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Etchegoyen
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auxquelles le prochain Président n’échappera pas
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Alain
Etchegoyen
10questions
auxquelles le prochain Président n’échappera pas
homoparentalité • école chômage • proportionnelle mondialisation • SMIC • OGM eugénisme • Europe • guerre
ALAIN ETCHEGOYEN
10 questions auxquelles le prochain Président n’échappera pas
Groupe Eyrolles 61, bd Saint-Germain 75240 Paris cedex 05 www.editions-eyrolles.com
––––––– Chez le même éditeur Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh, Introduction à la société musulmane Thibaud Collin, Le mariage gay William Easterly, Les pays pauvres sont-ils condamnés à le rester ? Philippe Moreau Defarges, Où va l’Europe ? Bernard Nadoulek, L’épopée des civilisations Alain Simon, Géopolitique d’un monde mélancolique
––––––––
Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée notamment dans l’enseignement provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’Éditeur ou du Centre Français d’Exploitation du Droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
© Groupe Eyrolles, 2007 ISBN 10 : 2-7081-3612-7 ISBN 13 : 978-2-7081-3612-0
Question préliminaire
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Les impératifs du débat démocratique
10 questions. 10 réponses attendues. Des centaines de réponses dont les Français n’ont pas besoin. 10 questions, c’est très peu par rapport à toutes celles qui seront abordées durant la campagne. 10 questions aux candidats. 10 questions pour notre futur Président. 10 questions pour comprendre sa manière de raisonner, ses engagements, sa personnalité. 10 questions pour voir qui prend des risques et qui n’en prend pas. 10 questions qui peuvent fâcher. 10 questions éparses dans les champs variés que couvre la Présidence. 10 questions. 10 questions seulement ? C’est arbitraire. De quel droit ? On en verrait bien 15, ou 20, ou 30, ou 100… ! Oui, 10 questions, c’est arbitraire. C’est presque présomptueux. Car chaque Français a le droit d’interroger sur la chasse, sur le climat, sur les trente-cinq heures. Personne ne s’en privera. Mais ces 10 questions sont communes, communes à tous les candidats. S’ils ont la volonté de répondre, leurs réponses seront comparées. Directes, langue de bois, dégagements en touche, arguments dirimants, dubitatives, prudentes, courageuses… 10 questions sans règle du jeu, dans l’attente de toutes réponses, c’est-à-dire de réponses de tous. 10 questions car nous vivrons une élection présidentielle exceptionnelle. L’année 2007 ne sera 3
pas une année comme les autres. Pour la première fois depuis douze ans, nous aurons un authentique débat politique. Certes le référendum européen avait été l’objet de multiples débats, mais les cartes étaient brouillées, les camps redistribués, la question du pouvoir hors sujet. L’élection présidentielle se déroule désormais tous les cinq ans dans la République française. Elle constitue l’échéance politique principale de notre vie démocratique. Quelques symptômes inquiètent quant à la vivacité des citoyens au regard des choix politiques : on constate en effet un éloignement des Français par rapport à la classe politique dans son ensemble, un réel scepticisme sur la sincérité des engagements pris et une méfiance accrue qui laisseraient croire à un désintérêt des citoyens pour la chose publique. Néanmoins, les Français constituent un peuple politique. Dans les moments décisifs du débat démocratique, ils sont très nombreux à observer les comportements des uns et des autres : l’allocution du 31 mars 2006, en pleine crise du CPE, a été suivie par près de douze millions de téléspectateurs, et chaque débat qui précède le second tour des élections présidentielles connaît un record d’audience. Depuis vingt ans, les Français n’ont jamais reconduit la majorité sortante lors des élections législatives ; en revanche, sous la cinquième République, ils ont toujours renouvelé le mandat présidentiel (le général de Gaulle, François Mitterrand, Jacques Chirac), quand la situation se présentait, à une exception près (Valéry Giscard d’Estaing). Dans la foulée de ces élections présidentielles, les élections législatives ont toujours été gagnées par la majorité présidentielle. Le sens de nos institutions et cet effet d’entraînement montrent l’importance du scrutin présidentiel alors même que le quinquennat pourrait l’affaiblir. Sans entrer dans ce débat tranché par le 4
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Question préliminaire
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Les impératifs du débat démocratique
suffrage universel, deux remarques méritent d’être faites pour bien situer l’enjeu singulier de ce scrutin : la concordance des temps entre mandat présidentiel et législature doit permettre d’éviter ces cohabitations qui ont entamé la fonction présidentielle. Désormais, le Président dispose d’une majorité stable qui lui permet de mener une politique cohérente pendant cinq années, s’il en a la volonté et la détermination. En même temps, il est intimement lié à cette majorité et, le temps aidant, le rôle du Parlement devra nécessairement se transformer. Cette concordance des temps ne met pas à l’abri d’échecs électoraux lors d’élections locales ou européennes, mais celles-ci ne discréditent pas la légitimité du chef de l’État. Seul un référendum appelé de ses vœux entame sa légitimité s’il est désavoué par le vote des Français. Le fait que le Président Chirac ait souhaité demeurer à son poste en 2005, en dépit de son échec au référendum sur les institutions européennes, a certainement contribué à affaiblir la fonction présidentielle. Il n’est pas étonnant que plusieurs candidats à la candidature (Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn) insistent, dans leurs discours, sur l’importance de cette fonction présidentielle. Cette orientation va certainement contribuer à accroître l’intensité des débats préélectoraux, car la prochaine échéance de 2007 va voir son sens politique se renforcer. Après une campagne du premier tour très attentiste, le second tour de 2002 a escamoté le débat politique. En 2007, nous n’aurons donc pas eu de grand débat politique gauche/droite depuis douze ans ! C’est un paradoxe majeur de cette élection. Alors que le quinquennat doit assurer une meilleure fréquence du grand débat politique national, c’est au moment même où le quinquennat est mis en place que la France souffre d’un étrange silence depuis douze ans. C’est pourquoi 5
cette échéance sera exceptionnelle. Ce sera le premier grand débat du XXIe siècle. La télévision ne nous propose plus que des soliloques : jamais le Président de la République ou le Premier ministre n’acceptent de débats, à armes égales, avec leurs interlocuteurs de l’opposition. Les candidats à la candidature, pour des raisons diverses, voire opposées, font de même. Notre pays est donc sevré d’un authentique débat démocratique depuis des années. Cette situation peut être dite grave car, en douze ans, le monde économique et la société française ont profondément changé. Le service public de l’audiovisuel doit retrouver sa mission presque oubliée. Platon et surtout Socrate n’étaient pas tendres pour la démocratie. Mais nous repérons, en les lisant, les écueils qui, parfois, la discréditent. La question du dialogue et du débat – reprise aujourd’hui notamment par Habermas – est au cœur de leurs critiques. Selon eux, nous ne devons pas laisser les chefs démocratiques monologuer : le prototype du discours devant l’agora se réplique aujourd’hui lors des meetings et surtout dans les médias. Ces derniers pourraient jouer un rôle considérable dans le débat public. Mais ils se sont, la plupart du temps, rendus aux exigences des politiques : refusent-ils de débattre publiquement avec leurs adversaires, on leur propose un entretien avec un journaliste. Pour les philosophes grecs, le monologue permet de flatter le peuple, de lui être agréable, de ne pas répondre aux questions gênantes : avec lui, le discours politique s’abîme dans la rhétorique. Ainsi regrettaient-ils le pouvoir donné à la doxa, cette opinion que nous nommons désormais opinion publique. Je n’ai pas mentionné le cas dans les 10 questions. Mais un nouveau Président de la République devrait s’engager à dynamiser le débat politique. Les Français en ont assez des dirigeants qui refusent de prendre le risque du moindre 6
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Les impératifs du débat démocratique
débat public. Les politiques aiment la polémique, mais ils détestent la contradiction. Ils aiment monologuer quand on leur a préparé des fiches, ils refusent d’improviser. Les politiques doivent retrouver le goût du risque avant d’exiger que les entrepreneurs prennent des risques ou que les salariés les acceptent. Je suis convaincu que la méfiance générale provient de cette conviction : les politiques ne savent plus s’exposer, ils ne savent qu’exposer. Certains disent écouter les Français, mais ils refusent de dialoguer avec leurs adversaires. L’échéance de 2007 est donc une grande occasion à ne pas gâcher. Nous pouvons relancer le débat, qui est l’âme même de la vie démocratique. Il passe par le dialogue, la contradiction, l’opposition des points de vue. Socrate, le philosophe qui refusa d’écrire un seul livre, pour éviter de pratiquer ce monologue dangereux, ne s’étonnerait pas que, dans notre France démocratique, l’écriture d’un livre soit la première onction dont l’homme politique ressent l’urgence et le besoin. Qu’on cesse cette « pipolisation » qui consiste à mettre en face des politiques des citoyens désarmés. Platon et Socrate avaient raison : la démagogie est la croix de la démocratie. L’échéance de 2007 est l’occasion à ne pas manquer. Nous savons que nous élirons un Président qui aura le temps devant lui. Il sera élu sur des choix explicites. Bien sûr, un Président n’applique jamais tout son programme électoral. Il ne faut pas voir dans cette attitude un manquement pervers aux engagements dits électoraux. En effet, le Président et sa majorité proposent des programmes qui contiennent quantité de mesures. Certaines ne satisfont que leur électorat et peuvent être critiquées a priori, car elles servent avant tout à résoudre des problèmes internes à chaque camp. Mais là n’est pas l’essentiel : quand on est élu par 51 ou 52 % des Français, on ne peut 7
faire comme si on l’était par 100 % de la population. Par ailleurs, parmi ces 51 ou 52 % des Français qui désignent généralement le Président de la République, il est certain que tous n’approuvent pas tout le programme. Il n’existe donc pas de mandat impératif, ni moralement ni politiquement. Cette remarque ne dénie pas leur pertinence aux programmes, mais veut contredire cette affirmation naïve selon laquelle les candidats élus ne respectent jamais leurs engagements : ils écrivent, dans leur programme, ce qu’ils feraient s’ils avaient les mains libres, s’ils étaient seuls à décider. Ce serait faire fi de toute vie démocratique que d’exiger l’application mécanique de tout le programme. On évoque quelquefois le « troisième tour social ». On a tort de mépriser cette expression, car la liberté de manifestation est un élément fondamental de la liberté d’expression. Et il est tout à fait nécessaire, dans une vie démocratique, que certains continuent à s’opposer à des éléments qui sont contenus dans le programme du candidat élu, car rien, absolument rien, ne peut assurer qu’une majorité de Français approuvent telle ou telle mesure. Il est en effet impossible d’organiser un référendum sur chaque décision politique majeure qui divise les Français. Le Parlement et ses commissions travaillent en ce sens, mais leur rôle reste encore faible face au pouvoir exécutif. Objectera-t-on qu’une campagne électorale n’est jamais enfermée dans des idées ? Certes, l’échéance présidentielle met en compétition des hommes et des femmes dont comptent les personnalités, les caractères, le verbe ou l’image. Aussi de nombreuses petites phrases parasitent-elles le débat proprement politique. Mais les Français n’aiment guère cette démarche. Ils jugent eux-mêmes la personnalité des candidats et ne goûtent pas les attaques 8
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ad hominem. On se souvient du mauvais effet qu’avait produit une remarque de Lionel Jospin, saisie au débotté, sur l’âge ou la fatigue du Président sortant. Nous ne pouvons donc négliger le souffle de l’un, le charisme de l’autre. Tout dépend parfois d’un mot déplacé, d’une colère inutile. Chacun, dans l’isoloir, est maître de ses propres critères. C’est le principe même du suffrage universel. Néanmoins, notre peuple politique n’est jamais insensible aux idées. Je ne pense pas que les politiques soient désormais impuissants face à l’économie, à la mondialisation ou à l’Europe. Les Français, s’ils le croyaient, auraient déserté les urnes, ce qui n’a pas été le cas lors des dernières consultations électorales. Mais nous ne saurions aborder le prochain débat électoral sans évoquer, avec précision, ce qui d’abord dépend du politique, en négligeant ce qui n’en dépend pas. Peut-être d’ailleurs cette question sera-t-elle omniprésente dans les programmes électoraux : le périmètre reconnu à l’État définit peu ou prou le champ même de l’autorité politique. Il ne s’agit donc pas, dans ce livre questionnant, d’aborder toutes les questions auxquelles des réponses sont proposées dans les programmes électoraux. Si j’ai voulu solliciter les candidats sur dix questions seulement, c’est pour plusieurs raisons. 1. Ces questions concernent des engagements qui peuvent être pris et tenus. Par exemple, quand François Mitterrand prend le risque d’annoncer l’abolition de la peine de mort s’il est élu, il sait que la décision dépendra de lui. 2. Sans du tout être exhaustives, les 10 questions couvrent des champs très variés (politique, économique, social, moral, international). Un candidat aux présidentielles ne peut s’enfermer dans le champ franco9
français. Il doit exprimer une vision sur le rôle de la France dans le monde, mais aussi, certainement, une vision de l’homme et du citoyen. 3. Le sens de ces questions ne se situe pas seulement dans les réponses qu’elles suscitent, car leur signification est plus générale. En effet, certaines prises de position constituent un risque politique, notamment pour les ralliements du second tour. Mais le risque n’est pas équivalent pour ceux qui ont une chance d’être élus et pour ceux qui veulent avant tout profiter d’une tribune politique pendant le temps d’une campagne. 4. Si d’aventure la même question engendrait des réponses convergentes, celles-ci constitueraient un signe intéressant sur la quantité des forces susceptibles de soutenir les décisions politiques qui y correspondent. 5. Enfin, certaines questions correspondent clairement à des clivages politiques traditionnels gauche/droite. Pour d’autres, ce n’est guère le cas. En effet, il ne m’a pas semblé nécessaire de focaliser l’ensemble des questions sur ce clivage, car le rôle d’un Président de la République consiste souvent à entraîner son propre camp là où il n’irait pas spontanément. Qui peut, par ailleurs, affirmer que ce clivage, hérité du XXe siècle, garde sa pertinence pour les années à venir ? Et comme l’élu le dira aussitôt après le résultat : « Je suis désormais le Président de tous les Français. » Ces questions ne sont pas nouvelles. Elles ont déjà été l’objet de débats politiques. Elles peuvent également être rapportées à des expériences politiques étrangères. Elles impliquent des modalités de mise en œuvre liées à des processus de décision. 10
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Les impératifs du débat démocratique
Un programme politique est toujours un catalogue de propositions qui doivent satisfaire les uns et les autres. La concentration sur 10 questions donne un sens qui n’est pas nécessairement celui d’un programme. De ce fait, le choix des questions peut sembler arbitraire. Il en existe d’autres possibles. En réalité, j’ai voulu sélectionner un petit nombre de thèmes qui permettent non seulement d’anticiper l’avenir qui se prépare pour la France en fonction des réponses obtenues, mais aussi de mesurer les risques que chaque candidat est prêt à prendre. Pour justifier ces 10 questions, j’ai choisi d’abord d’en présenter les enjeux historiques et politiques. Ensuite, j’essaie d’exposer les arguments qui sont en général évoqués pour l’une ou l’autre réponse. Quand l’occasion s’en présentait, j’y ai intégré des références étrangères et comparaisons internationales, à charge ou à décharge. Enfin, j’indique les réponses dilatoires qui seraient inacceptables en tant que telles. Il serait présomptueux de penser ainsi mettre sur la table ce qui doit déterminer le vote des Français. Je ne dispose d’aucune légitimité pour cela. Mais j’aime la vie politique. Je suis convaincu que les hommes et femmes politiques de notre pays sont la plupart du temps de grande qualité. Je n’ai qu’une seule ambition : que les réponses à ces questions soient révélatrices de la philosophie, des modes de pensée, des méthodes et des personnalités de ceux qui y répondent. Et comme « la précision tue souvent la clarté », j’ai choisi de privilégier les arguments du débat et de délaisser les chiffres, souvent incommensurables pour la conscience du citoyen. Fréquemment, dans les jeux de l’été, des magazines posent aux lecteurs des questions qui semblent hétérogènes ou éclatées. Surpris de leur diversité, nous répondons spontanément, sur un coin de table. Quand nous sommes 11
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face à l’interprétation de nos réponses, nous sommes étonnés : si nous avons répondu vingt fois la réponse (c), nous sommes paranoïaques, ou dix fois la réponse (a), nous sommes bobos, etc. Je n’ai pas conçu les questions avec une typologie similaire. Mais je pense que les réponses auront un sens quand elles seront mises bout à bout. Je tiens au oui et au non. Ce peut être simpliste ou caricatural. Je ne pense pas qu’un candidat à la plus haute fonction de l’État puisse être neutre ou indifférent. Et je redoute une prudence qui confine à la lâcheté.
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Avant-propos
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Chaque question est formulée comme la demande d’une prise de position claire et précise. Elle ne concerne pas seulement l’avis personnel et intime du candidat, mais les mesures qu’il compte mettre en œuvre, ou faire mettre en œuvre. En effet, ces questions font abstraction des processus législatifs ou réglementaires : il va de soi que le Président de la République ne décide rien tout seul. Il doit respecter les procédures législatives et le pouvoir spécifique du gouvernement. Sur la nature même de la réponse (oui ou non), il est demandé au candidat de ne pas fuir la question en évoquant les contraintes européennes, territoriales ou constitutionnelles : la réponse est là pour indiquer dans quel sens il se battra, y compris en modifiant la Constitution si nécessaire ou en défendant sa position auprès des instances européennes. Les réponses demandées peuvent en revanche concerner le rythme de telle ou telle réforme. Un candidat à la Présidence de la République est avant tout une personne. Comme Président, il jouera un rôle important dans la vie de notre pays et donc de tous nos concitoyens. Ces questions ont pour but d’obtenir des réponses mais aussi de révéler une personnalité. Les réponses peuvent être biaisées si elles sont l’objet d’un travail collectif – et donc de considérations stratégiques et 13
Avant-propos
tactiques. C’est pourquoi je crois qu’elles ne prendraient vraiment leur sens que dans une confrontation en temps réel entre candidats. Mais nos dirigeants politiques ont tellement perdu le sens du risque et le courage qui lui est afférent qu’un tel débat relève peut-être du vœu pieux. Je pourrais dénombrer, à l’avance, mille arguties concoctées par de savants et prudents conseillers en communication… Cependant, le démocrate rêve toujours, puisque la démocratie est un rêve, un désir inassouvi. Rêvons donc un peu…
1. Durant votre mandat présidentiel, le mariage homosexuel sera-t-il légalisé, ainsi que l’adoption des enfants par les couples homosexuels ? 2. Durant votre mandat présidentiel, le tri des embryons sera-t-il légalisé ?
4. Durant votre mandat présidentiel, accroîtrez-vous le rôle de l’État pour assurer un patriotisme économique qui limite les processus entraînés par la mondialisation ? 14
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3. Durant votre mandat présidentiel, les cultures agricoles à base d’OGM seront-elles interdites ?
Les 10 questions
5. Durant votre mandat présidentiel, vous engagerez-vous sur une augmentation ou un type d’augmentation du SMIC ? 6. Durant votre mandat présidentiel, proposerez-vous une réforme de l’assurance chômage qui réduise les cotisations des entreprises qui recrutent et accroisse celles des entreprises qui licencient ? 7. Durant votre mandat présidentiel, comptez-vous améliorer les services publics dans les quartiers difficiles en y plaçant les agents de l’État les plus compétents ? 8. Durant votre mandat présidentiel, soutiendrez-vous la représentation proportionnelle comme mode d’élection des députés à l’Assemblée nationale ?
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9. Durant votre mandat présidentiel, les grandes décisions concernant l’avenir de l’Europe seront-elles débattues au Parlement ou soumises au suffrage universel ? 10. Durant votre mandat présidentiel, engagerez-vous l’armée française dans des conflits armés pour assurer la défense des droits de l’homme ou la paix sur un territoire étranger ? 15
Avant-propos
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Le traitement de chaque question est ainsi conçu : en premier lieu, j’essaie d’indiquer les enjeux politiques et notamment électoraux de chaque question. En deuxième lieu sont énoncés, de façon succincte, les arguments pour répondre oui et les arguments pour répondre non. En troisième lieu, ces arguments sont développés. J’ai tenté de les recenser en faisant abstraction de mes propres opinions et j’espère y être parvenu. Enfin, sont énoncées les réponses dont les Français n’ont pas besoin : réponses lâches, dégagements en touche, pirouettes politiques. Dans chaque cas, si des exemples étrangers sont possibles, ils sont rapidement évoqués pour participer au traitement de chaque question et intégrés dans les arguments apportés.
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Question 1
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Durant votre mandat présidentiel, le mariage homosexuel sera-t-il légalisé, ainsi que l’adoption des enfants par les couples homosexuels ? Cette première question se présente comme une « question de société ». Mais elle est désormais posée comme une question politique par des associations et revues homosexuelles. Elle pourrait apparemment se scinder en deux questions : légaliserez-vous le mariage homosexuel ?, et les couples homosexuels auront-ils le droit d’adopter des enfants ? Néanmoins, cette distinction ne saurait être longtemps tenue car la réponse positive à la première question induit une réponse positive à la seconde. Ce raisonnement avait d’ailleurs déjà été soutenu quand fut établi le PACS. Elle concerne une minorité de citoyens français. Elle pourrait donc être considérée comme mineure dans un débat présidentiel quand maintes questions et décisions différentes ont des effets sur l’ensemble des citoyens. Néanmoins, c’est une question à laquelle les candidats ne pourront échapper. Pour trois raisons essentielles. La première relève du lobbying intense pratiqué par des revues et associations homosexuelles. Les échos de leurs actions et propos sont sans commune mesure avec la minorité qu’ils représentent. Ils ont accès aux médias et les utilisent avec talent. Durant la précampagne qui se déroule au sein de chaque organisation politique, les 17
candidats à la candidature ont déjà été sollicités : l’effet des questions posées est, sans nul doute, un infléchissement par rapport à leurs positions initiales et personnelles. Des actions d’éclat comme le mariage homosexuel célébré par Noël Mamère à Bègles, la mission que le président de l’UMP a confiée à Luc Ferry sur ces questions, les réponses de la candidate socialiste Ségolène Royal dans le journal Têtu confirment que chaque candidat devra prendre une position claire sur le sujet. Nicolas Sarkozy a annoncé sa position, semblant oublier les avis attendus de Luc Ferry. Ségolène Royal, hostile au début, s’est ralliée au programme du parti. Lionel Jospin de même, lors de l’université d’été du Parti socialiste. On aurait pu penser que cette question correspondrait globalement à un clivage droite/gauche. Traditionnellement, la droite est plus frileuse sur les sujets de société, et la gauche plus audacieuse. Mais cette distinction s’estompe progressivement. Lionel Jospin, par exemple, quoique promoteur du PACS lorsqu’il était Premier ministre, a écrit en 2004, dans Le Journal du dimanche, qu’il était personnellement opposé à l’adoption par les couples homosexuels. C’est la deuxième raison qui pousse chaque candidat à penser à la réponse qu’il fournira lors de sa campagne : au sein de chaque organisation politique existe un lobbying propre aux minorités homosexuelles, que ne peuvent négliger les candidats sous peine de perdre des troupes. Le suffrage universel permet l’arbitraire du vote : comme citoyen, je ne suis tenu à aucun critère pour exprimer mon suffrage. Dans l’isoloir, je vote en fonction de ma propre volonté ou de mon propre caprice. La troisième raison relève des comparaisons internationales. La société se mondialise comme l’économie : il suffit qu’un pays comme l’Espagne légifère sur ces ques18
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Question 1
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Homoparentalité
tions pour que les interrogations et les pressions se renforcent sur un thème récurrent : pourquoi un pays civilisé et proche de notre culture pourrait-il autoriser une loi consacrant l’évolution des mœurs tandis que la France resterait à la traîne pour d’obscures raisons ? Néanmoins, les enjeux politiques et surtout électoraux ne sont pas mineurs, quoiqu’ils soient en partie contradictoires. Pour la gauche, une réponse négative à cette question risquerait de déporter, sur d’autres candidats traditionnellement classés à gauche, des suffrages dont elle a besoin pour éviter des déchets, même mineurs, qui aboutiraient à un 21 avril bis. Chez les Verts et dans la plupart des organisations d’extrême gauche, on attend cette manne si le candidat socialiste répond négativement à la question. À droite, le dilemme est douloureux. D’un côté, une certaine droite affirme vouloir mieux connaître et comprendre les questions de société et se débarrasser d’une pensée exiguë qui reposerait davantage sur des préjugés inavoués que sur des analyses objectives. En même temps, le mariage homosexuel et l’adoption d’enfants par des couples homosexuels hérissent encore une quantité non négligeable d’électeurs. Une réponse claire et positive à cette question peut faire le lit de l’extrême droite. Les quelques candidats qui, pour des raisons politiques ou pour des convictions personnelles fortes, déclareront s’opposer à cette évolution des mœurs consacrée par la loi recueilleront des suffrages qui ne leur étaient pas destinés naturellement. Lors des débats sur la réforme du divorce, le texte voté sous le gouvernement Jospin a été amendé au nom d’une conception de la famille qui reste très prégnante dans l’électorat traditionnel de la droite. 19
Question 1
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Les enjeux de cette question sont donc très nombreux et peuvent être décisifs pour les résultats du premier tour. Si, dans un même mouvement, les deux candidats des principales formations politiques répondaient positivement à cette question, les socialistes éviteraient une déperdition vers l’extrême gauche ou les Verts, mais l’extrême droite serait renforcée en tant qu’îlot de résistance à des mouvements de société qui ne convainquent pas encore l’ensemble des Français. La faiblesse des marges et différences lors du premier tour des élections présidentielles donne un poids particulier à cette question. Certes, elle concerne une minorité de citoyens, mais elle secoue les représentations les plus profondes des uns et des autres.
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Homoparentalité
Arguments pour répondre OUI 1. La loi doit sanctionner l’évolution des mœurs. 2. Il s’agit d’une évolution fondamentale pour reconnaître le droit à la différence et l’égalité des homosexuels et des hétérosexuels. 3. Dans les faits, c’est l’hypocrisie qui domine, car l’adoption existe, mais à condition d’être effectuée par un seul membre du couple homosexuel.
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4. Le couple hétérosexuel ne peut être érigé en modèle de parentalité : dans de trop nombreux cas, les violences ou maltraitances sont reconnues. 5. Des pays développés ont déjà reconnu ces droits nouveaux, et l’on comprendrait mal que la France restât à la traîne.
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Question 1
Arguments pour répondre NON 1. Le mariage a pour but la constitution d’une famille, dans le cadre de la différence sexuelle qui est naturelle. 2. Les enfants ont besoin d’être éduqués dans le cadre du repère fondamental que constitue la différence sexuelle. 3. On n’a pas le droit d’imposer aux enfants une situation exceptionnelle qu’ils pourraient vivre difficilement dans notre société. 4. De nombreuses demandes d’adoption ne sont déjà pas satisfaites pour les couples hétérosexuels.
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5. La demande du mariage homosexuel et de l’adoption n’est que le fait d’une minorité d’homosexuels.
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Arguments pour répondre OUI 1. La loi doit sanctionner l’évolution des mœurs L’homophobie est désormais condamnée par la loi ; les homosexuels disposent de tribunes (presse, radios, fêtes) ; le PACS, établi par le gouvernement Jospin, a permis de donner un premier statut aux couples homosexuels pour leur éviter des injustices flagrantes (logement, héritage…). Les progrès législatifs quant à la reconnaissance du statut de l’homosexualité ont été continus depuis plusieurs années. Ils correspondent à une évolution des mœurs et à une meilleure acceptabilité sociale de l’homosexualité. Cependant, les pressions de divers conservatismes (idéologiques ou religieux) n’ont pas encore permis d’adapter complètement la législation aux mœurs effectives de nos concitoyens. Le statut du mariage et la possibilité d’adopter des enfants doivent parachever cette reconnaissance légale. C’est le sens de l’histoire, comme le montrent des pays voisins qui ont déjà pris de l’avance sur notre pays.
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2. Il s’agit d’une évolution fondamentale pour reconnaître le droit à la différence et l’égalité des homosexuels et des hétérosexuels Même si tous les homosexuels ne souhaitent pas se marier civilement – au demeurant, c’est aussi le cas des hétérosexuels, qui font souvent un choix privé analogue –, il faut qu’ils en aient la possibilité pour que soit reconnue l’égalité 23
Question 1
entre toutes les manières de vivre sa sexualité. Le droit à la différence passe par l’égalité devant la loi. Il faut considérer cette revendication comme un légitime besoin de reconnaissance et un véritable respect pour la Cité. Le droit à la différence passe par l’abandon d’une sorte de vie clandestine au regard des institutions. Le mariage et le droit à l’adoption font système, car le mariage offre aux enfants un cadre juridique plus sécurisant.
3. Dans les faits, c’est l’hypocrisie qui domine, car l’adoption existe, mais à condition d’être effectuée par un seul membre du couple homosexuel
4. Le couple hétérosexuel ne peut être érigé en modèle de parentalité : dans de trop nombreux cas, des violences ou maltraitances sont reconnues 24
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La clandestinité est patente dans le cas de l’adoption. En effet, la loi reconnaît un droit à l’adoption pour des célibataires. De fait, des célibataires homosexuels ont adopté des enfants alors qu’ils vivent en couple homosexuel. C’est une pure hypocrisie des institutions. Il n’est pas bon pour les enfants que cette situation existe de facto, sans être reconnue de jure. Outre que cette situation pose de nombreux problèmes pratiques (école, voyages), elle est malsaine, car les enfants subissent une distorsion entre ce qu’ils vivent quotidiennement – l’amour de leurs deux parents – et ce qu’ils perçoivent des institutions, qui ne reconnaissent officiellement que le parent adoptif.
Homoparentalité
Le couple de parents homosexuels n’est ni meilleur ni pire que le couple de parents hétérosexuels. Les adversaires du mariage homosexuel et de l’adoption par les couples homosexuels utilisent sans cesse la référence de la différence sexuelle comme condition de félicité pour la parentalité. Cependant, de nombreux exemples de violences ou de déchirements montrent qu’on ne saurait considérer le couple hétérosexuel comme le modèle du couple parental. Il en est de même pour l’amour et l’affection que peuvent dispenser des parents. Les homosexuels, eux, ne se considèrent pas comme supérieurs. Ils demandent seulement à être considérés comme égaux.
5. Des pays développés ont déjà reconnu ces droits nouveaux, et l’on comprendrait mal que la France restât à la traîne
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Les exemples étrangers montrent qu’il ne faut pas être particulièrement exotique ou fantasque pour admettre le droit au mariage et à l’adoption pour les homosexuels. Les lois adoptées en Espagne ou aux Pays-Bas, en Belgique ou dans la plupart des États et territoires canadiens, le sont dans des pays développés et civilisés. Ceux-ci n’ont pas connu de bouleversements en respectant l’égalité des mœurs. On ne saisit pas du tout ce qui distingue la France de l’Espagne au point qu’elle connaisse de telles différences législatives.
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Arguments pour répondre NON 1. Le mariage a pour but la constitution d’une famille, dans le cadre de la différence sexuelle qui est naturelle
2. Les enfants ont besoin d’être éduqués dans le cadre du repère fondamental que constitue la différence sexuelle Il ne s’agit pas de condamner l’homosexualité. Le PACS a déjà grandement fait avancer les choses, du point de vue 26
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Dans l’humanité, toutes les différences sont contingentes : de la couleur de peau à la couleur des cheveux, du petit au grand, du malingre à l’obèse. Une seule différence est irréductible : la différence sexuelle. Elle est la seule différence qui peut être dite naturelle. La civilisation et la démocratie tentent de ne pas transformer cette différence en inégalité, ce qui a été longtemps le cas et le demeure encore sur de nombreux points. Mais l’humanité n’existe que parce qu’elle s’est reproduite dans le cadre de relations hétérosexuelles. Coluche plaisantait en s’écriant : « C’est curieux, il y a de plus en plus d’homosexuels et pourtant ils ne se reproduisent pas ! » Ainsi, la nature n’impose qu’une seule chose, irréductible à toutes révolutions ou à tous changements sociaux : un enfant ne naît que d’un homme et d’une femme. La société et l’État ont consacré cette situation dans un droit de la famille, fondé sur le mariage hétérosexuel.
Homoparentalité
juridique, pour empêcher les injustices les plus criantes. Mais les homosexuels doivent assumer leurs choix. En vivant leur homosexualité dans la liberté qui est la leur aujourd’hui, ils n’ont pas à imposer aux enfants leur pratique de la sexualité. Les parents constituent un modèle, une référence, des repères pour les enfants. Ces derniers doivent apprendre quotidiennement ce qu’est la différence sexuelle. On ne saurait leur imposer une référence marginale.
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3. On n’a pas le droit d’imposer aux enfants une situation exceptionnelle qu’ils pourraient vivre difficilement dans notre société Socialement, les enfants sont très sensibles aux commentaires qui peuvent être faits sur leur famille, et en particulier sur leurs parents. L’adoption d’enfants par des couples homosexuels correspond à un projet parental, à un prétendu droit à l’enfant. Effectivement, il existe de mauvais parents hétérosexuels, mais il en sera de même pour les homosexuels : il ne convient pas d’établir une différence de ce point de vue. Il faut simplement éviter que des enfants qui, pour être adoptables, ont déjà vécu des situations originales et difficiles, se voient imposer une nouvelle situation exceptionnelle. Quant aux situations de fait, on peut regretter qu’un homme ou une femme, ayant adopté un enfant au titre de célibataire, ait dissimulé une singularité qui lui aurait fait refuser, à juste titre, cette adoption.
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Question 1
4. De nombreuses demandes d’adoption ne sont déjà pas satisfaites pour les couples hétérosexuels La recherche d’enfants à adopter est déjà une croix pour de nombreux couples mariés, qui attendent souvent des années pour pouvoir donner leur amour à l’enfant qu’ils n’ont pu avoir par eux-mêmes. Il serait franchement choquant qu’on privilégie des couples homosexuels dans les cas d’adoption.
5. La demande du mariage homosexuel et de l’adoption n’est que le fait d’une minorité d’homosexuels
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Enfin, il faut rappeler que la revendication du mariage et de l’adoption est le fait d’une toute petite minorité de Français. Parmi les homosexuels, nombreux sont ceux qui assument leur condition et leur différence sans revendiquer l’identité de la législation en matière de mariage civil et d’adoption. Les homosexuels constituent une minorité de citoyens ; ceux qui revendiquent ces droits sont encore plus minoritaires. En revanche, ils exercent un pouvoir d’influence et de lobbying qui secoue les responsables politiques, toujours craintifs de n’être pas dans le vent ou d’être qualifiés de réactionnaires.
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Les réponses dont les Français n’ont pas besoin 1. Pirouettes •
« Je ne crois pas que cette question passionne tous les Français. »
•
« Ce n’est pas un enjeu de l’élection présidentielle. »
•
« La France a bien d’autres problèmes économiques et sociaux à résoudre avant celui-ci. »
2. Dégagement en touche ou refus de débattre « Ceux qui refusent le mariage homosexuel et l’adoption des enfants par les couples homosexuels sont des ringards d’un autre âge. »
•
« Personnellement, je ne souhaite pas que les homosexuels se reproduisent. »
•
« Si on continue comme ça, on nous demandera bientôt de légaliser la pédophilie ! »
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•
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Question 1
3. Peur de perdre des électeurs « Je n’ai pas d’avis personnel sur cette question. Si je suis élu, je proposerai qu’un groupe d’experts me rende un rapport sur ce sujet. »
•
« Personnellement, je ne suis pas contre, mais c’est une question qui ne relève pas de mon opinion personnelle. »
•
« J’ai bien des amis homosexuels et nous nous entendons très bien. Eux-mêmes me conseillent de réfléchir et de bien m’entourer avant de prendre une décision définitive. »
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•
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Question 2
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Durant votre mandat présidentiel, le tri des embryons sera-t-il légalisé ? Le tri des embryons ne semble pas devoir faire partie d’un programme présidentiel. Il constitue cependant un véritable choix de société, et l’actuel Président de la République est intervenu à plusieurs reprises pour donner son avis sur les questions de bioéthique. La question est d’abord troublante car elle ne correspond guère aux clivages politiques traditionnels de la gauche et de la droite. Chaque camp est probablement divisé sur cette question. Le Comité national consultatif d’éthique, créé sous la présidence de François Mitterrand, permet souvent aux politiques de se défausser. Néanmoins, comme son nom l’indique, ce Comité est purement consultatif et le Président peut émettre des avis ou impulser des décisions contraires aux avis émis par ledit Comité. Le tri des embryons est techniquement possible depuis que se sont croisées la technique de fécondation in vitro et l’analyse de l’ADN. Il suffit d’examiner l’embryon avant sa réimplantation dans l’utérus pour choisir de l’éliminer ou pour opérer une sélection entre plusieurs embryons dont les analyses génétiques seraient différentes. Cette question doit être bien distinguée de l’avortement dit thérapeutique. C’est toute la distinction entre un diagnostic prénatal et un diagnostic préimplantatoire. Dans le premier cas, on peut mettre fin à une grossesse par un avortement thérapeutique, dans le second cas, on peut éviter le commencement même de la grossesse. 31
Si la loi l’autorisait, il serait aujourd’hui assez simple de décider d’avoir un garçon ou une fille, voire de faire des jumeaux ou des triplés, puisque le biologiste peut analyser les chromosomes ou diviser artificiellement un embryon. Il suffirait en effet de recourir à une fécondation in vitro. La gauche et la droite sont idéologiquement très divisées à l’intérieur de leur propre camp. Au nom du progrès scientifique et technique, une partie de la gauche aurait tendance à promouvoir le tri des embryons. Contre le danger de la marchandisation de cette technique, la gauche peut être réticente. Au nom du respect des procédures naturelles, la droite peut être réticente sur la multiplication des interventions humaines. Mais, à l’inverse, les processus de sélection sont plutôt cohérents avec un système de pensée libéral. Comme dans la plupart des questions posées, la mondialisation et les comparaisons internationales peuvent jouer un rôle décisif. On se souvient que, dans le cas de la libéralisation de l’avortement, le privilège donné aux femmes fortunées pour se faire avorter à l’étranger constituait un argument de poids, tandis que les femmes plus modestes se faisaient avorter dans des conditions sanitaires plus dangereuses. L’évolution de pays comme l’Espagne, la Grande-Bretagne ou l’Italie laisse penser qu’une telle situation pourrait se reproduire. Quand Tony Blair a fait passer une loi qui autorisait les compagnies d’assurances à modifier leurs primes en fonction de tests ADN chez les familles à risques, les assureurs français ont préféré mettre en place un moratoire. Cette question met en cause le statut même de la famille et de ses équilibres. En effet, le tri des embryons s’inscrit dans le cadre d’un projet parental : en autorisant ce tri, les parents sont investis d’une responsabilité nou32
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Question 2
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Tri des embryons
velle. Ils revendiquent un droit à l’enfant plus que des droits de l’enfant. Ils deviennent responsables de ce qu’il est en choisissant d’éviter ce qu’ils ne veulent pas qu’il soit. L’enjeu politique du tri des embryons est mince au regard de la question n˚ 1 concernant le mariage homosexuel et l’adoption par les couples homosexuels. C’est un des paradoxes, voire une des contradictions de la vie démocratique. En effet, cette question engage davantage l’avenir de l’humanité. Les hommes et les femmes de notre pays sont très sensibles à toutes les questions qui mettent en jeu la santé de leurs enfants. Les grands débats télévisés organisés sur ces questions obtiennent des audiences records, comme l’ont montré les scores de La Marche du siècle quand Jean-Marie Cavada invitait Jacques Testart, René Frydman ou Axel Kahn. Il ne semble pas qu’une telle question puisse être décisive comme enjeu électoral. Les clivages politiques ne sont pas assez nets. Pourtant les évolutions des économies et des sociétés occidentales laissent penser que la question du tri des embryons se posera de façon très vive durant le prochain quinquennat. Cette question est trop grave pour que des réponses soient improvisées dans l’urgence. À défaut de faire gagner ou perdre les élections présidentielles, le tri des embryons contraint chaque candidat à exprimer un avis qui constitue une véritable position philosophique. Il ne peut s’agir seulement d’une conviction personnelle, car cette position philosophique exprime un réel choix de société. La position de parents constitue une situation commune. Tous les citoyens sont concernés par la façon dont seront engagées leurs responsabilités. Dès lors qu’ils auront été confrontés à des choix qui ne leur étaient pas proposés auparavant, les parents seront également soumis à ce que pourront leur reprocher leurs 33
enfants sur ce qu’ils sont ou ne sont pas. Auraient-ils pu leur éviter un bec-de-lièvre ou une mucoviscidose ? Un sexe qu’ils refusent ou une pathologie contournable ? Dans la judiciarisation croissante des rapports sociaux, les recours des enfants contre les parents pourraient se multiplier. Enfin, cette question traite, sur le fond, de la façon dont notre société considère la distinction entre le normal et le pathologique. L’anomalie, ou écart par rapport à une norme admise, est de plus en plus décriée. Le scandale des hormones de croissance contaminées a montré à quel point le désir de normalité augmente dans les sociétés développées. La plupart des techniques qui sont conçues, à leurs commencements, pour soigner des cas extrêmes et difficiles, sont aspirées par des considérations marchandes qui expriment ce désir de normalité. La fécondation in vitro a d’abord été inventée pour résoudre les problèmes de stérilité, comme les hormones de croissance pour combattre le nanisme. Progressivement, ces techniques ont débordé de leurs objectifs initiaux pour satisfaire des exigences de confort ou de normalité qui ne concernaient plus les pathologies pour lesquelles elles avaient été inventées. Le rôle même du Président de la République ne peut s’abstraire des questions qui engagent l’humanité même des citoyens qui l’élisent. Sans doute serons-nous de plus en plus confrontés à des questions de société – voire d’humanité – qui ne trouvent guère de réponses dans les clivages politiques traditionnels et l’arsenal des réponses formatées qu’ils proposent.
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Question 2
Tri des embryons
Arguments pour répondre OUI 1. Il faut éviter le malheur des enfants et des parents par tous les moyens.
2. On n’arrête jamais le progrès : c’est le sens de l’histoire, comme la diminution de la souffrance liée aux avortements thérapeutiques.
3. Il ne s’agira que d’éviter des maladies et non de rechercher la perfection de l’être humain.
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4. Si la France ne permet pas ce tri des embryons, seuls les parents riches pourront le faire effectuer à l’étranger.
5. Économiquement, le tri des embryons réduira les dépenses de santé.
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Question 2
Arguments pour répondre NON 1. Il faut admettre que la liberté de l’enfant implique qu’il ne dérive pas d’un projet parental. 2. Le tri des embryons est le passage à un eugénisme démocratiquement consenti, car aucun pays n’est parvenu à mettre au point une liste de pathologies à éviter. 3. L’avortement thérapeutique (ou IMG, interruption médicale de grossesse) est un obstacle à l’eugénisme, car c’est une expérience douloureuse qui ne peut se banaliser.
5. Avec le tri des embryons, notre société manifeste son penchant pour la normalité socialement définie.
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4. Le tri des embryons sera à la disposition des familles riches qui auront le moyen d’éviter le maximum de pathologies.
Arguments pour répondre OUI 1. Il faut éviter le malheur des enfants et des parents par tous les moyens La technique et la science permettent d’éviter aux parents et aux enfants les pires des malheurs. Certains enfants naissent alors que l’on sait pertinemment qu’ils ne pourront vivre que quelques années. D’autres souffrent toute leur vie de handicaps majeurs ou mineurs. La vie de leur famille, et notamment de leurs frères et sœurs, est gâchée par des pathologies que l’on connaît et que l’on peut éviter. Franchement, quels parents renonceraient à éviter la myopathie ou la mucoviscidose ? Il est d’ailleurs très probable que l’opinion publique est très favorable à une utilisation aussi bénéfique des progrès scientifiques.
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2. On n’arrête jamais le progrès : c’est le sens de l’histoire, comme la diminution de la souffrance liée aux avortements thérapeutiques La différence principale entre le DPN (diagnostic prénatal) et le DPI (diagnostic préimplantatoire), c’est que le premier peut aboutir à un avortement, tandis que le second est indolore puisqu’il ne s’agit que de trier des embryons in vitro. S’il est ainsi possible de réduire la souffrance des parents et, en particulier de la mère, pourquoi ne choisirait-on pas cette solution ? L’avortement est une 37
Question 2
décision douloureuse et difficile. Le tri des embryons est un acte purement médical dans lequel le corps de la femme n’est pas impliqué. Un des aspects essentiels des progrès médicaux, c’est la diminution de la souffrance. Tous les progrès possibles en ce sens ont été utilisés.
3. Il ne s’agira que d’éviter des maladies et non de rechercher la perfection de l’être humain Le tri des embryons revient à ce que certains généticiens (Daniel Cohen, par exemple) nomment un eugénisme négatif. Il ne faut pas confondre cette pratique avec les eugénismes qui sont condamnés. L’eugénisme est condamné dans la mesure où il cherche à améliorer la race humaine (eugénisme positif). Dans le tri des embryons, il ne s’agit que d’éviter des maladies qui nuiront à la vie de l’enfant et à celle de toute sa famille. Il faut cesser de fantasmer sur le mot eugénisme sous prétexte qu’il était pratiqué et programmé par les nazis. L’eugénisme négatif n’a rien à voir avec une ségrégation des races ou des peuples, rien à voir avec la recherche de l’enfant parfait.
De toute façon, la technique du tri des embryons sera nécessairement exploitée dans d’autres pays. On en perçoit les prémices aux États-Unis, en Angleterre, et probablement en Espagne ou en Italie. Si la France refuse de légiférer pour autoriser ce tri, seules les familles aisées pourront partir à l’étranger pour éviter à leurs enfants des pathologies que l’on refuserait d’éviter dans notre pays. Il 38
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4. Si la France ne permet pas ce tri des embryons, seuls les parents riches pourront le faire effectuer à l’étranger
Tri des embryons
se passera la même chose que lorsque l’avortement était interdit. Nous aurons ainsi des enfants à deux vitesses et des familles sélectionnées davantage par l’argent que par les techniques médicales.
5. Économiquement, le tri des embryons réduira les dépenses de santé
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Le tri des embryons devra même être remboursé par la Sécurité sociale car il représentera une économie importante au regard des dépenses qui sont aujourd’hui affectées au traitement de maladies congénitales et incurables. C’est une opération simple qui peut être effectuée en fonction des pathologies que l’on souhaite éviter. Toutes les dépenses aujourd’hui consacrées aux pathologies désormais évitables comme aux handicapés pourront être réduites, voire supprimées. D’autant que, selon les progrès de la médecine, il sera certainement bientôt possible d’anticiper, à partir des gènes, des pathologies qui ne se développent qu’à l’âge adulte.
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Arguments pour répondre NON 1. Il faut admettre que la liberté de l’enfant implique qu’il ne dérive pas d’un projet parental
2. Le tri des embryons est le passage à un eugénisme démocratiquement consenti, car aucun pays n’est parvenu à mettre au point une liste de pathologies à éviter On ne peut jouer impunément sur le mot eugénisme. Le tri des embryons constitue objectivement une démarche 40
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Il faut penser aux droits de l’enfant, avant de penser au droit à l’enfant. Le tri des embryons repose sur l’idée que les parents ont droit à un enfant en bonne santé. Il s’inscrit dans l’idée d’un projet parental. La liberté, inscrite dans les droits de l’homme, implique que le nouveau-né est un surgissement, un être libre et indépendant quant au contenu de ce qu’il est (garçon ou fille, par exemple). Les parents n’ont pas à être rendus responsables de ce qu’est leur enfant en naissant. Ils ne sont pas responsables de ses pathologies, de son caractère, de ses atouts ou de ses handicaps. Certes, le diagnostic prénatal constitue un choix, mais c’est un choix des parents qui ne se sentent pas capables d’assumer une pathologie recensée. On sait très bien que, si le tri des embryons est pratiqué, le sexe sera automatiquement déterminé et probablement choisi.
Tri des embryons
de type eugéniste et la voie royale vers tous les types d’eugénisme. Les nazis et d’autres ont toujours commencé par vouloir éviter les tares et les handicaps. Dans un pays comme la France, toute démarche eugéniste est bien pire que dans un régime dictatorial. Dans ce dernier, c’est la force qui impose l’eugénisme. En démocratie, on exige un consentement rampant et l’eugénisme en devient beaucoup plus grave. On n’aurait même plus à utiliser la force : la loi ferait explicitement le lit de l’eugénisme. C’est toute une conception de l’Humanité qui est en jeu.
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3. L’avortement thérapeutique (ou IMG, interruption médicale de grossesse) est un obstacle à l’eugénisme, car c’est une expérience douloureuse qui ne peut se banaliser Il ne s’agit pas de s’opposer à l’avortement thérapeutique. Mais ce dernier est le fruit d’une décision pénible et c’est un acte effectivement douloureux. Il ne peut être prescrit que pour des pathologies très limitées. Il constitue une limite objective à toutes les tentations d’eugénisme, car personne ne souhaite un avortement, sauf cas de force majeure. Le tri des embryons et le DPI sont des actes neutres, sans enjeu affectif, sans pathos, réalisés par des médecins. S’opposer au tri des embryons, ce n’est pas souhaiter la souffrance d’une femme, c’est considérer que le concept même de l’Humanité vaut bien qu’on y réfléchisse et qu’on ne se résolve pas à des mesures de confort.
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Question 2
4. Le tri des embryons sera à la disposition des familles riches qui auront le moyen d’éviter le maximum de pathologies Il sera impossible d’arrêter le tri des embryons. Dans aucun pays, les scientifiques, les politiques et les responsables de la société civile ne parviennent à se mettre d’accord sur une liste limitative de pathologies concernées. On évoque les trisomies, la myopathie et la mucoviscidose, mais ce sera bientôt le bec-de-lièvre. Certains scientifiques américains ont même parlé d’un gène de l’homosexualité ! Selon les moyens de chacun, on pourra demander d’éviter une, deux, trois ou dix pathologies, puisque les progrès de l’analyse génétique proposeront des analyses de plus en plus sophistiquées.
Socialement, il faut être clair. Le tri des embryons, s’il était autorisé, connaîtrait probablement un certain succès. Il exprime un désir de normalité qui caractérise notre société moderne. On y craint toute anomalie ou tout écart par rapport à la normale. Le pathologique se définit d’ailleurs comme le contraire du normal. Quand on évoque le tri des embryons et ce que certains nomment eugénisme négatif, les handicapés comprennent bien le message et le vivent très mal : ils savent qu’on voudrait qu’ils n’existassent pas. Ne résolvons pas par la science et surtout par la technique des problèmes que nous avons du mal à résoudre socialement. Les carences de notre humanisme ne doivent pas nous faire devenir inhumains. 42
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5. Avec le tri des embryons, notre société manifeste son penchant pour la normalité socialement définie
Les réponses dont les Français n’ont pas besoin 1. Pirouettes •
« Un candidat aux élections présidentielles ne peut pas avoir un avis sur toutes les questions. »
•
« Je ne suis plus en âge d’avoir des enfants. J’ai eu les miens dans un tout autre contexte scientifique et technique. Je ne saurais me prononcer en connaissance de cause. »
•
« Les parents doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour le bonheur de leurs enfants. Mais il faut réfléchir en même temps à ce qui peut leur profiter personnellement et à l’environnement humain que nous leur préparons. »
© Groupe Eyrolles
2. Dégagement en touche ou refus de débattre •
« Il existe un Comité national consultatif d’éthique : j’écouterai ses avis avant de me prononcer. »
•
« Nous suivrons les avis et directives de l’Europe car il n’est pas concevable que nos pays adoptent des législations différentes sur une question aussi importante. Nous ouvririons la voie à d’insupportables trafics. » 43
Question 2
•
« Il faut lutter contre toutes ces terribles maladies. Je fais davantage confiance aux médecins plutôt qu’aux hommes politiques pour décider des moyens qui sont les plus appropriés. »
3. Peur de perdre des électeurs « C’est une question tellement fondamentale que je ne me permettrai pas de me prononcer sur elle pour gagner quelques électeurs. Je crois qu’il nous faut un grand débat collectif. »
•
« Je comprends très bien les espoirs des uns et les réticences des autres. Je ne me prononcerai jamais à la légère sur ce type de problème quasi philosophique ! »
•
« C’est une question qui concerne tous les parents, donc tous les Français. Je crois que c’est typiquement l’objet d’un référendum, qui n’a rien à voir avec des opinions partisanes. »
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•
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Question 3
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Durant votre mandat présidentiel, les cultures agricoles à base d’OGM seront-elles interdites ? La culture des produits agricoles génétiquement modifiés constitue déjà un enjeu politique majeur. Elle a été l’objet de manifestations violentes, de procès et jugements contradictoires et de positions politiques affichées à l’occasion d’élections territoriales. Cette question sera souvent évoquée lors de la campagne présidentielle puisque l’interdiction des OGM fait d’ores et déjà partie du programme des Verts. Néanmoins, les clivages politiques ne sont pas aussi nets qu’il y paraît puisque, lors des dernières élections régionales, la liste conduite par André Santini dans la région Île-de-France avait également promis cette interdiction en cas de succès électoral, tandis que Ségolène Royal faisait de même dans la région Poitou-Charentes. Il est légitime de s’étonner du poids politique de cette question qui ne concerne que des plantes, quand le tri des embryons qui concerne l’humanité semble absent de la joute politique. La différence des enjeux est considérable. Mais la question des OGM se pose hic et nunc, tandis que la question de l’eugénisme négatif ne relève pas de la même actualité. La comparaison internationale joue un rôle considérable dans le débat français. L’antiaméricanisme souvent primaire qui agite nos milieux politiques est un puissant ressort de la lutte contre les OGM. On y évoque le poids 45
des multinationales impérialistes autant que le danger de dégradation de l’environnement. Autant l’exemple d’une expérience étrangère constitue-t-il un argument positif dans maints débats nationaux, autant l’exemple américain joue-t-il le rôle de repoussoir quand l’exemple se cumule avec le pouvoir économique que les entreprises américaines déploient sur le continent européen. L’opposition à l’impérialisme américain n’est pas le seul enjeu des luttes menées contre les OGM. On en a pour preuve l’activité des faucheurs d’OGM, qui peut se déployer aussi bien contre Monsanto que contre une coopérative agricole d’Auvergne qui n’est pas d’essence capitaliste et rassemble les forces de six cents paysans de Limagne. Les candidats à l’élection présidentielle ne pourront échapper à des réponses que leur imposeront des questions vives et parfois violentes. L’aura médiatique et politique dont jouit José Bové ne peut laisser indifférents les candidats, que celui-ci soit candidat ou non. D’une certaine manière, sa candidature permettrait aux autres candidats de raisonner plus librement sur cette question, car les citoyens décidés à voter pour un candidat en fonction de cette question des OGM ne choisiront personne d’autre que le leader de la Confédération paysanne. Son engagement et sa résolution banaliseraient toute position qui irait dans le même sens chez d’autres candidats. La question des OGM se pose dans le cadre des nombreuses peurs qui agitent nos esprits. Leur interdiction rassure. L’enjeu politique peut ainsi se substituer aux enjeux économiques. Pour les candidats des grandes organisations, l’engagement sur cette question sera lourd de conséquences. 46
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Question 3
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OGM
D’un côté, pendant la période électorale, les positions contraires ne sont pas symétriques. Le soutien aux OGM ne permet pas de rallier de nouveaux électeurs en nombre significatif. Au contraire, l’interdiction programmée des OGM évite de s’aliéner des électeurs qui font de cette question un axe fondamental du combat écologique. Elle est plus distinctive que la question de l’énergie nucléaire dans la mesure où les citoyens sont directement consommateurs de cette énergie. Dans un pays comme la France, les partisans des OGM ne disposent d’aucun soutien direct par intérêt. D’un autre côté, une fois les élections passées, tout candidat s’étant engagé à interdire les OGM aura bien du mal à revenir sur cet engagement. Il se heurterait alors à des militants actifs et convaincus, bientôt ralliés par tous ceux qui contesteraient la rupture d’un engagement électoral. La question des OGM ne permet donc pas de rallier grand monde, mais elle menace d’une perte significative d’électeurs, notamment au second tour, les candidats qui ne se seraient pas engagés sur leur interdiction. Ce sont donc probablement ceux qui auront le plus grand besoin du vote écologiste qui seront davantage poussés à s’engager dans cette voie, quoi qu’ils pensent par ailleurs de la légitimité de l’interdiction. Il me paraît improbable que le gouvernement maintienne son projet de loi sur les OGM à l’ordre du jour de cette rentrée parlementaire… Nous sommes en face d’une question typique en démocratie : la nécessité de gagner les élections peut se substituer aux convictions profondes ou au souci de l’intérêt général. Les agriculteurs ne constituent plus une force politique suffisante pour menacer les candidats aux présidentielles, d’autant plus qu’ils apparaissent comme divisés. 47
Question 3
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Il est évidemment paradoxal de voir une question politique, dont les arguments portent sur le long terme, très probablement tranchée en fonction d’arguments politiques qui relèvent du très court terme.
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OGM
Arguments pour répondre OUI 1. Nous sommes incapables de maîtriser les conséquences des cultures OGM sur notre environnement ou sur notre santé.
2. Des cultures OGM isolées contaminent l’ensemble des cultures voisines.
3. Aucun argument ne permet d’indiquer que les cultures OGM seraient une solution pour les pays en voie de développement.
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4. Les cultures OGM sont imposées par les semenciers américains qui constituent des multinationales impérialistes.
5. Quand les cultures OGM seront autorisées, plus aucune autre culture ne sera économiquement possible.
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Question 3
Arguments pour répondre NON 1. On n’a jamais démontré scientifiquement le moindre effet négatif des cultures OGM, ni sur la santé ni sur l’environnement. 2. Le sens du progrès dans le domaine agricole a toujours consisté à fabriquer des hybrides et à faire intervenir l’homme dans les processus naturels. 3. En interdisant la recherche et les cultures OGM dans notre pays, nous nous rendrons totalement dépendants des agricultures qui les pratiquent.
5. Dans notre pays, ce ne sont pas des multinationales qui développent les cultures OGM, mais des coopératives d’agriculteurs dont la culture n’est guère capitaliste.
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4. Les cultures OGM permettent d’éviter l’emploi de pesticides qui sont évidemment nuisibles pour l’environnement.
Arguments pour répondre OUI 1. Nous sommes incapables de maîtriser les conséquences des cultures OGM sur notre environnement ou sur notre santé Les organismes génétiquement modifiés (OGM) constituent une rupture dans les relations de l’homme et de la nature. Les hommes jouent aux apprentis sorciers. Guidés par des motivations seulement économiques, ils deviennent aveugles sur les conséquences de leurs manipulations. Les OGM concernent des produits que nous absorbons sans même avoir une idée de la façon dont peut réagir notre organisme à moyen ou à long terme.
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2. Des cultures OGM isolées contaminent l’ensemble des cultures voisines Il n’est pas possible de laisser des cultures se développer de façon soi-disant isolée. La loi de la nature végétale, c’est la dissémination. Autrement dit, aucune culture ne peut être protégée des OGM : comme celles-ci sont présentées comme plus résistantes à des agressions diverses, elles risquent de s’imposer aux autres en s’y substituant.
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Question 3
3. Aucun argument ne permet d’indiquer que les cultures OGM seraient une solution pour les pays en voie de développement Il existe une grande hypocrisie à faire croire que les cultures OGM constitueront une solution pour les pays en voie de développement. Outre les questions de solvabilité, on ne peut faire croire que les problèmes agricoles y sont techniques. Ils dérivent bien davantage de la concurrence des pays développés qui subventionnent leurs produits agricoles à l’exportation et empêchent les agricultures locales de se développer.
Les cultures OGM n’ont qu’un seul but : améliorer la rentabilité des terres et la productivité des activités agricoles. Les modifications génétiques évitent que certaines cultures soient détériorées par des parasites divers. Les semenciers américains dominent ce secteur industriel. Ils ne se contentent plus d’un marché national, ils veulent un marché mondial. C’est une logique économique de multinationales : en améliorant la productivité des terres agricoles et les quantités produites, ils font concurrence à l’agriculture traditionnelle, même intensive, qui doit s’aligner sur ses concurrents. Quand tous les agriculteurs seront passés aux OGM, les semenciers américains seront maîtres des terres de la planète.
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4. Les cultures OGM sont imposées par les semenciers américains qui constituent des multinationales impérialistes
OGM
5. Quand les cultures OGM seront autorisées, plus aucune autre culture ne sera économiquement possible
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Les OGM sont la traduction de l’impérialisme américain dans le domaine agricole. Ils sont même symboliques. Sur un marché mondial des céréales, fruits ou légumes, par les prix et la productivité, les OGM s’imposent face à leurs concurrents. Par la dissémination, ils contaminent les terres avoisinantes. L’agriculture est symbolique de la résistance politique possible au regard des méfaits de la mondialisation. En effet, c’est la loi qui protège. C’est aujourd’hui le rôle de l’Europe et de chaque nation. C’est pourquoi il faut anticiper et agir. Les manifestations spectaculaires des faucheurs d’OGM sont là pour que chacun prenne conscience des enjeux à venir. Si les OGM sont tolérés, nous nous retrouverons face à une situation économiquement et biologiquement irréversible, alors même que nous n’avons pas assez de recul pour évaluer les conséquences des OGM sur la santé humaine, la santé animale et l’équilibre naturel. Si la loi du plus fort triomphe, les lois humaines, la politique n’ont plus de sens.
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Arguments pour répondre NON 1. On n’a jamais démontré scientifiquement le moindre effet négatif des cultures OGM, ni sur la santé ni sur l’environnement
2. Le sens du progrès dans le domaine agricole a toujours consisté à fabriquer des hybrides et à faire intervenir l’homme dans les processus naturels Depuis des siècles, les hommes ont travaillé la nature, l’ont transformée. Ils ont fabriqué des hybrides, créé de nouvelles espèces que l’on dit naturelles aujourd’hui. La 54
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Avec les OGM, nous vivons, de façon caricaturale, l’exacerbation et la manipulation des peurs qui caractérisent notre société. Débarrassés des terreurs belliqueuses, nous leur avons substitué des peurs multiples qui s’expriment par un usage excessif du principe de précaution. Scientifiquement, nous ne connaissons aucun effet négatif des OGM, ni sur la santé humaine, ni sur la santé animale, ni sur les terres elles-mêmes. On peut toujours dire « on ne sait jamais ! ». Mais des expériences, des études sont menées partout dans le monde sans que rien n’ait pu être démontré ni montré. Le principe de précaution devient un principe de précaution pour les décideurs publics ! Ils veulent se protéger en jouant sur les peurs les plus irrationnelles.
OGM
plupart des légumes ou fruits que nous consommons aujourd’hui n’existaient pas deux siècles auparavant. Nous avons dépassé le stade de la cueillette et de la chasse. L’Humanité transforme la Nature. Certes, l’écologie est un mouvement important, car il faut veiller à ne pas dégrader notre environnement. Mais il ne faut pas tout mélanger. Les OGM sont le résultat de travaux scientifiques et non de manipulations aveugles.
3. En interdisant la recherche et les cultures OGM dans notre pays, nous nous rendrons totalement dépendants des agricultures qui les pratiquent
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Le raisonnement des anti-OGM est très contradictoire. Sous prétexte de lutter contre l’impérialisme des multinationales américaines, ils prônent des comportements qui vont nous rendre totalement dépendants de ces mêmes entreprises. Si l’Europe, et en particulier la France, renonce à toute recherche sur les OGM, nous aurons pris un retard considérable – en produits, en technique comme en brevets – qu’il nous sera impossible de rattraper. Or les faucheurs d’OGM s’attaquent avant tout aux travaux de recherche. Ils ruinent des années de travail. On pourrait presque penser qu’ils sont en partie manipulés par les entreprises qu’ils dénoncent ! Il faut comprendre la gestion des risques dans toutes ses dimensions : le risque économique est avéré, le risque écologique est fantasmatique.
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Question 3
4. Les cultures OGM permettent d’éviter l’emploi de pesticides qui sont évidemment nuisibles pour l’environnement Pour traiter de la question des OGM, il faut partir de ce que l’on sait et seulement de ce que l’on sait. Pratiquement, l’utilisation des OGM peut éviter l’emploi de substances chimiques qui sont aujourd’hui nécessaires pour combattre des insectes ou des parasites. Il est plus sain d’inscrire dans le code génétique des végétaux de quoi lutter contre ces agents de dégradation que de les asperger de produits chimiques.
Dans le cas de la France, les agriculteurs sont souvent organisés en coopératives, ce qui leur permet d’avoir le sens du long terme et de n’être pas soumis aux impératifs financiers immédiats. Les faucheurs d’OGM se sont attaqués à Limagrain, une coopérative qui rassemble six cents agriculteurs de Limagne. Plutôt que de se verser des dividendes, ils ont massivement investi dans la recherche et sont à la pointe des travaux mondiaux dans ce domaine. Il ne s’agit pas d’une multinationale, mais d’une entreprise française dont le statut n’est guère capitaliste. En détruisant le résultat d’années de travail, les militants anti-OGM jouent un jeu très curieux et très soupçonnable.
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5. Dans notre pays, ce ne sont pas des multinationales qui développent les cultures OGM, mais des coopératives d’agriculteurs dont la culture n’est guère capitaliste
Les réponses dont les Français n’ont pas besoin 1. Pirouettes •
« Je vais vous dire le fond de ma pensée. D’un côté, je pense que nous devons tout faire pour éviter les catastrophes environnementales. D’un autre, je juge inadmissibles les manifestations de violence qui saccagent des travaux de recherche de plusieurs années. »
•
« Ce sont des questions qu’il faut aborder sereinement, à froid. Une campagne électorale, avec ses enjeux très politiques, n’est pas le bon moment. »
•
« Les OGM sont avant tout un énorme échec de marketing ! Qui peut avoir envie de manger des choses qu’on nomme OGM !? Il faut servir des plats plus appétissants ! »
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2. Dégagement en touche ou refus de débattre •
« Personne n’obligera jamais personne à manger des OGM. Nous sommes un pays où les citoyens savent lire. Eh bien, qu’ils lisent les étiquettes ! »
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Question 3
•
« Ceux qui admettent les cultures OGM méprisent la nature et l’écologie. »
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« Je ne crois pas que les citoyens français aient jamais demandé des cultures OGM ! »
3. Peur de perdre des électeurs « Pourquoi faire de cette question un enjeu national ? Chaque territoire peut décider de ce qui se passe chez lui ! »
•
« Il faut que les agriculteurs puissent faire leurs choix de productions et les consommateurs leurs choix de consommation. »
•
« Je crois que nous ignorons encore trop de choses sur les conséquences des OGM pour nous prononcer dans le sens de l’autorisation comme dans le sens de l’interdiction ! »
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•
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Question 4
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Durant votre mandat présidentiel, accroîtrez-vous le rôle de l’État pour assurer un patriotisme économique qui limite les processus entraînés par la mondialisation ? Dominique de Villepin, Premier ministre, a lancé le slogan du patriotisme économique. Quoi qu’on pense de son action sur des opérations singulières, il reste que cette question est à l’ordre du jour. Plusieurs données la déterminent. En premier lieu, la mondialisation, qui fait sortir toutes les entreprises de leurs frontières, tant pour leurs marchés que pour leurs investissements. La recherche des effets de taille implique que la croissance externe soit combinée avec la croissance interne. Les entreprises achètent d’autres entreprises partout dans le monde et se délestent d’une partie de leurs activités soit pour financer ces achats, soit pour ne conserver que les activités à plus forte valeur ajoutée. En deuxième lieu, la financiarisation de l’économie donne une priorité aux opérations rentables, et les cours de Bourse fluctuent en fonction d’opérations qui sont davantage ciblées sur l’intérêt des actionnaires que sur les pays dans lesquels se situent les sièges sociaux des entreprises. En troisième lieu, les privatisations entamées sous la droite depuis 1986, continuées sous la gauche avec Lionel 59
Jospin, se sont accrues depuis 2002. Ces privatisations privent l’État de moyens pour intervenir dans la plupart des opérations de fusion ou d’acquisition. Les exemples d’Alcan rachetant Pechiney, du sauvetage d’Alstom, de l’OPA de Mittal sur Arcelor, de la fausse OPA de Pepsi sur Danone ou de la tentative d’Enel sur Suez ont été l’occasion d’interventions publiques plus rhétoriques qu’efficaces. L’État est partagé entre le désir de favoriser les investissements étrangers en France et la volonté de ne pas voir s’éloigner tous les centres de décision. Dans le cas de Pechiney, Alcan a dépouillé notre pays de ses activités essentielles ; dans le cas de Mittal, il n’existe plus aucun Français dans le staff du nouveau groupe. Quand on mesure le travail effectué par Francis Mer pour redresser Usinor et constituer Arcelor, quand on évalue les financements de l’État dans la restructuration de la sidérurgie, on comprend que l’État ne puisse rester les bras ballants tout en menant une politique de l’emploi qui se veut roborative. Avec la Sogerma, l’État a semblé aussi impuissant ; quand le Premier ministre a atterri soudainement à Mérignac, chacun a été surpris de sa surprise, puisque l’État est actionnaire d’EADS, holding de la Sogerma. Enfin, les réticences de l’opinion publique exprimées lors du référendum européen montrent que les dirigeants de notre pays ne peuvent se défausser sur Bruxelles et ignorer toute politique nationale. La notion de patriotisme économique peut paraître surannée selon les plus libéraux, mais le patriotisme jouit d’une évaluation positive dans l’opinion. Strictement défensif, il n’a pas les atours agressifs du nationalisme. Il ne peut se contenter d’une expression sportive – comme la Coupe du monde de football – qui échappe en grande partie au monde politique. 60
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Question 4
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Patriotisme économique
Les candidats à la présidence de la République n’échapperont donc pas à ce débat. D’autres pays, réputés très libéraux, comme les États-Unis, ne rechignent pas à intervenir quand un pan entier de leur économie est mis en danger. Les taxes douanières imposées par Georges W. Bush sur l’acier européen ne cachaient pas des soucis électoralistes : les États concernés par la déréliction de la sidérurgie américaine représentaient un réservoir électoral important pour les Républicains. La campagne présidentielle est l’occasion de sortir des improvisations souvent constatées. La fusion stratégique annoncée de GDF et de Suez, certes intelligible, est un manquement à la parole donnée lors des débats parlementaires sur la privatisation de GDF. Plus qu’une faute, elle exprime une erreur stratégique sur le moyen terme. Les uns affirment qu’il s’agit de privatiser GDF ; les autres que c’est une nationalisation rampante de Suez. Reste à savoir si c’est le rôle d’un Premier ministre d’annoncer publiquement cette fusion, alors même que le conseil d’administration de Suez, entreprise privée, ne s’est pas encore réuni. Le patriotisme économique doit donc sortir de son statut de slogan pour prendre corps dans un projet politique. Aux élections présidentielles, les candidats seront jugés sur leur capacité à envisager des mesures qui correspondent à cette formulation simpliste. Pour ceux qui n’ont aucune chance d’accéder au pouvoir, des solutions caricaturales pourront être soutenues sans difficulté. Pour tous ceux dont l’exercice du pouvoir est possible, voire probable, le patriotisme économique est une notion programmatique à laquelle il faut donner un contenu. Cette question n˚ 4 n’a donc pas du tout le même statut que les autres questions. On sait, par avance, qu’aucun candidat ne tournera en dérision ce patriotisme économique. 61
D’une certaine manière, il est devenu un maître mot. Comme le soulignait Paul Valéry, un maître mot « a toujours plus de valeur que de sens ». Il n’existe pas de réponses toutes faites à cette question. Il faudra aux candidats une grande capacité d’innovation et d’invention pour proposer un contenu crédible au patriotisme économique. Le silence leur sera interdit. Ils devront jouer avec les impératifs européens et les contraintes nationales. L’enjeu de cette question est considérable car elle contribue à définir ou préciser le pouvoir et la responsabilité du politique. Ou il se déclare impuissant, et les échéances politiques perdent de leur sens. Ou il se déclare responsable, et il prend de terribles risques pour l’avenir. On se souvient des engagements pris par la gauche sur la fermeture de Vilvoorde, par Renault, avant les élections de juin 1997. Renault était dirigé par un socialiste, ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius, lors de ses différents ministères, puis à Matignon. Mais après avoir gagné les élections, les socialistes durent demeurer totalement passifs par rapport à cette fermeture. La sphère politique ne peut se passer d’une définition du rôle de l’État. Doit-il se concentrer sur ses fonctions régaliennes (armée, police, justice) ou faut-il renforcer son rôle dans des domaines qu’il avait délaissés ? Le devenir du mot libéralisme est en jeu. Les politiques ou industriels (Alain Madelin ou Hervé de Charette) qui ont occupé des fonctions ministérielles et qui ont ensuite affirmé qu’il fallait supprimer les institutions dont ils avaient la charge (Industrie ou Plan), n’ont jamais été compris de l’opinion.
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Question 4
Patriotisme économique
Arguments pour répondre OUI 1. La nation ne doit pas se dissoudre dans la mondialisation.
2. L’État ne peut laisser s’éloigner du territoire national tous les centres de décision.
3. Le patriotisme économique est fondé sur la défense de l’emploi, qui est la priorité du gouvernement de la France.
4. Si l’État déserte le champ économique, la politique n’a plus de sens.
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5. La volonté politique est aussi importante que les outils économiques.
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Question 4
Arguments pour répondre NON 1. Le patriotisme économique est un slogan politique qui n’a aucun sens économique dans le cadre de l’Europe et de la mondialisation. 2. Du fait des privatisations, l’État a abandonné les moyens d’une politique économique. 3. La Commission de Bruxelles empêchera l’État d’intervenir dans la plupart des cas.
5. Développer le patriotisme économique dans le cadre national, c’est nuire aux entreprises françaises qui développent une croissance externe à l’étranger.
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4. Ce n’est pas le rôle de l’État d’intervenir dans la vie des entreprises : il ne dispose pas des compétences humaines pour se substituer aux chefs d’entreprise.
Arguments pour répondre OUI 1. La nation ne doit pas se dissoudre dans la mondialisation La mondialisation est un phénomène économique incontestable. Elle concerne tous les territoires de la planète, quels que soient leur degré de développement, leur régime politique et leur droit du travail. Elle n’est pas orchestrée par un Deus ex machina. Elle est le fruit de forces économiques qui agissent et s’agitent sur un marché de plus en plus mondial, dans un rapport de forces qui ne relève pas d’un droit international. Mais les territoires nationaux sont sous l’autorité d’un État de droit et d’un pouvoir politique. Leur rôle doit être de résister à toutes les pratiques qui peuvent faire pression sur la législation nationale en voulant la rendre homogène relativement à des pratiques moins démocratiques ou moins sociales. La nation a un devoir de résistance. Nos guerres ne sont plus militaires, elles sont devenues économiques.
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2. L’État ne peut laisser s’éloigner du territoire national tous les centres de décision Pour des raisons fiscales ou sociales, des entreprises peuvent être tentées de se délocaliser. Il ne s’agit pas de lutter contre toutes les délocalisations, car certaines consistent à se rapprocher d’un marché porteur. Mais l’État français a souvent beaucoup dépensé pour aider des industries à se 65
Question 4
restructurer (financement des préretraites, accompagnement des plans sociaux, aides à la reconversion, etc.). À ce titre, quel que soit le statut juridique actuel d’une entreprise, il peut exiger que les aides publiques aient des contreparties. Par exemple, l’éloignement des centres de décision hors du territoire national peut aboutir à des conséquences qui ne prennent guère en compte des contraintes territoriales ou sociales.
3. Le patriotisme économique est fondé sur la défense de l’emploi, qui est la priorité du gouvernement de la France La mondialisation peut entraîner une sorte de dumping social. Les entreprises multinationales installeraient leurs établissements là où le coût de la main-d’œuvre est le moins cher et là où le droit du travail est inexistant. On ne peut, d’un côté, dépenser des sommes considérables pour une politique de l’emploi, et, d’un autre, rester passif face à des décisions, même issues d’entreprises privées, qui ont toujours comme résultat de détruire des emplois. Le patriotisme n’a rien d’agressif. Il est défensif.
Les politiques ne peuvent tenir un discours d’impuissance face aux pouvoirs économiques. Si c’était le cas, la politique n’aurait plus aucun sens. L’idéologie libérale, poussée à l’extrême, devient un véritable système de pensée qui vise à la mort du politique au profit des seuls pouvoirs économiques. La politique ne peut s’abîmer dans cet anéantissement de la démocratie. Le progrès social, 66
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4. Si l’État déserte le champ économique, la politique n’a plus de sens
Patriotisme économique
l’amélioration des conditions de travail, la conquête des droits démocratiques doivent être garantis par le rôle de l’État et donc du politique.
5. La volonté politique est aussi importante que les outils économiques
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Les pays les plus libéraux, comme les États-Unis, n’hésitent guère à intervenir quand leurs entreprises sont menacées par la mondialisation. On l’a vu dans le cas de la sidérurgie, avec les taxes douanières imposées par Georges W. Bush. Les politiques agricoles ont été en grande partie définies et orientées par le pouvoir politique en dépit de la mondialisation des marchés. L’État dispose de plusieurs moyens qui permettent d’exprimer une volonté politique claire : aides publiques, marchés publics, fiscalité. Il peut et doit être relayé dans cette volonté par les collectivités territoriales, qui disposent également de moyens pouvant aller dans le même sens. Dans le cas d’Alstom, on a pu constater qu’en se battant, y compris à Bruxelles, l’État peut contribuer à sauver une entreprise en difficulté.
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Arguments pour répondre NON 1. Le patriotisme économique est un slogan politique qui n’a aucun sens économique dans le cadre de l’Europe et de la mondialisation Le patriotisme économique se réduit la plupart du temps à des effets de manche et à de beaux discours démagogiques. On en a vu quelques beaux exemples dans le domaine industriel : après des mouvements de mentons menaçants, lors de l’OPA de Mittal sur Arcelor, le gouvernement a capitulé en rase campagne et, désormais, plus aucun Français n’appartient au staff du leader mondial de la sidérurgie. Pourtant, les dépenses publiques pour la restructuration de la sidérurgie faisaient de cette opération un cas d’école ! Avec le patriotisme économique, les hommes politiques ridiculisent le politique en surestimant leurs pouvoirs.
Il faut être cohérent. La droite comme la gauche se sont engagées dans les processus de privatisation. Dans une économie libérale et mondialisée, ce sont les actionnaires qui peuvent influer sur les décisions, pas les hommes politiques. Il faut donc être clair sur les choix à opérer : 68
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2. Du fait des privatisations, l’État a abandonné les moyens d’une politique économique
Patriotisme économique
ou l’État décide d’intervenir dans les décisions des grandes entreprises et il en reste ou en devient actionnaire, ou il joue le jeu libéral, engrange le profit des ventes publiques et se tait ensuite comme tout ancien propriétaire ou actionnaire. Or on voit que toutes les décisions actuelles vont dans un sens contraire : de la privatisation des autoroutes à celle de GDF, il est clair que l’État continue à se désengager.
3. La Commission de Bruxelles empêchera l’État d’intervenir dans la plupart des cas Faute de participations ou de pouvoir économique décisionnel, il resterait à l’État le moyen d’octroyer des aides aux entreprises qui souffriraient d’un manque de compétitivité due à nos lois sociales ou à notre droit du travail. Mais on sait, par avance, ce qu’il en adviendrait : Bruxelles s’opposerait aux mesures prises et l’État français devrait subir des amendes importantes. Dans le cas d’Alstom, la négociation a été très difficile et l’État a dû prendre des engagements sur l’extinction progressive de son rôle…
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4. Ce n’est pas le rôle de l’État d’intervenir dans la vie des entreprises : il ne dispose pas des compétences humaines pour se substituer aux chefs d’entreprise De toute façon, il est malsain que l’État intervienne dans la vie des entreprises. Pour des raisons politiques qui frisent la démagogie, il privilégierait les emplois à court terme contre la compétitivité des entreprises, c’est-à-dire contre l’emploi à moyen ou long terme. L’État dispose de 69
Question 4
hauts fonctionnaires compétents et bien formés pour l’administration publique, mais jamais formés pour la compétition économique mondiale. Qu’il s’occupe de réduire la dette publique qui monopolise l’épargne des Français plutôt que de se mêler de management ou de stratégie.
5. Développer le patriotisme économique dans le cadre national, c’est nuire aux entreprises françaises qui développent une croissance externe à l’étranger
© Groupe Eyrolles
Les profits des entreprises françaises sont réalisés, en grande partie, par leurs filiales étrangères. Les grands groupes ont besoin d’une croissance externe qui les amène à racheter des entreprises étrangères, soit de gré à gré, soit en lançant des OPA. On ne peut en même temps admirer leur dynamisme sur le marché mondial des capitaux et regretter que des entreprises étrangères fassent la même chose en France. De façon générale, un principe simple de cohérence exige que les politiques cessent de discourir sur le patriotisme économique et s’occupent avant tout d’améliorer l’environnement économique et social des entreprises qui produisent ou rendent des services en France. Il vaudrait mieux assouplir notre droit du travail et cesser de dénoncer en vain les mouvements de capitaux internationaux.
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Les réponses dont les Français n’ont pas besoin 1. Pirouettes •
« Quel candidat pourrait s’opposer au patriotisme, quels qu’en soient les aspects ? »
•
« On l’a vu lors de la Coupe du monde. Il y a des moments où il faut savoir donner des coups de tête. »
•
« Il ne faut pas isoler cette question des autres : le rôle du Président de la République, c’est de tout faire pour l’emploi des Français. »
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2. Dégagement en touche ou refus de débattre •
« Le politique que je suis est patriote, mais l’économie est l’affaire des chefs d’entreprise. »
•
« Je confierai une mission au Conseil d’analyse économique sur ce sujet et j’entendrai ses avis avant toute décision prématurée. »
•
« Je suis patriote, je mènerai une politique économique qui relance la croissance. Vous en déduirez que je ne peux m’opposer au patriotisme économique ! »
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Question 4
3. Peur de perdre des électeurs « Il n’existe pas de bons et de mauvais Français. Je suis convaincu que les organisations syndicales comme les organisations patronales sont très soucieuses de l’emploi dans notre pays. »
•
« Vous savez, il existe des voyous dans tous les milieux. Sur terre comme sur mer. Nous les combattrons s’ils nuisent à l’intérêt national. »
•
« Je n’ai pas le goût des slogans, je préfère les actes. Je préfère agir en silence, discrètement, que procéder par grandes déclarations vertueuses. »
© Groupe Eyrolles
•
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Question 5
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Durant votre mandat présidentiel, vous engagerez-vous sur une augmentation ou un type d’augmentation du SMIC ? La question de l’augmentation du SMIC est entrée dans la tradition républicaine. D’une part, à l’occasion de chaque campagne électorale, les candidats rivalisent de propositions en pourcentage ou en valeur brute ; d’autre part, presque à chaque coup, au début de l’été qui suit l’élection présidentielle, le gouvernement donne ce qui se nomme un « coup de pouce ». C’est une tradition française presque régalienne, comme l’amnistie pour les automobilistes. Il est très dur d’y échapper, et le niveau proposé du SMIC est l’enjeu d’une concurrence déloyale entre candidats. Moins on a de chances d’être élu, plus les augmentations promises peuvent être généreuses. Il paraît toujours indécent d’être chiche quand chacun se demande comment il est possible de vivre en 2006 avec si peu d’argent par mois. L’ensemble des mesures concernant les bas salaires aboutit à ne les grever que de faibles charges sociales. Les augmentations du SMIC ne se cumulent donc pas, en termes de coût, avec l’augmentation proportionnelle des charges sociales pesant sur les salaires. En même temps, cette situation exceptionnelle conduit à ce que l’on nomme des « effets de trappe » : certaines rémunérations ne sont pas accrues pour éviter de rentrer dans le cadre des salaires normalement taxés comme tous les autres salaires. 73
Dans une campagne présidentielle, tous les candidats qui ont des revenus très supérieurs au SMIC éprouvent quelque difficulté à contester les augmentations rituelles. Dans beaucoup de pays où il n’existe pas de salaire minimum garanti, la question ne se pose même pas. Que l’État décide d’augmenter ses propres salariés apparaît légitime puisque c’est au gouvernement de trouver les ressources budgétaires pour en assurer le financement. Mais la mesure décidée par le politique est applicable dans toutes les entreprises privées, quels que soient leur taille, leur santé et leur domaine d’activité. Chacun sait que, dans la mondialisation, maintes entreprises sont confrontées à un dumping social ou à une distorsion concurrentielle en matière de coût du travail. Par ailleurs, l’existence du SMIC constitue un attrait considérable pour la maind’œuvre immigrée non qualifiée qui est assurée d’un revenu certain, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays développés. Mais les objections économiques sont faibles au regard des enjeux politiques. À strictement parler, le SMIC ne devrait pas relever d’un enjeu strictement présidentiel. Il est l’affaire du gouvernement, qui doit adapter sa politique en fonction du contexte économique et social. Dans les faits, aucun candidat ne peut éviter la question. Il ne peut naturellement l’éviter s’il se classe à gauche dans un combat contre les inégalités. Mais il peut difficilement faire la sourde oreille s’il propose par ailleurs des baisses d’impôt pour les plus riches, des exonérations sur les droits de succession, ou une diminution de l’impôt sur la fortune. Un candidat de rupture pourrait s’inscrire en faux contre cette tradition qui peut sembler arbitraire, voire hors sujet, lors d’une campagne présidentielle. Mais c’est courir un risque peu calculable. Le contexte actuel accroît 74
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Question 5
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SMIC
encore cette exigence. L’augmentation du pouvoir d’achat a pris largement le relais des revendications sur la diminution du temps de travail. Les politiques publiques et la mondialisation économique ont freiné depuis des années les revendications salariales, notamment dans le secteur privé. Sans donner un bénéfice politique assuré, l’augmentation du SMIC, promise en campagne, déleste au moins du handicap que constitue la comparaison avec les propositions des candidats concurrents. Cette question occupe un statut particulier dans les dix questions posées aux différents candidats. Certaines doivent être posées, étant donné le caractère singulier de l’élection présidentielle. Mais d’autres, comme celle-ci, seront de toute façon posées, notamment par la concurrence. Il ne s’agit pas de le regretter mais de le prendre en compte. Car aucun candidat ne peut, à l’occasion de débats publics et surtout de débats télévisés, se contenter de refuser de répondre à ce type de question, malgré qu’il en ait. Dans la législature et le mandat présidentiel précédents, la question avait été quelque peu obérée par l’harmonisation des SMIC. Les lois sur la réduction du temps de travail avaient créé des SMIC différents. Les augmentations ne pouvaient alors être uniformes. Mais une fois ce travail effectué, le problème se pose avec l’acuité antérieure. Plus que tout autre temps préélectoral, la campagne présidentielle permet de développer des idées et des arguments. Faite de meetings, de tournées en régions, d’entretiens dans la presse, la campagne est l’occasion d’approfondir des argumentations, avant le fameux débat du second tour, toujours très suivi par les Français. Par ailleurs, les candidats sont entourés d’équipes qui préparent des dossiers, rencontrent tous les acteurs 75
Question 5
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de l’économie et de la société. La réponse à cette question ne sera donc pas improvisée, mais déterminée en partie par les propositions concurrentes. Ainsi, avant même que ne soit désigné le candidat socialiste, et en dehors de toute référence au projet socialiste adopté par son organisation, Laurent Fabius a précisé qu’il s’engageait sur une augmentation du SMIC de cent euros par mois. Dominique Strauss-Kahn avait également avancé des propositions sur cinq ans, mais on lui objecta immédiatement que la revalorisation proposée serait mécaniquement atteinte par le jeu des revalorisations annuelles. On peut en déduire que les propositions faites pour le premier juillet 2007, ou pour la durée du mandat présidentiel, seront comparées, évaluées et chiffrées. Chaque candidat sera écartelé entre deux impératifs traditionnels de toute élection présidentielle : satisfaire son électorat « naturel » et ratisser assez large pour rassembler au second tour. Les arguments ne manqueront pas, mais il est clair que la mise en scène même du débat final entre les deux candidats pour le second tour jouera un rôle spécifique. Le temps y est davantage compté et la vivacité des répliques ne permet pas l’approfondissement des enjeux. Il faut en effet bien saisir que le montant du SMIC sera certainement le seul chiffre intelligible. Ceux qui concernent le déficit budgétaire, la balance commerciale ou le PIB sont incommensurables avec les soucis et savoirs des citoyens.
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SMIC
Arguments pour répondre OUI 1. Le sens de l’Histoire, c’est la revalorisation du SMIC. Elle a été pratiquée par tous les gouvernements de gauche comme de droite. 2. La revalorisation du SMIC, c’est une augmentation du pouvoir d’achat qui dynamise la consommation intérieure et l’ensemble de l’économie. 3. Personne ne peut soutenir que l’on peut vivre correctement dans notre pays en gagnant le SMIC tel qu’il est.
© Groupe Eyrolles
4. Les chefs d’entreprise ont toujours protesté contre les augmentations du SMIC sans que celles-ci affectent réellement le dynamisme de l’économie. 5. Il faut compenser les effets de trappe induits par la baisse des charges sur les bas salaires en les revalorisant.
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Question 5
Arguments pour répondre NON 1. Les augmentations répétées du SMIC donnent des handicaps concurrentiels aux entreprises françaises. 2. Il n’y a pas de raison de cibler les augmentations de salaires sur le seul SMIC, c’est le pouvoir d’achat en général qui doit être revalorisé. 3. Que l’État augmente ses fonctionnaires s’il le souhaite, mais qu’il cesse d’intervenir dans la politique salariale des entreprises privées.
5. Un SMIC trop important est un facteur d’immigration non qualifiée accrue.
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4. La faible durée du temps de travail dans notre pays justifie que le SMIC n’y soit pas trop important.
Arguments pour répondre OUI 1. Le sens de l’Histoire, c’est la revalorisation du SMIC. Elle a été pratiquée par tous les gouvernements de gauche comme de droite La revalorisation des bas salaires, et en particulier du SMIC, n’est contestée par personne, ni à gauche ni à droite. Elle fait partie du bilan positif revendiqué par Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin avec la convergence des SMIC. Elle est sans cesse demandée par la gauche. Elle fait donc partie intégrante de la démarche politique dans notre démocratie. Que les représentants du patronat y résistent, c’est la loi du genre. Depuis Zola, on entend toujours les mêmes arguments. Rien n’est jamais possible. Puis, quand les décisions sont prises, tout est devenu possible. C’est le jeu normal des lobbies.
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2. La revalorisation du SMIC, c’est une augmentation du pouvoir d’achat qui dynamise la consommation intérieure et l’ensemble de l’économie La revalorisation du SMIC n’est pas seulement une mesure économique et sociale destinée à réduire les inégalités. C’est une décision économiquement efficace. L’État n’a aucun pouvoir sur les salaires du secteur privé. Sa seule décision en la matière concerne le salaire minimum. Or, toute augmentation du SMIC dope la consom79
Question 5
mation intérieure et donc la croissance. Même si les augmentations sont modérées, elles sont injectées dans l’économie du fait d’un effet de masse. De plus, l’augmentation du SMIC est motivante pour ceux qui hésitent entre l’ensemble des aides ou allocations liées au chômage et le retour à l’emploi.
3. Personne ne peut soutenir que l’on peut vivre correctement dans notre pays en gagnant le SMIC tel qu’il est Le SMIC est un outil indispensable qui évite les distorsions de concurrence. Les libéraux, dans leurs théories et leurs pratiques, ont toujours été opposés à l’existence même du SMIC. Mais celle-ci met toutes les entreprises françaises sur un pied d’égalité. S’il n’existait pas, un marché du travail caractérisé par 9 % de chômeurs induirait une concurrence acharnée sur les salaires les plus bas. Or, chacun sait qu’il est déjà très difficile de vivre avec le SMIC dans un pays développé comme le nôtre. Le pouvoir d’achat est au centre des préoccupations exprimées par les Français. L’augmentation du SMIC en est un des leviers principaux.
Sur la question du SMIC, les partenaires sociaux jouent chacun leur rôle. Les syndicats de salariés demandent toujours plus et les organisations patronales expliquent que les entreprises ne s’en remettront pas. Le rôle de l’État 80
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4. Les chefs d’entreprise ont toujours protesté contre les augmentations du SMIC sans que celles-ci affectent réellement le dynamisme de l’économie
SMIC
et d’un gouvernement, c’est, dans la concertation, de mettre en œuvre les principes de la République. L’égalité et la fraternité impliquent une lutte contre les injustices sociales et pour la solidarité. Si la France dispose du SMIC et le revalorise fréquemment, elle met aussi à la disposition des entreprises des infrastructures matérielles et sociales de qualité supérieure à la plupart des pays développés. Par ailleurs, l’exonération progressive des charges sociales sur le SMIC rend beaucoup moins douloureuses les conséquences économiques du SMIC sur la compétitivité des entreprises.
5. Il faut compenser les effets de trappe induits par la baisse des charges sur les bas salaires en les revalorisant
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Les charges sociales sur le SMIC étaient auparavant très réduites. Elles sont désormais supprimées pour les entreprises qui comptent moins de vingt salariés. C’est l’État qui prend en charge le coût de ces mesures, en remboursant les organismes sociaux de ce manque à gagner. On objecte à juste titre que ces mesures produisent des effets de trappe sur les bas salaires : en effet, les augmentations de salaires sont limitées par les charges sociales qui s’accroissent avec ces augmentations. Il faut donc compenser cet effet de trappe par une revalorisation du SMIC.
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Arguments pour répondre NON 1. Les augmentations répétées du SMIC donnent des handicaps concurrentiels aux entreprises françaises L’État et les gouvernements successifs, quel que soit leur bord politique, ont beau jeu d’évoquer le patriotisme économique. S’ils ne cessent de donner des handicaps concurrentiels aux entreprises françaises, ils ne doivent pas s’étonner des délocalisations ou de la sous-traitance dans des pays où le coût du travail est très inférieur. Nous sommes un des pays les plus « chargés » par les prélèvements obligatoires. Si on leur ajoute des coûts salariaux directs en constante augmentation, l’économie française sera tout entière en péril.
Pourquoi faire un sort particulier au SMIC ? La seule raison vient du fait que c’est une décision discrétionnaire qui dépend entièrement du gouvernement. Il serait plus important de s’intéresser à l’augmentation générale du pouvoir d’achat, seule susceptible de satisfaire tous les Français et de relancer efficacement la consommation intérieure. Pour y parvenir, l’État dispose de moyens : la 82
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2. Il n’y a pas de raison de cibler les augmentations de salaires sur le seul SMIC, c’est le pouvoir d’achat en général qui doit être revalorisé
SMIC
baisse des prélèvements obligatoires et notamment une moindre pression fiscale donneraient de nouvelles marges de manœuvre aux entreprises et aux particuliers.
3. Que l’État augmente ses fonctionnaires s’il le souhaite, mais qu’il cesse d’intervenir dans la politique salariale des entreprises privées Il faut que l’État s’habitue à distinguer sa politique salariale et celle des entreprises privées. À l’État de s’occuper de sa propre réforme et des salaires de la fonction publique ; aux entreprises de prendre en charge leurs restructurations et leur politique salariale. Chacun est compétent dans son domaine. On pourrait même tenir un raisonnement inverse de celui qui est habituellement tenu par les politiques et dire que la politique salariale dans la fonction publique mériterait d’être évaluée par le privé, car elle implique un certain taux de prélèvements obligatoires pour être financée. Les entreprises, elles, créent de la valeur en connaissance de cause, c’est-à-dire en fonction du marché qui, mondialisé, dépasse largement les frontières de la nation.
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4. La faible durée du temps de travail dans notre pays justifie que le SMIC n’y soit pas trop important On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Après l’élection de la majorité socialiste en 1997, les lois Aubry, votées par le Parlement, c’est-à-dire par la représentation nationale, ont privilégié la réduction du temps de travail. Un choix a donc été fait. Une des conséquences de ces lois a été l’existence de différents SMIC. La majorité (de 83
Question 5
droite) élue en 2002 a décidé d’harmoniser les SMIC pour respecter l’égalité des salariés. De ce fait, les augmentations ont déjà été importantes. Une nouvelle majorité peut toujours changer la loi. Mais la revalorisation du SMIC doit aller de pair avec un allongement du temps de travail ou une souplesse accrue pour les entreprises dans ce domaine.
5. Un SMIC trop important est un facteur d’immigration non qualifiée accrue
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L’existence du SMIC est très attractive pour la maind’œuvre non qualifiée. Dans nombre de pays développés, les immigrés non qualifiés seraient à la merci de petits boulots rémunérés sans normes salariales. En arrivant en France, ils savent qu’ils ne peuvent jamais gagner moins que le SMIC, ce qui constitue une assurance non négligeable quelles que soient les compétences initiales. Toute augmentation du SMIC est une incitation à l’immigration. Dans un pays comme la France, où l’on souhaite des immigrés mieux qualifiés, comme c’est le cas aux ÉtatsUnis, il faut éviter les mesures qui proscrivent une « immigration choisie ».
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Les réponses dont les Français n’ont pas besoin 1. Pirouettes •
« Je ne prendrai aucune décision en dehors de la concertation. Dès que je serai élu, je recevrai les organisations syndicales et patronales, pour discuter du SMIC. »
•
« Quand je serai élu, j’organiserai un audit des finances publiques et de la compétitivité de nos entreprises, avant toute décision hâtive. »
•
« Devant les scandales qui choquent tous les Français, je crois qu’il faudra s’occuper de deux choses : le salaire minimum mais aussi le salaire maximum ! »
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2. Dégagement en touche ou refus de débattre •
« Si mes concurrents vivaient avec le SMIC, ils ne discuteraient même pas la nécessité de l’augmenter. »
•
« J’ai pris une décision pour toute cette campagne : elle se fera dans la dignité et, retenez bien cela : on ne me prendra jamais au piège de la démagogie ! »
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Question 5
•
« Pour ce type de décision, comme disait François Mitterrand, il faut laisser le temps au temps. »
3. Peur de perdre des électeurs « Nous devons concilier la compétitivité des entreprises, qui est créatrice d’emplois, et la revalorisation du pouvoir d’achat des plus modestes. »
•
« Je vais vous dire le fond de ma pensée : je souhaite qu’il y ait de moins en moins de Français qui ne gagnent que le SMIC. »
•
« Bien sûr, dans le principe, je soutiens une revalorisation significative du SMIC. Ça, c’est le souhaitable. Une fois à l’Élysée, je verrai ce qu’est le possible. »
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•
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Question 6
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Durant votre mandat présidentiel, proposerez-vous une réforme de l’assurance chômage qui réduise les cotisations des entreprises qui recrutent et accroisse celles des entreprises qui licencient ? Créée à la fin des années 1950, l’assurance chômage est entrée dans les mœurs. Sa gestion paritaire peut laisser penser que l’État, et notamment le Président de la République, a peu de poids dans les négociations annuelles qui s’effectuent entre syndicats de salariés et organisations patronales. Cependant, la répétition des débats sur l’augmentation des cotisations et leur répartition tourne en rond depuis plusieurs années. Chacun y défend normalement ses intérêts, et l’on ne connaît pas d’exemple qui concerne une baisse générale des charges dans le domaine de l’assurance chômage. Ainsi, les taux de prélèvement ne cessent-ils d’augmenter, tant les raisonnements restent prisonniers de modèles dont chacun semble se satisfaire. On sait que, naturellement, la situation financière des Assedic dépend avant tout de la situation de l’emploi. Plus les emplois sont nombreux, plus les recettes augmentent et plus les dépenses diminuent. L’assurance chômage enregistre, de façon tout à fait passive, la situation de l’emploi sans jamais constituer un ressort pour l’améliorer. Au fil des années, les taux et la durée de l’indemni87
sation évoluent, comme des paramètres qui permettent de rechercher le moindre déséquilibre dans les comptes. Or, depuis quelques années, des propositions sont avancées dans des rapports multiples, qui sont patiemment écoutées sans jamais faire l’objet d’un débat politique. Le rapport Camdessus, le Conseil d’analyse économique et le Plan ont indiqué d’autres formes de raisonnement que les décideurs – État, partenaires sociaux – n’ont jamais mis sur la table des négociations. Il suffit de partir d’un constat assez simple : les entreprises françaises cotisent autant, qu’elles suppriment des emplois, qu’elles en détruisent ou qu’elles en créent. Autrement dit, rien dans le système de l’assurance chômage ne joue un rôle actif en matière d’emploi. Tout au plus peut-on constater que les taux et la durée d’indemnisation peuvent jouer un rôle sur le désir de retrouver un emploi plutôt que de rester au chômage. Mais ces dispositions ne concernent que les personnes physiques, non les personnes morales. En réalité, notre système d’assurance chômage est calqué sur le modèle de l’assurance maladie. Nous cotisons, que nous soyons malades ou en bonne santé. Certains cotisent plus qu’ils ne coûtent, d’autres dépensent plus qu’ils ne cotisent. L’assurance chômage fonctionne selon ce paradigme. Évidemment, nous admettons que nous ne sommes pas volontairement malades. C’est une malchance compensée par la solidarité nationale mise en place par l’assurance maladie. De même, une entreprise est censée « ne pas faire exprès » de licencier. Une entreprise qui licencie est considérée comme une entreprise malade, malgré elle. Une entreprise qui recrute est considérée comme en bonne santé, malgré elle. Dans l’assurance maladie, on argue déjà que certains modes de vie (alcoolisme, tabagie) ou accidents devraient davantage 88
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Question 6
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Assurance chômage
relever de la responsabilité individuelle et ne pas se financer par la solidarité nationale. Le débat existe, mais il est tranché depuis longtemps. Dans le cas de l’assurance chômage, le débat mérite d’être lancé. Le paradigme de l’assurance maladie y est implicite. Pourtant, ce système n’est pas sans effets pervers. Il arrive souvent, en effet, qu’employeur et salarié se mettent d’accord en comptant sur l’assurance chômage pour solder leurs tractations. Il est possible de raisonner tout autrement qu’en fonction du modèle actuel. D’ailleurs, ce modèle a été mis en place à une époque où le chômage était faible et où il pouvait fonctionner très correctement durant les Trente Glorieuses. Un autre modèle pourrait fonctionner qui aurait des effets davantage incitatifs sur l’emploi, ce serait le modèle de l’assurance automobile. Ainsi, une entreprise qui créerait des emplois pourrait se voir dotée d’un bonus, c’est-à-dire d’une réduction des charges liées à l’assurance chômage. Au contraire, une entreprise qui licencierait ou détruirait des emplois pourrait être affectée d’un malus, c’est-à-dire d’une augmentation de ses charges liées à l’assurance chômage. Cette idée heurte de front une représentation courante : personne n’aime licencier, aucun chef d’entreprise ne détruit volontairement des emplois ; si des emplois sont supprimés, c’est affaire de nécessité et non de choix. Autrement dit, une entreprise est en bonne santé ou malade, malgré elle. Cette affirmation est de moins en moins vraie avec la financiarisation de l’économie. Des choix sont faits pour améliorer la rentabilité ou la productivité du travail. Un raisonnement de ce type instituerait une rupture dans les représentations. Le Medef l’admettrait difficilement. Cette difficulté viendrait sans doute davantage du raisonnement implicite qui est 89
Question 6
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tenu que des charges nouvelles imposées aux entreprises qui licencient. Curieusement, les syndicats ne font pas de propositions en ce sens. Chacun fonctionne dans un système sans songer à sortir de sa logique. Il ne faut pas le prendre comme un raisonnement accusatoire à l’égard des entreprises. En effet, il favoriserait les entreprises en développement tout en essayant d’intégrer cette augmentation des charges d’assurance chômage dans le processus de décision concernant tout licenciement. On ne peut d’ailleurs considérer que le raisonnement suivi serait de nature antilibéral puisque, aux États-Unis, les deux tiers des États ont mis en place ce système de bonus/malus. Cette question n’est pas évoquée dans les principaux programmes électoraux. Mais elle mérite d’être posée car la réduction du chômage sera, une fois de plus, au cœur de la campagne présidentielle. Au-delà des emplois aidés, multipliés par le plan Borloo, et de la croissance toujours attendue, sans doute vaut-il mieux utiliser tous les ressorts possibles pour améliorer les conditions de l’emploi : favoriser les entreprises créatrices d’emplois et pénaliser celles qui en suppriment peut constituer un nouveau levier positif.
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Assurance chômage
Arguments pour répondre OUI 1. L’État doit utiliser tous les moyens pour favoriser ceux qui favorisent la création d’emplois. 2. Le système du bonus/malus est pratiqué avec succès dans la plupart des États américains. 3. Il faut dissuader les entreprises de conclure des accords avec certains salariés sur le dos de l’assurance chômage.
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4. Les entreprises qui font des profits licencieraient moins si les licenciements étaient d’un coût supérieur. 5. Une entreprise qui est contrainte de licencier pourra étaler sa dette d’assurance chômage sur plusieurs années.
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Question 6
Arguments pour répondre NON 1. Le système du bonus/malus laisse penser que des chefs d’entreprise suppriment des emplois par pur plaisir. 2. Une entreprise qui supprime des emplois connaît des difficultés ou des difficultés concurrentielles qu’il ne faut pas aggraver. 3. Pour les entreprises qui se développent et créent des emplois, le système de bonus/ malus ne crée qu’un effet d’aubaine.
5. L’assurance chômage a été conçue comme un outil de solidarité pour les salariés et les employeurs, elle ne doit pas être détournée de son objectif initial.
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4. Si les entreprises sont menacées d’un coût supérieur sur les suppressions d’emplois, elles hésiteront encore plus à embaucher, ce qui sera in fine mauvais pour l’emploi global.
Arguments pour répondre OUI 1. L’État doit utiliser tous les moyens pour favoriser ceux qui favorisent la création d’emplois Le système d’assurance chômage ne peut être laissé entièrement à la gestion paritaire sans que l’État donne son avis. Les règles du jeu peuvent être changées sans abandonner ce système paritaire. L’État intervient notamment sur tous les prélèvements obligatoires. S’il veut mener une politique de l’emploi, il ne doit pas organiser la baisse des charges de façon aveugle, en fonction de critères de taille ou de salaire. Les créations d’emplois améliorent les comptes de tous les organismes sociaux. Il convient donc qu’elles soient favorisées. Ceux qui coûtent moins cher doivent payer moins cher.
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2. Le système du bonus/malus est pratiqué avec succès dans la plupart des États américains Le système de bonus/malus n’est pas un système autoritaire ou dirigiste. Chacun en connaît le fonctionnement dans l’assurance des automobiles. Il est fondé sur la responsabilité des assurés. L’exemple américain montre bien qu’on ne saurait évoquer à son propos une ingérence inadmissible dans la vie des entreprises. Plutôt que de multiplier les aides ou les incitations à la création 93
Question 6
d’emplois, mieux vaudrait ainsi réduire les charges liées à l’assurance chômage.
3. Il faut dissuader les entreprises de conclure des accords avec certains salariés sur le dos de l’assurance chômage Le système actuel est un facteur de déresponsabilisation. Chacun a tendance à reporter sur l’assurance chômage des coûts qui relèvent de la responsabilité des uns ou des autres. Trop souvent des salariés et des employeurs passent des accords qui entraînent des licenciements déguisés, sachant que de toute façon l’assurance chômage prendra en charge le coût du licenciement une fois celuici effectué. Ainsi des démissions se transforment-elles en licenciements pour pouvoir jouir des allocations. Le système bonus/malus serait dissuasif pour les entreprises.
Les plans sociaux ou les licenciements individuels constituent une décision économique. Il s’agit de modifier les éléments de cette décision économique. Si la destruction d’emplois entraîne un renchérissement du coût de l’assurance chômage pour les salariés demeurant dans l’entreprise, la décision peut être différente. On cessera quelquefois de considérer qu’il faut fermer un établissement parce qu’il n’est pas assez rentable ou d’effectuer un plan social pour accroître la rentabilité de l’entreprise. Souvent, la hausse des cours de Bourse lors de restructurations ou de plans sociaux a choqué l’opinion. Si ceux-ci 94
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4. Les entreprises qui font des profits licencieraient moins si les licenciements étaient d’un coût supérieur
Assurance chômage
représentent un coût, cette relation de causalité pourrait s’atténuer, voire disparaître. Ainsi se réduirait l’argument financier et boursier qui peut présider à certaines décisions.
5. Une entreprise qui est contrainte de licencier pourra étaler sa dette d’assurance chômage sur plusieurs années
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On répète trop qu’une entreprise qui licencie connaît nécessairement des difficultés et que le système bonus/ malus viendrait les aggraver. L’exemple américain montre qu’il est possible de ne pas altérer la trésorerie des entreprises : en négociant au cas par cas le paiement de cette hausse des cotisations chômage pour les employeurs, l’assurance chômage pourrait étaler la dette dans le temps si l’entreprise connaît de réelles difficultés. Le cas serait différent s’il ne s’agissait que de délocalisations ou de la recherche d’une meilleure rentabilité. En revanche, l’entreprise créatrice d’emplois verrait immédiatement ses charges d’assurance chômage diminuer.
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Arguments pour répondre NON 1. Le système du bonus/malus laisse penser que des chefs d’entreprise suppriment des emplois par pur plaisir Au-delà du calcul économique lui-même, le système bonus/malus d’assurance chômage jette la suspicion sur les décisions des entreprises. On laisse entendre qu’il s’agit de décisions arbitraires. Le principe actuel de l’assurance chômage repose sur la solidarité nationale entre ceux qui se développent et ceux qui réduisent leur voilure. Tout licenciement est une décision difficile. Tout patron préfère recruter plutôt que de licencier. S’il licencie, c’est que les conditions économiques l’y obligent. Et l’on voit mal que des fonctionnaires de l’assurance chômage disposent des compétences voulues pour contester chaque décision. Il s’agit encore d’une démarche interventionniste dans la gestion même de l’entreprise privée.
Le rôle de l’État et de l’assurance chômage, c’est de permettre aux entreprises de traverser des périodes difficiles. Le système de bonus/malus revient au contraire à les aggraver. Comment peut-on penser augmenter les charges d’une entreprise qui a besoin de réduire sa masse 96
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2. Une entreprise qui supprime des emplois connaît des difficultés ou des difficultés concurrentielles qu’il ne faut pas aggraver
Assurance chômage
salariale ? En admettant qu’une entreprise décide de ne pas supprimer des emplois pour éviter de voir augmenter ses cotisations sur les salariés qui restent en son sein, ce processus de décision aboutit à une compétitivité plus affaiblie par rapport au système antérieur.
3. Pour les entreprises qui se développent et créent des emplois, le système de bonus/ malus ne crée qu’un effet d’aubaine De même, une entreprise qui crée des emplois le fait parce qu’elle se développe et que le marché – c’est-à-dire ses clients – est satisfait de ses produits ou de ses services. Elle ne le fait jamais pour voir réduire ses cotisations sociales. Alors, certes, elle profitera de cette baisse de charge. Ce sera un effet d’aubaine mais pas du tout un élément déterminant dans ses décisions de croissance ou de création d’emplois.
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4. Si les entreprises sont menacées d’un coût supérieur sur les suppressions d’emplois, elles hésiteront encore plus à embaucher, ce qui sera in fine mauvais pour l’emploi global L’expérience a montré que les mesures étatiques et directives qui prétendent aboutir à la création et surtout à la sauvegarde d’emplois ont des effets pervers qui débouchent sur des conséquences exactement inverses. Les mesures Delalande compliquant le licenciement des salariés âgés de plus de cinquante ans ont réduit leur embauche. L’autorisation administrative de licenciement avait eu le même effet, jusqu’a sa suppression en 1986. Toutes les mesures qui pénalisent le fait de se séparer d’un salarié 97
Question 6
provoquent de la méfiance ou de la frilosité pour en embaucher. C’est pourquoi il vaut mieux compter sur la dynamique économique et la compétence des entrepreneurs plutôt que multiplier les carottes et les bâtons, décidés, conçus et maniés par des fonctionnaires !
5. L’assurance chômage a été conçue comme un outil de solidarité pour les salariés et les employeurs, elle ne doit pas être détournée de son objectif initial
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Ce n’est pas un hasard si l’assurance chômage a été conçue sur le modèle de l’assurance maladie. Dans les deux cas, le principe de solidarité est cohérent avec le respect des libertés publiques et privées. Quand un assuré social est malade du foie, on ne va pas lui refuser un remboursement en soupçonnant une consommation excessive d’alcool. Si un homme ou une femme se casse la jambe en faisant du ski, on ne va pas enquêter sur son style ou sur sa vitesse avant de lui rembourser les soins pour lesquels il a toujours cotisé. Il vaut mieux quelques écarts qu’une police des mœurs généralisée.
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Les réponses dont les Français n’ont pas besoin 1. Pirouettes •
« L’assurance chômage, c’est d’abord, historiquement, une question qui relève de la négociation entre partenaires sociaux. Je ne crois pas que le politique doive se mêler de tout. »
•
« Je crois qu’il vaut toujours mieux en appeler à la responsabilité des acteurs économiques et sociaux plutôt que de réformer pour réformer. »
•
« Il faut d’abord commencer par les réformes prioritaires. Je proposerai un calendrier qui permette d’aller d’abord à l’essentiel. »
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2. Dégagement en touche ou refus de débattre •
« Nous n’avons pas le même esprit que les Américains. Restons Français plutôt que de toujours chercher nos modèles ailleurs. »
•
« C’est une question qui ne se pose pas, pour une simple raison : nulle part en France elle ne m’a été posée. C’est juste un débat entre intellectuels ! » 99
Question 6
•
« Je n’aime pas ces mots de bonus et malus : je ne suis pas là pour distribuer des bons ou des mauvais points aux entreprises… »
3. Peur de perdre des électeurs « Notre système actuel fonctionne bien. Le retour de la croissance et la baisse du chômage vont remettre les comptes à l’équilibre. Pourquoi évoquer des questions qui fâchent ? »
•
« Je ne me vois pas proposer une réforme qui déplaise en même temps aux salariés et aux chefs d’entreprise. Ce n’est pas un hasard s’ils ne l’ont jamais suggérée. »
•
« Je ne crois pas du tout que les salariés et les chefs d’entreprise conspirent ensemble pour alourdir le déficit de l’assurance chômage. Nous ne sommes pas un peuple d’irresponsables. »
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•
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Question 7
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Durant votre mandat présidentiel, comptez-vous améliorer les services publics dans les quartiers difficiles en y plaçant les agents de l’État les plus compétents ? Aucun candidat ne peut discréditer les services publics. Ils occupent une place presque mythique dans notre tradition républicaine, très ancrés dans les notions d’égalité et de solidarité. On ajoute d’ailleurs parfois services publics à la française. L’étendue du domaine couvert par les services publics s’est réduite. Ils allaient autrefois des fonctions régaliennes de l’État jusqu’aux entreprises publiques assurées d’un monopole dans de nombreux secteurs (énergie, transport, audiovisuel). L’Europe avec ses règles, la mondialisation avec ses contraintes, ont réduit leur champ. Cette évolution a été très rapide. En 1981, personne ne s’imaginait Renault ou Air France privatisés, et encore moins France Télécom, EDF ou GDF. Aucun programme politique, même de droite, n’aurait fait de telles propositions. Or, les services publics qui demeurent définissent en grande partie le territoire de responsabilité du politique. Il en nomme les dirigeants, en précise les missions et y négocie les salaires. Plus l’économie se libéralise, plus les services publics jouent un rôle important pour garantir ou sauvegarder les valeurs de la République. Auparavant, le citoyen payait le même prix pour avoir l’électricité chez 101
lui, qu’il habite la ville ou une zone montagneuse difficilement accessible. Les PTT le dépannaient gratuitement. Les bureaux de la Poste peuplaient le moindre village. Désormais, un thème récurrent consiste à critiquer les « deux vitesses » : santé à deux vitesses, école à deux vitesses, etc. Alors que les services publics sont censés réduire les inégalités ou traiter de la même façon chaque citoyen quelle que soit sa richesse ou sa pauvreté, leur état actuel peut constituer un nouveau facteur d’inégalités. Le célèbre thème de la fracture sociale repose en partie sur ce danger. Où sont passés les commissariats de quartier ? Quelle est la qualité de l’école la plus proche imposée par la carte scolaire ? La crise des banlieues a montré la nécessité des services publics : c’est une question de présence et de qualité. Or, la plupart des services publics ont une gestion des ressources humaines qui privilégie les salariés du service public par rapport à leur mission nationale. Qu’il s’agisse de la police, de la justice ou de l’éducation, les promotions fondées sur des évaluations propulsent les salariés bien évalués dans les quartiers les moins difficiles. Cela est manifeste dans l’enseignement. De ce point de vue, les entreprises privées, plus soucieuses de rentabilité, ont tendance à placer leurs hommes les meilleurs dans des lieux difficiles pour les relever et améliorer les performances de leurs établissements. Cette gestion des ressources humaines, de nature corporatiste, est souvent contradictoire avec la notion même de service public : placer les enseignants les mieux notés face aux élèves les meilleurs contribue à accroître les inégalités entre les établissements scolaires, ce qui nuit aux élèves des familles en difficulté sociale et économique. L’amélioration des services publics comme instruments de luttes contre les inégalités implique des investis102
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Question 7
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Services publics
sements majeurs. On ne peut demander aux grandes surfaces de demeurer dans des quartiers sensibles si le commissariat ou la Poste les quittent. Mais il ne s’agit pas seulement de quantité. La qualité est également primordiale. Le service public n’a pas de clients qui l’obligent à se transformer pour lui permettre de survivre. Il est face à des usagers ou citoyens qui ont peu de poids dans le fonctionnement desdits services. Tout dépend donc de la façon dont le politique indique le cap et dont il parvient à mobiliser les salariés pour les convaincre de remplir une mission qui justifie leur emploi. Des habitudes très contraignantes ont été prises qui impliquent une véritable rupture dans la façon de concevoir la mission de service public. Gérer les carrières en fonction des impératifs de la République n’est guère dans les mœurs. De plus, l’importance du secteur public (cinq millions de salariés) constitue un enjeu électoral très significatif. Lorsque Claude Allègre avait entrepris des réformes en ce sens, les socialistes ont pris peur car il risquait de leur aliéner le vote des enseignants, traditionnellement des électeurs proches du Parti socialiste. Cette question ne sera donc pas traitée spontanément par les candidats aux élections présidentielles. En accord tacite avec les syndicats de la fonction publique, ils auront davantage tendance à traiter des moyens budgétaires que des moyens humains. Mais si cette question fait partie des dix questions significatives posées aux candidats, c’est qu’elle constitue en grande partie le cœur de la réforme de l’État. Celle-ci n’est absente d’aucun discours politique, mais elle reste profondément négligée. La France a pris dix ans de retard sur la plupart des pays qui ont atteint son niveau de développement. Or la réforme de l’État ne saurait être abordée 103
Question 7
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en termes technocratiques ou bureaucratiques. Elle doit être centrée sur la qualité du service public rendu par les fonctionnaires de l’État. Leurs qualités propres ne sont pas en cause. Mais on ne se soucie pas assez de mettre le bon fonctionnaire à la bonne place, face aux citoyens ou usagers qui en ont le plus grand besoin.
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Services publics
Arguments pour répondre OUI 1. Le service public doit être au service des citoyens : ces derniers méritent donc d’avoir face à eux des agents adaptés à leurs difficultés. 2. Le service public va disparaître s’il ne retrouve pas le sens de ses missions, et il mourra de ses corporatismes. 3. Il faut inciter ou dédommager financièrement les agents du service public confrontés à des missions difficiles, afin de les motiver dans leurs missions.
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4. Les difficultés nouvelles de notre société exigent une rupture dans la gestion humaine des salariés du secteur public. 5. Si le service public ne parvient pas à avoir des exigences de qualité, il devra être replacé par des entreprises privées.
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Question 7
Arguments pour répondre NON 1. Les salariés du secteur public méritent comme tous les autres d’aller travailler où ils le désirent. 2. Si l’on prend l’exemple de l’école, les lycées prestigieux qui forment l’élite de la nation doivent employer les enseignants les plus compétents. 3. On ne rend pas un service public de qualité avec des agents qui sont contraints de travailler dans des lieux où ils n’ont pas envie de travailler.
5. C’est à l’État de rendre attractifs les lieux d’exercice du service public, et non aux salariés de se sacrifier dans le cadre d’un manque de moyens manifeste.
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4. Il existe dans la fonction publique des barèmes, des notations qui doivent être respectés pour l’avancement des salariés.
Arguments pour répondre OUI 1. Le service public doit être au service des citoyens : ces derniers méritent donc d’avoir face à eux des agents adaptés à leurs difficultés
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La qualité du service public fait partie intégrante de la réforme de l’État. La qualité, c’est la qualité du service rendu aux usagers qui, n’étant pas des clients, exercent sur l’État une pression inférieure à celle des clients sur les entreprises, lesquelles vivent financièrement de flux venant de leurs clients, libres de trouver d’autres fournisseurs. Il faut donc que les services publics soient présents là où l’on en a besoin et que leurs agents soient choisis en fonction des situations locales et non en fonction de leur carrière dans leur institution. Un premier pas a été fait dans l’Éducation nationale, avec l’idée de professeurs référents pour les établissements difficiles. Mais il ne s’agit encore que de volontariat et cela ne concerne que quelques centaines d’enseignants.
2. Le service public va disparaître s’il ne retrouve pas le sens de ses missions, et il mourra de ses corporatismes Le service public est attaqué de toutes parts. Pour de bonnes et de mauvaises raisons. On critique son monopole du point de vue économique. Ou l’on conteste que les 107
Question 7
services rendus le soient moins bien par des entreprises privées. Il faut regretter que les grilles salariales, l’organisation des carrières, les processus d’avancement soient organisés en fonction de ce que l’on appelle des « acquis sociaux » et non en fonction des « besoins sociaux ». Les syndicats, si prompts à revendiquer le maximum de services publics « à la française », ont souvent des réflexes corporatistes en faveur des salariés au lieu de penser aux usagers.
3. Il faut inciter ou dédommager financièrement les agents du service public confrontés à des missions difficiles, afin de les motiver dans leurs missions Plus les situations sont difficiles, plus il faut des agents qualifiés ou expérimentés pour remplir les missions de service public. C’est pourquoi il faut en finir avec des grilles salariales homogènes qui ignorent les difficultés très différentes que rencontrent les agents des services publics. Si l’on s’en tient aux barèmes de notation, il est clair que les mieux notés demanderont des postes plus faciles. Il faut donc les inciter ou les récompenser financièrement pour la pénibilité de leurs tâches.
Bizarrement, l’État a toujours montré de très grandes faiblesses dans la gestion des ressources humaines. Il ne sait pas bien sanctionner, c’est-à-dire récompenser ou réprimander. Il ne sait pas non plus nommer les personnes là 108
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4. Les difficultés nouvelles de notre société exigent une rupture dans la gestion humaine des salariés du secteur public
Services publics
où elles seront les plus utiles. Il peine à gérer les mobilités. Des efforts ont été faits mais ils restent très insuffisants. Du recrutement à l’accueil, en passant par la formation, la gestion des carrières et l’adaptation à un poste de travail, tout est à reprendre.
5. Si le service public ne parvient pas à avoir des exigences de qualité, il devra être remplacé par des entreprises privées
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On le constate déjà dans certains secteurs comme le marché de l’emploi : quand l’État ou le service public est défaillant, on recourt à des entreprises privées pour assurer le service. Ce sont pour l’instant des ajustements partiels. Mais si l’État est incapable d’améliorer les services qu’il doit rendre, des entreprises s’y substitueront. On en a un bon exemple avec l’Éducation nationale. Le recours aux écoles privées s’accroît. Certes, cela ne semble pas pensable pour des services comme la police ou la justice – bien que commencent à fleurir les milices privées ou les sociétés de surveillance –, mais il ne faut pas pour autant renoncer à leur amélioration. Les services publics ne sauraient être aiguillonnés par la seule concurrence.
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Arguments pour répondre NON 1. Les salariés du secteur public méritent comme tous les autres d’aller travailler où ils le désirent Il ne faut pas exagérer le recours à des remèdes miracles. Même dans le privé, on ne parvient jamais à faire travailler correctement quelqu’un sur un lieu ou à un endroit qui lui déplaît. Sinon il quitte l’entreprise qui l’emploie. On ne saurait restreindre les droits des salariés du service public. Ils sont évalués, notés et expriment des vœux quant à leurs mutations. Ils ne sont pas affectés « à la tête du client », mais en fonction des notes qui sont les leurs.
Il ne suffit pas de dire que les meilleurs doivent être dans les situations les plus difficiles. Ils sont évalués en fonction de leur ancienneté et de leurs compétences. Si l’on prend l’exemple de l’Éducation nationale, il est clair que les établissements de haut niveau ont besoin d’enseignants d’une très grande qualité, même si ce ne sont pas des établissements difficiles avec une grande concentration de cas sociaux. Les notes dont ils disposent dans le 110
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2. Si l’on prend l’exemple de l’école, les lycées prestigieux qui forment l’élite de la nation doivent employer les enseignants les plus compétents
Services publics
barème de l’Éducation nationale n’ont rien à voir avec une compétence particulière pour enseigner dans des ZEP ou des établissements chargés de la prévention contre la violence.
3. On ne rend pas un service public de qualité avec des agents qui sont contraints de travailler dans des lieux où ils n’ont pas envie de travailler Les agents du service public sont des hommes et des femmes comme les autres, qui travaillent d’autant mieux qu’ils le font dans de bonnes conditions, c’est-à-dire des conditions qui correspondent à leurs vœux. Sous prétexte qu’un homme ou une femme rend un excellent service dans des conditions socialement difficiles, on ne peut l’exposer toute sa vie à ces conditions. La grande majorité des agents des services publics est dévouée à l’État et aux citoyens. Le service est une relation directe entre un prestataire et un client ou un usager : plus que l’industrie, sa qualité dépend directement de ses conditions de travail. Un salarié contraint ou exploité ne pourra pas sourire ni rendre un bon service.
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4. Il existe dans la fonction publique des barèmes, des notations qui doivent être respectés pour l’avancement des salariés Les différents statuts de la fonction publique, ainsi que la sécurité de l’emploi dont disposent les fonctionnaires, ont permis une meilleure organisation et une meilleure représentation des salariés. Les organisations syndicales – plus présentes dans les services publics que dans les 111
Question 7
entreprises privées, où la répression est plus forte – ont obtenu que des mesures objectives concernant la qualité du travail et les éléments de carrière aboutissent à des barèmes et des évaluations qui abolissent l’arbitraire. Des commissions paritaires veillent à l’égalité des fonctionnaires lors de leurs mutations et en ce qui concerne leur mobilité. Il ne faut pas revenir sur cet acquis social essentiel : par rapport à sa notation, chacun peut postuler à une fonction et un lieu qui dépendent de données quantifiables et non des caprices de tel ou tel patron.
5. C’est à l’État de rendre attractifs les lieux d’exercice du service public, et non aux salariés de se sacrifier dans le cadre d’un manque de moyens manifeste
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L’État a souvent tendance à reporter sur les salariés les insuffisances qui sont les siennes. Les situations sociales difficiles ne sont pas imputables aux agents des services publics. Le manque de moyens dû aux restrictions budgétaires est le fruit de choix politiques. Les réductions d’effectifs dans la sphère publique constituent l’essentiel de la réforme de l’État ! On n’améliore pas la qualité d’un service avec moins de personnel et un budget réduit ! Aucune entreprise privée ne pourrait faire passer un tel message à ses salariés.
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Les réponses dont les Français n’ont pas besoin 1. Pirouettes •
« C’est une question que je ne saurais trancher de façon abstraite. Quand je serai élu, nous nous mettrons autour d’une table avec des élus territoriaux et les principaux syndicats du service public, et nous verrons ce que nous pourrons faire. »
•
« On ne peut isoler cette question du problème plus général de la réforme de l’État. Allons du général au particulier sans procéder à l’envers ! »
•
« On ne sollicite pas assez la responsabilité des agents du service public. Ils sont souvent victimes d’un management médiocre. Je suis certain que nous pourrons nous passer de toute mesure coercitive pour améliorer la qualité du service. »
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2. Dégagement en touche ou refus de débattre •
« Ce n’est même pas la peine d’évoquer une telle question : les syndicats de fonctionnaires s’opposeront toujours à une réforme de ce type. Je ne rechercherai pas d’inutiles conflits. » 113
Question 7
•
« Il n’y a aucune raison de mettre en cause la qualité du travail des fonctionnaires. On l’a vu lors de l’affaire d’Outreau. C’est le système qui souvent ne fonctionne pas bien. Les agents du service public n’y peuvent rien. »
•
« Je crois qu’il faut d’abord réaliser, en accord avec les organisations syndicales, un véritable audit des services publics. »
•
« Écoutez, je suis convaincu qu’une très grande majorité de fonctionnaires fait très bien son travail. Je ne vois aucune raison de soupçonner leur sens du service public. Cette question est presque insultante pour eux. »
•
« Je ne crois pas que le rôle d’un Président de la République, premier fonctionnaire parmi les fonctionnaires, consiste à se méfier de ses collègues et à mettre en doute la qualité de leur travail ! »
•
« On ne réforme pas le service public en stigmatisant ceux qui le font fonctionner. Nous sommes enviés par nos voisins pour ce “service public à la française”. Alors évitons l’autodénigrement systématique ! »
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3. Peur de perdre des électeurs
Question 8
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Durant votre mandat présidentiel, soutiendrez-vous la représentation proportionnelle comme mode d’élection des députés à l’Assemblée nationale ? La façon d’exprimer les suffrages dans les différents types d’élections a toujours agité les régimes politiques de nature ou d’ambition démocratique. Le système politique français fonctionne de façons très variables selon les types d’élections. Si des formes de proportionnelle ont été largement introduites dans les élections régionales et européennes, l’élection des députés a conservé jusqu’à ce jour le scrutin uninominal à deux tours. La seule exception a concerné les élections de 1986 puisque François Mitterrand avait décidé d’instituer la proportionnelle pour les élections législatives. On l’a soupçonné d’avoir ainsi réussi à minorer la défaite électorale du Parti socialiste et le succès de la droite, en favorisant l’élection de nombreux députés d’extrême droite. Hors tout procès d’intention, force est de constater que la question de la RP (représentation proportionnelle) reste un enjeu politique majeur. Elle ne constitue pas un clivage droite/gauche, mais s’inscrit davantage dans le débat ou les polémiques entre petites et grandes formations politiques. Les partis extrêmes sont traditionnellement favorables à cette forme du suffrage universel. Mais ce sont aussi des formations plus modérées dès lors qu’elles craignent d’être 115
sous-représentées à l’Assemblée nationale. Ainsi François Bayrou affirme-t-il haut et fort que son parti soutient la représentation proportionnelle comme la meilleure expression de la démocratie. Sans anticiper sur les arguments des partisans et détracteurs de la RP, il est certain que l’engagement des candidats à l’élection présidentielle peut avoir des effets non négligeables. Les petites formations ne sont pas insensibles aux garanties qui leur seraient données de pouvoir disposer d’une représentation significative au Parlement. Outre que cette représentation est constitutive d’une véritable participation au débat politique, elle implique des ressources financières significatives et, surtout, permet de donner aux responsables des petites organisations une forme d’expérience qui accroît leur compétence politique. L’engagement sur le passage au scrutin proportionnel – ou à défaut sur l’instillation d’une dose significative de proportionnelle – peut constituer la base d’un soutien ou d’une défiance entre les deux tours des élections présidentielles. Par nature, ce sont deux grandes organisations qui sont représentées au second tour de ces élections – si l’on excepte le cas de 2002. Par principe, aucune de ces deux organisations n’a intérêt à aller dans le sens de la proportionnelle dans la mesure où celle-ci leur nuit et fait pratiquement disparaître la possibilité d’une majorité présidentielle. Mais, pour gagner, chaque organisation peut être amenée à des compromis. Chacune sait d’ailleurs qu’une telle réforme prendra du temps et ne saurait être applicable pour l’échéance législative qui suivra immédiatement l’élection présidentielle. Le fait que, avec le quinquennat, le mandat législatif soit calé sur le mandat présidentiel met donc le Président de la République à l’abri de cette réforme pour toute la durée de son 116
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Question 8
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Représentation proportionnelle
quinquennat. La tentation sera donc grande de s’engager en ce sens, puisque, de facto, la proportionnelle ne serait applicable qu’après 2012, sauf dissolution anticipée. Une telle échéance peut paraître assez lointaine pour que des engagements soient pris qui ne réduisent pas les chances d’un succès électoral en 2007. Le débat politique sur cette question ne semble pas être une priorité des Français, mais il est une priorité des organisations politiques. Il est naturellement affecté d’un double langage. Comme nous le verrons, des arguments sérieux permettent de défendre l’un et l’autre point de vue. Mais quelque puissants que puissent être ces arguments, ils correspondent dans chaque cas au strict intérêt électoral de chaque organisation politique. Il est assez rare que le Front national, le Parti communiste, l’extrême gauche et les écologistes s’accordent sur une proposition de réforme, et notamment de réforme institutionnelle. Mais leur proximité exceptionnelle n’embarrasse aucune de ces organisations. Si promptes à dénoncer des collusions objectives ou à critiquer leurs adversaires pour un soutien jugé ignoble – qui les discréditerait –, elles ne sont guère gênées aux entournures par cette convergence singulière. Sans que tout puisse être explicite entre les deux tours, il y a fort à parier que les engagements pris par les grandes formations politiques pèseront lourd dans le soutien, l’abstention ou l’opposition des uns ou des autres. On avancera d’autres arguments, mais la garantie d’avoir des élus, des ressources et des tribunes ne laisse insensible aucune organisation. La cinquième République a voulu supprimer l’instabilité politique de la quatrième. Le refus de la proportionnelle s’est toujours ancré dans la volonté d’avoir un pays gouvernable, en assurant une majorité parlementaire pour le Président de la République. Mais l’histoire passe, 117
Question 8
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l’amnésie est croissante et il n’est pas certain que la mémoire des années 1950 puisse encore mobiliser des électeurs. Il est même possible que la qualité des arguments échangés pèse d’un poids très faible eu regard aux alliances nécessaires. De ce point de vue, cette question ressemble à celle qui concerne l’interdiction des OGM : l’échéance politique et l’urgence des désistements peuvent se substituer au souci de l’intérêt général et du long terme. Dans les deux cas, les réponses à ces questions constituent une prise de risque de la part des candidats.
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Représentation proportionnelle
Arguments pour répondre OUI 1. La démocratie représentative n’est authentiquement démocratique que si tous les courants de pensée sont représentés dans le pouvoir législatif. 2. La richesse du débat démocratique dépend de la confrontation de toutes les opinions. 3. Le scrutin non proportionnel met les organisations politiques dans une situation d’inégalité pour l’accès aux médias ou pour le financement public.
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4. Quand les différents courants d’idées ne sont pas représentés dans le pouvoir législatif, ils doivent utiliser d’autres moyens pour s’exprimer, ce qui peut troubler l’ordre public. 5. D’autres élections (territoriales ou européennes) se font à la proportionnelle, sans que les institutions soient paralysées.
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Question 8
Arguments pour répondre NON
1. Une Assemblée nationale élue à la proportionnelle rend le pays ingouvernable.
2. La représentation proportionnelle n’exprime pas la complexité des opinions des citoyens.
3. La représentation proportionnelle favorise les appareils des partis et sous-estime le rôle des personnes.
5. La représentation proportionnelle favorise les extrêmes.
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4. La représentation proportionnelle implique des manœuvres et des alliances sur lesquelles les citoyens ne se sont pas prononcés.
Arguments pour répondre OUI
1. La démocratie représentative n’est authentiquement démocratique que si tous les courants de pensée sont représentés dans le pouvoir législatif La démocratie, ce n’est pas le pouvoir de la majorité, c’est le respect des minorités. Nous sommes dans un type de gouvernement représentatif qui, en fait, ne représente guère les différents courants de pensée qui animent la vie politique française. Le scrutin uninominal à deux tours lamine, au second tour, les formations politiques hormis celles qui sont dominantes dans une majorité et une opposition. Il faut donc mettre en place un système électoral qui permet effectivement que l’Assemblée nationale exprime la diversité des opinions. C’est une question de justice politique. L’Assemblée n’est pas représentative quand, in fine, près de la moitié des Français n’y sont pas représentés.
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2. La richesse du débat démocratique dépend de la confrontation de toutes les opinions Il ne s’agit pas seulement d’une juste représentation, mais aussi de la richesse même du débat politique. La vie politique ne prend son sens que si la diversité des opinions, représentée à l’Assemblée nationale, permet des confron121
Question 8
tations et des débats. Le système actuel cantonne le débat entre une majorité et une opposition. De fait, la majorité se plie presque toujours aux ukases du gouvernement qu’elle soutient. Ainsi, notre système politique est-il fossilisé dans des affrontements droite/gauche qui relèvent d’un autre âge. Sur bien des questions, des majorités pourraient se constituer qui exprimeraient davantage l’opinion des citoyens que la stérilité d’affrontements dépassés.
3. Le scrutin non proportionnel met les organisations politiques dans une situation d’inégalité pour l’accès aux médias ou pour le financement public
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Si les grands partis refusent le scrutin proportionnel, c’est avant tout parce que le scrutin non proportionnel constitue une manne financière pour leurs organisations et leur donne des privilèges qu’ils souhaitent à tout prix conserver. Qu’il s’agisse des financements publics, des indemnités des parlementaires ou de l’accès aux médias, c’est toujours la représentation effective à l’Assemblée nationale qui impose le critère de répartition. Les petites organisations qui n’ont pas d’élus vivent difficilement. Leurs responsables n’ont pas accès à des fonctions qui permettent de se former par l’expérience et le travail législatif. Si elles veulent des élus, elles doivent passer sous les fourches caudines des grands partis.
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Représentation proportionnelle
4. Quand les différents courants d’idées ne sont pas représentés dans le pouvoir législatif, ils doivent utiliser d’autres moyens pour s’exprimer, ce qui peut troubler l’ordre public Il n’est pas sain que la diversité des opinions ne soit pas représentée à l’Assemblée nationale. Ne pouvant s’exprimer dans une enceinte officielle, elles doivent trouver d’autres tribunes. Elles sont contraintes de recourir à des manifestations spectaculaires pour avoir accès aux médias et diffuser leurs idées. On peut le constater par exemple pour les OGM, le mariage homosexuel ou la lutte contre le nucléaire.
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5. D’autres élections (territoriales ou européennes) se font à la proportionnelle, sans que les institutions soient paralysées On doit en finir avec l’argument du gouvernable et de l’ingouvernable. La représentation proportionnelle n’empêche pas les régions, ni l’Europe de fonctionner. La plupart des pays européens (Pays-Bas, Suède, Danemark, Norvège, Italie, Belgique, Luxembourg, etc.) pratiquent ce système électoral sans trouble. On ne peut prétendre qu’ils ne sont pas gouvernés. Il existe d’ailleurs quantité de combinaisons qui permettent de faire coexister une représentation proportionnelle et des éléments de scrutin majoritaire. C’est, par exemple, le cas pour les municipalités. L’inconvénient des systèmes mixtes, c’est leur complexité, pas toujours intelligible pour les électeurs. Mais ce serait déjà un progrès par rapport au système actuel, archaïque et injuste.
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Arguments pour répondre NON 1. Une Assemblée nationale élue à la proportionnelle rend le pays ingouvernable C’est d’abord un argument de fait, plus que de droit : la représentation proportionnelle ne permet pas de constituer une majorité capable de gouverner. L’émiettement des représentations, même si l’on fixe une barre de 5 % par exemple, met un gouvernement sous la dépendance des humeurs aléatoires des petites organisations. Dans le système politique français, il est sain que le Président de la République soit soutenu par une majorité claire et distincte pour qu’une politique cohérente et continue soit menée.
La représentation proportionnelle caricature l’expression des citoyens. Elle donne de leurs opinions une expression simpliste. Elle n’exprime qu’une préférence. Or, l’opinion d’un citoyen est définie par ce qu’il préfère mais aussi par ce qu’il abhorre. Dans le mode de scrutin actuel, pour être élu, il ne faut pas disposer seulement d’un premier cercle de sympathisants, il faut aussi disposer d’un deuxième ou d’un troisième cercle de citoyens qui ne vous rejette pas et qui vous juge préférable à une autre option qui est détestée. Prenons l’exemple du Front national. À la proportionnelle, il pourrait disposer sans doute de 15 à 20 % des sièges à l’Assemblée nationale. Or, cette représentation ne 124
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2. La représentation proportionnelle n’exprime pas la complexité des opinions des citoyens
Représentation proportionnelle
serait que l’expression d’une première préférence. Elle ne prendrait guère en compte le fait que 82 % des Français le rejettent ou le honnissent.
3. La représentation proportionnelle favorise les appareils des partis et sous-estime le rôle des personnes
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On le constate lors des élections régionales : la représentation proportionnelle privilégie le rôle des partis. On y vote pour des partis et non pour des hommes. C’est à l’intérieur des appareils politiques que se constituent des listes. Le citoyen n’a pas le choix d’évaluer les personnes. D’ailleurs, on choisit en général de faire élire au scrutin de liste des personnes qui seraient rejetées dans d’autres modes de scrutin. La politique ne peut se réduire à des organisations. Les hommes jouent un rôle considérable et les citoyens aiment donner leur avis sur les personnes : il peut leur arriver de rejeter un homme même s’ils avaient voté pour son organisation avec un autre candidat. On constate, par exemple, qu’ils ont des relations beaucoup plus fortes avec leurs conseillers généraux élus au scrutin uninominal à deux tours qu’avec leurs conseillers régionaux qui n’ont pas de territoire défini et qui sont élus sur une liste élaborée par un parti. La représentation proportionnelle supprime tout lien entre l’électeur et l’élu.
4. La représentation proportionnelle implique des manœuvres et des alliances sur lesquelles les citoyens ne se sont pas prononcés L’intérêt du scrutin actuel, c’est notamment qu’il oblige les organisations politiques à afficher clairement leurs 125
Question 8
alliances avant le second tour (désistement, abstention, opposition etc.). Afin de gagner une élection, il faut indiquer des choix a priori. Dans le cas de la proportionnelle, tout se fait après le choix des citoyens. Une fois l’Assemblée élue avec un émiettement des représentants, il faut constituer une majorité sans que les citoyens puissent donner leur avis. Chantages aux portefeuilles ministériels, manœuvres, menaces sont le lot commun de la représentation proportionnelle. Une formation très minoritaire peut contraindre un gouvernement à adopter son point de vue faute de le soutenir sur une autre question. Ce fonctionnement n’a rien de démocratique et revient, toujours, à privilégier les organisations.
Le simplisme des suffrages exprimés dans la représentation proportionnelle aboutit toujours à une surreprésentation des extrêmes. Cette soi-disant représentation est une fausse représentation. Par définition, les extrêmes ont plus d’ennemis que d’amis, plus d’opposants que de sympathisants. Cet argument rejoint celui qui concerne la complexité des opinions que doit exprimer le suffrage des citoyens. Mais il concerne son résultat le plus pratique. Une expression célèbre a travesti cette situation lors des seules élections législatives au scrutin proportionnel qui ont eu lieu en 1986 : « Il ne faut pas casser le thermomètre pour éviter de connaître la température. » Cette métaphore est redoutable. Elle a permis de renforcer le Front national, qui n’a jamais eu autant d’élus à l’Assemblée nationale. La « température », comme le dit la métaphore, ce n’est pas seulement l’expression des préférences mais aussi celle des aversions. 126
© Groupe Eyrolles
5. La représentation proportionnelle favorise les extrêmes
Les réponses dont les Français n’ont pas besoin 1. Pirouettes •
« Il nous faut trouver un système électif qui concilie à la fois l’expression de toutes les idées et le vote pour des personnes. »
•
« Aucun système électif n’est satisfaisant. Il faut choisir entre des inconvénients. »
•
« Je n’ai pas l’habitude de proposer une réforme du système électoral à quelques mois d’une échéance. Ce sont des choses qui ne se font pas. »
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2. Dégagement en touche ou refus de débattre •
« Se prononcer pour la proportionnelle, c’est vouloir envoyer cent élus du Front national à la Chambre des députés. Si on le veut, qu’on le dise ! »
•
« S’il se crée un parti des blondes, devra-t-il être représenté à l’Assemblée nationale ? »
•
« Refuser la proportionnelle, c’est renoncer à la démocratie. »
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Question 8
3. Peur de perdre des électeurs « Le système électoral actuel est injuste, c’est vrai, il faut l’améliorer. Je comprends l’amertume de ceux qui ne se sentent pas représentés. Voyons ce qui fonctionne bien chez nos voisins, sans renoncer à notre tradition politique. »
•
« Mon cœur penche pour la proportionnelle. Ma raison pour le mode de scrutin actuel. J’attends des arguments forts qui me permettent de concilier les deux. »
•
« Dès le prochain scrutin qui se déroulera selon la législation en vigueur, je veillerai personnellement à ce que tous les courants de pensée et les organisations sous-représentés au Parlement soient effectivement présents dans le gouvernement de la France. »
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•
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Question 9
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Durant votre mandat présidentiel, les grandes décisions concernant l’avenir de l’Europe seront-elles soumises au suffrage universel ? Le référendum européen reste dans toutes les mémoires. Il a fait déjouer les sondages, les grandes organisations et l’Europe elle-même. Une des inconnues de la prochaine échéance présidentielle réside dans l’évaluation de l’impact de la question européenne sur le choix des électeurs. Les extrêmes ont appelé à voter non. Autrement dit, il est peu probable que le vote non soit représenté au second tour des élections présidentielles. À chaque candidat se pose donc une question qui, presque nécessairement, se dédoublera : pour les prochains choix européens, comme Président de la République, aurez-vous recours à la procédure du référendum ou à un vote parlementaire ? En effet, d’autres choix européens se poseront dans les années à venir : la Constitution, probablement, mais d’autres encore qui pourront porter sur une armée européenne, ou sur certains aspects fédéralistes. L’enjeu est important. Sans entrer dans les arguments qui s’opposent sur un tel sujet, il est clair qu’un Président de la République et sa majorité parlementaire sont élus avec un certain projet européen. Les positions prises lors du référendum les mettront certainement en décalage avec l’opinion exprimée explicitement par les Français à cette occasion. 129
Même s’ils développent leurs propres interprétations du vote négatif, ils ne pourront éluder la question de leurs choix passés et surtout à venir. Le référendum a montré qu’il ne suffisait pas d’être européen mais qu’il fallait encore en prendre les moyens. Le rôle d’un Président ne consiste pas à suivre l’opinion en toutes choses. Il doit indiquer des directions, prendre des engagements et s’y tenir même s’il perçoit que l’opinion est réticente. À coup sûr, si, en 1981, François Mitterrand avait proposé un référendum sur l’abolition de la peine de mort, la réponse eût été négative. Il avait pris un engagement ferme. On objectera que bien d’autres engagements n’ont pas été tenus – comme la rupture avec le capitalisme en cent jours, par exemple –, mais les engagements pris ont des statuts très différents. L’engagement sur l’abolition de la peine de mort dépendait entièrement de lui et il en était de même pour le passage à l’acte. C’est pourquoi ce fut la première décision prise après les élections législatives de juin 1981. Sur la question européenne, il est certain que les évolutions à venir dépendent des vingt-cinq pays membres de l’Europe. Mais la procédure utilisée en France pour ratifier telle ou telle initiative majeure dépend d’une décision du Président de la République. Il est très difficile, dans des élections présidentielles qui se déroulent depuis 1965 au suffrage universel, d’indiquer par avance aux citoyens qu’ils ne seront pas consultés directement sur les choix européens, surtout quand un référendum précédent semble avoir dévoilé un décalage entre les partis dits de gouvernement et le peuple luimême. Surtout, la fonction présidentielle ne supportera pas une deuxième fois qu’un Président suggère un choix aux Français, que ce choix ne soit pas suivi et que le Président 130
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Question 9
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Europe
reste en place comme si rien ne s’était passé. La fonction a été entamée par cette circonstance au point qu’on en oublie presque ses caractéristiques, construites sous la cinquième République. L’autorité du Président de la République sous la cinquième République a toujours consisté à décider de la procédure utilisée pour faire adopter une décision politique significative. À travers cette question politique majeure se pose la question plus générale du sens qu’il convient de donner à la procédure référendaire. Lors des campagnes précédentes, des candidats ont promis de multiplier les référendums. Mais entre des référendums largement consensuels (Nouvelle-Calédonie, quinquennat) et le référendum européen, il existe une différence de nature qu’il convient de souligner par des engagements précis sur l’Europe. La place de la France dans l’Europe est un des aspects majeurs de la politique étrangère française. Elle relève donc singulièrement du Président de la République et notamment de ce que la tradition nomme son « domaine réservé ». L’enjeu majeur de cette neuvième question consiste donc à se prononcer en même temps sur les engagements européens des différents candidats et sur les moyens politiques et démocratiques qu’ils veulent mettre en œuvre pour aller jusqu’au bout de leurs engagements. La question européenne exige un travail politique de fond dans notre pays. L’Europe est beaucoup plus souvent présentée comme une contrainte que comme une opportunité. Tout candidat à la Présidence de la République doit donc préciser sa vision de l’Europe dans le cadre de la mondialisation. C’est une question difficile à aborder quand on connaît les réticences de l’opinion et leur expression la plus récente. Néanmoins, la vision d’un Président de la République française ne peut s’en passer. 131
Question 9
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Enfermée dans des questions franco-françaises avec l’assentiment d’une classe politique qui n’aime rien tant que régler ses comptes sur des sujets très étroitement nationaux, l’élection serait certainement faussée si la question européenne demeurait dans des généralités telles que plus d’Europe sociale, moins de libéralisme économique…
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Europe
Arguments pour répondre OUI 1. Le référendum est la meilleure occasion de débat public. 2. Les questions européennes engagent profondément l’avenir de la France et des Français. 3. Il existe sur les questions européennes un décalage entre le peuple et la technocratie politique qui doit apparaître lors d’un référendum.
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4. Après le rejet de la Constitution européenne, en 2005, refuser le recours au référendum reviendrait à refuser de tenir compte de l’avis des Français. 5. On ne peut rendre l’Europe populaire ni créer une identité européenne sans impliquer l’ensemble des Français dans les décisions à venir.
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Question 9
Arguments pour répondre NON 1. Le référendum de 2005 a montré que l’objet d’un référendum est davantage de répondre à celui qui pose la question qu’à la question elle-même. 2. L’Europe ne peut être à la merci des enjeux de politique intérieure. 3. Les enjeux européens concernent le long terme, ils exigent une compétence et une vision qui ne peuvent être que celles des parlementaires.
5. L’Europe avance déjà trop lentement par rapport aux menaces économiques extérieures (États-Unis, Chine, Inde) ; il faut donc hâter la construction européenne sans prendre un retard qui coûterait cher à chaque pays membre.
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4. Les textes des traités européens sont trop complexes pour être soumis à un référendum dont les réponses sont, par nature, simplistes (oui ou non).
Arguments pour répondre OUI 1. Le référendum est la meilleure occasion de débat public Quoi qu’on pense du résultat du référendum de 2005, il faut bien reconnaître que ce fut un intense moment de débat public. À quelques mois du référendum, le vote oui était très majoritaire. Puis les débats se sont développés dans la presse, à la radio, à la télévision, dans des réunions publiques et surtout sur Internet. Les grands états-majors des partis dominants n’ont pu imposer leur pensée unique. C’est pourquoi le débat ne peut être confisqué par le Parlement où le mode de scrutin fait régner en maîtres les grands partis.
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2. Les questions européennes engagent profondément l’avenir de la France et des Français Les partisans du vote oui comme les partisans du vote non étaient d’accord sur un point : le référendum sur la Constitution européenne engage profondément l’avenir de la France et des Français. D’ailleurs, certains de leur victoire, ce sont les partis majoritaires eux-mêmes qui ont exigé et appliqué la procédure référendaire. On peut se demander au nom de quelle conception d’une aristocratie politique éclairée, ces mêmes partis pourraient demain contourner le peuple en se contentant d’un vote parlementaire où les 135
Question 9
résultats sont acquis du fait du mode de scrutin et de la discipline partisane.
3. Il existe sur les questions européennes un décalage entre le peuple et la technocratie politique qui doit apparaître lors d’un référendum On évoque souvent le hiatus ou le fossé qui existe entre le peuple français et la classe politique. Tous les sondages et conversations montrent que les hommes politiques qui alternent au pouvoir depuis les débuts de la cinquième République suscitent la méfiance. Le référendum est une manière démocratique d’exprimer ce décalage. Il faudra y revenir car rien ne montre que la classe politique dominante ait tiré les conséquences du référendum de 2005. Elle pense, au contraire, que le peuple s’est trompé et manifeste encore souvent sa consternation.
On ne peut louer le référendum quand on obtient la réponse attendue, même au prix d’une marge infime comme lors du référendum sur Maastricht, et le dénigrer quand il contredit les discours dominants. Le Président de la République qui prendrait la décision de ne plus recourir au référendum sur les questions européennes prendrait une lourde responsabilité. Toute notre vie démocratique en serait affectée. 136
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4. Après le rejet de la Constitution européenne, en 2005, refuser le recours au référendum reviendrait à refuser de tenir compte de l’avis des Français
Europe
5. On ne peut rendre l’Europe populaire ni créer une identité européenne sans impliquer l’ensemble des Français dans les décisions à venir
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Le problème essentiel de l’Europe, c’est l’envie ou l’aversion qu’elle suscite. L’Europe n’existe que pour les agriculteurs et les entreprises qui y font leur marché. Elle n’a pas encore de réalité pour les citoyens qui en subissent les pires conséquences. On ne créera pas une identité européenne en imposant ses institutions par la force. Car, désormais, étant donné le précédent de 2005, une ratification parlementaire exclusive reviendrait à un coup de force contre le peuple. L’Europe s’est faite sans l’assentiment des Français. Elle a été organisée et s’est développée dans des accords entre les dirigeants des États et des entreprises. Il est indispensable que les citoyens se réapproprient l’idée européenne.
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Arguments pour répondre NON 1. Le référendum de 2005 a montré que l’objet d’un référendum est davantage de répondre à celui qui pose la question qu’à la question elle-même En France, la procédure référendaire a été pervertie par des usages trop politiques. Dans la lignée des élections territoriales précédentes, les citoyens français ont voulu dire non au Président de la République qui posait la question. Dans la tradition de la cinquième République, instaurée par Charles de Gaulle, une réponse négative à un référendum d’initiative présidentielle impliquait la démission du Président. Ce que le général de Gaulle fit en 1969. Du fait du mode de scrutin qui désigne les députés, la majorité gouverne pour cinq années quoi qu’elle fasse et quoi qu’en pensent les citoyens. Les Français n’ont pas dit non à la Constitution européenne, ils ont dit non au Président Chirac.
Comme l’ont expliqué les dirigeants du Parti socialiste qui appelaient à voter oui au référendum, il ne fallait pas voter pour ou contre le Président. Ils n’ont pas été suivis, d’autant plus que des voix discordantes sont apparues dans leur camp (Laurent Fabius, Jean-Luc Mélenchon, 138
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2. L’Europe ne peut être à la merci des enjeux de politique intérieure
Europe
par exemple) alors même qu’ils avaient procédé à un référendum interne. Il ne faut pas penser que le recours à l’opinion publique et la voie référendaire sont le parangon de toute procédure démocratique. Les enjeux européens ne peuvent dépendre des palinodies de la majorité au pouvoir.
3. Les enjeux européens concernent le long terme, ils exigent une compétence et une vision qui ne peuvent être que celles des parlementaires
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L’Europe est mal connue des Français. Quand on explique qu’elle a permis à la France la plus longue période de paix connue depuis des siècles, ils n’en ont pas pleinement conscience, car tous les électeurs qui ont connu la guerre, ses méfaits et ses souffrances ont aujourd’hui près de quatre-vingts ans. Les questions européennes ne sont pas faciles à comprendre. La démocratie représentative est faite pour cela : penser le long terme, former des hommes et des femmes compétents sur des questions peu intelligibles. La politique étrangère de la France n’a jamais été soumise à un référendum car ses données et enjeux stratégiques ne peuvent être appréhendés par tous.
4. Les textes des traités européens sont trop complexes pour être soumis à un référendum dont les réponses sont, par nature, simplistes (oui ou non) Dans un référendum, la réponse doit être simple, voire simpliste. C’est la nature même de la procédure. On 139
Question 9
n’amende pas, on dit oui ou on dit non. Un point c’est tout. Ce fut une erreur de proposer un référendum sur une question aussi complexe que les institutions européennes. Il faut savoir reconnaître ses erreurs et ne pas s’enferrer dans des démarches répétitives.
Nous risquons de payer très cher les retards qui ont été pris. L’Europe est un rempart contre la mondialisation. C’est la seule manière de former une grande puissance qui soit capable de dialoguer, voire de s’opposer aux États-Unis ou aux nouveaux géants que sont la Chine et l’Inde. Ils ne nous attendent pas. Par son vote négatif, la France s’est mise en marge de l’Europe puisque la plupart des pays ont approuvé la Constitution européenne. Si nous persévérons dans cette erreur, nous ne pourrons jouer qu’un rôle mineur dans une Europe affaiblie. C’est un peu comme sur les OGM, nos concurrents n’attendent que ça. La responsabilité d’un Président de la République, c’est d’avoir une vision et d’indiquer aux Français où il veut les mener. D’ailleurs, si Jacques Chirac avait démissionné, dans la tradition gaulliste, après le vote négatif au référendum qu’il proposait, une nouvelle élection présidentielle aurait eu lieu immédiatement et les enjeux européens auraient dû être l’objet d’engagements clairs de la part de tous les candidats. 140
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5. L’Europe avance déjà trop lentement par rapport aux menaces économiques extérieures (États-Unis, Chine, Inde) ; il faut donc hâter la construction européenne sans prendre un retard qui coûterait cher à chaque pays membre
Les réponses dont les Français n’ont pas besoin 1. Pirouettes •
« Il faut d’abord se demander quelle Europe nous voulons. Je ferai des propositions dans ce sens à nos partenaires européens. »
•
« Je crois que nous sommes très fautifs : nous avons commis de nombreuses erreurs de communication sur l’Europe. Nous devons d’abord nous corriger avant de décider quoi que ce soit. »
•
« Je crains malheureusement que l’Europe n’intéresse pas assez les Français pour en faire un enjeu majeur de ces élections présidentielles. »
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2. Dégagement en touche ou refus de débattre •
« Le peuple a toujours raison. Il s’est exprimé clairement. Finissons-en avec l’Europe du grand capital. »
•
« La question ne se pose pas aujourd’hui. Il n’est pas certain qu’elle soit à nouveau posée durant le mandat présidentiel. Alors traitons des questions qui vont d’abord se poser. » 141
Question 9
•
« Je ferai en sorte que les questions européennes ne soient jamais parasitées par notre vie politique intérieure. Certains Français seront certainement opposés à la politique que je mènerai. C’est la loi de la démocratie. Mais je ne compromettrai pas l’enjeu européen en l’associant à mes choix politiques. »
•
« Les Français se sont prononcés. Je ne peux l’ignorer. Personne ne peut l’ignorer. Personne ne peut ne pas prendre en compte leur vote qui exprime tant de réticences. Je les ai compris. Je les consulterai à nouveau, soit directement, soit par les élus qui les représentent. »
•
« Que nous le voulions ou non, nous sommes aujourd’hui à la fois français et européens. Nous sommes aussi citoyens du monde. C’est un fait, mais ce doit être aussi une volonté. »
•
« Les Français ont majoritairement voté non au référendum. Ils éliront probablement comme Président de la République un homme ou une femme qui a voté oui. Ce paradoxe démontre qu’ils comptent sur leur Président et lui font confiance pour améliorer ce qui peut l’être dans l’organisation de l’Europe. Mais ils ne haïssent pas les Européens convaincus que nous sommes. »
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3. Peur de perdre des électeurs
Question 10
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Durant votre mandat présidentiel, engagerez-vous l’armée française dans des conflits armés pour assurer la défense des droits de l’homme ou la paix sur un territoire étranger ? En plein été préélectoral, le Liban est venu rappeler à tous les candidats que le Président de la République joue un rôle décisif concernant les questions internationales. Sur chaque grande question récente, la position personnelle du Président en politique étrangère a été décisive. Il en est aujourd’hui du Liban comme il en était hier de la guerre en Irak. Chaque candidat évoquera certainement sa vision d’une politique étrangère dans laquelle la France doit jouer son rôle de grande nation. Personne n’est contre. Mais la politique étrangère est aussi une politique militaire et exige donc l’engagement de moyens significatifs. Les hésitations sur la présence de la France dans la composition de la Finul rappellent que les interventions françaises sur des théâtres d’opérations éloignés de notre pays coûtent en hommes et en moyens budgétaires. La France vit une période exceptionnelle. Elle n’a pas connu depuis très longtemps de si longues années sans guerre à domicile. Elle ne s’engage donc plus contre des adversaires qu’il s’agit de vaincre, si l’on excepte le cas très spécifique de la lutte antiterroriste. 143
En revanche, la présence de l’armée française dans de nombreux conflits internes s’accroît. Soit elle intervient au titre d’accords ou de décisions internationaux (Kosovo, Afghanistan, Liban, par exemple), soit elle intervient dans le cadre d’accords avec les gouvernements de ses anciennes colonies (Côte d’Ivoire, par exemple). Il ne s’agit pas ici de poser une question sur les interventions spécifiquement humanitaires en cas de catastrophes naturelles ou de famines. Cette dernière question s’impose quant à la présence de l’armée française sur des terres éloignées où elle joue un rôle pacificateur. Certes, la place de la France dans le monde peut se jouer sur d’autres plans : la coopération, les lycées français, l’aide au développement, la francophonie, etc. Mais l’intervention militaire est d’un autre ordre. Elle met en jeu une conception des droits de l’homme à travers le thème du devoir d’ingérence, notre rôle et notre place dans les organisations internationales, nos relations avec les autres grandes puissances et le respect de nos engagements post-coloniaux. La tentation peut être grande, en période de restriction budgétaire et de désendettement nécessaire, de réduire le budget de la défense nationale. La suppression du service militaire a porté un coup presque fatal au rôle que l’on assignait à l’armée pour l’intégration dans la nation. Autrement dit, le budget de la défense concerne avant tout notre stratégie de dissuasion et nos interventions extérieures. Il ne dispose plus des alibis démocratiques, même s’il s’avère que les engagés volontaires sont effectivement mieux intégrés dans la République que la plupart de ceux qui vivent les mêmes conditions sociales initiales. Désormais, la place de la France dans le monde dépend en grande partie de notre capacité à intervenir rapidement sur des territoires parfois hostiles et souvent éloi144
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Question 10
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Armée
gnés. En le faisant, nous mettons en jeu à la fois la vie de nos concitoyens engagés et une partie non négligeable de notre budget. Nos difficultés économiques et sociales pourraient justifier d’autres choix. Dans le cas du Liban, les candidats officiels à l’investiture de leurs propres organisations ont été d’une grande prudence ou d’une grande ignorance. Nous peinons toujours à impliquer la politique étrangère et le statut international de la France dans les enjeux de l’élection présidentielle. C’est une faiblesse de notre démocratie, alors même que la fonction présidentielle implique des choix manifestes et répétés sur ces questions. Curieusement, les Français sont très sensibles au prestige de leur pays, à la place de la France dans le monde, mais les candidats leur proposent peu de vision sur ces questions audelà de quelques généralités démagogiques. La difficulté à impliquer les choix européens dans la campagne européenne s’accroît encore quand il s’agit d’enjeux plus éloignés et de situations plus mal connues. Or notre élection présidentielle ne peut se calquer sur les mêmes enjeux que ceux des élections municipales ou régionales. La capacité à s’engager sur des questions internationales est un critère d’évaluation qui n’est pas assez reconnu mais qui devrait être un des moteurs du vote pour le Président de la République. Certes, chaque candidat peut choisir de prendre les Français tels qu’ils sont plutôt que tels qu’ils devraient être. Mais la dimension présidentielle se gagne aussi et peut-être même surtout sur ce terrain. Pourrions-nous souhaiter élire une personnalité dont nous craindrions qu’elle ne représente pas bien notre pays ? Qu’elle n’ait pas la stature suffisante pour engager la France ? Qu’elle n’inspire pas le respect aux autres dirigeants ? 145
Question 10
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Curieusement, la plupart des candidats susceptibles d’être élus parcourent le monde pour faire savoir qu’ils sont reçus par tel ou tel grand leader politique étranger. Mais cette reconnaissance formelle ne vaut guère engagement. Elle constitue avant tout un travail de l’image. Il faudrait désespérer de notre démocratie pour penser que la figure du Président, forgée par la cinquième République, n’inspire plus les choix des Français.
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Armée
Arguments pour répondre OUI
1. Le statut de grande Nation dépend beaucoup de la capacité à intervenir militairement sur divers théâtres d’opérations. 2. La France n’étant plus confrontée à des guerres européennes, ces interventions lui permettent d’entretenir son armée. 3. La France doit remplir un certain nombre d’engagements qui ont été pris, notamment en Afrique.
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4. L’investissement dans le domaine de la défense est un élément de la politique de recherche-développement. 5. Malgré la fin du service militaire, l’armée reste un lieu d’intégration décisif.
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Question 10
Arguments pour répondre NON 1. En période de difficultés budgétaires, le budget consacré à la défense serait mieux utilisé dans d’autres domaines. 2. Alors que la France ne connaît plus de guerres directes, ses interventions multiples sont coûteuses en vies humaines. 3. Les engagements de la France, notamment dans les pays africains, constituent souvent une ingérence qui ne fait que protéger les potentats au pouvoir.
5. L’armée était un lieu d’intégration au temps du service militaire ; il vaudrait mieux, désormais, organiser un grand service civique obligatoire.
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4. Comme l’a montré l’affaire libanaise, la France n’a plus les moyens de jouer à la grande Puissance ; elle se ridiculise quand elle propose des interventions qu’elle ne parvient pas à assurer.
Arguments pour répondre OUI 1. Le statut de grande Nation dépend beaucoup de la capacité à intervenir militairement sur divers théâtres d’opérations Comme membre du Conseil de sécurité ou du G7, la France fait partie des grands pays développés qui comptent sur la scène internationale. Elle a joué et joue encore un rôle moteur dans la construction de l’Europe. Mais elle doit en partie ce statut à sa capacité d’intervenir là où les Nations unies, l’Otan ou l’Europe ont besoin d’elle. La qualité de ses équipements militaires et de son armée la fait respecter. On a vu récemment à quel point les différents belligérants du conflit libanais comptaient sur sa participation active à la Finul.
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2. La France n’étant plus confrontée à des guerres européennes, ces interventions lui permettent d’entretenir son armée Grâce à l’Europe, la France n’a pas connu la guerre sur son territoire depuis plus de soixante ans. Elle n’est plus impliquée dans des conflits coloniaux depuis plus de quarante ans. Néanmoins, elle doit entretenir une armée qui lui évite toute dépendance par rapport à ses propres alliés. Le choix effectué par le général de Gaulle est pleinement d’actualité. Présente de manière pacifiante dans plusieurs pays, soit seule, soit dans le cadre d’organisations interna149
Question 10
tionales, la France entretient ainsi son armée et son matériel militaire.
3. La France doit remplir un certain nombre d’engagements qui ont été pris, notamment en Afrique Outre sa participation aux forces alliées internationales, la France est liée par des accords militaires avec plusieurs gouvernements africains. À la suite de la décolonisation, ces gouvernements avaient besoin d’une stabilité qu’ils ne pouvaient assurer seuls. On a pu constater l’intérêt de ses interventions, par exemple en Côte d’Ivoire pour éviter la propagation de la guerre civile.
L’entretien d’une armée capable d’intervenir sur des théâtres d’opérations très différents est aussi un facteur de développement scientifique, technologique et industriel. Si la France occupe une place de choix dans les industries de la défense, c’est grâce au budget militaire qui investit toujours massivement dans la recherche et le développement. C’est une caractéristique mondiale : lorsque l’administration américaine avait effectué des coupes sombres dans le budget américain de la défense, elle avait sauvegardé le budget de la recherche qui lui était rattaché.
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4. L’investissement dans le domaine de la défense est un élément de la politique de recherche-développement
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5. Malgré la fin du service militaire, l’armée reste un lieu d’intégration décisif
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L’armée est aujourd’hui une armée de métier. Elle est composée de professionnels, engagés volontaires. Les évaluations effectuées pour mesurer les effets de cet engagement sont très parlantes. En effet, les engagés volontaires qui quittent l’armée à la fin de leur contrat ont beaucoup moins de difficultés à trouver un emploi que les autres Français. Cette remarque montre deux choses. D’abord l’armée reste un lieu d’intégration sociale très important. Ensuite, le passage par l’engagement volontaire est considéré comme un élément positif dans un CV, ce qui s’explique par le fait que les employeurs font confiance à la qualité de l’armée française.
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Arguments pour répondre NON 1. En période de difficultés budgétaires, le budget consacré à la défense serait mieux utilisé dans d’autres domaines La politique consiste à faire des choix. L’Europe est pacifiée, la France ne risque plus d’affrontements avec ses pays voisins comme cela s’est passé pendant des siècles. En admettant qu’elle applique sa politique de dissuasion nucléaire qui la met à l’abri des agressions même lointaines, elle n’a pas besoin d’entretenir une armée qui s’enferre dans de trop nombreux conflits. Dans le cadre des restrictions budgétaires que connaît notre pays, il vaudrait mieux consacrer les dépenses militaires excessives à l’éducation ou à l’emploi. Les politiques devraient mieux résister aux lobbies militaro-industriels qui engagent la France, malgré les citoyens, dans des conflits inutiles et coûteux.
Les militaires français meurent encore en 2006. Ils meurent dans des conflits qu’ils ne maîtrisent pas et dans lesquels ils ne devraient pas être impliqués. Parfois leurs morts sont absurdes, comme ce fut le cas de ces soldats français bombardés dans leur caserne par une aviation incontrôlée, en Côte d’Ivoire. Après l’horrible massacre du Drakkar 152
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2. Alors que la France ne connaît plus de guerres directes, ses interventions multiples sont coûteuses en vies humaines
Armée
(58 militaires français tués), les Français sont de nouveau engagés dans le guêpier libanais. Sans compter que ces interventions françaises entraînent des mesures de rétorsion ou des attentats terroristes qui concernent des civils (cf. le Pakistan) innocents. Dans un monde où le terrorisme n’est pas maîtrisé, où la complexité des factions et des guérillas est impossible à comprendre, il est inutile d’exposer les Français, militaires ou civils, à des actions meurtrières que l’on pourrait parfaitement éviter.
3. Les engagements de la France, notamment dans les pays africains, constituent souvent une ingérence qui ne fait que protéger les potentats au pouvoir
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Dans le cas du continent africain, la France est souvent conduite à jouer un rôle très trouble. Les accords qui la lient à certains gouvernements ont un caractère postcolonial. Des dirigeants sont protégés par l’armée française alors qu’ils ne le méritent guère. Si les opposants muselés disposent d’une aide extérieure ou tentent de renverser le régime par la force, les accords contraignent notre pays. On a pu constater des comportements équivoques qui ont nui à notre pays lorsque certains dirigeants ont été renversés.
4. Comme l’a montré l’affaire libanaise, la France n’a plus les moyens de jouer à la grande Puissance ; elle se ridiculise quand elle propose des interventions qu’elle ne parvient pas à assurer La politique militaire française est souvent incohérente. À force de vouloir intervenir en des lieux trop différents et 153
Question 10
éloignés, l’armée française ne peut jouer pleinement son rôle. Dans le cas libanais, la diplomatie française s’est imprudemment avancée puis a dû faire marche arrière. La menace d’un commandement italien a fait revenir le Président Chirac sur ses premières réticences. Mais l’armée française semble souvent à la traîne d’une diplomatie nostalgique qui rêve encore d’une grandeur qui n’est plus.
Le Président Chirac a mis fin au service militaire obligatoire. On a souvent insisté, lors des émeutes urbaines de novembre 2005, sur les effets négatifs de cette décision, notamment pour les processus d’intégration. Si les engagés volontaires s’intègrent mieux que les autres jeunes Français, ce n’est pas nécessairement un effet de l’armée elle-même. Le fait même qu’ils se soient engagés constitue une distorsion statistique majeure. Comme l’initiative en a été prise, on ferait mieux d’organiser un grand service civique national qui, loin d’engager de jeunes Français dans des actions belliqueuses et violentes, leur proposerait des services d’intérêt général et leur ferait mieux découvrir les réalités de la société française. Il est très probable que nos moyens budgétaires ne nous permettent pas en même temps d’entretenir une armée prête à intervenir un peu partout et un grand service civique national, nécessairement très coûteux.
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5. L’armée était un lieu d’intégration au temps du service militaire ; il vaudrait mieux, désormais, organiser un grand service civique obligatoire
Les réponses dont les Français n’ont pas besoin 1. Pirouettes •
« La situation internationale est très évolutive. On ne sait pas de quoi demain sera fait. Le rôle d’un Président de la République est d’adapter la France aux circonstances dans le respect, voire l’obsession de l’intérêt national. »
•
« Il ne nous faut ni lâcheté ni témérité. Ni présomption ni irresponsabilité. La France fera ce qu’elle doit faire, comme elle l’a toujours fait dans l’Histoire. »
•
« L’armée française ne doit pas se disperser. La France peut être flattée de toutes les sollicitations dont elle est l’objet. Mais nous aurons, j’aurai, en tant que Président de la République, des choix à effectuer. »
2. Dégagement en touche ou refus de débattre © Groupe Eyrolles
•
« La France est devenue une petite nation parmi d’autres. Qu’elle cesse de rêver en évoquant le passé ! Il faut penser aux Français avant d’exalter une France abstraite et nostalgique. »
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Question 10
•
« Le modèle français est culturel et social. Il n’est pas militaire. »
•
« Les dépenses militaires sont un pur gâchis. »
3. Peur de perdre des électeurs « Je comprends que les Français doutent de la nécessité des dépenses militaires. D’une certaine façon, ils ont raison de s’interroger. Mais je sais qu’ils sont fiers d’admirer notre armée lorsqu’elle s’expose, comme lors du défilé du 14 juillet. »
•
« Je ferai tout pour protéger la vie des militaires français. Comme tous mes concitoyens, je ne supporte pas la disparition d’un homme engagé qui se bat, au nom de la France, pour des œuvres de paix. À chaque fois, les coupables seront recherchés et punis. »
•
« La France compte bien des motifs de fierté. La réputation de notre armée en fait partie. Contre les déclinologues qui ne cessent de nous discréditer, je dis haut et fort que l’armée française est respectée partout dans le monde. Nous devons être fiers de notre armée, comme nous sommes fiers de notre équipe de football ! » © Groupe Eyrolles
•
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Ouverture
Un livre s’achève d’ordinaire sur une conclusion. J’en ai l’habitude. Je connais la rhétorique commune. Mais ce genre nouveau me l’interdit. Même si l’on soutient souvent que la philosophie vaut davantage par ses questions que par ses réponses, j’écris ce livre en citoyen et non en philosophe. Je ne peux le conclure. J’interroge, donc je m’interroge. Ces hommes et ces femmes sont tellement différents de ce que je suis ! Ils veulent, ils désirent le pouvoir. Ils osent à peine le dire. Cela ne se fait pas, en démocratie. On y « accepte des responsabilités », on n’y avoue jamais le désir du pouvoir. Machiavel l’a répété. Donc Rousseau a recommandé son livre à tous les républicains, pour qu’ils le sachent. Comme philosophe, je ne peux souhaiter que l’influence et non le pouvoir. Le pouvoir implique qu’on devienne affidé. L’influence peut s’exercer sur tous hommes et femmes de bonne volonté. En tant que commissaire au Plan, j’ai connu le pouvoir. Je dirigeais une administration. J’avais du pouvoir. L’expérience du pouvoir est fascinante. Mais, in fine, le rôle du Plan restait seulement d’influence. Cela me convenait bien. Devant les présidentielles, je suis attentif. Je regarde le bal des présidentiables. Il donne le tournis. Je me réjouis que, dans notre pays, à gauche comme à droite et comme ailleurs, aux extrêmes et au centre, on attende cette échéance. Pour la plupart des candidats, le pouvoir suprême est un prétexte. Ils disposeront d’une tribune. Ils pourront énoncer leurs idées, voire en discuter. Pour 157
quelques-uns, le rêve est intense. Ils peuvent s’imaginer, dans un an, à l’Élysée. Tous les jours, ils y pensent, ils se représentent leurs rencontres internationales, ils imaginent la photo officielle qui ornera tous les bureaux des administrations et des communes. La présidentielle est une élection obsédante. Il est sain que la plus haute fonction engendre tant d’envies et de désirs. Il est malsain que les candidats donnent toujours dans la dénégation. Mais c’est la loi du genre. Personne ne les croit, mais ils continuent à simuler. L’ambition politique est un ressort dont ne peut se passer la démocratie : la politique exige tant de persévérance et de sacrifices qu’elle ne peut se nourrir du seul altruisme. Mais dans chaque personne, il existe un mélange différent d’ambition personnelle et de souci de l’intérêt général. Si nous pouvions, de manière assurée, peser l’un et l’autre, nous voterions en connaissance de cause. Si nous connaissions ce déséquilibre ou cet équilibre entre les deux pulsions – intérêt général et ambition personnelle –, tout serait tellement plus simple. Nous avons nos idées, nos perceptions, nos intuitions, mais nous pouvons nous tromper. Il reste donc les questions objectives. Sans doute leur enjeu est-il faible au regard de l’équilibre ou du déséquilibre susdits. Mais elles ont le mérite d’être exposées, en toute objectivité, sans qu’on soupçonne quelque procès d’intention que ce soit. Elles sont exposées pour que les candidats s’exposent. Le courage, le risque et la responsabilité vont de pair. J’ai pensé ces questions comme révélatrices. Mais seules les réponses permettront de les considérer comme telles. C’est une contribution au débat démocratique comme il y en aura, je l’espère, bien d’autres. 158
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Ouverture
Sommaire Question préliminaire
Les impératifs du débat démocratique
3
Avant-propos
Les 10 questions
13
Question 1
Homoparentalité
17
Question 2
Tri des embryons
31
Question 3
OGM
45
Question 4
Patriotisme économique
59
Question 5
SMIC
73
Question 6
Assurance chômage
87
Question 7
Services publics
101
Question 8
Représentation proportionnelle
115
Question 9
Europe
129
Question 10
Armée
143
Ouverture
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Composé par Compo Sud Achevé d’imprimer : N° d’éditeur : 3395 N° d’imprimeur : Dépôt légal : octobre 2006 Imprimé en France