient i)eut-être attiré les aclletellrs; ces édition.s restèrent llonC'I)arfaitement ÎncOnntles: à une année de leur publication, rn-on frère n'en avait 1)a&vendll vingt exelnplaires, et pour ne l)llls payet" le loyer du nlagasin où elles étaient entassées et se perdaient, ils'en cléfitall prix élu poids brllt de ce beau papier qlliavait coÙté si cllerà noircir. Honoré, all lieu de gagner de l'arge11t dans cette première affaire, n'en retil-'a qu'ul1e
detle; ce fut le premier. chevrol1 de cette
ex-
IJérience qui devait Ul1jour le renclre si sa,rant. sur les 11omn1eset 'sur les clloses! Quelques années pIllS tartl, il n'eût pas édité des livres en de pareilles conditions, il eût COll1-
BALZA.C
'ID
pris à l'a\Tance l'insuccès c}'llne telle entreprise. Mais l'expérience ne se devine pas! Le bailleTlr de fonds, qui avait ainsi perdu le gage de sa créance, intéressé à voir prendre-à mon frère une profession qui llli donnât la cllance de s'acqllitter avec lui, le conduisit chez un de ses parents qui faisait une belle fortune dans l'imprinlerie. HOI1oré qlleslionne, s'informe, reçoit les meilleurs renseignements et s'enthousiasme tellement de cette industrie, qtl'il veut devenir aUSSI imprim'eur. Les livres l'attiraient tOl~jours! Ne renQnçant pas à écrire, il songe à Richardson, devenu riche en imprimant et en écrivant tout à la fois, et voit cléjà de nouvelles Clari.~ses sortant de ses presses! Le créancier de mOll frère, satisfait de cette résolution, l'encourage, se charge d'obtenir le COI1sentement de nos parents et l'argent nécessaire à celte nouvelle entreprise; il réllssit, mon père accorde à Honoré, à titre de dot, le capital de la rente qu'il avait désirée pOllr ne s'occuper qlle de littératllre.
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Honoré s'associa alors a,Tec UIlprote habile qu'il avait remarqllé dans les imprimeries lors de la publication de ses premiers rO(llanS; ce jeune }lomme, marié et père de famille, ltli inspirait de l'intérêt, mais il n'apportait n}alheureusement à l'association que ses connaissances en typograpllie; elles n1anquaient à 1110nfrère; Honoré crut que l'activité et le zèle de son associé éqllivaudraient à tJne 111isede~fonds. Les brevets c}'in1prilne"Ur étaient clIefs sous Charles X; les qui11ze mille francs dll l)revet payés, )e matériel acheté, il restait peu d'argent pOlIr faire face aux frais d'exploitatioll. 1\lon frère ne s'effl"aya pas; la jelllIesse espère toujours les chances 11eureuses ! Les jeunes imprimeurs, .111stallésjoyeuse111entrue des Marais Saint-Germain, acceptent tous les clients qui ~se présentent; les recettes rentrent difficilement et ne s'équilibrerlt pas avec les dépenses; la gêne se fait bientôt sentir! Une ll1agnifique occasion se présente (le
ni
BALZA.C
r'éUIIÎr une fonderie à l'Îll1fJrin1erÎe, olle assure de tels bénéfices que, les autorités COll)})étentes consultées, Honoré n'hésite pas à s'en rendI'e acquéreur'. Il eSf)ère, el} réunissant ces deux el1treprises, tro11ver soit un prêt, soit lIn troisièll}e associé. Il s'épuise en démarches à cet effet ,; toutes sont infrllctuetlSes, car les sûretés que son premier créallcier a prises priment tout et font écllouer les négociations elltamées. ~1on frère, a~Tantla faillite en }Jerspective, passa alors par des angoisses qll'il n'ollblia jarnais et qui le forcèrent à recourir de nouVeal} à sa falnille. l\Ion père et ma Inère cOl11prirent la geavité (les Cil'COllstal1ces et vinrent à SOIl secours, filais après quelques mois cle continuels sacrifices, craignant que lellr ruine ne suivît celle de leur fils, ils se refusèr'en t à fOllrnir cIe l'argent le jour où la prospérité arrivait peut-être! Cette histoire est eelle cie }lresque lous les désastres COI11merciaux. !';' iJ.
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Honoré ne l)llt convai11cre ses parents cIe ]a tern)illaison hellreuse Qll'il entrevoyait. Il chercl1a alors à vendre; nlais sa IIlallvaÎse sitùation connue, il ne trouva qtle des offres si restreintes, qt1.'il fallait tout perdre en les acceptant, sauf l'}lo11neurde son nom. Néanmoins, pour éviter une faillite imminente, qui eût fait 1110urirde chagrin son vieux père et qlli eût flétri 8<1Jeune existel1ce, il clon11a impri1'J~erie et fonderie à un de ses amis, pour le prix qui Jui en avait élé offert. Il assura ainsi l'avenir de cet ami, car ses prévisions étaÎent jUBtes,il y ellt lIne fortune dans la seule fonderie! Le prix de celle vente étant insuffis311t pOlIr solder les dettes exigibles, notre mère fit le nécessaire. Honoré se retira de l'iln'primerie chargé (le Ilornbrellses obligations, parmi IescIl]elles sa mère figurait COllllne principale créal1cière. 011étai t à la.fin de 1827, 110811are11tsavaient vendll lellr c3Il1pagne et vivaient l)rès cle nOl1Sà 'TersaiJles, où 1\1. Surville étajt Î11-
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gé11ietlr (lu cléi1arteme11t de Seine-et-Oise. I-Ionoré, âgé alors de près de vingt-neuf ans, n'avait plus qlle des dettes et sa plume seule pour les payer, cette plume à laqllelle personne ne reconnaissait encore de valetlf ; chacun le tenait en outre pOlIr incapable, titre fllneste qui prive de t.ont'appui et achèv"e si souvent le natlfrage des infortunés. C'était nier ce jugement si sûr et si rapide qu'il!)osséd'ait sur les hommes et sur les choses. Cette négatio11 l'exaspérait plus que celle qlli portait StIr son talent ~t CllIÎrésonnait autollf de lui, lnême après les prelIves brillalltes qu'il a'7ait faites. Quelques-ulls de ses anlis le iOllrmentèrent certaine11lent plus qlle ses nombreux ellnelllis. I.Jespremiers lui demandaient, après la PlI)jlication de Louis Lambert, dl1 jJJ'édecil~de campargne, etc.: - Ell bien, Balzac, qlland nous fere-z-vous quelque œllvre cal)itale ? Balzac n'était à leurs yellx Qll'U11esprit léger, UIlmÎl1ce autellf de rOfi1ans, et non un
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B.A'LZA.C
homnle sériellx, titre qui impose tallt à la foule! S'il eût écrit quelque gros livre, si savant que très pell ellssent pu le comprendre, tout le Illonde eût été plein de respect pour lui. Ces gens, pell d'accord avec eux mênles, tOllt en déplorant la légèreté des œuvres de mon frère, le taxaient en même temps d'outrecuidance quand il se perlnettait de toucher à de graves sujets dans ses p~etits livres, et l'en avertissaient paternellemellt.
-
-
-
Pourquoi
aborder
les hautes
questioI1S
pllilosophiques 011 gouvernementales? 1lli disaient-ils; laissez cela 311X.nlétaph~Tsiciens et allX économistes; vous êtes ul1110mnled'imagination, on vous l'accorde; l1e sortez pas de votre spécialité. Un romancier n'est pas obligé d'être tl.fisavant ou ulllégislateur. Ces discours, répétés SallS tOlItes les formes, lui causaie11t de gr'andes irritations; il s'indjgnait surtollt de se sentir froissé par ceux (lui ne comprenaient pas sa force, et sa colère en redoublait.
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Il fatldra qt1eje meure, disait- il an1èrement, pour qu'j]s sachent ce que je ,taux! Et pOtlrtant de pareils aveuglenlents n'étonneront IJersonne; cellX qui ont connu l'enfant le voie11tlongtemps dans l'homme, et la stlpériorité coûte tant à accorder à celui qU'Oll a longtemps dominé et qui vous domine à son tOl1t~,qu'à peine est-on forcé de lui reconnaître 11ne qualité, 011 s'empresse de nier tOtltes les atltres; une spécialité n'est-elle pas Sllffisanle, d'ailleurs, pour un hOlnme? il y en a tant qui n'en ont 1)a8! Balzac avait-il ]a prétentioll d'être universel? Une telle au(lace n1éritait répression, ses alnis ne s'y épargnaient pas. Et COlllnle il lellr était facile cIe persuader à tous qu'a,Tec son ilnagination, rnon frère ne pOllvait avoir de jugement! La réullion de ces deux qu'alités si contraires n"est-e]le pas lll1Bexception fort rare, et les deux désastres cOlnmercÎallx d'Honoré ne semblaient-ils pas leur donner gain de callse? Si je IJarais at.tacher de l'Îlnportance à des opinions (llli n'en ont aUCll11eaujollrd'}luÎ,
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BALZAC
c'est qu'elles composèrent ]es 11etitesmisères (le cellli dont je raconte la vie. Mon frère, froissé sans cesse par ces injustices, ne s'abaissa plus à expliqller ni à défendre ses idées et ses actions, qu'on prit l'habitude de bJâlner sans les comprendre; il Inarcha seui vers son but, sans encouragelllents 11ia'pf>lli, dalls une voie que ses deux désastres avaient remplie de ronces et d'écueils! Quand il allra atteillt ce but, c'està-tiire conquis sa renolnmée, c'est à qui criera ]e pIllS Ila (It:
-
Quel talent! je l'êlvais deviné!...
~Iais Balzac ne sera plus
là pOllf
rire de
ces palinodies et pour jouir de ces répal'atiollS tardives! Ces souvellirs Ill'ont entraînée; je reviens à l'année /18'27, au moment où Inon frère (Illittait l'ill1primerie et louait une chambre rlle de TOUfllOI1.1\1.de LatOtlClle était son voisin; il s'éprit pOlIr mon frèr'e d'ulle amitié qui s'é\ranouit bientôt, il clevint 11llcIe ses ennemis les plus acharnés.
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Honoré COl11posait a~ors Zef'}ChOI(al~S, preInier ouvrage ({u'il signa cie SOlInOlll; accablé de tra.vail, il ne paraissait pIllS à Versailles. Nos p.arents se plaignaient cle S011a])arldon ; je l'avertis de ces plaintes. Ma Jettre arri,Ta sans dOllte dans lIn moment cle gra11de fa~tiglle, car lui, si patient et si dOllX, ~Trépondit ,avec alnertume
:
« Ta lettre m'a donné del]X détestables jours et deux détestables nuits. Je ruminais ma justification de POillt en point, comme le mémoire de Mirabeau à son père, et je m'enflammais déjà à ce travail; mais je renonce à l'écrire, je n'ai pas le temps, ma sœur, et je ne me sens d'ailleurs aucun tort!... ») On me reproche l'arrangement de ma chambre; mais les meubles qui y sont m'appartenaient avant Ina calastrop]}ü! Je n'en ai pas acheté un seul! Cette tenture de percale bleue qui fait tant crier était dans ma chambre à l'imprimerie. C'est Latouclle et nloi qui l'avons clouée sur un affrrux papier qu'jl eût faIllI changer! IVIeslivres sont mes outils, je ne pllis les vendre; le goût, qui met tout cl1ez moi en harmonie, ne s'acllète pas (malllellreusemcnt pOLIrles riches) ; je tiens, DlI Sllr-
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plus, si peu à toutes ces c11oses,que si l'un de mes créanciers veut me faire meltre secrètelnent à Sainte-Pélagie, j'jr serai plus lleureux, ma vie ne me coûtera rien, et je ne serai pas plus prisonnier que le travail ne me tient captif chez moï. )
Un port de lettre, Ul1omnibus sont des dé-
penses q\le je ne puis me permettre, et je ne sors pas pOlIr ne pas user d'habits! Ceci est-il clair? » Ne me contraignez donc plus à des voyages, à des démarches, à des visites qui me sont impossibles, n'oubliez pas que je n'ai plus que le temps et le travail pour riehesse, et que je n'ai pas de quoi faire face aux dépenses les plus minimes. » Si vous songiez aussi que je tiens tOUjOtlfS forcément ]a plume, vous n'auriez pas le cOlIrage d'exiger des correspolldances! Écrire quand on fi le cerveau fatigué et l'âme remplie de tourments! Je ne pourrais que vous affliger; à quoi bon?.. VOlISne comprenez donc pas qu'avant de Ille mettre alt travail, j'ai quelquefois à répondre à -sept ou huit lettres d'affaires? » J'ai encore une quinzaine de jours à passer sur les Chouans; jusque-là, pas d'Honoré; autant vaudrait cléranger le foneleur pendant la coulée. ») Ne me crois aucun tort, c11èresœur; si tu Ille donnais celte idée,j'en pcrdf'ais la cervelle. Si IlIOl1 père était rualade, tll m1avertirais, n'est-ce pas?
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Tu sais bien qu'alors aucune considération llumaine ne m'empêcherait de me ren,'lre près de lui. ») Il
faut que je vive, ma sœur, sans jamais rien
demander à personne; il faut que je vive })ou>rtravailIer afin de m'acquitter envers tous! MesChouans terminés, je vous les porterai; mais je ne veux en entendre parler ni en bien ni en mal; une famille, des arnjs sont incapables de juger l'auteur. » Merci, ~11ercl1ampion dont la voix généreuse défend mes intentions. Vivrai-je assez pour pa~Yèr
aussi mes dettes de c;:pur?.. » A q11elques jOtlrS de cetle lettre, j'en recevais une seconde, qlle je transcris, parce qu'e]le peint 5011 caractère. Deux écrans manquaient à l'arrangement de cette chan1hre qui lui avait valu des reproches! IL les désire comme il clésirait jadis dans sa lnansarde le l'f([cite de son père. « A11! Laure! si tu savais comme je raffole (mais motus) de deux écrans JJleus bro(lés de noir (toujours motus) ! ») C'est au milietl de mes tourments un l)oint sur lequel revient t.oujours ma pensée! Alors j'ai dit: Je vais confier te désir à sœllf I...aure. Quand
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j'aurai ces écrans, je ne pourrai rien faire de ma uvais!Ntaurais-je pas toujours sous les yellx ]e souvenir de cette sœur si induJgente.., pOtIrses pensées, si sévère pour les miennes? » Les dessins, comme lu vo\]dras, ce serait je Inesais quoi, que je les trouverai tOlljours jolis, puisqu'ils nle viendront de mon alma soror 1... »
Il est interrompu par l'annonce de mau'vaises nOllvelles ; il me raconte ses 110l1veaux {'11agrinsa'lec la pItts chaleuretlSe éloquence et tern1ine par ces deux lignes: « ToujOtlrS mes écrans; j'ai p1u'sbeSOi11encore
(}'une petite joie au milieu de te]s tourments!... » Les (~lloua'l~sparurent. Cet ollvrage, imparfait alors, et 3l1qllel il relnit depuis ses tOllches magistrales, révélait néanmoins déjà tant de talent, (l'l'il attira l'attel1tion clu puJ)lic et celle cle la l)resse, Llui fut d'aborcl bienveillante pour llli. Encouragé par ce prel11ier Sllccès, il se relnit avec ardeur au travail et éc-rivit Catherine de Médicis. l\fênle retraite, nlêmes plaintes de mes parents, l11êmeavertissen1ent cIe fila
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part. COl1tent l)Cllt-êlrc cIe SOl1travail cluancl ma lettre arrive, il file répOlld cette fois StIr lIn ton enjoué: « J'ai sous les yeux vos gronderies, madame; jl vous fall! encore, je le vois, quelqlles rensejgnemonts sur le pauvre délinquant. » Honoré, chère sœur, est un étourdi criblé de dettes sans avoir fait une seule bamboche, prêt quelqtlefois à se frapl1er la tête contre le mur, <1uoiqu' on ne lui accorde pas de tête!... ») Il est en ce moment prisonnier dans sa cllambre avec un duel sur le corps; il faut qu'il tue UIie demi-raIrJ8 de papier et la transperce d'une encre assez passable pOtlr mettre sa bourse en joie et liesse. » Cet étourdi a du bon; 0111edit insouciant et froid, ne le croyez pas, sœur chérie, il a un cœur excellent et il est prêt encore à rendre service à chaCUll,si ce n'est qlle n'ayant pas crédit chez messer Cltaussepied, il ne peut plus courir comme jadis pour les uns et pour les autres; on le lui impute il mal, comme on crÏait après Yorick pour avoir ne]leté le brevet de la sage-femme!... ») En fait de tendr3sses, il est en fonds et sûr de rendre au double tout ce qu'il recevra; mais il est
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ainsi fait, qu'un mot sévère ou blessant efface tOllt ce qu'jl a de joie en l'âme. tant il est suceptible j)our tout ce qui est délicatesse de sentiment. lllui faut des cœurs qui sachent vivre à la grande, qui cOlnprennent l'affection et ne la fassent pas consister en visites, cérémonies, souhaits et autres fariboles de ûe genre; il pousse la bizarrerie jusqu'à recevoir un ami qu'il n'a pas vu depuis longtemps, comme s'il était \7enu la veille. »)Cet étourdi peut oul)lier le filaI qu'on lui a fait, jamais le J]ien! Il le grav~rait SUi l'airain si son cœur en contenait! »)
Quant à ce que les indifférents peuvent pen-
ser et djre de lui, il s'en soucie comme du sable qui s'attache à ses pieds! il tâche d'être quelque chose, et quand on bâtit un m011un1e11t,on s'inquiète peu de ce que les effrontés écrivent sur les l)arrières. »)
Ce jeune }lom111e,tel q1leje vous le dépeins,
vous aime, CIlère sœur, et ces IflOtsseront compris
Je celle à (lui je les adresse. » l\fon frère passa les prell1ières a11nées cIe sa vie littéraire, all miliell d'a11goisses pIllS gral1des encore (lue celles ([u'il avait él)fOll,~ées clans cette rue (les lVIarais Saint-Ger-
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Inain, devant laqllelle il ne passait jal11ais sans soupirer, en songeant qne là avaient cOlTImencé ses malheurs! Sans sa )foi ell Itl1 et l'honnellr
LA COMÉDIE HUl)IAINE !
Il lll'avolla qtle, dans ce tem})s, il avait été saisi 'plusieurs fois d,e vertiges et de tentations semblables à celle qu'il a donllées all héros de cette œuvre sj remplie de jeunesse et de talent qu'il appela la Pe{tu de ch,agri'n. Quelles alnertumes et quelles déceptio11S en tOllt genre ne dut l)as connaître celui qui formulait les pensées suivantes dans ses dernières années: « On passe la seconde mojtié de la vie à fallcher ce que l'on a laissé pousser 'en son CŒurdans la première; c'est ce qu'on appell~ acq\.1érir l'ex, . perlence
,.. ..
»)
Et celle-ci plus alTIère el1core : « l..es belles âmes arrivent difficilement. à croire aux n1auvais sentiments, à la trahison, à l'ingrati-
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tude, qual1d leur éducation est faile Cl1ce genre; elles s'élèvent alors à une ir.dulgence qui est peut-être le dernier degré de mépris l)ûur 1'11Umanité I...
S'jI11'était pas retourné, après son désastre, ùans qllelque l'et! aite selnblal)le à celle (le la rue Lesdiguières, c'est qu'il savait Clll'à Paris on spécule sur tOllt, 111êlneSllr la Dlisère !
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Dal1SlIn grel1ier, me disait-il, 011ne me o011nera rien de n1es œtlVres. Ce lllxe qll'il affecta, (IU'011a tant blâmé et si fort exagéré sur'tollt, flIt donc un llloyen (l'obtenir {ln lneillellr l)rix de ses livres. l\lon frère, entl10usiaSlné de Walter Scott, ~qll'il admirait alItant pOlIr SOl1talel1t que IJour l'habileté avec laquelle il SlIt obtenir et conserver Je succès, voulut d'a]Jord faire C0111melui l'llistoire des Inœurs de sa nation el1 ]a prenal1t à ses phases principales; les £~hott{lnS,Ca,fheril1,ede Jlfédici,fj qllÎ Sllivit cc 11r'emierOll\'rrage, télnoignent de ce dessein, clll'il explique d'aillellrs clans le préaml)llle
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de Cathe'ri-ne (un de ses plus beaux liv'res, (lue peu de personl1es cOl111aissent et qllÎ prouve à qtlelle l1auteur Balzac se fût pJacé comme historien). ]1 abal}donna ensuite ce pren1ier projet et se borna à peindre les Inœurs cIe SOI1époque dont il- voulait plus tard éCI"ire 1'11istoire. Il intitula ses œuvres: ÉTUDESDEl\IOEURS, et les (livisa en séries : ~Scèl~esde la vie prtitéede la vie de ca'Jnpclgne- de let 1Jie de p1~O1Jince- de la vie pctrisiel~l~e, etc., etc-. Ce ne fl1t que vers 183:3, lors de fa Pllblication de son _M"édecil1de cll1npagne, q{l'il pensa à rclier tous ses persol1nages pour en for'mer lIne société complète. Le jour où il fut illllnliné de cette idée fut Uflbeau jour pour lui! Il part de la rue Cassi11i, où il a]la (lemeurer en quittant la rue de TOllrnon, el accourt au faubollrg Poissonnière qlle j'!1ahitais alors. -
Salllez-n1oi, nous dit-il joyeuselnent,
cal' je suis tout b01111enlel1ten trail1 (le clevenir {ln génie!
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Il nous déroule alors son plan qui l'eJfr'ayait bien un peu; quelque vaste qlle fût son cerveau, il fallait du temps p01.1ry emménager ce plan-là! - Qlle ce sera beau si je réussis! disait-il en se promenaI1t par le salon; il ne pouvait tenir ell place, la joie resplendissait sur tous. ses traits. Comme je me laisserai tranqllillement trajter de {ailieu'r de no~tvelles à présent., tOllt en taillant n1es l)ierres! Je me réjouis d'avance de l'étonnement des myopes quand ils verront le grand édifice qu'elles formeront! Ce tailleur de pierres s"assit alors pour parlercle son œllvre toutà sOllaise; il jugeait avec impartialité les êtres imaginaires qlli la composent, malgré la tendresse qu'il portait à tous. - UJ~tel est un drôle et 11e fera jan1,ais rien de bon, elisait-il. Tel a'utTe, grand travailleur et brave gar<;on, deviendra riche et son caractère le reI1dra heureux. Ceux-ci ont fait b:en des peccaclilles, mais ils ont \Jne
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telle intelligenee, une telle connaissance des hommes, qu'ils arriveront forcénlent aux régions élevées de )a société. - Peccadilles! tu es bien indulgel1t. - On ne les changera pas, ma chère; ce sont des sondeurs d'abîmes, mais ils sauront conduire ]es autres. Les gens si sages ne sont pas toujollrs les meilleurs pilotes: ce n'est pa~sIna faute, à moi; je n'inve11te pas ]a natllre humaine, je l'observe dans Je passé et le présent, et je tâche de la peindre telle qu'elle est. Les imposttlres en ce genre ne perstladent personne. Il nous contait les nouvelles du 1110nclede LA COMÉDIEHUMAINECOlnll1e on raconte
celles
du monde vérita))le. Savez-vous qui Félix de Vandenesse épouse? Une demoiselle de Grandville. C'est un ex/cellent mariage qu'il fait là, les Gr-andville sont riches, lnalgré ce qtle l\ll1ede Bellefeuille a coûté à cette famille. Si cIllelqtlefQis nous lui delnandions grâce pour lIn jeuI1e hOIlllle en train de se perdre
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ou pour 11ne pauvre feIl1ll1ebielll11alht;urel1SC tlont le triste sort 110U8intéressait:
- Ne m'étourdissez pas avec vos sensi})leries, la vérité avant tout; ces gens-là SOllt faibles, inhabiles, il arrive ce qui doit arriYer, lant I)is pour eux. -l\tIa1gré sa jactance, lellI' clésastre 1lli faisait bier} atlssi lin pel1 de chagTin! Un des an1is elll elocteur 1\linoret (le capit.aine de Jord-y), excitait notre curio-
sité. MOl1 frère n'a rien dit de sa vie, maïs tout porte à croire qu'il a éprollvé de grandes infortunes; 110USlui demanclâmes des rel1seigrlen1ents. - Jo Il'aÎ pas connu 1\J. de Jordy avallt SOIlarrivée à Nenlours, ll0USré1)o11eli t-il. Je, ])rodai lIn jour tIn ~"omanSllr son passé, elle contai à Honoré. (De telles préoccupations ne 1llidéplaisaient pas.) - Ce que tu dis est possilJle, el ptlÎsque lVI.de Jordy vous intéresse, je til-erai cIllelque jour cette 11istoire £1clair. Il cl1ercha I011gtemps ll11parti 'pour l\tIlleCa-
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n}ille de Gran(lli-ell, et rejetait tOllS cellX que nous lui proposions: « Ces gens
ne sont pas de la même société,
le 113sard seul pourrait faire ce rnariage et nous ne devons l\Ser CItlefort sobreme11t (Ill 11asard dans nos ]ivres : la réalité sellle justifie l'invraisemblance; on ne nons pern1et clue
le possible, à nous alltres!
»
Il choisit e11finle
jellne comte de Restalld pOlIr'1\11lede Gran(llien, et recomposa à ce slljet la très-adn1irable histoire de Gobseck, où la plus hal1le nlor-ali!é se trouve dans les faits et 110ndarls les paroles. Comnle les mères s'attachent aux enfarlts malheureux, mon frère 3\7ait lIn faible pour ceux de ses ouvrages qlli avaient eu le lnoins de succès. Il était jaloux pOLIreux de l'éclat (les a\1tres. Ainsi les IOllanges llniverselles clollnées à E~îtgénie Grclltdet av~aient fini par le refroidir pour cette œuvre. Qlland nous le grondions de cette injustice: - Laissez-moi donc! Ceux qui m'apl)elleI1t le pè!f'le d'E~llgél~1.e Gra.ndet velllent
m'an1oÎn-
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drir; c'est certail1elIlen t lID c11ef-d'œuvre, nlais un petit chef-d'œuvre; ils se gardent bien de citer les grands!... i\rrivé à l'impression de son édition compacte, il l'intitula LACOMÉDIE HUMAINE, grande décision qui lui c011ta bien des hésitations. Lui, toujours si résolu, tremblait C!ll'Onne le traitàt d'audacieux; cette crainte paraît, dlI reste, dans la belle préface dOllt ill'accompagnaeL dontje>11epeux lire la fin sans attendrisselnent; il Y fut 'malheuretlSement prol)hète, il ne (levait pas achever cett.e œuvre tant aimée. C'est alors qu'il y associa tOllS ses amis ell dédiant à chacl1l1, li11des livres (lui la composent. I..3liste de ces dédicaces prouve qu'il fut ain1é d'lIn grand nombre de nos illustrations contenlporaines. De 1827 à 184.8, mOl1frère p\lblia cluatrevingt-dix-sept ouvrages formant clix mille 11\litcent seize pages de cette édition com})acte, qlli triplent au llloins celles des in-octa\'o ordinaires de la ]ibrail'-ie. J'ajouterai qll'il écrivit cette énorlne quantité de VOlll-
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mes sans secréraire ni correcteur d'épreuves. La liste de ces 01.1Vfages,avec la date Qll'il leur assigna après les a\roir relnaniés, pelIt seule faire comprendre la valeur de ses travaux, car l)eu de lectelll's ignorent !'in1portance de ces livres. 1827 (Fin de.) Les Chouans. 1828. Catlterinede Médicis. 1829. La Physiologie du 1nariage, Gloire et 1nalheur, le Bal de Sceaux, il 1Terlugo,la 1830.
1831.
1832.
1833.
Paix d,uménage. ~ r .La Vendetta, une Double l?aln-ille,Etude de femme, Gobseck, autre Étude de femme, la Grande Bretèche, Adieu, l'Élixir de longue-vie, Sarrazine, la Peau de chagrin. Mada11'te Firlniani, le Réquisitionnaire, l'A uberge rouge, iff aître Corné h.us, les Proscrits, un Épisode so-usla Terrettr, Jésus-Christ en Flandre. La Bourse, la Femme abandonnée, la Gre1~adière,le Message, les ltIarana, Louis Lambert, l'Illustre Gaudissart, le colonel Chabert, une Passion dans le désert, le Chef-d'œuvre inconnu, le Curé de TOllrs. Sél'.apltita, Eugénie Grandet, }1"'erragus,le Médecin de Cttlnpagne. 6.
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DALZ.4C
1834. Un Drame a>ubord de la rner, fa Duchesse de Langeais, la Fille aua' yellx d'011, le Père Goriot, la Reche11c/zede l'absolu.
1835. Le Contrat de n'tariage, la l?elnlne de trente ans, le Lys dans la vallée, J.tIeln~othréconcilié. 1836. La Vieille Fille, l'Enfant !Jnaudit, Faci110 Cane, la Mess-ed-el'Athée, l'Interdiction. 1837. Le Cah18n,et des antt8ques, la maison NUC1811gen_,Gambara, César Birotteatl.
1838.
Unie f""ille d'Eve,
les E111ployés,
Olt la Fe1nlne
supérie1tre. 1839. Pie1~re Grassoll, les Secrets de la princesse de Cadignan, jtJassilnila Doni, Pierrf!tte.
1840. Z. Marcas, la ReVUBparisienne. 1841. ltlé1noires de dell.r jeurtes mar18ées, Ursllle lJtlirou€'t, Ul1e Ténébreuse Affaire.
18'42. La ]?allsse 1J'laî!resse,_Albert Savarus, 'un Début dans la ~ie, un Ménage de garçon., ou les Deux Frères. 1843. Honorine, Splendeurs et 1J;J18sèresdes ccurtisanes, Illusions perdues. 1844. Blatrt8x,1J;lodeste Mignon, Ga'udissart JI. 18~.5. Un P1"ince cIe la bohême, E s-quisse (1'h01nme d'affaires, En/vers de l' histo18recontelnporaine, le Cllré de village.
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1846. Les Comédiens sans le savoï-r, les Pare1~ts
pauvres. 1847. Les Paysans. Ses dOtlZe l)rerniers r0l11anS, ses COÎ~te~~ dtrôlatiques, ses travaux dans la Chrol~ique de Paroi_y, dans la Pressepari(~ieJ~ne, son Thédtre, la Monographic de la presse, les Petites lJli.~ère~~de la '/)ie c01~j~/;gale,la Théof1:e de Zll démclrrche,les articles publiés dans le A/usée des Familles, dans les Français peints plll~ eux-mi!mes, tels que le Petit Rentier, l'.E:picier, ceux pllbliés dans les Animaux, édités par Hetzel, ne sont pas compris dans celte nomenclature, et j'en oublie sans cloute encore. Quelqlles détails StIr l'origine de quelques n10ts de ses Œ11vresoffriront })eutêtre de !'iI1térêt. Le sujet de l'Atluerge 1~uge, histoire véritable, quoi qll'on en ait dit., lui fut donné par lIn aI1cien cllirul'gien des armées, ami (le l'homme clui fut condamné i-l1justelneI1t. "MOllfrèl~e n'ajouta que le (]énolIll1ent. Le rOlnaI) de Q1tert,[i1~D1.lf'lfClt-ll,c{u'on ad-
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Inire surfout dans ce qui est historique, causa une grosse colère à Honoré; contraireInent à la fOllIe, il trouvait que 'Valter Scott avait étrangelnel1t défigllré Louis XI, roi encore 11131conlpris, selon lui. Cette colère lui fit composer Ma,ltre C01f11~élil1IS, ollvrage où il l11etLOllis Xl en scène. Les Deux Ptoscrits, qu'il écrivit après l'étude approfondie des œllvres de Dante, COlnme un 110mmage renclll à ce puissa11t génie, SOftent. également du plan qu'il avait adopté. UJ~Épisode S01/;8la Terreur (article qtli l)artlt d'abord dans un keepsake) lui fut racon té par le sombre 11érosde cette histoire. Mon frère clésirait voir Samson, l'exéctlteur des hautes œuvres. Savoir ce que pensait cet homme clont l'âme était si remplie de sanglants souvenirs, apprendre comment il envisageait SOl1terrible état et sa 'vie misérable, c'était une étude qui devait le tenter. ~I. A..., directeur des prisons, avec qui JllOn frère était lié, lui ménage
u~ne entre-
vue. Honoré trollve tln jour chez M. A... tln
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110IDmeIJâle, à figure nol)le et triste; sa mise, ses manières, son langage, son instrlIction le lui font prendre pour quelque savant attiré par la même clJiriosité qll,e lui. Ce savant était .Samson J... l\lon frère, averti par M. A..., réprÎlne tOllt étonnelnent toute répulsion, et a mène l'entretien sur les sujets qui l'intéres sent. Il attire si bien la confiance de Samson, 'que celui-ci, entraîné, arrive à peindre les souffrances cIe sa vie. La mart de Louis XVI lui avait laissé des terreurs (jt des remords de criminel (Samson était royaliste). Il fit dire pour le roi, le lendemain de l'exécution, la seule messe expiatoire qlli fut peutêtre célébrée à Paris ce jour-là!... Ce fut aussi la conversation que Inon frère ellt avec iJlart'in, le célèbre dornptellr d'aniIllaux, à l'isslle d'une de ses représentations, qui lui fit cOlnposer l'article intitlIlé: une Pa.ssion dalLs le dése1"t. Séraphita, cette œuvre étrange qui seI11ble la traduction d'lIn livre allemand, lui fut an&pirée par une -amie. Notr-e mère lui vint 4
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en aide pour les 1110yens d'exéclltioll. Ma 111ère,fort Occul)ée d'idées religiellses, lisait. alors les nJystiqlles et les a\lait collectiollnés. Honoré s'empare des œuvres de Saint-Martin, de Swedenborg, de l\ll1eBOllrignon, (Je MmeGllyon, de Jacob Boellm, qui formaient pIllS de cent. volumes, et les dévore. Il lisait comme d'autres fellillettent, et cependallt s'a"ssimilait tout ce qu'il y avait d'idées dalls t1n livre !...If se plonge dans l'élude du somnambulisrne et du nlagnétisme, qui se reliel1t au mysticisme; et fila mère, ardente atl merveilleux, lui f01.1rnitencore les occasions de ces études: elle connaissait tous les magnétisellrs et les somnalnbules célèbres de cette époq\le. Honoré assiste à qllelqtleS séances, s'entllonsiasme IJour ces facultés inexplicables et les phénoInènes qu'elles proclllisent, tr'oll'7e' à ces facultés !)lllS d'extensioll qu'elles Il'el1 ont, l)etlt-être, et compose .Séraphita SOllS l'iInpressio11 de ces idées. Mais elnporté p.ar ]es nécessités de sa ,Tie,
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{lui ne lui IJermettaient d'éerire d'alllres livres qtle cellX qllÎ plaisaient au public et qlli se yen.. liaient, il ~e\Tjnt 11ellreusemenl au réel et fut arracl1é de ces lnéd'itat.ions métaphysiqlles (IlIÎ eussent peut-être égaré celte- grande intelligence, car elles en GIlt perdll plus d'une. Il allt abréger (les détails qui paraîtront trop longs l)eut-êtl~e et qlli 111econdttiraient à apprécier des œuvres que je ne pllis juger. Je Ille sens e-tfr-ayéeau sellI souvenir des travaux et (les évéJ1eme11tsentassés dal1s les ~vingtdernières années lie l'existence de mon frère. I11dé!JellClalTInlent de ses ouvrages, il avait à faire face à de 110In}JreUSCS correspondances (l'affaires, et à (l'allt{~esq{]l llli prellaie~nt encore l)llls de te1nps. Je trollve penc1ant ce laps tIe teJnps des v.oyages ell Savoie, ell Sarllaigne, el1 Corse, ell J\.lleI11agI1e, ell Italie, il
Saint-PétersJ)ourg, dans la RllssÎe 111éridio11ale, où il séjofrrna (lenx 'fois, sans €OITI])-' ter ceux t!u'il faisait (lallS l'-i[llérienr~-dè la 1~'J.:ance,partollt' où iJ plaçait ses .peTso:n~
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}1ages, ponr décrire fidèlement les villes Oll les campagnes où il les faisait vivre. En 'venant prendre congé de nous, il 110US (lisait: Je pars pour Alençon, pour Gre-
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noble, où "demeurent M 11~~Yormont..., kl. Be}~a!ss'ls.. .
L'impossible n'existait pas pOllr lui; il le prouva d'abord en,{rouvan t le courage de 'Tivre clans les premières années de sa vie littéraire, où il se pri\Ta plus d'une fois ell1 nécessaire afin cIe se procurer le~superflu, si utile, pour' ocoaper une place d>ans cette société qu'il voulait peindre! Ces temps me rappellent de si gr.andès angoisses, qlle je ne puis y revenir sa11Stristesse. De 1827 à 1836, mOl}frère ne put se SOlltenil~qll'el1 faisant des billets dont les éehéa11ces l'inquiétaient perpétuellement, car il n'y POllvait faire honneur qu'avec le produit de ses œuvres, et r'époque où il les ache,Tait était toujours incertaine. Après avoir fait a.ccel)ter et eSCOIlll)terces }.>illetsaux llsuriers., première affaire diffi-
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cfile, il fallait souvent les Jeur faire renouveler, soconde affaire pIllS difficile encore, et dont lui seul pouvait se charger, car d'al1tres ellssent échollé en cIetelles 11égociations, mais il fascinait tout le monde, même les llsurÎers. - Quelle dépense d'intelligence perdue! nOllSdisait-il tristement en re,-enant accablé de fatigue de toutes ces démarches qui interrompaient son travail. Il ne potlvait empêc]ler tOlllerois que les escomptes des uso.riers et les intéF,êts cumulés de ses obligations I)rincipales, lIe fissent ressembler sa dette flottante (comn1e il l'appelait dans ses jOllrs de gaieté) à la boule de neige qtli va tOlljOllfSgrossissant en roulant; cette dette augn1entait tellenlent en passant sur les mois et les années, que mon frère désespérait par ll10111entsde s'acquitter jamais-. De temlJs à alltre, l)our apaiser les plus Inel13çants (le ses créal1ciers, il faisait des prodiges ùe travail qui effrayaient les libraires et ]es illlprimellfs; les (lates les plus chargées de la liste que j'ai donnée, '1
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nous disent les années où il sOllffrit le plllS~ Ces travaux surllumains furent certainement une (les callses qlli abrégèrent sa vie. Dne grande comn1otion lllorale détermina ]a maladie- de cœur dont il rnollfut, mais elle n'eût pas marcl1é si vite si elle ne se fût pas développée dal1s un sang enflammé. Cet état d'anxiété dllra jusqu'à l'hellre des réimpressions, qui commencèrent à llli permettre cIe s'acqllitter partielleInent. Avec quelle joie il supporimait ql1elqlles chiffres de ce tel~rib]e état de situation qu'il avait tOUjOtlfSsous les yeux afin de stillluler sans cesse son courage. Après tant de travaux, quand donc aurai-je un sou à tlloi? me disait-il souvent; je le ferai certai11elnent encadrer, car il fera à lui seull'llistoire de ma vie. Quelqlles lettres des années 1832, 1833, 183!~et 1835, pendant lesquelles il voyagea, fero'nt miellx connaître la situation de son âme que tout ce qlle je pourrais dire. Elles sont écrites d'Angoulême, d'Aix, de Saché,
-
BALZA.C
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(le Marseille, de Nlila11.Les ouvrages dOI)t il y parle me guident pour en 3,ssigner la date, qui manque presql1e toujours à ses leltres. Angoulênle était la ville où vivait momentanément la fami] le C..., chez laquelle lllon frère allait souvent (le commandant C... y dirigeait la pOlldrerie). Une vive an1itié s'était établie entre mon frère et cette 11onorable famille en 1826, époque où j'habitais Versailles. 1\1.C.!t.était alors directeur des études à l'École militaire de Saint-Cyr... Je retrouvai avec joie sa femn1e, avec laquelle j'avais été élevée. Cette amitié fidèle et i11telligente fut UI1des bonhellfs de la vie de mon frère. Ses ouvrag-es signés d'Angoulême et lie Frapestes (terre que l\tfmeC... possédait en Berri), témoignent de cette profonde sYlupatl1ie. Saché est une belle propriété située à sept liell'es de Tours-; elle appartient à 1\1.de 1\1..., ami de notre famille. Honoré trouva aussi cbez lui en tOtlt temps la pIns noble hospitalité llnie à la l)lus C011stanteaffection. Il avait chez ces arnis la tranquillité qui ]llÎ n1311quait
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à Paris. Il écrivit là plusieurs ouvrages, notamment LO~tisLa.mbe.rt-,le Lys dans la vallée, la Recherche de l'clbsolu, et plusietlrS at1tres qui ne me reviennent pas à la méllloire. « Augoulènle... (Je crois que c'était en 1852.)
» Merci, fi1a sœur; le dévouement lies cœurs aimés nous fait tant de bien! Tu m'as renclu cette énergie qui m'a fait surmonter jusqu~ici les difficultés de ma vie! Oui, tu as raison, je ne m'arrêterai pas, j'avancerai, j"atteindrai le but, et tu me verras lIn jour cOlnpté parmi les. grandes intelligences de mon pays! ) Mais quels efforts pour arriver là! ils l)risent le corps, et la fatigue venue, le déco\lragement suit! ») LOllisLambert
m'a coûté tant de travaux! que
d'ouvrages il m'a fallu relire pour écrire ce livre. Il jettera l)eut-être un jOllr ou l'autre la science dans des vojes nouvelles. Si j'en avais fait une œtlVre purement savant.e, il eût attiré l'attention des penseurs qui n'~yjetteront pas les yeux. Mais si le hasard filet, un jour ou l'autre, Louis Lambert entre leurs mains, ils en parleront peut-être!... Je crois Louis Lambert Ul1beau livre! Nos amis l'ont admiré ici, et tu sais qu'ils ne me trompent pas!
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Pourquoi revenir sur sa terminaison? tu con-
nais la raison qui me l'a fait choisir! Tu as toujours peur. Cette fin est probable1 et de tristes exen)ples ne la justifient que trop: le docteur n'a-t-ilpas dit que la folie est toujours à la port-e des grandes int~lligences qui fonctionnent trop?.. » Encore n1erci de ta lettre, et pardonne au
IJ8uvre artiste ]e clécouragement q ni l'a rend ue nécessaire. La partie engagée, je\ joue si gros jeu! Il faut toujours progresse.r. ~Ies livres sont les seules réponses que je veuille jamais faire à ceux qui comlllencent à nl'altaquer. » Que leurs critiques ne te préoccupent pas.
trop; elles sont de bOllSpronostics: on l1e Lliscute pas la médiocrjté!... »)Oui, lu as raison, Ines progrès sont réels, et mon courage i.nfernal sera récompensé. Persuadele aussi à' ma mère, cllère sœur, dis-lui de filefaire l'aumône de sa patience; ses dévouements lui seront comptés! Un jour, je l'espère, - un peu de gloire lui 11nyeratout! PatlVre mère! cette imagination qu'elle m'a donnée la jette per11étllellcment du nord au midi et du n1idi au nord: de tels voyages fatigtlt~nt; je le sais aussi, lliOi! »_Dis à n1a mère '-Illeje l'aime comme lorsque j'étais enfant. Des larn1es me ga-gnent efl t'écrivant ces ligne~, larn1es de tendresse et de désespoir,
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car je sens l'avenir, et il me faut cette n1ère clévouée au jour du triomphe! Quand l'atteindrai-je? ») Soigne bien
notre mère, I..Iallre,I)our le pré-
sent et pour l'avenir. »)
Quant à toi et à ton mari, ne doutez jamais de
mon cœur; si je ne puis vous écrire, que votre te11dresse soit indulgente, n'incriminez jamais mon silence; dites-vous: Il I)ense à nous, il nous parle; entendez-moi, mes bons amis, vous, mes I)lus vieill~s et mes plus sûres affections! » En sortant de mes longues méditations, de mes lravaux accablants, je me repose dans vos cœurs comme daIls un lieu délicieux où Tien ne :Ine blesse I ») Quelque
jour, quand mes œuvres seront
cléveloppées, vous verrez qu'il a fallu bien des lleures pOlIr avoir pensé et écrit tant de choses; vous m'absoudrez alors de tout ce qui vous aura déplu, et vous IJardonnerez, non l'égoïsme de 1'11on1n1e(l'bomme n'en a pas), mais l'égoïsme du penseur et dll travailleur. ») Je
t'embrasse, cllère consolatrice qui m'aI-)-
portes l'espérance, baiser de tendre reconnaissance; ta lettre m'a ranimé; après sa lecture, j'ai poussé un hourra jOtyeuxet crié: ») En
avant, troupier! jette-toi en travers dal1s
la 118taille! »)
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011 compren(lra les émotiol1sqtIe Ine callsaient de pareilles lettres! Dans LÜlu/isLambert, lTIOnfrère, pour faire passer qlIelques idée~ qlIi n'étaient pas encore ~lcceptées~ se crut obligé de les Inettre sous ]a sauv,egarde de la folie. « Encore, me disait-il, n'ai-je pas osé leur
(lonner toute l'extension que je leur vois!
'»
Louis Lambert se demande si l'-électricité n'entre pas corome base dans le fluide particlIlier où s'éla}Jorent et d'où jaillissent nos pensées? Il voit dans les 1)e11SéeslIn système con1plet, selnblable à l'ul1 des règnes de la nature, une sorte de floraisol1, une botanique céleste dont le développell1ent passera pel1têtre pour l'ouvrage d'un fou!... « Oui, tout en nous et 110rsde 110115,dit Louis Lambert, atteste la vie de ces créations ravissantes qtle je compare à des fleurs, pour obéir à je 11e sais quelle révélation de leur nature. »
NIan frère revient, dans I,lusie1lrs de ses ollvrages, StIr ce sujet de lnéditations; dans
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la Peau lle ch_ag1~iJ1, entre 311tres, il analyse la llaissarlcP, la vie Ot1 la n10rt de certaines pensées, une des pIns ravissantes pages de cett.e œuvre. Louis Lambert trouvait les idées et les sentin1cnts doués de certaines propriétés de lanatllre pllysique, de mouvement, de pesanteur, etc., et le délllontrait par quelcll1es exel11plesjt
» L'attente, dit-il) n'est si douloureuse que parce que la souffral1ce passée s'additionne sans cesse à la souffrance présente et produit une pesanteur qui oppresse l'âme. » La peur, ce foudrCJiementintérie.ur semblable
aux accidents électriques (si bizarres et si capricieux dans leurs nlocles), la peur, qui presse si violemment la machine llumaine, que les facultés J' sont soudainement porlées soit au plus ]laut {Joint de la puissance, soit au dernier degré de la désorganisation, ne trDuvera-t-elle pas l'application deses effets quand les savants auront reconnu le rôle immense que joue l'électricité dans nos pensées? ... ») La colè1--e n'esl-elle pas aussi un courant de la force l1umaine qui agit électriquenlent? ») Sa commotion, quand elle se dégage, 11'agit-
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elle pas sur les personnes présentes, ulême sans qu'elles en soient le ]Jllt ou la cause? » A quoi, si ce n'est à une pllissance électrique, attrÎbuer la magie avec laquelle la volonté s'intronise si majestueusement dans les regards, éclate dans la voix (courant de ce roi des fluides) pour foudroyer tous les obstacles au commandement ,. ') I genIe.... cu »)
Les idées, les sentiments
sont des forces vi res,
et ces forces ctlez certains êtres deviennent des fleuves de VOIOlltéqui entraînent
tOllt!
)
D'autres exemples viennent encore à l'al)pui : il parle dll fanatisme cIela foi qui enfal1te les miracles. Louis Lambert clit el1core : « Les événements qlli attestent l'action de l'humanité ont des causes dans lesquelles ils sont préconçus, comme nos actions sont acconlplies clans notre penséè avant de se prodllire au dellors! ») Le" faits n'existent pas, il ne reste de nous que des jdées. »)
Je borne là mes citations; je n'ai 'TOllIll que prollver ce que j'ai avancé: le livre seul pelIt faire apprécier la halltel1f de cet esprit 7.
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si ardent à chercher la solution (les questiol1S qlli occupent le plus les l)enseurs !... Mais reven011S aux réalités de la vie, et voyons si cellli-Ià savait juger les cl10ses -humaines qui, en 184.0, faisait ai11si parler z. ~Iarcas, dans un n\lJ11éro de la Revue par~s~en1~e
:
« Je ne crois pas que la forme actuelle du gOll-vernement subsiste dans dix ans, dit z. ~1arcas; la jeunesse qui a fait aotît 1830, et qu'on a oubliée, éclatera comme la cllaudière d'une machine à vapellr. La jeunesse 11'a])USôlljourd'hui d'issue en Fral1ce, elle y amasse U110avalanclle de capacités méconnues, d'ambitions légitin1es et jnquiètes. ») Quel sera le bruit qui ébranlera ce3 masses? Je ne sais; mais elles se précipiteront sur l'état de choses actuel et le bouleversero11t. ») Il
est des lois de fluctuation qui régissent les
populations. L'empire romain les avait méconnues quand les barbares arrivèrent. ))
Aujourd'llui les barbares sont les intelligences.
Les lois de trop-plein agissent en ce monlent lentenlent, sourdement autour de nous. Le- gouvernemel\t...méconnait la p\lissance à qui il doit tout. Il s'est laissé lier les mains par les absurdités du
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contrat; il est tout 11réparé comme U11evictime. » Louis XIV, NarJoléon, l'...~nglelerre, étaient et sont avides de jeunesse intelligente. En France, la jeunesse est condamnée à l'inaction par la légalité nouvelle, par les conditions mauvaises dll priIlcipe électif, par les vices de la constitution ministérielle. ») En
examinant ]a conlposi1ion de la Chamt.Jre
élective, vous n'y trouvez pas de déplltés de trente ans. La jeunesse de Ricllelieu, celle de Mazarin, celle de Colbert, de Pitt, dll prince de Metternicl1, de Napoléon, n'y trouveraient pas de place!... Burke~ Sheridan et Fox ne pourraient s'y asseoir!... On devine les motifs d'une circonstance à venir, mais on ne peut prévoir la circonstance elle-même. En ce mOUlent on pousse la jeunesse entière à se faire républicaine, parce qu'elle voudra voir daTIsla république son émancipation. Elle SBsouviendra des jeunes représentants du peuple et des jeunes généraux!... La France el1 état d'infériorité vis-à-vis de la Russie et de l'Angleterre!... la France au troisième rang!... On nous tionne la paix en escomptant l'avenir!... Les reClllades de la peur passent pour manœuvres d'habileté! Mais les dangers viendroI1t, la jeunesse surgira comme en 1790 I... Et vous périrez pour Il'avoir pas demandé à la jeunesse de la France ses forces et son énergie, son dévQuement et son
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ardeur; pour avoir pris en llaine les gens capables, pour ne les avoir pas triés avec alTIOUrdans cette
belle génération!
»)
Ces lignes, écrites all n10ment de la plus gr'ande prospérité du règne de Lou-is-Philippe, prouvel1t combien Balzac '~oyait loin et jugeait de 11aut. Mon frère, après Lottis La1}~berttermillé, partit d'Angoulême pour la Savoie. Je trou've d'Aix deux lettres que je Fuis donner, lIne écrite à Ina 111ère,UIle autre à IllOi. « Aix,1 cr »)Je SllÎS tOl11JJé dans
septem])re
l'attendrissement
1832.
le pIllS
profon
coup de nuits et fait un tel abus de café que j'éprouvais des douleurs d'estomac qui allaient jus-
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qu'aux crampes. Louis Lambert est peut-être un chef-d'œuvre, Inais il m'a coûté c}ler: six semaines d'un travail obstiné à Sacllé et dix jours à Angoulême. Pour le coup, certains amis me prendront l)eut-être lJour Ul1 110mme de quelque valeur. Je te renlercje clu fond du cœur de toutes les peines que tu prends pour me sauver les ennujs de la vie matérielle; ma tendresse toujours plus vive -n'est pas de celles que les mots expriment. Des travaux si opiniâtres seront peut-être couronnés par la fortune; je l'espère d'autant plus que je vois aujourd'!lui peu de talents sans récompense. Quant à la gloire, je commence à n'en 111ustrop désespérer non plus. »
Soigneta santé, ma mère,il faut que tu vives
pour que je puisse m'acquitter envers toi. Oh! comme jet' embrasserais si tu étais là! Quelle gratitude n'ai-je pas pour les bons cœurs quj arrac]lent quelques épines de ma vie et adoucjssent le chemjn par leur affection! Mais forcé de lutter sans cesse contre le sort, je n'ai pas toujours le temps pour exprjmer mes sentiments. Je ll'ai pas voulu toutefois qu'un jour se passât sans que tu snclles quelle tendresse tes derniers dévouements excitent en moi; on met plusieurs fois ses enfants au monde, n'est-ce pas ma mère? Pauvres c11érjps! vous aime-t-on assez? Ah! puissé-je te rendre un
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jour el1 bon}leur et en orgueil, par mon génie, tout ce que je t'ai coûté d'angoisses! »)
Je suis en grande veine d'inspjration et j'es-
père beaucoup travailler ici, où je suis tranquille. « ~Iais procédons mainte11ant par ordre aux affaires; tu vas voir de quel fardeau tu te charges, pauvre mère! « Je t'envoie le traité deM.Pichot,quetu sjgnera.s
.après l'avoir fait lire ou à 1\'1.Durmont cu à M. Labois, car j'ai la tête si chargée de pensées que je pourrais avoir omis quelque cllose. »)
Tu trouveras, jointe à ce traité, une lettre à
Nodier, qui est pour la Revue de Paris. Je voudrais que M. Pichot l'acceptât~ parce qu'elle varierait nos ar1icles ; comme elle est obligeante pour t.ous, je ne doute pas qu'il ne la prenne; dans ce cas, je n'aurais pas besoin d'épreuves, <1ut'en ferais donner pour collationner et retirer le manuscrit. ») Dans fila procllaine lettre, je te dirai par quelle voie il faut m'envoyer les épreuves (le la Revue des Deux- Mondes. » 11faut appaler du procè~sde la Physiologie du mariage, si les exenlplaires Dé sont pas retirés, en le faisant constater. ») Une personne qui part pour Paris te remettra (les manuscrits à porter à l\'lame. Tu lui diras qu'il
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aura pour février })roc!Jain les (;houans corrigés, s'il les réin1prime. Je fais par-délassement des eontes drôlatiques. J'en ai déjà trois d'écrits: j'en suis content. » Veille bien à tout cIlez moi, renvoie qui tu voudras, fais toutes les éc-onomies que tu jugeras possibles. }) Je travaille pour approvisionner la Revue de Paris jusqu'en décembre, et j'ai en tête les arth.. cles de janvier et de février, ils sont donc à ll10itié faits. })
)
Ne t'jnquièle pas de ma jambe. J'ai pris des
bains, l'escarre se forme. On m'avait retenu ici une jolie chambre qui me coûte deux francs par jour. Je fais venir mes repas d'un restaurant voisin. Le matin, un œuf et une tasse de lait; ce déjeuner revient à quinze sous. Le diner, à l'avenant. Vous voyez, mère, que si vous avez un fils un peu rêveur, il est au moins économe! » Je te serre dans mes IJras et t'emt)rasse sur ces
tIlers yeux qui veillent pour moi. » « Aix, 15 septembl e.
( Un souvenir à toi, ma sœur bien-aimée; au milieu de mes voyages, j'ai vu des pays délicieux; j'en verrai lie plus beaux encore peut-être; je veux que tu saches qu'ils ne peuvent te faire oublier.
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») De
n1a cl1an1breje découvre toute la vallée
rI'Aix ; à l'horizon, des collines, la hat1te montagne de la~Dent-du-Chat et le déHcieuxlac du Bourget; mais il faut toujours travaiJler au rnjliell de ees encJ1antements : ma Il]ère t'a dit que j'ai quarante pages à fournÎr par n10is à la Revue de Paris. ») Me voilà entre trenle et qllarante, chère sœur, c'est-tl-dire dans toute ma force; il faudrait mailltenant écrire TIleSplus beaux sujets qui doivent faire le courOllnement de mon œuvre; je verrai à mon retour si j'aurai la tranquillité qu'jl me faut pour aborder ces grands ou vrages. »
Mamère t'a dit aussi sans doute que j'a(man-
qué périr sous les roues d'une diligellce; je m'en suis tiré avec un accroc à]a jambe, Inais des bains et le repos la gllérissent. J'ai pu me faj~e'conduire: hier en voiture au lac. ») Je suis' aux portes cle,I'Italie et je crains de succomber à la tentation d'y entrer. Le voyage ne serait pas très-coftteux; je le fe:rais avec la famille Fitz- James, qui m'y dOIlnerait tous les agréments possibles; ils sont tOllSl)arfaits pour moi; je vo~ya.. gerais dans leur voiture, et toute dépense calculée, il en coûterait mille francs pour aller de Genève à Ronle. Mon quart serait donc de deux cent cinqunnte francs; à Rome il me faudrait cinq cents francs, puis je passerais l'hiver à Naples, mais pour
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ne pas toucJler aux recettes de Paris et les laisser pour les éclléances, j' écri rajs pour l\'Ialne leAlJ;/édecin de campagne, et ce livre pa:y-eraittout. » Je ne relrollverai jamais pareille occasion. Le
duc connaît l'Italie et m'éviterait toute perte de temps; les ig110rantse11déllensent ])eaucoup à voir des choses inutiles. Je travaillerais partout; à Naples, j'aurais l'ambassade et les courrjers de M. de Rotllscllild, dont j'.ai fait ici la connaissance, et qui me donnera des recommandations }Jour son frèr€; les épreuves iraient donc leur train et le travail aussi. » Cause de ce projet avec ma mère, et écrismoi J)ien en détail sur vous tous. »
Tous COlnptes faits, le vOJ~aged'Italie coûtait trop cher, luon frère 11ese ]e permit pas et revint à Angolllême, où il ac11evala,lèlnme ab{(1~(lf)lLnée,écrivit
lCl Gl'iel1(ldièrre, le j11es-
sage, et COll1n1ença le 1'1édecill' de Ca1rt]JagTbe, l!tl'il terI11ina l'tIC Cassini, à son retOtlr. Les détails qlli VOl1t slli,,~re intéresserontils?.. I~'affection me rend mauvais jllge en cette cause; je les crois propres à révéler ce caractère aux clualités filtlltiples où la jeu-
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11esserésista si longtemps; et la conviction qtl'ils ne peuvent am'oindril~ Balzac lne fait écrire sans crainte mes sOtlvenirs au Inoment où ils me reviennent, Il l'a (lit ]ui-même: les i1ll1sions l'ont aidé à vivre !..o Mon frère, pour se forcer à. l'exercice si nécessaire à sa santé au miliell de ses traval1X sédentaires, corrigeait ses épreuves, soit allX imprimeries, soit chez Inoia Selon le telnps, qui avait de grandes infllIences StIr ltli, ses ell1])êlrraS(lu moment, les difficllltés de son travail ou l'extrême fatigue cIe ses veilles, il arrivait quelquefois se traJnant à pei-ne, morne, accablé, Je teint . .' , Jallne et b Istre.... A cet aspect désola11t, je cherc11ais ce qu'il fallait trouver pOlIr le lirer de sa tristesse; lui qui vO~Taitsi bien les pensées, répondait allX miennes avant qlle j'eusse parlé, et Ille disait d'u11e ,,~oixéteinte, en to_mbantdaI1s tIn fauteuil:
- Ne me console pas, c'est inlltile, je suis lll111on1111e mort.
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Cet 110I1)IUemort
COllllnençait
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cl'abord
d'UIl
ton dolent le récit cIeses 110uveallXembarras, mais s'animait si ,Tite qu'il atteignait bientôt allX cordes les pIllS vibrantes cie sa voix, puis, ouvrant ses épreuves, il reprenait son ton ({oIent et ajoutait comine conclusioIl:
-
Je s01nbrerai, nta Sœt~1~ !
-
Ball! on ne sombre pas a,Tec les œuvres (11.1etu corriges!... Il relevait la tête; sa figure se décrispait, les tons bistrés cIe SOIlvisage disparaissaient peu à peu. - Tu as raison, de par Diell !... ces livreslà font vivre!... D'ailleurs, l'avellg1e 113sard n'est-il 1Ja8là !... Il pellt l)rotéger un Balzac aussi bien qu'un in1})écile, et il n'est pas difficile mênle d'inventer ce hasard!... Qu'un de n1es alnis millionnaires (et j'en ai) ou qU'llll ba11qllier l1e sachant flue faire cIe son argent
vienl1e Ine djre:
«
Je conl1aisvotre iml11ense
talent et vos SOllCis, il VOlISfaut telle SOfi1ID,e pOLIr être libre, accel)tez-Ia sans crainte,
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Bi\L ZAf:
,rous VOlISacqllitterez,
, 1111Ions.... Il _
votre plllme vallllnes
'.
« Il1le (atl! j(l1nais q1lecela, 'filachère! »
Habituée aux illllsions qui rappelaient son courage et sa gaieté, je ne montrais jalnais aucun étollllelnent. Cette fal)le faite, il elltassait raisons sur râisons .POtll'y croire. - Ces gens-là dépensent tallt ell fal1laÎsies !... Une belle action est une falltaÎsie comme une autre, et (lui donne de la joie à tOlIte heure!.. . C'est quelqtle cll0se de se dire: J' ai Sa~l1}é~{1tBalzac!... L'}111manitéa pq.r~cipar-là de bons mouvements, et il y a des gens clui, sans être Anglais, SOllt capables de l)areilles
ex centrici tés!
...
l\Ioi,
di-
sait-il en frappant sur sa poitrine, 1110i9 millionnaire Oll ba11qllier, je les aurais!..., La cro~1allce faite, il se promel1ait joyellseme11t par la cI1anJ])re en levant et agitant ses bras: -
Ah! Balzac est /]i])re!... ,r ans ,.errez,
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mes ch,e,rsarBis et Illes chers ellJlen1is, comme il marchera!.,.. Il allait droit à,l'Institllt. De là à la Chalnbre des pairs, il n'y avait qU'lIn pas: il y entrait. Pourquoi ne serait-il pas pair? 1"elt~et tels l'étaient bien devenus... De pair, il devenait IDlllistre, qu'y avait-il e-ncore là d'ext,.aordinail-e? des préc.éd.ents existaient. }4~st-ceql1e ce 11e sont pas les gens fllli 011tfait le tour de toutes les idées qui sont les plus 31)tes à gouverller les hommes? Il vOlJdrait bien voir que l'on s'étonnât de son portefeuille! Le nlinistre s'asseyait pour g011verner la France; il signalait et réformait bien des abus. De belles idées, de sages paroles sortaient de ces rê'ves !... Pllis, comme tout marchait à souhait dans son millistère et dans le royaume, il revenait au banquier 0\1 à l'ami qtIi l'avait conduit aux 11onneurs, pour le trouver aussi favorisé que 111i. - Sa part sera belle dans l'avenir, on dira: Cet hQlnme c01nprit
Balzac,
11ti prêtc[ de l'a1-"-
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gel~t ,~~tt SOI~ ta,[e'1~t, le 1ne1~€(' (lUX hOn1leU}"S
q~t'il1néritait, ce sera sa gloil~e à }lli, n'en a pas qlli veut! Cela vaut mieux que de brlller lln temple pour laisser son nOl11à la postétérité. Ql1and il avait voyagé sur ces beaux. nllages (l'or, il retomba'it dans la réalité; lnais il s'était distrait et paptant consolé; il corrigeait ses épreuves, nous les lisait avec enthousiasme, puis nOllS CIllittait en se llloquant de llli-même. - Adieu, je COUi~S chez moi voir si mon banqllier fi 'attend, disaÎ t-il en -riant de son b'on rire; s'il n'y est pas, je trouverai tOlljours le travaiJ, mon vrai bailleur de fonds. Cet esprit ardel1t cherchait sans cesse les moyens d'aI'river à la liberté, et ces recherches fatiguaient autant SOlI esprit que ses travaux. Unj.our il croyait avoir décOllvert UIle substance propre à la composition d'un nouveatl papier. Cette substaIlce ét.ait partollt, coûtait moins que le C11iffo11; c'étaÎt une joie, des
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projets et des eSI)érances bientôt suivies de déceptions, car les expériences ne réussissaient pas. On le croyait désolé, on le retrollvait radiellx.
- Et ton pal1Îer1 -Il s'agit bien de palJier!.. . Vous n'aviez pàs songé, VOllSautres, que les Ron1ains, petl expérimentés dans l'extraction des mines, ont laissé des richesses dans lellrs scories. Des savants de l'Institut, que j'ai consultés, le pensent con1me moi, et je pars pOtlf la Sardaigne.
-
Tu pars ell Sa~rdaigne, avec quoi?
-
Avec qllOi !... Je Jparcourrai ce pays à pied, le sac sur le dos, vêtu conlll1e un mendiant, faisant peur aux brigands et aux IllOineaux; j'ai tout calculé, six cents francs l11e suffiron t. Les six cents francs troll'lés, il partait et nous écri,rait de l\Iarseille, le 20 mars :1833, . . Je crOIS:
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N'aie aucune inquiétutie, ma mère, et dis à
Laure de Il'en point avoir" J'ai assez, et, n'en déplaise à la sagesse lauréen.nè, je n'aurai sans doute besoin de rien pour le retour. Je viens de I)asser -cin(l nuits et quatre jours sur l'impériale. J}ai les mains si .gonflées, que je puis à peine écrire. Demain, mercredi, à Toulon; jeudi, je pars pour Ajaccio. J'j? serai vendredi, et huit jOUf3suffiront ensuite pour mon expéditêon. Je pouvais, d'ici, .aller pour quinze francs en Sardaigne par les navires de commerce, mais ils peuvent être quinze jours en route; puis c'esll'équinoxe, tandîs que pour le triple, il est vrai, je serai en Sardaigne en trois jours. ~laintenant que m'y voilà presque, je 'Commence à avoîr des doutes; en tout cas, on .ne peut risquer moins pour avoir plus! Je 11'aidépensé que dix francs sur la route. Je suis dans un hôtel qui fait frémir; enfin, avec des bains on s'en tire I... Si j'échoue, quelques nuits cIe travail au.. ront bientôt rétabli l'équilibre! En un mois, j'aurai ra'massé bien de l'argent avec ma plume. )) Adieu, cllère mère aimée; pense qu'il y a beaucoup plus d'envie de faire cesser des souffrances cllez des personnes chères que de désir de fortune personnelle dans ce que j'en1reprends,; quand on n'a 1185de mise de fonds, on ne peut faire fortune que par des idées semblables à celle
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j:53
que Je vais mettre à fin. Tout à toj, ton fils res-
pectuetlx.
»
Il fallait lui entendre raconter, all retour, les péripéties de ce singulier vO~73ge.Il avait eu la chance de rencontrer de vrais brigaIlds. « Ils sont assez bons diables en dellors de leur industrie-, nous disait-il, ils m'ont renseigné sur tout ce que je voulais savoir. Ces gens-là toisent ,joliment le pa.ys et les gens; ils ont si bien YUque je n'étais pas pour eux un client, que je crois, Dieu me pardonne, qu'ils m'auraient plutôt prêté
de l'argent que de m'en deulander. » Arrivé à Bastia sans l1n sou, il a'7ait fait émeute I)armi la bonne jeunesse en se DomInant; tOllSconnajssaient ses livres et étaient entllollsiasmés de le voir: grande joi-e pour lui. J'ai déjà de la réputation, en Corse, 110118 disait-il; la brave jeunesse! le beau pays! Reçll et fêté c}lez ~I. B..., inspecteur des finances, qu'il connaissait, il avait gagné chez lui au jell l'a,rgent qu'il lui fallait pOllr son retour en France au moment où il allait nous 8
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écrire de lui en envo~{er. JI aitnait ces chances tJ qui lui faisaient croire à son étoile. Mais ce n'était pas tout, en piétinant en Sardaigne, et étant ballotté Sllr la mer, il avait trouvé des sujets... mais des sujets!... Les derniers surpassaient toujours tous les autres, à moins qu'on n'en convînt, car alors il 'pro1.1vait l'excellence des premiers. TInous racontait ces nouveaux sujets avec feu; plan, clétails, il tenait tOllt. - C'est Ull pel] joli à faire, ajoutait-il. - Est-ce que tu contes ainsi tes idées à tout le moncle, lui demandais-je avec quelqtle effroi, sachant que dans cette bOllne république des Jettres, où chaclln veut être roi, 011 n'est pas toujours fort scrupuleux StIr les titres de propriété.
-
Pourquoi
pas?
répondait-il,
]e Stljet
11'estriel}, c"est !'exéCtItion qui est tout; c!u'i)s fassent donc du Balzac, je les en défie! Est-ce que les voleurs savent tra'Tailler? S'ils réussissent, tant mieux pOlIr le public, je ne regretterai riel), et je retrOtlverai al.ltre chose
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donc! ce Dlonde est gralld, et la cer"~elle 11umaine est aussi vaste que le monde. Les échantillons rapportés des mines étaient reluis aux chinlistes; il fallait du temps pour les analyser; Honoré n'était pas, pl~êt d'ailleurs pour aller demander la concession en Piélllont, il avait atlparavant à satisfaire ses libraires et à gagner l'argent dtl voyage. Il vécut une année sur cette fortune de Sardaigne, et les projets allèrent à l'avenant; il volait, ailes déplo~7ées, dans un Eden te1're~tre qll'il arrangeait à sa gllÎse, il achetait en TOllraine le petit cllâteatl de ~lontcontour clui lui faisait envie; car, lnalgré l'indifférence de ses compatriotes pOtIr lui, il aim-ait ce pays, où il voulait finir ses j011rE « Les (louees et tranquilles pensées y poussent en
l'âme corn,nle la vigne en telTe,
»
disait-il.
Là, il se reposait et)viva; t camnle l'huître en sa coquille, bâillant all soleil COllcllant. Il dorait cette existence campagnarde de toutes les richesses de son esprit, et se transformait en docteur Minoret au lllilieu de SOIl curé,
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BA.tZAC
de son I}1aireet de S011juge de paix, lui enviant cléjà l'heureuse vieillesse qu'il lui donna dans llrsulle Jlirouët. (Nul doute qu'il ne COl1nûtdès lors Je docteur 1\iinoret.) JI avait d'ailleurs garde à carreall contre la rouille de IJintelligence; il '~enait lous les hivers à Paris; il y avait un salon comOle ce-lui Cll1])aron Gérard, le lllodèle de tous les salons d'artistes passés, présents et fllturs; il mellblait ce salon, y recevait, comme Géral"acl,t01\tes les célébrités nées 011à naître; il saurait les honorer COll1meil con'''Îent, llli qùi savait tOllSles respects qu'elles ll1éritent. Bah! il recevrait même les critiques. C'était 1.1nepacification généraJe, ce roi absolu était bonhomme et n'avaitni llaine ni jalOtlSie. Il retournait cl1ez lui aimé et béni de to/us. C'étaient là ses beaux rêves!... Ces songes pesaient sur le cœur de ses . ., amIS tOllt autant qlle ses trIstesses; fi accusaiel1t-ils pas égalemeJlt le poicls de sestonr111ents?Ce Il'é-taÎt qlle dans les songes qu'il
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pouvait s'en délivrer; aussitôt éveillé, il fallait recharger le fardeau. Un an après son voyage en Sardaig11e, mon fl"ère, ayant achevé les ollvrages promis au-x libraires, allX revues et aux journaux, se rendit el1 Piémont pour obtenir la concession des mil1es. Expa11sif comn1e toujours, il avait raconté le fi1Jtif de son voyage au capitaine génois qui l'avait tra11sporté en Sal.daigne. La lettre qui Sllit explique comment le Génois profita cIe ces confidences all détriment de Juon frère. « 1\JHan.
» Cllère Sœtlf,
» Il serait trop long de t'écrjre tout ce que je te raconterai en détail quand je te verrai, ce qui sera bientôt, je l'~sl)ère. Je suis, après des voyages très-fatigants, retenu ici pour les intérêts de la famille de v... La politique les embrouillait tellement, que le reste du bien qu'elle possède en ce pays eût été séquestré, sans toutes mes démarcl1es, qui ont heUretlSement réussi. » M. d'EtchegoJren, qui retourne à Paris, a l'ob1igeance de -se cllarger de cette lettre. Quant à 8.
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l'objet 11rincipalde mon voyage, tOtit était comme je le présumais, mais ie retard de mon arrivée m'a éte fatal; le Génois a un contrat en bonne forme avec ]a cour de Sardaigne; il Y a un million d'argent dans les scories et dans les plombs; lIne maison de Marseille avec qui il s'est entendu les a fait essayer. Il fallait, l'année dernière, ne pas lâcher prise sur l'idée et les devancer. » Enfin, j'ai trouvé aussi bien, et miellx même. .Je causerai de tout ceci avec ton mari à mon retour. Nous aurons à revenir ici avec lui et un ingénieur des, mines; lu seras peut-être du voyage, car, grâce à l'expérience que je viens de faire, nous ne dépenserons pas beaucou,p plus qu'on ne dépense à Paris dans le même temps; et comme il n'y a pas de Génois dans l'affaire, nous pourrons a~ttendre que nOHSsoyons tranquilles; je suis donc à. peu près consolé. ») J'ai
l)eaucoup souffert.dans mon v,oyage,sur-
tout dll climat; c'est une chaleur qui relâclle toutes les fibres et qui rend incapable de quoi que ce soit. Je me surprends à désire.r nos nuages et nos pluies françaises; la chaleur ne va qu'aux faibles. »)
J'ai l)ien pensé à vous en marchant et souf-
frant; mais je voyais notre bonheur à tous dans le lointain, et cela me ravivait. »)
Le frère mathématicien conviendra, j'espère,
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qu'on ne peut trouver line affaire plus belle" et il sera B:tlSSÎ joyeux que moi. » Communique cette lettre à ma mère; je suis obligé de la terminer un peu })fusquement; j'ai une encre et des plumes avec lesquelles toute-écriture est impossillle. Je crois que le gouvernement autrichien s'arrange pour qu'on ne puisse écrjre. .l\.bientôt. »
C'est ainsi CIU'\lne espérance reIn plaçait aussitôt une déceptiol1 dans l'esprit de mon frère; entraîné par le courant de sa vie, il ne put donner suite à la nOllvelle t1ffaire dont il parle, et qui fut très-fructllellse pour ceux . ., . qUIl entreprlre11t. Absente de Paris au Illûis d'oclobre de la Illême année, je reçus de mon frère la lettre suivante: « Tu pars sans crier gare; le patl vre travailleur court cl1ez toi pour te Cairepartager une petite Joie, et pas de sœur! Je te tourmente si souvent de mes ennûis, que c'est bien le moins que je t'écrive cette joie. Tu ne te moqueras pas de moi, tu me croiras, toi!... )) Je vais llier cllez Gérard; il me présente trois
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familles allern.andes. Je crois rêver , trojs familles!... rien que cela!... L'une d.e,rienne, l'autre de Francfort, la troisième prussienne, je ne sais d'où. ») Elles me confiBntqu'elles
viennent fidèlement
depuis un mois chez Gérard, dans l'espérance de m'y voir, et m'apprennent qu'à TJarlirde la frontière de France ma rép\ltatio11 commence (cl1er ingrat pays!) « Persévérez dans vos travaux, ») ajolllent-elles, et vous serez bientôt à la tête de » l'Europe littéraire! ») De l'Europe! ma sœur, elles l'ont dit! FJatte.usesfamilles!... Ferais-je pouffer de rire certains alnÎs si je leur racontais ceci! l\Ia foi, c'était de bons Allemands, je me suis laissé a1ler à croire qu'i]s pensaient ce qll'ils disaient t et" pOUf être vrai, je les aurais écoutés toute la nuit. La louange nous va si bien à nous autres artistes-, que celle des bons Allernands m'a rendu le courage; je suis parti tout guilleret de chez Gérard, et je vais faire un triple feu sur le public et sur les envieux, à savoir: Eugénie Grandet, les Aven,tures d'une idée l~eure'use,que tu connais, et mon Prêtre catl~olique, l'un de mes plus beaux sujets. »)
1.'affaÎre des ETUDESDE MOEIJRSest en bon
train; trente-trois mille francs de droit d'auteur pour des réimpressions b011cheront de grands trous. Ce tronçon de dettes payé, j'irai cherc}}er
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llla réeofi1pense à Genève. L'llorizon C0111nle11ce donc à s'éc]aircir. » J'ai repris ma vie de travail. Je me coucI1e à six lleures, aussitôt diner. L'aniInal digère et dort jusqu'à minuit. Auguste me pousse une tasse de café avec lequel l'esprit va toute d'une traitejusqu'à midj. Je cours à l'imprimerie porter Ina copie et IJrendre Illes épreuves pour donner de l'exercice à l'anima], qui rêvasse tout en marchant. ») On met
bjen (lu 110Îrsur du blanc en dou,ze
lleures, petite £Œur, et au bout d'un mois de cette existence, il Y a pas mal de besogne de faite. Pauvre plume! il fallt qu'elle soit de diamant pour l1e 1)85Suser à tant de lalJeur! Faire grandir son maître ell réputation, selon les prescriptions allemandes, l'acquitter ellvers tous, pllis lui donner un jour le repos sur la montagne, voilà sa tâche I ») Que
diable allez-vous faire si tard à M...?
Conte-moi donc cela, et dis avec moi que les Allemands sont de bien braves gens. Poignée demain fraternelle à ~f. Ca'nai; dis-Illi que les Aventures d'une idée heureuse son t sur le cllan tier. » Je vous envoie à lire files éprellves du Médecin de camjJagne. Les itt~e'ntures d'~(,l~eidée he1lte'llse l1e fu-
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Tent l)as plus écrites que le Prêtre cat/10lique. Le sujet dll premier de ces deux livres llli avait été inspiré par les Inauvaises cllances d'un grand tra'7ail dOllt son beau-frère s'était chargé. Honoré se proposait, dans cet ouvrage, de faire l'histoire d'une idée utile à tOllS,mise à néant par les in térêts particuliers qll'elle froissait, et qui Fl1inait eelui qni s'était dévOl1éà la ~mener'à bien. Ce sujet eût été fécond en observations et en vérités sociales SOllSsa plume, et n'eût pas été le moins saisissant de tOllSles livres qlli CCtmposent son œuvre. Avant le vO~7ag'een Suisse et à Genève dont parle mon frère clans cette lettre, et qu'il fit en '1833, je retrouve ellcore cette autre lettre q\l'ÎI rn'adressa pendant lIne de n1es absence's de Paris: J'ai de ])onnes nouvelles à t'annoncer, sœurette, les revues me payent plus cher mes feuilles. Hé! Ilé ! ») Werrlet n1'annonce que mon lJtlédecin de campagne a été vendu en 11Uitjours. Ha! ha! ((
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» J'ai de quoi faire face aux grosses éctléances de novembre et décembre qui t'inquiétaient. IIo! 110! » Je vends la réimpression des ouvrages de ce mauvais drôle de X..,., de Z..., et autres pseudOllymBs.La vente se fait par un tiers, avec faculté de nier ees œuvres, queJ8e1'tereconrtaîtrai J8alnais! Mais comme on les réimprimerait sans moi dans cette damnée Belgique, qui fait tant de tort aux auteurs et aux libraires, je cède à la nécessité qui se traduit en borts écus, et de cette façon je circonscris le mal. » Entin, S édite mes Contes drôlatiques. Eceo sorella. » Tout va donc bien. Encorequelquesefforls, et j'aurai triomphé d'une grande crise par un faible instrument: une plume! » Si rien ne vient à la traverse, en 1836 je ne devrai plus qu'à ma mère, et quand je songe à mes désastres et aux tristes années que j'ai traversées, je ne puis me défendre de quelque fierté en pensant qu'à force de courage et de travail j'aurai conquis ma liberté. » Cette pensée m'a rendtl si joyeux, qlle l'autre soir j'ai fait des I)fojets avec, Survîlle 011vous étiez comptés, mes amis. Je lui faisais bâtir une
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maison près de la mienne 1 nos jardins se toucllaient, nous man.giol1sensemble les fruits de nos arbres.. . J'allais bien!... » Le bon frère a souri ell levant les yeux au ciel; il Y avait bien de l'affection pour toi et pour moi dans ce sourire, mais j'y ai vu aussi que ni lui ni moi ne tenions encore nos maiso11s;n'importe, les projets soutiennent le courage, et que Dieu me conserve la santé, "nousaurons nos maisQns, ma
bonne sŒur!
»)
Ce projet all1ena plus tard l'acquisitioll d'un terrain à Ville-d'_t\vra~T,où I110nfrère fit bâtir les Jardies. l\fais le terrain en pente fit crouler les rflurs. Cette propriété coûta plos qu'elle n'aurait dû coûter; d'aulres circonstances mallleureuses obligèrent mon frère à la vendre. Aussi COI1sidéra-t-on cet achat conllne une faute. Honoré se proposait, dans les Contes drôlatiques dont il est (Illestion da11ssa lettre, de suivre toutes les transforlnations de la langtle française depuis Rabelais jusqu'à nos jours, en imprégnant ses récits des idées de ces temps si différent.s.
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-
]1 en sera pOlIr cet ouvrage cOlnme pOlIr I.ACO~IÉDIE HU}IAINE,nous disait-il, on ne verra le but qu'après l'achèvement; jusqlIelà, ces contes feront seulement le délassement des artistes, qui ,y trouvero11t la gaieté dont ils ont si souvent besoin. Il croyait qu'à défaut de ses autres œuvres, ces contes suffi1"aientpour le sauver de l'oubli. Les études que I110nfrère fit alors sur les "iellx l)rosateurs français, le portaient à regretter certains mots tombés en désuétude u et qui n'avaient pas été remplacés. Il s'attelldrissait sur leur sort carnIne eût pu le faire Vaugelas.
-
Quels jolis mots! expriment-ils ])Îen cc ql.l'ils vellle11t dire! Quelle grâce 11aïve! On ne les trouve l!u'à l'enfance des langlles; il faut alljourd'11l.1i des phrases pour les remplacer! Quand je travaillerai all dictionnaire de l'Académie!... Ces paroles le jetaient dans des projets 9
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par lesqllels la langue millionnaire.
fra11çaise devel1ait
Il s'emportait un petl à ce sujet contre ce'ux qui le querellaient pour quelques ex}Jressions qu'il avait créées par-ci par-là da11s ses livres. - Qui a donc le droit de faire }'aulnône à lIne langue, si ce n'est l'écri\7ain? La nôtre a très-bien accepté ]es mots de mes devanciers, elle accepteI'a les miens; ces parvenus seront. nobles avec le telllps, qui fait tOtltes les noblesses. Mais laissons japper les critiqlles après Illes 'néologismf3s, comme i]s dise11t, Îl fa11tbien que tout le mon,de vive. Je passe des lettres Qll'il m'écrivit ])endant S011voyage en Sllisse, en 1833. Ces lettres, datées du Val-de-Travers et de Genè\re.. contiennent principalelnent des détails sur les a01is Qll'il y allait ,roil'. A son retour en France, il séjOtlrna à Angoulême.. Voici l'une des lettres qu'il 111'a(lressa de cette ville:
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Deux lettres cIefila sœur sans ré11onse!Heu-
reusement que tu ne comptes pas avec moi; il }T a longtemps que je le sais. Quelle cllère et d01Jre affectio11que celle qui lIe vous donne aucune i11quiétude! Tl! es convaincu.e, n'est- ce pas, que je ne pujs oublier celle qui parlait pour, nl0i quand j'ptais enfant, qui me fJattait et me faisait ces bonnes nielles qui amenaient de si joyeux rires!... I-Ieureux temps, où es-tll ?.. » Je corrige EttJénie Grandet. Je ne dors ni ne 'Jeille; cet enfant n'leréveille, et me laisse peu do
loisirs. . Si tll 1.ûdoutais de ce qlle c'est que de pétrir des idées, cIe leur donner forme et coulellr, tu ne serais pas si leste à la critique! All! il Y a trop de millions dans Eugénie Grandet! ~Iais, bète, pllisque l'histoire est vraie, veux-tll que je fasse mieux que la vérité? Tu ignores COffinlentl'argent pousse dans les mains des avares. J~nfin, si tes criailleries sont j l1stes, allX autres éditions, je justifierai encore mieux les chiffres, Oll je les réduirai. TOtljours ppnser comme la Fonlaine SOLIS S011arl)fc! Si l'on faisait (lu la Fontaine encore? ~iais ce n'est que du Balzac, sera-ce quelque chose?.. Comme ce doute me tourmente dans mes mauvajs
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jours! plus encore q:ue n10n état d'oiseau sur la brancl1e, je t'assure; et cependant, n'est-ce pas triste, après tant de travaux, de n'avoir encore rien dans 1'avenir que l'avenir lui. même! Quel sera-t-il, Laure '! Qui peut résoudre cette questio11 pleine d'anxiété? Mon seul bien aujollrd'huÎ gît ùans quelques affections vraies et dévouées; mais les expressions n'étant pas les mêmes daI1S"les sentiments, s'il y a des personnes avec qui je m'entends tOlljours, il y e11a d'autres avec qui je suis moins lleureux. Tu es l'une des premières, CIlère, bien chère sœur. » J'ai rapporté de Suisse l'idée d'un JJcau livre,
par rna foi! Nous en enlIseronsà mon retoUf. ») Ce li,Tre était SéTClphitct. Je Sllis obligée, (llI0ic!ue à regret, cIe 11arler Clll l)rocès que cet ollvrage Sllscita et (lue mon frère souli11t contre la ReVLle des De1lx-JJfoÎ~des, nOll qlle je veuille rayiver des illilnitiés, Dieu m'e11 garcle! l\fais ce procès COIllIJta trop dalls sa \lie pOlIr fjtlP,je l)uisse le passer sous silence, car il lui rendit 1110lnentanénlent la détresse (le ses prel11ièrcs années littéraires, qua11cl il commellçait
à ell triompl1er,
ell lui 1'etirant
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l'appui des reVlles et des journaux et SlJScitant contre lui beaucoup de InaI-veillaI1ces. Pendant que Séraphita paraissait dans celte Revue, des amis de Saint-Pétersbourg appre1lnent à mon fl.ère qu'on y publie en entier cet ouvrage, qlli n'était encore flu'à la moitié de
sa publication à Paris.
MOll frère eroit qlle
c'està l'jnsll dlldirectellf qu'on fait ce tort à ses intérêts, et court le prévenir. C-'était le dire-cteur qlJi, se croyant sans dOllte dans son droit, faisait faire cette reprodllction. lVlon frère réclame, le directellf se fâche et ne veut entendre à aucun arrangement an1iable4 HOlloré 1lli déclare alors qll'il,Ta faire juger le difI'érencl par les tribllnaux, pOtlf faire constater juridiquement la propriété des, alltel1rs. 11110 veut pas laisser passer un pareil fait, snr lequel on }Jourrait s'appllyer à l'avenir all détrim_enl de ses confrères comme all sien. Inte-nter cette action était beaucollp oser; le procès, gagné ou perdll, devait t.OUjOllf'S avoir de funestes conséquences pour Honoré; indépendalnment de la question d'arge11t,
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fort ill1portante
l1011rlui, la Iler1t.e lui fern1e-
rait à l'av811Îr ses colonnes et lui deviel1(lrait certainement 11ostile, on n'en l)Ollvait douter. Ces considérations prévues ne }'arrête11t l)as; il entame le procès. Quel Il'est pas son étonnelnent en voyant son adversaire, .armé, deva11t les juges, (l'attestations (le bO'1~Î1evie et mœUfS l'Ïttérctires signées pa e I)resque tous ses c
dans leqttel il l)einl les feuilJelo-
i1istes, déchaîna la presse contre llli, et les llaines littéraires sont si vivaces, cIlle sa mort lle les a IJas tOlItes désarnlées..ll se tOllrn1el1-
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tait si peu de ces attaql1es, qu'il nous apportait souvent à lire. les articles où on le lnaltraitait le plus.
- Voyez un peu, nous disait-il, COllIne tOllS ces gens-là se délnè11ent! Tirez, Illes c11ersel1nemis, l'armure est bonne, et VallS évitez dea réclames à meslibraires; vos éloges endormiraient le public, vos injures l'éveillent... 'Tant-ils bien! Si j'étais ric11e, on dil'.ait cIlle je les I)aye; mais ne soufflons mot, ils seraiel1t capables de se taire s'ils savaient le JJien qu'ils nle font, _Nous pensions autrement que }lli et nous lIOUSaffligions de ces attaques. - Êtes-vous sin1ples de vous attrister! reprenait-il; les critiques peuvent-ils rendre Ines œuvres bonnes Oll mauvaises? laissons faire le temps, ce grand justicier; si ces gens se trompent, le public le verra lIn jOl1r ou l'alltre, et l'injustice profite alors à cellli qu'elle a lnaltraité ; d'ailleurs ces g'uerilleros de l'art touchent juste quelquefois, et en corrigeant les ralItes qll'ils signalent, on rend.
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l' œuvre meilleure; en fin de compte, je lel1r dois de la reconnaissance. ]1 ne voulait d.one ni protestations ni récriminations. Une seule fois il ma.nqua à la loi qu'il s'était faite de n'opposer que le silence à ses détractellrs, en écrivant la 110nographie de la presse; cette œuvre, où l'esprit scintille à chaque ligne, lui fut arrachée par ses amis; ils accusa-Îent mon frère de faiblesse, presque de couardise; il m011tra la griffe" mais regretta depllis cette œuvre qui faisait tort, selon lui, à son caractère, si ce n'était à son talent. Les conséquences funestes Ql1'el1t pOlIr lui
le procès de la ReVtle sont exprimées dans la lettre suivante, écrite de la rue des Batailles, à Chaillot, où il alla demeurer en quittant la rue Cassini, avant d'habiter les' Jardies : «(
Ton mari et Sophie sont venus hier faire un
détestable dîner dans ma garçonnière de Cllaillot; le pl'océdé était d'autant plus malséant que le bon frère avait couru toute la journée pour moi.
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» Je viens de conclure une bonne affaire
!'Esta{ettf1, les autres grands jourl1aux me reviendront, ils ont besoin de moi. D'ailleurs, m'ont-ils enlevé mes champs cérébraux, vignes littéraires. et bois intelligentiels? et ne me reste-t-iI pas Irs libraires pour les exploiter? Ceux-ci, ne comprenant pas lellf véritable intérêt (ceci te paraîtra incroyable), préfèrent les ouvrages qui n'ont paru dans aucune revue; ce n'est pas le mOlnent de les. éclairer: il est certain néanmoins qu'une pren]ière impression leur évite des an110nees1 et que pIllS une œuvre est connue, plus elle se vend. ») Ne te chagrine donc pas, il n'JTa pas encore péril en la demeure; je suis fatigué, il est vrai, malade même, mais j'accepte l'invitation de M. de M et vais passer deux mois à Saché, 011je me reposerai et me soignerai. J'JTessayerai du tlléàlre tout en finissant mon Père Goriot et corrigeant la Recherche
de l'absoru.
JB commencerai
IHlr it/ ar1°e
Touchet, une fière pièce Oilje dresserai en pied de fiers personnages. ») Je veillel'ai moins, ne te tourmentè donc pas trop de cette douleur au côté. Écoute donc, il faut être juste, si le3 chagrins dDnnent la maladie de foie, je ne l'aurai pas volée! filais halte-là, mndnme la Mort~ si vous venez, que ce soit pour recllarger filon faI'{leall, je n'ai pas encore fini ma 9.
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(ilche I... Ne t'inquiète pas tro
B
a été sU}Jlime,elle a prÏs à sa
charge quatre mille francs de corrections qui étaient à la n1ienne; c'est-jl gentil encore cela? ») Va, si Dieu me l1rête vie, j'aurai lIne belle ;place et n'ous serons tous 11eureux ; rions donc en~ 'core, ma bonne sœur, la lnaison Balzac triomphera,! crie-le bien fort avec moi pour que la fortune nous el1tende, et, pour Dieu! rie te tourmente pas!...» Je 110pllis InalheuretlSe,ment donner qll'un fra,gment et lIne lettre de sa correspondance pendant les trois n}ois qu'il passa à Sacl1é, clans cet.te année 1183t : « Ta lettre est la première félicitatjoIl qui n1'arrive sur la Recherche de l'absolu. Ton affectjon prend toujours les devants sur tout le monde!... ») Tu as raison, tes éloges sur la vérité d-esquels nous pouvons con11)terfont du biel1à l'âme et sont nos récompensés à nous, pauvres ouvriers littéraires! Je me suis senti tout bêtement érnu à tes bonnes phrases.
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Tu as tort, je crois, sur les longueurs que tu
trouves, elles ont (les ramifications avec le sujet qui te sont échappées; je défends aussi Marguerite: non, ce caractère n'e8t pas forcé, parce que Marguerite est Flamande; ces femmes-là ne suivent qu'ulle idée et vont avec fleglne à leur but. » Tes critiques sont douces, d'ailleurs, nous en causerons, et si on les répète, j'aviserai. » Oui, la Recherche de r absolu est un IiVTegran-
dement fait, comme tu le dis, et j'en ai la conSCIence. ))
La lettr'e qui suit le montre dans un de ces découragements auxquels les artistes, quelqlle énergiques qu'ils soient, ne peuvent échapper: « Je suis si triste aujourd'hui, qu'il doit y avoir quelque sympatllie sous cette tristesse. Qu,elqu'un de ceux que j'aime serait-il mallleureux? ma mère est-elle souffrante? où est mon bonSurville, est-il J)ien de corps et d'âme? Avez-vous des nouvelles Je Henri, sont-eJles bonnes? toi 011tes petites, seriez-vous malades? rassurez-moi vite sur tous ces chers sujets. )
l\'lesessais (le théâtre vont mal, il faut y re-
156
BALZAC
noncer pour le mome11t. Le drame historique
exige
de grands effets de scène que je ne connais pas et qu'on ne tro.uve peut-être que sur place, avec des acteurs intelligents. Quant à la comédje, Molière, que je veux. suivre-, est un maitre désespérant, il faut des jours StIr des jours pour arriver à quellIue chose de bien en ce genre, et c'est toujours le temps qui me manque. Il y a d'ailleurs d'innombral)les difficultés à vaincre pour aborder n'importe quelle scène, et je n'ai pas le loisir de joueI. des jambes et des coudes; un chef-d'œuvre seul et mon nom m'en ouvriraient les porles, mais je n'en suis pas encore aux chefs-d'œuvre. Ne pouvant compromettre ma réputation, il faudrait trouver des prête--noms; c'est du temps à perdre, et le fâcheux, ctest que je n'aj pas le moyen d'en perdre! Je le regrette; ces travaux, plus productifs que mes livres, m'auraient plus promptement tiré de peine. Mais jl y a longtemps que les angoisses et moi nous nous sommes mesurés, je les ai tlomptées, je les donIpterai encore. Si je sllCCombe,. c'est le ciel qui l'aura voulll et non pas moi. D La vivacité d'impression que mes chagrins te
causent devrait m'interdire dAt'en parler, mais le moyen de ne pas épancher mon cœur trop plein près de toi? c'est mal, cependant; il faut une organisationrobuste qui vous manque, à vous autres
BALZA(~
151
femmes, pour supporter les tourm'ents de la vie de J'écrivain. » Je travaille plus que je ne le voulais, que veux-tu? Quand je travaille, j'oublie mes peines,. c'est ce qlli me sauve; mais toi, tu n' oubHes rien! Il Y a des gens qui s'offensent de cette faculté, ils redoublent mes to"urmentsen l1e me comprenant pas! ») Je
devraisfaire assurer ma vie pour laisser,
en cas de mort, une petite fortune à ma mère: toutes dettes payées, pourrais-je supporter ces frais? je verrai cela à mon retOt1f. ») Le temps que durait jadis l'inspiration produite par le café diminue; il ne donne plus mainten"antque quinzejours d'excitation à mon cerveau, excitation fatale, car elle me ca.used'horribles douleurs d'estomac. C'est au surplus le temps que Rossini lui assigne pour son compte. ») Laure, je
fatigueraitout le monde autour de
moi et ne m'en étonnerai pas. Quelle existence d'auteur a été autrement'? mais j'ai aujourd'lluila conscience de ce que je ,csuiset de ce que je serai! » Quelle énergie ne faut-il pas pour garder sa tête saine quand le cœur souffre autant! Travailler nuit et jour, se voir sans cesse attaqué quand il me faudrait la tranquillité du clottre pour mes travaux! Quand l'aurai-je? l'atlrai-je un seul jour!
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B ..i\.L Z À C
que dans la tombe peut-être !... on me rendra justice alors, je veux l'espérer!... mes meilleures inspirations ont toujours brillé au surplus aux heures d'extrêmes angoisses, elles vont donc luire
encore! ... » Je m'arrête, je suis trop triste, le ciel devait un
frère plus lleureux à une sœur si affectionnée!...
»)
Mon frère était alors accablé par Ul1gran(} chagrin de cœllr' ; je ne peux publier de sa '701umineuse correspondance que ce qui a rapport à lui ou à ses œuvres, et le montrer qlle SalIS l'aspect de fils ou de frère; ces restrictions privent le public de quelclues pages Î11téressantes, notamment de celles qu'il m'adressa après la mort d'une personne })ien chère. C'est ce que j'ai lu de pIllS éloquent dans l'expression de la dOtllellr. Je tiens de l'obligeance de qu.elclues personnes intimes les lettres q\lÎ suivell!. et qui perll1ettront de juger atlssi mon frère comme amI: «
» MOl1Cller D
Janvier...
, voici le 111anuscrit corrigé et
BA.LZA.C
159
les épreuves des Chouans; dès que j'ai mis lIn nom ami en tête d.e cllacu11e de mes cOnlI)Osifions, celle-ci vous était destinée, mais les llasards (lui (lominent les livres ont fait que depuis 1834 les Chouans n'ont pas été réimprimés, quoique plu,s£eurs personnes aient trouvé ce livre meilleur que sa rép'utatjon. » Si j'étais de ceux qui marquent dans leur temps, ceci I)OUrrait avoir une grande valeur Ul1 jour, majs ni vous ni moi ne saurons le mot cIe cette énigme; aussi n'y voyez qu'une marque de cette amitjé qui n"l'est restée all CŒl1f, (luoique vous l'ayez peu cullivée depuis bien de3 années. » Tout à vous. »
La dédicace des Chouans est: .&4upremier lt11~i,le pren~ier
ouvrage.
« ~fon cher D , ma sœur In'a (lit qu'une parole qui m'était écllappée vous avait fait de la peine. Ce serait l11ebien filaI connaître que de me eroire ami à demi. Il y a bientôt dix-Jluit ans qtl'Ul1 jour de Pâques, passant [lIa place Vendôme entre VOllSet ]\II.P. le H au pied de la Colonne, j'étuis bien jeune alors, mais je sentais ce que je serais un jour; VOlISdites que les honnetlfS et la fortune chang~aicnt les cœurs; je vous répondis
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BA.LZA.C
que rien ne me ferait cllanger en fait d'affection; cela est vrai, je n'en ai trahi aucune; aujourd'llui. tous cellXqui sont mes amis vrais sont sur le pied de la plus parfaite égalité. Si vous me pratiqujez un peu plus, vous le sauriez. Je suis resté bien enfant maJgré la réputation que j'ai pu acquérir, seulement, j'ai l'égoïsme du grand travailleur; seize heures par jour d_onnéesà.un monument littéraire qui sera giganlesque, ne nie laissent rien dont je puisse disposer. Cètt~ privation des plaisirs du cœur est le plus fort impôt que je paye à l'avenir; quant aux plaisirs du monde et de la vie, l'art a tout tué sans regrets de ma part. »
Je pense que l'intelligenceet les sentiments
égalisent tout. Ainsi, mon ami, ne mettez jamais au singulier ce que je dis pour les masses. » J'ai été quatre fois chez vous pour vous voir, vous êtes je ne sais où; si je ne rafraîchis pas moi-même votre cœur froissé, cette lettre vous dira que je crois avojr pelt de chose à faire, car mon étonnement a été des plus grands quand ma sœur m'a dit que je vous avais fait de la peine. » Adieu, une si longu'e lettre est un luxe pour moi. » Millechoses de cœur et tout à vous. »
BALZAC
t6t
Mon frère allant quatre fois chez M. D...t qui demeurait fort loin de lui, pour l'assurer qu'une expression brusq l1equi] lli était éc113ppée dans lIne discussion avait été dite sal1S aucune intention blessante, n'était pas certes., .' d e amI.... un tie Les lettres qui suivent sont adressées à mon amie MmeC... La première, datée d'octobre 1830, a été écrite de la tue de TournOll pendant que n10n frère composait ses premiers ouvrages: (c J)
l\'Iadame,
J'ai encore le regret de vous annoncer que je
ne pourrai aller d~main à Saint-Cyr; les intérêts de ma mère me retiennent ici; il Y aUTaitde l'i11gratitude à ne pas m'employer pour elle, quand ell~ vient de faire tant de sacrifices pour me conserver tIll nom inlact. » Je suis obligé, pour vivre et pour aider un ami plus malheurellx que moi encore (son' ancien associé), de fajre des efforts inouïs. Je travaille donc nuit et jour; j'ai à revoir samedi un Jong article pour la Revue de Paris et à faire la Mode,.
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BA.LZAC
tG:)
BALZA.C
poléon et de Louis XVILI. L~ premier n'a pas été compris, le second s'est compris tout seul. Tous deux ont nlaÎntenll en France tous les partis; l'un par la force, l'autre par la ruse; parce que l'un lTIontaità clleval et l'autre en voitur.e. Aujourd'hui, nous avons un gouvernement sans plaTt, et c'est notre
malheur
~
.
Si vous
étiez à Paris, au milieu des llommes et des affaires, votre IJolitique de soli.lude cllangerait bien-
tôt.
..
Adieu, madame-, comptez en tout temps sur 1110naffectio~1sincère et sur un cœur dont la plus douce étllde est de ,rous comprendre. » »)
La lettre Slli"vante est en réponse à celle (le l\1u1eC... sur la Physiologie drt~111clriage, (IlIÎavait encouru sa réprobatio11 : Le sentiment cIe répulsion que vous arez éprouvé à la leeture des l)remières pages du livre que je vous ai porté; est troI) honora))le et tr01) délicat pour qu'un esprit, flIt-ce mên1e celui tIe l'auteur, pujsse s'en offe11ser; il prouve que 'TOUS n'appartenez pas à un monde de faussetés et de pertidies, que vous ne connaissez pas 1lne société qui flétrit tOllt, et clue vous êtes cligne de la soli(
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BALZA.C
tude où l'llolnme devient toujours si grand, si noble et si l)Uf. »
Il est p~eut-êtremalheureux pour l'auteur que
vous n'ayez pas résisté à ce premier sentiment qui saisit tout -être innocént à l'audition d'un cri-me, à la peinture de tout rnallleur, à la lecture de Juvénal, de RatJelais, de Perse et autres satiriques de mème force, car je crois que vous vous seriez réconcilié-e avec lui en lisant quelques leçons fortes, qt1elques plaidoyers vigoureux en faveur de la vertu de la (em1ne. » Mais comment vous reprocher unerrépugnance qui fait votre éloge? Comment vous en vouloir d'être de votre -sexe? »)Je vous demande donc ]Jlen l1umblement pardon de cet olltrage involontaire contre lequel je n1'étaÏs prélnuni, s'il vous en souvient! Et je vous. supplie de croire que le jugement le plus rigoureux ll\le vous avez porté sur cette œuvre ne peut altérer la sincérité de l'amitié que vous m'avez permis de vous porter. Daignez en agréer les nou-
veaux témoignages, etc. » I..a lettre qui Sllit est adressée d'Aix à Angoulême. lVIon frère était parti de cIlez l\f. C... pour la Sa'Toie:
B.A.L~A.C
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« Merci du fonel du CŒllfde yolre lettre si amie et si tendre, malgré toutes vos duretés..... ») Soyez tranquille,
le lJtlédeci11 de cam,pagne (un
selon votre cœur) paraîtra })Îentôt..... Je vous aime, parce que vous me dites tout ce que vous pensez; cependan t, je ne saurais accepter vos observations sur mes opinions politique3. Mes convictions sont venues à l'âge Oil un homme peut juger de son pays, de ses lois et de
livre
»)
ses mœurs. MOllparti n'a pas été prjs aveugléulent; je Il'ai été mû par aucune considération personnelle, je v-ous le jure... Mes idées sont saines et jllstes (du moins, je le crois); elles comportent ))enucoup plus de~,vôtres que vous ne le pensez; seulement, je prends une route que je crois plus -sûre pour arriver à un bOl1résultat; vous ne voyez qu'une partie des intérêts, cles choses, des l'ersonnes et des mœurs-. Je crois voir tout et tout COffiJJiner pour un état politique prospère. Jamais je ne me vendrai et serai toujours désintéressé et généreux clans ma ligne. Je veux par-dessus tout le pou voir fort. JI y allra toujours cohésion entre n1es paroles et mes actions. ») Quant aux moyens, j'en suis juge. Je Ine 8ÛUmets d'avance à toutes les CalOlTInies;je me suis préparé à tout; mais un jour, il Y aura des voix. pOlIr moi.
i66
BALZAC
» Vous pourrez ne pas approl1ver ou ne pas comprendre tout d'abord mes idées et n1es moyens, mais vous m'estimerez et m~aimerez tOlljours, parce que je sais n'être corruptible ni par un llochet, ni par l'argent, ni par une femme, ni par le ponvoir! Comptez là-dessus, je vois toujours toute ma vie et mets 'mon ~stjlTIeplus lJ
Cela dit, nè chercllez plus à me clljcaner sur
mes opinions; l'ensemble est arrêté; quant aux clétails, à des améliorations (l'exéclltion, votre DJ11itiésera toujours écoutée avec délice8.
)
L'existence de mon parti est liée à la recon-
naissance, sans arrière-pensée, des choses vou.. lues par la nature et des idées du siècle. )
Je vous recommanderai la propag:Ition de
nl0n lYédecfin de(carJ~pagne;il me fera des amis. (~'estun écrit bienfaisant à gagner le prix l\lontyon,. » PardonnBz-moi, chère, mes plaisanteries sur
l'argent de mes écrits; elles vous ont choquée; elles étaient toutes enfantines comme beaucoup de choses que je dis et fais! Cr-oyez-vollS que }'argent puisse payer mes travaux, fila san té ? non, non! Si mon imagination m'emporte quelquefois, je reviens bien vite au beau et au vrai, croyez-le!...
t6j
BALZAC
»)VOUSavez eu tort et raison cIe me laisser partjr; tort? parce que j'étais bien près de vous; raison, parce que les voyages agral1dissent les idées;
je dois Sllivre ma destinée largement!...
»)
Pour expJiqller ces cliscussiol1S politiques" il fallt dire qlle 110Samis, fort influents à Angouême, vOlllaient faire nommer mOll frère cléputé à la prochaille élection. Les propriétés (lue possédait ma mère, veuve, donnaieIlt le cens à son fils aîn.é. Voici la dernière Jett.re que MineC... In'a, l]ermis de pll})lier : « Je vous répoI1clssur-Ie-cl1amlJ SOlISle coup des émotions de votre lettre. Eh quoi! vous souffrez? Songez au magnétisnle, qui n'est pas une illusion. Si vous vOtl1ez en essayer, parlez; je ferais cent lietleS pOll-r VOlISéviter une douleur; vous ne savez pas combien je suis fidèle, exclusif et dévoué en ûBlitié. ») J'ai
dans l'âme, en 11ensantà vous, la r.econ-
naissance des heures où vous avez été si douce et si indulgente pour la sotte irritation que me do'n-
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BA.LZAC
nait le café; je voudrais hiel1 être encore à la PoutIreri e !.... » Le procès est jugé. MM.J). et B., les avocats
les plus distingués, ont décidé qu-e j'avais mis de la ITI
nl'a fort touché; en apprenant cette décision, il ln' a prié de tirer à vue-sur son banquier pour cette somme aftl1que je sois délivré; je l'ai remercié en lui disant qu'à toutes les époqués de ma vie mon courage s'est trouvé supérieur à toutes mes misères. J'ai ajouté que si, par une transaction suJJjte, il fallait ces trois mille Jluit cents francs, je les ]Jrendrais pour un nlüis. » l\ion libraire a été déclaré menteur et calomniateur envers moi par la même se11tence; les arbitres ont cependant jugé que je devais continuer les affaires avec lui, et ce sont des llommes d'llonneur !... Il est condarnrlé à me payer le livre du 1Jfédecir/;de campag1~e;il s'y refuse, il m'a donc fallu dépenser l'argent pour lever la sentence et la lui signitier, et aujoufcl'llui même on a saisi mon
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ollvrage. Voilà ma vie, des courses, des frais d'avoués; faites donc de belles clloses à la traverse! J'ai reçu des coups de poignard de ctlapitre en ellapitre de cet ouvrage qui m'a coûté personnellement mille francs de correct.ions dont les arbitres ne nl'ont pas tenu compte. » A la tin de la semaine, vous aurez ce livre;
ma foi, je crois POllvojr mourir en I)aix, j'ai fait une belle chose; cet ollvrage, à mon sens, vaut autant que des lois et des batailles gagnées; c'/est l'Évangile en action. l..a s_eeondeédition est tOtIte à moi. Celle à vingt SOLIS ne peut paraître qu'en décembre prochain. Que de gens ont pleuré à la confession du l\fédecin de campagIle! ~lmela duchesse d'A..., qui pleure rarement, en a été-tout émue. » J'-écris en ce n10ll1ent pour le Ja1tr~nal de l'Europe littérail"e, où j'ai une' action d-ecinq mille francs à paJTeren réclaction; les gens de lettres sont venus tous all secours d(~ce journal, qlli allai t tomber; c'est la clernière fois clue je m'engage ainsj. Je ne dois pas, l)our faire du bien aux uns, faire tort aux autres. ») Je m'occupe allssi de mes clizains. )) Adieu; soignez vous. Je ne voulais vous écrjre que quelques lignes, mais le lTIoyen de ne pas ])ilvarder un pell avec ses amis de cœur! VOlISavez 10
~jO
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rnjson, l'anlitié ne se trouve pas toute faite; ln mienne s'accroît chaque jour pour vous du passé et du l)résent; je retourne à ml~Spllrases; trouvez jci mille flèurs cl'âme et mes pIllS tendres SOllvcnirs. »)
Le jeune 110Illmequi ln'écrivait de sa mansarde en 1825: « i\jol1ter atl titre de granc} écriyain cellli de g'rand citoyen est une am-
IJilion qui petIt tenter encore, )) et qui adressai t-ces lettres à 1\1rneC..., cIetrente et un ans à trente-trois aI1S,eut en tOtIt temps 11ho110ral)le am))ition de servir son pa~Ts,anlbition flll'il eût jllstifiée sans dOllle. C'était la con,'iction de ceux qui le connurent intimenlel1t clans les clernières années de sa vie; cette COl1victio11sera peut-être partagée par les lcctellr's Cll1Înléditeront certaines œuvres (le InOl1 frère.
Il était sériellx dans toutes ses pensées, et il11e faut pas S'illJaginer, comme on l'a fait, cIne toutes ces sciences allxclueIles il a tOllché fussent pOtlf llli allssi vite olll)liées qu'apprises. Qlland il savait, il lIe savait pas supeT-
BA.LZAC
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ficiel1ement; cluand il ignorait, il avouait fort naïVen)ent son ignorance. Aussi, lorsq (l'il a,rait à traiter certains slljets qu'il n'avéiÎt }Jll apI)fofondir, allait-il consulter les gens spéciaux, à qui il rendait hautelnent la part qn'ils avaie11t dans qllelques-uIles cle ses Œllvres. L'orgueil se cachait peut-être sous ces aveux; il était bien C(11)ablecIe croire qlle le temps seulllli lnanquait pour tOlItsavoir. Ce désir C011stant de la fortune, enfill, qll'on a tant blâmé, sera, je crois, justifié parles détails que j'ai donnés; il ]a \70l1Jaitd'abord pour s'acquitter eIlvers tOllS. Celui qlli .la IJoursuivait par llll te] motif 11elnérite-t-il pas l'estime (le chaClln? 1\;1011 frère, engag'é l11alheureusen1el1t dans la vie, lutta COtlrageusement contre l'orage, carnIne le poëte 1)01'tllgajs, en élevallt au-dessus des vagues c[tli menaçaien t de l' englolltl r, cette œu'vre qll i {levait aussi lui donller la célébrité; ces circonstances le grandissent encore. Aussi estce avec un sentiment de fierté cIlle j'ai raconté ses infortllnes !...
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Je trouve une lettre de ces tell1pS qtli a rapport encore à ses œuvres; elle est écrite en /1835, de la Boulonnière, petite terre située près de Nemollfs, où il devait placer les personnages cIe son roman el'l/rtfjilrlelJlirouët:
. . . . . . . « La Flettr des pois est achevée... »
(Ce fut d'abord sous ce titre ql1e parut le livre qll'il appeJa plus tarclle C01~tr(ltde ma1~i(lge.) « J'ai réussi, je crois, à ce que je voulais faire. La seule scène (lu contrat de mariage fait COG1})rendre quel sera l'avenir des deux époux. Tu )1" trouveras une scène que je crois profondément c(nnjque: le combat du jHune et du vieux notarjat. Je suis parvenll à intéresser à la discussion de eel acte, telle qLI!elle a lieu. Voilà l'une des grandes scènes de la vie prjvée écrite; plus tard, je mOIltrerai l'Inventaire apres décès, où l'horrible se mêle si souvent au comique! Les commissairespriseurs doivent en savoir long sur les turpitudes ]1umaines ; je les ferai callser... ») Mon éditeur, la sublilne Mme B..., a fait la
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sottise d'envoyer les bonnes feuilles de la J?leur despois à Saint-Pétersbourg. On m'écrjt qu'jl n'y est bruit que de la supérior.itéde cenouveau che{d..œuvre(style d'éditeur). Cette sottise m'a prodigieusement ennuyé; le comique de tout ceci ne l1eut être saisi que par les gens d'affaires; le public n'aimera pas cette œuvre, mais il faut capter tou~tesles classes, et mon plan m'oblige à être llniversel. »
Tout ce que tu m'écris relativementà l'aehat
de mon terrai.n à Ville-d'Avray ne file fait rien; tu ne compreIlds donc pas que cet immeuble représentera ce que je dois à ma mère?.. Je n'aj pas 10 tem,ps de discuter ici, je te convaincrai à mon re-
tour.».
.
Pour ne rien omettre des agitations et (les tra,Taux de D10n frère, il faut parier eI1core de la Chroniq'ue de Paris et de la Rerue parisienne, feuilles littéraires qu'il voull1t créer. Sa place littéraire conquise, il espérél que l'exceJlente rédaction de ces feuilles les ferait réussir, et ]e désir de s'acquitter Je pIlls vite possible, désir qlli le poursuiv.ait tonto.
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BALZAC
jours, lui fit tenter ces entreprises. Une amie (le fila lllère lui prêta l'argent nécessaire pOLIr la COInposition et les frais des premiers nuInéros de la Cltroniq'ue, qllÎ précéda la ReVLle parisie1~ne. Ses bons et fidèles amis lui vinrent en aide: 1'héophile G..., Laurent J..., Léon G..., le ll1arquis (le B..., le oomte de G... Il appela aussi les jellnes tale11ts dont il l)révoyait l'avenir; Charles de Bernard, el1tre autres, publia dans la (~hro}~ique,la 1?en~1ne de quarante ans, Ulide ses chefs-d'œu\Tre, (lui eut depuis tant de succès. Ma]gré ces puissants appuis, la Chro1~ique tomba faute (l'argent et faute d'abonnés. Qtlelques années après ceL écl1ec, cet hOll1n1e, infatigable à l'esperance, écrivit l)resque seul les trois numéros de la Revu,e parisie'n1~e (il habitait alors ViIJe-d'Avray). Il pllblia dans cette revue des articles sur Frédéric Styndhal, Walter Scott et Cooper, qui, nl'a-t-on assuré, 801ft des modèles de critique littéraire. La fatigue que la compositiol1 cIe sa revue
BA.LZAC
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lui cOllta est eX)JrÎrnée dans ces quelques lignes datées de Ville-cI' Avray : « Je ne peux aller te voir, cl1ère sœur, la fatigue me cloue ici; j'arrête mon travail de 11uit, IHe couche tôt et dors. Je ne vais nlllle part, je suis brouillé avec M. de G... j'ai déjà rOmptl avec ce coin du monde. Ma troisième Iivraison de la Revue paraîtra dans deux jOllfS. Ne te tOllrmente pas, j'arrangerai le payement dont lu TIle parles. Pourquoi ma mère est-elle trjste? J'ai eI}COreà souffrir, il est vrai, mais dans le coml)at, jl faut marcher sans s'attendrir. ») A }JÎentôt, quoique cela; tu sais si le fnulJourg POiSSOI}nièrenl'attire. Venez à Ville - d' r\ vraJ', d'ailleurs, frère. »
si YOUS vous ennuy-ez trop ô}Jrès le
Pendant qu'il llabitait Ville-rl'.L~\Tray, il avait IOtlé lIne cllalnbre chez Bllisson, tailleur, au coin dll boulevard et de la f\le Ricllelieu; c'était là qu'il couchait quancl il venait f,asser ses soirées à Paris. l\près avoir vendll les Jardies, il alla demeurer rue Basse, n° 19, .à Passy, où il resta plusieurs anl1ées, et qu'il
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11equitta qt1e pour s'Î11staller dans sa lllaison cIe Beaujon. Là se bornèrent ses pérégrinations. Cependant, les attaques contre Ulon ffère redoublaient a\l lien de s'apaiser, et les critiques, ne pOllvant se répéter, ehangèrent leurs batteries et l'accu~èrent d'immoralité; c'était le meilleur lnoyen de lui faire àu tort et de lui aliéner le public qui s'effraya et s'indig'na
contre
!'alItetlf
de LA CÛ11ÉDIEHU-
1\IAI~ESes œuvres flIrent défendlles en Esl,agne, en Italie, notamment à Rome. L'În1moralité, facile à jllgee dans ]es actions, est fort difficile à préciser dal1s les œuvres d'art. N'instruit-on pas, au tl1éâtre et dans tes livres, 3l1ssi bien pal' la IJeinture des vices qlle par celle des vert\lS? Quel écrivait1, à moins d'être Berquin ou Florian, a échappé au reproehe d'immoralité de la part des critiques contemporains? C'est leur reSSOlITCequand ils n'ont rien à dire S\lr la valellr littéraire des œuvres. Molière fut en butte à leurs attaqlles pour son Tartuffe, Ric11ardson pour la créa-
BALZAC
fi7
tion de son Lovelace, cet horome si viciellx et si brillant. Que ne dut-on pas dire sur la ll1aison où J-Iovelace conduit Clarisse? Quelles clameurs enfin n'accueillirent pas la lJletnon Lescaut de l'abbé Prévost? Ces accusations furent très-funestes à Illon frère; elles le cllagrinèrent profondément et, par moments, le décourageaient. - On s'obstine à nier !'enseI11ble de mon œuvre pour en déchirer à belles dents les détails, disait-il; mes critiques pudil)onds se voilent la face devant certains persollnages de
LA COMÉDIE 'HUMAINE, Dlalhetlreusement
aussi vrais que les au tres, et qlli font repoussoir dans ce vastetablean des mœurs de notre époque; il Y a des vices dans notre teml)s carnIne dans tous les gutres ; voudraient-ils, all nom de l'innocence, que je vouasse au J)lanc les deux ou trois mille personnages qui figurent dans LA COMÉDIE IIUMAINE '? Je vouL-'
drais bien les voir à l'œuvre. Je n'invente pas les Marneffe mâle et ferneJle, les Hulot, les Philippe Brideau, que cl1acun coudoie
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B.lLZAC
dans notre vieille civilisation. J'écris pour les homInes et non pour les jeunes filles! qll'ils citent donc les pages où la religion et la famille sont attaquées! Ces injllstiees SOlllèvent le cœur et attristent l'âme ! De cjueIs tourments ]es succès SOllt-ils faits! ajoutait-il ell appuyant sa tête sur ses n1ains. - Après tout, pourquoi se I)Jain(lre ? La C011ditiolldes gens, supérieurs 11'est-elle pas effectivement (l'être ainsi tourlnentés, et leur couronrle 11'est-elle pas souvent une COtlronne d'épi11es que le vuJgaire salue irolliquement, en niallt leur royauté, jusqu'all jonI' où la mort leur donne l'imn1orlalité? ~lon fl-.ère a (lit quelque part dans ses œuvres: «
La mort est le sacre dll génie.
»
Il est j lIste, toutefois, de (lire flue si Balzac flIt soUVet1tfroissé 1)31'ceux qui nléco11naissaient volontairelllent ses idées et son caractère et par ceux lIlli l1ele comprenaient réellement pas, il eut aussi des triomphes (lui le vengeaie11t lie ces injustices. Je ne citerai Qll'lln seul de ces triompl1os:
BALZAC
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i\ Vienlle, el1 Autriclle" il el1tre un soir (]aI1s lIne salle de concert, et tOllS les assist()nts se lèvent en lnasse pOlIr SaltIer l'autel11" LAC01\iÉDIE HU}IAINE. En sortant, au milieu de la foule, un jeune étudiant se saisit de Ja main (le mon frère, la porte à seslèvres en disant: «
J'embrasse la ll1aïn qui a écrit Séraphita!
»)
- Il ~Tavait tant d'enthousiasme et de conviction Sllr ce jellne visage, me disait Honoré, (Ille cet homnlage sincèl"e m'a été all cœur., et quand on -I1Îemon talent, le S011venir de l'étlldiant me console. (~ethomme existe encore, sans doute; si cet écrit tombe sous ses yeux, il sera peutêtre heureux en pensant q11'il a donné une joie au gra11d écrivain, joie qu'il g~arda dans sa méu1oire. Les lettres clue je publie feront jt\ger de }'ar(le1]1"de cet esprit, et du sang chaleurellx (lui faisait battre ce cœllf qu'aucune déception ne IJlltjamais refroidir. La lecture (le cette corresponclance donne Je vertige; que de travallx, d'espérances et
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BA.LZA.C
de projets s'y succèùent ! quelle activité d'esprit! quel courage sans cesse renaissant! quelle rielle organisation! Si les chagrins de cœur, qui ne lui manquèrent ~as, ou la fatiglle, lui callsent çà et là qllelqlles découragen1ents, comme il les dompte et retrou\-e allssitôt son énergie puissante et celte force pour le travail qlli ne lui faillit jamais! Du reste, le Balzac du monde n'était plu5 celtli qui s'épa-nchait avec nOllSdans ses COJ1'versations ou dans ses lettres; il était aimable, brillant, et savait si bien dominertolltes ses peines qll'iI paraissait l'égal des 111u5hellrellX; seIltanl SOIlintelligence, il se mellait VOlolltiers au-dessus de tOllS. Il cachait fièrement sa pallvreté, 11arce qll'il n'etlt pas vaultl être pIaÎl1t; s'il se fût senti pIllS libre (l'agir, plus indépe11dant (les llonlmcs, il l'aurait fièrernent a,rollée. C'est dOl1Cpar l'infortune que Balzac arl'iya à la connaissance (le la société. Glli(lé par le gé11ie (le l'observation, il hantait vallées et 11al1teurs sociales, étllcliait COIIllnel.a'r,,""ater,
B_;\LZAC
181
StIr tOllS les visages, les stigmates qu'y impriment les passions ou les vices, collectionnait ses types dalls le grand bazar humain comme l'antiquaire chojs~t ses curiosités, év'Oq-llaitces types atlX I)laces où ils lui étaien t utiles, les posaitan premier ou au second plan, sel()n leur valellr, lellf distribuait la lumière et l'ombre avec la magie (Ill grand artiste qui connaîtla puissance des contrastes, inlprimait ellfin à chacune de ses créations, des noms, des traits, des idées, un lang3,ge, un caractère (Jui leur sont pro!)res et qui leur donnent une telle individualité, que, dans celte foule in1I11ense, pas {ln ne se confond avec un 8tJtrc. Il avait une singtllière tlléorie SIll'les noms; il prétendait que l(~s nOIns inventés ne donnent pas la ,~ie allX êtres imaginaires, tandis (lue cellX qui OIlt réelleI11ent été 110rtés ]es dÛl10nt de. réalité. £t\.ussÏprit-il tOllS cellX des })ersonnages cIe LA (:Ol\IÉDIEH.U~UAISE partout
où il se promenait. Il revenait jO~7euxde ses pro-menades quand jl avait fait qllelquc ])onnc conquête en ce genre. tt
t82
UA LZA.C
-
Jfati{tlt! Cllrdot! quels tlélicicllX 110UlS! me disait-il. J'ai trouvé l}tJctti.fat rlle de la Perle, all Marais. Je vois cléjà mon Matifat.! il aura uUe face pâlotte de cl_at, tln petit Cll1b011point,car Matifatl1'allra rien degrancliosc, COlllme tu IJeux Je croire. Et -Cardot? autre chose, ce sera un petit 110lTIInesec camIlle tIll caillou, vif et réjoui. Je compre11ds la joie qu'il ellt en trollvant Je nOIn de lJJclfCCf,S, lllais je le SOtlpçonne (}'(1'7oir inventé leZ. Connaissant la fidélité {le'certains po[~trai(s faits d'api'ès nature, ear, s'il prenait (les, Îvarlts leurs n0111S,jl prenait allssi lellrs caractères, 110US}10\IS effra~;iol}Sl)arfois de ees ressel11blances et craignions pOUf lui les 11011velles illÎnlitiés qll'elles pouvaient lui susciter. - Êtes-vous l1igallds! nons disait-il en riant et souleva11t ses ptlissanteB épalllcs (lui portaient aussi un 1110ncle;est ce qu'on sc connaît 1 est-ce ql1'il y a des nliroirs 110lll" refléter l'être Inoral? Si tIll Van Dycl{ tel (Jue
fH:;
BA_LZ~4.C
1110iIne 11eig11ait,je fIle saluerais cotnme on saLue lIn étranger-.
peu~...êtrc
Il allait alldaciellsemeIlt lire ses typ,es à ceux. CJlliavaient l)osé~ Ses audite{ll~s lui donllaÎent gain de cause, cal" IJend-ant que nOllS les regardions, pleins (l'anxiété, en pensant
cju'ils ne se reconnus..
sent pa~, eux clisaient : ,-rais ! ,rOIlS conllaissez
«
Quels caractères
clone 1'11\1.tels et teZR?
C'est lent portrait, leur vrài portra~it!
»
i\ côté de ceux (lui ne se reconnaissaient pas, il y 2n avait d'autres q1.1iVOlllaiellt a1)SolllU1ellt se recoll11aître clans certaines figures
cIe L.A COMÉDIE
JIUl\IAINE.
Que de fen1ll1es ont Cfll Jui avoir inspiré sa toucllante Henriette! 1\lon frère ne tira allCUlle cIe ces cllères al)usées Cl'tllle dOllce er'rOlll' qui les rendait si ardentes à sa défense. Qlle ce silence Illi soit par(IOn11é, il avait 'besoin de ces clévQ11clnents! Jall1ais alltellr ne combina pIllS J011gtelnps (Ille 1lli ses IJ}alls et l1e les porta plus long-
t84
BA.LZAC
temps en son cerveau avant est mort emportant dans ]a livre tout fait, qu'il réservait de son talent, effra~Té des CIu'ilentrevoyait. «
de les écrire; il tombe pltlS d'U11 pOllr'la maturité g.--ands llo'rizons
Je ne suis pas encore arrivé à la perfec-
tion nécessaire pOlIr aborder ces grancls 811jets, » disait-il. L'Essa,i Slbr les {orees litt'ina{nes, la Pcttllologie de let vie sociale, l'llistoire des corp,,; el~seig1~al~tfY' la JJlo1~ogrclpllie de la vertu,
tels
étaient les titres de ces livres dont les pages re8teront nlalheure1.1Sement blanches. Ceux CI1Iiconnaissent. l'art littéraire et qlli étudient les œuvres de Balzac ne l'accusent plus, comme on l'accllsa jadis, de n13rc}ler au hasard vers un dénoûment illconnn. Il pouvait, selon les caprices de l'exécution, cllanger (Iuelques détails, mais janlais le plan, toujours tracé d'avance. Nul plus que lui n'enchairla dans les liens du travail cette fécondité, cette facilité prodigieuse dont la nature l'avait doué.
TI _~ L ZAC
«
j85
Il faut se lnéfier (le ces (Jualités, disait-
il; elles n1ène11tSOll'lent à l'abondance stérile. Boileau avait raisoll, il faut sallS cesse cllàtier le style, qui, sel11, (Ionne la durée aux
(l}uvres. » Il ,déplorait à ce propos, de son gralld cœur d'artiste, les illllnenses talents gaspillés par (Illelqucs-uns cIe ses confrères qui s'abandonIlaÎellt trol) à ces facultés da~gereuses, seloll IllÎ . L'anlour qu'il avait pOl:r la perfection et son profond resl)ect })our son talent et pour~ le })ublic lui firent peut-être trop travailler ce style. Excepté cluelques œuvres écrites SOllS Ulle si 11eureuse iI1S1)irationqu'il les retoucha f}ell (telles (1ne lctAlesse de l'clthée, lct Grer/;(tllière, le lJlessftge, la l?em'11~e clba,ndon1~ée,etc.),
. ., . ce Il".etalt (lUapres a\:01r corrIge succeSSlve" 111ent onze Olt douze épreuves d'une même feuille, qu'il dOIl1laitle bo}~à tirertallt attendll par les pauvres typûgrapl1es, tellel11ent fatigués cIe ces correctiol1S, qu'ils ne pOl1\7aient faire chacun qll'une l)age cIe sllile cie Balzac.
436
BA.LZAC
Pelldant qu'il clo111andaittantd'épreu\~es tIc la 111êmefetlille et qlle ce.RcorJ'eetions clÏminllaient de beallcollp Je prix cle ses œU'Tre~ (car les libraires ne vOlllaient plus les supporter), 011l'acCllsait (le tirer à la page et de faire du mercantilisme! Les typogr'aphes CI1IÎ inlprimaientces reproches (levaient bien rire! Qlland les injtlstices arrivent all grotesque, il n'y a q'ue cela à faire; aussi Il'étaient-ce pns ces attaques-là qui tonrn1entaient mon frère. Ce qui l'ir'fitait davantage était c1'elltenc]re ceux qui prétenclaiellt le 10l.1Cret CJlIÎne Je cDlnprenaient pas. Ses œuvres Jes plus restrei11tes, clt1ilui \'Talurent à son début le titr'c dtl]JlllS fécOJl.dllf' I~OSr011~(l:}lCiers,flll'ellt celles qtli le nlirel1t
en réplltation; à l'abri de cet l1l1Il1bletitre qlli n'impliqtlait pas tIne gTande supériorité et n'éveillait el1core atlCnne jalOtlsie, il put. faire ilnprinler (les livl"es plus sériellx 'POll!' lesquels, sans sa réputation, il Il'eût peutêtre pas troll\ié (l'éditeur~ 1\Jais il n'ain1aÎt l)ê1Squ'ollIe
])ornât à ses l\-;'oltrelles Otlll1êll1C
Dl\ LZ..\ C
i8i
it ceux cIe ses rOlllans (lont les 1101~izonssont le nloills étendus. POlll' beaUCOtlp de personnes, et des plus aca-dérniques, Balzac est seulement le [ère il'l~'tlgél~ieG1"andet,. elles en sont restées là avec lui et ne lui accordent pas plus de pt)f'tée ni de gloire. Je n'ell veux pas à éette Œ1lvre comme 1}10nfrère lui en ,rOllIait, et n'entends pas ra])aisser le mérite de ce joyau littéraire, qtl'011 (t si justelnent cOlnparé à 11ntableau de Gérard Do,v Ott (le l\lieris; mais je crois que ))ea\lCOtlp de ses livres dépassent celui-ci ell IJfOfondeur, s'ils ne le dépassent pas comnle ,-ét'jlé et fini d'exécution.
Ce titre de pltts fécond de nos roma'l~cier.~, (lui lui servit d'abord, lui devint nuisible en ce point, que Balzac resta inconnu des gens sérietlX, qui le crurent indigne d'occuper 111êmeleurs loisirs, tandis que les esprits légers, qlli se nourrissent exclusivelnent de ronlans, passaient, con1me longuetlfS et hors(l'œllVre, les parties sérieuses (le ses œuvres
i88
BALZAC
{lOIltle3 falJulations 11e S011tsou\'ent que le cadre; il arrivait donc que beallcoup cIeceux qui lisaient LA COMÉDIE HU~fAINE ne la connaissaient pas {JInscIlleceux qui ne la lisaient pas'. C'est ainsi que Ba]zac n'obtint pas d'aborcl ]a place à laquelle il a droit dans les bibliothèques du 11ensellr, à coté de Rabelais, de Sllakspeare et de Molière, par sa glorieuse parenté avec ces grands esprits. Ceux qtlÎ ont suivi Balzac du berceau à la tombe pellvent assurer q\le cet llomme si clair.vojTant, si lucide, était confiant et simple jusqu'à l'enfantillage dans ses alllusel11ents, de }'hulneur ]a plus d011ce jusql1e clans ses jours de tristesse et de découragemeIlt, et d'une amabilité telle, dans l'illtinlité, que la vie était bonne près de lui. L'hoffilne qui écrivait le Curé de vil/eige, les Parents pa'uvres, les Paysans, ressen)blait à l'écolier en vaca11ces darls ses heures cle délassell1ents; il se111aitdes VOlllbilis le IOllg
BALZAC
189
du fitIr de SOlIjardin, l'lIe Basse, à Passy, les regardait le nlatin s'entl'"ouvrir, adn1iraitleurs cOtl1eurs, s'extasiait de la parnre de certains insectes, traversait Je bois de BOlllogne et venait à Suresnes, où nous étions momentanément, pour faire un boston de famille où il était plus enfant que ses nièces; il riait des calembollfs, enviait les heurellx qui avaient ce d01~,en cherchait, n'en trouvait pas, et disait a,rec regret: « Non, ça ne fait pas de
calembour! » Il citait 'Tolontiersles deux seuls qu'il avait trouvés en sa vie. « Succès peu franc, avouait-il en toute hUlllilité, car c'est salIS le vouloir qlle je les ai fails. » (Nous supposions mêlne q{l'il les avait enllJellis êlprès coup.) Les proverbes retournés, qui furent quelclue telnps de mode dans les ateliers, l'OCCllIJèrent beatlCOup; il Y était plus hel1reux (Ill'aUx.calembollfs; il en cOlnposait poor son rapin Mistigri (d''llr~Début'da{l~SlCl1c'ie) et pour ~IlnJCrémière (d' ~~rsllle111iro'ltët). La {e1n1nedoit être la che1~illeollvrière de t2.
130
BA.LZAC
lc/ n~(tison, lui callsa alItant (le joie LItle ses 111u8belles pensées.
-
VOIlS n'a1.lriez pas tro,uvé cela,
'~OlIS
ftl1tres! nous disait-il. ]1 composait pOtlr nos loteries les devises sous lesqlleJles }10PS c:achions les Jots, rt 110t18 arrivait
tout j~oyellx qllalld
il 110tlS ell
apporlait de j)onnes.
-
Un a\lteul' sert à C!llelqlle chose, (1isaÎ t.-il sérÏe11selnellt.
naIJS
I--Jemaître (le pial10 ShmllCI{ et le banqllier Nucil1gen, à qui il faisait parler le rrançaisallemand, ne l'aml1saient pas moins que S011 cher raT,in l\Jistigri ~t que l\lme Cré'ffilère. JI_ riait allX ]armes en 110118lisa11t ce (Ill'il Jeur faisait (lire dans letlr' jargon. 011 a beaucoup parlé, et non sans raÎsol1, {le 8011 amour-111"o!)re excessif, n1ai8 cet amOl.1r-prOpl"c était si franc, si bien jllStitié cl'3.illel1rs, (J1l'on le préférait à cette fatlSSf_~ 11l1lnilité qlli révèle SOtlVent })Îen plus (1'01'-
g'ueiI. ComnJent 110 pas pardol1ner
l"al110l1r-pro-
B _L\ 1.. Z .c\. C
fUI
pl~eà celui Cluivie11tde signer le l1fédec1.tttde carl~pag1~e,la Recherche de l'absolu, le C~tré de 'villa>geet tant d'aulres œll,rres capitales, lIuand ]a con\7iclion de son talent pOll'vait sellle IlIÎ donner la patience et la force nécessaires à la créatio'n de pareils ouvrages: il ellt mieux vallI sans doute réprimer' ce 11aïf entl10usiasme de lui-mêine, mais n'ét.ait-ce pas demander l'impo-ssible à un hOlno1e d'llIle telle vivacité d'impressions etd'une telle franc11ise? On voit d'ailleurs {iansoses Jettres que des dOtltes suivaient de près ses grancls conteI1lements, ils étaient allssi vrais (lue ses accès d'amour-prOI)re. Il V()USdemandait alol's avec anxiété si les ŒlIV"reSqtl] abrége.aient ses jOllrs le fer'aient vivre plus longtemps que les autres. ~Iais il ne faudrait pas croire que cet 3lTIOIJr-propre fût sourd et ne Sllt entenclre la 'Térité. On pouvait nettement lui dire: Telle clJose est InallvaÎse, selon nous. Il COlnm-ençait bien par crier, se débattre, ,rous injurier nlênle un }1etlet prétendre qlle ]'e11clr'oitjugé
i~2
BALZAC
faible était ))récisémoent le plus fort du li\:re ; Inais si, nonobstant ses injuI'es et sa colère, '70USteniez bon et souteniez vos opinions, cette fermeté le faisait réfléchir; il n:avait perdu aucune (le vos paroles et de vos observations, il les pesait et les jugeai t dans 1<\ solitu
V0\]8 aviez raisoll, Otl vous a,-iez tort, »
(lisait-il avec la mên1e })onn~ f()i, ayant. alItant de reconnaissa'nce clans l'Uf1 ou l'autre cas; et, malgré SOlI alnour-propre, c'était les amis Qll'il préférait !... Il riait tout le prel11ier de cet am.our-propre et permettait qll'on en rît; il était 11abile d'aillel1rs à connaître la valeur d'un éloge et n'était jamais dupe des banalités qll'on débitait. Il était simple et cOllfiant; il ne pouvait être nIaIS. JI adl11Ïrait le talel1t partollt où il était, aussi bien chez ses amis que chez ses enl1emis, et vengeait les uns et les autres COllt.re
BA.LZ_4.C
t9:)
tout.e 'll1lgal~jté (lui Cal()nlniait ou attaqllait . " l ' lote Il1gence.... Que de fois il a protégé, sans le dire, de pau'vres autellrs incon-nus, dont le 11asard 1l1i faiEait lire les premières œuvres, erl alla11t les recommancler à des directeul's (le re\rtlCS
,
et de jOllrnallx! « Cet homme a de l'a\lellir,
»
let1r elisait-il. VIl pareil jugelnent faisait autorité. l}ne phrase pittoresque, incisive, 1lli suffisait pOllf résumer une situation ou l'avenir d'un hOJnme, et il était impossible de n1Îeux cont.er, de mieux causer et de miellx lire qllC lui: aussi ne fallait-il pas l'entendre lire ses livres pour en juger les points faibles"; il cÙt fait admirer les \rer.s de TrÎssotin. L'égoïsme qu'on llli a reprocl1é te'nait à sa rnalhellreuse situation et à ses grands t.ravaux. Libre, il ellt été serviable et dé\ioué; on en appelle aux alnitiés Qll'il 8\1t conserver jusqu'à son dernier jour, et allX je11nes littérateurs auxquels il donna plus d~llne fois ses conseils et son tel11pS,sa seule fortune.
t94
BALZAC
l'lais celui (lui sacl~ifieses jours pour vivre (lans l'avenir 11'a-t-il pas le dl~oit de se SOllStl~air'eaux exigences de ]a société, à ces petit.s de\Toirs qui sont toute la vie des oisifs? et parce (IU'il s'en sera abstenu, Inérite-t-il d'être aCCllsé d'indifférence? I~es lettres que j'ai citées l'ép011dent victorieusement à ces aCcllsations et stlffjsent à fail~ejugeJ~ son cœur. Mon fl~ère possédait d'aillellrs l'art de se faire aimer à ce point, qu'on otlbliait en sa présence les grÎ<efs clu'à tort OIlà raisoll, on avait contre Illi, pOllr ne se souvenir qt1e de l'affection qu'on lui portait. l'ou8 les gCl1Sqlli l'ont servi ne l'OI1t pas Ollblié, ill1e pouvait cepel1dant pas les traiter selon ses désirs! Depuis la pauvre fenlme ClOl1t il parle dans F(lCl'nOCarl,e(elle avait ren1placl~ (lailS sa ll1ansarde l'irt,intelligent lJfoi-m~'me), (lui acco(1ra,it tOllSles matins rue de Lesdigllières, du fond dll faubourg Saint-i\ntoiI1C et qui alla le voir partO\lt où il demellra, jllSqu'à François, l'ancÎen lnilitaire, (fui fut
BAtZ.AC
un de ses derniers servitellrs,
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tous l'aÎll1èrent
jusqu'art dévouelnellt; et Diel1 sait s'ils connaissaie11t chez llli l'oisrveté et l'abondance! «
Je ne sais ce qu'il a, on le servirait pOl1r
rien, disaient-ils; 011 ne sent ni fatigue l)i SOI)11neilqlland il a ])esoin de vous, et qtl'il .vous g'ronde Oll vous réconlpense, on est tOll-
jOllrs content de lui.
»)
Quant à ses anlitiés., il est bÎell vrai, COl11n1e irl'écrivaÎt dans la lettre à 1\1.D..~, q1:1'iln'en trahit .aucune et les conserva toutes. Lié avec les 110IDlnes les -plus remarquables de }'époclue, tOllS s'}lonoraient de son affection et le payaient de retour. PltlSd'une fois, il qtlitta ses trav3lIX pOlIr aller voir un ami malade; cl1ez lui, les devoir's Clllcœur primaient tOllS les 3lltres. 80'0 entl~ainement a,-rec cellX cJu'il ai111ait était tel, qu'arrivé pOLIrtIn inslal1t, il restait (1es 11eures avec eux; puis .venaient (es reJnol~ds, il s'admonestait
en disallt :
l\fonstre! infâme t tll aurais clû faire cIe la copie 3l11iell cIe parlel'! ») Ilperdait encore «
136
B .\. L Z A_ C
(lll tell1psà 8upputercoml)ien lleures de délasselllel1t, i)artan.t de chiffres 3UX~plus exorbitants.
lui coÙtaientses
COInpte fablllellX qui-, rais
« Car il faut conlpter
arri,-ai t
les réill11)ressions, )
(lisai t-il. En résumé, ce gl'and esprit av.ait toutes les grâces et tOllt le c11arme des gens qlli ne brillent que par lellf alnabilité. Son 11ellreuse et ailTIable gaieté lui rendait cette sérénité dont il avait besoin pOll!' contintler ses labeurs; ruais bien fOll celui (lui prétendait jllger Balzac da11sces instants (le folie; l'hoffiIIle-enfant, remis au travail, redevenait le plus grave et le plus l)rofond des pensellfs ! G-eorge Salld, q11il'a bien connll, et qui a noblement parlé de lui, George Sand, (IU'il appelait SOJ~frère (;eorge, pour rendre &1..11S doute hommage à son génie viril, s'est trompée en un seul point, sur l'extrême sagesse
DALZAC
191
Inait et goûtait tous les plaisirs df~ce mOl1de; je crois 4u'il aurait ])u être le plus fat de toos les 11ommes, s'il n'en 3,rait pas été le plllS discret! Lui, si confiant pOlIr lout ce qui le regardai t, ne cOlnmit jamais atlCul1eindiscrétion dans ses relations et g"ardait fidèlement les secrets des alltres, s'il ne savait pas garder les siens. Je trouve clans ses lettres celte appréciatio11 de George Sand: « Elle n'a aucune petitesse en l'âme ni aucur~e de ces JJôssrs jalousies qui obscurcissent tant de t~lents contemporains. DUI11aslui ressemble en ce l)oint. » George Sand est une très-"noble amie, et je la C011sulteraisen tOlIte confiance dans mes moments de doute sur le parti logique à prendre el1 telle ou telle occurrence; mais je crois que le sens critique lui manque, au moins de prime-saut; elle se laisse trop facilement persuader, ne tient pas assez à ses opinions 'ct 11esait pas combattre les motifs que lui oppose son adyersaire pour se donner raison. »)
!~J
B ,,\ L ZAC
f\IOll fl~ère (lisait 1)lais8Ullllcllt, à propos de ~~a l)etite taille (il n'avait que cin(} pie(ls), «
que Ie.s grands
hOfi)meS étaient presqll~
toujoul"s petits. »
]1 fat1t sallS doute que la tête soit près
(ltl cœllr pour que ces deux p1.1issances qui g'ol1vernent l'organisation humaine fonction11ent bien, » ajol1 tait-il. 011 le tro11vait loujollrs cllez llli \Têtll d'ulle large ro])e de cllaln])re de cachemire blanc (10l1JJlée (le soie blancl1e, taillée COInn1Ccello (l'lIn Inoine, attachée par llne cordelière de 8oie, la tête couverte de cette calQtte dantpEqlle de ,Telonrs noir aclol)tée dans sa Inansarde, Clll'il porta tOlljollrs (le puis et qlle n13 mère sellle ltli faisait. Selon les hellres où il sortait, sa I11i5eétait 'fort l1égligée ou fort soignée. Si on le l''eocontrait le Inatin, fatigué par dOllze heures. (Ic tr'avail,
C01.II--antatlX ÎIllI)!"'jrneries, l111vietlx
ehapeatl rabattu sur les yeux, ses admirables Inains cachées SOllS des gallts grossiers, les 11iec(schallssés de souliers à 113l1tsqllartiers
B.A LZ..~C
t~H}
l1assés sur ll111argepantalol1 il.plis et it l)ieds, il I)Ollvait èlre confolldll clans la fOllle; mais s'Il clécollvrait SOl1front, vous regarc13it ort vous parJait, ]'holnme Je pIllS vulgajre se sOll,Tenaitde ltli. Son intelligence, si constan1ment exercée, avait en,core dévelo'p'llé ce fro'nt 11atllt~eIlen1cnt vasle, qui recevait tant de ltlmières! celte intelligence se trahissait à ses premiers 1110t8et jllsque dans ses gestes! Un peil1tre L:urait ptl ét11dier sur ce visage si mobile les eXI)ressions cle tous les selltiments: Joie, pèi11e,é11ergie, clécollragement, ironie, espérances Otl déceptions, il reflétait tOtltes les situations cIe l'âme. Tl triomphait de la vlIJgarité {lue dOllne l'elnbonpoint ])ar des Inanières et des gestes Cl111)reintsd'LIne grâce et d'une distil1ctiol1 na tiYes. Sa chevelure, ClO'Iltil variait souvent l'arrangement, était toujours arlistiqtle, cle quelcrue manière ~lt1'illa porlât. Un ciseau immortel a laissé ses traits à la
200
B}\LZ AC
}lostérilé. LcJ)ustc qlle David a fait rIe lDOl1 frère, alors âgé de fJuarante-q-uatre 311S,a rep-rodllit fidèlelnent son heall front, cetle magniftqlle chevelul"e, indice de sa force pI1~Tsiq1.Ie égale à sa force lTIorale, l'enchâsseJnel1t nle,rveillellx de ses ~ïellx, les lignes Eâ fines de ce nez carré, de cette bOllche aux contours Si11UCllXoù la bonhomie s'alliait à la raillerie, ce n1enton qui achevait l'oyale si pur (le SOl1,~isage 3,rant que l'elnbonpoillt en eût al téré l'harll1onie. Mais le Inar}Jrc [l'a pu mallleureusenlent conserver le feu cIe ces flambeau,x de l'i11telljgence, de ces ~!ellX
TI A L Z ..\ C
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l'Ion frère COIICOtlrlltpour le prix l\lontyol1 avec son livre du Jtlédecin (le Ca,ln[agne, et ne l'obtil1t pas. JI se présenta dellx fois à l'Académie et ne fut pas reçu. Une Jettre adressée par lui à Noclier, et que je tiens de l'obligeance cIeSOlI petit-fils, l'I. l\fénessier-Nodier, se rapporte à sa première défaite: « ~fon bon Nodier,
» Je sais aujourd'llui trop sûrement que ma situation de fortune est une des raisons qui m'est opposée à l'Académie, l)our ne pas vous prier avecune profonde (louleur ùe disposer de votre infIuencc autrelnent qll'en ma faveur. » Si je ne puis parvenir à l'Acadélnie à CallSt-1 de la plus llonorable des pauvretés, je ne me préscn-terai jamais aux jours où la prospérité ITI'aCCOrdera ses faveurs. J'écris en ce sans à notre anli Victor Hugo, qui s'intéresse à moi. » Dieu vous donne la santé, mon bon Nodier. )l
1\1.L. J., son ami, nl'a permis de publier ces trois lettres, écri les de Rossie da11sl'année qtti précéda la mort d'e mon frère:
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l'Ion cher L...,
-
» Si le Théâtre Francais refuse lJtle1~cadet,tu 11CUXoffrir la pièce, avec toutes les I)récautions {l'usage, à Frédérick Lemaîlre. Je jouis ici d'une tranqllillilé qll! m'a perrnis de travailler; aussi recevras-tu plusieurs scénarios cet 11iver qui pourront occuper tes IOÎsirs, car je veux ta collatJoration. Tu auras ])ientôt le Roi dps n~endiants. Je vOlldrais l)ien savoir ce que devient notre pauvre France, que les répu})licains tiennent au lit, il me semble. Je suis trop patriot.e pour ne pas l)cnser à la profonde misère qui doit étreindre cl1ôcun, les artistes et les gens de lettres surtout! Quel gouffre que. celui du Paris actuel! il a englollt.i L..., H... et bien d'autres sans doute; et toi, mon ami, que deviens-tu? La république te 11errnctelle erlcore de déjeuner au café Cardinal et de dîncr chez Vachette? . . . . . . . 0 . . . . . . . . . . c)
.
» NOlISavons ici un Ilomme qui travaille le fèr J'une manière merveilleuse; si tu voulais m'envoyer le dessill d'une coupe, si riche qu'elle soit, jl saurait l'exécuter, soit en fer, soit en argent. l'u aiderais ainsi un grand artiste poussé en pleine Ukraine comme un cllampignon. Si tu pouvais en-
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~o:)
fia joindre à cc ùessin quelques bonnes gravures (lui se vendent souvent pour peu <.lechose el fnirc U11e11et.itecollectioll (l'ornements, je te rembourserais ces frais avec plaisir; je te dirais COITlnl~nt tu peux me les fajre p{}rVeniL~, et nous aurions aidé ainsi un digne et grand artiste en lui donnant ùes modèles. » l\fille an1itiés, Inalgré ton lac(JnÎsme. Tout à loj de cœur. }) « 9 féYl'ier 49.
» ~la sœur Iu'éerit les étranges transformn\Î(}ns que H... veut faire subir à 1J/ercadet. Ton l'~.prit et ta raison ont dû te dén10ntrer avnnt ma ]eltrn "-1u'il est inlj)Ossi1.>letie cllanger une comédie de ~aractère en Ul1gros IDélodrlllne. ») Je n'ai jan1ajs pensé que cette pièce l)ùt (iller au boulevard sans Frédérick Lemaître, Clarence, Fecllter et Colbrun. » Donc, je n1'OPI)oSeformellernent à cc qu'ou travestisse
...7J;lercadetet le représente.
Mais je n' C1l1-
IJêche pas qlle Il... fosse fail~eune pièce sur cc sujet; seulélnent il faut que tu saclles et que ttl (lises: » Que perso11ne ne s'intéresse, all tlléltre, aux.
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affaires d'argent, elles sont antidranlatiques et ne l)Cuvent donner lieu qu'à des com'édie~ comme celle de lJtlercadet, qui rentre dans l'ancien genre des pièces à caractère. Donc, je me résume .: ma pièce restera telle qu'elle est. Les sujets sont il tout le monde. Il..., qui a une grandé habitude du théàtre, -n'en fera pas faire tl11 drame, car il falldrait aller jllSqu'à l'assassinat p'Otlf intéresser. » ~faintenant, Ulon cher L..., si tu peux savoir tic source certaine quels sont les deux académiciens ~-uim.ontdonné leurs voix dans fila seconde défaite, tu Ine feras grand plaisir, car je veux les rcnlercjer d'ici ':loi-même. ~Iajs cornme plusieurs youùront être de ces deux voix, ne te trompe pas; je veux être sûr des deux yraies voix. ))
» L'.L\.cadémie n1'a préféré
M. ***. Il est £ans doute
Illcil1eur écrivain que moi, filais je suis rneilleur gentilhon1me que lui, car je me suis retiré devant la candiùat ure de Victor IIugo. Et })uis ~l. Jt** est un homnle rangé, et filai j'ai des dcttes, p:dsarnJJleu !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. »)
J... a été gracieux pour moi; je te 11riede
fen rClnercier "i vernent. Si tu rencontres G3utier, dis-lui 0(-5 choses affectueuses de ma port, car il
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Ine revient de côté et d'autre des nouvelles de la Presse. Ses articles font sensation en Allemag-net malgré les révolutions, les sermons pl1ilosoplliques et autres Iluages allemands. » Autant à Rolle, mon vieux camarade, quj a, dit-on, parlé fort gentin1ent de LA COMÉDIEHUItAINE.
» Tu auras sous peu leRoi des 1nendiants, pièce de circonstance en république et flatteuse pOtlr la majesté l)Opulaire. » Dieu te garde, et compte sur moi comme sur un llomme qui se dira toujours tOil ami. » « to décClubrc 49.
» ~Jon cher L..., » Une malad ie de cœur, longue et cruello, à péripéties cliverses, m'a empêché d'écrire, excCl)té pour nIes inextricables affaires et les stricis devoirs de famille. » Aujourd'hui les docteurs (il Y en a deux) meperlnettent, non pas le travail, mais seulement la djstraction, j'en profite PO'jf t'écrire. » Si je reviens à Paris dans deux mois, ce sera grand bonheur, ca.r il me faut au moins ce telnI)s l>our achever ma guérison. J'ai tristement paJé les. 12
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cx.cès de travail aUXt1uelsje me suis livré; 11lajsne I)arlons pas de Lela. »,Donc, je pourrais être à Paris en février proehnin avec la ferme et nécessaire envie de trayailler, comme membre de la Société des autellfS dramatiques, car dans mes longs jours de traitc~lnent,j'ai trouvé une petite Californie tlléâtrale il exploiter; mais que faire ici? Il est in1possiJJ~c J'envoyer des manuscrils d'une certaine dimel1SiOl1.La frontière a été fermée à cause de la guerre, et nul étranger ne serait maintenant admis. Attendons donc filon retour pour faire miellx (lue d'en parler. » Je suis sûr qu'il y a chez nous de grandes sOllffrances dans la littérature et dans les arts. Tout c.home, Il'est-ce pas'? En février 1850, trouverais-je un l)ublic l.ilare? C'est douteux. Néanmoins, je travaillerai. Pense qU'lIne scène écrite par jour fait. trois cellt soixante-cinq scènes par an~,qui font djx l)ièces. Ell tonlJ)àt-il cjnq, trois n'eussent-elles ql1e tles denli-succèsl, resterait encore dellX succès qui feraient un joli résultat. » Oui, du courage, que la santé file revienne, et je m'embarque hardjment dans la galère dra111atique avec de bons s'ljets. Mais que Dietl me .garde d'échouer .contre des bancs déserts!
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» Je te le répète, mon ami, tout bonlleur est rai t de courage et de tra.vail. J'ai vu J)ien lies'jours de. misère, et avec l'énergie et surtout des illusioJ)s, je m'en suis toujours tiré; 'c'est pourquoi j'espère Cllcore et beaucoup. »
Nous avons ici un savant revenu de l'.l\rménie
fini a retrouvé clans le l{urde les juifs de Moïsepur sông. »)
A bientôt et mille amitiés.
1\ propos
)
(le Ai ercadet, je (lirai quelques
]110t8StIr l-"(l~ltTi1~,la première
pièce (le 111011
frère représentée le 14 mars 184.0,à la PortcSaÎnt-l\fartin. l'acte.ur chargé de ce rôle eut, il ]'insll du directeur et de l'atltellr, l'idée el('o copier
un tl~ès - grand
l)ersonnage
dans
Itl
scène où Va\ltrill paraît en général mexicain. flonoré conlprit aussitôt qu'on défendrait la~ l)ièce. Je savais les raisons qui rendaient ce succès11écessaire. Inquiète de]a révoltltÎon qu'avait (lû proll\lire le renversement (le ses espérances, je courus le lendemain rue de Richeliell, (l:Jns la charabre que filon frère OCCtl--
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pait, et je le trouvai en proie à lIne grosse fièvre. Je l'emlnenai cllez moi pour le soigner. DClIX helIres après son installation, Vie tOI'Httgo, Alexandre Dumas et plusie1.1fS autres de ses confrères accouraient pour lui otIi~ir]ellrs services. 1\1. *.*
arrive et dit à mon frère qu'il se fait
fort (le lui obtenir une helle indemnité s'il COllsentà retirer JT(lutri1~,afin d'éviter à l'autorité une initiative qu'il lui serait désagréable de prendre. - Monsietlr, lui répondit mon frère, l'interdictiol1 de JTaut1~i1~ me sera fort préjudiciable, I11aisje n'accepterai pas d'argent en payement d'lll1e injustice; on défendra ma pièce, car je ne la retirerai pas. JTa,utrin fut rayé de l'affiche à la troisième repJ'ésentation. Les prelniers essais dralnatiques de Inon frère n1éritaient-ils ou non lellr insuccès? je l1e sais; 111aisje crois qlle celui qui créa le type de Mercaclet et s011da le premier cette plaie de l'agiotage qlli attaque et désole au-
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jourd'hui tant de familles, pOllvait espérer une seconde illustration littéraire. Le temps viendra peut-être d'ac}lever le récit des dernières années de l'existence de mon frère; ces détails seront égaJelnent appuyés de lettres qui prouveront le changement qu'une expérience si chèrement achetée avait apporté à cette vaste intelligence: le Balzac d'alors avait triomphé de ses eX[Jansians, était devenu prudent, grave, sérieux Jnêm.e, sans misanthropie toutefois. Je parlerai enfin des derniers jour de sa vie, br'isée dans toute la force de son âge et de son talent, avant qu'il eût achevé son œuvre, qtland il espérait le bonheur et allait au lnoins jouir de cette tranCluillité si longtemps clésirée, circonstances douloureuses qui érnurent amis et ennemis. D'ill1menses succès, de grandes affections firel1t les joies de sa vie; il eut aussi des afflictions suprêmes, rien n'est médiocre dans !'ân1e de celui que Dieu a doué d'exquises
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sensij)ilités et d'uIle halite illtelligence. Qui osera le plainclre Ol1 l'envier? J'ai révélé SOIl caractère, je l'ai 111011tré dans sa \Tiel)ri-\lée, ses sentiments cIe falnille et ses amitiés, j'ai raconté (les i11fortunes vaillamment combat.tlles, cOllrageusemellt supportées, je crois avoir renlpli llla tâche el) faisant estimer et
FIN.